Accueil > Bibliothèque > Un entretien… > Tome 1 : La lenteur de Dieu > La femme tombe en premier
Daria Klanac : Le premier couple n’a pas résisté. Il s’est laissé tenter. La femme est-elle vraiment tombée la première et de quelle façon ?
Arnaud Dumouch : L’Église ne se prononce pas dans son interprétation à savoir si la femme est vraiment tombée en premier, comme le dit le texte. Là-dessus, elle laisse aux théologiens, à la Tradition, le soin de s’exprimer. Les théologiens bien sûr sont fidèles à l’Écriture et ils ont constaté que le démon était parti en premier pour tenter la femme. Cela se comprend au plan psychologique. On se souvient que les valeurs essentielles aux yeux de Dieu ne sont pas celles du monde, mais celles de Dieu, l’humilité et l’amour. Il est clair que, dès le départ, la femme est plus disposée à ces valeurs-là et que si quelqu’un doit tomber en premier, c’est elle et l’homme suivra. Ce n’est pas pour cela que la femme est plus coupable. Les deux sont absolument coupables. J’ai bien dit que Dieu leur avait donné une grâce de parfaite lucidité. C’était absolument nécessaire, sinon cela n’aurait pas été juste de leur confier la responsabilité de tous leurs enfants s’ils étaient des personnes aveuglées. Ils avaient une sagesse très profonde, l’un comme l’autre. Mais il est clair que faire tomber en premier la femme dans ce domaine-là, qui est sa spécificité, conduit naturellement à ce que l’homme tombe.
D. Klanac : On le voit actuellement très souvent.
A. Dumouch : Dans les jeunes couples formés d’adolescents, le pouvoir en ce qui concerne l’amour appartient à la femme. Par exemple, sur l’acte sexuel, il y a trois motifs qui peuvent conduire à avoir un acte sexuel. La recherche du plaisir seul, l’expression d’un sentiment adolescent, ce grand plaisir à être l’un avec l’autre ou alors, carrément l’engagement. Il y a même parfois un quatrième degré : l’engagement devant Dieu. Je dirais que la plupart des hommes suivent les femmes. Cela veut dire qu’eux sont toujours prêts à l’acte sexuel, s’ils aiment la femme en fonction de ce qu’elle dit. Si elle est prête à le faire au bout de deux jours de rencontres, ils le feront. Alors évidemment, cela se retournera contre la femme. Ils penseront que cette femme est légère. Si elle est prête à le faire au bout de quelques mois parce que le sentiment est très fort dans le jeune couple, les hommes le feront, et si elle exige du garçon d’attendre un engagement solide, si le garçon l’aime, il le fera. Sous ce rapport-là, je pense que le pouvoir appartient à la femme et c’est peut-être la raison pour laquelle le démon, intelligemment, est allé tenter d’abord la femme. Il s’agissait de l’éloigner du seul commandement de Dieu qui est de mettre comme premier bien, l’humilité et l’amour. Et immédiatement, Adam et Ève subissent la conséquence de leur acte de désobéissance qui était de mettre la liberté en premier : leur couple effectivement n’y a pas résisté. Quand ils sont pris en faute, la femme dit que c’est le serpent et l’homme dit à Dieu que c’est la femme. Tout d’un coup, ils se découvrent lâches, menteurs, ils n’avouent pas leur faute, mais la propulsent sur l’autre. En vérité, il y a trois coupables lucides. Lucifer, mais lui c’est une lucidité parfaite, définitive et qui n’est pas réformable. Pour Ève et Adam, il y une réforme possible parce que si leur lucidité est parfaite, il lui manque tout de même un point, l’expérience. Ils savent intellectuellement qu’ils souffriront, qu’ils mourront, mais ils n’en ont jamais eu l’expérience si ce n’est qu’en voyant les animaux. Grâce à cette expérience-là, Dieu va pouvoir plus tard sauver Adam et Ève et toute l’humanité par un Salut bien plus profond que s’il n’y avait pas eu le péché originel, mais nous y viendrons plus tard.
D. Klanac : De quelle façon le tentateur a-t-il approché Adam et Ève ?
A. Dumouch : Dans le cas d’Adam et Ève, comme dans le cas de Marie des milliers d’années plus tard, étant donné qu’il y a grâce originelle, le tentateur ne vient pas, comme pour nous, à l’intérieur du psychisme en se camouflant dans nos propres pulsions. Comme un serpent, il glisse, il se camoufle, il ne fait qu’appuyer sur notre nature. Dans le cas d’Adam et Ève, de Marie, de Jésus, il n’y a pas possibilité pour lui d’accéder à cette ruse-là. Donc, il ne peut tenter qu’en s’adressant à l’intelligence, de l’extérieur. Saint Thomas d’Aquin disait que le tentateur était apparu sous forme réellement visible peut-être, un peu comme il apparaît à l’heure de la mort : un être de lumière fantastique, mais au cœur froid. Pas la même lumière que le Christ, quand il apparaît à l’heure de la mort, une lumière qui émane d’une parfaite humilité, une kénose (abaissement total de soi) totale, une compréhension, un amour parfait, une lumière précise qui indiquent les choses. Lucifer, qui apparaît, dit à la fois des vérités et des mensonges. C’est toujours son problème. Il dit des vérités claires. Par exemple que Dieu seul décide le bien et le mal, qu’il est la mesure même du bien et du mal, mais qu’il le fait comme un tyran, et cela c’est un mensonge. Dieu le fait à l’image de son essence qui est le bien, par nature. Lucifer dit à Adam et Ève qu’ils seront comme des dieux s’ils choisissent eux-mêmes entre le bien et le mal. Il dit une part de vérité, c’est le cas dans toutes les idéologies. Il y a toujours une part de vérité, même dans l’idéologie la plus stupide, la plus horrible comme le nazisme. Si elle ne contenait pas une petite part de vérité, personne n’y adhérerait, une part de vérité mêlée à d’énormes mensonges.
L’exigence d’obéissance que Dieu a mis à Adam et Ève en vue de leur Salut, pour qu’ils acquièrent un cœur tout petit, devient, interprétée par le serpent, comme une volonté de dominer ces petites créatures que Dieu vient de créer. Le mensonge ne résisterait pas à une analyse, mais Adam et Ève, qui ont la capacité de faire cette analyse-là, trouvent séduisant le fait de choisir eux-mêmes, comme des adultes, le bien et le mal. En réalité, ils sont libres, ils sont totalement des adultes, ils ont reçu la sagesse qui leur suffit pour se diriger en ce monde et dans l’autre. Sauf sur un petit point : c’est toujours l’herbe du champ d’à côté qui est la plus attirante, l’herbe que nous n’avons pas.
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.