Arnaud Dumouch, 06 janvier 2006

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La guerre des Juifs contre les Romains

Une image du dernier combat eschatologique de notre âme contre le péché

 (Cliquer pour lire le livre de Flavius Josèphe)

Cette histoire n’a rien d’un conte. Vécue par le peuple Juif à l’époque où il était tenté d’agressivité religieuse et militaire, elle est probablement, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’image de ce que nous vivrons avec l’islamisme.

 

Je m’appelle Flavius Josèphe. J’étais l’un des généraux juifs lors de la révolte de 70 après Jésus-Christ. Au début de la guerre, j’ai défendu une cité de Galilée contre l’armée romaine et j’ai survécu à l’anéantissement car je devais, par ordre de Dieu, écrire un livre qui manifesterait au monde ce qui s’est passé.

 

J’ai vu de mes yeux monter la grande révolte de la troupe, peu fournie au début, de ceux qui voulaient la guerre (les zélotes). J’ai vu ensuite qu’ils avaient été empoignés non par l’esprit de Dieu, mais par le démon de la gloire politique et religieuse. Et le peuple, comme un troupeau mené par de faux bergers, suivit passivement ou n’osa pas se révolter par crainte des menaces, regardant puis subissant mortellement les événements. Un tiers de mes concitoyens moururent dans cette guerre, un million cent mille Juifs.

 

La fausse prophétie eschatologique.

 

Si l'on considère ces faits[1], on conclura que Dieu s'intéresse aux hommes et qu'il leur donne de diverses manières des présages pour qu’ils se sauvent, pendant que ceux-ci vont à leur perte par leur folie et leurs crimes volontaires. C'est ainsi que les Juifs avaient été surtout excités à la guerre par une prophétie ambiguë trouvée dans les Saintes Écritures, et annonçant qu'en ce temps-là un homme de leur pays deviendrait le maître de l'univers (Ézéchiel 38, 14. 39, 15). Les zélotes juifs prirent cette prédiction pour eux, et beaucoup parmi les sages du Temple de Jérusalem se trompèrent dans leur interprétation ; car l'oracle annonçait en réalité l'empire de Jésus de Nazareth, empire que je n’ai personnellement découvert que bien plus tard, à l’heure de ma propre mort, car son Royaume n’est pas de ce monde. Tant que j’ai été sur terre, j’ai totalement ignoré l’importance de la mort du Messie, son passage ayant été invisible et misérable.

 

Certains Juifs devenus disciples de ce Jésus pensaient que le Messie serait un homme humble et pauvre qui prendrait sur lui les péchés du monde entier, afin d’ouvrir aux hommes le paradis de Dieu. Ils débattaient passionnément en citant Isaïe 11, 1-5 : « Sur lui reposera l'Esprit de Yahvé. Son inspiration est dans la crainte de Yahvé. Il jugera mais non sur l'apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire. Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. »

Les débats faisaient rage entre ces deux écoles. Or, l’Histoire l’a montré plus tard, ce sont les Juifs spirituels qui avaient raison. Ils survécurent d’ailleurs à la guerre pour la plupart, car ils s’enfuirent de Jérusalem, suivant en cela le Messie Jésus qui les avait avertis (Luc 21, 21-24) : « Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, alors comprenez que sa dévastation est toute proche. Alors, que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes, que ceux qui seront à l'intérieur de la ville s'en éloignent, et que ceux qui seront dans les campagnes n'y entrent pas ; car ce seront des jours de vengeance, où devra s'accomplir tout ce qui a été écrit. Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! "Car il y aura grande détresse sur la terre et colère contre ce peuple. Ils tomberont sous le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par des païens jusqu'à ce que soient accomplis les temps des païens. »

 

Il est un fait qu’on ne voit que ce que l’on croit. Bien que les Juifs zélateurs de la guerre aient été avertis, il n'est pas possible aux peuples, même quand ils le prévoient, d'échapper à leur destin. Car, portés par la soif du pouvoir sur le monde que semblaient annoncer les textes, les Juifs les plus actifs interprétèrent à leur fantaisie ou méprisèrent les présages. Ils entraînèrent la nation à la guerre puisque, d’après eux, elle devait aboutir avec l’aide de Dieu à la victoire sur les légions romaines et à l’instauration de l’Empire mondial de la judéité. Ils ne perdirent espoir que le jour où la ruine de leur patrie et leur propre ruine les eurent convaincus de leur folie. Et cela n’arriva qu’avec la mort du dernier zélote, non sur le rocher de Massada comme on le croit souvent, mais en Égypte où même le Temple juif d’Onias dut être détruit par les Romains. Ainsi, il ne leur resta rien qui soit visible de leur ancienne gloire.

 

 

Une multitude de signes

 

Avant ces événements, il y eut des signes dans le ciel. Les gens virent passer des nuages en forme d’armées prêtes au combat, et ils entendaient dans les airs des bruits de cliquetis d’armes. Mais voici de tous ces présages le plus terrible[2] : un certain Jésus, fils d'Ananias, de condition humble et habitant la campagne, se rendit, quatre ans avant la guerre, quand la ville jouissait d'une paix et d'une prospérité très grandes, à la fête où il est d'usage que tous dressent des tentes en l'honneur de Dieu, et se mit soudain à crier dans le Temple : « Voix de l'Orient, voix de l'Occident, voix des quatre vents, voix contre Jérusalem et contre le Temple, voix contre les nouveaux époux et les nouvelles épouses, voix contre tout le peuple ! » Et il marchait, criant jour et nuit ces paroles, dans toutes les rues. Quelques notables, irrités de ces dires de mauvais augure, saisirent l'homme, le maltraitèrent et le rouèrent de coups. Mais lui, sans un mot de défense, sans une prière adressée à ceux qui le frappaient, continuait à jeter les mêmes cris qu'auparavant. Les magistrats, croyant avec raison que l'agitation de cet homme avait quelque chose de surnaturel, le menèrent devant le gouverneur romain. Là, déchiré à coups de fouet jusqu'aux os, il ne supplia pas, il ne pleura pas, mais il répondait à chaque coup, en donnant à sa voix l'inflexion la plus lamentable qu'il pouvait : « Malheur à Jérusalem ! » Le gouverneur Albinus lui demanda qui il était, d'où il venait, pourquoi il prononçait ces paroles ; l'homme ne fit absolument aucune réponse mais il ne cessa pas de réitérer cette lamentation sur la ville, tant qu'enfin Albinus, le jugeant fou, le mit en liberté. Jusqu'au début de la guerre, il n'entretint de rapport avec aucun de ses concitoyens ; on ne le vit jamais parler à aucun d'eux, mais tous les jours, comme une prière apprise, il répétait sa plainte : « Malheur à Jérusalem ! » Il ne maudissait pas ceux qui le frappaient quotidiennement, il ne remerciait pas ceux qui lui donnaient quelque nourriture. Sa seule réponse à tous était ce présage funeste. C'était surtout lors des fêtes qu'il criait ainsi. Durant sept ans et cinq mois, il persévéra dans son dire, et sa voix n’éprouvait ni faiblesse ni fatigue ; enfin, pendant le siège, voyant se vérifier son présage, il se tut. Car tandis que, faisant le tour du rempart, il criait d'une voix aiguë : « Malheur encore à la ville, au peuple et au Temple », il ajouta à la fin : « Malheur à moi-même », et aussitôt une pierre lancée par le coup de pied d’un âne le frappa à mort. Il rendit l'âme en répétant les mêmes mots.

 

Comment les zélotes obtinrent leur guerre

 

Les prophéties concernant la future suprématie mondiale du judaïsme se répandirent partout dans le peuple par la faute de nombreux prédicateurs itinérants[3]. Ils trompaient les gens du peuple, sous un prétexte de religion. Ils les menaient dans des solitudes, avec promesse que Dieu leur ferait voir par des signes manifestes qu’il voulait les affranchir de la domination romaine. Un faux prophète égyptien, qui était un très grand imposteur, enchanta tellement le peuple qu’il assembla près de trente mille hommes.

Ensuite, lorsque l’esprit d’un nombre suffisant de jeunes fut échauffé par le fanatisme, les zélotes s’impatientèrent[4]. Ils voulaient vivre ces événements qu’ils appelaient de leurs vœux. Pour obtenir la guerre, ils utilisèrent des moyens violents. Ils commencèrent par s’attaquer physiquement à tous ceux qui, Juifs de près ou de loin, collaboraient avec l’Empire romain. Ils se mirent à les tuer, d’abord avec ruse parce qu’ils étaient peu nombreux, puis ostensiblement. On nommait leurs tueurs les sicaires, et ce n’était pas de nuit mais en plein jour, et particulièrement dans les fêtes les plus solennelles, qu’ils faisaient sentir les effets de leur fureur. Ils poignardaient au milieu de la foule ceux qu’ils avaient résolu de tuer. Ils mêlaient ensuite leurs cris à ceux de tout le peuple, contre les coupables d’un si grand crime.

Puis quand ils estimèrent la troupe de leurs adeptes assez nombreuse, ils se mirent à agresser par villages entiers leurs propres coreligionnaires jugés trop tièdes[5].

 

Le fanatisme eschatologique progressant, les zélotes ne doutèrent plus de la victoire. Ils décidèrent de s’en prendre alors directement aux Romains. Beaucoup essayaient de les dissuader, disant dans leur lucidité [6]: « Si l’on considère quelle est la discipline des Romains et leur conduite dans toutes les autres choses qui regardent la guerre, doutera-t-on que ce ne soit à leur seule valeur et non pas à la fortune qu’ils doivent l’empire du monde ? On est obligé d’admirer le fait qu’ils rendent leurs valets eux-mêmes capables de combattre. La peur ne leur fait jamais perdre le jugement. La lassitude ne peut les abattre. Ainsi, comme ils ne trouvent pas d’ennemis en qui toutes ces qualités se rencontrent, ils sont toujours victorieux. Leurs exercices sont des combats où l’on ne répand pas de sang, et leurs combats des exercices sanglants. »

Rien n’y fit[7]. un jour, un certain Éléazar, fils du prêtre Ananias, persuada ceux qui prenaient soin des sacrifices au Temple de Jérusalem, de n’accepter des présents et des victimes que de la part des seuls Juifs. Les offrandes des Romains furent refusées. Par suite de cette résolution, on refusa les victimes offertes au nom de l’empereur. Les prêtres et les grands s’opposèrent de tout leur pouvoir à l’abolition de cette coutume. Ils les prévinrent qu’une telle humiliation valait pour les Romains déclaration de guerre. Mais ce fut inutile, parce que ces séditieux se fiaient en leur grand nombre et ne respiraient que la révolte. 

Or l’Empereur Néron ne réagit qu’en condamnant verbalement ce geste et en envoyant une délégation. Les zélotes s’en réjouirent et méprisèrent sa mollesse. Comme c'est le cas dans toute l’histoire humaine de la guerre, ils saisirent cette occasion pour redoubler d’audace, et, tendus vers des espérances immodérées, ils attaquèrent par surprise la garnison romaine de Cestius[8],  qu’ils massacrèrent.

Devant les signes par trop évidents de la révolte généralisée des Juifs, Néron décida d’envoyer les légions. Il mit à leur tête le général Vespasien, assisté de son fils Titus.

 

Le peuple piégé dans Jérusalem

 

Lorsque les Romains arrivèrent, ils commencèrent par dévaster la Galilée et les régions voisines, et ne s’en prirent pas à Jérusalem, la ville qu’ils savaient sainte. Ils voulaient montrer leur force tout en épargnant le cœur juif. C’est là qu’ils me firent prisonnier, moi Flavius Josèphe. Or encore une fois, cette clémence parut de la faiblesse aux yeux des zélotes, et elle nourrit leur audace. Loin de composer avec la main que leur tendait Vespasien[9], et malgré de nombreuses défaites, les Juifs zélateurs provoquèrent celui-ci, excitant la haine des Romains à travers toutes sortes de traîtrises. C’est qu’ils gardaient une entière foi en la prophétie qui les avait conduits à combattre. Ils pourchassaient et tuaient les Juifs défaitistes. 

Entre-temps, Néron mourut et les Romains furent occupés par des troubles intérieurs. Alors les Juifs mirent à profit le départ du général Vespasien pour se préparer à la guerre dans Jérusalem. Ils construisirent de nouvelles murailles tout en ne cessant de se déchirer entre eux. Ils convainquirent le peuple de se réfugier dans la ville, disant que Dieu ne tolérerait jamais que les infidèles s’attaquent à son sanctuaire sacré. C’était une fallacieuse croyance[10], et un faux prophète allié des zélotes fut cause de la perte de ce pauvre peuple, qui n’était monté à la ville et dans le Temple que sur l’assurance qu’il leur avait donnée qu’ils y retrouveraient ce jour-là des effets du secours de Dieu. Mais ce malheureux peuple était d’autant plus à plaindre qu’ajoutant aisément foi à ces imposteurs qui abusaient du nom de Dieu pour le tromper, il fermait les yeux et se bouchait les oreilles pour ne pas voir et ne pas entendre les signes certains et les avertissements par lesquels Dieu avait fait prédire sa ruine.

Jérusalem, Jérusalem !

 

Et c’était en effet une folie. Les légions de Rome assiégèrent Jérusalem et on vit bientôt se produire les scènes déchirantes qui accompagnent toujours ces malheurs.

Une femme nommée Marie[11], appartenant aux tribus d'au-delà du Jourdain, fille d'Eléazar, du bourg de Bethezyba, distinguée par sa naissance et ses richesses, vint avec le reste de la multitude se réfugier à Jérusalem et y subit le siège. Les tyrans lui prirent la plupart des biens qu'elle avait apportés : le reste de ses objets précieux et le peu de nourriture qu'elle avait pu réunir lui furent ravis lors des incursions quotidiennes des sicaires. Enflammée par la faim, elle fit affront à la nature, et, saisissant le fils qu'elle avait à la mamelle, elle le tua, puis le fit rôtir et mangea la moitié de ce corps, dont elle cacha et mit en réserve le reste. Bientôt arrivèrent les factieux, qui, sentant l'odeur de cette graisse abominable, menacèrent la femme de l'égorger sur-le-champ si elle ne leur montrait le mets qu’elle avait préparé. Elle répondit qu'elle leur en avait réservé une belle part et découvrit à leurs yeux les restes de son fils. Aussitôt, saisis d'horreur et de stupeur, ces hommes s'arrêtèrent épouvantés.

 

Au milieu[12] de tant de maux dont Jérusalem était assiégée de toutes parts, et qui rendaient cette malheureuse ville semblable à un corps exposé à la fureur des bêtes les plus cruelles, les vieillards et les femmes juives faisaient des vœux pour la victoire des Romains. Ils souhaitaient être délivrés par une guerre étrangère des misères que cette guerre domestique leur faisait souffrir. Jamais déso­lation ne fut plus grande que celle de ces infortunés habitants.

Les Juifs fanatiques[13], ne tenant pas compte de ce qu’ils souffraient, ne pensaient qu’à attaquer les Romains et s’estimaient heureux de mourir pourvu qu’ils eussent tué quelqu’un. Le général Titus au contraire, n’avait pas moins de soin de conserver ses soldats que le désir de vaincre. Il disait que la témérité devait plutôt passer pour désespoir que pour valeur, mais que le vrai courage consistait à joindre la prudence à la générosité, et à se conduire avec tant de jugement dans les périls qu’on n’oubliât rien pour tâcher de s’en garantir et de les faire tomber sur les ennemis.

Puis les Romains réussirent à forcer les remparts de Jérusalem et entrèrent dans la ville. Alors, dans leur obstination à vouloir vaincre l’Empire, les zélotes finirent par faire du Temple lui-même la forteresse de leur sauvegarde, estimant que là au moins Dieu leur donnerait la victoire. Ils n’eurent aucune pitié pour le Temple et ils y massacrèrent nombre de ceux qui leur disaient que manifestement, Dieu n’était pas avec eux. Les Juifs[14], affaiblis par les pertes qu’ils avaient subies dans tant de combats, résolurent de ruiner une partie du Temple pour tâcher de sauver le reste. Ils com­mencèrent par mettre le feu à cette partie de la galerie qui rejoignait la forteresse Antonia. Ils furent ainsi les premiers qui travaillèrent à la des­truction de ces superbes ouvrages. Quelques jours après, le huit septembre 70, les Romains mirent le feu au reste du Sanctuaire au cours d’une bataille.

 

C’est ainsi que le Temple et l’Etat brûlèrent. Il n’en resta plus rien[15]. Non seulement le Temple fut détruit, mais par suite de l’obstination des zélotes qui continuaient à se battre alors que tout était perdu, la ville de Jérusalem fut rasée puis le pays des Juifs tout entier.

 

Et, malgré ce grand et visible malheur, les zélotes survivants ne perdirent pas encore espoir. Rien n’y faisait. Leur foi en une hypothétique action ultime et miraculeuse de Dieu s’enhardissait jusqu’à l’hystérie. « Elle devrait arriver bientôt, disaient-ils, puisque selon la prophétie tout doit sembler perdu. » Çà et là, bien après la ruine du Temple et de la ville de Jérusalem, des groupes de ces assassins s’attaquaient encore à des intérêts romains, avec une incroyable constance. Massada était le nom d'une citadelle juive, au sud-est d'Hébron, près de la mer Morte, dans laquelle les derniers zélotes se réfugièrent. Eléazar[16], un descendant, dit-on, de Judas, les commandait. Flavius Silva, gouverneur romain de Syrie, en faisait le siège avec ses hommes. Un mur fut élevé autour de la citadelle pour empêcher toute fuite. Mais la place était naturellement défendue. Elle était située sur un immense rocher trapézoïdal, entouré de profonds ravins. Seuls deux chemins étroits franchissaient les précipices. Remparts et tours complétaient la protection. À l'abri de ces murs imprenables, les sicaires disposaient de grandes quantités de vivres et d'armes. Les soldats romains construisirent des échafaudages d'où ils parvinrent, avec force coups de bélier et en mettant le feu, à enfoncer les murailles. « Nous sommes sûrs d'être pris, lança Éléazar, mais nous pouvons choisir, avant, de mourir noblement avec ceux que nous aimons le plus. » Il s’ensuivit une longue exhortation qu'il conclut ainsi : « Hâtons-nous donc de leur laisser, au lieu de la jouissance qu'ils espèrent de notre capture, la stupeur devant notre mort et l'admiration pour notre intrépidité. »

Le trois mai 73, 960 hommes, femmes et enfants périrent ainsi égorgés par des sicaires tirés au sort et dont le dernier se suicida. Cela se passa au cours de la dernière attaque romaine contre Massada. Ce suicide collectif impressionna durablement les Romains et, bien au-delà, les civilisations postérieures. Le suicide des assiégés était également, au moins symboliquement, celui du peuple juif tout entier, abandonné de Dieu. Éléazar, dans sa première harangue à la mort, avait fini par regretter l'incapacité de ses compagnons à « pénétrer la pensée de Dieu. Il avait fini par se rendre compte que le peuple juif, que Dieu avait aimé autrefois, avait été condamné par lui. »

 

Testament de Flavius Josèphe

 

Moi, Flavius Josèphe, j’ai été témoin de tous ces événements[17]: ne peut-on pas donc dire avec raison que la folie des zélotes est la véritable cause du malheur des Juifs, et que ce que les Romains leur ont fait souffrir n’en a été qu’une juste punition ? Mais je laisse à chacun le soin d’en juger comme il lui plaira. Moi, ce que j’ai vu de mes yeux, c’est que Dieu, se jouant de leur orgueil, n’a même pas eu à leur envoyer un esprit de mensonge afin qu’ils se trompent sur le sens des Écritures et que leur erreur aboutisse à leur humiliation. Cela s’est passé selon la simple logique de leur auto aveuglement, comme Dieu l’avait annoncé dans le premier livre des Rois 22, 22 : « J'irai, dit Dieu, et je me ferai esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Car j’ai prononcé contre toi le malheur. »

 

Et stupéfié par une si complète ruine, j’ai écrit dans les larmes, de mon vivant[18] : Jérusalem, pauvre ville ! Qu’as-tu souffert de semblable lorsque les Romains, après être entrés par la brèche, t’ont réduite en cendre pour purifier par le feu tant d’abominations et de crimes qui avaient attiré sur toi les foudres de la vengeance de Dieu ? Qui pouvait encore croire que tu avais été ce lieu adorable où Dieu avait établi son séjour ? Tu fus punie après avoir, par la plus sanglante et la plus cruelle guerre civile que l’on vit jamais, fait de son saint Temple le sépulcre de tes citoyens. Ne désespère pas néanmoins de pouvoir apaiser sa colère, pourvu que tu égales ton repentir à l’énormité de tes offenses.

A cette époque, je croyais vraiment que Dieu, voyant ces saints lieux consacrés à son service souillés par tant d’abominations, avait abandonné complètement mes frères juifs pour se ranger du côté de ceux à qui nous fîmes la guerre. Je disais : « Lorsqu’un homme de bien voit que tout est corrompu dans sa famille, il la quitte et change en haine l’affection qu’il lui portait. Nous voudrions que Dieu, à qui rien ne peut être caché et qui pour connaître les plus secrètes pensées des hommes n’a pas besoin qu’ils les lui disent, demeurât avec nous quoique nous soyons coupables des plus grands de tous les crimes. Ils sont si publics qu’il n’y a personne qui les ignore. Il semble que nous avons concouru à qui serait le plus méchant. Nous nous faisions gloire du vice comme les autres font gloire de la vertu[19].»

 

Maintenant, je suis dans le Royaume de Dieu. Et j’ai vu le vrai sens de cette histoire. J’ai compris que cet abandon n’était qu’apparent et terrestre. Il visait un salut plus grand, éternel. Et je revois sans cesse mes compagnons de cette époque. Ceux qui sont avec Dieu, Juifs et Romains, anciens combattants de cette guerre, regardent en paix toute la vanité de ce temps. Et nous rendons tous grâce à Dieu pour sa bonté. C’est lui qui, malgré notre extrême dureté et cruauté, a daigné nous éduquer par toute cette misère et ces échecs. Nous ne regrettons pas d’être passés par cette folie dans la mesure où Dieu nous a proposé son pardon. Beaucoup d’entre nous l’ont reçu avec une reconnaissance éternelle, car celui qui a bu jusqu’au bout la coupe de ses propres erreurs sait ce que c’est qu’être sauvé de cette manière. Dans l’accueil qui nous fut réservé à l’heure de notre mort par Jésus, notre frère dans la chair et notre Dieu, nous ne nous sommes pas sentis condamnés. Lui aussi avait bu jusqu’à la lie la coupe de son échec terrestre.

Dieu nous a donné à tous, Juifs et Romains, à la mesure de notre repentir aimant. Je ne puis que pleurer de reconnaissance, à longueur d’éternité, maintenant que j’ai devant les yeux le vrai Royaume qui nous avait été promis.

 

Et ce Royaume, c’est le Dieu trois fois Saint.


 

[1] Librement interprété à partir de La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 7, 5, 4.

[2] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 7, 5, 3.

[3] La guerre des Juifs contre les Romains, livre 2, 23.

[4] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 2, 23.

[5] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 2, 33.

[6] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 3, 6.

[7] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 2, 30.

[8] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 2, 28, 9.

[9] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 35.

[10] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 6, 30.

[11] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 6, 3, 4.

[12] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 4.

[13] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 22.

[14] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 6, 16.

[15] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 6, 26.

[16] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 7, 36.

[17] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 16.

[18] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 2.

[19] La Guerre des Juifs contre les Romains, livre 5, 26, fin.