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26. Jésus face à la foule

Daria Klanac : C’est étonnant de voir l’instabilité dans le comportement de la foule face à Jésus. Les  « hosannas » se transforment en l’espace d’une semaine en cris irraisonnés « qu’il soit crucifié ! » Jésus ne juge pas et aime jusqu’au bout. Nous sommes portés sans cesse à juger et à jeter la première pierre.

Arnaud Dumouch : C’est vrai que la foule qui a acclamé Jésus est, en partie, probablement la même foule qui l’a fait exécuter cinq jours plus tard. Mais ce n’est peut-être pas tout à fait la même au niveau individuel. Je veux dire par là qu’il ne faut pas oublier que les prêtres avaient fait venir leurs partisans à qui ils avaient dit de crier : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Le peuple de Jérusalem était beaucoup plus divisé, se méfiait beaucoup du levain des pharisiens, des scribes et des prêtres de Jérusalem. Cependant globalement, on voit que le comportement des foules ne dépasse pas tellement l’analyse d’un enfant de 4-5 ans. Une foule est parfaitement manipulable et de manière sincère. Il suffit de lui faire dire mille choses fausses sur une personne innocente. Une fois ou l’autre, tout le monde se fait prendre plus ou moins par les médias.

La foule humaine, c’est la totalité de ces individualités dont nous faisons partie, et nous croyons à ce qu’on nous raconte. Est-on coupable d’avoir crié avec les loups ? On croyait crier après un vrai criminel. Cela a été pareil pour Jésus. Jésus voit ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Jamais il n’en voudra à ceux qui ont crié « Crucifie-le ! », qui se sont moqués de lui au pied de la croix en ricanant et en lui disant de descendre de sa croix, il ne leur en voudra jamais parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Il le dit bien à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut ; et c’est bien pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché. »[35]

Oeuvre d’art baroque.

Celui qui m’a livré… On pense souvent à Judas, mais on ne sait pas ce que Judas pensait. Etait-il lucide à cent pour cent ? Probablement pas, sinon il ne se serait pas suicidé. Sans doute était-il énervé par des actes que Jésus avait faits et qu’il ne supportait plus, comme cette dépense inconsidérée d’un parfum qui valait une année de salaire et que la femme adultère avait mis à ses pieds.

D. Klanac : Quelle est cette personne que Jésus montre du doigt et qui est la plus coupable ?

A. Dumouch : La seule personne parfaitement coupable, outre certains grands prêtres qui étaient coupables du péché contre l’Esprit-Saint, c’est Satan. Il avait excité la foule contre Jésus qu’il savait être le Messie, qu’il ne soupçonnait pas être Dieu directement ; c’est un mystère qui le dépassait. Satan pensait que Dieu, son fils bien-aimé crucifié sauvagement par l’humanité, mettrait fin à l’expérience ratée et idiote de l’humanité et qu’il reviendrait à des projets réalistes, à savoir de communiquer la vision béatifique non pas à l’humilité et à l’amour, mais à l’intelligence noble et raisonnable que lui dirigerait dans ce monde nouveau. Seulement, Satan a pris conscience de son erreur, au moment où l’âme de Jésus est descendue comme l’éclair dans les enfers, en comprenant que l’humilité de Dieu était d’un niveau immensément plus grand que ce qu’il pouvait imaginer. Certes, il savait, dès l’origine, que Dieu mettait la vision béatifique d’abord au plus petit, mais que Dieu lui-même se fasse homme… là, on peut dire que Satan s’est fait avoir. Sa faute est sans aucune commune mesure.

La faute des plus lucides parmi les grands prêtres, c’est un péché contre l’Esprit-Saint puisqu’en tant que théologiens ils avaient vu des miracles comme la résurrection de Lazare. Leur faute est parfaitement lucide dans ce sens qu’ils savaient qu’ils tuaient un envoyé de Dieu. S’ils avaient su que c’était Dieu lui-même, il ne l’aurait pas fait. Quant à la faute de la foule, c’est de la faiblesse.

Je pense nous pouvons nous situer au niveau de cette foule. Quand nous regardons notre vie et ce que nous avons fait par moment, nous aurions ricané, en passant au pied de la croix, en disant : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! »[36] Nous l’aurions fait ! Et on verra, à l’heure de notre mort[37], que nous l’avons fait à chaque fois que nous avons dit du mal d’un de nos frères. On sera à genoux en larmes à demander pardon à Jésus et parce qu’il nous pardonnera, on l’aimera immensément. Celui qui a été peu pardonné aime peu, et nous, nous serons forcément beaucoup pardonnés.

 

35. Jn 19,11. [↩]

36. Mt 27,42. [↩]

37. Le contresens le plus fréquent qui est fait par des lecteurs superficiels de l’annonce de la venue du Christ miséricordieux à l’heure de la mort est celui-ci : « Le problème de sa "thèse", c’est qu’elle laisse à penser que l’on peut toujours reporter au lendemain le jour de sa conversion, que l’on peut même attendre la mort pour se convertir, voire même après la mort. Ce qui est terrible. »
C’est une objection qui se résout facilement. C’est le même contresens que ceux qui, de tout temps, détournèrent l’existence du sacrement de pénitence pour se dire : « Je pèche. Je me repends et me confesse à l’heure de ma mort et hop ! Je suis sauvé ! » Les personnes qui calculent ainsi ont à mon avis, pour raisonner ainsi et en abuser, un esprit qui n’est pas fait pour comprendre ce qu’est la miséricorde.
Il ne faut pas jouer avec les péchés mortels (de faiblesse et d’ignorance), même si toute faiblesse et ignorance sont enlevées à la venue du Christ. En effet, si on s’y complait, on fabrique en son âme un goût pour l’égoïsme et l’orgueil qui nous attirera vers la liberté solitaire, qui est justement ce qu’annonce Lucifer en enfer. Mais face au Christ, ce sera devenu un péché mortel contre l’Esprit Saint, car il n’y aura plus que lucidité et maîtrise de soi.
Ce poids du péché risque bien, face à la Parousie du Christ, de nous faire mépriser sa douceur et sa petitesse (qui sont sa gloire principale) et nous dirons : « Ce n’est que ça le Christ ? »
Donc nous devons fuir le pÉchÉ, par peur non du christ mais de nous-mÊmes ! Et le péché nous guette. Il est invisible. Je me souviens de cette anecdote qui m’a frappé. À la fin des apparitions de Lourdes, on voulut protéger Bernadette ; on lui trouva un couvent à Nevers dirigés par une religieuse de haute qualité, une grande ascète. Un jour, une dame demanda à voir Bernadette, s’attendant à rencontrer une grande mystique, pleine de transports. Or Bernadette n’aimait pas passer des heures en oraison. Elle était simple et préférait servir en cuisine et dans le ménage. Le constatant, la dame fit cette remarque acide : « Ce n’est que cela Bernadette ? » À quoi Bernadette a répondu en riant : « Mais oui, madame, ce n’est que ça ! » Et cela m’a frappé car je me suis dit que beaucoup d’entre nous, chrétiens fervents et secrètement assez sûrs de notre salut, nous n’avons pas le mÊme choix que la sainte vierge, qui est portant la reine du ciel parce qu’elle est la plus petite.
Donc, la peur de l’enfer ne doit plus venir de Dieu ! Lui, il est prêt à tout pardonner, 70 fois 7 fois, si nous nous repentons.  La peur doit venir de nous. Car personne ne sait s’il ne sera pas déçu, lors de la venue du Christ dans sa gloire, par tant d’humilité… [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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