ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU

Préface

Celui qui a prédit avec plus de clarté les mystères de l’Évangile, le prophète Isaïe, renfermant en peu de mots la sublimité de la doctrine évangélique, son nom et ce qui en a fait l’objet, s’adresse au nom du Seigneur au docteur évangélique, et lui parle en ces termes « Montez sur une haute montagne vous qui évangélisez Sion ; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem ; criez, ne craignez pas, dites aux villes de Juda : Voici Votre Dieu, voici que le Seigneur Dieu paraît dans sa force, il dominera par la force de son bras et il tient entre ses mains le prix de ses travaux. » (Is 40)

Commençons par le nom même d’Évangile. — S. Augustin. (cont. Faust. liv. 2, ch. 2.) Évangile signifie en latin bon message ou bonne nouvelle. Ce mot peut être employé toutes les fois qu’on annonce une heureuse nouvelle ; mais il a été spécialement réservé pour désigner le divin message qui nous annonce le Sauveur, et on appelle Évangélistes proprement dits les écrivains sacrés qui ont raconté la naissance, les actions, les paroles et les souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ. — S. Chrys. (Hom. 1 sur S. Matth.) En effet, que pourra-t-on jamais comparer à une si heureuse nouvelle ? Dieu sur la terre, l’homme dans le ciel, notre nature rentrée en amitié avec Dieu, cette si longue guerre enfin terminée, la puissance du démon détruite, la mort anéantie, le paradis ouvert, et toutes ces grâces qui étaient au-dessus de notre nature nous ont été données avec libéralité, non comme récompense de nos efforts, mais par un effet de l’amour de Dieu pour nous. — S. Augustin. (de la vraie relig., ch. 16.) Dieu qui a des moyens à l’infini pour guérir les âmes suivant les circonstances favorables des temps qu’il fait naître et dispose dans son admirable sagesse, n’a jamais fait paraître plus de bonté pour le genre humain, que lorsque son Fils unique consubstantiel et coéternel à son Père a daigné s’unir l’homme tout entier. « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous, » et en apparaissant ainsi au milieu des hommes revêtu de leur nature, il a fait voir quel rang élevé la nature humaine occupait dans la création. — S. Augustin. (serm. sur la Nativ.) Enfin Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devînt Dieu ; c’est cette grâce extraordinaire, qui devait être publiée dans la suite des temps, que le Prophète prédit en ces termes « Voici notre Dieu. » — S. Léon, pape. (Lettre 10, ch. 3.) Cet anéantissement par lequel l’invisible s’est rendu visible, et le Créateur, le Seigneur Dieu de toutes choses s’est réduit à la condition des mortels, a été en lui une inclination de miséricorde, et non un amoindrissement de puissance. La glose. (interlin. sur Isaïe, XL.) Afin que l’on ne pût croire que la venue de Dieu sur la terre entraînait pour lui un affaiblissement de puissance, le Prophète ajoute « Voici que le Seigneur vient dans sa force. » — S. Augustin. (de la doct. chrét., liv. 1, ch. 12.) Il vient, non pas en traversant l’espace, mais en apparaissant aux yeux des mortels revêtu d’une chair mortelle. — S. Léon, pape. (serm. 49 sur la pass.) Par un miracle de puissance ineffable, il est arrivé que le vrai Dieu s’étant revêtu d’une chair passible, l’homme a obtenu la gloire par ses abaissements, l’incorruptibilité par son supplice, la vie par sa mort. — S. Augustin. (du bapt. des enf., r, 30.) Car c’est l’effusion de ce sang innocent qui a effacé tous les traités qui soumettaient les hommes au honteux esclavage du démon. — La glose. (interlin. sur Isaïe, 40.) Mais les hommes n’ont été délivrés du péché par la vertu de la passion de Jésus-Christ que pour être soumis à l’empire de Dieu ; c’est pour cela que le Prophète ajoute : « Il dominera par la force de son bras. » — S. Léon, pape. (serm. sur la passion.) Nous avons reçu par Jésus-Christ un secours si puissant, que notre nature passible a été affranchie de la loi de mort à laquelle la nature impassible s’était soumise, car par ce privilège d’immortalité qui lui est propre, il peut ressusciter ce qui était condamné à une mort éternelle. — La glose. (interlin.) Et c’est ainsi que Jésus-Christ nous a ouvert les portes de la gloire immortelle, comme le Prophète l’exprime en disant « Sa récompense est avec lui ; » et comme saint Matthieu le déclare lui-même par ces paroles : « Votre récompense est grande dans les cieux. » — S. Augustin. (contre Faust., liv. 4, ch. 2.) La promesse de la vie éternelle et le royaume des cieux sont le privilège du Nouveau Testament ; quant à l’Ancien, il ne contenait que des promesses de biens temporels.

La glose. (sur Ezéchiel, 1.) L’Évangile nous enseigne donc ces quatre choses sur la personne de Jésus-Christ : la divinité s’est unie à la nature humaine ; l’humanité a été élevée par cette union ; la mort du Fils de Dieu nous a délivrés de la servitude, et sa résurrection nous a ouvert les portes de la vie éternelle ; c’est ce qu’Ezéchiel a prophétisé sous la figure des quatre animaux. — S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4.) En effet, le Fils unique de Dieu s’est réellement fait homme ; dans le sacrifice de notre rédemption il a été immolé comme un taureau ; il s’est levé du tombeau comme un lion ; il a pris le vol de l’aigle pour monter au ciel. — La glose. (sur Ezéch., 1, 9.) Dans son ascension, sa divinité se révèle avec éclat. Or, saint Matthieu nous est figuré par l’homme, parce qu’il s’attache surtout à ce qui concerne l’humanité de Jésus-Christ ; saint Marc par le lion, parce qu’il s’étend davantage sur sa résurrection ; saint Luc par le taureau, parce qu’il traite de son Sacerdoce ; saint Jean par l’aigle, parce qu’il a pénétré les profonds mystères de la divinité. — S. Ambr. (préf. sur S. Luc.) C’est par un rapprochement heureux qu’ayant appelé l’Évangile selon S. Matthieu un livre moral, nous donnons place à cette interprétation figurée, car les mœurs sont propres à la nature humaine ; saint Marc est la figure du lion, parce qu’il commence son Évangile en proclamant la puissance de Dieu « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu ; » saint Luc nous est représenté sous la figure d’un taureau, parce qu’il commence son récit par une histoire sacerdotale, et que le taureau était une des victimes immolées par les prêtres ; enfin on attribue à saint Jean la figure de l’aigle, parce qu’il a raconté les circonstances miraculeuses de la résurrection du Sauveur. — S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4.) Le commencement de chaque Évangile atteste la vérité de cette interprétation symbolique ; saint Matthieu est parfaitement figuré par l’homme, puisqu’il commence son Évangile par la génération humaine de Jésus-Christ ; saint Marc par le lion, à cause du cri dans le désert par lequel il ouvre son récit ; saint Luc par le taureau, parce qu’il débute par le récit d’un sacrifice ; saint Jean par l’aigle, lui qui commence par la génération éternelle du Verbe. — S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 1, ch. 6.) On peut dire aussi que saint Matthieu est figuré par le lion, parce qu’il s’est appliqué à faire ressortir la royauté de Jésus-Christ ; saint Luc par le taureau, parce que c’était une des victimes immolées par les prêtres ; saint Marc par l’homme, parce que, sans vouloir raconter la descendance royale ou sacerdotale du Christ, il s’est attaché à ce qui concerne son humanité. Ces trois animaux, le lion, le taureau et l’homme, vivent et marchent sur la terre : aussi les trois évangélistes qu’ils représentent se sont-ils principalement occupés de ce qu’a fait Jésus-Christ revêtu dune chair mortelle. Mais saint Jean prend le vol de l’aigle et il fixe la lumière de l’être immuable avec les yeux perçants de son cœur. On peut en conclure que les trois premiers Évangélistes ont traité surtout de la vie active, et saint Jean de la contemplative. — S. Rémi. Les docteurs grecs dans la figure de l’homme voient saint Matthieu qui a écrit la généalogie humaine de Jésus-Christ ; dans celle du lion, saint Jean, parce que de même que le rugissement du lion fait trembler tous les animaux, ainsi saint Jean a été l’effroi de tous les hérétiques ; dans la figure du taureau, saint Luc, parce que le taureau était une des victimes du sacrifice, et que cet évangéliste parle souvent du temple et du sacerdoce ; dans celle de l’aigle, saint Marc, parce que dans les saintes Écritures l’aigle représente ordinairement l’Esprit saint (Dt 32, 11 ; Ez 17, 3 ; Os 8, 1) qui a parlé par la bouche des prophètes, et que saint Marc a commencé son Évangile par un texte prophétique. — S. Jérôme. (à Eusèbe, prologue de l’Evang.) Quant au nombre des Évangélistes, il faut observer qu’un assez grand nombre d’écrivains ont rédigé des évangiles, au témoignage de saint Luc lui-même : « Puisque plusieurs se sont efforcés de mettre en ordre, » etc. Nous avons encore aujourd’hui des preuves subsistantes de ce grand nombre d’Évangiles composés par divers auteurs, et qui ont été la source de diverses hérésies, tels que les évangiles selon les Égyptiens, selon saint Thomas, selon saint Barthélemy, les évangiles des douze apôtres, de Basilide, d’Apelles et d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. Mais l’Église de Dieu, bâtie sur la pierre par la parole du Seigneur et qui a donné naissance comme le paradis terrestre à quatre grands fleuves, a aussi quatre anneaux aux quatre coins, de manière à pouvoir être portée sur quatre bâtons mobiles comme l’arche de l’Ancien Testament dépositaire et gardienne de la loi divine (Ex 27, 3 ; 25, 12).

S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 1, ch. 2.) Le nombre quatre est peut-être aussi en rapport avec les parties de la terre, dans toute l’étendue de laquelle se développe l’Église de Jésus-Christ. Or, l’ordre qu’il faut assigner aux Apôtres dans la connaissance et la prédication de l’Évangile n’est pas le même qu’il faut suivre pour les écrivains sacrés. Les premiers qui furent appelés à connaître et à prêcher la vérité sont ceux qui suivirent le Seigneur pendant sa vie mortelle, entendirent ses enseignements, furent témoins de ses miracles, et reçurent de sa bouche l’ordre d’aller prêcher l’Évangile. Mais quant à la composition de l’Évangile, qui a été certainement réglée par une disposition toute divine, deux apôtres du nombre de ceux que Jésus-Christ a choisis avant sa passion, saint Matthieu et saint Jean, tiennent l’un la première place, l’autre la dernière. Les deux autres évangélistes n’étaient pas de ce nombre, ils avaient cependant suivi Jésus-Christ dans la personne de deux apôtres, qui les reçurent comme des fils, et au milieu desquels ils furent placés comme pour en être soutenus des deux côtés. — S. Rémi. Saint Matthieu écrivit son Évangile dans la Judée, sous le règne de l’empereur Caligula ; saint Marc en Italie et à Rome, sous le règne de Néron ou de Claude ; saint Luc dans l’Achaïe ou la Béotie, sur la prière de Théophile ; saint Jean à Ephèse dans l’Asie Mineure, sons le règne de Nerva. — Bède. On compte, il est vrai, quatre Évangélistes, mais c’est moins quatre évangiles différents qu’ils ont écrit, qu’un seul parfaitement d’accord avec la vérité de ces quatre livres. De même que deux vers, ayant absolument le même sujet, diffèrent cependant par les expressions et par la mesure, et ne présentent toutefois qu’une seule et même pensée, ainsi les livres des Évangélistes, tout en étant au nombre de quatre, ne contiennent cependant qu’un seul et même Évangile, parce qu’ils ne renferment qu’une seule et même doctrine sur la foi catholique. — S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth.) Il suffisait qu’un seul Évangéliste racontât tous les faits de la vie de Jésus-Christ ; mais lorsqu’on les voit tous les quatre tenir le même langage, et, tout en étant séparés par les lieux comme par les temps, et sans avoir pu se concerter en aucune manière, c’est là une démonstration péremptoire de la vérité. Leurs divergences apparentes sont en outre la plus grande preuve de leur véracité ; car s’ils s’accordaient en tout, nos ennemis pourraient dire qu’ils se sont entendus pour avancer ce qu’ils ont écrit. Dans les choses essentielles qui ont pour objet la règle des mœurs et la prédication de la foi, on ne voit pas en eux la moindre différence. Quant aux miracles, que l’un en raconte quelques-uns, et un autre ceux que n’a pas racontés le premier, cela ne doit nullement ni vous troubler, ni vous surprendre. Car si un seul les avait tous racontés, le récit des autres devenait tout à fait inutile ; au contraire, s’ils avaient toujours raconté des miracles différents, comment pourrait-on découvrir cette admirable unité qui existe entre eux ? Quant aux variantes sur le temps où les faits se sont passés, ou sur la manière dont ils ont eu lieu, elles ne détruisent en rien la vérité du récit, ainsi que nous le montrerons dans la suite. — S. Augustin. (de l’accord des Evang. liv. 1, ch. 2.) Quoique chacun d’eux paraisse avoir adopté un plan particulier de narration, il ne le suit pas cependant, comme s’il ignorait le récit de celui qui l’a précédé, et en omettant les faits qu’un autre aurait racontés. Ils écrivent selon l’inspiration qu’ils reçoivent, et ajoutent à cette inspiration l’utile coopération de leurs propres efforts.

La glose. La sublimité de la doctrine évangélique consiste d’abord dans l’excellence de l’autorité dont elle émane. — S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 1, ch. 1.) En effet, parmi les livres sacrés qui sont revêtus d’une autorité divine, l’Évangile occupe à juste titre le premier rang, puisqu’il eut pour premiers prédicateurs les Apôtres qui avaient suivi Notre Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur du monde revêtu de notre nature, et que deux d’entre eux, saint Matthieu et saint Jean, ont cru devoir consigner, chacun dans un ouvrage différent, les choses dont ils avaient été les témoins. Et afin qu’on ne crût pouvoir établir en ce qui concerne la connaissance et la prédication de l’Évangile, une différence entre les Évangélistes qui avaient suivi le Sauveur sur la terre et ceux qui avaient cru sur leur témoignage, la providence divine a disposé les choses de manière que le privilège non seulement de prêcher, mais d’écrire l’Évangile fût donné aux disciples des premiers apôtres. — La glose. Il est donc évident que l’autorité souveraine de l’Évangile vient de Jésus-Christ ; c’est ce que déclare le prophète Isaïe que nous avons déjà cité, lorsqu’il dit « Montez sur une haute montagne. » Cette haute montagne, c’est le Christ lui-même, au témoignage du même prophète dans cet autre endroit : « Dans les derniers jours, la montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée sur le haut des monts, » c’est-à-dire au-dessus de tous les saints appelés montagnes, à cause de Jésus-Christ qui est comparé lui-même à une haute montagne, parce que nous avons reçu tous de sa plénitude. Or, c’est avec raison que ces paroles : « Montez sur une haute montagne, » sont adressées à saint Matthieu, car, comme nous l’avons dit plus haut, il fut en personne témoin des actions de Jésus-Christ, et apprit à son école sa divine doctrine. — S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 8, ch. 7) Nous avons maintenant à répondre à une difficulté qui fait impression sur quelques personnes. Pourquoi, disent-elles, le Sauveur n’a-t-il rien écrit par lui-même, et pourquoi sommes-nous obligés d’ajouter foi au récit de ceux qui ont écrit sa vie ? Il est faux de dire, répondrons-nous, que le Sauveur n’a rien écrit, puisque ses membres n’ont fait que rapporter ce que leur chef leur dictait, car tout ce qu’il a voulu nous transmettre de ses discours et de ses actions, il leur a commandé de l’écrire, en dirigeant leur main comme la sienne propre. — La glose. En second lieu l’Évangile est sublime par sa vertu, au témoignage de l’Apôtre : « L’Évangile est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, et c’est ce qu’a prédit le Prophète lui-même dans les paroles citées plus haut : « Élève ta voix avec force, » paroles qui indiquent la manière dont la doctrine évangélique doit être annoncée, l’élévation de la voix figurant la clarté de la doctrine. — S. Augustin. (à Volusien, lettre 3.) Le langage simple de la sainte Écriture est accessible à tous, mais il n’est pénétré à fond que par un très petit nombre. Les vérités claires qu’elle renferment, elle les propose sans artifice, comme un ami intime, au cœur des savants comme à celui des ignorants. Quant aux mystères qu’elle recouvre d’un voile, elle ne les élève pas au-dessus de nous à l’aide d’une parole prétentieuse, propre à éloigner les intelligences sans instruction et de conception lente, comme le pauvre est porté à s’éloigner du riche, mais elle invite tous les hommes par la simplicité de son langage, non seulement à se nourrir de la vérité qui leur est révélée, mais encore à exercer leur foi au milieu de ses divins secrets, aussi riche et quand elle use d’expressions claires, et quand elle recouvre la vérité d’un voile mystérieux ; et afin que la clarté n’engendre pas le dégoût, le voile qui les recouvre de nouveau excite de saints désirs qui leur donnent un nouvel attrait, et les font goûter avec plus de suavité. C’est ainsi que par une méthode salutaire, les esprits dévoyés sont ramenés au bien, les faibles nourris, et les esprits supérieurs remplis d’une douce joie. — La glose. La voix qui éclate s’entend de plus loin ; on peut voir dans cette voix élevée une figure de la prédication évangélique, que Dieu commande de porter non pas à une nation, mais à tous les peuples, d’après ce précepte du Seigneur : « Allez, prêchez l’Évangile à toute créature. » — S. Grég. Ces paroles : « Toute créature, » peuvent signifier tous les peuples de la terre. — La glose. En troisième lieu la doctrine évangélique est sublime par son caractère de liberté. — S. Augustin. (contre Faust.) Dans l’Ancien Testament, la Jérusalem terrestre, sous l’impression de la promesse des biens temporels et de la menace des châtiments, n’engendrait que des esclaves ; dans le Nouveau, où la foi obtient la charité qui fait accomplir la loi moins par un sentiment de crainte que par l’amour de la justice, la Jérusalem éternelle n’engendre que des enfants libres. — La glose. Cette sublimité de la doctrine évangélique nous est indiquée dans ces paroles du Prophète : « Élevez la voix, ne craignez pas. »

Il nous reste à examiner les raisons qui ont déterminé saint Matthieu à écrire son Évangile, et à quelles personnes il le destinait. — S. Jérôme. (prolog. sur S. Matth.) Saint Matthieu a écrit son Évangile dans la Judée et en hébreu, parce qu’il le destinait principalement à ceux d’entre les Juifs qui avaient embrassé la foi. Après leur avoir prêché l’Évangile, il l’écrivit en hébreu pour en perpétuer le souvenir dans l’esprit de ses frères, dont il se séparait ; car de même qu’il était nécessaire pour confirmer la foi que l’Évangile fût prêché, il fallait aussi qu’il fût écrit pour combattre les hérétiques. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Voici dans quel ordre les faits sont racontés dans saint Matthieu : premièrement la naissance de Jésus-Christ ; secondement son baptême ; troisièmement sa tentation ; quatrièmement sa prédication ; cinquièmement ses miracles ; sixièmement sa passion ; septièmement sa résurrection et son ascension. En suivant cet ordre, il a voulu non seulement nous présenter la suite de la vie de Jésus-Christ, mais encore nous donner comme le plan de la vie évangélique. Ce ne serait rien, en effet, de recevoir la vie de nos parents, si Dieu ne nous donnait une nouvelle naissance par l’eau et l’Esprit saint. Après le baptême, il faut lutter contre le démon ; lorsqu’on a triomphé pour ainsi dire de toutes les tentations, et qu’on est devenu capable d’enseigner les autres, si on est prêtre, on doit enseigner et donner pour appui à sa doctrine une bonne vie, qui a autant de force que les miracles ;si on est simple fidèle, on doit inspirer la foi par ses œuvres. Enfin il nous faut sortir de cette arène du monde, et c’est alors que la récompense éternelle et la gloire de la résurrection viennent couronner nos combats et nos victoires.

La glose. D’après tout ce que nous venons de dire, on voit clairement ce qui fait l’objet de l’Évangile, le nombre des Évangélistes, les symboles qui les ont figurés, leurs divergences, la sublimité de leur doctrine, ceux pour qui cet Évangile a été écrit et l’ordre adopté par l’écrivain sacré.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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