Quelle que soit la traduction du verset 18 : Et je (Jean) me tins sur la grève de la mer, ou : Et il (le dragon) se tint
sur le sable de la mer, ce verset indique une transition. Les protagonistes de
la lutte ont été dévoilés :
- la colombe en tous ceux
qui construisent, engendrent, le corps du Christ depuis Marie, la Femme et la
Mère, jusqu'au dernier de ceux qui,
entendant la parole de Dieu et la mettant en pratique, sont les frères et la
mère du Christ (Lc 8,21).
- le Serpent et tous ceux
qu’il entraîne à sa suite, avec ses anges, jusqu'au dernier de ceux qui, refusant la Parole de Dieu, et se jugeant
eux-mêmes indignes de la vie éternelle (Ac 13,46), combattent, consciemment ou
inconsciemment, la construction du Corps du Christ.
Le Dragon ne s'attaque pas à Dieu, c'est une impossibilité. Tu crois que Dieu est un ? Tu fais bien. Les
démons le croient, eux aussi, et ils tremblent (Jc 2,19). La distance entre Dieu et
l'ange est "abyssale". Il ne peut s'attaquer qu'à des créatures, non
au Créateur. Après le combat des anges, dont Michaël sort vainqueur, la lutte
se poursuit "sur la terre". L'attaqué n'est pas Dieu en sa nature
divine, mais Dieu qui, prenant la nature humaine, se rend semblable aux hommes, vulnérable. L'Apocalypse est "Révélation
de Jésus-Christ", non "Révélation de Dieu" !
De nouveau il faut voir Jésus-Christ dans la plénitude de son corps.
Le dragon va guerroyer contre le reste des enfants de la Femme. Jésus est le
Premier-né. L'histoire montre les "chrétiens" plus attaqués que les
"croyants". Posséder, garder le témoignage de Jésus, accepter le
dessein de Dieu sur le monde et sur les hommes, peut conduire au témoignage
suprême, au martyre !
Depuis la chute originelle, le serpent, ayant remporté la première
manche, continue à vouloir "abrutir" l'homme en mettant
l'intelligence non plus au service de l'amour mais au service de la science et
de la technique. Il essaye d’en faire un "terrestre".
Le diviseur, est venu semer la division :
- entre l'homme et
Dieu : J’ai entendu ton pas dans le
jardin, j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché (Gn
3,10),
- entre l'homme et la
femme : Ta convoitise te poussera
vers ton mari et lui dominera sur toi (Gn 3,16),
- entre l'homme et la
création : Si la création fut
assujettie à la vanité, c’est à cause de celui qui l’y a soumise (Rm
8,18-22),
- entre le vouloir et le faire de l'homme : assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du Péché (Rm 7,25).
Il est toujours l'ennemi semant de l'ivraie dans le champ du monde.
Ivraie que le Maître laissera grandir, avec le bon grain, jusqu'au moment de la
moisson (cf Mt 13,25ss).
L'homme est au centre de la lutte. Le but de l’ennemi : la
destruction de l'alliance entre Dieu et l'homme. Alliance réalisée par
l'Incarnation créatrice. Alliance que le serpent essayera, en vain, de briser
par les tentations au désert puis à Gethsemani, où l’heure est venue de sa déroute. La mystérieuse Incarnation
créatrice devenant, à cette heure, la mystérieuse Incarnation rédemptrice.
L'homme va donc voir sa liberté sollicitée par des
"esprits" que Saint Bernard a classés de la manière suivante :
- L'Esprit-Saint. Il planait sur les eaux de la création, il demeure
le Paraclet promis par le Seigneur, le principe d'engendre-ment du corps du
Christ.
- L'esprit angélique. Le Seigneur leur a confié la mission d’assurer
près des hommes une présence fraternelle.
- L'esprit diabolique. Il rôde
comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer (1 P 5,8), avec ses deux
satellites :
- l'esprit du monde
- et l'esprit de la chair.
Esprit du monde et esprit de la chair ne sont-ils pas les noms des
deux bêtes qui surgissent l'une de la mer et l'autre de la terre ?
La bête de la Mer : 13,1-11
Alors je vis surgir de la mer une bête portant sept têtes et dix
cornes, sur ses cornes dix diadèmes.
La MER : "serait le symbole de la création qui se prendrait ou serait prise pour le créateur" (Dic. symb.). Elle n'existera plus dans le monde nouveau (21,1).
Cette bête, surgissant de la mer, sort de l'intérieur de la
création, se regarde comme maîtresse de l'évolution créatrice.
Ce qui la caractérise : ce n'est pas la puissance au service de
l'intelligence, mais, au contraire, la puissance dominant l’intelligence. Comme
le dragon, elle a sept têtes et dix cornes. Ici ce sont les cornes qui sont
couronnées de diadèmes et non les têtes. Sur ses têtes, des titres blasphématoires.
L'intelligence est prise comme seule norme de la réalité, elle n’est plus le
moyen de lire à l'intérieur de la création pour en découvrir la source. Le
grand blasphème n'est-il pas celui de la création prenant la place du créateur,
échanger la vérité de Dieu contre le
mensonge, adorer et servir la créature au lieu du créateur (Rm 1,25). Ce n'est pas Dieu qui a
créé l'homme mais l'homme qui crée Dieu !
Cette bête, avec toute sa pesanteur et son semblant de royauté
(panthère, ours et lion) a reçu la puissance et le trône du dragon.
Pour qui met l'intelligence au service de la puissance, l'amour
n'est rien. Si l'Agneau est celui dont le cœur a été blessé, la bête, elle, a
une blessure de la tête. Blessure guérie : Résurrection de l'intelligence de
l'homme qui, passant d'un système philosophique à un autre, essaye de conduire
et de sauver l'homme par l'homme.
Manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal,
c'est donner à l'intelligence de l'homme le pouvoir de dire le bien et le mal.
C'est être soi-même la norme du salut.
La bête de la mer reçoit le pouvoir -du dragon ou de
Dieu qui laisse sa créature dans la lutte ?- d'agir durant quarante deux mois,
le temps global de l'épreuve. Temps durant lequel la bête peut vaincre les
saints ! Les terrestres adoreront la bête. Pour eux, c'est bien l'intelligence
qui conduit et sauve l'homme. Ils ne parlent plus d'amour. Ils le dénaturent.
D’oblatif : chercher, en toute vérité, l’avantage de l’autre, il est devenu
captatif : chercher, en tout mensonge, son avantage dans l’autre !
. Seuls
ceux :
- qui mettront leur confiance en l'Agneau égorgé,
- qui ne perdront pas de vue que seul l'Amour est vainqueur,
- qui, se sachant envoyés
comme des brebis au milieu des loups... tiendront jusqu'à la fin, même s'il
faut
être enchaînés ou périr par le glaive,
seuls ces "saints" dont les noms sont écrits dans le livre de vie
de l'Agneau égorgé seront sauvés (car sauveurs !) à cause de leur
confiance et de leur endurance.
La bête de la terre : 13,11-17
Je vis ensuite surgir de la terre une autre bête, portant deux cornes comme un
agneau (en grec arnion - cf supra) mais parlant comme un dragon.
Elle se présente sous un aspect de faiblesse, vêtue en brebis mais
au-dedans loup rapace. Montant de la terre, elle n'est plus création
extérieure à l'homme, mais, cheval de Troie du Satan, elle s'infiltre dans le
conditionnement humain.
Téléguidée par la bête de la mer, elle conduit les hommes à adorer la première bête dont la plaie mortelle fut guérie. Par ses prodiges étonnants, elle usurpe le pouvoir de Dieu jusqu’à faire descendre aux yeux de tous le feu du ciel sur la terre. Merveilles de la technique qui évacue même l'idée de l'existence de Dieu. Si le Christ lui aussi a fait des prodiges (et il le fallait comme signe de sa mission), il voulait pourtant que cela reste caché. De faux messies et de faux prophètes se lèveront et produiront des signes formidables et des prodiges, au point d'égarer, s'il était possible, même les élus (Mt 24,24). Le miracle séducteur risque de détruire la liberté de l'homme emporté par la magie du merveilleux. L'Esprit le dit expressément : dans les derniers temps (et nous y sommes Hb 1,2) certains renieront la foi, s'attacheront à des esprits séducteurs et à des doctrines inspirées par les démons, égarés par l'hypocrisie des menteurs marqués par le fer rouge dans leur conscience" (1 Tm 4,1-2).
Ces deux bêtes, au service du Dragon, agissent au cœur du monde pour
le pervertir et l'asservir.
La perversion de l'intelligence conduit l'homme à idolâtrer son
travail, à se prosterner devant l'œuvre
de ses mains, devant ce qu'ont fabriqué ses doigts (Is 2,9) !
L'exaltation de l'intelligence engendre l'orgueil.
L’exaltation de la puissance engendre la tyrannie.
Le chiffre de la bête : 13,18
"C'est ici qu'il faut de la finesse !... le chiffre de la bête,
c'est un chiffre d'homme : son chiffre c'est 666.
Chiffre de la Bête, chiffre d'homme. La Bête veut faire croire à
l'homme que le salut vient de lui et le détacher de l'Esprit de Dieu. Il veut
surtout détruire en lui la filiation divine, donnée "par Jésus-Christ,
avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ".
Le chiffre "6" c'est la perfection non atteinte.
Trois fois le chiffre "6" c'est :
- l'anti-trinité. La
rupture avec l'image de Dieu,
- le refus du
dépassement par l'adoration-contemplation,
- le refus de la
transcendance dans le repli sur soi.
Tous les calculs que l'on peut faire pour découvrir une personne
particulière sous ce chiffre de 666 (ou de 6.6.6) ne seront que l'illustration
de ce repli de l'homme s'exaltant en sa liberté comme seule source de sa
"VIE"... en oubliant qu'il n'est pas la source de son
"ETRE".*
* "Il est très important de comprendre une distinction qui nous est donnée dans le Prologue de Jean... Dieu crée des êtres et communique la vie... Distinguer entre le Créateur et le Père... Nous sommes dépendants de Dieu dans notre être et c'est une dépendance qui échappe à notre conscience... mais notre vie implique une autonomie, précisément parce que la dépendance à l'égard du Créateur est au niveau de l'être et non de la vie. Dieu est capable de créer des êtres vivants, parce qu'il est capable de communiquer la vie. Il crée des esprits qui sont libres. S'il n'y avait pas l'autonomie de la vie, il n'y aurait pas de liberté... Dieu crée tous les êtres, il communique la vie à des êtres plus parfaits, et, au sommet de la vie, il y a l'esprit, la lumière. Tout FUT par Lui (être) et sans lui rien ne fut. De tout être il était la VIE (la source de la vie) et la vie était la LUMIERE des hommes (esprit, siège de la liberté)". Père M.D. Philippe. "Suivre l'Agneau" pp. 110-114.