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22. L’origine du mal

Daria Klanac : Pourtant, « Tout ce que Dieu a fait est bon ».[48] Alors, d’où vient le mal ?

Arnaud Dumouch : Tout ce que Dieu a fait est bon dans son ensemble. La vision totale non seulement de la Terre, mais de la Terre accompagnée des cinq autres purgatoires qui mènent à la vision béatifique est bonne. L’ensemble des œuvres de Dieu est apte à conduire à la vie éternelle le maximum d’êtres humains. Mais chaque partie de ce monde n’est pas bonne en elle-même. Elle ne trouve sa finalité en elle-même que finalisée par le tout. La Terre est comme une matrice d’où naissent des milliards d’individus, de formes de vies de toutes sortes et tous se replacent dans la vision du tout. À la fin du monde, quand nous verrons les merveilles que Dieu a préparées pour nous, nous pourrons dire que vraiment, tout était bon, la lente évolution des animaux qui permet qu’il y ait toutes sortes de formes de vie, des formes qu’on ne peut même pas soupçonner parce qu’elles ont disparu.

L’homme n’aime ni souffrir ni mourir. La souffrance en elle-même est un mal. Jésus d’ailleurs, quand il vit sa Passion ne dit pas : « Oh Sainte-Croix que tu es belle ! » Non ! Attention au dolorisme qui consiste à faire de la croix un bien en soi. En réalité, elle est un mal en soi (une potence horrible) et c’est Dieu qui arrive à transformer son effet de mort en effet de vie ! Jésus dit au Père : « Si cette coupe peut s’éloigner de moi… » La coupe est certes l’amertume de la perte de tant d’âme. Mais elle est aussi la peur naturelle qu’eut Jésus de cette horreur que fut sa mort : « C’est Jésus qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété. »[49]

D. Klanac : Donc le bon sens, le réalisme chrétien consistent à dire que le mal c’est mal, mais ce qui est bon ce sont les effets du mal provisoires par rapport à leurs conséquences éternelles.

A. Dumouch : Il y a tout de même des choses qui résistent à cette analyse. Premièrement, la mort des animaux. Est-ce qu’il n’aurait pas été plus simple, pour les animaux, d’entrer dans l’autre monde sans passer par la mort ? En soi, ça ne leur sert personnellement à rien. Mais ça sert dans le grand tout, dans le projet du tout. Ne serait-ce que pour être un symbole de ce qu’est la réalité du mal.

Autre réalité qui semble ne pas trouver son explication, c’est la mort des tout-petits enfants. Un petit enfant qui n’est pas encore libre, à quoi cela lui sert-il de passer par la mort ? À rien. Alors, il faut dire que Dieu a prévu pour les milliers de petits enfants qui meurent, sans la grâce de Dieu, marqués du péché originel, une voie de Salut. Le Concile Vatican II, dans Gaudium et Spes[50], sans parler des enfants spécifiquement, montre que tout homme sans exception se verra proposer le Salut de Dieu. Ce qui élimine définitivement la théorie de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin sur l’existence d’un enfer éternel sans souffrance pour les enfants morts sans baptême. Dieu évidemment a des moyens pour que ces enfants eux aussi accèdent au Salut. C’est tout simplement les limbes temporaires. Les petits, lorsqu’ils meurent, quelquefois avortés comme on en voit des millions actuellement, abandonnés de leurs parents, ne passent pas directement dans l’autre monde, mais ils sont entre ce monde et l’autre. Là, ils sont probablement adoptés par des parrains et marraines du Ciel qui se chargent petit à petit de les élever, de faire grandir leur psychisme par une voie que Dieu connaît et que les théologiens essaient d’imaginer. Ils se voient proposer un jour l’Évangile de Jésus-Christ. Comment est-ce que Dieu leur façonne un cœur humble puisqu’ils ne passent pas par la vie terrestre ? Il a certainement une solution. Peut-être que c’est une certaine errance entre ce monde et l’autre après qu’ils auront été éduqués qui leur fait désirer avec soif un Salut.

D. Klanac : Il y a, selon vous, une troisième réalité où le mal semble ne servir à rien.

A. Dumouch : Ce sont les âmes qui, en définitive, se damneront, c’est-à-dire qui choisiront jusqu’au bout de résister à la proposition d’amour de Dieu et choisiront la liberté de l’enfer. Je voudrais rappeler d’abord que l’enfer ce n’est pas les marmites de feu, les tortures et les vers rongeurs. Je dis bien : « N’est pas d’abord. » L’existence des souffrances est une réalité. Mais ce n’est pas l’essence qui fait comprendre l’enfer. C’est juste une série de conséquences naturelles, comme par somatisation. Il faut le comprendre profondément. Ce que choisit un damné lorsqu’à l’heure de la mort il est confronté à Lucifer, c’est quelque chose qui lui paraît comme bien, un bien apparent évidemment. Cela veut dire qu’il est confronté à deux possibilités. D’un côté le Christ avec ce corps de lumière, mais pantelant encore de la croix et qui lui révèle le paradis avec ses avantages, la béatitude totale, l’union à Dieu, l’union à ses frères, mais aussi ses « inconvénients » : il faut devenir tout humble et tout amour. C’est un inconvénient pour celui qui est orgueilleux. Lucifer, lui, présente les avantages : en enfer, on obtient toutes les richesses possibles. Dieu ne prive de rien, il rend même, à la fin du monde, le corps qu’on perd par la mort, mais un corps absolument immortel avec des propriétés d’une puissance inouïe. On peut posséder toutes les richesses qu’on veut et on a la liberté, on fait ce qu’on veut quand on veut, on est le maître de sa vie, mais on n’est pas dans une relation d’amitié et d’humilité. Évidemment, comme le choix doit être parfaitement libre, le Christ manifeste les conséquences de cette liberté puisqu’elle n’a pas sa finalité.

D. Klanac : Que perd le damné ?

A. Dumouch : Premièrement, il ne voit pas Dieu face à face puisqu’il en refuse les conditions absolument nécessaires.

Deuxièmement, il n’a pas d’amis. Comme c’est un monde d’égoïstes, ce sont des solitaires en présence d’autres solitaires. Il y a aussi toute une somatisation des peines. Quand la Bible décrit un feu qui ronge, en fait, elle ne se trompe pas du tout, c’est vrai. Tout simplement parce que quand on vit éternellement avec tous les plaisirs possibles, les richesses possibles, mais sans but, sans le vrai Dieu qui seul peut combler le cœur, on brûle d’angoisse à l’intérieur de soi, on est vide. Et, paradoxalement, on n’a plus de plaisir. Le ver rongeur du remords, c’est quoi ? Ce n’est pas le repentir. Si en enfer il y avait un simple repentir, le désir de demander pardon pour le choix fait à l’heure de la mort ferait disparaître aussitôt l’enfer pour cette personne-là. Elle serait simplement mise au purgatoire et elle verrait Dieu face à face.

D. Klanac : Alors, il n’y a pas de retour possible ?

A. Dumouch : Non, aucune personne ne se repend en enfer. Le choix est tellement libre à l’heure de la mort qu’on ne revient jamais en arrière. Mais il y a du remord de s’être fait prendre. Cela veut dire d’être comblé de biens matériels et de ne pas y trouver le bonheur. Il y a des grincements de dents, c’est vrai, mais ce n’est pas ce que choisissent les damnés. Eux, ils choisissent la liberté. Les grincements de dents qui les mettent en rage, c’est la vision de ces petits saints du ciel, si petits, si humbles, qui rayonnent de béatitude, qui visitent chaque coin de l’univers ensemble, se réjouissent à la vue d’une nouvelle fleur. Eux, les damnés peuvent tout avoir, mais ils n’en profitent pas. Tout ce qui leur rappelle Dieu ils l’abîment, ils l’écrasent, ils ne le voient même pas. Quand une personne est suffisamment orgueilleuse pour avoir résisté à toutes les souffrances de la vie terrestre qui sont là pour façonner un cœur plus humble ; quand elle est suffisamment orgueilleuse pour avoir résisté à l’apparition du Christ à l’heure de la mort, qui est là pour expliquer pourquoi il a imposé tant de souffrances et qui l’explique bien puisqu’il le montre dans les paumes de ses mains trouées par des clous ; quand elle résiste à tout cela face au Christ qui vient accompagné de sa propre maman, des saints et des anges, cette personne suit Lucifer et se damne pour toujours.

D. Klanac : On pourrait dire qu’il y a là quelque chose qui n’est pas bon dans le monde créé par Dieu. Pourtant, la réponse est : si, c’est très bon, et même très bon pris dans l’ensemble.

A. Dumouch : Bien sûr, cela n’est pas bon pour le damné, il est en état de péché contre l’Esprit Saint, mais cela prouve que Dieu n’a pas créé des robots, mais des personnes ; qu’il leur a proposé et non pas imposé le mariage et qu’il accepte qu’on puisse le refuser. Troisièmement, il ne s’est pas vengé de ceux qui ont refusé ce mariage d’amour avec lui, il leur a tout rendu, tous leurs biens et il les a laissés vivre librement ce qu’ils veulent vivre. Les anciennes théologies qui disent que Dieu crée de vastes camps de concentration sont fausses : c’est le damné lui-même qui s’automutile et qui s’éloigne de toute présence, tellement cela le met en colère de rencontrer fortuitement une âme du ciel. Cela lui rappelle trop ce qu’il déteste le plus au monde : l’humilité et l’amour.

On peut donc conclure que tout cela est bon. Tout cela est bon dans son ensemble, cela aboutira vraiment à une œuvre de merveilles, même si, dans les étapes de souffrances par lesquelles il faut passer, il y a du mal réel.

 

48. Gn 1,31a. [↩]

49. Hb 5, 7. Voici les versets dans leur totalité : “C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort. Ayant été exaucé à cause de sa piété, il a appris, bien qu’il fût le Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert. » [↩]

50. 22,5. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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