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L’OEUVRE DE DIEU FACE À LA LIBERTÉ DE SA CRÉATURE

 

"Mauvais serviteur, paresseux !

Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé

et que je ramasse où je n’ai rien répandu..."

Mt 25,25.

 

Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur.

Tout ce qui est reçu prend la forme du récipient qui le reçoit.

  

LES SEPT SCEAUX   4-7

 

A partir du chapitre 4, le ton change. Nous quittons la vision du Christ en gloire pour entrer dans celle de l’Eglise en lutte, l’Eglise "militante", qui est dans le monde, sans être du monde.

Livre de l'Espérance, l'Apocalypse nous dit que, dans cette lutte, l'épouse du Christ est déjà associée à sa victoire. Ignace de Loyola, en proposant la méditation des deux étendards, au début des Exercices Spirituels, invite le retraitant à s'engager à la suite du Christ dans ce combat victorieux.

Sous quel étendard nous placerons-nous ? Celui de Dieu ou celui de Mammon, celui des terrestres ou celui des célestes ? Voulons-nous vivre sous l’emprise de la chair qui conduit à la mort ou sous l’emprise de l’Esprit qui conduit à la Vie ?

C'est à chacun qu'est posée la question. Quelle que soit la réponse, elle ne peut remettre en cause la victoire du Christ.

Dans son amour, Dieu -qui peut tout sauf obliger un homme à l'aimer- va mettre tout en œuvre pour que l'homme comprenne quel est le chemin qui conduit à la vie et qu'il ne s'égare pas en prenant la route large qui le conduirait à sa perdition.

La vision "apocalyptique" donnée à Jean est le déploiement dans l'histoire de l'œuvre d'amour de Dieu. Ayant créé l’homme -et les anges- à son image, Dieu, dans cette œuvre de son amour, ne peut éviter l’affrontement à la liberté de sa créature, liberté sans laquelle l’amour disparaît. Un amour sans respect de l’aimé n’est rien d’autre qu’un viol ! Toute créature spirituelle, c’est-à-dire capable d’aimer, doit s’engager, librement, dans la relation à l’autre. Cet accueil de la relation, réponse à la parole de l’Autre, donnée ici dans une vision, ne peut être reçue que par et dans l’amour.

Entrons comme des enfants dans cette vision.

 

J'eus, ensuite, la vision que voici :

Cet "ensuite" est subjectif. Il n'indique pas une suite historique mais seulement le fait que l'homme, ici Jean, n'est pas capable d'embrasser d'un seul regard toute "l'économie du salut". L’alliance de Dieu avec l’homme se dit dans une histoire. C'est pas à pas qu'elle lui sera révélée. Le déroulement des visions ne doit pas nous faire oublier l'éternel aujourd'hui de Dieu : Il est, Il était et Il vient. Son Nom est "JE SUIS". En Dieu, aucun changement, aucune "histoire".

 

Une porte était ouverte au ciel :

Par cette porte, Jean va pouvoir répondre à l’appel de Jésus, à la voix comme une trompette : Monte ici. Toute révélation de Dieu se fait à un degré supérieur, au-dessus de la condition naturelle de l'homme : Abraham au Nébo, Moïse au Sinaï, Jésus au Thabor, Jésus au mont des oliviers...

Cette porte ouvre sur le domaine de Dieu. Le Christ lui-même, en premier lieu, est cette porte : Nul n'est monté au ciel hormis celui qui est descendu du ciel, le fils de l'homme qui est au ciel (Jn 3,13). Elle est ouverte, réalisation de la promesse faite à Nathanaël : "Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du trône du Fils de l'homme" (Jn 1,31).

La tradition voit en cette porte Marie, la mère de Jésus, celle que la bienheureuse Elisabeth de la Trinité invoquait sous le titre de "Janua Coeli - Porte du Ciel", Marie, celle par qui Dieu le Fils devient le Fils de Dieu, en entrant dans l'histoire humaine, lui qui est au-delà de l'histoire humaine. "Le Christ Homme n’a pas commencé d’être; le Christ a commencé d’être homme. (Cf St. Thomas : Somme théologique. IIIe Partie qu.16a Rep 3). Dans ces deux propositions -qu’il ne faut jamais séparer, mais lire en même temps-, se trouve exprimé le mystère même du Fils de Dieu fait homme".(H.M. Manteau-Bonamy : La doctrine mariale du P. Kolbe p. 61). C'est le mystère même de l'Incarnation que nous allons retrouver dans cette nouvelle vision.

La voix est toujours l'appel de l'Esprit-Saint : elle fait "tomber" en extase. C’est une "montée". Paradoxe ! A nouveau, il nous est ainsi précisé que la vision ne peut être comprise par les savants enfermés dans leur savoir, mais seulement par les petits, les "pauvres en esprit", qui se laissent emporter hors d'eux-mêmes par l'Esprit d'Amour, et reçoivent de Lui un savoir dépassant celui des savants.

La première chose qui frappe, c'est le trône dressé dans le ciel, siège d'un pouvoir qui n'est pas du monde.

Siégeant, installé : "Quelqu'un". Il n'est pas de mots pour le décrire. C'est une lumière attirante dont, seules, les pierres précieuses peuvent donner une idée.

Le trône -celui qui y siège- est entouré d'un arc-en-ciel dans lequel il baigne. Mieux, la lumière étincelante de "Quelqu'un" se réfracte en un spectre de sept couleurs comme pour nous dire déjà que tout ne sera que réfraction de cette unique source de lumière qui émane du trône. L'arc-en-ciel, signe d'alliance entre Dieu et les hommes, n'a pas d'existence propre.

 

24 vieillards entourent le trône :

Quel est le symbolisme de 24 : 4 x 6 ou 3 x 2 x 4 ?

- Dans le premier cas, ce serait l'imperfection de l'humanité : 4, chiffre de l'homme, multiplié par le 6, chiffre de l'imperfection.

- Dans le second cas, on pourrait voir l’ancienne et la nouvelle alliance représentées par les 12 prophètes et les 12 apôtres : 2 fois l'alliance de 3, chiffre de Dieu avec le 4, chiffre de l’homme.

Ces 24 vieillards sont l'image de la création dans son alliance avec Dieu, création arrivée à son terme, comme les vieillards qui sont dans la stabilité. Ils ne changent plus. Ils sont revêtus de la robe blanche, celle de la prière, celle du sacerdoce du Christ, celle du banquet nuptial : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce ? (Mt 22,11)

 

Ils ont des couronnes d’or sur leurs têtes :

Ils ont atteint le but de leur existence, son "couronnement" !

Du trône partent des éclairs... C'est de "Quelqu'un" comme source que se répand l'amour de Dieu.

 

Nous avons à nouveau une vision trinitaire :

 

             - Le Père, lumière, source de l'amour.

- Le Fils, émanation de l'amour. Il révèle la lumière dont il jaillit comme l'arc-en-ciel. Il prend en lui toute la création (les 24 vieillards) : arc en ciel et vieillards sont ensemble autour du trône.

- l'Esprit-Saint, éclair et feu qui jaillit de l'amour du Père pour tout éclairer et tout embraser. Notre cœur n'était-il pas tout brûlant... - Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ...

 

Nouvelle image de la Trinité dans son œuvre de création continuelle... et déjà achevée.

Il nous faut toujours garder en mémoire que l'Apocalypse est "Révélation de Jésus-Christ" et que cette "vision" ne concerne que Jésus-Christ... en sa "totalité" : tête et corps.

Devant le trône, on dirait une mer, transparente comme du cristal. Il ne s'agit pas ici, puisque nous sommes dans l'éternité de Dieu, de la mer, signe d'hostilité, qui, elle, sera détruite (21,1) ; mais plutôt de l'immensité de l'amour de Dieu qui se manifeste en sa création. Elle est devant Lui, à ses pieds. En elle transparaît la "gloire" de Dieu, la gloire de n'être que l'"Amour" d'où coule toute la création. Ce qu'on peut connaître de Dieu est pour les hommes manifeste : Dieu le leur a manifesté. En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l'intelligence ; ils sont donc inexcusables... (Rm 1,19ss).

Et au milieu du trône, et autour de lui, se tiennent quatre vivants, constellés d'yeux par devant et par derrière. Certains traduisent le terme grec par "animaux", ce qui occulte complètement le sens de cette vision, toujours révélation de Jésus-Christ. Peut-être faudrait-il lire "le Vivant quatre" au lieu de "quatre vivants" ou encore "le vivant quadriforme" ! Le Vivant englobant tout être vivant créé.

Nous savons qui est "LE Vivant" (1,17). Il s'agit de Jésus-Christ dans son mystère d'Incarnation. Le Christ est Dieu (le vivant est à l'intérieur du trône) et Homme (il est autour du trône avec les 24 vieillards)

Il est aussi celui qui nous révèle, comme la mer de cristal, l'immensité de Dieu.

Le Vivant est donc "quatre", chiffre de "l'univers dans sa totalité" (cf Dic. Symb.). Il est la plénitude de la vie. Il a en lui l’univers entier. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être il était la vie et la vie était la lumière des hommes (Jn 1).

 

Lion, taureau, visage d'homme et aigle en plein vol :

Reprise de la grande vision d’Ezéchiel appliquée, dans la nouvelle alliance, au Christ.

Saint Justin, au IIe siècle, et certains Pères de l’Eglise après lui, ont vu, dans chacun des évangiles, un des 4 aspects du Vivant.

- Dans celui de Marc : le lion, incarnation même du pouvoir royal, de la sagesse et de la justice.

- Dans celui de Luc : le taureau, la force créatrice que les israélites ont voulu représenter par le veau d’or qui fait sortir d’Egypte.

- Dans celui de Matthieu : l’homme, "synthèse du monde, modèle réduit de l’univers. Le centre du monde des symboles" (Dic. Symb.). Au Christ, s’applique la parole du Psaume 45 : "Tu es le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres, aussi tu es béni de Dieu à jamais".

- Dans celui de Jean : l’aigle, "le vol rapide, l’agilité, la promptitude, l’ingéniosité à découvrir les nourritures fortifiantes ; en plein vol, fixant le soleil, symbole de la perception directe de la lumière intellective. Symbole de la contemplation. Les psaumes en font un symbole de régénération spirituelle" (Dic.Symb.)

 

Les 4 vivants, constellés d'yeux par devant et par derrière : Jésus-Christ dans son humanité contemplative, scrutant les profondeurs de Dieu pour nous les révéler. Le Christ en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance... en lui habite toute la plénitude de la divinité, corporellement (Col 2,3-10).

Les 4 vivants, portant chacun six ailes soit 24, chiffre de la création : Jésus-Christ prêt à se laisser porter par le souffle de l'Esprit. "Les ailes sont un symbole constant de la spiritualité, ou de la spiritualisation... elles concernent la divinité et tout ce qui peut se rapprocher d'elle à la suite d'une transfiguration. Posséder des ailes, c'est quitter le terrestre pour accéder au céleste" (Dic.Symb.).

 

Les 4 vivants ne cessent de répéter jour et nuit : Saint, saint, saint... Par l'incarnation, l'adoration a pénétré en Dieu. L'adoration, au sens plein du mot, est la reconnaissance que je n'existe que par l'autre, que je n'ai d'autre vouloir que celui de l'autre par qui j'existe, et sans qui je ne serais pas. Le premier commandement donné par Dieu à Moïse, et que le Seigneur redit à Satan, est : "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et c'est à lui seul que tu rendras un culte".

C'est dans cet esprit d'adoration que se réalise l'incarnation. Entrant dans le monde, le Christ dit : "De sacrifice et d'offrande tu n'as pas voulu, mais tu m'as façonné un corps. Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t'ont pas plu. Alors j'ai dit : Me voici... je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté" (Hb 10,5-6).

Le plus grand acte d'adoration sera celui du Christ à l'agonie : pourtant, non pas comme je veux, mais comme tu veux ! C'est la certitude, par-delà les apparences trompeuses, que l'Amour est plus fort que la mort. Il fait de la mort, en la détruisant, un chemin de VIE.

Toute adoration est liée à celle de Jésus : par Lui, avec Lui et en Lui... Les 24 vieillards -la création tout entière- adorent, lancent leurs couronnes devant le trône. Ils reconnaissent que tout vient de Dieu :

Ici, comme dans toutes les visions, il ne s'agit pas de regarder les images de l'extérieur, mais d'en vivre, par le cœur. L'adoration, d'Adam à Marie et jusqu'à la fin des temps, se caractérise par le "Me voici" de l'Incarnation du Christ.

Reprenant en lui toute la création, Il la fait entrer dans le mystère de Dieu par l'adoration. Nouvelle illustration de ce mystère du dessein bienveillant : réunir l'univers entier sous un seul chef le Christ. Ou, comme le dit Saint Irénée : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme soit fait Dieu"... à la louange de sa gloire.

On comprend alors l’insistance de Jean qui voit ET au milieu du trône ET autour du trône -le texte grec dit bien : kai_..._kai- les 4 vivants : la plénitude de la création en Christ. Le Christ est Dieu le Fils, indissolublement uni au Père, et homme assumant toute l’humanité. Le mystère de l’Incarnation ne divise pas le Verbe mais fait de Lui le Centre de l’univers.

 

La vision où Jean a contemplé l'œuvre de Dieu dans son accomplissement, toute la création, unie au Christ dans l'adoration éternelle, mouvement immobile d'amour, plénitude de vie, va se déplacer du ciel sur la terre. Nous allons entrer dans l'histoire de l'homme, l’homme pécheur -c’est la nôtre- en totale dépendance de "celui qui siège sur le trône" : "Tu es digne, ô notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l'honneur et la puissance, car c'est toi qui créas l'univers, c'est par ta volonté qu'il n'était pas et qu'il fut créé" (4,11).

Gloire, honneur et puissance ne sont pas d'un potentat ou d'un tyran mais bien d'un "Père" qui partage tout ce qu'il est dans l'amour qu'il suscite. Son nom est : "Il nous aime".

Histoire qui n'est possible que grâce à l'incarnation. C'est le mystère du "Vivant 4". Pas de création possible sans l'incarnation. La création nous a transférés dans le Royaume du Fils de son amour, en qui nous avons la délivrance, le pardon des péchés. il est l'image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, car en lui tout a été créé... (Col 1,14-16).

L'homme (masculin/féminin) fait à l'image de Dieu et à sa ressemblance, créé en Christ, a, dans sa liberté, préféré les dons de Dieu au Dieu qui donne. Il a ainsi rompu la relation d'amour qui le faisait vivre.

Cette rupture, qui conduit à la mort (par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort) a livré la création au pouvoir du néant. Cependant la création garde l'espérance... Elle n'est pas la seule... nous aussi... nous avons été sauvés, mais c'est en espérance (Rm 8,19-24).

Ayant créé l'homme à son image, libre, Dieu, dans son amour, va, en les respectant, permettre les choix libres de l'homme au moment même où il les pose. C'est ce que St Thomas (S. Th. III sent. q.3,a.1) appelle la "science d'approbation".

Mystère de l'AMOUR : Le départ du fils prodigue n’a pas éteint l’amour de son père, mais l’a comme affermi, à l’étonnement scandalisé de l’aîné.

Dieu respecte la liberté de l’homme quel que soit l’usage qu’il en fait. Son amour continuera de le soutenir dans l’existence. Il restera celui qui frappe à la porte et prépare le banquet des noces de l’Agneau.

C’est ce qui pourrait justifier l’injustifiable "Exultet" : O heureuse faute (felix culpa) qui nous a valu un tel Rédempteur !

Histoire de l’homme dans laquelle Dieu s’immerge pour sauver l’homme submergé par le péché et le faire émerger dans le Royaume.

Mystère insondable devant lequel, comme Job (le héros de l'Apocalypse de l'Ancien Testament), nous ne pouvons que dire : "Je sais que tu es tout puissant, ce que tu conçois, tu peux le réaliser. J'étais celui qui brouille tes conseils par des propos dénués de sens. Aussi ai-je parlé sans intelligence de merveilles qui me dépassent et que j'ignore" (Jb 42,2-3).

Notre espérance, c'est d'attendre avec persévérance ce que nous ne voyons pas encore (Rm 8,25).

Tout se trouve dans la main droite de celui qui siège sur le trône. Pas plus que l'on ne peut arracher des mains du Christ les brebis que le Père lui a données, on ne peut arracher quelque chose de la main du Père (Jn 10,29).

Les décisions de Dieu sont irrévocables, inscrites dans un livre roulé, écrit au recto et au verso et scellé de sept sceaux. Pourtant si "tout est écrit", nous ne sommes ni dans le fatalisme du "Mektoub", ni dans une prédestination autre que celle d'être appelés à devenir fils dans le Fils. Ce qui est écrit de toute éternité, c'est l'acte libre de l'homme plongé, noyé, couvert par l'amour infini de Dieu. Conciliation de deux inconciliables qui dépasse toute intelligence créée et fait l'objet de la "Révélation".

 

Le sceau est :

- Signe de pouvoir et d'autorité : Il est apposé par les prêtres et les lévites : Nous avons contracté un engagement sacré que nous avons mis par écrit et nos chefs, nos lévites et nos prêtres y ont apposé leur sceau (Ne 10,1).

- Symbole de secret : Va, Daniel, ces paroles sont closes et scellées jusqu'à la Fin.

- Garant d'appartenance légitime : Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras.

Ce livre des décisions de Dieu, scellé de 7 sceaux, dépend totalement du pouvoir de Dieu. Il est son secret absolu, sa propriété ; personne n'est digne de l'ouvrir, personne n'en est capable, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre. O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles !... (Rm 11,33-35).

 

Et moi, je pleurais fort.

Aucune créature ne peut lire les intentions, ou les décisions de Dieu. Aux apôtres qui l'interrogent sur le temps où il va rétablir le royaume pour Israël, Jésus répond : "Vous n'avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit". Seule cette puissance de l'Esprit-Saint, à laquelle il faut ouvrir et son cœur et son intelligence, peut faire des apôtres les témoins de Jésus -révélation de l'amour du Père- à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre (Ac 1,6-7).

L'un des vieillards me dit : "Ne pleure pas..." C'est de l'intérieur de la création que va surgir celui qui peut nous dévoiler, nous révéler les choses cachées depuis la fondation du monde.

Celui qui a remporté la victoire, le vainqueur, héritier de toutes les promesses déjà accomplies, ouvrira le livre. Il est commencement et fin, alpha et omega de toutes les décisions de Dieu : le Lion de la tribu de Juda, le rejeton de David. Juda est un jeune lion... le sceptre ne s'éloignera pas de Juda jusqu'à la venue de celui à qui obéiront les peuples (Gn 49,9-10), celui qui est "prince des rois de la terre".

Alors j’aperçus debout ENTRE le trône aux quatre vivants ET les vieillards, un Agneau comme égorgé" (5,6).

Les 4 vivants -c’est le Christ- se situent et autour du trône avec les 24 vieillards, et au milieu du trône de : "Quelqu’un".

Ici le trône, où siège Quelqu’un, est, aussi, celui "aux 4 vivants" ; celui de Dieu le Fils, uni au Père. Dans son incarnation, et par son incarnation, la nature humaine pénètre au sein de la Trinité : Mystère de la déification de l’homme. Cette "entrée en Dieu", suppose une nature humaine totalement livrée à l’amour, purifiée comme l’or au creuset. Seul Dieu pouvait élever sa création jusqu’à Lui, en la faisant sienne d’une façon unique. Cette nature humaine, il la reçoit de l’homme... qui lui doit tout ! Il la reprend, l’assume, la restaure dans sa beauté première, détruisant en elle tout ce qui la souille et la défigure. Il fallait que le Christ endure ces souffrances pour entrer dans la gloire (Lc 24,26). Nous aurons toujours du mal à accepter qu’il faille passer par la mort à soi-même, creuset du don total de soi à l’Autre, dans l’adoration.

L’Agneau comme égorgé, symbole de ce passage continuel, est pont entre le trône aux 4 vivants vers qui il conduit -là où je suis, vous serez vous aussi- et les 24 vieillards, toute la création, lieu de son incarnation.

Nous sommes toujours dans le mystère. Il ne peut être accueilli que par et dans la foi. Le Christ, Dieu et homme, est, dans un unique mouvement d’amour, homme et Dieu. Le Fils, donné par le Père qui a tellement aimé le monde, et le Fils se donnant afin que le monde sache qu’il aime le Père, c'est le mystère de la Rédemption.

Longtemps on a uni les mystères de l’incarnation et de la Rédemption, comme si Dieu, surpris par la transgression de l’homme, avait dû modifier son plan d’amour et venir lui-même dans la création pour la reprendre, faisant du péché de l’homme le point de départ de l’incarnation ! Or l’Ecriture nous révèle le Fils incarné, premier-né de toute créature. Le prologue de l’évangile de Jean nous dit du Verbe : Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui.

Le mystère de l’incarnation est une nécessité de création. Rien n’est en dehors de Dieu.[1]

La Rédemption refait le lien entre Dieu et l'homme, lien rompu par le "péché" qui a entraîné la mort. (cf : Frédéric Marlière 'Et leurs yeux s'ouvrirent' éd. Anne Sigier/Desclée pp. 59-68).

Le thème de l'Agneau est traditionnel. Ici l’Agneau est DEBOUT. Il est LE VIVANT et cependant toujours "égorgé", immolé. Don total de lui-même, que nous annonçons -chaque eucharistie- jusqu’à ce qu’Il vienne.

 

L’Agneau n’est pas "crucifié". La croix n’apparaît pas dans l'Apocalypse, si ce n'est pour préciser un lieu : la grande cité, Sodome ou Egypte, comme on l'appelle symboliquement, là où le Seigneur aussi fut crucifié (11,8). Dans la vision du ciel, la croix -supplice infligé par les hommes pécheurs- a disparu. Seule reste "l'immolation" : la plaie du cœur, signe de l'amour donné : Ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé.

La croix, que le Seigneur demande de prendre pour le suivre et être digne de Lui, est celle de la plénitude où aucun autre amour, serait-ce celui de soi-même ou des plus proches, n’est vécu en dehors du sien. Le voir en toute personne aimée. Il ne peut y avoir d’amour de préférence quand on aime "en Christ". Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi... est inséparable de : tout ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez. [2]

Au ciel, cette croix, amour de soi écartelé par la verticalité de l'amour de Dieu et l’horizontalité de l'amour du prochain, n'existera plus. Les deux commandements seront semblables. Ils n'en feront plus qu'un. Il ne restera, comme signe de l'amour unique, que l'immolation dans le don total de soi. Tout se résume dans l'adoration : abandon de sa couronne !

L'immolation du Christ a été cet affrontement inimaginable de sa volonté avec celle du Père à Gethsémani : Mon père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Pourtant non pas comme je veux mais comme tu veux ! (Mt 26,39). Mystère insondable d’une apparente opposition de volontés au sein de l’unité trinitaire : Moi et le Père nous sommes UN (Jn 10,30), dans l’acte rédempteur de l’humanité pécheresse.


AMOUR ET SOUFFRANCE

 

"Puisque le roi des cieux a voulu que sa Mère

Soit plongée dans la nuit, dans l’angoisse du cœur ;

Marie, c’est donc un bien de souffrir sur la terre ?

Oui souffrir en aimant, c’est le plus pur bonheur !..."

                                                   (Thérèse de l’E. J.)

 

Certains pensent que le christianisme est la religion de la souffrance, puisque son signe est celui de la croix !

L'Apocalypse s'inscrit en faux. "Dans le ciel", il n'y a plus de croix, seulement l'Agneau comme "égorgé" dans le don total de lui-même, sommet de l'amour. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime" (Jn 15,13). Le Père a donné le Fils en qui il a mis tout son amour. Il nous demande de l’écouter.

Le mystère de la croix, c'est le mystère de l'amour vécu dans notre condition "terrestre". Pour les "célestes", ceux qui ont revêtu le Christ, seule demeure la charité qui ne disparaît jamais. Le signe du christianisme est la croix, trône de la gloire cachée de l'Agneau au cœur transpercé. Le christianisme est la religion de l’Amour.

Dans notre condition de "terrestre":

             - ce qui est fait par amour est éternel,

             - ce qui est fait sans amour, n'est que bruit.

Seuls, ceux qui en ont l’expérience, savent, avec Saint Augustin, que là où il y a de l’amour il n’y a pas de souffrance et que, s’il y a de la souffrance, la souffrance est aimée ! Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises !

 

L'Agneau IMMOLÉ 5, 6-14

 

L'Agneau porte sept cornes et sept yeux qui sont les sept Esprits de Dieu.

- 7 cornes : symbole de la puissance. L'Agneau, toute douceur, a, en lui, la plénitude de la puissance. La corne a aussi le sens de l'agressivité. Cet Agneau, c'est le lion de Juda. Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (1 Co 15,25-26).

- 7 yeux : symbole de la perception intellectuelle. Le regard pénétrant du clairvoyant qui "lit à l'intérieur des choses" (inter-legere). L'Agneau n'a pas "l'œil unique", symbole de la connaissance divine, mais 7 yeux, plénitude de la connaissance  de l'œuvre de création, réalisée par les 7 Esprits.

- 7 Esprits : L'Agneau est rempli de la puissance et de l'intelligence de l'Esprit de Dieu. C'est en lui qu'elles se manifestent, dès le commencement de sa vie publique au Jourdain, les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui (Mt 3,16).

L’Agneau immolé, le témoin fidèle, le premier né d'entre les morts, le prince des rois de la terre (1,5), réalise toute l'oeuvre d'amour, dont le Père est la source et l'Esprit le "climat". C’est le Christ Jésus dans son incarnation rédemptrice.

 

Et l'Agneau s'en vint prendre le livre dans la main droite de Celui qui siège sur le trône. Jean pleurait fort. Nul n’était capable, ni dans le ciel, ni sur la terre, d’ouvrir le livre et de le lire. L'Agneau, rempli de l'Esprit, a, non seulement le pouvoir d'ouvrir le livre et de le lire, il a celui de le prendre, c’est le sien. Tout lui a été remis par le Père, au ciel et sur la terre (Mt 28,18).

Vient alors la liturgie céleste où toute la création, émerveillée, liée à l'incarnation, rend gloire à l'Agneau. L'incarnation est ordonnée à la rédemption. L’Agneau comme immolé, c’est LE VIVANT.

             "Dieu, Tu as créé le monde d'une manière admirable (par le mystère de l'incarnation) et l'as racheté d'une manière plus admirable encore (par le mystère de la rédemption)" disait autrefois la liturgie.

Nous retrouvons la vision inaugurale, celle de la Trinité, celle de : "Il nous aime" (1,4-7). Il est digne d‘ouvrir le livre, celui qui a fait, des hommes de toute race, langue, peuple et nation (4 éléments), une Royauté de Prêtres régnant sur la terre. Le commandement de faire de tous les peuples des disciples a été réalisé au prix de son sang, au prix de sa vie, au prix de son amour.

C'est ce qui est célébré dans la joie éternelle par des myriades de myriades et des milliers de milliers d'anges. Ils reconnaissent l'Agneau comme leur souverain, criant à pleine voix -une voix pleine d’amour- : l'Agneau égorgé est digne de recevoir la plénitude de la grandeur, signifiée par les 7 attributs, puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange".

Et toute créature, dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et sous la mer -à nouveau 4 éléments, signe de l’universalité, nous en sommes- crie à celui qui siège sur le trône et à l'Agneau les 4 attributs : louange, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles.

Cette unanimité des créatures, spirituelles comme matérielles, à reconnaître que tout nous vient par l'incarnation et la rédemption est célébration de la Vie. Reconnaissance qu’il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui ; car il n'y a sous le ciel aucun autre nom que celui de Jésus-Christ offert aux hommes qui soit nécessaire au salut (Ac 4,12).

L'erreur, la faute, de Lucifer et de ses anges n'a-t-elle pas été le "non serviam" -"je ne servirai pas"-, le refus du Dieu incarné et de la confession de Dieu venu dans la chair ? Tout esprit qui ne confesse pas (ne reconnaît pas) Jésus venu dans la chair n’est pas de Dieu (1 Jn 4,2-3). C’est ce que nous verrons au chapitre 12.

Est-ce la raison pour laquelle les anges, confessant le Verbe incarné, rendent gloire à "l'Agneau immolé" tandis que les hommes rendent gloire "à Celui qui siège sur le trône et à l'Agneau"__

 Le terme grec -arnion- (agneau) est utilisé 29 fois en Apoc., 28 fois pour désigner le Christ et une fois en 13,11 pour la bête "portant deux cornes comme un agneau mais parlant comme un dragon"; Il n'est employé qu'une seule fois dans le N.T. en Jn 21,15 : "Sois le pasteur de mes agneaux". N'est-ce pas pour nous dire que les agneaux à paître sont de la même race que l'Agneau immolé : son corps ?? Que les anges, créatures spirituelles, le louent avec 7 attributs et les hommes avec quatre ? On peut au moins se poser la question.

 

Et les 4 Vivants disaient "Amen". Jésus est l'Amen (cf 3,14). Il commence et achève toute chose.

"J'aurais pu commencer par le mot : "Amen". J'aurais pu continuer par le mot :"Amen". Je finis par le mot : "Amen". Telle est en effet la gloire de ce mot, qu'il est au principe, au milieu et à la consommation des choses. L'embarras du choix de sa place prouve la grandeur de sa fonction" (Ernest Hello "Parole de Dieu" 1877).

L'incarnation s'achève, atteint sa perfection, en cette "heure" de la rédemption où tout est accompli et l'Esprit remis. Il reste aux soldats, contemplant ce mort -vraiment celui-là était fils de Dieu !- à inscrire, en son cœur transpercé par la lance, le signe indélébile de son amour. Il en coule, encore aujourd’hui, l’eau et le sang des sacrements de sa présence. Ainsi peut s’accomplir la parole du prophète : "Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé" (Jn 19,37).

C'est ici qu'en l'Incarnation, Le Vivant, venu pour faire la volonté du Père, acquiesce par l’Amen à cette volonté, tandis que les vieillards, et toute la création avec eux, se prosternent et adorent.

Heure mystérieuse où le premier-né de toute la création devient le premier-né d'entre les morts (Col 1,15-18).

 



[1]  Seul est en dehors de Dieu l’acte libre d’une volonté voulue posé dans la non-liberté d’une volonté voulante. Sur ce sujet , qui demanderait bien des développements, on peut se reporter au livre de Maurice Blondel : L’action.

[2]  L’amour de préférence est légitime. Il y a des devoirs familiaux qui passent avant d’autres. Mais l’amour "en Christ" est sans exclusive. Cela explique le commandement d’aimer ses ennemis et de faire du bien à ceux qui vous persécutent. Un ennemi aimé restera un ennemi pourtant il deviendra un frère ! "La raison imposant ce renoncement : avec Dieu c’est nécessairement le tout ou rien. Le premier commandement requiert tout notre cœur et toutes nos forces. Il décuplera notre amour pour nos proches, à condition que celui-ci ne vienne pas se soustraire à l’amour de Dieu, mais bien plutôt s’y ajouter comme une façon de l’accomplir" (Bible chrétienne II*. Commentaires § 103).

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