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DEUXIÈME PARTIE : « … ET À L’HEURE DE NOTRE MORT »
CHAPITRE 2
Le choix final
La mort est l’entrée définitive dans l’autre monde
Le jugement dernier
Le choix final
Johann avait choisi. Son choix était définitif, total et libre. La joie semblait emplir tout l’espace. Johann était sauvé. Il venait de réaliser la parole de l’Écriture Sainte: “Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix neuf justes qui n’ont pas besoin de se repentir[94]”. Comme le chante le livre de l’apocalypse[95], Johann venait de vaincre l’Accusateur, “celui qui l’accusait devant Dieu”, grâce au regard qu’il avait porté sur le Fils d’Homme, sur “l’Agneau”.
« Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. »
Après avoir vu l’importance des instants qui achèvent notre vie terrestre et préparent notre destin éternel, il est aisé de comprendre le sens de cette prière. Prier pour les mourants est l’un des apostolats les plus grands. Il sauve les indécis. Il les fait se livrer de toute leur âme à l’amour de Dieu. Il en sera ainsi pour nous. Lorsque à l’heure de notre mort nous comprendrons à quel point Marie n’a cessé de prier Dieu pour notre salut, lorsque nous verrons de nos yeux l’angoisse de ceux qui sur la terre prient pour nous, nous comprendrons mieux à quel point les propositions du démon, pourtant séduisantes, ne sont que fumées. Tant de personnes espèrent nous voir dans le bonheur du ciel. Qu’est, devant cela, la fausse liberté solitaire proposée par Satan?
Il nous faut maintenant continuer notre voyage à travers la mort, sans cesser de nous appuyer sur l’enseignement de l’Église, des saints et des théologiens. Nous avions suivi le chemin de Johann. Nous l’avions laissé au moment où il choisit de se convertir vers la vie proposée par Jésus. Rappelons qu’il fit son choix en toute liberté et lucidité, connaissant parfaitement la voie proposée par le démon.
De la même façon, nous aurions pu raconter ce qu’avait vécu sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. La phase visible de sa mort nous est rapportée par ses sœurs. Elle connut des angoisses terribles. Le démon l’approcha dans ses moments ultimes, s’efforçant de la plonger dans le désespoir puisque c’était là une des faiblesses où il savait pouvoir l’ébranler. Mais Thérèse, dans la nuit totale, rongée par la souffrance physique, ne cessa de prier Jésus, auquel elle n’avait même plus l’impression de croire[96].
Puis son visage s’illumina. Elle rencontra Jésus et elle fut surprise. Elle, la plus grande sainte des Temps modernes, elle, qui n’avait jamais cessé de vivre dans son intimité, n’avait pas compris à quel point elle était aimée! Marie était présente avec Jésus car elle avait désiré sa présence. Il y avait aussi sa maman, son papa, tous ceux qu’elle avait aimés. Comme Johann, délivrée de la souffrance, elle connut cette phase intermédiaire que nous appelons “l’heure de la mort” et qui précède la séparation totale d’avec le corps charnel et ce monde. Elle vit Pranzini, le criminel pour qui elle avait prié durant son enfance. Il émanait de lui reconnaissance et gratitude : “Vous m’avez sauvé!”. Le démon approcha Thérèse. Il lui tint son discours. Il utilisa toute la puissance de sa rhétorique. Mais que pouvait le prince des démons devant l’humilité d’une sainte? Elle était inaccessible car elle ne cessait de regarder Jésus: “Tant de temps, je t’ai attendu”, lui disait-elle. Le démon était humilié. Si un pur esprit pouvait éprouver des sentiments, il faudrait dire qu’il étouffait de rage et d’impuissance. Une fois de plus une simple enfant ne lui faisait même pas l’honneur de l’écouter. S’il avait trouvé quelque prise en Johann, le jeune soldat allemand, c’est que celui-ci avait aimé le péché durant sa vie terrestre. Ayant vécu dans l’orgueil, il en avait pris le goût. Mais Thérèse était humble et elle aimait son Dieu. Elle l’avait aimé jusqu’à la mort, une mort terrible. Le démon dut se taire et s’en aller. Thérèse était du monde de Dieu. Son choix était fait, plus rien ne la retenait à la terre.
La mort est l’entrée définitive dans l’autre monde[97]
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur d’en juger)
La mort physique pouvait donc achever son oeuvre. Qu’est ce que la mort sinon une séparation de la personne d’avec son corps charnel, sans possibilité de retour? Johann était face au visage de Jésus et de Marie. Ils l’invitèrent à s’avancer, à pénétrer sans crainte dans l’autre monde. Il entendait le son de leur voix. Johann vivait doucement le dernier moment de sa mort. Il lui fallait simplement franchir une sorte de porte, un passage dont il comprenait intimement qu’il le séparerait à jamais de tout retour charnel sur terre, du moins jusqu’à la fin du monde et la résurrection. Il ne quittait pas des yeux les habitants du Ciel. Il voyait de ses yeux leurs yeux, il entendait de ses oreilles leurs invitations à s’avancer. Il franchit le passage. Il était entré dans l’Autre monde. Il était mort.
Depuis quelques années, la recherche théologique sur l’heure de la mort a été confrontée à une nouvelle expérience, devenue de plus en plus fréquente grâce à la médecine. Des personnes, ayant approché la mort à la suite d’un arrêt cardiaque, ont pu être réanimées. Leur témoignage permet de rectifier certaines conclusions qui ne paraissent plus aussi sûres que jadis. En effet, les conclusions des théologiens anciens consistaient à décrire la mort comme la séparation de l’esprit du mourant avec tout ce qui est corporel en lui. « Il perd donc non seulement son corps physique mais aussi les facultés de son psychisme, celles qui sont liées à l’organe du cerveau (sensations, imagination, mémoire des images, passions sensibles) », dit saint Thomas d’Aquin. Il ne subsiste donc selon lui qu’un pur esprit (intelligence et l’amour dans ce qu’il a de volontaire). Dans cette hypothèse, un mort oubliait la forme du visage de sa mère, mais se souvient de sa personnalité.
Or le témoignage des rescapés est unanime et leur expérience ne semble pas devoir être mise en doute. Lorsque des proches décédés depuis longtemps les rejoignent dans leur approche de la mort, ils possèdent tous une sorte de corps psychique visible et doté de sensations. Il s’agit d’un véritable corps, quoique non palpable car séparé de toute chair. Il est visible du moins pour les habitants de l’au-delà et est le siège d’une vie sensible. S’il est le siège d’une vie sensible (s’il voit les corps lumineux, entend les sons etc.) c’est qu’il est fait d’une forme de matière, probablement d’un état de la matière encore inconnu, qui n’est ni celui des corpuscules ni celui des ondes[98]. Il est à l’image du corps astral des bouddhistes.
Qu’est-ce donc que la mort? On doit semble-t-il en changer la définition théologique. Elle n’est pas la séparation de l’esprit et de tout le corps. Elle implique seulement la perte d’une partie du corps, la chair, siège des facultés végétatives. Les morts ne sont donc pas des esprits purs à l’image des anges mais des personnes humaines dotées d’un visage sensible reconnaissable dans l’autre monde.[99]
D’autre part, la mort est un phénomène définitif. On ne revient jamais de l’au-delà, sauf par miracle, c’est-à-dire par une volonté de Dieu qui contredit ponctuellement les lois de la biologie (la résurrection de Lazare en est un exemple). Au plan du corps qui reste sur la terre, la mort se caractérise par sa destruction définitive (après une dizaine de minutes sans oxygène, le cerveau ne sera jamais réutilisable. La mort est clinique.) Au même moment, la personne séparée de sa chair, « l’âme spirituelle et psychique » passe symboliquement une sorte de porte. A l’invitation des anges, elle entre dans l’autre monde. Elle comprend qu’elle quitte le pèlerinage terrestre. Abraham montre que la séparation d’avec le monde d’ici-bas est définitive[100]. « Ce n’est pas tout. Entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer d’ici chez vous ne le puissent, et qu’on ne traverse pas non plus de là-bas chez nous.[101] »
Ceci ne veut pas dire qu’un mort ne revient jamais sur terre. Au contraire, des saints du paradis ne cessent d’y apparaître. Mais ils n’y reviennent pas avec leur corps de chair, avant que Dieu ne le leur rende.
Le jugement dernier
(Chose certaine)
La sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus entendit Jésus lui parler. Les mots étaient accompagnés de toute leur signification intérieure: “Thérèse, tu es bénie entre toutes les femmes. Tu aimes Dieu et tes frères plus que ta propre vie. Entre dans la Vision de ton Dieu, ton époux.” Cette parole reçue par Thérèse est ce que l’Église a appelé son “jugement dernier”. Pour Johann, en qui subsistait malgré son grand amour pour Jésus, quelques restes du péché à purifier, ce fut un peu différent. “Johann, tu es béni entre tous les hommes. Parce que tu as été beaucoup pardonné, tu as beaucoup aimé. Tu es digne de la vie éternelle. Lorsque ton âme aura achevé sa purification, tu verras Dieu face à face.” Ce jugement est le dernier car Johann comme Thérèse ne peuvent plus se détourner de Dieu. Leur choix est tellement lucide qu’ils ne reviennent pas en arrière. Nous verrons, en temps voulu, qu’il en est de même pour les âmes qui choisissent l’enfer.
Le jugement dernier de l’âme a donc lieu après la mort. Tout ce que nous avons décrit à propos de “l’heure de la mort” n’est que la préparation à ce jugement venant du Christ. L’homme est conduit dans sa mort à dire oui ou non à la vie de la grâce. Le Christ ratifie après sa mort son choix[102].
Nul ne peut échapper à la nécessité de choisir. Chacun arrive donc dans l’autre monde, qu’il ait été bouddhiste, athée, musulman ou chrétien, avec une volonté explicitement tournée ou détournée de l’amour de Dieu. Chacun est devenu librement disciple du Christ ou disciple de l’Antéchrist. Alors, ratifiant ce choix de l’âme, Jésus prononce la sentence éternelle, le jugement ultime. Si l’âme a choisi l’amour, il lui révèle qu’elle recevra ce qu’elle désire. Il y a une telle force dans cette parole que la joie de celui qui la reçoit est immense. Il croit qu’il verra Dieu. Il sait qu’il vivra pour l’éternité au paradis. Cela se réalisera en temps voulu parce que Jésus a parlé. On n’ose imaginer l’allégresse de celui qui, se sachant pourtant indigne, reçoit une telle promesse.
De même, celui qui entend prononcer la sentence de la damnation sait que c’est une parole définitive, comme l’est son choix égoïste. Nous verrons au chapitre suivant que c’est à cause de la pleine lucidité et liberté du choix des damnés.
Tous les hommes sans exception passent en jugement. Chacun reçoit de Jésus la sentence qui lui convient. Ceux qui aiment Dieu ne se jugent pas eux-mêmes dignes de la vie éternelle, tant ils ont conscience de leur imperfection. Marie elle-même, la sainte Immaculée, se voyait plus que toute autre misérable et poussière devant Dieu. Elle n’avait jamais péché mais toute sa vie, elle se reconnaissait misérable devant Dieu[103]. Elle reçut donc de son Fils la révélation de ce qu’elle méritait.
Quant aux âmes obstinées par orgueil, elles voudraient bien voir Dieu. Elles s’estiment dignes de ce bonheur. Elles le désirent même puisqu’elles savent que cela seul peut les rendre heureuses. Mais elles préfèrent tout perdre plutôt que de s’abaisser à l’humilité. Devant un tel orgueil, devant leur présomption à vouloir entrer de force dans la vision de la Trinité, Jésus est obligé de leur manifester qu’elles ne méritent pas de voir Dieu: “Allez-vous en loin de moi, maudits. Je ne vous connais pas[104]”. Chacun est donc jugé par Jésus. Nul n’est capable de se juger lui-même en bien ou en mal. Cependant, ce jugement est vrai car il correspond au fond de l’âme.
94. Luc 15, 7. [↩]
95. Apocalypse 12, 10. [↩]
96. C’est la nuit de l’esprit, décrite par saint Jean de la Croix. [↩]
97. J’essaye ici de donner une nouvelle définition théologique de la mort, en m’appuyant sur les découvertes concernant la N.D.E. Elle ne fait que rendre plus précise la définition ancienne: séparation de l’âme et du corps en y intégrant le psychisme. [↩]
98. Certains physiciens, confrontés à de curieuses expériences dans le domaine des corpuscules plus petits que les atomes, parlent de l’existence d’une « matière psychique », d’un état de la matière qui change son comportement si elle est observée. Tout un domaine nouveau semble s’ouvir à la science physique. Pour la théologie, d’autres questions se posent. Cette matière est elle soumise à l’usure (l’entropie) comme toute la matière que nous connaissons ici-bas ? Si oui, d’où lui vient sa subsistance ? Saint Thomas aurait répondu que l’incorruptibilité lui vient de l’énergie de l’âme ou de la puissance de Dieu qui décide, dans l’autre monde, d’arrêter l’entropie… [↩]
99. Le psychisme survit. Les sensations demeurent. L’autre monde est donc un monde sensible et non exclusivement spirituel. D’où les témoignages de ceux qui ont approché la mort et qui voient des paysages magnifiques, des jardins luxuriants. Ce ne sont pas des rêves mais la vision objective de l’autre monde. Les paganismes anciens connaissaient cela. Les romains décrivent par exemple le paradis : « Si vous vous retrouvez tout seuls, chevauchant de verts pâturages avec le soleil sur le visage, n’en soyez pas troublés. Car vous êtes aux champs élysées et vous êtes déjà morts. Ce que vous faites dans la vie résonne pour l’éternité ». (Allocution du Général romain Maximus, « Gladiator », Ridley Scott, 2000. Le Concile Vatican II témoigne de la part d’Esprit et de vérité qu’ils avaient reçue, même s’ils ignoraient la raison de toutes ces choses. [↩]
100. Matthieu 16, 26. [↩]
101. Nous verrons au chapitre consacré au purgatoire qu’il peut exister des âmes qui restent bloquées dans la mort, c’est-à-dire entre ce monde et l’autre. Leur l’attachement à la terre est si grand que ce contretemps leur est utile pour progresser. Leur chair est pourtant morte. Elles restent errantes, ici-bas, pendant parfois des siècles. Elles sont dans ce que l’Ancien Testament appelait le shéol, l’Hadès, autrement dit en français, la mort. Le Christ ne leur est pas encore apparu dans sa gloire. [↩]
102. L’Église proclame de manière dogmatique ce fait par la voix de Benoît XII dès le XIIIe siècle: « Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, Nous définissons que, d’après la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde sont au Ciel avec le Christ aussitôt après leur mort et la purification dont nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection dans leur corps et le Jugement général, et cela depuis l’Ascension du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ au Ciel.
En outre, nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines infernales. » [↩]
103. Elle offrit même les deux colombes pour le péché après la naissance de Jésus, elle qui conçut de manière virginale. [↩]
104. Matthieu 25, 12. [↩]
Arnaud Dumouch, L’heure de la mort, Éditions Docteur angélique, Avignon, 2006.