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Jn  6  1-14

S. Chrys. (hom 42 sur S. Jean) Lorsque des traits viennent tomber sur un corps dur qui leur résiste, ils retournent avec force contre ceux qui les ont lancés, si, au contraire, ils ne rencontrent aucun obstacle, leur force s’affaiblit et finit bientôt par s’éteindre. Ainsi lorsque nous voulons résister à des hommes pleins d’audace, ils en deviennent plus furieux, si au contraire, nous prenons le parti de leur céder, nous voyons leur fureur s’apaiser aussitôt. Voilà comment Notre-Seigneur Jésus-Christ apaise la colère que ses discours ont fait naître dans le cœur de ses ennemis. Il se retire dans la Galilée, non pas cependant dans les mêmes lieux dont il était parti précédemment pour se rendre à Jérusalem, car ce n’est pas à Cana en Galilée, mais au delà de la mer qu’il se retire : « Jésus s’en alla ensuite de l’autre côté de la mer de Galilée qui est le lac de Tibériade. » — Alcuin. Cette mer prend divers noms suivant les divers lieux qui se trouvent sur ses bords. On l’appelle ici la mer de Galilée de la province où elle se trouve et lac de Tibériade de la ville de Tibériade qui est située sur ces bords. On lui donne le nom de mer, non que l’eau en soit salée, mais parce que les Hébreux donnaient le nom de mer à toutes les grandes étendues d’eau. Notre-Seigneur traversa souvent ce lac pour prêcher l’Evangile aux peuples qui habitaient sur ses bords. — Théophile. Le Sauveur va successivement d’un lieu dans un autre, pour éprouver la bonne volonté du peuple et rendre les hommes plus désireux et plus avides de l’entendre : « Et une grande multitude de peuple le suivait, parce qu’ils voyaient les miracles qu’il faisait sur ceux qui étaient malades. » — Alcuin. En rendant la vue aux aveugles et en opérant d’autres prodiges semblables. Et il ne faut pas oublier qu’il guérissait l’âme en même temps qu’il rendait la santé du corps.

S. Chrys. (hom. 42.) Malgré l’éclat et la sublimité de sa doctrine, ses miracles faisaient beaucoup plus d’impression sur eux, ce qui est l’indice d’esprits encore peu instruits, car les miracles, dit saint Paul, sont un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles. Ceux dont saint Matthieu rapporte qu’ils étaient dans l’admiration de sa doctrine, (Mt 7, 28), faisaient preuve de plus grande sagesse. Mais pourquoi l’Evangéliste ne rapporte-t-il pas les miracles opérés par Jésus ? parce que le but qu’il s’est proposé était de consacrer la plus grande partie de son ouvrage à reproduire les discours du Seigneur. « Jésus monta donc sur une montagne et s’y assit avec ses disciples. » Il monte sur une montagne à cause du miracle qu’il doit opérer, ses disciples y montent avec lui et accusent ainsi la conduite du peuple qui ne peut l’y suivre. Il monte encore sur cette montagne pour nous apprendre à nous soustraire au tumulte et à l’agitation du monde, car la solitude est la meilleure préparation à l’étude de la sagesse et à la méditation des choses divines : « Or, la Pâque qui est la grande fête des Juifs était proche. » Vous voyez que dans l’espace d’une année tout entière, l’Evangéliste ne nous raconte que deux miracles de Jésus-Christ ; la guérison du paralytique et celle du fils de l’officier royal, car il ne s’est point proposé de tout raconter, mais de faire le choix de quelques faits plus importants. Mais pourquoi Notre-Seigneur ne se rend-il pas à Jérusalem pour la fête de Pâques ? Il voulait laisser tomber peu à peu la loi, en s’autorisant pour cela des mauvaises dispositions des Juifs contre lui. — Théophile. Les Juifs le poursuivaient avec acharnement, il prend occasion de leur animosité contre lai pour se dispenser d’observer la loi et il apprend ainsi aux observateurs de la loi que tontes les figures disparaissent à l’avènement de la vérité, et qu’il n’est ni soumis à la loi ni astreint à l’observance de cérémonies légales. Remarquez en effet que ce n’était point la fête de Jésus-Christ, mais la fête des Juifs.

Bède. (sur S. Marc, ch. 6) En examinant avec attention le récit des évangélistes, on se convaincra facilement qu’il s’écoula un an tout entier entre la mort de Jean-Baptiste et la passion du Sauveur. En effet, saint Matthieu rapporte que le Seigneur ayant appris la mort de Jean-Baptiste, se retira dans le désert, et qu’il y nourrit miraculeusement la multitude ; saint Jean de son côté nous fait remarquer que la fête de Pâques était proche lorsque Jésus fit ce miracle, il s’en suit évidemment que Jean-Baptiste fut décapité aux approches de la fête de Pâques. Un an après eut lieu la passion du Sauveur, à l’époque de la même fête, « Jésus donc ayant levé les yeux, et voyant qu’une très-grande multitude était venue à lui, » etc. — Théophile. Remarquez cette circonstance du récit de l’Evangéliste : « Jésus ayant levé les yeux, pour nous apprendre qu’il ne promenait pas librement ses regards de tous côtés, mais qu’il les tenait modestement baissés en conversant avec ses disciples. — S. Chrys. (hom. 42 sur S. Jean.) Ce n’est pas sans motif que Notre-Seigneur était assis avec ses disciples, il voulait les instruire plus librement et avec plus de soin, et se les attacher plus étroitement. Il lève ensuite les yeux et aperçoit la multitude qui venait à lui. Pourquoi donc fait-il cette question à Philippe ? Il connaissait ceux de ses disciples qui avaient besoin d’un enseignement plus étendu, et tel était l’apôtre Philippe qui dit au Sauveur dans la suite : « Montrez-nous votre Père, et cela suffît. » Notre-Seigneur commence donc par instruire son disciple, car s’il avait opéré le miracle de la multiplication des pains sans autre préparation, ce miracle n’eût point apparu dans tout son éclat. Jésus l’oblige donc de reconnaître son impuissance à suffire aux besoins de cette multitude pour qu’il demeure bien convaincu de la grandeur du miracle qui va se faire : « Il parlait ainsi pour le tenter, » dit l’Evangéliste.

S. Augustin. (Serm. 2 sur les par. du Seign.) Il est une tentation qui porte directement au péché, et elle ne peut jamais être l’œuvre de Dieu qui ne porte jamais personne au mal, selon la parole de saint Jacques. Il est encore une tentation qui a pour objet d’éprouver la foi, et dont Moïse dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’on sache si vous l’aimez on non, » (Dt 13, 3) et c’est dans ce sens qu’il faut entendre la question que Jésus faisait à Philippe pour le tenter. — S. Chrys. (hom. 42.) Est-ce donc que Notre-Seigneur ignorait la réponse que lui ferait son disciple ? Non sans doute, mais l’Evangéliste se conforme ici à la manière déparier en usage parmi les hommes-Ainsi lorsque l’Ecriture dit de Dieu « qu’il sonde les cœurs des hommes, » (Rm 8, 27) cette expression ne signifie nullement un examen qui a pour cause l’ignorance, mais une absolue certitude, de même l’Evangéliste en rapportant que Jésus parlait de la sorte pour éprouver son disciple, veut simplement dire qu’il savait certainement ce que Philippe lui répondrait. On peut dire encore que par cette question, Notre-Seigneur voulait faire passer son disciple par cette épreuve pour le rendre plus certain du miracle qu’il allait opérer, et l’Evangéliste qui semble craindre que la manière dont il s’exprime ne donne une idée peu favorable du Sauveur, se hâte d’ajouter : « Car il savait ce qu’il devait faire. »

Alcuin. Jésus fait donc cette question, non pour apprendre ce qu’il ignore, mais pour convaincre son disciple de la lenteur de son esprit et de sa foi, qu’il ne pouvait découvrir par lui-même. — Théophile. Ou bien il voulait le faire connaître aux autres disciples, et leur montrer qu’il n’ignorait pas les pensées les plus intimes de son cœur. — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) D’après le récit de saint Jean, le Seigneur à la vue de cette nombreuse multitude, aurait demandé à Philippe pour l’éprouver où il trouverait de quoi nourrir tout ce peuple. Mais alors comment admettre la vérité du récit des autres évangélistes dans lesquels nous lisons que les apôtres pressèrent tout d’abord le Seigneur de congédier le peuple, et qu’il leur répondit : « Ils n’ont nul besoin de s’en aller, donnez-leur vous-mêmes à manger ? » Pour concilier cette difficulté, il suffit d’admettre qu’après ces paroles, le Sauveur regarda cette grande multitude de peuple et qu’il fit à Philippe la question qui est rapportée par saint Jean, et que les autres apôtres ont passée sous silence. — S. Chrys. (hom, 42.) Ou bien encore, il s’agit ici de deux faits différents qui n’ont point eu lieu à la même époque.

Théophile. Notre-Seigneur avait voulu éprouver la foi de son disciple, et il le trouve encore dominé par des sentiments tout humains, qui se trahissent dans sa réponse : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau. » — Alcuin. Une semblable réponse accuse en effet un esprit bien lent à croire, car s’il avait compris parfaitement que Jésus était le Créateur de toutes choses, il n’aurait eu aucun doute sur l’étendue de sa puissance. — S. Augustin. (de l’acc. des Evang. 2, 46.) Saint Marc prête à tous les disciples la réponse que saint Jean attribue exclusivement ici à Philippe. Mais on peut dire que ce dernier évangéliste laisse à comprendre que Philippe répondit au nom des autres apôtres, quoiqu’il ait pu, en se conformant à l’usage beaucoup plus reçu, mettre le pluriel à la place du singulier.

Théophile. Les sentiments d’André étaient à peu près semblables à ceux de Philippe, bien qu’il eût sur Jésus-Christ des pensées plus élevées : « André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons. » — S. Chrys. (hom. 42.) Ce n’est pas sans raison qu’André tient ce langage, il se rappelait le miracle qu’avait fait le prophète Elisée qui avait multiplié vingt pains d’orge pour nourrir cent personnes. (4 R 4, 42-44.) Il lui vint donc dans l’esprit une idée un peu plus élevée, mais qui n’alla pas encore bien loin, comme l’indique la réflexion qu’il ajoute : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » Il s’imaginait que celui qui opérait des miracles, les faisait plus ou moins grands, selon les éléments plus ou moins considérables qu’il avait à sa disposition, ce en quoi il se trompait. Il lui était aussi facile de nourrir une grande multitude avec quelques pains comme avec un plus grand nombre, parce qu’il n’avait nul besoin d’une matière préalable. Si donc il consent à se servir des éléments créés pour opérer ses miracles, c’est pour montrer que les créatures sont régies par sa providence pleine de sagesse. — Théophile. Ainsi sont confondus les Manichéens qui prétendent que les pains et tous les autres éléments crées viennent d’un principe mauvais, du Dieu du mal, puisque le Fils du Dieu bon, Jésus-Christ consent à multiplier ces pains, car si les créatures étaient mauvaises, Jésus, qui était bon, n’aurait pas voulu les multiplier.

S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) La réflexion que saint Jean prête à André au sujet des cinq pains et des deux poissons, est rapportée par les autres Evangélistes (qui ont mis le pluriel pour le singulier), comme ayant été faite collectivement par tous les disciples.

S. Chrys. (hom. 42.) Apprenons ici, nous qui sommes tout entiers aux satisfactions de la sensualité, quelle était la nourriture de ces hommes admirables, quelle sobriété dans la quantité comme dans le choix de leurs aliments. Notre-Seigneur fait asseoir le peuple avant que les pains aient été multipliés, parce que, comme dit saint Paul, les choses qui n’existent pas lui sont soumises comme celles qui existent (Rm 4) : « Jésus leur dit : Faites-les asseoir. » — Alcuin. L’expression discumbere signifie littéralement manger étant couché, suivant l’usage des anciens : « Or, il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. » — Théophile. C’est-à-dire du gazon encore vert, car on n’était pas loin de la fête de Pâques, qui se célébrait au premier mois du printemps : « Les hommes s’assirent donc au nombre d’environ cinq mille. » L’Evangéliste ne compte que les hommes, suivant la coutume des Juifs, c’est ainsi que Moïse fit le dénombrement de tous les hommes depuis vingt ans et au-dessus (Nb 1), sans faire aucune mention des femmes, nous indiquant ainsi que ce qui est plein de jeunesse et de force mérite seul d’être compté aux yeux de Dieu.

« Alors Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des deux poissons, autant qu’ils en voulaient. » — S. Chrys. (hom. 42.) Mais pourquoi Notre-Seigneur n’a-t-il point fait de prière avant de guérir le paralytique, de ressusciter les morts, d’apaiser la mer agitée, tandis que nous le voyons ici prier et rendre grâces ? C’est pour nous apprendre à rendre grâces à Dieu avant de commencer le repas. On peut dire encore qu’il prie avant de faire des miracles de moindre importance, pour faire voir qu’il ne prie pas pour obtenir du secours, car s’il avait eu besoin de demander le secours d’en haut, c’eût été surtout avant de faire ses plus grands miracles, et comme il les fait toujours avec autorité, il est évident que c’est par condescendance pour nous, qu’il adresse à Dieu sa prière. Une autre raison, c’est qu’il voulait bien persuader le peuple, qui était présent, que c’était par la volonté de Dieu qu’il était venu sur la terre. Voilà pourquoi il ne prie point avant de faire un miracle loin des yeux de la foule, il priait, au contraire, lorsqu’il devait le faire devant tout le peuple, pour le convaincre qu’il n’était point en opposition avec Dieu.

S. Hil. (de la Trin., 3) Les disciples présentent donc à cette multitude cinq pains, et les leur distribuent à mesure qu’ils les rompent, ils se succèdent dans leurs mains par une création instantanée de nouveaux morceaux de pain. Le pain qui est rompu ne diminue point, et cependant de nouveaux morceaux remplissent continuellement les mains qui les rompent, sans que les sens ni les yeux puissent suivre la continuité de cette création vraiment merveilleuse. Ce qui n’existait pas, existe, on voit ce qu’on ne comprend pas, et la seule pensée qui reste, est celle de la toute puissance de Dieu. — S. Augustin. (Traité 24 sur S. Jean.) Notre-Seigneur multiplie ces cinq pains de la même manière qu’il fait sortir de quelques grains seulement d’abondantes moissons. Les mains de Jésus-Christ étaient pleines d’une puissance toute divine, et ces pains étaient comme des semences qui n’étaient pas confiées à la terre, mais qui étaient multipliées par celui qui a créé la terre.

S. Chrys. (hom. 42.) Considérez ici la différence qui sépare le Seigneur de ses serviteurs ; les prophètes qui n’avaient la grâce qu’avec mesure, n’opéraient aussi des miracles que dans une certaine mesure, tandis que Jésus-Christ, qui agit avec une puissance absolue, faisait tous ses miracles dans toute la plénitude de son autorité : « Lorsqu’ils furent rassasiés il dit à ses disciples : Recueillez les morceaux qui sont restés. » Ce n’est point par vaine ostentation que le Sauveur commande de recueillir ces restes, mais pour bien établir la réalité du miracle, et c’est pour la même raison qu’il l’opère avec une matière préexistante. Mais pourquoi charge-t-il ses disciples plutôt que la foule, de recueillir ces restes ? parce qu’il voulait instruire surtout ceux qui devaient être les maîtres du monde entier. Quant à moi, j’admire non-seulement la multiplication des pains, mais le soin avec lequel l’Evangéliste mentionne le nombre précis de corbeilles. Il y avait cinq pains, et Jésus-Christ dispose le tout de manière à ce que les restes ne remplissent que douze corbeilles, ni plus ni moins autant qu’il y avait d’Apôtres. — Théophile. Ce miracle nous apprend aussi à ne pas nous décourager au milieu des étreintes de la pauvreté.

Bède. Le peuple, à la vue de ce miracle, était dans l’admiration, parce qu’il ne connaissait pas encore la divinité du Sauveur, c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : « Ces hommes (dont le jugement était dominé par les sens), ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. » — Alcuin. Leur foi était loin d’être parfaite, puisqu’ils ne regardaient le Seigneur que comme un prophète, sans reconnaître encore sa divinité, mais cependant l’éclat de ce miracle leur avait fait faire de grands progrès, puisqu’ils le distinguaient des autres par le nom de prophète ; ils se rappelaient, en effet, que leurs prophètes s’étaient quelquefois signalés par des miracles. D’ailleurs ils ne se trompent pas, en appelant Notre-Seigneur prophète, puisque lui-même a daigné prendre ce nom : « Il ne convient pas, dit-il, qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. » (Lc 13) — S. Augustin. (Traité 24.) Jésus-Christ est prophète et le Seigneur des prophètes, de la même manière qu’il est ange et le Seigneur des anges. Il est ange (ou envoyé) parce qu’il est venu annoncer des choses présentes ; il est prophète, parce qu’il a prédit l’avenir, et en tant que Verbe fait chair, il est le Seigneur des anges et des prophètes, car on ne peut concevoir un prophète sans le Verbe de Dieu. — S. Chrys. (hom. 42.) Ils disent : « Qui doit venir en ce monde, » il est donc évident qu’ils attendaient un prophète extraordinaire. Aussi ces paroles : « Celui-ci est vraiment prophète, » se trouvent dans le texte grec avec l’article, comme preuve qu’ils le distinguent de tous les autres prophètes.

S. Augustin. (Traité 24 sur S. Jean.) Remarquons que comme la nature divine ne peut être aperçue de nos yeux, et que les miracles de la Providence, par lesquels Dieu ne cesse de gouverner le monde et de régir toutes les créatures, ont perdu pour nous de leur éclat, parce qu’ils se renouvellent tous les jours ; il s’est réservé quelques œuvres extraordinaires, qu’il opère à des temps marqués en dehors des causes physiques et des lois ordinaires de la nature, pour émouvoir ainsi par la nouveauté plutôt que par la grandeur du miracle, ceux sur qui les prodiges de tous les jours ne font plus d’impression. En effet, le gouvernement du monde entier est un bien plus grand miracle que l’acte par lequel le Sauveur nourrit cinq mille hommes avec cinq pains : et cependant personne n’admire le premier miracle, et tous sont ravis d’admiration en présence du second, non pas précisément parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il arrive rarement. Toutefois, ne nous contentons pas de voir seulement le fait extérieur dans les miracles du Christ, le Seigneur, sur la montagne, c’est le Verbe sur les hauteurs, il ne se présente donc point ici dans un état d’humiliation, et il ne faut point passer légèrement sur ce miracle, mais lever nos regards en haut. — Alcuin. Dans le sens mystique, la mer est l’emblème du monde toujours agité. Mais dès que Jésus-Christ se fut comme embarqué par sa naissance sur la mer de notre mortalité, qu’il l’eut foulée aux pieds par sa mort, et traversée par sa résurrection, la multitude des croyants, formée des deux peuples, l’a suivi fidèlement par la foi et l’imitation de ses vertus. — Bède. Le Seigneur a gagné le sommet de la montagne, lorsqu’il est monté au ciel dont cette montagne est la figure. — Alcuin. Il laisse la multitude au pied de la montagne, et monte plus haut avec ses disciples, pour nous apprendre qu’il faut imposer des préceptes moins difficiles aux âmes encore faibles, et réserver la doctrine plus relevée pour les âmes plus parfaites. C’est aux approches de la fête de Pâques qu’il nourrit cette multitude, et il nous enseigne par là que celui qui désire se nourrir du pain de la divine parole, et du corps et du sang du Seigneur, doit s’y préparer en célébrant la pâque spirituelle, c’est-à-dire en passant de l’habitude du vice à la pratique de la vertu, puisque le mot pâque signifie passage. les yeux du Seigneur sont les dons spirituels, et il lève les yeux, c’est-à-dire qu’il laisse tomber le regard de sa miséricorde sur les élus qui reçoivent de lui ses dons spirituels.

S. Augustin. (liv. des 83 quest., quest. 61.) Les cinq pains d’orge signifient la loi ancienne, soit parce que la loi a été donnée aux hommes, alors qu’ils se conduisaient plutôt par la chair que par l’esprit, et qu’ils étaient comme livrés aux cinq sens du corps (remarquez que cette multitude se composait de cinq mille hommes) ; soit parce que la loi a été donnée par Moïse, qui l’a renfermée dans les cinq livres qui portent son nom. Ces cinq pains étaient d’orge, et figuraient parfaitement la loi dans laquelle l’aliment vital de l’âme était recouvert par des signes extérieurs. La moelle de l’orge est en effet recouverte d’une paille très tenace. Ces pains d’orge peuvent encore représenter le peuple lui-même qui n’était pas encore dépouillé de ses désirs charnels, qui adhérait à son cœur comme la paille qui recouvre le grain d’orge. L’orge est la nourriture des bêtes de somme et des esclaves. Or, la loi a été donnée à des esclaves, et à des hommes charnels, dont les animaux sont la figure.

S. Augustin. (comme précéd.) Les deux poissons destinés à donner au pain une saveur agréable, sont l’emblème des deux institutions qui gouvernaient le peuple, le sacerdoce et la royauté, et ces deux institutions figuraient à leur tour Notre-Seigneur, qui les réunissait toutes deux dans sa personne. — Alcuin. On peut dire encore que ces deux poissons figurent les paroles ou les écrits des prophètes et des auteurs de Psaumes ; or, de même que le nombre cinq se rapporte aux cinq sens du corps, le nombre mille est le symbole de la perfection. Ceux qui s’appliquent à maîtriser et à diriger parfaitement les cinq sens de leur corps, sont appelés viri (hommes), du mot vires (forces). Ce sont ceux qui ne se laissent point corrompre par une mollesse féminine, qui vivent dans la chasteté et la tempérance, et méritent de goûter les douceurs de la sagesse céleste.

S. Augustin. (Traité 24.) L’enfant qui portait ces cinq pains et ces deux poissons figurait le peuple juif, qui portait les cinq livres de la loi comme un enfant inexpérimenté, sans songer à s’en nourrir ; ces aliments, tant qu’ils restaient enveloppés, n’étaient pour lui qu’une charge accablante, et ils n’avaient la vertu de nourrir qu’à la condition d’être mis à découverts.

Bède. La réflexion que fait André : « Qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » est pleine de justesse, dans le sens allégorique, car la loi ancienne servait à peu de chose jusqu’au moment où Jésus la prit dans les mains, c’est-à-dire, en accomplit les prescriptions et nous offrit à l’entendre dans le sens spirituel ; car par elle-même la loi ne conduisait personne à la perfection.

S. Augustin. (Tr. 24.) C’est au moment où les pains étaient rompus qu’ils se multipliaient, et c’est ainsi que les cinq livres de Moïse, par l’exposition (ou la fraction) qui en a été faite, ont donné naissance à une multitude d’autres livres. — S. Augustin. (Liv. des 83 quest., qu. 61.) C’est, en brisant en quelque sorte, ce qu’il y avait de dur dans la loi, et en expliquant ce qu’elle avait d’obscur, que Notre-Seigneur nourrit ses disciples, lorsqu’après sa résurrection il leur découvrit le sens des Ecritures.

S. Augustin. (Traité 24.)La question du Sauveur avait pour objet de faire ressortir l’ignorance de son disciple, qui était la figure de l’ignorance où le peuple était de la loi. Le peuple s’assoit sur l’herbe, parce qu’il avait encore des goûts charnels et se reposait volontiers dans les satisfactions de la chair, car « toute chair est comme l’herbe des champs. » (Is 40) Remarquez encore que le Seigneur ne nourrit et ne rassasie de ces pains multipliés miraculeusement que ceux qui traduisent dans leurs œuvres les enseignements qu’ils ont reçus.

S. Augustin. (Traité 24.) Quels sont ces restes qu’il commande de recueillir ? C’est ce que le peuple n’a pu manger, et ces restes qui sont les vérités d’une intelligence plus cachée et que la multitude ne peut comprendre, sont confiés à ceux qui sont capables, et de les recevoir et de les enseigner aux autres, tels qu’étaient les Apôtres, et voilà pourquoi nous voyons que douze corbeilles furent remplies de ces restes. — Alcuin et Bède. Les corbeilles servent aux usages domestiques, elles figurent donc ici les Apôtres et leurs imitateurs qui, d’un extérieur peu remarquable aux yeux des hommes, sont cependant remplis intérieurement des richesses de tous les trésors spirituels. Les Apôtres sont comparés à des corbeilles, parce que c’est par leur ministère que la foi en la sainte Trinité devait être prêchée dans toutes les parties du monde. Le Sauveur n’a point voulu créer de nouveaux pains, mais s’est contenté de multiplier ceux qui existaient, pour nous apprendre qu’il n’est point venu pour rejeter et détruire la loi, mais en dévoiler les mystères en l’expliquant.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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