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19. La chute… et après ?

Daria Klanac : À partir du moment où l’homme et la femme ont été « chassés » du Paradis terrestre, la condition humaine a complètement changé et a été transmise comme telle à leurs descendants.

Arnaud Dumouch : Adam et Ève ont été chassés du paradis terrestre, au point de vue de l’état d’âme, à l’instant même de leur péché. Je veux dire par là, qu’à l’instant même où ils désobéirent, Dieu effaça sa présence. L’amour d’amitié, la confiance étaient brisés et Dieu se cacha. Donc, ils sont localement dans le même endroit, les animaux sont autour d’eux, mais tout a changé. Les animaux ne voient plus ce rayonnement fabuleux qui émane d’eux. Là, ils commencent à se méfier de cet être particulièrement intelligent et il va devenir leur plus grand cauchemar.

Pour Adam et Ève aussi tout est changé. Ce monde plein de serpents, plein de lions, etc. était un monde merveilleux, une sorte de jardin parce que rien ne pouvait leur arriver et, comme leurs âmes étaient en paix, tout rayonnait : la pluie, le soleil, tout était beau, source d’admiration. On sait très bien que quand on va mal, quand on est angoissé parce qu’on a fait une faute ou parce qu’on ne sait plus ce qu’on fait sur Terre, que le soleil brille ou qu’il fasse gris, tout s’accumule et peut conduire à être mal dans sa peau. Rien ne va bien. En plus, Adam et Ève ne voyaient plus les anges comme avant. Les anges aussi effacèrent leur présence et les animaux, loin d’être fascinés, commencèrent à se détourner d’eux. Donc, tout est changé, pourtant c’est le même monde, il n’a pas été détruit. En fait, c’est devenu un purgatoire.

D. Klanac : Maintenant, là où ils se trouvent, ils vont devoir apprendre certaines choses qui vont purifier leurs cœurs

A. Dumouch : Quand la Bible dit que le Séraphin au glaive resplendissant fut posté à l’entrée du jardin de peur que l’homme cueille l’arbre de vie, n’en mange et qu’il vive à jamais, cela ne signifie pas un arbre précis, particulier, cela signifie profondément que Dieu permettra à l’homme de réussir à reconstituer sur Terre un petit paradis pour plein de domaines. On le voit actuellement. On façonne le monde à notre image, il est plus doux d’y vivre. Il est probable que, vers la fin du monde, les travaux de la génétique permettront même de prolonger la vie qui actuellement est au maximum de 120 ans, mais qui, apparemment, était beaucoup plus longue à l’époque. C’est le grand rêve de tous les êtres humains : atteindre une durée plus longue. Seulement, il y a une limite que jamais Dieu ne permettra qui soit franchie. Jamais Dieu ne permettra que les hommes arrivent à vivre éternellement sur Terre. Ce n’est pas possible, d’ailleurs la science le montre bien. Quand bien même on prolongerait de 700, 800 ans la vie humaine en trafiquant l’ADN, de toute façon, à un moment donné, le corps s’use, les neurones ne se reproduisent plus comme avant. L’immortalité est impossible parce que notre nature même est biologique. Rien sur Terre ne peut être immortel.

L’autre symbole de l’arbre de vie est spirituel : il signifie que l’homme, même s’il créait le meilleur monde possible sur Terre, un monde parfait marqué du chiffre 666 par exemple, tel que le décrit l’Apocalypse (666 signifie, trois fois répété, l’homme sans Dieu), il ne pourra jamais, jamais contrer la mort physique, même s’il arrive à prolonger la vie terrestre par des artifices biologiques. Le 7, c’est le chiffre de l’homme qui est harmonie avec Dieu. Il y a 7 jours dans la semaine. 6 pour l’homme, 1 pour Dieu. Si l’homme oublie le septième jour, le jour du Seigneur, il se marque du chiffre 6 qui signifie l’homme qui vit pour lui-même sans Dieu. Et bien un jour, apparemment, c’est ce que disent les prophéties chrétiennes, un antéchrist réussira à créer le monde le plus merveilleux qui puisse exister sur Terre sans Dieu.

Il y a une deuxième vie, mais cette fois au sens spirituel, c’est la vie qui nourrit le fond de l’âme, la vie de la grâce. L’âme humaine est créée pour le vrai Dieu. Ce Dieu, ce vrai Dieu, il est tout humble, il est tout amour. Et notre cœur est fait pour lui. Lucifer, s’il se présente un jour comme Dieu à une humanité enthousiaste de voir sa puissance, de voir même qu’il propose une vie éternelle après la mort, il ne peut pas combler le cœur de l’homme. Lucifer, c’est un solitaire et il invite les hommes à marcher en solitaire. Or, ce qui comble le cœur de l’homme et ce qui seul peut étancher l’angoisse qui actuellement ronge nos contemporains, c’est l’union d’amour avec un être qui lui corresponde totalement. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus avait d’ailleurs décrit cela dans un poème : « Moi, j’ai cherché un homme qui me corresponde totalement, qui ne puisse jamais mourir, qui comprenne parfaitement mon âme, qui soit plein de lumière, qui soit totalement amoureux, et je n’en ai pas trouvé. Je n’en ai trouvé qu’un seul, c’est Jésus-Christ. »

Adam et Ève sont chassés du paradis terrestre. Ils peuvent, sur Terre, avec quelques générations, quelques milliers de générations, recréer une sorte d’Éden, sauf sur deux points, symbolisés par l’arbre de vie. Premièrement, la nécessité de mourir biologiquement et, deuxièmement, l’incapacité par leur propre force de donner à leur âme la vie de la grâce qui seule peut l’équilibrer. En Europe, on voit actuellement un monde matériellement assuré qui, ne comprenant pas pourquoi il est angoissé, consulte les psychologues. La raison pour laquelle les gens sont profondément angoissés, c’est que même quand tout va bien dans leur vie, que leur couple est équilibré, que leurs enfants sont en bonne santé, ils n’ont pas de but ultime. Cela ne sert à rien, tout s’arrête, tout est vain. Seul le vrai Dieu peut combler cette angoisse du cœur de l’être humain.

D. Klanac : Il y a une autre question qui reste à approfondir. La notion de liberté est-elle restée la même après la chute ?

A. Dumouch : Réponse : non. Mais il y a sur cette question de la liberté, une chose très précise qui nous oppose un petit peu à nos frères luthériens. Les luthériens disent qu’à la suite du péché originel, la liberté humaine a été complètement détruite. Les catholiques répondent que la liberté n’a pas été entièrement détruite en ce qui concerne son bien naturel. Les hommes sont capables de faire des choses extraordinaires, de faire des maisons, des navettes spatiales, des églises, de la musique, etc., tout ce qu’on peut imaginer. Même du côté de la vie morale, l’homme est capable d’aimer sa femme, d’aimer ses enfants, de leur vouloir du bien, d’avoir des amis, d’être fidèle à ses amis. Tout n’est pas détruit. D’ailleurs, Jésus dit que les païens eux-mêmes en font autant.

D. Klanac : Tout n’est pas détruit, mais la liberté en sort diminuée.

A. Dumouch : Là où la liberté est complètement détruite, là où l’homme est incapable de poser un acte libre, c’est dans le domaine du surnaturel, de la vie de la grâce, de l’union par amour d’amitié avec le vrai Dieu. L’homme n’en est pas capable pour plusieurs raisons. D’abord, il ne sait plus qui est Dieu, il est dans l’ignorance : c’est une diminution de la liberté. Pour ce qui est de l’amitié avec Dieu, c’est une suppression. Quand on ne connaît pas son ami, on ne peut pas être ami avec lui. C’est une diminution de la liberté, elle vient de Dieu, mais elle touche la vie surnaturelle. Dieu empêche l’homme d’accéder à un amour d’amitié avec lui.

La deuxième diminution de la liberté, c’est la faiblesse, le manque de maîtrise par rapport à cette sensibilité. La liberté est diminuée au plan naturel. Quand on fonde un foyer, on voit bien qu’il y a plein de choses qu’on fait mal, qu’on ne voudrait pas faire. Tout n’est pas contrôlé. Le contrôle n’est pas total du côté des pensées non plus. Cela montre bien que la liberté naturelle est diminuée et la liberté surnaturelle, évidemment comme je l’ai dit, est supprimée puisqu’il n’y a plus de connaissance de l’être aimé : Dieu.

Quand Dieu répand sa grâce, dès cette Terre, il permet une véritable réponse libre d’adulte à l’amour d’amitié que Dieu propose. C’est là que l’homme retrouve sa liberté surnaturelle. Or, bien que blessé dans notre rapport avec Dieu, nous restons un peu comme dans notre rapport avec notre épouse : on fait à Dieu des choses qu’on ne voudrait pas faire. C’est ce qu’on appelle les péchés mortels de faiblesse. Les mêmes, tout le temps, toute une vie. Dieu disait à saint Paul[39]: « Je t’ai laissé une écharde dans ta chair (…) ma grâce te suffit. » Si Dieu laisse cette écharde dans la chair, c’est qu’il a un projet, un but précis. Il sait comment nous sommes encore sur Terre, comment notre orgueil pourrait s’exalter si nous retrouvions une harmonie parfaite de notre sensibilité. La faiblesse est là pour nous protéger. Dans l’autre monde, après la mort, Dieu nous rendra totalement la liberté, et même cette écharde dans notre chair, il la supprimera. Il supprimera les conséquences du péché originel.

Il le fait d’abord à l’heure de la mort. C’est le moment où le Christ paraît dans sa gloire accompagnée des saints et des anges et où l’homme, en fonction de sa vie terrestre passée, peut faire un choix totalement lucide pour Dieu ou pour Lucifer, pour l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi ou pour l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu et de ses frères. En gage d’éternité, il est tout à fait cohérent qu’à ce moment-là, avant l’entrée dans l’autre monde, donc avant la mort réalisée, Dieu rende entièrement à chaque homme sa liberté. Ce que la Bible appelle ses vergers dans le livre d’Osée[40]: je te rendrai tes vergers. Dans la vision béatifique, pour les gens qui sont au paradis, la liberté est totalement présente et stabilisée.

 

39. 2Cor 12,7-9. [↩]

40. Os 2, ss. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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