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26. Les livres de poésie dans la Bible

Daria Klanac : La Bible est remplie de poésie. C’est de la grande poésie qui n’a cessé, à travers les âges, d’inspirer l’humanité dans tous les domaines. On y lit tout l’abîme de la misère de l’être d’un côté et toute la grandeur et la gloire de Dieu de l’autre. Comme toute poésie authentique, dans sa sincérité, elle nous dévoile des vérités profondes. Quelle est la vraie place de la poésie dans la Bible ?

Arnaud Dumouch : Tous les textes bibliques ne sont pas de la poésie. On y trouve tous les genres littéraires, dont la poésie. Je pense au Livre des Psaumes, mais aussi chez les prophètes, de grands textes de haute littérature poétique. Il y a aussi des textes complètement légaux, des codes civils, je pense au Livre du Lévitique. La Bible est riche en récits romanesques, parfois inventés, comme le Livre de Tobie, peut-être Esther, Judith. On se demande si ces histoires-là ont vraiment eu lieu. Pour ce qui est de Jonas, c’est impossible que ça ait eu lieu, il ne peut pas vivre dans le ventre d’une baleine. À l’époque, on pouvait peut-être le croire, mais maintenant, on sait que ce n’est pas possible. En fait, Dieu s’est servi de tout ce qu’il y avait de riche dans la littérature humaine pour exprimer, de toutes les formes possibles, son Ancienne Alliance et le chemin vers la Nouvelle Alliance.

Cependant, il est vrai que les parties poétiques, sans doute, se rapprochent le plus du mystère, comme dans les Cantiques des Cantiques, un poème où le nom de Dieu n’est pas prononcé au point que certains juifs se demandaient s’il fallait qu’il fasse partie de la Bible.

C’est un poème d’amour entre un homme et une femme, des jeunes fiancés, complètement épris l’un de l’autre, y compris au point de vue sexuel, mais au point de vue affectif aussi. Le peuple juif très vite, alors qu’il s’était affiné à la période grecque et revient de son exil à Babylone, a compris que ce poème, apparemment sans place dans la Bible, signifiait la relation intense que Dieu avait avec son peuple. Mais le peuple juif n’osa pas l’exprimer. Très peu de personnes dans le peuple juif comprirent que ça pouvait être une relation de l’âme avec Dieu. Et pour cause : Dieu ne veut pas encore cette amitié. Jésus, d’ailleurs, le confirme. Il dit : « En vérité, je vous le déclare, beaucoup de prophètes, beaucoup de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu. »[58] Ils auraient voulu approcher l’intimité de Dieu. Élie, par exemple, veut voir Dieu face à face et Dieu lui répond : « Tu ne peux pas me voir sans mourir, mais tu verras mon dos. »[59] Quand Moïse va sur la montagne, il y a d’abord un immense tremblement de terre, il sait que ce n’est pas Dieu. Il y a ensuite un ouragan terrible, il sait que ce n’est pas Dieu et puis vient une brise légère, très douce, alors il sait que c’est Dieu.

Pour réaliser l’amour d’amitié, il faudra le Christ et cela pour deux raisons. Premièrement, c’est lui qui osera révéler le cœur de Dieu, sa vie trinitaire ; qui osera expliquer pourquoi Dieu agissait parfois si durement avant, et même maintenant. Jésus, à la croix, donnera l’Esprit Saint qui est absolument indispensable pour une vie mystique avec Dieu. En effet, il s’agit d’un amour d’amitié. Dieu est plus grand que l’homme, comme le fait remarquer l’islam. On ne peut pas avoir d’amitié avec un plus grand. Non seulement il faut que Dieu s’abaisse, mais il faut que sa grâce élève l’homme pour qu’il y ait égalité de droits, pas de nature, mais de droits et, à ce moment-là, il peut y avoir amour d’amitié, Alliance, Sainte-Alliance. Comme ce que Jésus disait[60]: « L’Esprit Saint n’avait pas encore été donné, c’est pour cela que les gens ne pouvaient pas encore vivre de la charité. »

D. Klanac : La poésie biblique, puisqu’elle ne touche pas seulement à la rationalité ou la légalité, mais au cœur, est sans doute ce qui va le plus loin dans l’approche de Dieu.

A. Dumouch : L’inconvénient de la poésie, c’est que tout le monde ne peut pas la lire, tout le monde n’est pas sensible à ce genre littéraire brûlant. C’est pourquoi je pense que les textes, peut-être moins poétiques, mais qui vont le plus loin pastoralement pour que tout le monde puisse comprendre le mystère, ce sont certainement les textes des Quatre Évangiles qui sont plutôt des récits, des anecdotes, des actions faites par Jésus, des paraboles. Or, il n’y a pas de grands effets de style dans les Quatre Évangiles. Le texte est simplement écrit, un peu plus mystique dans saint Jean, plus théologique peut-être. Je pense que c’est ce genre littéraire qui va, pour moi, le plus loin pour que tout le monde puisse accéder au mystère. Cependant, une fois qu’on a accédé au mystère et qu’on est entré dans une relation intime avec Dieu, alors la poésie biblique, le Livre des Psaumes en particulier avec tous les états d’âme humains, devient un sommet. On le voit d’ailleurs dans saint Jean de la Croix.[61] Sa poésie, vive flamme d’amour, c’est le sommet de la littérature espagnole et, sans doute, de la littérature de l’Église catholique en entier.

 

58. Cf Mt 13,17. [↩]

59. Ex 33,20 et ss. [↩]

60. Jn 7,39. [↩]

61. Jean de la Croix (1542-1591), saint mystique espagnol, reconnu comme l’un des plus grands poètes du Siècle d’or espagnol. Il est depuis 1952 le saint patron des poètes espagnols. Certains philosophes s’appuient sur ses écrits pour conceptualiser le détachement. Jean de la Croix fait la très célèbre expérience mystique de la nuit obscure qu’il décrit et développe tout au long de sa vie à travers ses traités dans lesquels il cherche à témoigner du chemin des âmes vers Dieu. Après sa mort, il est très vite considéré comme un saint et comme l’un des plus grands mystiques espagnols, au même titre que Thérèse d’Ávila, il est béatifié en 1675, canonisé en 1726. Il est proclamé docteur de l’Église le 24 août 1926. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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