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30. Pour quand l’unité ?

Daria Klanac : Un jour, ces religions pourraient-elles s’unir et faire chemin ensemble ?

Arnaud Dumouch : Je voudrais répondre de deux façons. D’abord, ces religions sont extrêmement proches. On sait que les plus grandes haines entre les êtres humains viennent de gens proches. Un savetier est jaloux d’un autre savetier, il n’est pas jaloux du roi. Par contre, un prince du sang peut être jaloux d’un roi. Ces trois grandes religions se sont persécutées mutuellement. Le peuple juif a été le plus persécuté. Depuis 135 après Jésus-Christ, sa déportation est dans toutes les nations, il est en état de faiblesse, mais étant fait d’hommes normaux, avant les 135 ans en question, donc dans l’Antiquité, lui aussi a persécuté. Nous sommes tous des êtres humains. Donc, si ces trois religions se sont persécutées les unes les autres, c’est parce que travaillant sur le même terrain, les mêmes endroits géographiques, elles avaient un message à la fois très proche et très différent. Certains disent que ce sont les mêmes religions. Non, ce ne sont pas les mêmes religions, même si elles adorent le même Dieu. Pour le comprendre, je peux donner une analogie.

Imaginons un homme qui possède une maison immense. Dans cette maison, il y a des serviteurs qui travaillent à la cuisine, humblement, et qui servent à table. Ils aiment leur maître qui est un maître juste, qui les paie bien, mais ils n’osent pas lui parler en le tutoyant. Cela correspondrait à la religion musulmane qui se revendique comme humble servante de Dieu et c’est déjà formidable. Dans cette maison, il y a aussi la vieille mère qui est là, qui habite dans un petit appartement de côté, qui est sourde et aveugle et qui proclame partout : « Mais non, mon fils n’est pas venu, il n’est pas là, il va revenir. » Cela correspondrait au peuple juif qui attend toujours le Messie et qui dit que ce n’est pas Jésus-Christ. Et puis, il y aurait, dans la salle à manger le père, des amis, des enfants et l’épouse. Cela correspond aux diverses formes du christianisme. Les enfants, ce sont en partie les protestants. Ils pensent qu’il ne peut pas y avoir d’égalité, d’amour d’amitié avec Dieu, mais qu’il faut simplement avoir confiance en lui comme de petits enfants parce qu’on est à jamais blessé par le péché originel. Devant ce père si noble qui est à table, les enfants se font tout petits, ils n’osent pas s’approcher. Or, parfois ils le font quand même. Ses amis correspondraient aux catholiques, aux protestants et aux orthodoxes qui vivent de leur foi profondément. Et puis, il y a l’épouse. L’épouse correspond aux disciples que Jésus aimait, qui avaient pris Marie chez elle, c’est-à-dire ceux qui ont le courage d’aller jusqu’à une vie intime, contemplative, passionnée, avec leur Dieu unique. C’est une relation qu’on trouve évidemment chez les religieux, mais aussi chez bien des fidèles laïques. On en retrouve chez les catholiques, chez les orthodoxes. Chez les protestants un peu moins à cause de la théologie de Luther, où la vie monastique est refusée. Cela n’empêche pas qu’il y a des gens mariés qui ont une relation d’intime vie mystique avec Dieu.

D. Klanac : On ne peut donc pas affirmer qu’il s’agit des mêmes religions.

A. Dumouch : Actuellement, et depuis 2000 ans, les serviteurs à la cuisine, les amis et l’épouse dans la salle à manger et la vieille maman dans son grenier ne cessent de se faire la guerre, d’être en concurrence. Ils ne se comprennent pas. Les serviteurs sont scandalisés que des gens osent manger à la table du maître et de lui parler à égalité en le tutoyant et les amis qui sont à table se scandalisent que les serviteurs n’osent pas s’approcher du maître qui est si bon et se refusent à créer avec lui une relation d’amitié. Le bon maître, lui, laisse faire pour le moment. La raison en est qu’il voit une réconciliation bien plus grande. Pour cela, il faudra que toutes ces personnes qui se sont entre-déchirées se soient reconnues faibles et limitées lorsqu’il fera son projet. Est-ce que cette réconciliation pourrait avoir lieu sur Terre ? Tant que les serviteurs sont puissants à la cuisine, tant que les amis sont puissants dans la salle des noces, elle ne peut pas avoir lieu. L’épouse, elle, qui est contemplative, aimerait bien vivre l’unité tout de suite. Actuellement, l’islam est puissant, le christianisme est puissant. Certes, le christianisme a beaucoup souffert de l’apostasie qui a suivi les années 50 et donc a commencé à avoir une attitude plus humble. Cependant, parmi les chrétiens, parmi les amis de Dieu, certains sont très virulents, très sûrs de leurs bons droits par rapport au maître ; ce sont en particulier les évangéliques qui n’ont pas pris cette attitude d’humilité dont l’Église catholique est le modèle.

Il ne faut pas se faire d’illusion : la communion de ces trois religions n’est pas pour maintenant. Seulement, les prophéties annoncent que, vers la fin du monde, toutes les religions et en particulier les deux témoins, l’islam et le christianisme, subiront une persécution terrible de la part d’un dernier antéchrist. Ce n’est pas forcément une persécution sanglante. Cela peut être aussi une lente agonie, une lente disparition des croyants par apostasies successives. On peut dire que, sur cette Terre, un jour, il y aura très peu de chrétiens fidèles. Ce sera dur d’être chrétien parce que l’Église sera ridiculisée partout. De même, il y aura très peu de musulmans. Ce sera dur, dit explicitement Mohamed, d’être musulman, parce que la masse aura apostasié, aura suivi le monde. Les quelques musulmans qui resteront n’auront plus que leurs prières, le dikr, c’est-à-dire l’appel cinq fois par jour qu’ils feront secrètement chez eux, puisque ce ne sera plus public. Je pense qu’avant la fin du monde, quand nos deux religions seront réduites à cet état de petitesse, alors elles se réconcilieront. Il faudra que ce soit une réconciliation de respect mutuel, d’amitié, d’admiration, mais chacun gardant sa foi.

D. Klanac : Que faut-il pour arriver à l’unité ?

A. Dumouch : Pour en arriver à l’unité, évidemment, il faut de l’humilité. On peut l’espérer sur Terre, mais pas avant que l’épreuve n’ait brisé le cœur de ces deux religions. Le peuple juif en a d’ailleurs été le modèle. Le peuple juif, actuellement, est d’une très grande humilité en fait. Il suffit de le comparer à ce qu’il était jusqu’à 135 après Jésus-Christ, quand l’empereur Adrien lui interdit d’habiter dans ses terres. C’est un peuple hyper orgueilleux, très guerrier, très vindicatif, rien à voir avec la démocratie israélienne actuelle qui essaye de répondre en faisant le minimum de dégât. Ils se sont réconciliés profondément avec les chrétiens, et c’est une marque de leur humilité.

Cependant, la vraie réconciliation totale, définitive, viendra au moment du retour du Christ. Elle se réalise déjà à chaque mort individuelle de chaque musulman, de chaque chrétien, de chaque juif. Quand le Messie paraît, personne, ni juif, ni chrétien, ni musulman, n’a envie d’argumenter : « Ah, vous voyez, j’avais la vérité. »

Ce qui paraît en premier lieu quand on voit le Christ, c’est notre propre péché et on tombe à genoux. Le fait que le Christ révèle aux juifs qu’il était le Messie, qu’il révèle aux musulmans qu’il est Dieu et qu’ils sont invités à un amour d’amitié, le fait qu’il dise aux chrétiens que c’est vrai, vous aviez la Sainte-Alliance, mais qu’en avez-vous fait, et bien, ce fait provoque une réconciliation totale. Il n’y a plus qu’un seul troupeau et quand Jésus dit cela, il parle d’une union totale de la charité dans l’humilité. De même, à la fin du monde, quand le Christ reviendra et mettra fin aux générations, le reste des chrétiens, des musulmans, le peuple juif, auront tellement souffert de la persécution de l’antéchrist qu’ils seront au-delà de ces anciennes querelles et l’unité se fera autour de lui sans problème, sa vérité manifestant son mystère.

Il faut annoncer l’Évangile, mais humblement. Il faut cesser de vouloir faire des adeptes à tout prix, il faut l’annoncer avec joie parce que c’est une grande nouvelle. On peut vivre d’un amour d’amitié avec Dieu dans la liberté des enfants de Dieu. Il faut faire comme le dit Vatican II et reconnaître qu’il y a des valeurs très grandes chez les musulmans, en particulier leur sens de certains devoirs religieux extérieurs qui aide à tenir les jeunes dans la religion. Nous, à force d’être libres, nous n’insistons pas assez sur ces quelques devoirs religieux comme la messe du dimanche, comme la confession au moins une fois par année.

Théoriquement, ce qui compte, pour la mentalité d’aujourd’hui, c’est qu’on peut très bien vivre sa foi chrétienne avec le Christ sans ne plus pratiquer les sacrements. Cependant, il faut être réaliste, pour qu’un peuple reste croyant, fidèle à sa religion, il faut des pratiques extérieures et les musulmans les ont. C’est pour cela que leur religion est si stable, si solide, dans le monde actuel. De même, eux peuvent prendre chez nous, chrétiens, ce sens qui est apparu avec Vatican II, celui du respect des autres pensées, qui permet de chercher dans l’autre ce qui est positif plutôt que de manifester d’abord ce qui ne va pas. Cela, c’est nouveau depuis Vatican II. C’est un grand signe des temps, c’est une marque puissante du nouveau chemin où s’est engagée l’Église et qui est un chemin d’humilité.

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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