Auteur: Arnaud
Dumouch (---.88.238.223.codenet.be)
Date: 09/08/2003 11:41
Cher Alain, Vous demandez ce que pense saint Thomas des animaux.
La vision de saint Thomas sur les animaux peut être résumée ainsi:
1- Ils ont une âme, au sens Aristotélicien du terme c'est-à-dire qu'il
sont des êtres vivants, unifiés et non des machines.
2- Ils ont une sensibilité, plus ou moins développée selon leur
perfection. Selon lui, ce qui est commun à tous les animaux, c'est le
sens du toucher.
3- Les animaux supérieurs ont une forme d'intelligence appelée
ESTIMATIVE qui leur permet de discerner ce qui est concrètement utile
pour leur survie physique et leur reproduction.
4- Les animaux n'ont pas d'esprit. Leur intelligence (estimative) est
une faculté matérielle qui n'est pas de même nature que l'intelligence
humaine. Elle est bornée à l'estimation de l'utile et du nuisible
SENSIBLES. Au contraire, l'intelligence humaine à pour objet potentiel
la connaissance de TOUT, le matériel comme l'immatériel (concepts
abstraits, esprits, anges et Dieu).
5- Les animaux ne verront jamais Dieu face à face. Dieu est ESPRIT.
Comme ils n'ont pas d'esprit, jamais ils n'auront le désir de voir Dieu,
même si, par hypothèse, ils se trouvent présents dans l'autre monde.
5- Pour saint Thomas, il n'y aura pas d'animaux dans le monde nouveau,
après la résurrection de la chair et ce pour plusieurs raisons: 1- leur
psychisme étant totalement lié à l'organe physique du cerveau, ils sont
totalement détruits par la mort. 2- "Leur être est, par nature,
corruptible. Or, rien de corruptible ne subsistera dans le monde
nouveau".
La science moderne permet de corriger un point dans cette analyse de
saint Thomas: nous savons aujourd'hui qu'il existe des animaux qui n'ont
pas le sens du toucher. C'est le cas de certains unicellulaires dont le
fonctionnement est animal et non végétal.
Au plan théologique, l'Eglise maintient la vision n°4 de saint Thomas:
visiblement, si les animaux ont une vie sensible, mais ils n'ont pas
d'esprit. « Puisque, les animaux ont une vie sensible », ils doivent
être respecter. Les torturer, bafouer la dignité de leur vie par sadisme
est un péché (L’Eglise ne parle pas ici de la tauromachie ou de la
chasse, ni du fait qu’on les mange. Elle vise le sadisme).
« ils n'ont pas d'esprit ». En conséquence, dans l’autre monde « jamais
ils n'auront le désir de voir Dieu ».
Par contre, jamais l’Eglise n’a ratifié l’opinion n° 5 de saint Thomas
sur l’absence d’animaux ressuscités dans le Monde nouveau. Au contraire,
elle laisse libre à chacun de penser autrement. Saint François d’Assise,
saint Bonaventure pensaient que les animaux seraient présents.
Je vous joins un article modernisé, de ce que dirait saint Thomas de nos
jours en se servant des progrès de la science et de la théologie.
Article 6 : Y aura-t-il des plantes et des animaux dans le monde nouveau
?
Objection 1 : Il ne semble pas. Les animaux et les plantes ont été créés
pour soutenir la vie animale de l’homme. La Genèse dit : « Je vous donne
toute chair en nourritures ». Avec la cessation de la vie animale de
l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser d’exister, ce
qui sera le cas après la résurrection.
Objection 2 : Les plantes et les animaux servent sur la terre à
connaître comme dans un miroir les perfections de Dieu dont ils sortent
des vestiges. Or, après la résurrection, Dieu sera connu face à face.
Donc le monde animal et végétal sera devenu inutile.
Objection 3 : La vie végétale et animale est liée à la corruptibilité ;
Il est en effet essentiel pour cette vie d’assimiler des éléments
extérieurs pour qu’elle cuisse se maintenir et de rejeter ce qui est
inutile. Or, dans le monde renouvelé, il n’y aura plus de place à la
corruption selon saint Paul : « il faut que ce corps corruptible revêtu
d’incorruptibilité et que ce corps mortel revêtu d’immortalité ».
Objection 4 : Si les plantes et les animaux demeurent, cela vaudra pour
tous ou seulement pour quelques-uns. Si c’est pour tous, il faut que les
animaux privés de raison, morts avant la fin du monde, ressuscitent
comme les hommes. Cela ne peut être car leur forme disparaît à leur mort
et ne peut être ressuscitée la même individuellement. Si ce n’est pas
pour tous mais seulement quelques-uns, on ne voit pas le motif pour que
l’un demeure plutôt que l’autre. Il semble donc qu’aucun ne demeurera
perpétuellement.
Objection 5 S’il doit exister des animaux glorifiés, c’est qu’ils
verront l’essence divine qui seule peut rendre glorieux. Or les animaux
sont incapables par nature de la vision béatifique. Donc ils n’ont pas
de place dans le monde nouveau.
Cependant : Dieu dit à Noé : « Voici que j’établis mon Alliance avec
vous et avec vos descendants après vous et avec tous les êtres animés
qui sont avec vous oiseaux, bestiaux, toutes bêtes sauvages avec vous,
bref tout ce qui est sorti de l’arche, tous les animaux de la terre ».
Or l’Arche de Noé symbolise l’efficacité de la rédemption opérée par le
Christ. Donc, les êtres animés ne seront pas exclus du monde nouveau.
Conclusion : Il n’y a pas d’arguments définitifs sur ce point.
Cependant, l’opinion la plus traditionnelle des Pères consistait à
affirmer qu’il n’y aurait ni animaux, ni plantes dans le monde nouveau.
Leurs arguments consistaient à montrer que ne demeureraient que les
êtres possédant en eux un élément d’incorruptibilité tels leur
paraissaient être les corps célestes que la cosmologie ancienne croyait
incorruptibles car d’une nature supérieure, les hommes à cause de leur
âme immortelle, et les éléments minéraux puisqu’on ne pouvait jamais les
réduire au néant. Au contraire, les animaux et les plantes qu’on peut
tuer, les corps mixtes comme les molécules qu’on peut détruire étaient
considérées comme n’ayant aucune disposition à l’incorruptibilité. Ils
ne devaient donc pas subsister dans le monde nouveau.
Mais on ne peut plus parler ainsi. On sait aujourd’hui que tous les
éléments matériels du monde y compris les corps célestes sont de même
nature et corruptibles. Ainsi, les astres courent insensiblement à leur
extinction et les atomes se dégradent dans leur structure. Pourtant, il
est certain qu’ils demeureront dans l’au-delà puisque Dieu préparera en
eux un monde adapté à la nouvelle manière d’être des hommes.
De même, il convient que les créatures matérielles comme les animaux et
les plantes demeurent afin qu’il ne manque rien à la perfection de
l’au-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque chose atteindre sa
fin qui est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de chacun.
L’ordre sera fondé sur la charité. Dieu, qui est l’essence de la charité
incréée, est au sommet. Puis viennent les créatures spirituelles qui
participent à la charité, c’est-à-dire les élus. Et le plus élevé
d’entre eux, dans cette hiérarchie nouvelle de la Jérusalem céleste,
c’est Jésus qui dans son humanité ne fait qu’un avec Dieu. Vient ensuite
la Vierge Marie dont l’amour de charité dépasse celui des anges. Elle a
donc reçu une plus grande participation à la gloire. L’ordre des
créatures spirituelles, c’est-à-dire des anges et des hommes s’en suit
et n’est pas mesuré par la perfection naturelle de chacun mais par sa
perfection surnaturelle.
Viennent ensuite les êtres qui ne participent pas à la vision de
l’essence divine. Certains en sont exclus par nature, comme les animaux,
les plantes et le monde minéral puisque ces réalités sont dépourvues de
facultés spirituelles. Ces êtres, peuvent faire partie du monde nouveau
deux causes : 1° Leur propre bien qui aspire, soit par nature, soit par
sensibilité à durer toujours selon saint Paul : « La création toute
entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu ». La vie
végétale et animale font partie de la création, d’une manière
intermédiaire entre les minéraux et les hommes. Donc ils seront présents
dans le monde nouveau. 2° Pour le bien de l’homme qui peut par ses
sensations contempler leur beauté et leur ordre qui témoigne de Dieu
comme dans un miroir.
D’autres réalités sont exclues de la vision béatifique à cause d’un
choix de leur volonté. Les damnés constituent les êtres les plus bas,
non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde matériel mais à
cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens qu’ils
choisissent. Ainsi voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se
comporter d’une manière inférieure aux animaux. Et, par leur existence,
ils proclament comme le reste de la création la gloire de Dieu qui
laisse chacun libre de se séparer de lui. En conséquence, dans le monde
nouveau, aucun des éléments essentiels à sa perfection générale ne
manquera.
Solution 1 : Dans le monde de l’au-delà, il n’y aura plus de nutrition
puisque chacun sera revêtu d’une immortalité qui fera disparaître toute
possibilité de corruption. Aussi, les animaux et les plantes ne
subsisteront pas pour que l’homme s’en nourrisse.
Solution 2 : La contemplation de la beauté du monde nouveau ne sera pas
pour l’homme l’essence de sa connaissance de Dieu mais une connaissance
surajoutée et pour ainsi dire accidentelle. Elle sera ordonnée au bien
de son corps qui doit participer selon qu’il en est capable à la
béatitude. Or la vie sensible est incapable par nature de contempler
l’essence divine qui est d’ordre spirituel. Elle trouvera dans la beauté
du monde nouveau et dans la vision de son ornement végétal et animal une
participation sensible à cette contemplation .
Solution 3 : De même que le monde minéral qui est pourtant lié à des
formes moins nobles que le monde des vivants, peut être revêtu par la
puissance divine d’incorruptibilité et de clarté, de même la vie animale
et végétale peut être élevée à un mode d’exercice qui exclut toute
corruptibilité. Ainsi qu’un animal soit glorifié signifie que son corps
est revêtu d’incorruptibilité et de clarté par la puissance divine. En
conséquence, la recherche de la nourriture est supprimée ce qui exclut
du monde nouveau les lois naturelles où le plus fort mange le plus
faible. De même, la génération n’est plus possible. Les animaux et les
plantes seront donc présents à cause de leur beauté et vivront une vie
commune paisible. Selon la capacité de chacun, ils vivront d’une
certaine béatitude sensible puisque leur appétit naturel sera comblé.
Solution 4 : Il ne convient pas qu’un appétit naturel soit frustré.
Selon leur appétit naturel, les animaux et les plantes désirent exister
perpétuellement, sinon comme individus, du moins en tant qu’espèce.
C’est à cela qu’est ordonnée leur génération naturelle comme dit
Aristote. Et c’est aussi à cela que sera ordonnée la restauration des
espèces à la résurrection.
Quant à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera, plusieurs
opinions existent. Selon certains, il suffit que les animaux reviennent
selon leurs espèces, car, de cette manière, l’aspiration générale qui
est en eux et qui porte avant tout sur la survie de l’espèce, est
satisfaite. Selon d’autres, il convient que Dieu crée à nouveau chaque
individu qui doit être récompensé du service accompli pour nous par son
passage sur la terre, et en compensation des multiples souffrances
sensibles subies. Une telle restauration est bien évidement possible à
la puissance de Dieu qui “ compte même les cheveux des hommes ». Cela
semble mieux convenir à la bonté de Dieu. Là encore, nous pouvons en
avoir un signe philosophique dans l’expérience de ceux qui approchent la
mort et qui témoignent que le corps psychique n’est pas seulement
conservé pour les individus humains mais qu’il subsiste aussi chez les
animaux, individuellement, dans l’autre monde.
Solution 5 : Les animaux sont incapables d’être glorifiés en ce sens
qu’ils puissent voir l’essence divine car les facultés de connaissance
qui sont en eux sont d’ordre sensible ce qui exclut une quelconque
possibilité d’élévation à un objet spirituel. Cependant, ils peuvent
être rendus immortels dans leur être par Dieu et obtenir une béatitude
qui leur est adaptée. Elle consiste essentiellement dans un état
permanent de joie et de paix sensible, adapté selon leurs espèces, au
degré du psychisme qui leur est attribué par nature. Et ce bonheur
sensible leur sera communiqué par la fréquentation des hommes glorifiés
dont la joie et la paix spirituelles rejaillira jusque dans la
sensibilité animale d’une façon analogue mais bien supérieure à
l’harmonie primitive qui existait dans le paradis terrestre entre Adam
et la nature entière .
A votre service en cas de besoin.
Arnaud |
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