Accueil > Contes > Tome 3 : La fin du monde > La fin du temps des nations
(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte. Il vise à donner, sous forme romanesque, une idée de ce que pourraient être les signes de la fin du monde. Ces dates sont purement imaginaires, comme tout ce récit. Il serait dommage qu’un assoiffé de prophéties y voie une annonce !)
« … et Jérusalem sera foulée aux pieds par des nations jusqu’à ce que soient accomplis les temps des nations. » (Luc 21, 24)
L’attentat nucléaire et la grande guerre qui s’ensuivit changèrent à jamais la face du monde. Les nations prirent douloureusement conscience de leur fragilité et de la mortalité sur la terre. Sous l’effet du traumatisme, les églises et les temples se remplirent de personnes pleurant et se frappant la poitrine. Les nuages contaminés et les pluies radioactives effrayèrent les peuples. La vue des blessés mobilisa toutes les énergies.
Les positions n’évoluèrent pas, elles se métamorphosèrent d’un coup, radicalement. Et les dirigeants des nations survivantes se réunirent au siège de l’ONU. Un orateur prit la parole. Il esquissa l’histoire de la folie humaine, la faiblesse de l’ONU, le fait que personne n’avait pu empêcher la prolifération nucléaire. Il analysa comment la démocratie elle-même, prise comme dogme du bien absolu, avait produit les gouvernements terroristes, et comment les nations, laissant passer en priorité leurs intérêts particuliers, n’avaient pas unanimement empêché la catastrophe, pourtant prévisible.
Des décisions graves furent prises. Les nations proposèrent à l’unanimité de dissoudre leur souveraineté et d’établir une forme de gouvernement mondial, centré sur des valeurs universellement évidentes, comme le respect de l’homme, la modération en toutes choses. Les États-unis d’Amérique, qui avaient manifesté tout au long de la crise leur grande lucidité et leur pragmatisme, furent chargés d’orchestrer l’édification du nouveau système mondial. Ce fut la fin du temps des nations. Ainsi commença le temps du gouvernement mondial.
La première décision fut celle-ci : toutes les armes de destruction massive furent mises à la disposition du nouveau gouvernement mondial pour être détruites et bannies à jamais de la terre. On prit la décision que les sous-marins nucléaires de toutes les puissances convergent vers les États-unis et vers la France pour y déposer leurs ogives, afin qu’elles y soient démantelées. Leurs charges seraient converties pour le nucléaire civil.
Dans toute cette crise, chacun avait pu observer la modération et la force calme d’Israël. Autant, avant la crise, certains se méfiaient de cette nation à cause de la fermeté de ses positions face aux hordes barbares, de ses avertissements face au nouveau nazisme eschatologique, autant après ces événements l’admiration pour ce peuple courageux devint unanime dans le monde. On remarqua à quel point, malgré sa puissance supérieure, il n’avait usé des armes qu’en dernière extrémité.
Or Israël ne voulut pas entrer dans le concert des nations. Au siège de l’ONU, son premier ministre tint le discours suivant :
« Notre histoire douloureuse nous a appris à nous méfier des unanimités mondiales. Notre confiance et notre naïveté sont encore dans nos esprits, dans le souvenir effrayant de nos ancêtres qui, tels des moutons qui montaient à l’abattoir, furent exterminés et n’émirent pas une seule protestation. Nous savons que les générations passent et, par serment, nous l’avons juré : jamais plus nous ne confierons nos vies à une puissance étrangère, fût-elle bienveillante. Que dans un siècle monte un prince qui ne se souvienne plus de ce que nous avons fait pour la maturation du monde, et tout recommencera comme avant. Voilà pourquoi nous livrerons nos armes de destruction massive. Leur possession même est, nous le savons, un crime contre l’humanité. Mais nous garderons notre souveraineté nationale et notre armée. »
On se rangea à leur avis. Ainsi, dans le monde, il demeura deux Etat souverains : Israël et le Vatican. Le Vatican conserva son autonomie pour une autre raison, liée à l’exercice du Magistère spirituel.
Sur le mont du temple, lieu du dernier combat de cette guerre, les Juifs ne voulurent pas construire quoi que ce soit. Ils en firent un mémorial de la folie des guerres, centré sur les ruines du troisième lieu saint de l’islam. Le monde fut reconnaissant de la noblesse de leur décision, puisqu’ils renoncèrent à rebâtir le Temple de Yahvé. Or, dans leur Talmud, cette reconstruction était un espoir important.
Ce nouvel ordre fut démocratique et il se concrétisa autour des valeurs humanistes. L’expérience de l’histoire fut utilisée. Et Dieu lui-même trouva une place dans le préambule de la Constitution. Les excès des sept idéologies des XIXe et XXe siècles furent étudiés afin que l’argent, la gloire et les plaisirs deviennent de simples moyens et ne viennent plus détruire les valeurs essentielles : la personne, la famille. Des garde-fous et des contre-pouvoirs furent établis avec sagesse. Et le monde s’en trouva bien. En quelques années, les traces du cataclysme nucléaire furent effacées. L’Afrique noire elle-même, étant intelligemment managée par délégation, sortit de ses spasmes perpétuels. Elle fut délivrée de ses tyrans, et ses maux matériels – famine, maladie, guerre, mort précoce – disparurent peu à peu de la terre, et l’on put dire, partout dans le monde : « Paix et sécurité ». (1 Thessaloniciens 5, 3)
Mais l’assemblée constituante n’eut pas assez de profondeur pour considérer la nature humaine dans toutes ses dimensions. Elle ne prêta pas assez d’attention aux avertissements pluriséculaires de la Bible (Genèse 11, 5), lorsque le monde avait jadis été unifié : « Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : “Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux.” » C’est ainsi que, fort de sa nouvelle unité, l’humanité sombra peu à peu dans l’orgueil. De nouveau, elle oublia bientôt Dieu puisque le confort que lui apportait sa richesse semblait suffire à la combler. Comment en vouloir aux bâtisseurs de ce monde ? Que peut l’homme face aux forces de son âme qui le dépassent ? (Éphésiens 6, 12) : « Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes. » Quoi qu’il fasse, ce monde semble maudit et aucune civilisation, jamais, ne reste longtemps établie dans la paix et la sagesse.
Il naquit une nouvelle génération sur les ruines de l’ancien monde. Elle ne fut pas nourrie comme jadis des images de sa misère. Jeune et idéaliste, elle regarda avec horreur la grande guerre de religion du XXIe siècle, et, loin de dénoncer les excès d’une religion dévoyée, elle accusa « la religion en général », où qu’elle soit dans le monde, d’être l’ennemie du genre humain. C’est cette génération qui devait lutter farouchement contre « tout ce qui porte le nom de Dieu » (2 Thessaloniciens 2, 4) et établir pour la première fois une humanité totalement « sans Dieu ». C’est elle qui, nourrie des fruits du confort matériel et des loisirs, introduisit dans le monde un nouveau démon : celui qu’on appela angoisse selon le texte de l’Apocalypse 9, 2 : « Il ouvrit le puits de l’Abîme et il en monta une fumée, comme celle d’une immense fournaise – le soleil et l’atmosphère en furent obscurcis – et, de cette fumée, des sauterelles se répandirent sur la terre ; on leur donna un pouvoir pareil à celui des scorpions de la terre. On leur dit d’épargner les prairies, toute verdure et tout arbre, et de s’en prendre seulement aux hommes qui ne porteraient pas sur le front le sceau de Dieu. On leur donna, non de les tuer, mais de les tourmenter durant cinq mois. La douleur qu’elles provoquent ressemble à celle d’une piqûre de scorpion. En ces jours-là, les hommes rechercheront la mort sans la trouver, ils souhaiteront mourir et la mort les fuira ! »
Ce fut une génération qui souffrit beaucoup. Sa vie passa, éphémère, dans le plaisir matériel et la douleur spirituelle. Il y eut beaucoup de psychologues et de suicides. Personne ne comprenait que l’angoisse venait de l’absence de Dieu. Mais Jésus permit cela car, à l’heure de la mort, il récoltait comme à la moisson de vrais pauvres pour le paradis. Les foules désespérées, il pouvait les ravir au Ciel en les comblant de la surprise de son apparition. Ces gens ne voulaient pas de Lucifer, ayant « soupé » toute leur vie terrestre de ce paradis matérialiste que les disciples du Christ appellent enfer.
Arnaud Dumouch, février 2006