Accueil  >  Bibliothèque  >  La Chaîne d’or  >  Évangile selon saint Matthieu  >  chapitre 15, versets 22-28

Mt  15  22-28

S. Jérôme. Notre-Seigneur laisse là les Juifs, les pharisiens et les calomniateurs et il se rend dans le pays de Tyr et dans celui de Sidon pour étendre ses bienfaits jusqu’aux habitants de cette contrée : « Et Jésus, étant parti de là, se retira dans le pays de Tyr et de Sidon. »

S. Rémi. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Gentils ; Tyr était la métropole des Chananéens, Sidon était situé sur les frontières de leur pays, du côté du nord. — S. Chrys. (hom. 53.) Remarquons que c’est au moment qu’il affranchit les Juifs des observances qui leur interdisaient certaines nourritures, qu’il ouvre aux Gentils la porte de l’Évangile. C’est ainsi que Pierre reçut dans une vision l’ordre de s’affranchir de cette loi, et qu’il fut envoyé immédiatement vers le centurion Corneille (Ac 10.) Si l’on demande pourquoi le Sauveur, qui avait dit à ses disciples : « Vous n’irez pas vers les nations, » y a été lui-même, nous répondrons d’abord qu’il n’était pas soumis aux préceptes qu’il donnait à ses disciples, et, en second lieu, qu’il n’y alla point pour prêcher 1’Évangile, mais pour y chercher une retraite, puisque saint Marc nous apprend (Mc 7) qu’il désirait que personne ne le sût.

S. Rémi. Il y alla aussi pour faire sentir les effets de sa bonté aux habitants de Tyr et de Sidon, c’est-à-dire pour délivrer du démon la fille de cette pauvre femme et confondre, par l’exemple de sa foi, la méchanceté des scribes et des pharisiens. C’est cette femme, dont l’Évangéliste dit : « Voici qu’une femme chananéenne, qui était sortie de ce pays, » etc. — S. Chrys. (hom. 53.) Il nous fait remarquer qu’elle était Chananéenne pour nous faire voir l’efficacité de la présence de Jésus-Christ dans cette contrée. Les Chananéens, en effet, qui avaient été chassés de la Judée dans la crainte qu’ils ne vinssent à pervertir les Juifs, font ici preuve d’une plus grande sagesse en sortant de leur pays et en venant trouver Jésus-Christ. Or, cette femme, en s’approchant de Jésus, n’implore que sa miséricorde. Elle se met à crier à haute voix : « Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David. »

La glose. Nous voyons ici la grande foi de la Chananéenne ; elle reconnaît un Dieu dans celui qu’elle appelle son Seigneur, elle confesse en même temps son humanité en l’appelant fils de David. Elle avoue qu’elle n’a aucun droit, aucun mérite, c’est la seule miséricorde de Dieu qu’elle implore en disant : « Ayez pitié de moi, » car la douleur de la fille est la douleur de la mère. Pour toucher davantage le cœur du Seigneur, elle lui fait le tableau du malheur qui l’afflige : « Ma fille est misérablement tourmentée par le démon » paroles qui découvrent au médecin les plaies qu’il doit guérir et qui lui font connaître la grandeur et la nature du mal : sa grandeur, lorsqu’elle dit : « Elle est tourmentée misérablement ; » sa nature, lorsqu’elle ajoute : « Par le démon. »

S. Chrys. (hom. 17 sur divers textes de S. Matth.) Voyez la sagesse de cette femme : elle n’a pas été trouver les hommes qui auraient pu la tromper ; elle n’a point eu recours à de vaines amulettes ; mais, abjurant toutes les pratiques du culte des démons, elle vient trouver le Seigneur. Elle ne s’adresse pas à Jacques, elle ne choisit pas Jean pour médiateur, elle ne vient pas trouver Pierre ; elle se couvre de la protection du repentir et accourt seule se jeter aux pieds du Sauveur. Mais quel résultat inattendu ! elle prie, elle fait retentir l’air de ses lamentations et de ses cris, et ce Dieu si bon, si tendre pour les hommes, ne lui répond pas un mot, comme le rapporte l’Évangéliste : « Et il ne lui répondit pas un mot. » — S. Jérôme. Ce n’est point sans doute par orgueil, comme les pharisiens ; ce n’est point par arrogance, comme les scribes, mais pour ne point paraître contredire cet ordre qu’il avait donné : « Vous n’irez point vers les nations. » Il ne voulait pas donner lieu à la calomnie et il réservait aux temps qui devaient suivre sa passion et sa résurrection la parfaite conversion des Gentils. — La glose. S’il diffère de l’exaucer, s’il ne lui répond pas, c’est pour faire éclater la patience et la persévérance de cette femme. Disons encore que c’est pour donner lieu à la médiation des Apôtres et nous apprendre ainsi la nécessité de l’intercession des saints pour obtenir les grâces que nous demandons : « Et ses disciples s’approchant de lui, le priaient, » etc. — S. Jérôme. Les disciples, qui ne connaissaient pas encore la conduite mystérieuse du Sauveur, le priaient pour cette Chananéenne, soit par un sentiment de compassion soit par le désir de se débarrasser de ses importunités.

S. Augustin. (De l’acc. des Evang., 2, 49.) Il semblerait qu’il y a ici une certaine contradiction entre le récit de saint Matthieu et celui de saint Marc, qui raconte que cette femme vint trouver Notre-Seigneur dans une maison où il se trouvait alors. Or, on peut dire que saint Matthieu n’a point parlé de cette circonstance, tout en racontant le même fait ; mais comme il rapporte que les Apôtres ont dit au Seigneur : « Renvoyez-la, parce qu’elle crie après nous, » il paraît indiquer clairement que cette femme adressait ses supplications au Seigneur en marchant à sa suite. Saint Marc, de son côté, raconte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu’il avait dit précédemment que le Sauveur était dans cette maison, tandis que saint Matthieu, en disant : « Il ne lui répondit pas, » donne à entendre ce que ni l’un ni l’autre n’ont rapporté, que Jésus sortit de la maison en gardant le silence, et ainsi tout le reste se lie parfaitement sans l’ombre même de contradiction.

S. Chrys. (hom. 53.) Je présume que les disciples furent attristés du malheur de cette femme, cependant ils n’osèrent dire au Seigneur : « Accordez-lui cette grâce, » ils se contentent de lui dire : « Renvoyez-la. » C’est ainsi que souvent, lorsque nous voulons amener quelqu’un à notre sentiment, nous lui disons le contraire de ce que nous désirons. « Jésus leur répondit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël. » — S. Jérôme. Il ne dit pas d’une manière absolue qu’il n’est pas envoyé aux Gentils, mais il déclare qu’il a été envoyé premièrement au peuple d’Israël, et, ce peuple rejetant l’Évangile qui lui était offert, c’était avec justice que Dieu en faisait part aux Gentils. — S. Rémi. Il est aussi envoyé particulièrement pour le salut des Juifs, en ce sens qu’il devait les enseigner lui-même visiblement et en personne. — S. Jérôme. C’est avec intention qu’il dit : « Aux brebis perdues de la maison d’Israël, » pour nous faire comprendre qu’il est ici question de cette brebis égarée dont il parle dans une autre parabole. (Lc 15.) — S. Chrys. (hom. 53.) Mais lorsque cette femme vit que les Apôtres ne pouvaient rien pour elle, elle devînt impudente de la bonne sorte et saintement hardie ; car elle n’avait osé d’abord se présenter devant lui, comme l’indiquent ces paroles des disciples : « Elle crie après nous, » et c’est au moment où il semble qu’elle va se retirer dans de mortelles angoisses, qu’elle s’approche de plus près : « Mais elle s’approcha de lui et l’adora. » — S. Jérôme. Remarquez que cette Chananéenne commence par appeler à plusieurs reprises le Sauveur, Fils de David, puis ensuite, Seigneur, et qu’elle finit par l’adorer comme Dieu. — S. Chrys. (hom. 53.) Aussi ne lui dit-elle pas : « Priez ou intercédez auprès de Dieu, » mais « Seigneur, secourez-moi. » Mais plus cette femme multiplie ses supplications, plus aussi Jésus multiplie ses refus. Ce n’est plus le nom de brebis, mais celui d’enfants, qu’il donne aux Juifs ; tandis qu’il ne donne à cette femme que le nom de chienne. « Et il lui répondit : Il n’est pas bon, » etc. — La glose. Les enfants, ce sont tes Juifs engendrés et nourris par la loi dans le culte d’un seul Dieu ; le pain, c’est l’Evangile, les miracles, et tout ce qui concourt à notre salut. Or, il n’est pas convenable que toutes ces grâces soient enlevées aux enfants et données aux Gentils qui sont ici désignés par les chiens, jusqu’à ce que les Juifs aient rejeté les biens qui leur sont offerts. — Raban. Les Gentils sont appelés chiens à cause de leur idolâtrie, parce que semblables aux chiens qui se nourrissent de sang et qui dévorent les cadavres, ils sont atteints d’une espèce de rage.

S. Chrys. (hom. 53.) Admirez ici la prudence de cette femme : ni elle n’ose contredire le Sauveur, ni elle ne s’attriste des louanges qu’il donne aux autres, ni elle ne se laisse abattre par cette parole, outrageante. Mais elle répliqua : « Il est vrai, Seigneur ; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître. » Jésus lui avait dit : « Il n’est pas juste ; » elle répond : « Il est vrai, Seigneur. » Il appelle les Juifs les enfants, elle enchérit et les appelle maîtres. Il lui a donné le nom de chienne, elle ajoute à cette qualification en rappelant ce que font les chiens, et semble dire au Sauveur : Si je suis un chien, je ne suis point étrangère. Vous me donnez le nom de chien, nourrissez-moi donc comme un chien, je ne puis m’éloigner de la table de mon Maître. — S. Jérôme. Quel exemple de foi, de patience, d’humilité dans cette femme ; de foi, elle croit fermement que sa fille peut obtenir sa guérison ; de patience, si souvent rebutée, elle continue de prier ; d’humilité, elle se compare, non pas aux chiens, mais aux petits des chiens : « Je sais, dit-elle, que je ne suis pas digne de manger le pain des enfants, ni de recevoir une portion entière, ni de m’asseoir à table avec le père de famille ; mais je me contente des restes que l’on donne aux petits chiens, afin de m’élever par l’humilité de ces miettes jusqu’à l’honneur de m’asseoir à la table où on sert le pain tout entier. — S. Chrys. (hom. 53.) Voici la raison du retard que Jésus mettait à l’exaucer : il savait qu’elle lui tiendrait ce langage, et il ne voulait pas qu’une si grande vertu demeurât cachée, « Alors Jésus, lui répondant, lui dit : O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait comme vous le désirez. » Ne semble-t-il pas lui dire : « Votre foi mériterait d’obtenir bien davan­tage, mais en attendant, qu’il vous soit fait comme vous le désirez. » Remarquez ici la part considérable qui revient à cette femme dans la guérison de sa fille. Aussi Jésus ne lui dit pas : « Que votre fille soit guérie, » mais : « Votre foi est grande, qu’il vous soit fait comme vous le désirez, » pour vous apprendre qu’elle parlait avec simplicité, sans flatterie, et que sa prière était animée par la foi la plus vive. Or, cette parole du Sauveur est semblable à cette autre que Dieu pro­nonça au commencement du monde : Que le firmament soit fait, et il fut fait ; » car l’Évangéliste ajoute : « Et sa fille fut guérie. » Remar­quez encore qu’elle obtient elle-même ce que les Apôtres n’ont pu ob­tenir, tant la prière persévérante a de puissance ! Dieu, en effet, aime mieux que nous le prions beaucoup nous-mêmes pour nos péchés, que d’avoir recours aux prières des autres.

S. Rémi. Nous avons encore ici un exemple de la nécessité d’instruire et de baptiser les enfants. Cette femme, en effet, ne dit pas : « Sau­vez ma fille, ou secourez-la, » mais : « Ayez pitié de moi, et secou­rez-moi. » De là est venue, dans l’Église, la coutume que les fidèles engagent leur foi pour leurs enfants, alors que ceux-ci n’ont ni l’âge ni la raison pour l’engager eux-mêmes à Dieu ; et de même que c’est par la foi de cette femme que sa fille fut guérie, de même aussi c’est par la foi des parents catholiques que les péchés sont remis à leurs enfants.

Dans le sens allégorique, cette femme est la figure de la sainte Église, formée et rassemblée de toutes les nations. Le Seigneur, en abandonnant les scribes et les pharisiens pour venir dans le pays de Tyr et de Sidon, figurait l’abandon où il devait laisser les Juifs pour porter l’Évangile aux Gentils. Cette femme a passé les frontières de son pays, de même la sainte Église a quitté ses anciennes erreurs et ses vices d’autrefois. — S. Jérôme. Cette fille de la Chananéenne, ce sont les âmes des fidèles cruellement tourmentées par le démon, alors qu’elles étaient privées de la connaissance de leur Créateur et qu’elles adoraient des idoles de pierre. — S. Rémi. Les enfants, ce sont les pa­triarches et les prophètes de ce temps-là ; la table figure la sainte Écriture ; les miettes, les préceptes secondaires, ou les mystères inté­rieurs dont se nourrit la sainte Église ; les croûtes de pain, les préceptes extérieurs et charnels qu’observaient les Juifs. Les miettes sont mangées sous la table, parce que l’Église se soumet avec humilité à l’accomplissement des préceptes divins. — Raban. Les petits chiens ne mangent pas les croûtes, mais les miettes du pain des enfants. Ainsi lorsque ceux qui étaient l’objet du mépris parmi les nations se convertissent à la foi, ils ne cherchent pas l’écorce de la lettre dans les saintes Écritures, mais le sens spirituel qui peut hâter leur progrès dans les bonnes œuvres.

S. Jérôme. Quel étonnant changement s’est opéré ! Autrefois les Israélites étaient les enfants et nous étions les chiens ; mais la foi si différente dans les uns et dans les autres a changé cette dénomination. Plus tard, alors que s’accomplissait ce mystère au temps de la passion, il est dit des Juifs : « Un grand nombre de chiens dévorants m’ont entouré. » Pour nous, au contraire, nous avons entendu avec la Chananéenne cette parole : « Votre foi vous a sauvée. » — Raban. C’est à juste titre que le Sauveur déclare que cette foi est grande ; car sans avoir été ni pénétrés des enseignements de la loi, ni instruits par les oracles des prophètes, les Gentils ont obéi à la prédication des Apôtres aussitôt qu’ils ont entendu leur voix, et ont ainsi mérité la grâce du salut. Mais si le Seigneur diffère d’accorder le salut d’une âme aux pre­mières larmes de l’Église suppliante, il ne faut ni désespérer, ni cesser de demander, mais redoubler de persévérance dans la prière.

S. Augustin. (Quest. évang., 1, 16 ou 17.) Le serviteur du centurion et la fille de la Chananéenne ont été guéris sans que le Seigneur soit entré dans leurs maisons, et figurent les nations, qui, sans être visitées extérieurement par Jésus-Christ, seront sauvées par sa parole. C’est à la prière du centurion et de la Chananéenne que leurs enfants sont guéris, et ils sont en cela la figure de l’Église, qui est tout à la fois pour elle-même et la mère, et les enfants ; car la réunion de tous ceux qui composent l’Église, porte le nom de mère, et chacun des membres reçoit le nom d’enfant. — S. Hil. Ou bien encore, cette femme, qui franchit les frontières de son pays, est la figure des prosélytes ; elle sort du milieu des nations, pour venir au milieu d’un peuple qui lui est étranger ; elle prie pour sa fille, c’est-à-dire pour le peuple des Gentils, soumis à la domination des esprits immondes, et comme la loi lui a fait connaître le Seigneur, elle l’appelle fils de David. — Raban. Disons encore que celui dont la conscience est souillée de la tache du péché a sa fille tourmentée cruellement par le démon ; de même celui qui empoisonne ses bonnes œuvres par le venin du péché, a également sa fille agitée par les fureurs de l’esprit impur, et ils doivent tous deux avoir recours aux prières et aux larmes, et réclamer le recours et l’intercession des saints.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle