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LE FAIT DE LA RÉSURRECTION

79 : LA RÉSURRECTION DES CORPS SERA L'OEUVRE DU CHRIST

Nous avons montré plus haut comment le Christ nous a libérés de tout ce que le péché du premier homme nous avait fait encourir. Parce que le premier homme a péché, ce n'est pas seulement le péché qui est venu jusqu'à nous, c'est aussi la mort, qui est le châtiment du péché, selon cette parole de l'Apôtre aux Romains : Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort. Le Christ doit donc nous délivrer des deux, de la faute et de la mort. Et l'Apôtre d'ajouter en effet : si, par la faute d'un seul, la mort a régné par ce seul homme, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du don de la justice, régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ. Pour nous donner en lui-même l'exemple de l'un et de l'autre, il a voulu et mourir et ressusciter. Il a voulu mourir pour nous purifier du péché : Comme il est arrêté que les hommes meurent une seule lois, écrit l'Apôtre dans l'Épître aux Hébreux, ainsi le Christ s'est-il offert une seule fois pour ôter les péchés de la multitude. Il a voulu aussi ressusciter pour nous libérer de la mort : Le Christ, écrit saint Paul aux Corinthiens, est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Puisque par un homme est venue la mort, c'est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. C'est dans les sacrements que nous percevons l'effet de la mort du Christ, en ce qui concerne la rémission de la faute ; nous avons vu plus haut comment les sacrements ont efficacité en vertu de la passion du Christ. Mais c'est à la fin des temps que nous percevrons l'effet de la résurrection du Christ, en ce qui concerne la libération de la mort, quand tous nous ressusciterons par la puissance du Christ. Si l'on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection des morts ? S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et vaine est votre foi. C'est donc une nécessité de foi de croire en la résurrection des corps. D'aucuns, au nom d'une exégèse complètement erronée, ne croient pas qu'il y ait à attendre une résurrection des corps ; ce qu'ils lisent dans l'Écriture au sujet de la résurrection, ils s'évertuent à l'appliquer à une résurrection spirituelle, en ce sens que certains sont ressuscités par la grâce de la mort du péché. L'Apôtre en personne a réfuté cette erreur, quand il dit à Timothée : Fuis les discours profanes et vains ; car leurs auteurs iront toujours plus avant dans l'impiété, et leur parole fera des ravages comme la gangrène. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont éloignés de la vérité, en disant que la résurrection a déjà eu lieu, ce qui ne peut s'entendre que d'une résurrection spirituelle. Affirmer une résurrection spirituelle en niant la résurrection des corps, c'est donc aller contre la vérité de la foi. D'après tout ce que l'Apôtre dit aux Corinthiens, il est évident que les textes qui précèdent parlent de la résurrection des corps. L'Apôtre ajoute en effet, peu après : Semé animal, le corps ressuscite spirituel, parlant manifestement de la résurrection des corps. Il ajoute encore : Il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l'immortalité. C'est le corps qui est corruptible et mortel. C'est donc le corps qui doit ressusciter. Le Seigneur promet d'ailleurs une double résurrection. En vérité, en vérité je vous le dis, l'heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue, vivront, dit-il en saint Jean, en parlant, semble-t-il, de la résurrection spirituelle qui s'inaugurait à ce moment, alors que quelques-uns lui donnaient, par la foi, leur adhésion. Mais le Christ parle bientôt après de la résurrection des corps : L'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu. Ce ne sont pas des âmes, évidemment, qui sont dans les tombeaux, mais bien des corps. Il s'agit donc ici de la prédiction de la résurrection des corps. Cette résurrection, Job l'avait d'ailleurs expressément annoncée : Je sais que mon rédempteur est vivant et qu'au dernier jour je serai recouvert de ma peau, et dans ma chair je verrai Dieu. Supposé tout ce que nous venons de dire, mettons en valeur, en faveur de la résurrection des corps à venir, une preuve évidente. Au Livre IIe nous avons vu que les âmes des hommes étaient immortelles. Elles continuent donc de subsister, une fois séparées des corps. Or après ce que nous avons dit au même livre, il est évident que l'union de l'âme avec le corps est une union naturelle, puisque l'âme est par essence forme du corps. Il est donc contre nature, pour l'âme, d'exister sans le corps. Mais ce qui est contre nature ne peut pas toujours durer. L'âme ne sera donc pas privée de son corps d'une manière perpétuelle. Et puisqu'elle continue de subsister éternellement, il faut donc qu'elle soit de nouveau unie à son corps ; c'est la résurrection. L'immortalité des âmes exige donc la résurrection des corps. Le désir naturel de l'homme, nous l'avons vu au Livre IIIe, est de tendre au bonheur. Le bonheur, c'est la suprême perfection de qui est heureux. Qu'il manque quoi que ce soit à cette perfection, et l'on n'a pas encore le bonheur parfait, car le désir n'est pas encore parfaitement en repos, puisque tout être imparfait désire par nature atteindre sa perfection. Or l'âme séparée du corps est d'une certaine manière dans un état d'imperfection, comme toute partie qui existe séparée de son tout, l'âme étant en effet une partie de la nature de l'homme. Celui-ci ne peut donc atteindre la plénitude de la félicité tant que l'âme n'est pas de nouveau réunie au corps, étant donné surtout que l'homme ne peut atteindre en cette vie au parfait bonheur. D'autre part, la Divine Providence, nous l'avons vu au Livre IIIe, se doit de châtier les pécheurs et de récompenser les bons. Or, en cette vie, c'est comme composés d'âme et de corps que les hommes commettent le péché ou font le bien C'est donc dans leur corps comme dans leur âme que les hommes doivent recevoir la récompense et le châtiment. Mais il est manifeste qu'en cette vie on ne peut recevoir la récompense du parfait bonheur. Une quantité de péchés, pas davantage, ne sont punis en cette vie. Bien plus, comme il est dit au Livre de Job : ici-bas, les impies vivent, accroissent leurs forces et leurs richesses. Il faut donc affirmer une nouvelle union de l'âme au corps, telle que l'homme puisse être récompensé et châtié, dans son corps et dans son âme.

80 : OBJECTIONS CONTRE LA RÉSURRECTION

Voici certaines objections qui semblent attaquer la foi en la résurrection. 1. Dans le monde des êtres naturels, il ne s'en rencontre aucun qui, une fois corrompu, retrouve dans son être son identité numérique, pas plus qu'il ne semble possible de revenir de la privation à l'habitus. Aussi bien, puisque les êtres qui se corrompent ne peuvent retrouver leur identité numérique, la nature travaille-t-elle par la génération à conserver dans l'identité spécifique ce qui se corrompt. Les hommes étant livrés à la corruption de la mort, et le corps lui-même réduit aux premiers éléments, il semble donc impossible que l'homme revienne à la vie dans son identité numérique. 2. Impossible à un être en qui l'un des principes essentiels ne garde pas l'identité numérique, d'être lui-même numériquement identique à lui-même ; un des principes essentiels ayant changé, c'est l'essence de la chose, qui donnait à cette chose son être et son unité, qui est changée. Ce qui fait retour complet au néant ne peut recommencer d'exister dans une identité numérique : il y aura création plutôt que restauration. Or il semble bien que plusieurs des éléments essentiels de l'homme font, avec sa mort, retour au néant. C'est d'abord la corporéité elle-même et la forme du composé, puisque de toute évidence le corps se décompose. Viennent ensuite la partie sensitive et la partie nutritive de l'âme, qui ne peuvent exister sans organes corporels. Semble enfin retourner au néant, une fois l'âme séparée du corps, l'humanité elle-même, dont on dit qu'elle est la forme du tout. La résurrection de l'homme dans son identité numérique semble donc impossible. 3. Là où il n'y a pas continuité, il n'y a pas, semble-t-il, identité numérique. Ce n'est pas seulement le cas évident des quantités et des mouvements ; c'est aussi celui des qualités et des formes : qu'un malade recouvre la santé, la santé retrouvée ne sera pas la même numériquement que celle d'auparavant. Or il est clair que la mort détruit l'être de l'homme, la corruption étant passage de l'être au non-être. Il est donc impossible que l'homme retrouve un être numériquement identique. Ce ne sera donc plus le même homme, numériquement, car ce qui est identique selon le nombre l'est également selon l'être. 4. Si le même corps humain revient à la vie, il faut pour la même raison que lui soit restitué tout ce qui lui appartenait. Et voilà qu'il en découle de bien grands inconvénients : je ne parle pas seulement des cheveux, des ongles et des poils, objets d'une taille quotidienne, mais des autres parties du corps que l'action de la chaleur naturelle résorbe secrètement. Si l'homme qui ressuscite récupère tout cela, c'est une masse indécente qui se relèvera. Il ne semble donc pas que l'homme, une fois mort, doive ressusciter. 5. Il arrive en outre à certains hommes de se nourrir de chair humaine, voire de n'utiliser que cette nourriture ; après quoi ils engendrent des enfants. La même chair se trouve donc chez un grand nombre d'hommes. Or il est impossible que cette chair ressuscite chez un grand nombre. On ne voit pas, par ailleurs, qu'il y ait résurrection universelle et parfaite si chacun ne récupère pas ce qu'il possédait. Il semble donc impossible que les hommes ressuscitent un jour. 6. Ce qui est le lot de tous les êtres d'une même espèce semble être naturel à cette espèce. Or la résurrection de l'homme n'est pas naturelle : aucun agent naturel n'est assez puissant pour y réussir. Les hommes ne bénéficieront donc pas tous d'une résurrection générale. 7. Si c'est le Christ qui nous libère de la faute et de cette conséquence du péché qu'est la mort, seuls, semble-t-il, seront délivrés de la mort, en ressuscitant, ceux qui auront eu part aux mystères du Christ et auront été ainsi libérés de la faute. Or ce n'est pas le cas de tous les hommes. Tous les hommes, semble-t-il, ne ressusciteront donc pas.

81 : RÉPONSE AUX OBJECTIONS PRÉCÉDENTES

Avant de répondre à ces difficultés, il est bon de remarquer que Dieu, en créant la nature humaine, a accordé au corps humain plus que ne l'exigeaient les principes de sa nature, je veux dire une certaine incorruptibilité, qui l'adaptait parfaitement à sa forme, de telle sorte qu'à l'image de l'âme, immortelle, le corps aurait pu, grâce à la médiation de l'âme, vivre lui aussi d'une manière immortelle. Bien sûr, une telle incorruptibilité pouvait ne pas être naturelle du côté du principe actif ; elle l'était pourtant pas son ordonnance à la fin, à savoir que la matière soit proportionnée à sa forme naturelle, qui est sa fin. Mais l'âme s'étant détournée de Dieu, contre l'ordre même de sa nature, le corps s'est vu retirer cette disposition que Dieu lui avait conférée pour qu'il fût avec l'âme en rapport harmonieux, et mort s'ensuivit. Du point de vue de la création de la nature humaine, la mort est donc pour ainsi dire un accident qui frappe l'homme du fait du péché. Cet accident, le Christ le supprime, lui qui par le mérite de sa passion a détruit la mort, en mourant. Il en résulte que la puissance divine qui avait doté le corps d'incorruptibilité, le soustrait de nouveau à la mort et le restaure pour la vie. 1. On répondra donc comme suit à la première difficulté : la puissance de la nature est à l'égard de la puissance divine dans un rapport de déficience semblable à celui du pouvoir d'un instrument comparé au pouvoir d'un agent principal. La nature en effet ne peut accomplir une telle oeuvre, parce que, pour agir, elle a toujours besoin de quelque forme. Or ce qui a forme, existe. Une fois corrompu, un être a perdu la forme qui pouvait être principe d'action. Voilà pourquoi l'action de la nature ne peut restaurer, dans une identité numérique, ce qui s'est corrompu. Mais la puissance divine, qui produit les choses dans l'être, en agit avec la nature de telle sorte qu'elle peut produire, sans elle, un effet de nature. La puissance divine dont la permanence domine la corruption des choses, peut donc ramener à leur intégrité des êtres corrompus. 2. La deuxième objection ne peut empêcher que l'homme ne puisse ressusciter numériquement identique. Aucun des principes essentiels de l'homme ne tombe en effet dans le néant, avec la mort. L'âme raisonnable, qui est la forme de l'homme, subsiste après la mort. La matière qui avait été soumise à cette forme, demeure aussi, sous les mêmes dimensions qui faisaient d'elle une matière individuée. C'est par la réunion de cette même âme avec cette même matière, numériquement parlant, que l'homme sera restauré. Quant à la corporéité on peut la concevoir de deux manières. Concevons-la d'abord comme la forme substantielle du corps, située dans le genre de la substance. La corporéité de n'importe quel corps n'est rien d'autre que sa forme substantielle, qui la situe dans le genre et dans l'espèce, et lui donne d'avoir trois dimensions. Dans un seul et même être, il n'y a pas diverses formes substantielles dont une le situerait dans le genre suprême, la substance par exemple, dont une autre le situerait dans le genre prochain, dans le genre de corps ou d'animal, par exemple, dont une autre encore le situerait dans l'espèce, mettons d'homme ou de cheval. Si la première forme en effet donnait d'être substance, les formes suivantes s'ajouraient à ce qui est déjà ce-quelque-chose en acte et subsistant dans la nature ; elles ne constitueraient pas ce-quelque-chose, mais existeraient dans le sujet qui est ce-quelque-chose à titre de formes accidentelles. La corporéité, en tant qu'elle est forme substantielle dans l'homme, ne doit donc être rien d'autre que l'âme raisonnable, qui requiert pour sa matière d'avoir trois dimensions, puisqu'elle est l'acte d'un certain corps. On peut concevoir la corporéité d'une autre manière, comme une forme accidentelle qui fait dire du corps qu'il se situe dans le genre de la quantité. La corporéité n'est alors rien d'autre que les trois dimensions qui constituent la définition même de corps. Quand bien même la corporéité, prise en ce sens, tombe dans le néant, une fois corrompu le corps humain, cela ne peut empêcher le corps de ressusciter dans une identité numérique. C'est qu'en effet la corporéité prise en son premier sens ne tombe pas dans le néant, mais demeure inchangée. La forme du mixte peut se concevoir pareillement de deux façons. En premier lieu, la forme du mixte peut se concevoir comme la forme substantielle du corps mixte. Ainsi, dans l'homme, la forme substantielle n'étant rien d'autre que l'âme raisonnable, on ne pourra pas dire que la forme du mixte, en tant que forme substantielle, tombe dans le néant à la mort de l'homme. En second lieu, on appelle forme du mixte une certaine qualité composée, faite du mélange de qualités simples, qui se comporte à l'égard de la forme substantielle du corps mixte comme une qualité simple se comporte à l'égard de la forme substantielle d'un corps simple. Quand bien même la forme du mixte ainsi comprise tombe dans le néant, cela ne préjuge pas de l'unité du corps qui ressuscite. On doit en dire autant de la partie nutritive et de la partie sensitive. Si on entend en effet par partie nutritive et par partie sensitive des puissances qui sont des propriétés naturelles de l'âme, ou plutôt du composé, elles se corrompent avec le corps. Mais ce n'est pas pour autant un obstacle à l'unité du corps qui ressuscite. Si par ces parties on entend au contraire la substance même de l'âme sensitive et de l'âme nutritive, l'une et l'autre ne font qu'un avec l'âme raisonnable. Il n'y a pas trois âmes dans l'homme, mais une seule. Quant à l'humanité, ne la concevons pas comme une forme qui naîtrait de l'union de la forme avec la matière, et comme distincte réellement de l'une et de l'autre. La matière devenant, grâce à la forme, ce-quelque-chose en acte, comme l'explique Aristote au IIe Livre du De Anima, cette troisième forme ne serait pas une forme substantielle mais une forme accidentelle. D'aucuns affirment d'ailleurs que la forme de la partie est identique à la forme du tout : ce qu'on appelle la forme de la partie donnant à la matière d'exister en acte, ce qu'on appelle la forme du tout parachevant la définition de l'espèce. En ce sens l'humanité n'est rien d'autre, réellement, que l'âme raisonnable. Il en ressort qu'elle ne tombe pas dans le néant, à la corruption du corps. - Mais parce que l'humanité est l'essence de l'homme, parce que l'essence d'une chose est signifiée par sa définition, et que la définition d'une réalité naturelle ne signifie pas seulement la forme mais bien la forme et la matière, l'humanité, tout comme le mot homme, doit nécessairement signifier un composé de matière et de forme. De façon différente pourtant. L'humanité en effet signifie les principes essentiels de l'espèce, aussi bien formels que matériels, abstraction faite des principes individuants : on parle de l'humanité qui fait qu'un certain être est un homme. Or on n'est pas homme du fait qu'on possède des principes individuants, mais du fait seulement qu'on possède les principes essentiels de l'espèce. L'humanité désigne donc les seuls principes essentiels de l'espèce ; aussi la désigne-t-on par manière de partie. Quant à l'homme, ce mot désigne sans doute les principes essentiels de l'espèce, mais sans exclure de sa signification les principes individuants. On appelle homme celui qui a l'humanité, sans exclure qu'il puisse avoir autre chose. Aussi l'homme est-il pris dans sa signification par mode de tout, le mot homme désignant en effet les principes essentiels en acte, et les principes individuants en puissance. Socrate désigne les uns et les autres en acte, de même que le genre possède la différence en puissance et que l'espèce, elle, la possède en acte. Il ressort de tout cela que l'homme et l'humanité recouvrent leur identité numérique à la résurrection, en raison de la permanence de l'âme raisonnable et de l'unité de la matière. 3. La troisième objection : l'être n'est pas un, car il n'est pas continu, prend appui sur une base erronée. Il est évident que l'être de la matière et de la forme est unique ; c'est la forme en effet qui donne à la matière d'avoir l'être en acte. En cela cependant, l'âme raisonnable diffère des autres formes. Celles-ci n'ont l'être qu'en concrétion avec la matière, car elles ne dépassent la matière ni dans l'être ni dans l'agir. L'âme raisonnable par contre dépasse manifestement la matière dans son agir : elle a certaine opération, l'intellection, qui ne requiert la participation d'aucun organe corporel. Son être n'est donc pas un être en concrétion avec la matière. Cet être, qui était l'être du composé, demeure donc en elle une fois le corps dissous. A la résurrection, le corps restauré retrouve le même être qui était demeuré dans l'âme. 4. La quatrième objection ne supprime pas l'unité de celui qui ressuscite. Ce qui n'empêche pas l'unité numérique de l'homme durant sa vie ne peut empêcher, c'est évident, l'unité du ressuscité. Du côté de la matière, les parties qui constituent le corps de l'homme, durant sa vie, ne sont pas toujours les mêmes ; elles le sont seulement du côté de l'espèce. Du côté de la matière, les parties vont et viennent ; cela n'empêche pas l'homme d'être numériquement un, du début de sa vie jusqu'à la fin. On peut en prendre un exemple dans le feu : tant qu'il brûle on dit que c'est un unique feu, ceci en raison de la permanence de son espèce, et malgré le bois qu'il consume et qu'on apporte à diverses reprises. Ainsi en va-t-il du corps humain. La forme et l'espèce de chacune de ses parties continuent de subsister tout au long de sa vie, alors que la matière de ces mêmes parties est consumée par l'action de la chaleur naturelle et se régénère sans cesse grâce à la nourriture. L'homme ne varie donc pas numériquement suivant la succession de ses âges, bien que ce qui est matériellement dans l'homme à l'un de ses stades ne se retrouve pas à un autre. Il n'est donc pas requis pour l'identité numérique de l'homme, à sa résurrection, qu'il retrouve tout ce qui lui a appartenu matériellement durant tout le temps de sa vie. Il suffit qu'il retrouve ce qui est nécessaire pour compléter la quantité qui lui est due. Il semble qu'il doive surtout recouvrer l'état le plus parfait qu'il connut dans la forme et l'espèce d'humanité. S'il manque quelque chose à la quantité qui est due, soit qu'on ait été prévenu par la mort avant que la nature n'ait amené à la quantité parfaite, soit qu'on ait été mutilé, la puissance de Dieu y suppléera par ailleurs. Mais cela n'empêchera pas l'unité du corps qui ressuscite. L'oeuvre de la nature qui ajoute à ce que possède l'enfant pour le conduire à sa quantité parfaite, ne le rend pas autre numériquement. Enfant et adulte, l'homme est numériquement le même. 5. Il en résulte que même le fait pour quelqu'un de se nourrir de chair humaine, - c'était la cinquième objection -, ne peut faire obstacle à la foi en la résurrection. Il n'est pas nécessaire en effet que tout ce que l'homme a possédé matériellement ressuscite en lui ; encore une fois, s'il lui manque quelque chose, la puissance de Dieu peut y suppléer. La chair mangée ressuscitera en celui en qui elle fut d'abord animée par l'âme raisonnable. Quant au second, s'il ne s'est pas nourri seulement de chair humaine, mais aussi d'autres aliments, pourra seulement ressusciter en lui, pris de la matière de l'autre nourriture, ce qui sera nécessaire pour restaurer la quantité convenable de son corps. S'il s'est nourri exclusivement de chair humaine, ressuscitera en lui ce qu'il a reçu de ses parents, la toute-puissance du Créateur suppléant à ce qui manquera. A supposer que les parents se soient nourris exclusivement de chair humaine au point que leur semen, superflu de la nourriture, ait été le produit de chairs étrangères, ce semen ressuscitera en celui qui en est né ; il y sera suppléé par ailleurs en celui dont la chair a été mangée. Voici en effet ce qui sera sauvegardé à la résurrection : si plusieurs hommes ont possédé matériellement en commun quelque chose, cette chose ressuscitera en celui en qui elle contribuait davantage à le rendre parfait. Si donc le semen originel d'où est né un homme en a enrichi un autre par mode de nourriture, ce semen ressuscitera en celui qui en est né. Si telle chose a été possédée par un homme comme relevant de sa perfection individuelle, et par un autre comme intéressant la perfection de l'espèce, cette chose ressuscitera en celui dont elle relevait par mode de perfection individuelle. Le semen ressuscitera donc dans l'engendré, non dans le générateur ; la côte d'Adam ressuscitera en Ève, non en Adam, en qui elle avait existé comme en un principe de nature. Que si cet élément commun a été dans l'un et l'autre individus sous le même mode de perfection, il ressuscitera en celui en qui il a existé en premier. 6. Après ce qu'on vient de dire, la solution de la sixième objection est évidente. En ce qui concerne la fin, la résurrection est naturelle, pour autant qu'il est naturel à l'âme d'être unie au corps. Mais le principe actif de cette résurrection n'est pas un principe naturel ; la résurrection a pour cause la seule puissance de Dieu. Il ne faut pas dire non plus que tous ne ressusciteront pas, bien que tous n'adhèrent pas au Christ par la foi et que tous ne soient pas instruits de ses mystères. Le Fils de Dieu a assumé la nature humaine pour la restaurer. Ce qui est défaut de nature sera donc réparé en tous : tous reviendront de la mort à la vie. Mais le défaut personnel ne sera réparé que dans ceux qui auront adhéré au Christ, soit par un acte personnel, en croyant en lui, soit du moins par le sacrement de la foi.

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