QUESTION 45: La conflagration du monde
Article 1: Le monde doit-il être purifié?
Article 2: Cette purification se fera-t-elle par le feu?
Article 3: Ce feu purifiera-t-il les Cieux supérieurs?
Article 4: Tous les éléments terrestres doivent-ils être purifiés par le feu?
Article 5: La dernière conflagration du monde précèdera-t-elle la résurrection des corps?
Article 6: La dernière conflagration suivra-t-elle le jugement?
Article 7: Le feu produira-t-il sur les hommes les effets indiqués par le Maître des Sentences?
Article 8: Ce feu engloutira-t-il les réprouvés?
Article 1: La béatitude des élus exige-t-elle quelques biens extérieurs?
Article 2: Une société d’amis est-elle nécessaire à la béatitude?
Article 3: Le monde sera t-il renouvelé?
Article 4: La clarté des corps célestes sera-t-elle augmentée en cette rénovation?
Article 5: Les éléments opaques du monde seront-ils renouvelée par la réception d’une clarté?
Article 6: Y aura-t-il des plantes et des animaux dans le monde nouveau?
Il nous faut maintenant étudier la transformation du monde qui accompagnera la résurrection des corps. Elle sera précédée par une purification des éléments qui s’accomplira par le feu.
A propos de la conflagration du monde, nous nous poserons huit questions :
Article 1: Le monde doit-il être purifié?
Article 2: Cette purification se fera-t-elle par le feu?
Article 3: Ce feu purifiera-t-il les Cieux supérieurs?
Article 4: Tous les éléments terrestres doivent-ils être purifiés par le feu?
Article 5: La dernière conflagration du monde précèdera-t-elle la résurrection des corps?
Article 6: La dernière conflagration suivra-t-elle le jugement?
Article 7: Le feu produira-t-il sur les hommes les effets indiqués par le Maître des Sentences?
Article 8: Ce feu engloutira-t-il les réprouvés?
Objection 1 : Seul ce qui est impur a besoin d’être purifié. Mais les créatures de Dieu ne le sont point : « Ce que Dieu a déclaré pur, ne le déclare pas impur ».
Objection 2 : La purification opérée par la justice divine a pour objet le péché, par exemple, en purgatoire. Mais il ne saurait rien y avoir de pareil dans les éléments de l’univers.
Objection 3 : Purifier une chose, c’est séparer d’elle ce qui lui est étranger et la diminue. Lui enlever ce qui l’ennoblit, ce n’est plus la purifier, mais l’amoindrir. Or leur combinaison rend les éléments cosmiques plus parfaits et plus nobles, puisque la forme du corps composé est supérieure à celle du corps simple. La purification de l’univers semble donc inadmissible.
Cependant : 1. Tout renouvellement exige une certaine purification. Or, les éléments seront renouvelés : « Je vis un nouveau Ciel et une nouvelle terre, car le premier Ciel et la première terre avaient disparu ».
2 ». La figure de ce monde passe », dit saint Paul et la Glose ajoute : « La beauté de ce monde périra dans la conflagration universelle ».
Conclusion : Dieu commencera l’oeuvre de renouvellement du monde en détruisant. Saint Pierre nous décrit son action : « Il viendra, le jour du Seigneur, comme un voleur. En ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les oeuvres qu'elle renferme sera consumée”[2]. Comme tous les textes apocalyptiques, ce texte parle en premier lieu de notre mort individuelle. La glorification du corps humain exige la disparition des trois choses qui, à savoir, 1° la corruptibilité naturelle liées au propriétés provisoires de toute la matière de ce monde ; 2° La souillure du péché : « La corruption ne possédera point l’incorruptibilité », tous les immondes seront « exclus » de la cité glorieuse ; 3° Ce qui étant saint mais provisoire, sera périmé. Mais ce texte décrit aussi la fin de notre planète. Il y aura aussi trois motifs :
1° La corrupotibilité naturelle des choses : Ainsi faut-il que les éléments cosmiques soient débarrassés des dispositions contraires à l’incorruptibilité (l’entropie) avant d’être renouvelés et glorifiés. Puisque le monde a été fait à certains égards pour l’homme, il faut que lorsque l’homme sera glorifié dans son corps, les autres êtres corporels soient améliorés, afin que l’univers devienne un séjour à la fois plus convenable et plus agréable.
2° Les vestiges des péchés : Dans les parties où l’homme a vécu, il faut aussi que disparaissent les vestiges archéologiques marqués par son péché. Sans doute, le péché ne peut pas, à proprement parler, souiller les choses corporelles. Il met cependant en elles une espèce de répugnance à un enrichissement spirituel. Les lieux profanés par certains crimes sont jugés impropres aux cérémonies religieuses, tant qu’ils n’ont pas été purifiés. D’après ce principe, la partie de l’univers où vivent les hommes a contracté, à cause de leurs péchés, une certaine inaptitude à être glorifiée, et donc un besoin de purification. De même, les éléments de la partie intermédiaire, de par leur contact avec les nôtres, subissent des influences : corruption, génération, altération, qui les dégradent et exigent qu’ils soient purifiés, eux aussi, avant d’être renouvelés et glorifiés.
3° Ce qui, pourtant saint, sera périmé : Personne ne regrettera les cathédrales gothiques, où l’on priait si mal au temps où Dieu se cachait dans son eucharistie, puisque le même Dieu sera vu face à face dans le temple nouveau de l’univers. Personne ne voudra garder les immenses bibliothèques puisqu’on lira les sciences à livre ouvert sur le visage de Dieu. Il ne devra rien subsister du monde ancien, pas pierre sur pierre, car le monde nouveau le remplacera. Même les oeuvres faites par Dieu pour cette terre disparaîtront. Les textes des Evangiles seront brûlés par le feu dont parle saint Pierre[3] : nous aurons le Christ lui-même qui est l’Évangile incarné, présent devant nos yeux.
Après la destruction de la terre, Dieu commencera à façonner un nouvel univers. Il s’agira d'un univers physique, tout autant que notre corps, mais adapté à sa nouvelle vie. Il sera donc comme lui éternel, délivré de toute corruption et génération, dispensé de cette loi de désagrégation (l'entropie) qui nous tient actuellement. C'est Dieu lui-même qui, en le soutenant comme il soutiendra notre corps et le dispensera de se nourrir, le rendra incorruptible.
Solution 1 : Quand on dit que toute créature de Dieu est pure, il faut entendre que sa substance ne contient aucun mélange de mal, au sens des Manichéens qui prétendaient que le bien et le mal sont deux substances, tantôt séparées, tantôt mêlées. Mais cela n’exclut pas la possibilité d’un alliage par lequel une chose, bonne en elle-même, déprécie cependant celle à laquelle elle s’allie. Cela n’exclut pas non plus la possibilité du mal pour une créature, mais toujours comme un accident, et jamais comme une partie essentielle.
Solution 2 : Quoique les éléments corporels ne puissent être le sujet du péché, celui-ci leur fait cependant contracter une certaine inaptitude à recevoir leur glorification.
Solution 3 : Le fait que les corps soient composés d’une structure complexe ne les rend corruptibles qu’ici-bas, non à cause de cette complexité elle-même mais à cause de la faiblesse de leur cause d’unité (physis pour les corps minéraux et psyche pour les vivants) trop faible à les garder incorrompus. Dans l’au-delà, les corps composés seront revêtus de la force incorruptible de leur cause d’unité transfigurée par Dieu. Ils resteront donc composés mais ils seront, grâce à cette puissance venant de Dieu, l’Acte pur, débarrassés pour toujours s effets de la loi de l’entropie.
Objection 1 : Le feu, étant une partie de l’univers, a besoin, autant que les autres, d’être purifié ; mais il ne peut pas l’être par lui-même.
Objection 2 : Aussi bien que le feu, l’eau sert à purifier, et certaines purifications lui étaient réservées dans l’ancienne Loi. La purification de l’univers, du moins dans sa totalité, ne se fera donc pas par le feu mais par l’eau.
Objection 3 : Elle semble devoir consister à désagréger les parties qui composent l’univers afin de les rendre plus pures. Mais « cette œuvre de distinction », à l’origine du monde, eut pour cause la seule puissance divine ; Anaxagore dit qu’elle est un acte de l’intelligence qui meut toutes choses. La purification finale sera donc faite par Dieu lui-même, et non par le feu.
Cependant : 1. La réponse affirmative est suggérée par un texte des Psaumes qui parle en ces termes de la fin du monde et du jugement ». Devant lui est un feu dévorant, autours de lui se déchaîne la tempête. Il appelle les cieux en haut, et la terre, pour juger son peuple ».
2. Saint Pierre dit aussi[5] : « Les cieux enflammés se dissoudront, et les éléments embrasés se fondront ».
Conclusion : La purification de l’univers est destinée non seulement à enlever la souillure résultant du péché, l’impureté consécutive au mélange des éléments, mais aussi à préparer l’état glorieux. Le feu convient très parfaitement à ce triple effet : - 1° Il est le plus noble des éléments, celui dont les propriétés naturelles, par exemple et surtout la lumière, ressemblent le plus à celles de la gloire. – 2° L’énergie de son activité rend un alliage avec lui plus difficile qu’avec tout autre élément – 3° La sphère ignée est éloignée du globe terrestre, demeure des hommes, et ceux-ci emploient le feu moins communément que la terre, l’eau ou l’air ; il est donc par là même moins contaminé. Pour ces motifs, il possède une grande efficacité pour purifier et diviser jusqu’aux parties les plus subtiles.
Cependant, la science moderne permet peut-être d’aller plus loin dans la recherche de la nature de ce feu. Puisqu’il renouvellera de manière fondamentale l’état de la matière atomique, l’entropie n’étant pas supprimée en elle-même (sans quoi la matière ne serait plus de la matière) mais empêchée d’agir par une action de Dieu, on peut penser que ce feu agira au moins au niveau atomique si ce n’est plus profondément, au niveau des particules qui forment les atomes ou encore au niveau plus radical de la lumière première qui compose l’univers.
Solution 1 : C’est uni à une matière étrangère que le feu, est employé par l’homme ; mais, considéré comme l’énergie matérielle fondamentale, il n’est pas susceptible d’être souillé par l’homme et c’est en cet état de pureté originelle qu’il pourra purifier et comme raffiner le feu que nous employons.
Solution 2 : Le déluge purifia le monde de la souillure du péché, et surtout du péché de convoitise auquel l’eau convenait bien comme élément purificateur. La purification finale ayant pour objet et la souillure du péché et la corruptibilité du monde, le feu parait lui convenir mieux que l’eau. Celle-ci est plus apte à amalgamer qu’à désagréger, et donc moins capable de séparer les éléments pour les purifier. D’autre part, à la fin du monde, devenu vieux, pour ainsi dire, le grand péché, ce sera la tiédeur : « La charité d’un grand nombre se refroidira ». Il convient donc qu’il soit purifié par le feu. Il n’y a rien qui ne puisse être purifié par le feu. Cependant, certaines choses ne peuvent l’être sans être consumées, par exemple, les linges, les ustensiles en bois, etc., dont l’ancienne Loi ordonnait la purification par l’eau. Mais, à la fin du monde, toutes ces choses doivent être détruites par le feu.
Solution 3 : Par l’œuvre de distinction, les choses ont reçu à l’origine les formes diverses qui les distinguent les unes des autres. Cette action fut opérée par Dieu comme cause première et, comme cause seconde, par l’action des anges sur les lois de la matière. Dieu ne fut à l’origine, par sa Toute-puissance, que de l’œuvre de la création à partir de rien (la matière première et les esprits). La purification finale doit ramener les choses à la pureté de leur création ; et, en cela, une créature peut servir d’instrument au Créateur. Il est plus facile en effet de détruire que de construire.
Objection 1 : Les cieux supérieurs sont les parties du cosmos qui ne font pas partie de l’environnement immédiat de la terre. Ils font partie de la création : Le psalmiste dit[6] : « les cieux sont l’ouvrage de tes mains. Ils périront, mais toi, tu demeures ». Ils doivent donc être atteints par la conflagration universelle.
Objection 2 : « Les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront » dit saint Pierre[7]. Donc l’univers entier et les galaxies seront purifiés par le feu.
Objection 3 : Le feu doit purifier chez les êtres corporels tout obstacle à leur glorification. Or, dans le ciel supérieur se rencontre un double obstacle : l’un vient du péché, puisque c’est là que le démon a péché. L’autre vient de leur nature-même ; ces paroles de saint Paul[8] : « Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit et souffre dans les douleurs de l’enfantement », sont ainsi commentées par la glose : « Tous les éléments remplissent leur fonction avec effort ; ce n’est pas sans effort que le soleil et la lune agissent dans les espaces qui leur sont assignés ». Leur purification s’impose donc.
Cependant : « Ce qui est pur n’a pas besoin d’être purifié » dit le Seigneur[9]. Or le cosmos est resté vierge de toute influence du au péché de l’homme. Donc il ne sera pas purifié par le feu.
Conclusion : La purification finale doit éliminer des êtres corporels ce qui y est contraire à l’état glorieux, qui sera comme l’apothéose de l’univers. Or, seules les traces laissées par le péché de l’homme constituent une réelle souillure. En effet, la matière en elle-même, n’est pas capable de péché. Elle ne peut être en rapport avec le péché que dans la mesure où elle en a été par quelque manière l’instrument. Il en est ainsi pour notre corps qui ne se structure pas seulement dans l’influence des actes bons mais aussi par l’influence de toutes les pensées, de tous les actes mauvais. Il en est de même pour la terre qui est marquée par les œuvres de l’homme. Ainsi convient-il que l’or dans lequel l’homme a mis son cœur, les maisons dans lesquelles il a péché, la terre où le sang des innocents a été versé soient purifiés par le feu et réduits à leurs éléments avant d’être transformés en un monde nouveau. Mais les cieux supérieurs que l’homme ne peut atteindre ne peuvent en aucune manière avoir été souillés par son péché. Ils seront donc transformés, sans passer par la dissolution, d’une façon analogue au corps immaculé de la Vierge qui fut transfiguré sans passer par la mort.
Solution 1 : Saint Augustin remarque qu’il s’agit ici des cieux aériens, c’est-à-dire de l’atmosphère de la terre qui sera purifié à cause des pollutions opérées par le péché de l’homme. Si on veut appliquer ce texte aux cieux supérieurs c’est-à-dire au cosmos où sont les étoiles, il faut répondre qu’ils auraient péri par arrêt de leur mouvement et par extinction finale de leur rayonnement si Dieu n’était intervenu pour renouveler leur énergie limitée.
Solution 2 : Saint Pierre parle comme il s’en explique lui-même « des cieux et de la terre qui furent atteint par le déluge, et que la même parole de Dieu tient en réserve et garde pour le feu, au jour du jugement ». Il s’agit donc seulement de l’atmosphère terrestre, c’est à dire des cieux aériens.
Solution 3 : Cet effort, cette contrainte, que saint Ambroise attribue aux corps célestes, n’est autre chose que leur inertie naturelle qui les conduit insensiblement à ralentir leur mouvement. Quant au péché des mauvais anges, ce n’est que par métaphore qu’on le dit avoir lieu dans les cieux. Ils n’ont pas de corps donc pas de lieu.
Objection 1 : Certaines parties de la terre n’ont pas été atteintes par le péché de l’homme comme les profondeurs des abîmes marins ou le centre de la planète qui est déjà un feu.
Objection 2 : Certaines oeuvres de l’homme sont le fruit de la charité : telles par exemple les cathédrales et les hauts lieux consacrés au culte de Dieu. D’autres manifestaient la profondeur du cœur humain comme les oeuvres d’art ; D’autres enfin contiennent ce que l’intelligence a découvert à force de recherche, comme les livres. Il semble donc qu’ils ne doivent pas être purifiés par le feu, c’est-à-dire détruits.
Objection 3 : Les animaux, les plantes furent crées par Dieu qui les fit bons. Il ne convient donc pas que ces merveilles de la nature soient détruites par le feu.
Objection 4 : la matière minérale est organisée selon des structures simples qui sont les atomes. Il semble que ceux là au moins ne doivent pas être détruits par le feu.
Cependant : Saint Pierre dit[10] : « Les éléments embrasés se dissoudront ».
Conclusion : La terre, dans son ensemble, est le lieu où les hommes ont vécu. Elle a donc été atteinte par son activité selon tout ce qu’elle est. Et cela peut être démontré en comparant l’état du monde actuel avec celui que nous décrit l’Écriture Sainte avant le péché originel. Dans cet état, l’homme vivait en harmonie totale avec la nature. Les animaux venaient librement vers l’homme, sachant intuitivement qu’ils n’avaient rien à en craindre. Il convient donc que la planète dans son ensemble soit purifiée par le feu.
Solution 1 : Le désordre de l’âme de l’homme a une influence mystérieuse sur l’ordre même du monde minéral. Et on en a des signes dans les tremblements de terre et les catastrophes naturelles qui ont marqué l’histoire humaine. Ce désordre est certes naturel. Mais le silence et la passivité de Dieu et des anges qui n’en protègent pas l’humanité tient au fait que l’homme a voulu après le péché originel en faire un lieu définitif, quitte à se séparer de Dieu. L’harmonie du matériel provisoire vers le spirituel a été détruite par le péché originel. L’univers et ses colères sont devenu un signe pour l’homme de son erreur.
Solution 2 : Il n’est pas d’œuvre humaine où le péché n’ait, par quelque manière, mis sa tâche. Ainsi, la construction des cathédrales s’accompagna bien souvent de calculs financiers indignes de Dieu, de vanité dans le travail et de tous les péchés de l’homme. C’est pourquoi le Seigneur, montrant la beauté du temple de Jérusalem qui était la huitième merveille du monde, affirma qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre. En outre, on doit dire que les cathédrales chrétiennes sont des lieux de culte provisoires puisque, dans la gloire, il y aura un temple nouveau, non construit de main d’homme et qui sera l’esprit de chacun où Dieu habitera. De même, la connaissance humaine limitée ne servira plus et sera remplacée par la science même de Dieu.
Solution 3 : Au cours des générations, les vivants ont connu dans leur structure essentielle, c’est-à-dire dans leur patrimoine génétique, des déviations et des corruptions qui aboutirent à la dégradation des espèces. L’homme lui-même n’hésite pas à intervenir directement sur le chiffre des vivants. Ces dégradations doivent disparaître. C’est pourquoi le feu fera disparaître toute vie à la fin du monde.
Solution 4 : En temps qu’il purifie les traces physiques du péché passé, le feu a pour effet de réduire les corps composés à leurs éléments atomiques. Il n’est pas nécessaire que la purification aille plus loin. Ainsi, lorsque l’on veut faire disparaître un objet de culte profane, se contente-t-on de le réduire en poussière. Mais en tant qu’il prépare un nouvel état de la structure de la matière, il se peut qu’il soit plus radical et qu’il touche à la matière première.
Objection 1 : Le monde nouveau sera créé par Dieu afin que les élus puissent contempler avec leurs yeux de chair l’éclatante merveille de la sagesse de Dieu qui transparaîtra dans la création renouvelée. Il est donc convenable que cette transformation du monde se produise au même moment que la résurrection. Donc le feu purificateur doit intervenir auparavant.
Objection 2 : Si la résurrection des corps doit avoir lieu avant la transformation de l’univers, les élus n’auront pas de lieu convenable où vivre avant que cette oeuvre soit réalisée. Cela parait inconvenant.
Cependant : Lors du retour du Christ, certains hommes seront trouvés encore vivants et ne mourront pas. Il n’est donc pas possible que le feu intervienne avant leur transformation sans quoi ils seraient réduits en cendre par le feu.
Conclusion : La conflagration du monde qui précédera sa transformation dans un monde nouveau est comparable à la mort qui aboutit à la destruction du corps et précède la résurrection. Ainsi, de la même façon que la mort précède la résurrection, la conflagration du monde précèdera sa transformation. Concernant l’ordre entre la conflagration du monde et la résurrection des corps, il y a plusieurs opinions. Certains, pensant que tous les hommes mourraient, y compris ceux de la dernière génération, affirmèrent que le feu précéderait la résurrection puisque ce serait lui qui conduirait à la mort les derniers hommes. Mais on a vu que cette opinion s’oppose à l’autorité de saint Paul. Aussi il vaut mieux parler autrement : Après le retour du Christ, tous les morts ressusciteront, tous les vivants seront transformés et seront rendus impassibles. Ensuite se produira la destruction de la terre et la création à partir de la matière préexistante du monde nouveau. Il semble donc que l’humanité entière assistera au spectacle de cette transformation qui manifestera avec puissance la gloire de Dieu.
Solution 1 : Les élus pourront éternellement louer Dieu dans leur corps dont les sens seront comblés par les bienfaits préparés à travers tout l’univers. Et cette joie commencera dès l’heure de la résurrection par le spectacle grandiose de la métamorphose de l’univers.
Solution 2 : Le corps glorifié des élus peut vivre indifféremment dans n’importe quel lieu puisqu’il est impassible et non soumis aux conditions habituelles de la vie terrestre. Ainsi, dès aujourd’hui, les corps de Jésus et Marie peuvent être présents partout où leur volonté le désire. Il en sera ainsi après la résurrection.
Objection 1 : Saint Augustin le dit : « Quels sont les signes qui doivent arriver à ce jugement ou non loin de là ? Les voici : l’arrivée d’Élie de Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l’Antéchrist, le jugement du Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, l’embrasement du monde et son renouvellement ».
Objection 2 : Il le répète : « Après que les impies auront été jugés et jetés au feu éternel, alors la figure de ce monde périra dans une conflagration universelle ».
Objection 3 : Quand le Seigneur viendra pour juger, il y aura encore des vivants, auquel saint Paul fait dire : « Alors, nous, laissés pour l’avènement du Seigneur, etc. ». Mais cela suppose que le feu n’a pas encore passé, car tous auraient péri.
Objection 4 : Il est écrit que le Seigneur jugera l’univers par le feu. La dernière conflagration sera ainsi l’exécution du jugement, qu’elle doit donc nécessairement suivre.
Cependant : 1. Le Psalmiste a dit : « Le feu le précèdera ».
2. « Tout l’œil verra » le Christ-Juge. La résurrection doit donc précéder le jugement. Mais elle-même doit être précédée par le feu. En effet, après la résurrection, les corps des saints seront spirituels et impassibles, incapables donc d’être purifiés par le feu, qui cependant, saint Augustin le dit, doit purifier tout ce qui doit l’être.
Conclusion : La conflagration du monde quant à son premier effet, précédera certainement le jugement. La résurrection doit elle-même le précéder, puisque même « les fidèles qui sont morts seront emportés sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs ». Or, c’est en même temps que tous les hommes ressusciteront, que les saints seront glorifiés dans leur corps « semé dans l’ignominie et qui ressuscite glorieux », et que la création tout entière sera renouvelée, « affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». La conflagration, qui doit préparer cette rénovation aura donc son premier effet, la purification de l’univers, avant le jugement. C’est ensuite seulement qu’elle aura son second effet, l’engloutissement des méchants dans l’enfer.
Solution 1 : Saint Augustin ne prétend donner ici que son opinion personnelle. Il ajoute, en effet : « Croyons que tout cela doit arriver ; mais comment ? Dans quel ordre ? C’est ce qu’apprendra l’expérience mieux que la raison humaine, je pense cependant que tous ces événements arriveront dans l’ordre que j’ai exposé ».
Solution 2 : Même réponse.
Solution 3 : Tous les hommes mourront et ressusciteront. Saint Paul appelle vivants ceux qui le seront à l’époque de la dernière conflagration.
Objection 1 : D’après le Maître des sentences, le feu consumera les méchants, purifiera les imparfaits, épargnera les parfaits. Cela ne semble pas juste. En effet, après le retour du Christ, nul ne mourra mais tous seront transformés et revêtus d’immortalité. Donc le corps des méchants ne doit pas être consumé.
Objection 2 : La souillure du péché imprégné les éléments qui font partie du corps humain, même chez les bons, héritiers comme les autres, du péché originel ; Il convient donc que les bons eux-mêmes soient consumés.
Objection 3 : Tant que dure cette vie, les éléments agissent indifféremment sur les hommes, qu’ils soient bons ou méchants. Donc, la fin du monde, le feu agira sur tous les vivants, sans distinction.
Objection 4 : Cette conflagration sera l’œuvre d’un instant. Il semble que beaucoup d’hommes auront besoin de passer Sar un purgatoire prolongé.
Conclusion : Nous avons montré que le feu qui viendra détruire la terre vise à préparer sa transformation conjointement au reste de l’univers, en un monde grandiose pour tous les hommes, quelque soit leur destin éternel. Il s’agira d’un spectacle à la dimension de la puissance de Dieu et tous les bons anges s’activeront pour coopérer à cette oeuvre.
Or il convient que tous les hommes ressuscités, les bons comme les mauvais, assistent à ce spectacle qui manifestera, dans la ligne des évènements qui l’auront précédé, la victoire totale de l’amour de Dieu. Chacun verra avec ses yeux de chair la gloire de Dieu s’étendre visiblement sur le monde sensible d’où jaillira quantité de merveilles. Il est clair que chacun réagira alors selon les dispositions de son cœur. C’est ce que veut signifier le maître des Sentences sous la lettre de son langage symbolique. Les damnés, obstinément attachés à leur volonté propre, se consumeront de rage en voyant disparaître la totalité des oeuvres humaines terrestres auxquelles ils sont attachés. Ce sera ressenti par eux comme un échec d’autant plus terrible qu’ils seront davantage révoltés contre Dieu. Quant aux élus, cette vue ne provoquera aucune tristesse mais au contraire une grande allégresse qu’on ne peut imaginer. C’est ce que veut signifier Pierre Lombard en disant que le feu les épargnera. Le cas des âmes du purgatoire est à mettre à traiter à part car il semble qu’à ce moment, il n’y aura plus personne dans cet état. Le feu spirituel qui les aura purifiés aura déjà agi. Ce ne sera donc pas le feu matériel de la transfiguration du monde.
Solution 1 : Il ne faut pas prendre dans un sens premièrement matériel à ces paroles du Maître des Sentences. Certes, le feu qui détruira la terre sera un feu matériel puisqu’il devra agir sur un monde matériel. Cependant il faut absolument exclure l’idée que Dieu pourrait, pour une imaginaire raison de vengeance brûler physiquement le corps des damnés. Cela ne convient pas à sa sagesse ; c’est en outre inutile à sa justice car la souffrance physique torturera réellement les damnés non à cause d’une action de Dieu mais comme une conséquence logique de la perversion de leur âme jusque dans leur corps. En effet, en assistant au spectacle de la destruction des oeuvres terrestres, les damnés seront frappés au cœur même de leur intention mauvaise. Ils comprendront la victoire totale de l’amour de Dieu et l’échec de la révolte. Leur volonté étant contredite, cela se répercutera nécessairement dans le reste de leur être, à commencer par leur sensibilité envahie de passions négatives incontrôlables : haine, tristesse, peur et surtout désespoir puisqu’ils auront mis tout leur espoir dans ces biens qu’ils verront disparaître devant eux. Ces passions ne seront pas sans effet sur leur corps, d’une façon analogue à ce qu’on voit sur la terre chez les gens profondément marqués par trop de pensées négatives : pleurs et grincements de dents, tremblement de rage, difformités du visage et du corps. En ce sens-là, on peut parler pour les damnés d’un feu matériel. Ce feu est d’ailleurs le plus terrible qu’on puisse imaginer car il vient de l’intérieur du pécheur, de sa seule responsabilité.
Solution 2 : Le corps des bons sera purifié sans passer par la mort, mais par une transformation qui les revêtira d’immortalité, comme nous l’avons dit.
Solution 3 : le feu purificateur n’interviendra qu’après la résurrection, comme on l’a montré. Le corps humain n’aura donc pas par rapport au feu la même passibilité qu’ici-bas. Il ne pourra plus être consumé chez les méchants comme chez les bons. Cependant, chez les premiers, la puissance de la gloire de Dieu n’aura pas supprime la capacité de souffrir puisqu’ils sont séparés de la vision de l’essence divine.
Solution 4 : Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les hommes que le feu trouvera vivants pourront être purifiés en un instant. 1° La dernière génération sera affinée par l’accumulation de la culture accumulée dans l’histoire de l’humanité et efféminée par la paix qui règnera. Son orgueil sera donc plus facilement purifiable par la moindre souffrance ou peur. 2° Les terreurs et les persécutions des derniers temps auront effacé déjà en grande partie leurs souillures. 3° Face à l’apparition glorieuse du Christ, convertis, ils subiront leur peine volontairement en ce monde où la douleur acceptée est beaucoup plus efficace que les châtiments d’outre-tombe. Comme saint Augustin le dit des martyrs[12], chez qui « le tranchant de leur supplices a enlevé ce qu’il y avait à émonder ». 4° Enfin cette souffrance gagnera en intensité ce qu’il perdra en durée.
Objection 1 : La Glose dit : « Il est écrit qu’il y aura deux feux : l’un qui purifiera les élus et précédera le jugement ; l’autre qui tourmentera les réprouvés ». Le premier, le feu de la conflagration universelle, n’est donc pas le même que le second, qui est celui de l’enfer, et ce n’est pas lui qui engloutira les réprouvés.
Objection 2 : Ce feu sera l’instrument de Dieu pour purifier le monde. Il doit donc avoir part à la même récompense que les autres éléments, d’autant plus qu’il est le plus excellent de tous et ne pas être enfoui dans l’enfer pour y faire souffrir les damnés.
Objection 3 : Le feu qui doit engloutir les méchants, c’est le feu de l’enfer. Mais ce feu leur a été préparé dès l’origine du monde : « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable ». Ces paroles d’Isaïe : « Dès hier, Tophet a été préparé, préparé par le Rois », sont ainsi interprétées parole de la Glose : Dès hier, c’est-à-dire, depuis le commencement ; Tophet, c’est-à-dire, la vallée de la Géhenne. Au contraire le feu de la dernière conflagration s’allumera par le concours de tous les feux de l’univers. Ce n’est donc pas le même.
Cependant[13] : 1° Il est écrit au livre des Psaumes : « Le feu s’avance devant lui, et il dévore à l’entour ses adversaires ».
2° À ces paroles de Daniel : « Un fleuve de feu coulait, sortait de devant lui », la Glose ajoute : « afin d’engloutir les pécheurs dans l’enfer ».
Il s’agit bien du feu dont nous parlons, car il doit « purifier les bons et punir les méchants ».
Conclusion : Dans tout ce que dit l’Écriture Sainte concernant les peines des damnés, il faut rechercher en premier lieu la signification spirituelle car Dieu répond avant tout par une punition spirituelle à un péché spirituel. En second lieu et comme une conséquence dérivée de la première, il faut s’attacher à chercher quelle sera la répercussion de cette peine après la résurrection des corps. Trois questions se posent : 1° La souffrance corporelle est-elle une suite naturelle par dérivation psychosomatique ? 2° Y aura-t-il, ajouté à cette souffrance une autre peine liée au corps et pour quelle raison ? 3° Une prison physique ?
Lorsque viendra le feu dont nous parlons, il y aura une augmentation de peine pour les démons, l’Antéchrist et les hommes orgueilleux. En effet, avant le retour du Christ, ils garderont un espoir qui soutiendra d’une certaine manière leur activité : ils croiront pouvoir imposer à Dieu leur conception du monde en détournant de lui le plus grand nombre qu’il leur sera possible. Ils espéreront établir un monde hiérarchisé en fonction de la noblesse spirituelle et la puissance plutôt que sur l’amour et la dépendance. Lorsque viendra le feu et surtout ce qui le suivra à savoir un monde nouveau inimaginable en beauté, immensité et perfection, ils sauront avec évidence à quel point est totale la victoire du Christ. Rien ne restera de leur empire à la la fois dans les âmes de bonne volonté conquises par le retour du Christ et dans l’univers matériel remis tout entier au pouvoir de Dieu. Cela suscitera en eux un désespoir définitif qui, telle une fournaise, les engloutira.
2° Ce désespoir spirituel aura des effets jusque dans la sensibilité et le corps. Il sera source d’une souffrance physique d’autant plus intense qu’elle aura sa cause dans une souffrance spirituelle sans remède. Cette peine, on le voit, n’a pas sa source première en Dieu mais dans la propre faute du réprouvé. Mais il en existera une autre imposée par Dieu, comme nous l’avons déjà montré[14]. En effet, pour que la présence négative des damnés ressuscités ne vienne pas troubler l’ordre du monde nouveau, il leur imposera un lieu dont ils ne pourront sortir, et où ils seront laissés ensemble pour l’éternité.
3° De plus, il est probable que les damnés vaincus, anges et hommes, plutôt que de risquer dans cet univers la rencontre avec un saint de Dieu, préfèreront se réfugier dans les lieux les plus isolés. Le cœur des astres, à la fois sombre et brûlant, sera peut-être réellement leur refuge, comme l’affirmaient les anciens Pères.
Solution 1 : Nous avons montré qu’on peut parler en deux sens d’un feu de l’enfer avant la résurrection des corps : En un premier sens, il s’agit du feu spirituel de l’âme qui, malgré son ordination naturelle pour Dieu, s’obstine dans sa révolte contre sa volonté. En un second sens, il s’agit de la prison spirituelle qu’impose Dieu aux damnés pour qu’ils ne viennent pas nuire aux vivants. Après la résurrection, ces deux acceptions du feu demeureront mais s’étendront par extension jusque dans le corps : souffrance physique par répercussion du péché de l’âme ; emprisonnement dans un lieu limité qui, limitant leur désir naturel de liberté, sera source d’un surcroît de blasphème. Quant à savoir si ce lieu sera matériellement “un étang de feu”, il est difficile de se prononcer.
Solution 2 : Le feu matériel dont nous parlons n’est pas autre chose que la matière sous sa forme énergétique. Il n’a donc pas â être distingué comme s’il ne faisait pas partie du monde
Solution 3 : Les progrès de la science solutionnent cette objection ; le monde physique tout entier est homogène. Les corps célestes n’ont pas des propriétés différentes des corps terrestres, quoiqu’en ait pensé la cosmologie du Moyen Age.
A propos du monde transformé, nous tous poserons six questions :
Article 1: La béatitude des élus exige-t-elle quelques biens extérieurs?
Article 2: Une société d’amis est-elle nécessaire à la béatitude?
Article 3: Le monde sera t-il renouvelé?
Article 4: La clarté des corps célestes sera-t-elle augmentée en cette rénovation?
Article 5: Les éléments opaques du monde seront-ils renouvelée par la réception d’une clarté?
Article 6: Y aura-t-il des plantes et des animaux dans le monde nouveau?
Objection 1 : Ce qui est promis en récompense aux élus appartient sans doute à la béatitude. Or on promet aux Saints des biens extérieurs, comme la nourriture et la boisson, la richesse et le règne. N’est-il pas dit en saint Luc : « Pour que vous mangiez et buviez à ma table, dans mon royaume », et en saint Matthieu : « Amassez-vous des trésors dans le Ciel », et encore : « Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume ».
Objection 2 : Au surplus, selon Boèce, la béatitude est « l’état que rend parfait le cumul de tous les Biens ». Or les choses extérieures comptent parmi les biens de l’homme, quoiqu’elles en soient les moindres, ainsi que l’observe saint Augustin.
Objection 3 : Et puis enfin le Seigneur ne dit-il pas en saint Matthieu : « Votre récompense est grande dans les cieux » ? Ce qui veut dire qu’on est alors dans un lieu : à tout le moins, un lieu extérieur est donc requis à la béatitude.
Cependant : on lit dans le psaume 72 : « Qu’y a-t-il pour moi dans le Ciel, et qu’ai-je voulu sur la terre ? » comme s’il disait : « Je ne veux rien, si ce n’est ce qui suit : pour moi, adhérer à Dieu, voilà mon bien ». Donc aucun autre bien que Dieu n’est requis pour la béatitude.
Conclusion : Pour la béatitude imparfaite, telle qu’on peut la posséder dans la vie présente, des biens extérieurs sont requis, non comme faisant partie de l’essence de la béatitude, mais comme des instruments au service de cette béatitude, qui consiste dans l’opération de la vertu, selon la doctrine du Philosophe. En effet, l’homme, en cette vie, a besoin de ce qui est nécessaire au corps, tant pour l’opération de la vertu contemplative que pour celle de la vertu active, laquelle, d’ailleurs, exige encore plusieurs autres choses, qui serviront à ses opérations.
Pour la béatitude parfaite, au contraire, celle qui consiste dans la vision de Dieu, les biens de cette nature ne sont nullement requis. La raison en est que tous ces biens ne servent qu’à la sustentation de la vie animale ou à certaines opérations convenant à la vie humaine et s’exerçant par le moyen du corps. Mais la parfaite béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu ou bien est le fait d’une âme sans corps ou bien d’une âme unie à un corps non plus animal, mais psychique : d’où il suit que les biens extérieurs, qui n’ont de rapport qu’à la vie animale, ne sont en aucune façon requis pour cette béatitude. Et comme, dans le cours même de la vie terrestre, le bonheur de la contemplation a plus de ressemblance que celui de l’action avec cette béatitude parfaite, étant aussi plus semblable à Dieu, ainsi qu’on le conclure de ce qui a été dit, pour cette raison la vie contemplative a besoin moins que toute autre de ces sortes de biens, ainsi que le relève le Philosophe.
Solution 1 : Toutes les promesses de biens corporels renfermées dans les saintes Écritures doivent d’abord être entendues d’une manière métaphorique, l’Écriture ayant coutume de nous représenter les choses spirituelles sous l’image des corporelles, afin, comme le dit saint Grégoire qu’ « au moyen de ce qui nous est connu, nous nous élevions au désir de ce qui nous est inconnu ». Ainsi, par la nourriture et la boisson, il faut entendre la délectation qui accompagne la béatitude ; par les richesses, la surabondance où vit l’homme à qui Dieu suffit ; par le règne, l’exaltation de l’homme jusqu’au commerce de la Divinité. Mais dans un second sens, ces biens matériels doivent être pris au sens littéral. Leur présence dans le monde nouveau ne sera pas lié à une nécessité mais à un surplus selon cet parole de l’Écriture adressée à Salomon [17]: « Parce que tu as demandé la Sagesse, parce que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la vie de tes ennemis, je te le donne aussi tout: une richesse et une gloire comme à personne parmi les rois ». Dieu donnera réellement aux élus tous les biens sensibles et corporel, en profusion, de manière sensible avant la résurrection et physique après.
Solution 2 : On ne nie pas que les objets extérieurs ne soient des biens ; mais ces biens-là, qui servent à la vie animale, ne sont pas donnés à la vie spirituelle, dans laquelle consiste la béatitude parfaite de manière nécessaire mais de manière surajoutée. En effet, dans cette même béatitude se trouve la réunion de tous les biens : car tout ce qui en eux se trouve de bon sera possédé dans la source suprême de tous les biens.
Solution 3 : Quant au lieu de la béatitude, saint Augustin observe que « la récompense des saints n’est pas dite située dans des cieux corporels, mais que par les cieux il faut entendre l’élévation des biens spirituels ». Toutefois, un lieu corporel, à savoir l’univers glorifié, sera le séjour des bienheureux et la prison des damnés, non que ce lieu soit nécessaire à la béatitude ou au malheur, mais par un simple rapport de convenance et de beauté.
Objection 1 : Il semble bien que des amis soient requis de nécessité pour la béatitude. En effet, le bonheur est souvent représenté par les Écritures sous le nom de gloire. Or la gloire consiste en ce que le bien de l’homme arrive à la connaissance de beaucoup, ce qui ne se peut en dehors d’une société d’amis.
Objection 2 : Boèce ne dit-il pas que la possession d’un bien est sans joie, si elle n’est partagée ? Or nous avons reconnu que la délectation est nécessaire à la béatitude donc aussi la société de nos amis.
Objection 3 : Et puis, la charité, qui trouve sa perfection dans la béatitude, embrasse l’amour de Dieu et celui du prochain il nous faut donc un prochain amical dans la béatitude.
Cependant : on lit au livre de la Sagesse : « Tous les biens à la fois me sont venus avec elle », c’est-à-dire avec la divine sagesse qui consiste en la contemplation divine. Et ainsi, rien d’autre n’est requis pour la béatitude.
Conclusion : S’il s’agit de la félicité dans la vie présente, il faut dire avec le Philosophe que « l’homme heureux a besoin d’amis », non pour son utilité, car il se suffit à lui-même ; ni pour sa délectation, puisqu’il possède en soi, du fait de l’opération vertueuse, la délectation parfaite ; mais pour le bien de son action, c’est-à-dire pour avoir la possibilité de leur faire du bien, pour trouver du plaisir dans le bien qu’ils accomplissent et un concours dans le bien que lui-même accomplit. L’homme en effet a besoin, pour agir vertueusement du concours des amis, tant dans les oeuvres de la vie active que dans celles de la vie contemplative.
Mais si nous parlons de la parfaite béatitude que nous devons posséder dans la patrie, la société des amis n’y est pas nécessairement requise ; car l’homme trouve en Dieu seul la plénitude de sa perfection. Toutefois, cette société amicale n’est pas aussi secondaire que les biens sensibles dont nous parlions précédemment. En effet, si Dieu suffit en lui-même à combler tous les désirs, parce qu’il est par nature amour, c’est par une conséquence directe de sa nature qu’il unifie les deux commandements de la charité, celui de Dieu et celui du prochain. Ainsi, la présence d’amis fait plus que concourir de manière surajoutée à l’heureux épanouissement de la béatitude. Tout en n’en étant pas l’essence, elle lui est conjointe, ce qui fait dire à saint Augustin « La créature spirituelle ne trouve intérieurement de secours que dans l’éternité, la vérité et la charité de son Dieu ». Mais ce n’est pas par accident que les élus, formant une seule Église, tous époux du même Dieu, se voient les uns les autres et se réjouissent de leur commune société.
Solution 1 : La béatitude est en effet une gloire ; mais nous savons que la gloire essentielle à la béatitude n’est pas celle dont jouit l’homme auprès de l’homme, mais celle qu’il trouve auprès de Dieu.
Solution 2 : La parole qu’on nous cite doit s’entendre des biens qui n’ont pas en eux-mêmes une pleine suffisance, ce qui ne s’applique point à l’objet présent, puisque l’homme trouve en Dieu l’abondance de tous les biens.
Solution 3 : Quant à la perfection de la charité, elle est essentielle à la béatitude en ce qui concerne l’amour de Dieu, non quant à l’amour du prochain. De sorte que, n’y eût-il qu’une seule âme jouissant de la possession de Dieu, elle serait encore heureuse, bien qu’elle n’eût pas de prochain à aimer. Mais le prochain supposé, l’amour qu’on lui porte découle du parfait amour qui s’adresse à Dieu. Ainsi, c’est par une sorte de concomitance que l’amitié intervient dans le parfait bonheur.
Objection 1 : Nous avons montré que l’homme n’a besoin d’aucun bien extérieur pour sa béatitude parfaite. Or Dieu ne fait rien d’inutile donc il n’y aura pas de monde matériel glorifie.
Objection 2 : Il semble qu’il ne le sera jamais. Rien n’arrivera que ce qui a déjà existé de quelque manière dans la même espèce de choses. L’Ecclésiaste dit « Qu’est-ce qui a été ? Sinon ce qui arrivera ». Or le monde n’a jamais eu d’autre état que celui dans lequel il est, quant à ses parties essentielles, ses genres et ses espèces. Il ne sera donc jamais renouvelé,
Objection 3 : Une innovation est une altération. Mais l’univers ne peut être altéré car tout ce qui est altéré l’est en vertu d’une cause qui l’altère sans se modifier elle-même, tout en ayant un mouvement local ; or on ne peut poser un tel être en dehors de l’univers. Il n’est donc pas possible que le monde soit renouvelé.
Objection 4 : La Genèse dit que « Dieu se reposa le septième jour de toute l’œuvre qu’il avait accomplie » et de saints auteurs commentent « qu’il se reposa de la production de nouvelles créatures ». Mais dans cette première manière d’être les choses ne reçurent pas d’autre disposition que celle dans laquelle elles se trouvent maintenant en leur ordre naturel. Elles n’en auront donc jamais d’autre.
Objection 5 :
La disposition dans laquelle se trouvent maintenant les choses est naturelle. Si
donc elles étaient changées en une autre, cette autre disposition ne leur serait
pas naturelle. Or ce qui n’est pas naturel et est accidentel ne peut durer
perpétuellement. La disposition nouvelle supposée devrait donc être ensuite
enlevée au monde il y aurait une sorte d’évolution circulaire du monde, comme
Empédocle et Origène le disaient ; après ce monde, il y en aurait un antre, et
puis de nouveau un autre.
Objection 6 : La rénovation dans la gloire est la récompense donnée à la
créature raisonnable. Là où il n’y a point de mérite, il ne peut y avoir de
récompense. Les créatures insensibles n’ayant rien mérité, il semble qu’elles ne
seront pas renouvelées.
Cependant : Isaïe dit : « Voici que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra plus des précédents ». Et l’apocalypse « J’ai vu un nouveau Ciel et une nouvelle terre le premier Ciel et la première terre avaient disparu ». En outre, l’habitation doit convenir à l’habitant. Le monde a été fait pour être l’habitation de l’homme. Il doit donc lui convenir. L’homme étant renouvelé, le monde doit l’être aussi.
De plus, « tout animal aime le semblable à lui-même », il en ressort que la similitude est la raison de l’amour. L’homme a une certaine similitude avec l’univers : on dit qu’il est le monde en petit. Il aime donc naturellement le monde entier, et désire son bien. Pour satisfaire ce désir de l’homme, l’univers doit être amélioré.
Conclusion : On pense généralement que toutes les créatures corporelles ont été faites pour l’homme. C’est pourquoi on dit que toutes lui sont soumises. Il y a deux manières de servir l’homme d’une part en soutenant sa vie corporelle, d’autre part eu facilitant son progrès dans la connaissance de Dieu, en tant que l’homme « à travers les choses créées découvre les choses invisibles de Dieu », comme dit saint Paul aux Romains. L’homme glorifié n’aura plus aucun besoin d’être servi de la première manière par les créatures puisque son corps sera tout à fait incorruptible, grâce à la puissance divine, qui opérera cela à travers l’âme, glorifiée immédiatement par Dieu. L’homme n’aura pas besoin d’être servi de la deuxième manière, dans sa connaissance intellectuelle, car les saints verront Dieu immédiatement dans son essence. Mais l’œil de chair ne pourra point parvenir à cette vision de l’essence divine. Pour lui accorder une récompense juste dans la vision de la divinité, cet oeil pourra la considérer dans ses effets corporels, dans lesquels apparaîtront des signes manifestes de la majesté divine, surtout dans la chair du Christ, puis dans le corps des bienheureux, et enfin dans tous les autres corps. C’est pourquoi il faudra que même ces corps reçoivent une plus grande communication de la bonté divine que maintenant ; celle-ci ne changera pas leur espèce, mais leur ajoutera une perfection glorieuse telle sera la rénovation du monde. Donc, en même temps, le monde sera renouvelé, et l’homme glorifié.
Solution 1 : La glorification du monde ne servira pas aux élus comme un bien essentiel à l’essence de leur bonheur éternel qui trouvera sa source en Dieu seul. Cependant, il concourra par surcroît à la récompense des élus puisqu’il réjouira les facultés sensibles de leur corps. Ainsi, en glorifiant le monde, Dieu ne fera pas une oeuvre inutile.
Solution 2 : Salomon parle ici du cours naturel des choses, comme cela ressort de ce qui suit « Rien de nouveau sous le soleil ». Puisque le soleil se meut en cercle, les choses qui sont soumises à sa puissance doivent subir une sorte d’évolution circulaire, qui consiste en ce que les choses qui ont été auparavant reviennent de nouveau « dans la même espèce, mais en nombre différent », comme dit Aristote. Mais ce qui appartient à l’état de gloire ne dépend plus du soleil.
Solution 3 : Cet argument est tiré de l’altération naturelle qui vient d’un agent naturel, qui agit par nécessité de nature. Cet agent en effet ne peut produire une disposition différente sans se comporter lui-même de telle ou telle manière. Mais les choses qui, s’accomplissent par l’action de Dieu procèdent de la liberté de sa volonté c’est pourquoi sans changement de la volonté de Dieu, il peut exister dans l’univers telle, puis telle autre disposition venant de lui. Ainsi ce renouvellement ne remonte pas à un principe mû, mais au principe immobile, qui est Dieu.
Solution 4 : On dit que Dieu a cessé le septième jour de produire de nouvelles créatures, parce que rien n’a été produit ensuite, qui n’ait pas préexisté auparavant de quelque manière dans son genre ou son espèce ou au moins dans son principe séminal ou dans une puissance obédientielle. La nouveauté future du monde a précédé dans les oeuvres des six jours, dans une similitude éloignée, à savoir la gloire et la grâce des anges ; elle a précédé aussi dans la puissance obédientielle, qui fut alors déposée dans la créature, pour qu’elle puisse recevoir plus tard de Dieu cette nouvelle manière d’être.
Solution 5 : Cette disposition qui renouvellera les choses ne sera ni naturelle, ni contre nature elle sera au-dessus de la nature (comme la grâce et la gloire sont au-dessus de la nature de l’âme), et elle sera l’œuvre de cet agent perpétuel qui la conservera à jamais.
Solution 6 : Les corps insensibles ne mériteront pas à proprement parier cette gloire. Mais l’homme aura mérité que cette gloire soit conférée à tout l’univers, parce qu’elle tendra à l’augmentation de la gloire de l’homme : de même qu’un homme mérite d’être revêtu de plus riches vêtements, sans que cette richesse soit aucunement méritée par le vêtement lui-même.
Objection 1 : Cela ne semble pas. Cette rénovation s’accomplira dans les corps inférieurs par la purification du feu. Mais le feu purifiant n’atteint pas les astres du ciel. Ils ne seront donc pas renouvelés par la réception d’une plus grande clarté.
Objection 2 : Les corps célestes sont par leur lumière des signes pour les fêtes et pour le devenir des jours et des années selon la Genèse[19]. Or, dans la vie éternelle, il n’y aura plus de temps ni de fêtes successives puisque les noces de l’agneau seront éternelles. Donc la lumière des astres cessera de briller plutôt que d’être intensifiée.
Objection 3 : La clarté des corps célestes a pour but de servir les hommes, ainsi que les autres créatures. Mais, après la résurrection, la clarté du soleil ne servira plus aux hommes. Isaïe dit[20] : “Tu n’auras plus de soleil pour briller le jour, ni la splendeur de la lune pour t’illuminer ». Et l’apocalypse[21] : “Cette cité n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer” leur clarté ne sera donc pas accrue.
Objection 4 : Il ne serait pas sage pour un artisan de fabriquer de très grands instruments pour construire un petit objet fabriqué. L’homme est très petit en face des corps célestes qui par leur énorme grandeur dépassent incomparablement ses dimensions. Bien plus, toute la masse de la terre est, en face du système solaire, comme un point par rapport à une sphère. Dieu qui est infiniment sage, ne semble pas avoir assigné à l’homme comme fin de la création du Ciel. Il ne semble donc pas qu’à cause de son péché le Ciel doivent être détérioré, ni qu’à cause de sa gloire il soit amélioré.
Cependant : Isaïe affirme : « La lumière de la lune sera comme celle du soleil et la lumière du soleil sera septuplée ». En outre, le monde entier sera transforme en mieux. Cela ne peut être qu’en resplendissant d’une nouvelle clarté.
Conclusion : La rénovation du monde a pour but de nous donner des signes manifestes grâce auxquels l’homme verra Dieu pour ainsi dire sensiblement. La créature conduit à la connaissance de Dieu surtout par sa beauté et son ordre, qui manifestent la sagesse de celui qui la fait et la gouverne. La sagesse dit[22] : « le Créateur pourra être vu grâce à la grandeur de la beauté de sa créature ». Cette connaissance sensible sera donnée à l’homme comme une récompense surajoutée au bonheur de son âme car il convient que son corps participe à travers l’exercice de ses facultés à la béatitude, de même qu’il a participe durant la vie terrestre à l’acquisition de la grâce.
La beauté des corps célestes réside surtout en leur lumière. L’ecclésiastique dit « La splendeur du Ciel, c’est la gloire des étoiles, le Seigneur illuminant le monde dans les hauteurs ». Les corps célestes seront donc surtout améliores par leur clarté. Quant au sens qu’on doit donner à cette augmentation de clarté, il peut être pris selon deux aspects :
1° une augmentation de clarté pour l’intelligence humaine, ce qui peut signifier que la matière perdra son opacité naturelle. La complexité et l’ordre de sa structure ne seront plus cachés mais pleinement révélés à l’intelligence.
2° Une augmentation de clarté pour le sens de la vue. Comme nous l’avons montré, les sensations du corps glorieux seront augmentées en ce sens qu’elles seront aptes à saisir des rayonnements dont la beauté est actuellement invisible à l’œil humain. Ainsi, les corps glorifié auront de nouvelles sensations qui provoqueront l’admiration quand elles se porteront vers les astres.
3° Une augmentation de l’intensité du rayonnement des astres en eux-mêmes puisque leur lumière sera augmentée par leur transformation.
Solution 1 : Le feu purificateur réalisera à la fois une rénovation de la forme des choses et une purification de la corruption du péché et de la pénétration des impuretés. Sous le premier rapport, elle atteindra aussi les corps célestes. Ceux-ci n’ont pas besoin d’être purifiés par le feu ; mais ils doivent être rénovés divinement.
Solution 2 : La lumière contribue à la perfection du corps lumineux, même considéré en sa substance. En outre, elle manifeste jusque dans les sensations humaines la lumière éternelle de Dieu que seule l’intelligence peut connaître. Il convient donc que dans la gloire, le monde des astres rayonne d’une beauté parfaite qui signifiera pour le corps, la perfection de Dieu.
Solution 3 : Une chose peut être mise au service de l’homme de deux manières : d’une première manière, parce qu’elle lui serait absolument nécessaire pour sa survie. Apres la résurrection aucune créature ne sera plus nécessaire de cette manière à l’usage de l’homme, parce que son corps aura été rendu autonome aussi bien pour les damnés que pour les élus. L’apocalypse[23] le signifie en disant que « cette cité n’a besoin ni de soleil ni de lune ». D’une autre manière, une chose peut être utile à l’homme pour sa plus grande perfection : et ainsi l’homme se servira d’autres créatures non en tant que nécessaires pour parvenir à sa fin, mais comme une surabondance de gloire.
Solution 4 : Cet argument vient de Rabbi Moïse, qui s’efforce de rejeter tout à fait la thèse que le monde a été créé pour l’homme. Il déclare donc que ce qui est dit dans l’Ancien Testament de la rénovation du monde, par exemple dans les textes d’Isaïe, n’est qu’une métaphore. Selon lui, quand il est dit à une personne que le soleil s’obscurcit, cela signifie qu’elle tombe dans une grande tristesse et ne sait plus que faire (selon une manière de parler fréquente dans l’Écriture) tandis que si on dit au contraire que le soleil brille davantage pour une personne et que tout le monde se renouvelle, c’est parce que cette personne passe de l’état de tristesse à une très grande joie. Mais cela est en désaccord avec les textes faisant autorité et les exposés des saints. On doit donc répondre à ce raisonnement que, bien que les corps célestes soient très au-dessus du corps humain, cependant l’âme raisonnable dépasse beaucoup plus les corps célestes que ceux-ci ne dépassent le corps humain. Il n’y a donc pas de difficulté à admettre que les corps célestes ont été crées pour l’homme, mais non comme fin principale, puisque la fin principale de toute chose est Dieu.
Objection 1 : Il semble qu’on doive le nier. La qualité propre des éléments n’est pas la lumière mais plutôt le chaud et le froid, l’humidité et le sec. De même que les astres du Ciel seront renouvelés par une augmentation de clarté, ainsi les éléments de la planète et des autres planètes doivent l’être par l’accroissement des qualités actives et passives.
Objection 2 : la clarté des corps matériels vient de leur chaleur. Ainsi le fer devient rouge si on le chauffe puis blanc si on augmente cette chaleur. Il en est de même pour tous les autres éléments. Ainsi, l’addition d’une clarté ne peut être faite que par un réchauffement extrême du monde ce qui parait improbable.
Objection 3 : les damnés seront dans les ténèbres intérieurs. Mais il semble qu’ils seront aussi dans les ténèbres extérieurs selon saint Luc. Il ne convient donc pas que leur lieu soit doté de clarté.
Objection 4 : Le bien de l’univers, qui consiste dans l’ordre et l’harmonie de ses parties, est plus appréciable que le lien d’une nature particulière. S1 une créature devenait meilleure, le bien de l’univers disparaîtrait puisque son harmonie serait troublée. Si donc les éléments matériels qui, selon leur état naturel dans l’univers doivent être privés de clarté, recevraient de la clarté, la perfection de l’univers périrait plutôt que d’en être accrue.
Cependant : L’apocalypse dit [24] : « J’ai vu un nouveau Ciel et une nouvelle terre ». Le Ciel sera renouvelé par une plus grande clarté ; donc aussi la terre et les éléments opaques de la matière.
Conclusion : Puisque la créature corporelle a été faite pour les créatures spirituelles, la disposition des choses corporelles doit être adaptée au bien des êtres spirituels. À la fin du monde, les esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits supérieurs : les hommes seront comme les anges du Ciel, selon saint Matthieu[25]. L’esprit humain parviendra à la plus haute perfection par laquelle il sera élevé aux rangs angéliques. De même, il faut que les corps matériels soient surélevés d’une manière analogue pour recevoir des propriétés nouvelles adaptées à l’état nouveau des créatures spirituelles. Et la propriété des corps matériels, quand ils sont adaptés à l’esprit, c’est leur lumière qui les rend à la fois intelligibles et beaux. En conséquence, on doit affirmer que tous les éléments revêtiront une sorte de clarté, mais chacun à sa manière.
Solution 1 : Nous l’avons vu, la rénovation du monde tend à ce que l’homme puisse voir la divinité, même sensiblement, à travers les corps, par des signes manifestes. Parmi nos sens, le plus spirituel et le plus subtil est la vue. C’est donc surtout par leurs qualités visuelles, dont le principe est la lumière, que les corps opaques seront améliorés. Mais les qualités élémentaires seront soumises au toucher, qui est le plus matériel des sens. L’excès de ses sensations est plus pénible que délectable. Par contre l’excès de la lumière sera délectable, parce qu’elle n’est pénible qu’à cause de la débilité de l’organe visuel, laquelle n’existera plus dans la vie nouvelle.
Solution 2 : Il peut y avoir clarté sans chaleur excessive comme on le voit dans les corps phosphorescents dont la lumière vient de l’intérieur. C’est d’une façon analogue que le corps des élus sera lumineux de l’intérieur, ne laissant pas cachée la bonté de leur âme.
Solution 3 : Pour les damnés dont l’âme est pervertie par le péché, tous les biens de la création seront source de souffrance intérieure puisqu’ils les regarderont comme des obstacles à leur volonté. Ils ne pourront rien posséder selon leur désir, ni en jouir puisque, plutôt que de rencontrer les élus objet de leur envie, ils se seront emprisonnés dans un lieu sans pouvoir aller où ils veulent.
Solution 4 : L’ordre de l’univers ne sera pas supprimé pas l’amélioration des éléments, puisque toutes les autres parties de l’univers seront elles-mêmes améliorées : la même harmonie demeurera donc.
Objection 1 : Il ne semble pas. Les animaux et les plantes ont été créés pour soutenir la vie animale de l’homme. La Genèse dit [27] : « Je vous donne toute chair en nourritures ». Avec la cessation de la vie animale de l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser d’exister, ce qui sera le cas après la résurrection.
Objection 2 : Les plantes et les animaux servent sur la terre à connaître comme dans un miroir les perfections de Dieu dont ils sortent des vestiges. Or, après la résurrection, Dieu sera connu face à face. Donc le monde animal et végétal sera devenu inutile.
Objection 3 : La vie végétale et animale est liée à la corruptibilité ; Il est en effet essentiel pour cette vie d’assimiler des éléments extérieurs pour qu’elle cuisse se maintenir et de rejeter ce qui est inutile. Or, dans le monde renouvelé, il n’y aura plus de place à la corruption selon saint Paul [28] : « il faut que ce corps corruptible revêtu d’incorruptibilité et que ce corps mortel revêtu d’immortalité ».
Objection 4 : Si les plantes et les animaux demeurent, cela vaudra pour tous ou seulement pour quelques-uns. Si c’est pour tous, il faut que les animaux privés de raison, morts avant la fin du monde, ressuscitent comme les hommes. Cela ne peut être car leur forme disparaît à leur mort et ne peut être ressuscitée la même individuellement. Si ce n’est pas pour tous mais seulement quelques-uns, on ne voit pas le motif pour que l’un demeure plutôt que l’autre. Il semble donc qu’aucun ne demeurera perpétuellement.
Objection 5 S’il doit exister des animaux glorifiés, c’est qu’ils verront l’essence divine qui seule peut rendre glorieux. Or les animaux sont incapables par nature de la vision béatifique. Donc ils n’ont pas de place dans le monde nouveau.
Cependant : Dieu dit à Noé [29] : « Voici que j’établis mon Alliance avec vous et avec vos descendants après vous et avec tous les êtres animés qui sont avec vous oiseaux, bestiaux, toutes bêtes sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de l’arche, tous les animaux de la terre ». Or l’Arche de Noé symbolise l’efficacité de la rédemption opérée par le Christ. Donc, les êtres animés ne seront pas exclus du monde nouveau.
Conclusion : Il n’y a pas d’arguments définitifs sur ce point. Cependant, l’opinion la plus traditionnelle des Pères consistait à affirmer qu’il n’y aurait ni animaux, ni plantes dans le monde nouveau. Leurs arguments consistaient à montrer que ne demeureraient que les êtres possédant en eux un élément d’incorruptibilité tels leur paraissaient être les corps célestes que la cosmologie ancienne croyait incorruptibles car d’une nature supérieure, les hommes à cause de leur âme immortelle, et les éléments minéraux puisqu’on ne pouvait jamais les réduire au néant. Au contraire, les animaux et les plantes qu’on peut tuer, les corps mixtes comme les molécules qu’on peut détruire étaient considérées comme n’ayant aucune disposition à l’incorruptibilité. Ils ne devaient donc pas subsister dans le monde nouveau.
Mais on ne peut plus parler ainsi. On sait aujourd’hui que tous les éléments matériels du monde y compris les corps célestes sont de même nature et corruptibles. Ainsi, les astres courent insensiblement à leur extinction et les atomes se dégradent dans leur structure. Pourtant, il est certain qu’ils demeureront dans l’au-delà puisque Dieu préparera en eux un monde adapté à la nouvelle manière d’être des hommes.
De même, il convient que les créatures matérielles comme les animaux et les plantes demeurent afin qu’il ne manque rien à la perfection de l’au-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque chose atteindre sa fin qui est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de chacun. L’ordre sera fondé sur la charité. Dieu, qui est l’essence de la charité incréée, est au sommet. Puis viennent les créatures spirituelles qui participent à la charité, c’est-à-dire les élus. Et le plus élevé d’entre eux, dans cette hiérarchie nouvelle de la Jérusalem céleste, c’est Jésus qui dans son humanité ne fait qu’un avec Dieu. Vient ensuite la Vierge Marie dont l’amour de charité dépasse celui des anges. Elle a donc reçu une plus grande participation à la gloire. L’ordre des créatures spirituelles, c’est-à-dire des anges et des hommes s’en suit et n’est pas mesuré par la perfection naturelle de chacun mais par sa perfection surnaturelle.
Viennent ensuite les êtres qui ne participent pas à la vision de l’essence divine. Certains en sont exclus par nature, comme les animaux, les plantes et le monde minéral puisque ces réalités sont dépourvues de facultés spirituelles. Ces êtres, peuvent faire partie du monde nouveau deux causes : 1° Leur propre bien qui aspire, soit par nature, soit par sensibilité à durer toujours selon saint Paul [30] : « La création toute entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu ». La vie végétale et animale font partie de la création, d’une manière intermédiaire entre les minéraux et les hommes. Donc ils seront présents dans le monde nouveau. 2° Pour le bien de l’homme qui peut par ses sensations contempler leur beauté et leur ordre qui témoigne de Dieu comme dans un miroir.
D’autres réalités sont exclues de la vision béatifique à cause d’un choix de leur volonté. Les damnés constituent les êtres les plus bas, non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde matériel mais à cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens qu’ils choisissent. Ainsi voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se comporter d’une manière inférieure aux animaux. Et, par leur existence, ils proclament comme le reste de la création la gloire de Dieu qui laisse chacun libre de se séparer de lui. En conséquence, dans le monde nouveau, aucun des éléments essentiels à sa perfection générale ne manquera.
Solution 1 : Dans le monde de l’au-delà, il n’y aura plus de nutrition puisque chacun sera revêtu d’une immortalité qui fera disparaître toute possibilité de corruption. Aussi, les animaux et les plantes ne subsisteront pas pour que l’homme s’en nourrisse.
Solution 2 : La contemplation de la beauté du monde nouveau ne sera pas pour l’homme l’essence de sa connaissance de Dieu mais une connaissance surajoutée et pour ainsi dire accidentelle. Elle sera ordonnée au bien de son corps qui doit participer selon qu’il en est capable à la béatitude. Or la vie sensible est incapable par nature de contempler l’essence divine qui est d’ordre spirituel. Elle trouvera dans la beauté du monde nouveau et dans la vision de son ornement végétal et animal une participation sensible à cette contemplation[31].
Solution 3 : De même que le monde minéral qui est pourtant lié à des formes moins nobles que le monde des vivants, peut être revêtu par la puissance divine d’incorruptibilité et de clarté, de même la vie animale et végétale peut être élevée à un mode d’exercice qui exclut toute corruptibilité. Ainsi qu’un animal soit glorifié signifie que son corps est revêtu d’incorruptibilité et de clarté par la puissance divine. En conséquence, la recherche de la nourriture est supprimée ce qui exclut du monde nouveau les lois naturelles où le plus fort mange le plus faible. De même, la génération n’est plus possible. Les animaux et les plantes seront donc présents à cause de leur beauté et vivront une vie commune paisible. Selon la capacité de chacun, ils vivront d’une certaine béatitude sensible puisque leur appétit naturel sera comblé.
Solution 4 : Il ne convient pas qu’un appétit naturel soit frustré. Selon leur appétit naturel, les animaux et les plantes désirent exister perpétuellement, sinon comme individus, du moins en tant qu’espèce. C’est à cela qu’est ordonnée leur génération naturelle comme dit Aristote. Et c’est aussi à cela que sera ordonnée la restauration des espèces à la résurrection.
Quant à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera, plusieurs opinions existent. Selon certains, il suffit que les animaux reviennent selon leurs espèces, car, de cette manière, l’aspiration générale qui est en eux et qui porte avant tout sur la survie de l’espèce, est satisfaite. Selon d’autres, il convient que Dieu crée à nouveau chaque individu qui doit être récompensé du service accompli pour nous par son passage sur la terre, et en compensation des multiples souffrances sensibles subies. Une telle restauration est bien évidement possible à la puissance de Dieu qui “ compte même les cheveux des hommes ». Cela semble mieux convenir à la bonté de Dieu. Là encore, nous pouvons en avoir un signe philosophique dans l’expérience de ceux qui approchent la mort et qui témoignent que le corps psychique n’est pas seulement conservé pour les individus humains mais qu’il subsiste aussi chez les animaux, individuellement, dans l’autre monde.
Solution 5 : Les animaux sont incapables d’être glorifiés en ce sens qu’ils puissent voir l’essence divine car les facultés de connaissance qui sont en eux sont d’ordre sensible ce qui exclut une quelconque possibilité d’élévation à un objet spirituel. Cependant, ils peuvent être rendus immortels dans leur être par Dieu et obtenir une béatitude qui leur est adaptée. Elle consiste essentiellement dans un état permanent de joie et de paix sensible, adapté selon leurs espèces, au degré du psychisme qui leur est attribué par nature. Et ce bonheur sensible leur sera communiqué par la fréquentation des hommes glorifiés dont la joie et la paix spirituelles rejaillira jusque dans la sensibilité animale d’une façon analogue mais bien supérieure à l’harmonie primitive qui existait dans le paradis terrestre entre Adam et la nature entière[32].
Objection 1 : Il ne semble pas. Les œuvres ont été détruites car leur création artistique n’était jamais exempte de péché, comme tout ce que fait l’homme ici-bas. Elles ne doivent pas reparaître sans quoi on ne voit pas à quoi sert leur destruction.
Objection 2 : Les plus belles œuvres de la terre sont ternes en comparaison de ce qui paraîtra dans le monde nouveau, transfiguré par une lumière nouvelle. Elles n’y auront pas leur place.
Objection 3 : Isaïe 65, 17 affirme : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit. » Si les œuvres anciennes doivent reparaître, ce texte sera contredit.
Objection 4 : Les œuvres utilitaires comme les maisons, les moyens de transport etc. ne reparaîtront pas puisque le corps humain, libéré de toute contrainte n’en aura plus l’usage.
Cependant : Osée 2, 16 écrit : « C'est pourquoi je parlerai à son coeur. Là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val d'Akor une porte d'espérance. Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle montait du pays d'Egypte ». C’est donc que les richesses et les œuvres des hommes leur seront rendues par la résurrection, après leur avoir été enlevées par la mort.
Conclusion : Dans l’œuvre artistique, on peut distinguer 1° ce qui est matériel et individué. Il s’agit de l’œuvre elle-même, statue, musique, livre écrit ou cathédrale. 2° Ce qui est formel. Il s’agit du projet porté par l’artiste. La forme (l’idea) de l’œuvre naît dans l’esprit et l’imagination. Ce n’est qu’après, porté par cette inspiration, qu’il l’incarne par son travail et l’imprime à la matière.
Cette distinction permet de comprendre ce qui se passera après la fin du monde. 1° La matérialité de toutes les œuvres humaines sera détruite dans la dernière conflagration, comme on l’a dit. 2° Mais ce qui est formel dans l’œuvre n’est jamais détruit, non seulement parce l’intelligence humaine avec ses souvenirs subsistent mais aussi parce que les facultés du psychisme (imagination, sensations, mémoire des images etc.) dont le rôle est partie intégrante de l’idea, loin d’être détruite par la mort, est au contraire libéré du poids de l’exercice organique. Ainsi, c’est l’artiste qui survit à la mort et avec lui, dans sa mémoire, toutes ses œuvres du passé. Comme il est la cause de l’œuvre, on peut dire qu’en lui subsiste ce qui est indestructible dans l’œuvre.
Il reste à considérer si les hommes ressuscités exerceront des activités artistiques. La réponse est oui, absolument. Dieu ne rend à l’homme la plénitude de ses facultés que pour qu’il les exerce. Or, tout ce qui est nécessaire à la réalisation de l’œuvre est présent dans l’au-delà, l’intelligence et le psychisme dés avant la résurrection, puis après la résurrection, le corps de chair et l’univers matériel dans son immensité.
L’homme exercera un art incomparablement plus beau qu’ici-bas pour trois raisons :
1° Ses facultés seront délivrées du poids de la chair dans son mode biologique. Elles s’exerceront avec une parfaite facilité. L’inspiration sera donc plus riche et lumineuse.
2° La matière transfigurée obéira pour ainsi dire au travail de l’homme, sans résistance. Sa lumière la rendra beaucoup plus capable d’exprimer l’idea sans la rendre terne, comme ici-bas. C’est une propriété de la lumière de la matière. Il est probable que l’homme pourra y imprimer la mémoire de son idea de telle manière qu’en contemplant l’œuvre, il soit possible aux autres de remonter sans effort à l’inspiration même de son auteur.
3° Les élus voyant Dieu face à face, ils n’auront plus à exprimer l’inconnu. Ici-bas, les plus grands artistes sont souvent les plus déséquilibrés des hommes car ils expriment sans le savoir ce qu’ils souffrent de ne pas posséder. D’où le caractère transcendant des beaux arts. Dans la Vision de Dieu, ils exprimeront au contraire en pleine lumière les merveilles innombrables de Celui qui sera vu par eux face à face. L’art n’aura donc plus cette obscurité d’ici-bas.
Enfin, le plaisir de la beauté étant la vibration entre une subjectivité et une réalité splendide, de ces deux points de vue, les élus éprouveront de la contemplation des œuvres de Dieu et de leurs frères un plaisir incomparable à celui d’ici-bas.
Solution 1 : La matérialité des œuvres humaines sera détruite, sans qu’il subsiste rien. Mais leur forme se trouvera simplement purifiée dans les facultés des élus, de telle manière que rien ne sera en définitive perdu de ce qui fut beau ici-bas.
Solution 2 : Il est vrai que la terne matérialité de l’art d’ici-bas n’aura pas sa place dans le monde des élus car tous les arts, toutes les beautés de la terre sembleront fades en comparaison de la beauté de l’Au-delà. Puisque la beauté est la rencontre vibrante d’un objet et d’une intelligence sensible, puisque tout sera plus lumineux et que la sensibilité sera elle-même surélevée, les musiques du paradis rendront grises toutes les anciennes musiques de la terre. Que sera donc l’art des plus grands musiciens ressuscité ? Impossible d’en imaginer la qualité, même en écoutant la musique terrestre. Mais la musique sera bien là.
Solution 3 : Ce texte parle de ce qui était déficient dans l’art d’ici-bas, à savoir des ténèbres de l’absence de Dieu, de l’opacité de la matière, de la lourdeur du psychisme humain et du péché qui contaminait toute réalisation. Tout cela ne s’applique qu’au monde des élus. Au contraire, en enfer, la disparition de la lourdeur du psychisme et de la matière ne suffiront pas à compenser les deux autres inconvénients. Leur expression extérieure sera faite de laideur.
Solution 4 : Nous accordons cette objection. L’impassibilité, la subtilité, l’agilité, la mobilité, l’immortalité des corps ressuscités rend inutile tout autre art que le beau. Sa lumière rend inutile l’intimité des demeures privées. La soumission de la matière à l’homme supprime tout autre travail que celui qui s’accompagne de plaisir.
A l’argument Cependant, il faut répondre que tout sera rendu mais transfiguré. Ainsi en sera-t-il pour l’art du service de Dieu. L’eucharistie, œuvre de Dieu, disparaîtra au profit de la présence physique et amoureuse du Christ glorieux homme et Dieu. Le livre des évangiles aura disparu au profit de la vision face à face de l’Evangile subsistant, Dieu. Les cathédrales seront remplacées par un Temple infini en taille et en splendeur, l’univers recréé et transformé par les élus. Mais ce sera aussi des beautés profanes qui, transfigurées, seront mis au service de la Famille éternelle.
NOTES
[1] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément, Question 74, article 1.
[2] 2, Pierre 3, 10.
[3] 2 Pierre 2, 7.
[4] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément, Question 74, article 2.
[5] 2 Pierre 3, 12.
[6] Psaume 101, 26.
[7] 2 Pierre 3, 12.
[8] Romains. 8, 22.
[9] Jean 13, 10.
[10] 2 Pierre 3, 10.
[11] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Supplément, Question 74, article 5.
[12] Saint Augustin, De l’unique baptême, chapitre XIII.
[13] Pour les trois objections et le cependant, voir le Supplément de la Somme de Théologie Question 74, article 9.
[14] Question 12, articles 2 et 3.
[15] Le monde nouveau : l’opinion de Balthasar : «Il est évident que le Nouveau Testament ne considère pas comme de son rôle de faire des déclarations sur «l’avenir du cosmos ». En effet, la dimension théologique « Ciel-terre » n’a rien à Voir avec une vue scientifique du monde. Il n’en est pas moins vrai toutefois que le tournant annoncé avec la résurrection du Christ, la mutation dont les chrétiens et, avec eux, «toute la création » aspirent à Voir l’accomplissement, est un événement qui présente pour l’évangile un intérêt capital. Saint Paul à vrai dire ne parle de la «nouvelle création » qu’au présent (Ga 6, 15 ; 2 Corinthiens 5, 17). Dans le grand texte sur «la création en attente, aspirant à la révélation des fils de Dieu » (Romains 8, 19 et tout le contexte), c’est la glorification définitive de ces enfants de Dieu qui se trouve au centre de l’attention, et non pas le statut de la création «libérée de la servitude de la corruption », elle qui «fut assujettie, sans l’avoir voulu, à la vanité ». Étant donné le mouvement de toute l’épître, cette accentuation est parfaitement compréhensible ; mais elle n’empêche pas que le monde créé eu son ensemble quitte son état de contrainte, pour entrer avec les élus dans le destin de l’homme racheté.
On sera d’accord avec A. Vögtle pour reconnaître que sur la forme finale du monde-quand la terre passera sous le patronage du Ciel-nous ne pouvons nous faire de représentation valable, et cela est d’ailleurs inutile. Mais il est sûr que cette forme dernière sera marquée christologiquement. C’est ce que nous affirme l’épître aux Colossiens (1, 15-20), encore que son interprétation ne soit pas très aisée à déterminer. La difficulté est, en effet, la suivante : comment un inonde, dont on dit qu’il est créé dans le Christ, afin d’être par lui et pour lui l’image du Dieu invisible, peut-il avoir encore besoin de «réconciliation » ?
BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, «le dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p. 382-385.
[16] Voir Saint Thomas d’Aquin, Ia IIae Question 4, article 7 ; Dans la Somme de Théologie, voir :
Béatitude. Béatitude de Dieu. Ia, q. 26.-En quoi consiste la béatitude de l’homme.-Ce que c’est et ce qu’elle exige 1a 2ae. q. 2. et q. 5. et q. 4.-Des béatitudes elles-mêmes. 1a 2ae. q 69.-Béatitude des saints et leurs demeures. sup. q. 95.-Qualités des bieaheureux. sup. q. 95.-Etat des bienheureux après la résurrection. sup. q. 82.
[17] 1 Rois 3, 11.
[18] “Exégètes et théologiens discutent, depuis saint Irénée, pour savoir si notre univers sera simplement transformé, changé en mieux ou s’il s’agit d’une recréation absolument nouvelle. Ce qui est sûr, c’est que le nouveau cosmos, adapté à la condition spirituelle des élus… ne se caractérisera pas par de plus grands biens temporels ou la prospérité, comme l’enseigne le Talmud et l’Islam, mais par la justice la plus stable et la plus totale, celle qui résulte du règne intégral de Dieu, donc l’opposé du péché, du désordre, de la corruption, de la vanité ». Voir SPICQ, C. , Les Epîtres de saint Pierre”, Gabalda, 1966, 260 ; VIARD, A, Expectatio créaturae, Revue Biblique, 1952, 337-354.
[19] Genèse 1, 14.
[20] Isaïe 60, 19.
[21] Apocalypse 21, 23.
[22] Sagesse 13, 5.
[23] Apocalypse 21, 23.
[24] Apocalypse 21, 1.
[25] Matthieu 22, 30.
[26] Dans cet article, nous avons estimé nécessaire de nuancer la position originelle de saint Thomas. Le grand Docteur affirme que les vivants autres que l’homme n’auront pas de place dans le monde nouveau à cause de leur nature corruptible. Or, à partir de ce même principe, on peut aboutir à des conclusions théologiques très différentes. La position de saint Thomas est exposée dans le corps de l’article.
L’opinion de Balthasar : «De ce point de vue-pour le dire en passant-la perspective médiévale sur l’état final du monde est un non-sens. Selon saint Thomas, dans le monde de la résurrection entrent seuls les corps des hommes et le monde minéral ; le monde végétal et animal, parce qu’il est soumis au motus cœli désormais suspendu, et parce que la vision de Dieu ne le concerne pas, tombe tout simplement dans le néant. Ce verdict cruel contredit la sensibilité vétéro testamentaire en faveur du cosmos animé, solidaire du cosmos humain (cf. Ps 8 ; Ps 104 ; Gn 1, etc)., ainsi que les représentations des prophètes et du judaïsme proposant le salut selon l’imagerie de la paix régnant entre tous les animaux (Is 11, 6-9 ; 65, 25). Il contredit aussi cette profonde sensibilité chrétienne dont Joseph Bernhart a donné une expression émouvante dans son livre Heilige und Tiere. Finalement, avec un auteur tel que Wolfram von den Steinen, on mettra en évidence le rôle des figures animales dans le Ciel biblique-l’agneau, la colombe, les êtres vivants à figure animale devant le trône de Dieu-ainsi que leur utilisation constante dans l’art chrétien. L’Apocalypse est ici particulièrement expressive, car elle intègre la «préhistoire » de la communauté chrétienne jusqu’à lui donner valeur identique d’expression en ce qui concerne l’imagerie. Du même coup, elle fournit l’argument pour que, dans le monde définitif du salut, le soubassement cosmique de l’homme entre dans la gloire en même temps que lui ; la création de Dieu, malgré sa diversité, est unique ». BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p. 383-384.
[27] Genèse 9, 3.
[28] 1 Corinthiens 15, 53.
[29] Genèse 9, 9.
[30] Romains. 8, 22.
[31] La résurrection des animaux dans l’Islam :
voir : La mort et le jugement dernier dans les enseignements de l’islam, Fdal HAJA, Rayhane éditions, Paris 1991, p. 78-79)
Dieu dit : “Lorsque les animaux sauvages seront rassemblés” (81 :5). “Pas de bête sur terre, ni d’oiseau volant de ses deux ailes qui ne constitue des nations semblable à vous : dans le Livre Nous n’avons absolument pas omis la moindre chose » (6 :38). “Parmi Ses signes il y a la création du Ciel et de la terre et de ce qu’il a propagés d’animaux dans les deux, gardant le pouvoir de les rassembler quand il le voudra” (42 :29). Ibn Taymiyya écrit à ce sujet : “Quant aux animaux sauvages, Dieu, qu’Il soit loué, les rassemblera et les ressuscitera comme il est indiqué dans le Livre et la Tradition (sunna)”. Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) note : “Dieu ressuscitera toutes les créatures le Jour du Jugement : les animaux sauvages, les oiseaux, les montures et autres. La justice de Dieu atteindra un tel degré de perfection qu’Il rendra la justice à une bote sans corne contre celle qui en a, en lui disant : “Soit poussière”, comme il le dit des impies... ». le mécréant dira : “Ah! Si je n’étais que poussière 1 » (78 :40). An-Nawawi a expliqué dans son commentaire de Sahih Muslim, ce qui suit : “Cela est une affirmation de la Résurrection des bêtes sauvages le Jour du Jugement et leur retour à ce qu’ils étaient ici-bas, comme le sont les êtres humains responsables, les enfants et les fous, ainsi que celui qui n’a pas reçu de message. C’est ce que démontrent les preuves (citées) dans le Coran et la sunna. Dieu dit : “Lorsque les animaux sauvages seront rassemblées » (81 :5). Quand au jugement en faveur de la bête sans corne contre celle qui en aura, ce n’est pas un Jugement de responsables puisque les animaux ne le sont pas, mais c’est un jugement de confrontation”.
[32] «Dressons le bilan : on ne peut se représenter le monde nouveau. Il n’y a pas non plus de formulation concrète, satisfaisante pour l’esprit, sur la nature de la relation de l’homme à la matière dans le monde nouveau ni sur le «corps ressuscité ». En revanche, il est certain que la dynamique du cosmos le conduit vers un but, vers une situation dans laquelle matière et esprit seront l’un et l’autre nouveaux et définitivement voués l’un à l’autre. Cette certitude reste la substance réelle de la confession de foi en la résurrection de la chair, aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais ». RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio, Fayard, 1994, p. 201.