Chapitre IV - Le péché de l'ange
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IV- Le péché de l'ange

            Ce chapitre s'avère délicat. La question qu'il pose paraît désagréable et elle l'est: qui est le diable?

            - c'est l'ennemi de Dieu et de l'homme, mais jusqu'à quel point?

            - c'est le premier fauteur du mal, mais quelle est la "nature" de ce mal?

            Autant de questions aussi difficiles que taboues. Cependant, on ne peut plus avancer dans cette étude de l'apocatastase sans chercher à identifier, pour peu que cela soit possible, le mystérieux péché de l'ange. Etant donné que le diable nous prêche lui-même l'apocatastase, il devient urgent de savoir si la chose est sincère ou mensongère: à savoir, la faute du diable est-elle pardonnable?

            C'est à la lumière des enseignements de l'Eglise que s'élaborera notre réflexion.

            Il s'agira de découvrir à qui revient la responsabilité du mal:

            A Dieu? A l'homme? A l'ange?

            D'où trois points:

            - premièrement: origine du mal au regard de l'acte créateur.

            - secondement: la faute de l'homme (le péché originel).

            - tertio: le péché de l'ange rebelle.

                        1/ Origine du mal au regard de l'acte créateur

            D'où vient le mal?

            Différentes hypothèses sont envisageables:

                        1- de Dieu?!

                        2- d'un dieu (principe du mal)

                        3- d'une créature

            * Les deux premières hypothèses (1- et 2-) seront abordées sous les titres: A/ Dieu peut-il être mauvais? et B/ La vision manichéenne

            * La troisième hypothèse sera présentée sous le titre: E/ Le mal vient de la créature.

            * Conjointement, une tentative de définition du bien et du mal sera explorée sous les deux titres suivants: C/ Le bien comme unique absolu et D/ La "nature" du mal.

                                    A/ Dieu peut-il être mauvais?

            Cette hypothèse voudrait que Dieu ait créé le monde mauvais et qu'il fût donc lui-même à l'origine du mal. Mais alors, d'où viendrait le bien?

            Cette hypothèse est absurde parce qu'elle est désespérante et qu'elle va à l'encontre de notre nature profonde, en qui est inscrite la quête du bonheur, et dont la satisfaction absolue est Dieu lui-même.

            Ce désir d'être heureux, que nous ressentons intimement, revêt une force bien vivante en nous. Ce désir a une origine et doit avoir une satisfaction:

            "Un désir de la nature ne saurait être vain: en d'autres termes, il faut que les tendances naturelles d'un être soient satisfaites. Les philosophes les plus célèbres: Platon, Aristote, Cicéron l'ont proclamé. Les sciences sont unanimes à le reconnaître. Que la nature ne fait jamais rien en vain et que les instincts sont toujours en rapport avec des objets réels, il serait facile d'en apporter de nombreuses preuves: les ailes de l'oiseau atteste l'existence de l'air; la nageoire du poisson, l'existence de l'eau; l’œil prouve la lumière, et la faim suppose une nourriture. Si, par conséquence, il y a chez l'homme un désir irrésistible d'idéal et de bonheur, c'est qu'il doit exister un Dieu capable de l'assouvir un jour" (Abbé Boulenger, Manuel d'Apologétique, p.52, -1920-).

            Si Dieu existe, il va de soi qu'il soit apte à assouvir notre désir de bonheur.

            Si Dieu était mauvais, notre désir serait impensable et sa motivation absurde!

            Dans cette perspective d'une croyance en un Dieu mauvais, la croyance en l'existence de Dieu semble affirmée, cependant, son existence résonne comme l'écho d'une malédiction pour l'homme. Aussi l'homme s'empresserait-il de s'y soustraire en rejetant l'existence même de ce Dieu. Cette croyance porte en elle-même son propre rejet, ce qui est absurde!

            Et puis, comment les hommes, créatures de ce Dieu mauvais, pourraient-ils désirer un bonheur que Dieu lui-même, étant soi-disant maléfique, condamnerait? Il y a là une contradiction proprement impensable, insoutenable.

            La croyance en Dieu implique obligatoirement que Dieu est bon.

            Croire en Dieu et penser le contraire serait profondément pervers. Et le prophète Isaïe condamne ceux qui seraient capables de se mentir à ce point, en inversant toutes les valeurs et en ruinant ainsi tous les espoirs:

            "Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l'amertume en douceur et la douceur en amertume!" (Isaïe, 5.20).

                                    B/ La vision manichéenne

            Certains, comme les manichéens, les cathares ou les bogomiles, ont dit que Dieu est bon, mais ils ajoutaient aussitôt que le mal s'oppose au bien comme un principe coexistant.

            La vision manichéenne est celle justement d'un dualisme divin, opposant un principe bon à un principe mauvais. Le divin serait partagé entre un principe bon, spirituel et lumineux, dans une lutte sans fin avec un principe mauvais, matériel et ténébreux. C'est là l'erreur de Manès (ou Mani), qui au IIIème siècle de notre ère, a donné son nom au manichéisme.

            La solution du dualisme manichéen quant à l'origine du mal pose problème: elle fait du mal l'image-miroir du bien. Les images du bien et du mal sont alors parfaitement renversées et réfléchies en opposition point par point l'une de l'autre. L'identification du bien du mal n'est possible que dans leur constante et réciproque opposition. Le bien n'existe qu'avec le mal et le mal qu'avec le bien! Ce qui veut dire qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre. Le mal devient ainsi une fatalité cosmologique. Le bien n'a donc pas d'antériorité de principe sur le mal. Dans son fondement, l'univers n'est ni bon ni mauvais, il s'oppose sans fin entre ces deux principes.

            Pour répondre aux manichéens, on peut dire avec Saint Thomas d'Aquin que:

            "Les ténèbres ne sont pas contraires à la lumière, mais sont sa privation" (De Malo, Question 1, article 1, solution 5).

            Selon le saint théologien, le mal n'est pas le contraire du bien mais sa privation. A méditer...

            Revenons-en au schéma de pensée des manichéens: pour eux, la création en tant que telle est conçue comme une chute. Le monde matériel appartient lui-même au principe mauvais et le but des êtres sera de réintégrer la lumière (le principe bon) d'où ils sont tombés. L'incarnation est un mal!

            Or dans la bible on peut lire:

            "Dieu dit: "Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent et qu'apparaisse le continent" et il en fut ainsi. Dieu appela le continent "terre" et la masse des eaux "mers", et Dieu vit que cela était bon" (Genèse, 1.9).

            "Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon" (Genèse 1.25).

            "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il les créa, homme et femme il les créa" (Genèse, 1.27).

            "Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon" (Genèse, 1.31).

            Pour le chrétien, la création est une bénédiction divine, car, comme il est écrit dans la Genèse, le monde matériel est une oeuvre bonne et l'existence humaine un bien.

                                    C/ Le bien comme unique absolu

            Dieu ne peut pas être mauvais parce que justement il est Dieu.

            "Je suis celui qui est", dit le Seigneur.

            Rien n'existant avant lui, Dieu est la norme, la règle, le principe, l'existence même.

            Celui dont l'existence est sans précédent, dont le principe n'a pas de cause, dont l'essence est d'être nécessaire, dont la présence est indépassable, ne peut apparaître que comme le bien. Car étant avant toute chose absolument, nul autre que Lui-même ne peut prétendre être la règle de l'univers. Etant l'unique absolu, Dieu impose la définition même du bien qui n'est autre que Lui-même.

            Pour le chrétien, Dieu est le souverain bien. Il est le bien car il est le seul bien qui soit. "Un seul est le bon", dit le Christ au jeune homme riche en parlant de Dieu (St Matthieu, 20.17).

            Oserait-on encore demander pourquoi le bien est le bien? Il faudrait répondre que le bien est le bien parce qu'il est l'unique principe et qu'il n'en existe pas d'autre.

            En Dieu donc, le mal ne peut exister. Dans les attributs que nous donnons à Dieu, unité, simplicité, immutabilité, éternité, immensité, intelligence parfaite, volonté toute puissante, amour infini, le mal n'a aucune signification et est exclu par définition du divin.

            "Aussi, s'il existe un bien qui est un acte pur et ne possède aucun mélange de puissance (c'est-à-dire, qui n'est pas en devenir et donc pas sujet au changement), et tel est le cas de Dieu, le mal ne peut en aucune façon exister dans un tel bien" (Saint Thomas d'Aquin, De Malo, Q.1, a.2, réponse).

            Pour les chrétiens, Dieu est une personnalité distincte du monde et c'est Lui qui a créé toute chose et tout être.

            Le mal n'existant pas avant la création, la création fut elle-même créée bonne:

            "Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon" (Genèse, 1.31).

                                    D/ La "nature" du mal

            Si le mot "nature" est entre guillemet, c'est justement pour bien montrer que la créature qui commet le mal n'est pas mauvaise par nature, ce qui, dans le cas contraire, ferait remonter la faute de ce mal jusqu'au créateur, Dieu.

            Qu'est-ce donc que le mal?

                        * Le mal est-il un être, une personne?

            Le mal n'est pas un être car aucune créature n'a été créée mauvaise.

            Nous avons vu en effet que le mal n'a aucune existence en Dieu et donc aucune non plus dans Son oeuvre qui émane de Lui.

            De plus, le mal n'est pas un être car tout être est un bien par le seul fait qu'il existe. Toute existence est bonne!

            "Tout sujet est bon puisqu'il existe, parce que le bien et l'être reviennent au même" (Saint Thomas d'Aquin, De Malo, Q.1, a.2).

                        * Le mal est-il seulement quelque chose?

            Le mal n'est pas une réalité existante: "Ainsi donc, le fait même d'exister, en tant qu'il est désirable, est un bien. Il faut donc que le mal, qui s'oppose universellement au bien, s'oppose aussi au fait d'exister (de toute évidence, la mort est un mal). Or ce qui est opposé au fait d'exister ne peut être une réalité existante. Aussi je dis que ce qui est mal n'est pas quelque chose" (St Thomas d'Aquin, De Malo, Q.1, a.1, réponse).

            Le mal ne peut pas exister par lui-même. Le mal n'a pas d'existence propre.

            La seule chose que l'on puisse dire, c'est que mal est absurde. Le mal est absurde et c'est pourquoi il est enduré comme un mal. Ainsi le mal, qui n'est pas une réalité existante, implique cependant un sujet qui endure son absurdité.

            Il paraît difficile de dire que le mal soit autre chose qu'une absurdité: le mal n'a aucun sens ni aucune raison d'être.             Seulement, d'une manière absurde, et c'est inconcevable autrement qu'une absurdité, le mal vient de la créature.

                                    E/ Le mal vient de la créature

            Cette créature, pour autant qu'elle soit la plus maléfique, comme l'est le diable, n'est cependant pas la forme créée du mal. Le diable n'est en aucun cas la forme créée du mal.

            "Nous sommes donc amenés à envisager le mystère de satan. Ce nom, comme on sait, n'est pas propre mais seulement approprié: il signifie l'"adversaire". Quoique saint Jean l'appelle "le prince de ce monde" (13.31) et saint Paul plus vigoureusement encore "le dieu de ce siècle" (II Cor. 4.4), l'on ne doit pas voir en lui le dieu mauvais des manichéisme, ni le Mal absolu, ou comme dit un Concile "la substance du mal" (D.237). C'est donc, à notre sens, dévier de la vérité par amour du clinquant verbal que de dire, comme font certains auteurs contemporains: "le mal, c'est quelqu'un". Le mal est quelqu'un si on le personnifie, par figure de rhétorique, comme le péché, la mort ou la loi chez saint Paul. Mais il faut être saint Paul pour avoir le droit de parler comme saint Paul. Prendre à la lettre des expressions qui sont de toute évidence imagées dans l'Ecriture, c'est la trahir. Quant à pasticher son style pour exprimer une idée qu'elle ne contient pas, et qui de plus est fausse, cela n'a pas de nom" (Chanoine Roger Verneaux, Problèmes et mystères du mal, Ch.V, -1983-).

            Faut-il par là-même se laisser aller à dire que le diable n'est qu'une représentation symbolique de l'idée du mal? Certainement pas, il ne faut pas tomber dans ce piège là non plus, le diable est une personne et une personne vouée au mal.

            Dieu a créé les anges et les hommes bons. Il les a créés pour qu'ils vivent dans Son amour. Les anges et les hommes sont des créatures douées de volonté et libre d'accueillir l'amour de Dieu.

            L'Eglise enseigne que le mal vient de la créature. La religion catholique établit que c'est un ange en révolte contre Dieu qui a entraîné à sa suite l'homme dans le mal:

            "Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice opposée à Dieu, qui par envie, le fait tomber dans la mort. L'Ecriture et la Tradition de l'Eglise voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou diable. L'Eglise enseigne qu'il a été d'abord un ange bon, fait par Dieu. "Le diable et les démons ont certes été créés par Dieu naturellement bons, mais c'est eux qui se sont rendus mauvais" (Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°391, -1992-).

            Il y a donc péché de l'homme que l'on appelle péché originel et tentation de l'ange rebelle nommé Satan, cet ange rebelle qui fit tomber l'homme à sa suite dans le péché, le séparant ainsi de Dieu et faisant entrer le mal dans le monde créé.

            Cette tentation du diable, renvoie elle-même a un péché de l'ange.

            Nous étudierons donc dans un premier temps le péché originel et dans un second temps le péché de l'ange à proprement parlé.

            Le péché de l'homme ressemble à celui du diable qui lui a inspiré le mal, mais il s'en distingue toutefois grandement comme nous le verrons.

                        2/ Le péché originel

                                    A/ "Nature" de la faute de l'homme

            * Quel rapport l'homme entretient-il avec le mal?

            * Quelle faute recèle ce péché originel?

            * Comment ce péché a-t-il été possible?

            Ces trois questions sont lourdes de sens. Elles tournent autour d'une interrogation extrêmement provocatrice: "L'homme pouvait-il ne pas pécher?"

            Car, comme me l'a un jour déclaré un ami nommé Eric, "l'homme étant imparfait, il ne pouvait pas ne pas pécher!".

            Il est vrai que l'homme qui habite l'Eden est en quête de perfection: "Yavhé Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder" (Genèse, 2.15). Cependant, si cette perfection de l'être se trouve en Dieu seul, l'homme est invité à y participer, à en vivre lui aussi. De plus, cette quête de Dieu est une recherche libre:

            ""C'est lui qui au commencement a fait l'homme et il l'a laissé à son conseil" (Siracide, 15.14). Reprenant les paroles du Siracide, le Concile Vatican II explique ainsi la "vraie liberté" qui est en l'homme "un signe privilégié de l'image divine": "Dieu a voulu laisser l'homme à son conseil pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude". Ces paroles montrent à quelle admirable profondeur de participation à la seigneurie divine l'homme a été appelé: elles montrent que le pouvoir de l'homme s'exerce, en un sens, sur l'homme lui-même. C'est là un aspect constamment souligné dans la réflexion théologique sur la liberté humaine, comprise comme une forme de royauté" (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, -1993-).

            Cette perfection, pour laquelle l'homme est fait, est la vie plénière en Dieu. En attendant cette pleine communion avec son Créateur, on peut dire que l'homme est encore en effet imparfaitement accompli.

            Dieu accorde en toute gratuité, par Sa grâce, à l'homme de vivre avec lui. Le péché du premier homme a consisté en l'abandon de cette grâce généreuse mais indispensable. L'homme a cru pouvoir vivre sans le besoin de Dieu.

            Mais voyons pour bien faire, le récit du péché originel que l'on trouve dans la Bible au Livre de la Genèse:

            "Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yavhé Dieu avait faits. Il dit à la femme: "Alors, Dieu a dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin?" La femme répondit au serpent: "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort." Le serpent répliqua à la femme: "Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal." La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir l'entendement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux à tous les deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent des feuilles de figuiers et se firent des pagnes.

            Ils entendirent le pas de Yavhé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l'homme et la femme se cachèrent devant Yavhé Dieu parmi les arbres du jardin. Yahvé Dieu appela l'homme: "Où es-tu?" dit-il. "J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché." Il reprit: "Et qui t'a appris que tu étais nu? Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger!" L'homme répondit: "C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé!" Yavhé Dieu dit à la femme: "Qu'as-tu fait?" et la femme répondit: "C'est le serpent qui m'a séduite, et j'ai mangé." (Genèse, 3.1-13).

            Ainsi, l'homme pouvait-il ne pas pécher?

            Certain prétexteront que le "piège" était imparable car l'homme, ignorant le bien du mal, ne pouvait que s'égarer à faire le mal à un moment ou à un autre. En effet, il est dit que Dieu a interdit à l'homme de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal: "Et Yahvé Dieu fit à l'homme ce commandement: "Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car alors le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement" (Genèse, 2.16-17).

            Doit-on en conclure qu'Adam et Eve ignoraient le bien et le mal? Ainsi, n'auraient-ils pas été capables de faire un choix libre, étant ignorant du bien à accomplir et du mal à éviter?

            Cependant, est-ce la Loi divine qui est contenue dans l'arbre défendu?

            Non, absolument pas! La loi divine n'est pas contenue dans le fruit défendu mais elle est constituée par les paroles mêmes que Dieu a adressées à Adam et Eve:

            1/ ce qui est bien, Dieu le leur a dit: "Tu peux manger de tous les arbres du jardin" (2.16).

            2/ ce qui est mal: "Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: "Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort"" (3.3).

            Ainsi l'homme sait déjà, de la bouche même de Dieu, le bien à faire et le mal à éviter. Dieu a informé l'homme, et cette connaissance du bien et du mal, l'homme l'a possède dans la Loi que son Créateur lui a donné.

            "Assurément, l'homme est libre du fait qu'il peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu" (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, Ch I: La liberté et la loi, -1993-).

            L'homme est donc apte dès ce moment là à faire un choix libre entre le bien et le mal.

            Alors se demandera-t-on, quel est le sens de cette "connaissance du bien et du mal" contenue dans le fruit de l'arbre défendu?

            Il apparaît évident que la dégustation du fruit n'apportera rien de plus à la liberté que Dieu a donné à l'homme en le créant libre. En connaissant la Loi divine, l'homme est libre de faire un choix libre. Seulement voilà, l'arbre de la connaissance n'est pas porteur de la Loi mais de sa transgression; l'arbre défendu est, quant à la connaissance du mal, non pas l'arbre de l'interdiction du mal mais l'arbre de la cause du mal.

            En mangeant du fruit défendu, l'homme veut avoir la connaissance du bien et du mal, en tant qu'il veut savoir le pourquoi du bien et du mal; et selon lui, la connaissance de ceux-ci, c'est savoir leur cause.

            * Comme nous l'avons déjà vu, réclamer le pourquoi du bien est une ineptie totale car Dieu est: "Je suis celui qui suis". Le bien ignore le pourquoi, il est, simplement et uniquement.

            Aussi, en posant le pourquoi du bien en mangeant le fruit défendu, l'homme passe-t-il à côté de Dieu. L'homme interroge l'existence du bien alors que c'est la vie même. En voulant trouver une cause au bien, il se coupe alors de la source de la vie, cherchant autrement qu'en Dieu une réponse qui n'existe nulle part ailleurs. En cherchant ailleurs qu'en Dieu le bien, alors qu'"un seul est le bon", l'homme se sépare de la source de la vie, ce contre quoi Dieu l'avait mis en garde: "Tu mourras certainement".

            * Quant à connaître le mal, cela revient à rechercher sa cause; et la cause du mal, supposée enfermée dans le fruit, n'est autre que le péché même que commettent Adam et Eve en mangeant le fruit défendu. Connaître le mal dans sa cause, c'est l'avoir commis! Le contenu du fruit de l'arbre est directement lié à la rébellion de l'homme contre Dieu. La consommation du fruit implique l'expérience du mal, alors que le fruit par lui-même ne renferme aucune forme préexistante du mal. L'éclosion du mal, que constitue le péché, n'est liée au fruit que par le désir et la consommation que l'homme en conçoit et en fait.

            Le mal n'a donc pas à proprement parlé de réalité existante dans le fruit (le mal n'est pas quelque chose rappelons-nous avoir dit), mais il est "en cause" dans la volonté de l'homme de transgresser la Loi de Dieu. Le fruit se rapporte à une question dont l'homme pose le "pourquoi?" en dehors de Dieu, transgressant ainsi la Loi divine en consommant effectivement le fruit "en question". Cependant, le péché ne se confond pas entièrement avec la volonté, il procède d'une actualisation de cette première inclination néfaste: au désir de manger le fruit, fait suite l'action concrète de le manger.

            "Le péché d'Adam a consisté dans une désobéissance à l'ordre établi par Dieu. La matérialité de l'acte importe peu. Quel était cet "arbre de la connaissance du bien et du mal" dont parle la Genèse? Symbole ou réalité? Symbole de quoi? Nous laisserons aux exégètes le soin d'élucider cette question. L'essentiel du péché est la révolte contre Dieu, et c'est ce que, nous affirme la Bible, le premier homme a commis effectivement, non seulement en pensée, non seulement d'intention, mais par un acte concret" (Chanoine Roger Verneaux, Problèmes et mystères du mal, Ch IV, -1983-).

            Et maintenant écoutons l'homme pécheur que nous sommes se révolter contre son Créateur en lui reprochant l'acte même de Sa création:

            "C'est la liberté accordée par Dieu à l'homme qui est à l'origine de la faute de l'homme", s'entend-on dire!

            "La peccabilité (la possibilité de pouvoir pécher) semble en effet naturelle à tout esprit créé. "Aucune créature, dit saint Thomas, ne peut exister dont le libre arbitre soit naturellement confirmé dans le bien de telle sorte qu'elle ne puisse pécher" (De Veritate, 24,7, ad 4). Ou encore: "Toute créature rationnelle, considérée dans sa nature, peut pécher" (Somme théologique, I, 63, 1). Et la preuve qu'il en donne est la suivante. Seul est incapable de dévier l'acte dont la règle est la puissance même qui l'accomplit; ou disons: seul est impeccable l'agent qui est à lui-même sa propre règle et sa propre fin, l'être strictement autonome. Mais c'est là le privilège de Dieu. Toute volonté créée, par contre, est subordonnée à une règle qu'elle n'est pas; son bien, sa fin, lui est extérieur de sorte qu'elle a toujours la possibilité de s'en détourner" (Chanoine Roger Verneaux, Problèmes et mystères du mal, Ch V).

            Ce qui ne veut pas dire que l'homme était obligé de pécher. Mais voilà, les hommes, qui sont maintenant pécheurs, ne considèrent pas assez qu'ils parlent le plus souvent sous le coup du péché. Ils devraient se rendre compte précisément, que c'est le péché de l'homme qui dénonce ensuite, une fois la faute commise, la liberté comme étant à l'origine de la faute. Cependant, si l'homme n'avait pas commis le péché originel, c'est bien grâce à cette même liberté qu'il jouirait de la félicité de l'amour de Dieu. Ce n'est donc pas la liberté qui a cause de mal. Supposer le contraire, c'est juger en mal l’œuvre de Dieu dès l'origine de la création. Dire que c'est la liberté accordée par le Créateur à l'homme qui est à l'origine de sa faute, est la plus flagrante évidence de la réalité de la révolte de l'homme contre Dieu. Les propos d'Eric, rapportés au début de cette étude sur le péché originel, sont en ce sens très révélateurs de la défaillance de notre intelligence de la Sagesse de Dieu, due à notre péché.

            Lorsque nous accusons Dieu, c'est l'homme pécheur qui parle, et non plus l'homme qui était, avant de commettre le péché, parfaitement libre et paisible dans son approche du mystère de Dieu.

            Ce péché originel a donc un écho encore aujourd'hui chez tout homme.

                                    B/ Pourquoi la faute rejaillit-elle sur tous les descendants?

            "Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché" (Epître de saint Paul aux Romains, 5.12).

            Père du genre humain, Adam a fait péché avec lui tous les hommes.

            "A la suite de saint Paul, l'Eglise a toujours enseigné que l'immense misère qui opprime les hommes et leur inclination au mal et à la mort ne sont pas compréhensibles sans leur lien avec le péché d'Adam et le fait qu'il nous a transmis un péché dont nous naissons tous affectés et qui est "mort de l'âme"" (Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°403, -1992-).

            Pour bien saisir le lien de cette transmission du péché originel, la distinction qui sépare et unit à la fois essence et existence est très intéressante:

            C'est à partir d'une réflexion sur l'essence et l'existence de l'homme que je vous propose d'appréhender l'enjeu du péché originel.

            Je lance le sujet sur une proposition provocante: "l'Homme n'existe pas!".

            On conviendra aussitôt que nous sommes des hommes et que nous sommes assez vivants pour le prouver. Certes, nous existons, et le but n'est pas ici d'en douter; il s'agit de découvrir la différence entre essence et existence.

            Si je dis encore, pour être plus explicite: "montrez-moi l'Homme?", cela vous met-il davantage sur la voie?

            Je suis un homme et vous aussi qui me lisez l'êtes-vous également. Cependant, peut-être êtes-vous cher lecteur, une lectrice? Aussi dois-je préciser que "nous sommes Homme: hommes et femmes". Nous touchons là au but du débat, car nous sommes obligés de définir l'Homme à travers deux genres distincts relevant d'une même humanité (c'est-à-dire d'une même essence).

            Vous pouvez dire que vous êtes Homme étant un homme et vous pouvez dire que nous sommes également des hommes parce que nous appartenons à la même humanité, à l'Homme.

            Un homme ou les hommes dans leur ensemble existent mais l'Homme à travers lequel nous nous reconnaissons hommes et femmes n'existe pas.

            L'Homme absolu, l'Homme définition n'existe pas; Il nous donne sa définition mais Il ne possède pas d'existence particulière, personnalisée. L'Homme ainsi "démasqué" relève d'une définition, c'est une essence.

            D'où nous pouvons conclure:

1/ que notre existence nous est propre et distincte de celle des autres.

2/ que nous relevons tous d'une même essence (hommes et femmes nous nous disons Homme).

3/ que notre essence (commune) nous identifie les uns aux autres, qu'elle fonde notre connaissance mutuelle dans la diversité réelle de nos existences particulières.

            Maintenant, voyons s'il peut exister un Homme?

            Si nous envisageons qu'il ne puisse rester qu'un seul homme sur terre (après un terrible cataclysme par exemple), cet homme deviendrait ainsi l'Homme, un individu et sa définition.

            Aussi, selon la Bible, au commencement de l'humanité, il n'y avait qu'un homme et par là-même, il était l'Homme. Toute l'humanité était en lui en germe, en puissance. A lui tout seul, il résumait alors tout le devenir de l'Homme en une multitude d'hommes et de femmes...

            Cependant ce premier homme n'est pas parfaitement l'Homme en ce sens ou, sa nature ayant été créée, son essence ne relève pas de lui-même mais de son créateur. Adam est Homme parce qu'il est le premier homme mais il n'est pas l'Homme dans l'absolu, tenant d'un autre son identité: "Dieu créa l'homme a son image" (Genèse, 1.27).

            C'est donc Dieu qui donne à la fois l'existence à Sa créature et qui l'identifie en lui donnant de reconnaître son essence. L'homme a été créé à l'image de Dieu et c'est en agissant dans Sa ressemblance que l'homme découvre véritablement son humanité. En s'éloignant de Dieu, Adam et Eve ont perdu de vue cette ressemblance qui les identifiait en vérité et qui leur donnait vie. "la vie de l'homme c'est la vision de Dieu" dit Saint Irénée de Lyon; aussi l'homme se suicide-t-il en se séparant de Dieu!

            Le péché originel est donc un péché qui bouleverse l'essence, c'est-à-dire la nature humaine. En commettant le péché originel, l'homme devient mortel, sa nature est brisée:

            "Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu'ils transmettent dans un état déchu. C'est un péché qui sera transmis par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de le justice originelles. C'est pourquoi le péché originel est appelé "péché" de façon analogique. C'est un péché "contracté" et non pas "commis", un état et non un acte"(Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°404, -1992-).

            Ce péché ne fut une faute en acte que pour Adam et Eve; aussi, "quoique propre à chaque homme, le péché originel n'a, en aucun descendant d'Adam, un caractère de faute personnelle" (n°405).

            Adam et Eve ont détruit l'harmonie de la ressemblance qui les unissait à Dieu. L'image de leur Créateur est en eux déformée, brouillée, altérée, dégradée.

            C'est donc cette image corrompue par le péché et à laquelle nous sommes désormais identifiés, qui nous condamne à la suite d'Adam à l'ignorance de Dieu, à la souffrance, à la mort et à la faiblesse de commettre nous aussi le mal.

            Seulement voilà, le christianisme nous oblige à dépasser notre nature meurtrie et à croire que l'Homme existe personnellement.

            "L'Homme existe" en la Personne de Jésus-Christ qui est l'Homme parfait, qui réalise pleinement toute notre humanité dans toute sa beauté et dans toute sa vocation divine. Il la récapitule en Lui; Il est l'Homme absolu en qui tout homme peut se reconnaître et être sauvé, parce que nous avons été faits à l'image de Dieu et que le Christ est Dieu fait homme.

            Nous touchons ici au mystère des deux natures du Christ qui est à la fois l'Homme absolu et aussi un homme distinct des autres, ayant eu une existence personnelle; Jésus-Christ a en effet eu une existence historique et unique: Il est né de Marie à Bethléem sous le règne de l'Empereur Auguste, a été charpentier trente années durant à Nazareth, puis a exercé un ministère publique qui l'a conduit jusqu'à la crucifixion réclamée par le Sanhédrin et ordonnée par le gouverneur romain Ponce Pilate.

            En Jésus-Christ donc, l'Homme et l'homme coexistent: l'essence et l'existence coexistent en Lui. Il est à la fois Dieu et à la fois homme. C'est là le mystère de l'incarnation que confessent les chrétiens.

            Aussi dans le miracle de ce mystère pouvons-nous lire notre propre salut. Et malgré la détresse dans laquelle le péché originel nous a plongé, nous savons que le Christ est pour nous le Rédempteur de nos vies, qu'Il est Celui qui nous arrache à la malédiction du péché. C'est ce que nous dit Saint Paul dans l'épître aux romains:

            "Si, en effet, par la faute d'un seul, la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la vie régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ.

            Ainsi donc, comme la faute d'un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l’œuvre de justice d'un seul procure à tous une justification qui donne la vie. Comme en effet par la désobéissance d'un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste" (Epître de Saint Paul aux Romains, 5.17-19).

            Jésus-Christ étant l'Homme absolu, le salut qu'Il apporte est universel: le salut apporté par le Christ touche tous les hommes, les rendant capables de reconnaître à nouveau Celui à l'image Duquel ils sont faits et de s'identifier pleinement et définitivement à Lui.

                                    C/ L'homme n'est pas le premier coupable

            L'homme n'est pas le premier coupable, car dans le récit du péché originel, on peut aisément découvrir qu'un tiers, le serpent, a poussé Adam et Eve à commettre le mal.

            Pour conduire l'homme a pécher, il fallait que le serpent fût lui-même malveillant. Ce qui fait remonter la présence du mal dans la création avant la chute de l'homme. La malveillance du serpent implique donc elle-même un péché antérieur au péché commis par l'homme. Cette antériorité du péché par rapport à la faute originelle de l'homme est connue en théologie sous la dénomination de péché de l'ange. Car le serpent est démasqué par la Tradition de l'Eglise comme étant un ange déchu, le diable, Satan:

            "Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu qui, par envie, les fait tomber dans la mort. L'Ecriture et la Tradition de l'Eglise voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou diable" (Catéchisme de l'Eglise catholique, n°391, -1992-).

            Ainsi donc, dans le troisième volet de ce chapitre, essayerons-nous de repérer et d'analyser ce péché de l'ange.

            Nous en exposerons enfin les conséquences, dont la plus importante pour notre sujet de l'apocatastase, sera celle de l'irrémissibilité. Une autre conséquence, que nous tenterons de cerner de près, la tentation de l'homme par le serpent, nous amènera à étudier ce que l'on appelle le péché d'envie.

            Nous sommes donc parvenus au point où il nous faut maintenant dire un mot du mal dont l'ange s'est rendu coupable.

                        3/ Le péché de l'ange

            "Alors une bataille s'engagea dans le ciel: Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, appuyé par ses Anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc, le Diable ou le Satan, comme on l'appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui" (Apocalypse, 12.7-9).

            Un combat eut lieu entre les Anges bons restés fidèles à Dieu et le anges rebelles. Au terme de cette bataille nous dit l'Apocalypse, Satan et ses anges (les démons) furent vaincus et châtiés. Le châtiment consécutif à leur révolte fut d'être chassés du Ciel de Dieu.

            Nous nous appliquerons dans cette dernière partie de ce quatrième chapitre, à tenter de mieux cerner ce que fut ce péché de l'ange, qui le conduisit à se révolter contre Dieu. Je précise toutefois que cette tentative ne peut être qu'acrobatique et approximative. Je pense cependant que le risque doit être pris d'en dire un peu plus.

            Le péché de l'ange demeure une chose obscure. Nous nous en approcherons avec la lumière que Dieu daignera nous en donner. Notre approche, il va sans dire, n'a rien à partager avec le diable. Du départ de cette étude jusqu'à son terme, nous laissons au diable ce qui appartient au diable. Nous jetterons juste un petit coup d’œil théologique rapide, sans compromission avec le Malin, ni attrait pour sa révolte.

            C'est Dieu qui donne la lumière pour que l’œil puisse voir. Je ne compte tenir cette lumière que de Dieu. Si l'en était autrement, tout ce que je vais écrire serait à rejeter. A vous d'en juger selon les grâces dont Dieu vous a pourvues.

                                    A/ Tentative d'analyse du péché de l'ange

            Contrairement à l'homme, dont nous avons vu qu'il avait été poussé à commettre le mal par une créature étrangère à lui, nous pouvons affirmer avec l'Eglise que le diable, et c'est effectivement lui le tentateur de l'homme, fut son propre bourreau.

            "Il n'y a pas à chercher de tentation extérieure. La seule condition qui soit logiquement requise est que les anges soient doués de liberté et qu'ils n'aient pas été d'emblée mis en possession de leur béatitude, car alors ils auraient été confirmés en grâce et impeccable" (Chanoine Roger Verneaux, Problèmes et mystères du mal, Ch.V, -1983-).

                                                a- Le refus de la liberté

            Comment donc les anges, ayant une connaissance parfaite d'eux-mêmes, ont-ils pu, pour certains d'entre eux, en venir à refuser l'Amour de Dieu?

            Comme nous l'avons lu dans le passage de l'Apocalypse de Saint Jean, les anges se sont divisés en deux camps antagonistes, les uns ayant accueilli Dieu, les autres s'étant révoltés contre Lui. C'est pourquoi le péché de l'ange ne concerne que certains d'entre eux.

            Quant à la connaissance angélique, il faut dire, qu'une fois créés par Dieu, les anges se connaissent eux-mêmes. Ils ont été créés bons ("le diable et les anges ont certes été créés par Dieu naturellement bons" -n°391-) et ils savent que leur venue à l'existence est un bien, et par là-même découvrent-ils que Dieu leur a donné l'existence.

            Indépendamment de toute grâce surnaturelle, si ce n'est celle du miracle de leur création, les anges ont ainsi une connaissance naturelle (innée) d'eux-mêmes:

            "L'ange se connaît d'abord lui-même. Ainsi, l'intelligence pour connaître doit-elle être unie à l'espèce intelligible qui l'actualise et qui est le principe formel de son intellection, déterminant l'acte de connaissance? Or, l'ange, forme subsistante intelligible, peut-être lui-même principe formel d'intellection et est, évidemment, uni intimement à son intelligence. Par conséquent, il se connaîtra lui-même sans l'intermédiaire d'aucune espèce, par sa propre substance" (Jean-Marie Vernier, Les anges chez saint Thomas d'Aquin, Part.2, Ch.III, -1986-).

            Mais sa substance vient de Dieu qui a créé l'ange; aussi "l'ange connaît Dieu d'une connaissance naturelle en tant que, se connaissant lui-même, il se voit comme une similitude créée de Dieu" (J.M. Vernier en référence à la Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin, Ia, Question 56, article 3, conclusion).

            Depuis Saint Augustin, on appelle cette connaissance innée que les anges ont de leur bien (c'est-à-dire de leur existence et de Dieu qui la leur donne), connaissance du soir.

            Dans cet état de la connaissance du soir, l'ange n'a pas encore accueilli son Créateur et n'a pas encore été adopté par Lui. Une grâce surnaturelle, que l'ange ne possède pas lui-même et qu'il ne peut obtenir par ses seules forces, est nécessaire pour qu'il entre dans la béatitude éternelle de la contemplation de Dieu. Le mouvement amoureux de cette reconnaissance et de cette adoption réciproque, nécessite l'accueil par l'ange de cette grâce surnaturelle qui n'est Autre que l'Amour de Dieu.

            L'accueil par l'ange de l'Amour de Dieu s'appelle la connaissance du matin.

            Il va sans dire que Dieu appelle à Lui toutes Ses créatures. Mais voilà, certaines d'entre-elles ont refusés Son Amour, déclinant l'offre de la grâce ouvrant sur la connaissance du matin, qui est vision ineffable de Dieu.

            "Comment est tombé Lucifer, qui avait son lever le matin?" (Isaïe, 14.12).

            Pour les anges, qui ont une connaissance parfaite d'eux-mêmes, et qui donc par là-même, connaissent ce qui est bon pour eux, il s'agit de vivre dans le bien et de refuser de faire le mal. Si la question du choix entre le bien et le mal se pose, elle trouve cependant en Dieu une réponse claire et sans détour: les anges viennent de Dieu; ils savent que Dieu est leur Créateur et que leur bien est en Dieu.

            Le bien: c'est de vivre en Dieu, le mal: refuser le bonheur de vivre en Dieu. Il faut ici savoir que l'ange est créé libre de faire un choix libre. Nous voyons qu'il peut exercer son choix selon la liberté que Dieu lui a octroyée. Cette liberté est vraie.

            S'il fait un choix, l'ange ne peut vouloir que son bien, aussi choisit-il Dieu. Le mal, qui n'a pas d'existence propre, n'apparaît là que conditionnellement comme validation de la réalité de cette liberté par laquelle l'ange est capable d'opérer un choix.

            Le péché de l'ange a donc consisté, semble-t-il, dans un premier mouvement, en un refus de la liberté.

            Comment l'ange peut-il en venir à refuser ce qui est bon pour lui?

            En niant l'idée même de pouvoir faire autrement que le bien et en comptant pouvoir faire seul le bien sans avoir recours à l'Amour de Dieu.

            l'ange nie l'idée qu'il puisse faire le mal, alors que la liberté que lui a accordée Dieu en pose l'éventualité. Eventualité contre laquelle le choix du bien est l'unique réponse raisonnable. Contradictoirement, le diable condamne alors en même temps l'idée de pouvoir faire le mal et la liberté qui en pose la possibilité. Le diable ne choisit donc pas de faire le mal. Mais il ne choisit pas non plus de choisir le bien. Il refuse de faire un choix, condamnant cette liberté que Dieu lui accorde comme mauvaise.

            L'ange se pose en contradicteur de la liberté. Il la rejette, se définissant ainsi au-dessus de l'épreuve de faire un choix.

            On pourrait dire que l'ange choisit de ne pas choisir. Mais une telle chose est absurde. On trouve encore aujourd'hui chez un satanique comme Sartre cette corruption du sens de la liberté: "La liberté est liberté de choisir, mais non la liberté de ne pas choisir. Ne pas choisir, en effet, c'est choisir de ne pas choisir (...) D'où l'absurdité de la liberté" (J.P. Sartre, L'être et le néant). Ainsi l'ange apporte-t-il contre Dieu la contradiction et se place-t-il volontairement en dehors de la mesure et de la valeur de la liberté. Il se place dans l'arbitraire et dans l'absurde, c'est-à-dire dans l'injustice et le mal.

            Mais NE PAS CHOISIR N'EST PAS UN CHOIX! C'est folie absurde de vouloir croire que l'on peut obtenir ce que l'on refuse de choisir!!!

            A mon humble avis, ce qu'il est très important de retenir ici, c'est que la liberté n'a aucune cause de mal. Ce n'est pas, nous venons de le voir, la liberté qui est cause du mal, mais c'est le refus même de la liberté. Refus qui fait entrer dans la création le règne de l'absurde, qui n'est autre que le mal.

            Trop souvent, on a laissé entendre, d'intention (comme le diable?!), ou par mégarde du langage, que le mal était le fruit de notre liberté. Rien de plus faux et de plus mensonger. Car si l'on regarde rétrospectivement, après que l'ange ait péché, ce qui dans la liberté aurait pu avoir cause de mal, on ne trouvera rien de justifiable pour avancer ne serait-ce qu'une accusation:

            Dieu propose de choisir entre le bien et le mal. Et l'usage de cette liberté ne peut conduire qu'à Dieu. Car si l'ange choisit le bien, il trouve Dieu, et ce fut le cas des anges bienheureux. Ce qui valide ce choix comme étant le bon.

            Par ailleurs, est-ce pour autant que le choix du mal a conduit l'ange Lucifer à devenir le Diable? Non, puisqu'il n'a pas fait ce choix du mal selon la liberté accordée par Dieu. L'"histoire" prouve qu'aucun des anges rebelles n'a fait le choix du mal selon les critères de la liberté qui comportait cet autre choix face au bien.

            Il est alors tout à fait heureux de conclure que la liberté accordée par Dieu est parfaite et vraie. Parfaite car, par l'exercice de celle-ci, nulle créature ne pouvait se perdre. Vraie parce que la mise en garde qu'elle portait s'est vérifiée être justifiée, impliquant qu'un choix devait-être fait.

            L'ange rebelle que l'on nomme Satan, a donc considéré sa liberté comme improbable; il a perverti la substance de son être en refusant de faire un choix, choix en tout état de cause conforme à la liberté que Dieu accordait.

            Ainsi, le principe, vital à toute existence, est la liberté. En effet, la venue à l'existence des créatures a dépendu de la liberté de Dieu de créer. En faisant usage de sa liberté de créer, Dieu est à l'origine de l'existence de tous les êtres. En ce sens, la liberté est le principe vital de toute existence créée.

            Il n'y a donc pas de vie en Dieu pour la créature sans exercice de la liberté. Pour vivre, il faut exercer sa liberté. Telle est l'expérience de la vie chez les êtres que Dieu a librement créés.

            Nous avons vie à l'existence par la liberté de Dieu et vie en Dieu par l'épreuve de la liberté.

            L'épreuve de la liberté est fondatrice de notre vie future en Dieu. L'homme comme l'ange, n'est homme ou ange, que s'il reconnaît sa liberté comme vraie.

                                                b- La paternité du mensonge

            Accuser Dieu d'être un menteur, n'est-ce pas là le plus grand des mensonges?

            Accuser Dieu d'être un menteur: c'est ce que le diable, que l'on nomme aussi l'accusateur, a laissé entendre à l'homme au jardin d'Eden. N'a-t-il pas cherché à détruire chez l'homme et la femme l'amitié qui les unissaient à Dieu. Il l'a fait en introduisant le poison du mensonge dans ses paroles.

            Adam et Eve avaient confiance en Dieu. Pour eux, Dieu était bon. Mais voilà que le serpent insinue que ce Dieu, soi-disant bon et généreux, est au contraire un Dieu jaloux de ses prérogatives, un Dieu qui craint que l'homme ne devienne son rival, voir son égal.

            C'est tout cela qui est contenu implicitement dans la réponse du diable à Eve devant l'arbre défendu, lorsqu'il lui dit: "Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal" (Genèse 3.5).

            De ces paroles du serpent, il ressort que le diable juge Dieu en mal. Comble de l'ironie, il accuse Dieu d'être un menteur. Car lorsque Eve rappelle au serpent que "Dieu a dit: vous n'en mangerez pas, sous peine de mort", le serpent rétorque: "Pas du tout! Vous ne mourrez pas!". Ce qui revient à dire que Dieu est un menteur!!!

            Le diable tente de troubler le cœur de la femme, de lui faire partager ce mensonge, cette accusation contre Dieu. Aussi le Christ nous invite-t-Il à la vigilance, nous avertissant que nous courons toujours le danger d'être tromper par le diable:

            "il n'était pas établi dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il dit ses mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge" (Saint Jean, 8.44).

            Le Christ nous dit que le diable est menteur et père du mensonge. Ne l'oublions pas!

            L'invention du mensonge revient au diable. Et quel mensonge: il accuse Dieu d'être un menteur. Le diable fait remonter à Dieu la paternité du mensonge. Comme nous l'avons vu avec la question de la liberté, le diable condamne cette liberté comme étant mauvaise et mensongère. Elle ne serait, non pas seulement un simulacre, mais bien pire, la preuve de l'existence du mal en Dieu.

            Dieu n'a-t-il pas laisser à sa créature le choix de faire le bien ou le mal? Ce choix du mal, n'est-il pas dans sa possibilité, la preuve même de l'incitation par Dieu au mal?! La liberté ne serait-elle pas génératrice du mal? Mais répliquera-t-on, on doit normalement choisir le bien. Ce à quoi la pensée diabolique qualifiera la liberté de fausse, de mensongère.

            Parce que l'un des aspects du choix est le mauvais, il n'y aurait pas d'alternative autre que le bien, et donc pas de liberté. La créature serait constitutivement obligée d'opter pour le bien. Mais il faut savoir ce que l'on veut, rétorquerai-je! Si le diable veut le bien, pourquoi refuserait-il d'en faire le choix? Ce n'est donc pas le bien qu'il veut, ne l'ayant pas choisi.

            Si pour le diable, il n'y a pas de liberté, pourquoi s'ingénie-t-il à faire de la liberté quelque chose de maléfique? Si la liberté n'existe pas, rien ne peut lui être attachée, ni en bien ni en mal. Aussi, de deux chose l'une, soit la liberté n'existe pas, et c'est ainsi que le diable la condamne, mais auquel cas, elle ne peut être elle-même mauvaise n'étant pas, soit la liberté existe, impliquant par un choix le bien, et le diable n'a plus aucune excuse d'en récuser l'épreuve.

            L'accusation que le diable porte contre Dieu sur la question de la liberté est donc contradictoire en elle-même. L'accusation du diable est donc un pur mensonge.

            On pourrait toujours chercher à analyser plus avant cette contradiction, mais on s'y perdrait, le péché en cause étant un abîme sans fonds.

            En résumé, à partir de deux bases scripturaires incontournables, que sont le récit de la tentation d'Eve par le serpent (Genèse 3.1-6) et les paroles du Christ au sujet du diable (Saint Jean, 8.44), nous pouvons affirmer que satan est un menteur, et plus qu'un menteur, qu'il est l'inventeur du mensonge.

            A l'inverse de ce serpent qui "était le plus rusé des animaux des champs" (Genèse 3.1), le psalmiste nous dit que Dieu est sans perfidie dans ses intentions: "Point de ruse en Dieu mon rocher". David le chante: "Les paroles de Yavhé sont des paroles sincères, argent natif, qui sort de terre sept fois épuré" (Psaume 11). La parole de Dieu est d'argent natif, c'est-à-dire épurée quand on la trouve. On n'a pas besoin de la décanter, elle est entière, sans ajout ni fioritures. Sa parole est absolument pure de tout mensonge.

            Plus simplement encore, suffirait-il de dire que la parole, le Verbe est Dieu: "Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu" (Saint Jean, 1.1).

            La parole de Dieu ne peut être mensonge comme le diable tenta de le faire croire à Eve, car la Parole est Dieu. Sous le titre le bien comme unique absolu, nous avions admit, parce que Dieu est Dieu, qu'il est l'unique absolu, et donc par la même la vérité toute entière. Dieu ne peut être que la vérité, car Il est avant toute chose et que toute chose émane de Lui. Personne ne peut prétendre remettre en cause Sa Parole, personne n'ayant existé avant Lui qui n'a ni commencement ni fin. "C'est moi l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu" (Apocalypse, 1.8). De plus, c'est par Sa Parole que toute chose est venue à l'existence: "Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut" (Genèse 1.3). Il suffit à Dieu de dire les choses pour qu'elles soient. La Parole de Dieu est créatrice. Aussi, accuser Dieu d'être un menteur, revient à se nier soi-même, en faisant de sa propre venue à l'existence un mensonge.

            C'est dans la contradiction de cette aberration que le diable s'abîme: il se révolte contre son être en Dieu.

                                                c- La révolte contre son être en Dieu

            L'ange rebelle veut être, mais pas de la manière dont Dieu l'invite à recevoir Sa grâce.

            "Le premier péché du diable a donc consisté en ce que, pour obtenir la béatitude surnaturelle qui consiste en la pleine vision de Dieu, il ne s'est pas élevé vers Dieu pour désirer la perfection finale de sa grâce, avec les saints anges, mais il a voulu l'obtenir par la puissance de sa propre nature; non toutefois sans le Dieu qui agit dans la nature, mais sans le Dieu qui confère la grâce" (Saint Thomas d'Aquin, De Malo, Q.XVI, a.3).

            Dans un premier temps, le diable ne remet pas en cause le Dieu qui lui a donné l’être, mais seulement le mode d'être par lequel il est appelé en Dieu.

            Pour le diable, ce mode d'être est signe de contingence; ce serait pour la créature admettre qu'elle ne peut être que cause seconde, qu'elle aurait pu ne pas être. Aussi, pour se fixer dans l'être, réclame-t-elle à être sa propre cause:

            "Etre cause de soi, pouvoir dire: je suis parce que je le veux; être mon propre commencement" (Sartre, L'âge de raison).

            Etre la cause de soi, voilà le désir de la créature rebelle d'accéder à la perfection de l'être.

            Mais "être la cause de soi", est-ce la forme parfaite de l'être?

            La réponse est non! En voulant être la propre cause de son être, le diable se trompe et passe par là-même à côté de la véritable perfection de l'être.

            La perfection de l'être ne réside pas dans la cause de soi par soi. En effet, si l'on considère que Dieu détient la perfection de l'être, rien ne permet d'affirmer pour autant qu'en Dieu, l'être soit cause de lui-même.

            Evidemment, nous devons affirmer que Dieu n'est pas causé, qu'Il n'est pas par un autre, mais rien ne nous autorise à ajouter qu'Il est par Lui-même, ou qu'Il est cause de Lui-même.

            Au contraire, une bonne théologie doit rejeter comme étranger à toute opération divine l'"être cause de lui-même":

            "Enfin, l'exister (le fait d'exister) ne peut être causé par l'être même qui existe: "... Ainsi une chose serait cause d'elle-même et se produirait elle-même, ce qui est impossible"" (St Thomas d'Aquin, Ente et essentia, Ch.5, cité par Jean-Marie Vernier, in Les anges chez Saint Thomas d'Aquin, -1986-).

            D'après l'idée selon laquelle un être serait le fondement de lui-même, pour fonder Sa propre existence, il faudrait à Dieu exister avant d'exister, ce qui est évidemment contradictoire.

            Une fois de plus, le diable invente une vision du divin qui est contradictoire.

            Comme nous l'avons amplement répété, l'Etre ne s'interroge pas: Dieu est Dieu. De toute éternité Dieu est l'être en vérité. Il n'y a aucune raison ni aucun sens à chercher une cause à l'être divin. C'est même retirer à Dieu du sens que de vouloir découvrir une cause en Lui.

            Il faut une fois pour toute admettre que la notion de causalité est totalement étrangère à l'être divin. Ainsi, aucune participation non plus à l'être divin ne s'opère en terme de causalité. La notion de causalité est d'ordre temporelle, l'éternité l'ignore quant à elle. Aussi, par la grâce qui dispose la créature à entrer dans l'éternité de la contemplation de Dieu, toute cause et toute contingence disparaissent-elles. L'être de la créature devient semblable à l'être de Dieu, en ce sens où la créature est définitivement établie dans l'être, tel que Dieu fût, est et continuera d'être pour les siècles des siècles:

            "Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu'Il est" (Première épître de Saint Jean, 3.2-4).

            Contradictoirement, la volonté du diable à prétendre être lui-même sa propre cause, non moins que d'assurer la pérennité de son être, l'éloigne de la source de tout être.

            La connaissance de l'être n'implique l'existence que dans la mesure où il faut exister pour se reconnaître exister. Cependant, cette traduction de l'être par la connaissance ne peut en aucun cas atteindre l'être lui-même. Il demeure entre la perfection de la connaissance de son être et la perfection de l'être, une distance qui n'a aucune limite qu'en Dieu.

            La réalisation plénière de l'être n'a de solution satisfaisante pour une créature que dans la vie en Dieu, où toute distance entre l'être et sa valeur est comblée.

            Mais le diable pour sa part à refuser la grâce qui conduit à la vision béatifique, cherchant en lui-même une cause de son être. Cette cause par soi ne pouvant exister, il a sombré dans l'absurdité et dans la révolte contre son être en Dieu. Ne fallait-il pas, suite à une telle contradiction, qu'il se débarrassât de cette "forme de contingence" qui, l'unissant à Dieu, l'empêchait d'être par lui-même?!

            Ainsi, chez les anges, qui ont une connaissance parfaite de leur être, les renégats sont parmi-eux, ceux qui ont confondus perfection de la connaissance de leur être et perfection de l'être qui n'existe qu'en Dieu. Aussi, ont-ils conçu avec perversité la liberté divine qui est à l'origine de leur être, comme imperfection de leur être et se sont-ils révoltés contre leur être en Dieu. Ainsi, l'origine de l'être de la créature qui procède de la libre volonté créatrice de Dieu, se trouve-t-elle, par le péché, interprétée mensongèrement par la créature rebelle comme une forme de contingence, insupportable à la fausse connaissance de ce qu'elle se voudrait être: à savoir, être à elle-même son propre principe!

                                    B/ Conséquences du péché de l'ange

                                                a- L'absurdité du mal

            L'ange rebelle, avons-nous dit, se révolte contre son être en Dieu; mais cela ne peut se concevoir que comme une absurdité. Car l'ange tient à l'être et sait tenir l'être de Dieu; aussi toute révolte contre son être en Dieu pourrait signifier son anéantissement. Se couper de Dieu reviendrait à se détruire.

            De la sorte le diable "n'a pu désiré n'être absolument pas soumis à Dieu, d'une part parce que c'est impossible, et qu'il ne pouvait le penser comme possible, d'autre part aussi parce que lui-même cesserait d'être à l'instant, s'il n'était pas totalement soumis à Dieu" (St Thomas d'Aquin, De Malo, Q.XVI, a.3).

            Refuser Dieu est absurde et cela l'ange rebelle n'a pu l'ignorer. Seulement, l'absurdité ayant été relevée, son non-sens échappe à l'être - l'être ne portant en lui aucune contradiction. D'où il ressort que cette absurdité n'a pu être désirée par le diable que comme opposition au monde divin.

            Malgré la vérité selon laquelle seul l'être a un sens et est désirable, "on peut dire que ce qui contient implicitement une contradiction tombe parfois sous le désir de la volonté, parce que la raison est troublée; et ainsi, en raison du trouble de la puissance de la connaissance, le diable a pu désirer ce qui implique une contradiction" (De Malo, Q.XVI, a.3).

            Le diable a, dans un second mouvement de sa volonté, après s'être refusé à la grâce de Dieu, pu désirer régner sur l'absurdité qu'il avait conçu et ce, pour échapper définitivement à toute union de son être en Dieu.

            L'être étant indemne de toute contradiction, la contradiction apparaît dans son absurdité comme le moyen de séparation absolu du bien qu'est l'être. En chutant dans l'absurdité, le diable néantit toute activité de son être. Par là est dévoyé, dans la perversion de la volonté d'être sa propre cause, l'être même. Bien pire, le diable peut prétendre régner sur le non-être, le non-sens.

            Alors, un royaume opposé au royaume de Dieu impose l'absurdité de son non-être, de son non-sens. La souffrance et le mal en sont les abjections les plus confondantes. Ce sont des puissances de mort. Elles échappent à tout bien et se dressent, dans aberration de leur contradiction de l'être, contre Dieu et Sa création.

                                                b- L'incompréhension de l'incarnation

            Une des conséquences du péché de l'ange est son incompréhension du monde sensible. La connaissance des anges rebelles est devenue ignorante de la singularité des réalités de la création. Ces renégats, par l'acte de leur rébellion ont perdu leur pouvoir effectif dans l'ordre de la création, étant donné qu'ils s'en sont volontairement exclus, sombrant dans l'absurdité:

            "Par leur péché, les anges renégats se retrouvent privés de toute participation à l'ordre de la création dont ils se sont exclus. Précipités sur la terre à la suite de leur chef, satan, ces anges sont prisonniers d'un monde sur la matérialité duquel ils glissent, incapables d'en appréhender les réalités singulières sensibles - que nous autres hommes distinguons et auxquelles nous participons. L'ange renégat est absent de toute participation aux beautés de la création; il habite un vide car son être ne s'applique plus à rien, ni dans les joies de l'ordre matériel, ni dans la joie parfaite et ineffable de la vision béatifique (c'est-à-dire, la contemplation de Dieu)." (D. Saurel, Le spectricide, -1994-).

            Le diable hante un vide désespérant où plus rien n'a de sens d'être vécu, où rien ne peut s'incarner, c'est-à-dire, être vécu, trouver une réalisation, connaître une satisfaction. D'où l’incompréhension du diable pour tout ce qui constitue une incarnation dans notre monde. Les êtres et les choses lui demeurent étrangers dans leur singularité. Le Contradicteur de l'être ne peut plus comprendre que l'existence soit.

            Normalement, les anges connaissent par des espèces innées. "Ils tiennent ces espèces de Dieu Lui-même qui, simultanément à leur création, les leur donne" (J.M. Vernier, Les anges chez Saint Thomas d'Aquin, -1986-).

            Dieu communique aux anges jusqu'à la perception de la singularité de chaque être connu et de chaque chose connue. Dans le cas des anges rebelles, il devient évident, s'étant séparés de Dieu, qu'ils ne peuvent plus connaître en Lui ce que chaque être a d'unique et de singulier. Car, connaître les êtres et les choses à travers les causes universelles qui président aux opérations de son intelligence, ne permet pas à l'ange rebelle de connaître intimement un être ou une chose dans ce qu'ils auraient de proprement existant en eux-mêmes:

            "Connaître à travers les causes universelles le singulier, ce n'est pas le connaître en tant que singulier" (Le spectricide).

            Il en ressort que le diable erre dans le monde comme dans une solitude glacée, ne pouvant rien éprouver de la réalité des êtres et des choses habitant la création.

            Le diable n'a plus de présence au monde que par l'absurdité du mal qu'il y a introduit.

                                                c- Le péché d'envie

            Que reste-t-il au diable à faire? "L'unique but poursuivi par l'ange renégat revient alors, sans lui apporter de satisfaction, à continuer de détruire l’œuvre de Dieu et en particulier la plus fragile et la plus étonnante de Ses créatures: l'homme" (Le spectricide).

            La volonté du diable de détruire l'homme est entendue comme un péché d'envie. Ainsi lit-on dans le Catéchisme de l'Eglise Catholique que: "Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents, il y a une voix séductrice, opposée à Dieu qui, par envie, les fait tomber dans la mort" (n°391). Et comme le dénonce Saint Augustin dans son Commentaire du Psaume 104: "L'envie est la haine du bonheur d'autrui".

            En découvrant l'homme heureux au jardin d'Eden, le diable, par tristesse devant le bien d'autrui, cherche à le détruire. "C'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde" (Livre de la Sagesse, 2.24).

            Le diable va détruire l'homme en le faisant tomber dans la mort, le privant de ce bien envié qu'est la vie avec Dieu. "Pas du tout! Vous ne mourrez pas! répond mensongèrement le serpent à Eve.

            La femme et l'homme mangèrent du fruit défendu... Et qu'arriva-t-il? Ils devinrent mortels! Leur corps devait subir par la suite la corruption de la vieillesse et de la mort. Le diable n'avait-il pas dit: "Vous ne mourrez pas!". N'en doutons plus, le mensonge est un poison mortel.

            A sa suite, le diable a entraîné l'homme dans la contradiction par le péché et lui a fait partager l'absurdité du mal par la souffrance et par la mort.

            Après la lecture d'un tel récit, pouvons-nous encore faire confiance au diable lorsqu'il nous dit qu'il veut être sauvé?

            Le salut du diable peut-il nous apporter quelque chose de bon? Ou alors, le diable se fait-il craindre, brandissant l'enfer contre nous et contre l'amour de Dieu? Doit-on désirer que le diable soit sauvé pour ne pas contredire l'amour de Dieu? Mais cette contradiction, d'où vient-elle? Le diable ne serait-il pas encore une fois de plus en train de nous inspirer un mensonge en accusant Dieu d'être un menteur? "S'Il est Amour, pourquoi l'enfer existe-t-il?" insinue le diable pour nous déstabiliser dans notre foi en Dieu.

            Qu'allons-nous lui répondre à ce serpent? Devons-nous languir après son salut comme le plus grand des bienfaits? NON!

            "Les démons trompent, hélas! par leurs illusions méchantes: ils font craindre leurs rancunes, désirer leur bienveillance; alors que, en réalité, les bienfaits du démon sont plus nuisibles que des blessures, car il est préférable pour l'homme d'être en guerre que d'être en paix avec le démon" (Saint Léon le Grand, Sermon, XIX, 5).

            Faut-il craindre la rancune du diable ou désirer sa bienveillance? Ni l'un ni l'autre.

            * Craindre sa rancune? Nous ne devons pas céder à la tentation d'accuser Dieu d'être responsable de l'impénitence du diable. Que sa rancune le conduise à l'enfer, qu'y pouvons-nous? Rien!

            * Désirer sa bienveillance? Nous ne devons pas non plus nous laisser abuser par les "bonnes" paroles du diable. Il ne lui revient pas de nous accorder la paix ni le bonheur. Dieu seul peut les accorder. La preuve en est qu'en posant ce chantage: "si je suis sauvé, il n'y aura plus d'enfer", le diable nous rend malheureux, parce qu'il accuse par là-même Dieu d'être responsable de l'enfer. Les propos du diable, il faut en convenir, ne porte aucune espérance de délivrance du mal. Seul le Christ est "le chemin, la vérité et la vie". Lui seul peut nous libérer du mal.

            N'allons pas servir le diable en donnant consistance à ses propos. "Car le démon, qui hait tout le monde, déteste encore davantage ceux qui le servent" (Monseigneur Balducci, Adorati del diavolo e rock satanico, -1991-); il les rendra encore plus malheureux que les autres en les abreuvant davantage de ses mensonges qui sont "mort de l'âme".

            Le diable est donc un meurtrier: "Dès l'origine ce fut un homicide" (Saint Jean, 8.44).

            Chez l'ennemi de l'homme et de Dieu, la haine n'est même pas une motivation, mais comme une seconde nature, qui fait de lui un perpétuel criminel. Dans la Première épître de Saint Jean, il est dit que: "Depuis le commencement, le diable pèche" (1 Jn 3.8). Doit-on en conclure que le diable continue irrémédiablement de pécher depuis le premier moment où il a péché? Cela reviendrait à dire que son péché est irrémissible.

                                                d- L'irrémissibilité du péché de l'ange

            Au terme de ce chapitre sur le péché de l'ange, nous voici amener à statuer sur la possibilité qu'aurait le diable de revenir au bien. Après avoir défini un certain nombre de données théologiques sur l'origine du mal, nous nous retrouvons en demeure de savoir si le diable peut être pardonné et retourner à Dieu. Notre sujet de l'apocatastase repose sur cette croyance en la restauration du diable dans le bien. Il en résulte que si l'enfer peut se définir comme l'impénitence dans le mal, son existence est relative à l'étendue du péché. Que ce péché puisse un jour trouver un terme, l'enfer prendrait également fin avec lui. Sans cela, le péché du diable ne cessant en quelque sorte de s'enrouler sur lui-même, nous serions obligés d'admettre l'éternité de l'enfer.

            L'irrémissibilité du péché de l'ange appelle l'éternité de l'enfer. Autrement, le retour en grâce du diable signifierait la disparition de l'enfer.

            Alors, il ne nous reste plus qu'à savoir, autant que cela soit possible, si le péché de l'ange est irrémissible ou non? Dans le De Malo, Saint Thomas d'Aquin pose le problème sous la formulation suivante: "Chez les démons, le libre arbitre peut-il revenir au bien après le péché?". La réponse sera oui ou non. Sur cela au moins on peut s'accorder. Disons qu'il peut paraître légitime d'en poser la question. Toutefois, beaucoup de discours sont loin de laisser sur ce sujet, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, le lecteur serein.

            De plus, il faut distinguer la réponse que l'on voudrait entendre de la réponse telle qu'elle est par elle-même. Trop souvent en effet, on argumente pour satisfaire la réponse que l'on a préalablement choisie. En toute bonne foi, je vous propose, cher lecteur, une approche dégagée à son point de départ de tout parti prix. Si l'on me dit: "le mal disparaîtra si le diable redevient bon", je l'admet comme une hypothèse à retenir et à approfondir. A priori, je n'ai aucun profit à vouloir que le diable persévère dans le mal. Cependant, s'il s'avérait exact que le péché du diable est irrémédiable et irrémissible, je devrai me résoudre à en prendre cas. Et en prendre cas, sans chercher pour autant à incriminer Dieu dans cette affaire de péché.

            "Ne dis pas: "C'est Dieu qui m'a fait pécher", car Il ne fait pas ce qu'Il a en horreur" (Ecclésistique, 15.11).

            L'Ecriture nous met en garde contre cette tentation toujours présente de reprocher à Dieu d'avoir mis au monde des créatures qui ont ensuite été capables de pécher. Nombreux sont ceux qui, à l'instar du théologien Jean Eluin, plutôt que d'admettre un mystère qui les dépasse, s'empressent, si jamais l'enfer existait, d'accuser Dieu de ne plus être bon. Ces théologiens contemporains qui font partis de l'Eglise Catholique et qui en revendiquent leur appartenance pleine et entière, sont cependant les premiers à rejeter le dogme de l'Eglise en cette matière. Car, si l'on veut être honnête, il faut confesser le point de vue de l'Eglise ou bien changer d'église. C'est en toute conscience une question de choix.

            Voyons donc pour commencer ce que l'Eglise dit au sujet de l'irrémissibilité du péché du diable: A nous de savoir ensuite si nous voulons rester chrétien. Mais ne trichons pas, ne serait-ce qu'en faisant croire que l'Eglise n'a pas donné sa réponse sur ce sujet. Elle l'a fait officiellement et depuis fort longtemps déjà. L'Eglise Catholique enseigne donc l'irrémissibilité du péché du diable et l'éternité de l'enfer, dont chacun pourra se voir confirmer la teneur en lisant les articles n°392 / 393 / 1033 et 1035 du catéchisme de 1992, assez largement diffusé pour être aisément consulté:

            n°392: "L'Ecriture parle d'un péché de ces anges. Cette "chute" consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son règne".

            n°393: "C'est le caractère irrévocable du choix des anges, et non un défaut de l'infinie miséricorde divine, qui fait que leur péché ne peut être pardonné".

            n°1035: "L'enseignement de l'Eglise affirme l'existence de l'enfer et son éternité".

            n°1033: "Mourir en péché mortel sans s'être repenti et sans accueillir l'amour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et c'est cet état d'auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu'on désigne par le mot "enfer".

            Tel est l'enseignement de l'Eglise en cette matière peu réjouissante, c'est le moins qu'on puisse dire.

            Il serait intéressant maintenant de voir ce qu'en on dit les deux plus grands théologiens de l'Eglise, Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin:

            Dans le De Civitate Dei, on peut lire sous la plume de Saint Augustin:

            "Et d'abord, il faut chercher et découvrir pourquoi l'Eglise n'a pu admettre l'opinion des hommes qui promettent, même au diable, purification et pardon, après les peines les plus grandes et les plus longues. En effet, ce n'est pas que tant de saints, tant d'hommes instruits des saintes Lettres anciennes et nouvelles aient vu d'un mauvais oeil la purification et la béatitude du royaume des cieux, après les supplices de quelque nature et de quelqu'intensité qu'ils soient, en faveurs des anges de quelque genre et de quelque dignité qu'ils soient, mais ils ont vu plutôt que ne pouvait être annulé ni infirmé cet arrêt divin que le Seigneur annonce qu'il portera et prononcera au jugement: "Allez loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges" (Mt 25.41) (il montre ainsi qu'un feu éternel brûlera le diable et ses anges); ni non plus, ce qui est écrit dans l'Apocalypse: "Le diable qui les séduisait fut jeté dans un étang de feu et de soufre avec la bête et le faux prophète et ils seront torturés jour et nuit dans les siècles des siècles"(Ap 20.10). Dans le premier texte, il y a éternel, dans le second: dans les siècles des siècles. Or par ces mots la divine Ecriture n'a pas coutume de signifier autre chose que ce qui n'a pas de fin dans le temps. C'est pourquoi, on ne peut absolument trouver un autre motif plus juste ni plus clair expliquant pourquoi la très sincère piété tient comme fixé et inamovible que pour le diable et ses anges, il n'y aura aucun retour à la justice et à la vie des saints, sinon que l'Ecriture qui ne trompe personne affirme que Dieu ne leur a pas pardonné et qu'il les a déjà frappé d'une première condamnation: ainsi refoulé, ils ont été livrés aux prisons des ténèbres infernales (Deuxième épître de Saint Pierre, 2.4) pour y être gardés et punis lors du jugement dernier quand le feu éternel s'emparera d'eux et qu'ils seront torturés dans les siècles des siècles." (De Civitate Dei, XXI, 23).

            Nous trouvons cités dans ce texte trois passages des Ecritures en rapport avec le châtiment éternel. Ces citations de St Matthieu, de St Jean et de St Pierre sont irréfutables. Il est cependant toujours à craindre qu'une exégèse peu soucieuse du respect des Saintes Lettres, leur trouvent quelques relativismes susceptibles de remettre en cause le sens communément admis. St Augustin confesse pour sa part que "l'Ecriture ne trompe personne". N'oublions pas non plus que St Augustin fait lui aussi une exégèse de ces textes sacrés. Cependant cette exégèse par St Augustin des Saintes Ecritures sur ce sujet de l'éternité de la condamnation du diable à l'enfer, nous pouvons la présenter comme étant la plus simplement classique qui soit, et n'en déplaise aux nouveaux exégètes et théologiens, elle a pour elle la reconnaissance et l'aval de l'Eglise depuis des siècles.

            De son côté, l'analyse de St Thomas d'Aquin sur le sujet se rapporte moins directement aux Ecritures qu'à la théologie des anges, et en particulier à leur mode de discernement. Le saint Docteur explique en effet que la nature angélique impose certaines conclusions, qui, pour fausses en ce qui concerne les hommes, s'avèrent indubitables lorsqu'il s'agit des anges. Par exemple, la mutabilité des intentions humaines est tout à fait étrangère au mode de connaissance des anges.

            "A la différence de l'intelligence humaine qui, pour parvenir à la connaissance de la vérité doit discourir: partant des principes établis par une appréhension très commune, elle doit, par le raisonnement, comprendre de plus en plus profondément ce qui lui est donné dans l'expérience sensible, atteignant ainsi peu à peu la vérité; l'ange, lui, voit immédiatement dans ce qu'il connaît toutes les conclusions contenues en puissance. Cette différence tient à la faiblesse de l'intelligence humaine qui, unie à un corps, doit abstraire l'intelligible du sensible, alors que la nature intellectuelle se réalise parfaitement chez l'ange (qui est séparé de toute corporéité). (Jean-Marie Vernier, Les anges chez Saint Thomas d'Aquin, -1986-).

            D'où Saint Thomas tire que l'ange embrasse en un seul mouvement et la définition d'un sujet et ses conclusions. Aussi, s'il en vient à pécher l'a-t-il conçu en toute conscience, et l'a-t-il perpétrer en connaissance des ses pires conséquences.

            Autant Adam et Eve furent les dupes du diable, espérant en mangeant le fruit tout autre chose que la mort, autant le diable, sachant son péché irrémédiable du moment qu'il le commettait, partait résolument en enfer en refusant Dieu.

            "L'ange occupe un milieu entre Dieu et l'homme. Or Dieu a un libre arbitre qui ne peut changer avant et après le choix; par contre, l'homme a un libre arbitre qui peut changer avant et après celui-ci; donc l'ange tient le milieu, en sorte qu'il peut changer avant et non après, car le contraire est impossible, c'est à dire pouvoir changer après et non avant. Il ne peut donc pas, après avoir péché, revenir au bien" (St Thomas d'Aquin, De Malo, Q.XVI, a.5).

            "Après avoir péché, le diable ne peut revenir au bien", telle est la conclusion du Docteur Angélique.

            Enfin, le Christ en personne a parlé d'un péché irrémissible: "Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et si quelqu'un dit une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis; mais s'il parle contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre" (Saint Matthieu, 12.31-32). Comprenons bien que si ce péché n'existait pas, nous devrions nous demander pourquoi le Christ aurait perdu Son temps à nous mettre en garde contre une chimère? Pouvons-nous croire que les paroles du Christ puissent être vaines? Non. De sorte que si le Christ nous met en garde de ne pas commettre le crime contre l'Esprit, il est certain qu'un tel péché existe.

            Ainsi les Saintes Ecritures et la Tradition de l'Eglise l'attestent: le diable a commis un péché irrémissible qui le voue éternellement à l'enfer. Ce qui caractérise le mieux le diable, c'est l'orgueil: "Le principe de l'orgueil, c'est d'abandonner le Seigneur et de tenir son cœur éloigné du Créateur. Car le principe de l'orgueil c'est le péché, celui qui s'y adonne répand l'abomination" (Ecclésiastique, 10.12-13). Et "au malheur de l'orgueilleux il n'est pas de guérison, car la méchanceté est enracinée en lui" (Ecclésiastique, 3.28).

            Dès lors, avec l'irrémissibilité du péché de l'ange, l'apocatastase est de toute manière incomplète. Le diable étant exclu du Ciel, et ne serait-ce que lui seul, l'apocatastase est non-universelle, une des créatures de Dieu manquant à l'appel du paradis. L'apocatastase n'est donc qu'un mythe! Tout au moins du point de vue de la foi chrétienne. Ce qui implique que le croyant catholique doit accepter le dogme en restant dans l'Eglise ou le rejeter en la quittant. Toute attitude autre serait fausse, et comme nous le démontrerons par la suite, tendrait à faire des enseignements de l'Eglise une parodie pathétique, ou bien pire encore, une arme pleine de perfidie maniée du dedans de l'Eglise contre elle.