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11. L’apparition de l’être humain

Daria Klanac : Alors, Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance… » Imparfait que nous sommes, en quoi sommes-nous semblables à Dieu ?

Arnaud Dumouch : Saint Augustin, dans cette phrase de la Bible, distingue l’image et la ressemblance. La ressemblance est de l’ordre du vestige, concerne le corps. Non pas que Dieu ait un corps, puisque Dieu justement n’a pas de corps.[27] Dans le corps de l’homme, il y a des vestiges qui rappellent le Créateur dans son intelligence. L’extrême intelligence du Créateur dans la programmation génétique des organes finalisés a pour un but l’harmonie de ce corps si fragile qu’est le corps humain en vue de sa vie spirituelle. Des mains séparées qui permettent une action, une sexualité ordonnée au dialogue, le corps qui est le plus faible parmi le monde animal et qui a une force supérieure, sa mémoire, son imagination pour se défendre et que jamais les animaux n’auront malgré leurs crocs et leurs griffes.

Une image est très proche de la réalité qu’elle représente. Dieu est esprit et l’image au sens profond du terme est en rapport à l’esprit humain. Et c’est là qu’il faut se rappeler ce qu’est Dieu dans son secret, avec sa vie trinitaire. Dieu est Un éternellement. Il a une vie intime qui le rend parfaitement heureux. Elle est faite de deux activités qui sont son être même : son intelligence et son amour. Il se contemple parfaitement et cette contemplation de lui-même on l’appelle son Verbe, autrement dit en langage humain, son Fils. Cela veut dire sa propre connaissance de lui-même. Et ce Verbe, qui procède de sa connaissance, est semblable à lui. C’est pour cela qu’on dit que le Père et le Fils ont une même nature et que le Fils procède du Père par sa connaissance. Ensuite, cette connaissance qui le comble de lumière, Dieu l’aime, et la connaissance de Dieu aime Dieu. Leur amour est une « tension », une attraction, une extase réciproque l’un envers l’autre. Dieu et sa propre connaissance de lui-même. On l’appelle amour, charité, agapè en grec, mais en fait, cet amour est exactement semblable aux deux, parce qu’il est total, il est infini comme les deux. On l’appelle aussi le Saint-Esprit. Dieu, éternellement, vibre de lumière et d’amour, voilà sa vie. D’abord, dans sa structure, l’esprit humain est pareil. Il possède deux facultés vitales : l’intelligence et la volonté qui lui permettent d’aimer. La volonté ce n’est pas la sensibilité. La volonté, c’est l’amour de l’intelligence qui fait qu’au-delà de ce qu’on ressent, on est capable, nous, êtres humains, d’aimer une personne.

Je voudrais prendre l’exemple de ma mère. Mon père est malade. Il est dans une chaise roulante, il ne parle plus et ma mère ne l’abandonne pas alors qu’elle pourrait aller se promener, se balader. Jamais elle ne l’abandonnera parce qu’il lui a fait une vie heureuse. Il l’a aimée à sa manière d’homme, c’était pour qu’elle ne manque de rien matériellement. Et maintenant, elle le reconnaît. Cela, c’est l’amour de l’intelligence. Au-delà de ses désirs sensibles, elle est là, fidèlement. Eh bien, on voit que notre esprit est structuré comme Dieu, de l’intelligence et d’amour. Voilà la première image qui apparaît. Mais ce n’est pas tout.

L’intelligence se complète dans l’amour et ne devrait pas avoir pour but la puissance.

L’intelligence elle-même, donc qui correspondrait au verbe, la connaissance que Dieu a de lui-même, n’a pour but que l’amour. Cela veut dire qu’Adam et Ève normalement sont faits pour aimer l’autre. Ils sont puissants et ils sont capables de travailler de leurs mains, ils sont intelligents, ils sont capables de comprendre les choses et le but est d’aimer Dieu et d’aimer le prochain. Il en est de même dans la Trinité, tout est achevé dans le secret ultime qu’est l’Esprit-Saint. L’image de Dieu va être polluée plus tard par le péché originel et donc, actuellement, l’imperfection de l’homme qui vient du péché n’est pas image de Dieu. Quand il ordonne à la fois sa volonté et son intelligence à la seule recherche de la puissance terrestre, cela n’a plus rien à voir avec Dieu, c’est plutôt l’image du démon, de l’ange révolté, Lucifer.

Le troisième degré d’image de Dieu dans l’homme est à la fois lié à l’esprit, mais aussi au corps. Nous sommes structurés en homme et femme. Hommes et femmes, ensemble nous faisons l’image de Dieu, pas homme tout seul, pas femme toute seule. Eh bien, dans le Dieu unique, c’est pareil. Si on veut comprendre le Dieu unique, on ne peut pas se contenter des qualités de type masculin : puissance, lumière, création ex nihilo, efficacité. On doit en même temps, conjointement, regarder les qualités de type féminin en Dieu. Je veux citer par là l’amour, mais aussi la kénose (abaissement total de soi) immanente à la Trinité. C’est un mystère. Un mystère tout à fait nouveau qui est en train d’être mis en valeur par les théologiens. En Dieu, il n’y a aucune limite, aucune infériorité. Il y a un mystère d’absolu abaissement des personnes de la Trinité l’une devant l’autre. Le Père dit au Fils : « Je n’existe que par toi. » Et le Fils dit au Père : « Je n’existe que par toi. » Ce qui est vrai, parce qu’un père n’existe pas s’il n’y a pas un fils.

D. Klanac : L’abaissement total de soi quand il s’agit de Dieu, est effectivement un grand mystère.

A. Dumouch : L’un s’abaisse immensément devant l’autre avec respect alors qu’ils sont exactement semblables puisque le Fils n’est autre que la connaissance parfaite que le Père a de lui-même. Ce mystère de kénose (chose extrêmement mystique et profonde) est tellement vertical, qu’il explique pourquoi nous, sur Terre et aussi dans le monde des anges, avant de voir Dieu face à face, il faut que nous nous abaissions infiniment au-dessous de nous-mêmes, sinon on ne comprendrait rien, on ne supporterait pas cette réalité qui détruirait notre être. Le fait que l’image – et non-pas la ressemblance, mais bien l’image – soit homme et femme est sans doute l’un des secrets ultimes que la théologie catholique, avant la fin du monde, comprendra et révèlera, et mettra dans son dogme. En effet, c’est aussi l’une des réalités premières au niveau de la Création dans le texte de la Genèse. Ce qui est premier en général revient à la conscience des hommes en dernier, c’est le secret final.

On voit que selon les trois notions d’image de Dieu qu’il y a en nous, seule la première, celle qui est structurelle, par le fait que notre esprit est à la fois lumière et capacité d’aimer, est intacte. Les autres, comme l’ordre qu’on doit mettre dans sa vie où l’amour est la complémentarité homme femme, ont été profondément altérées par le péché. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas les avoir parce que le Christ, lui, il les a rétablies. On a maintenant la capacité, la maturité spirituelle pour voir quel est cet idéal de Dieu et pour le réaliser dans nos propres familles et dans notre propre vie en fuyant le péché mortel. Le péché mortel, c’est tout simplement mettre autre chose que l’amour du prochain et de Dieu comme but ultime de notre vie. Lorsqu’on fait cela, pour n’importe quel motif, que ce soit l’ignorance chez celui qui ne connaît pas Dieu, que ce soit la faiblesse chez l’homme qui contrôle mal ses colères, ses envies ou que ce soit un véritable choix libre, quand on commet un péché contre l’Esprit-Saint, on détruit l’image de Dieu dans le sens de l’amour. En conséquence aussi, il est évident que c’est la complémentarité homme-femme qui est immédiatement atteinte.

D. Klanac : Dans la Genèse[28], on annonce la création et la bénédiction de mâle et femelle, les deux en même temps. À ce moment-là, commence l’aventure extraordinaire du genre humain. Homme et femme semblables à Dieu, d’origine divine. Plus loin[29], on revient à la formation du premier être vivant : « (…) Dieu forma l’homme de la poussière du sol et il souffla dans ses narines un souffle de vie… » Plus loin encore[30]: « (…) De la côte qu’il avait prise de l’homme, Dieu forma une femme. » Pourquoi la description de la création de l’humain est faite en trois tableaux ? Comment lire intelligemment ces passages si importants pour la compréhension de nos origines ?

A. Dumouch : Encore une fois, pour lire ces passages, il faut se souvenir qu’il y a de vrais auteurs humains qui écrivent avec leurs mots. Actuellement on privilégie très fortement, dans toutes les universités catholiques, l’exégèse historico-critique. Les exégètes se sont amusés à disséquer les textes et ont montré qu’en fait, il y avait plusieurs sources qui étaient croisées, sans doute plusieurs traditions, une babylonienne, l’autre égyptienne, etc. Des rédacteurs, sans doute des prêtres à Babylone au VIIe siècle avant Jésus-Christ, avaient compilé, mettant un passage ici et puis l’autre qui le complétait. On parle de tradition yahviste, héloïste, sacerdotale, etc., en fonction de certains mots qui apparaissent dans le texte hébreu. Mais peu importe, c’est le sens humain.

L’essentiel, et le plus intéressant, c’est le sens de l’auteur divin, qui lui, infailliblement, ne faisait dire que ce qu’il voulait concernant le Salut. Si dans la question, on relève trois retours à la création de l’homme, c’est bien pour signifier justement les trois choses essentielles que la dogmatique catholique a confirmées solennellement au cours de l’histoire. La première, « homme et femme, il les fit », c’est pour bien signifier que la sexualité est créée par Dieu avant le péché originel.[31] Cela permet de s’opposer à toute la tentation gnostique, manichéenne ou cathare qui consistait à dire que le corps a été créé par un dieu mauvais et que le dieu bon était le seul responsable de l’âme. L’Église s’est tout à fait opposée à cela, en disant que Dieu a créé homme et femme, la sexualité il l’a voulue comme une expression de l’amour et source de fécondité, et cela, dès l’origine.  À l’origine, Dieu les fit homme et femme et ce que Dieu a uni il ne fallait pas le séparer.

D. Klanac : C’est important de le clarifier.

A. Dumouch : Le deuxième texte de la question retourne à l’homme et la femme en disant : « Dieu forma l’homme de la poussière du sol et il souffla dans ses narines un souffle de vie. » Ce passage-là signifie la deuxième chose essentielle que l’Église solennellement garde, à savoir que le corps vient de la poussière du sol. Qu’est-ce que signifie la poussière du sol ? À la science de le fixer, comme on l’a vu déjà. Mais ce qui est certain, c’est que l’âme, l’esprit, l’âme éternelle, celle qui retourne dans l’autre monde à la mort, elle est directement créée par Dieu et c’est lui qui insuffle l’âme au petit qui vient d’être procréé pour en faire un être humain, un enfant complet. Quant au troisième passage de la question, celui de la conception de la femme au début à partir de la côte de l’homme. Elle donne par ce symbole très fort, très charnel, tout à fait cinétique, l’explication de l’intention de Dieu quand il les fit homme et femme. La femme est complémentaire de l’homme pour ce qui est de l’amour. Non pas pour ce qui est de l’efficacité professionnelle, pas pour être dominée. Pour lire ces passages qui sont si importants, je le redis, il faut le faire à la lumière de l’éclairage du Magistère de l’Église et du Magistère juif, qui existait bien avant l’Église. En effet, le sens authentique de ces paroles qu’on pourrait interpréter de plein d’autres façons, il suffirait d’en rendre métaphoriques certaines, d’insister sur d’autres. Le sens authentique protégé par l’Esprit Saint est donné explicitement à travers le Magistère de l’Église de la manière la plus sûre.

La lecture d’exégèse historico-critique est très intéressante culturellement. Mais le fait qu’actuellement dans les universités catholiques, on ne pratique souvent plus qu’elle, exclusivement, est une véritable catastrophe pour l’enseignement de la foi. Cette lecture culturelle ne nourrit pas le cœur des fidèles et le cœur des théologiens. Elle nourrit la curiosité scientifique, si on peut dire, elle est donc à côté du sens que Dieu a voulu inspirer à la création.

Le regard sur la sexualité du monde d’aujourd’hui, ne correspond pas à celui de l’Église.

Le monde actuel, depuis cinquante ans, reproche sans arrêt à l’Église d’être contre la sexualité. En fait, l’Église n’est pas contre la sexualité, elle est contre la sexualité telle que le monde actuel la voit, c’est-à-dire une sexualité qui est exclusivement tournée vers la jouissance, qui devient l’obsession de toute une génération. Ce qui concerne la sexualité, Dieu l’a voulue, avec ses deux finalités : premièrement, l’expression de l’amour, et sa deuxième finalité, celle qui est ultime, source de fécondité. Quand tout cela est gardé, et bien, l’Église non seulement est pour la sexualité, mais la bénit à travers le sacrement du mariage.

 

27. Objection : Et Jésus Christ alors ? Réponse : Dieu est éternel et n’est pas corporel. Par contre, que Dieu se soit uni dans son être une nature humaine créée il y a 2000 ans ne change pas l’Essence de sa nature divine non matérielle. [↩]

28. Gn 1,27-28. [↩]

29. Gn 2,4-9. [↩]

30. Gn 2,21-25. [↩]

31. Objection : Faux, lire Anne-Catherine Emmerich, Les mystères de l’Alliance ancienne. Réponse : C’est une lecture erronée d’Anne-Catherine Emmerich. Le dogme et la lettre de l’Ecriture sont clairs : avant le péché originel, la sexualité est créée et autorisée (ce qui ne veut pas dire qu’Adam et Eve aient eu le temps de passer à l’acte : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1,27) [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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