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7. Fallait-il interdire la lecture de la Bible ?

Daria Klanac : La lecture de la Bible, notamment de l’Ancien Testament, n’était pas seulement déconseillée, mais plutôt interdite à bien des endroits dans nos paroisses. Pourtant, rien n’était caché, on en lisait des extraits à toutes les messes. Cette crainte avait-elle une justification valable ?

Arnaud Dumouch : Oui, cette crainte avait une justification valable en Église catholique. Seulement elle était peut-être appliquée pastoralement beaucoup trop durement. Donc, cette justification vient de ce que j’ai dit au début, à savoir que l’Écriture sainte n’est pas objet d’interprétation par sa propre réflexion humaine toute seule. On ne peut la comprendre dans sa plénitude selon l’auteur divin qu’en se fiant à l’interprétation authentique du Magistère infaillible, celui qui est protégé par l’Esprit Saint. Les pasteurs de l’Église catholique et en particulier les papes, comprenant que les peuples n’étaient pas très cultivés, s’étaient dit que si on leur donnait directement l’interprétation supérieure, celle qui explique la Rédemption du Christ et son lent cheminement, ils risqueraient de ne pas les comprendre. Donc, on donnait plutôt des catéchismes. C’était très bien, car cela a formé des générations de saints et de mystiques. Cependant, le défaut comme toujours, c’est qu’on ne prenait peut-être pas assez les gens pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire des êtres intelligents.

Dans le protestantisme, on a fait le pari de donner toute la lecture, toute la parole de Dieu en langue du peuple – en fait dans un langage vernaculaire – à lire et on a eu raison. Les gens se sont cultivés, les gens ont davantage compris des choses, mais avec l’inconvénient suivant : c’est que très souvent chacun se faisait un peu son propre Magistère des paroles provisoires de l’Ancien Testament qui étaient adaptées à telle époque, à tel peuple primitif. Les Témoins de Jéhovah, qui eux ne sont pas des protestants, ont simplement poussé la logique jusqu’au bout et interprètent métaphoriquement.

D. Klanac : Les papes interprètent-ils différemment ?

A. Dumouch : Le pape de Rome interprète aussi, mais il le fait dans la foi ferme à une protection infaillible de l’Esprit Saint. Je ne connais pas de religion chrétienne qui, quand elle analyse les choses profondément, n’ait pas été obligée de se donner un fondateur qui en explique le sens. Si je prends maintenant l’exemple des protestants, avec Luther c’est très clair : la foi seule sauve. La foi, c’est-à-dire la confiance en Dieu. Et ils ont des textes nombreux pour le dire : par sa foi Abraham a trouvé justice devant Dieu. Seulement, Luther a fait l’erreur, n’étant pas infaillible, de prendre des textes qui allaient combler son cœur. C’était un pauvre pêcheur qui pensait qu’il n’arriverait jamais parfait devant Dieu. Donc il s’est dit, pour se rassurer par rapport à son salut : le fait que je sois croyant, que j’aie reçu la foi, voilà qui me donne une assurance de salut. Or, saint Paul dit aux Corinthiens : « Quand bien même j’aurais la foi, une foi à renverser les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. »[15] Ou saint Jacques qui dit : « Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire, on dira : « Toi, tu as la foi, et moi, j’ai les œuvres ? Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi. »[16]

Le Magistère catholique au Concile de Trente[17] explique : la foi sauve en ce sens qu’elle est le début, elle est la condition absolument nécessaire pour rentrer dans la charité. Si on ne connaît pas et si on n’a pas confiance en son ami Dieu, comment entrer dans la relation d’amour d’amitié qu’est la charité. C’est dans l’amour d’amitié active, coopératrice, qu’est le salut.

D. Klanac : À notre époque, je suppose qu’on ne peut pas se passer de la lecture de la Bible ?

A. Dumouch : Je dirais qu’à notre époque, où nous sommes devenus des peuples cultivés, il est toujours utile d’avoir un catéchisme simple, qui nous donne le sens général de l’Écriture, un peu comme je l’ai fait dans les premières questions. Là où les protestants ont raison, c’est que nous devons maintenant lire toute l’Écriture, sans en sauter un seul texte, y compris les textes gênants où dans l’Ancien Testament, Dieu, apparemment, commande des génocides ; des textes où la femme n’existe pratiquement pas, n’a pas de rôle. Il faut bien comprendre les textes bibliques dans un devenir qui conduit à la perfection, cette perfection n’étant qu’au ciel. Alors, tout devient clair.

Pour les catholiques, l’hérésie de Luther est une hérésie profonde, puisqu’elle consisterait à dire que la relation avec Dieu ne peut pas être plus grande que celle d’un petit enfant handicapé qui fait confiance. Les catholiques et les orthodoxes ont toujours dit qu’on devenait vraiment épouse avec des droits sur le cœur de Dieu, avec l’accès à tous les trésors et que, dans l’éternité, il nous confierait réellement l’application du salut. Comme au vrai collaborateur : « Je te confierais beaucoup de choses parce que tu as été fidèle en peu de choses. »[18]

L’hérésie de Luther cependant permet aux catholiques de sortir de leurs propres erreurs pastorales et d’avoir redécouvert la totalité de l’Écriture, directement lue dans le texte. Le but de l’Église, en interdisant la lecture de l’Ancien Testament et de certains textes du Nouveau Testament, n’était pas de cacher des choses au peuple. L’intention était bonne : celle d’aller plus vite au fond du mystère. Mais cette pratique a été dénoncée par les protestants comme une volonté de dominer le peuple. C’est vrai que parfois certains papes, certains clercs l’ont fait, l’ont utilisée.

 

15. 1Cor 13,2-3. [↩]

16. Jas 2,17-18. [↩]

17. Le Concile de Trente est le dix-neuvième concile œcuménique reconnu par l’Église catholique romaine et l’un des conciles les plus importants de l’histoire du catholicisme. Convoqué par le pape Paul III en 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, il débute le 13 décembre 1545. Étalées sur dix-huit ans, ses vingt-cinq sessions couvrent cinq pontificats (Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV) et se tiennent dans trois villes. En réaction à la Réforme protestante, il confirme la doctrine du péché originel, précise celle de la justification, de l’autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirme les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation. Sur le plan disciplinaire, il crée les séminaires diocésains destinés à former les prêtres. [↩]

18. Cf Parabole des talents Mt 25,14-30. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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