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Questions Disputées sur le Grand portail Thomas d'Aquin

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Questions Disputées
 "Beaucoup sont appelés mais peu sont élus" Mt XXII-14)
Auteur: EA (---.adsl.proxad.net)
Date:   23/08/2003 09:14

Bonjour à tous,

Merci à Réginald pour m'avoir fait prendre connaissance de ce forum.

St Thomas a-t-il déjà commenté ce passage de l'Evangile dont l'exegèse traditionnelle retient que "Peu" signifie le petit nombre face au grand nombre (le complément à 100%) de ceux qui se damnent.

N'hésitez pas à apporter votre commentaire personnel ou d'autres citations d'auteurs prestigieux que vous connaitriez.

Bon WE

EA

 

 Re: "Beaucoup sont appelés mais peu sont élus" Mt XXII-14)
Auteur: Sébastien (---.w217-128.abo.wanadoo.fr)
Date:   23/08/2003 11:02

Cher EA,

Cette difficile question a fait l’objet d’un ouvrage qui s’est attaché à collationner un ensemble de citations de Pères, de Docteurs, de Papes et de théologiens sur la question.

Voici le titre de l’ouvrage :

José Ricart Torrens, Du nombre des élus, Paris, Nouvelles Editions latines, 1966, 316 pages.

La thèse de l’auteur est de comprendre de façon littérale le verset que vous citez. On la trouve traditionnellement enseignée lors des retraites Saint-Ignace. C’est aussi, comme vous le savez, la thèse de saint Thomas.

« Le bien proportionné à la condition commune de la nature se réalise le plus souvent, et ne fait défaut que rarement. Mais le bien qui excède l'état commun des choses se trouve réalisé seulement par un petit nombre, et l'absence de ce bien est fréquente. Ainsi voit-on que la plupart des hommes sont doués d'un savoir suffisant pour la conduite de leur vie, et que ceux qu'on appelle idiots ou insensés parce qu'ils manquent de connaissance sont très peu nombreux. Mais bien rares, parmi les humains, sont ceux qui parviennent à une science profonde des choses intelligibles. Donc, puisque la béatitude éternelle, qui consiste dans la vision de Dieu, excède le niveau commun de la nature, surtout parce que cette nature a été privée de la grâce par la corruption du péché originel, il y a peu d'hommes sauvés. Et en cela même apparaît souverainement la miséricorde de Dieu, qui élève certains êtres à un salut que manque le plus grand nombre, selon le cours et la pente commune de la nature. » (I, q. 23, a. 7, ad 3)

Il faut noter toutefois que pour saint Thomas, si l’on compte les anges et les hommes élus, leur nombre paraît supérieur à celui des réprouvés. En effet « il y eut plus d'anges fidèles que de pécheurs. Car le péché va à l'encontre de l'inclination naturelle de la créature ; or, ce qui est contre la nature ne se produit qu'accidentellement dans un petit nombre de cas. La nature, en effet, obtient son résultat soit toujours, soit le plus souvent. » (I, 63, 9)

Cependant, il faut rester prudent sur cette question. Le Père Garrigou-Lagrange, que l’on ne peut vraiment pas taxer de modernisme échevelé, écrit en effet :

« L’opinion commune des Pères et des anciens théologiens est sans doute que, parmi les hommes, ceux qui sont sauvés ne représentent pas le plus grand nombre. On cite souvent en faveur de ce sentiment les saints Basile, Jean Chrysostome, Grégoire de Naziance, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Augustin, Léon le Grand, Bernard, Thomas d’Aquin ; et plus près de nous, Molina, saint Robert Bellarmin, Suarez, Vasquez, Lessuis, saint Alphonse. Mais ils e donnent leur manière de voir comme une opinion, non pas comme une vérité révélée, ni comme une conclusion certaine. » (Reginald Garrigou-Lagrange, L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, Paris, Desclée, 1950, p. 354)

Garrigou-Lagrange semble d’ailleurs opiner pour la thèse la moins rigoriste. Après avoir cité le textes de l’Ecriture qui vont dans le sens d’un moins grand nombre d’élus, il écrit en effet :

« Ces textes ne sont pas absolument probants. Après plusieurs autre en effet le Père Monsabré remarque :
‘‘ si ces paroles ont été dites pour tous les lieux et tous les temps, l’opinion du nombre des élus triomphe. Mais il est permis de croire qu’elles s’applique, surtout et directement, au temps ingrat de la prédication du Sauveur ; et elles ne sont que trop bien justifiées par le peu de fruit de cette prédication. Quand Jésus veut nous faire entrevoir l’avenir, il parle d’une autre manière. Il dit à ses disciples : ‘ lorsque je serai elevé de terre, j’attirerai tout à moi’ (Jean 22 :32). ‘Les puissances de l’enfer ne prévaudront pas contre mon Eglise’ (Matthieu 16 :18). Et montrant les résultats de son dernier jugement : ‘Les bons dit-il s’en iront dans l’éternelle vie, les méchants dans l’éternel supplice’ (Matthieu 25 :46). Remarquez, je vous prie qu’il ne détermine pas le nombre des bons et des méchants. Son parti est de se taire sur ce point ; et à ceux qui lui demandent de se prononcer clairement, par cette question : ‘Seigneur y en at-il beaucoup qui se sauvent ?’ Il se contente de répondre : ‘Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup chercheront à entrer et ne pourront pas’ (Luc 13 :24). Les rigoristes me diront, peut-être, que Jésus-Christ nous cache ici le mystère de sa justice pour ne pas troubler les âmes timorée ; moi, j’aime mieux penser qu’il nous cache le mystère de sa miséricorde pour nous faire éviter la présomption’’ [Conférence de Notre-Dame : 102eme conférence : le nombre de élus, p. 253 (note de Garrigou-Lagrange)] » (L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, Paris, Desclée, 1950, p. 353)

Un peu plus loin le célèbre dominicain, professeur à l’Angélique, poursuit sa démonstration :

« Les théologiens sont généralement inclinés à compléter ce que nous dit l'Ecriture et la Tradition par la considération des moyens de salut donnés aux hommes dans l'Église catholique et en dehors du corps de l'Église surtout aux âmes de bonne foi.

S'il s'agit seulement des catholiques, on enseigne communément, surtout depuis Suarez que, même à ne considérer que les adultes, le nombre des élus dépasse celui des réprouvés. Quoique en effet la majeure partie pèche mortellement, ils se relèvent cependant au tribunal de la pénitence, et il y en a relativement peu qui à la fin de la vie ne se repentent pas et refusent de recevoir les sacrements.

S'il s'agit de tous les chrétiens, ou de tous les baptisés, soit catholiques, soit schismatiques, soit protestants, il est plus probable, disent communément les théologiens, que le plus grand nombre est sauvé, en comprenant du moins les adultes et les enfants, car nombreux sont les enfants qui meurent en état de grâce avant l'usage de la raison. De plus beaucoup de schismatiques et de protestants sont aujourd'hui de bonne foi et ils peuvent se réconcilier avec Dieu par un acte de contrition surtout à l'article de la mort, où la miséricorde divine se penche sur eux. Enfin les schismatiques peuvent y être aidés par une absolution valide.

S'il s'agit dit genre humain tout entier, la question reste controversée pour les raisons que nous avons dites plus haut. Mais, même si, ici, le nombre des élus est moins grand, la gloire de Dieu, dans son gouvernement n'en souffre pas. La qualité l'emporte sur la quantité , une seule âme élue est comme un univers spirituel qui a atteint son but ; et nul mal n’arrive sans avoir été permis pour un bien supérieur. De plus, parmi les non chrétiens, qu'ils soient juifs, mahométans, ou païens, il y a des élus. Les juifs et les mahométans non seulement admettent le monothéisme, mais conservent des fragments de la révélation primitive et de la révélation mosaïque ; ils peuvent ainsi croire à un Dieu rémunérateur surnaturel, et avec le secours de la grâce faire un acte de contrition. Même s'il s'agit de païens qui sont dans l'ignorance invincible ou absolument involontaire de la vraie religion et qui s'efforcent d'observer la loi naturelle, des secours surnaturels leur sont offerts, par les moyens connus de Dieu, pour qu'ils puissent arriver au salut, comme le dit Pie IX, en rappelant que Dieu ne commande jamais l'impossible. (Denz., 1677) A celui qui fait ce qui est en soit pouvoir, Dieu ne refuse pas sa grâce, comme le disent communément les théologiens.

Nous ne pouvons arriver à une certitude sur la question : est-ce que le plus grand nombre des hommes est sauvé ? Il vaut mieux reconnaître notre ignorance sur ce point, et éviter de décourager fidèles par une doctrine trop rigide, ou de les exposer au danger de se perdre par une doctrine trop facile.

L'important est observer les commandements de Dieu en se rappelant cette grande vérité bien exprimée par saint Augustin et proclamée par le Concile de Trente (Denz., 804) : ‘Dieu ne commande pas l'impossible, mais, en donnant ses préceptes, il nous avertit de faire ce que nous pouvons pas et de lui demander sa grâce Pour accomplir ce que nous ne Pouvons pas et il nous aide pour que nous le Puissions.’ » (L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, Paris, Desclée, 1950, p. 354 à 356)

J’espère que cela répondra à votre question.

Cordialement

Sébastien

 

 Re: "Beaucoup sont appelés mais peu sont élus" Mt XXII-14)
Auteur: EA (---.adsl.proxad.net)
Date:   24/08/2003 08:47

Merci Réginald.

C'est trés complet. Je m'étonne que ce forum ne soit pas recensé par Xavier Arnaud sur son site. Peut-être devrions nous lui en faire part. Il est en vacances actuellement.

Bon dimanche

EA

 

 Re: "Beaucoup sont appelés mais peu sont élus" Mt XXII-14)
Auteur: Arnaud Dumouch (---.88.238.140.codenet.be)
Date:   28/08/2003 10:28

Cher EA,
Qui va en enfer?

Y a-t-il beaucoup d’âmes en enfer? Comme le montre Sébastien, toutes les opinions ont été soutenues. Certains affirment sans ambiguïté que ceux qui se damnent sont la majorité, selon cette parole de Jésus : «Il est large le chemin qui mène à la perdition et ils sont nombreux à s’y engager. Mais il est étroit le chemin qui mène au salut et bien peu l’empruntent .» Il est vrai que l’expérience de tous les jours semble la confirmer : parmi les chrétiens eux-mêmes, combien ont réellement découvert l’existence de la prière, condition impérative à l’existence d’une véritable Vie divine? Mais il est excessif d’affirmer que tous ceux qui ne sont pas encore nés à cette vie ou l’ont oubliée sont damnés pour l’éternité. Une chose est de s’engager sur la voie de la perdition, autre chose est d’y demeurer obstinément à l’heure de sa mort. D’autres au contraire affirment que nul ne va en enfer, que les démons eux-mêmes seront sauvés un jour car Dieu est amour. Cette opinion se trompe de perspective. Ce n’est pas Dieu qui veut l’enfer mais c’est l’homme et le démon qui le créent et s’y enferment. Quand bien même Dieu s’obstinerait à proposer aux damnés son pardon en les poursuivant jusqu’au fond de leur égoïsme, il n’obtiendrait que du mépris. Cette poursuite serait inutile et source pour eux de souffrance supplémentaire car c’est justement le fait que Dieu est amour qui les ronge.
Il semblerait que la vérité soit plutôt ici. Si l’on observe les hommes, on s’aperçoit que parmi les chrétiens comme parmi les autres, très peu ont choisi de vivre de la recherche exclusive du bonheur des autres (que cet autre soit Dieu ou le prochain). Les êtres dotés d’une telle bonté et humilité sont rares. De même, très peu d’hommes sont capables d’une recherche exclusive de ce que leur suggère l’égoïsme. Il existe sans doute parmi les croyants comme parmi les athées, des êtres au cœur définitivement durci mais la majorité, l’immense majorité ne vit dans l’égoïsme que par ignorance des projets de Dieu selon cette parole de saint Paul : «Mangeons et buvons car demain, nous mourrons.” D’autres sont entraînés par la faiblesse de leur nature et deviennent esclaves de ce qu’ils croient être nécessaire au bonheur, plaisirs, honneurs, pouvoir. Chaque âme humaine se réalise autour d’intentions sans cesse modifiées par la vie. La plupart d’entre nous passe d’un égoïsme attentif aux autres à une attention aux autres mêlée de recherche de soi. En définitive, nous sommes tièdes.
En conclusion, on peut dire que bien peu d’hommes vont en enfer car le blasphème contre l’Esprit Saint implique un orgueil bien difficile à conserver au terme d’une vie terrestre et devant l’apparition glorieuse de Jésus. Bien peu d’hommes vont directement au paradis, car la toute petitesse est rare. Curieusement pourtant, elle est plus fréquente chez les pécheurs écrasés par la vie que chez les croyants trop sûrs de leur perfection : “ Les prostituées et les pécheurs nous devancent dans le Royaume des Cieux.” En effet, l’humilité, même si elle trouve son origine dans l’humiliation et non dans la fréquentation de Jésus, dispose au salut. Il en est de même de toutes les formes de bonté, qu’elle soit purement philanthropique, bouddhique, musulmane ou marxiste, car selon la parole de Jésus : «Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait.” Au paradis, nous verrons des prostituées comblées d’une gloire immense et des théologiens de l’Église devenus tout petits pour s’être trop préoccupés de bavardages. Jésus seul peut nous sauver mais il n’élève que les humbles.

Quant à la grande majorité des hommes, elle est sauvée mais après un temps de purification. La plupart d’entre nous apprendra au purgatoire à aimer avec limpidité, sans retour sur soi. Toutes nos oeuvres qui n’auront pas été bâties avec l’or de la charité mais par le bois et la paille du péché seront purifiées.
Arnaud

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