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TRENTE QUATRIÈME CONSIDÉRATION

De la sainte communion

« Prenez et mangez : ceci est mon corps »
(Matthieu 26, 26)

Premier point

Voyons quel grand don est le Très Saint Sacrement ; quel grand amour Jésus nous a témoigné en nous faisant un tel don ; et quel désir il a que nous recevions ce don, qui est le sien par excellence. Considérons d’abord la grandeur du don que Jésus Christ nous fit, quand il se donna lui-même tout entier à nous en nourriture dans la sainte Communion. « Bien que Jésus Christ soit tout-puissant, dit saint Augustin, il n’a pas pu nous donner davantage » (Ce texte, attribué à S. Augustin par plusieurs auteurs anciens, ne se trouve pas aux endroits auxquels ils renvoient). Et, ajoute saint Bernardin de Sienne, quel plus grand trésor une âme peut-elle désirer ou recevoir que l’adorable corps de Jésus Christ ? (S. Bernardin de Sienne, Sermones eximii de Christo Domino, sermon 12, a. 1, c. 4, Opera, Venise, 1745, p. 67, col. 1 (Ces sermons ne figurent pas dans l’édition critique de Quaracchi). « Faites partout connaître ses inventions », s’écriait le prophète Isaïe (Isaïe 12, 4). O hommes ! Publiez les inventions pleines d’amour que nous devons à la bonté de Dieu. En vérité, si notre Rédempteur ne nous avait fait ce don, quel homme serait avisé de le lui demander ? Car qui aurait jamais eu la hardiesse de lui dire : Seigneur, si vous voulez nous prouver votre amour, placez-vous sous les espèces du pain et permettez que nous vous prenions en nourriture ? On eût regardé comme une folie, rien que d’y penser. Ne semble-t-il pas, dit saint Augustin, que ce soit folie de dire : Mangez mon corps, buvez mon sang ? (S. Augustin, Sur le Psaume 33, sermon 1, n. 8, PL 36, 305 (Vivès, t. 12, p. 75). Et de fait, lorsque Jésus Christ s’ouvrit à ses disciples du dessein qu’il avait de leur laisser ce grand don de la divine Eucharistie, ils ne purent parvenir à le croire et ils disaient, en s’éloignant : « Comment celui-ci peut il nous donner sa chair à manger ? Ces paroles sont dure, et qui peut les écouter » (Jean 6, 61) ? Mais ce que les hommes étaient même incapables d’imaginer, le grand amour de Jésus Christ y a pensé et il l’a réalisé.

C’est en souvenir de l’amour qu’il nous a témoigné dans sa Passion que le Seigneur a voulu nous laisser ce sacrement. Aussi saint Bernardin l’appelle-t-il le « mémorial de l’amour divin » (S. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de Evangelio aeterno, sermon 54, a. 1, Opera, t. 5, Quaracchi, 1956, p. 7). Et cela est conforme à ce que Jésus Christ lui-même dit dans saint Luc : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22, 19). « Telle était, ajoute saint Bernardin, l’ardeur de son amour que l’excès de sa charité le contraignit d’opérer, au moment où il allait mourir pour nous, un prodige plus grand encore : ce fut de nous donner sa propre chair en nourriture » (S. Bernardin de Sienne, Ibid., p. 7). L’abbé Guerric dit que, dans ce sacrement, Jésus faisant un dernier effort d’amour épuisa toute sa force d’aimer en faveur de ses amis (Guerric d’Igny, Sermo in die Ascensionis Domini, n. 1, PL 185, 155). Et le concile de Trente le dit bien mieux, quand il déclare que, dans l’Eucharistie, Jésus Christ a voulu en quelque sorte tirer de son sein et répandre sur les hommes les richesses de l’amour qu’il leur portait (Concile de Trente, Session 13, Décret sur le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie, ch. 2 : « Notre Sauveur, près de quitter ce monde pour aller à son Père, a institué ce sacrement dans lequel il a, pour ainsi dire, répandu les richesses de son divin amour pour les hommes, laissant le mémorial de ses merveilles (Ps 111, 4) » (FC 737).

Quelle délicatesse d’amour, dit saint François de Sales (S. François de Sales, Sermon 20 sur le Saint-Sacrement, début, Oeuvres, t. 7, Annecy, 1896, p. 182), ne serait-ce pas de la part d’un prince que, durant son repas, il envoyât à quelque pauvre un plat de sa table ? Que serait-ce s’il lui envoyait tous ses mets ? Et surtout que serait-ce s’il lui envoyait en nourriture de la chair même de son bras ? Dans la sainte Communion, ce n’est pas seulement une portion de son repas, ni même une partie de son corps que Jésus Christ nous donne en nourriture, mais son propre corps tout entier. « Prenez et mangez, ceci est mon corps » (Matthieu 26, 26). Et en même temps que son corps, il nous donne également son âme et sa Divinité. Bref, Jésus Christ se donnant à vous dans la sainte Communion, « vous donne, dit saint Jean Chrysostome, tout ce qu’il possède sans rien se réserver » (S. Jean Chrysostome, Sur le Psaume 44, n. 11, PG 55, 200). Et un autre auteur écrit : « Tout ce qu’il est et tout ce qu’il a, Dieu nous le donne dans l’Eucharistie » (S. Thomas (auteur incertain, cf. Opuscula theologica, t. 1, Turin 1954, XV), Opusculum 63 de beatitudine, c. 2, Opera, t. 17, Rome, 1570, fol. 99. Dans les premières éditions de Naples, et de Venise, S. Alphonse avait attribué le texte à S. Thomas. Ensuite, suspectant l’authenticité, il supprima le nom « Angelico » et le remplaça par « un autre auteur » dan s les rééditions de 1777 et 1780 faites à Naples. Remondini, l’imprimeur de Venise, ne fit jamais la correction). « Le voilà donc, s’écrie avec admiration saint Bonaventure, ce grand Dieu que le monde ne peut contenir, le voilà devenu notre prisonnier dans le saint Sacrement ! » (S. Bonaventure (apocryphe, cf. éd. Quaracchi VIII, CXIII), Expositio Missae, c. 4, Opera, t. 7, Lyon, 1668, p. 78). Et si le Seigneur se donne ainsi tout entier à nous dans l’Eucharistie, comment pouvons-nous craindre que, sollicitant une grâce quelconque, nous essuyons jamais un refus. « Comment, dit saint Paul, ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec son propre Fils ? » (Romains 8, 32).

Affections et prières

O mon Jésus, qui donc vous inspira de vous donner ainsi tout entier à nous pour nourriture ? Et, après un pareil don, que vous reste-t-il encore à nous donner pour nous mettre dans l’obligation de vous aimer ? Ah ! Seigneur, éclairez-nous ; et faites-nous comprendre par quel excès d’amour vous vous êtes réduit en nourriture afin de vous unir à nous, pauvres pécheurs. Mais si vous vous donnez tout entier à nous, il est juste que, de notre côté, nous nous donnions tout entier à vous. Mon Rédempteur, comment ai-je pu vous offenser, vous qui m’avez tant aimé et qui n’avez rien négligé pour gagner mon amour ? Vous vous êtes fait homme pour moi ; vous êtes mort pour moi ; vous vous êtes réduit en nourriture pour moi. Que pouviez-vous faire de plus en ma faveur ? Je vous aime, ô Bonté infinie. Je vous aime, ô amour infini. Seigneur, venez fréquemment dans mon âme ; enflammez-moi tout entier de votre saint amour et faites que j’oublie tout le reste pour ne plus penser qu’à vous, pour ne plus aimer que vous.

Très sainte Vierge Marie, priez pour moi et, par votre intercession, rendez-moi digne de recevoir souvent votre Fils dans son divin Sacrement.

Deuxième point

Considérons ensuite le grand amour que nous a témoigné Jésus Christ en nous faisant un tel don. Le Très Saint Sacrement est un don qui procède uniquement de l’amour. Selon le décret divin, il est nécessaire pour notre salut que le Rédempteur mourût et que, par le sacrifice de sa vie, il donnât satisfaction à la justice divine irritée par nos péchés. Mais quelle nécessité y avait-il que Jésus Christ, après avoir subi la mort, se laissât à nous en nourriture ? Ainsi le voulut son amour. Jésus Christ, dit saint Laurent Justinien, n’eut, en instituant l’Eucharistie, aucun autre motif que de nous donner un témoignage de son insigne charité (S. Laurent Justinien, De Christi corpore sermo, Opera, Venise, 1721, p. 390). Et c’est précisément ce que dit saint Jean : « Sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, Jésus, qui avait aimé les siens, les aima jusqu’à la fin » (Jean 13, 1). Il ne voulut donc pas quitter la terre sans nous laisser, à cette heure suprême, la plus grande marque de son amour dans le don qu’il nous fit de son auguste Sacrement. Voilà bien ce que signifie cette parole : « il les aima jusqu’à la fin », c’est-à-dire, d’un amour extrême, extraordinaire ainsi que l’expliquent Théophylacte et saint Jean Chrysostome (Théophylacte, Sur l’Évangile de Jean, ch. 13,1, PG 124, 446. S. Jean Chrysostome, Homélie 70 sur Jean, n. 1, PG 59, 382).

Qu’on remarque en outre, avec saint Paul, quel temps Jésus Christ a choisi pour nous faire ce don. Or, dit saint Paul, « en cette nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, et, rendant grâce, le rompit et dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps » (1 Corinthiens 11, 23). Les hommes lui préparaient donc des fouets et des épines ainsi que la croix pour le mettre à mort, et c’est en ce moment-là même que notre très aimant Sauveur voulut nous donner cette suprême marque de son amour. Et pourquoi ne le fit-il pas plus tôt, mais seulement au temps de sa mort ? » C’est, répond saint Bernardin de Sienne, parce que de toutes les marques d’amitié celles qui se donnent à l’approche de la mort se gravent plus profondément dans la mémoire et nous tiennent plus au coeur » (S. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de Evangelio aeterno, sermon 54, art. 1, c. 1, Opera, t. 5, Quaracchi, 1956, p. 7). Jésus Christ s’était auparavant donné à nous de plusieurs manières. Déjà nous le possédions comme ami, maître, père, lumière, modèle de victimes. Il ne lui restait plus qu’à se donner sous forme de nourriture, afin de ne faire qu’un avec celui qui la prend ; et ce suprême effort d’amour il le fit en se donnant à nous dans le Saint Sacrement. Voilà bien, dit encore saint Bernardin de Sienne (S. Bernardin de Sienne, Ibid., p. 28-29), « le dernier terme possible de son amour ; Jésus qui se donne à nous en nourriture et qui s’identifie avec nous aussi réellement que s’identifient avec nous les aliments dont nous vivons ». Ainsi, non content de s’unir à la nature humaine, notre Rédempteur voulut, par ce Sacrement, trouver le moyen de s’unir avec chacun de nous en particulier.

« Non, disait saint François de Sales, le Sauveur ne peut être considéré en une action ni plus amoureuse, ni plus tendre que celle-ci, en laquelle il s’anéantit par manière de dire et se réduit en viande, afin de pénétrer nos âmes et s’unir entièrement au coeur et au corps de ses fidèles » (S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, 2è partie, ch. 21 : « Non, le Sauveur ne peut être considéré en une action ni plus amoureuse ni plus tendre que celle-ci, en laquelle il s’anéantit, par manière de dire, et se réduit en viande afin de pénétrer nos âmes et s’unir intimement au coeur et au corps de ses fidèles » (RVP, p. 120). « Ainsi, dit saint Jean Chrysostome, c’est à ce Seigneur sur lequel les anges n’osent fixer leurs regards, que nous nous unissons ; c’est avec lui que nous devenons un même corps, une même chair. » « Quel est, continue le même saint, le pasteur qui nourrisse ses brebis de son propre sang ? Que dis-je : un pasteur ? Souvent les mères elles-mêmes confient leurs enfants à des nourrices. Bien loin que Jésus Christ ait jamais consenti à les imiter, c’est de son propre sang qu’il nous nourrit et c’est ainsi qu’il nous unit à lui » (Le texte cité reprend littéralement la version de l’ancien bréviaire, au deuxième nocturne de l’office du dimanche pendant l’octave du Saint-Sacrement, avec la référence, ancienne aussi, à l’Homélie 60 au peuple d’Antioche. Cf. S. Jean Chrysostome, Homélie 82 sur Matthieu, n. 5, PG 58, 260 : « Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c’est là la marque d’un ardent amour » (JEA, t. 8, p. 323). Mais pourquoi se faire notre nourriture ? « C’est, répond le saint, pour s’unir tellement avec nous que nous devenions une seule et même chose avec lui ; car voilà l’amour dans ses plus ardentes aspirations » (Citation tirée de l’office du bréviaire, au samedi dans l’octave de Saint-Sacrement, deuxième nocturne (Homélie 61 au peuple d’Antioche). Cf. S. Jean Chrysostome, Homélie 46 sur Jean, n. 3, PG 59, 260 : « Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c’est là la marque d’un ardent amour » (JEA, t. 8, p. 323). Jésus Christ a donc voulu faire le plus grand de ses miracles et, comme dit le Psalmiste, « le Seigneur, tout miséricordieux et animé de la plus paternelle tendresse, a consacré la mémoire de toutes ses autres merveilles ; il a donné la nourriture à ceux qui le craignent » (Psaume 110, 4), et cela pour satisfaire le désir qu’il avait de rester avec nous et pour ne faire de son Très Saint Coeur et du nôtre qu’un seul coeur. « Combien votre amour est admirable, Seigneur Jésus, s’écrie saint Laurent Justinien, car vous avez voulu nous incorporer tellement à votre chair qu’indissolublement unis nous fissions avec vous un seul coeur et une âme » (S. Laurent Justinien, De incendio divini amoris, c. 5, Opera, Venise, 1721, p. 621).

Le Père de la Colombière, ce grand serviteur de Dieu, disait : « Si quelque chose pouvait ébranler ma foi sur le mystère le l’Eucharistie, ce ne serait pas de cette puissance infinie que Dieu y fait voir que je douterais : ce serait plutôt de l’amour extrême qu’il nous témoigne. Comment ce qui est pain devient-il chair sans cesser de paraître pain ? Comment le corps de Jésus se trouve-t-il en même temps en plusieurs lieux ? Comment peut-il être renfermé dans un espace presque indivisible ? A tout cela je n’ai qu’à répondre que Dieu peut tout. Mais si l’on me demande comment il se peut faire que Dieu aime une créature aussi misérable que l’homme et qu’il l’aime à tel point, je confesse que je n’ai nulle réponse et que c’est une vérité qui me passe » (B. Claude de la Colombière, Sermon 20 pour le jour du Corps de Dieu, Sermons prêchez devant S. A. R. Madame la Duchesse d’York, t. 2, Lyon, 1692, p. 2 : « Si quelque chose pouvait ébranler ma foi sur ce mystère, ce ne serait pas de cette puissance infinie que Dieu y fait voir que je douterais, ce serait plutôt de l’amour extrême qu’il nous y témoigne. Comment ce qui est pain devient-il chair, sans cesser de paraître pain ? Comment le corps d’un homme se trouve-t-il en même temps en plusieurs lieux ? Comment peut-il être renfermé dans un espace presque indivisible ? A tout cela je n’ai qu’à répondre que Dieu peut tout. Mais si l’on me demande comment il se peut faire que Dieu aime une créature aussi faible, aussi imparfaite, aussi misérable que l’homme, et qu’il l’aime avec passion, avec transport ; qu’il ait pour cet homme des empressements qu’un homme même n’aurait pas pour un autre homme ; je confesse, Messieurs, que je n’ai nulle réponse, et que c’est une vérité qui me passe »). Mais, Seigneur, vous réduire en nourriture, n’est-ce pas un excès d’amour qui ne semble pas convenir à votre majesté ? « L’amour, répond saint Bernard, ne se soucie pas de dignité » (S. Bernard de Clairvaux, Sermon 64, sur le Cantique des Cantiques, n. 10, PL 183, 1088 (BEG, p. 661). « L’amour, répond également Saint Pierre Chrysologue, ferme les yeux quand il s’agit de se faire connaître à l’objet aimé, toutes les raisons de convenance ne lui sont plus rien ; il va non pas où il convient, mais où le portent ses désirs » (S. Pierre Chrysologue, Sermo 147, PL 52, 595). « Saint Thomas, le Docteur angélique, avait donc raison d’appeler ce Sacrement le Sacrement de l’amour, le gage de l’amour (S. Thomas d’Aquin (auteur inconnu, cf. Opuscula theologica, t. 1, Turin 1954, XV), Opusculum 58 de sacramento altaris, c. 25, Opera, t. 17, Rome, 1570, fol. 56. L’idée se trouve dans les oeuvres authentiques de S. Thomas : Somme théologique, IIIa, qu. 75, art. 1, c), et saint Bernard « L’amour des amours » (S. Bernard de Clairvaux (auteur inconnu selon Glorieux, n. 184), Sermo de excellentia ss. Sacramenti, n. 10, PL 184, 987). Combien aussi saint Marie Madeleine de Pazzi avait donné raison de n’appeler le jeudi saint, jour de l’institution du Très Saint Sacrement, que le jour de l’amour ! (V. Puccini, Vita della B. M. Maddalena de’Pazzi, c. 92, Venise, 1642, p. 170).

Affections et prières

O Amour infini de Jésus, vous méritez qu’on vous aime infiniment ! Quand donc, ô mon Jésus, vous aimerai-je comme vous m’avez aimé ? En vérité, vous ne pouvez rien ajouter à tout ce que vous avez fait pour obtenir l’amour de mon coeur, et moi j’ai pu vous abandonner, vous, le Bien infini, pour m’en aller après de vils objets et de misérables créatures ! Ah ! Mon Dieu, éclairez-moi ; découvrez-moi toujours de plus en plus vos immenses bontés afin que je m’enflamme d’amour pour vous et que je m’applique sans cesse à vous plaire. Je vous aime, mon Jésus, mon amour, mon tout ; et je veux m’unir souvent à vous dans ce Sacrement, pour me détacher de tout et n’aimer que vous, ô ma vie. Et vous, ô mon Rédempteur, secourez-moi par les mérites de votre Passion.

Vous aussi, ô Mère de Jésus et ma mère, assistez-moi ; demandez à Jésus qu’il m’embrase tout entier de son saint amour.

Troisième point

Considérons, en troisième lieu, combien Jésus Christ désire que nous le recevions dans la sainte Communion. « Jésus sachant que son heure était venue » (Jean 13, 1). Mais comment Jésus pouvait-il appeler son heure, cette nuit-là même où devait commencer sa douloureuse Passion ? Il l’appelle son heure, parce qu’en cette nuit-là il devait nous laisser ce Divin Sacrement pour s’unir tout entier aux âmes qui lui sont chères. En même temps, pour nous faire comprendre avec quelle ardeur il désirait contracter cette union avec chacun de nous dans son Sacrement, le Rédempteur disait à ses disciples : « J’ai brûlé du désir de manger cette Pâque avec vous » (Luc 22, 15). Ces paroles : J’ai brûlé du désir, viennent de l’immense amour qu’il nous porte. « Elles sont, dit saint Laurent Justinien, le cri de l’amour le plus brûlant » (S. Laurent Justinien, De triumphali Christi agone, c. 2, Opera, Venise, 1721, p. 229). Et s’il se donna de préférence sous les espèces du pain, c’est afin que chacun puisse le recevoir. En effet, s’il s’était placé sous les espèces d’un aliment de grand prix, les pauvres se verraient dans l’impossibilité de le recevoir ; ou même s’il avait fait choix de tout aliment, celui-ci aurait pu être d’un bas prix, sans pour cela se rencontrer dans tous les lieux de la terre. Jésus Christ a donc voulu se mettre sous les espèces du pain, parce que le pain coûte peu et qu’on le trouve partout ; et ainsi tous peuvent en tout lieu trouver Jésus Christ et le recevoir.

Enfin, pressé par son grand désir de se donner à nous, le Rédempteur ne se contente pas de nous adresser invitations sur invitations pour que nous allions le recevoir : « Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai préparé » (Proverbes 9, 5). « Mangez mes amis, et buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés » (Cantique 5, 1). Il nous en fait en même temps une loi : « Prenez et mangez : ceci est mon corps » (Matthieu 26, 26). De plus, pour nous décider à le recevoir, il nous excite par la promesse de la vie éternelle : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement » (Jean 6, 58), comme aussi il menace d’exclure du Ciel ceux qui résistent à son appel : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang vous n’aurez pas la vie en vous » (Jean 6, 53). Invitations, promesses, menaces, tout est inspiré à Jésus Christ par son désir de s’unir avec nous dans ce Sacrement. Et ce désir lui-même vient du grand amour qu’il nous porte. Car, dit saint François de Sales (S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, liv. 1, ch. 10 : « Comme l’amour tend à l’union, ainsi l’union étend bien souvent et agrandit l’amour » (RVP, p. 379), comme l’amour ne veut que l’union à l’objet aimé et comme dans ce Sacrement Jésus s’unit tout entier à notre âme, -- « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui », -- voilà pourquoi il désire si ardemment que nous le recevions. Une abeille, dit un jour Notre Seigneur à sainte Mechtilde (G. Lansperge, Libreo… delle visioni della B. Metilde, lib. 2, c. 4, Venise, 1710), ne se jette pas sur les fleurs pour en sucer le miel, avec autant d’ardeur que j’en mets à me donner aux âmes désireuses de me recevoir.

Oh ! Si les fidèles comprenaient le grand bien que l’âme retire de la Sainte Communion ! Entre les mains de Jésus se trouvent toutes les richesses, puisque « son Père l’a constitué le maître de toutes choses » (Jean 13, 3). Quand donc Jésus Christ vient dans une âme par la Sainte Communion, il apporte avec lui d’immenses trésors de grâces. « Avec elle, dit Salomon en parlant de la Sagesse éternelle, me sont venus ensemble tous les biens » (Sagesse 7, 11).

Saint Denys attribue au Saint Sacrement une souveraine vertu de sanctification. « Là, dit-il, se trouve au suprême degré la force qui nous élève au sommet de la perfection » (Denys l’Aéropagiste (pseudo), La Hiérarchie ecclésiastique, ch. 3, PG 3, 423, 426). Et d’après saint Vincent Ferrier, on gagne plus à communier une fois que si l’on jeûnait pendant une semaine au pain et à l’eau. (S. Vincent Ferrier, Sermones aestivales, sermo 2 in festo Corporis Christi, Venise, 1573, p. 221). La Sainte Communion, ainsi que l’enseigne le concile de Trente, est le grand remède institué par Dieu pour nous délivrer des fautes vénielles et nous préserver des péchés mortels (Concile de Trente, Session 13, Décret sur le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie, ch. 2 : « Mais il a voulu que ce sacrement fût reçu comme l’aliment spirituel de nos âmes… et qu’il fût l’antidote qui nous libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels » (FC 737). Aussi saint Ignace, martyr, appelait-il ce Sacrement « Le remède de l’immortalité » (S. Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens, ch. 20, PG 5, 662 : « … pour obéir à l’évêque et au presbyterium, dans une concorde sans tiraillements, rompant un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus Christ pour toujours » (SC 10 bis, trad. TH. Camelot, p. 91). Et Innocent III a dit : « Par sa passion, Jésus Christ nous a retiré de la puissance du péché, par l’Eucharistie il nous ôte la volonté de pécher » (Innocent III, De sacro altaris mysterio, lib. 4, c. 44, PL 217, 285).

En outre, ce Sacrement allume dans nos coeurs la flamme de l’amour divin. « Le roi m’a introduit dans son cellier ; il a réglé en moi la charité. Soutenez-moi avec des fleurs, fortifiez-moi avec des fruits, parce que je languis d’amour » (Cantique 2, 4). Saint Grégoire de Nysse dit que ce mystérieux cellier c’est précisément la sainte Communion, car l’âme s’y enivre tellement d’amour pour Dieu qu’elle oublie la terre et toutes les choses créées ; et voilà cette langueur d’amour que ressentait l’Épouse sacrée (S. Grégoire de Nysse, Homélie 4 sur le Cantique, PG 44, 846). Le vénérable Père François Olympio, Thétin, disait également que rien au monde n’est propre à nous enflammer d’amour pour Dieu, comme la sainte Communion ( G. Silos, Vita del Venerabile… Francesco Olimpio, lib. 2, c. 5, Naples, 1685, p. 169).

« Dieu est amour », dit saint Jean (I Jean 4, 8) ; et il est aussi « un foyer d’amour pour se consumer » (Deutéronome 4, 24). Or, c’est ce foyer d’amour que le Verbe éternel vint allumer sur terre. « Je suis venu jeter un feu sur la terre ; et qu’est-ce que je veux, sinon qu’il s’allume » (Luc 12, 49) ? ah ! Quelles belles flammes du saint amour Jésus allume dans les âmes, qui ont soif d’amour en le recevant par la sainte Communion ! Saint Catherine de Sienne vit un jour, dans les mains d’un prêtre, la sainte Hostie sous la forme d’une fournaise d’amour et elle s’étonnait qu’au contact de ce vase incendié tous les coeurs ne fussent pas tout de flammes et entièrement consumés (B. Raymond de Capoue, Vie de S. Catherine de Sienne, 2e partie, ch. 6, n. 3, t. 1, Paris, 1877, p. 168 : « Jamais elle ne s’approchait de l’autel sans voir des choses supérieures aux sens, surtout quand elle recevait la sainte communion. Souvent elle apercevait entre les mains du prêtre un enfant nouveau-né, ou un tout jeune homme. Quelquefois c’était une fournaise d’un feu ardent, dans laquelle le prêtre semblait entrer au moment où il consommait l’Eucharistie »). Sainte Rose de Lima disait qu’en communiant il lui semblait recevoir le soleil ; aussi de son visage s’échappait-il des rayons qui éblouissaient et de sa bouche il sortait une telle chaleur qu’on ne pouvait, après la Communion, lui présenter à boire sans se sentir la main brûlante comme en présence d’un brasier. (L. Hannssen, Vita… Rosae de S. Maria Limensis, c. 22, Rome, 1664, p. 216 s). Le saint roi Wenceslas, rien qu’en allant visiter le Saint Sacrement, éprouvait même dans son corps une ardeur si grande que le serviteur, dont il se faisait accompagner, ne sentait plus le froid, dès qu’en cheminant sur la neige il posait le pied dans les traces laissées par le saint (Bollandistes, Acta Sanctorum, t. 47 ( 28 septembre), Paris, 1867, p. 780). L’Eucharistie, disait saint Jean Chrysostome, est un feu qui nous embrase, de telle sorte que, transformés par la sainte Communion en autant de lions, et ne respirant plus que l’amour de Dieu, nous devenons l’effroi de l’enfer, au point qu’il n’a plus même le courage de nous tenter ! (Citation tirée de l’office de l’ancien bréviaire, au samedi dans l’octave du Saint-Sacrement, deuxième nocturne (Homélie 61 au peuple d’Antioche). Cf. S. Jean Chrysostome, Homélie 46 sur Jean, n. 3, PG 59, 260 : « Sortons donc de cette table, comme des lions remplis d’ardeur et de feu, terribles au démon » (JEA, t. 8, p. 323).

Si je ne communie pas souvent, me dira quelque chrétien, c’est parce que je me sens froid dans l’amour de Dieu. Mais répond Gerson (J. Gerson, De praeparatione ad Missam, cons. 4, Opera, t. 3, Anvers 1706, col. 323), agir de la sorte n’est-ce pas se défendre d’approcher du feu, par la raison qu’on a froid ? Or, plus nous nous sentons froids, plus aussi nous avons besoin de nous rapprocher fréquemment de la sainte Table, si tant est que nous ayons le désir d’aimer Dieu ! « Quand on vous demande, disait saint François de Sales, pourquoi vous communiez si souvent, dites que deux sortes de personnes doivent souvent communier, les parfaits et les imparfaits : les premiers, pour se maintenir dans la perfection ; et les autres, pour y arriver » (S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, 2e partie, ch. 21 : « Dites-leur (aux mondains) que deux sortes de gens doivent souvent communier : les parfaits, parce qu’étant bien disposés, ils auraient grand tort de ne point s’approcher de la source et fontaine de perfection, et les imparfaits, afin de pouvoir justement prétendre à la perfection » (RVP, p. 120-121). Et saint Bonaventure dit également : « Allez à la sainte Table, toute tiède que soit votre âme. Mais allez-y plein de confiance en la miséricorde de Dieu. Plus on se sent malade, plus on a besoin de médecin » (S. Bonaventure (plutôt David d’Augsbourg, cf. éd. Quaracchi VIII, XCV), De prodectu religiosorum, lib. 2, c. 77, Opera, t. 7, Lyon, 1668, p. 612). Ma fille, dit un jour Jésus Christ à sainte Mechtilde, avant chacune de tes communions souhaite d’avoir tout l’amour dont jamais coeur a été embrasé pour moi. De mon côté, je tiendrai compte de ce bon désir comme si tu avait réellement tout cet amour (G. Lansperge, Libro delle… visioni della B. Metilde, lib. 3, c. 23, Venise, 1710, p. 86).

Affections et prières

Mon Jésus, ô vous qui aimez tant les âmes, non, il n’est pas possible que, pour nous convaincre de votre amour, vous nous en donniez de plus grandes preuves. En vérité, que pourriez-vous inventer encore pour vous faire aimer de nous ? Faites donc, ô bonté infinie, que désormais je vous aime de toutes mes forces et de toute la tendresse de mon coeur. A qui mon coeur doit-il s’attacher avec plus d’amour qu’à vous, ô mon Rédempteur, qui, après avoir donné votre vie pour moi, vous êtes donné à moi vous-même tout entier dans ce Sacrement ? Que ne puis-je, ô mon bien-aimé Seigneur, me rappeler sans cesse votre amour, de telle sorte qu’oubliant toutes choses je vous aime vous seul, sans cesse et sans réserve ? Mon Jésus, je vous aime par dessus toutes choses et je ne veux aimer que vous. Chassez, je vous en conjure, chassez de mon coeur toutes les affections qui ne sont point pour vous. Soyez béni de me donner encore du temps pour vous aimer et pour pleurer les déplaisirs que je vous ai causés. O mon Jésus, ce que je désire, c’est que vous soyez l’unique objet de mes affections. Secourez-moi ; sauvez-moi ; et que mon salut consiste à vous aimer toujours et de tout mon coeur, en cette vie et en l’autre.

Marie, ma Mère, aidez-moi afin que j’aime Jésus et priez-le pour moi.

Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).

 

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