Accueil > Bibliothèque > Un entretien… > Tome 1 : La lenteur de Dieu > Misère et grandeur de l’Alliance
Daria Klanac : Le Seigneur veut établir une alliance avec le peuple d’Israël et va chercher Abram qui répond à son appel. Le temps passe, Abram avance en âge et ne croit plus aux desseins de Dieu sur lui et sa femme. Pour avoir un fils à tout prix, Sara lui soumet sa servante qui met au monde Ismaël. Sara est très dure avec Agar, la servante. Elle finira par la chasser. Lorsqu’Abram atteint l’âge de 99 ans, Dieu le rebaptise en Abraham, père de toutes les nations. Malgré toute espérance, Isaac est né. Dieu bénit les deux fils d’Abraham, mais seul Isaac, fils de Sara, est choisi pour être le père de son peuple. Parfois les choix et les permissions de Dieu sont mystérieux ?
Arnaud Dumouch : Ce texte manifeste que lorsque Dieu commence à préparer sa nouvelle Alliance, qui sera en Jésus-Christ pour offrir de nouveau le véritable amour d’amitié avec Dieu, il prépare lentement son peuple. La première qualité qu’il admire chez Abraham ce n’est pas encore la charité, c’est la foi. Il a confiance en Abraham, c’est un être qui est tellement confiant qu’il est prêt à sacrifier son fils Isaac, parce que Dieu le lui demande. Il l’aurait fait si Dieu n’avait pas arrêté le geste. On retrouve là ce que j’avais dit au début par rapport à Adam et Ève, la kénose (abaissement total de soi) qui est une disposition au Salut, et qui, normalement, doit conduire à la charité. Il faut une bonne terre, un cœur tout humble pour pouvoir recevoir ensuite la proposition inouïe d’être l’égal de Dieu, d’être son ami, de pouvoir avoir une relation réciproque d’obéissance, parce que c’est comme cela au Ciel : les saints obéissent à Dieu, Dieu leur obéit. On ne peut même plus parler d’obéissance, mais de l’amour comme dans un couple.
La question porte sur le fait qu’Abraham a deux enfants, l’un qui vient de sa propre initiative, l’autre qui vient de Dieu directement lors d’une apparition de la Trinité au Chêne de Membrée.[53]
D. Klanac : Et pourquoi Dieu choisit-il Isaac et non pas Ismaël même s’il le bénit ?
A. Dumouch : Parce qu’il est fils d’Abraham. C’est la question mystérieuse de ce qui se passe sur Terre constamment. Je peux dire que, dans ma vie personnelle, j’ai vécu la même chose. Nous sommes d’une famille plus ou moins chrétienne, un reste culturel. Moi, la foi m’est tombée dessus à treize ans, alors que j’étais délinquant. J’avais déjà passé devant un juge pour enfants, et mon grand frère qui avait cinq ans de plus, qui était plus gentil que moi, n’a pas reçu la foi. Et comme tous les deux nous étions faits pour l’absolu, moi je me suis épanoui dans la foi, et lui il s’est détruit dans l’angoisse, la délinquance, jusqu’à vivre maintenant en l’hôpital psychiatrique, son cerveau abîmé. On peut se demander pourquoi parmi les deux frères, la grâce est tombée sur moi qui étais sûrement le pire, quand je me regarde objectivement, et non pas sur lui. En fait, la réponse est toujours la même. Ce qui compte pour Dieu ce n’est pas ce qui se passe maintenant, c’est ce qui se passera ultimement.
À quoi servirait-il par exemple si, ayant eu toute ma vie la foi, trop habitué à Dieu et à son Salut à venir, à l’heure de ma mort je me tourne vers le Christ avec une force et un amour tiède ? Et si mon frère, qui lui a eu une vie détruite, a la bonne surprise, alors qu’il est athée, de voir ce Christ qu’il a désiré sans le savoir, se met à l’aimer immensément plus fort que moi, qu’est-ce qui comptera ultimement ? Mon chemin ou son chemin ? Eh bien, je dis que c’est cela que Dieu regarde. Mon frère, par sa vie brisée, est un être qui est devenu profondément bon. Sa vie terrestre est ratée objectivement, selon les critères qu’on se donne, mais si son cœur est beaucoup plus humble que le mien, de l’autre côté on aura l’explication de ces apparences et mystères de Dieu qui choisit l’un et ne choisit pas l’autre.
Comment se fait-il que nous, Européens, ayons reçu tout en bénédiction : le christianisme et maintenant, grâce à l’épanouissement que donne le christianisme, le plus grand développement technologique qui fait qu’on est des peuples richissimes en comparaison des autres peuples du monde ? Comment se fait-il qu’on reçoive cela, alors que d’autres peuples, comme les peuples africains, reçoivent souvent misère, sida, maladies qui s’accumulent, etc ? Eh bien là, encore une fois, il faut regarder ce qui se passera ultimement. Actuellement, les Européens, gavés de biens, ont tendance à apostasier ce Dieu qui les a comblés, et les Africains, dans la misère, se tournent avec une force extrêmement fervente vers Dieu, que ce soit à travers l’islam ou le christianisme. Parmi ces deux peuples, lesquels ultimement seront les plus proches de Dieu ? Attention de ne pas conclure trop vite que ce seront les Africains parce que Dieu a des moyens aussi pour les Occidentaux, humanistes, athées, arrogants.
Regardons la génération qui a apostasié : celle de mai 1968. Elle arrive à l’âge de la vieillesse, autour de soixante ans, elle a encore vingt ans à tenir sur Terre et c’est la première génération qui, je crois, dans son ensemble, arrive en ayant méprisé la religion, avec peu de prêtres, peut-être pas du tout. Alors, cette génération, pour fuir l’angoisse qu’elle sent venir, la déchéance de la vieillesse, elle se fabrique, partout en Europe, des lois pour l’euthanasie, pour avoir droit de choisir une mort douce, puisqu’il n’y a rien après la mort. Seulement, elle ne pourra pas échapper à l’angoisse. C’est une génération qui a beaucoup avorté, qui a beaucoup divorcé. Ce qui comptait, c’était l’individu, son bonheur immédiat. Elle va récolter en conséquence les fruits de la solitude. Au bout du compte, abreuvée de solitude, angoissée par la mort, récoltant tous les fruits des erreurs de sa jeunesse, elle arrive de l’autre côté en croyant qu’il n’y a rien, mais elle a la bonne surprise d’être accueillie par le Messie glorieux qui révèle la vérité, qui ne condamne pas, qui comprend, qui explique pourquoi il s’est tu, pourquoi il a laissé faire cette génération jusqu’au bout. Ultimement, si elle se tourne vers Dieu de manière fervente et tombe à genoux, alors on verra que tel était le meilleur moyen pour la sauver.
D. Klanac : L’histoire de ces deux fils d’Abraham a sûrement d’autres significations.
A. Dumouch : Dans ce passage sur Isaac et Ismaël, il y a beaucoup d’autres sens et l’un des sens mystérieux, c’est que ce texte est une prophétie très nette. Ce sens se trouve dans la Genèse à partir du chapitre 19. Il suffit de le lire en détail pour s’apercevoir que c’est une prophétie des deux religions qui sortiront plus tard du peuple juif. Il n’y a pas de prophétie qui soit plus nette. Tous les détails que Dieu donne sur l’origine d’Ismaël, sur ce qu’il sera comme personnalité, tous les détails que Dieu donne sur Isaac, son origine et ce qu’il sera comme personnalité correspondent trait pour trait à l’islam d’un côté et au christianisme de l’autre. Ismaël, fils de la servante, l’islam, religion qui se dit la servante de Dieu et qui se glorifie de cela, qui dit : « Les chrétiens ont abusé en pensant pouvoir être amis de Dieu. Dieu est trop grand, on ne peut qu’être humble serviteur. » Ismaël, dit la Bible, vit dans le désert. Il a un arc, sa main s’étend contre tous et la main de tous contre lui. Il s’établit à la place de ses frères en leur prenant leur terre. C’est textuellement marqué. Eh bien, quand on regarde comment l’islam s’est répandu dans le monde, on voit que c’est un peuple qui, au départ, autorise le glaive. Mohamed a des Sourates[54] de la guerre, il part en guerre et ses successeurs vont l’appliquer. La conquête de l’Afrique du Nord chrétien, la conquête de l’Empire romain d’Orient chrétien, la conquête de l’Inde, ce qui est le Pakistan maintenant, la partie de l’Inde musulmane, cela s’est fait par l’épée, mais aussi beaucoup par la prédication des marchands, la conviction. Partout dans le monde, actuellement, on voit bien qu’on se méfie de l’islam, il fait peur parce qu’il ne se laisse pas faire, c’est un peuple fier.
D. Klanac : D’où vient le christianisme ? Quelles sont ses origines ?
A. Dumouch : Pour ce qui est du christianisme, la Bible dit qu’il est venu lors d’une apparition de la Trinité. Trois anges apparurent à Abraham et il se prosterna en disant au singulier : « Mon Seigneur Dieu. » Isaac vient de la propre volonté de Dieu, alors qu’Ismaël est né par la volonté de Sara qui voyait que la promesse ne se réalisait pas. Le christianisme vient de l’initiative de Dieu, comme le montre le fait que cette religion est humainement complètement verticale. Croire que Dieu puisse se faire homme, croire qu’il puisse y avoir une amitié cœur à cœur avec lui, croire que Dieu ait voulu choisir sa mère et qu’il soit né à travers une petite vierge de quatorze, quinze ans. L’islam est beaucoup plus rationnel, d’origine humaine, il est tout à fait cohérent pour eux de croire qu’il n’y a qu’un seul Dieu, unique, créateur du Ciel et de la Terre et qu’il faut se comporter en juste pour avoir en échange le paradis. Comme le montre le texte, les deux religions sont bénies plusieurs fois et Dieu dit : « C’est par cette descendance que les peuples de la Terre se béniront. » On le voit déjà actuellement : au XXIe siècle la moitié de l’humanité est soit chrétienne, soit musulmane.
Pourtant, Dieu dit explicitement : « Mon Alliance, je la ferai avec Isaac. Ismaël, le fils de la servante, je le bénirai parce qu’il est fils d’Abraham, mais, mon Alliance sainte, je la ferai avec Isaac. » Pourquoi est-ce que Dieu permet alors deux religions, deux témoins sur Terre, témoins du Dieu unique et non pas un seul ? L’explication est d’ailleurs la même que plus haut, mais avec un petit ajout : en ce sens qu’il faut qu’il y ait division sur Terre. Les chrétiens pensent que c’est un drame, qu’il faut faire l’unité, et bien moi je réponds que la division est permise par Dieu. Il faut qu’elle existe à cause de ce que nous faisons de l’unité tant que nous sommes sur Terre. À chaque fois qu’une religion est puissante, qu’elle tient son domaine, que ce soit le bouddhisme, le christianisme, l’islam, ces prêtres remplis d’orgueil très vite se mettent à persécuter ceux qui pensent différemment. On le voit dans la Bible.
C’est pareil pour le peuple juif. Quand la gloire recouvre entièrement le peuple juif, par exemple au temps de Salomon, ce roi, alors qu’il était dans sa jeunesse un homme de la plus grande sagesse, devient vraiment dépravé et ne croit même plus en Dieu. Alors, Dieu dit : « Je diviserai ton Royaume. Je ne le ferai pas de ton vivant, je le ferai du vivant de ton fils. »[55] Et il le fait. Le peuple est plus humble, le Royaume moins puissant, donc il est plus proche de la vie éternelle. En ce qui concerne la gloire terrestre, c’est une catastrophe. Dieu se fait souvent l’ennemi de nos civilisations brillantes, parce qu’il ne vise pas notre réussite terrestre, mais la réussite éternelle, afin que des âmes ne soient pas orgueilleuses. Les peuples étant divisés, Dieu ne donne que la croissance qu’il veut à chacun. Cela produit davantage d’humilité.
À l’heure de la mort, quand le Christ paraît, alors se réalise l’unité. C’est ce que dit Jésus : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il n’y aura plus qu’un seul troupeau, un seul berger. »[56] C’est certain, il réalise l’unité à l’heure de la mort parce que dans l’autre monde, nous ne sommes plus soumis à ces vanités de clochers. Nous sommes purifiés et donc il ne peut y avoir qu’une seule Église catholique. Tout le monde est catholique, catholique au sens profond, pas au sens romain, au sens uni au Christ qui veut sauver tous les hommes. Unis au mystère de sa charité.
53. Gn 18,1. [↩]
54. Chapitres du Coran. [↩]
55. 1 Rois 11,12. [↩]
56. Jn 10,16. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.