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6. L’oubli du féminin dans la Bible

Daria Klanac : Quand les auteurs de la Bible s’adressent à l’humanité, on a l’impression qu’ils parlent uniquement aux hommes. Le genre masculin a toute la place. Pour remédier à cette frustration, l’Église de nos jours fait les lectures en mettant bien l’accent sur homme et femme en même temps. Comment interpréter ce manque du féminin dans les écrits ? Cela vient-il tout simplement de l’incompréhension de la signification du mot « homme » dans les livres sacrés ?

Arnaud Dumouch : Cela vient simplement de l’incompréhension de la situation historique des livres sacrés qui sont dans le devenir lent d’une humanité qui va être rétablie telle que Dieu l’avait voulue au début. En général, je peux distinguer trois phases de l’humanité par rapport à la femme. La première, c’est celle de la création originelle. L’Église a toujours dit que c’était une réalité. Le premier homme et la première femme ont existé. On voit très nettement qu’il y a deux récits qui racontent leur création. Le premier, plus littéral, insiste sur le fait qu’ils sont créés en même temps. C’est ce qui s’est passé dans la réalité : « Dieu créa l’homme à son image. À l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. »[14]

Le deuxième récit par contre, qui vient juste après, insiste sur l’intention de Dieu par rapport à cette altérité entre l’homme et la femme. C’est le récit où Dieu crée d’abord l’homme, l’homme au sens masculin du terme, lui apporte toutes sortes d’animaux pour voir comment il les nommera. Comme il ne trouve pas de compagne à son image, il le fait tomber dans un sommeil mystérieux. Il prend son côté, sa côte, y façonne la femme et la lui présente. L’homme dit : Celle-ci est la chair de ma chair, l’os de mes os, et il l’appelle Ève, la mère de tous les vivants. Saint Augustin a commenté parfaitement ce texte. Il dit ceci : « Si Dieu avait créé la femme à partir des pieds de l’homme, cela aurait été pour la dominer. Si Dieu avait créé la femme à partir des mains de l’homme, cela aurait été pour lui donner une compagne du travail manuel. Si Dieu avait créé la femme à partir du cerveau de l’homme, cela aurait été pour lui donner une compagne pour la réflexion intellectuelle. Lorsque la Bible dit que Dieu a créé la femme à partir de la côte de l’homme, c’est-à-dire de la partie la plus proche du cœur, c’est pour être complémentaire sur le plan de l’amour. »

Dieu a créé la femme pour quelque chose d’important. C’est elle qui vient rappeler à l’homme l’essentiel qu’est l’amour. Elle vient de la partie la plus secrète, la plus noble de l’humanité aux yeux de Dieu, celle qui est liée au cœur. C’est une véritable complémentarité créée dès l’origine. L’un n’est pas plus grand que l’autre. Certains vont dire, regardez, l’homme a été créé le premier, c’est lui le plus grand. De l’autre point de vue, on pourrait aussi ajouter que le chef-d’œuvre vient compléter l’esquisse. Donc, c’est la femme la plus grande parce qu’elle a été créée la dernière. En vérité, ils ont été créés complémentaires. Il n’y a pas à insister davantage sur le rôle de l’un ou de l’autre. Les deux sont à l’image de Dieu.

D. Klanac : Que s’est-il passé ensuite ?

A. Dumouch : Et puis, vient la chute originelle. Et là va se mettre en place, pendant peut-être 50.000 ans selon les dires de la plupart des scientifiques actuels, c’est-à-dire la durée de l’humanité jusqu’à Jésus, la disparition de la femme. Et pour une raison très simple. C’est que le monde met en avant les valeurs masculines : la puissance, le pouvoir, le muscle. Et cela, pendant des milliers d’années. Du coup la femme n’a plus aucune place. Les textes de la Bible, au tout début, dans le Livre qui raconte l’histoire du peuple hébreu, ne nomme même pas les femmes, ne les compte même pas, ou avec les troupeaux. C’est très important de le souligner, non pour dire que c’est bien, mais dans le but de montrer que c’est comme cela que ça s’est passé et de faire la comparaison avec ce que Jésus va rétablir plus tard.

Tout l’Ancien Testament est fait de lentes étapes par lesquelles Dieu, petit à petit, affine l’esprit de l’homme. Dieu ne pouvait pas s’incarner tout de suite, il n’aurait pas été reçu. Il doit préparer le cœur des hommes, ces hommes virils, ces hommes guerriers, en le brisant, en le rendant suffisamment tendre. A l’époque de l’Empire Romain, quand Jésus s’incarne, la femme va retrouver la complémentarité avec l’homme. Par rapport au passé où les femmes n’étaient même pas comptées, il y a eu un progrès. Il y a eu des femmes héroïnes. Je pense à Judith, à Esther. Seulement, ces femmes héroïnes se sont comportées un peu comme des hommes, par rapport au pouvoir, en influençant le pouvoir. Donc ce n’est pas encore le rétablissement de ce que Dieu voulait indiquer : que pour l’éternité, les valeurs cachées, à savoir l’humilité et l’amour, sont supérieures aux valeurs de ce monde.

D. Klanac : Qu’est-ce qui se produit en faveur des femmes dans le Nouveau Testament ?

A. Dumouch : Là je dirais qu’il y a deux lectures. Une lecture selon l’ordre du pouvoir, et on pourrait dire que Jésus dans ce sens-là n’a pas vraiment rétabli la place de la femme. En effet, il n’en choisit aucune pour être prêtre, alors que les femmes sont beaucoup plus fidèles que les hommes. Il faut rappeler qu’à la croix, parmi tous ses apôtres, il n’y en a qu’un qui est fidèle. C’est Jean. Et encore, c’est un adolescent. Il est ébranlé et ne croit plus. Il va se remettre à croire quand il va voir le Saint Suaire comme affaissé dans la tombe. Presque toutes les femmes sont là, fidèles. Dans l’Évangile, on voit que les femmes sont beaucoup plus en phase et en compréhension avec l’Évangile de Jésus. Elles ont compris que lui ne mettait pas en avant les valeurs habituelles : la puissance du glaive, le pouvoir. Saint Pierre a eu beaucoup de mal à le comprendre. Il a sorti son glaive pour défendre Jésus et quand Jésus lui a dit de le rentrer, il s’est écroulé et il est parti. Il n’a plus rien compris, il a trahi. Les femmes sont restées. Donc on pourrait dire qu’elles sont les disciples qu’il préfère avec Jean, le plus jeune, qui a un peu compris le message. Alors pourquoi n’a-t-il pas choisi les femmes comme prêtres ? Est-il resté lié à son époque ? Non, non ! Jésus c’est tout à fait différent. Jésus n’a aucun rapport avec son temps pour ces choses essentielles. La raison en est tout autre.

D. Klanac : Laquelle, à votre avis ?

A. Dumouch : Il veut rétablir le véritable ordre de la dignité. Pourquoi réserve-t-il alors le sacerdoce ministériel aux hommes ? Parce que l’homme, dans la complémentarité à une femme, est plutôt du côté de la terre, du pouvoir, de l’efficacité. Les féministes de mai 1968, les femmes en quête de l’égalité, ne revendiquent pas toujours des valeurs féminines : douceur, maternité, etc., mais plus souvent celles des hommes. Jésus, au contraire, donne à la femme la qualité féminine dans la complémentarité à l’homme. Il la rétablit profondément.

Il faut rappeler, premièrement, que c’est une femme qui renouvelle l’Alliance à la croix, sans quoi il n’y aurait pas eu de Nouvelle Alliance. C’est elle qui répond au Rédempteur par un oui. Pour une alliance, il faut être deux, il faut deux oui qui se rencontrent. Les protestants disent qu’il n’y a qu’un seul Rédempteur et que c’est Jésus. C’est vrai, il n’y a qu’une seule source de la Rédemption et c’est évidemment Jésus. Mais il n’y aurait jamais eu Rédemption, donc Nouvelle Alliance, s’il n’y avait pas eu le oui d’une femme, Marie, la nouvelle Ève. Ce rôle est essentiel et représente l’humanité entière.

Deuxièmement, à la résurrection, qui est l’apôtre des apôtres ? Qui vient leur annoncer la nouvelle ? C’est une femme. Une ancienne prostituée peut-être, mais convertie : Marie-Madeleine.

Troisièmement, c’est Marie qui a donné le sens le plus profond au mystère de l’Évangile. L’Évangile de saint Jean est immensément plus mystique que tous les autres Évangiles. Une femme, Marie, qui avait tout médité dans son cœur, a tout rapporté à Jean. Sans Marie, aucun Évangile ne serait aussi profond. On aurait eu des Évangiles avec des anecdotes, des grands miracles. Mais qui a compris que le Verbe s’était fait chair ? Qui a rapporté le discours que Jésus avait dit avant sa mort, son testament ? C’est une femme, c’est Marie. Donc, je pense que si, actuellement, à la lecture des textes à la messe, Ancien Testament, Nouveau Testament, on a parfois l’impression que la femme est quantité secondaire, c’est tout simplement parce qu’on est habitué à juger selon les critères de la Terre. Ce qui prime, c’est le pouvoir. Le rôle du prêtre paraît devant une foule, il est visible, il est glorieux. Cependant, celui de la Vierge Marie, tout en étant caché, est supérieur et lui donne le privilège de rester Reine éternelle du Ciel et de la Terre.

Lucifer a probablement compris, au tout début de la création, que le vrai problème n’était pas le mystère de l’homme, mais le mystère de la femme. Le mystère de la femme en général étant davantage bâtit, à cause de sa maternité, pour l’humilité et l’amour.

 

14. Gn 1,27. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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