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L’apostolat des saints du Ciel
« Je sens que je vais entrer dans le repos… Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. »
(Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, 17 juillet 1897)
Je suis Cécile. Je suis professeur de psychologie. Je passe ma vie à recevoir des gens qui souffrent, et à les ouvrir à la vie. J’ai toujours eu cet instinct de l’autre. Je me souviens, déjà, toute petite : j’avais 6 ans. Une copine, Anabela, est venue me dire qu’elle devrait quitter l’école à cause ’du mauvais comportement de sa maman’. J’ai dit : ’non, tu ne seras pas renvoyée à cause de ce que fait ta maman, je vais parler à la Directrice’. Et j’y suis allée avec toute ma raison, en disant à la Directrice que si Anabela était mise à la porte, je sortirais tout de suite après de l’école, que je ferais que toute l’école soit au courant de l’injustice. J’ai joué toutes mes armes. Ma mère a été appelée à l’école pour calmer la situation et, finalement, Anabela est restée et moi aussi. Au lycée, j’étais la confidente de toutes les détresses. Je donnais tout mon argent de poche que je recevais à la maison, pour payer des livres, un sandwich au café du coin, etc. A la fin du lycée, je penchais pour faire de la biologie. Puis j’ai raisonné ainsi : « non, j’aime mieux les personnes que les animaux, alors je choisis la psychologie.’
Je suis France. Je t’écris, Cécile, de l’autre monde, une lettre que je te dirai moi-même quand tu arriveras. En attendant, je suis d’accord avec les anges. Je dois la garder et te laisser dans tes doutes.
Je t’ai rencontrée, alors que tu donnais des cours de psychologie aux accoucheuses qui faisaient leur recyclage. J’étais une de tes élèves. Tu étais formidable, active, simple. Je t’ai tout de suite appréciée. Tu habitais près de chez moi et je pouvais te demander des livres de psychologie. Au début de la maladie de ton père, nous nous sommes rencontrés en sortant de la pharmacie. Je t’ai demandé ce qui se passait. Tu m’as parlé de son cancer et de sa solitude. Alors, je t’ai proposé de devenir son infirmière. Nous nous sommes alors rapprochées car nous avions un but commun. J’ai été heureuse de pouvoir être utile. J’entrais dans ta famille, une vraie famille et ma vie avait de nouveau un but.
Nous sommes les anges gardiens, ange de Cécile et ange de France. Nous sommes les gardiens de leur âme et c’est nous qui sommes chargés de les rendre saintes, de préparer leur cœur à la rencontre avec leur époux éternel. C’est nous qui avons présenté ces deux amies.
Je suis habituée à connaître les personnes. Et j’ai vu dans France en quelque sorte une sœur jumelle. En fait, ce qu’elle ne savait pas, me croyant forte et déterminée, c’est que toute mon activité sociale et académique me permettait de me fuir. Je crois que cela vient d’un traumatisme de mes 5 ans, celui d’une terrible injustice subie par la vie. Ma nurse, ma Laura, celle qui m’élevait depuis toujours, m’avait été arrachée d’un coup par la mort. Mais comme elle n’était qu’une servante, on l’avait aussitôt remplacée, sans que moi, la petite Cécile, je puisse assister à son enterrement. Mais cette nurse, personne ne le savait, c’était en fait plus que ma mère ! Tout le bien que je faisais aux autres, je le faisais pour fuir l’angoisse de ce jour et cela ne me consolait pas pour autant, et je me disais : ’Si je n’arrive pas à être heureuse, au moins j’arrive à rendre les autres un peu moins malheureux’.
Alors je pouvais comprendre France, du moins je le croyais. Elle avait déjà l’air bien vieilli, quand je l’ai rencontrée. Elle avait déjà ses cheveux blancs, depuis ses 30 ans. C’est qu’elle fuyait aussi une grande détresse. Son père la battait plus que ses soeurs, parce qu’elle était l’aînée et se révoltait le plus. Elle s’était dévouée toute son enfance. Elle me racontait tout, et aussi ce grand drame que jeune fille, elle avait subi : elle avait aimé un médecin. Elle avait engagé son cœur avec lui avant de s’apercevoir qu’il était marié, et amoureux de sa femme…
C’est nous qui nous tenons derrière le rideau de la vie de ces enfants, et qui disposons les vies afin qu’elles forment le cœur.
Elle s’est occupée de mon père. Et elle le faisait bien. Oui, super bien ! Tous les jours elle était là, des heures et des heures de suite, perchée sur son grand lit (elle était de petite taille), elle l’écoutait – lui, il parlait toujours sans arrêt et elle était une silencieuse – tout le temps qu’il fallait pour lui proposer la piqûre dont il avait besoin. Alors, il répondait que ’à sa petite France’, il laisserait tout faire. Elle restait chez nous pour les repas. Elle partait alors chez elle au début, puis chez moi, et très tôt le matin, avant d’aller à l’hôpital à 8h, elle passait pour lui dire bonjour. Elle ramenait de l’hôpital, des petites aiguilles et tout ce qu’il fallait pour que les traitements puissent être les plus confortables. A la fin, mon père était dans une agitation affreuse, il fallait trois personnes au bord du lit pour qu’il ne tombe pas, apparemment il était dans le coma… Elle était d’une douceur immense, pas un milligramme d’impatience, d’agressivité, je crois que ’le doux sourire de sa petite France’ a été une grande consolation pour lui. Elle était devenue comme de la famille…
Et moi, j’étais si heureuse. Et pour Cécile, j’étais quelqu’un. Je ne faisais pas d’effort pour aider son cher papa. Je venais de l’hôpital comme on rentre dans sa famille. Quand le papa est mort, mes angoisses me sont revenues : allais-je retomber dans ma solitude ? Mais non, Cécile m’avait adoptée. Je pouvais la suivre partout. Et elle était simple et sans mondanité. J’étais bien avec elle. Pendant la maladie de son père, elle est partie deux semaines en Belgique, chez des amis, pour se reposer un peu, son père étant dans une phase d’accalmie. Je lui ai demandé de rester chez elle et elle m’a répondu ’oui, bien, sûr, tu as la clef’. Et je lui téléphonais tous les jours, le matin et le soir, comme à ma sœur ! C’était plus qu’un amoureux de 15 ans ! Je n’ai plus depuis lors quitté sa maison.
Quand mon père est mort, je lui ai dit de venir habiter avec moi. Elle sortait pour travailler et pour aller dans l’une ou l’autre de ses maisons pour aspirer, nettoyer, cuisiner pour toute la grande troupe familiale… et elle revenait chez moi fatiguée, lasse, déprimée en disant : ’ici c’est mon abri’. Elle mangeait très peu, elle était bien maigre, fumait deux paquets de cigarettes par jour. Devant mon vice du “petit whisky”, elle disait “non”, j’aime trop pour ne pas attraper un vice de plus. Je voyais bien qu’elle avait envie mais là je n’ai jamais insisté de peur de lui compliquer la vie…
C’est nous qui avons brouillé leurs mots, afin qu’elles ne se comprennent pas. Nous avions été mandatés par Dieu pour les sanctifier dans une victoire grandiose. Nous savions que nous y arrivions car ces deux enfants n’avaient que de la bonne volonté. Et il nous fallait les rendre pauvres, plus pauvres qu’une graine qui tombe en terre, afin qu’elles ressuscitent.
Je lui disais de temps en temps que j’aimerais bien avoir un petit appartement à moi toute seule, mais que ce n’était plus possible, car mes économies étaient parties pour mes neveux. Mais c’était juste comme cela, histoire de parler. Parce que moi, ce dont je rêvais, c’est de vivre avec Cécile comme avec ma sœur. Mais elle, active et efficace encore une fois, a cru que c’était un vrai désir. Elle a alors eu une idée géniale, qui me paralysa. Elle m’a proposé de me prêter l’argent sans intérêts et moi, je la paierais petit à petit, selon mes possibilités. Je lui ai dit que j’étais d’accord à condition que l’appartement reste à son nom. Je lui ai dit que je ne voulais pas que, si quelque chose m’arrivait, l’appartement puisse être l’héritage de ma famille. Mais je ne pouvais pas lui dire que je n’en voulais pas. Je ne voulais pas m’imposer. Elle était si gentille.
Alors, on a cherché, on a acheté, un de mes beaux-frères, architecte, a tout remodelé, elle a meublé l’appartement. Mes soeurs étaient vraiment contentes pour mon indépendance.
Moi j’étais contente. Je pouvais enfin rendre à France un peu de ce dévouement qu’elle avait eu pour mon père. J’y retrouvais tout le contentement de ma jeunesse et je faisais un pied de nez au destin, pour une fois, avec cet argent qui ne devrait servir qu’à faire le bien. Un jour, la maison a été prête. C’était le début de l’été. Sa famille était partie en vacances et ses parents lui téléphonèrent pour qu’elle aille passer quelques jours avec eux. Mais elle n’y est pas allée.
Elle me faisait peur cette maison. Cette maudite maison qui allait me rendre à ma solitude, à mon inutilité. Et puis Cécile m’a dit : « Pourquoi n’irais-tu pas dans ton appartement ? Il est préparé pour t’accueillir. ». Elle semblait contente, persuadée que le moment était venu de réaliser mon petit rêve. Si elle avait su mon vrai rêve ! Là, j’ai un peu craqué et je lui ai répondu, agressive : « Tu ne veux plus de moi, c’est ça ? Tu en as marre. » Surprise, elle m’a répondu que non, évidemment : « Maintenant, on a deux appartements à notre disposition ! C’est tout. » Et moi, le soir, je me suis dit que décidément j’étais nulle. Que je n’aurais jamais dû parler ainsi à ma Cécile. Alors j’ai décidé d’y aller, dans mon appartement. J’ai commencé à préparer mes affaires. J’étais en colère contre moi et mon incapacité à expliquer à Cécile, contre Cécile qui ne comprenait pas, et contre cette maison si nulle qui allait nous séparer.
France est sortie de ma maison avec un visage fermé. J’ai bien compris sa tristesse et je me suis dit que cela passerait vite, que j’allais lui prouver que rien n’était changé en l’invitant vite. Je lui ai parlé au téléphone. Elle m’a dit qu’elle devait accompagner une de ses soeurs qui était enceinte à l’hôpital pour un examen. Deux jours sont passés sans nouvelles. J’ai téléphoné. Cela sonnait occupé. Finalement, j’ai couru à son appartement avec la clef et le pressentiment… et c’était vrai.
Elle était dans sa chambre, assise sur les pieds et avec le corps tombé sur le lit. Sa tête reposait sur son bras gauche allongé sur le lit, on voyait bien son visage blême de profil. Le bras gauche avait un garrot et des signes d’une piqûre. Sa main droite reposait aussi sur le lit et une seringue était entre sa main droite et son bras gauche. Un emballage d’ampoules de penthotal était sur le lit aussi, un peu plus loin. Elle devait s’être injecté deux doses intraveineuses. Son expression était calme, comme si elle dormait, les yeux fermés. J’ai essayé de la faire bouger, elle était totalement rigide. Ceci se passait vers deux heures de l’après-midi. Je suppose qu’elle s’était suicidée la veille, plus ou moins 24h avant que je la trouve. J’ai cherché quelque chose d’écrit : rien !
J’étais là quand Cécile est arrivée. J’étais assise à côté de mon corps. Je n’avais pas osé bouger depuis mon geste, ni affronter la grande Lumière que j’avais vue un instant. Et je l’ai vue, Cécile. Je lisais dans ses pensées. Et c’était horrible comme elle souffrait. Extérieurement, elle semblait active et efficace comme d’habitude. Elle a appelé son frère qui est venu tout de suite. Puis la Police est arrivée. Et intérieurement, c’était comme une masse de douleur et d’impuissance. Une pensée naissait en elle, une sorte de cauchemar obsédant. Elle se disait : « Elle s’est suicidée dans l’appartement dont je lui avais fait cadeau, avec une injection intraveineuse de penthotal dont je lui avais donné l’idée. »
Il faut dire que je parlais souvent de suicide, de lassitude de la vie, de mes amours déçus, d’un revolver que j’avais avec moi pendant des années et qui appartenait à mon père. Et c’est vrai, je m’en souvenais maintenant, qu’elle m’avais dit un jour, pour se moquer gentiment de mes idées : ’Tiens ! c’est bien plus simple, rapide et sûr. Tu t’injectes du penthotal et c’est fait, en deux minutes, sans douleur et tout à fait garanti !’ Je le savais bien, tout autant qu’elle, puisque j’étais dans le secteur médical. Mais Cécile pensait : « Mais c’est moi qui lui ai donné l’idée et surtout la caution, l’autorisation… »
Alors j’ai voulu lui parler et lui dire : « Tu te rappelles, Cécile, cette présence que tu as sentie ? C’est moi. Je te dis pardon. Je te dis que je regrette, que je n’avais pas pensé à toi, à ce que tu penserais. Que je ne te connaissais pas, moi qui te croyais forte et active. » Mais elle n’a pas entendu bien sûr.
Cécile est retournée chez elle, morte de fatigue. Elle a avalé deux bons whiskys et une pilule pour dormir. Moi, j’ai veillé sur elle toute la nuit. Et j’ai vu s’approcher d’elle une sorte d’ange noir, un esprit triste envoyé par Dieu qui s’est installé dans sa maison. Je ne comprenais rien. Où étaient les anges du Seigneur ? Marie, les saints et toute cette lumière dont on m’avait parlé ?
Nous sommes restés tout le temps là, cachés. Nous avons laissé s’approcher l’ange du mal. Il fallait que ces deux amies touchent le fond de la misère afin de revivre, pour l’éternité.
Deux jours après, c’est l’enterrement. J’y vais, mon frère m’accompagne. La chapelle mortuaire est pleine de fleurs blanches à n’en plus pouvoir. Je reste en retrait, mais d’un coup quelqu’un me fait signe que les parents de France m’appellent. Je m’approche, je les salue, nous sommes presque contre le cercueil, tellement la chapelle est petite et bourrée de gens et de fleurs. La messe commence, présidée par l’aumônier de l’hôpital où elle travaillait, et d’un coup les larmes me tombent à flots pour la première fois. Tellement c’était fort que je dois me retirer un peu, de nouveau. L’aumônier dit de belles paroles au sujet de France, son bon caractère, sa générosité, ses bonnes qualités professionnelles. Il ne souffle pas un mot sur “suicide”.
Ensuite, je ne sais plus si c’est 15 jours ou trois semaines après, je me suis réveillée une nuit, sans avoir eu de cauchemar, mais j’ai commencé à entrer dans un cauchemar éveillé. C’était un désir en moi d’aller tout de suite là où elle était, de forcer la porte. Je résistais. Je me disais, m’appuyant sur le catéchisme de mon enfance, que la porte de l’autre monde ne se force pas… Il faut attendre qu’elle s’ouvre. Ce furent des mois d’une longue tentation de suicide. J’avais même peur de bouger, de sortir dans la rue, de conduire ma voiture, tellement j’avais peur du plus simple de mes actes. J’avais peur de dormir, de m’engouffrer dans des cauchemars pires que ceux que je vivais en état de veille. J’ai passé ces mois chez mon frère, car surtout la nuit, j’avais peur comme un petit enfant dans le noir.
J’ai toujours été à côté de Cécile quand elle luttait contre l’esprit du mal qui habitait sa maison. J’ai beaucoup prié. Je n’ai cessé d’appeler la Vierge Marie de tout mon cœur en disant que je méritais l’enfer, que je n’avais pensé qu’à moi, que je n’avais jamais imaginé pouvoir faire souffrir ainsi. Je lui disais de venir délivrer Cécile. Mais rien. Ça a duré des mois. Cécile s’est sauvée dans l’action. Elle a repris ses cours, ses consultations, comme une pierre. Et, en la suivant de l’intérieur, j’ai compris sa vraie âme. C’était vraiment ma sœur jumelle. Je l’ai vue passer une demi-heure de suite, chaque jour, dans un fauteuil avant d’être capable de recevoir un patient. Elle était totalement écrasée et faisait de l’autosuggestion… « Tu le reçois. Tu es forte. Tu tiens bon. Ce sera pour cette seule après-midi, ce sera fini le soir et tu pourras aller dormir, enfin. » Moi, j’étais anéantie et j’ai supplié Dieu de me permettre d’aller dans le néant. Je dois l’avouer.
Et puis un jour où j’avais beaucoup pleuré, j’ai enfin reçu enfin une visite. Moi, j’étais une pauvre âme errante dans la maison de Cécile quand soudain quelqu’un est venu vers moi. Cela s’est passé une nuit. Cécile dormait dans son lit. Est apparue « une maman » (c’est comme cela que je l’ai sentie), toute habillée de noir, comme les femmes de jadis. Un manteau la couvrait totalement, cachant jusqu’à son visage. Elle s’est approchée de moi, puis de Cécile, elle a retiré son manteau noir et tout de suite, la pièce s’est illuminée d’une grande lumière. Elle avait un sourire… Et tout de suite je me suis sentie pacifiée. L’esprit du mal, celui qui tenait cette maison depuis des mois, je l’ai vu de mes yeux s’enfuir comme un tourbillon et disparaître. Cette maman, c’était la Laura de Cécile, je l’ai tout de suite deviné. Elle m’en avait un peu parlé, de cette nounou qui l’avait élevée jusqu’à ses 5 ans.
J’ai tout de suite été vers Laura. Et elle m’a dit : « Alors France ? es-tu prête à venir avec moi au Ciel ? » Je lui ai dit : « Je ne peux pas. Je ne peux abandonner Cécile. Elle est attaquée par un démon. Elle va se tuer.
— Mais non, elle ne va pas se tuer. Le démon que tu as vu était un serviteur de Dieu envoyé pour achever de la former à la douceur. Elle a encore beaucoup de choses à faire sur terre. Laisse-la tranquille. Tu reviendras la voir plus tard. Regarde. Elle n’est pas seule. »
Et elle a fait un geste et j’ai vu deux anges de lumière, et son vieux papa, et sa maman et des tas de gens que je ne connaissais pas.
Puis Laura s’est approchée de Cécile, lui a fait une bénédiction de petite fille, une croix sur son front. J’ai dit encore une fois : « Mais je ne peux la laisser comme cela. Je dois veiller sur elle !
— Tu reviendras bientôt. Mais tu as encore beaucoup de choses à apprendre avant de devenir l’ange gardien d’un enfant de la terre. En particulier, tu n’as pas encore bien compris le pourquoi de toute cette souffrance…»
Alors j’ai obéi et nous sommes partis vers l’autre monde.
Un matin, je ne sais plus quand, l’étau s’est desserré pour moi. Je ne sais pas comment c’est venu. Ce n’est pas lié à cette ’obéissance à Jésus’ que je voulais m’imposer « en ne forçant pas la porte du Ciel ». Je crois avoir reçu une lumière, comme si une main effaçait la nuit de mon esprit. Ce n’est pas venu lentement, mais d’un coup. Elle était là, l’idée toute claire que mon suicide irait compliquer encore plus quelque chose qui était déjà fort dramatique. C’est comme si j’avais compris que je ne devais pas faire à moi-même, à mon frère qui était là, ce que France avait fait. Je me suis regardée, comme si j’étais l’autre… et, tout simplement, un “ne fais pas à toi-même ce que tu regrettes d’avoir fait aux autres”, s’est imposé. Aussi, l’idée d’un “purgatoire” sur cette terre, le plus purifiant de tous, m’est venue, sans le mot “purgatoire” là-dedans, mais au fond c’était clair. Alors, j’ai arrêté mes idées noires et c’est tout.
Ensuite, les grâces ont suivi. Un jour, au début de l’Avent, une lumière autre s’est un peu levée, peut-être. Le matin, en sortant d’une messe calme et courte, je crois avoir reçu une grâce. Car l’impossible c’est de voir clair dans tout ça. On est absolument piégé dans le filet de la culpabilité, on ne s’en sort pas avec les seules bonnes paroles, on est absolument aveuglé et seul un miracle nous redonne la vue.
Je bois toujours du whisky. Mais je suis devenue tranquille. Comme si plus rien n’avait d’importance si ce n’est Jésus, ma Laura qui me protège, France qui viendra un jour me chercher et en attendant, tous mes malades…
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »