Accueil  >  Contes  >  Les contes des purgatoires  >  La fin de l’enfer pour Sarah

 

La fin de l’enfer pour Sarah

 

23 ans, c’est fou, mais pour moi ça a été une éternité ! Enfin, pas au début. Les 8 premières années ont été magnifiques. Je me souviens encore du petit appartement dans lequel on vivait. Il n’y avait que 2 pièces : ma chambre que maman avait peinte en rose avec des petites fleurs bleues et le petit living. Maman dormait sur le fauteuil, à l’époque je ne me rendais pas compte de tous les sacrifices qu’elle faisait pour moi. Par exemple, quand on passait à table, elle posait devant moi une assiette bien remplie et devant elle, il n’y avait qu’un bout de pain, ou même rien du tout parfois. Elle me disait qu’elle devait faire régime, que ce n’était pas joli une fille trop ronde mais que moi j’étais parfaite telle que j’étais. J’étais tellement crédule à cette époque, surtout qu’elle était si mince… Peut-être que si je ne l’avais pas crue et que je lui avais donné une partie de mon repas, elle ne serait pas tombée malade. Elle s’est éteinte en à peine 1 semaine. Elle n’avait pas voulu aller à l’hôpital car je n’avais personne chez qui aller en attendant qu’elle aille mieux.

C’est là que ma vie a tourné à l’orage. On m’a d’abord envoyée dans une famille d’accueil, j’y suis restée 2 semaines, ensuite j’ai dû partir car ils n’avaient plus les moyens de payer leur loyer. J’ai été replacée dans une autre famille, de laquelle j’ai dû partir 1 mois plus tard. Ma vie a continuée ainsi pendant 6 ans. De familles en familles, parfois des « pères » violents, d’autres fois des « mères » alcooliques… Mais c’est à mes 14 ans que tout a basculé. J’étais chez les Thompson depuis 3 semaines, quand leur fils est rentré dans ma chambre en pleine nuit. Il empestait l’alcool et le joint, il m’a juste dit que j’étais devenue une grande fille, et qu’il allait me montrer comment les hommes traitaient les vraies femmes. Je savais ce qu’il allait me faire, d’autres orphelines qui avaient vécu dans des familles pires que les miennes me l’avait raconté. Alors, j’ai fait la première chose à laquelle j’ai pensé, j’ai attrapé l’espèce de petite statuette sur ma table de nuit et je l’ai frappé à la tête de toutes mes forces. Tout ce sang… Je me suis enfuie, j’ai couru pendant des heures, le plus vite possible. Je savais que si les Thompson me retrouvaient, j’allais vivre bien pire que ce que leur fils voulait me faire. C’est qu’ils l’adoraient leur petit violeur !

J’ai erré dans les rues plusieurs jours, j’étais morte de faim, et c’est là que Bella m’a trouvée. Maman ne devait pas mentir quand elle disait que j’étais jolie, car Bella a pensé la même chose. Elle m’a ramené avec elle, chez son copain, Fred. Ils m’ont remis sur pieds : ils m’ont nourrie, soignée… Au bout de 2 semaines, j’allais parfaitement bien, physiquement du moins. Bella m’a présenté les autres filles qui vivaient avec elle et Fred et elle m’a expliquée ce qu’elles faisaient toute ici. Pour ne pas rentrer dans les détails, Fred était proxénète, et les filles travaillaient pour lui. Bella m’a dit qu’ils formaient tous une famille, mais un peu spéciale, et que pour rembourser ma dette, je devais aussi travailler pour Fred. Je me dégoûte toujours autant d’avoir pu dire oui. Rien ne peut m’excuser, même aujourd’hui ! Oui j’avais eu faim, froid… Mais j’aurais dû accepter de mourir plutôt que de vendre mon corps ! Mais j’ai bien dit oui, et mon enfer a commencé, il a duré pendant 9 ans. Le travail la nuit, les coups quand je ne ramenais pas assez d’argent, les longues douches pour essayer d’effacer toute cette pourriture que j’avais en moi. Mais rien n’y a jamais fait, je suis souillé, un déchet pour l’éternité ! J’ai voulu parler à un prêtre une fois, mais je n’ai pas osé passer le parvis de l’église, je n’étais même pas digne de la regarder. Depuis 9 ans je suis morte à l’intérieure, alors aujourd’hui, mourir vraiment, ça ne me fait pas du tout peur. Même l’enfer ne me fait pas peur, car je ne me leurre pas, une fille comme moi n’est destinée à aller qu’à un seul endroit. Je n’en veux même pas au type qui m’a enfoncé ce couteau entre les côtes, même si il l’a fait plus de 20 fois, après tout, je ne suis rien, alors quel mal il y a à me tuer, il rend plutôt service à la société !

J’accueille la mort à bras ouverts et je me sens devenir légère, légère, c’est comme si un oiseau m’avait pris sur son aile, enveloppé de ses plumes et qu’on s’envolait. Je n’ai décidément pas peur, au contraire, c’est la première fois depuis bien longtemps que je me sens en sécurité, comme si un être bienveillant avait posé sa main sur mon épaule. J’arrive enfin devant un être tellement lumineux, j’ai les larmes aux yeux de voir à quel point il est beau, et je me sens tellement mal aussi car je suis tellement indigne, impure face à lui ! Je comprends immédiatement qui il est : Jésus. Derrière lui, il y a ma mère qui me regarde avec son sourire si tendre, elle m’a tellement manquée ! Il y aussi le fils Thompson qui est là. Lui aussi sourit. On revoit ensemble toute ma vie, les choses horribles que j’ai faites, mais Jésus me rassure, me console et je me rends vraiment compte que jamais je ne serai digne d’un être comme lui. Personne ne peut, il est si bon, même avec quelqu’un comme moi qui a pourtant tant péché ! J’ai peur au moment où on me voit fracasser la tête du garçon, mais il me sourit encore et m’ouvre les bras, il m’a pardonné, moi aussi je lui pardonne, je pardonne tout à Bella, Fred et les autres. Et ça me fait tellement de bien !

Après, on me demande de choisir entre Jésus, le paradis et Lucifer avec son enfer de plaisirs solitaires. Mais j’ai été seule trop longtemps, cela ne m’intéresse pas de me contempler toute la journée, il n’y a rien à contempler chez moi. Je préfère m’incliner face au Christ et le rejoindre, lui et tous les autres au paradis. Je vois Dieu, et là, je ressens le bonheur, l’amour ultime pour la première fois de ma vie et pour l’éternité.

Marie Coppens, 2013

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle