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8. Dieu unique

Daria Klanac : Quelle certitude la lecture de la Bible nous donne-t-elle sur l’existence d’un Dieu unique ?

Dieu créateur, icône de Michèle Fischer.
Dieu créateur, enluminure de Michèle Fischer.

Arnaud Dumouch : Si on lit la Bible maintenant, uniquement selon le sens de Dieu, indépendamment des auteurs humains, on aperçoit, comme toujours deux phases. La phase avant le péché originel où là, très nettement, très simplement, il est montré qu’il y a un créateur, le seul, Yahvé, mais accompagné de toute une série de compagnons dont, par exemple, les chérubins aux ailes resplendissantes. Les anges sont présents. Dieu les a créés avant l’homme. Quand Dieu dit : « Que la lumière soit et la lumière fut », saint Augustin interprète ce premier verset de la Bible en disant : « Cela, ce sont les anges. » L’Église catholique aurait tendance à dire maintenant : ce sont, et les anges et la matière du début, les deux à la fois, parce que les sens bibliques sont toujours divers.

La deuxième phase vient à la suite du péché originel, quand l’homme, petit à petit, se dégrade, oublie le sens de ce Dieu unique. Il se met à adorer toutes sortes de créatures : animaux, fantômes, esprits, lune, ciel, étoiles, etc. La phase où Dieu, petit à petit, éduque d’abord un petit peuple pour féconder tous les autres peuples et pour rappeler qu’il est le seul créateur. Dieu procède lentement, au rythme des mentalités. Quand il apparaît à Abraham, il ne lui demande pas de renoncer directement à toutes ses statues, ses idoles, etc. Il se présente à Abraham comme le Dieu d’Abraham, puis à Isaac comme le Dieu d’Abraham et d’Isaac, puis à Jacob, etc., c’est-à-dire un Dieu parmi d’autres. On voit bien d’ailleurs quand Jacob, qui deviendra Israël, fuit son beau-père Laban, sa femme préférée, Rachel, parvient à voler discrètement toutes les idoles domestiques de son père. Elle les cache et les emporte avec elle. Jacob ne fera pas un scandale en disant : « Mais il n’y a qu’un seul Dieu, comment se fait-il que tu aies d’autres dieux ? » Dieu, au départ très simplement, se met au niveau des autres dieux qui sont des faux dieux, c’est-à-dire des statues, des choses. Ensuite, on sait que grâce à Joseph, le fils d’Israël, le peuple hébreu se retrouve en exil en Égypte où là il constate que le peuple a des centaines de dieux : des crocodiles, des chats, toutes sortes de bestioles, à en être écœuré. Sans doute par ethnicisation, par réaction, le peuple hébreu réagit à cela et prend l’extrême inverse.

C’est pourquoi plusieurs centaines d’années plus tard, quand Moïse va fuir l’Égypte, qu’il va partir au désert avec son peuple, on peut dire qu’il va appliquer le projet de Joseph d’Akhenaton et qu’il va réussir. Il le fait de manière intransigeante. Moïse impose, dans son zèle pour Dieu, un monothéisme absolu. Cela veut dire que les anges eux-mêmes disparaissent du Panthéon, sans compter les esprits des morts. Seul Dieu est Dieu. Tout ce qui pourrait rappeler les erreurs dans lesquelles le peuple tombait quand il était chez les Égyptiens est banni.

À un moment donné, Moïse est sur la montagne. Il reçoit les commandements de Dieu. Le peuple s’ennuie et finit par se fabriquer un veau d’or pour se représenter la puissance de Dieu. Sans doute n’est-ce même pas pour être idolâtres ; le veau d’or est peut-être Yahvé qui indique sa puissance, que d’ailleurs l’Apocalypse reprend comme symbole du Christ, le jeune taureau. Quand Moïse descend de la montagne, il est dans une colère totale, au point qu’il casse les Tables de la Loi écrites par le doigt de Dieu. Il leur fait détruire le veau d’or, il jette l’or dans la rivière. Moïse instaure le monothéisme absolu pour éduquer pastoralement son peuple. Il le fait avec brutalité. Cela ne va pas marcher, comme on le voit dans le livre des Rois, le peuple juif en l’exil à Babylone, donc environ sept cents ans avant Jésus-Christ, aura partout des divinités domestiques, des petites statues dans les maisons. D’ailleurs, les fouilles archéologiques faites en Israël montrent qu’avant l’exil à Babylone, il y a partout ces dieux conjointement avec Yahvé et même une femme de Yahvé. Et après l’exil à Babylone par contre, le monothéisme s’impose partout. Quand le peuple revient, visiblement il n’y a plus ces statuettes cachées dans les maisons. La raison de ce changement est sans doute aussi une réaction ethnique. Les Babyloniens adorent de très nombreux dieux. Le peuple hébreu, qui veut survivre, a vu plusieurs de ses tribus s’assimiler complètement aux Babyloniens et disparaître ainsi. Pour éviter que tous les Juifs disparaissent ainsi, la tribu de Juda va se séparer, interdire tout mariage mixte et donc par réaction, se donner de nouveau un monothéisme absolu.

Quand Jésus viendra, le monothéisme est acquis. Jésus, sans problème, se met à parler – comme d’ailleurs dans l’Ancien Testament grec, on le voit très bien dans le livre de Tobie –, de l’existence de Dieu, le seul créateur de l’homme. D’autres créatures qui ne sont pas Dieu, c’est-à-dire des êtres qui appliquent la providence du Dieu unique, ce sont les anges. Jésus est sans arrêt en présence d’anges. Qu’est-ce qui rend donc certain, à la lecture de la Bible, qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Justement, c’est toute la Bible qui montre cette lente pédagogie à travers les temps jusqu’à Jésus-Christ qui distingue bien son Père, l’époux, Dieu unique, d’où il est sorti. Et puis les compagnons de son Père, les anges, ceux qui contemplent le Père face à face et aussi les morts. Les sadducéens nient la vie éternelle parce qu’eux sont fidèles à Moïse qui ne croyait pas du tout à une vie après la mort. Pour Moïse, le paradis est la conquête de la Palestine, du pays de Canaan à l’époque. Jésus dit aux sadducéens qu’en fait ce pays de Canaan était le symbole du paradis. La preuve c’est que le Dieu est bien le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, il n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Il y a plein d’autres textes où Jésus montre cette présence des compagnons de Dieu. Quand il est transfiguré, Élie et Moïse viennent dans la tente et Jacques, Jean et Pierre voient Moïse et Élie. On voit bien que Dieu n’est pas seul. Mais s’il y a un seul Dieu, c’est parce qu’Il est le seul éternel dont le nom est Yahvé, cela veut dire celui qui Est, celui qui n’a jamais commencé d’exister, celui qui n’est pas créé et celui qui est seul à pouvoir créer à partir de rien en disant : « Et cela est. »

D. Klanac : La Bible est-elle la seule source qui permette de comprendre qu’il y a un Dieu unique ?

A. Dumouch : L’Église et l’Ancien Testament ont toujours affirmé que la raison, la réflexion philosophique, indépendamment de la révélation, peuvent comprendre l’existence d’un Dieu unique. Nombre de savants l’ont fait. Quand on regarde le plus petit des microbes, le plus simple des vivants qui est apparus sur Terre, une archéobactérie, il a forcément dès le départ deux facultés : la nutrition et la reproduction. Cette simple petite bactérie est cent millions de fois plus complexe que nos ordinateurs actuels. C’est le premier microbe. On sait très bien que pour qu’il apparaisse, il faut qu’il y ait un ADN extrêmement complexe. Il n’y a pas de vivant sans ADN, c’est-à-dire sans un programme « informatique » écrit précisément. Ces programmes font au minimum cent mille bases, deux cents mille, trois cents mille, qui doivent apparaître du premier coup. Si un microbe a une erreur de programmation et qu’il ne sait pas se reproduire, il meurt dès qu’il a fini sa vie. Peut-on dire que c’est apparu par hasard, par les lois de la matière ? Qu’il y ait une intelligence à la base de la vie, c’est une chose qui peut être facilement comprise. Par contre, si on n’étudie que la vie, on ne peut pas dire que cette intelligence est forcément un Dieu unique. On peut supposer une ingénierie, une intelligence, sans savoir ce qu’elle est.

D. Klanac : Comment découvrir par sa raison un Dieu unique ?

A. Dumouch : De grands savants, comme Albert Einstein, l’ont trouvée, en prenant une voix beaucoup plus radicale, la voix du tout début, du commencement. Apparemment, dans la science actuelle, on peut supposer l’apparition de l’univers, tel qu’on le voit, il y a à peu près quinze milliards d’années. Et on constate que cet univers est tout entier lié à deux propriétés. D’abord, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Au départ, cette loi qui a été découverte par Lavoisier[19], s’appliquait aux choses, aux chaleurs, aux échanges de chaleur. Mais on voit que c’est vrai pour tout. Cela veut dire qu’on n’a jamais vu une réalité quelconque retournée au néant. Le néant, c’est l’absolue non-existence. Le néant n’a jamais produit une réalité. Certains disent que le vide quantique produit des particules. Mais le vide quantique ce n’est pas le néant, c’est plein d’énergie inconnue, des formes d’ondes, la gravitation qui se balade. Et donc, quand apparaît une particule, elle ne vient pas du néant.

Deuxième loi de l’univers : c’est une forme de l’entropie, cela veut dire que tout ce qui est dans l’univers, sans exception, se dégrade, perd de l’énergie, disperse son énergie. L’univers tout entier est un peu comparable à une fusée de feux d’artifice qui aurait explosé il y a quinze milliards d’années. Tout cela va se refroidir normalement, obligatoirement dans quelques centaines de milliards d’années, tout sera éteint, noir et de plus en plus noir éternellement vers l’infini sans jamais disparaître. Si on remonte dans le passé, on voit qu’obligatoirement, il y a un début, un commencement.

D. Klanac : Comment tout cela est-il apparu au début ?

A. Dumouch : On n’a jamais vu le néant créer quoi que ce soit, parce que le néant n’existe pas. C’est une non-cause. Dire que tout a une cause, sauf le point de départ qui serait apparu sans cause, c’est une façon d’être humaniste et athée, mais ce n’est pas une belle façon d’être philosophe. Albert Einstein a dit qu’il lui faut supposer obligatoirement un être qui n’a pas commencé d’exister et qui n’est pas soumis à ces deux lois. Donc, il ne peut pas se dégrader. Pourquoi ?

Si cet être-là se dégrade, perd de l’énergie, il serait mort depuis toujours, usé, ayant perdu sa propre énergie. Donc, il doit être parfait, acte pur, plénitude. Un être comme ça, c’est l’infini, c’est l’éternité, c’est vertigineux. Il faut qu’il soit un, parce qu’il n’y a pas de place pour plusieurs dans l’absolu de cet acte. Le seul problème est qu’il projette un mystère : comment comprendre un être sans limites, éternel, qui n’a jamais commencé d’exister. Albert Einstein, qui était juif, avait quand même remarqué qu’il était assez étonnant de voir qu’à ce barbare, cet homme du néolithique qu’est Moïse, la première révélation que Dieu donne, c’est justement Yahvé : Je suis Celui qui Est, ce qui signifie Eternel. C’est un nom vertigineux pour l’intelligence d’un berger qui n’a pas fait de métaphysique. C’est comme cela que Dieu se révèle au départ dans la Bible, et on voit là que la raison rejoint la Révélation.

 

19. Antoine Laurent de Lavoisier (Paris 1743, guillotiné en 1794) chimiste, philosophe et économiste français. Il a énoncé la première version de la loi de conservation de la matière, identifié et baptisé l’oxygène (1778), démis la théorie phlogistique, et participé à la réforme de la nomenclature chimique. Il est souvent fait référence à Lavoisier en tant que père de la chimie moderne. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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