Accueil  >  Bibliothèque  >  Préparation à la mort  >  Du nombre des péchés

DIX-HUITIÈME CONSIDÉRATION

Du nombre des péchés

« Parce que la sentence n’est pas promptement portée contre les méchants, les fils des hommes s’abandonnent sans crainte à faire le mal »
(Ecclésiaste 8, 11)

Premier point

Si Dieu punissait les péchés sitôt qu’ils se commettent, certainement on ne l’outragerait pas comme on le fait. Mais parce qu’il ne châtie pas tout de suite et qu’il attend, les pécheurs s’enhardissent à l’offenser davantage. Or, comprenons-le bien, Dieu attend et supporte, mais il n’attend pas et ne supporte pas toujours. D’après un grand nombre de saints Pères, comme saint Basile, saint Jérôme, saint Jean-Chrysostome, saint Augustin et plusieurs autres, de même que Dieu a déterminé pour chaque homme le nombre de jours, le degré de santé ou de talent, qu’il veut lui accorder, selon cette parole de la Sagesse : « Vous avez disposé toutes choses avec mesure et nombre et poids » (Sagesse 11, 21) de même aussi il a déterminé pour chacun le nombre des péchés dont il veut lui accorder le pardon, de telle sorte que, ce nombre une fois atteint, il ne pardonne plus. « Sachons bien une chose, dit saint Augustin, c’est que la patience de Dieu supporte chaque homme, mais à la condition qu’il ne dépassera pas une certaine limite ; dès que celle-ci est atteinte, tout espoir de pardon s’évanouit » (S. Augustin (plutôt Pélage, selon Glorieux, n. 40), De vita christiana, c. 4, PL 40, 1035). Ainsi parle également Eusèbe de Césarée : « Dieu prend patience mais dans une certaine mesure ; après quoi, il abandonne » (Eusèbe de Césarée, Démonstrations évangéliques, liv. 8, c. 2, PG 22, 602). Les autres Pères, nommés plus haut, tiennent tous le même langage.

Et ce n’est pas au hasard, mais appuyés sur les divines Écritures que tous les saints ont parlé de la sorte. Le Seigneur déclare dans un endroit qu’il suspendait la ruine des Amorrhéens parce que le chiffre de leurs péchés n’était pas encore atteint : « Les iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore parvenus à leur comble » (Genèse 15, 16). « Désormais, dit-il autre part, je n’aurai plus de pitié pour la maison d’Israël » (Osée 1, 6). Ailleurs : « Ils m’ont déjà tenté par dix fois, ils ne verront pas la terre promise » (Nombres 14, 22). Job dit pareillement : « Vous avez mis mes offenses en réserve comme dans un sac scellé » (Job 14, 17). Les pécheurs ne comprennent pas leurs péchés ; mais Dieu en tient bonne note, afin de châtier, quand la moisson est mûre, c’est-à-dire quand la mesure est pleine. « Mettez les faucilles dans le blé, car la moisson est mûre » (Joël 3, 13). Dieu dit ailleurs : « Au sujet du péché, même remis, ne sois pas sans crainte et n’ajoute pas péché sur péché » (Ecclésiastique 5, 5) ; c’est-à-dire, tremble, pécheur, même pour les péchés que je t’ai pardonnés ; car, si tu en commets encore un seul, il se peut que ce péché, venant se joindre aux autres déjà remis, comble la mesure ; et alors il n’y aura plus pour toi de miséricorde. Autre part la Sainte Écriture dit encore plus clairement : « Le Seigneur attend patiemment jusqu’à ce que, le jour du jugement étant arrivé, il punisse les nations dans la plénitude de leurs péchés » (2 Maccabées 6, 14). Dieu attend donc, mais seulement jusqu’au jour où la mesure des péchés est comble ; et alors il frappe.

Les saints Livres nous fournissent beaucoup d’exemples de cette sorte de châtiment, et en particulier l’exemple de Saül. La dernière fois qu’il enfreignit les ordres divins, Saül fut abandonné de Dieu, au point qu’ayant prié Samuel d’intercéder pour lui, « Portez, lui avait-il dit, portez, je vous prie, mon péché sur vous et retournez avec moi afin que j’adore le Seigneur », il reçut cette réponse : « Je ne retournerai pas avec vous, car vous avez rejeté la parole du Seigneur, et c’est pourquoi le Seigneur vous a rejeté » (1 Samuel 15, 24-26). Tel encore l’exemple de Balthasar. Pendant qu’il est à table et qu’il y profane les vases du Temple, une main se fait voir qui écrit sur la muraille : Mane-Thecel-Phares. Daniel arrive ; et, expliquant ces paroles, il dit entre autres choses au roi : « Vous avez été pesé dans la balance et vous avez été trouvé trop léger » (Daniel 5, 27). C’était bien lui faire entendre que le poids de ses péchés, avait déjà fait pencher le plateau de la divine justice ; et, de fait, cette nuit-là même on le mit à mort. Dans la même nuit, dit Daniel, fut tué Balthasar, roi de Chaldée. Oh ! Que de malheureux subissent le même sort ! Ils passent de longues années dans le péché ; puis, quand le nombre de leurs iniquités est atteint, la mort les frappe et les précipite en enfer. « Ils passent leur jours dans le bonheur, dit Job, et en un moment ils descendent au fond des enfers » (Job 21, 13). Il en est qui s’appliquent à rechercher le nombre des étoiles, le nombre des anges, le nombre des années que chacun doit passer ici-bas. Mais quelqu’un eut-il jamais la pensée de rechercher combien de péchés Dieu veut pardonner à chaque homme ? Et c’est là un bien grand sujet de crainte. Car qui sait, mon frère, si cette première jouissance indigne, cette première mauvaise pensée à laquelle vous consentiriez, ce premier péché que vous commettez, Dieu ne refusera pas de vous en accorder le pardon ?

Affections et prières

Ah ! Mon Dieu, je vous rends grâce. Que d’âmes se trouvent maintenant en enfer ; et pour elles il n’y aura plus de pardon, plus d’espérance. Et pourtant elles ont moins commis de péchés que moi. Et moi, je vis, je ne gémis pas en enfer, et je puis, si je le veux, obtenir mon pardon et le ciel. Oui, mon Dieu, je veux obtenir mon pardon. Je me repens souverainement de vous avoir offensé, parce que c’est vous, Bonté infinie, que j’ai offensé. « Père éternel, jetez les yeux sur la face de votre Christ » (Psaume 83, 10) ; regardez votre fils, mort pour moi sur cette croix ; et, au nom de ses mérites, faites-moi miséricorde. Je prends l’engagement de mourir plutôt que de vous offenser encore. Après les péchés que j’ai commis et après tant de grâces que vous m’avez accordées, j’ai bien sujet de craindre qu’un nouveau péché, venant s’ajouter aux autres, ne comble la mesure ; et alors je serai damné. Ah ! Prêtez-moi le secours de votre grâce. J’espère de vous lumière et force pour vous être fidèle. Et si vous prévoyez que je doive jamais vous offenser encore, faites-moi mourir, maintenant que j’espère être en état de grâce. Mon Dieu, je vous aime par dessus toutes choses. Plutôt mourir que de retomber dans votre disgrâce. Par pitié, ne le permettez pas.

O Marie, ma Mère, je vous en conjure, aidez-moi, obtenez-moi la sainte persévérance.

Deuxième point

Dieu, dira ce pécheur, est un Dieu de miséricorde. Et qui donc le nie, lui répondrai-je ? Infinie est la miséricorde de Dieu. Cependant combien n’y en a-t-il pas chaque jour qui se damnent ? Le Seigneur m’a envoyé, dit le Messie, « pour guérir ceux qui ont le coeur contrit » (Isaïe 61, 1). Dieu guérit les âmes de bonne volonté et il pardonne leurs péchés ; mais la volonté de pécher, il ne peut la pardonner. Je suis jeune encore, reprend le pécheur. Qu’importe que vous soyez jeune ? Ce ne sont pas les années que Dieu compte, mais les péchés. Or le nombre des péchés n’est pas le même pour tous : à l’un Dieu pardonne cent péchés, à l’autre mille ; celui-ci tombe en enfer dès son second péché ; combien même y ont été précipités après leur premier péché ! Saint Grégoire le Grand (S. Grégoire le Grand, Dialogues, liv. 5, ch. 18, PL 77, 349) rapporte qu’un enfant de cinq ans tomba en enfer au moment où il proférait un blasphème. La très sainte Vierge apprit à la servante de Dieu, Benoîte de Florence (Cf. F. A. Coppenstein, Beati Alani redivivi Rupensis tractatus mirabilis de ortu atque progressu Psalterii Christi et Mariae, p. 5, c. 60, Venise, 1665, p. 432), qu’une petite fille de douze ans avait été condamnée à son premier péché. Un autre enfant de huit ans mourut tout de suite aussi après son premier péché et se damna. Nous lisons dans l’Évangile de saint Matthieu que Notre Seigneur, apercevant pour la première fois le figuier stérile, le maudit aussitôt. « Que jamais, lui dit-il, aucun fruit ne naisse de toi ; et à l’instant même le figuier sécha » (Matthieu 21, 19). Autre part le Seigneur dit : « Damas a commis trois crimes, au quatrième je ne le convertirai plus » (Amos 1, 3). Peut-être quelqu’un aura-t-il la témérité de demander à Dieu raison de sa conduite et pourquoi il veut bien pardonner trois péchés et non pas quatre. Mais il faut adorer en cela les jugements divins et dire avec l’Apôtre : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! » (Romains 11, 33). « Dieu sait, dit saint Augustin, quand il y a lieu de pardonner, et quand il y a lieu de ne pas pardonner. Aux uns il fait miséricorde et c’est par libéralité ; aux autres il la refuse et c’est justice » (S. Augustin, La correction et la grâce, ch. 5, n. 8, PL 44, 920) : « L’homme profite du reproche quand celui qui fait progresser ceux qu’il veut, même sans qu’intervienne le reproche, prend pitié et accorde son secours. Quant à savoir pourquoi les uns sont appelés à se convertir ainsi, d’autres autrement, d’autres autrement encore, de façon diverses et innombrables, à Dieu ne plaise que nous disions qu’il appartient à l’argile d’en juger : c’est au potier de le faire » (BA, t. 24, trad. J. Chéné et J. Pintard, p. 283).

L’obstiné réplique : J’ai déjà tant de fois offensé Dieu et Dieu m’a pardonné ; j’espère donc qu’il me pardonnera bien encore ce nouveau péché. Et moi je dis : Parce que Dieu vous a jusqu’ici épargné devra-t-il toujours en être de même ? La mesure se comblera, et alors viendra le châtiment. Tout en continuant ses relations avec Dalila, Samson espérait néanmoins échapper aux mains des Philistins, comme par le passé. « Je sortirai comme j’ai fait auparavant, pensait-il, et je me dégagerai » (Judith 16, 20). Mais dans une dernière rencontre, il succomba et perdit la vie. Voici en conséquence l’avis que vous donne le Seigneur : Ne dis pas : « J’ai péché ; et que m’est-il arrivé de fâcheux » ? Non : ne dis pas, après tant de péchés que j’ai commis Dieu ne m’a pas châtié ; « car le Très Haut, quoique lent à punir, punit enfin » (Ecclésiastique 5, 4). C’est-à-dire qu’il viendra une fois et qu’il réglera enfin les comptes. Alors plus la miséricorde aura été grande, plus sévère aussi sera le châtiment. « Dieu est plus redoutable, lorsqu’il supporte un obstiné, dit saint Jean Chrysostome, que lorsqu’il se hâte de frapper pour punir aussitôt » (S. Jean Chrysostome, Homélie 3 au peuple d’Antioche, n. 7, PG 49, 58 : « Si vous avez péché et que vous n’ayez pas été puni, ne vous croyez pas à l’abri de tout danger ; mais au contraire, tremblez davantage, sachant bien qu’il est facile à Dieu de se venger quand il le voudra ; s’il ne vous a point puni alors, c’était pour vous donner le temps de la pénitence » (JEA, t. 2, p. 564). « Cet ingrat, remarque saint Grégoire, plus Dieu met de patience à l’attendre, plus il punit ensuite avec rigueur » (S. Grégoire le Grand, Homélie 13, sur les Évangiles, n. 5, PL 76, 1126). « Et souvent, ajoute le saint, ceux que Dieu a supportés durant de longues années, sont subitement enlevés par la mort, sans avoir eu le temps de se convertir et de pleurer leurs péchés » (S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, liv. 15, ch. 43, PL 75, 1105 : « Souvent ceux qui sont tolérés longtemps dans leur iniquité sont emportés par une mort subite sans avoir le loisir de pleurer avant leur mort les péchés qu’ils ont commis » (SC 221, trad. A. Bocognano, p. 85). Vous, en particulier, vous que Dieu a plus favorisé de ses lumières, votre aveuglement et votre obstination dans le péché n’en seraient que plus grands. « Il eût mieux valu pour eux, dit saint Pierre, de ne pas connaître la voie de la justice que de retourner ensuite en arrière après l’avoir connue » (2 Pierre 2, 21). Et saint Paul déclare impossible, moralement impossible, qu’une âme se convertisse. « Il est impossible à ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté le don du ciel, d’être renouvelés par la pénitence s’ils viennent à tomber » (Hébreux 6, 4).

Qu’elle est donc effrayante cette menace de Dieu contre ceux qui ferment l’oreille à ses appels : « Parce que j’ai appelé et que vous avez refusé de m’entendre, moi aussi à votre mort je rirai et je me moquerai » (Proverbes 1, 24) ! Qu’on remarque ces deux mots : moi aussi ; ils signifient que, si le pécheur s’est moqué de Dieu en se confessant, en faisant de belles promesses, puis en continuant de le trahir, Dieu, de son côté, se moquera de lui au moment de la mort. Écoutons cette autre parole : « Comme le chien qui retourne à son vomissement, dit le sage, ainsi est l’imprudent qui réitère sa folie » (Proverbes 26, 11). Ce que Denys le Chartreux explique de la manière suivante : « De même qu’on est saisi d’horreur et de dégoût à la vue d’un animal qui reprend ce qu’il vient de vomir, ainsi Dieu a en horreur celui qui réitère ses péchés après les avoir détestés aux pieds du prêtre » (Denys le Chartreux, Enarrationes in Epist, secundam B. Petri, a. 2, in c. 2, 21, Opera, t. 13, Montreuil-Tournai, 1901, p. 691).

Affections et prières

Me voici à vos pieds, ô mon Dieu. Je suis cet être méprisable qui s’est repu tant de fois du fruit défendu après l’avoir détesté. Je ne mérite pas, ô mon Rédempteur, que vous ayez pitié de moi. Mais le sang que vous avez répandu pour moi m’encourage et m’oblige à espérer. Que de fois je vous ai offensé ! Et vous, que de fois vous m’avez pardonné ! Je vous promettais de ne plus vous offenser, et sans cesse je recommençais à vous offenser. Mais vous, vous ne cessiez pas de me pardonner. Eh quoi ! Veux-je donc attendre qu’enfin vous me jetiez en enfer ? Ou bien, châtiment plus terrible que l’enfer même, veux-je attendre que vous m’abandonniez dans mon péché ? Non, mon Dieu ; je veux me convertir et, pour vous être fidèle, je veux mettre en vous toute ma confiance. Dans mes tentations, je veux à l’instant même et toujours réclamer votre secours. Par le passé, j’ai compté sur mes promesses et sur mes résolutions ; et j’ai négligé, dans les tentations, de me recommander à vous : c’est ce qui m’a perdu. Désormais vous seul serez mon espérance et ma force ; et ainsi je pourrai tout. « Oui, je puis tout en celui qui me fortifie » (Philippiens 4, 13). Accordez-moi donc, ô mon Jésus, je vous en conjure par vos mérites, la grâce de me recommander toujours à vos et de vous demander assistance dans tous mes besoins. Je vous aime, ô souverain Bien, aimable par-dessus tout bien, et je ne veux aimer que vous ; mais c’est à vous de m’assister.

C’est à vous aussi, ô Marie, ma Mère, de me prêter le secours de votre intercession. Mettez-moi au nombre de vos protégés et faites que toujours, quand je serai tenté, je vous appelle à mon aide. O Marie, votre nom sera ma défense.

Troisième point

« Mon fils, as-tu péché ? Ne recommence pas de nouveau ; mais prie pour les fautes anciennes, afin qu’elles te soient remises » (Ecclésiastique 21, 1). Voilà, chrétien, mon frère, l’avertissement que, dans sa bonté, vous donne votre Seigneur, parce qu’il veut nous sauver. Mon fils, vous dit-il, au lieu de recommencer à faire le mal, ne songez plus désormais qu’à mériter le pardon des péchés commis ! Oui, mon frère, plus vous avez offensé Dieu, plus vous devez craindre de l’offenser encore ; car ce nouveau péché fera pencher la balance de la divine justice et vous serez damné ! Je ne dis pas absolument qu’après ce nouveau péché il n’y aura plus de pardon pour vous ; car personne n’en sait rien ; mais je dis qu’il peut en être ainsi. Quand donc vous serez tenté, dites : qui sait si Dieu me pardonnera cette fois encore et si je ne serai pas définitivement damné ? Répondez-moi, je vous prie ; s’il était probable que tel mets fût empoisonné, le prendriez-vous ? Si vous aviez lieu de penser que sur tel chemin vous rencontrerez vos ennemis prêts à vous ôter la vie, y passeriez-vous, alors que vous pouvez en prendre un autre parfaitement sûr ? Or quelle assurance et même quelle probabilité avez-vous d’abord qu’après être retourné au péché, vous en aurez ensuite une vraie douleur et que vous en sortirez une bonne fois ; et de plus, que Dieu ne vous fera pas mourir dans l’acte du péché ou qu’il ne vous abandonnera pas après ce péché ?

Eh quoi ! Lorsque vous achetez une maison, avec quel soins ne prenez-vous pas vos assurances, afin, comme on dit, de ne pas jeter votre argent par la fenêtre. Jamais vous ne prendrez une médecine, sans vous être assuré qu’elle ne peut vous nuire. Que vous ayez à passer un torrent, vous vous tenez bien sur vos gardes afin de n’y pas tomber. Et après cela, pour une misérable satisfaction, pour un vil et honteux plaisir, vous voulez risquer votre salut éternel ? Je vous entends : J’espère me confesser, dites-vous. Mais je vous le demande : quand vous confesserez-vous ? Dimanche. Et qui vous a promis que vous vivrez jusqu’à dimanche ? Demain alors. Et qui vous garantit ce demain ? Vous n’avez pas même une heure à vous, dit saint Augustin (S. Augustin, Sur le Psaume 38, n. 7, PL 36, 419 : « Qu’allez-vous me donner dans l’heure qui s’écoule maintenant ? Quelle partie m’en donnerez-vous pour lui appliquer ce mot : elle est ? Mais, quand vous prononcez ce mot est, il ne renferme qu’une syllabe prononcée en un seul moment, et cette syllabe contient trois lettres ; cependant, dans cette unique émission de voix, vous n’arrivez pas à la seconde lettre que la première ne soit finie, et la troisième n’arrivera pas que la deuxième ne soit passée. Quelle partie de cette syllabe unique me donnez-vous ? Et vous croyez saisir un jour, vous qui ne saisissez pas même une syllabe ? » (Vivès, t. 12, p. 243), et vous prétendez avoir une journée ? Eh quoi ! Vous osez vous promettre de vous confesser demain, vous qui ne savez pas même s’il vous reste une heure à vivre. Celui qui a promis le pardon au pécheur repentant, ajoute saint Augustin (Fusion, semble-t-il, de textes de plusieurs auteurs, surtout S. Augustin, Sur le Psaume 101, sermon 1, n. 10, PL 37, 1301; Sur le Psaume 144, n. 11, PL 37, 1877. S. Grégoire le Grand, Homélie 12 sur les Évangiles, 1. 1, n. 6, PL 76, 1122. S. Jean Chrysostome, Homélie 22 sur la 2ème Épître aux Corinthiens, PG 61, 552), n’a pas promis le lendemain au pécheur qui commet le mal ; peut-être le donnera-t-il, peut-être ne le donnera-t-il pas. Si donc vous péchez maintenant, il se peut que Dieu vous accorde le temps de faire pénitence et il se peut aussi que Dieu vous le refuse. Et s’il vous le refuse, que deviendrez-vous durant toute l’éternité ? Voilà donc que, pour un misérable plaisir, vous allez perdre votre âme et que vous l’exposez à être perdue pendant toute l’éternité ? Or, risqueriez-vous mille écus pour cette vile satisfaction ? Que dis-je ? Pour ce plaisir d’un instant, consentiriez-vous à tout risquer : argent, maison, terres, liberté et jusqu’à votre vie ? Assurément non. Et comment donc pour ce misérable plaisir voulez-vous tout perdre à la fois, votre âme, le ciel et Dieu ? Dites-moi : ciel, enfer, éternité, sont-ce là des vérités que vous enseigne la foi, ou bien autant de fables ? Croyez-vous que, si la mort vous surprend dans le péché, vous êtes à jamais perdu ? Quelle témérité donc, quelle folie de vous condamner vous-même à une éternité de tortures, en vous disant : J’espère bien me convertir un jour ! Personne, dit saint Augustin (S. Augustin (plutôt S. Fulgence de Ruspe, selon Glorieux, n. 40), De fide… ad Petrum, c. 3, n. 40, PL 40, 766. Qu’on nous permette ici quelques réflexions. Certains prédicateurs, en se servant de cette Dix-huitième considération, mais en forçant la signification des textes, on rendu S. Alphonse responsable de leurs idées trop rigides. S. Alphonse n’a pas été l’inventeur du sermon sur le nombre des péchés, qui était de tradition chez les missionnaires populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles, comme on peut le voir dans les oeuvres de P. Segneri, s. j., F. Nepveu, s. j., Pawlowski, s. j., S. Léonard de Port-Maurice, etc. Moraliste réputé et modéré, mais aussi missionnaire de grande expérience, S. Alphonse prêchait d’habitude sur la « mesure des grâces » avant de parler du péché et ensuite proclamait aux pécheurs l’infinie miséricorde de Dieu. Il utilisait en somme une tactique opposée à celle du démon qui avant le péché excite à la confiance dans le pardon et, après, pousse au désespoir. Jamais il n’eut l’intention de construire une théorie qui refuse toute grâce aux pécheurs, passé un certain nombre de fautes ; au contraire, il combattit un tel système. Quelques-unes de ses expressions, isolées, pourraient prêter à de fausses interprétations : elles doivent être examinées dans leur contexte pour ne pas le mettre à tort en opposition avec la doctrine traditionnelle de la saine théologie. (Cf. O. Gregorio, Il calcolo dei dannati, in Divinitas, 2, Rome, 1963, pp. 387-392), ne consent à être malade, même avec l’espoir de guérir. Il ne se trouve pas d’homme assez insensé pour prendre du poison, en disant : peut-être pourrai-je guérir au moyen de remèdes. Et vous, sur un peut-être, vous voulez vous condamner à une mort éternelle. Peut-être, dites-vous, se présentera-t-il une planche de salut. O folie qui a jeté et qui jette encore tant d’âmes en enfer ! Car voici la menace du Seigneur : « Tu as péché en comptant sur ma bonté… un châtiment fondra sur toi, sans que tu en saches l’origine » (Isaïe 47, 10-11).

Affections et prières

Voici, Seigneur, un de ces insensés qui, sur un fol espoir de future conversion, a tant de fois perdu son âme et votre grâce. Si vous m’aviez fait mourir à tel moment et durant ces nuits où je me trouvais dans le péché, que serais-je devenu ? Bénie soit votre miséricorde de m’avoir attendu et de me faire maintenant connaître ma folie ! Vous voulez mon salut, je le vois ; je le veux aussi. Je me repens, ô Bonté infinie, de m’être si souvent éloigné de vous ; je vous aime de tout mon coeur, et par les mérites de votre Passion, j’espère de ne plus retomber dans ma folie. Vite, ô mon Jésus, accordez-moi mon pardon et rendez-moi votre sainte grâce ; je ne veux plus me séparer de vous. « Seigneur, j’ai espéré en vous et je ne serai pas confondu à jamais » (Psaume 30, 2). Non, ô mon Rédempteur, je n’aurai plus, je l’espère, à subir encore le malheur et la honte de me voir privé de votre grâce et de votre amour. Accordez-moi la sainte persévérance et faites que toujours je vous la demande, spécialement quand je serai tenté. Qu’alors surtout j’invoque votre saint nom et celui de votre sainte Mère, en disant : Mon Jésus, aidez-moi ; Marie, ma Mère, venez à mon secours.

Tant que je recourrai ainsi à vous, ô ma Souveraine, jamais je ne serai vaincu ; et si la tentation persiste, obtenez-moi la grâce de persister également à vous invoquer.

Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).

 

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle