LES CREATURES EN LUTTE ENTRE ELLES
"POUR LA GLOIRE DE DIEU"
"As-tu remarqué mon
serviteur Job ?
Il n’a point son pareil sur
terre :
un homme intègre et droit
qui craint Dieu et se garde du mal.
Il persévère dans son
intégrité
et c'est en vain que tu m'as
excité contre lui pour le perdre".
Et le Satan de répliquer :
"Peau après peau ! Tout ce que l’homme possède,
il l’abandonne pour sauver
sa vie !
Mais étends la main, touche
à ses os et à sa chair,
je te jure qu’il te maudira
en face !".
Jb
2,3-6
LES ACTEURS DE LA LUTTE : 12-15
Avec le chapitre 12, nous pénétrons jusqu'à la racine même du
dessein d'amour du créateur. L'alliance d'amour va se faire en cette arche
apparue dans le temple. Là où elle se noue entre Dieu et sa créature libre,
dans un immense respect de Dieu pour son œuvre.
La femme, l'enfant et le dragon 12,1-7
Un premier
signe grandiose apparut au ciel, c'est une FEMME, une reine,
enceinte
et en travail d'enfantement. Elle est vue dans le mystère de sa
fécondité, toute relative à l'enfant qu'elle porte.
Qui est cet enfant ?
On ne nous dit pas de qui la femme est enceinte. Nous savons
seulement que la vision se passe "au ciel". Il s'agit donc d'une
maternité qui se vit dans l'amour, elle est "éternelle". C'est un
enfantement qui dépasse temps et lieu, même s'il se concrétise en un temps et
un lieu déterminé.
C'est l’enfantement de celui qui doit mener toutes les nations
avec un sceptre de fer. Il s'agit donc de
Jésus, Christ et Messie.
Celui qui, plus encore que le Sauveur, est "Le Salut" et dont la
royauté ne pourra être brisée. Il est l'unique,
la pierre que, vous, les bâtisseurs aviez mise au rebut et qui est
devenue la pierre angulaire. Il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui, car il
n'y a sous le ciel aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à
notre salut (Ac 4,11-12).
C'est un
enfant mâle. La précision n'est pas sans importance. C'est lui
l'Agneau dont on devra célébrer, dans le temps comme dans l'éternité, le repas
de noces. Il ne vient pas seulement pour mener les nations, avec un pouvoir
irrésistible, il vient pour épouser l'humanité. Elle n’existe que par Lui, elle
est son corps.
Le premier signe est signe de l’amour de Dieu. Cette œuvre, la
création, ne pourra se faire qu’à l’intérieur de Dieu lui-même. Rien n’existe
en dehors de Lui. Il est partout ! En cet enfant, premier-né de toute créature,
tout peut être créé. Le Verbe, tout fut
par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui (Jn 1,3) : Il n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu...
mais il s’est dépouillé, devenant semblable aux hommes et, par son aspect, il
était reconnu comme un homme (Ph 2,5ss). C’est ce
que l’on peut appeler : la "Kénose créatrice".*
"C’est ‘l’anéantissement’ du Verbe éternel en son Incarnation.
Nous pensons que la création, qui est une œuvre trinitaire ‘dans le Christ’
implique déjà une certaine kénose du Verbe" (Frédéric Marlière "Aime
et fais ce que tu veux" Ed. Anne Sigier).
Dans le ciel, c’est l’homme (masculin/féminin) qui a été fait
semblable à Lui : fils dans le Fils.
L’Enfant
mâle, établit avec l’humanité -tous les hommes et chacun d’eux- une alliance
dont la conjugalité humaine est le signe, comme le dit Paul aux
Ephésiens : "Maris, aimez vos
femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s'est livré pour elle... ne
sommes-nous pas les membres de son corps ?..." Ce mystère (l'alliance
de l'homme et de la femme dans le mariage)
est grand : je déclare qu'il concerne le Christ et l’Eglise (Ep
5,21-33). L’Eglise, c’est l’humanité tout entière, langue,
race, peuple et nation.
Le réalisme de l'Incarnation, réalisation du dessein d'amour de Dieu
sur sa création, n'exige-t-il pas que l'Agneau-époux soit un "mâle",
celui qui "féconde" ?
Vous tous qui avez été baptisés
en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni juif, ni grec ; il
n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme
car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ (Ga 3,27-28). Dans le ciel, l’unité en Christ se fera sous le signe de la
communion, un seul corps, une seule tête : le Christ. Dans le monde
présent, cette unité se fait sous le signe de la conjugalité : une seule
épouse : l’Eglise appelée à rassembler toute l’humanité, un seul
époux : le Christ.
Cet enfant,
dès qu'il fut mis au monde, fut enlevé
jusqu'auprès de Dieu et de son trône. Il ne s'agit pas de l'Ascension
du Christ, allant s'asseoir à la droite du Père, mais d’une réalité plus
profonde. Dans le combat dont toute l'Apocalypse nous parle, l'enfant, devenu
par la femme qui l'enfante "fils de l'homme" mais restant, par l'Esprit-Saint qui vient sur elle et la
puissance du Très Haut qui la couvre de son ombre (cf Lc 1,35) "fils de Dieu",
est vainqueur dès sa conception, c’est-à-dire de toute éternité.
L'Incarnation est, en elle-même, la victoire de l'Amour contre
lequel le dragon est impuissant. Il n’arrivera jamais à détruire ce que Dieu a
uni :
- l’humanité et la
divinité en l’Homme-Dieu : le Christ = Incarnation.
- la divinité et la
création devenue Corps mystique du Christ = Rédemption.
Un second signe apparut au ciel, au-delà du terrestre et du
temporel, un énorme dragon rouge-feu avec sept têtes et dix cornes.
Plénitude de l'intelligence et sommet de la puissance dans un déséquilibre qui
ne présume rien de bon ! La puissance (dix cornes) n'est pas guidée par
l'intelligence (sept têtes). Quoique
chaque tête
soit surmontée d'un diadème,
il n'y a aucune unité, chacune semble être autonome. Cet énorme dragon,
écartelé entre son intelligence et sa puissance -ou sa volonté de puissance- ne
pourra être qu'un "manipulateur", un diviseur, un..._dia-boloV.
La femme :
Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses
pieds et douze étoiles couronnent sa tête. Elle baigne entièrement dans
la lumière du Christ qui la recouvre complètement. Le Christ, son
visage
est comme le soleil qui brille de tout son éclat (1,16),
Lumière du monde en qui il n'est pas de ténèbres (cf Jn
8,12).
Cette femme est, dès le début, enveloppée de cette Lumière des
hommes par qui tout fut et sans qui rien
ne fut, cette Lumière en qui est la Vie. La vraie lumière qui, au ciel,
illumine la femme et, en venant dans le
monde, illumine tout homme.
Cette femme n’a aucun rayonnement propre, elle n’est visible que
dans et par la lumière du Christ. Elle n'est pas une "déesse" ! La
lune sous les pieds, cet astre "mort" qui ne reprend vie que par
l'illumination du soleil qui la fait briller dans la nuit et lui donne tout son
éclat. Une seule tête avec une couronne de douze étoiles, signe de royauté sur
le monde ou signe de prééminence dans la création comme dans l’Eglise
(cf les 24 vieillards en 4,4).
Elle va enfanter, dans la douleur, Celui sans lequel elle ne serait
pas !
Nouvelle "Apocalypse de Jésus-Christ", nouvelle vision du
mystère de l'Incarnation dont nous avons déjà eu un aspect avec les quatre vivants
ou le "Vivant quatre" (4,6). La femme enfante celui qui l'enfante ! Elle met au
monde le Créateur du monde dont, comme toute créature, elle fait partie.
Elle ne serait rien, elle ne serait pas -il faut le tenir avec
force- si elle n'était tout entière enveloppée du Christ, la Lumière qui vient
dans le monde, la Lumière qui fait le monde.
Comme souvent en Jean, il faut lire les signes à plusieurs niveaux.
Puisque cette femme est toute relative à l'enfant qu'elle porte et qu'elle va
mettre au monde et que cet enfant est le Christ lui-même, la question paraît
simple :
Qui enfante le Christ ?
A cette question simple, les simples, les tout-petits, ceux à qui
est donnée la révélation, répondent : la Vierge Marie.
A question simple, réponse simple ???... Jean nous a habitués à
recevoir les choses simples simplement. Il nous invite aussi à pénétrer plus
avant dans le mystère du Dieu de notre salut.
A la question : "qui enfante le Christ"? il est
nécessaire d'apporter une réponse plus profonde : au sens théologique du
terme, seul le Père, source de toute "action trinitaire", engendre
le Christ. Dieu, en la période finale où
nous sommes, nous a parlé à nous en
un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes
(Hb 1,2). Et
encore : en entrant dans le monde le
Christ dit : de sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu, mais tu m’as
façonné un corps... alors j’ai dit : je suis venu, ô Dieu, pour faire ta
volonté (Hb 10 5-7). Le Père crée par le Fils, tout
fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui (Jn 1,3). Il engendre le corps du
Christ -mystère de l’Incarnation- par l’Esprit Saint. Double conception :
dans l’éternel aujourd’hui de Dieu, et,
en
ces temps qui sont les derniers, dans l’histoire de l’homme. C’est par la femme que l’Esprit Saint
réalise ce second "engendrement".
L’ange lui répondit : l’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te
couvrira de son ombre (Lc 1,35) de telle sorte que
ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint (Mt
1,20). C’est par Lui
que la femme a conçu, conçoit et continue de concevoir. Elle est toujours en
travail d’enfantement dans la douleur comme dans la joie.*
Cette femme est, en premier lieu, celle qui, à Lourdes,
affirme : "Je suis l'Immaculée Conception" (et non "je suis
immaculée dès ma conception"). Affirmation si surprenante que le curé de
Lourdes pense que Bernadette a mal entendu.
L'Esprit-Saint, au sens courant du terme, engendre, fait naître,
l'enfant mâle, le Christ, qui doit mener les nations jusqu'au Royaume du Père
avec un sceptre de fer.
L'Esprit-Saint, qui a parlé par les prophètes, n'a qu'une seule
'ambition' : former le corps du Christ
jusqu'à ce que soit au complet le nombre de
ceux qui doivent être mis à mort et que tous "aient lavé leurs robes et les
aient blanchies dans le sang de l'Agneau" (6,11 ;
7,14). Il est celui
qui, à l'œuvre avec le Père et planant
sur les eaux (Gn 1,2), forme le premier corps du Christ : le cosmos.
"Volontairement contenu dans un point de l'espace et du temps, simultanément le Christ les contient, et par là les métamorphose... Existence personnelle absolue, le Christ, durant son incarnation, non seulement se laisse contenir par l'univers en un point de l'espace et du temps, mais contient en réalité l'univers" (O. Clement : "le Christ, terre des vivants" pp. 73.121).
L'Apocalypse, révélation de Jésus-Christ, ne s'arrête pas au Christ
en tant qu'individu. Les lettres aux Eglises nous ont montré le Christ
inséparable de son Eglise à qui il s'unit comme l'époux à l'épouse, ne faisant
plus avec elle qu'un seul corps.
L'Esprit-Saint "engendre" le corps du Christ, depuis la
création du monde jusqu'à la Parousie, en des étapes dont la plus centrale est
la vie terrestre de Jésus, de l'Incarnation à la Rédemption, où se vit un double
enfantement, l'un dans la joie de Noël à Bethléem, l'autre dans la douleur du
Vendredi-Saint au Golgotha. Là, la Femme reçoit du Christ, au moment où
tout étant achevé, il remet l'Esprit,
une nouvelle dimension maternelle vis-à-vis de son corps qui est l’Eglise.
L'Esprit-Saint va donc continuer cette œuvre d'amour du Père, comme
nous l'avons vu avec les deux témoins (11,3ss) Souffle, colombe, il se donne à travers les
4 manifestations dont nous parlent l'Evangile de Jean et les Actes des apôtres.
- Pentecôte apostolique :
...Ayant ainsi parlé il souffla sur eux et leur dit : "Recevez
l'Esprit-Saint ; ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront
remis..." (Jn 20,21-23). L'Esprit-Saint va construire le corps du Christ à
travers la visibilité ministérielle de son Eglise, de ceux qui, dans la main du
Christ, sont
les sept étoiles ; les Anges des Eglises
(1,20).
- Pentecôte des disciples :
...Ils furent tous (le groupe d'environ cent vingt personnes dont Marie la
mère de Jésus) remplis d'Esprit-Saint et
se mirent à parler d'autres langues comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer
(Ac 2,1-4).
- Pentecôte de la première communauté chrétienne issue du judaïsme : A la fin de leur prière, le local où ils se
trouvaient réunis fut ébranlé ; il furent tous remplis du Saint-Esprit et
disaient avec assurance la parole de Dieu (Ac 4,31).
- Pentecôte universelle :
Pierre exposait encore ces événements quand l'Esprit-Saint tomba sur tous ceux
qui avaient écouté la Parole... ainsi, jusque sur les nations païennes, le don
de l'Esprit-Saint était maintenant répandu... (Ac 10,44).
L'Esprit-Saint poursuit l'œuvre d'amour du Père :
mener les temps à leur accomplissement et
réunir l'univers entier sous un seul chef (une seule tête) le Christ
(Ep 1,10). Atteindre le
sommet de la conjugalité : la communion. Ils ne sont plus deux mais un
seul corps, une seule chair !
Si Marie est celle par laquelle est engendré le Christ dans sa
visibilité charnelle, si elle peut, et doit, être appelée "Mère de
Dieu", elle est aussi "Mère de l’Eglise". Mère pauvre, Marie,
toute comblée de grâce, ne retient rien pour elle. Elle est toujours la Femme
de Cana, qui redit sans cesse : "Faites
tout ce qu'il vous dira".
L'Esprit continue cette œuvre d'amour du Père dans et par :
- ceux qui entendant l'ordre du Seigneur, partent faire
de toutes les nations des disciples, les
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder
tout ce qu’Il leur a prescrit
(Mt
28,19-20).
- ceux dont le témoin fidèle, le Premier né d'entre les morts, le
Prince des rois de la terre a fait une royauté de prêtres pour son Dieu et Père
(1,5-6) et qui vivent
en plénitude leur sacerdoce ministériel ou baptismal, grâce à l'Esprit-Saint
reçu à la confirmation.
- ceux qui ayant pris le petit livre ouvert dans la main de l'Ange
debout sur la mer et sur la terre et l'ayant avalé, sont partis prophétiser
contre une foule de peuples, de nations, de langues et de rois
(10,8-11).
- ceux qui continuent, comme Paul, et peuvent, comme lui,
dire : "quand vous auriez dix
mille pédagogues en Christ, vous n'avez pas plusieurs pères. C'est moi qui, par
l'Evangile, vous ai engendrés en Jésus-Christ" (1 Co 4,14-15).
C'est l’Eglise qui, ayant
reçu une puissance, celle du Saint-Esprit
(Paraclet envoyé du Père par le Fils) pour
être (ses) témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux
extrémités de la terre, est
la Femme qui enfante dans la douleur celui
qui doit mener les nations avec un sceptre de fer, signe de son
indestructibilité. Enfantement qui prendra fin à la Parousie, quand il remettra la royauté à Dieu le
Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité, toute puissance, et
le dernier ennemi qui sera détruit, c'est la mort (1 Co 15,24-26).
Et s'il nous faut gémir et nous lamenter tandis que le monde se réjouit, notre affliction tournera en joie car, lorsque la femme enfante, elle est dans l'affliction puisque son heure est venue, mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant... elle est toute à la joie d'avoir mis un homme au monde (Jn 16,20). Aussi, avec Paul, nous mettons notre orgueil dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l'espérance, et l'espérance ne trompe pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (Rm 5,3-5).
La femme, l’Eglise,
s'enfuit au désert où Dieu lui a ménagé un
refuge pour qu'elle y soit nourrie mille deux cent soixante jours,
quotidiennement. La victoire du Christ,
conduit
par l'Esprit au désert pour être tenté par le diable, devient le pain
quotidien donné jusqu'à la fin de la lutte, 3 ans et demi ou 42 mois, à
condition de rester au "désert", lieu où l'homme rencontre Dieu,
1 260 jours dans la prière et l'adoration.
L’Eglise ne trouve-t-elle pas aussi, comme Tobie, sa force dans
l'épreuve : j'ai été envoyé pour éprouver
ta foi, et Dieu m'envoya en même temps pour te guérir (Tb 12,14).*
Le Dragon :
Dans le ciel le signe premier,
grandiose, est une Femme. En même temps qu'elle, un second signe apparaît. Un
énorme dragon rouge-feu : sept têtes et dix cornes nous en disent le
déséquilibre.
Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la
terre. Il méprise l'œuvre créatrice et la matière.
Il désorganise les étoiles qui chantent la gloire de Dieu.
Ces deux personnages sont dans une relation de lutte. Le dragon, en
position d'attaquant, comme un chasseur
en arrêt guettant sa proie,
s’apprête
à dévorer l’enfant sitôt né. L'enfant, objet de la lutte, est mis dès
sa naissance hors de sa portée, tandis que
la femme, conduite par Dieu
au
désert y sera nourrie, quotidiennement, durant tout le temps de la
lutte, jusqu’à la victoire finale. Le dragon ne peut rien contre l’enfant, fils bien-aimé en qui le Père a mis tout
son amour.
Alors... Il ne s'agit pas d'une succession dans le temps, plutôt d'un
approfondissement pour nous dire d'où vient ce dragon. Il ne s'agit plus d'un
combat entre lui et la femme mais d'une bataille engagée dans le ciel
entre
Michel (dont le nom signifie 'qui est comme Dieu')
et ses Anges et le Dragon appuyé
par ses Anges. Bataille "angélique" ! Ce dragon, ange
lui-même, la tradition depuis le Moyen Age l’appelle 'Lucifer' (le porte
lumière). Lucifer, nom romain de l'astre du matin dont la chute étonne
Isaïe : Comment es-tu tombé du ciel,
astre du matin, fils de
l'aurore ? As-tu été jeté à terre, vainqueur des nations (Is 14,12)
?
Faut-il s’étonner si Pierre attribue ce même nom au Christ ? :
Regardez (la parole prophétique) comme une
lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre
et que
l'astre du matin se lève dans
vos cœurs (2 P 1,19).
La Lutte : 12,7-18
Si la bataille s'engage entre deux groupes d'anges, son enjeu est
bien, au delà de la femme, l'enfant mâle qu'elle met au monde. Plus
profondément, cette bataille n’est pas engagée contre Dieu, elle serait perdue
d'avance, mais contre la création, le grand dessein de son amour.
Pourquoi le dragon est-il chassé du ciel, jeté sur la
terre
et ses anges avec lui ? Quelle est sa faute ?
L’Orgueil, dont le principe
est d'abandonner le Seigneur et de tenir son cœur éloigné du Créateur... (Si 10,7ss), c’est l’exaltation de soi face à une faible
créature, la Femme, que l'amour de Dieu élève au-dessus de lui.
"C'est pour être Mère de Dieu qu'elle fut créée par Dieu,
façonnée pour ainsi dire par le Saint-Esprit comme une nouvelle créature"
(H.M.Manteau Bonamy la doctrine mariale du P. Kolbe, p. 72). Façonnée par le
Saint-Esprit pour être celle par laquelle Il concevra Celui
par qui tout a été fait et sans qui rien n'a
été fait (Jn 1,3) : la femme qui Le met au monde, les créatures angéliques comme
les humaines, la création tout entière.
L'orgueil de Lucifer, entraînant sa jalousie, le poussera à ce refus
de servir à la fois l'enfant mâle qu'il essaiera de dévorer et la femme qui,
épouse de l'Esprit-Saint, le mettra au monde.
Opposition radicale entre l'intelligence et l'amour, entre la plus
grande intelligence créée -Lucifer- et le plus grand amour créé -la femme,
Marie comblée de grâce (Lc
1,28)-. Lutte qui se
poursuit entre la colombe -L'Esprit engendrant le Christ- et le serpent -le
séducteur du monde entier- comme le montre la tapisserie de la Chaise-Dieu en
Haute-Loire.
Ce refus d'adhérer au plan d'amour de Dieu où la créature la plus
faible devient, dans l'amour, la plus grande, détruit en Satan sa capacité
d'adoration et de contemplation. Enfermé en soi, replié sur lui, il se
retrouve, prince de l’agitation, précipité sur la terre, dans l'action, avec
les anges qu'il entraîne à sa suite.
L’opposition radicale à l’Incarnation est le propre de l'Antichrist.
Voici à quoi vous reconnaîtrez l'esprit
de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ incarné est de Dieu, tout
esprit qui ne confesse pas ce Jésus n'est pas de Dieu ; c'est là l'esprit
de l'Antichrist dont on vous a annoncé la venue, et qui dès maintenant est dans
le monde (1 Jn 4,2-3).
Cet esprit qui dès maintenant est dans le monde,
l’antique
Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde
entier, garde son intelligence, elle n'est pas détruite. Il tentera de
prouver à Dieu qu'Il s'est trompé et que l'homme est indigne de son amour
(Voir le prologue du livre de Job).
La victoire de Michel sur Lucifer dit déjà la victoire de l'amour de
Dieu et la domination de son Christ sur le séducteur.
Si Dieu est pour nous qui sera contre nous... Qui accusera les élus de
Dieu ? Dieu les justifie ! Qui condamnera ? Jésus-Christ est mort... (Rm
8,33ss).
Qui sont les élus de Dieu ?
Ceux qui ont vaincu l'accusateur grâce au
sang (à l'amour) de l'Agneau et
grâce au témoignage de leur martyre (uni à celui de l'Agneau)
car
ils ont méprisé leur vie jusqu'à mourir. Joie pour ceux qui sont déjà
dans les cieux, qui vivent déjà dans le Royaume. Mais pour nous, Eglise
militante en marche vers le Royaume, nous ne pouvons échapper à la lutte.
Malheur
à vous, la terre et la mer, car
le Diable est descendu chez vous, frémissant
de colère, sachant que ses jours sont comptés. C'est donc le temps de
l'épreuve qui sera de plus en plus forte au fur et à mesure que se compteront
les jours du diable. Plus on approche de la fin, plus on se dépense... jusqu'à
la dernière énergie !
Rejeté sur la terre, dans le monde matériel qu'il méprise mais qui
est son seul refuge, le Dragon, ne pouvant rien contre la Colombe, va
s'attaquer à tous ceux qui, sous sa mouvance, engendrent le corps du Christ et,
en particulier, à la femme, chef-d'œuvre de Dieu. La femme sans laquelle
l'homme-mâle serait resté incomplet, n'ayant pas de
semblable à lui. Sans elle, la relation d'amour, "l'image de
Dieu", aurait été impossible.
Les récits de la Genèse nous montrent bien que la femme, mère des
vivants et mère du Vivant, créée la
dernière, est celle pour laquelle
tout a été fait selon ce principe : "on exécute en dernier ce qui a
été voulu en premier".
Dieu ne peut créer qu'à l’intérieur de Lui-même car rien ne peut
exister en dehors de Lui. Lucifer refuse que le Verbe,
par lequel tout a été fait, se soit fait créature à partir d’une
nature humaine : la femme. Il juge indigne de Dieu de venir en un être
"matériel et charnel". Seule lui aurait convenu une nature
"angélique et spirituelle". Mais l’amour préfère le plus faible, le
plus petit. La porte du ciel, celle par
laquelle le Verbe entrera dans le monde, sera donc la plus petite des
créatures spirituelles, devenue la plus grande par surabondance d’amour.
L'enfant mâle, le Christ est bien l'arch, l'origine de toute la
création. L'arch commande toute l'architecture de la création, œuvre du Père. Il est
l'Agneau immolé ayant pouvoir d'"ouvrir le livre aux sept sceaux." Il
en est la seule révélation... la seule Bonne Nouvelle !
Le Père nous a arrachés au pouvoir des
ténèbres et nous a transférés dans le Royaume du Fils de son Amour. Premier-né
de toute créature, en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les
êtres visibles comme les invisibles. Tout a été créé par lui et pour lui, tout
est maintenu en lui. Il est le commencement (arch), premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier
rang (Col 1,13-19).
Ayant refusé l'arch, n'ayant plus sa place dans la construction du Royaume,
le
Dragon, se voyant rejeté sur la terre, se lance à la poursuite de la Femme, la
mère de
l'Enfant mâle. Cet enfant mâle, il tentera, en vain, de le
détruire en même temps que la construction architecturale dont il est la
pierre angulaire.
La Femme, ayant reçu les deux ailes du grand aigle que sont l'adoration et la
contemplation, vole au désert, lieu de rencontre avec Dieu, tandis que le
Dragon, ayant perdu ces ailes à jamais, est impuissant à la poursuivre, à plus
forte raison à l’atteindre.
- Par l'adoration, œuvres de sa volonté, l’homme se met en face de
Dieu et Le reconnaît comme la source de sa vie : C'est de Toi que je tiens
mon existence ; elle est de Toi, par Toi et pour Toi.
- Par la contemplation, œuvre de l’Esprit, l’homme passe du statut
de fils adoptif à celui de fils "adopté", de fils de la maison. En
effet, Dieu a envoyé son fils, né d'une
femme... pour qu'il nous soit donné d'être des fils adoptifs. Fils, vous l'êtes
bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba-Père !
(Ga 4,4-7).
S’il est donné, à tous, d’être des fils adoptifs, ce don doit être reçu
librement. C’est la condition nécessaire, et suffisante, pour que
"l’adoptable" se reconnaisse "l’adopté", le fils de la
maison..
La femme trouve
refuge au désert où, loin du Serpent, Dieu
la nourrit un temps, des temps et la moitié d'un temps. Mille deux cent
soixante jours, tant que dure l'épreuve. Avec elle, comme le psalmiste, nous
soupirons : Qui me donnera des ailes
comme la colombe, que je m'envole et me pose ? Voici, je m'enfuirai au loin, je
gîterai au désert (Ps 55,7).
La première tentative du Serpent sera de
vomir de sa gueule comme un
fleuve d'eau derrière la femme pour l'entraîner dans ses flots. Il veut
se faire croire "source de vie" ! Cette première tentative sera la
première tentation : vous deviendrez
comme Dieu, connaissant le bien et le mal, si vous vous abreuvez au fleuve
de mensonge qui sort de ma gueule.
La terre, réalisme de la matière, qui chante
la gloire de Dieu, vint au secours de la
Femme. En effet, depuis la
création du monde, les perfections invisibles (de Dieu), éternelle puissance et
divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l'intelligence, ils sont donc
inexcusables... (Rm 1,20).
Furieux, le Serpent va
guerroyer contre le reste des enfants de la
Femme, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de
Jésus
La tentation est, pour eux, inévitable ; elle durera mille deux
cent soixante jours, quarante deux mois, un temps, des temps et la moitié d'un
temps... Elle prendra fin, la victoire est, déjà, acquise !*
* Le terme "Kénose" fait partie du vocabulaire chrétien. Il ne s’applique en propre qu’au Christ. Traduction littérale du mot grec "kenos", "vide", employé par Paul en Ph.2,7 pour désigner l’appauvrissement volontaire du Christ dans l’Incarnation (cf L. Bouyer Dictionnaire théologique) Les diverses traductions de l’expression : "ekenosis_eauton": il s’est dépouillé (TOB), il s’est dépouillé lui-même (Segond), Il s’anéantit lui-même (B. de Jér.), il s’est anéanti lui-même (Osty), Il s’est vidé lui-même (Chouraqui) Il s’est vidé de lui-même (B des Com. Chrétiennes) nous disent la richesse du mouvement "kénotique" pour le Verbe de Dieu. Mouvement nécessaire, semble-t-il, tant à la création qu’à la Rédemption. C’est en ce sens de “sortie de soi pour faire exister l’autre" –c’est le propre de l’amour- que l’on peut parler de "kénose créatrice" et de "kénose rédemptrice". Mystère de l’Incarnation dans sa double "finalité", l’apocalypse nous le montre par les quatre vivants et l’Agneau immolé, auquel on adhère par la foi, moyen de connaître des réalités que l’on ne voit pas (Hb.11,1).
* "C’est le même Esprit qui a rendu Marie féconde du Christ et qui rend l’Eglise féconde. Les débuts de celle-ci dans les Actes répondent aux premiers chapitres de l’évangile de St. Luc. Poussant très loin le réalisme verbal, les Pères, S. Thomas et encore Gerson, identifient le 'semen Dei, sperma_tou_Qeou, la semence' dont nous naissons de Dieu (1 Jn 3,9) avec le Saint Esprit". Y.Congar : "Je crois en l’Esprit Saint" T.II p. 133.
* "A la manière des prophètes, Jean représente le Peuple de Dieu sous les traits d’une femme. Mais il a sur ses prédécesseurs un avantage unique : il connaît la Femme idéale, Marie, que Jésus lui confia du haut de la croix. Aussi bien, sa description, qui a pour objet premier l’Eglise, s’applique-t-elle parfois beaucoup mieux à la Vierge Marie. Victorieuse à jamais de Satan, elle est la plus belle figure de l’Eglise. Sa maternité douloureuse semble bien suggérer en filigrane les souffrances de Marie au Calvaire." (Harmonies bibliques, l’Apocalypse).