Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Matthieu > chapitre 15, versets 32-38
S. Jérôme. Notre Seigneur Jésus-Christ a commencé par rendre la santé aux infirmes, il nourrit maintenant ceux qu’il vient de guérir : Il réunit ses disciples et leur apprend ce qu’il va faire : « Et Jésus, » etc. Il agit ainsi pour enseigner aux maîtres, par son exemple, a communiquer leurs desseins à leurs inférieurs et à leurs disciples, et aussi pour que cet entretien rende plus éclatant le miracle qu’il va faire. — S. Chrys. (hom. 54.) Cette multitude, qui n’était venue que pour obtenir sa guérison, n’osait demander du pain ; mais Jésus, qui est l’ami des hommes et qui prend soin de tous, leur en donne sans attendre qu’ils en demandent : « J’ai compassion de ce peuple, leur dit-il. Et pour qu’on ne puisse pas dire qu’ils avaient apporté leur nourriture avec eux, il ajoute : « Car voilà trois jours qu’ils demeurent continuellement avec moi et ils n’ont rien à manger. » Quand même ils auraient eu des vivres avec eux lorsqu’ils arrivèrent, ils étaient déjà consommés ; aussi ne fait-il pas ce miracle le premier ou le second jour, mais le troisième, alors que toutes les provisions étaient épuisées, afin que le sentiment du besoin leur fit recevoir avec un désir plus ardent le prodige qu’il allait opérer. Il fait voir qu’ils étaient venus de loin et qu’il ne leur restait plus rien en disant : « Je ne veux pas les renvoyer qu’ils n’aient mangé. » Son intention est bien de les nourrir par un nouveau miracle ; cependant il en diffère l’exécution, car il veut, par cette question et par la réponse qui doit la suivre, rendre ses disciples plus attentifs et les forcer à manifester leur foi, en lui demandant de faire une nouvelle multiplication des pains. Mais quoique Jésus-Christ eût réuni dans le premier miracle les circonstances qui devaient en rendre toujours présent le souvenir à leur esprit, comme de distribuer eux-mêmes le pain, de recueillir les restes dans les corbeilles, cependant leurs dispositions étaient encore bien imparfaites, ainsi que le prouve la réponse qu’ils font à Jésus : « Comment pourrons-nous trouver, » etc. Cette réponse, qui indique une foi faible, met cependant à l’abri de tout soupçon le miracle qui va s’opérer. Car, afin qu’on ne puisse supposer que les provisions ont été apportées de quelque bourg voisin ; le miracle se fait dans la solitude, à une grande distance de tout endroit habité. Cependant, le Sauveur, pour élever leur âme, leur adresse une question dont la nature seule doit leur rappeler le premier miracle : « Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? — Sept, lui dirent-ils. » Mais ils n’ajoutent pas comme la première fois : « Qu’est-ce que cela pour un si grand nombre ? » Ils avaient fait quelques progrès, quoiqu’il y eût encore bien des choses qu’ils ne pussent comprendre. Admirez toutefois leur amour pour la vérité ils ne songent pas, dans un récit dont ils sont les auteurs, à cacher leurs plus grands défauts ; car ce n’est pas une accusation ordinaire, ce n’est pas une faute légère que l’oubli si rapide d’un aussi grand prodige. Admirez encore un autre trait de leur sagesse : comme ils savent dompter le besoin de la faim, et ne se préoccupent guère des soins de la nourriture. Ils sont dans le désert et ils y restent trois jours, n’ayant seulement avec eux que sept pains. Notre-Seigneur suit la même marche que pour le premier miracle : il fait asseoir la foule sur la terre et multiplie les pains dans les mains de ses disciples : « Et il ordonna à la foule de s’asseoir, » etc. — S. Jérôme. Il est inutile de rappeler ici ce que nous avons dit plus haut ; arrêtons-nous seulement aux circonstances qui nous offrent quelque différence.
S. Chrys. (hom. 54.) Ces deux miracles ne se terminent pas de la même manière. Ils emportent ici sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. Or, ceux qui en mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, » etc. Pourquoi les restes furent-ils moins considérables dans ce miracle que dans le premier, alors que ceux qui mangèrent étaient en plus petit nombre ? C’est peut-être que les corbeilles étaient plus grandes que les paniers, ou bien le Sauveur voulut-il que la différence de ces deux miracles en rendît le souvenir plus facile. Voilà pourquoi dans le premier il y avait autant de paniers que de disciples, tandis que dans celui-ci il y a autant de corbeilles qu’il y avait de pains.
S. Rémi. Dans ce récit de l’Évangile, nous devons considérer la double opération de la divinité et de l’humanité dans Jésus-Christ. La compassion qu’il ressent pour ce peuple est une preuve qu’il a pris les sentiments de notre faible nature, et le miracle qu’il fait en multipliant les pains et en nourrissant cette multitude fait éclater en lui la toute-puissance divine. Ainsi se trouve renversée l’erreur d’Eutychès, qui ne voulait reconnaître en Jésus-Christ qu’une seule nature.
S. Augustin. (De l’acc. des Evang., 2, 50.) Il n’est pas inutile de remarquer ici que si l’un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté, celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n’y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l’on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu’on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l’un a été raconté par un Évangéliste et l’autre par un autre.
La glose. Remarquons encore que Notre-Seigneur commence par guérir les infirmités et qu’il donne ensuite à manger à ceux qu’il a guéris, parce qu’en effet il faut d’abord faire disparaître les péchés de l’âme avant de la nourrir de la parole de vie. — S. Hil. (can. 13.) Ce peuple qu’il a nourri en premier lieu représentait les Juifs qui embrassèrent la foi ; ainsi cette nouvelle multitude est une figure du peuple des Gentils, et dans ces quatre mille personnes rassemblées nous voyons représentée cette multitude innombrable réunie des quatre parties du monde. — S. Jérôme. Nous ne comptons pas ici cinq mille personnes, mais quatre mille seulement. Le nombre quatre a toujours une signification heureuse : la pierre qui est carrée ne vacille pas, elle n’est point sujette à chanceler, et c’est pourquoi les Évangiles se trouvent consacrés par ce nombre quatre. Dans le miracle précédent, comme le chiffre de la multitude se rapproche du nombre des cinq sens, ce n’est pas le Seigneur qui paraît y faire attention, mais ses disciples ; ici, au contraire, c’est le Sauveur lui-même qui déclare qu’il a compassion de ce peuple qui depuis trois jours persévère avec lui, parce qu’en effet ils croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. — S. Hil. (can. 3.) Ou bien ils passent avec le Seigneur un temps égal à celui de sa passion ; ou bien encore, avant de recevoir le baptême, ils confessent qu’ils croient à sa passion et à sa résurrection ; ou bien enfin, par un mouvement de sympathique compassion, ils veulent jeûner tout le temps qu’a duré la passion du Seigneur. — Raban. Ou bien, dans un autre sens, cette circonstance nous rappelle les trois époques où, pendant toute la durée des siècles, la grâce nous est donnée ; la première avant la loi, la seconde sous la loi, la troisième sous la grâce, la quatrième s’accomplira dans le ciel dont la perspective ranime celui qui en fait le terme de tous ses efforts. — S. Rémi. Ou bien enfin, c’est qu’en faisant pénitence des péchés qu’on a commis, on se convertit au Seigneur dans les pensées, dans les paroles et dans les actions. Le Seigneur ne voulut pas renvoyer ce peuple sans qu’il eut mangé, de peur qu’il ne tombât en défaillance dans le chemin, car c’est ainsi que les pécheurs convertis par la pénitence sont exposés a périr dans le cours de cette vie qui passe, si on les renvoie privés de la nourriture de la sainte doctrine.
La glose. Les sept pains sont les écrits du Nouveau Testament qui nous révèle et nous donne à la fois la grâce de l’Esprit saint. Ce ne sont point des pains d’orge, comme précédemment, parce que, dans le Nouveau Testament, l’aliment qui donne la vie n’est pas de même que sous la loi, enveloppé de figures, comme d’une paille qui adhère fortement. Nous n’avons point ici deux poissons, figure des deux seules personnes qui, sous la loi, recevaient l’onction sainte, le grand-prêtre et le roi, mais quelques poissons, figure des saints du Nouveau Testament, qui, arrachés aux flots du siècle, supportent les agitations de la mer et, nous ranimant par leur exemple, nous empêchent de défaillir dans le chemin.
S. Hil. Or, la multitude s’asseoit sur la terre, car elle n’avait pu se reposer sur aucune des œuvres de la loi, et elle tenait encore fortement à l’origine de son corps et à la source de ses péchés. — La glose. Ou bien on peut dire que dans le premier miracle elle s’asseoit sur le gazon pour comprimer les désirs de la chair : ici elle est assise sur la terre, car il lui est ordonné d’abandonner le monde. La montagne sur laquelle le Seigneur nourrit ce peuple, c’est la hauteur du Christ. D’un côté, la terre est recouverte de gazon, parce que la hauteur du Christ s’y trouve recouverte, pour les hommes charnels, d’espérance et de désirs terrestres ; ici, au contraire, tout désir charnel est éloigné, et la fermeté d’une espérance permanente soutient les convives du Nouveau Testament. Là il y a cinq mille hommes, parce que les hommes charnels sont esclaves de leurs sens ; ici, quatre mille, figure des quatre vertus qui donnent à l’âme la vie spirituelle, c’est-à-dire la tempérance, la prudence, la force, la justice. De ces quatre vertus, la première donne la connaissance de ce qu’il faut rechercher et de ce qu’il faut éviter ; la deuxième met un frein à la cupidité des plaisirs des sens ; la troisième nous donne la fermeté pour supporter toutes les épreuves de la vie ; la quatrième, qui se répand dans toutes les autres, est l’amour de Dieu et du prochain. De part et d’autre, les femmes et les enfants ne sont point comptés, car, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, ceux qui ne peuvent atteindre l’état de l’homme parfait, soit par faiblesse, soit par légèreté d’esprit, ne peuvent être admis près du Seigneur. Ces deux collations ont eu lieu sur la montagne, car les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament nous rappellent à la fois la sublimité des préceptes divins et des récompenses célestes et proclament la grandeur et l’élévation du Christ. Quant aux mystères plus sublimes que la multitude ne peut comprendre, les Apôtres les soulèvent et les accomplissent, et ils sont en cela la figure des cœurs parfaits que la grâce de l’Esprit aux sept dons a remplis d’intelligence. Les corbeilles sont ordinairement faites avec des joncs et des feuilles de palmier ; elles représentent les saints qui enfoncent la racine de leur cœur dans la source même de la vie ; semblables au jonc dans l’eau, ils ne sont point exposés à se dessécher et ils portent dans leur cœur la palme de la récompense éternelle.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.