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27. Les récits bibliques et les fouilles archéologiques

Daria Klanac : Les fouilles archéologiques menées sur les lieux bibliques ont-elles consolidé ou mis en doute les récits de la Bible, notamment en ce qui concerne les périples et les déplacements gigantesques de l’Arche de Noé, d’Abraham, de Moïse, du roi David et d’autres ?

Arnaud Dumouch : Il y a deux choses à regarder. D’abord, le comportement scientifique des archéologues. Les fouilles, quand elles concernent la Bible, ont un sens particulier. C’est qu’elles font intervenir un chercheur qui est soit croyant, soit non croyant, soit ouvert positivement aux récits bibliques, soit très en opposition. Au-delà de la science pure, les archéologues écrivent des livres qui, parfois, n’ont rien de scientifique. Par exemple, pour le moment, on n’a retrouvé aucune trace archéologique du roi David ou alors des traces qui sont ambiguës, parce que les époques ne correspondent pas. Ce fait-là n’indique pas que le roi David n’ait pas existé. L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. Certains archéologues, parce qu’il n’y a pas de preuve trouvée à l’époque où ils font des fouilles, écrivent des livres en disant : « La Bible est fausse, c’est un mythe complet. »

Puis, il y a l’approche scientifique elle-même : les fouilles objectives qui permettent d’émettre des hypothèses. Il faut bien comprendre que les fouilles sont un véritable fatras. Quand on coupe une ville de l’Antiquité, souvent elle ne ressemble plus qu’à un tas, d’ailleurs, en arabe on appelle cela un « tell ». En manque de service d’éboueurs, la ville se construisait sur ses ordures sans arrêt, si bien qu’en faisant une coupe à travers ce tas, on obtient sept ou huit villes superposées, sept ou huit époques qui se mélangent, qui s’interpénètrent. Quand on est face à un tel gâteau, on peut souvent n’émettre que des hypothèses. Il faut des analyses de plus en plus fines, il faut en tout cas être très prudent.

D. Klanac : Dans ce sens-là, est-ce qu’on constate des progrès ?

A. Dumouch : Je dirais que les données archéologiques progressent. Parfois elles confirment certains faits, parfois elles semblent, pour le moment, les infirmer. Par exemple, quand le Livre de l’Exode dit que six cent mille hommes quittèrent l’Égypte pour aller fonder Israël après être restés quarante ans dans le désert, on peut dire que dans le désert du Sinaï, il n’y a pas de trace de séjour d’un peuple aussi nombreux. Cela ne veut pas dire qu’un jour on n’en trouvera pas. Par contre, quand on recoupe l’histoire égyptienne, on s’aperçoit qu’il y a un peuple, qui avait à peu près ce nombre de personnes, qui a été chassé violemment d’Égypte par le pharaon Amose lors d’une reconquête. C’est le peuple des Iksos, un peuple sémitique, qui porte parmi ses dignitaires des noms comme Jacob, Joseph. C’est très curieux ! On se demande s’il n’y aurait pas eu plusieurs récits qui auraient été mélangés. Le départ d’un peuple complet chassé par les Égyptiens, mais aussi, pourquoi pas à un autre moment de l’histoire, le départ d’un groupe plus restreint mené par Moïse et qui serait resté dans le désert. On a des signes du départ de quelques tribus comme cela.

Par exemple, Moïse dit que quand il arriva auprès du mont Sinaï, il fabriqua un autel avec douze pierres pour chacune des tribus d’Israël et là, il offrit un sacrifice à Yahvé. On a retrouvé, il y a une quarantaine d’années, douze pierres mises en forme de demi-lunes, nettement organisées par des hommes, au pied de la montagne du Sinaï. Laissons faire encore des recherches. Le peuple d’Israël, qui a reçu l’Ancienne Alliance, l’Église qui a reçu la Nouvelle Alliance, n’ont absolument pas peur de la vérité historique, à condition qu’on distingue bien l’hypothèse du fait et qu’on sache parler le langage scientifique.

D. Klanac : Existe-t-il des indices qu’il y a vraiment eu l’Arche de Noé ?

A. Dumouch : En ce qui concerne Noé, on peut dire que le déluge local qui a détruit une civilisation mésopotamienne, a été retrouvé. On voit nettement, sur le territoire actuel de l’Irak, à partir du Golfe Persique et en direction des montagnes Ararat qui sont au Kurdistan, qu’il y a eu un tsunami grave et des inondations, qui ont détruit une civilisation de l’âge de pierre.

On ne peut rien dire au point de vue de l’archéologie pure. On a bien repéré une empreinte de bateau au pied de la montagne Ararat accompagné de deux grosses pierres marines, dont se servaient les hommes du néolithique pour naviguer à l’époque. Cependant, même si ces fouilles manifestaient qu’il s’est vraiment posé un gros bâtiment au pied du mont Ararat, je ne sais pas si ça prouverait définitivement, pour un archéologue, que c’est l’Arche de Noé. Il dirait que c’est sans doute un temple néolithique construit par une civilisation néolithique qui se racontait la légende qui serait celle de Noé.

La Bible, comme je le disais, n’est pas infaillible en histoire. Les gens ont pu grossir les traits par des récits oraux, mais ce qui compte, c’est le sens spirituel qui, lui, est infaillible, à savoir que la Terre c’est l’Arche. De tous les êtres humains avec leurs diverses personnalités, Dieu sauvera celui qui veut être sauvé et qui veut monter dans l’Arche, quelle que soit son espèce, pure, impure, quelle que soit sa religion, catholique, bouddhiste... Voilà ce que symbolise ce texte. L’Arche de Noé c’est le Christ. Personne n’est sauvé si ce n’est par le Christ. C’est l’explication théologique, mystique. Et à l’archéologie de préciser, au cours de l’histoire, ce qui est instauré et ce qui ne l’est pas dans ce récit.

D. Klanac : Et en ce qui concerne Abraham ?

A. Dumouch : Je dirais que pour lui, il n’y aura sans doute jamais de trace archéologique. Pourquoi ? Parce que c’est un nomade qui voyage avec sa famille. Comment retrouver dans des campements nomades de cette époque-là, celui d’Abraham ? La méthode historique et la méthode archéologique ne peuvent pas tout faire. Il est plus facile pour elles de trouver des traces de Ramsès II, qui est un empereur conquérant, que de trouver des traces d’un pauvre nomade hébreu dans le désert du Sinaï. Pour Abraham, on est sans doute condamné à n’avoir comme source que l’écrit biblique. Est-ce que c’est suffisant pour la méthode historique, pour prouver qu’il a vraiment existé ? Peut-être pas. Les historiens disent qu’il faut plusieurs sources écrites d’origines différentes. Il faut aussi des traces archéologiques. Ce sont les trois grandes preuves qui forment quelque chose de certain au point de vue de la méthode historique. Moi, je crois qu’Abraham a existé, ça me parait évident. Il y a des tas de cohérences et les faits qui ne le mettent pas en valeur ne pourraient pas être complètement inventés.

D. Klanac : A-t-on des preuves archéologiques de l’existence de Moïse ?

A. Dumouch : Pour ce qui concerne Moïse, c’est très intéressant. On n’a pas non plus de preuves archéologiques directes de l’existence de Moïse, on a ses textes. La Bible dit que c’est Moïse qui a écrit les cinq livres du Pentateuque. En réalité, on sait déjà qu’il n’a pas tout écrit. Il y a vraiment la trace dans le texte biblique d’écrits archaïques. Les Lois de Moïse, par exemple, sont des lois qui datent de l’époque où il y a une sagesse de ce style. On retrouve aussi certains passages qui sont communs avec les codes civils de l’époque de l’exil, en 700 avant Jésus-Christ, en Irak. Cependant, tout ne vient pas de ce code irakien. Il y a véritablement des choses beaucoup plus anciennes, comme la circoncision avec un couteau de pierre, trace d’une époque où les hommes préhistoriques avaient constaté qu’en faisant une circoncision, on évitait beaucoup de maladies aux enfants. Je pense qu’au cours du siècle qui est là, on découvrira de plus en plus que ces livres du Pentateuque, les cinq premiers Livres de la Bible, ont pris partout où il y avait de la sagesse. Le peuple hébreu a agi comme une éponge. Il a pris tout ce qui pouvait améliorer sa propre sagesse. Certaines sources sont certainement égyptiennes. D’autres sources sont mésopotamiennes, certaines sont syriennes, etc.

Pour ce qui est de David et des rois d’Israël, les fouilles qui sont en train d’être faites en Israël manifestent véritablement qu’il y a eu une ère de prospérité avec un peuple qui n’adorait qu’un seul dieu, qui avait encore des statues, mais qui vivait sur cette Terre. Le texte décrit des successions de rois, leurs noms, leurs actions. Les fouilles archéologiques ne laissent que des cendres.

Bref, le peuple juif n’a pas de pensée propre bien déterminée, si ce n’est Yahvé. Ça, c’est son centre unique, le monothéisme. Le reste, il le prend selon son époque.

On peut espérer que, peut-être au XXIe siècle, on découvrira, comme je l’avais dit, cette fameuse grotte archéologique où le prophète Jérémie a caché le matériel du temple avant la destruction par Nabuchodonosor. Il s’agit de dizaines de manuscrits, qui donneront peut-être l’éclairage ultime des vraies sources de la composition du récit biblique, au plan exégétique. Mais pour nous qui sommes croyants, je dirais que tout cela n’est que pure curiosité. Même si on ne trouve jamais cette grotte en question, même si on n’a jamais sur Terre de réponse pour l’explication précise de la rédaction des textes, il n’empêche que tout cela est la Parole de Dieu et qu’elle révèle infailliblement les actions de Dieu qui nous conduisent à la vie éternelle.

D. Klanac : Selon la méthode historique, en ce qui concerne Jésus et Marie, est-ce qu’on a des traces de leur existence ?

A. Dumouch : On n’a aucune trace archéologique directe parce que Jésus est un simple charpentier, qu’il est mort crucifié et que personne ne pouvait deviner que, trois ans plus tard, sa religion aurait envahi le monde entier, le monde romain en tout cas. On dit que sainte Hélène, la femme de Constantin, quand elle se convertit, partit en Terre sainte et retrouva la croix du Seigneur au pied du Golgotha. Il faut avoir du bon sens, ça ne peut pas être sa vraie croix. Entre la mort de Jésus et la destruction du temple du peuple d’Israël en 70 après Jésus-Christ, il s’est passé quarante ans où des gens ont été crucifiés à cet endroit-là. Il y avait déjà trois croix alors, comment savoir quelle est la bonne. Tout ce qu’on peut dire, c’est que sainte Hélène a trouvé qu’effectivement, à cet endroit-là, il y avait eu des crucifixions. On a par contre des traces archéologiques indirectes et elles sont nombreuses. Je peux en citer trois très rapidement.

Lors d’une fouille sur les ruines d’une ancienne ville au bord du lac de Tibériade, on a retrouvé Capharnaüm. Ce sont des petites maisons qui tournent autour de rues mal construites, il n’y a pas du tout l’ordre romain. Il y a une maison particulière à côté du lac, il ne reste que vingt centimètres de fondation, mais elle est entourée de ruines octogonales d’une ancienne basilique et, sur le mur en bas de la maison, il y a en latin de manière maladroite marqué, un graffiti, ic est petrus. On peut dire qu’on a certainement retrouvé la maison de Pierre à Capharnaüm. Simon était pécheur, il était marié. Sa belle-mère avait un jour reçu Jésus qui l’avait guéri, alors elle les avait servis.[62] Le fait que des chrétiens des premiers temps aient construit autour de cette petite maison très humble une sorte de basilique, d’oratoire, manifeste sans doute qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. C’est une trace archéologique indirecte. Un disciple de Jésus appelé Simon-Pierre a vécu ici.

Autre trace, c’est la maison de Marie à Éphèse. Là, je voudrais dire que le merveilleux se mêle à l’historique. Saint Irénée, qui est disciple de saint Polycarpe qui, lui-même fut ordonné évêque par saint Jean, disciple de Jésus, raconte que Jean, fuyant les persécutions de Jérusalem où Jacques, le frère du Seigneur avait été tué, partit avec la Vierge et se réfugia à côté d’Éphèse en Grèce, en Turquie actuelle. Il y habita environ douze ans et, un jour, Marie mourut. Puis, quelques jours plus tard, on ouvrit son tombeau et il était vide. Elle était montée au ciel corps et âme. C’était une légende, ce n’était pas dans l’Évangile. Vers 1850, une mystique allemande, stigmatisée, la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich, eut la vision de l’endroit où habitaient Marie et Jean. Elle vit une petite maison, les gens célébraient la messe pour Marie et elle décrivit le paysage de la ville d’Éphèse, la mer, une montagne en forme de mamelon, etc. Du coup, des prêtres archéologues partirent vers 1880 pour aller voir si on ne retrouverait pas, par hasard, à côté des magnifiques ruines d’Éphèse en Turquie, l’endroit où était cette maison. Ils fouillèrent sur une pelouse, et ils trouvèrent des ruines d’une petite maison, des fondations, entourée d’une petite basilique. Il y avait une maison à l’endroit précis où Anne-Catherine Emmerich[63] avait vu la maison de Marie. Les Turques rebâtirent, un peu plus loin, la maison de Marie et on peut la visiter actuellement telle qu’elle devait être à l’époque, à la même taille. C’est une trace archéologique indirecte. Mais, il s’y mêle du miracle.

Une troisième trace archéologique indirecte, c’est le tombeau de saint Pierre. Selon une légende, donc ce n’est pas dans les Évangiles, ce n’est pas dans les Actes des Apôtres, on raconte comment Pierre mourut comme évêque de Rome en l’an 68 après Jésus-Christ. Néron avait fait mettre le feu à Rome par ses gardes prétoriens et le bruit s’était répandu qu’il était responsable des cent mille morts que l’incendie avait fait. Son trône était en danger. Évidemment, il trouva une solution. Il fit accuser une secte abominable, secrète qui, disait-on, se réunissait la nuit pour y boire le sang d’enfants dans des coupes en or : les chrétiens. Il déclencha la persécution. On ne sait pas combien de morts il y eut, mais il organisa des grands jeux du cirque pour tuer ces immondes personnages.

Toujours est-il que Pierre, qui était un homme courageux, mais très lâche quand il fallait durer dans l’épreuve, essaya de se sauver de Rome habillé en mendiant et, il y rencontra Jésus qui montait vers Rome. Il dit au Seigneur : « Quo vadis, domine ? » (Où vas-tu Seigneur ?) » Jésus lui répondit : « Je vais à Rome pour mourir à ta place. » Alors, Pierre, honteux et contrit, retourna à Rome, reprit ses habits d’évêque, fut arrêté et demanda humblement d’être crucifié la tête en bas parce qu’il n’était pas digne de son Seigneur. Il fut crucifié, dit la légende, sur le mont du Vatican et il fut enterré là où les chrétiens lui firent un petit monument avec du marbre récupéré. Dans les années 1950, le Pape Pie XII fit fouiller sous l’autel central de la basilique du Vatican à Rome et, effectivement, sous terre, cachée, on trouva une tombe, un vieil appareillage disparate de marbre ancien et les restes d’un squelette d’un homme plutôt âgé, vers soixante ans. C’est une trace archéologique indirecte.

D. Klanac : Puisque la méthode historique exige des textes pour prouver l’existence d’un personnage, en possède-t-on ?

A. Dumouch : Des textes… eh bien on a les Évangiles. Le personnage qui est le plus décrit dans l’Antiquité, c’est Jésus. Quatre Évangiles, des Épîtres, etc. Seulement pour les historiens, comme ce sont les amis de Jésus qui les ont écrits, ce n’est pas suffisant. Tout cela peut avoir été inventé, grossi, c’est comme cela que fonctionne la méthode historique. Elle n’est pas du tout comme la méthode théologique qui est celle du croyant.

Les historiens se sont demandé s’il y avait des traces des textes d’ennemis de Jésus. En réalité, il y a quatre textes antiques qui parlent de Jésus, peut-être autour de l’an 50 à 100 de l’ère chrétienne : Pline le jeune, Tacite, Tertullien, tous trois Romains qui indiquent qu’il y avait des chrétiens. Ce sont souvent des lettres écrites à l’empereur pour savoir s’il faut les persécuter parce que c’est une religion bien innocente. Mais le texte le plus intéressant, c’est celui du Talmud de Babylone, écrit après la destruction du temple de Jérusalem où les prêtres juifs se demandent qui est ce Jésus. Ils répondent simplement que Jésus fut crucifié parce qu’il pratiquait des miracles avec la puissance de Belzébuth et qu’il détournait le peuple de la sagesse. Ce texte en quelques lignes est l’une des preuves les plus fortes de l’existence réelle du personnage Jésus. Si les descendants des prêtres qui ont tué Jésus avaient su qu’il n’avait pas existé, ils l’auraient écrit. Ils n’ont jamais nié son existence, mais ils le disaient parce que la religion chrétienne était pour eux très nuisible. Elle prenait beaucoup d’adeptes. Pour eux, c’était les disciples qui avaient caché le cadavre, il n’était donc jamais ressuscité. Cela a toujours été la version des grands prêtres. Au plan de la méthode historique, c’est très intéressant.

 

62. Mc 1,30. [↩]

63. Anna Katharina Emmerick (1774-1824), religieuse dans l’ordre des augustines) et une mystique allemande. Béatifiée en 2004 par le pape Jean-Paul II. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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