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12. Homme et femme complémentaire

Daria Klanac : Au départ, y aurait-il eu une injustice infligée au genre féminin ? Une suprématie de mâles fortement présente ?

Arnaud Dumouch : Pas au départ. Et c’est dit explicitement. Au départ, l’homme et la femme sont créés à égalité de droits, mais il y a complémentarité de nature. Cela veut dire qu’ils ne sont pas égaux dans leur manière d’être. Il y a deux grâces complémentaires ; il ne faut pas prendre ces deux grâces complémentaires de manière carrée. Je dirais qu’il y a, dans une sagesse très ancienne qui date sans doute du néolithique, peut-être même du paléolithique, une sagesse chinoise, un symbole qui manifeste de quelle façon il faut prendre cette complémentarité. Elle n’est pas seulement théologique, elle est aussi expérimentable : on la voit, on la constate, tel qu’il faudrait qu’elle soit. Il s’agit du schéma du Ying et du Yang, fait de souplesse et je n’en ai jamais vu un qui soit aussi symbolique de cette complémentarité de l’homme et de la femme. Il s’étend à presque toute la réalité, sans doute parce que dans toute la réalité, il y a des images et même des vestiges de ce que Dieu est dans sa vie trinitaire. On y voit qu’il y a dans l’homme une partie de féminité. Les valeurs que les taoïstes attribuent à la femme, douceur, écoute, compréhension, elles doivent aussi exister dans l’homme, mais pas au point de détruire ce qui fait sa propre valeur face à sa valeur structurelle, aux valeurs masculines du type force, intelligence rationnalisante, efficacité manuelle, compétence. Dans la femme, il y a un point de masculinité. La femme, pour être elle-même, ne doit pas être uniquement dans les valeurs féminines telles que tendresse, délicatesse. Il doit y avoir de l’efficacité, de l’autorité aussi, mais tout en préservant sa grâce de femme. Et ceci, en toute souplesse. Cela veut dire que si dans un couple la femme a une psychologie d’homme, l’homme peut rééquilibrer en mettant plus de douceur auprès des enfants. La vie est souple, elle n’est pas carrée avec d’un côté la femme, le blanc, de l’autre côté l’homme, le noir, sans aucune complémentarité, aucune compénétration.

D’après certains pères de l’Église, si on lit le texte d’avant le péché originel, le symbole de l’écriture met la femme en infériorité puisqu’elle est créée après l’homme, donc elle est seconde, l’homme est le plus important. D’autres pères de l’Église interprète d’une autre façon : l’homme a été créé avant la femme parce que ce n’était que l’esquisse et la femme créée après l’homme, c’était la perfection. Quand on regarde l’Évangile, je pense que c’est ce second sens qui est celui de Jésus. Comme je l’ai déjà dit, les valeurs de type féminin, humilité jusqu’à l’abaissement de soi, amour qui donne la vie, sont beaucoup plus naturelles à la femme qu’à l’homme. Il y a même une théologie très précise qui raconte que la chute des anges est due à la compréhension qu’ils eurent, 15 milliards d’années[32] avant la création de l’homme et de la femme, de ce que serait, en général, la psychologie de la femme. Ils comprirent bien que Dieu mettait en premier, dans son cœur, et donc au niveau de la royauté, de l’Alliance d’épouse qu’il voulait faire, les personnes qui seraient les plus humbles, les plus aimantes. La Reine de toutes les reines, des rois et des anges, c’est la plus humble, la Vierge Marie. Selon le sens de Dieu, il est tout à fait probable que la femme est plus disposée à plaire au cœur de Dieu. Elle est le chef-d’œuvre ultime de la création, la dernière créée d’ailleurs, puisqu’au départ, c’est la lumière, puis les animaux, les plantes, l’homme et enfin, la femme.

D. Klanac : Comment interpréter cette lecture sans tomber dans les extrêmes ?

A. Dumouch : On a trop vu, depuis deux siècles à peu près, chaque sexe prendre la domination sur l’autre dans un phénomène de balancier qui a toujours été nuisible, excessif. Au XIXe siècle, c’est la domination de la valeur masculine exclusivement. Freud, qui pour moi est un très mauvais psychologue, est un très bon révélateur de ce qu’était son époque. Tous les complexes qui se trouvent chez les enfants à travers le surmoi seraient le symbole du père qui écrase l’enfant tout simplement parce qu’à son époque les pères sont un peu des balles dans un jeu de quilles qui viennent briser l’harmonie et la tendresse entre l’enfant et la mère. Ils sont trop dans l’autoritarisme. Cela va être un échec, cela va donner les deux guerres mondiales qui sont faites d’obéissance au chef, d’honneur, de sacrifices pour la patrie, toutes des valeurs masculines. Seulement, on voit ce que cela a donné après comme réactions : la génération 1968 qui croyait être meilleure, et une fausse exaltation des valeurs féminines. On veut exalter la femme en lui donnant les valeurs qui font l’équilibre de l’homme, à savoir le travail, le fait de ne pas être mère, le fait de disposer de son corps comme elle le veut, la négation de la maternité et même du rôle d’épouse. C’est ce que feront certaines excessives des mouvements de la libération de la femme à cette époque-là. Quand on exalte des valeurs féminines contre les valeurs masculines, on obtient aussi un déséquilibre. Jésus montre que le secret du cœur de Dieu n’est pas la puissance, n’est pas l’intellect, mais l’amour jusqu’à la mort, valeur féminine éminente, à condition de ne pas l’opposer à l’homme, mais de le faire en complémentarité. Homme et femme, il les fit ensemble.

D. Klanac : Je reprends la question : au départ, il y aurait-il donc eu injustice infligée au genre féminin ?

A. Dumouch : La suprématie des mâles est venue par la suite, à cause du péché originel. D’ailleurs, il faut lire les malédictions, c’est-à-dire des paroles qui n’indiquent pas forcément que Dieu affligerait des coups, mais qui constatent quelque chose de mauvais qui va se passer chez l’homme et chez la femme après le péché originel. On voit à quel point cette image de Dieu homme et femme est déformée par le péché après la création d’Adam et Ève, partout dans le monde jusqu’à Jésus, pendant peut-être 50.000 ans, sauf parfois en Égypte antique, à cause du culte d’Osiris et d’Isis. Ce sont deux dieux qui s’aiment et l’amour d’Isis a ressuscité Osiris. Les Égyptiens avaient tendance à vouloir imiter un peu, comme nous imitons le Christ et la Vierge Marie. Ils se disaient que pour ressusciter, il fallait éprouver le même amour qu’Isis avait éprouvé pour Osiris et à cause de cela ils étaient monogames. On voit des statues égyptiennes où l’homme et la femme sont dans le même tombeau alors que dans toutes les civilisations alentour, la femme est vendue à l’égal des chevreaux, des veaux, etc. Par la suite, dans le monde, on va voir une déformation de cette complémentarité avec la suprématie de l’homme.

D. Klanac : Comment la Bible décrit-elle les causes de cette déformation ?

A. Dumouch : Dieu dit à Ève : parce que tu as mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal[33], c’est le fait de choisir soi-même, par opposition à Dieu, ce qu’on appelle le bien et le mal, parce que tu as fait cela, je multiplierai la douleur de ton enfantement. C’est la première malédiction. Elle touche effectivement l’un des deux pieds sur lesquels les femmes, dans leur nature, ont tendance à s’appuyer pour être équilibrées. Toujours avec souplesse, mais disons que si on demande à des jeunes filles ce que pour elles sont les valeurs fondamentales qui les équilibreront plus tard, et bien elles diront toujours c’est l’enfant et leur amoureux. En général, si on leur demande de choisir un jour entre l’enfant et l’amoureux, presque toutes répondent qu’elles choisiront l’enfant. La maternité est plus importante et c’est là que se situe la première malédiction. D’abord, parce que la femme a tendance à faire de cet enfant, qu’elle a porté dans son ventre, sa chose, son bien. Et c’est pour cela peut-être qu’à travers presque toutes les histoires qu’on raconte sur la belle-mère, elle est un danger pour le couple, plus que le beau-père, parce qu’elle a tendance à s’accaparer, à venir s’immiscer. Elle a du mal à laisser partir l’enfant. Cet amour qu’aurait dû produire un homme, un adulte, devient un amour qui accapare. Pour rétablir l’image de Dieu tel qu’il l’avait voulue au début, l’homme doit couper le cordon ombilical, faire comprendre à sa femme que l’enfant n’est pas pour soi, mais pour qu’il devienne un adulte. Ce n’est pas seulement l’accouchement dans la douleur, c’est aussi l’accouchement psychologique et spirituel d’une mère qui voit son enfant quitter la maison, parfois devenir mauvais et agir avec dureté. Ne pas être reconnaissant pour tout l’amour donné.

La deuxième malédiction porte sur l’autre pied de la femme. La femme pour s’équilibrer s’appuie donc sur son homme. La Bible dit : « Ton désir se portera vers ton mari et lui dominera sur toi. » On le constate partout. Les femmes ont besoin de cette sécurité qu’apporte un homme responsable. C’est au point que parfois, quand elles se mettent avec un homme qui n’est pas rassurant, qui n’est pas structurant, il y a parfois même stérilité physique. Ce besoin de sécurité, il existe. À présent que les femmes ont un travail, un véritable diplôme en poche, il est relativisé. N’empêche qu’il n’est pas supprimé. Quand une jeune fille tombe amoureuse d’un garçon et que le garçon est trop gentil, ça l’énerve. Il faut qu’elle ait l’impression de l’admirer. Seulement, l’homme qui devrait se servir de cela pour sécuriser, fortifier celle qu’il a choisie, en profite pour la dominer. C’est ce qui s’est passé pendant ces milliers d’années, tout simplement parce que la femme, une fois les premiers amours passés, une fois le couple tombé dans le quotidien, n’avait pas la force physique de se défendre dans un monde où la valeur suprême était la puissance, l’efficacité, le muscle. Quand on lit l’Ancien Testament, il ne faut pas prendre cette domination de l’homme sur la femme comme une approbation de Dieu. D’ailleurs, Jésus donne l’explication quand il dit que c’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a permis certaines lois comme le divorce, la répudiation. Mais au début, il n’en était pas ainsi. La domination n’est pas voulue par Dieu, mais elle est décrite précisément par ces livres historiques, comme cela s’est passé dans le monde.

D. Klanac : La suprématie des mâles est-elle toujours d’actualité ?

A. Dumouch : Le monde actuel, qui a beau dire qu’il y a une égalité des droits sortis de mai 1968, continue de mettre en avant des valeurs masculines comme supérieures aux valeurs féminines. Et c’est paradoxalement à travers l’immigration musulmane et des associations comme Ni putes ni soumises en France, que j’ai vu apparaître un féminisme qui, cette fois, exalte vraiment comme valables les valeurs féminines. Je me rappelle d’une rencontre entre ces jeunes filles d’origine musulmane, d’origine arabe souvent et des ex-MLF de mai 1968. Elles ne s’étaient pas du tout comprises. Les ex-MLF avaient en tête que l’homme est l’ennemi de la liberté, l’enfant est l’aliénation de la femme et elles, elles répondaient qu’elles ne veulent seulement qu’être traitées ni comme pute ni comme soumise. Qu’elles sont des femmes, avec des droits, qu’elles ne sont pas contre l’homme, pas contre l’enfant, mais avec l’homme, avec l’enfant. Donc voilà du bon sens qui revient et qu’on voit aussi revenir, en tout cas chez les jeunes en Belgique, en France. Il me semble que la génération actuelle est tournée vers quelque chose de plus naturel, ce n’est pas l’exaltation d’un sexe ou de l’autre, c’est plutôt la recherche de l’harmonie des deux dans la famille, même s’ils le font d’une manière très fragile. De l’autre côté de cette vie, lorsque le dernier sera le premier, les vraies valeurs, celles de Dieu, seront mises en avant, et non pas celles de ces hommes virils, musclés qui ont eu la suprématie, les guerriers des temps jadis.

Très souvent, c’est par leurs femmes, qui vivent plus longtemps en général et qui les accompagnent jusqu’au bout de la vie, que beaucoup de ces hommes ont été sauvés. Aussi à l’heure de la mort, elles seront là pour les accueillir et les entraîner vers le Dieu d’amour, les convaincre de ne pas céder au culte de la puissance, mais de se livrer au vrai Dieu d’humilité et d’amour.

 

32. S’ils sont bien apparus en même temps que la matière, matière que la science date de cette époque. [↩]

33. Librement repris de Genèse 3,14. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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