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Mt  14  15-21

S. Chrys. (hom. 50.) Ce qui montre la foi de ce peuple, c’est que malgré la faim qu’il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu’au soir. « Le soir étant venu, ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : Ce lieu-ci est désert. » Notre-Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu’il en soit prié. C’est ainsi que jamais Il ne s’empresse de faire des miracles, mais qu’il attend toujours qu’on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n’en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s’approcher de lui ? C’est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d’être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire : Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites ; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu’ils disaient : « Est-ce qu’il pourra nous dresser une table dans le désert ? » (Ps 77) c’est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c’est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu’il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l’heure soit passée, comme le font remarquer les Apôtres, celui qui parle ici n’est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu’ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu’il devait opérer en multipliant les pains, et c’est pour cela qu’ils lui disent : « Renvoyez le peuple, » etc. Remarquez la sagesse du divin Maître : il ne leur dit pas immédiatement : « Je les nourrirai, » car ils ne l’auraient pas cru facilement, mais il leur répond : « Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger. » — S. Jérôme. Il les presse ainsi de distribuer du pain à la multitude, pour que la grandeur du miracle devînt plus éclatante par l’aveu qu’ils feraient eux-mêmes qu’ils n’avaient pas de pain à lui donner.

S. Augustin. (De l’accord des Evang., 2, 46.) On peut être embarrassé pour concilier la narration de saint Jean, d’après laquelle Notre-Seigneur, à la vue de toute cette multitude, demande à Philippe comment on pourrait donner à manger à tout ce peuple, avec ce que raconte ici saint Matthieu, que les disciples prièrent Notre-Seigneur de renvoyer le peuple pour qu’il pût acheter des aliments dans les villages voisins. Pour résoudre cette difficulté, il suffit de dire que c’est après ces paroles que le Seigneur, ayant vu cette grande multitude, adresse à Philippe les paroles que saint Jean rapporte et qu’ont omises saint Matthieu et les autres évangélistes. Et en général, disons qu’un évangéliste peut raconter ce qu’un autre a passé sous silence, sans qu’on doive se laisser arrêter par de semblables difficultés.

S. Chrys. (hom. 50.) Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées ; ils continuent de lui parler comme s’il n’était qu’un homme : « Et ils lui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains, » etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu’ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n’avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu’il veut opérer : « Et il leur dit : Apportez-moi ces pains. » Pourquoi donc n’a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule ? C’est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C’est ainsi qu’il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement : « Que la terre produise les plantes verdoyantes. » (Gn 1.) Le miracle qu’il va faire n’est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L’exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d’apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre : « Comment pourrons-nous apaiser notre faim ? » « Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit, » etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains ? C’était pour déclarer qu’il venait du Père et qu’il était son égal. Il prouvait qu’il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu’il venait du Père en lui rapportant tout ce qu’il faisait et en l’invoquant avant toutes ses oeuvres. C’est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu’il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des cœurs, quand il ouvre les yeux de l’aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière ; mais lorsqu’il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n’agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d’avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre-Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C’est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s’ils avaient déjà été témoins d’un grand nombre de miracles, ils n’en avaient pas encore vu de semblable.

S. Jérôme. Le Sauveur rompt le pain, et le pain se multiplie. Si ces pains étaient restés entiers et qu’ils n’eussent pas été partagés par morceaux, ni multipliés en si grande quantité, jamais ils n’auraient pu rassasier une si grande multitude. Or, remarquons que c’est par l’intermédiaire des Apôtres que le peuple reçoit du Seigneur cette nourriture. « Et il les donne à ses disciples. » — S. Chrys. (hom. 50.) Il veut en cela non-seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l’incrédulité, et l’oubli à l’égard d’un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d’abord le besoin de la faim, que les disciples s’approchent de lui, l’interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d’une manière égale, il leur enseigne l’humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l’herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l’indique la suite du récit : « Et tous en mangèrent, » etc. Le miracle ne s’arrêta pas là et la multiplication s’étendit au delà du nécessaire, de manière qu’après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu’il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu’il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n’est pas un prodige imaginaire : « Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés. » — S. Jérôme. Chacun des apôtres remplit son panier avec les restes des pains multipliés miraculeusement par le Sauveur, et ces restes prouvent que ce sont de vrais pains qu’il a multipliés. — S. Chrys. (hom. 50.) Il voulut qu’il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. — S. Jérôme. Le nombre de ceux qui furent rassasiés était de cinq mille et correspondait aux cinq pains qui furent distribués : « Or, le nombre de ceux qui mangèrent était de cinq mille hommes. » — S. Chrys. (hom. 50.) Un trait à la louange de ce peuple, c’est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus-Christ quand le miracle fut opéré. — S. Hil. Les pains ne se multiplient pas en d’autres pains entiers, mais aux premiers morceaux en succèdent d’autres, et le pain se multiplie soit dans l’endroit qui sert de table, soit dans les mains de ceux qui s’en nourrissent.

Raban. Saint Jean, avant de raconter ce miracle (Jn 6), nous fait observer que la Pâque était proche. Saint Matthieu et saint Marc le placent immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste, d’où nous devons conclure que le saint Précurseur fut décapité aux approches de la fête de Pâques et que c’est l’année suivante, au retour de la même fête, que s’accomplit le mystère de la passion du Sauveur.

S. Jérôme. Toutes les circonstances de ce miracle sont pleines de mystères. Notre-Seigneur l’opère non le matin, ni au milieu de la journée, mais le soir, lorsque le soleil de justice est couché. — S. Rémi. Le soir signifie la mort du Sauveur, car c’est lorsque le soleil de vérité se coucha sur l’autel de la croix qu’il rassasia ceux qui étaient tourmentés par la faim. Ou bien le soir est la figure du dernier âge du monde, cet âge où le Fils de Dieu vint nourrir la multitude de ceux qui croyaient en lui. — Raban. Les disciples prient le Sauveur de renvoyer le peuple pour qu’il achète de quoi manger dans les villages voisins ; c’est le dégoût que les Juifs ont pour les Gentils, qu’ils regardent comme plus propres à chercher leur nourriture dans les écoles de philosophes que dans les divins pâturages des livres sacrés.

S. Hil. (can. 14.) Mais le Seigneur répond : « Il n’est point nécessaire qu’ils y aillent ; » il nous apprend ainsi que ceux qu’il a guéris n’ont pas besoin de se nourrir d’une doctrine vénale et qu’il n’est pas nécessaire de retourner dans la Judée pour s’y procurer des aliments. Il commande donc à ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger. Est-ce donc qu’il ignorait qu’ils n’avaient rien à leur donner ? Mais toutes les circonstances de ce miracle demandent à être expliquées dans un sens figuré. Les Apôtres n’avaient pas encore reçu le pouvoir de consacrer et de distribuer le pain du ciel qui devait être la nourriture de la vie éternelle. Leur réponse doit être entendue dans le sens spirituel ; ils étaient réduits à n’avoir que cinq pains, c’est-à-dire les cinq livres de la loi, et deux poissons, c’est-à-dire qu’ils n’avaient d’autre nourriture que la prédication de Jean-Baptiste et des prophètes. — Raban. Ou bien par ces deux poissons il faut entendre les psaumes et les prophéties ; car l’Ancien Testament comprend ces trois choses la loi, les prophètes et les psaumes.

S. Hil. (can. 14.) Les Apôtres ne purent d’abord donner au peuple que ces trois choses qui étaient en leur possession ; mais la prédication de l’Évangile, en venant s’y ajouter, y puisa le principe de cette force divine dont les développements vont toujours croissants. Le Sauveur fait ensuite asseoir le peuple sur le gazon, ce n’est plus sur la terre qu’il se repose, mais sur le lit que lui présente la loi, et comme l’herbe repose sur la terre, chacun s’assied et se repose sur les fruits de ses oeuvres. — S. Jérôme. Ou bien il les fait asseoir sur le gazon, et d’après un autre Évangéliste (Mc 6), par groupe, de cinquante et de cent, afin qu’après avoir foulé aux pieds les inclinations de la chair, et placé au-dessous d’eux les voluptés du siècle comme un gazon desséché, ils s’élèvent par la pénitence, représentée par le nombre cinquante, à la perfection du nombre cent. Il lève les yeux vers le ciel, pour leur apprendre à diriger leurs regards de ce côté ; il leur rompt le pain de la loi avec celui des prophètes, et leur en expose les mystères, afin que ce qui ne pouvait servir de nourriture en demeurant dans son entier, pût rassasier la multitude des nations, lorsqu’il serait divisé en plusieurs parties.

S. Hil. (can. 14.) Les pains sont remis entre les mains des Apôtres, car c’était par eux que les dons de la grâce divine devaient être distribués. Le nombre de ceux qui mangèrent fut le même que le nombre de ceux qui devaient embrasser la foi ; car nous lisons dans le livre des Actes (Ac 4), que sur la multitude presque innombrable du peuple juif, cinq mille se convertirent à la foi. — S. Jérôme. Parmi ceux qui mangèrent de ces pains, il y eut cinq mille hommes parvenus à la plénitude de l’âge ; les femmes et les enfants, (c’est-à-dire la faiblesse du sexe et celle de l’âge), ne sont pas dignes d’être compris dans ce nombre. Aussi dans le livre des Nombres (Nb 1), les esclaves, les femmes, les enfants et le bas peuple ne sont pas compris dans le dénombrement. — Raban. Pour nourrir cette multitude affamée, le Sauveur ne créé pas de nouveaux aliments, mais il prend ceux qui étaient entre les mains de ses disciples, et il les bénit ; il nous apprenait ainsi qu’en venant dans une chair mortelle, il n’annonçait pas d’autres vérités que celles qui avaient été prédites, et il montrait que la loi et les prophètes renfermaient dans leur sein les plus grands mystères. Les disciples emportent les morceaux qui restent ; ce sont les mystères les plus secrets, qui ne peuvent être compris des esprits grossiers ; ils ne doivent pas être reçus avec négligence, mais devenir l’objet de l’étude la plus sérieuse de la part des douze Apôtres et de leurs successeurs, figurés ici par les douze paniers. Les paniers ou corbeilles servent à des usages communs, et Dieu a choisi ce qui est vil et bas aux yeux du monde, pour confondre ce qui est fort (1 CO 1). On peut voir dans ces cinq mille hommes les cinq sens du corps humain, et une figure de ceux qui, sous la livrée du monde, font un bon usage des choses extérieures.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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