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16. Ne touchez pas à l’arbre

Daria Klanac : Au Paradis, l’homme et la femme étaient libres, ils vivaient heureux, comblés. Dans ce décor idyllique, le mal et la souffrance étaient absents. Cela aurait pu durer éternellement, mais à la condition de ne pas manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Que signifient cet arbre et le danger de mort si on y touche ?

Arnaud Dumouch : Cette question va me permettre de préciser quel aurait dû être le destin d’Adam et Ève s’ils n’avaient pas péché. Ils auraient dû vivre sur Terre un certain temps, peut-être plus longtemps que maintenant. La Bible dit qu’ils ont vécu 700 ans, 900 ans. Est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est symbolique ? Je n’en sais rien, il est possible que ce soit vrai puisque la science moderne, de plus en plus, se rend compte qu’on pourra bientôt prolonger énormément la vie humaine et faire qu’elle dépasse les 120 ans. Il suffit d’une petite manipulation génétique à la conception. Il est possible qu’on découvre aussi que cette durée de vie extrêmement longue n’était pas symbolique. Une volonté de Dieu leur aurait été précisée et, s’ils y avaient obéi, au moment voulu, avant que leur corps ne s’use et que le processus naturel de mort ait lieu, puisque leurs corps étaient biologiques, Dieu serait venu les chercher. Sans passer par la mort directement, ils auraient été transfigurés dans l’autre monde, par une Assomption que la Vierge Marie a connue, mais en passant par la mort. Ce qui veut dire que Marie, l’Immaculée Conception qui a été totalement fidèle à la grâce originelle et qui n’aurait pas dû mourir, est morte comme son fils est mort alors qu’il n’aurait pas dû mourir. Elle a voulu passer par la mort pour nous montrer que maintenant, suite au péché originel, c’est le chemin que Dieu veut, afin de nous façonner le cœur pour la vision béatifique. Cette Terre n’est qu’un monde passager et cela était déjà vrai pour Adam et Ève.

D. Klanac : Comment comprendre cette épreuve en lien avec l’arbre de la connaissance du bien et du mal, que Dieu leur demandait de ne pas toucher ?

A. Dumouch : Pour le saisir, il faut en revenir à la Trinité qui est la clé de tous ces mystères très profonds. Je disais, au tout début de ce livre, qu’il y a une chose que Dieu ne peut pas changer : c’est que nul ne peut le voir sans être tout humble et tout amour. Ce sont les qualités centrales de sa vie Trinitaire. Traduit en termes d’éternité, de jaillissement, pour voir un tel être, une telle vie dans un seul être qui est Dieu et qui est plein de kénose (abaissement total de soi), il faut absolument avoir en soi les mêmes qualités. Dieu ne peut pas faire autrement que de demander à toutes les créatures spirituelles qu’il crée d’acquérir ces deux qualités. Et il adapte les épreuves aux êtres qu’il crée. Pour les anges qui sont des purs esprits, l’épreuve adaptée fut purement spirituelle. Au début, quand ils furent créés, ils se regardèrent entre eux. Ils constatèrent qu’ils avaient reçu l’existence de la part de leur Créateur, qu’ils ne voyaient pas. Ils comprenaient bien qu’il y avait un Créateur. Ils comprirent, en regardant les idées qu’il avait déjà mises en eux, qu’ils devraient être des ingénieurs qui aideraient à structurer un monde physique. D’ailleurs, ils voyaient la matière. Elle a été créée en même temps qu’eux. Et ils s’enthousiasmèrent pour cela. Ils constatèrent que certains anges étaient plus intelligents que d’autres et, en particulier, le plus grand d’entre eux, Lucifer, le porte-lumière. Une intelligence extrêmement fine, limpide, comprenant les mystères les plus profonds. Ils se hiérarchisèrent, en mettant évidemment au sommet de leur hiérarchie, le Dieu qu’ils ne voyaient pas, et tous l’adorèrent, le reconnurent comme Créateur. Puis, juste au-dessous de Dieu, Lucifer, les chérubins, les séraphins, les trônes, les vertus, les puissances, les dominations, les princes, les archanges, les anges, cela veut dire les neuf cœurs d’ange que la Bible décrit.

Cette hiérarchie du début leur était tout à fait naturelle, ils s’étaient hiérarchisés comme un monde d’ingénieurs ayant à façonner un monde selon l’ordre de leur intellect, ce qui est tout à fait naturel à des pures intelligences. Le monde des anges aurait pu rester comme cela éternellement. Seulement Dieu parla et il révéla son projet secret. Il leur dit, si je traduis les paroles de Dieu : « Je vous ai créés pour que vous me voyiez face à face. » Et cette parole-là, tous les anges la crurent et l’acceptèrent avec joie, y compris Lucifer. Tous les anges ne peuvent que se réjouir d’une telle merveille. Voir face à face la cause des causes, ce qui donne raison de tout, alors que ce sont de pures intelligences, c’est fantastique. Ils veulent voir Dieu face à face. Seulement, il y eut une deuxième parole : « Personne ne peut me voir s’il ne devient tout humble, (kénose - abaissement total de soi), et tout amour. » Il y eut déjà un grincement de dents chez certains anges. Voir Dieu parce qu’on est une pure intelligence, c’est cohérent, c’est logique. On est fait pour voir Dieu, mais voir Dieu en fonction d’un abaissement de soi, au-dessous de soi, c’est bizarre.

Et puis, il y eut une troisième parole. Ces paroles-là, je les invente. C’est comme le ferait un théologien, je les raconte pour rendre les choses pédagogiques et claires. Dieu leur dit : « Pour voir si vous êtes d’accord de devenir tout humble, je vous demande d’aider à la préparation du monde où je créerai l’homme et la femme et vous serez leurs anges gardiens pour les mener aussi à la vision béatifique. » Instantanément, Lucifer comprit cette idée de création de l’homme et de la femme. Il analysa les concepts qu’il avait reçus de la nature générale de l’homme qui a l’intelligence et l’efficacité, qui aime le travail, qui aime le travail d’ingénierie : ce n’est pas dangereux. Puis il analysa le concept de femme. Une créature dont la nature entière va vers le don de la vie. L’amour d’un enfant, l’amour d’un homme qu’elle épouse. Là, Lucifer se dit qu’il y aura des femmes qui seront les reines du Ciel et il comprend instantanément que sous le rapport de l’humilité et de l’amour, il est à l’avance battu par certaines de ces femmes, par la psychologie générale de la femme. Il n’avait pas d’idée de la Vierge Marie, mais il était suffisamment intelligent pour déduire directement le problème. Et donc, il proclama : je ne servirai pas. Lucifer ne comprend pas à quel point Dieu est humble.

L’histoire de l’Incarnation, il ne l’avait pas prévue. Dieu se faisant tuer pour sauver ceux qui le tuent, c’était complètement illogique. Il ne cède pas et choisit l’enfer pour l’éternité. Les autres anges, ceux qui choisirent le paradis, devinrent tout humbles et tout amour. Ils s’abaissèrent au-dessous d’eux-mêmes et cela suffisait pour voir Dieu directement. Après leur choix, ils entrèrent instantanément dans la vision béatifique.

D. Klanac : De quelle façon la liberté de l’homme et de la femme était-elle mise à l’épreuve ?

A. Dumouch : Dieu adapta une épreuve pour l’homme et la femme et cette épreuve n’était pas la souffrance, c’était l’obéissance. L’obéissance, c’est extrêmement dur pour un esprit parce que par nature il est libre. C’est d’ailleurs ce que dit la question. Ils étaient libres dans le Jardin d’Éden, oui, libres. Sauf qu’on leur demandait de faire confiance, de faire un acte d’obéissance sur un arbre en particulier, l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

La connaissance du bien et du mal, cela ne veut pas dire qu’Adam et Ève ne connaissaient pas le bien et le mal, bien au contraire, puisque Dieu leur dit que s’ils mangent de cet arbre là, ils mourront. Donc, ils ont des notions absolument précises, rigoureuses, tout ce qui leur faut pour choisir. Elles sont tellement précises leurs notions, qu’en toute justice ils peuvent s’engager pour leurs futurs enfants. Quand ils vont faire un choix comme patriarches, ils feront exactement comme nous, parents, quand nous nous engageons de baptiser ou de ne pas baptiser notre bébé. Sauf qu’eux s’engagent pour toute la durée de l’humanité, parce qu’ils sont les premiers des premiers. Ils ont une responsabilité : nous séparer de Dieu s’ils le veulent ou, au contraire, faire que nous restions avec une présence de Dieu dans le cœur, dès notre conception comme eux l’avaient eue. C’est quand même fabuleux ! Connaître le bien et le mal, nommer les choses, nommer les animaux, choisir de faire des enfants, de bien les élever, cela leur est commandé. Donc, l’arbre de la connaissance du bien et du mal est forcément autre chose. C’est une connaissance orgueilleuse, cela veut dire choisir eux-mêmes ce qu’ils appelleront le bien et le mal, par opposition à ce que Dieu leur a dit. Concrètement, cela se traduit par un refus d’une obéissance qui est une forme de kénose (abaissement total de soi) de leur esprit au profit d’un choix libre sur ce domaine-là.

D. Klanac : Sont-ils vraiment libres ?

A. Dumouch : Sauf sur un point où Dieu leur a demandé une obéissance de foi, mais cela leur paraît de trop, car c’est très tentant d’être totalement libre. Et il y a un démon qui tourne autour d’eux en leur disant qu’ils doivent choisir eux-mêmes le bien et le mal, que c’est fantastique, qu’ils seront comme des dieux, qu’ils seront libres. C’est une tentation à laquelle ils pouvaient résister. Ce qui est sûr, c’est que si Adam et Ève, comme le fit Marie plus tard, avaient obéi, avaient fait cet acte de confiance extrêmement dur, effectivement le monde serait différent. Je crois que parmi les trois vœux religieux, ce qui est le plus dur à vivre, bien plus dur que la chasteté, c’est remettre sa volonté à un supérieur. On est tellement meilleurs en jugement quand on réfléchit soi-même, mais c’est éprouvant pour la liberté.

Si, comme Marie résista plus tard, Adam et Ève avaient résisté après avoir élevé leurs enfants, ils seraient montés au ciel et leur oui à l’obéissance aurait fait que Dieu, au moment de la conception de chaque petit enfant et jusqu’à la fin du monde, serait venu habiter dans leurs cœurs de la même façon qu’en Éden. Cela veut dire que les petits enfants auraient eu cette présence très tendre de Dieu.

D. Klanac : Est-ce à dire que personne n’aurait pu choisir l’enfer si Adam et Eve avaient obéi ?

A. Dumouch : Non pas du tout. Les hommes auraient pu choisir l’enfer, seulement le monde aurait été très différent. Il aurait été peuplé de deux sortes d’humains : des personnes comme la Vierge Marie, fidèles à leurs grâces originelles, parfaitement maîtres d’eux-mêmes dans cette fidélité, et des êtres en état de péché contre l’Esprit Saint, ayant choisi la liberté contre Dieu. Le monde aurait donc été divisé en deux demeures, comme ce sera le cas au ciel.

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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