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25. La marche sinueuse du peuple de Dieu

Daria Klanac : À travers des hauts et des bas de l’Alliance de Dieu avec les humains, nous suivons cette étonnante histoire du peuple de Dieu en marche qui, dans les livres de la Bible, exprime tantôt l’amour sublime, unique et incomparable, tantôt le doute, l’angoisse, la peur… Ne sommes-nous pas les mêmes aujourd’hui que ces hommes et ces femmes de l’Ancien Testament ?

Arnaud Dumouch : Tout à fait, mais avec quand même une nuance. Pour les hommes et les femmes de l’Ancien Testament, tout leur arrivait dans leur chair. Je veux dire dans leur histoire politique visible. Même les commandements de Dieu étaient charnels. À l’époque, le baptême c’était la circoncision. À l’époque, il fallait suivre une série de rituels extérieurs tellement nombreux qu’aucun n’arrivait à les suivre. Le peuple hébreu avait une relation avec Dieu qui était un mélange de peur, parfois de terreur. Il faut se rappeler les textes, quand l’Alliance se fait au mont Sinaï et où Dieu dit : « Gardez-vous de gravir la montagne et même d’en toucher le bord. Quiconque touchera la montagne sera mis à mort. »[57] La crainte, la peur au sens tel que je l’enseigne, chasse l’amitié. Les deux ne sont pas possibles en même temps. Toute l’histoire de ce peuple, qu’on appelle le peuple de l’Ancienne Alliance, est comme une parabole qui explique, sous ses formes parfois militaires, le sens profond d’Alliance, qui est un amour d’amitié intime, une vie intérieure avec le vrai Dieu et qui ne va être réalisée que par Jésus Christ.

Il faut regarder profondément comment Dieu agit pour ce peuple. Il y a, de temps en temps, des phases d’amour sublime qui, en général, du côté du peuple d’Israël, se terminent par de l’indifférence vis-à-vis de Dieu. Quand ils sont comblés, ils l’oublient. Ses phases sont suivies de grandes destructions. Plusieurs fois, le temple de Jérusalem sera détruit. Plusieurs fois, le peuple juif sera déporté et retrouvera sa terre.

Parfois, ces phases adviennent à des moments où le peuple est saint. Je pense à la grande épreuve qui est arrivée à l’époque du roi Josias. Le roi Josias, c’est le plus grand roi de l’histoire d’Israël, avant même le roi David. Il n’y a pas plus saint que lui, c’est le saint Louis de l’époque, c’est un homme qui redécouvre la loi, qui fait disparaître de tout Israël les idoles, il applique les commandements de Moïse. Et puis, un jour, voilà que le pharaon s’approche d’Israël pour passer, même pas pour combattre Israël. Mais Josias, méfiant, dans l’idée de défendre son peuple, ne veut pas laisser un passage. Le pharaon fait tirer par un de ses soldats une flèche qui atteint mortellement le roi. Un peu plus tard, peut-être vingt ans plus tard, Nabuchodonosor, l’empereur de Mésopotamie attaque, détruit complètement le temple de Jérusalem et déporte le peuple.

D. Klanac : Pourquoi est-ce qu’une épreuve aussi grave arrive alors que le peuple était plutôt saint ?

A. Dumouch : Apparemment, quand on regarde les choses, on ne voit pas de logique. Le but de Dieu n’est pas la possession de la terre matérielle, comme le faisait le peuple hébreu, mais la possession de la vie éternelle. Nous constatons dans nos vies que le malheur peut nous frapper quand nous agissons mal et là on se dit qu’on l’a peut-être cherché… Cependant, il nous frappe aussi quand nous nous comportons très bien, comme s’il n’y avait pas de logique. On peut perdre un enfant quand on est saint ; on peut attraper un cancer quand on est saint. Certains disent que le cancer s’attrape parce que psychologiquement, on n’est pas bien… Il y a des gens parfaitement équilibrés qui ont un cancer, la maladie frappe les bons et les mauvais. Alors pourquoi Dieu permet-il cela ? C’est bien une permission, puisque Dieu peut l’empêcher. Je dirais que la clef, on la trouve au Golgotha.

D. Klanac : De quelle façon ?

A. Dumouch : Sur le Golgotha, il n’y a pas qu’un seul crucifié, il y en a trois. Et ces trois crucifiés sont l’image de tous les êtres humains qui vivent sur Terre et qui peuvent être catégorisés en trois groupes, mais cette frontière passe en nous, dans notre propre cœur. Il y a des hommes pervers, c’est-à-dire des hommes qui ont choisi objectivement l’égoïsme. Ces hommes-là ont les mêmes malheurs que les autres, tôt ou tard. Ils ont des grands moments de bonheur et de richesse, ils en profitent, mais ils le paient après, quand vient la vieillesse parce que c’est beaucoup plus dur de perdre tout, quand on a tout eu. Ils sont crucifiés comme les autres. Cela se traduit chez eux par de la révolte : « Si Dieu existait, il n’y aurait pas tant de malheur sur ce monde. » Cette révolte, il ne faut pas croire qu’elle porte assurément à la damnation. À force de souffrir, s’ils sont orgueilleux, leur cœur finit par comprendre et devient plus humble, et lors de l’apparition du Christ à l’heure de la mort, beaucoup se tournent vers Dieu. Ceux qui refusent Dieu ayant vu et vécu tout cela ont la liberté de choisir l’enfer. L’enfer qui, pour eux, pourra devenir le paradis, puisqu’ils ne voudraient pas en sortir : un « paradis » de solitude froide et haineuse, le paradis des orgueilleux.

La deuxième partie de l’humanité, la plus nombreuse, ce sont les hommes justes qui sont représentés par le bon larron, des hommes qui ne connaissent pas vraiment le Christ, qui en ont entendu parler un peu et qui malgré cela aiment leur famille. Ils ne veulent pas abandonner leur femme, ils essaient de se comporter bien. Je dirais que c’est la majorité des habitants de la Terre. C’est ce qu’on pourrait appeler les justes. Eh bien, ces gens-là sont crucifiés comme les autres. Ils passent par la même souffrance, mais eux, loin d’exprimer une révolte méprisante vis-à-vis de celui qui peut envoyer de telles épreuves, comme le dit le texte de l’Apocalypse, ils cherchent la vérité. Y a-t-il quelqu’un ? Que nous veut-il ? Seigneur, est-ce que tu existes ? Leur cœur est déjà droit et ils reconnaissent leurs propres torts. Par ces épreuves se développe en eux une soif plus profonde qui, à l’heure de la mort, quand le Christ se manifeste, se traduit en un amour brûlant, très fort. « Ils sont sauvés », dira saint Paul, mais comme à travers un feu. Cela veut dire que toutes les parties impures en eux sont purifiées dans les purgatoires qui précèdent et qui suivent la mort.

La troisième partie de l’humanité est composée d’un très petit nombre de personnes et on ne peut pas savoir si on en fait partie. Ce sont les saints. Souvent, on croit que les saints sont simplement ceux qui prient, qui vont à la messe. Non ! La sainteté, aux yeux de Dieu, se traduit par deux qualités profondément vécues.

D. Klanac : Quelles sont ces qualités ?

A. Dumouch : Premièrement, une humilité profonde : la personne ne sait pas si elle est humble. Savoir que l’on est orgueilleux est un premier pas vers l’humilité. Mais celui qui est vraiment humble, il ne s’est jamais regardé, donc il ne le sait pas. C’est ce qu’on voit avec la Vierge Marie qui fut surprise par la salutation de l’ange quand il lui dit : « Tu es pleine de grâce », elle est surprise parce qu’elle se questionne, on pourrait presque dire qu’elle se retourne pour voir si cela s’adresse bien à elle. La Vierge Marie se croyait pécheresse, puisqu’elle a offert des colombes pour sa purification après la naissance de Jésus.

La deuxième qualité, c’est l’amour, la volonté d’aimer. Et quand un être humain jongle sur ces deux pieds de la vie spirituelle qui sont l’humilité et la charité, l’amour pour Dieu et pour le prochain, quand il passe de l’un à l’autre, quand on aime faire du bien aux autres, on a tendance à devenir fier. C’est pour cela qu’il faut passer sur l’autre pied de l’humilité. Il suffit de regarder ses propres péchés et, à ce moment-là, on s’aperçoit que la charité est très centrée sur nous, on aime bien se valoriser. Cette double qualité qui est sortie du cœur du Christ : l’eau et le sang, c’est la sainteté. La petite différence qu’il y a avec les autres, c’est qu’eux non seulement ils s’offrent pour leurs péchés comme l’homme juste, mais ils offrent les souffrances pour compléter ce qu’a fait le Christ, pour le bien de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ et qui, eux, souffrent d’angoisse. Ils transforment ces mêmes crucifixions en un acte qui sauve l’humanité.

Perpétuellement, nous qui sommes des humains, naviguons entre ces trois étapes. C’est ce que montre l’Ancien Testament par une terre d’Israël qui n’est pas complètement à Israël, il y a toujours des aiguillons qui ne lui appartiennent pas. Mais tant que nous sommes sur Terre, il y a toujours un espace en nous qui n’appartient qu’à l’égoïsme, sauf pour la Vierge Marie et Jésus qui, eux, étaient parfaitement donnés. Je pourrais multiplier à l’infini les lectures de l’Ancien Testament pour montrer à quel point elles révèlent la Sainte-Alliance nouvelle. Il suffit de procéder de la même façon avec toutes les histoires de la Bible et on verra que toutes sont des allégories de notre âme par rapport à Dieu et que toutes révèlent comment Dieu, petit à petit, purifie l’homme pour l’emmener à la vision béatifique.

 

57. Ex 19,12. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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