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ÉTAT DES ESPRITS RESSUSCITÉS

91 : AUSSITOT SÉPARÉES DU CORPS, LES AMES REÇOIVENT LEUR RÉCOMPENSE OU LEUR CHATIMENT

92 : APRÈS LA MORT, LES AMES DES SAINTS VERRONT LEUR VOLONTÉ IMMUABLEMENT FIXÉE DANS LE BIEN

93 : APRÈS LA MORT, LES AMES DES MÉCHANTS VERRONT LEUR VOLONTÉ IMMUABLEMENT FIXÉE DANS LE MAL

94 : IMMUTABILITÉ DE LA VOLONTÉ DANS LES AMES QUI SONT RETENUES EN PURGATOIRE

95 : IMMUTABILITÉ DE LA VOLONTÉ, EN GÉNÉRAL, DANS TOUTES LES AMES SÉPARÉES DU CORPS

 

91 : AUSSITOT SÉPARÉES DU CORPS, LES AMES REÇOIVENT LEUR RÉCOMPENSE OU LEUR CHATIMENT

Nous pouvons conclure de tout ceci que les âmes humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs mérites, leur châtiment ou leur récompense. Les âmes séparées, nous l'avons montré, sont en effet capables d'encourir des châtiments, non seulement spirituels, mais aussi corporels. Qu'elles puissent entrer dans la gloire, c'est évident, après ce que nous avons dit au Livre IIIe. Dès que l'âme est séparée du corps, elle devient capable de voir Dieu, vision à laquelle elle ne pouvait parvenir tant qu'elle était unie à un corps corruptible. C'est en effet dans la vision de Dieu que consiste l'ultime béatitude de l'homme, récompense de la vertu. Or on ne voit pas pourquoi châtiment et récompense seraient différés, du moment que l'âme est capable de l'un et de l'autre. Sitôt donc que l'âme est séparée du corps, elle reçoit sa récompense ou son châtiment pour tout ce qu'elle a fait pendant qu'elle était dans son corps. Cette vie-ci est le temps du mérite ou du démérite, d'où la comparaison avec le service militaire et les jours du mercenaire, telle qu'elle est établie au Livre de Job : La vie de l'homme sur terre est un temps de service, ses jours sont comme ceux d'un mercenaire. Mais après le temps de service, après le travail du mercenaire, vient la récompense ou le châtiment, dûs à ceux qui ont bien ou mal oeuvré. Aussi est-il dit au Lévitique : Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu'au lendemain matin. Et encore, en Job : Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes. Il est normal que l'ordre du châtiment et de la récompense réponde à l'ordre de la faute et du mérite. Or mérite et faute n'intéressent le corps que par l'intermédiaire de l'âme : rien ne rentre dans l'ordre du mérite ou du démérite qui ne soit volontaire. Il convient donc que la récompense comme le châtiment atteignent le corps par le biais de l'âme, non point l'âme par le biais du corps. Il n'y a donc aucune raison d'attendre la résurrection des corps pour qu'ait lieu la récompense ou la punition des âmes ; bien plutôt convient-il que les âmes en qui tout d'abord se trouvent réalisés faute et mérite, soient tout d'abord aussi punies ou récompensées. Récompense et châtiment sont dûs aux créatures raisonnables en vertu de la même providence de Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en va ainsi des réalités naturelles que chacune d'elles reçoit à l'instant la perfection dont elle est capable, à moins qu'il n'y ait un obstacle soit de la part du sujet récepteur, soit de la part de l'agent. Puisque les âmes deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le châtiment des méchants soient différés jusqu'au temps où les âmes retrouveront leur corps. Il faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y avoir un certain obstacle à ce que l'âme déliée du corps reçoive immédiatement cette récompense dernière qu'est la vision de Dieu. A cette vision, qui dépasse absolument les facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée qu'une fois totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que rien de souillé ne peut pénétrer en elle ; et en Isaïe, qu'aucun impur ne passera par là. Or c'est le péché qui souille l'âme en l'enchaînant indûment aux réalités inférieures. De cette souillure elle est purifiée en cette vie par la pénitence et par les autres sacrements. Mais il arrive que cette purification n'est pas pleinement réalisée ici-bas et que l'âme est encore redevable de peine, soit qu'il y ait eu négligence ou affaires trop absorbantes, soit même que l'on ait été prévenu par la mort. L'âme n'en mérite pas pour autant d'être totalement exclue de la récompense, car tout cela peut se faire sans qu'il y ait péché mortel, le seul qui puisse détruire la charité à laquelle est due la récompense de la vie éternelle. Il faut donc que de telles âmes soient purifiées après cette vie, avant d'obtenir la récompense dernière. Or cette purification est afflictive, tout comme en cette vie où elle aurait pu être pleinement accomplie au moyen de peines satisfactoires. Sans quoi, dans l'hypothèse où la peine qui n'est pas accomplie ici-bas ne serait pas ressentie dans le monde à venir, le sort de ceux qui négligent de le faire serait meilleur que le sort de ceux qui en ont le souci. Le don de la récompense aux âmes des bons à qui il reste encore ici-bas quelque chose à purifier sera donc retardé jusqu'à ce que ces âmes aient subi les peines purificatrices. Voilà pourquoi nous affirmons qu'il y a un purgatoire. C'est ce que confirme la parole de l'Apôtre dans la Ire Épître aux Corinthiens : Si son oeuvre est consumée, il en subira la perte ; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu. C'est ce que confirme aussi la tradition de l'Église universelle qui prie pour les défunts, d'une prière qui serait inutile s'il n'y avait pas de purgatoire. L'Église en effet ne prie pas pour ceux qui sont arrivés au terme, bons ou mauvais, mais pour ceux qui ne sont pas encore arrivés. Qu'aussitôt après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou leur récompense, s'il n'y a pas d'obstacle, les textes de l'Écriture l'affirment. Il est dit des méchants, au Livre de Job : Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils descendent aux enfers ; et en saint Luc : Le riche mourut et fut enseveli dans l'enfer, l'enfer étant le lieu où les âmes sont punies. Il en va évidemment de même pour les bons. Le Seigneur, suspendu à la croix, dit au larron : Dès aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis, étant entendu que le Paradis est la récompense qui est promise aux bons, selon le mot de l'Apocalypse : Au vainqueur je ferai manger de l'arbre de vie placé dans le paradis de mon Dieu. Certains prétendent, sans doute, qu'il ne faut pas voir dans le paradis l'ultime récompense des cieux dont il est parlé en saint Matthieu : Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux. Il ne s'agirait que d'une récompense terrestre, le paradis semblant être en effet ce lieu terrestre dont il est dit dans la Genèse : Dieu planta un paradis de délices et il y mit l'homme qu'il avait modelé. Mais si l'on étudie correctement les paroles de la sainte Écriture, on verra que la rétribution finale promise aux saints dans les cieux est accordée aussitôt après cette vie. Dans la Ire Épître aux Corinthiens, au chapitre IVe, l'Apôtre a commencé par parler de la gloire finale en disant que la légère tribulation d'un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n'ont qu'un temps, les invisibles sont éternelles, parole qui s'applique clairement à la gloire finale, celle des cieux. Puis, pour en montrer le temps et le mode, l'Apôtre ajoute : Nous savons en effet que si cette tente - notre demeure terrestre -vient à être détruite, nous avons une maison qui est l'_uvre de Dieu, une demeure éternelle qui n'est pas faite de main d'homme, et qui est dans les cieux. Par là Paul donne clairement à entendre qu'une fois accomplie la séparation d'avec le corps, l'âme entre dans l'éternelle demeure du ciel, qui n'est rien d'autre que la jouissance de Dieu, à l'image de celle des anges dans les cieux. L'Apôtre, objectera-t-on peut-être, n'a pas dit qu'aussitôt après la dissolution du corps nous prendrions en fait possession de cette demeure éternelle des cieux ; il ne s'agit que d'espérance, l'entrée en possession réelle étant réservée à l'avenir. Une telle objection est évidemment à l'opposé de l'intention de l'Apôtre ; c'est dès cette vie en effet que nous est promise, selon la prédestination divine, cette demeure du ciel ; et déjà nous l'avons en espérance, selon cette parole de l'Épître aux Romains : C'est en espérance que nous avons été sauvés. C'est donc inutilement qu'il aurait ajouté : Si cette tente -notre demeure terrestre -vient à être détruite. Il lui aurait suffi de dire : Nous savons que nous avons une maison qui est l'_uvre de Dieu, etc... Ce qui suit le montre d'ailleurs plus clairement encore : Sachant que demeurer dans ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, - car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision -nous sommes donc pleins d'assurance et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. C'est en vain que nous voudrions quitter ce corps, c'est-à-dire en être séparés, si ce n'était pour nous trouver aussitôt dans la présence du Seigneur. Or nous ne sommes en sa présence que dans la claire vision. Tant que nous marchons dans la foi et non pas à vue, nous vivons en exil loin du Seigneur. C'est donc aussitôt après sa séparation d'avec le corps que l'âme sainte voit Dieu face à face, ce qui est la béatitude suprême. C'est ce que prouvent aussi ces paroles de l'Apôtre aux Philippiens : J'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ. Or le Christ est au ciel. L'Apôtre espérait donc parvenir au ciel aussitôt que délié de son corps. Est ainsi réfutée l'erreur de certains Grecs qui nient le Purgatoire et prétendent qu'avant la résurrection des corps les âmes ni ne montent au ciel ni ne descendent en enfer.

92 : APRÈS LA MORT, LES AMES DES SAINTS VERRONT LEUR VOLONTÉ IMMUABLEMENT FIXÉE DANS LE BIEN

Nous pouvons déduire de tout cela que les âmes, aussitôt après leur séparation d'avec le corps, sont immuablement fixées dans leur volonté de telle manière que la volonté de l'homme ne puisse plus désormais passer ni du bien au mal, ni du mal au bien. Tant que l'âme en effet peut passer du bien au mal ou du mal au bien, elle est dans un état de combat et de guerre : il lui faut résister activement au mal pour n'être pas vaincue par lui, ou faire effort pour s'en libérer. Aussitôt que l'âme s'est séparée du corps, elle n'est plus en état de guerre ou de combat, mais en situation de recevoir la récompense ou le châtiment selon qu'elle a lutté selon les règles ou non. Or nous avons vu déjà qu'elle recevait aussitôt récompense ou châtiment. La volonté de l'âme ne peut donc plus passer désormais du bien au mal ou du mal au bien. Comme nous l'avons montré au Livre IIIe, la béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu, est éternelle ; nous avons vu également comment au péché mortel était due une peine éternelle. Mais l'âme ne peut être bienheureuse, si sa volonté n'a pas été droite ; et c'est en se détournant de sa fin qu'une volonté cesse d'être droite. Or il est impossible de se détourner de la fin et d'en jouir à la fois. Il faut donc que la volonté de l'âme bienheureuse garde une éternelle rectitude, telle qu'elle ne puisse passer du bien au mal. La créature raisonnable désire naturellement le bonheur : elle ne peut pas ne pas vouloir être heureuse. Elle peut cependant se détourner volontairement de ce qui fait sa véritable béatitude. Cette perversité de la volonté s'explique ainsi : l'objet de la béatitude n'est pas saisi sous sa raison de béatitude ; ce qui est saisi, c'est quelque chose d'autre vers quoi la volonté désormais s'infléchit comme vers sa fin. L'homme, par exemple, qui met sa fin dans les plaisirs charnels les estime comme ce qu'il y a de meilleur, ce qui est la définition même de la béatitude. Mais ceux qui déjà sont bienheureux saisissent l'objet véritable de la béatitude sous sa raison de béatitude et de fin dernière : autrement leur désir n'en serait pas comblé, et ils ne seraient pas bienheureux. Les bienheureux ne peuvent donc détourner leur volonté de ce qui fait la véritable béatitude. Il leur est impossible d'avoir une volonté perverse. Quiconque se contente de ce qu'il a ne cherche pas ailleurs. Mais quiconque est bienheureux, se contente de ce qui fait son véritable bonheur ; autrement son désir ne serait pas comblé. Quiconque est bienheureux n'a donc rien à chercher qui n'appartienne à ce qui fait son véritable bonheur. Mais nul n'a de volonté mauvaise que dans la mesure où il désire ce qui est contraire à l'objet de la véritable béatitude. La volonté d'aucun Bienheureux ne peut donc se pervertir. Il n'y a pas de péché de la volonté sans une certaine ignorance du côté de l'intelligence : nous ne voulons rien d'autre que le bien, vrai ou apparent. Ils se trompent ceux qui font le mal, disent les Proverbes, et le Philosophe d'affirmer, au IIIe Livre de l'Éthique, que tout méchant est un ignorant. Mais l'âme qui est vraiment bienheureuse est absolument incapable d'ignorance, puisqu'elle voit en Dieu tout ce qui regarde sa perfection. D'aucune manière, par conséquent elle ne peut avoir mauvaise volonté, alors surtout que sa vision de Dieu est toujours en acte, comme nous l'avons montré au Livre IIIe. Notre intelligence peut se tromper sur certaines conclusions tant qu'il n'y a pas eu résolution aux premiers principes ; cette réduction faite, il y a alors science des conclusions, une science qui ne peut être fausse. Or il en va de la fin dans le domaine des appétits, comme du principe de démonstration en domaine spéculatif, écrit Aristote au IIe Livre de l'Éthique. Tant que nous n'avons pas atteint la fin dernière, notre volonté peut se pervertir ; cela n'est pas possible une fois qu'on est entré dans la jouissance de la fin dernière, ce qui est le désirable pour soi, tout comme les premiers principes des démonstrations sont connus par soi. En tant que tel, le bien est aimable. Ce qui est saisi comme le meilleur est souverainement aimable. La substance raisonnable qui voit Dieu, le saisit comme le meilleur. Elle l'aime donc souverainement. Or n'est de la nature de l'amour de rendre conformes entre elles les volontés de ceux qui s'aiment. Les volontés des Bienheureux sont donc souverainement conformes à Dieu, de cette conformité qui fait la rectitude de la volonté, puisque la volonté de Dieu est la première règle de toutes les volontés. Les volontés de ceux qui voient Dieu ne peuvent donc devenir mauvaises. Aussi longtemps qu'il est possible à un être de tendre vers quelque chose d'autre, sa fin dernière n'est pas atteinte. Si donc l'âme bienheureuse pouvait encore passer du bien au mal, elle n'aurait pas encore atteint sa fin dernière, ce qui va contre la nature même de la béatitude. Il est donc évident que les âmes qui entrent dans la béatitude aussitôt après la mort, voient leur volonté immuablement fixée.

93 : APRÈS LA MORT, LES AMES DES MÉCHANTS VERRONT LEUR VOLONTÉ IMMUABLEMENT FIXÉE DANS LE MAL

Ainsi en va-t-il encore des âmes qui, aussitôt après la mort, tombent dans le malheur des châtiments : elles deviennent immuablement fixées en leur volonté. Une peine éternelle - nous l'avons montré au Livre IIIe - est due au péché mortel, Mais la peine des âmes qui sont damnées ne serait pas éternelle, si ces âmes pouvaient convertir leur volonté ; il serait alors injuste que pour leur bonne volonté elles soient punies éternellement. La volonté de l'âme damnée ne peut donc se convertir au bien. Le désordre de la volonté est lui-même une peine, très spécialement une peine afflictive : étant donné que pour quiconque possède une volonté déréglée tout ce qui se fait de juste est un objet de dégoût, l'accomplissement en toutes choses de la volonté de Dieu à laquelle en péchant ils ont résisté, sera pour les damnés un sujet de dégoût. Et jamais ce désordre de leur volonté ne pourra disparaître. Seule la grâce de Dieu peut faire passer la volonté du péché au bien, nous l'avons expliqué au Livre IIIe. De même que les âmes des bons sont admises à participer en plénitude à la bonté de Dieu, de même les âmes des damnés sont totalement exclues de la grâce. Leur volonté ne peut donc se convertir. De même enfin que les bons, en leur existence charnelle, mettent en Dieu la fin de toutes leurs oeuvres et de tous leurs désirs, de même les méchants la mettent en quelque objet d'injustice, qui les détourne de Dieu. Mais les âmes séparées des bons adhéreront immuablement à la fin qu'ils se sont donnée en cette vie, qui est Dieu. Les âmes des méchants adhéreront donc aussi à la fin qu'ils se sont choisie. De même donc que la volonté des bons ne pourra devenir mauvaise, pas davantage la volonté des méchants ne pourra devenir bonne.

94 : IMMUTABILITÉ DE LA VOLONTÉ DANS LES AMES QUI SONT RETENUES EN PURGATOIRE

Il est cependant des âmes qui n'entrent pas dans la béatitude aussitôt après leur séparation d'avec le corps, et qui ne sont pas pour autant damnées ; telles sont les âmes qui emportent avec elles quelque chose à expier. Il faut montrer que ces âmes-là, une fois séparées de leur corps, ne peuvent pas davantage subir de changement dans leur volonté. Les âmes des bienheureux et les âmes des damnés ont en effet leur volonté pleinement fixée de par la fin à laquelle elles ont adhéré. Mais les âmes qui emportent avec elles quelque chose à purifier n'ont pas d'autre fin que celle des âmes bienheureuses : elles quittent ce monde dans la charité qui nous donne d'adhérer à Dieu comme à notre fin. Elles auront donc, elles aussi, leur volonté immuablement fixée.

95 : IMMUTABILITÉ DE LA VOLONTÉ, EN GÉNÉRAL, DANS TOUTES LES AMES SÉPARÉES DU CORPS

C'est de la fin que résulte, pour toutes les âmes séparées, l'immutabilité de leur volonté ; on peut le prouver ainsi. La fin, avons-nous dit, se comporte en matière d'appétit comme les premiers principes en matière spéculative. Or ces principes sont naturellement connus ; l'erreur qui porterait sur eux viendrait d'une corruption de la nature. L'homme ne pourrait passer d'une juste à une fausse perception de ces principes, ou vice versa, sans un changement de nature ; celui qui erre sur les principes ne peut en effet être ramené par des principes plus certains, alors qu'on peut ramener l'homme dont l'erreur porte sur des conclusions. De même personne ne saurait être détourné de l'exacte perception des principes par quelque apparence plus déterminante. Ainsi en va-t-il pour la fin : tout être désire la fin dernière. D'une manière générale, il en résulte que la nature raisonnable désire la béatitude. Mais que ceci ou cela soit désiré sous la raison de béatitude et de fin dernière, voilà qui vient d'une disposition spéciale de la nature. Le Philosophe ne dit-il pas : Tel on est, telle nous apparaît la fin ? Si donc la disposition qui fait désirer à quelqu'un telle chose comme sa fin dernière ne peut changer, sa volonté ne pourra pas varier en ce qui concerne le désir de cette fin. Mais de telles dispositions peuvent être modifiées tant que l'âme reste unie au corps. Notre désir de telle chose à titre de fin dernière vient parfois d'une disposition passionnelle très passagère ; d'où la facilité avec laquelle le désir de la fin peut changer, comme c'est le cas pour les continents. Parfois aussi, la disposition qui nous incline à désirer telle fin, bonne ou mauvaise, vient d'un certain habitus ; cette disposition-là ne se modifie pas facilement. Il en résulte qu'un tel désir de la fin se maintient plus fortement, comme c'est le cas pour les tempérants. Mais en cette vie, même cette disposition de l'habitus peut disparaître. Voilà donc qui est évident : tant que demeure la disposition qui nous fait désirer telle chose à titre de fin dernière, le désir de cette fin ne peut subir de changement, car la fin dernière est désirée avec le maximum d'intensité : on ne peut être détourné du désir de la fin dernière par un objet de plus grand désir. Or, tant qu'elle est unie au corps, l'âme est dans un état changeant ; elle ne l'est plus une fois séparée du corps. La disposition de l'âme est en effet accidentellement modifiée selon telle ou telle modification corporelle ; le corps, au service de l'âme en ses opérations propres, lui est donné par la nature pour que l'âme, en son existence corporelle, atteigne sa perfection, mue pour ainsi dire vers elle. Quand donc l'âme sera séparée du corps, elle ne sera plus dans un état de tension vers la fin, mais dans un état de repos en la fin obtenue. La volonté sera donc immobile en ce qui concerne le désir de la fin dernière. Or c'est la fin dernière qui commande toute la bonté ou toute la malice de la volonté : a bonne volonté quiconque veut n'importe quel bien ordonné à une fin bonne ; a mauvaise volonté quiconque veut n'importe quel mal ordonné à une fin mauvaise. La volonté de l'âme séparée ne peut donc se porter du bien au mal, bien qu'elle puisse se porter d'un objet à un autre, l'ordre à la même fin dernière étant cependant sauf. Tout ceci montre qu'une telle immutabilité de la volonté ne répugne pas au libre arbitre, dont l'acte est de choisir : l'élection en effet porte sur les moyens d'atteindre la fin, non sur la fin dernière. De même qu'il n'est pas actuellement contraire au libre arbitre qu'en général, et d'une volonté immuable, nous désirions le bonheur et fuyions le malheur, de même ne sera-t-il pas contraire au libre arbitre que la volonté se porte de manière immuable sur un objet déterminé comme sur la fin dernière. De même qu'il y a en nous, maintenant, et de manière immuable, une nature commune qui nous fait désirer le bonheur, en général, de même alors il y aura en nous, stable, cette disposition spéciale qui nous fera désirer ceci ou cela à titre de fin dernière. Quant aux substances séparées, - nous voulons parler des anges - elles sont plus proches que les âmes de leur perfection dernière, de par la nature en laquelle elle sont créées. Point n'est besoin pour elles d'acquérir la science à partir des sens, ni de parvenir, à coup de raisonnement, des principes aux conclusions, comme c'est le cas pour les âmes. Elles ont le pouvoir de parvenir aussitôt à la contemplation de la vérité au moyen d'espèces infuses. Aussi bien sont-elles immuablement fixées dans leur fin, que cette fin soit ce qu'elle doit être ou non, sitôt qu'elles s'y sont attachées. Mais il ne faut pas croire que les âmes, une fois qu'elles auront recouvré leur corps à la résurrection, perdront cette immutabilité de la volonté : bien au contraire, elles y persévéreront. Lors de la résurrection en effet, nous l'avons dit plus haut, ce sont les corps qui épouseront les exigences de l'âme, non point les âmes qui auront à subir un changement de la part des corps.

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