Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Jean > chapitre 5, versets 31-40
S. Chrys. (hom. 40 sur S. Jean.) Notre-Seigneur Jésus-Christ venait de s’attribuer de grands privilèges, mais sans en donner encore de démonstration évidente. Pour première preuve, il apporte l’objection qu’on pouvait lui faire : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai. » Mais qui ne serait troublé en entendant ces paroles du Sauveur ? car en mille endroits, nous le voyons se rendre témoignage à lui-même. Si donc tous ces témoignages sont dépourvus de vérité, quelle espérance de salut nous reste-t-il ? Où pourrons-nous trouver la vérité, alors que la vérité elle-même nous dit : » Mon témoignage n’est pas vrai ? » Notre-Seigneur en parlant ainsi n’exprime pas sa pensée propre comme Fils de Dieu, mais celle des juifs qui pouvaient lui objecter : Nous ne croyons pas en vous, parce que nul bomme qui se rend témoignage à lui-même, n’est digne de foi. Après avoir reproduit cette objection des Juifs, il apporte trois preuves évidentes et irréfragables, en produisant trois témoins de la vérité de ses paroles, les œuvres qu’il a faites, le témoignage du Père et la prédication de Jean-Baptiste, et il commence par le témoignage le moins fort, celui de Jean-Baptiste : « Il en est un autre qui rend témoignage de moi, » etc. — S. Augustin. (serm. 43 sur les par. du Seig.) Jésus savait bien que son témoignage était vrai ; mais le soleil cherchait des flambeaux par ménagement pour les infirmes et pour les incrédules, car leurs yeux malades ne pouvaient supporter l’éclat du soleil, Jean-Baptiste fut donc choisi pour rendre témoignage à la vérité. Est-ce que les martyrs ne sont pas les témoins de Jésus-Christ, pour rendre témoignage à la vérité ? Mais en y réfléchissant de plus près, lorsque les martyrs lui rendent témoignage, c’est lui qui se rend témoignage à lui-même, car c’est lui qui habite dans les martyrs, et leur inspire le témoignage qu’ils rendent à la vérité.
Alcuin. On peut dire encore que Jésus-Christ étant Dieu et homme, manifeste tour à tour les propriétés de ces deux natures ; tantôt il parle le langage qui convient à l’humanité qu’il s’est unie, tantôt celui qui n’appartient qu’à la divinité. C’est donc en tant qu’homme qu’il dit. « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai, » paroles dont voici le sens : « Si je rends témoignage de moi-même en tant que je suis homme (c’est-à-dire en séparant ce témoignage de celui de Dieu), mon témoignage n’est pas vrai. » C’est pour cela qu’il ajoute : « C’est un autre qui rend témoignage de moi. » En effet, le Père a rendu témoignage de Jésus-Christ, et sa voix s’est fait entendre au baptême du Sauveur, et sur la montagne où il fut transfiguré : « Et je sais que son témoignage est vrai. » Car Dieu est vérité et le témoignage de la vérité ne peut être que véritable.
S. Chrys. (hom. 40.) Mais d’après la première interprétation, les Juifs pouvaient faire au Sauveur cette nouvelle objection : « Si votre témoignage n’est pas vrai, comment pouvez-vous dire que vous savez que le témoignage de Jean-Baptiste est véritable ? » Notre-Seigneur répond à cette pensée en ajoutant : « Vous avez envoyé à Jean, » etc., ce qui veut dire : Vous n’auriez pas député des envoyés à Jean, si vous ne l’aviez pas cru digne de foi. Et ce qu’il y a de plus fort, ces envoyés ne devaient pas lui demander ce qu’il pensait du Christ, mais ce qu’il pensait de lui-même. Ils ne lui disent pas, en effet : Que dites-vous du Christ ? mais : « Qui êtes-vous ? » Que dites-vous de vous-même ? tant était grande l’admiration qu’ils professaient pour lui. — Alcuin. Jean-Baptiste a rendu témoignage non pas à lui-même, mais à la vérité ; comme un ami de la vérité, il a rendu témoignage à Jésus-Christ qui est la vérité. Or, Notre-Seigneur ne rejette pas précisément le témoignage de Jean, comme un témoignage qui ne lui fut pas nécessaire, mais il leur apprend que leurs regards ne doivent pas se fixer sur Jean, au point de les empêcher d’admettre que Jésus-Christ seul leur est nécessaire. C’est pour cela qu’il ajoute : « Pour moi, ce n’est pas d’un homme que je reçois témoignage. » — Bède. Parce que je n’en ai pas besoin. Si Jean, d’ailleurs, rendit témoignage à Jésus-Christ, c’était moins pour le grandir dans l’esprit des juifs, que pour leur en donner la connaissance.
S. Chrys. (hom. 40.) Le témoignage de Jean-Baptiste n’était autre que le témoignage de Dieu, car c’est Dieu lui-même qui le lui avait dicté. Mais Notre-Seigneur va au-devant d’une objection, que les Juifs pouvaient lui faire : Où est la preuve que c’est Dieu lui-même qui a dicté ce témoignage à Jean-Baptiste, en ajoutant : « Je vous dis ces choses, afin que vous soyez sauvés, » c’est-à-dire, moi qui suis Dieu, je n’avais pas besoin d’un témoignage humain, mais je vous rappelle ce témoignage, parce qu’il a eu le privilège d’attirer votre attention, et que vous l’avez jugé digne de confiance à l’exclusion de tout autre, tandis que vous n’avez pas voulu croire en moi malgré les miracles que j’ai opérés. Ils pouvaient encore lui dire : Qu’importé le témoignage de Jean, si nous ne l’avons pas reçu ? Jésus leur prouve qu’ils ont cru aux paroles du Précurseur : « Il était la lampe ardente et luisante, et un moment vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. » Cette expression : « un moment » prouve la facilité avec laquelle ils ont cru, et le peu de durée de leur foi ; si cette foi avait persévéré, Jean les aurait conduits comme par la main à Jésus-Christ. Il appelle le saint Précurseur une lampe, parce que sa lumière ne venait pas de lui-même, mais de la grâce de l’Esprit saint. — Alcuin. Jean était donc comme une lampe éclairée par Jésus-Christ qui est la vraie lumière, brûlant de foi et de charité, brillant par la parole et par les oeuvres, envoyé devant le Christ pour confondre ses ennemis, selon ces paroles du psaume 131 : « J’ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis. »
S. Chrys. (hom. 40.) Si donc je vous rappelle le souvenir de Jean, ce n’est pas que j’aie besoin de son témoignage, c’est dans l’intérêt de votre salut ; car pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean, c’est le témoignage de mes œuvres : « Car ces œuvres que mon Père m’a données à faire, ces œuvres que je fais moi-même, rendent témoignage de moi. »
Alcuin. Jésus rend la vie aux aveugles, l’ouïe aux sourds, il délie la langue des muets, il met les démons en fuite, il ressuscite les morts, ce sont là les œuvres qui rendent témoignage de lui. — S. Hil. (de la Trin., 6) Ce n’est pas seulement par le témoignage du nom qu’il porte, que le Fils unique de Dieu prouve sa filiation divine, mais par les œuvres de sa puissance, qui attestent qu’il est vraiment l’envoyé du Père, en qui nous voyons éclater tout à la fois l’obéissance du Fils et l’autorité du Père. Mais comme les œuvres ne sont point un témoignage suffisant pour les incrédules, il ajoute : « Et mon Père qui m’a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. » Parcourez toutes les pages de l’Evangile, et examinez sérieusement ce qu’elles renferment, et vous n’y trouverez aucun témoignage du Père qui ne proclame que Jésus-Christ est son Fils. Quelle est donc cette erreur calomnieuse (et quel en est le motif), qui ne voit dans la filiation divine qu’une simple adoption, accuse Dieu de mensonge, et réduit à rien les noms qui sont donnés au Fils ?
Bède. La mission du Fils n’est autre que son incarnation. Notre-Seigneur prouve ensuite que Dieu est incorporel et ne peut par conséquent être vu des yeux du corps : « Mais vous n’avez jamais entendu sa voix, ni vu sa figure. » — Alcuin. Les Juifs auraient pu lui dire : « Nos pères ont entendu la voix de Dieu sur le Sinaï, et ils l’ont vu sous la forme de feu ; si donc Dieu consentait à rendre témoignage de vous, nous pourrions entendre sa voix, Jésus les prévient et leur dit : « J’ai le témoignage que me rend mon Père, bien que vous ne le compreniez pas, parce que vous n’avez jamais entendu sa voix, et vous n’avez jamais vu sa figure. » — S. Chrys. (hom. 40.) Comment donc Moïse a-t-il pu dire : « S’est-il jamais fait une chose semblable, et jamais a-t-on ouï dire qu’un peuple ait entendu la voix du Seigneur parlant du milieu du feu, comme vous l’avez entendue, sans être frappé de mort ? (Dt 4, 33-34.) Isaïe et plusieurs autres encore attestent qu’ils ont vu Dieu. Que signifient donc ces paroles du Sauveur ? Il veut donner aux Juifs des idées plus saines et plus exactes sur Dieu, en leur enseignant peu à peu que Dieu n’a ni voix, ni figure ; mais qu’il est supérieur à toutes les figures et à tous les langages possibles. En effet, ces paroles : « Vous n’avez jamais entendu sa voix, » ne signifient pas que Dieu ait une voix, bien qu’inintelligible pour l’homme ; de même que ces autres paroles : « Et vous n’avez jamais vu sa figure, » ne veulent pas dire que Dieu ait une forme sensible, quoique invisible pour l’homme ; mais il veut établir qu’il n’y a en Dieu ni voix ni figure. — Alcuin. Ce n’est donc point avec les oreilles du corps, mais avec l’intelligence du cœur, que Dieu peut être entendu par la grâce de l’Esprit saint. Or, les Juifs n’avaient pas entendu cette voix toute spirituelle, parce qu’ils refusaient de l’aimer et d’obéir à ses commandements ; et ils ne pouvaient voir sa face, parce que ce n’est point des yeux du corps, mais des yeux de la foi et de l’amour qu’elle peut être vue.
S. Chrys. (hom. 40.) Les Juifs ne pouvaient même se flatter d’avoir reçu les commandements de Dieu, et de les observer, aussi le Sauveur ne craint pas de leur dire : « Et vous n’avez point sa parole demeurant en vous, » c’est-à-dire les préceptes divins, la loi, les prophètes, dont Dieu est l’auteur, et que vous ne recevez pas comme vous devriez le faire. En effet, les Ecritures vous enseignent en mille endroits à croire en moi, et vous refusez de croire, n’est-ce pas une preuve évidente que vous n’avez point en vous la parole de Dieu, et il ajoute : « Parce que vous ne croyez pas en celui qu’il a envoyé. »
Alcuin. Ou bien encore, ils n’ont pas le Verbe qui était au commencement demeurant en eux, parce qu’ils négligent de conserver le souvenir de la parole de Dieu qu’ils ont entendue, et encore plus de la mettre en pratique. Notre-Seigneur avait déclaré qu’il avait pour lui le témoignage de Jean, de ses œuvres, de son Père ; il y ajoute le témoignage de la loi qui leur avait été donnée par Moïse : « Approfondissez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle ; ce sont elles qui rendent témoignage de moi, » c’est-à-dire, vous qui pensez trouver dans les Ecritures la vie éternelle, et qui me rejetez comme contraire à Moïse, vous arriveriez à comprendre par le témoignage de Moïse lui-même, que je suis Dieu ; si vous vouliez étudier sérieusement ces Ecritures, car toutes les Ecritures rendent témoignage de Jésus-Christ, ou par les figures, ou par les prophéties, ou par le ministère des anges. Mais les Juifs n’ont point voulu appliquer au Christ ces différents témoignages, et c’est pourquoi ils ne peuvent avoir la vie éternelle : « Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie, » c’est-à-dire, les Ecritures rendent témoignage de moi, et malgré tant de témoignages, vous ne voulez pas venir à moi, vous ne voulez pas croire en moi, vous ne voulez pas chercher en moi votre véritable Sauveur.
S. Chrys. (hom. 40.) On peut encore enchaîner autrement les différentes parties de ce discours de Notre-Seigneur. Les Juifs pouvaient lui dire : Comment nous assurer que Dieu vous ait rendu témoignage, si nous n’avons pas entendu sa voix ? Jésus leur répond : « Approfondissez les Ecritures, » preuve évidente qu’elles contiennent le témoignage que Dieu a rendu en sa faveur. Dieu, en effet, ne lui a-t-il pas rendu témoignage sur les bords du Jourdain et sur la montagne ? cependant Notre-Seigneur ne leur rappelle pas textuellement ces deux témoignages, qui eussent peut-être été pour eux l’occasion d’un nouvel acte d’incrédulité, car ils n’avaient pas été témoins de la voix qui se lit entendre sur la montagne, et quant à celle qui se fit entendre au baptême de Notre-Seigneur, ils l’avaient bien entendue, mais sans y faire aucune attention. Il les renvoie donc aux Ecritures, leur enseignant ainsi qu’elles renferment le témoignage que le Père lui a rendu. (hom. 41.) Remarquez qu’il ne les renvoie pas à une simple lecture, mais à un sérieux examen des Ecritures, parce que les témoignages dont il était l’objet dans les Ecritures, étaient couverts d’un voile et cachés comme un trésor sous l’écorce de la lettre. Il ne dit pas : Dans lesquelles vous avez la vie éternelle, mais : « Dans lesquelles vous pensez trouver la vie éternelle, » et il leur démontre ainsi le fruit médiocre qu’ils tiraient des Ecritures, en s’imaginant qu’il leur suffisait de les lire pour être sauvés, alors même qu’ils étaient dépourvus de la foi ; c’est pour cela qu’il leur dit : « Et vous ne voulez pas venir à moi, » parce qu’ils refusaient de croire en lui. — Bède. Le Psalmiste nous apprend que le mot venir est ici synonyme du mot croire, lorsqu’il dit : « Approchez de lui et soyez sauvés. » (Ps 33, 6.) Notre-Seigneur ajoute : « Pour avoir la vie. » Si l’âme, en effet, qui commet le péché est frappée de mort, ils étaient morts d’esprit et de cœur. Il leur promettait donc la vie de l’âme ou de la félicité éternelle.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.