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1. La notion de Dieu

Daria Klanac : Je voudrais commencer par vous poser une question vieille comme le monde, mais toujours nouvelle pour chacun de nous. Depuis la nuit des temps, l’insaisissable interrogation ne cesse de nous interpeller : qui est Dieu ?

Arnaud Dumouch : Au tout début de la Genèse, il y a un texte précis qui dit ceci : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. »[1] Tant que nous sommes sur Terre, il est impossible de voir Dieu face à face. Personne ne peut dire qui est Dieu s’il ne le voit face à face. Puisque nous sommes sur Terre, une image de Dieu, non faite de main d’homme, a été donnée et cette image c’est l’homme et la femme ensemble, avant le péché originel. Après la rupture, l’homme et la femme sont devenus comme un miroir brisé.

L’image que Dieu a créée avant la chute a été redonnée de manière encore plus forte et plus précise dans le Nouvel homme et la Nouvelle femme ensemble, réunis. Je veux parler de Jésus et Marie (nouvel Adam et nouvelle Ève). Jésus seul est Dieu fait homme, mais l’image de Dieu, ce n’est pas Jésus tout seul. Pour montrer que c’est vraiment le sommet de la révélation, pour mieux comprendre qui est Dieu, il faut regarder Jésus et Marie.

Dieu a toutes les qualités qu’on voit briller dans l’homme Jésus. Cette force, cette intelligence expliquent bien, s’adaptent, disent ce que Dieu veut pour l’homme, qui est amour et lumière, mais ce n’est pas suffisant. Jésus, comme homme dans son humanité, ne révèle qu’un pôle de Dieu. Si on regarde Marie en même temps, on a le pôle complémentaire et inséparable. Marie, elle, révèle l’humilité, la douceur de Dieu. Son silence qui n’est qu’amour maternel.

Donc, si je réponds plus précisément à la question qui est Dieu : c’est l’image de Jésus et Marie (l’homme et la femme) infiniment multipliée par l’infini en beauté, en grandeur, en profondeur. Tout ce qu’il y a de qualités chez l’homme et la femme en force et douceur, en toute puissance, en intériorité.

Tout au début de l’humanité, Dieu s’est révélé à Moïse

D’abord la première révélation que Dieu a faite à Moïse : Dieu est celui qui Est. Il n’a jamais commencé d’exister. Il faut comprendre que ce « pôle masculin », si Dieu le révèle au début de l’humanité alors qu’il n’a pas encore révélé son cœur, c’est parce qu’il est beaucoup plus accessible à des hommes primitifs[2] comme l’était Moïse. C’est un homme de l’âge de bronze avancé, avec une morale qui n’est pas affinée, qui est adaptée à son époque. Un cœur comme celui de Moïse révèle d’abord son pôle masculin.[3] Les dix commandements de Dieu, c’est la partie sublime de la loi de Moïse.

Deuxième révélation : Dieu est l’unique, il n’y en a pas d’autres. Il est unique parce qu’il est infini et qu’il n’y a pas place pour deux infinis en acte dans l’univers. Je pourrais décliner ainsi toutes les qualités de type masculin de Dieu, sa toute-puissance, son efficacité.

Le pôle féminin de Dieu est juste suggéré dans l’Ancien Testament. Dans le Nouveau Testament, il apparaît glorieusement avec la révélation en Jésus Christ. Je dirais que même à cette époque-là Jésus est assez discret. Mais c’est le secret du cœur de Dieu. On peut dire que le pôle féminin au sens propre, son humilité totale, seul le disciple qu’il aimait le comprend en acte au pied de la croix en prenant Marie chez lui. Lui seul va recevoir de Marie la compréhension qu’elle est l’image de Dieu par excellence.

D. Klanac : Cela veut dire que pour comprendre Dieu, on regarde son image dans l’être humain tout entier, l’homme et la femme. Elle n’existe pas sans l’autre. On peut parler du masculin ou du féminin de Dieu, car il est l’un et l’autre.

A. Dumouch : Tout à fait ! La réponse découle de ce que je viens de dire. Dieu est les deux, de façon complémentaire. Si on exclut un des pôles, on ne comprend plus Dieu. Actuellement et depuis mai 1968, l’humanité en Occident a tendance à exalter le côté maternel de Dieu, sa douceur, sa volonté de ne pas forcer la liberté, son écoute, son silence. C’est une qualité de Dieu, mais cette génération a tendance à l’opposer à la toute-puissance de Dieu. C’est le pôle masculin. Dieu est tout-puissant, réellement. Il peut tout faire de ce qui est possible en soi. Dieu ne peut pas faire des choses contradictoires, comme faire en sorte que je sois mort et vivant en même temps. Mais il peut ressusciter un mort. Ce n’est pas contradictoire, c’est juste contraire aux lois habituelles de la nature. Dieu ne peut donc changer son être. Il Est ce qu’il Est avec des qualités précises.

D. Klanac : Est-ce que Dieu est plutôt homme ou plutôt femme ? Est-ce que ses qualités féminines sont plus importantes ou moins importantes que ses qualités masculines ?

A. Dumouch : Une fois que j’ai bien précisé que ce sont les deux, je crois qu’on doit avouer que les qualités les plus essentielles que Dieu a et qu’il révèle sont des qualités qui nous apparaissent féminines. Le secret de Dieu, on le voit pointer le jour de sa mort sur la croix, quand un soldat perce son côté. Jean, le disciple que Jésus aimait, voit sortir de l’eau et du sang. Et il dit : « … mais un des soldats, de sa lance, lui perça le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. »[4] Là est le secret. Or, le sang signifie l’amour de Dieu. C’est le symbole d’une vie qui se donne. L’amour, tel que Dieu le révèle, est capable d’aimer jusqu’aux ennemis dans le silence, capable à la croix, alors que des gens passent pour se moquer de lui, de ne pas réagir pour les sanctionner, capable de laisser faire pour prouver jusqu’à quel point il les aime. Capable de les accueillir à l’heure de la mort dans l’autre monde ou plutôt à l’heure de la mort entre ce monde et l’autre, et de leur proposer le salut. C’est cela une qualité maternelle. L’eau qui sort du cœur du Christ, ce n’est pas l’humilité, le terme n’est pas exact. C’est plus que de l’humilité.

Si Jésus était Dieu, il serait resté au ciel, nous disent les musulmans. Il serait à sa place en haut et nous, humbles serviteurs comme les musulmans, nous serions prosternés devant lui, reconnaissant sa grandeur et l’aimant comme notre maître. Seulement Jésus, un jour, alors qu’il allait mourir le lendemain, prends un linge et il se met à laver les pieds de ses disciples. L’apôtre Pierre, qui a sur le coup l’attitude d’un musulman, qui reconnaît l’honneur de Dieu, dit à Jésus : « Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! »[5] et Jésus lui répond : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. » Alors, Pierre, qui est de bonne volonté, qui est droit, dit : « Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » et Jésus lui dit : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné. »[6] Il fait référence à tout ce qu’il avait dit dans le reste de sa prédication. Le plus grand sera le plus petit.

Le nom exact de cette qualité qui consiste à s’abaisser au-dessous de sa condition, quand le Tout-puissant s’abaisse au-dessous des misérables créatures pécheresses que nous sommes jusqu’à nous laver les pieds, le terme exact est un terme grec : la kénose.

D. Klanac : Dieu est-il d’abord père ou mère ?

A. Dumouch : Je dirais que pour les hommes sur Terre où la puissance est si importante, il aurait raison de se présenter comme le père. S’il s’était présenté comme la mère à l’époque de Moïse, il est probable que les gens se seraient moqués de lui en le qualifiant de manquer de force, de manquer de virilité. À cette époque, Dieu donne de lui une représentation provisoire. Il révèle sa puissance à l’homme dur. Par contre, il révèle tout son amour à la Vierge Marie parce qu’elle peut le recevoir. Le secret de Dieu tel qu’il nous sera révélé à l’heure de la mort, quand Jésus apparaîtra, consiste dans ses qualités premières essentielles à ses yeux, celles qui vont mesurer notre entrée au paradis : les deux qualités maternelles qui sont Amour et Kénose (abaissement total de soi), et dont la Vierge Marie est le modèle dans le silence volontaire qui est une soumission libre à son amoureux, Dieu. Lui-même au Ciel aime Marie et se soumet entièrement à elle par amour. Rien à voir avec la soumission de l’esclave.

Jésus explique ce que sont l’amour et la kénose en les vivant à la croix. Marie les vit aussi en union totale avec lui de la manière féminine, ce qui veut dire, dans le silence qui ne dit rien, mais qui est présent. Avec ce cœur douloureux, elle meurt à la croix et en mourant, elle met au monde l’Église.

 

1. Gn 1,27. [↩]

2. Nul ne peut nier qu’asséner un coup de marteau sur la tête de son contradicteur, comme on le voit au début de la Genèse, après le péché originel, est moins civilisé que l’attitude de Jésus… [↩]

3. Il s’agit bien sûr de la culture de cette époque. [↩]

4. Jn 19,34. [↩]

5. Jn 13,8. [↩]

6. Jn 13,12-14. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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