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Le signe de l’arbre de vie

Les derniers succès de la science

L’Arbre moral, extrait de l’Arbor scientiae de Raymond Lulle.
L’Arbre moral, extrait de l’Arbor scientiae
de Raymond Lulle.

 

« Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée par l’influence de Satan, de toute espèce d’oeuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal, à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité qui leur aurait valu d’être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousse à croire le mensonge. » (2 Thessaloniciens 2, 9)

 

Prix Nobel de biologie

Le professeur Jonas Bounoure enseignait la génétique à l’université d’Ottawa, Canada. Il avait beaucoup d’humour et, le jour où il reçut le prix Nobel de médecine, il fit le discours suivant :

« Quand je repense à l’histoire qui aboutit à la découverte qui me vaut aujourd’hui ce prix ! Je repense aux sagesses anciennes comme le taoïsme où des milliers de pauvres diables, tous morts aujourd’hui, se persuadaient qu’en se retenant dans l’acte sexuel, ils garderaient en eux la puissance de vivre toujours. Et je revois en pensées Qing Shi Huang Di, le premier empereur de Chine (que Dieu ait son âme !) qui avala – les fouilles de son mausolée l’ont confirmé – un bol de poudre de jade, la pierre bien connue pour son incorruptibilité, et en creva presque sur le champ… »

Le public applaudissait à tout rompre les bons mots. Il faut dire qu’il y avait de quoi. Car le professeur, justement de nationalité chinoise, quoique d’origine européenne, était décoré de ce suprême honneur pour avoir trouvé le secret de l’immortalité ! Pas l’immortalité « immortelle », bien sûr (on n’en était pas là), mais une immortalité évaluée, pour le moins, à 800 années de santé et de maturité.

Et le professeur, continuant son discours, se fit philosophe.

« Il est certain que notre trouvaille accomplit le rêve de milliards de personnes décédées. Et je me dis, en y réfléchissant, qu’il est heureux qu’elle n’arrive qu’à notre époque. Depuis que le monde est stabilisé, que les armes nucléaires ont été bannies, que les institutions empêchent définitivement la tyrannie, on peut sans problème engendrer des êtres pluriséculaires. Mais imaginez Staline possédant ce secret. Il n’aurait que 175 ans ! Autant dire qu’il serait un jeune homme fringant. »

Chacun pensait, en entendant ce discours, aux prévisibles conséquences sociales et surtout humaines qu’amènerait immanquablement un tel bouleversement de la nature humaine. Déjà le Comité Mondial d’Ethique se réunissait et les débats nationaux se multipliaient partout. Fallait-il obliger les parents à ne concevoir que dans leur CHG (Centre Hospitalier Génétique) ? Faire un enfant « comme avant » devait-il être considéré comme un crime contre l’humanité, puisque ce pauvre loup devrait se contenter d’une ridicule espérance de vie ?

Mais le professeur se faisait nostalgique :

« Je n’ai que 41 ans. Et je ne verrai pas, hélas, les fruits de la découverte de mon équipe. Mon ADN n’est plus reprogrammable et ma fille, Lucie, qui est notre première enfant génétiquement modifiée, n’aura probablement que le ridicule âge de 50 ans lors de mon décès. Pour nos enfants, nous serons donc la dernière génération de mortels et nous leur offrons un cadeau merveilleux. A eux la conquête de l’espace. A eux la paix que donnent l’expérience et l’âge. »

Dans l’assemblée, certains se disaient qu’il fallait espérer et qu’il faudrait bien ce surcroît de sagesse à l’humanité… D’autres pensaient que ce serait tout de même long, vers 850 ans, pour la petite Lucie, lorsque la vieillesse se profilerait enfin… A force d’avoir vu tous les films, lu tous les livres, elle devrait peut-être s’ennuyer…

Le professeur Jonas Bounoure reçut donc son prix de la main du roi Harald de Suède qui ne put, dans l’ambiance, s’empêcher de lui glisser un autre bon mot :

— Avez-vous lu, cher Jonas, l’évangile de Matthieu 12, 39 ?[1]

— Oui. Je connais. Et ce sera notre prochaine recherche ! Travailler sur la résurrection. »

L’avis du pape Benoît

Dans ce concert de louanges, depuis Jérusalem, la voix solitaire du pape se fit entendre. Depuis le départ de la papauté de Rome, sous le règne d’un de ses prédécesseurs, les paroles des papes étaient rares. Ils avaient appris à être courts, incisifs, précis, et à dire en peu de mots simples ce qui était nécessaire. Les troupes de l’Eglise catholique étaient peu nombreuses. Mais cela avait encore augmenté l’autorité morale qui émanait du successeur de Pierre, aujourd’hui protégé par les Israéliens. Il était comme le vieux père du monde, la survivance du passé. La bulle « Solemnis verbo » tenait en cinq lignes.

« Je vous parle de manière solennelle, comme successeur du pape Pierre le Romain et depuis sa chaire : ce n’est pas pour nuire à l’homme que Dieu a réduit sa vie à 120 ans. Ne forcez pas ces enfants à vivre sur terre plus que le temps assigné par le Père céleste dans le livre de la Genèse 6, 3. La terre, pour Dieu, est juste une première étape vers la Vie qu’il vous a préparée. »

Le texte était cosigné par les autorités musulmanes du Conseil Représentatif Mondial, et paraphé par le Grand prêtre Jéhoda du Temple de Jérusalem.

La presse du lendemain ne fit qu’à peine mention de cet avis. Les religions étaient en effet à la fois entendues et peu écoutées. Depuis longtemps la presse muselait leur voix en exprimant leur avis sans en faire une polémique. Pourtant, l’impact était réel et beaucoup se précipitèrent pour lire le vieux texte dans leur Bible (le livre le plus vendu au monde et le moins lu !) : « Toute la durée de la vie de Lamek fut de 777 ans, puis il mourut. Quand Noé eut atteint 500 ans, il engendra Sem, Cham et Japhet. Lorsque les hommes commencèrent d’être nombreux sur la face de la terre et que des filles leur furent nées, les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient et ils prirent pour femmes toutes celles qu’il leur plut. Yahvé dit : “Que mon esprit ne soit pas indéfiniment responsable de l’homme, puisqu’il est chair ; sa vie ne sera que de 120 ans.” »

Certains eurent l’impression que, peut-être, il y avait en effet dans cette découverte de l’équipe du professeur Bounoure une sorte de mystérieux tremblement apocalyptique.

La semaine suivante, réuni avec les fidèles dans l’église Marie de Jérusalem pour sa catéchèse du mercredi, le pape Benedictus était assis à la table de la célébration eucharistique. Il commenta :

« Concernant la durée de la vie humaine, il n’y a pas à attendre de la science un nouveau prodige décisif. Il n’y aura jamais de vie « éternelle » sur la terre. Je peux l’affirmer avec certitude à partir de cette prophétie : « Genèse 3, 22 Puis Yahvé Dieu dit : “Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours !” Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Eden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré. Il bannit l’homme et il posta devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie. »

Un des fidèles leva la main et demanda : « Père, devons-nous encore attendre des événements avant le retour du Christ ?

— Oui, mon enfant. Le dernier signe à attendre n’est pas venu. Il n’est pas pour notre époque mais pour les temps d’une génération angoissée, dans le futur. Y aura-t-il un pape à cette époque ? Les disciples du Christ verront se lever un temps où les hommes désireront retrouver un sens éternel à leur vie. Alors se manifestera celui qui était apparu à Adam et Eve et leur avait proposé de devenir comme des dieux.

— Qui sera-t-il et comment le reconnaîtrons-nous ?

— Il parlera de vie éternelle, de résurrection après la mort. Mais il n’aimera pas Jésus, doux et humble de cœur, qu’il appellera le faux Dieu, le Dieu du temps de l’esclavage. Lui prêchera la liberté. Et beaucoup ne verront pas la différence. Voilà le dernier signe que nous devons attendre. C’est le signe du dragon (Apocalypse 13, 15) : “On lui donna même d’animer l’image de la Bête pour la faire parler, et de faire en sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la Bête.” »

Le pape Benoît était très âgé à cette époque. Ses catéchèses étaient courtes. On le ramena à sa chambre.

Arnaud Dumouch, décembre 2005

 

1. Matthieu 12, 39 : « Il leur répondit : Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. » [↩]

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