Chapitre III - Spiritisme et restauration universelle
 Accueil Archives du forum  
ACCUEIL         FORUM     SUITE

III- Spiritisme et "restauration universelle"

                        Quel rapport le spiritisme et l'apocatastase entretiennent-ils? Les propos de Mickaël, en conclusion de la séance de spiritisme précédemment décrite, ne sont-ils qu'anecdotiques? N'ont-ils pour origine que l'extravagance d'esprit de ce jeune homme, quelque peu troublé par la tournure des événements lors de la séance en cause?

                        La rencontre n'est de fait pas fortuite. Elle est même, au contraire, plus que suspecte!

                        Le spiritisme, pour qui en connaît les auteurs, les théoriciens et leurs écrits, s'intéresse de près aux questions métaphysiques et plus encore, pour dire les choses telles quelles sont, aux questions théologiques.

                        Ainsi donc, le spiritisme traite-t-il de questions essentiellement issues de la théologie, cette "science de Dieu", qui se penche et s'interroge sur les mystères de la foi. Et, ô surprise, parmi les questions théologiques auxquelles s'attache tout particulièrement la doctrine spirite, nous trouvons au premier chef, l'apocatastase. Nous pourrions même dire, sans craindre de réduire à un seul thème l'ensemble de la problématique du spiritisme, que celle-ci traite exclusivement de la question de la "restauration universelle", plus connue depuis le début de ce livre, sous son nom grec d'apocatastase.

                        Un seul thème, d'un seul mot identifiable, l'apocatastase, tel va nous apparaître l'enjeu de la "révélation" spirite. Aussi, pour bien comprendre cet enjeu, rien de mieux que de céder la parole à ceux qui en furent les principaux hérauts, c'est à dire les porte-paroles de l'au-delà.

                        Cet au-delà nous apporterait sa bienfaisante révélation, qu'un auteur spirite n'hésite pas à qualifier de "suprême consolation". L'auteur en question, qui n'a pas eu le courage de ses convictions, gardant secrète son identité, nous gratifie cependant de cette très belle promesse en introduction de son ouvrage sur le sujet: "ce petit livre est surtout destiné à ceux qui souffrent, aux âmes angoissées, à ceux qui, ayant besoin de consolation, vainement cherchée jusque là, et que leur apporte le spiritisme, cette science de l'Au-delà" (L.O., Le Monde des Esprits, comment communiquer avec lui, Editions Jean Meyer, -1947-).

                        Cependant, à côté de cet auteur anonyme, il en est d'illustres qui prirent la plume pour édifier une oeuvre cosmologique, dont la révélation devait bouleverser selon eux la pensée spirituelle de l'humanité toute entière.

            Qui sont ces illustres et doctes écrivains spirites? Ce sont principalement Victor HUGO et "Allan KARDEC", de son vrai nom, Hippolyte-Léon-Denizard RIVAIL.

            Leur prétention a-t-elle connu le succès espéré? Pour l'époque dans laquelle nous vivons, il n'est pas vain de dire que la vision de l'apocatastase d'un Victor HUGO ou d'un RIVAIL, se trouve largement partagée chez nombre de nos contemporains, ces derniers ignorant tout des textes relatifs à ce sujet, ou bien les ayant étudiés. Quant à nous, il ne sera pas dit que nous n'avons pas étudié ces textes. Nous commencerons par les écrits de Victor HUGO.

                        1/ La mystique hugolienne

            Victor HUGO: Qui ne connaît pas ce géant de la littérature française et même pour tout dire de la littérature universelle? Qui sait cependant, que ce génie fut un auteur métaphysique, un écrivain théologien? Et plus encore que cela, car si l'on en juge par la portée de sa mystique, Hugo peut prétendre au rang de prophète...

            Arrêtons-nous là dans la surenchère. Ce qui vient d'être souligné, réclame une petite mise au point: Cher lecteur, je vous déclarais en tête de ce chapitre que Victor Hugo écrivît sur le thème de l'apocatastase, mais il serait plus juste de dire qu'il en vécut le thème tout en ignorant le terme même d'apocatastase, ce mot ne faisant que rappeler synthétiquement l'idée qui nous préoccupe.

            Je persiste donc ici en disant que Victor Hugo est un des plus grands écrivains de l'apocatastase, ce que je vous montrerai bientôt textes à l'appui.

            Une question se pose maintenant: comment s'est faite la rencontre? Comment Hugo en vint-il à décrire une sorte d'apocatastase dans plusieurs de ses poèmes et dans de nombreux autres récits en prose?

            Hugo et l'apocatastase: Où, quand, comment?

- Où? A Jersey, cette petite île anglo-normande, où il trouva refuge, loin de Napoléon le Petit.
- Quand? Le temps que dura son exil forcé jusqu'à son expulsion de l'île, du mois d'août 1852 au 27 octobre 1855.
- Comment? Par la pratique des tables tournantes! Donc par le biais du spiritisme.

            Ce fut pour l'écrivain une rencontre prodigieuse: à en juger par le temps qu'il consacrait aux séances et par le travail de décryptage qui en résultait, on peut dire qu'Hugo vécut dans l'intimité du monde des "esprits" avec ferveur et comme un fantôme dans notre monde pendant plus de trois ans, le temps de son exil à Jersey. Là, il se consacra exclusivement à sa passion pour l'au-delà.

            Avant de passer à l'analyse des poèmes et des récits en prose issus de l'expérience des tables tournantes de Jersey, il faut préciser de quelle sorte d'inspiration découlent ces textes. En effet, ces textes attribués à Victor Hugo sont-ils réellement de lui? Sont-ils de sa plume? De sa plume, ils sont issus. Hugo les a mis au propre, de sa plume. Mais sont-ils de sa main, comme l'on dit, pour certifier que les textes sont des créations personnelles de l'auteur? Et bien, nous pouvons être dès à présent très surpris par la réponse que Victor Hugo apporte lui-même à cette question. Car le grand écrivain l'a précisé de son vivant: les textes de Jersey ne sont pas de lui mais ont été produits par les esprits contactés lors des séances de spiritisme auxquelles il participa!?

            Est-ce à dire, qu'il faudrait admettre que Victor Hugo ait eu des nègres fantomatiques? La réponse n'est pas simple comme nous le verrons par la suite (Cf. B/ Qui parle?).

            Pour le moment, et pour conserver le rythme d'explication que nécessite une analyse rigoureuse, nous pouvons seulement signaler, en accord avec Hugo, que "ces" oeuvres de Jersey sont de deux types. Il y a des poèmes et des récits en prose comme nous l'avons déjà mentionné. Mais ce n'est pas là, la principale distinction qu'il faille opérer.

            1/ Il y a d'une manière très étrange les poèmes et les récits en prose dictés directement par les tables tournantes et que Hugo considèrent comme inspirés d'en-haut (ce ne serait donc pas lui qui les aurait produits).

            2/ Il y a ensuite les poèmes produits par Hugo lui-même mais à partir d'indications ou de demandes formulées par les esprits des tables tournantes.

            1/ Parmi celles traitant de l'apocatastase, les oeuvres de la première catégorie sont principalement:

            - L'étoile d'en bas (dicté le jeudi 27 avril 1854 par "Shakespeare")

            - Un sermon (dicté le 8 mars 1855 par "Jésus Christ").

L'intégralité de ces textes en provenance de l'au-delà, fut publiée en 1928 chez l'éditeur Louis Conard sous le titre Les tables de Jersey par l'exécuteur testamentaire de Hugo, Gustave Simon. Une nouvelle édition de l'ouvrage est parue chez Stock en 1980, sous le titre: Les tables tournantes de Jersey: chez Victor Hugo. Des extraits de ces textes sont également reproduits pour une grande partie d'entre eux dans l'ouvrage du Docteur Jean de Mutigny: Victor Hugo et le spiritisme (éditions Fernand Nathan -1981-).

            2/ Les textes de la seconde catégorie ont tous trait à l'apocatastase et sont principalement:

            - Ce que dit la bouche d'ombre (poème terminal des Contemplations -1855- Jersey). Dans l'édition du Livre de Poche des Contemplations, la note pour ce poème est la suivante: "Ce poème exceptionnel est directement inspiré par le message des tables. C'est au cours de la séance du 24 avril 1854 que la table a ordonné à Hugo d'écrire un poème appelant la pitié sur les êtres captifs et en a esquissé les grandes lignes. Hugo, comme il est dit dans un procès-verbal du 19 septembre a "obéi"".

            - Satan pardonné (à la suite du sermon du 8 mars déjà mentionné ci-dessus, Hugo, après avoir retranscrit le texte dicté par "Jésus", écrit la mention suivante: "Je fais un poème intitulé: "Satan pardonné". (minuit trente cinq)."). De fait, ce travail avait été commencé par Hugo en mars 1853 mais il n'avait pu l'achever, empêché en cela par la composition des Contemplations. Le sermon de "Jésus" fut donc pour l'auteur l'occasion d'un déclic qui le remit sur la voie de ce travail pendant un an abandonné. Ce poème achève La fin de Satan, poème magistral de plus de 5000 vers, dont le titre est assez évocateur pour que son contenu puisse être aisément rapproché de notre question de l'apocatastase.

            Parmi les poèmes et les récits en prose précédemment mentionnés, ne seront étudiés de manière systématique qu'un seul texte de chacune des deux catégories que nous venons de définir: à savoir, L'étoile d'en bas et Ce que dit la bouche d'ombre.

                                    A/ Le diable pardonné?

                                                a- L'étoile d'en bas

            Ce texte est d'autant plus étrange et intéresse d'autant plus notre sujet (pour rappel, l'apocatastase) qu'il nous viendrait à priori de l'au-delà par la "voix" de "Shakespeare". Qui mieux qu'un revenant pourrait nous renseigner sur ce qui se passe après la mort? Ecoutons donc "Shakespeare"...

"L'ETOILE D'EN BAS

            Bonjour, paradis.

L'ETOILE D'EN HAUT

            Passe ton chemin, enfer.

L'ETOILE D'EN BAS

            Pas de colère si tu veux qu'on te croie heureux.

L'ENFER

            Va-t'en du ciel.

LE PARADIS

            J'y suis bien. Dieu luit pour tout le monde; Dieu n'est pas ta propriété. Je suis le revers de la médaille dont tu es l'autre face. Je suis l'effigie châtiment, tu es l'effigie clémence.

LE PARADIS

            O rayonnement! ô splendeur! ô lumière!

L'ENFER

            O ténèbres!

LE PARADIS

            Dieu sourit!

L'ENFER

            Dieu menace.

LE PARADIS

            Comme l'homme est heureux! plus de mal! plus de sang! plus de larmes! l'homme est une immense fleur dont la racine plonge dans la lumière et qui a autant de pétales que la bouche de Dieu a de baisers. L'immensité, l'éternité lui sont douces comme des langes. Il dort tranquille et souriant dans ces deux bras de Dieu. Le matin, il s'éveille dans la joie, le soir il s'endort dans le ravissement. L'énorme Dieu des abîme, des tempêtes et des vents, devient le père épris de son enfant et se montre si tendre, si dévoué et si doux que les hommes lui disent: ma mère! La création rentre toutes ses griffes et n'est plus que caresses.

            Les éléments s'apaisent; l'air, l'eau, la terre, le feu, ces quatre vieux ennemis de l'homme, l'entourent d'amour et de bonheur. L'air ne contient plus de tempêtes, l'eau ne contient plus de naufrages, le feu ne contient plus d'incendies, la terre ne contient plus de sépulcres; les hydres et les dragons furieux qui s'agitaient dans les ondes et dans les flammes se sont transfigurés et son devenus des figures célestes; les grincements de dents se changent en sourires; les larmes en rosée; le vide en plénitude; et je regarde s'enfuir dans les ténèbres et dans les solitudes le géant Chaos et le spectre Néant, tous deux sombres, causant, maugréant, maudissant et tout effarés. Le rosier n'a plus d'épine et se sent une âme; l'épine elle-même est devenue bouton de rose, et le malheur qui rampait sur les globes comme une sorte d'insecte hideux a senti ses mille pattes monstrueuses se transformer en deux ailes, et cette chrysalide de l'expiation s'est envolée dans les clartés, papillon des joies. O chardon, te voilà fleur! O scorpion, te voilà oiseau! O crapaud, te voilà cygne! O cygne, te voilà femme! O femme, te voilà ange! Nature pleine de mystères, de ténèbres, de reflets de lune, d'étangs silencieux, de broussailles, de clairières, de rochers, de forêts, de gouffres, de tumultes, d’œuvres secrètes et profondes, de fourmillements et d'enfantements; ô nature masquée, nature cachée, te voilà nue! mensonge, te voilà vérité! volcans, vous voilà cimes! antres, vous voilà foyer! ténèbres, vous voilà éblouissements! mort, te voilà vie! et dans les orbites des crânes ressuscités pour l'éternité et devenus soudain flamboyants et lumineux, ô vers de la tombe, vous voilà rayons du ciel!

L'ENFER

            Tu mens, paradis. Tout pleure et tout saigne; tout est crime et tout est souffrance; il n'y a pas des millions d'étoiles dans la nuit du cœur humain, il n'y a que deux lunes, la lune louche et la lune aveugle, la lune trahison et la lune misère, l'astre Judas et l'astre Job. L'oiseau humain est un antre de ténèbres. L'horreur est partout. Le remords est le nuage rouge où se couche le soleil, et son char est un tombereau de cadavres. L'immensité est un masque de bourreau, l'éternité est un poids qui frappe et brise la faible raison de l'homme dans son implacable oscillation, et le balancier de l'infini résonnant dans le crâne humain le remplit et le submerge de son flux et de son reflux comme la marée d'un océan de sanglots. Car toute heure, toute minute, toute seconde est un cri de douleur, l'aiguille du cadran fait le tour du monde, et son doigt est toujours tourné vers une heure de nuit. Regarde, paradis, l'ombre que j'ai en moi. Quelle désolation! Quel opprobre, quelle honte! L'homme est un méchant, la bête est un méchant, la fleur est un méchant, la pierre est un méchant. Les quatre éléments sont quatre misérables. L'air fait dévorer les colombes par les vautours, l'eau fait dévorer les petits poissons par les gros, le feu fait dévorer les prairies par les volcans, la terre fait dévorer les moutons par les loups. Les choses commettent des actions plus infâmes que l'homme. Les ronces aspirent à piquer, les plantes aspirent à trembler sous l'orage, les chemins aspirent à égarer, les fleuves aspirent à noyer, les tuiles aspirent à tomber. Les portes désirent les cachots, les puits désirent les astrologues, le mancenillier désire le voyageur, le fer désire le sang, le cuivre désire le vert de gris des suicide, l'or rêve la prostitution. Les sapins se voient dans leurs songes changés en mâts brisés sur un vaisseau désemparé. Les pierres se voient donjons. Les chênes se voient gibets. L'éponge, cachée au fond de la mer où Jésus pêche avec les apôtres, pense au fiel du calvaire. La ciguë cachée au fond du jardin, où Socrate se promène avec ses disciples, le regarde avec colère et les poisons du laboratoire de Locuste pensent à Néron. La nature est horrible. Les mandragores sombres, les ellébores pâles, les pavots blêmes causent avec les champignons hideux et ces plantes de la nuit conspirent contre l'homme. L'une dit: - Je suis le narcotique. L'autre dit: - Je suis le venin, taisons-nous! Monstrueux! monstrueux! monstrueux! Et les pestes, les fièvres, les maladies, les épidémies, les choléras passent en battant de l'aile dans ce ciel de crimes. L'homme s'agite dans cet enfer, non pour l'améliorer, mais pour l'empirer. Toutes ses actions sont des forfaits. On dirait que le crime est un de ses muscles. Il marche, crime. Il s'arrête, crime. Il se lève, crime. Il se couche, crime. Enfant, il tue les oiseaux. Homme, il opprime les femmes; vieillard, il tue les idées naissantes. Son berceau est un nid de hiboux, où la nuit couve le jour, où la mort couve la vie. La nourrice de l'humanité a deux mamelles: la misère et l'ignorance. Le nouveau-né est emmailloté dans les langes de l'ombre. Il suce l'amour dans la haine, la foi dans l'ironie, le bien dans le mal, et c'est en mordant Dieu qu'il tette la vie. La moitié de la société humaine est égoïste, l'autre est envie. Le sommet est la fange, la base est le sang. Le monstrueux reptile est entrelacé autour de la colonne du temple et siffle contre le plafond étoilé. Les poètes chantent les rois, et quand la Pompadour a fini de baiser les ulcères de Louis XV, Voltaire vient mendier le sourire de ces baisers. La science croit trouver des remèdes, elle trouve des maux. Colomb croit trouver l'Amérique, il trouve une maladie. Franklin croit découvrir le paratonnerre, il indigne la foudre. Fulton croit découvrir la vapeur, il découvre des explosions. Gutemberg croit découvrir l'imprimerie, il découvre les guerres civiles et les révolutions. Le mal se fait dans le bien. La main qui écrit une pensée utile ne sait pas la réaliser. Les catéchismes singent les évangiles, et l'Eglise fait avec l'aumône de la fausse monnaie qu'elle prête à Satan. O formidable griffe du crime! Elle tient dans sa serre le crâne du monde et pour l'empêcher de voir et d'entendre, elle lui plonge deux ongles dans les yeux et deux ongles dans les oreilles. Eh bien, paradis tu as raison, fuyons! fuyons! fuyons! le ciel est trop lumineux pour moi, venez, mes forfaits, venez, mes horreurs, venez, mes bassesses, venez, mes turpitudes. Et puisque le ciel de ma gloire ne veut pas de nous, laissons-le, et allons chercher à travers les espaces, pour y rouler éternellement et pour en être le soleil, le noir firmament de l'infamie!

LE PARADIS

            Pas éternellement!

L'ENFER

            Quoi!

LE PARADIS

            Le pardon est le mot suprême. L'ombre de la main de Dieu, c'est le châtiment, mais son geste est toujours la bénédiction.

L'ENFER

            O paradis, est-il donc possible que je sois pardonné? Est-il donc possible que mes crimes qui rugissent dans l'ombre soient admis un jour, dans bien longtemps, à lécher les pieds du Seigneur? Est-il donc possible que mes maudits soient un jour reçus dans le sourire de Dieu? Est-il donc possible que les deux pinces de la tenaille satan deviennent les deux lèvres de la bouche des anges? Non, tu me trompes. L'ombre est l'ombre. La nuit est le monstrueux regard de l’œil crevé; l'aurore est le regard d'amour de l’œil rayonnant. Les ténèbres sont condamnés, les ténèbres sont maudites, les ténèbres sont oubliées; le ciel noir est une muraille, le cachot où l'on sentira éternellement l'aveugle tâtonnement des astres punis. O paradis! je ne te crois pas, mais rien qu'à t'entendre me parler de pardon, moi, l'envieux, moi, le méchant, j'ai de grosses larmes dans les yeux. Le bas du ciel pardonné par le haut, la fange pardonnée par la lumière, les pieds souillés lavés par les mains pures des séraphins ailés, le ruisseau baisé par l'oiseau, cela n'est pas possible.

LE PARADIS

            Si.

L'ENFER

            Comment? Dis-le vite! Oh! être pardonné! l'éternité désarmée! Avoir Dieu! Parle vite! O mon doux frère!

LE PARADIS

            Il y a un moyen.

L'ENFER

            Dis vite.

LE PARADIS

            Tu es couvert de criminels. Prends le plus coupable, le plus pervers, le plus infâme et fais-en un juste. Si tu arrives, toi enfer, sans être aidé par un paradis, à faire un ange avec un démon, tu seras pardonné.

L'ENFER

            O joie! Mon doux frère, comment faire pour te remercier?

LE PARADIS

            Faire un ange."

            Il s'agit donc d'un dialogue entre l'étoile d'en bas et l'étoile d'en haut. J'écris en premier l'étoile d'en bas car c'est elle qui inaugure le dialogue:

            "L'étoile d'en bas à l'étoile d'en haut: "Bonjour, paradis"

            La réponse ne se fait pas attendre: "Passe ton chemin, enfer", réplique l'étoile d'en haut.

            Nous sommes très vite renseigné sur l'identité de ces deux étoiles, l'une est le paradis (le Ciel) et l'autre l'enfer. Elles sont métaphoriquement personnalisées puisque, et le paradis et l'enfer parlent. Etant à priori des lieux, le paradis, celui de la récompense de la divine félicité et l'enfer, celui de la malédiction et du supplice, il ne saurait y avoir de dialogue entre ces deux mondes, si ce n'est entre leurs occupants respectifs.

            Le dialogue, ici mis en scène, entre l'enfer et le paradis, nous invite donc à nous interroger sur le sort de ceux qui les habitent. Et lorsque l'enfer parle, ne parle-t-il pas pour les damnés? "L'homme s'agite dans cet enfer, non pour l'améliorer, mais pour l'empirer".

            Mais attention, on se tromperait en pensant que cet "enfer" est l'enfer définit par la doctrine de l'Eglise Catholique. L'"enfer" du texte c'est le monde terrestre, l'étoile d'en bas.

            - D'un côté, il y a vision eschatologique du Ciel: "Comme l'homme est heureux! plus de mal! plus de sang! plus de larmes! l'homme est une immense fleur dont la racine plonge dans la lumière et qui a autant de pétales que la bouche de Dieu a de baisers. L'immensité, l'éternité lui sont douces comme des langes. Il dort tranquille et souriant dans ces deux bras de Dieu. Le matin, il s'éveille dans la joie, le soir il s'endort dans le ravissement. L'énorme Dieu des abîmes, des tempêtes et des  vents, devient le père épris de son enfant et se montre si tendre, si dévoué et si doux que les hommes lui disent: ma mère! La création rentre ses griffes et n'est plus que caresses". Le parallèle avec l'avènement de la Jérusalem céleste décrite dans l’Apocalypse de Saint Jean est évident: "Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux: de mort, il n'y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé" (Apocalypse, 21.3-4).

            - De l'autre côté, celui de l'étoile d'en bas, l'enfer se limite à une description pessimiste et noire de l'épreuve terrestre que traversent les hommes.

            Le paradis est présenté comme le Ciel des chrétiens tandis que l'enfer n'est que la vie sur terre. Et déjà, on peut voir par là que dans l'autre monde, il n'y a que le paradis parce que l'étoile d'en haut ne représente que le Ciel et que l'enfer n'a d'existence, éphémère, qu'ici bas. Le dogme de l'enfer est habilement nié dans le texte sous le thème même de l'"enfer".

            Rapidement cependant, l'attaque directe contre l'Eglise se fait entendre sans nuance, ce qui confirme ici, explicitement cette fois, la négation préalable du dogme de l'enfer: "Les catéchismes singent les évangiles, et l'Eglise fait avec l'aumône de la fausse monnaie qu'elle prête à Satan" dit l'enfer.

            Mais alors pourquoi, s'interrogera-t-on, l'"enfer" demande-t-il à être pardonné s'il n'y a pas de châtiment?

            De fait, le texte est ambigu. Car, si le paradis existe, ce que souligne le texte, et qu'il n'y a au-delà de notre vie terrestre que le Ciel, l'homme après la mort va logiquement au Ciel et trouve là un bonheur parfait, selon la définition même du paradis. "Le paradis: L'homme est heureux!". Cependant, l'"enfer" pose la question de son pardon au paradis: "ô paradis, est-il donc possible que je sois pardonné?".

            D'où vient ce besoin de pardon si l'"enfer" n'est que l'épreuve terrestre? C'est qu'à partir d'ici, l'"enfer" du texte n'est plus seulement l'épreuve terrestre; il se colore des sombres images de l'enfer tel que le définissent les catéchismes successifs de l'Eglise Catholique. Qu'on en juge plutôt par cette phrase: "Le ciel est trop lumineux pour moi, venez mes forfaits, venez, mes horreurs, venez, mes bassesses, venez, mes turpitudes. Et puisque le ciel de la gloire ne veut pas de nous, laissons-le, et allons chercher à travers les espaces, pour y rouler éternellement et pour en être le soleil, le noir firmament de l'infamie!"

            L'expression "y rouler éternellement" ne colle pas avec la définition de l'"enfer" comme simple épreuve terrestre. Car l'épreuve terrestre, aussi longue soit-elle, a une fin: la mort; fin que le mot éternellement rend impossible de part sa définition même: "qui n'a pas de fin". L'expression "rouler éternellement pour chercher le noir firmament de l'infamie" correspond davantage à la description de l'éternité des peines de l'enfer du dogme de l'Eglise!

            La réponse du paradis, en niant cependant l'éternité de l'enfer, confirme cette contradiction: à la déclaration de l'éternité de son châtiment par l'"enfer", le paradis rétorque: "Pas éternellement!".

            Ce qui se joue désormais au fil du texte, c'est la négation de l'existence de l'enfer, non pas de cet "enfer" terrestre, mais, le Jugement dernier venu, de cet enfer comme châtiment des crimes commis sur terre.

            Car des crimes, il y en a sur terre; le texte le rappelle longuement et avec une âpre insistance: "L'homme s'agite dans cet enfer, non pour l'améliorer, mais pour l'empirer. Toutes ses actions sont des forfaits. On dirait que le crime est un de ses muscles. Il marche, crime. Il s'arrête, crime. Il se lève, crime. Il se couche crime...".

            Ces crimes devront-ils être punis?

            "O paradis, est-il donc possible que je sois pardonné? Est-il donc possible que mes crimes qui rugissent dans l'ombre soient admis un jour, dans bien longtemps, à lécher les pieds du Seigneur? Est-il donc possible que mes maudits soient un jour reçus dans le sourire de Dieu?".

            Ce à quoi le paradis répond par l'affirmative. Nous voici donc à nouveau en pleine apocatastase. Mais cette restauration universelle à un prix, ou plutôt dirons-nous d'après le texte, une condition à remplir pour voir le jour.

            "L'enfer: Comment? Dis-le vite!"

            "Le paradis: Il y a un moyen."

            "L'enfer: Dis vite."

La condition à remplir est plutôt curieuse et déconcertante:

            "Le paradis: Tu es couvert de criminels. Prends le plus coupable, le plus pervers, le plus infâme et fais-en un juste. Si tu arrive, toi enfer, sans être aidé par un paradis, à faire un ange d'un démon, tu seras pardonné."

            Sans l'aide du Ciel ("sans être aidé par un paradis"), le pire des criminels doit devenir un ange! D'un simple point de vue spirituel, la chose paraît franchement impensable, car sans la grâce de Dieu, nul ne peut être sauvé. Selon le texte cependant, sans recours à Dieu donc, c'est à dire par les seuls moyens des hommes, l'être le plus abjecte doit se transformer en ange: "Prends le plus coupable ... fais-en un juste".

            Pour rester dans la finesse de sens du vocabulaire du texte, il ne faut pas comprendre que l'être le plus abjecte ("le plus pervers, le plus infâme") doit se transformer en ange, mais selon une toute autre signification, qu'il doit-être transformé en ange. Le "fais-en" veut bel et bien dire en faire un ange. Il y a certes là une subtilité cachée sous un double sens. Faire de quelqu'un un ange, c'est faire qu'il devienne un ange. Mais le devient-il, ange, en devenant réellement angélique du point de vue de son comportement, ou, plus prosaïquement le devient-il dans l'esprit du plus grand nombre par une habile publicité, cousue de mots sans réalité, comme le texte lui-même le laisse entendre lorsqu'il est dit que "la main qui écrit une pensée utile ne sait pas la réaliser".

            Faire un ange du plus grand criminel, cela peut être obtenu très simplement par la parole et la phrase seules. C'est comme si l'on décidait d'une stratégie publicitaire visant à améliorer l'image médiatique d'une personne en mal de popularité: "A l'attention du public, nous allons faire de toi, un ange. Ce qui seul importe, c'est que le public soit convaincu que tu es un ange. Et saches que nous saurons convaincre le public que tu en es un!".

            Maintenant, revenons un peu sur la véritable personnalité de ce plus grand des criminels. Quelle peut-être l'identité de ce mystérieux personnage si coupable? Parmi les "monstres" tristement célèbres que la terre ait portés, il est difficile de décréter lequel est le plus coupable d'entre tous. Du reste, cette condamnation, il ne nous appartient pas de la prononcer: elle échappe à notre entendement. Que tel homme ait commis tel crime plus grave que tel autre crime commis par tel autre homme, cela peut se concevoir. Mais distinguer du lot des criminels, un criminel absolu, cela ne se peut. A moins que...

            Le texte nous dit de "faire un ange avec un démon". Mais s'agit-il d'un démon comme métaphore pour décrire un homme au comportement diabolique, ou plus distinctement, du démon, du diable en personne?!

            S'agit-il d'une caricature du plus grand criminel humain ou d'une ambiguïté voulue pour introduire dans le texte l'image du diable?

            Ce discours, pour ambigu qu'il paraisse, n'en trahit pas moins selon moi, une volonté assez nette de transformer le démon en ange de lumière. On retrouve ici, avec étonnement et intérêt, la démarche d'un Papini et sa prière pour le diable afin que l'ange rebelle redevienne un ange de lumière. Car selon l'intime conviction de l'écrivain italien, ne serait-ce pas la victoire définitive du bien sur le mal que la conversion du diable? "Faire un ange avec un démon". On retrouve là d'autant mieux Papini, que pour cet auteur, cette conversion peut seule être obtenue par l'homme (qu'il voit désormais en charge de cette ultime et admirable tâche): "Réveille-toi donc, et écoute. Les cieux sont de nouveau ouverts devant toi. Tu fis tomber l'homme, et l'homme, pour se libérer et te libérer, te relèvera de ta chute. Nous prierons tous pour ton salut, comme nous n'avons jamais prié. Il suffit qu'il y ait de ta part une lueur de regret, une ombre de remords, une seule goutte d'amour. Nous ferons le reste" (Giovanni Papini, Le Diable tenté -1950).

            Ainsi, le double sens de l'expression "faire un ange avec un démon" demeure dans toute son ambiguïté. Il se peut que ce ne soit que des mots et bien pire, que des mots pour tromper et faire chuter! ou comme le dit encore le texte, faire du faux le vrai: "mensonge, te voilà vérité!". Mais déjà de son temps, le prophète Isaïe nous en avertissait: "Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l'amertume en douceur et la douceur en amertume!" (Isaïe, 5.20).

            Pour en revenir à l'auteur des Contemplations, est-ce que Victor Hugo en arrive à la même conclusion que Papini dont nous venons de montrer combien les propos répondaient spécifiquement à la déclaration finale de ce texte: "faire un ange".

            Hugo a-t-il parlé du salut du diable? L'a-t-il souhaité? L'a-t-il prêché?

            Hugo fut-il, un temps durant tout au moins, un apôtre de l'apocatastase du démon?

            Oui! Et pour preuve écoutons le poète:

"L'archange ressuscite et le démon finit;
Et j'efface la nuit sinistre, et rien n'en reste.
Satan est mort; renais, ô Lucifer céleste."
(V. Hugo, Satan pardonné -1855-)

                                                b- Ce que dit la bouche d'ombre

            Hugo fut un apôtre de l'apocatastase du démon. C'est ce que nous allons découvrir en parcourant les six dernières strophes du poème intitulé: "Ce que dit la bouche d'ombre".

            Rappelons que ce poème a été écrit par Hugo lui-même, mais avec l'inspiration du contenu des séances de spiritisme de Jersey; séances dont nous venons d'étudier un exemple de texte sorti des tables: "l'étoile d'en bas".

            Dans la bouche d'ombre, c'est bien Hugo qui parle et les préoccupations qui s'y révèlent, sont les siennes, ou tout au moins, les partage-t-il avec les mystérieux visiteurs qui parlent par les tables.

            Voici donc les six strophes finales du poème final des Contemplations:

"O disparition de l'antique anathème!
La profondeur disant à la hauteur: Je t'aime!
O retour du banni!
Quel éblouissement au fond des cieux sublimes!
Quel surcroît de clarté que l'ombre des abîmes
S'écriant: Sois béni!
On verra le troupeau des hydres formidables
Sortir, monter du fond des brumes insondables
Et se transfigurer;
Des étoiles éclore aux trous noirs de leurs crânes,
Dieu juste! et, par degrés devenant diaphanes,
Les monstres s'azurer!
Ils viendront, sans pouvoir ni parler ni répondre,
Eperdus! on verra des auréoles fondre
Les cornes de leur front;
Ils tiendront dans leurs griffes, au milieu des cieux calmes,
Des rayons frissonnants semblables à des palmes;
Les gueules baiseront!
Ils viendront! ils viendront! tremblants, brisés d'extase,
Chacun d'eux débordant de sanglots comme un vase,
Mais pourtant sans effroi;
On leur tendra les bras de la haute demeure,
Et Jésus, se penchant sur Bélial qui pleure,
Lui dira: C'est donc toi!
Et vers Dieu par la main il conduira ce frère!
Et quand ils seront près des degrés de lumière
Par nous seuls aperçus,
Tous deux seront si beaux, que Dieu dont l’œil flamboie
Ne pourra distinguer, père ébloui de joie,
Bélial de Jésus!
Tout sera dit. Le mal expiera; les larmes
Tariront; plus de fers, plus de deuils plus d'alarmes;
L'affreux gouffre inclément
Cessera d'être sourd, et bégaiera: Qu'entends-je!
Les douleurs finiront dans toute l'ombre: un ange
Criera: Commencement!"

            Voyons maintenant de plus près ce que recèle ce poème. Dans la quatrième strophe présentée, apparaît le nom de "Bélial". Comportant une majuscule, ce nom se rapporte ainsi à une personne particulière. Bélial est ici, sans nul doute possible, le diable. Une fois cette donnée acquise, la teneur du poème confirme la tentative de l'auteur de réhabiliter le diable dans une "universelle restauration" de la création. A ce titre, le dernier mot du poème, "commencement", pourrait bien être remplacé sans difficulté par: apocatastase. "Commencement!" vaut bien qu'on l'entende par création nouvelle. Et cette nouvelle création serait élaborée à partir des éléments universellement restaurés de l'ancienne oeuvre, à jamais établie dans la perfection.

            Regardons de près la montée chromatique de cette restauration. Le premier vers de la première strophe citée nous dit qu'il y a "disparition de l'antique anathème". La malédiction et la condamnation du diable sont levées. Cela suppose donc que le diable fut condamné. Mais là encore, on ne nous dit point pourquoi il le fut. De quelle nature fut son crime? Nul n'en saura rien en lisant ce poème! Car si le crime a eu lieu, il ne doit pas compromettre pour autant la possibilité d'une demande de pardon de la part du coupable. En effet, tout de suite après, pour nous rassurer à ce sujet, le deuxième vers nous fait savoir que le diable est toujours capable d'amour malgré son crime: "La profondeur disant à la hauteur: Je t'aime!". Le diable disant à Dieu: je t'aime!!!

            Il n'empêche que le crime perpétré par le diable doit être impressionnant car son pardon représente un événement ineffable: "Quel éblouissement au fond des cieux sublimes!". L'enjeu de la restauration est formidable: La conversion du plus grand des criminels et son accueil au Ciel ne constituent-ils pas la victoire définitive du bien sur le mal? Les ténèbres de jadis ne rendent-elles pas plus radieuse la lumière éternelle du Ciel? En définitive, c'est l'enfer qui fait le Ciel: "Quel surcroît de clarté que l'ombre des abîmes s'écriant: Sois béni!".

            Le crime du diable doit être immense pour que son effacement remplisse d'autant de gloire le ciel de Dieu. Mais là encore, nous ne saurons rien de plus sur ce crime, si ce n'est qu'il fut commis.

            La montée chromatique des ténèbres à la lumière se poursuit en parcourant le chemin d'une saisissante transformation. Le résultat est d'autant plus frappant que le poète emprunte, pour mettre en images sa description, un vocabulaire spécifiquement religieux, tiré de la Bible. "Se transfigurer" renvoie aux Evangiles de Saint Matthieu, Saint Marc et Saint Luc. Je donne ici celui de Saint Matthieu en référence: "Et il fut transfiguré devant eux: son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière" (Mt 17.2). Evidemment, c'est de la transfiguration du Christ dont nous parle l'évangéliste.

            La référence à la transfiguration est très explicite dans les vers suivants où le poète fait jaillir la lumière des figures des créatures de l'enfer. La lumière envahit leurs corps. Elle perce d'abord le masque de leurs figures enténébrées: "Des étoiles éclore aux trous noirs de leurs crânes". Puis c'est la monstruosité toute entière de leur apparence qui disparaît dans la lumière: "et, par degrés devenant diaphanes, les monstres s'azurer!". Le mot diaphane souligne la transparence progressive ("par degrés") sous l'effet de laquelle, fond l'opacité des corps; corps qui jusqu'alors étaient encore recouverts de nuit puisque ces créatures montent "du fond des brumes insondables".

            La métamorphose se poursuit avec l'ascension irrésistible ("Ils viendront, sans pouvoir ni parler ni répondre. Eperdus!") jusqu'à l'accueil "dans les bras de la haute demeure". L'image médiévale du diable cornu se dissolve elle-aussi sous l'effet de la lumière: "on verra des auréoles fondre les cornes de leur front".

            Une nouvelle référence biblique vient se mêler à celle de la transfiguration. Dans l'Apocalypse de Saint jean, les élus sont "vêtus de robes blanches, des palmes à la main" (Ap 7.9). Les palmes sont là le signe du triomphe des élus; palmes que l'on retrouvent entre les griffes des démons transfigurés: "Ils tiendront dans leur griffe, au milieu des cieux calmes, des rayons frissonnants semblables à des palmes". Le triomphe du bien est consommé, les monstres sont désormais capables d'aimer: "Les gueules baiseront!".

            Au cours de cette transformation, l'ange rebelle redevient lucifer, c'est à dire le "porteur de lumière" selon la signification de ce nom, et l'on retrouve ici l'écho des vers du poème Satan pardonné: "Satan est mort; renais, ô Lucifer céleste". Sous son aspect d'antan, Jésus reconnaît enfin le diable, qui est redevenu l'ange de lumière, lucifer! "Et Jésus, se penchant sur Bélial qui pleure, lui dira: C'est donc toi!".

            Au final, la transfiguration est telle que Jésus et Bélial sont devenus méconnaissables. A tel point que le Père céleste s'y trompe: "Tous deux seront si beaux, que Dieu dont l’œil flamboie ne pourra distinguer, père ébloui de joie, Bélial de Jésus!". On touche là un aspect vénéneux de certaines spéculations théologiques délirantes qui voudraient faire du Christ et de lucifer deux frères jumeaux, tous les deux, les fils du Dieu très Haut. On tient là, à la fois, la négation de la divinité du Christ, et la collusion malsaine et interchangeable des figures du bien et du mal! Décidément le thème de l'apocatastase revêt des conclusions aussi sataniques qu'insoupçonnées de nous au départ de la question posée du salut de tous.

                        Le satanisme s'ingénie à tout inverser; n'est-ce pas toujours là sa signature, sa griffe pour dénoncer ces choses graves avec un peu d'humour rafraîchissant? Le Christ le premier nous rappelle la malignité de cette inversion lorsqu'on l'accusa, après qu'Il eût opéré le miracle d'un exorcisme libérateur, de réussir ces choses par l'intermédiaire des démons eux-mêmes, et qu'on l'accusa de plus belle pour ce faire, d'agir au nom de Béelzéboul, prince des démons: "Alors lui fut emmené un possédé aveugle et muet; il le guérit, si bien que le muet pouvait parler et voir. Frappés de stupeur, toutes les foules disaient: "Celui-là n'est-il pas le fils de David?" Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent: "Celui-là n'expulse les démons que par Béelzéboul, le Prince des démons." Connaissant leurs sentiments, il leur dit: "Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine; et nulle ville, nulle maison, divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir. Or, si Satan expulse Satan, il s'est divisé contre lui-même: dès lors comment son royaume se maintiendra-t-il? Et si moi, c'est par Béelzéboul que j'expulse les démons, par qui vos adeptes les expulsent-ils? Aussi bien seront-ils eux-mêmes vos juges. Mais si c'est par l'Esprit de Dieu que j'expulse les démons, c'est qu'alors le Royaume de Dieu est arrivé pour vous." (Saint Matthieu, 12.22-28). Les paroles de Jésus ne militent pas en faveur d'une apocatastase des démons puisqu'il est entendu que Satan veut maintenir son royaume. Le Christ expulse les démons par l'Esprit de Dieu; ce qui veut dire que le Royaume de Dieu et le royaume de Satan sont opposés et qu'il ne sauraient se confondre et être confondus par les hommes, qui, pour certains, dans leur égarement, accusent Jésus d'être un représentant de Béelzéboul. La foule, elle, s'interroge en parlant de Jésus: "Celui-là n'est-il pas le Fils de David?". Seuls les Pharisiens osent la confusion: "Celui-là n'expulse les démons que par Béelzéboul, le Prince des démons.". Qui croire? Le Christ.

            Ce passage de l'évangile de Saint Matthieu intéresse de près notre sujet de l'apocatastase et plus encore dans sa conclusion, que je n'ai pas citée, mais dont nous aurons à reparler, car Jésus nous y met en garde contre le terrible péché contre l'Esprit, péché irrémissible! La question du péché contre l'Esprit sera abordée dans le chapitre suivant (Cf. IV- Le péché de l'ange).

            A la lecture en profondeur de ce poème, le malaise du chrétien est réel. Tout cela sent le blasphème. Tant d'inversions nous retournent d'aversion. Mais ne nous laissons pas impressionner: Notre foi est établie en Dieu, aussi, il ne dépend donc pas de nos seules émotions, souvent mal maîtrisées, qu'elle vacille. La foi qui nous anime est bâtie en Dieu notre rocher et Dieu est inébranlable! "La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé: c'est qu'elle avait été fondée sur le roc." (Saint Matthieu, 7.25).

            On conviendra cependant qu'une telle littérature n'est pas pour le fidèle une idyllique promenade printanière. Aussi, pour conclure sur ce poème, je dirai que s'il eût connu le mot apocatastase, Hugo aurait pu donner une belle rime à extase dans l'une des strophes citées. Mais hélas, Hugo ignorait que la théologie catholique connaissait ce thème bien avant que lui-même ne s'en crût le premier prophète. Cette connaissance aurait permis à l'auteur d'éviter bien des confusions malheureuses et peut-être même aurait-il pu alors bercé d'une réelle sérénité nos âmes le long de vers plus évangéliques. Reste l’œuvre en tant que style inimitable... mais sur le fond, on ne se laissera pas confondre par cette démagogique panacée, où les plus invraisemblables diableries s'auto-pardonnent allègrement sous nos yeux, en réclamant de nous une adhésion inconditionnelle. Non! nous ne nous laisserons pas circonvenir! Non! nous continuerons avec persévérance et prudence la recherche de la vérité.

            En effet, une question épineuse demeure sans réponse: quelle est la part de Hugo et des esprits dans l'élaboration de cet mystique apocatastasique? A travers ces textes, qui parle? Car enfin, la troublante origine de leur genèse ne peut nous satisfaire ou nous convaincre sans peine. Y a-t-il des esprits? Qui seraient-ils?

            Nous chercherons finalement à savoir quelle collusion la pensée de l'auteur et le message des tables entretiennent ensembles.

                                    B/ Qui parle?

            L'origine des poèmes que nous venons d'étudier est très étrange. Elle est étroitement liée à la pratique du spiritisme. Ces poèmes posséderaient une dimension occulte; mais à dire ainsi les choses, on s'enfonce dans l'ombre sans obtenir d'information nouvelle.

            Notre démarche, à présent, sera, pour plus de compréhension, de reconstituer la trame de ces fameuses séances de Jersey. 1/ Nous ferons, dans un premier temps, une partie descriptive de l'atmosphère et de l'environnement dans lesquels se déroulèrent les séances. 2/ Ensuite, viendra une analyse pointue de la technique employée pour communiquer avec les esprits. 3/ Enfin, nous verrons en quoi le génie de Hugo fut irremplaçable dans l'élaboration de cette oeuvre spirite.

                                                a- La rencontre de Jersey

            Le 2 décembre 1851, c'est le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte. Hugo, qui est alors déjà très célèbre, devient un des principaux opposants au nouveau régime. Ses prises de position l'obligent rapidement à quitter la France, et c'est en Belgique qu'il trouve refuge. Cependant, la proximité de la frontière française et ses continuelles attaques contre le pouvoir Louis-Napoléonnien font de lui, pour des raisons diplomatiques évidentes, un hôte encombrant et bientôt indésirable. Le gouvernement belge ne tarde donc pas à faire savoir à Hugo qu'il devrait "aller voir en Angleterre si la Belgique n'y est pas!".

            Hugo et sa famille prennent ainsi le chemin maritime de l'île anglo-normande de Jersey au mois d'août 1852. Sur ce bout de terre entouré de mer, Auguste Vacquerie, l'ami d'enfance du poète, les a précédé et a préparé leur venue.

            A quoi ressemble Jersey? L'impression qu'exerce alors l'île sur l'esprit du poète est profonde. On découvre dans les poèmes des Contemplations, composés à Jersey, comme plus tard dans Les travailleurs de la mer ce décor de roches écumantes, de mers en furie, de vents mouillés d'embruns... L'endroit est en fait lugubre et jouera de ses ombres fantomatiques sur l'imaginaire du poète.

            Après son arrivée, Hugo ne pense pas s'installer à St Hélier, la petite capitale de l'île, mais déniche dans une valleuse, une maison battue par les vents et la mer. Cette demeure s'appelle "Marine-Terrace", et c'est là qu'auront lieu les séances de spiritisme.

            Pour Hugo, la retraite forcée de Jersey est une considérable privation du point de vue de la renommée, de la fortune et surtout de la participation à la vie publique. Tout cela lui échappe à présent...

Hugo fait ici le deuil de ses illusions perdues; il entreprend une longue méditation sur la vanité de l'existence. Pour mémoire, rappelons que notre homme est noble par son père, Léopold Hugo, qui fut général d'empire, nommé par le roi Joseph en Espagne comte de Siguenza. Et voilà que ce titre ne lui vaut plus aucun privilège et même au contraire, doit-il fuir devant Napoléon le Petit qui usurpe la gloire des aigles de son aïeul Napoléon Ier. Comme le dis le sage Qohélet, un autre ravit le bien, acquis de haute lutte, d'un prédécesseur: "Il y a un autre mal que j'observe ici-bas, et qui sévit sur les hommes. Soit un individu à qui Dieu a donné richesses, trésors, et honneurs: il ne lui reste plus rien à désirer. Et puis, Dieu ne le laisse pas maître d'en jouir, mais en fait profiter un étranger. C'est une vanité et une cruelle souffrance! (Qohélet, 6.1-2).

            L'infortune du sort liée à l'atmosphère sombre de l'île poussent le poète à l'amertume comme à la mélancolie, à la vengeance tout comme à la méditation, emprunte de regrets et de souvenirs douloureux. Ces deux aspects, celui de la revanche politique et celui de la lutte intérieure donnent durant la même période, tout à la fois, Les châtiments et Les contemplations. Issus du spectacle de l'onde furieuse, ces deux grands livres poétiques ne portent cependant pas le regard du poète sur les mêmes horizons. Le premier regard est véhément, fougueux, vindicatif et sarcastique; il divulgue un terrible pamphlet politique. Mais l’œuvre est au résultat, tout aussi lyrique et épique que simplement satirique, car elle a pour écho le grondement de la mer et le fracas de ses flots sur les roches de Jersey. Ainsi, peut-on lire dans Nox, poème inaugural des Châtiments, les strophes suivantes:

"Toi qui bats de ton flux fidèle
La roche où j'ai ployé mon aile,
Vaincu, mais non pas abattu,
Gouffre où l'air joue, où l'esquif sombre,
Pourquoi me parles-tu dans l'ombre?
O sombre mer, que me veux-tu?
Tu n'y peux rien! Ronge tes digues,
Epands l'onde que tu prodigues,
Laisse-moi souffrir et rêver;
Toutes les eaux de ton abîme,
Hélas! passeraient sur ce crime,
O vaste mer, sans le laver!
Je comprends, tu veux m'en distraire;
Tu me dis: Calme-toi, mon frère,
Calme-toi, penseur orageux!
Mais toi-même alors, mer profonde,
Calme ton flot puissant qui gronde,
Toujours amer, jamais fangeux!"

            A l'inverse, angoissé et relevant du stricte domaine privé est l'espace où respire l'âme du poète des Contemplations. La mer charrie là, les cadavres engloutis, les souvenirs et les pensées pénibles qui se cachent sans jamais disparaître totalement, revenant à la surface, portés par une vague de l'âme. Maintenant, lisons des vers extraits d'un poème des Contemplations daté de la période de Jersey:

"Je suis l'être incliné qui jette ce qu'il pense;
Qui demande à la nuit le secret du silence;
Dont la brume emplit l’œil;
Dans une ombre sans fond mes paroles descendent,
Et les choses sur qui tombent mes strophes rendent
Le son creux du cercueil.
Mon esprit, qui du doute a senti la piqûre,
Habite, âpre songeur, la rêverie obscure
Aux flots plombés et bleus,
Lac hideux où l'horreur tord ses bras, pâle nymphe,
Et qui fait boire une eau morte comme la lymphe
Aux rochers scrofuleux."

(Pleurs dans la nuit, Jersey -1854-)

            Tels sont le souffle intérieur et le vacarme polémique de la tempête qui anime le poète à cette époque là. Jersey est une source de créativité volcanique pour Hugo.

                                                b- Déroulement des séances de Jersey

            La technique utilisée en spiritisme à l'époque de Victor Hugo est la typtologie, du grec tuptein: "frapper". On emploie alors un guéridon, table ronde à trois pieds répartis également à la base d'un axe unique, qui soutient le plateau circulaire de la table. Les mains des participants à la séance s'appliquent légèrement contre la surface lisse du plateau. La table bouge et communique en frappant des "coups de pieds" ponctuels qui peuvent se répéter. On compte ainsi ces coups pour découvrir la lettre de l'alphabet correspondant au nombre de coups perçus. A la longue, on obtient des mots, des phrases et même des textes assez étoffés.

            Telle est la technique. Mais quel est son "mécanisme" réel?

            Du stricte point de vue humain, il faut accepter de reconnaître que les participants, comme leur nom l'indique, participent à l'élaboration du phénomène! Ils participent manifestement, physiquement et psychologiquement, au phénomène. Comment cela, me demanderez-vous? Et bien en poussant du bout des doigts la table!

            Mais, est-ce aussi simple que cela? L'affirmer ainsi, ce serait accuser tous ceux qui tentent ce genre d'expériences de tricher, ce qui n'est pas toujours le cas, loin de là.

            Comment donc faire bouger une table sans chercher à tricher en la manipulant? De fait, si l'on voulait éliminer tout risque de tricherie, pourquoi appliquer ses doigts sur la table et craindre par là-même une manipulation?

            La présence des doigts sur la surface de la table est donc nécessaire, et ce, bien que les participants ne conçoivent pas leurs membres comme pouvant-être les instruments physiques du phénomènes. Les apprenti-spirites pensent en effet que ce sont les esprits contactés qui sont les moteurs des phénomènes observés; selon eux, les esprits seraient les seuls agents de la mécanique des divers mouvements de la table. Il n'y aurait donc point d'intervention humaine. Mais cela est faux puisque les apprenti-spirites appliquent leurs mains contre la table!

            Il faut donc en conclure que les participants bougent inconsciemment la table. Il s'agirait en effet d'un procédé hypnotique, amorcé par les participants eux-mêmes. Le fait que les séances aient lieu dans une semi-obscurité, qu'elles s'opèrent le plus souvent en soirée et qu'elles se prolongent jusqu'à très tard dans la nuit, nous fournit des indices précieux. La fatigue liée à l'obscurité joue en faveur d'un endormissement au moins partiel des sens. De plus, la fixation de la concentration sur un unique objet, la table dans notre cas, ainsi que la formulation obtuse de la pensée sur un seul désir par la répétition des mots "esprit es-tu là?", correspond à peu de chose près à la préparation susceptible de mettre une personne en état hypnotique. Les participants s'auto-hypnotiseraient donc à leur insu.

            Je voudrais ici, à ce sujet, raconter une expérience personnelle et originale:

            Je revenais de Lourdes en train avec un groupe de jeunes pèlerins. Je savais que le voyage de retour serait long et que nous devrions même passer une nuit dans le train.

            Nous étions neuf, assis dans une cabine de huit, où il n'y avait pas de couchettes pour faire un bon petit somme. Les conditions pour dormir n'étaient pas très bonnes, d'autant plus que j'étais tombé sur des chahuteurs!

            Je ne supporte pas les chatouilles et les "gremlins" s'en étaient vite aperçus, abusant de cette arme déloyale contre ma pauvre petite personne sans défense... Après m'avoir torturé de la sorte un moment, les esprits se calmèrent. J'avais pleuré de rire toutes mes larmes. La nuit étant tombée, je leur suggérais alors de faire un petit somme, mais ils n'en avaient aucune intention. Ils étaient partis pour s'amuser jusqu'à Paris! Je renonçais cependant à changer de cabine... On se découvre parfois un héroïsme insoupçonné! Ou peut-être avais-je décidé de venir à bout de cette horde de "gremlins"?

            Je n'en sais trop rien mais toujours est-il qu'un des jeunes proposa qu'on se racontât des histoires qui font peur. Des histoires à dormir debout, voilà ce qu'il nous fallait pour traverser la nuit! Et comme vous allez le découvrir, ce ne fut pas une vaine tentative. La suite est assez surprenante.

            Comme je n'aime guère les histoires à faire dormir debout, je décidais de prendre en main la narration de l'horrible récit en jeu. Ainsi, m'étais-je dis, au moins contrôlerais-je la portée du contenu du récit. Je choisissais donc de raconter une fiction sans terreurs ni grand intérêt du reste mais en ménageant toutefois assez de suspens pour éviter de me voir interrompre dans mon récit et confisquer la suite des opérations. J'improvisais sur le thème d'une mystérieuse séance de spiritisme. Pourquoi avais-je choisi ce thème? Je ne saurais le dire précisément. En effet, je ne connaissais alors rien à la question, mais il se peut, je dois l'avouer, que l’expérience ici rapportée, ait aiguillée par la suite mon intérêt pour ce curieux sujet. En attendant, je commençais mon histoire... Le silence se fit et un des jeunes éteignit la lumière, plongeant la cabine dans l'obscurité. Je poursuivais: "... le verre glissa sur la table et alla désigner une lettre. Il s'agissait de la lettre...". Tout à coup, lorsqu'il me sembla donner une des dernières lettres du mot caché de l'histoire, on frappa à la porte de notre cabine. Nous fûmes aussitôt réveillés et l'on nous annonça que nous étions arrivés à Paris. "Déjà!", tel fut notre réaction à tous. Je me rendais immédiatement compte que j'avais dormi, et pourtant, je n'avais pas cesser de raconter l'histoire. Nous avions tous bien dormi et nous nous sentions tous au réveil en pleine forme.

            En réfléchissant à ce qui nous était arrivé, je me souvenais ensuite avoir dormi entre chaque annonce de lettre quand, à chaque fois, quelque signal inconscient me tirait de mon sommeil pour me rappeler qu'une nouvelle lettre devait-être énoncée. L'énumération de ces lettres avait ainsi duré des heures!

            La réaction des autres fut également à la surprise, car ils avaient l'impression d'avoir écouté jusqu'au bout mon histoire bien que son contenu restât vague dans leur esprit. Ils me firent remarquer pour conclure que "c'était bel et bien une histoire à dormir debout!".

            Tout ceci pour dire que l'hypnotisme est à la portée de tous, que nous soyons conscient de sa pratique ou bien que celle-ci s'opère à notre insu.

            Je vais maintenant laisser la parole au Dr Jean de Mutigny, connu pour ses recherches qui tendent à démystifier la parapsychologie. Dans son livre sur "Victor Hugo et le spiritisme", il donne au phénomène des tables tournantes une explication basée sur l'hypothèse d'une forme d'hypnose involontaire: "Il s'agit d'un phénomène réel se produisant autant de fois qu'on le désire; aucune aptitude particulière n'est requise des participants. Le principe est celui de l'idée motrice. En d'autres termes, une représentation intellectuelle d'un mouvement est capable de produire, dans quelques circonstances bien précises, le mouvement en question et ceci sans que le sujet observé n'en ait conscience. L'hypnotisme repose en grande partie sur cette constatation. Pour mieux illustrer ce phénomène, il convient de décrire ici une expérience que chacun d'entre nous peut exécuter et qui permet d'observer la réalité des faits. "Asseyez-vous. Placez vos mains sur vos cuisses, la face palmaire dirigée vers le haut. Puis, les yeux clos, représentez-vous mentalement deux poings fermés, serrés, crispés et maintenus énergiquement ainsi. Vos propres doigts ne tarderons pas à s'infléchir d'eux-mêmes par petits mouvements spasmodiques." (Paul Clément JAGOT, Théories et procédés de l'hypnotisme). Cette expérience réussit dans 99% des cas, et le sujet de l'expérience est particulièrement surpris en ouvrant les yeux de voir ses poings serrés. De même, si on étend horizontalement l'un de ses bras, les yeux étant clos, il suffit de penser que ce bras est léger et s'élève pour qu'il se mette en quelques minutes à la verticale. Deux éléments sont indispensables pour que l'on puisse mettre en évidence l'idée motrice: une représentation mentale intense du mouvement à produire; une attitude corporelle parfaitement passive. Ces deux conditions sont totalement remplies dans les tables tournantes. Les assistants posent délicatement leurs mains sur le guéridon: donc attitude corporelle détendue. Une grande concentration mentale est indispensable. On demande aux esprits de se manifester, mais, en fait, on attend un mouvement de bascule de la table. Après un certain temps il est impossible, si les deux conditions sont bien remplies, que ce mouvement ne se produise pas. Les guéridons utilisés pour l'expérience ont toujours trois pieds. De ce fait, une pression, même minime, en un point quelconque de l'un des bords de la table fait toujours lever le pied opposé" (Dr Jean de Mutigny, Victor Hugo et le spiritisme -1981-).

            Dans l'appréhension du phénomène, nous venons de progresser. Cependant, tout est encore loin d'être aussi clair qu'on le voudrait, et comme nous le verrons, la donnée de l'hypnotisme, pour valable qu'elle soit, n'est toutefois pas suffisante à elle seule pour rendre compte de l'ensemble du phénomène.

            Revenons-en maintenant à Victor Hugo et au cercle spirite de "Marine-Terrace":

            C'est en septembre 1853 que Hugo est initié au spiritisme par Madame Delphine de Girardin. Amie du poète, elle a décidé de lui rendre visite à Jersey...

            A Paris, Mme de Girardin a mis à la mode du temps une nouveauté venue tout droit des Etats-Unis d'Amérique, le spiritisme. Son salon, déjà réputé, attire davantage encore l'attention des artistes et des dandys lorsqu'on s'y occupe de faire tourner les tables. L'expression consacrée pour désigner alors ce genre d'activité est "faire des tables".

            Invitée à la villa "Marine-Terrace", Delphine de Girardin, pour tromper l'ennui pesant sur le lieu d'exil de ses amis, leur propose de tenter une petite séance de tables tournantes. Tout d'abord sceptiques, les exilés finissent par accepter, n'ayant pas mieux à faire. Assistent alors à la séance, Victor Hugo et son épouse, leur fils Charles, Auguste Vacquerie, l'ami de la famille, le général Le Flo, un compagnon d'infortune lui-aussi en exil sur l'île, et bien sûr l'inspiratrice, Madame de Girardin.

            Après plusieurs jours de tentatives infructueuses, le 11 septembre 1853, ce produit événement tant attendu. La table parle... Et quel choc que les coups que frappe alors le guéridon!

                                                            "- Qui es-tu, toi?

                                                            - Fille morte!

                                                            - Ton nom?

                                                            - "L.E.O.P.O.L.D.I.N.E.""

            Il va sans dire que l'émotion qui s'empare à ce moment précis des apprenti-spirites est considérable. Tous connaissent "Léopoldine"... Tous redoutent tout à coup la spectaculaire manifestation de la fille chérie du poète. Parmi les amis du couple Hugo, personne ne veut réveiller un si cruel souvenir: Léopoldine est morte dix ans plus tôt dans des circonstances dramatiques, noyée, elle et son fiancé, Charles, le jeune frère d'Auguste Vacquerie. Si le malaise du général Le Flo et de Mme de Girardin est réel, on imagine à peine avec quelle terreur soudaine, Auguste Vacquerie, Victor Hugo et son épouse reçoivent la nouvelle. "Ce peut-il, Léopoldine, que tu sois parmi nous?" telle doit-être à ce moment précis l'angoisse du père.

            A partir de cet événement, tout s'enchaîne chez Hugo: les vagues de Jersey rugissent maintenant comme les eaux de la mort qui ont englouties Léopoldine, les spectres glissent dans la solitude comme se lamente le poète d'être retenu en exil, et la poésie elle-même prophétise sur le destin des hommes comme parlent les esprits des tables.

            Comme nous allons le voir dans un instant, Hugo s'impose de toute la hauteur de sa personnalité dans cette affaire de revenants. Lui seul est irremplaçable, par son éducation, par son histoire, par le deuil de sa fille chérie Léopoldine et par son génie poétique, pour expliquer ce qui s'est passé dans ces fameuses séances de spiritisme de l'île de Jersey.

                                                c- L’œuvre de Hugo et la part du diable

            Beaucoup d'informations vont être données ici en conclusion de cette étude sur les rapports entre Victor Hugo, le spiritisme, l'apocatastase et le diable. Le lecteur est invité à se remémorer les différents éléments présentés précédemment et à découvrir le lien certain qui les unit entre eux.

            Pour commencer, voyons en quoi les messages des tables sont typiquement hugoliens dans leur style et leur propos.

            Je vous invite pour vous en convaincre, à comparer des passages de textes des catégories 1 et 2 que nous avons définies en introduction de ce chapitre. Pour rappel, la catégorie 1/ est celle des textes directement dictés par les tables. La catégorie 2/ celle des textes inspirés des tables mais écrits par Hugo.

            Dans l'étoile d'en bas (catégorie 1): l'esprit de la table ("Shakespeare") dit: "Comme l'homme est heureux! plus de mal! plus de sang! plus de larmes!"

            Dans ce que dit la bouche d'ombre (catégorie 2): "Tout sera dit: le mal expiera; les larmes tariront; plus de deuils; plus d'alarmes".

            "plus de mal" = "le mal expiera"

            "plus de sang" = "plus de deuils"

            "plus de larmes" = "les larmes tariront"

            "comme l'homme est heureux = "plus d'alarmes" (rien ne troublera plus son bonheur car plus rien ne viendra l'alarmer).

            La similitude est flagrante, cependant, la preuve n'est pas entièrement faite parce que la démonstration n'est qu'à moitié concluante. En effet, l'étoile d'en bas est daté du 27 avril 1854 et ce que dit la bouche d'ombre n'a été écrit qu'en septembre 1854. L'étoile d'en bas est donc antérieure à ce que dit la bouche d'ombre, ce qui veut dire que le premier texte a pu servir de base pour l'écriture du poème, c'est à dire influencer sa rédaction. Toutefois, cette influence, si elle s'exerce sur le choix du thème du poème, ne s'applique pas au style. Dans ce que dit la bouche d'ombre on retrouve le même style que dans tous les autres poèmes de Hugo. Curieusement, on retrouve ce même style dans l'étoile d'en bas qui pourtant est sensée avoir été dictée par "Shakespeare"? Ainsi, à travers ces lignes, ne reconnaît-on pas du tout Shakespeare mais tout à fait Hugo. Il faut en conclure que "Shakespeare" (c'est à dire l'esprit présent lors de la séance de spiritisme) a influencé Hugo dans le choix du thème et que Hugo a influencé "Shakespeare" quant à la forme de l'expression littéraire de ce même thème.

            Afin de confirmer le principe de cette étonnante constatation, il nous faut donc trouver d'autres analogies avec d'autres textes. Le but recherché est le suivant: montrer qu'il existe un lien de formulation des thèmes entre Hugo et "Shakespeare" lors de la séance. En effet, entre le poète et l'esprit frappeur s'établit une exploration de recherche de sens; exploration susceptible de délivrer une même pensée.

            Tous les thèmes chers à Hugo durant la période de l'exil à Jersey se retrouvent dans le message de "Shakespeare", message qui lui-même suggère et contient tous les thèmes hugoliens. Voyons cela en comparant cette fois l'étoile d'en bas avec voyage de nuit, un poème de Hugo des Contemplations:

                        L'étoile d'en bas:

            "La science croit trouver des remèdes, elle ne trouve que des maux."

                        Voyage de nuit:

            "Nous appelons science un tâtonnement sombre."

                        L'étoile d'en bas:

            "Franklin croit découvrir le paratonnerre, il indigne la foudre. Fulton croit découvrir la vapeur, il découvre des explosions. Gutemberg croit découvrir l'imprimerie, il découvre les guerres civiles et les révolutions."

                        Voyage de nuit:

            "Sans cesse le progrès, roue au double engrenage, fait marcher quelque chose en écrasant quelqu'un."

                        L'étoile d'en bas:

            "La nourrice de l'humanité à deux mamelles: la misère et l'ignorance."

                        Voyage de nuit:

            "Nous entendons, sans voir la source ni la fin, derrière notre nuit, derrière notre faim, rire l'ombre Ignorance et la larve Misère."

                        L'étoile d'en bas:

            "Il suce l'amour dans la haine, la foi dans l'ironie, le bien dans le mal."

                        Voyage de nuit:

            "Le mal peut être joie, et le poison parfum. Le crime avec la loi."

                        L'étoile d'en bas:

            "L'éponge cachée au fond de la mer où Jésus pêche avec les apôtres, pense au fiel du calvaire. La ciguë cachée au fond du jardin, où Socrate se promène avec ses disciples, le regarde avec colère."

                        Voyage de nuit:

            "Que le vieux temps revient et nous mord les talons, et nous crie: Arrêtez! Socrate dit: Allons! Jésus-Christ dit: Plus loin! et le sage et l'apôtre s'en vont demander dans le ciel l'un à l'autre quel goût à la ciguë et quel goût à le fiel."

            Voici donc quelques exemples parmi des centaines d'autres de concordances entre la pensée, le style et le pouvoir évocateur des images chez Hugo et chez "Shakespeare".

            Mais qui influence qui?

            On pourrait dire: c'est Hugo bien sûr! Mais une fois encore, le poème voyage de nuit est postérieur (1855) au message l'étoile d'en bas (1854)!? Cependant le style de "Shakespeare" n'est rien de moins que celui de Hugo! Et Hugo possédait déjà son propre style bien avant qu'il ne fasse tourner les tables.

            Aussi, plutôt que de parler de concordance, j'invite le lecteur à découvrir qu'il s'agit de collusion. Collusion entre deux esprits: celui de Hugo et celui du mal, le diable.

            Que vient faire le diable ici me demanderez-vous? Aviez-vous déjà oublié qu'il était question de lui dans les poèmes de Hugo?

            "Rencontre fortuite" en ce qui concerne Hugo que celle "d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table d'opération", mais ô combien profitable et exploitable du point de vue du diable.

            Pour ce qui est de montrer que les esprits des tables existent réellement et qu'ils sont maléfiques, je renvoie le lecteur à mon précédent livre qui traite explicitement de la question du spiritisme et qui s'intitule Le spectricide. Vous y trouverez toutes les précisions voulues sur cette forme moderne de sorcellerie. Dans les lignes qui suivent, je me bornerai à donner uniquement une esquisse du processus par lequel les messages des tables s'établissent.

            La solution qui revient à dire que les apprenti-spirites élaborent les messages par hypnotisme n'est pas suffisante pour expliquer le contenu des séances de "Marine-Terrace". En effet, il faut savoir que Victor Hugo ne prenait jamais place autour du guéridon! Il ne pouvait donc pas de ce fait mouvoir la table et ce, même inconsciemment comme le suggère l'hypothèse de l'hypnotisme. Hugo, lors des séances s'installait confortablement dans un fauteuil à bonne distance de la table, d'où il notait le nombre de coups frappés par le guéridon autour duquel en effet, s'affairaient Adèle et Charles Hugo, Auguste Vacquerie, le général Le Flo, le jeune Allix ou d'autres membres attitrés du cercle spirite de "Marine-Terrace".

            En ce qui concerne les participants présents à la table, l'esprit maléfique contacté, les aide à formuler le bon nombre de coups de la manière suivante:

            "Le mouvement est induit plus qu'il n'est provoqué par l'esprit mauvais tandis que les participants le traduisent à l'aide d'une impulsion de leurs doigts" ( Le spectricide, -1994-).

            Mais comme nous le savons, le texte est hugolien et c'est de l'esprit de Hugo qu'il provient. Il faut donc ici admettre que l'esprit maléfique est capable de "scanner" à distance l'esprit même des participants et dans le cas qui nous intéresse, celui de Hugo plus particulièrement. En gros, Hugo s'est fait scanner ses plus puissantes images poétiques! Voyons un peu comment ce "scan" s'opère:

            "...L'esprit ne peut faire de réponses que si celles-ci sont déjà en germe dans les questions ou la disposition d'esprit des participants. Car il faut s'en persuader, le démon n'a aucune imagination! Tous les fantasmes qu'il opère sur nos sens, viennent de nos sens mêmes par le truchement desquels nous le laissons traduire à nos dépens nos sentiments et nos émotions" (Le spectricide -1994-).

            La chose est indéniable dans le cas de Hugo qui tout à la fois, pleure sa fille, s'interroge sur le sens de la destiné humaine et souffre d'être exilé. Toutes les pages précédentes de ce chapitre illustrent parfaitement l'héritage psychologique du poète. L'hypertrophie des sentiments du père pour sa fille disparue désire que la table dise "Léopoldine". La démesure du questionnement métaphysique espère l'au-delà que confirment par leurs messages les revenants des tables. Et, c'est le comble, le poète en arrive même à s'identifier avec l'ange déchu dans l'amertume de son bannissement:

            Dans "la bouche d'ombre", Hugo s'exclame "ô retour du banni!" en parlant de Bélial, comme dans d'autres poèmes il parle de lui, l'exilé, qui rêve d'une revanche éclatante sur la loi inique qui le retient captif loin de sa patrie d'origine. A ce niveau là, on reste confondu. On ne sait plus jusqu'où se prolongent les effets du "scan"?

            Les idées qui trottent dans la tête de Hugo trouvent leur accomplissement, leur révélation dans la traduction qu'en donnent les esprits des tables. Ainsi, l'"Idée", la grande idée de l'apocatastase, jaillit-elle: Dans un texte dicté le 3 juillet 1854 par l'"Idée"; l'"Idée" manifeste l'idée du poète: "Le sang que l'on verse fait une plaie à la table de la torture". Hugo avait écrit lui-même cette fois dans un poème des Contemplations, intitulé pleurs dans la nuit, la même chose: "L'esclave mis en croix, l'opprimé sur la claie, plaint le satrape au fond de l'abîme et la plaie dit: Grâce pour les clous!"

            Le manque d'esprit critique du poète face aux déclarations des esprits est consternant. Victor Hugo l'avoue lui-même dans une note du 19 décembre 1854, écrite à la fin d'une séance: "Je persiste à ne faire aucune objection... Tout en restant droit dans ma conscience, je m'incline silencieusement devant l'être sublime qui m'a parlé hier et qui a terminé par de si hautes et si douces paroles. Comme nous le voyons, Hugo accueille le message des tables avec une ferveur quasi-religieuse. Il accepte d'être le prophète, le dispensateur messianique de cette nouvelle révélation. Hugo est un homme profondément religieux, mais un homme religieux sans religion. Son père était jacobin et hostile à la religion. Il fut révolutionnaire et alla écraser en Vendée la révolte des chouans, criant à qui voulait l'entendre: "Je veux qu'on m'appelle Brutus! Le peuple ne veut plus de césars". Quelques années plus tard, il était général et comte d'empire pour le service d'un nouveau césar: l'empereur Napoléon Ier. Léopold Hugo refusa alors qu'on baptisa son fils Victor et ce, bien que son nouveau maître eût signé un concordat avec l'Eglise en 1801. Quant à la mère du poète, de son nom de jeune fille, Sophie Trébuchet, elle n'était pas chrétienne. Ce qui pour une bretonne peut surprendre! Dans ces conditions familiales et avec l'héritage révolutionnaire qui, à partir de 1792, avait fait de la France un pays complètement déchristianisé, on ne peut guère reprocher au jeune Hugo de n'avoir pas reçu les bases catéchétiques indispensables pour bien connaître le Christ et les Saintes Ecritures. Il arriva même que Hugo et son frère Eugène, inscrits au collège des nobles à Madrid, eussent à subir les brimades des autres enfants parce qu'ils n'étaient pas catholiques. Ceci se passait durant les années 1810, en pleine guerre d'Espagne.

            Malgré cela, Hugo a toujours eu l'intuition de l'existence de Dieu. Mais il ne parvint pas à mettre un visage sur ce Dieu, et sa religion dériva vers le panthéisme.

            L'homme qui assiste aux séances de Jersey est donc à la fois un homme soucieux de la vie future et un homme sans religion, faute d'avoir été éduqué dans le christianisme. C'est un esprit prodigieusement disposé à toute instruction sur l'au-delà qui se découvre et se dévoile au contact des esprits des tables tournantes.

            Si Hugo avait été chrétien, il n'aurait pas accepté aussi facilement de croire que les morts puissent s'entretenir avec lui de la sorte. Il eût été renseigné par sa foi au Christ sur le sort des défunts après la mort. Il eût également espéré pour sa fille et pour lui-même la résurrection finale des morts. Au lieu de cela, Hugo s'imagina être le prophète d'une révélation nouvelle.

            Au final de cette nouvelle connaissance divine, c'est l'apocatastase du démon que nous lègue le poète, pour la plus grande confusion du chrétien d'aujourd'hui, comme se propose de le montrer cette étude sur l'apocatastase.

            Hugo nous abandonne le fruit empoisonné de sa maléfique collaboration spirite avec le démon. Cependant, qu'on ne s'imagine pas non plus que cette collaboration fut un échange de bonnes intentions qui comblèrent le poète. Durant ces années d'exil à Jersey, Hugo vécut dans l'atmosphère délétère d'un univers oppressant. La peur fut tout au long des séance le voile accompagnateur des expériences spirites.

            Déjà, la toute première séance avait donné le ton de façon sinistre. Le 11 septembre 1853, lorsque Auguste Vacquerie demanda à l'esprit présent de deviner le mot auquel il pensait, et il pensait à cet instant précis à l'amour, la réponse de l'esprit fut "souffrance"!? La réponse est stupéfiante et résonne de façon inquiétante tant par l'incongruité de l'erreur que par l’aigreur de sa teneur. De façon flagrante, la réponse est mauvaise dans les deux sens du terme: comme erreur et comme malveillance, c'est à dire comme faute et comme haine déclarées.

            Par la suite, "Marine-Terrace" se transforma en maison hantée et l'épouvante que suscitait ce lieu fit perdre la raison au jeune Allix, fils des voisins les plus proches, qui, de temps à autre, rejoignait pour une séance le cercle spirite des Hugo. Un beau matin, Allix frappa à la porte de "Marine-Terrace" et menaça de son arme Victor Hugo qui venait de lui ouvrir. Le résultat de cette altercation fut cruel: il fallut faire interner le pauvre "diable"!

            De fait, les séances cessèrent peu à peu après ce drame.

            Si l'on s'imprègne un tant soit peu de l'ambiance d'alors, on conviendra vite que les séances aient dues trouver un terme! Hugo croyait voir errer des fantôme au cimetière tout proche, au dolmen de Rozel et aux fenêtres de sa maison. A ce sujet, dans Horror, les vers du poète sont baignés de curiosité inquiète et de ténèbres lugubres. Le poète ne sait plus vraiment si la peur qu'il ressent est un tremblement sublime de l'âme face au mystère de l'infini ou bien si l'ombre qui le visite ne porte que l'effroi d'une tombe sans espoir. L'impression laissée par le passage de l'esprit demeure confuse et ambiguë.

"ESPRIT mystérieux qui, le doigt sur ta bouche,
Passes... ne t'en va pas! parle à l'homme farouche
Ivre d'ombre et d'immensité,
Parle-moi, toi, front blanc qui dans ma nuit te penches;
Réponds-moi, toi qui luis et marches sous les branches,
Comme un souffle de la clarté!
Est-ce toi que chez moi minuit parfois apporte?
Est-ce toi qui heurtais l'autre nuit à ma porte,
Pendant que je ne dormais pas?
C'est donc vers moi que vient lentement ta lumière?
La pierre de mon seuil peut-être est la première
Des sombres marches du trépas.
Peut-être qu'à ma porte ouvrant sur l'ombre immense,
L'invisible escalier des ténèbres commence;
Peut-être, ô pâles échappés,
Quand vous montez du fond de l'horreur sépulcrale,
O morts, quand vous sortez de la froide spirale,
Est-ce chez moi que vous frappez!
Car la maison d'exil, mêlée aux catacombes,
Est adossée au mur de la ville des tombes.
Le proscrit est celui qui sort;
Il flotte submergé dans la nef qui sombre;
Le jour le voit à peine et dit: Quelle est cette ombre?
Et la nuit dit: Quel est ce mort?
Sois la bienvenue, ombre! ô ma sœur! ô figure
Qui me fais signe alors que sur l’énigme obscure
Je me penche, sinistre et seul;
Et qui viens, m'effrayant de ta lueur sublime,
Essuyer sur mon front la sueur de l'abîme
Avec un pan de ton linceul!"

            L'angoisse du doute, voilà tout ce que récolte Hugo, et la suite du poème le montre bien:

"Nous demandons, vivants douteux qu'un linceul couvre,
Si le profond tombeau qui devant nous s'entr'ouvre,
Abîme, espoir, asile, écueil,
N'est pas le firmament plein d'étoiles sans nombre,
Et si tous les clous d'or qu'on voit au ciel dans l'ombre
Ne sont pas les clous du cercueil?"

            Pour finir, le poète s'interroge sur la nature de l'ange qui lui parle dans son trouble. Est-il ange de lumière ou figure de ténèbres? Est-il la vie ou est-il la mort? Satan ou Lucifer, ou encore les deux à la fois?

"Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête;
Son vol éblouissant apaisait la tempête,
Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.
- Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit?
Lui dis-je. Il répondit: - Je viens prendre ton âme.
Et j'eus peur, car je vis que c'était une femme;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras:
- Que me restera-t-il? car tu t'envoleras.
Il ne répondit pas; le ciel que l'ombre assiège
S'éteignait... - Si tu prends mon âme, m'écriai-je,
Où l'emporteras-tu? montre-moi dans quel lieu.
Il se taisait toujours. - ô passant du ciel bleu,
Es-tu la mort? lui dis-je, ou bien es-tu la vie?
Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,
Et l'ange devint noir, et dit: - Je suis l'amour.
Mais son front sombre était plus charmant que le jour,
Et je voyais, dans l'ombre où brillaient ses prunelles,
Les astres à travers les plumes de ses ailes."

(Apparition, les contemplations, Jersey, septembre 1855)

            En vérité, je vous pose la question lecteur, peut-il être "l'amour" cet "ange qui devint noir" et qui répond "souffrance" à la pensée "amour" d'Auguste Vacquerie?

                        2/ La religion kardéciste

                                    A/ Là encore, qui parle?

                                                a- Rivail ou "Kardec"?

            "Allan Kardec", de son vrai nom Hyppolite-Léon-Denizart Rivail, est tenu pour le théoricien du spiritisme. Rivail est l'auteur du célèbre Livre des Esprits, publié en 1857, dans lequel il expose une nouvelle doctrine spirituelle. En effet, il ne s'agit pas pour l'auteur de poser de simples spéculations sur l'au-delà, mais de retranscrire une inestimable révélation de portée et de vocation universelles.

            Dans ce Livre des Esprits, Rivail pose toutes sortes de questions d'ordre métaphysique et religieux aux esprits qui lui répondent de manière très précise et didactique. Les réponses sont mises par Rivail entre guillemets pour bien nous montrer qu'elles sont le fait d'esprits. Cependant, une fois encore, comme dans le cas de Hugo, le style, l'organisation de la pensée et le traitement des concepts sont de formulation commune entre l'auteur et les esprits "coopérants", tant dans l'ordre des questions que dans celui des réponses. Et la chose est tellement flagrante, qu'elle s'avoue d'elle-même dans le livre:

            "Les Esprits influent-ils sur nos pensées et sur nos actions?" (demande Rivail à un esprit frappeur qui réplique:) "Sous ce rapport, leur influence est plus grande que vous ne croyez, car bien souvent ce sont eux qui vous dirigent" (Livre des Esprits, Q. 459, Ch. IX sur "l'intervention des esprits dans le monde corporel", Livre deuxième).

            Il est intéressant de remarquer que l'esprit en question parle de lui ou de ses congénères à la troisième personne. Ce qui me fait dire que le contenu du Livre des Esprits relève de la même logique que cet ensemble de textes spirites de la catégorie n°2, définie chez Victor Hugo précédemment. Rivail retranscrirait là, en les organisant, les multiples réponses faites par différents esprits au gré de nombreuses séances de spiritisme auxquelles il participa. L'auteur coopère donc, volontairement à n'en point douter, à l'élaboration d'un message qui soit le plus remarquable possible, tant sur le plan de l'organisation de la pensée que sur celui de son contenu. Le tout est très codifié et c'est en vain que l'on chercherait là une once de mystique.

            Cependant, Rivail est persuadé de tirer son texte des messages d'Esprits, qu'il désigne avec révérence d'un "E" majuscule.

            L'auteur entretient donc une autre ambiguïté dans son écriture: D'un côté, son amour-propre lui dit "c'est toi le génie", mais d'un autre côté, il lui faut reconnaître que ce sont les esprits qui parlent dans son livre, faute de quoi, cette révélation deviendrait caduque. Une révélation est par définition si inspirée de l'extérieure.

            On peut donc lire un peu plus loin dans le Livre des Esprits, à la question 462, comme une interrogation de Rivail sur sa propre participation à l'élaboration de la doctrine spirite:

            "Les hommes d'intelligence et de génie puisent-il toujours leurs idées dans leur propre fonds?"

            "Quelquefois les idées viennent de leur propre Esprit, mais souvent elles leurs sont suggérées par d'autres Esprits qui les jugent capables de les comprendre et dignes de les transmettre" (Question n°462, Ch. IX).

            La "question" est inquiète pour son génie et la "réponse" affirme le primat d'un génie extérieur. Comment l'auteur peut-il se parler à lui-même de la sorte? Comment peut-il se sentir blessé dans son amour-propre et contrarié dans sa prétention à établir une doctrine nouvelle s'il ne se sait pas obligé d'en partager la genèse avec d'autres personnes, les esprits? En se plaignant de la sorte d'un conflit de droits d'auteur en quelque sorte, et en faisant humblement acte de soumission dans le constat du primat du message des esprits dans l'élaboration de cette révélation nouvelle, Rivail ne nous apporte-t-il pas là inconsciemment la preuve de l'existence de ces esprits et de leur participation réelle à l'édification du Livre des Esprits? Autrement, comment l'auteur pourrait-il ainsi se parler à lui-même? A moins que Rivail ne fût victime d'un dédoublement de personnalité, il n'y a pas d'autre solution possible. Mais pour tout dire, Rivail était sain d'esprit. Il est également à remarquer, dans l'ordre de la connivence de pensée entre Rivail et l'esprit, que Rivail appelle, sans distinction, "question" tout à la fois la formulation de celle-ci et la réponse elle-même, ce qui implique automatiquement sa propre participation à l'élaboration du tout que forment questions et réponses.

            Aussi, voilà qui nous ramène à notre propos précédent sur l’œuvre de Hugo et la part du diable.

            Ni Hugo ni Rivail ne sont des imbéciles ou des fous, ce sont même à l'inverse des gens d'esprit, et c'est peu dire au regard de notre affaire! Que le diable ait un "bon" parti à tirer de la collaboration d'hommes de leur envergure, ce que Hugo et Rivail ont écrit le prouve à merveille.

                                                b- Le Mensonge

            Le livre des Esprits se pare des meilleures intentions du monde et une lecture superficielle pourrait laisser croire que les esprits qui nous y parlent sont de bons esprits dignes de confiance. Sur ce point, il faut, sans attendre, apporter ici un démenti catégorique: Les esprits des tables ne cherchent qu'à nous tromper et leur langue est celle du mensonge... du pire des mensonge, le mieux distillé, celui qui se déguise de demi-vérités, qui revêt son vice de la vertu du langage pour le rendre plus contagieux, et compromettre ainsi notre salutaire perception de la Vérité!

            Un "vrai gros mensonge" n'en est jamais un! C'est une stupidité qui ne prête pas à confusion. C'est une gaffe énorme, qui, parce qu'elle apparaît énorme dans son énormité, est sans conséquence. Cela saute aux yeux, comme on dit! C'est là le mensonge de l'enfant qui ne sait pas encore très bien mentir et qui reconnaît aussitôt son mensonge dès qu'on lui fait comprendre son tord.

            Le propos et l'attitude du démon ne sont pas de cet ordre; son mensonge implique la permanence du mensonge en lui-même.

            "Vous avez pour père le diable et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Dès l'origine, ce fut un homicide; il ne s'est pas maintenu dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il dit ses mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge" (Saint Jean, 8.44).

            Quelle responsabilité criminelle que celle des apprenti-spirites s'ils ont le diable pour père de leurs pensées! La perspective de l'apocatastase ne serait-elle pas qu'un piège odieux!

            Il n'y a pas loin de le penser...

            En attendant, les esprits parlent et distillent leurs mensonges: Le message des esprits des tables est un inextricable réseau de demi-vérités, agencées afin de mieux éloigner du but au moment même où l'on s'en rapprocherait le plus. Voyez comment est conçu un labyrinthe: il arrive qu'en suivant son parcours, on passe à côté du but en en étant séparé que d'une simple paroi. Mais aussi proche est-on parvenu du but à un moment donné, qu'il faut s'en écarter toujours davantage pour essayer d'y revenir.

            Que de circonvolutions inutiles et usantes qui nous nuisent en nous retenant captif loin de Dieu. Cependant, le but demeure car Dieu est la Vérité et que rien ne peut empêcher la Vérité d'être et de faire vivre.

            "Je suis le chemin, la vérité et la vie" dit le Christ.

            La foi n'est pas un labyrinthe; au contraire, par la vertu théologale de la foi, c'est à vol d'oiseau que nous découvrons quel cloaque le diable fait parcourir aux adeptes de la doctrine spirite.

            Ce qui retient ici plus particulièrement encore notre attention, c'est la similitude de pensée entre Hugo et Rivail. Le style de Hugo est poétique et celui de Rivail philosophique, mais tout deux, au contact des esprits, imaginent la même révélation. Les deux hommes, contemporains l'un de l'autre, ne se connurent pas, et pourtant leurs oeuvres se ressemblent de façon troublante.

            En ce qui concerne Hugo et Rivail, il faut donc admettre qu'ils confrontèrent, au contact des esprits, leur génie avec l'expression à lui donner.

            Les textes spirites de Jersey ne seront publiés qu'en 1928 comme nous l'avons déjà vu, tandis que la parution du Livre des Esprits date de 1857. La date de 1857 est postérieure à la période de Jersey pendant laquelle Hugo se fit le messager des esprits (1853-1855), aussi Hugo ne put-il pas être influencé par Rivail et inversement, car les textes spirites de Jersey ne seront révélés au public que bien après la mort des deux hommes (Hugo: 1802-1885 / Rivail: 1804-1869).

            Que faut-il en penser? Et bien, il faut admettre que l'influence des esprits fut plus importante sur ces hommes que nous aurions aimer le supposer; à savoir que si deux oeuvres, indépendantes du point de vue des hommes qui les rédigèrent mais toutes les deux de collaboration spirite identique par la technique des tables, disent la même chose, il devient évident que se furent les esprits des tables qui eurent eu l'ascendant sur l'expression de la pensée des deux hommes.

            Cela dit, voyons comment le Mensonge opère dans le Livre des Esprits.

                                    B/ La fable de l'enfer

                                                a- Les différentes lectures du mot éternité

            Comme chez Hugo, on retrouve chez Rivail la négation de l'éternité des peines de l'enfer.

            On se tromperait cependant en déclarant de suite que Rivail ne croit pas en l'existence de l'enfer. A ce sujet, le Livre des Esprits est très subtil dans le choix du vocabulaire sur l'enfer; aussi l'expression donnée dans le livre de la différence qui existe entre la vision spirite de l'enfer et celle de l'Eglise ne manque-t-elle pas de formules trompeuses et de tournures calomnieuses à l'encontre de la doctrine catholique.

            Parce que tout mensonge se pare de demi-vérité, les esprits contactés ne nient cependant pas directement l'existence de l'enfer:

            Rivail demande: "Quelles sont les plus grandes souffrances que puissent endurer les mauvais Esprits?"

            L'esprit répond: "Il n'y a pas de description possible des tortures morales qui sont la punition de certains crimes; celui-là même qui les éprouve aurait de la peine à vous en donner une idée; mais assurément la plus affreuse est la pensée qu'il a d'être condamné sans retour" (Q. 937, Peines et jouissances futures, Ch.II, Livre Quatrième).

            On y perd déjà un peu son latin! A première vue, cette lecture atteste de l'existence de l'enfer et en plus, elle semble même laisser entendre que les peines de l'enfer seraient éternelles, "sans retour"...

            Rivail et l'esprit de la réponse seraient-ils en conformité avec la doctrine que l'Eglise enseigne sur l'enfer?

            Et bien pas du tout! Comment cela me demanderez-vous? Vous remarquerez tout d'abord, en guise de mise en garde quant à l'emploi des mots, que Rivail gratifie encore les mauvais Esprits d'un "E" majuscule. C'est une marque de respect qui ne peut se justifier de sa part que par la croyance qu'il a en leur perfection future.

            En ce qui concerne le terme "sans retour", il n'est pas exempt de toute ambiguïté, loin de là! Il signifie bien que les peines sont éternelles. Cependant l'esprit n'entend pas cela dans le sens que ces peines soient éternelles dans leur durée mais que seule la "Loi" qui les impose est éternelle. On ne peut pas revenir sur la promulgation de la condamnation, elle est sans appel. Cependant, en aucun cas il est admis que cette condamnation puisse porter sur une peine d'une durée sans fin.

            "La durée des souffrances de l'Esprit peut-elle être éternelle?

            "Sans doute, s'il était éternellement mauvais, c'est-à-dire s'il ne devait jamais se repentir ni s'améliorer, il souffrirait éternellement; mais Dieu n'a pas créé des êtres pour qu'ils soient voué au mal à perpétuité; il ne les a créés que simples et ignorants, et tous doivent progresser dans un temps plus ou moins long, selon leur volonté. La volonté peut-être plus ou moins tardive, comme il y a des enfants plus ou moins précoces, mais elle vient tôt ou tard par l'irrésistible besoin qu'éprouve l'Esprit de sortir de son infériorité et d'être heureux. La loi qui régit la durée des peines est donc éminemment sage et bienveillante, puisqu'elle subordonne cette durée aux efforts de l'Esprit; elle ne lui enlève jamais son libre arbitre: s'il en fait un mauvais usage, il en subit les conséquences" (Saint Louis, Q. 1006, Ch. II, Livre IV).

            Ne nous impatientons pas de pouvoir dépêtrer tout cela. L'esprit est tenté de nous dire que la durée de la peine est infinie mais là encore il joue avec les mots: la durée est infinie, uniquement dans la diversité des temps de peine infligés et non pas en tant que peine finale, sans recours et éternelle dans sa durée.

            On peut encore jouer sur les mots en disant que la "conséquence" de la peine est éternelle. En effet, par exemple, lorsque l'on a passé dix ans en prison, il est certain que durant ces dix ans on n'était pas libre, et que par conséquent, ces dix années sont à jamais perdues du point de vue de la liberté que le condamné n'a pas alors connue; d'ou ce sens particulier de l'éternité de la conséquence de la peine.

            Il y aurait encore beaucoup à dire sur la réponse faite par l'esprit mais je me contenterais, pour en finir avec cette question n° 1006, d'une dernière remarque. L'esprit qui parle est censé être "Saint Louis". Ce choix n'est pas anodin. Saint Louis ne fut-il pas le modèle d'une justice équitable? Saint Louis ici bas rendait justice sous un chêne, et bien sachez maintenant que "celui" du ciel nous parle toujours de justice, mais en présence d'une table, qui n'en doutons pas doit bien être en bois et même, ce serait dommage autrement, en chêne. Non! tout ceci n'est pas sérieux.

            Mais pour autant que soit ridicule cette signature de "Saint Louis", il n'en demeure pas moins vrai que les propos des esprits des tables sur la valeur et le sens à accorder au mot éternité des peines, trouve aujourd'hui un écho inattendu dans l'exégèse contemporaine de texte du Nouveau Testament sur le Jugement dernier. Parmi les théologiens catholiques de cette nouvelle exégèse, nous relevons chez Jean Elluin dans son ouvrage intitulé Quel enfer? le même langage que chez les esprits de Rivail!

            Jean Elluin propose en effet une relecture du vocabulaire du Jugement dernier des chapitres XXV de l'évangile de Saint Matthieu et XXI de l'Apocalypse de Saint Jean. Il me semble savoir que Jean Elluin n'a jamais pratiqué le spiritisme ni consulté les ouvrage de "Kardec". Mais lorsque l'on compare la portée de son érudition théologique employée à rejeter la croyance en l'éternité de l'enfer et le propos des esprits des tables, on est frappé de leur similitude de langage.

            De fait, "Saint Louis" apparaît meilleur théologien que comédien!

            "Guerres de mots! guerres de mots! s'écrie l'esprit! n'avez-vous pas fait verser assez de sang! faut-il donc encore rallumer les bûchers? On discute sur les mots éternité des peines, éternité des châtiments; ne savez-vous donc pas que ce que vous entendez aujourd'hui par éternité, les anciens ne l'entendaient pas comme vous? Que le théologien consulte les sources, et comme vous tous il y découvrira que le texte hébreu ne donnait pas au mot que les Grecs, les Latins et les modernes ont traduit par peines sans fin, irrémissibles, la même signification. Eternité des châtiments correspond à l'éternité du mal. Oui, tant que le mal existera parmi les hommes, les châtiment subsisteront; c'est dans le sens relatif qu'il importe d'interpréter les textes sacrés. L'éternité des peines n'est donc que relative et non absolue" (Q. 1009).

            L'esprit invite donc les théologiens catholiques à réviser leur jugement sur l'éternité de la peine: "Que le théologien consulte les sources".

            C'est une surprise. La proposition de l'esprit trouve un écho inattendu chez le théologien catholique Jean Elluin.

            Le théologien se penche donc sur l'étymologie des mots hébreu et grec holam et aiôn que l'on traduit traditionnellement par éternel.

            "...la traduction par "feu éternel" a occasionné une grave équivoque. C'est pourquoi, avant d'aborder d'autres textes sur le Jugement, il est capital d'examiner et de garder en mémoire les divers sens bibliques des mots grecs aiôn et pyr (ainsi que des termes voisin), vu leur emploi fréquent et important dans ce domaine et les contresens graves auxquels ils peuvent prêter.

            "Le mot grec aiônos, qu'on a coutume de traduire par "éternel", n'est que l'adjectif du nom aiôn. Etymologiquement, aiôn signifie d'abord "force vitale", d'ou "vie humaine"ici bas, et durée de cette vie; puis, par extension, "âge" caractérisé et durée de cet âge (génération, période historique, monde); il ne désigne que tardivement les "choses divines" et leur éternité" (Jean Elluin, Quel enfer? édition du Cerf -1994-).

            Ainsi ne s'agit-il pas d'une peine éternelle dans sa durée: "Ni aiôn ni aucun autre de ses dérivés ne peuvent signifier éternité en existence" (idem).

            De leur côté, les esprits poursuivent:

            "Si d'après les Evangélistes eux-mêmes, et en prenant au pied de la lettre, les paroles emblématiques du Christ, il a menacé d'un feu qui ne s'éteint pas, d'un feu éternel, il n'est absolument rien de ses paroles qui prouve qu'il les ait condamné éternellement" (Livre des Esprits, Q. 1009).

            Même propos chez le théologien catholique où l'on retrouve le parallèle:

            "Ainsi l'"éternité" (le caractère "inextinguible") de ce feu, considéré dans son effet sur le mal, concerne non pas la durée douloureuse d'un processus destructeur, mais seulement le résultat décisif de la destruction" (Quel enfer?).

            Ainsi, pour conclure, Jean Elluin, en cette fin de XXème siècle, ne dit guère plus, ni même mieux, que Rivail un siècle plus tôt. En note de texte, Rivail exprime très clairement cette prise de position par rapport au mot éternel. Cette fois, c'est lui qui parle, seul, sans le concours des esprits, et il dit:

            "A l'égard même de leur durée, certains théologiens commencent à admettre dans le sens restrictif indiqué ci-dessus, et pensent qu'en effet le mot éternel peut s'entendre des peines elles-mêmes, comme conséquence d'une loi immuable, et non de leur application à chaque individu".

            Le moins que l'on puisse dire, c'est que Jean Elluin est plutôt en retard sur la découverte au regard de "certains théologiens" du XIX° siècle qui proposaient déjà cette lecture du mot aiôn!

            Ce qui est encore plus drôle, vous me permettrez de vous le dire, c'est que le livre Quel enfer? est préfacé par un Révérend Père jésuite, Gustave Martelet, qui déclare avec conviction:

            "Les remarques critiques de ce véritable penseur sur ma manière d'aborder la question de l'enfer me parurent d'une telle pertinence que je m'attachais aussitôt à celui qui me les adressait". Ce bon Père aurait donc pu très bien, en partant du même enthousiasme, s'attacher aux tables s'il en avait connu le message!

            Quant à l'avant-propos, toujours du même livre de Jean Elluin, il est de la plume de Son Eminence le Cardinal Yves Congar!

            Quel dommage que ces ecclésiastiques n'aient pas lu le Livres des Esprits!

            Mais il est vrai que les histoires de tables tournantes n'intéressent pas les grands théologiens! A mon humble avis, il s'agit là d'un mépris injustifié et lourd de conséquences...

                                                b- Vers une révision des dogmes

            Au fil des questions suivantes, les explications sur ce qu'est l'enfer se font de plus en plus perfides en cherchant à détourner contre lui-même l'enseignement de l'Eglise en la matière.

            "D'après cela, les peines imposées ne le seraient jamais pour l'éternité?

            "Interrogez votre bon sens, votre raison, et demandez-vous si une condamnation perpétuelle pour quelque moments d'erreur ne serait pas la négation de la bonté de Dieu? Qu'est-ce en effet, que la durée de la vie, fut-elle de cent ans, par rapport à l'éternité? Eternité! comprenez-vous bien ce mot? souffrances, tortures sans fin, sans espoir, pour quelques fautes! Votre jugement ne repousse-t-il pas une telle pensée? Que les anciens aient vu dans le maître de l'univers un Dieu terrible, jaloux et vindicatif, cela se conçoit; dans leur ignorance, ils ont prêté à la divinité les passions des hommes; mais ce n'est pas là le Dieu des chrétiens, qui place l'amour, la charité, la miséricorde, l'oubli des offenses au rang des premières vertus: pourrait-il manquer lui-même des qualités dont il fait un devoir? N'y a t-il pas contradiction à lui attribuer la bonté infinie et la vengeance infinie?" (Saint Augustin, Q. 1009, Ch. II, Livre IV).

            Et la réponse est signée St Augustin, ce qui ne manque pas de sel quant on connaît la théologie d'Augustin sur le sujet!

            De la plume du véritable Saint Augustin, on peut lire dans le De Civitate Dei, sous le titre l'éternité de l'enfer: dogme de foi, le texte suivant:

            "S'il en est ainsi, comment les hommes, tous ou quelques-uns, seront-ils soustraits à l'éternité de cette peine, après un laps de temps quel qu'il soit, sans qu'aussitôt ne soit énervée cette foi qui tient que le supplice des démons sera éternel. En effet, si de ceux qui s'entendront dire: Allez loin de moi, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges (Mt.25.41), tous ou quelques-uns n'y resteront pas toujours, quelle raison avons-nous de croire que le diable et ses anges y resteront toujours? Ou, par hasard, l'arrêt de Dieu porté contre les mauvais, hommes et anges, serait-il vrai, pour les anges, faux pour les hommes? Il en serait assurément ainsi dans le cas où l'emporterait non pas la parole de Dieu mais les conjectures des hommes. Or, parce que cela ne peut se faire, ils ne doivent pas argumenter contre Dieu mais plutôt, tandis qu'il est temps, obéir au précepte divin, ceux qui désirent échapper au supplice éternel. Et puis, que signifie cela: concevoir le supplice comme éternel dans un feu de longue durée et la vie éternelle, la croire sans fin, quand le Christ dit, en les unissant dans le même passage et dans le même arrêt: Ainsi ceux-ci iront au supplice éternel, mais les justes dans la vie éternelle (Mt.25.46)? Si donc tous les deux sont éternels, assurément doit-on les comprendre ou l'un et l'autre comme étant de longue durée avec un terme; ou l'un et l'autre perpétuels sans terme. Ils sont mis en effet en relation de parité, d'un côté le supplice éternel, de l'autre la vie éternelle. Dire en une seule et même expression: "La vie éternelle sera sans fin, le supplice éternel aura une fin", c'est par trop absurde. Et donc, puisque la vie éternelle des saints sera sans fin, le supplice éternel également, pour ceux qui en seront l'objet, sans aucun doute n'aura pas de fin" (Saint Augustin, De Civitate Dei, XXI, 25).

            Ainsi, bien après sa mort (354-430 ap. J.C.), Saint Augustin viendrait nous mettre en garde contre une erreur qu'il aurait lui-même commise, ce que semble ignorer Rivail. Voyons cela: La "réponse" sollicite, pour s'affirmer, l'autorité d'un des plus grands théologiens de l'Eglise, qui de surcroît est un saint. Tel est l'aveu d'autorité de l'esprit se présentant comme étant Saint Augustin. Mais ici, une fois encore, la malveillance peut être démasquée dans son procédé même car Saint Augustin a professé de son vivant la durée éternelle des peines de l'enfer; aussi, lorsque après sa mort, l'Eglise l'a canonisé et déclaré Docteur de l'Eglise et l’honore également du titre de Père de l'Eglise, c'est bien en connaissance de ses écrits, et entre autre parmi ceux-ci, de sa théologie de l'enfer. D'une chose ou l'autre, soit l'autorité de Saint Augustin n'a aucune valeur et ce que dit l'esprit n'a aucune présumée supériorité théologique, soit l'autorité de Saint Augustin est patente et ce ne peut donc pas être lui qui parle!

            Mais la réponse n°1009 de "Saint Augustin" ne se résume pas à une simple question d'identité, elle invente un Dieu à échelle humaine. Non pas un Dieu qui s'est fait homme mais un dieu humanisé! Et contrairement à ce que dit le texte qui dénonce chez les anciens la tendance à se façonner des dieux d'après leurs passions, nous voici en face de contemporains qui veulent que Dieu incarne leurs sensibleries métaphysiques.

            Finalement, qu'est-ce que la justice divine au regard de la justice humaine? Que d'un stricte point de vu pénal, tout crime soit jugé et entraîne pour son auteur une peine proportionnée, cela se comprend au niveau de notre justice et de ce qui est de son domaine. La peine de l'enfer correspond à un crime qui me semble être d'un tout autre ordre. Il ne s'agit pas de "quelques fautes" parmi tant d'autres ou de "quelques moments d'erreur" comme le suggère malhonnêtement l'esprit des tables. Ce crime est avant tout un crime spirituel, un crime contre l'Esprit Saint. Ce crime ne saurait-être simplement l'enjeu d'une condamnation pénale telle que nous l'entendons, même si cette condamnation devait venir de Dieu Lui-même.

            Je ne dis pas pour autant que le damné ne comparaît pas devant le Tribunal de Dieu mais qu'il en refuse d'emblée la Justice. Car la peine éternelle de l'enfer, c'est le refus en toute conscience du pardon de Dieu. Ce qui, comme on le voit, ne pose pas de contradiction en Dieu entre Sa justice et Sa miséricorde. Et puis, si la justice et la miséricorde nous apparaissent comme des catégories de langage distinctes, en Dieu, elles ne s'opposent pas, ne faisant qu’un en Son Unité immuable. Dieu n'est pas divisé entre ses vertus. Et ce n'est que par analogie avec ce que nous découvrons en nous de meilleur, que nous les Lui attribuons. Autrement, il faudrait donner raison au polythéisme et distinguer un "dieu de la justice", un "dieu de l'amour", de fait plutôt une "déesse", et ainsi de suite... Ce qui ferait de l'homme le plus grand des dieux puisqu'il résumerait alors en lui toutes les qualités que n'incarneraient que séparément tous les autres soi-disant dieux!

            Le Dieu des chrétiens n'est pas un dieu qui se laisse penser par l'homme. Ces soi-disant dieux que pensent l'homme ne sont que des idoles et des caricatures du divin.

            Marquons une pause, si vous le voulez bien...

            Le démon emmêle tant les choses qu'il nous oblige à beaucoup de détours pour rétablir la vérité. C'est bien dommage, mais mon esprit étant limité, je ne puis, cher lecteur, vous offrir mieux comme synthèse qui se tienne.

            Reprenons!

            Comme nous venons de le voir, l'esprit (le démon) invite les croyants à réviser leur compréhension des Ecritures Saintes au sujet de l'enfer, mais aussi, cela semble aller de paire, à rejeter l'Eglise qui enseigne un enfer par trop infernal!

            "Attachez-vous par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, à combattre, à anéantir l'idée de l'éternité des peines, pensée blasphématoire envers la justice et la bonté de Dieu, source la plus féconde de l'incrédulité, du matérialisme et de l'indifférence qui ont envahi les masses depuis que leur intelligence a commencé à se développer." (Q. 1009)

            L'appel est net et véhément. La doctrine de l'Eglise doit-être mise à bas!? A les en croire, son enseignement serait blasphématoire et source de tous les abandons de la croyance en Dieu!

            Et l'esprit poursuit, expliquant que le travail de sape à entreprendre est aisé puisque l'Eglise ne possède pas selon lui les arguments de doctrine nécessaire pour y faire barrage.

            "La tâche que nous vous signalons vous sera d'autant plus facile que les autorités sur lesquelles s'appuient les défenseurs de cette croyance ont toute évité de se prononcer formellement; ni les conciles, ni les Pères de l'Eglise (Même Saint Augustin?!) n'ont tranché cette grave question" (Q. 1009).

            C'est avec saisissement que l'on peut lire, sous la plume du théologien catholique Jean Elluin, la même affirmation sentencieuse selon laquelle l'Eglise n'aurait jamais enseigné l'éternité des peines de l'enfer comme châtiment des pécheurs invétérés.

            "Si la foi chrétienne exigeait vraiment cet enfer là, non seulement elle n'éclairerait pas, d'une lumière cendrée, le mystère du mal, mais elle y mettrait une contradiction irréductible. Les pages qui vont suivre tendent à montrer que ni l'Ecriture, ni la Tradition de l'Eglise, bien replacées dans leurs contextes historiques, n'impliquent une telle conception; et qu'au contraire elles s'y opposent en profondeur" (Quel enfer? p.41).

            Ah!

            Jean Elluin persiste et signe, car pour lui, l'enseignement de l'Eglise est constitutivement entaché de relativisme historique, qui, il va de soi, dénature le tout:

            "Les meilleurs théologiens actuels (le Père Congar, le Père Franzen...) montrent qu'on ne saurait en comprendre les textes sans un commentaire approprié; que des passages d'autorités très différentes s'y trouvent placés sur le même plan; que l'anathème n'est pas une garantie que la censure soit de foi; que le choix des textes est forcément orienté par la mentalité théologique au temps de ce choix; et surtout que le sens dépend du contexte global de leur époque" (Quel enfer? p. 124).

            Tout d'abord, on remarquera que pour Jean Elluin, seuls les textes qui vont dans le sens de sa thèse ont une autorité valable tandis que les autres "s'y trouvent placés sur le même plan" de façon certainement abusive à l'en croire. A partir de là, nul ne doutera plus de son objectivité scientifique comme théologien!

            Mais le plus intéressant quand il dit encore "que le sens dépend du contexte global de leur époque", c'est que l'on constate à nouveau cette étonnante similitude avec le propos des esprits des tables... Une fois de plus, le théologien dit exactement la même chose que l'esprit, lorsque ce dernier assure que c'est dans l'histoire d'une époque que l'on trouve la source d'une erreur, et que cette époque révolue, on retrouve le véritable sens théologique des choses:

            "L'idée de l'enfer avec ses fournaises ardentes, avec ses chaudières bouillantes, put être tolérée, c'est-à-dire pardonnable en un siècle de fer; mais au dix-neuvième, ce n'est plus qu'un vain fantôme propre tout au plus à effrayer les petits enfants, et auquel les enfants ne croient plus quand ils sont grands" (Q.1009).

            Je ne vois pas pourquoi la pensée du Moyen-âge aurait été de son temps plus source d'erreur que celle de notre époque pour nous mêmes. Je vous en pose la question? Car à les écouter, étant nous-mêmes toujours dans l'histoire, ce relativisme historique vaut alors également pour notre temps et pour nous-mêmes. Aussi, la pensée d'un Rivail, comme celle d'un Jean Elluin, n'est-elle pas non plus exempte d'erreurs. Leurs pensées pourraient donc très bien être tissées d'erreurs qui leurs seraient contemporaines et de modes présentes inscrites plus ou moins inconsciemment dans leur mentalité et susceptibles d'être contestées à l'avenir!

            Justement, et c'est exactement le contraire de ce que pense Elluin, c'est bien parce que l'expression du contenu de la doctrine chrétienne change d'époque en époque du point de vue de sa forme, qu'elle ne peut varier sur le fond. A chaque époque, c'est bien le fond du message qui forge le sens par la forme qui lui est donnée, et non pas la forme séparément qui conditionne la teneur théologique.

            Enfin, alors que ces théologiens nous poussent à réfléchir sur le relativisme historique qui entourerait la constitution du dépôt de la foi chrétienne, le dérapage étant amorcé, c'est vers une révision complète des dogmes que l'on s'achemine...

            Mais avant de nous entendre dire qu'il faut balayer les dogmes gênants, voyons déjà comment l'on passe allègrement du relativisme historique au relativisme moral.

            L'esprit maléfique des tables est toujours, il va sans dire, en avance d'une étape sur nos théologiens, qui ne pensent suivre, il est vrai, que leur bonne conscience!

            On passe donc du relativisme historique au relativisme moral par un simple glissement, presque imperceptible:

            "Homme de foi ardente et vive, avant-garde du jour de lumière, à l’œuvre donc! non pour maintenir des fables vieilles et désormais sans crédit, mais pour raviver, revivifier la véritable sanction pénale, sous des formes en rapport avec vos mœurs, vos sentiments et les lumières de votre époque" (Paul, Apôtre, Q. 1009).

            La justice n'est donc plus redevable d'une Loi supérieure mais de l'évolution des mœurs au grès des époques et des sociétés humaines! Tant que les gens demeureront raisonnables, on ne fera pas trop de distinction entre Loi supérieure et évolution des mœurs et ce, bien que la Loi supérieure ne soit plus acceptée comme principe mais seulement encore vécue comme héritage; mais que les mœurs se mettent à dégénérer alors que l'on ne reconnaît plus de Loi naturelle universelle, toute nouvelle convenance aura aussitôt force de loi quelque soit sa moralité réelle.

            A ce sujet, et puisque la fin de la Question n°1009 emprunte cette fois-ci, ses paroles à "Paul, Apôtre", je me permet de vous citer pour comparaison le Saint Paul des Ecritures Saintes:

            "Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre. Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait" (Epître aux Romains, 12.1-2).

            Dans leur exhortation, les deux textes, celui de Saint Paul aux Romains et celui de l'esprit "Saint Paul" dans le Livre des Esprits, résonnent d'une forte intention incitatrice. Cependant, la contradiction devient très vite insurmontable entre les deux exhortations, lorsque Saint Paul déclare "ne vous modelez pas sur le monde présent", alors que l'esprit, à l'inverse, dans un sens totalement opposé, affirme qu'il faut se conformer aux mœurs et aux changements de l'époque dans laquelle on vit! Et, à la suite de cela, la valeur de "la véritable sanction pénale", c'est qu'elle soit relative à ce qu'en souhaite la majorité des hommes à chaque époque donnée!

            Tout comme "Saint Augustin" disait le contraire de Saint Augustin, on ne s'étonnera pas d'entendre "Saint Paul" parler un langage en contradiction totale avec celui de Saint Paul dans le Nouveau Testament!

            Mais tout cela ne trouble pas nos théologiens, car il va de soi, qu'ils ne sont pas au courant de toutes ces déclarations spirites...

            Aussi poussent-ils la chansonnette jusqu'à sa conclusion finale, sans s’apercevoir que la partition était faussée depuis le début!

            On en arrive donc à la catastrophique déclaration suivante:

            "Le choix d'un enfer total serait d'ailleurs non une liberté, mais une folie absurde, et donc irresponsable, d'asservissement et Dieu se renierait lui-même en donnant à un tel acte le pouvoir d'anéantir son Oméga d'amour" (Quel enfer? p. 137).

            Voici des paroles de révolte contre Dieu que les démons du spiritisme ne renieraient pas et qu'il nous servent aussi allègrement de leur côté, tout à l'identique de celles de Jean Elluin, si ce n'est avec plus de retenu sur le plan émotionnel, c'est-à-dire avec plus de calcul cynique:

            "L'Esprit, près de s'éclairer, ne fût-il que même dégrossi, en a bientôt saisi la monstrueuse injustice; sa raison la repousse, et alors il manque rarement de confondre dans un même ostracisme et la peine qui le révolte et le Dieu auquel il l'attribue" (Q. 1009).

            On a vraiment l'impression que l'esprit nous décrit ici le trouble d'un Jean Elluin!

            Face a un tel constat, que nous suggère de faire les esprits?

            "Si vous enseignez des choses que la raison rejette plus tard, vous ferez une impression qui ne sera ni durable ni salutaire (Q. 974).

            Aussi, d'après l'esprit, la révision des dogmes apparaît-elle nécessaire et même "salutaire".

            "Oh! croyez-moi, ou résignez-vous à laisser périr entre vos mains tous vos dogmes plutôt que de les laisser varier, ou bien revivifiez-les en les ouvrant aux bienfaisantes effluves que les Bons y versent en ce moment" (Q. 1009).

            En somme, au terme de cet exposé, nous voici acculé à faire un choix intransigeant quant à la valeur à accorder au dogme de l'éternité des peines de l'enfer. Mais me direz-vous, on pourrait faire quelques concessions à ce sujet, qui, comme on le voit chez Jean Elluin par exemple, ne porte pas pour le chrétien à l'enthousiasme de la foi?

            A cela, je répondrai que le sujet n'est certes pas réjouissant, mais que ce n'est pas pour autant qu'il faille l'évacuer. Ce serait même encore accroître le malaise. Et puis, lorsque l'on s'attaque à un premier dogme, il faut s'attendre qu'on s'en prenne à la formulation de bien d'autres encore ensuite...

            Si vous êtes prêt, en tant que chrétien, à reléguer l'enfer au rayon des imageries médiévales obsolètes, êtes-vous pour autant prêt à réfuter pareillement le dogme de la résurrection?

            Cependant, voyez-vous, les esprits des tables, là encore, n'ont pas l'intention d'épargner la foi chrétienne, car selon eux, la résurrection n'est qu'un autre mot employé dans la Bible pour désigner la métempsycose:

            "Ainsi l'Eglise, par le dogme de la résurrection de la chair, enseigne elle-même la doctrine de la réincarnation?

            "Cela est évident; cette doctrine est d'ailleurs la conséquence de bien des choses qui ont passé inaperçues et que l'on ne tardera pas à comprendre dans ce sens; avant peu, on reconnaîtra que le spiritisme ressort à chaque pas du texte même des Ecritures sacrées. Les Esprits ne viennent donc pas renverser la religion, comme quelques-uns le prétendent; ils viennent, au contraire, la confirmer, la sanctionner par des preuves irrécusables" (Q. 1010).

            Si vous êtes chrétien, serez-vous d'accord avec les esprits des tables cette fois?

            Et même si vous ne croyez pas en Jésus-Christ, mais que vous connaissez cependant un tant soi peu l'enseignement de l'Eglise sur la résurrection de la chair, pensez-vous que ce que disent ces esprits soit en parfaite concordance avec le contenu des catéchismes officiels?

            Pour ma part, je réponds que non!

                        3/ Le spiritisme face au christianisme

            Maintenant, il s'agit de conclure sur la question des rapports du spiritisme avec le christianisme.

            Nous avons vu que le spiritisme se déclarait être en parfait accord avec les Ecritures Saintes et plus particulièrement avec l'Evangile du Christ.

            Est-ce à dire que les spirites seraient chrétiens?

            Nous verrons dans un premier temps comment les fidèles du spiritisme définissent leur religion.

            Dans un second mouvement, nous écouterons le discours que l'Eglise tient à l'encontre du spiritisme.

            Nous pourrons enfin conclure qu'il n'existe aucune conciliation possible entre le christianisme et le spiritisme. Que si on lit avec attention les déclarations d'autorité de l'Eglise sur le problème posé par le spiritisme, on se rendra compte que les positions qui opposent les deux croyances sont insurmontables, et qu'ainsi, les deux ne peuvent que se rejeter et se combattre.

                                    A/ La quatrième religion révélée

                                                a- Le nouvel évangile

            Selon la doctrine spirite, le christianisme ne fut qu'une étape dans la révélation des desseins de Dieu. Et le Christ Lui-même s'efface devant le spiritisme.

            On retrouve ici les propos de L.O., notre spirite anonyme:

            "Le spiritisme vient enfin établir parmi les hommes le règne de la charité et de la solidarité annoncé par le Christ. Moïse a labouré, le Christ a semé, le spiritisme vient récolter" (L.O., Le Monde des Esprits, éd. Jean Meyer, -1947-).

            Le spiritisme doit donc être considéré, selon l'opinion de ses adeptes, comme un nouvel évangile; l'évangile d'un âge nouveau de la conscience humaine. Un évangile plus évangélique que les trois synoptiques!

            "L'Evangile a fait de la tombe quelque chose de clément pour les repentir, mais, et c'est ici son erreur, il en a fait quelque chose d'inexorable pour les scélérats" ("Jésus-Christ"!, séance du jeudi 8 mars 1855, message retranscrit par Victor Hugo).

            Et la chose est encore plus clairement affirmée dans la déclaration finale du même message:

            "L'Evangile du passé a dit: les damnés, l'Evangile du futur dira: les pardonnés".

            Le christianisme est donc dépassé alors que le spiritisme s'impose comme l'ultime révélation. Ce serait la quatrième révélation, comme l'annonce Patrick Ravignant en introduction de l'édition de 1980 chez Stock du Livre des Esprits:

            "C'est sans doute qu'après le judaïsme, le christianisme et l'Islam, le spiritisme apparaît comme la quatrième religion révélée".

            Et par là-même, le maître-ouvrage de Rivail devient-il aux yeux des spirites le "Troisième Testament". C'est ainsi qu'ils appellent avec ferveur le Livre des Esprits.

            Quant à l'Evangile selon Saint Jean, il est certainement jugé d'emblée trop mystique et indéchiffrable pour les consciences contemporaines pétries de sciences exactes; et lui aussi est rejeté car "les spirites prétendent asseoir leur foi sur une série d'évidences expérimentales, de constatations objectives" (Patrick Ravignant, introduction du Livre des Esprits, -1980-).

            On est loin du "heureux ceux qui croiront sans avoir vu" (Saint Jean, 20.29).

            Et si le Christ a accordé à Saint Thomas la faveur de toucher Ses plaies, pour les spirites, c'est tout homme qui a le droit de palper le divin. Mais à ce que j'en sache, ce ne sont pas les plaies du Christ qui nous sont données à toucher mais, plus trivialement, le vernis de vulgaires guéridons...

            Pour les spirites, la démonstration semble suffisante et le mode de connaissance de l'au-delà en ressortant, sans comparaison avec ce que les siècles précédents purent en connaître spirituellement par la prière, la méditation et la contemplation.

            C'est qu'il faut savoir que le spiritisme se veut totalement étranger à toute forme de mystique. La prière y est même condamnée comme une fâcheuse perte de temps!

            Pour les spirites, l'au-delà entre dans nos vues et nos concepts et se conforme aisément à l'exercice de notre raison.

            Le spiritisme, à travers son insatiable volonté de donner des preuves du "divin" à qui en réclamerait, peut être défini comme une religion rationaliste:

            "Le spiritisme dit et il prouve que les phénomènes sur lesquels il s'appuie n'ont de surnaturel que l'apparence; ces phénomènes ne sont tels aux yeux de certaines gens que parce qu'ils sont insolites et en dehors des faits connus; mais ils ne sont pas plus surnaturels que tous les phénomènes dont la science donne aujourd'hui la solution, et qui paraissaient merveilleux à une autre époque. Tous les phénomènes spirites, sans exception, sont la conséquence de lois générales; ils nous révèlent une des puissances de la nature, puissance inconnue, ou pour mieux dire incomprise jusqu'ici, mais que l'observation démontre être dans l'ordre des choses. Le spiritisme repose donc moins sur le merveilleux et le surnaturel que la religion elle-même; ceux qui l'attaquent sous ce rapport, c'est donc qu'il ne le connaissent pas, et fussent-ils les hommes les plus savants, nous leur dirons: si votre science, qui vous a appris tant de choses, ne vous a pas appris que le domaine de la nature est infini, vous n'êtes savant qu'à demi" (Rivail, Livre des Esprits, conclusion générale).

            Le spiritisme serait, à en croire Rivail, en avance sur la science quant à la connaissance et la compréhension de la nature de notre monde; il s'agit là au demeurant d'une connaissance toute matérielle...

            En effet, selon Rivail, les esprits des tables eux-mêmes sont des êtres matériels car constitués d'un fluide palpable et sensible, capable de bouger les tables, et qu'il appelle périsprit. Et c'est ce même périsprit que les sciences expérimentales, selon le vœux de l'auteur du Livre des Esprits, finiront elles-mêmes par découvrir; elles achèveront d'en confirmer l'existence aux yeux du monde de manière irréfutable.

            Adieu, le surnaturel! adieu donc tout ce qui dépasse notre nature! Adieu, le royaume éternel! le ciel pour les spirites n'est pas au-delà de notre monde et c'est pourquoi les esprits de l'"au-delà" peuvent en définitive nous parler.

            On comprend bien de la sorte cette affirmation péremptoire d'un esprit interrogé par Rivail au sujet du royaume éternel:

            "Dans quel sens faut-il entendre ces paroles du Christ: Mon royaume n'est pas de ce monde?

            "Le Christ, en répondant ainsi, parlait dans un sens figuré. Il voulait dire qu'il ne règne que sur les cœurs purs et désintéressés" (Livre des Esprits, Question n°1018).

            Evidemment, vu sous cet angle...

            D'après cela, on ferait donc fausse route en espérant un paradis céleste!? Le spiritisme nie l'au-delà!

            Mais nous ne devons pas nous tracasser pour si peu, le spiritisme est sans nul doute la plus douce de toutes les consolations!?

            "Il était réservé au spiritisme de donner sur toutes ces choses l'explication la plus rationnelle, la plus grandiose et en même temps la plus consolante pour l'humanité. Ainsi l'on peut dire que nous portons en nous-mêmes notre enfer et notre paradis: notre purgatoire, nous le trouvons dans notre incarnation, dans nos vies corporelles et physiques" (Rivail, note sur la Question n°1017).

            Telle est la quatrième religion révélée... en fin de compte, c'est une pensée un peu moins évoluée qu'un pur matérialisme ne s'ignorant pas comme tel!

                                                b- Le cao-daïsme

            Nous allons maintenant voir quels rapports le spiritisme entretient avec les mouvements occultes de nos sociétés. Nous verrons comment il se confond particulièrement avec l'origine et l'histoire d'un certain nombres de sectes, parmi lesquelles nous découvrirons le cao-daïsme et la franc-maçonnerie.

            Pour commencer, réécoutons notre thuriféraire du spiritisme:

            "Voilà pourquoi cette jeune religion à vocation populaire et universaliste s'est propagée si aisément dans le monde, pourquoi elle a même enfanté d'importants mouvements tels que le Cao-daïsme (en Asie du Sud-Est) où Victor Hugo figure parmi les plus grands saints de l'Histoire" (Patrick Ravignant, introduction du Livre des Esprits, éd. de 1980 chez Stock).

            Depuis son apparition aux Etats-Unis d'Amérique en 1847, le spiritisme moderne connût une expansion mondiale; il traversa très vite l'atlantique pour toucher toute l'Europe de Paris à St Pétersbourg. Il trouva également un écho en Asie et plus particulièrement au Vietnam.

            "Né en Cochinchine, le cao-daïsme représente une forme extrême-orientale du spiritisme profondément originale. Il s'est greffé sur une civilisation peu mystique, adonnée au culte des Ancêtres et à la magie, appuyée sur une philosophie mélangée de taoïsme et de bouddhisme assez vague: le spiritisme s'y répandit rapidement" (Yvonne Castellan, Le spiritisme, PUF, -1954-).

            Cette implantation du spiritisme au Vietnam n'est cependant pas le fruit d'une génération spontanée; traditionnellement on pratiquait là l'évocation des esprits et les dông, des femmes médiums, les appelaient en elles, lors de cérémonies magiques, afin qu'ils s'expriment par leur bouche. A ce sujet, le lecteur pourra se reporter à l'étude qu'en a faite Maurice Durand: Technique et Panthéon des médiums vietnamiens (Dông), Publication de l'école française d’Extrême-Orient, Vol. XLV, Paris, -1959-.

            A l'origine du cao-daïsme, nous trouvons un fonctionnaire annamite de la Cochinchine, alors sous juridiction française. Cet homme, Ngô Van Chiên s'exerçait aux tables tournantes depuis 1902, lorsqu'un esprit, se présentant sous le nom de Cao-Daï, retint particulièrement son attention.

            Le premier contact eut lieu en 1919. Ngô Van Chiên se reconnut dès lors comme le prophète d'une nouvelle révélation dont Cao-Daï (Dieu) lui adressait personnellement le message.

            Le cao-daïsme devait assurer la synthèse de toutes les autres religions. Cette vision de l'unité des religions en une seule apparaît déjà dans le spiritisme occidental de Rivail. De fait, cette projection universaliste est un des ressorts de la révélation spirite.

            A l'instar du spiritisme occidental, le cao-daïsme se pose comme la quatrième religion révélée.

            Cependant le caodaïsme diverge un tant soi peu du kardécisme par le développement en son sein d'un clergé hiérarchisé, à l'image de celui de l'Eglise catholique. On compte là donc un pape, des cardinaux, des archevêques, des évêques et des prêtres chargés du gouvernement et des rites. Le "Saint-Siège" coa-daïste se situe dans la province de Tay Ninh au Vietnam.

            En 1982, le cao-daïsme comptait deux millions de fidèles. Le culte d'hommes prophétiques comme Victor Hugo et celui d'autres "esprits" y est très répandu et entretenu par la pratique du spiritisme lors de cérémonies de tables tournantes, qui sont plutôt dans le cas du cao-daïsme des "corbeilles à bec" qui frémissent au contact des mains et dont le contenu jaillit, sur une table cette fois, pour dessiner des hiéroglyphes.

            En vous parlant de Victor Hugo comme d'un prophète, je n'avais donc rien exagéré, en tout cas, pas aux yeux des cao-daïstes qui l'idolâtrent.

            De Jersey aux bords du Siam, on peut dire que les contrastes sont forts... Toujours est-il que le spiritisme accapare depuis longtemps l'esprits d'hommes très différents et les efforts de groupes humains somme toute très variés. Mais tout compte fait, leur quête insatiable du savoir et du pouvoir, nous permet de les identifier d'une façon commune. Leur propos et leur ambition sont ceux d'une secte.

                                                c- La franc-maçonnerie

            Que le spiritisme ait partie liée avec la magie dans le cao-daïsme cela tient aux traditions religieuses du Vietnam, aussi ne s'étonnera-t-on pas de constater que l'évocation des esprits dans la France du XVIII° siècle ait trouvé de son côté un écho dans la mouvance du progrès philosophique des lumières.

            C'est dans cette atmosphère du XVIII° que la franc-maçonnerie s'intéressa aux manifestations des défunts. Bien évidemment, le christianisme imprégnant alors la culture occidentale, les séances d'évocation des morts revêtaient à ce moment là des allures dévotes. Ne s'agissait-il pas ensuite de faire dire pour les chers défunts contactés les messes qu'ils réclamaient?

            C'est dans l'ouvrage du franc-maçon Willermoz, intitulé Journal des premiers sommeils de Mlle Jeanne-Gilberte-Rosalie Rochette, du 29 mars au 4 mai 1785, que l'on peut lire le récit des ces premières séances franc-maçonniques d'évocation des esprits des morts; séances qui seront un siècle plus tard à l'origine de la curiosité de la bourgeoisie du XIX° siècle pour le spiritisme. L'ouvrage de Willermoz sera publié en 1926 par Emile Dermenghem sous le titre Les sommeils.

            Au XVIII° siècle, la franc-maçonnerie s'intéressa donc à la nécromancie, c'est-à-dire à l'évocation des morts, sous le double prétexte d'une pieuse sollicitude à l'égard des défunts et d'une recherche insatiable de connaissances et de pouvoirs occultes que ceux de l'au-delà pourraient livrer aux vivants d'ici-bas.

            Illuminisme religieux et quête initiatique du pouvoir se mêlent allègrement chez les francs-maçons du siècle des lumières. L'évocation des esprits des morts en est alors la clef. C'est ce que nous pouvons lire sous la plume de Joseph de Maistre qui fut lui-même à cette époque franc-maçon:

            "Je ne dis pas que tout illuminé soit franc-maçon; je dis simplement que tous ceux que j'ai connu, en France surtout, l'étaient... Les connaissances surnaturelles sont le grand but de leurs travaux et de leurs espérances; ils ne doutent pas qu'il soit possible à l'homme de se mettre en communication avec le monde spirituel, d'avoir un commerce avec les esprits et de découvrir ainsi les plus rares mystères" (Soirées de Saint-Pétersbourg, -1809-).

            On sait en effet que Willermoz, franc-maçon de haut rang, compta Joseph de Maistre parmi ses correspondants et que ce dernier fit un temps parti de la loge des Trois mortiers.

            Ainsi, pour autant qu'elle fut au XVIII° aristocratique et friande d'occultisme en rupture avec l'Eglise officielle, la franc-maçonnerie, au XIX°, apparaît à l'inverse, bourgeoise et rationaliste.

            Cependant, l'une et l'autre franc-maçonnerie, celle du XVIII° et celle du XIX°, furent, tout au moins en France de manière incontestable, les grandes inspiratrices de la doctrine spirite.

            Et pour en revenir à notre point de départ du tout début de ce chapitre, lorsque nous définissions la donnée fondamentale de la doctrine spirite comme étant l'apocatastase, il faut savoir que cette "restauration universelle" fut et reste encore le grand prêche de la maçonnerie.

            J'en veux pour simple preuve que Rivail était un franc-maçon de haut grade et que son disciple Léon Denis l'était aussi.

            Rivail franc-maçon, voilà encore de quoi réveiller des soupçons!

            Cette constatation n'est certes pas neutre. Si Rivail prêcha l'apocatastase au XIX° siècle, il faut savoir qu'un autre célèbre et influent maçon, Martinez Paschalis, l'avait déjà théorisée au XVIII°siècle.

            Martinez Paschalis, ou Martinès de Pasqually, naquit vraisemblablement vers 1720 dans la région de Grenoble. En 1766, il devint le chef, à Lyon, de la très hermétique loge des Elus Cohens qui se définissaient comme l'élite de la franc-maçonnerie.

            La pensée que Paschalis enseignait de son temps, peut se résumer de la sorte:

            "Les êtres, esprits purs, hommes, créatures matérielles, contenus à l'origine dans le sein de Dieu, en sont émanés par un acte de sa volonté. Mais en sortir, c'est déchoir. La vie est en exil. Tous aspirent à la réintégration. Elle s'accomplit par l'effort de leur volonté qui s'identifie avec la volonté de Dieu et reconquiert la vie divine. La réintégration sera universelle: la nature sera renouvelée et le principe mauvais purifié. Pour ce grand oeuvre, les êtres inférieurs ont besoin des esprits qui peuplent l'espace. Il s'agit donc d'établir avec eux des communications. C'est ce qui se fait par tout un ensemble de pratiques théurgiques" (Le martinisme, article sur le spiritisme dans le Dictionnaire de spiritualité catholique, -1913-).

            Les disciples de Martinez Paschalis furent nombreux parmi la franc-maçonnerie et ils prirent le nom de martinistes. C'est bien l'apocatastase que ces gens là prêchaient et confessaient. C'est exactement ce que nous rapporte Augustin de Barruel sur les croyances des maçons de son temps dans cet extrait de lettre ci-dessous:

            "Il existe maintenant en Europe une innombrable quantité d'hommes qui ont imaginé que le christianisme recèle des Mystères ineffables, nullement inaccessibles à l'homme; et c'est ce que les Allemands appellent le Christianisme transcendantal. Ils croient que le christianisme était dans son origine une véritable initiation, mais que les prêtres laissèrent bientôt échapper ces divins secrets (...). La haine et le mépris de toute hiérarchie sont un caractère général de tous ces Illuminés, au point que Saint-Martin, avec toute la piété dont ses livres sont remplis, est cependant mort sans appeler un prêtre. Ils croient la Préexistence des âmes et la fin des peines de l'enfer, deux dogmes fameux d'Origène" (Augustin de Barruel, -janvier 1815-).

            Entre Martinez Paschalis et Rivail, et donc entre la doctrine franc-maçonne du XVIII° siècle et celle du XIX°, il y a une extraordinaire continuité de pensée. Pensée que l'on peut résumer d'un traître mot: apocatastase!

            L'apocatastase fait donc parti des enseignements majeurs de la franc-maçonnerie d'inspiration déiste.

                                    B/ Condamnation du spiritisme par l'Eglise

            Nous arrivons au point où il nous faut maintenant prendre en compte la condamnation que l'Eglise fait de ces textes spirites que nous venons d'étudier.

            Il s'avère que l'Eglise condamne, à un double titre, ces thèses et discours sur l'apocatastase. Elle les condamne de fait par les moyens mis en oeuvre pour en obtenir le contenu et par l'affiliation de certains de ses théoriciens à des sectes proscrites:

            - De par les moyens qu'il met en oeuvre pour obtenir ses messages, l'Eglise condamne explicitement le spiritisme comme étant une activité diabolique.

            - Quant à l'affiliation de certains auteurs spirites à la franc-maçonnerie, l'Eglise condamne cette dernière comme étant une secte satanique.

            A ce titre, des hommes comme Rivail tombent sous la double condamnation de l'Eglise catholique qui interdit, et la pratique du spiritisme et l'adhésion à la franc-maçonnerie.

            Voyons maintenant la teneur des condamnations que l'Eglise porte contre les adeptes du spiritisme et les membres de la franc-maçonnerie.

                                                a- condamnation de la franc-maçonnerie

            C'est le 4 mai 1738 que l'Eglise romaine réagit pour la première fois contre la franc-maçonnerie. Le Pape Clément XII frappe alors d'excommunication tout fidèle et tout clerc s'engageant dans les rangs de la maçonnerie. En 1751, son successeur, Benoît XIV, confirme les condamnations déjà promulguées.

            Mais c'est le 20 avril 1884 que le Pape Léon XIII, dans son encyclique Humanum Genus, porte la condamnation la plus extrême et la plus sévère à l'encontre de la maçonnerie.

            Sous le titre, la franc-maçonnerie, rassemblement des forces du mal, le Pape écrit:

            "A notre époque, les fauteurs du mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide d'une société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des FRANCS-MACONS".

            Le Souverain Pontife rappelle en la circonstance les condamnations déjà faites par ses prédécesseurs:

            "Dans leurs vigilantes sollicitudes pour le salut du peuple chrétien, nos prédécesseurs eurent bien vite reconnu cet ennemi capital au moment où, sortant des ténèbres d'une conspiration occulte, il s'élançait à l'assaut en plein jour. Sachant ce qu'il était, ce qu'il voulait, et lisant pour ainsi dire dans l'avenir, ils donnèrent aux princes et aux peuples le signal d'alarme, et les mirent en garde contre les embûches et les artifices préparés pour les surprendre.

            Le péril fut dénoncé pour la première fois par Clément XII en 1738, et la constitution promulguée par ce Pape fut renouvelée et confirmée par Benoît XIV. Pie VII marcha sur les traces des Pontifes, et Léon XII, renfermant dans sa constitution apostolique Quo graviora tous les actes des précédents Papes sur cette matière, les ratifia et les confirma pour toujours. Pie VIII, Grégoire XIV et, à diverses reprises, Pie IX, ont parlé dans le même sens".

            Le Saint Père invite donc les fidèles à reconnaître la maçonnerie pour ce qu'elle est en réalité:

            "En premier lieu, arrachez à la franc-maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites-la voir telle qu'elle est."

            Les évêques sont rappelés à leur devoir pastoral:

            "Secondement, par Vos discours et par des Lettres pastorales spécialement consacrées à cette question, instruisez Vos peuples; faites-leur connaître les artifices employés par ces sectes pour séduire les hommes et les attirer dans leurs rangs, montrez-leur la perversité de leurs doctrines et l'infamie de leurs actes."

            Enfin interdiction est faite aux chrétiens de suivre la secte:

            "Il ne saurait être permis de se joindre à elle ni de lui venir en aide d'aucune façon."

            Car du point de vue catholique, il ne peut faire de doute que la maçonnerie appartient au camp opposé à l'Eglise. Et cette opposition, le Pape Léon XIII la stigmatise en des termes sans concession:

            "Depuis que, par LA JALOUSIE DU DEMON, le genre humain s'est misérablement séparé de Dieu, auquel il était redevable de son appel à l'existence et des dons surnaturels, il s'est partagé en deux camps ennemis, lesquels ne cessent pas de combattre, l'un pour la vérité et la vertu, l'autre pour tout ce qui est contraire à la vertu et à la vérité" (Léon XIII, Humanun Genus, -1884-).

            Au sein de l'Eglise, cette encyclique est pourvue d'une autorité incontestable; elle ne permet aucune conciliation avec la pensée maçonnique.

            Du reste, la maçonnerie s'embarrasse peu de se savoir comprise de l'Eglise et se refuse finalement à tout rapprochement:

            "On sait d'autre part qu'à l'issue de six années de rencontres entre les maçons et l'épiscopat allemand, lorsque les catholiques proposèrent un échange des textes rituels, les maçons s'y refusèrent. Ainsi prit fin un dialogue supposé servir à une meilleure connaissance réciproque" (Monseigneur Corrado Balducci, Adorateurs du Diable, éd. Téqui, -1994-).

            Quant au caractère proprement satanique des rites maçonniques, depuis la troublante affaire Léo Taxil, le mot circule que "quiconque pénétrera jusqu'aux hauts degrés de la maçonnerie s'apercevra qu'il s'agit d'adorateurs de Lucifer"!

            En tout état de cause, la chose est validée pour des personnages célèbres de la maçonnerie. On connaît en effet "l'Hymne à Satan" du fameux grand maître italien Giosuè Carducci. Et, celui qu'on reconnaît pour "le père du satanisme moderne", Aleister Crowley, fut parrainé par Théodore Reuss, franc-maçon de haut grade, et initié à Berlin en 1912 dans l'OTO (Ordre du Temple d'Orient). Crowley fut même par la suite encouragé à fonder une loge de l'OTO à Londres dont il prit la tête. Entre temps, il avait lancé à Berlin deux revues, Gnosis et Luzifer!

            C'est ce même homme qui déclarait:

            "Je suis ivre du puissant élixir qu'est la certitude d'être le Mystique le plus sublime de l'Histoire, d'être le Verbe d'un Eon, la Bête, l'Homme 666, le dieu auto-couronné que les hommes devront adorer et maudire au cours des siècles enroulés sur la navette du Temps" (Aleister Crowley, Livre de la Loi, -1904-).

            C'est dans ce livre qu'il annonçait la fin du christianisme et l'avènement de la religion crowleyenne, dont l'unique Loi est "fait ce que tu voudras"!

            Ses écrits n'empêchèrent pas comme on l'a vu la franc-maçonnerie allemande de l'Ordre du Temple d'Orient d'accueillir Crowley en son sein. Et l'on sait très bien que l'on ne rentre pas impunément dans la maçonnerie...

            La maçonnerie ignorerait-elle le satanisme de certain de ses membres? Sur le plan des idées, les maçons peuvent-ils être aussi différents même si la "liberté" maçonnique est soi-disant la règle?

            La liberté maçonnique garantirait-elle le respect de toutes les différences, jusqu'aux variations extrêmes les moins conciliables?

            "Ces variations sont inévitables dans la mesure où le principes traditionnel du "maçon libre dans la loge libre" impose à l'ordre maçonnique la nécessité de respecter toutes les croyances et la liberté des opinions, en fonction de la tolérance universelle qu'il a toujours défendue contre le dogmatisme et le sectarisme" (René Alleau, "La franc-maçonnerie", article de La grande encyclopédie Larousse, Tome 9, -1974-).

            Si c'est le cas, le satanisme a également sa place dans la maçonnerie. D'ailleurs les Carducci et les Crowley le prouvent.

            C'est ainsi que, même si la maçonnerie n'est pas de manière déclarée une secte satanique, elle y a trait par son goût prononcé pour l'occultisme et par les activités ésotériques de ses membres. Et comme l'écrit judicieusement Massimo Introvigne:

            "D'un point de vue historique et culturel, on ne saurait ignorer à quel point la "nouvelle religiosité" maçonnique a contribué à la création d'un état d'esprit favorable à l'éclosion des diverses formes de satanisme"(Massimo Introvigne, "L'occultisme, les loges de Satan", article cité par Mgr Balducci dans son ouvrage Adorati di Diavolo i rock satanico).

            Quant aux avertissements récents de l'Eglise, le lecteur pourra se reporter à la déclaration officielle de Monseigneur Ratzinger, qui, en 1983 et 1994, au nom de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a solennellement rappelé les mises en gardes et les réserves inquiètes de l'Eglise au sujet de la maçonnerie:

            "Le jugement négatif de l'Eglise sur la franc-maçonnerie demeure donc inchangé, parce que ses principes ont toujours été considérés comme incompatibles avec la doctrine de l'Eglise, c'est pourquoi il reste interdit par l'Eglise de s'y inscrire. Les catholiques qui font partie de la franc-maçonnerie sont en état de péché grave et ne peuvent s'approcher de la Sainte Communion" (A Rome, au siège de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, le 26 novembre 1983, Joseph, car. Ratzinger, préfet).

                                                b- condamnation du spiritisme

            Comme nous l'avons constaté dans un précédent paragraphe sous le titre le nouvel évangile, Rivail se réclame des évangiles, du message du Christ. Il semble également aller de soi selon cet auteur que si l'on se réclame du message du Christ on se réclame par la-même du Christ.

            Mais se réclamer du Christ est-ce pour autant le reconnaître pour ce qu'Il est en vérité?

            "Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question: "Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme?" Ils dirent: "Pour les uns, il est Jean-Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres encore, Jérémie ou quelqu'un des prophètes". - "Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je?" Prenant alors la parole, Simon Pierre répondit: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". En réponse, Jésus lui déclara: "Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux" (Saint Matthieu, 16.13-18).

            Le Christ n'est pas n'importe qui, et Sa Parole (Son message, Son Evangile) n'est pas dissociable de Sa personne: Il est le Verbe incarné.

            "Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu" (Saint Jean, 1.1).

            "Et le Verbe s'est fait chair et il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité" (Saint Jean, 1.14).

            Mais selon le spiritisme, le Christ n'est qu'un humain, ô combien estimable, mais bel et bien qu'un simple humain.

            "Le Christ n'est pas Dieu par nature, c'est l'envoyé de Dieu, un sage, peut-être le plus grand des sages, l'annonciateur de la charité humaine, le plus grand des spirites: on croit l'honorer beaucoup en lui concédant ce privilège. Mais s'il s'est élevé au sommet de l'humanité, il reste un homme" ("Le spiritisme", in Dictionnaire de spiritualité catholique, -1913-).

            La négation de la divinité du Christ est nettement marquée dans le spiritisme et cette négation interdit de la part de l'Eglise toute reconnaissance de quelque point que ce soit de la doctrine spirite.

            Ainsi, après la condamnation de la franc-maçonnerie, voici celle du spiritisme. L'Eglise, quant à sa condamnation du spiritisme, est tout aussi catégorique.

            La première autorité qui s'impose pour dénoncer le caractère diabolique de la pratique du spiritisme est la figure emblématique du saint Curé d'Ars:

            "Le Curé d'Ars, dont le regard perçait le monde du mystère, s'est montré d'une extrême sévérité pour les tenants de l'occultisme ou du spiritisme. "Qu'est-ce qui fait tourner les tables?" demandait-on un jour à une malheureuse énergumène qui injuriait les passants sur la place du village. "C'est moi! répondit cette femme qu'un esprit tourmentait... Tout cela, c'est mon affaire!" Le Curé d'Ars trouvait que ce jour-là l'infernal trompeur avait dit vrai" (Chanoine Francis Trochu, Le Curé d'Ars, St Jean-Marie-Baptiste Vianney (1786-1859), -1930-).

            Le très fort rayonnement de la personnalité du saint Curé d'Ars et sa douloureuse intimité avec le monde mystérieux des esprits (le Curé d'Ars, rappelons-nous, était harcelé tous les soirs dans sa cure par le démon) permettent de mesurer l'impact de sa condamnation du spiritisme comme diabolique. Et c'est encore lui que l'Eglise cite prioritairement pour signaler à l'attention des hommes les dangers du spiritisme. Aussi, sous la plume de Monseigneur Cristiani peut-on lire:

            "Mais quand on songe aux lumières toutes divines dont le saint Curé d'Ars s'est montré éclairé, tout au long de sa vie, aux nombreuses expériences qu'il a faites par les innombrables confessions qu'il a entendues, il est impossible de n'être pas impressionné par la certitude très catégorique qui fut toujours la sienne du caractère démoniaque de la plupart des opérations qui constituent le spiritisme à proprement dit.

            "Le Curé d'Ars voyait et savait des choses que nous ne voyons et ne savons pas. Son sentiment sur de tels sujets n'est pas négligeable, et c'est pourquoi nous avons cru devoir y insister, sans pour autant résoudre des problèmes aussi complexes que ceux de la métapsychique" (Mgr L. Cristiani, Présence de Satan dans le monde moderne, -1959-).

            Quant à la métapsychique, qui veut expliquer que des phénomènes nouveaux sont en jeu dans le spiritisme, tel que le magnétisme animal, il faut savoir que le 4 août 1856, le Tribunal de l'Inquisition romaine adressa aux évêque catholiques du monde entier une lettre officiel de l'Eglise condamnant l'usage du magnétisme, également en cause dans la pratique des tables tournantes.

            En ce qui concerne une condamnation du spiritisme à proprement dit, la voix de la hiérarchie ecclésiastique se fit entendre en France pour la première fois en 1853, c'est-à-dire aux débuts mêmes des expériences de tables tournantes. Ce fut l'Archevêque de Tour, Mgr Hippolyte Guibert, qui dans une célèbre lettre pastorale dénonça le premier avec énergie les pratiques spirites:

            "Depuis assez longtemps, nos très-chers coopérateurs, on se préoccupe beaucoup dans le monde de phénomènes étranges, que l'on attribue à nous ne savons quel agent mystérieux, et que l'on croit obtenir, en imposant les mains d'une certaine façon sur des tables ou même sur d'autres meubles. Ces tables se meuvent, s'agitent en sens divers, sans cause impulsive apparente, et répondent, dit-on, au moyen de signes convenus d'avance, aux diverses questions qu'on leur adresse.

            Ces expériences commencèrent en Amérique; on s'y livra d'abord avec une fureur inouïe, et l'on assure qu'elles ont donné naissance à une nouvelle secte qui s'est ajoutée aux mille sectes religieuses qui divisent ce pays. De là, cette fièvre s'est rapidement propagée en France, dans les villes surtout, où il n'y a presque pas de famille qui ne se soit procuré, pendant les soirées, le passe-temps de ces séances.

            Tant que ces opérations n'ont présenté que le caractère d'un exercice purement récréatif, ou que la curiosité n'y a cherché que les effets d'un fluide répandu dans la nature, notre sollicitude ne s'est point alarmée. Nous avons cru que cette mode passerait bien vite dans notre pays, dont l'esprit mobile recueille et rejette avec une égale facilité toutes les nouveautés qui apparaissent dans le monde.

            Aujourd'hui nous croyons qu'il est de notre devoir de donner des avertissements. Ces pratiques ont pris une toute autre direction: on s'y livre avec un esprit sérieux; on prétend s'en faire un moyen de renverser la barrière qui nous sépare du monde invisible, d'entrer en communication avec les esprits, de leur demander la révélation des événements futurs et des choses de l'autre vie, de s'élever enfin à un ordre de connaissances que notre esprit ne peut atteindre par ses forces naturelles. Ce qui, dans l'origine, ne paraissait qu'un jeu de physique amusante, ressemble tout à fait aujourd'hui aux opérations mystérieuses de la magie, de la divination ou de la nécromancie.

            Nous admettons bien volontiers l'excuse de l'entraînement, et nous reconnaissons que, jusqu'ici du moins, on n'a pas apporté des intentions mauvaises, ni un esprit hostile à la religion dans ces expériences. Mais si les personnes qui s'y livrent veulent bien se soustraire pour un moment aux trompeuses impressions de l'imagination et réfléchir dans le calme, elles apercevront tout ce qu'il y a de témérité dans la prétention de sonder les secrets cachés à notre vue, et se convaincront facilement que les moyens employés dans ce but ne sont rien moins que des pratiques absurdes, pleines de périls, superstitieuses, que l'on croirait renouvelées du paganisme.

            Il y a sans doute des relations entre l'intelligence de l'homme et le monde surnaturel des esprits. Ces relations sont nécessaires, elles sont surtout douces et consolantes pour la pauvre créature exilée dans cette vallée de larmes. Mais Dieu ne nous a pas laissé la puissance de nous élancer dans cet autre monde par toute les voies que l'imprudence humaine tenterait de s'ouvrir. Il nous commande de nous élever jusqu'à son essence infinie par l'adoration, par la prière, par la contemplation de ses divins attributs; il livre à nos âmes l'aliment divin de l'Eucharistie, où le ciel et la terre ne sont séparés que par un voile; il veut que, du fond de notre misère, nous puissions invoquer l'intercession des anges et des saints qui assistent autour de son trône; il a même établi, entre nous et les âmes qui achèvent de se purifier de leurs fautes, une loi de charité qui nous permet de leur appliquer le mérite de nos oeuvres et de nos propres satisfactions. Ainsi la prière, l'invocation, les sacrements, le sacrifice de la messe, les pratiques saintes de l'Eglise, voilà les liens sacrées qui unissent la terre au monde supérieur. Vouloir y pénétrer par une autre route, chercher à découvrir par des voies naturelles les mystères cachés du ciel, ou les redoutables secrets de l'enfer, c'est la plus folle et la plus coupable entreprise: c'est tenter de troubler l'ordre providentiel et faire d'inutiles efforts pour franchir les limites posées à notre condition présente...

            Ces réflexions ne s'appliquent-elles pas avec une égale justesse à la témérité de ceux qui tente de connaître les choses futures par les expériences dont nous parlons? L'avenir est couvert à nos yeux d'un voile impénétrable...

            Comment cette société pourrait-elle exister un seul jour avec la connaissance claire et distincte de l'avenir? Qu'on se figure ce qui arriverait, si tout à coup une clarté subite nous dévoilait toute la suite de nos destinées et celles de nos semblables, les biens comme les maux, la vie et la mort, dans le temps et dans l'éternité? A l'instant, le trouble et l'effroi seraient partout; tous les liens se briseraient à la fois, et le monde moral rentrerait dans le néant. Apprenons donc à respecter la sainte obscurité dont la Providence a enveloppé notre existence sur la terre: car, tout ce que nous ferions pour écarter les nuages qui nous cachent les choses futures, serait une tentative insensée de révolte contre les lois de la sagesse éternelle.

            Mais si l'homme doit se renfermer dans le cercle que la main de Dieu a tracé autour de lui, ne serait-il pas doublement coupable d'employer, pour franchir cette limite, des moyens qui ne sont pas moins réprouvés par la religion que par les lumières de la droite raison? Or, que fait-on pour parvenir à la connaissance des secrets que Dieu a dérobé à notre investigation? On interroge, dans les expériences des tables parlantes, les anges restés fidèles à Dieu, et les saints qui, par leur victoire, sont devenus semblables aux anges; on évoque les âmes des morts qui achèvent leur expiation dans le purgatoire; on ne craint pas même d'interpeller les démons, ces anges déchus de leur principauté, et les âmes de ceux qui ont mérité par leur infidélité de partager leurs supplices; enfin on se met en communication avec nous ne savons quelle âme du monde, dont la nôtre ne serait qu'une émanation.

            Or, tout cela n'est-il pas la reproduction des erreurs grossières, des pratiques superstitieuses que le christianisme a combattues à son apparition dans le monde, et qu'il a eu tant de peine à déraciner parmi les peuples idolâtres et barbares, en les ramenant à la vérité? Le paganisme attachait un esprit ou un génie à tous les objets physiques. Il avait des augures et des devins pour prédire les choses futures; ses pythonisses, élevées sur la table à trois pieds et agitées par le dieu, lisaient dans l'avenir. Tout le culte idolâtrique n'était qu'une communication incessante avec les démons. Socrate conversait avec son démon familier; Pythagore croyait à l'âme du monde, qui anime, selon lui, les différentes sphères, comme l'esprit anime notre corps. Le poète Lucain a décrit les mystères dans lesquels on se mettait en rapport avec les mânes des morts: et, dans des temps plus reculés encore, on évoquait ces âmes de l'autre monde pour leur demander la révélation des choses cachées, puisque, au livre du Deutéronome, Moïse déclare que Dieu a en abomination ceux qui demandent la vérité aux morts. Ainsi, le Sage l'a dit avec vérité: "Il n'y a rien de nouveau sous le soleil."

            Il n'est pas surprenant que des hommes légers, et qui ne sont pas profondément pénétrés du sentiment religieux, se laissent entraîner, par l'amour du merveilleux, dans ces voies ténébreuses; mais ce qui étonne, c'est que des chrétiens éclairés de la pure lumière de la foi ne soient pas suffisamment défendus contre ces étranges aberrations par l'instinct, ordinairement si sûr, de la vraie piété. Sont-ce les anges et les âmes des saints, leur dirons-nous, dont vous cherchez le commerce dans vos puériles expériences? Vous croyez donc que le Créateur a soumis ces sublimes esprits à vos volontés et à tous les caprices de votre fantaisie?

            Etait-il jamais venu dans la pensée d'un chrétien que Dieu eût créé ces esprits si élevés, qui sont ses amis et les princes du ciel, pour en faire les esclaves de l'homme; qu'il les eût mis aux ordres de notre indiscrète curiosité; qu'il les eût, pour ainsi dire, enchaînés à tous les meubles qui décorent nos appartements, et qu'il voulut enfin les contraindre de répondre à l'appel injurieux qu'on leur adresse en tourmentant une table sous la pression des mains? Nous avons bien lu dans les livres sacrés que l'homme a été fait roi de la terre, et à ce titre il a reçu l'empire sur tous les animaux créés pour son usage; mais nous ne voyons nulle part qu'il ait été établi roi du ciel; et que les célestes hiérarchies aient été assujetties à ses volontés si mobiles et si souvent injustes. Il n'y a donc rien moins, dans les expériences auxquelles vous vous livrez, qu'une profanation de la sainteté de l’œuvre divine et une insulte grossière au bon sens chrétien.

            Que dirons-nous maintenant à ceux qui ne craignent pas de s'adresser à l'enfer pour en évoquer l'esprit de Satan? car c'est à cet esprit que l'on fait jouer le rôle principal et le plus ordinaire! Certes, ce n'est pas nous qui mettons en doute l'intervention funeste des anges déchus dans les choses humaines. Nous ne savons que trop qu'ils sont pour l'homme de méchants conseillers, qu'ils sèment sous ses pas des pièges séducteurs, qu'ils réveillent les passions assoupies en agissant sur l'imagination, et qu'ils fomentent le foyer impur de la triple concupiscence.

            Comment enfin peut-on envisager sans frayeur, et regarder comme exemptes de péril pour le salut éternel, ces communications avec les esprits de l'abîme? Démons ou damnés, ils sont les uns et les autres les victimes de la justice divine; Dieu les a maudits, il les a retranchés de la vie, qui est en lui seul. Et vous, qui aspirez à l'amitié et à l'éternelle possession de Dieu, pouvez-vous croire qu'un commerce familier vous soit permis avec ceux qui sont dans la mort éternelle? Nos rapports avec ces êtres dégradés et malfaisants, ne peuvent être que des rapports de haine, de malédiction, de répulsion absolue; et vous voudriez, vous, en établir d'amusement, de curiosité, je dirais presque de bienveillance! Avez-vous donc oublié la parole de saint Paul: il ne peut exister de commerce entre la lumière et les ténèbres, ni d'alliance entre Jésus et Bélial; et cette autre du même apôtre: Nous ne pouvons participer en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons... Ainsi, tout se réunit pour vous faire repousser les pratiques dont il est question; tout vous les montre impies, superstitieuses, condamnables à toutes sortes de titres.

            Est-il nécessaire, après ce que nous avons dit, que nous parlions de ces communications avec les âmes séparées de nous, mais qui ne sont pas encore unies à Dieu, attendant dans le purgatoire le jour de la délivrance? L'Eglise a déterminé nos rapports avec ces âmes saintes; elle veut que nous les consolions par un souvenir pieux, que nous intercédions pour elles, que nous leur appliquions le mérite de nos suffrages et de nos bonnes oeuvres. Mais l'Eglise ne peut approuver que nous plongions notre regard dans ce lieu d'expiation et de larmes, autrement que pour en rapporter une crainte salutaire pour nous, et une utile compassion pour ces âmes souffrantes; bien moins encore que nous insultions à leur misère en voulant les faire servir à la satisfaction de notre vaine curiosité. Ah! dans un sentiment de respect pour la douleur qui les oppresse, ne leur demandons jamais d'autre parole que ce cri touchant par lequel elles implorent sans cesse notre pitié: "Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, vous du moins qui êtes nos amis, car la main du Seigneur s'est appesantie sur nous."

            Nous pourrions si nous voulions faire un traité,  pousser ces réflexions plus loin et les appuyer d'une ample démonstration. Rien ne serait plus facile que d'accumuler un nombre infini de textes des livres saints, des Pères et des Conciles, qui renferment de la manière la plus claire la condamnation des pratiques contre lesquelles nous nous élevons, ou du moins, des pratiques d'une nature entièrement semblable. Mais ce que nous avons dit suffit aux chrétiens qui veulent marcher dans la droiture et la simplicité de l'Evangile. Quelle que soit du reste l'opinion qu'on se forme à cet égard, la force de nos observations subsiste. Que les phénomènes dont nous parlons soient véritables, ou qu'on les regarde comme de pures créations de l'exaltation de l'esprit, on doit renoncer à des expériences qui, dans le premier cas, portent une atteinte sacrilège à l'ordre établi par la Providence, ou qui, dans le second, ne servent qu'à entretenir des illusions fantastiques.

            Si nous avons peu de foi à la présence de ces esprits qu'on invoque au moyen des tables, nous n'en sommes pas moins intimement convaincus que ces expériences sont une des mille ruses de satan pour perdre les âmes. La foi nous apprend qu'il est d'une fécondité inépuisable dans les inventions de sa malice. Il sait même, quand il le faut, se transformer en ange de lumière, pour produire plus sûrement la séduction. Voyez la marche habile et pleine d'astuce de ce serpent infernal! D'abord, il ne préoccupe les esprits que du mouvement des tables, ce sont des expériences de physique récréative; il pousse ensuite à la recherche des causes, en assigne le fluide magnétique. Quoi de plus innocent jusque là? Ce premier succès obtenu, il s'empare de cette disposition naturelle qui pousse l'homme vers tout ce qui est merveilleux, pour l'entraîner plus loin: et les tables qui tournaient d'abord deviennent bientôt des tables qui frappent, puis enfin des tables parlantes, animés par des esprits de toutes sortes. C'est ainsi que celui qui est homicide dès le commencement abuse de la faiblesse et de la simplicité de l'homme pour l'engager pas à pas en des voies ténébreuses, jusqu'au moment où il le précipite dans l'abîme. C'est la tactique perverse qu'il suivit pour tromper nos premiers parents; c'est elle qu'il employa pour introduire parmi les peuples les erreurs et les superstitions les plus coupables; c'est la ruse dont il se sert aujourd'hui pour entraîner les esprits dans de funestes égarements.

            Obligé, N.T.C.C., par les devoirs de notre charge, de prémunir les fidèles contre les pièges du père du mensonge, de veiller à la pureté de la foi et à l'honneur du nom chrétien, nous avons jugé à propos de vous adresser ces réflexions. Vous emploierez tous les efforts de votre zèle sacerdotal, et avant tout, l'autorité de votre exemple, pour éloigner de ces damnables pratiques tous ceux de vos paroissiens qui seraient assez imprudents pour s'y livrer.

            Donné à Viviers, sous notre seing, le sceau de nos armes et le contre-seing de notre secrétaire, le premier dimanche de l'Avent, 27 novembre 1853." (Lettre pastorale de Mgr H. Guibert, citée en annexe de l'ouvrage de l'Abbé Clovis Poussin: Le spiritisme devant l'histoire et devant l'Eglise, sa nature, sa certitude, ses dangers, Paris, -1866-).

            Aujourd'hui encore des évêques sont amenés à condamner le spiritisme. Les temps changent mais certaines pratiques occultes demeurent...

            En date du 15 avril 1994, une lettre pastorale de la Conférence des évêques de Toscane porte sur le spiritisme le jugement suivant:

            "La pire expression de la divination, et la plus grave, est la nécromancie ou spiritisme, c'est-à-dire le recours aux esprits des morts pour entrer en contact avec eux et dévoiler l'avenir ou un de ses aspects. Les séances de spiritisme appartiennent à ce genre de magie. Au cours de ces séances, les participants et les médiums (édition moderne des anciens nécromanciens) s'efforcent d'invoquer les âmes des défunts (par exemple, de soi-disant enregistrements de voix d'outre-tombe): en réalité ils introduisent une forme d'aliénation par rapport au présent et font une mystification de la foi dans l'au-delà, généralement par des trucages, agissant de fait comme des instruments de forces du mal qui s'en servent souvent à des fins destructrices, destinées à confondre l'homme et à l'éloigner de Dieu" (Magie et démonologie, Lettre pastorale de la Conférence des évêques de Toscane, -1994-, en français dans La documentation catholique, n°2104, 20 nov. 1994).

            En conclusion générale de ce chapitre sur le spiritisme, plusieurs choses importantes pour notre sujet de l'apocatastase peuvent être dégagées avec évidence.

            La première et non la moindre, c'est que le point fondamental de la doctrine spirite affirme qu'"il n'y a pas d'enfer éternel!". C'est l'affirmation capitale de la religion spirite. Tout le reste ne semble là, dans toute cette affaire de tables tournantes, que pour "épater la galerie!".

            La seconde étape, acquise après analyse, c'est que l'Eglise condamne fermement le spiritisme comme étant une forme patente de commerce avec le démon. Ce qui implique, du point de vue de la croyance chrétienne, que c'est le diable qui s'exprime à travers les messages des tables tournantes; que ce soient par les tables de Jersey ou d'ailleurs comme nous l'avons vu.

            Nous en arrivons donc au point où nous pouvons conclure que c'est le diable lui-même qui prêche aux hommes l'apocatastase!!!

            On conviendra en effet qu'il soit logiquement le premier intéressé par la chose, étant donné qu'il est selon l'enseignement de l'Eglise le premier des damnées.

            Aussi, de deux choses l'une, soit le diable souhaite sincèrement se repentir et en exprime-t-il son désir par le moyen du contact des tables, pour gagner nos faveurs et nos prières, comme le suggère Papini afin qu'il puisse regagner le ciel, soit, au contraire, s'agit-il d'un piège foncièrement maléfique, visant à tourmenter les hommes et à leur faire partager une fois de plus sa révolte contre Dieu?

            Il ne reste donc plus qu'une seule alternative: chercher à comprendre, pour autant que cela soit possible, quel fut la "nature" du péché du diable.

            Ce péché de l'ange est-il pardonnable?

            S'il s'avérait que ce péché est irrémissible, l'apocatastase pourrait bien apparaître comme un mensonge d'une profonde perversité...