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TABLE   SUIVANT

QUATRIÈME PARTIE

CE QUI SUIT LA RÉSURRECTION

 

Il nous faut maintenant considérer ce qui suit la résurrection. Il nous faudra voir deux choses :

1° Le jugement général.

2° L’état du monde après le jugement général.

 

Lorsque tout aura été achevé, lorsque chacun aura été établi dans la demeure éternelle auprès de Dieu ou dans l’enfer de son choix, le Christ remettra au Père toute chose.

Mais auparavant, il faudra que soit manifesté à tous la justice de ce jugement.

Le jugement général sera la palpable démonstration aux yeux de tous de l’amour de Dieu ayant agi dans l’histoire Sainte de chaque individu, de chaque groupe humain, de l’humanité entière. Alors se réalisera la prophétie[1] : « Heureux les assoiffés de justice, ils seront rassasié ».

 

QUESTION 47: Le jugement général de l’humanité

Article 1: Le jugement général aura-t-il lieu?

Article 2: Ce jugement aura-t-il lieu oralement?

Article 3: Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat?

QUESTION 48: La connaissance que les ressuscités auront au jour du jugement de leurs mérites et de leurs démérites

Article 1: Chaque homme connaîtra-t-il après sa résurrection, les péchés qu’il a commis?

Article 2: Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme?

Article 3: Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres? 

QUESTION 49: Juges et jugés au jugement général

Article 1: Y aura-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ? 81

Article 2: Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire?

Article 3: Les anges doivent-ils juger?

Article 4: Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement?

Article 5: Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement?

Article 6: Les méchants seront-ils jugés?

Article 7: Les anges seront-ils jugés lors du jugement dernier?

QUESTION 50: La forme sous laquelle le juge viendra

Article 1: Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité?

Article 2: Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse?

Article 3: La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants?

QUESTION 51: L’état du monde après le jugement

Article 1: Après le jugement général doit-on compter deux demeures des hommes et pas une de plus?

Article 2: Après la résurrection et le jugement général, y aura-t-il un lieu pour le paradis et l’enfer?

Article 3: La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant?

Article 4: Le châtiment des damnés s’étendra t-il jusque dans leur corps après la résurrection et le jugement général?

Article 5: Le monde demeurera t-il ainsi éternellement?

 

 

QUESTION 47: Le jugement général de l’humanité[2]

 

Considérons le jugement général, en posant quatre questions :

Article 1: Le jugement général aura-t-il lieu?

Article 2: Ce jugement aura-t-il lieu oralement?

Article 3: Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat?

Article 1 : Le jugement général aura-t-il lieu ?

Objection 1 : Il semble que non. Nahum déclare, selon la version des Septante : « Dieu ne jugera pas deux fois la même chose ». Or, Dieu juge chacune des actions des hommes, et aussitôt après la mort il attribue à chacun des châtiments ou des récompenses selon ses mérites ; même en cette vie, il récompense ou punit certains hommes selon leurs oeuvres bonnes ou mauvaises. Il semble donc qu’il ne doive plus y avoir d’autre jugement.

Objection 2 : Aucun jugement n’est précédé de l’exécution de sa sentence. Or la sentence du jugement divin au sujet des hommes, c’est l’admission dans le royaume ou l’exclusion, comme dit saint Matthieu. Donc, puisque dès maintenant il y a des hommes qui entrent dans le royaume éternel tandis que d’autres en sont exclus pour toujours, il ne semble pas qu’il y aura un autre jugement.

Objection 3 : La raison d’être d’un jugement c’est le doute au sujet de ce qui doit y être décidé. Mais la sentence de damnation pour les pécheurs ou de béatitude pour les saints est fixée avant la fin du monde.

 

Cependant : Nous lisons en saint Matthieu : « Les hommes de Ninive se dresseront au jour du jugement contre cette génération, et la condamneront ». Il y aura donc un jugement après la résurrection.

En outre, nous voyons en saint Jean : « Ceux qui auront accompli de bonnes actions s’avanceront dans la résurrection pour la vie, ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement ». Il semble donc qu’il doive y avoir un jugement après la résurrection.

 

Conclusion : De même que l’opération se rattache au principe des choses qui leur donne l’existence, de même le jugement se rattache au terme, par lequel les choses atteignent leur fin. Or on distingue deux sortes d’opérations de Dieu : la création, par laquelle Dieu a structuré l’univers comme un tout harmonieux où tout influence tout. Après cette opération, on dit que Dieu se reposa. Il est une autre opération de Dieu par laquelle il gouverne chacune des créatures individuellement pour les mener à leur fin. Jésus dit en saint Jean : « Mon Père a travaillé jusqu’à maintenant et moi aussi, je travaille ».

De même, on peut aussi distinguer deux jugements de Dieu, mais dans un ordre inverse. Le premier concerne d’abord les individus, le second l’univers dans son ensemble. 1° Le jugement particulier correspond à l’œuvre du gouvernement des individus. Chacun y reçoit individuellement, en conséquence de ses actes, la sentence de son destin éternel. Mais cela concerne chacun selon ses oeuvres, et seulement selon ce point de vue propre. Ce jugement ne s’étend pas à la connaissance de tous les méandres de l’œuvre de Dieu. 2° Le jugement général concerne la relation du salut ou de la damnation de chacun avec l’univers dans son ensemble. Il faut que les méandres et les influences de toutes les réalités soient révélés à la conscience de tous sous le rapport particulier du salut ou de la damnation. Parmi ces influences, la plus importante est la conscience de chacun. Comme le dit l’épître aux Hébreux, la raison de la récompense ou du châtiment de tous apparaîtra en pleine lumière à tous les autres.

On le voit, ce deuxième jugement n’a pas le même objet que le premier. Le premier aboutit à un choix, lui-même sanctionné par une sentence ; le second est une simple mise en lumière de ce choix et de cette sentence, universellement à tous. Afin que toute justice soit manifestée, il est donc nécessaire qu’il y ait ce deuxième jugement.

Tous, élus et damnés verront en acte ce qui n’était pas évident sur terre : la justice de Dieu. Lors de la fondation du monde, toutes les créatures procédèrent immédiatement de Dieu ; au jour du jugement général, l’achèvement suprême du monde s’accomplira quand chacun posera son jugement sur tout. C’est pourquoi au jugement général, la justice divine apparaîtra manifestement au sujet de toutes les choses qui actuellement sont cachées : car parfois Dieu dispose maintenant d’un homme pour l’utilité des autres d’une manière qui diffère de ce que sembleraient exiger les oeuvres que nous le voyons accomplir.

 

Solution 1 : Tout homme est à la fois un individu et une partie de tout le genre humain : il doit donc être l’objet de deux jugements. L’un, individuel, a lieu après la mort, quand on est traité selon ce qu’on a fait en sa vie corporelle. L’autre porte sur l’homme en tant qu’il fait partie de tout le genre humain. Le jugement universel de tout le genre humain ne séparera pas les bons et les méchants car cela aura été fait lors du jugement particulier. Mais il révèlera à tous la raison de cette séparation. Il révèlera tous les secrets de l’univers à tous : les secrets des consciences, les secrets des apparents abandons de Dieu, les raisons du scandale de la croix, l’influence des lois matérielles sur l’homme, la place du démon et des anges, la mort des innocents etc. Rien ne sera caché dans ce jugement de discernement. Chacun pourra comprendre la parole du Messie en : Matthieu 5, 6 : « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés ».

Solution 2 : La conséquence ultime du jugement général sera de ruiner tout espoir dans les méchants et d’exalter la victoire des humbles. Il y aura un accroissement de la peine des damnés puisque, ce jour-là, tout l’espoir qu’ils avaient d’imposer à Dieu leur présomption s’écroulera. Si Lucifer agit contre l’homme, c’est qu’il garde un certain espoir de vaincre le projet de Dieu. Dans le jugement général, il perdra tout espoir. Il constatera la victoire des humbles et verra avec rage que lui-même, par son action, ne fit que contribuer bien involontairement à cette victoire. Or, l’espoir de manifester à Dieu l’inanité de son projet d’amour étant l’ultime stimulation des damnés, leur désespoir les plongera dans dernier et éternel abattement. De même, le bonheur des élus sera augmenté, au moins accidentellement puisqu’ils verront d’expérience ce qu’ils savaient déjà en voyant Dieu.

Solution 3 : Le jugement universel regarde plus directement la totalité des hommes que chacun de ceux qui sont jugés. Avant ce jugement, chaque homme aura individuellement et pour ce qui le concerne une connaissance parfaite de ce qui a rapport avec sa propre damnation ou de sa récompense. Il connaîtra aussi le salut ou la damnation des autres. Cependant, il ne connaîtra pas les circonstances précises et les interactions de tous ces destins individuels, les détails de leur rapport à l’action de Dieu, aux anges etc. Le jugement universel, qui est plus un jugement de discernement qu’un jugement judiciaire est donc nécessaire.

 

Article 2 : Ce jugement aura-t-il lieu oralement ?

Objection 1 : Il semble que les révélations du jugement général doivent être oraux, puisque saint Augustin dit : « Combien durera ce jugement, c’est chose incertaine ». Ce ne serait pas incertain si les choses qui doivent être dites en ce jugement l’étaient seulement mentalement. C’est donc que ce jugement aura lieu oralement et non seulement mentalement.

Objection 2 : Saint Grégoire dit : « Ceux-là entendront les paroles du juge, qui auront gardé foi en sa parole ». Il ne peut pas s’agir là de paroles intérieures, car au jugement tous entendront les paroles du juge, puisque les actes accomplis seront connus de tous, bons et mauvais. Il semble donc que ce jugement aura lieu oralement.

Objection 3 : Le Christ jugera sous la forme humaine, pour qu’il puisse être vu corporellement par tous. Il semble donc qu’il parlera par la voix du corps, afin d’être entendu de tous.

 

Cependant : Saint Paul dit aux Romains : « Leur conscience leur rendra témoignage, et leurs pensées s’accuseront et se défendront l’une l’autre, en ce jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes ». Il semble donc que la sentence et tout le jugement s’accompliront seulement mentalement.

 

Conclusion : On est certain que ce jugement de discernement tout entier sera seulement mental. Si chacun des faits devait être narré oralement, cela exigerait une durée inestimable. Saint Augustin dit aussi : « Si on conçoit comme matériel le livre selon lequel tous seront jugés, qui pourrait en imaginer la hauteur ou la longueur ou dire en combien de temps on pourrait lire un livre dans lequel seraient inscrites toutes les vies de tous ». Or il faudrait autant de temps pour raconter verbalement les faits de chacun que pour les lire s’ils étaient matériellement inscrits dans un livre. Il est donc sûr que ce dont parle saint Matthieu s’accomplira, non pas oralement, mais mentalement.

Saint Augustin dit à propos du Livre de Vie dont parle l’apocalypse : « Ce sera une certaine force divine qui fera que chacun retrouvera en sa mémoire toutes ses oeuvres bonnes et mauvaises, et les verra par une intuition rapide de l’esprit de sorte que cette connaissance, révélée à tous les autres, accusera ou excusera la conscience de chacun : c’est ainsi que tous et chacun seront jugés ensemble ».

 

Solution 1 : Si saint Augustin dit : « qu’on ignore combien de jours durera ce jugement », c’est parce qu’il ne sait pas s’il aura lieu mentalement ou oralement. En ce cas en effet, il exigerait un temps prolongé. Mentalement, il pourrait se faire en un instant.

Solution 2 : Même si le jugement est seulement mental, ce texte de saint Grégoire peut se défendre. En supposant que tous connaissent leurs propres actions et celles d’autrui, grâce à une action divine, que l’Évangile nomme « parole ». Cependant, ceux qui auront eu la foi, conformément aux paroles de Dieu, seront jugés selon ces paroles. Car saint Paul dit aux Romains : « Quiconque a péché sous la loi, sera jugé selon la loi ». En effet, ce jugement se fera en toute vérité. Puisqu’un homme n’agit qu’en fonction de ce qu’il a reçu, chacun jugera différemment les actes passés selon que la personne était croyante ou incroyante, forte ou faible, etc.

Solution 3 : Le Christ apparaîtra dans son corps afin d’être reconnu par tous comme juge corporellement : cela peut se faire en un instant. Au contraire, la parole, qui est mesurée par le temps, exigerait une immense durée de temps si le jugement avait lieu oralement.

 

Article 3 : Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?

Objection 1 : Il ne semble pas que le jugement doive avoir lieu dans la, vallée de Josaphat ou dans ses environs : toute la Terre promise ne pourrait pas contenir la multitude de ceux qui doivent être jugés. Le futur jugement ne pourra donc pas avoir lieu dans cette vallée

Objection 2 : Le Christ en tant qu’homme jugera dans la justice, lui qui a été injustement condamné dans le prétoire de Pilate, et qui a été victime de cette sentence sur le Golgotha. Ce sont donc ces lieux-là qui devraient être désignés pour le jugement.

Objection 3 : Les nuées proviennent de la condensation des vapeurs. Mais à la fin du monde il n’y aura plus d’évaporation ou de condensation. Il ne sera donc pas possible que « les justes soient enlevés sur les nuées au devant du Christ dans l’air ». Bons et mauvais devront donc être sur terre, ce qui requiert un lieu beaucoup plus étendu que cette vallée.

 

Cependant : Joël dit : « Je rassemblerai toutes les nations, et je les conduirai dans vallée de Josaphat : là, je discuterai avec elles ».

En outre, les Actes disent : « Comme vous l’avez vu monter au Ciel, vous l’en verrez descendre ». Or le Christ s’est élevé vers les cieux à partir du Mont des Oliviers, qui domine la vallée de Josaphat. C’est donc près de ces lieux qu’il viendra juger.

 

Conclusion : On ne peut pas savoir grand-chose de certain au sujet des modalités du jugement et de la façon dont les hommes s’assembleront. Il est pourtant probable que le lieu désigné par la vallée de Josaphat a d’abord un sens symbolique. En effet, le nom de Josaphat signifie : « Yahvé juge ». C’est pourquoi le livre de Joël appelle le lieu où se tiendra le jugement général la « vallée de la décision »[3]. Si on suit le texte, cette vallée est située près de Jérusalem[4] : « Yahvé fait entendre sa voix de Jérusalem ; les cieux et la terre tremblent ». Cela signifie que le jugement des nations concernera le bien et le péché puisque Jérusalem symbolise la sainteté de ceux qui cherchent Dieu.

Ce sens est le premier et le plus important. Ces textes ont pourtant un sens littéral. Il y aura en effet un lieu matériel et un temps pour le jugement général puisque celui-ci arrivera après la résurrection des corps charnels.

Plusieurs possibilités ont été soutenues depuis les plus terrestres au plus spirituelles. Certains ont dit que l’humanité entière serait rassemblée en un seul lieu. Pour eux, d’après les Écritures, que le Christ descendra près du Mont des Oliviers, comme il s’est élevé, afin de montrer que c’est lui-même qui est descendu après être monté.

D’autres pensent que le jugement général aura lieu toute l’éternité partout où les hommes seront car la durée des temps ne suffira pas pour révéler à chacun la plénitude de toute l’action de Dieu et des anges, d’autant plus que l’on découvrira que la création des hommes et des anges ne dit pas tout de ce que Dieu a fait dans l’immensité de l’univers. Ce dernier sens n’est pas contradictoire avec le précédent. Il est très conforme à ce qu’est la vie éternelle et la damnation éternelle.

 

Solution 1 : Une grande multitude peut être contenue en un lieu restreint : il suffit d’occuper autour de ce lieu autant d’espace qu’il en faut pour recevoir la multitude de ceux qui doivent être jugés. En un autre sens, plus probable, il faut dire que chacun voyant le Christ d’où il est, verra en lui et dans la vision de son prochain qu’il ne cessera de rencontrer dans l’univers la totalité de ce qu’il lui faut connaître pour juger de toutes choses.

Solution 2 : Bien que le Christ, ayant été condamné injustement, mérite le pouvoir judiciaire, il l’exercera cependant pas sous son apparence de faiblesse, en laquelle il fut jugé, mais sous la forme glorieuse dans laquelle il est monté vers le Père, de la même façon que nous l’avons décrit à l’heure de la mort. En effet, sa vision devra révéler sans voile son mystère, ce qui n’était pas le cas quand il est venu sur terre sous le voile qui cache l’âme et le mystère de tous les fils d’homme. C’est pourquoi le lieu de l’Ascension convient mieux pour le jugement que celui de sa condamnation.

Solution 3 : Les nuées dont on parle ici sont l’intense lumière qui resplendit des corps glorieux des saints, et non des évaporations dégagées de la terre et de l’eau. Leur gloire révèlera à tous leur vie et leurs actions, ainsi que l’action de dieu sur eux, de même que les ténèbres physiques des damnés. On pourrait dire aussi que ces nuées seront engendrées par le nouvel état du corps de l’homme et montrera une certaine conformité avec le corps du Christ. Ainsi rien ne sera caché, d’où le nom de jugement général. Celui qui est monté sur la nuée revient pour juger sur la nuée. Les nuées, à cause de leur fraîcheur peuvent indiquer aussi la miséricorde du juge.

 

QUESTION 48 : La connaissance que les ressuscités auront au jour du jugement de leurs mérites et de leurs démérites

 Trois questions :

Article 1: Chaque homme connaîtra-t-il après sa résurrection, les péchés qu’il a commis?

Article 2: Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme?

Article 3: Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres? 

Article 1 : Chaque homme connaîtra-t-il après sa résurrection, les péchés qu’il a commis ?

Objection 1 : Il semble que, après la résurrection, personne ne se souviendra de tous les péchés qu’il aura commis. Car tout ce que nous connaissons est soit appréhendé nouvellement par un sens, soit provient du trésor de la mémoire. Mais les hommes, après la résurrection, ne pourront plus percevoir sensiblement leurs péchés, puisque ceux-ci seront du passé, alors que le sens ne saisit que le présent. D’autre part, beaucoup de péchés auront disparu de la mémoire du pécheur. Le ressuscité n’aura donc pas la connaissance de tous ses péchés.

Objection 2 : Il est dit dans les Sentences : « Il y a des livres de la conscience dans lesquels on lit les mérites de chacun ». Mais on ne peut lire une chose dans un livre que si elle y est inscrite. Or il y a des inscriptions de péché dans la conscience qui semblent consister seulement dans une culpabilité ou une tache, comme cela ressort d’un texte d’Origène sur ce passage de l’épître aux Romains : « Le témoignage étant rendu ». Puisque la tache et la culpabilité de beaucoup de péchés auront été effacées par la grâce, il ne semble pas que quelqu’un puisse lire dans sa conscience tous les péchés qu’il a accomplis.

Objection 3 : « L’effet croit avec sa cause ». La cause de la douleur des péchés dont le souvenir nous revient, c’est la charité. Puisque les saints qui ressuscitent possèdent une charité parfaite, ils devraient avoir une très vive douleur de leurs péchés s’ils s’en souvenaient : or cela ne peut être, puisqu’ils ne connaîtront plus ni douleur ni gémissement. Ils ne retrouveront donc plus le souvenir de leurs propres péchés.

Objection 4 : Les ressuscités bienheureux se comporteront à l’égard des péchés commis autrefois comme les ressuscités damnés à l’égard du bien qu’ils auront fait. Or les ressuscités damnés ne semblent pas devoir connaître le bien qu’ils ont accompli autrefois, car cela allégerait beaucoup leur peine. Donc les bienheureux ne connaîtront pas non plus les péchés qu’ils auront commis.

 

Cependant : Saint Augustin dit que « une force divine interviendra, qui rappellera à la mémoire tous les péchés ».

En outre, de même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur, de même le jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce verset des Rois : « L’homme voit les choses qui paraissent au dehors, tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur ». Mais on ne peut porter un jugement parfait sur quelqu’un que si les témoins ont déposé au sujet de tous les faits qui doivent être jugés. Dès lors, puisque le jugement divin est absolument parfait, il faut que la conscience garde toutes les choses sur lesquelles il doit porter. Ce jugement doit s’étendre à toutes les oeuvres, bonnes et mauvaises ». Saint Paul déclare : « Nous devons tous apparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun apporte toutes ses actions de la vis corporelle, bonnes ou mauvaises ». Il est donc indispensable que la conscience de chacun garde toutes les œuvres qu’il a accomplies, bonnes ou mauvaises.

 

Conclusion : Saint Paul dit : « Au jour du jugement du Seigneur, la conscience de chacun lui rendra témoignage : ses pensées l’accuseront et le défendront ». Cette parole s’applique à la fois au jugement particulier où le témoignage de la conscience provoque le choix éternel qu’au jugement général où ce même témoignage est manifesté à tous. Ainsi, dans ce jugement commun où seront appréciées toutes les oeuvres des hommes, la conscience de chacun sera comme un livre contenant tous ses actes, desquels résultera le jugement, de même que dans les jugements humains nous nous servons de registres. Tels sont les livres dont parle l’apocalypse : « Les livres furent ouverts, ainsi qu’un autre livre, le Livre de Vie : et les morts furent jugés selon ce qui était écrit dans les livres conformément à leurs actes ». Par les livres ainsi ouverts, on désigne la norme de tout bien, à savoir la sainteté du Christ auprès de qui tout sera étalonné. On désigne aussi la sainteté des saints qui, étant proportionnée à celle du Christ, participe à sa puissance normative. Le livre de Vie est, par contre, la conscience de chacun, livre unique puisque la force divine fait que les actions de chacun sont rappelées à sa mémoire. On pourrait dire aussi que les premiers livres dont parle l’apocalypse sont les consciences, tandis que le second serait la sentence du juge décrétée en sa sagesse.

 

Solution 1 : Bien que les mérites et démérites s’effacent de la mémoire consciente telle que nous l’expérimentons ici-bas, ils restent cependant tous conservés dans une mémoire plus profonde qui reparaît dans sa force à l’heure de la mort quand l’organe charnel du cerveau disparaît. C’est alors que, délivré du poids de l’usure du corps, la mémoire sensible liée au corps psychique réapparaît. La personne reste donc éternellement dans la pleine possession de tous ses souvenirs. Ils peuvent être rendus visibles à tous, sans qu’une aide de Dieu ait à s’ajouter, quoiqu’en pensait saint Augustin.

Solution 2 : Les souvenirs demeurent inscrits dans la conscience de chacun au sujet des actions accomplies. Il n’importe pas que ces souvenirs soient seulement ceux des actions coupables, comme nous l’avons dit plus haut. De même, les souvenirs des péchés pardonnés soit par le sacrement de pénitence, soit par l’action directe de Dieu reviendront car pardonner ne signifie pas oublier.

Solution 3 : Bien que la charité soit ici-bas une cause de regret du péché, cependant les saints dans la patrie seront tellement pénétrés de joie que la douleur n’aura plus de place en eux. Leurs péchés passés, loin d’être source de douleur, les feront se réjouir de la miséricorde divine qui les a pardonnés. Ils n’auront aucune honte à paraître devant l’univers entier dans la nudité de leur conscience car leur humilité, c’est-à-dire la vérité par rapport à eux-mêmes sera totale.

Solution 4 : Les méchants connaîtront tout le bien qu’ils ont fait ; Mais loin d’atténuer leur douleur, cela l’augmentera plutôt, car on souffre d’autant plus qu’on a perdu plus de biens. Boèce dit que « la pire des infortunes est d’avoir été heureux ».

Article 2 : Chacun pourra-t-il lire dans la conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ?

Objection 1 : Cela ne semble pas. La connaissance des ressuscités ne sera pas plus complète que celle des anges qu’il leur est promis d’égaler. Mais les anges ne peuvent pas découvrir dans l’esprit l’un de l’autre ce qui dépend du libre arbitre : ils ne le connaissent que par une communication verbale entre eux. Les ressuscités ne pourront donc pas apercevoir ce qui est contenu dans la conscience des autres.

Objection 2 : Tout ce qui est connu l’est en soi ou en sa cause ou en ses effets. Les mérites ou démérites contenus dans la conscience de quelqu’un ne peuvent être connus : ni en eux-mêmes parce que Dieu seul pénètre les cœurs et aperçoit leurs secrets ; ni en leur cause, parce que tous ne verront pas Dieu qui seul peut agir sur le cœur, duquel procèdent les actes méritoires ou déméritoires ; ni dans leurs effets, parce qu’il y a beaucoup de fautes dont ne demeurera aucun effet, ceux-ci étant supprimés par la pénitence. Donc tout ce qui est contenu dans la conscience de quelqu’un ne pourra pas être connu par un autre.

Objection 3 : Saint Jean Chrysostome dit : « Maintenant tu te souviens de tes péchés et les rappelles souvent en face de Dieu et pries à cause d’eux, ils seront vite effacés. Mais si tu les oublies, alors tu t’en souviendras malgré toi quand ils seront rendus publics et révélés en présence de tous, amis, ennemis et saints anges ». Il en résulte que cette publication est le châtiment de la négligence par laquelle l’homme omet de se confesser. C’est donc que les péchés confessés ne seront pas publiés.

Objection 4 : C’est un réconfort pour un pécheur que de savoir qu’il a beaucoup de semblables dans son péché, et il en a moins de honte. Si donc chacun connaissait les péchés des autres la honte de chaque pécheur en serait très diminuée, ce qui ne convient pas. Tous les hommes ne connaissent donc pas les péchés de tous les autres.

 

Cependant : Au sujet de l’épître aux Corinthiens, la Glose dit : « Les choses accomplies et les pensées bonnes et mauvaises seront alors révélées à tous et connues ».

En outre, les péchés passés de tous les justes seront effacés également pour tous. Or nous connaîtrons les péchés de certains saints, de Marie-Madeleine, de Pierre et de David. Nous devons donc connaître également les péchés des autres élus et plus encore de damnés.

 

Conclusion : Au jugement dernier et universel, la justice divine doit apparaît à tous avec évidence, tandis que maintenant elle échappe à beaucoup. Or, la sentence qui condamne ou récompense ne peut apparaître juste que si elle est portée selon les mérites ou les fautes. Dès lors, de même que le juge et son assesseur doivent connaître les mérites de la personne jugée pour pouvoir prononcer une juste sentence, de même pour qu’une sentence se montre juste, il faut que les mérites de la personne jugée apparaissent à tous ceux qui connaissent la sentence. C’est pourquoi, puisque la récompense ou la condamnation est connue de chacun et aussi de tous les autres, il est nécessaire que celui qui est jugé ne retrouve pas seulement le souvenir de ses mérites et démérites, mais qu’il connaisse aussi ceux des autres.

Telle est l’opinion plus probable et la plus commune. Pourtant le Maître des Sentences pense le contraire. C’est-à-dire que les péchés effacés par la pénitence n’apparaîtront pas aux autres hommes lors du jugement. Mais il en résulterait que les autres ne connaîtraient pas parfaitement la réparation accomplie pour ces péchés : et cela réduirait beaucoup la gloire des saints, et la louange de Dieu qui a si miséricordieusement libéré les saints.

 

Solution 1 : Tous les mérites et démérites de la vie terrestre composent une certaine somme pour la gloire ou l’humiliation de l’homme qui ressuscite. C’est pourquoi, en apercevant le corps transfiguré des élus comme des damnés, il sera possible de découvrir comme dans un miroir la totalité de sa conscience passée et présente. Cela sera possible grâce à l’action de la puissance divine, de telle sorte que la sentence du juge se révélera juste pour tous.

Solution 2 : Les mérites ou démérites pourront être manifestés aux autres grâce à la clarté ou à l’obscurité des corps des ressuscités, comme nous l’avons vu ou aussi en eux-mêmes grâce à leur éternelle subsistance dans la mémoire.

Solution 3 : La publication des péchés pour l’humiliation du pécheur est l’effet de la négligence commise par l’omission de leur confession. Mais la révélation des péchés des saints ne pourra pas être pour eux une source d’humiliation ou de honte : ce n’est pas pour Marie-Madeleine une source de confusion que de voir ses péchés racontés publiquement à l’Église, car la honte est « la crainte de la diminution de sa renommée », chose qui, comme dit saint Jean Damascène, est impossible pour les bienheureux. Cette publication augmentera la gloire des élus à cause de la pénitence qu’ils ont faite pour leurs péchés : c’est ainsi que le confesseur approuve celui qui confesse avec courage les grands crimes qu’il a accomplis. On dit que les péchés sont effacés en ce sens que Dieu ne les regarde plus pour les punir.

Solution 4 : Quand le pécheur considérera les péchés des autres, cela ne diminuera en rien sa confusion, mais l’accroîtra plutôt, car il aura encore plus de honte de ses péchés en voyant la honte que les autres en ont. Si ici-bas la vue des péchés des autres diminue notre honte, c’est parce que nous les considérons selon le jugement des autres, que l’habitude rend plus large. Dans l’au-delà au contraire nous aurons la confusion de voir le jugement porté par Dieu, pleinement vrai pour tout péché, de nous ou de beaucoup d’autres.

 

Article 3 : Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard tous les mérites et démérites de lui-même et des autres ?

Objection 1 : Il semble que non. Les particuliers étant multiples ne peuvent être vus en un seul regard. Or les damnés considéreront leurs péchés un à un et les pleureront : la Sagesse leur fait dire par exemple : « À quoi nous a servi notre orgueil ? » Ils ne verront donc pas tous leurs péchés d’un seul regard.

Objection 2 : Aristote dit : « Il n’est pas possible de saisir par l’intelligence plusieurs choses en même temps ». Or c’est par l’intelligence que nous connaîtrons les mérites et démérites de nous-même et d’autrui. On ne pourra donc pas les connaître tous ensemble.

Objection 3 : L’intelligence des damnés ne sera pas, après la résurrection, plus puissante que celle que possèdent maintenant les bienheureux et les anges, selon le mode naturel par lequel ils connaissent les choses par des espèces intelligibles innées. Mais dans cette connaissance, les anges ne voient pas plusieurs choses en même temps. Les damnés ne pourront donc pas, après la résurrection, voir en même temps toutes les actions passées.

 

Cependant : À propos de ce texte de Job : « Ils seront couverts de confusion », la glose dit : « En apercevant le juge, tous leurs péchés apparaîtront au regard de leur esprit ». Or, le juge, ils le verront en un instant. Ils verront donc de même tous les péchés qu’ils ont commis, ainsi que toutes les autres actions accomplies.

En outre, saint Augustin montre l’inconvénient qu’il y aurait à ce que, lors du jugement général, on doive lire un livre matériel dans lequel seraient inscrites les actions de chacun : nul ne pourrait concevoir la grandeur d’un pareil livre, ni le temps qu’il faudrait pour le lire. De même il serait impossible d’évaluer le temps requis pour qu’un homme considère tous ses mérites et démérites, ainsi que ceux des autres, s’il devait les voir successivement. On doit donc dire que chacun voit toutes ces choses en même temps.

 

Conclusion : À ce sujet, nous nous trouvons en face de deux opinions : certains disent que tous les mérites et démérites, personnels et d’autrui, seront vus par chacun en un seul instant. Pour les bienheureux, il est facile de l’admettre puisqu’ils verront tout dans le Verbe : de cette manière, il n’y a pas de difficulté à ce que plusieurs choses soient vues en même temps. Par contre, cela est plus difficile pour les damnés, puisque leur intelligence n’est pas élevée au point de pouvoir voir Dieu, et toutes choses en Lui.

C’est pourquoi, d’autres disent que les méchants verront en même temps, d’une manière globale, tous leurs péchés et ceux des autres. Et cela suffit pour constituer l’accusation nécessaire pour la condamnation ou l’absolution. Mais ils ne verront pas tous ces péchés en même temps d’une manière individuelle. Pourtant cela ne semble pas conforme à la pensée de saint Augustin, qui dit que toutes les actions seront énumérées dans un seul regard de l’esprit : ce qui est connu globalement n’est pas énuméré.

On peut donc adopter une solution intermédiaire : chacune des actions sera vue, non pas en un seul instant, mais en un temps fort bref, grâce à l’action divine. C’est ce que dit saint Augustin : « Elles seront vues avec une étonnante rapidité ». Cela n’est pas impossible, car dans le plus petit espace de temps il y a une infinité d’instants possibles. C’est d’ailleurs confirmé, pour ce qui concerne le jugement individuel, par les témoins d’une Expérience de Mort Imminente (N.D.E.).

 

Cela résout les objections posées.

 

QUESTION 49 : Juges et jugés au jugement général[5]

 

Traitons maintenant de ceux qui jugeront et de ceux qui seront jugés au jugement général :

Article 1: Y aura-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ? 81

Article 2: Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire?

Article 3: Les anges doivent-ils juger?

Article 4: Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement?

Article 5: Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement?

Article 6: Les méchants seront-ils jugés?

Article 7: Les anges seront-ils jugés lors du jugement dernier?

Article 1 : Y aura-t-il des hommes qui jugeront avec le Christ ?

Objection 1 : Il semble qu’il n’y en ait aucun. Dans saint Jean, nous lisons : « Le Père a donné tout jugement au Fils, afin que tous l’honorent ». Cet honneur n’est du à aucun autre que le Christ.

Objection 2 : Celui qui juge a autorité sur ce qu’il juge. Or l’objet du jugement final, c’est-à-dire les mérites et démérites des hommes, n’est soumis qu’à l’autorité divine. Il n’appartient donc à personne de juger de ces choses.

Objection 3 : Ce jugement n’aura pas lieu oralement, mais mentalement, selon l’opinion plus probable. Mais la révélation faite aux cœurs des hommes, de leurs mérites et démérites, constituera en quelque sorte l’accusation ou la recommandation ou même l’attribution de la peine ou de la récompense, ce qui équivaut à l’énoncé de la sentence. Or cela ne peut être accompli que par la puissance divine. Nul ne jugera donc que le Christ qui est Dieu.

 

Cependant : Nous lisons en saint Matthieu : « Vous siégerez vous aussi sur douze sièges, jugeant les douze tribus d’Israël ».

En outre, nous voyons dans Isaïe : « Dieu viendra juger avec les anciens de son peuple ». Il semble donc que d’autres jugeront avec le Christ.

 

Conclusion : Juger peut s’entendre de diverses manières : 1° D’abord causalement : on dit qu’une chose juge quand elle montre que quelqu’un doit être jugé de telle manière. C’est ainsi qu’on dit que certains sont jugés par une comparaison, en tant que par comparaison avec les autres, on voit comment ils doivent être jugés. Dans Matthieu, nous lisons : « Les bommes de Ninive se dresseront en jugement contre cette génération et la condamneront ». Cette manière de juger vaut aussi bien pour les bons que pour les méchants.

2° On juge aussi interprétativement : nous considérons comme faisant une chose ceux qui consentent à ce qu’elle se fasse. Ainsi ceux qui acceptent le jugement du Christ en approuvant sa sentence sont regardés comme jugeant avec lui. Ce sera le cas de tous les élus. C’est pourquoi la Sagesse dit : « Les justes jugeront les nations ». Ce ne sera pas le cas des damnés qui refuseront de toute leur volonté la règle de ce jugement, à savoir l’amour et l’humilité du Christ.

3° En un troisième sens, on dit que quelqu’un juge en tant qu’assesseur : parce qu’il a un comportement semblable à celui du juge, par exemple en siégeant en un lieu élevé comme lui ; c’est ainsi qu’on dit que les assesseurs jugent. Selon cette manière de parler, ce ne seront pas seulement les grands saints mais tous les élus du Ciel, jusqu’au plus petit, qui jugeront puisque tous auront été élevé par Dieu à la dignité d’ami de Dieu.

4° « La loi juge ». Il est un autre mode de jugement qui convient aux saints. En effet, s’étant conformé au Christ, ils possèdent en eux les décrets de la justice divine, en vertu desquels les hommes seront jugés. Chaque élu est en quelque sorte une loi vivante qui révèle la règle du jugement. L’apocalypse dit : « Le jugement débute et les livres sont ouverts ». C’est de cette manière que Richard de Saint Victor explique le jugement : « Ceux qui prennent part à la contemplation divine, qui lisent chaque jour dans le livre de la sagesse, écrivent pour ainsi dire dans les volumes de leur cœur tout ce qu’ils saisissent par leur pénétrante intelligence de la vérité ». Il ajoute : « Que sont les cœurs de ceux qui jugent, instruits divinement de toute vérité, sinon les décrets des canons ».

5° Juger peut s’entendre par porter une sentence au sujet d’un autre. Cela peut s’accomplira de deux manières. D’une part en vertu de sa propre autorité, et cela appartient à celui qui jouit d’une autorité et d’un pouvoir sur les autres qui lui sont soumis : il possède le droit de les juger ; Dieu seul possède ce droit. D’autre part, juger peut consister à rendre publique une sentence portée par une autre autorité c’est seulement l’énonciation d’une sentence déjà fixée. De cette manière les hommes justes jugeront parce qu’ils révéleront aux autres la sentence de la justice divine, afin qu’ils sachent ce qui est du en justice à leurs mérite. Cette divulgation de la justice peut s’appeler jugement. C’est pourquoi Richard de Saint Victor dit : « Les juges ouvrent les livres de leurs décrets devant ceux qui sont jugés, ils admettent les inférieurs à inspecter leur propre cœur, en leur révélant leur manière d’apprécier les choses soumises au jugement ».

 

Solution 1 : Cette objection vaut pour le jugement d’autorité qui n’appartient qu’au Christ seul.

Solution 2 : Celle-ci aussi.

Solution 3 : Il n’est pas exclu que certains saints révèlent des choses aux autres, soit par manière d’illumination, comme les anges supérieurs éclairent les inférieurs, soit par manière de conversation, comme les inférieurs parlent aux supérieurs.

 

Article 2 : Le pouvoir judiciaire appartient-il à la pauvreté volontaire ?

Objection 1 : Il semble que non. Le pouvoir de juger appartient à celui qui plaît à Dieu. Or, plutôt que l’humilité, c’est la charité qui résume la loi. Donc le pouvoir de juger appartiendra à la charité.

Objection 2 : Le pouvoir de juger est promis seulement aux douze apôtres : « Vous siégerez sur douze sièges, en jugeant ». Puisqu’il y a des pauvres volontaires en dehors des apôtres, il semble que le pouvoir judiciaire ne leur soit pas accordé à tous.

Objection 2 : Il est plus grand de sacrifier à Dieu son propre corps que les biens matériels. Or les martyrs et les vierges offrent à Dieu le sacrifice de leur propre corps, tandis que les pauvres volontaires ne sacrifient que les biens matériels. Le privilège du pouvoir judiciaire semble donc convenir davantage aux martyrs et aux vierges.

Objection 3 : À ce texte de saint Jean : « Moïse en qui vous espérez vous accuse », la Glose ajoute : « parce que vous n’avez pas cru à sa voix ». Saint Jean dit plus loin : « Le discours que je vous ai fait jugera l’homme au dernier jour ». C’est donc que celui qui expose la loi ou exhorte en vue d’une instruction morale jugera ceux qui les méprisent. Or cette mission est celle des docteurs. Il convient donc qu’ils jugent plutôt que les pauvres volontaires.

Objection 4 : Le Christ, parce qu’il a été jugé injustement en tant qu’homme, a mérité d’être juge de tous les hommes dans sa nature humaine. Saint Jean : « Dieu lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme ». Ceux qui souffrent persécution pour la justice sont, eux aussi, jugés injustement. Le pouvoir judiciaire leur convient donc mieux qu’aux pauvres.

Objection 5 : Le supérieur n’est pas jugé par l’inférieur. Mais beaucoup de ceux qui usent licitement des richesses auront plus de mérites que bien des pauvres volontaires. Ceux-ci ne les jugeront donc pas.

 

Cependant : Nous lisons dans Job : « Il ne sauve pas les impies, et donne aux pauvres le pouvoir de juger ». Juger appartient donc aux pauvres.

En outre, à propos de saint Matthieu. « Vous qui avez tout quitté, etc. », la Glose dit « Ceux qui auront tout quitté et auront suivi Dieu seront juges ; ceux qui auront bien usé des biens légitimement possédés, seront juges ».

 

Conclusion : La question peut être formulée de la manière suivante : Lors du jugement général, qui sera le plus apte à éclairer le jugement sur tout ? Sera-ce le plus intelligent comme le souhaite Lucifer ? Seras-ce le plus humble ? Pour répondre, il faut discerner la vertu qui plait à Dieu.

La pauvreté volontaire n’est pas la simple pauvreté matérielle. C’est plutôt la pauvreté du cœur, autrement dit l’humilité. Nous avons vu qu’elle est dans l’édifice spirituel, le fondement où vient s’enraciner la charité. En effet, l’homme humble s’oublie et devient capable d’aimer en vérité, c’est-à-dire d’aimer sans motif égoïste.

Le pouvoir judiciaire est donc du spécialement à cette pauvreté, c’est-à-dire aux humbles, pour trois motifs :

1° Premièrement, par raison de convenance, car la pauvreté volontaire est la vertu de ceux qui, méprisant toutes les choses du monde, adhèrent au Christ seul. Il n’y a rien en eux qui fasse dévier de la justice leur propre jugement. Ils sont donc pour tous les autres une norme supérieure de jugement puisqu’ils approchent davantage la vraie justice.

2° Secondairement, par raison de mérite. Car l’humilité appelle l’exaltation des mérites selon les paroles de Marie [6]: « Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles ». Or, parmi les choses qui ici-bas provoquent le mépris des hommes, la principale est la pauvreté. L’excellence du pouvoir judiciaire est donc promise aux pauvres, pour que celui qui s’est humilié pour le Christ soit exalté.

3° Troisièmement, parce que la pauvreté dispose à juger dans la vérité. On dit en effet d’un saint qu’il juge, dans le sens que nous avons dit, parce que leur cœur est rempli de la vérité divine : il sera donc capable de la manifester aux autres, sans arrogance d’une manière proche de celle du Christ.

Dans la marche progressive vers la perfection, la première chose qu’on doit abandonner, ce sont les vanités intérieures : car ce sont les premiers obstacles à l’amour. C’est pourquoi parmi les béatitudes qui nous font progresser vers la perfection, la pauvreté est placée la première. De la sorte la pauvreté correspond au pouvoir judiciaire en tant qu’elle est la première disposition pour la perfection. Ce pouvoir est promis à tous les humbles qui, ayant tout quitté, suivent le Christ dans son total anéantissement. C’est le cas de tous les saints du Ciel, même de ceux qui n’ont suivi le Christ qu’à la onzième heure c’est-à-dire face à sa révélation de l’heure de la mort.

 

Solution 1 : La pauvreté ne suffit pas, à elle seule, à mériter le pouvoir judiciaire. C’est parce qu’elle a permis la naissance de la charité qu’elle le mérite. C’est en effet dans le cœur des humbles que la charité s’enflamme avec le plus de force. En fin de compte, on peut dire que le pouvoir judiciaire appartient à ceux qui ont le plus aimé.

Solution 2 : Saint Augustin écrit : « Nous ne devons pas penser, parce qu’il est dit que les juges siégeront sur douze sièges, qu’ils ne seront pas plus de douze. Sinon, puisque nous lisons que Matthias fut nommé apôtre à la place de Judas le traître, nous devrions croire que Paul qui a travaillé plus que les autres, ne siégerait pas pour juger ». Ce nombre de douze signifie toute la multitude des juges, car les deux parties du chiffre sept, c’est-à-dire trois et quatre, si nous les multiplions font douze ». Or, douze est un nombre parfait puisqu’il consiste en l’addition de deux six, qui est un nombre parfait.

On peut dire aussi que littéralement le Christ donne le chiffre des douze apôtres en désignant par eux tous leurs successeurs.

Solution 3 : La virginité et le martyre ne disposent pas autant que l’humilité à la sainteté que donne la charité. En effet, les vanités intérieures, par le lien qu’elles imposent, étouffent plus que tout autre chose la parole de Dieu et la croissance de la charité, comme il est dit en saint Luc.

Les autres vertus comme une virginité totale du cœur (à savoir l’absence de mélange avec le péché mortel) et le martyre (la constance à souffrir pour l’amour), et toutes les œuvres de perfection, brilleront d’une spéciale auréole lors du jugement général et seront motif de jugement pour les autres. Elles ne seront pourtant pas aussi importantes que la pauvreté parce que le début d’une chose en est la partie principale.

Solution 3 : Celui qui a enseigné la loi ou exhorté au bien jugera, causalement, en ce sens que les autres seront jugés en se comparant aux paroles qu’il a exposées. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire ne vient pas de  la prédication ou de l’enseignement. On peut aussi dire, selon certains, que le pouvoir judiciaire requiert trois choses : d’abord, le dépouillement de soi pour que l’esprit ne soit pas empêché de recevoir la sagesse ; ensuite l’amour de charité qui consiste à connaître et à observer la justice divine ; enfin le fait d’avoir enseigné aux autres cette justice. Ainsi l’enseignement est une perfection qui achève de mériter le pouvoir judiciaire.

Solution 4 : Le Christ, en tant que jugé injustement, s’est humilié lui-même. « Il a été offert, parce qu’il l’a voulu ». Cette humilité mérite l’élévation au titre de juge, par lequel tout lui est soumis, comme dit saint Paul. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire est davantage dû à ceux qui s’humilient volontairement, en rejetant les vanités de ce monde, à cause desquels les hommes sont honorés par les mondains, qu’à ceux qui ne sont humiliés que par les autres.

Solution 5 : Un inférieur ne peut pas juger son supérieur en vertu de son autorité propre, mais il le peut en vertu de l’autorité d’un être supérieur à tous deux, comme nous le voyons chez les juges délégués. Il n’y a donc pas d’inconvénients, si les pauvres reçoivent cette récompense, en quelque sorte accidentelle, à ce qu’ils jugent ceux-là mêmes qui possèdent un mérite supérieur à l’égard de la récompense essentielle.

 

Article 3 : Les anges doivent-ils juger ?

Objection 1 : Il semble que oui : Matthieu dit : « Quand le Fils de l’homme viendra en sa majesté, avec tous les anges ». Or, il s’agit là de la venue pour le jugement. Les anges aussi jugeront donc.

Objection 2 : Les ordres des anges tirent leur nom de la charge qu’ils remplissent. Parmi eux se trouve l’ordre des Trônes, qui semble se rapporter au pouvoir judiciaire. Le trône est en effet le siège du juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Il y aura donc des anges qui jugeront.

Objection 3 : Il est promis aux saints qu’après cette vie ils seront égaux aux anges. S’il y a même des hommes qui auront le pouvoir de juger, à plus forte raison les anges l’auront-ils aussi.

 

Cependant : Saint Jean dit : « Dieu a donné au Christ le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme ». Or les anges ne participent pas à la nature humaine. Donc pas non plus au pouvoir judiciaire.

En outre, le juge et son ministre sont deux êtres distincts. Les anges, lors du jugement seront les ministres du juge, selon saint Matthieu : « Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils recueilleront dans son royaume tous les scandales ». Ils ne jugeront donc pas.

 

Conclusion : Les anges seront jugés, comme toutes les réalités de l’univers qui ont eu à choisir Dieu ou qui ont participé à titre de moyen à ce choix. Le jugement général est d’abord un discernement universel sur l’ordre total du monde. Il manifeste principalement ce qui concerne l’entrée dans la gloire ou le refus de la gloire. Or les anges ont leur place dans ce discernement puisque certains ont choisi Dieu ; d’autres l’ont rejeté. Certains ont aidé les hommes à entrer dans la gloire, d’autres ont participé à leur damnation. Sous le rapport de ce jugement de discernement, les anges jugeront et seront jugés. Chacun comprendra le rôle de Lucifer et de ses anges dans le mystère de l’iniquité et le malheur du monde. Chacun verra la place importante des bons anges dans l’économie du salut.

Mais les anges ne jugeront pas les hommes. Le jugement général porte aussi sur les mérites respectifs de ceux qui, dans la chair, se sont comportés avec plus ou moins de courage et dignité. Sous ce rapport, les anges ne jugeront pas les hommes. Ils n’ont pas connu les tribulations de la chair. Le droit de juger est attribué en premier à Jésus, le Fils de l’homme, qui plus que tout autre a aimé dans sa chair. Il sera la norme du bien et du mal pour les hommes. Il apparaîtra en sa nature humaine aux bons comme aux méchants. Pour la même raison, ses assesseurs seront les autres hommes, bons et mauvais. Il n’appartient donc pas aux anges de juger les hommes sous ce rapport, bien qu’on puisse dire que de quelque manière ils jugent aussi, en tant qu’ils approuvent la sentence. Mais les anges jugeront les autres anges.

 

Solution 1 : La Glose ordinaire dit que les anges viendront avec le Christ lors du jugement, non comme juges, mais « pour être les témoins des actes humains, que les hommes ont accomplis, bons ou mauvais, tandis qu’ils étaient sous leur garde ».

Solution 2 : Le nom de Trônes est attribué aux anges en raison de ce jugement que Dieu ne cesse d’exercer en gouvernant toutes les créatures avec une parfaite justice : les anges sont de quelque manière les exécuteurs et les promulgateurs de ce jugement. Par contre, le jugement que le Christ en tant qu’homme tiendra au sujet des hommes, requiert des assesseurs qui soient hommes.

Solution 3 : L’égalité avec les anges est promise aux hommes quant à la récompense essentielle. Rien n’empêche par contre que les hommes puissent recevoir une récompense accidentelle qui ne sera pas donnée aux anges, par exemple l’auréole des vierges et des martyrs : de même pour le pouvoir judiciaire.

 

Article 4 : Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement ?

Objection 1 : Il semble que les hommes ne comparaîtront pas tous en jugement. Nous lisons en effet dans saint Marc : « Vous siègerez sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël ». Tous les hommes n’appartiennent pas à ces douze tribus. Il semble qu’ils ne viendront pas tous en jugement.

Objection 2 : Le Psalmiste dit : « Les impies ne ressusciteront pas pour le jugement ». Or, il y en a beaucoup. Tous les hommes ne comparaîtront donc pas.

Objection 3 : Si quelqu’un est amené au jugement, c’est pour qu’on discute ses mérites. Mais il y a des hommes qui n’ont eu aucun mérite, par exemple les enfants morts en bas âge. Il ne sera donc pas un jugement universel.

 

Cependant : Les Actes disent que « le Christ a été institué par Dieu juge des vivants et des morts ». Ces deux catégories englobent tous les hommes, quelle que soit la manière de distinguer les morts des vivants. Tons les hommes viendront donc au jugement.

En outre, nous lisons dans l’apocalypse : « Voici qu’il vient sur les nuées, et tout oeil le verra ». Ce qui ne serait pas si tous n’étaient pas présents.

 

Conclusion : Dans ce jugement de discernement, il est certain que tout ce qui a eu un rapport avec le salut paraîtra au jugement. 1° En premier lieu, le Christ sera jugé et il deviendra pour tous la norme du jugement. Chacun verra une nouvelle fois que le pouvoir judiciaire lui a été conféré en tant qu’homme en récompense de l’humilité manifestée dans sa passion. Il y a répandu son sang d’une manière suffisante pour tous les hommes, bien qu’il n’ait pas réalisé en tous le salut, à cause des obstacles trouvés en certains. Il convient donc que tous les hommes soient assemblés face à lui, afin de contempler son exaltation dans sa nature humaine, en laquelle il a été constitué par Dieu juge des vivants et des morts. 2° Puis, à sa lumière, tous les hommes et tous les anges seront jugés. Chacun comprendra le choix et les circonstances qui ont conduit au salut ou à la damnation. Dans le même acte, les hommes deviendront juges pour tous les autres de telle manière que chacun se jugera en fonction des mérites ou démérite des autres. 3° Mais aussi, non à titre de prévenu mais à titre de pièce à conviction, les créatures non spirituelles seront jugées puisque tout, dans l’univers aura participé d’une manière ou d’une autre au chemin qui mène à Dieu. Les créatures seront rappelés à la mémoire de tous, comme les évènements du passé afin que rien ne soit caché.

 

Solution 1 : Nous devons dire avec saint Augustin « Ce n’est point parce qu’il est dit jugeant les douze tribus d’Israël, que la tribu de Lévi, qui est la treizième, ne devrait pas être jugée ou que le Maître jugerait seulement ce peuple et non pas les autres nations ». Par cette expression les douze tribus, toutes les nations sont désignées, parce qu’elles ont été appelées par le Christ au même sort que les douze tribus.

Solution 2 : Cette proposition « Les impies ne ressus­citeront pas pour le jugement », si on l’applique à tous les pécheurs, doit être prise en ce sens qu’ils ne ressusciteront pas en vue d’être jugés digne de la gloire. Si on l’applique aux infidèles, elle signifie qu’ils ne ressusciteront pas pour être jugés en tant qu’infidèles puisqu’ils ne le seront plus, mais en tant qu’ancien infidèle ayant été sauvé ou damné.

Solution 3 : Même les enfants morts avant l’âge du discernement paraîtront au jugement pour être jugés aussi, puisqu’ils n’entreront pas dans la vision de Dieu sans un choix d’amour.

 

Article 5 : Les bons seront-ils jugés en ce dernier jugement ?

Objection 1 : Il semble qu’aucun des hommes bons ne sera jugé, car il est dit en saint Jean « Celui qui croit en moi n’est pas jugé », et tous les bons croient au Christ.

Objection 2 : Point de bonheur pour ceux qui sont incertains de leur béatitude. Saint Augustin prouve par là que les démons n’ont jamais été bien­heureux. Or tous les saints sont bienheureux ils ont donc la certitude de leur béatitude. Puisqu’on ne juge pas ce qui est déjà certain, les bons ne seront pas jugés.

Objection 3 : La crainte est incompatible avec la béati­tude. Le jugement dernier, qui est dit très redoutable, ne pourrait avoir lieu sans provoquer la crainte de ceux qui doivent être jugés.

Objection 4 : Saint Grégoire dit, à propos de ce texte de job : « Quand il aura été enlevé, les anges crain­dront » : « Pensons au trouble de la conscience des méchants, alors que même la vie des bons sera bouleversée ». Les bienheureux ne seront donc pas jugés.

 

Cependant : Il semble que tous les bons seront jugés, car saint Paul dit aux Corinthiens : « Il faut que nous soyons tous présentés au tribunal du Christ, pour que chacun rapporte ce qu’il a fait de son propre corps, en bien et en mal ». Il s’agit bien là du jugement tous les bons seront donc jugés.

En outre, qui dit universel, dit toutes choses. Or ce dernier jugement s’appelle universel. Donc tous seront donc jugés.

 

Conclusion : Dans un jugement de discernement, il y a deux éléments : les débats sur les mérites, et l’attri­bution des récompenses ou des sanctions. Sous ces deux rapports, les bons comme les méchants seront jugés. Pour l’attri­bution des récompenses ou des sanctions, tous seront jugés, même les bons, puisque chacun devra comprendre la sentence divine qui attribua lors du jugement particulier le prix corres­pondant à son mérite. En ce qui concerne les débats sur les mérites, pour la même raison, ils auront lieu pour tous, même pour le Christ et la Vierge Marie en qui on ne trouvera aucun péché. Il faut en effet que le détail de l’héroïsme intérieur et extérieur de leur vie soit connu de tous. De même pour les autres en qui on discernera un passé fait d’un mélange de bonnes et de mauvaises actions, rien ne devra être ignoré de ce qui fut bâti avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en se livrant totalement au service de Dieu, et de ce qui fut bâti sur la base de la foi, mais avec du bois, du foin et de la paille, c’est-à-dire de ce qui en nous jadis aimait encore les choses du siècle, et se livrent à des affaires terrestres, tout en ne faisant rien lasser avant le Christ, et en s’efforçant de réparer leurs péchés par des aumônes. De même pour les damnés.

En résumé, on doit dire que tout sera porté au jugement de discernement de tous.

 

Solution 1 : La punition est l’effet de la justice, tandis que la récompense est celui de la miséricorde c’est pourquoi on attache de préférence au jugement, qui est un acte de justice, l’idée de punition ; on en vient donc à parler de jugement pour dire condamnation. C’est en ce sens qu’on doit prendre le texte cité. Du reste la Glose le montre bien.

Solution 2 : La discussion au sujet des mérites des élus n’est point pour enlever de leur cœur la certitude de la béatitude elle montre à tous d’une manière évidente la prééminence de leurs bonnes oeuvres sur leurs fautes ; la justice divine en est mieux démontrée.

Solution 3 : Le jugement général n’aura lui rien de terrible pour les élus car l’amour n’a rien à craindre. La lumière du Christ ne les écrasera pas comme au jour du jugement individuel avant que le purgatoire ait achevé de les purifier. En effet, devenus conforme à lui, son humilité les élèvera plutôt. Les damnés, par contre, subiront l’obligation du jugement général comme la pire des épreuves et, ce jour-là, se réalisera de manière ultime et visible la parole de la Genèse parlant de l’orgueil de Lucifer [7]: « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon ».

Solution 4 : Saint Grégoire parle des justes qui sont encore dans leur chair mortelle. Il avait dit plus haut « Ceux qui auront été surpris dans leurs corps (par la fin du monde), bien que déjà forts et parfaits, cependant, parce qu’ils sont encore dans leurs corps, ne pourront pas, au milieu d’une telle vague de terreur, éviter toute épouvante ». Il est clair que cette terreur se rapporte au temps qui précédera immédiatement le jugement. Il sera absolument terrible pour les méchants, mais non pour les bons, qui ne se sentiront pas soupçonnés de mal.

 

Article 6 : Les méchants seront-ils jugés ?

Objection 1 : Aucun des méchants, semble-t-il, ne sera jugé. La damnation est certaine pour ceux qui meurent dans le péché mortel, comme pour ceux qui refusent de croire. Or nous voyons, en saint Jean, que, à cause de cette certitude de damnation, « celui qui ne croit pas est déjà jugée ». Pour ce même motif, aucun pécheur ne sera jugé.

Objection 2 : La voix du juge est terrible pour ceux qu’il condamne. Mais nous lisons dans les Sentences, d’après saint Grégoire : « La parole du juge ne s’adressera pas aux incrédules ». Si donc elle s’adresse au contraire aux croyants condamnés, les incrédules tireraient avantage de leur incrédulité c’est absurde.

 

Cependant : Tous les méchants doivent être jugés, parce que le châtiment est infligé à chaque faute selon sa gravité : cela n’est pas possible sans la détermination du jugement. Tous les méchants seront donc jugés.

           

Conclusion : Le jugement en tant que détermination des peines pour les péchés concerne tous les méchants. En tant qu’appré­ciation des mérites, il concerne seulement les élus. Pour ce qui concerne les damnés, ange ou homme, il ne faut pas croire que tout dans leur être et dans les actes qui précédèrent leur libre orientation vers l’amour d’eux-mêmes fut mauvais. Lucifer fut un ange de Dieu avant de se révolter contre son projet d’humilité. De même, chez les humains damnés, leur vie passée ne fut pas qu’une somme d’actes mauvais. Ils firent parfois du bien pour un motif humain ou même surnaturel pour ceux qui eurent la foi et la charité. Mas tous, confrontés à la révélation du projet de Dieu, aboutir pour une raison ou une autre à se déterminer en opposition définitive. Afin que la justice et les circonstances de  la damnation soient connues de tous, il y aura donc nécessairement pour eux un jugement général et nul ne devra rien ignorer des circonstances de leur réprobation.

 

Solution 1 : Ceux qui meurent en état de péché mortel, doivent manifestement être damnés. Mais ils ont peut-être commis des actions secondaires auxquelles serait attaché un certain mérite. Pour manifester la justice divine, il faut qu’une délibération ait lieu au sujet de leurs mérites, afin de montrer qu’ils sont justement exclus de la cité des saints, dont ils paraissent extérieurement être du nombre des citoyens.

Solution 2 : Le discours du juge sera vrai. Or, celui qui durant sa vie reçut la grâce d’avoir la foi et malgré tout se livra aux mêmes péchés que celui à qui fut refusée cette lumière est plus coupable. Face à la lumière du Christ, cette circonstance sera donc manifestée à tous selon la parole de Jésus [8]: « La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon! » Mais, alors que la vérité de ce jugement fut  ressenti comme dur par les repentants au moment du jugement particulier au point qu’ils se mirent eux-mêmes au purgatoire, le jugement général ne sera pas ressenti comme tel au jugement général. Car, à ce moment, il n’y aura plus en eux aucun reste de fierté. Ils prendront donc la manifestation de cette vérité à l’univers entier de manière simple et ils s’en réjouiront même, comme on se réjouit quand on aime Dieu de la manifestation de sa miséricorde.

 

Article 7 : Les anges seront-ils jugés lors du jugement dernier ?

Objection 1 : « Dieu ne juge pas deux fois le même objet ». Les mauvais anges ont déjà été jugés, selon ce mot de saint jean « Le prince de ce monde a déjà été jugé ». Les anges ne seront donc plus jugés.

Objection 2 : En outre, la bonté ou la malice des anges est plus parfaite que celle des hommes sur la terre. Mais certains hommes, bons et mauvais, ne seront pas jugés, comme il est dit dans les Sentences. Les anges bons et mauvais ne seront donc pas jugés.

 

Cependant : Tout sera révélé à tous. Donc les anges seront jugés. Saint Paul aux Corinthiens le confirme : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges ? » Saint Pierre le confirme : « Dieu n’a point pardonné aux anges qui péchaient. Il les a réservés pour être jugés et livrés aux êtres hurlants de l’enfer et tourmentés dans le Tartare ». Dans Job, nous voyons au sujet de Béhémoth ou Léviathan, c’est-à-dire du diable : « Il sera précipité à la vue de tous » ; et dans saint Marc, le démon interpelle le Christ : « Pourquoi es-tu venu nous perdre avant le temps ? » Et la Glose d’ajouter : « Les démons apercevant le Seigneur sur la terre, croyaient qu’ils seraient aussitôt jugés ».

 

Conclusion : En tant qu’il est un discernement, le jugement général aura lieu pour les anges, mais il sera différent de celui des hommes car ils n’ont pas la même nature. Chacun verra que leur choix, effectué lors de la fondation du monde fut un acte simple et sans mélange car on ne pourrait trouver rien de mal chez les bons ni de bon chez les mauvais. De plus,  leur rôle dans le drame du salut des hommes ayant été essentiel, il sera manifesté.

Si nous parlons du jugement en tant que rétribution, nous devons distinguer deux sortes de rétributions : 1° L’une répond aux mérites personnels des anges. Elle fut accomplie dès le début, quand les uns furent élevés jusqu’à la béatitude, et les autres noyés dans la misère. Les anges ne seront donc pas jugés sous ce rapport au jugement général. 2° Il y a une autre rétri­bution qui correspond aux oeuvres bonnes ou mauvaises accomplies grâce à l’intervention des anges. Celle-là aura lieu au jugement dernier : les bons anges se réjouiront davantage du salut de ceux qu’ils auront portés aux actions méritoires, tandis que les mauvais anges seront incomparablement plus tourmentés. Le salut des bons, la victoire de Dieu leur enlèvera tout espoir d’une victoire selon la lettre des Écritures[9]: « Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal ». D’autre part, ils seront davantage tourmentés par la chute des hommes méchants, qu’ils auront poussés au mal.

 

Solution 1 : Le jugement général n’a pas comme but, comme le jugement particulier d’émettre et d’appliquer la sentence de damnation ou d’élection. Il a pour but d’en révéler la cause et la circonstance à tous.

Solution 2 : Les anges bons ou mauvais se sont tourné vers Dieu ou l’ont rejeté à travers un seul acte parfait de leur esprit. Ils ne seront pas jugés en ce sens qu’il faudrait pour comprendre leur acte, considérer la durée et les circonstances de longues hésitations. Leur jugement sera donc simple comme l’est leur nature spirituelle dépourvue de corps. Il est possible que certains hommes particulièrement déterminés au mal leur ressemblent, n’ayant jamais au cours de leur vie dévié du seul amour d’eux-mêmes.

 

QUESTION 50 : La forme sous laquelle le juge viendra

 

Recherchons sous quelle forme le juge viendra juger :

Article 1: Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité?

Article 2: Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse?

Article 3: La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants?

Article 1 : Le Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ?

Objection 1 : En saint Jean, il est dit : « Le Père a donné au Fils tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Mais un honneur égal à celui du Père n’est pas dû au Fils selon sa nature humaine. Il ne jugera donc pas sous la forme humaine.

Objection 2 : En Daniel, nous voyons ceci : « Je regardais jusqu’à ce que les sièges fussent disposés et que l’Ancien siégeât ». Les trônes désignent le pouvoir judiciaire. L’ancienneté est attribuée à Dieu, à cause de son éternité, selon Denys. Juger convient donc au Fils en tant qu’éternel, non en tant qu’homme.

Objection 3 : saint Augustin affirme : « Par le Verbe Fils de Dieu s’accomplit la résurrection des âmes. Par le Verbe devenu dans l’incarnation Fils de l’homme, se fera la résurrection des corps ». Le jugement final concerne plutôt l’âme que la chair. Il convient donc mieux ait Christ de juger en tant que Dieu qu’en tant qu’homme.

 

Cependant : Saint Jean dit : « Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme ».

En outre, nous voyons dans Job « Ta cause a été jugée comme celle d’un impie ». La Glose ajoute : « par Pilate » ; c’est pourquoi tu recevras le jugement et la cause ». Et la Glose reprend « pour juger justement ». Mais le Christ a été jugé par Pilate selon sa nature humaine : c’est donc en elle qu’il jugera.

De même, juger appartient à qui a le droit de poser des lois. Or, c’est en apparaissant dans sa nature humaine que le Christ nous a donné la loi de l’Évangile. C’est donc en elle qu’il jugera.

 

Conclusion : Pour juger, on doit avoir autorité. Saint Paul dit aux Romains : « Qui es-tu donc pour juger le serviteur d’un autre ? » Le Christ a le pouvoir de juger en tant qu’il possède autorité sur les hommes, au sujet desquels aura lieu principalement le jugement final. Il est notre maître, non seulement en vertu de la création, parce que « le Seigneur lui-même est Dieu, lui-même nous a faits ; Nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes », mais aussi en vertu de la rédemption qu’il a réalisée en sa nature humaine. Saint Paul dit aux Romains : « Le Christ est mort et est ressuscité pour dominer les morts et les vivants ». Pour obtenir la récompense de la vie éternelle, les biens de la création ne nous suffiraient pas sans le bienfait de la rédemption, à cause de l’empêchement que le péché de nos premiers parents a inséré dans notre nature. C’est pourquoi, puisque le jugement final a pour but d’admettre certains hommes dans le royaume, tandis que d’autres en sont exclus, il convient que ce soit le Christ lui-même en sa nature humaine, grâce à laquelle l’homme est admis dans le royaume, qui Préside ce jugement. C’est ce que signifient les Actes : « Lui-même a été institué par Dieu juge des vivants et des morts ».

En outre, grâce à la rédemption du genre humain, il n’a pas restauré seulement l’huma­nité, mais par cette restauration (le l’homme, il a amélioré aussi toute la créature, univer­sellement. saint Paul dit aux Colossiens : « Paci­fiant par son sang répandu sur la Croix, tout ce qui est sur terre et dans les cieux ». C’est pourquoi, par sa passion, le Christ a mérité la domination et le pouvoir judiciaire, non seulement sur les hommes, mais sur toute créature. Saint Matthieu : « Tout pouvoir m’a été donné dans le Ciel et sur la terre ».

 

Solution 1 : Le Christ n’aurait pas suffi à racheter le genre humain s’il avait été seulement homme. S’il a pu racheter le genre humain selon sa nature humaine et obtenir par là le pouvoir judiciaire, cela manifeste qu’il est Dieu lui-même et doit être honoré autant que le Père, non pas comme homme, mais comme Dieu.

Solution 2 : Dans cette vision de Daniel, il s’agit manifestement de la plénitude de l’ordre du pouvoir judiciaire. Elle réside d’abord, comme en sa source première, en Dieu lui-même, et plus spécialement dans le Père, qui est le principe de toute déité. C’est pour cela que le texte dit d’abord : « L’Ancien siège ». Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par le Père au Fils, non seulement éternellement en vertu de sa nature divine, mais même dans le temps, selon sa nature humaine, qui l’a méritée. C’est pourquoi la vision prophétique se poursuit : « Et voici que sur les nuées du Ciel il semblait que le Fils de l’homme venait, et parvenait jusqu’à l’Ancien, qui lui donna pouvoir, honneur et royaume ».

Solution 3 : Saint Augustin parle en vertu d’une certaine appropriation : il ramène les effets que le Christ a opérés dans la nature humaine, à des causes qui sont semblables de quelque manière. Par notre âme, nous sommes faits à l’image et la similitude de Dieu, tandis que par notre chair nous sommes de la même espèce que le Christ homme. C’est pourquoi il attribue à la divinité ce que le Christ a fait dans nos âmes, tandis qu’il attribue à sa chair ce qu’il a fait ou fera dans notre chair. Cependant sa chair, en tant qu’organe de sa divinité, selon l’expression de saint Damascène, produit aussi des effets dans nos âmes comme dit saint Paul aux Hébreux : « Son sang a purifié nos consciences de nos oeuvres de mort ». Ainsi le Verbe fait chair est cause de la résurrection de nos âmes. Dès lors, même en sa nature humaine, il convient que le Christ soit le juge, non seulement des valeurs corporelles mais des valeurs spirituelles

 

Article 2 : Le Christ au jugement apparaîtra-t-il sous la forme de son humanité glorieuse ?

Objection 1 : Au jugement, il ne semble pas que le Christ apparaîtra sous la forme de son humanité glorieuse. À propos de saint Jean : « Ils verront celui qu’ils ont transpercé », la Glose dit : « Car il viendra en cette même chair dans laquelle il fut crucifié ». Or il a été crucifié en une forme de faiblesse corporelle. C’est donc dans cette forme qu’il apparaîtra non sous une forme glorieuse.

Objection 2 : Saint Matthieu dit : « Le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le Ciel « : il s’agit du signe de la Croix. Saint Jean Chrysostome ajoute : « Le Christ viendra juger en montrant non seulement les cicatrices de ses blessures, mais même la forme très ignominieuse de sa mort ». Il ne sera donc pas sous une forme glorieuse.

Objection 3 : Le Christ se présentera au jugement sous une forme qui puisse être vue par tous. Sous la forme de son humanité glorieuse, il ne pourrait pas être vu par tous, bons et méchants, car l’œil non glorifié ne semble pas être adapté pour voir l’éclat d’un corps glorieux. Il ne se présentera donc pas sous cette forme.

Objection 4 : Ce qui est promis aux justes à titre de récompense ne peut pas être accordé à ceux qui ne sont pas justes. Voir la gloire de l’huma­nité du Christ est promis aux justes comme récompense, selon saint Jean : « Il entrera et sortira et trouvera des pâturages ». Saint Augustin l’interprète : « Ce sera la communion à la Divinité et à l’humanité ». Et Isaïe dit : « Ils verront le Roi dans sa splendeur ». Tous ne pourront donc pas voir au jugement la forme glorieuse du Christ.

Objection 5 : Le Christ jugera dans la forme où il a été jugé. À propos de saint Jean : « Ainsi le Fils vivifie qui il veut », la Glose dit : « Dans la forme où il a été jugé injustement, il jugera justement, pour pouvoir être vu par les impies. Puisqu’il a été jugé sous sa forme de faiblesse, c’est en celle-là qu’il apparaîtra au jugement.

 

Cependant : Nous lisons en saint Luc : « Ils verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, avec grande puissance et majesté ». Majesté et puissance appartiennent à la gloire. C’est donc en sa forme glorieuse qu’il apparaîtra.

En outre, le juge doit manifester en plénitude la norme du droit divin qui est l’humilité et l’amour. Cela, son humanité glorieuse, marquée des stigmates de sa passion, peut le faire plus parfaitement que son humanité douloureuse.

De plus, être jugé est un signe de faiblesse tandis que juger marque l’autorité et la gloire. En son premier avènement, quand le Christ est venu pour être jugé, il apparut sous une forme de faiblesse. Au second avènement, quand il viendra pour juger, il apparaîtra sous sa forme glorieuse.

 

Conclusion : Le Christ est appelé « médiateur de Dieu et des hommes », parce qu’il répare pour les hommes et implore le Père, tandis qu’il communique aux hommes ce qui tient du Père : Saint Jean dit : « Je leur ai donné la lumière que tu m’as donnée ». Il lui convient donc de communiquer avec chacun des termes qu’il unit : communiquant avec les hommes, il représente les hommes auprès du Père ; communiquant avec le Père, il transmet ses dons aux hommes. Dans le premier avènement, il était venu pour réparer pour nous auprès du Père. Il apparaissait donc sous notre forme d’infirmité. Dans le second avènement, il viendra pour accomplir la justice du Père parmi les hommes. Il devra alors manifester la gloire qui lui vient de la communion avec le Père ; il se montrera donc sous la forme glorieuse.

 

Solution 1 : Il se montrera dans la même chair, mais dans une autre manière d’être.

Solution 2 : Le signe de la Croix apparaîtra au jugement pour manifester une infirmité passée, mais non plus actuelle. Par là il montrera la justice de la condamnation de ceux qui ont repoussé tant de miséricorde, et surtout de ceux qui ont injustement persécuté le Christ. Les cicatrices qui apparaîtront sur son corps ne seront pas un signe d’infirmité : elles seront les marques de la très grande force par laquelle le Christ dans sa passion et sa souffrance a triomphé de ses ennemis. Il manifestera aussi sa mort très humiliante, non pas en la présen­tant aux regards comme s’il la subissait maintenant, mais en portant les hommes à se souvenir de cette mort passée, par la présen­tation des traces de cette passion d’autrefois.

Solution 3 : Le corps glorieux possède le pouvoir de se manifester ou non comme tel à un oeil non glorifié, comme nous l’avons vu. C’est pourquoi le Christ pourra être vu par tous en sa forme glorieuse.

Solution 4 : La gloire d’un ami nous réjouit. Par contre la gloire et la puissance de celui que l’ont hait est une grande source de tristesse. C’est pourquoi, tandis que la vision de la gloire de l’humanité du Christ sera une récompense pour les justes, elle sera un supplice pour ses ennemis. Isaïe : « Qu’ils le voient et soient confondus les dirigeants du peuple, et que le feu (c’est-à-dire l’envie) dévore tes ennemis ».

Solution 5 : La forme signifie ici la nature humaine, en laquelle le Christ a été jugé et jugera. Elle ne vise pas la qualité de cette nature, qui ne sera pas infirme dans le juge comme elle l’était quand il fut jugé.

 

Article 3 : La divinité peut-elle être vue sans jouissance par les méchants ?

Objection 1 : Il semble que la divinité puisse être vue par les méchants sans en éprouver de joie. Il est un effet certain que les impies savent manifestement que le Christ est Dieu. Ils verront donc sa divinité. Et pourtant ils n’en jouiront pas. Il pourra donc être vu sans joie.

Objection 2 : La volonté perverse des impies n’est pas plus contraire à l’humanité du Christ qu’à sa divinité. Mais le fait de voir la gloire de son humanité sera pour eux une peine. À bien plus forte raison, s’ils voyaient sa divinité, ils en seraient plus attristés que réjouis.

Objection 3 : L’affectivité ne suit pas nécessairement l’intelligence. Saint Augustin dit : « L’intelligence précède, et le sentiment suit plus tard ou pas du tout ». La vision appartient à l’intelligence et la joie à l’affectivité. Il pourra donc y avoir vision de la divinité sans joie.

Objection 4 : « Tout ce qui est reçu en quelqu’un est reçu selon le mode de celui qui reçoit, et non selon le mode de ce qui est reçu ». Tout ce qui est vu est reçu de quelque manière dans celui qui le voit. C’est pourquoi bien que la divinité soit elle-même source de très grande joie, cependant, si elle est vue par ceux qui sont accablés de tristesse, elle ne les réjouira pas, mais les contristera davantage.

Objection 5 : L’intelligence est à l’égard de l’intelligible comme le sens à l’égard du sensible. Nous voyons dans l’ordre sensible que « pour un palais malade le pain devient désagréable, alors qu’il est agréable pour un palais sain ». Comme dit saint Augustin, il en va de même pour nos autres sens. Dès lors, puisque les damnés ont l’intelligence désordonnée, il semble que la vision de la lumière incréée lui apportera plus de souffrance que de joie.

 

Cependant : Nous lisons en saint Jean : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le vrai Dieu ». L’essence de la béatitude consiste donc en la vision de Dieu. Mais la notion même de béatitude inclut la joie. On ne peut donc voir la divinité sans en jouir.

En outre, l’essence même de la divinité est l’essence même de la vérité. Voir le vrai est pour tous une source de délectation ; « Tous par nature désirent savoir », comme dit Aristote dans les Métaphysiques. La divinité ne peut donc pas être vue sans joie.

De plus, si une vision n’était pas toujours source de joie, ce serait que parfois elle engendre la tristesse. Mais la vision intellectuelle n’est jamais attristante. Parce que, comme dit Aristote, il n’y a pas de tristesse opposée à la délectation que l’on a en comprenant. . Puisque la divinité ne peut être vue que par l’intelligence, il semble qu’elle ne puisse pas être vue sans joie.

 

Conclusion : En toute chose désirable ou délectable, on peut considérer deux aspects : 1° ce qui est désirable ou délectable. Les choses qui sont délectables seulement par participation à une bonté qui est la raison pour laquelle elles sont désirables et délectables, peuvent, si on les perçoit, ne pas apporter de jouissance ; mais ce qui est bon en vertu de sa propre nature, il est impossible qu’en percevant son essence on n’en jouisse pas. Dès lors, puisque Dieu est essentiellement la Bonté en elle-même, il n’est pas possible de voir la divinité sans en jouir.

2° Ce qui est le motif de ce désir et de cette délectation. Boèce dit : « Ce qui est, peut contenir quelque chose d’autre que son être ; mais le fait d’être ne peut rien contenir d’autre que lui-même ». De même, ce qui est désirable ou délectable peut contenir quelque chose qui ne soit ni délectable ni désirable ; mais ce qui est le motif même de cette détectabilité ne peut rien contenir, en soi-même, à cause de quoi il ne serait ni délectable ni désirable. Ainsi en est-il de Dieu : délectable et désirable en lui-même, il peut être haï à cause des conditions qu’il met à l’entrée dans sa Vision. Il s’agit essentiellement de l’humilité et de l’amour que les damnés refusent obstinément.

 

Solution 1 : Les impies sauront mani­festement que le Christ est Dieu, non en voyant sa divinité, mais grâce à des signes très manifestes de sa divinité.

Solution 2 : On ne peut pas davantage avoir de la haine pour la divinité telle qu’elle est en elle-même, qu’on ne pourrait haïr la bonté elle-même ; mais la divinité peut devenir objet de haine pour certains à cause d’effets particuliers qu’elle produit, parce qu’elle agit ou qu’elle ordonne contrairement à leur propre volonté. Il est donc impossible que la vision de la divinité ne soit pas délectable pour quelqu’un.

Solution 3 : Ce texte de saint Augustin doit s’appliquer quand ce que l’intelligence perçoit est bon par participation seulement, et non par essence, comme sont toutes les créatures : en elles il peut y avoir quelque chose qui n’émeut point l’affec­tivité. Ici-bas, Dieu même n’est connu que par ses oeuvres, et l’intelligence ne parvient pas à la connaissance de l’essence elle-même de sa bonté. L’affectivité ne suit donc pas nécessai­rement la connaissance, comme elle le devrait si celle-ci pénétrait l’essence de Dieu, qui est la bonté même.

Solution 4 : La tristesse n’est pas une disposition, mais plutôt une passion. Toute passion est supprimée par une cause plus puissante qui survient ; elle ne peut chasser cette cause. C’est pourquoi, la tristesse des damnés disparaîtrait, si, par impossible, ils voyaient Dieu en son essence.

Solution 5 : Si un organe est indisposé, sa conformité naturelle avec l’objet qui devrait normalement le faire jouir, disparaît, et la jouissance est empêchée. Mais la mauvaise disposition des damnés ne peut supprimer la disposition natu­relle foncière qui les orientait vers la bonté divine, dont l’image demeure toujours en eux. Le cas est donc différent.

 

 

QUESTION 51 : L’état du monde après le jugement

 

A cet égard, cinq questions se posent :

Article 1: Après le jugement général doit-on compter deux demeures des hommes et pas une de plus?

Article 2: Après la résurrection et le jugement général, y aura-t-il un lieu pour le paradis et l’enfer?

Article 3: La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant?

Article 4: Le châtiment des damnés s’étendra t-il jusque dans leur corps après la résurrection et le jugement général?

Article 5: Le monde demeurera t-il ainsi éternellement?

 

Article 1 : Après le jugement général doit-on compter deux demeures des hommes et pas une de plus ?

Objection 1 : Il semble qu’on ne doit pas compter deux demeures seulement, à savoir l’enfer et le paradis. Les enfants morts sans baptême seront éternellement dans les limbes puisqu’ils sont entachés du péché originel qui les sépare de Dieu.

Objection 2 : Après le jugement général, certaines âmes n’auront pas achevé de satisfaire pour les peines du purgatoire. Il y aura donc une troisième demeure.

Objection 3 : Le Seigneur dit : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ». Il semble qu’on doive compter plus de deux demeures au paradis.

Objection 4 : Il faut aussi compter parmi les demeures le shéol, encore appelé sein d’Abraham, où étaient conduites les âmes de ceux qui sont morts avant la venue du Christ. Il s’agit d’un état où la vision de Dieu n’est pas possible. C’est la demeure des ombres, c’est-à-dire des âmes errantes. Les âmes sont parfois punies au lieu même où elles ont péché, c’est-à-dire ici bas, ce qui fait encore une demeure d’autant plus que les pécheurs sont parfois punis dès cette vie en ce monde.

Objection 5 : Il faudrait distinguer d’autres demeures encore, par exemple, l’air ténébreux qui est représente comme la prison des démons.

Objection 6 : Ou encore, le paradis terrestre dans lequel Énoch et Élie ont été transportés.

Objection 7 : L’âme qui sort de ce monde avec le péché originel et n’ayant commis que des péchés véniels doit avoir une demeure à part. En effet, elle ne peut aller ni au Ciel, puisqu’elle n’a pas la grâce, ni en enfer puisque seul le péché mortel y condamné.

Objection 8 : Aux âmes en état de grâce mais avec des fautes vénielles à expier, est assignée une demeure spéciale, le purgatoire. Aux âmes en état de péché mortel, mais ayant fait quelques bonnes oeuvres, devrait donc être assigné une demeure spéciale, distincte de l’enfer.

 

Cependant : Lors du jugement général, le Seigneur triera les brebis et les boucs en disant[10] : « Venez les bénis de mon Père » aux élus et « allez-vous en loin de moi, maudits » aux damnés. Il n’y aura donc que deux demeures après le jugement général.

 

Conclusion : Des demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers états ou conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; Face à l’apparition du Messie et séparée du foyer de péché qui, provisoirement la maintenait en liberté diminuée, elle est devenue en état de choisir son destin de manière définitive. Elle reçoit en conséquence la récompense du bien qu’elle a fait et c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle maintient et c’est l’enfer des damnés.

Quant aux empêchements provisoires qui peuvent différer l’obtention immédiate de la gloire, ils sont supprimés. S’il est un empêchement qui vient de la personne, il est enlevé par le purgatoire dans lequel les âmes sont retenues jusqu’à expiation du péché commis. S’il est un empêchement de la nature, à savoir le péché originel, il est enlevé par le Christ à cause des mérites de sa rédemption accomplie sur la croix. Donc, lors du jugement général, il ne restera que deux demeures : l’enfer et le paradis.

 

Solution 1 : Les limbes des enfants ne sont pas une demeure éternelle mais seulement provisoire car eux-mêmes doivent recevoir la prédication du Seigneur, dans le passage de la mort selon cette parole du Seigneur[11] : « Tout homme verra le salut de Dieu et devant lui tout genoux fléchira ». Si tout homme doit voir le salut de Dieu, c’est qu’il doit être proposé à tous, ce qui ne peut se faire que par la remise du péché originel. En fin de compte, tout genou fléchira devant Dieu, ceux des méchants par peur, ceux des bons par amour. Il n’y a donc que deux demeures éternelles, l’enfer et le paradis.

Solution 2 : La providence divine permettra que toute âme ait achevé son purgatoire lorsque viendra le jugement dernier, même les plus grands pécheurs selon cette parole de Marie à Fatima à propos d’une jeune fille décédée : « Elle est en purgatoire jusqu’à la fin du monde. ». Ce sera possible même pour ceux qui seront encore vivants lors du retour du Christ sur la terre. Il faut en effet se souvenir que la souffrance purificatrice n’est pas mesurable selon le temps extérieur mais seulement selon la durée intérieure de celui qui souffre quelques minutes peuvent paraître des années. Ainsi chaque âme paraîtra lors du jugement général de l’humanité selon la bonté ou la perversité qui doit être sienne pour l’éternité.

Solution 3 : Comme nous l’avons montré, les demeures dont le Seigneur parle ici sont les divers degrés et les divers modes de béatitude des âmes. Les degrés se prennent de l’intensité de la charité ; les modes de la grâce par­ticulière dont chaque âme a vécu durant son pèlerinage terrestre et qui sont signifiés par les auréoles. Il s’agit donc plutôt de divers états que de diverses demeures. [12]

Solution 4 : Comme les limbes des enfants, les limbes des âmes errantes appelés par l’Écriture « Shéol » sont une demeure provisoire des âmes trop attachées à la terre pour accepter de passer dans l’autre monde où les attend le Christ. Dieu permet cette errance comme une prolongation de la vie terrestre en vue de leur salut puisque, isolées dans leur névrose pendant des années, elles finissent par comprendre la vanité de leur attachement. Elles appellent le Messie qui les fait passer dans l’autre monde. À la fin du monde, il n’y aura plus d’âmes dans cet état à cause de la souffrance qui purifiera les derniers habitants de la terre au point de leur faire désirer le salut et grâce au retour du Christ. Le démon perdra ce jour-là son pouvoir sur les morts, selon saint Paul : « Le Christ a supprimé la cédule de notre dette en la clouant sur la croix. Il a dépouillé les Prin­cipautés et les Puissances et les a données en specta­cle à la face du monde, en les tramant dans son cortège triomphal ».

Solution 5 : L’air ténébreux n’est pas le lieu où les démons reçoivent leur punition, mais celui qui semble leur convenir dans la guerre qu’ils font aux hommes. Lors du jugement général, il n’y aura plus d’homme à tenter sur la terre. La demeure sera donc l’enfer.

Solution 6 : Saint Augustin écrit : « Le paradis terrestre se rapporte à la vie présente et non à la vie future. Énoch et Élie y furent conduits avec leur corps provisoirement afin qu’ils puissent revenir prêcher à la fin des temps sur la terre mais cette demeure est exceptionnelle et elle disparaîtra avec la glorification du corps de ces saints ». Mais nous avons montré que cette tradition est à interpréter dans un sens métaphorique[13].

Solution 7 : C’est là une hypothèse impossible. L’enfant sans libre arbitre ne peut pécher mortellement ; à plus forte raison il ne le peut pécher véniellement. À l’éveil de la raison, il choisira absolument le bien ou le mal c’est-à-dire ou bien il fera un acte de charité qui le justifiera ou bien il commettra un acte mauvais qui le mettra en inimitié personnelle avec Dieu.

Solution 8 : Les lieux terrestres où il arrive que des âmes séparées expient leurs fautes, ne sont cependant pas le vrai lieu de leur punition. L’apparition de certaines âmes de l’enfer est permise par Dieu pour instruire les hommes et leur inspirer une crainte salutaire du péché. Mais, à la fin du monde une telle pédagogie sera devenue inutile puisqu’il n’y aura plus d’homme en état de vie sur la terre. Le lieu de la damnation sera donc l’enfer.

Solution 9 : Le mal ne se présente jamais à l’état pur et sans mélange de bien, de la façon dont le souverain bien existe sans mélange de mal. C’est pourquoi pour atteindre la béatitude, qui est le souverain bien, il faut être purifié de tout mal, soit avant de quitter ce monde, soit après, dans un lieu spécial qui est le purgatoire. Mais, en enfer, il ne saurait y avoir une absolue privation de bien. Les deux cas sont donc dissemblables, même si les bommes oeuvres qu’ils ont faites sur la terre peuvent valoir aux damnés un certain adoucissement de leur punition.

 

Article 2 : Après la résurrection et le jugement général, y aura-t-il un lieu pour le paradis et l’enfer ?

Objection 1 : Il semble que le lieu de l’enfer et celui du paradis sera le même. En effet, l’Écriture montre que les démons peuvent entrer en contact avec les bons anges [14] : « Le jour où les anges venaient se présenter devant Yahvé, le Satan s’avançait parmi eux » Or les élus sont avec les damnés dans le même rapport que les saints anges avec les démons. Donc ils ne seront pas séparés à la fin du monde.

Objection 2 : Il ne semble pas que le feu de l’enfer soit sous terre car Job, parlant de l’homme damné, dit : « Et Dieu l’enlèvera du monde ». Le feu qui châtiera les damnés n’est donc pas sous terre, mais hors du monde.

Objection 3 : La Sagesse dit : « Chacun est torturé par les choses par lesquelles il a péché » Mais les méchants ont péché à la surface de la terre. Le feu qui les punit ne doit donc pas être au-dessous de la terre.

Objection 4 : Le lieu du paradis semble être la terre et non l’univers entier. En effet, les hommes sauvés formeront une société. Il ne convient donc pas qu’ils soient dispersés dans les lieux immenses.

 

Cependant : Isaïe dit[15] : « L’enfer souterrain a été à l’approche de ton avènement » De même, l’apocalypse [16] : « La bête fut capturée avec le faux prophète. On les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre embrasé ». Donc l’enfer est un lieu. De même, à propos du paradis, l’apocalypse dit qu’il s’agit d’un lieu où habitent les hommes ressuscités.

 

Conclusion : 1° Dès avant la résurrection des corps, l’enfer et le paradis ne doivent pas être appelés des lieux au sens métaphorique puisque, nous l’avons vu, les âmes humaines ne sont jamais de purs esprits. Elles sont donc toujours localisées, même si le corps qui leur reste est fait de matière psychique. Certes, enfer et paradis sont en premier lieu un état de l’âme selon qu’elle voit Dieu ou le rejette. Cependant, en conséquence, elles se réunissent entre elles en deux lieux bien séparés, puisque les âmes de l’enfer ne supportent pas la présence et la vue de ceux qui sont saints.

Nous avons vu que les âmes de l’enfer sont emprisonnées par elles-mêmes, par l’obsession de la recherche de leur propre bonheur et par le feu que cela produit en elles. Quant à savoir où elles cachent leur misère, il est difficile de se prononcer. Certains pensent qu’elles s’isolent dans l’immensité de l’univers, d’autres, et c’est plus probable, qu’elles se réunissent entre elles autours de leur commun projet de révolte contre Dieu et ses saints. De toute façon, ce n’est que par exception que les humains damnés sont autorisés par Dieu à troubler de leur présence les hommes qui vivent sur la terre. En ce qui concerne les hommes damnés, l’emprisonnement est réalisé dès avant la résurrection, juste après leur jugement individuel, car ils ne peuvent être d’aucune utilité pour le bien des hommes qui sont sur la terre, n’ayant pas la capacité naturelle d’intervenir par eux-mêmes dans le monde visible, comme le font les démons.

Quant aux âmes du paradis, dès avant la résurrection, il semble d’après le témoignage de ceux qui ont approché la mort suite à un accident non volontaire, qu’elles vivent dans des lieux paradisiaques, situés dans une dimension parallèle, celle du monde composé de cette matière psychique qui compose leur corps. Il ne s’agit pas d’un monde de l’imaginaire mais d’un autre état de la matière qui permet la réalisation de réalités invisibles pour nous.

2° Après la résurrection, les hommes ressuscités étant de nouveau unis à leur corps charnel, ils seront par nature a fortiori localisés. Il est donc convenable que, selon la récompense ou la punition qu’ils méritent, ils soient introduits dans un lieu proportionné. Ce lieu n’est pas seulement une métaphore mais une réalité. En conséquence, les élus étant glorifiés dans leur âme et dans leur corps, à cause du mérite de leur grande charité, ils vivront éternellement dans un monde d’harmonie et de beauté que les saints appellent le paradis par analogie avec le jardin que Dieu avait originellement préparé pour Adam et Ève. L’Écriture l’appelle aussi le plus haut des cieux, par analogie avec l’incorruptibilité de leur vie qui ressemblera par sa stabilité à celle des astres du Ciel. Le monde nouveau préparé par Dieu sera beaucoup plus vaste que la terre qui n’était qu’un lieu provisoire d’épreuve. Les élus pourront exercer l’agilité de leur corps, sans jamais quitter la contemplation de l’essence divine, à travers un univers de beauté et d’harmonie. Le retour du Christ, la résurrection des morts et la transformation des vivants, sont déjà une oeuvre gigantesque, à la mesure de la puissance de Dieu. Mais si l’on ajoute à cela, immédiatement après, la transformation du monde, nous pouvons nous faire une idée de l’énergie qu’il déploiera pour nous combler. Dieu ressemblera à un fiancé enfin réuni à sa bien-aimée. Il ne sait que faire pour la combler. Il se donne à elle et cela suffit. Pourtant, il ajoute toutes les folies que l'amour peut imaginer : des parures somptueuses, des royaumes, des amis, des fleurs, des ani­maux... Dieu se comportera de la même façon, comme un prince, à la mesure de sa toute puissance. Il créera un univers grandiose de telle façon que l’éternité ne nous suffira pas pour le visiter. À vie éternelle de bonheur, Dieu fait corres­pondre un univers infini de beautés. Nous comprendrons à cette heure l’utilité des milliards de mondes dont nous apercevons la lumière.

 

En ce qui concerne les damnés, on doit parler autrement. Respectant leur choix, Dieu e les saints voudront que le lieu de leur séjour soit le même que celui des élus. Ils pourront donc théoriquement profiter de ce nouvel univers, à leur convenance. Mais, à cause de la méchanceté de leur cœur, ils se sépareront du monde des élus et s’enfermeront dans un lieu où ils ne souhaiteront ne jamais rencontrer personne. Après le jugement général, aucun damné, démon ou homme ne rencontrera jamais plus les élus pour plusieurs raisons. Dieu le permettra par miséricorde pour eux, afin que la joie des élus et la gloire du Christ ne soient pas perpétuellement devant leurs yeux.

Il est très probable que Dieu n’aura pas à instaurer une prison autre que celle qu’ils se créent eux-mêmes. Partout où ils sentiront la présence d’un élu, ils fuiront son humilité et son amour, source pour eux de la rage la plus forte, au point qu’on ne les rencontrera jamais[17]. Le seul souvenir de ce bonheur qu’ils ont méprisé par orgueil et qu’ils jalousent sera suffisamment douloureux pour eux. Il est donc probable que leur refuge sera matériellement les lieux les plus hostiles de l’univers, peut-être même le cœur sombre et brûlant des astres.  Si c’est le cas, la lettre même des Écriture, jusqu’au plus petit détail sera réalisée.

 

Solution 1 : Tant qu’il restera des hommes sur la terre, les démons ne seront pas tous enfermés dans l’abîme. Ils profiteront de la permission de Dieu qui les autorise à tenter les hommes. Tant qu’il y a un homme sur terre, il y trouvent car ils y trouvent un double avantage : ils agissent dans le sens de leur conviction et ils s’occupent ce qui les soulage de l’obsédante pensée de leur malheur. Après le jugement général, Lucifer et ses anges n’auront plus aucune utilité : ils seront donc définitivement enfermés dans le feu de l’enfer, selon l’autorité de l’apocalypse. Cependant, n’étant pas unis naturellement à un corps, ils seront localisés à la manière des purs esprits ce que signifie que l’exercice de leur jugement et de leur puissance sera à tel point centré sur eux-mêmes qu’ils seront localisés en eux-mêmes, dans le propre feu de leur être. Fuyant comme avec la plus grande répulsion la victoire de l’humilité chez les élus, n’ayant plus aucun motif de venir auprès de Dieu réclamer un homme ou une âme, ils ne voudront plus rien savoir de ce qui se passe dans le monde des élus.

Solution 2 : Ce mot de Job : « Dieu l’enlèvera du globe », doit s’entendre du globe de la terre, c’est-à-dire de ce monde. Saint Grégoire l’explique ainsi : « Quelqu’un est enlevé de ce monde, quand à l’apparition du juge d’en haut, il est ôté de ce monde dans lequel il est injustement glorifié ». Le globe n’est point ici celui de l’univers, comme si le lieu des peines se trouvait en dehors de tout l’univers.

Solution 3 : L’affirmation « chacun est torturé par ce par quoi il a péché » ne vaut que pour les principaux instruments du péché : puisque l’homme pèche par l’âme et par le corps, il sera puni en chacun d’eux. Mais il n’est pas exigé que l’homme soit puni en chaque lieu où il a péché, car le lieu de la vie terrestre est autre que celui des damnés. On peut dire ainsi que cette affirmation vaut pour les peines par lesquelles l’homme est puni dès cette vie, en tant que chaque faute entraîne sa peine, car tout esprit qui est sorti de l’ordre est son propre bourreau.

Solution 4 : Le centre du paradis céleste ne sera ni la terre ni une quelconque planète mais le corps du Christ qui, par sa beauté supérieure et sa personnalité divine attirera tous les regards. C’est pourquoi saint Luc[18] écrit : « Là où sera le corps, là seront les aigles » c’est-à-dire les contemplatifs. Quant au reste de l’univers, dont la beauté et la variété réjouiront le regard des saints, il sera à la taille de leur vie éternelle, c’est-à-dire qu’il sera grandiose. Et sa taille immense ne supprimera pas la vie commune des élus puisqu’ils seront à chaque instant présents aux autres à travers leur contemplation de Dieu.

 

Article 3 : La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après le jugement qu’auparavant ?

Objection 1 : Il semble que non. Plus une chose parvient à la ressemblance avec Dieu plus elle participe parfaitement à sa béatitude. L’âme séparée du corps est plus semblable à Dieu que quand elle est unie au corps. La béatitude est donc plus grande avant qu’elle reprenne son corps physique.

Objection 2 : Une force unifiée est plus puissante que si elle est divisée. Mais l’âme hors du corps est plus unifiée que dans le corps. Sa puissance d’action est donc plus grande, et ainsi elle participe plus parfaitement à la béatitude qui consiste en un acte.

Objection 3 : La béatitude consiste en un acte de l’intelligence spéculative. Mais l’intelligence dans son acte n’implique pas un organe corporel. La reprise du corps ne donnera donc pas à l’âme la possibilité de comprendre plus parfaitement. La béatitude de l’âme ne sera donc pas plus grande après sa résurrection.

Objection 4 : Rien de plus grand que l’infini : un être fini ajouté à l’infini ne le grandit pas. Mais l’âme bienheureuse avant la résurrection du corps charnel possède la béatitude puisqu’elle jouit d’un bien infini, Dieu. Après la résurrection du corps, elle ne jouira pas d’autre chose, sauf peut-être de la gloire de la chair, des plaisirs du toucher, qui sont des biens finis. La joie qui suivra la reprise du corps ne sera donc pas plus grande qu’auparavant.

 

Cependant : À propos de l’apocalypse, la Glose ordinaire dit : « Actuellement, les âmes des saints se trouvent sous les autels, c’est-à-dire dans une moindre dignité que plus tard ». Leur béatitude sera donc plus grande après la résurrection qu’après leur mort.

En outre, la béatitude est accordée aux bons comme récompense, comme la souffrance est infligée aux méchants. Mais la souffrance des méchants sera plus grande après la reprise de leur corps, car ils seront punis non seulement dans l’âme et le psychisme mais dans la chair. La béatitude des saints sera donc plus grande après la résurrection des corps.

 

Conclusion : Il est manifeste que la béatitude des saints sera augmentée en étendue après la résurrection, car elle ne sera plus seulement de l’âme et dans la sensibilité, mais aussi du corps de chair et dans ses facultés. La béatitude de l’âme elle-même sera accrue et étendue puisqu’elle ne jouira pas seulement de son propre bien, mais aussi du bien du corps. On peut même dire que la béatitude de l’âme sera accrue en intensité. Le corps de l’homme peut, en effet être considéré de deux manières : d’une part, en tant qu’il peut être perfectionné par l’âme ; d’autre part, selon qu’il y a en lui quelque chose qui gène l’âme dans ses opérations, parce qu’elle ne parvient pas à le perfectionner totalement. Selon la première manière de considérer le corps, son union avec l’âme ajoute à celle-ci quelque perfection, puisque toute partie est imparfaite et se complète dans son tout : le tout se comporte à l’égard de la partie comme la forme à l’égard de la matière. L’âme est donc plus parfaite dans son existence naturelle quand elle est dans le tout, c’est-à-dire dans l’homme composé de l’âme et du corps, que quand elle est une partie séparée.

Mais l’union avec le corps, dans la seconde manière de considérer, empêche la perfection de l’âme : c’est pourquoi la Sagesse dit que « le corps qui se corrompt, appesantit l’âme ». Si donc on enlève du corps tout ce par quoi il résiste à l’action de l’âme, celle-ci sera absolument parlant plus parfaite dans ce corps que séparée de lui. Plus une chose est parfaite en son être, plus elle peut agir parfaitement. L’opération de l’âme unie à un tel corps sera donc plus parfaite que celle de l’âme séparée. Tel sera le corps glorieux, entièrement soumis à l’esprit. Puisque la béatitude consiste en une opération, celle de l’âme sera plus parfaite après la reprise du corps qu’auparavant. Tout être imparfait tend à sa perfection. L’âme séparée tend naturellement vers son union avec le corps ; et à cause de cette tendance, qui vient d’une imperfection, l’opération par laquelle elle tend vers Dieu est moins intense. C’est ce que dit saint Augustin : « Par le désir du corps, l’âme est retardée dans sa tendance totale vers ce bien suprême ».

 

Solution 1 : L’âme unie au corps glorieux est plus semblable à Dieu que quand elle en est séparée, parce que, en lui étant unie, elle possède plus parfaitement l’existence. En effet, plus une chose existe parfaitement, plus elle est semblable à Dieu : ainsi le cœur, dont la perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus semblable à Dieu quand il se meut que quand il se repose, bien que Dieu ne se meuve jamais.

Solution 2 : La puissance qui par nature doit être dans la matière est plus puissante quand elle se trouve dans la matière que quand elle en est séparée, bien que, absolument parlant, la puissance soit supérieure quand elle est séparée de la matière.

Solution 3 : Bien que l’esprit ne se serve pas du psychisme et des images qu’il apporte corps dans l’acte de connaissance qu’est la vision béatifique, il s’en sert pour toutes les autres opérations comme celles de ses rapports aux autres âmes, aux anges et à l’univers. C’est pourquoi l’âme doit garder son psychisme après la mort. Le retour du corps charnel a une autre finalité. Faisant partie de l’être de l’homme, la présence du corps contribue de quelque manière à la perfection de l’être tout entier. L’homme, par l’union avec son corps glorieux, sera plus parfait en sa nature, et donc plus efficace dans son opération. C’est pourquoi le bien du corps lui-même coopérera, pour ainsi dire instrumentalement, à l’opération en laquelle consiste la béatitude. Aristote dit que les biens extérieurs coopèrent instrumentalement à la félicité de la vie.

Solution 4 : Bien que le fini ajouté à l’infini ne le grandisse pas, il lui ajoute quand même quelque chose, parce que fini et infini sont, deux choses, tandis que l’infini en lui-même n’en est qu’une. L’extension de la joie ne la rend pas plus grande mais plus intense. C’est pourquoi la joie augmente en étendue quand elle porte sur Dieu et sur la gloire du corps, et non seulement sur Dieu. La gloire du corps coopérera à l’intensification de la joie au sujet de Dieu, en tant qu’elle perfectionnera l’opération par laquelle l’âme adhère à Dieu. En effet, plus une opération est parfaite, plus la puissance est grande, comme cela ressort de ce que nous avons dit.

 

Article 4 : Le châtiment des damnés s’étendra t-il jusque dans leur corps après la résurrection et le jugement général ?

Objection 1 : Cela ne semble pas. La miséricorde de Dieu ne saurait appliquer une peine physique extérieure aux damnés. Ils seront suffisamment punis par leur séparation d’avec Dieu et par la solitude de leur âme.

Objection 2 : Il ne peut exister de pleurs chez les damnés puisque les pleurs impliquent l’écoulement des larmes ce qui est une certaine sécrétion et donc une corruption. Or le corps des damnés sera par nature incorruptible.

Objection 3 : Un feu qui ne consume pas le corps, qui est ténébreux et dont l’effet est proportionnel à la faute de chacun ne peut être un feu réel mais seulement une métaphore qui symbolise la douleur physique qui rejaillit d’une manière naturelle de l’âme sur le corps des damnés. C’est pourquoi saint Jean Damascène écrit [19] : « Le diable et les démons et leur homme, l’Antéchrist, seront livrés avec les impies et les pécheurs au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est ici, parmi nous, mais tel que Dieu connaît ».

Objection 4 : Les damnés passeront d’une chaleur très ardente à un froid très violent sans que cela les rafraîchisse[20]. Or la chaleur du feu ne peut exister en même temps que le froid. Donc le feu de l’enfer n’est pas extérieur, il signifie une passion intérieure de l’âme rejaillissant dans le corps.

Objection 5 : Le ver rongeur du remords ne peut être un ver matériel, une sorte de cancer qui ronge de l’intérieur le corps des damnés puisque ce corps sera absolument incorruptible.

 

Cependant : L’apocalypse parle d’un étang de feu. Or la nature du feu, c’est de faire souffrir ce qui ne lui est pas adapté. Le corps des damnés sera fait de chair. Il ne sera pas adapte au feu. Il y aura donc une peine physique en enfer. En outre, dit le Psalmiste[21] : « le feu et le soufre, et le souffle des tempêtes seront la part de leur calice ». Job écrit[22] : « De l’eau des neiges, ils passent à l’extrême chaleur ».

 

Conclusion : À propos des peines physiques dues pour le péché on voit qu’il en existe de deux sortes sur la terre :

1° Certaines ont pour origine directe des lois internes à la nature humaine : les souffrances de l’âme rejaillissent nécessairement sur la sensibilité et, par conséquent, sur le corps puisque le corps est dépendant du psychisme. Ainsi, celui dont l’âme est séparée de Dieu par le péché, n’ayant plus de finalité spirituelle, ressent des angoisses psychologiques, ce qui signifie que ses passions et son imagination ne connaissent plus de paix. Lorsque ces angoisses sont très fortes, elles peuvent avoir des effets jusque dans la vie végétative, comme on le voit chez ceux qui souffrent d’ulcères de l’estomac ou de dépressions nerveuses.

Avant la résurrection de la chair, les âmes séparées de Dieu subiront déjà les passions mauvaises dans leur psychisme. Ainsi, le remords de leur volonté rejaillira dans leur imagination à travers des cauchemars, dans leurs passions par un perpétuel état d’insatisfaction, d’angoisse, de désespoir et de tristesse.

Après la résurrection des corps, les damnés subiront dans leur corps de chair des souffrances physiques : un feu intérieur les brûlera organiquement, ayant son origine dans le feu de leur âme tel que nous l’avons décrit précédemment. Ils vivront dans leur corps une agitation incessante, un inconfort physique et des difformités. Cependant, ces défauts ne toucheront pas la substance de leur corps qui sera par nature parfait et incorruptible. D’après le Seigneur, il y aura des pleurs et des grincements de dents. Après la résurrection, il n’est plus possible de prendre métaphoriquement de telles réalités car celui qui possède son corps manifeste extérieurement les passions de son âme par des actions de son corps. Les damnés éprouveront du regret, non à cause de leur péché mais à cause de leur solitude et de leur malheur. Ils pleureront donc ; d’autre part, ils éprouveront de la haine pour la justice de Dieu qui les punit ainsi et de la jalousie pour le bonheur des élus. Leur colère intérieure se manifestera extérieurement par des blasphèmes proférés et des grincements de dents.

2° Certaines peines physiques qui frappent les hommes sur la terre ont directement Dieu pour origine. C’est pourquoi le Deutéronome annonce [23] : « puisque tu n’auras pas servi Yahvé ton Dieu dans la joie et le bonheur, Yahvé enverra contre toi la faim, la soif, la nudité, privation totale ». Lorsque Dieu envoie activement de telles peines sur l’homme qui est sur terre, ce peut être dans un but pédagogique, afin qu’il s’amende de son péché, s’humilie et revienne dans la voie du salut éternel. Ce peut être aussi dans le but d’un rétablissement de la justice afin que le méchant reçoive le salaire de sa méchanceté. Mais dans tous les cas, ces peines visent le salut de ceux qui les reçoivent.

Après la résurrection, les damnés seront irrémédiablement fixés dans leur péché. Dieu ne leur enverra pas de peine dans un but pédagogique puisqu’il n’y aura plus chez eux d’espoir de conversion. Restera-il donc un motif de justice ? Il convient dit saint Bonaventure que « ceux qui ont péché par la matière soient punis par la matière ». Selon l’opinion de certains théologiens, il faut donc poser l’existence d’un réel feu matériel surajouté par Dieu comme un bourreau ajoute une souffrance au criminel. En y réfléchissant, il paraît que ce feu surajouté est bien inutile puisqu’il ne peut provoquer aucune conversion des damnés et pire, non conforme au respect de Dieu pour leur choix. Ainsi, s’il existe un feu matériel surajouté pour les damnés, il ne viendra pas de Dieu comme cause directe mais il sera un effet logique de plus, de la perversion des damnés. Quant à la nature de cette prison de feu, il est aisé de la préciser. Les exorcismes pratiqués sur terre manifestent avec suffisamment de force l’horreur qu’ont les démons pour tout ce qui est humble et aimant. La simple évocation du nom de la Sainte Vierge est pour eux source de torture. Il est certain que, après la résurrection, ils préfèreront se cacher au plus profond des ténèbres plutôt que de se risquer à la confrontation avec le plus petit des habitants du Royaume de Dieu. S’ils se réfugient au cœur de la matière, le feu aura sur leur corps un pouvoir de souffrance mais pas de destruction, puisque leur corps sera incorruptible.

 

 

 

Plusieurs opinions existent : certains pensent qu’ils s’agit seulement d’un emprisonnement matériel, s’appuyant sur la parole du Seigneur qui dit[24] : « Après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez le dans les ténèbres extérieures ». Il est vrai que ce qui est ténébreux n’est pas un feu puisque la nature du feu est d’éclairer. D’après eux, le feu de l’enfer serait donc cette souffrance intérieure du corps due à la perversité de l’âme et que nous avons décrit plus haut. Il leur parait inutile de poser l’existence d’un feu extérieur surajouté par Dieu et qui ressemblerait à une prison capable d’isoler les pécheurs des justes qu’ils ne doivent aucunement venir troubler. Un tel emprisonnement leur paraît être une peine suffisante pour que justice soit faite. Car l’orgueil des damnés ne supportera pas d’être ainsi enfermé.

 

Solution 1 : Il convient que celui qui a péché soit puni par où il a péché. La sagesse dit[25] : « Chacun sera torturé par ce en quoi il pèche ». Les hommes pèchent par les choses sensibles de ce monde. Il est donc juste qu’ils soient punis par elles. Ce sera le rôle du feu matériel. Mais cette justice ne sera pas causée par une volonté de Dieu, si ce n’est comme cause première puisque c’est lui qui a créé la nature qui font des damnés des hommes. Ce feu emprisonnera le corps des damnés en ce sens qu’ils ne voudront pas en sortir. En cela, il sera une punition contre le péché d’orgueil car les damnés seront extérieurement contrariés de ne plus pouvoir aller librement où ils veulent.

Solution 2 : Dans les pleurs corporels, nous distinguons deux choses : d’abord l’écoulement des larmes ; et quant à cela les pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les damnés car, après le jour du jugement, il n’y aura plus de génération, ni de corruption, ni d’altération corporelle. Dans l’écoulement des larmes, il doit y avoir sécrétion du liquide qui passe dans les larmes. À ce point de vue, il ne pourra pas y avoir de pleurs corporels chez les damnés. Mais dans les pleurs corporels, il y a aussi une certaine commotion et un certain trouble de la tête et des yeux : Sous cet aspect, les pleurs pourront exister chez les damnés après la résurrection de la chair : les corps des damnés, en effet, ne sont pas seulement affligés de l’extérieur mais même de l’intérieur, en tant que le corps est poussé par la passion de l’âme vers un état bon ou mauvais. À ce point de vue, les pleurs prouvent la résurrection de la chair.

Solution 3 : Saint Damascène ne nie pas absolument que ce feu soit matériel, mais il affirme qu’il ne l’est pas à la manière d’un feu terrestre, comme un feu de cheminée. Il agit d’une manière subjective c’est-à-dire en fonction ce celui qu’il éprouve. Il semble donc qu’il s’agit là une fois de plus de cette souffrance physique qui atteint de l’intérieur le corps par répercussion de la perversité de l’âme. Quant au lieu où demeureront les damnés, il est inutile de l’imaginer comme le plus laid des endroits, quoique la présence des mauvais enlaidira ce lieu, comme on le voit dans les quartiers où s’établissent le vice et la délinquance. Ils rendront laid ce qu’ils côtoieront.

Solution 4 : Comme nous l’avons montré, la plus grande souffrance des damnés ne sera pas due au feu extérieur qui les emprisonnera mais au feu intérieur de leur âme malheureuse. Ainsi voit-on sur terre qu’il est plus douloureux d’être plongé dans un total désespoir que de souffrir d’une douleur physique. Ainsi, le froid dont parle l’objection signifie la conscience effrayante que les damnés auront de l’éternité de leur malheur.

Solution 5 : Le ver qui sera infligé aux damnés ne doit pas être considéré comme corporel, mais comme spirituel : c’est le remords de la conscience qui est ainsi appelé, parce qu’il naît de la pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel, né de la pourriture, fait souffrir en mordant. On pourrait dire aussi que la chair est torturée par le ver spirituel, parce que les souffrances de l’âme rejaillissent sur le corps, ici-bas et dans l’au-delà.

 

Article 5 : Le monde demeurera t-il ainsi éternellement ?[26]

Objection 1 : Dieu qui est infiniment bon, se communique à des créatures sans qu’il puisse y avoir de limites. Or, si les oeuvres de Dieu s’arrêtent après le jugement général, le nombre de ceux qui jouiront de son bonheur sera limité. Il convient donc que Dieu crée à nouveau d’autres mondes et ceci pour l’éternité, afin que le nombre des élus soit infini.

Objection 2 : Un nombre où une partie de ses membres sont dans le malheur ne saurait durer éternellement semblable à lui-même. Or, il y aura des anges et des hommes emprisonnés en enfer. Il semble donc que Dieu les délivrera un jour.

Objection 3 : De même que les anges après leur création et leur glorification ont eu une mission auprès d’autres créatures, de même il convient que les hommes glorifiés puissent exercer une providence envers d’autres. Donc Dieu créera d’autres mondes.

Objection 4 : L’univers est immense. Il est à la taille de Dieu. Il est donc improbable que Dieu ait résumé sa création aux seuls anges et aux hommes qui ont vécu sur la planète Terre. Il y aura donc d’autres mondes à conduire à leur fin dernière après le jugement dernier des hommes.

 

Cependant : Saint Pierre écrit [27] : « La fin de toutes choses est proche ». De même, la Genèse dit que « Dieu se repose le septième jour » ce qui signifie qu’il y a un terme aux oeuvres de Dieu. Donc, après le jugement dernier, le monde sera stabilise pour l’éternité.

 

Conclusion : Après le jugement dernier, la nature humaine, en son entier c’est-à-dire à travers tous ses membres, sera fixée dans sa fin. Et comme tous les êtres corporels sont d’une certaine manière ordonnés à l’homme, c’est la condition de toute la création corporelle qui sera, à juste titre, transformée et adaptée à l’état de l’homme d’alors. Parce que les hommes seront alors dans un état d’incorruptibilité, la création corporelle qui fut leur univers, n’aura plus lieu d’être maintenue dans l’état de génération et de corruption. C’est ce que dit l’apôtre dans l’Epître aux Romains[28] : « La création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu ».

Et parce que la condition de la création corporelle sera mise finalement en accord avec l’état de l’homme, et que les hommes ne seront pas seulement libérés de la corruption mais encore revêtus de la gloire, la création corporelle devra elle aussi avoir part, à sa manière, à cette gloire lumineuse. Telle est la raison de cette parole de l’apocalypse[29] : « Je vis un Ciel nouveau et une terre nouvelle ». Le monde sera donc rendu participant par sa stabilité éternelle de l’immuabilité du Dieu qui révéla à Moïse son nom [30] : « Je suis celui qui est ».

 

Il reste à savoir maintenant si, par l’expression « monde », ce livre entend l’immensité de l’univers tout entier ou simplement notre monde à nous. La réponse à cette question dépend de la suivante : Existe-t-il ailleurs d’autres planètes où se préparent d’autres créatures faites d’esprit et de corps à la vision béatifique ? Deux hypothèses sont soutenues, avec des arguments très convaincants de chaque côté.

Certains pensent que l’existence de cette vie extraterrestre est théologiquement improbable pour plusieurs raisons :

1° à cause de la hiérarchie des créatures. Dieu a créé le monde de telle manière qu’il existe toute sorte de créatures : les esprits supérieurs comme les chérubins, les Séraphins et les trônes ; les esprits inférieurs comme les archanges et les anges ; les esprits inférieurs liés à la matière, comme les hommes ; les vivants matériels avec leurs degrés de perfection comme les animaux et les plantes et les corps minéraux. Il ne manque donc rien à cette création, dans son ensemble hiérarchisé et ordonné au spirituel et à Dieu.

2° À cause de la rédemption opérée par le Christ pour les hommes. On voit mal comment Dieu pourrait subir en divers lieux plusieurs passions.

En tout état de cause, s’il existe dans l’univers d’autres créatures spirituelles, elles seront conduites par Dieu à la vision de son essence. Et la vie errante loin de Dieu s’achèvera selon cette parole d’Isaïe[31] :

 D’autres pensent l’inverse :

1° L’amour de Dieu est folie puisqu’il a inventé l’Incarnation et la croix. Il ne saurait être réduit à la béatitude des anges, des esprits liés à un psychisme et des hommes.

2° L’univers est immense. Le nombre des galaxies et des planètes incalculable. Une telle profusion ne saurait être réduite à n’être qu’un parc de loisir pour l’éternité des élus.

Il est impossible de trancher entre ces deux opinions parce qu’il n’a pas été donné à l’homme par Dieu de le faire : « Dieu est le plus mystérieux ».

 

Solution 1 : Les oeuvres de Dieu ont un ordre, une mesure et un poids. Or pour qu’il y ait un ordre, il faut une limite car une foule infinie ne peut être ordonnée. C’est pourquoi l’apocalypse parle d’un nombre de 144000 élus, ce qui symbolise que la création des hommes et des anges sera limitée en nombre. Quant à l’infinie de l’amour de Dieu, il est suffisamment communiqué aux créatures par la vision béatifique.

Solution 2 : Les damnés se sont séparés de Dieu librement et ont préféré subir les peines de l’enfer dont ils avaient reçu la révélation plutôt que de convertir leur cœur, Ils ne seront jamais délivrés car ils ne voudront jamais se séparer du péché.

Solution 3 : Les anges ont exercé leur providence sur les hommes en les protégeant et en les induisant à bien agir ; de même les hommes ont pu faire en éduquant d’autres hommes, grâce à leur paternité et à leur maternité physique ou spirituelle. Après le jugement général, le temps de la recherche de Dieu sera terminé pour toutes les créatures spirituelles. Le temps de la possession de sa fin sera arrivé. Cependant, rien n’empêche que Dieu donne une nouvelle paternité et maternité aux habitants du Ciel et prolonge son œuvre de création.

Solution 4 : L’Écriture ne nous donne aucun élément capable de résoudre l’hypothèse de l’existence de mondes extraterrestres sur d’autres planètes de l’univers. De même, la foi catholique laisse chacun libre de croire ce qu’il veut sur ce sujet. Nous l’avons montré, les arguments dans les deux sens se tiennent. Pour ma part, je penche plutôt pour l’hypothèse d’autres mondes habités car l’amour de Dieu qui amena son Verbe à la passion, ne peut être contraint dans aucune limite. Les modes et les chemins qu’il peut imaginer pour conduire à la Vision béatifique peuvent être infinis.

 

 

 

 

 

Je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle

Et on ne se souviendra plus du passé qui ne montera plus au cœur:

Qu’on soit dans la jubilation et qu’on se réjouisse pour l’éternité!

Amen

 

 


NOTES


[1] Matthieu 5, 6.

[2] Pour Balthasar, le jugement général est éternel et il commence dès maintenant. Avec lui, nous pensons que le jugement général est la somme des jugements particuliers. Nous le distinguons cependant du jugement particulier en ce sens que tout sera alors révélé à tous. Citons Balthasar : «Bref, si ]a Bible ne connaît qu’un seul jugement, il n’en reste pas moins que le jugement général (cf. « toutes les nations seront rassemblées devant lui », Matthieu 25, 32) sera en même temps un jugement absolument personnel et particulier. La tension entre les deux aspects pourra bien être ressentie avec le besoin de trouver des compromis par exemple sous la forme d’une attente des bons comme des mauvais dans des «demeures » et des états séparés jusqu’au jugement futur. Mais on n’abandonne pas pour autant l’idée de l’unité du jugement. Aussi toute théologie qui se veut proche de la révélation biblique refusera de parler de deux jugements différents. En fin de compte, «tout l’accent est placé sur le jugement particulier » de chaque homme après sa mort, et «le jugement dernier n’en est, à proprement parler, que la confirmation publique devant le monde entier »-. Les deux aspects «sont en tout cas étroitement proches l’un de l’autre ; ils sont, d’une certaine manière, deux degrés d’un seul et même événement d’ensemble »-. Origène aurait donc raison lorsque, s’appuyant sur le mot de Luc (la venue du Fils de l’homme sera «comme l’éclair qui jaillit d’un point du Ciel et resplendit jusqu’à l’autre », Luc 17, 24), il décrit la parousie comme «une révélation si éclatante de sa divinité que non seulement aucun des justes, mais aussi aucun pécheur ne pourra méconnaître la véritable nature du Christ » Laissons dans l’indéterminé le lieu de cette révélation. Mais si dans la foi une telle illumination est déjà, comme on l’admet, présente inchoativement, combien plus sera-t-elle parfaite quand le Christ se «révélera à tous, bons et mauvais, croyants et incroyants, non seulement par la médiation de la foi et la recherche à tâtons, mais par le dévoilement de sa divinité. Venant dans sa gloire, il remplira tout et se tiendra en tout lieu devant les yeux de chacun, car tous seront partout devant sa face » D’autres Pères, y compris Augustin, ont pu, comme nous l’avons déjà constaté, s’exprimer de la même manière. BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, Le dénouement, Culture et vérité, Namur, 1993, p. 318 ;

[3] Joël 4, 14.

[4] Joël 4, 16.

[5] Cette question a déjà été traité à l’occasion de l’étude de l’heure de la mort (Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que saint Thomas la traitait dans la Somme de Théologie, Supplément, Question 89.

[6] Luc 1, 52.

[7] Genèse 3, 15.

[8] Matthieu 12, 42.

[9] Colossiens 2, 15.

[10] Luc 2&, 25.

[11] Luc 3, 6. Isaïe 45, 23.

[12] Voir Saint Ambroise, De bono mortis, n. 44-49 ; p. L, 14, 560-562.

[13] Voir Question 30, article 4.

[14] Job 1, 6.

[15] Isaïe 14, 9.

[16] Apocalypse 19, 20.

[17] Comme dit saint Augustin : «J’estime que nul ne sait en quelle partie du monde se trouve l’enfer, sauf celui à qui l’Esprit Saint l’a révélé ». Saint Grégoire, interrogé sur ce point, répond : «Je n’ose rien préciser témérairement à ce sujet. Certains en effet pensèrent que l’enfer était en quelque partie de la terre. D’autres estiment qu’il est sous terre ». Et il montre que cette dernière opinion est plus probable, pour deux motifs. D’abord en raison du nom même de l’enfer ». Si nous l’appelons enfer (infernum) parce qu’il se trouve au-dessous (inferius) l’enfer doit être sous la terre comme la terre est sous le Ciel ». Ensuite, à cause de ce que dit l’Apocalypse : «Personne ne pouvait ouvrir le livre, ni dans le Ciel, ni sur terre, ni sous la terre « : ceux qui sont dans le Ciel, ce sont les anges ; sur terre, ce sont les hommes vivants encore dans leur corps ; sous terre, ce sont les âmes gui se trouvent en enfer. Saint Augustin semble trouver deux motifs pour lesquels il convient que l’enfer soit sous terre. Premièrement : «Puisque les l’âmes des défunts ont péché par amour de la chair, on leur donne ce qu’on donne habituellement à la chair morte, c’est-à-dire qu’elles |soient ensevelies sous la terre ». Secondement : la tristesse est dans les esprits comme la pesanteur est dans les corps, tandis que la joie apparaît comme la légèreté de l’esprit. Dès lors, «de même que pour les corps, s’ils suivent l’ordre de leur pesanteur, les plus lourds sont les plus bas, de même pour les esprits, les plus bas sont les plus tristes «Ainsi, de même que le lieu le plus adapté pour la joie des élus est le Ciel, de même pour la tristesse des damnés, le lieu le plus adapté est le plus bas de la terre. On ne doit pas objecter que saint Augustin écrit : «On dit ou on croit que les enfers sont sous les terres «, parce que dans le livre des Rétractations, il l’a corrigé en écrivant : «Il me semble que j’aurais dû dire que les enfers sont sous les terres, plutôt que d’apporter la raison pour laquelle on pense ou on croit qu’ils le sont ». Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de l’enter était sous le globe terrestre, mais à la surface de la terre en la partie qui nous est opposée ». Il semble qu’Isidore le pense, quand il dit que «le soleil et la lune se tiendront dans l’ordre dans lequel ils ont été créés, afin que les impies livrés à leurs tourments ne jouissent pas de leur lumière ». Cela ne vaudrait aucunement si l’enfer était au-dessous de la terre.

Nous avons vu plus haut comment on peut interpréter ces paroles. Pythagore place le lieu des tourments dans une sphère de feu, qu’il dit se trouver au milieu de tout l’univers. Il appela cette région prison de Jupiter, comme nous le voyons dans Aristote. Mais il est plus conforme à l’Ecriture de dire qu’il est sous terre.

[18] Luc 17, 34 ;

[19] Jean Damascène, «De la foi orthodoxe », livre 4.

[20] Job 24, 19.

[21] Psaume 10, 7.

[22] Job 24, 19.

[23] Deutéronome 28, 47.

[24] Matthieu 22, 13.

[25] Sagesse 11, 17.

[26] Les évêques français écrivaient en 1978, DOCUMENTATION CATHOLIQUE. n° 1073 : «Quand la gloire sera révélée en nous, nous comprendrons que les souffrances du temps présent étaient sans commune mesure avec ce qui nous attendait. La création tout entière aura fini de gémir dans les douleurs de l’enfantement : Nous verrons Dieu tel qu’il est, nous le connaîtrons tel que nous sommes connus de lui. Dieu sera tout en nous, il y aura un seul Christ en plénitude, à la dimension de l’humanité rachetée, s’aimant d’un amour parfait en des milliards de cœurs battant d’un même rythme ».

[27] 1 Pierre 4, 7.

[28] Romains 8, 19.

[29] Apocalypse 21, 1.

[30] Exode 3, 14.

[31] Isaïe 65, 17.

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