Auteur: Sébastien (---.w193-251.abo.wanadoo.fr)
Date: 24/05/2003 10:41
Cher Arnaud,
Je réponds point pas point ; vous commencez à connaître ma façon de
procéder.
1. Vous faites dire plus à saint Thomas qu’il ne dit dans le texte du De
Veritate que vous citez. Encore une fois, dans l’école thomiste, on a
toujours tenu que « Dieu, par la force de sa volonté qu’il a au sujet de
tous pourvoie à tous les hommes en particulier, aussi bien les adultes
que les enfants, les moyens nécessaires au salut » (Zubizarretta,
Theologia dogmatico-scholastica ad mentem S. Thomae, Bilbao, 1937, tome
II (« De deo uno »), p . 217). Pour le cas des hommes auxquels
l’évangiles n’a pas été prêché il n’est pas nécessaire de recourir à
votre théorie abracadabrante pour trouver la solution. Les théologiens
classiques distinguent en effet en le corps et l’âme de l’Eglise et
affirment que ceux auxquels l'Évangile n'a pas été annoncé
n'appartiennent pas au corps de l'Église; mais qu’ils seront néanmoins
sauvés s'ils appartiennent à l'âme, c'est-à-dire s'ils aiment, désirent
et recherchent la vérité, s'ils suivent leur conscience éclairée par la
lumière naturelle et observent d'ailleurs la religion qu'ils croient
bonne. Cette doctrine, qui aurait sans doute besoin d’être affinée, est
d’ailleurs enseignée par plusieurs papes. Ce qui est néanmoins
intéressant de noter, c’est que pour ces hommes là le salut s’opère bien
dans la vie PRESENTE et que jamais on n’a trouvé des papes ou des
théologiens pour enseigner que Dieu donnait la grâce en vue du salut
hors de celle-ci.
2. Je suis étonné de voir dans la bouche d’un thomiste, les arguments
que servent généralement les opposants de saint Thomas quand on leur dit
que le magistère recommande au théologiens d’être thomistes. Brièvement
:
- Les principes invoqués par saint Thomas dans la Somme contre
l’Immaculée Conception de la BVM restent vrais, même après la
proclamation du dogme. Mieux, il pose le principe qui permettra de
trouver la solution : Marie a besoin comme tous les hommes de la
Rédemption. Pie IX proclamera donc : « La BVM dès le premier instant de
sa conception, EN CONSIDERATION DES MERITES DE JESUS CHRIST, a été
préservée pure de toute souillure du péché originel. »
- Pour ce qui est du moment de l’animation, on n’en sait rien. Il se
pourrait bien que l’animation n’ait pas lieu au moment de la conception
(exception faite de la BVM), mais de façon plus tardive. Cette opinion
permettrait selon moi de résoudre les problèmes posés par l’avortement
et d’éviter aux enfants de peupler les limbes. Licet disputare…
- Il faut bien distinguer entre les thèses de la physique de saint
Thomas ( les corps célestes…) et ses thèses métaphysiques. Si les
premières sont dépassées, les secondes restent valides. Or pour la
question qui nous occupe, ce sont des principes métaphysiques qui sont
en jeu. Ayons toujours sous les yeux les paroles de saint Pie X : « Nous
désirons donc que tous les professeurs de philosophie et de théologie
soient avertis que s'ils déviaient seulement d'un pas, surtout en
métaphysique, de l'Aquinate, ils s'exposeraient à un risque grave pour
la foi. »
3. Personne ne nie que certains aient fait l’expérience des NDE, mais
encore une fois, je vous reproche de manquer de discernement sur les
causes de ces NDE. Le fait que certaines tribus primitives s’en servent
comme rite initiatique, via des psychotropes, devrait nous interroger.
De même, comment se fait-il que l’Eglise n’en parle pas, alors les
ésotéristes de tout poil en fassent une pièce essentielle de leur
système pour justifier la thèse gnostique de la tripartition ?
4. Il n’est pas vrai de dire que les NDE résolvent des problèmes
théologiques. Selon moi, elles en posent un fondamental qui est celui de
la valeur salvifique de la vie présente. Pour prendre un exemple, vous
affirmez que seul le péché contre l’Esprit Saint, commis non durant la
vie présente, mais durant la mort, conduit en enfer. C’est une thèse
inouïe qui semble mal échapper aux mises en garde de Jean-Paul II dans
Veritatis Splendor : « Une doctrine qui dissocie l'acte moral des
dimensions corporelles de son exercice est contraire aux enseignements
de la Sainte Ecriture et de la Tradition : une telle doctrine fait
revivre, sous des formes nouvelles,
certaines erreurs anciennes que l'Eglise a toujours combattues, car
elles réduisent la personne humaine à une liberté « spirituelle »
purement formelle. Cette réduction méconnaît la signification morale
du corps et des comportements qui s'y rattachent (cf. 1 Co 6, 19). L'Apôtre
Paul déclare que n'hériteront du Royaume de Dieu « ni impudiques, ni
idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de mœurs infâmes, ni
voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces » (1 Co
6, 9-10). Cette condamnation, formellement exprimée par le Concile de
Trente (88) met au nombre des « péchés mortels », ou des « pratiques
infâmes », certains comportements spécifiques dont l'acceptation
volontaire empêche les croyants d'avoir part à l'héritage promis. En
effet, le corps et l'âme sont indissociables : dans la personne, dans
l'agent volontaire et dans l'acte délibéré, ils demeurent ou se perdent
ensemble. » (VS, n° 49) De même, imaginer que la damnation s’effectue à
l’heure de la mort revient à introduire une dichotomie entre les actes
humains concrets accomplis durant la vie présente et une option
fondamentale faite au moment de la mort. Or, nous avertit Jean-Paul II :
« On en arrive au point qu'un comportement concret, même librement
choisi, est considéré comme un processus purement physique et non selon
les critères propres de l'acte humain. Dès lors, on réserve la
qualification proprement morale de la personne à l'option fondamentale,
en ne l'appliquant ni totalement ni partiellement au choix des actes
particuliers et des comportements concrets. » (VS n° 65). Il est vrai
que JP II ne parle pas ici de votre théorie, mais de celle de
théologiens moralistes qui parlent de choix fondamental qui orienterait
toute notre vie. Cependant, il me semble que sa critique vise également
votre théorie dans la mesure celle-ci revient à nier, comme l’autre, que
l’on puisse effectuer des péchés mortels durant la vie présente.
5. « Mais, pour l'âme, la mort me semble bien être UN MOUVEMENT
QUALITATIF, pas
un mouvement substantiel. Le lien avec la chair existe, puis se défait
petit
à petit. »
De nouveau, il vous faites ici une grossière erreur philosophique. Le
schéma suivant permettra de mettre les choses au point :
Voici les types de mutations (ou changements)
1. La mutation regarde tout l’être : mutation métaphysique
1.1. passage du non être à l’être : la création
1.2. passage de l’être au non être : l’annihilation
1.3. passage de la totalité d’une substance (matière et forme) à une
autre substance : la transsubstantiation
2. La mutation regarde la forme uniquement : mutation physique
2.1. La forme changée est la forme substantielle : mutation
substantielle
2.1.1. Le changement aboutit à une autre substance : la génération
2.1.2. Le changement aboutit à la disparition de la substance : la
corruption
A noter que dans la nature les deux sont liés : « corruptio unius est
generatio alterius. »
2.2. La forme changée est la forme accidentelle : mutation accidentelle
2.2.1. Par acquisition d’une nouvelle quantité : l’augmentation
2.2.2. Par acquisition d’une nouvelle qualité : l’altération
2.2.3. Par le changement de lieu : la translation
Pour la cas de la mort d’un être humain, il est évident que le processus
qui aboutit à la mort est un processus qualitatif qui se déroule dans la
durée. Pourtant, tant que dure ce processus, l’être humain reste vivant
et l’âme demeure unie au corps. Vient alors un dernière mutation qui
joue le rôle de disposition ultime et puis s’effectue la séparation du
corps et de l’âme. Comme la substance est quelque chose d’indivisible
qui n’admet pas de plus et de moins, cette séparation s’effectue dans un
instant indivisible. Autrement dit, entre les termes d’un changement
accidentel, par exemple entre deux lieux, il y a une opposition
CONTRAIRE d’où la possibilité d’un intermédiaire ; entre les
termes d’un changement substantiel l’opposition est
CONTRADICTOIRE, donc sans intermédiaire possible. Or votre thèse
affirme qu’entre la séparation du corps et de l’âme et le jugement
particulier, il existe une durée, la durée de la mort, où l’âme est unie
à un corps « psychique » ( sic) et peut effectuer le dernier choix
existentiel, c’est-à-dire mériter et démériter.
Ceci est
métaphysiquement impossible. C’est évidentissime…
Cf. de saint Paul « chacun recevra le salaire de qu’il aura mérité avec
son corps soit en bien, soit en mal. » (II Cor 5:10) . « Avec son corps
», dit saint Paul. Le sens obvie du texte, c’est que le mérite et le
démérite a lieu AVANT la mort.
Cordialement
Sébastien
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