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Daria Klanac : Peut-on lire les récits des Évangiles comme un compte-rendu, un reportage ou une chronologie historique ?
Arnaud Dumouch : Deux des quatre Évangiles sont des enquêtes : ceux de Marc et Luc, qui n’ont pas assisté aux faits, qui n’ont pas suivi Jésus, qui n’étaient ni parmi ses apôtres ni parmi ses disciples. Les deux autres évangélistes, Matthieu et Jean, sont des témoins. Les Évangiles de Marc, de Matthieu et de Luc se sont un peu copiés les uns les autres. C’est-à-dire qu’ils ont pris les mêmes sources, certainement chez Marc, puisque son Évangile est contenu presque entièrement dans les deux autres. Et puis, ils ont recueilli des témoignages. On pense que Luc, qui a raconté l’enfance de Jésus, a recueilli le témoignage de Marie dont il était très proche. La légende disait que Luc était peintre et qu’il avait fait d’ailleurs un très beau portrait de Marie. Jean, lui, écrit beaucoup plus tard, alors qu’il est âgé. Il écrit sans doute vers l’an 90 après J.-C. D’après saint Irénée, qui a bien connu saint Polycarpe, un disciple de l’apôtre, Jean a écrit son Évangile après avoir été traumatisé par la vision de l’Apocalypse qu’il a eue sur l’île de Patmos. Cette vision extatique étrange qui raconte les intentions de Dieu l’a tellement bouleversé qu’il a décidé de mettre par écrit son Évangile.
Jean ne rapporte pas seulement des faits comme le font les trois autres, des faits qui parfois ont quelques petites imprécisions. C’est le même genre d’imprécisions que lors d’un accident de la route vu pas trois témoins : chacun peut omettre un détail ou voir un détail légèrement différent, mais cela porte sur très peu de choses.
Donc, Jean ne donne pas seulement un témoignage, il donne le sens du témoignage, c’est-à-dire qu’il a médité toute sa vie. Son prologue est une méditation, où il reprend le tout début de la Bible : Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu.
Il ne faut pas voir obligatoirement dans ces quatre Évangiles l’infaillibilité d’un historien selon les méthodes modernes. Les textes sont quelquefois regroupés entre eux, alors que certainement Jésus les a enseignés à divers moments. Je pense au Sermon sur la Montagne, où il y a toute une série de paragraphes qui quelquefois semblent ne pas se suivre. Les apôtres n’ont certainement pas su reconstituer la chronologie des discours de Jésus et ils les ont regroupés.
Par ailleurs, on ne sait pas si la chronologie des miracles est correcte. Dans l’un des Évangiles, Jésus chasse les marchands du temple au début de la narration, dans un autre, l’épisode est raconté plutôt à la fin du récit. Nous savons, par exemple, que Jésus a prononcé sept paroles sur la Croix – peut-être qu’il en a prononcé plus –, qu’il faut chercher dans les quatre Évangiles. Jean en donne certaines qui ne sont pas du tout dans les autres. Cela ne veut pas dire qu’il contredit les autres, mais, comme tout témoignage, il a complété par ce qu’il a vu – puisqu’il était présent, lui –, au pied de la Croix.
Là où réside l’infaillibilité de ces quatre Évangiles, c’est que l’Esprit Saint invisiblement reposait sur l’épaule de ces quatre évangélistes, pour qu’ils n’écrivent que ce qu’il fallait et peu importe si un détail ou un autre manque de précision. Le sens est là, rien n’a été oublié de ce qui était essentiel, même si ont été oubliés certains faits importants concernant en particulier la Vierge Marie, son Immaculée Conception, son Assomption. L’Esprit Saint est un être vivant et il ne fonde pas toute sa révélation uniquement sur ces quatre écrits, mais sur le gémissement qu’il vient mettre dans le cœur des fidèles au cours de l’histoire et il continue. Il ne cesse pas d’agir.
L’Immaculée Conception et l’Assomption faisaient partie de la sainte Tradition, cela avait été rapporté par saint Irénée en particulier. L’Esprit Saint, à un moment donné, l’a révélé aux fidèles et curieusement les musulmans au VIIIe siècle l’ont su. Ils savaient que Marie était toute pure. Ils l’ont écrit dans le Coran, ce qui veut dire que les chrétiens le savaient, ils se le transmettaient et quand il a fallu le reconnaître solennellement au niveau de la foi, les papes l’ont proclamé. En effet, il n’y a pas de rupture entre les évangélistes et le Magistère des papes actuels ; c’est le même Esprit Saint qui rend tout cela vivant et qui approfondit les choses.
L’Esprit Saint révèle au fur à mesure les vérités de la foi.
Dans l’Écriture, certaines choses sont cachées parce que l’Esprit Saint ne veut pas que cela se voie pour le moment. Voici un exemple très concret : Jésus sans cesse annonce son retour pour cette génération et dans les textes où il dit : « Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme »[4], ce qui annonce la fin du monde, une ligne après il parle aussi de la mort individuelle de chacun et quelques versets plus loin, il explique : « Alors, deux hommes seront dans un champ : l’un est pris, l’autre laissé. »[5]
Pendant deux mille ans, jusqu’à sainte Faustine, une petite sainte polonaise qui a été canonisée par Jean-Paul II, aucun théologien n’a vu que c’était la clé de la théologie pour expliquer la manière dont Jésus proposait son salut à tout homme. Sainte Faustine, elle, l’a vu dans un rêve. Saint Thomas ne l’a pas vu, saint Augustin ne l’a pas vu, aucun théologien ne l’a vu. Quand l’Esprit Saint veut cacher une chose, c’est parce qu’il estime que cela provoquera plus de zèle apostolique. En effet, de grands missionnaires sont partis dans le monde entier en se disant que si jamais l’Évangile n’était pas annoncé du vivant des gens, ils mourraient sans la foi et seraient damnés. Saint Dominique pleurait en disant : « Mais que deviendront les pauvres pécheurs et les païens ? » La solution était là, dans l’Évangile : Jésus annonce son Évangile aux païens dans le passage de la mort. C’est dit explicitement dans les ouvriers de la onzième heure[6] qui est la dernière heure de notre vie. Cela montre bien que l’Écriture ne s’interprète que si l’Esprit Saint veut bien nous en donner le sens.
Plus l’Église est humble, plus elle est frappée d’épreuves – comme l’a été le peuple juif –, plus elle pénètre dans le sens de l’Écriture qui parle d’un Dieu humble.
4. Mt 24,27. [↩]
5. Mt 24,40. [↩]
6. Mt 20,1-16. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.