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Mt  5  29

La glose. Il ne suffit pas seulement d’éviter le péché, il faut encore en faire disparaître l’occasion ; aussi, après nous avoir enseigné à fuir non-seulement l’adultère consommé, mais encore l’adultère intérieur, le Seigneur nous enseigne à retrancher les occasions de péché, en ajoutant : « Si votre oeil droit vous scandalise. »

S. Chrys. (sur S. Matth.) Si d’après le roi-prophète, il n’y a aucune partie de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les membres de notre corps pour égaler leur châtiment à leur malice. Mais voyons si nous devons entendre ce passage de l’oeil ou de la main du corps. Lorsqu’un homme se convertit à Dieu, il est entièrement mort au péché ; de même l’oeil lorsqu’il renonce aux mauvais regards est affranchi du péché. Mais ce n’est pas la seule difficulté, car que fait l’oeil gauche pendant que l’oeil droit vous scandalise ? Tient-il une conduite différente pour être conservé comme innocent. — S. Jérôme. Cet oeil droit, cette main droite, signifient donc l’affection que nous avons pour des frères, pour une épouse, pour des parents, pour des proches ; si elle devient pour nous un obstacle à la contemplation de la vraie lumière, nous devons retrancher ces parties si chères de nous-mêmes. — S. Augustin. (serm. sur la mont., 1, 43.) De même que l’oeil est la figure de la contemplation, la main est la figure de l’action. L’oeil est encore pour nous l’image d’un de nos amis les plus chers ; aussi ceux qui veulent exprimer vivement leur affection disent-ils : Je l’aime comme l’un de mes yeux. Cet ami dont l’oeil est la figure, est un ami de bon conseil, de même que l’oeil sert à nous indiquer le chemin. C’est l’oeil droit probablement, pour faire ressortir la force de l’amitié, car on craint bien davantage de perdre l’oeil droit. Peut-être aussi par l’oeil droit, faut-il entendre l’ami qui nous conseille dans l’ordre des choses divines, et par l’oeil gauche celui qui donne des conseils sur les choses de la terre. Le sens serait donc : Quel que soit celui que vous aimez à l’égal de votre oeil droit, s’il vous scandalise, c’est-à-dire s’il est pour vous un empêchement au véritable bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Or il n’était pas nécessaire de parler de l’oeil gauche qui scandalise, après avoir dit qu’il ne faut pas épargner l’oeil droit. La main droite représente l’ami qui nous aide dans les oeuvres spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours dans les choses de la vie présente.

S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ veut que nous prenions garde non-seulement de nous exposer au danger personnel de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par ceux dont la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami qui voit et connaît parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui les traite comme votre propre main ; vous apprenez qu’il s’est rendu coupable d’une action honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu’il vous scandalise, car nous aurons à rendre compte non-seulement de nos propres fautes, mais encore des fautes du prochain que nous aurions pu empêcher. — S. Hil. (Can. 4.) C’est donc ici un degré d’innocence plus parfait ; nous devons non-seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais encore nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.

S. Jérôme. Ou bien encore, comme le Sauveur parle plus haut du désir coupable que peut exciter la vue d’une femme, il prend ici l’oeil pour la pensée et le sentiment qui s’égarent sur divers objets ; la main droite et les autres parties du corps expriment les premiers mouvements de la volonté et de la passion. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cet oeil du corps est le miroir de l’oeil intérieur ; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c’est l’oeil gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les facultés de l’âme sont désignées par la droite, parce que l’âme a été créée avec le libre arbitre et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps qui n’a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché, nous est représenté par la main gauche. Or on ne nous commande pas de retrancher les sensations ou les appétits de la chair, car nous pouvons réprimer ses désirs et ne pas les satisfaire, tandis que nous ne pouvons empêcher la chair de manifester ces désirs. Lorsque de propos délibéré nous pensons, nous voulons le mal, c’est notre sens droit, c’est notre volonté droite qui nous scandalise, et il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à l’aide du libre arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous abstenir de toute bonne action qui devient un scandale pour nous ou pour les autres. Ainsi je fais visite à une femme pour un motif de religion, mon intention est bonne, c’est l’oeil droit. Mais si mes visites trop assidues me font tomber dans le piége du désir, ou deviennent un scandale pour ceux qui en sont témoins, c’est l’oeil droit qui scandalise, c’est le bien qui scandalise, car l’oeil droit c’est le bon regard, c’est la bonne intention, comme la main droite est la bonne volonté. — La glose. On peut dire encore que l’oeil droit c’est la vie contemplative qui peut devenir un objet de scandale soit en nous jetant dans la paresse ou dans l’orgueil, soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu’à la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la vie active qui peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piége que nous tendent la fréquentation du monde et l’ennui des occupations. Que celui donc qui ne peut goûter le bienfait de la vie contemplative ne se laisse pas gagner par la langueur au milieu de la vie active, dans la crainte qu’en se livrant aux occupations extérieures, il laisse se dessécher la douceur intérieure de son âme.

S. Rémi. Mais pourquoi faut-il arracher l’oeil droit ; pourquoi faut-il couper la main droite ? Le Sauveur nous en donne la raison. « Car il vaut mieux pour vous qu’un de vos membres périsse. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous sommes les membres les uns des autres, il vaut donc mieux pour nous que nous soyons sauvés sans telle bonne intention, ou sans telle bonne oeuvre que de nous perdre avec toutes ces bonnes oeuvres pour avoir voulu les accomplir toutes sans exception.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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