THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LE
RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE
un
événement vécu à l’heure de la mort
comme
à la fin du monde
THÈSE
Préparée dans le cadre doctoral.
La date de sa soutenance publique n’est pas fixée.
La méthodologie s’appuyant en premier sur le
Magistère de l’Eglise étant discutée
Suivie
du
TRAITÉ
DES FINS DERNIÈRES
« 47. Certains théologiens récents sont de l'avis
que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et
Sauveur. La rencontre avec le Christ est l'acte décisif du Jugement. Devant son
regard s'évanouit toute fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, nous
brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment
nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille
sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette
rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents,
se trouve le salut. »
Benoît XVI,
encyclique Spe Salvi, 47.
Nihil Obstat
Archevêché de Paris
Paris, le 12
mars 1992 (n° 50), M. Dupuy
Imprimatur
Archevêché de Paris
Paris, le 5
novembre 1992, Mgr M. Vidal
Auteur
: Arnaud DUMOUCH, Agrégé en Sciences religieuses, Paris, 1992.
1° La thèse elle-même qui vise à établir la nécessité
de la parousie du Christ glorieux à l’heure de la mort, avant l’entrée dans
l’autre monde.
2° Le Traité des fins dernières qui en
ressort, et qui manifeste autours de cette clef de voute, la cohérence de la
foi et des dogmes de l’Eglise.
LE RETOUR DU CHRIST EN GLOIRE, un événement vécu à l’heure de
la mort comme à la fin du monde
I - GENÈSE — le drame d’une une humanité sans finalité
II - QUESTION POSÉE, AXE DE LA THÈSE — Le salut des païens.
PROLÉGOMÈNES — Sur quoi se fonde la salut ?
1-1- EXPOSÉ DU CONTENU DOCTRINAL
1-2- DIFFICULTÉ DE CETTE POSITION — Le salut de ceux qui
meurent sans la charité
2-1- EXPOSÉ — La foi au sens de Luther est autre que la
charité thomiste
2-2- DIFFICULTÉ — Le salut de ceux qui meurent sans la foi
3- LE SALUT PAR LA BONNE VOLONTÉ
3-1- PÉLAGE — Le salut par la vertu acquise
3-2- L’HUMANISME LIBÉRAL — Quand la fraternité humaine est
identifiée à la charité théologale
PREMIÈRE PARTIE — LE RETOUR DU CHRIST A L’HEURE DE LA MORT.
APPROCHE THEOLOGIQUE
I-1- LE FONDEMENT D’UNE DÉMONSTRATION THÉOLOGIQUE
I-1-1- Approche démonstrative théologique et certitude de la
vérité
I-1-3- L’origine de la foi et de sa certitude
I-1-4- Comment retrouver la Parole de Dieu ?
I-1-6- Réponse à ceux qui critiquent notre méthodologie
théologique
I-2- LA FOI DE L’ÉGLISE CONCERNANT LE SALUT
I-2-1- PREMIER DOGME — la charité seule ouvre le Ciel
I-2-2- DEUXIÈME DOGME — Dieu propose à tous le salut
I-3- THÈSE — L’HEURE DE LA MORT ET LE RETOUR DU CHRIST EN
GLOIRE
I-3-2 Établissement de l’hypothèse
DEUXIÈME PARTIE — SIGNES A L’APPUI DE CETTE HYPOTHESE
II-1- FONDEMENTS SCRIPTURAIRES
II-1-1- L’annonce de la venue du Christ dans sa gloire — Mt
26, 63
II-1-2- La conversion de Paul, une N.D.E. ?
II-1-3- Le genre littéraire apocalyptique 2 Théssaloniciens
1, 6
II-1-7- Luc 17, 21-37 — La où se trouvera le cadavre, là se
réuniront les aigles
II-1-8- Jean 6, 35-40 — Celui qui voit le Fils et croit en
lui est sauvé
II-1-9- Jean 14, 2 — L’annonce de son retour par le Christ,
dès la fin du séjour terrestre
II-1-10- Actes 1, 6-11 — L’ascension du Christ
II-1-11- Actes 7, 54-59 — La mort d’Etienne
II-I-12- Actes 20, 9-12 — La résurrection d’un enfant
mort
II-1-14- L’Ecriture et la mort comme une durée ?
II-1-16- Dans les évangiles apocryphes (par Manuel Sanchez,
2005)
II-1-17- La venue du Christ à l’heure de la mort dans la
liturgie catholique des morts
II-1-18- Apocalypse 1, 18 — Le Credo et la descente de Jésus aux enfers.
II-1-19- Apocalypse 1, 18 — Le shéol comme « séjour
des morts ».
II-2- SIGNES ET SOURCES CHEZ LES SAINTS ET LES THÉOLOGIENS
II-2-1 Sources chez les saints
- Une NDE chez saint Paul ? (vers 35 ap JC)
- Témoignages de Sainte Perpétue sur une NDE (III° siècle)
- Saint Antoine le grand (vers 300-350) : Le mort reste
quelque temps sur terre
- Saint Augustin, Docteur de l’Eglise (354-430) et la survie
de la vie psychique à la mort
- Pape Célestin Ier (428) : La miséricorde de Dieu
s’étend jusqu’à l’heure de la mort
- Saint Jean Climaque (525-605) : Récit d’une NDE
- Le Témoignage de saint Saulve sur une NDE (vers 573)
- Saint Grégoire, pape et Docteur de l’Eglise (540-604) :
Récit d’une NDE
- Bède le vénérable, Docteur de l’Eglise (632-635) :
Récit d’une NDE
- Saint Bernard, Docteur de l’Eglise catholique,
(1090-1153) : Vision d’une âme errante
- Le pape Innocent III (1160-1216) : l’apparition
glorieuse du Christ crucifié à l’heure de la mort
- Bienheureux Conrad de Frisach (+ 1239) : L’apparition
du Christ à l’heure de la mort
- Sainte Claire d’Assise (+ 11 août 1253) voit le Christ
glorieux à l’heure de sa mort
- Sainte Brigitte de Suède et le salut d’une âme dans la mort
(1303-1373) : le salut des infidèles
- Bienheureux Jan van Ruysbreock (1293-1381) : La fin du
monde est aussi l’heure de la mort
- Saint Jean de Dieu (1495-1550) : Apparition de la
Vierge à l’heure de la mort
- Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) : a-t-elle vécu une
NDE ?
- Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : La Vierge à
l’heure de la mort (1673-1716)
- Le curé d’Ars : « entre le pont et l’eau, salut
d’un suicidé » (1786-1859).
- Le curé d’Ars : « C’est soi-même et soi-même seul
qui nous damnons librement » (1786-1859).
- Sainte Faustine et l’apparition du Christ à l’heure de la
mort (1905-1938).
- Sainte Faustine et l’enfer est un choix libre (1905-1938).
- La Vierge de Fatima, la promesse de son assistance « à
l’heure de la mort » (1925).
- Le père Derobert, disciple de Saint Padre Pio (1887-1968)
vit une NDE en 1958
- Le bienheureux Paul VI : Le mystère de la mort et la
Lumière du Christ qui l’illumine
- La vénérable sœur Benigna Consolata, 1885-1916 : La
Lumière à l’heure de la mort
II-2-2- Intuition des théologiens
- Mgr. d’Hulst et une « apparition à l’heure de la
mort » (fin du XIX° siècle).
- Père F.-W. FABER, 1923 : Les grâces données à l’heure
de la mort, dans l’agonie
- Jean Daujat et une « grâce de lumière à l’heure de la
mort » (1906-1998, écrit vers 1990)
- Père Marie-Dominique Philippe op : « Une grâce au
moment de la mort », 1994, Les trois sagesses
- Pape Benoît XVI et « la mort comme une durée »,
nov. 2010
- Pape Benoît XVI et « la rencontre purificatrice de
Jésus à l’heure de la mort », mai 2011
- « Derniers témoignages » de Maria Simma, la
possibilité de dire « oui » à l’heure de la mort
- Mirella Pizzioli, "Porte ouverte sur l'au-delà",
Éditions du Parvis, 2011
- Karl-Gustav Jung et sa NDE (psychanalyste, milieu du XX°
siècle)
II-3- SOURCES DANS DANS LES AUTRES RELIGIONS
A/ L’Egypte antique et le passage de la mort, la
décorporation, l’apparition d’Osoris
C/ L’Islam : Fdal Haja et l’apparition du Messie au pied
du lit de mort
D/ Victor Hugo et la venue de la Lumière
II-4-1- Importance pour notre hypothèse d’un fondement empirique
II-4-2- Lecture critique de « La vie après la vie »
II-5- TRACES DANS LA CROYANCE DES FIDELES (SENSUS FIDEI) –
Partie en cours de réalisation
II-6-1- Une doctrine doit être crue toujours et partout, dit
saint Vincent de Lérins
II-6-2- Dès le Moyen âge dans le courant des « Artes moriendi »
II-6-3- Dans les milieux populaires actuels
II-6-4- Dans la littérature populaire
II-6-5- Dans le Sensus fidei des fidèles, Jeanne Favier
Duchesne (Lettre, 15 mai 2013).
Saint Thomas d’Aquin — Sa mort prématurée
Plan du traité des fins dernières
PREMIÈRE PARTIE — LA VISION BÉATIFIQUE
QUESTION 1 — Les convenances de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 1, a. 1 — Dieu appelle-t-il
l’homme à la vision béatifique ?
QUESTION 1 bis — LE DESIR NATUREL DE VOIR DIEU
QUESTION 2 — la nature de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 2, a. 3 — Comment la vision
béatifique peut-elle être réalisée ?
Traité des fins dernières, Q. 2, a. 5 — Par la vision
béatifique, l’homme devient-il Dieu ?
QUESTION 3 — La cause de la vision béatifique
QUESTION 4 — Le siège de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 4, a. 1 — Le siège de la vision
béatifique est-il l’intelligence ?
QUESTION 5 — Les effets de la vision béatifique
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 1 — Les âmes qui voient
Dieu sont-elles dans la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 3 — Les vertus
intellectuelles demeurent-elles après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 4 — La foi demeure-t-elle
après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 5 — L’espérance
demeure-t-elle après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 6 — Demeure-t-il quelque
chose de la foi ou de l’espérance ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 7 — La charité
demeure-t-elle après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 8 — Les dons du
Saint-Esprit demeurent-ils dans la patrie ?
Traité des fins dernières, Q. 5, a. 13 — La Vision béatifique
est-elle éternelle ?
QUESTION 6 — Les conditions de la Vision béatifique en ce qui
concerne l’âme humaine
Traité des fins dernières, Q. 6, a. 1 — La lumière de gloire
est-elle nécessaire pour voir Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 6, a. 2 — la lumière de gloire
est-elle créée ?
Traité des fins dernières, Q. 7, a. 7 — Peut-on sans la grâce
mériter la vie éternelle ?
Traité des fins dernières, Q. 7, a. 13 — Le baptême est-il
nécessaire à l’entrée dans la gloire ?
DEUXIÈME PARTIE — CE QUI PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 1 — L’âme humaine
survit-elle à la mort du corps ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 2 — Après la mort,
l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 3 — La mort est-elle
naturelle ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 4 — La mort est-elle
instantanée ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 7 — L’homme voit-il Dieu
dans son essence au moment de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 9 — L’homme peut-il voir
des personnes décédées avant-elle ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 10 — L’homme voit-il
Lucifer à l’heure de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 12 — L’homme voit-il
défiler sa vie, le bien et le mal commis ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 13 — Peut-il y avoir
repentir dans le moment de la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 15 — Peut-t-on se faire
baptiser pour un mort ?
Traité des fins dernières, Q. 8, a. 17 — Le jugement dernier
a-t-il lieu au moment de la mort ?
QUESTION 9 — La condition des âmes séparées du corps
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 3 — Les souvenirs de la
vie terrestre passée demeurent-ils ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 5 — Comment s’exerce
l’acte de la volonté dans l’âme séparée ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 7 — L’âme séparée
voit-elle les hommes qui sont sur la terre ?
Traité des fins dernières, Q. 9, a. 8 — Les âmes séparées
peuvent-elles apparaître aux hommes ?
QUESTION 10 — Le jugement dernier de l’individu
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 3 — Toutes les âmes
passent-elles en jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 4 — Est-ce Jésus sous la
forme de son humanité qui juge l’âme ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 5 — Est-ce l’Eglise du
Ciel qui juge ?
Traité des fins dernières, Q. 10, a. 6 — Est-ce l’âme qui se
juge elle-même ?
QUESTION 11 — La cause de la réprobation prise du côté de
l’homme
Traité des fins dernières, Q. 11, a. 4 — La présomption
peut-elle conduire à la damnation ?
Traité des fins dernières, Q. 11, a. 7 — L’obstination
conduit-elle à la damnation éternelle ?
QUESTION 12 — L’enfer et sa peine
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 2 — Outre la séparation
d’avec Dieu, y a t-il un feu en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 3 — Existe-t-il en enfer
un feu matériel ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 4 — Les damnés
souffrent-ils du ver rongeur de la rancoeur ?
Traité des fins dernières, Q. 12, a. 5 — Les damnés
pleurent-ils et grincent-ils des dents ?
QUESTION 13 — La volonté et l’intelligence des damnés
Traité des fins dernières, Q. 13, a. l — Les damnés
veulent-ils aller en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 2 — Y a-t-il des hommes
en enfer ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 3 — Tout vouloir des
damnés est-il mauvais ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 4 — Les damnés se
repentent-ils du mal qu’ils ont accompli ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 6 — Les damnés
voudraient-ils la damnation des non damnés ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 7 — Les damnés
haïront-ils Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 8 — Les damnés
déméritent-ils encore ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 10 — Les damnés
penseront-ils parfois à Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 13, a. 11 — Les damnés
voient-ils la gloire des bienheureux ?
QUESTION 14 — La miséricorde de Dieu à l’égard des damnés
Traité des fins dernières, Q. 14, a. 1 — L’enfer est-il
éternel ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. l — Existe-t-il un
purgatoire après cette vie ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 2 — Y a t-il six degrés
du purgatoire ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 3 — La vie terrestre
est-elle le premier purgatoire ?
Traité des fins dernières, Q. 15, a. 4 — Les purgatoires de
l’au-delà ont-il un lieu ?
QUESTION 16 — Le shéol, purgatoire qui précède la parousie du
Christ
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 1 — Existe-t-il un
purgatoire dans le passage qu’est la mort ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 2 — La peine de ce
purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 5 — Ce purgatoire
est-il plus douloureux que la vie d’ici-bas ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 6 — Les âmes de ces
purgatoires sont-elles saintes ?
Traité des fins dernières, Q. 16, a. 8 — Les âmes du
shéol peuvent-elles prier pour nous ?
QUESTION 17 — Les trois purgatoires qui suivent la parousie
du Christ
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 2 — Le feu des
purgatoires de lumière est-il le désir de Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 7 — La peine du
purgatoire est-elle voulue par Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 8 — Les âmes de ces
purgatoires sont-elles saintes ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 11 — les âmes des purgatoires
de lumière peuvent-elles pécher ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 12 — Les âmes de ces
trois purgatoires peuvent-elles mériter ?
Traité des fins dernières, Q. 17, a. 14 — Les âmes du
purgatoire peuvent-elles les prier pour nous ?
QUESTION 18 — Les effets des trois purgatoires qui suivent la
parousie du Christ
QUESTION 19 — La condition des âmes en état de péché originel
Traité des fins dernières, Q. 19, a. 3 — Dieu propose-t-il
aux innocents sa grâce et sa gloire ?
QUESTION 20 — Le salut des païens, des suicidés
Traité des fins dernières, Q. 20, a. 1 — Ceux qui meurent
païens ou infidèles sont-ils sauvés ?
Traité des fins dernières, Q. 20, a. 2 — Ceux qui se sont
suicidés seront-ils sauvés ?
QUESTION 21 — Les suffrages pour les défunts
Traité des fins dernières, Q. 21, a. 3 — Les suffrages des
pécheurs sont-ils utiles aux défunts ?
Traité des fins dernières, Q. 21, a. 5 — Les suffrages
sont-ils utiles aux damnés ?
QUESTION 22 — Les diverses manières de nommer le paradis
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 2 — Le paradis est-il le
Royaume des Cieux ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 3 — le paradis est-il la
terre promise aux Hébreux ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 4 — Le paradis est-il la
Jérusalem céleste ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 5 — Le paradis céleste
est-il le festin des noces de l’Agneau ?
Traité des fins dernières, Q. 22, a. 6 — Serons-nous prêtres
?
QUESTION 23 — La condition des âmes glorifiées par rapport à
elles-mêmes
Traité des fins dernières, Q. 23, a. 2 — L’âme bienheureuse
peut-elle pécher ?
Traité des fins dernières, Q. 23, a. 6 — Les degrés de
béatitude doivent-ils être appelés demeures ?
QUESTION 24 — Les dots des bienheureux
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 1 — Doit-on attribuer
des dots aux hommes bienheureux ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 2 — La dot est-elle la
même chose que la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 3 — Convient-il au
Christ d’avoir des dots ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 4 — Les anges ont-ils
des dots ?
Traité des fins dernières, Q. 24, a. 5 — Convient-il
d’attribuer à l’âme trois dots ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 2 — L’auréole
diffère-t-elle du fruit ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 3 — Le fruit est-il
réservé à la vertu de continence ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 5 — Une auréole est-elle
due à la virginité ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 6 — Une auréole est-elle
due aux martyrs ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 7 — Les docteurs ont-ils
droit à une auréole ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 8 — Une auréole est-elle
due au Christ ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 9 — Une auréole est-elle
due aux anges ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 11 — L’auréole des
vierges est-elle supérieure aux autres ?
Traité des fins dernières, Q. 25, a. 12 — Un bienheureux
possède-t-il plus qu’un autre une auréole ?
QUESTION 26 — La condition des âmes glorifiées par rapport
aux autres
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 2 — Les âmes glorifiées
peuvent-elles communiquer entre elles ?
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 5 — Devons-nous demander
aux saints de prier pour nous ?
Traité des fins dernières, Q. 26, a. 10 — Les bienheureux se
réjouiront-ils des peines des impies ?
DEUXIÈME SECTION : LE DESTIN GÉNÉRAL DE L’HUMANITÉ
QUESTION 27 — Le retour du Christ
Traité des fins dernières, Q. 27, a. 5 — La date du retour du
Christ est-elle inconnue ?
QUESTION 28 — Les signes précurseurs de la fin du monde
Traité des fins dernières, Q. 28, a. 3 — Quels sont ces
signes ?
QUESTION 29 — Les signes valables pour toutes les époques
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 3 — Y aura-t-il des
guerres et de fausses paix ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 4 — Y aura-t-il des faux
prophètes ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 5 — Y aura-t-il une
grande apostasie ?
Traité des fins dernières, Q. 29, a. 6 — Le monde
sombrera-t-il dans le péché ?
QUESTION 30 — Les signes de la fin du monde dans les autres
religions
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 1 — Les diverses
religions sont-elles bonnes ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 2 — Les diverses
religions viennent-elles de Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 4 — Y aura-t-il des
signes dans les diverses religions ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 5 — L’islam vient-il de
Dieu ?
Traité des fins dernières, Q. 30, a. 6 — Y aura-t-il des
signes concernant l’islam ?
QUESTION 31 — Les signes du retour du Christ concernant
l’Église
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 1 — Y aura-t-il des
martyrs ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 2 — L’évangile doit-il
être prêché à toutes les nations ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 3 — L’Église doit-elle
subir un martyre vers la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 4 — Peut-on savoir
comment se produira ce martyre ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 5 — L’heure de l’Église
sera-t-elle annoncée par la papauté ?
Traité des fins dernières, Q. 31, a. 6 — Sera-t-elle annoncée
par la liturgie ?
QUESTION 32 — Les signes donnés par la vierge Marie
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 2 — La Vierge
apparaîtra-t-elle aux hommes ?
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 3 — Y aura-t-il des
apparitions d’anges ?
Traité des fins dernières, Q. 32, a. 4 — Deux témoins
doivent-ils venir vers la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 3 — L’Antéchrist sera
t-il un homme ou un démon fait homme ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 4 — Qu’est-ce que 666,
le chiffre de la Bête ?
Traité des fins dernières, Q. 33, a. 7 — Peut-on savoir
quelle sera l’œuvre de l’Antéchrist ?
QUESTION 34 — Le signe du fils de l’homme
Traité des fins dernières, Q. 34, a. 2 — Le signe du fils de
l’homme est-il le signe de Jonas ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 1 — Dieu mettra-t-il fin
au monde tel qu’il est ici-bas ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 2 — La fin des temps se distingue-t-elle
de la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 4 — Connaît-on la date
de la fin du monde ?
Traité des fins dernières, Q. 35, a. 7 — Tous les hommes
mourront-ils ?
TROISIÈME PARTIE — LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
QUESTION 36 — La résurrection des corps physiques
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 1 — La résurrection des
corps doit-elle avoir lieu ?
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 2 — Tous les hommes
ressusciteront-ils ?
Traité des fins dernières, Q. 36, a. 3 — La résurrection
est-elle naturelle ?
QUESTION 37 — La cause de la résurrection
Traité des fins dernières, Q. 37, a. 1 — La résurrection du
Christ est-elle la cause de la nôtre ?
Traité des fins dernières, Q. 37, a. 3 — Les anges
coopéreront-ils à la résurrection ?
QUESTION 38 — Le temps et le mode de la résurrection
Traité des fins dernières, Q. 38, a. 3 — La résurrection
sera-t-elle instantanée ?
QUESTION 39 — Le point de départ de la résurrection
QUESTION 40 — L’état des ressuscités et d’abord leur identité
Traité des fins dernières, Q. 40, a. 1 — L’âme
reprendra-t-elle le même corps ?
Traité des fins dernières, Q. 40, a. 2 — L’homme ressuscité
sera-t-il le même homme ?
QUESTION 41 — L’intégrité du corps des ressuscités
Traité des fins dernières, Q. 41, a. 1 — Tous les membres du
corps humain ressusciteront-ils ?
QUESTION 42 — La qualité du corps des ressuscités
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 1 — Les hommes
ressuscités seront-ils immortels ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 2 — Les ressuscités
auront-ils besoin de se nourrir ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 3 — Le corps des
ressuscités sera t-il sexué ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 4 — Les ressuscités
exerceront-il des relations sexuelles ?
Traité des fins dernières, Q. 42, a. 5 — Les ressuscités
auront-ils l’âge parfait ?
QUESTION 43 — L’état corporel des élus comparé à celui des
damnés
Traité des fins dernières, Q. 43, a. 1 — L’état du corps des
élus diffère-t-il de celui des damnés ?
QUESTION 44 — Quelques considérations sur le corps des élus
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 1 — Y aura-t-il de
nouvelles sensations ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 4 — La subtilité
rend-elle impalpable le corps glorieux ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 5 — Le corps des élus
est-il doué d’agilité ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 6 — Les élus feront-ils
usage de leur agilité ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 7 — Leur mouvement
sera-t-il instantané ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 8 — La clarté
sera-t-elle une prérogative du corps des élus ?
Traité des fins dernières, Q. 44, a. 9 — Le corps aussi
a-t-il droit à une auréole ?
QUESTION 45 — L’état corporel des damnés
Traité des fins dernières, Q. 45, a. 2 — Le corps des damnés
sera-t-il incorruptible ?
Traité des fins dernières, Q. 45, a. 3 — Le corps des damnés
sera-t-il impassible ?
LA TRANSFORMATION DE L’UNIVERS
QUESTION 46 — La conflagration du monde
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 1 — Le monde doit-il
être purifié ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 2 — Cette purification
se fera-t-elle par le feu ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 3 — Ce feu
purifiera-t-il les cieux supérieurs ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 6 — La dernière
conflagration suivra-t-elle le jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 46, a. 8 — Ce feu
engloutira-t-il les réprouvés ?
QUESTION 47 — Le monde nouveau
Traité des fins dernières, Q. 47, a. 2 — Une société d’amis
est-elle nécessaire à la béatitude ?
Traité des fins dernières, Q. 47, a. 3 — Le monde sera t-il
renouvelé ?
QUATRIÈME PARTIE — CE QUI SUIT LA RÉSURRECTION
QUESTION 48 — Le jugement général de l’humanité
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 1 — Le jugement général
aura-t-il lieu ?
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 2 — Ce jugement
aura-t-il lieu oralement ?
Traité des fins dernières, Q. 48, a. 3 — Le jugement
aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?
QUESTION 50 — Juges et jugés au jugement général
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 1 — Y aura-t-il des
hommes qui jugeront avec le Christ ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 3 — Les anges
doivent-ils juger ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 4 — Tous les hommes
comparaîtront-ils en jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 5 — Les bons seront-ils
jugés en ce dernier jugement ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 6 — Les méchants
seront-ils jugés ?
Traité des fins dernières, Q. 50, a. 7 — Les anges seront-ils
jugés lors du jugement dernier ?
QUESTION 51 — La forme sous laquelle le juge viendra
Traité des fins dernières, Q. 51, a. 1 — Le Christ nous
jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
QUESTION 52 — L’état du monde après le jugement
Traité des fins dernières, Q. 52, a. 5 — Le monde demeurera
t-il ainsi éternellement ?
UNE BIBLIOGRAPHIE SUR L’ESCHATOLOGIE
INDEX DES PRINCIPAUX LIEUX THÉOLOGIQUES
Le
parcours universitaire que j’ai suivi m’a conduit à m’intéresser successivement
à la biologie, à la philosophie et à la théologie catholique. Ces trois voies
m’ont amené à m’interroger sur la raison des choses, sur l’homme dans son être
et sa finalité. La question de la finalité, particulièrement, a retenu mon
attention selon ces approches distinctes et complémentaires qui constituent
trois « sciences », trois savoirs non opposables : finalité de la vie, de l’homme,
au plan humains et chrétiens. A travers ces diverses recherches, il m’est
apparu que cette question était de la plus haute importance puisqu’elle donne
son sens ultime au réel dans son ensemble. Quelques exemples peuvent
illustrer cette découverte : à quoi sert en définitive à un homme une
connaissance parfaite de sa structure biologique si, dans le même temps, sa « théologie » lui enseigne que l’aventure de la vie est vouée un jour ou
l’autre au néant. Dans sa vie pratique, ne sera-t-il pas conduit à agir de
façon à profiter dans l’urgence d’une liberté appelée à se dissoudre tôt ou
tard ? Comme dit saint Paul[1], «
Mangeons et buvons car demain nous mourrons. » De même, en biologie, l’organe ne se comprend pas de manière
ultime dans son mode de fonctionnement mais dans sa finalité.
La
question de la finalité de ce qui existe est une question ultime. Or,
l’Occident, par sa conduite pratique, semble lui apporter la réponse suivante :
ce monde est sans finalité et l’homme, terme d’une chaîne de hasards, doit se
hâter de vivre avant de retourner au chaos. Mon activité professionnelle liée à
l’enseignement de la philosophie et de la théologie me confronte quotidiennement
à la jeune génération dont le comportement apparaît de plus en plus
concrètement marqué par cette conception sans espérance. Un film récent
intitulé le cercle des poètes disparus a marqué la jeunesse d’une
manière prophétique en lui révélant une sagesse de vie qui lui correspond : « Carpe Diem, profite du jour selon
toutes les richesses de ton humanité avant que vienne le soir. »[2] Mais l’absence quasi universelle de
finalité ultime capable de rendre raison de la présence sur terre ne s’accompagne
pas toujours d’une recherche aussi positive que celle proposée dans ce film. Le
fait d’épanouir ses talents en se servant de la pensée de la mort comme d’un
rappel de l’urgence n’est pas donné à tous. Nous pourrions aller jusqu’à dire
que le suicide, tel qu’il est présenté à la fin du film et qui devient de plus
en plus le fléau majeur de nos sociétés post-chrétiennes, est le cri primal de
l’absurdité des espoirs humains lorsqu’ils ne se fondent pas sur une espérance
au-delà de la mort.
Que
nos sociétés modernes manquent de finalité ultime est chose peu surprenante
mais force est de constater que les chrétiens eux-mêmes connaissent une anémie[3] de la vertu d’espérance. Trop souvent,
le christianisme a été réduit à un de ses effets les plus marquants : la construction
ici-bas d’un monde équitable. La responsabilité première de cette déviation est
à rechercher dans le travers libéral d’un clergé qui n’ose plus parler en
chaire de la Vie spirituelle. Beaucoup de raisons peuvent expliquer ce silence
: soucis de s’adapter à un public déjà laïcisé, absence de certitude sur la
nature de l’au-delà... Quelles que soient les raisons évoquées, force est de
constater que l’absence de prédication des fins dernières[4] laisse un vide dont la nature a
horreur, qu’elle emplit de formes d’espérances néo-chrétiennes et étrangères à
la foi. Ainsi voit-on apparaître chez les chrétiens eux-mêmes de nouvelles
espérances. La plus connue actuellement (Nouvel Age) s’appuie sur la
réincarnation mais n’est pas la première tentative. Elle est précédée par
toutes les formes de messianismes temporels dont la liste ne cesse de
s’allonger : idéologie marxiste baptisée en vue d’un paradis sur terre,
humanismes millénaristes, syncrétismes hindouistes... Il existe même des sectes
dont le fond de commerce est le don d’une espérance historiquement datée :
elles annoncent le retour du Christ avec force de dates. Elles prophétisent le
malheur pour ceux qui n’adhéreront à temps pas à l’arche de Noé qu’elles
s’estiment être. Leurs adeptes sont nombreux et leur adhésion totale.
La
gène d’une partie du clergé face à la prédication des fins dernières est
compréhensible pour d’autres raisons, d’ordre théologique. Historiquement,
depuis un demi-siècle, la doctrine des fins dernières est en crise.
L’interprétation des dogmes et de l’Écriture par la théologie scolastique est
devenue insupportable. Il convient de se souvenir que la théologie
traditionnelle enseignait, jusque dans les années 50, la séparation éternelle
de Dieu des enfants morts sans baptême, la damnation des païens. Il ne
s’agissait pas de conclusions liées à un sectarisme catholique mais, aux yeux
de la plupart des théologiens, de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin en
particulier, d’une conséquence nécessaire de la foi. Il semblait en effet
impossible de conclure autrement puisque la foi catholique pose comme une
certitude que nul n’entre au Ciel s’il meurt sans la grâce sanctifiante,
fondement ontologique de la vertu de charité. Or un païen ne peut vivre de la
charité puisque, selon saint Paul[5], il n’a pas reçu la prédication de
l’Évangile. A la suite du long travail de réflexion entrepris depuis le Concile
Vatican II, il est devenu évident qu’un enfer éternel et largement ouvert aux
innocents par la justice du Créateur ne concorde pas avec Jésus tel qu’il se
révèle.
Se
pose alors le problème de savoir comment
on peut concevoir le salut des non-chrétiens qui sont sans rapport humain avec
ce Verbe fait chair, les textes conciliaires s'en tenant quant à eux à un vague
“par des voies connues de Lui [Dieu]”, comme la Déclaration Gaudium et
Spes le rappelle (§ 21). Celle-ci “n'entend pas offrir des solutions”
(§ 3) mais “indiquer certains problèmes fondamentaux qui restent ouverts à
d'ultérieurs approfondissements. »
Tout le début du § 3 vaut d'être
retranscrit : “De la pratique et de la théorisation du dialogue entre la foi
chrétienne et les autres traditions religieuses, naissent de nouvelles
questions ; il faut les affronter en
parcourant de nouvelles pistes d'investigation, en avançant des
propositions et en suggérant des comportements, qui doivent être soumis à un
discernement attentif. La présente Déclaration intervient dans cette recherche
pour rappeler aux Evêques, aux théologiens et à tous les fidèles catholiques
certains contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion
théologique à découvrir peu à peu des
solutions conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de
la culture contemporaine. »
C'est
ce que Un théologien ne dit jamais qu'il ne sait pas ; Augustin fait figure d'exception préhistorique lorsqu'il
écrit de la raison de la ddd : “Est-ce pour le salut de tous ceux qu’il a
trouvés, ou de quelques-uns seulement qu’il a jugés digne de ce bienfait ? Je
me le demande encore... ce que je n’ai pu trouver encore, c’est quel bien il a
pu apporter, en descendant dans les enfers, à ceux qui étaient dans le sein
d’Abraham et qu’il n’avait jamais privé de la vision béatifique de sa divinité”[6].
A
fortiori, il est exceptionnel de lire sous une plume théologienne que, dans
le futur, un théologien pourrait trouver une réponse à telle question qui
paraît aujourd'hui une énigme. L'attitude habituelle consiste à inventer des
formules subtiles qui donnent l'illusion d'une explication mais qui, en
réalité, renferment une contradiction indépassable. Les textes conciliaires
furent plus sages qui qualifient la manière dont Dieu sauve en dehors des
sacrements de l'Eglise, de modo Deo
cognito ou de viis sibi notis (G.S. n° 22,5 et A.M. n° 7[7]). Ce devait sans doute être une manière
de prévenir les discussions stériles et les dérapages sur un tel sujet ; c'est
le contraire qui s'est passé, comme on l'a vu plus haut. De plus, ces formules
du type “par des voies connues de Dieu
[seul]” laissaient entendre qu'il est impossible de comprendre le modus salutis de la plupart des hommes,
voire que Dieu nous le dissimulerait délibérément. La juste compréhension de
ces deux passages conciliaires découlent d'un document largement postérieur –
mais il n'est jamais trop tard – : Dominus
Iesus. Cette déclaration constitue pour les théologiens une invitation
à chercher et à trouver, et il est exceptionnel qu'un document romain
invite à parcourir de nouvelles pistes d’investigation... La présente
Déclaration intervient dans cette recherche pour rappeler... certains contenus
doctrinaux essentiels, qui puissent aider
la réflexion théologique à découvrir
peu à peu des solutions conformes
aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de la culture
contemporaine” (n° 3 §1).
A la
lumière de Dominus Iesus, les
deux passages conciliaires relatifs au salut des non chrétiens doivent
désormais être lus comme signifiant : « d'une
manière dont nous sommes actuellement pas en mesure de rendre compte », c'est-à-dire dans une
perspective invitant à trouver une solution qui existe nécessairement :
« Lorsque viendra l'Esprit de vérité, il
vous fera accéder à la vérité tout entière. »
(Jn 16,13)
L’abandon
de la réponse scolastique à la question du,salut des païens laissait un vide.
Il convenait donc d’établir une autre théologie capable de remplacer ce qui
était périmé dans l’ancienne. Mu par le soucis de concorder au plus près avec
l’esprit des évangiles, une partie du clergé catholique se mit à enseigner une
thèse diamétralement opposée : la bonne volonté suffit au salut car Dieu est
amour. On a reproché avec raison à cette conception trop simple d’être
marquée par le laïcisme ambiant. Une théologie qui enseigne une ouverture large
et inconditionnelle du paradis à tous les hommes de bonne volonté et sans autre
condition affadit tellement le sel de l’Évangile qu’il ne reste bientôt plus de
la charité théologale qu’une forme élevée de philanthropie[8]. L’Évangile entre en contradiction avec
cette thèse par la bouche de Jésus lui-même : « Les païens eux-mêmes en font autant »[9]. D’autres essais ont été tentés. Mais,
et nous serons amenés à l’étudier dans nos prolégomènes, l’étude des systèmes
théologiques qui s’efforcent d’expliquer le salut ou la damnation des hommes et
en particulier des païens, ne nous a pas permis de trouver une solution qui
satisfasse avec harmonie à tous les enseignements évangéliques. Sur un point ou
sur un autre, elles rencontrent la contradiction. Il convient en effet, pour
être en phase avec les enseignements de Jésus de soutenir à la fois la bonté
d’une volonté humaine droite[10], la nécessité absolue pour le salut d’une naissance d’en haut[11] qui est plus que la simple bonne
volonté, la possibilité pour les païens d’être sauvés malgré leur mort séparée
de la grâce sanctifiante. La difficulté du débat a été ressentie par la
majorité du clergé qui s’est en conséquence efforcé de ne parler qu’en termes
vagues de la manière dont Dieu sauve à l’heure de la mort. Les conséquences
pratiques d’une telle lacune de la prédication ne cessent de se manifester.
Nous l’avons déjà dit.
Quelles
qu’elles soient, les théologies du salut peuvent être classées en trois
catégories : celles qui réservent l’entrée dans la Vie éternelle à la seule
charité (Agape au sens de saint
Thomas d’Aquin : amitié d’égalité avec Dieu[12]), celles qui la réservent aux seuls
croyants (adhésion confiante à la parole de Dieu[13]) et celles, enfin, qui la réservent à
tous les hommes de bonne volonté[14] (ceux qui écoutent la voix de leur
conscience, et compte sur une qualification humaine de leur personne.) Nous
préciserons au cours de notre étude ce que nous entendons sous cette
distinction[15]. Les deux premiers systèmes frappent
par leur élitisme. Ils sont logiquement conduits à admettre la damnation de
beaucoup car la charité et la foi théologales sont rares. Aristote l’affirmait
déjà : la plupart vivent dans le sensible[16] à l’exclusion du spirituel. Quant au
troisième système, il conduit à mettre en doute la nécessité du Christ
lui-même.
Comment
échapper au dilemme d’une eschatologie élitiste ou laxiste ? Comment est-il
possible de répondre du salut des hommes selon un regard pleinement évangélique
?
Il
nous est alors apparu que la tension de ce problème ne pouvait être desserrée
que de la manière suivante : les païens ne vont pas en enfer bien qu’ils
paraissent mourir sans la charité parce que tout homme, chrétien ou non, reçoit
la possibilité d’aimer Dieu à l’heure de la mort. Par « heure de la mort », nous entendons, et c’est important, la durée qui précède la
séparation de l’esprit et du corps. Nous essayerons d’établir que l’amour de
Dieu (Agapè) est proposé à l’homme
par une prédication sensible de l’Évangile opérée par la venue glorieuse
du Christ accompagnée des saints et des anges. Il nous est apparu que les
textes concernant la parousie devaient être appliqués non seulement au domaine
de la fin du monde mais aussi à celui de l’heure de la mort.
L’objet
de notre hypothèse consiste précisément en ceci : démontrer, autant que faire
se peut par une méthode théologique, que le Christ glorieux apparaît à tout
homme à l’heure de sa mort. Nous espérons qu’à la lecture de ce travail, le
théologien sera convaincu qu’il s’agit plus que d’une simple opinion.
PROLÉGOMÈNES : Dans une approche théologique (s’appuyant sur l’histoire de la théologie mais non
exclusivement historique), nous exposerons les plus caractéristiques parmi les
conceptions du salut. L’utilisation diachronique de l’histoire nous permettra
de mettre en valeur l’axe de la recherche : la question du salut des
non-chrétiens n’est pas résolue. Afin de mieux aiguiser le champ de ces
recherches, nous ne nous arrêterons pas aux conceptions marginales ou périmées.
Nous montrerons comment la question de l’enfer ne trouve jamais une solution
satisfaisante. Le dilemme entre l’amour de Dieu qui veut proposer à tous les
hommes son salut et le mystère de la damnation éternelle suscite nombre de
théories mais aucune ne satisfait pleinement l’esprit.
Trois
grandes tentatives d’explication retiendront notre attention :
Le
salut par la charité (saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Concile de
Trente.)
Nous
entendons par charité sa définition thomiste : un amour d’amitié envers Dieu parce qu’il est Dieu et envers son prochain
par amour de Dieu. Existentiellement, le premier exercice de la charité est
manifeste dans le cœur à cœur d’un dialogue avec Dieu (la prière.)
Le
salut par la foi (thèse principalement soutenue par les Réformés,
Luther, Calvin, mais aussi par l’Islam bien que le rôle des œuvres y est
différent.)
Nous
entendons la foi au sens de Luther : une confiance absolue en Dieu qui nous
sauve gratuitement, quelles que soient les œuvres. Il est intéressant de
remarquer que la foi confiante peut exister sans la charité, de même qu’un
serviteur peut avoir parfaitement confiance en son maître et l’aimer
profondément sans oser l’aimer comme un ami. L’amitié implique en effet d’être
l’égal de son ami. Il existe donc une distinction, qui n’a pas échappé à
Luther, entre foi et charité.
Le
salut par la bonne volonté (Modernes.)
Par
bonne volonté, nous entendons tout type de comportement en harmonie avec la
conscience morale naturelle et subjective
de chacun, cette conscience naturelle n’ayant pas nécessairement de rapport
explicite avec l’existence de Dieu. Selon cette théologie, tout homme agissant
en rectitude avec ce qu’il dénomme le bien et le mal mérite d’entrer dans la
gloire à cause même de sa rectitude morale et sans autre condition.
Nous
avons choisi d’exposer les grandes conceptions du salut et de l’heure de la
mort sous ces trois rubriques. Nous établirons ultérieurement qu’elles
constituent une bonne division car assez complète des théologies du salut.
Elles nous paraissent donner une vision synthétique digne de prolégomènes. En
effet, l’objet de ce prologue n’est pas directement notre hypothèse mais plutôt
la manifestation de son importance. Nous aurions pu exposer à la suite une
série d’auteurs ayant traité de l’heure de la mort et du salut. Cela eût été à
la fois moins adapté à notre but et moins clair au plan théologique. Le rapport
entre salut, grâce et nature est, nous le verrons, au cœur de notre hypothèse.
Il convient de le manifester sans attendre.
PREMIÈRE PARTIE :
Approche démonstrative théologique
Elle
constitue la partie la plus importante de notre recherche car c’est sur elle et
non sur la suite des arguments simplement probables
que nous fondons notre certitude. Nous procéderons à une approche démonstrative théologique
concernant la nécessité du retour du Christ à l’heure de la mort (cette « heure de la mort » n’étant pas celle qui suit la séparation de l’âme et du corps
mais celle qui la précède.)
Par approche démonstrative théologique, nous
entendons un raisonnement certain. En science ou en philosophie, nous nous
serions appuyés en premier lieu sur l’expérience du réel, puis sur des
raisonnements de l’intelligence. L’utilisation d’un exemple peut rendre plus
clair notre assertion. Ainsi, on a pu démontrer l’existence de la planète
Pluton en observant la déviation d’une autre planète (fondement expérimental)
puis en calculant la place théorique de la cause déviante (raisonnement
impliquant ici une induction -s’il y a effet, il y a cause-, un jugement
d’existence sur cette cause et un calcul de son emplacement). L’observation au
télescope n’est venue qu’après.
Une
approche démonstrative théologique est analogue à ceci près qu’elle s’appuie
sur la foi. Elle ne s’appuie pas en premier lieu sur l’expérience mais sur la
certitude de la vérité de la Parole de Dieu qui se révèle et ne peut mentir. « L'annonce eschatologique chrétienne puise
sa force dans le Dieu vivant et n'est compréhensible que dans la foi. Si nous
croyons en Dieu et au lien vital qui nous relie à lui, nous avons l'assurance
la plus totale que notre vie personnelle, que notre moi, se poursuivra en lui.
Un christianisme purement horizontal n’est plus un christianisme. »[17] La réponse de l’homme à cette
révélation est la foi. Or la certitude de la foi, si elle s’appuie sur Dieu qui
ne ment pas, passe par des instruments humains qui peuvent être source
d’ambiguïtés et d’erreurs. En ce qui concerne l’Écriture Sainte, l’exégèse
historique et critique est un outil qui peut aider à approcher une certitude de
type théologique. Cependant, au-delà de son rôle instrumental (instrumental car
la foi a besoin d’une certitude autre que la démarche historique et critique),
le lieu théologique de la certitude se trouve, au moins dans une perspective
catholique, dans la conjonction entre trois voies de connaissance : Les deux
plus importantes sont 1) le sens littéral de l’Écriture et 2) sa confirmation
par la Tradition des saints. Lorsque, confirmant ces deux voies, 3) le
Magistère de l’Église s’est prononcé à travers une définition solennelle, nous
touchons à l’absolue certitude de la foi.
Quand l’Écriture Sainte, la Tradition et le Magistère solennel s’unissent pour
affirmer la vérité d’une proposition de foi, il est alors possible pour le
théologien de s’appuyer avec une certitude quasi « native », comme en
direct, sur la Parole de Dieu qui ne ment pas. Nous estimons que cette
conjonction, qui n’est pas si fréquente en théologie, constitue un fondement
aussi certain que celui de l’expérimentation pour le scientifique. En ce sens,
une fois le fondement établi, si notre raisonnement par induction ou déduction
est valide, il nous paraît possible de parler d’approche démonstrative théologique. Saint Thomas d’Aquin utilisa
souvent cette méthode. Dans la grande majorité des cas, l’histoire des dogmes
qui ont suivi sa mort montre qu’il avait choisi la bonne voie. Pourtant, il
s’est parfois trompé. A cet égard, son raisonnement sur le péché originel en
Marie est significatif de la limite des raisonnements de type « théologie scientifique » face au mystère de l’amour de Dieu. » Puisque
tout homme est sauvé par le Christ, disait saint Thomas d’Aquin, si Marie est immaculée dans sa conception,
c’est qu’elle échappe à cette règle. Donc Marie est née avec la tâche
originelle »[18]. Il s’est trompé. Son erreur n’est pas
dogmatique (tout homme est sauvé par le Christ) mais dans le raisonnement
logique qui suit le dogme et qui oublie une possibilité : qui peut empêcher
Dieu de sauver par anticipation ?
Dans
le projet qui est le nôtre, nous avons conscience de ce risque d’erreur : notre
méthode démonstrative s’appuie sur la Parole de Dieu solennellement confirmée
avec le souci d’établir avec précision ce qui, dans cette Parole, a été défini
de manière sûre et précise par le Magistère. Dans cette première approche, il
est relativement aisé de ne pas se tromper et de ne pas confondre un dogme
certain avec une opinion débattue. Certes, une nouvelle génération de
théologiens discute de la nécessité de soumettre les dogmes solennellement
définis à une exégèse historique et critique. Quitte à paraître un peu marginal
aujourd’hui, nous estimons que ce n’est pas nécessaire pour ceux que nous
utiliserons. Les textes dogmatiques
du Magistère, jusqu’au Concile Vatican II inclus, ne sont en général situés
historiquement que par rapport au contexte qui a conduit l’Église à les
rédiger. Mais leur contenu est présenté avec une précision quasi juridique qui
évite les contresens. D’autres théologiens estiment qu’on ne peut plus, à
l’heure actuelle, s’appuyer sur les dogmes en théologie. Nous les laissons à
leur responsabilité. Pour notre part, nous préférons donner à ces repères la
place importante que leur laisse Lumen
Gentium : n’étant jamais allé vérifier ce qui se passe dans l’autre monde,
il nous paraît pratique et sensé de nous appuyer fermement sur ce que l’Esprit
Saint en a dit. Puisque le Magistère a reçu de Dieu le ministère de confirmer
aux croyants que c’est bien l’Esprit qui a parlé et ce qu’il a voulu dire, il
serait bien dommage de se passer de cette aide précieuse.
Ce
n’est que dans un deuxième temps que le risque d’erreur apparaît. Appuyé sur la
foi et sur l’esprit qui infuse cette foi (nous entendons par-là l’amour, Agapè), le théologien est conduit à
raisonner. Ce raisonnement reste humain, à la mesure des pensées limitées de
l’homme, conditionné par l’analogie de la foi. Est-ce à dire que le théologien
ne peut que conjecturer la vérité de sa découverte ? En science positive, il
existe un critère qui permet de présumer de la validité d’une théorie : C’est la
prédictibilité. Une hypothèse qui permet d’établir d’autres conclusions
elles-mêmes vérifiables, est fort probablement vraie. Ainsi, la théorie de la
relativité généralisée découverte par Einstein à partir de calculs
mathématiques théoriques permit de prévoir des applications concrètes qui se révélèrent
par la suite vérifiées. En théologie, dans le domaine des fins dernières, nous
ne pourrons malheureusement vérifier le réel qu’en passant par la mort.
Cependant, en deçà de cette expérience, il existe une série de données
enseignées avec certitude par l’Écriture et confirmées par le Magistère
(possibilité de l’enfer éternel, sous réserve de blasphème contre le Saint
Esprit, purgatoire pour les saints après la mort, possibilité du salut des
païens selon des voies connues de Dieu (GS 22) etc.) Or notre hypothèse permet
de rendre raison de manière limpide,
simple et pacifiante de ces dogmes difficiles[19]. L’intelligence et la foi ne peut
qu’être frappée par l’harmonie totale[20] du Traité
des fins dernières si on lui ajoute l’hypothèse dont nous parlons : une
parousie glorieuse du Christ pour tout homme à la fin de la vie terrestre.
Abordons
maintenant de manière résumée la démarche démonstrative qui sera la nôtre.
Voici, en premier lieu, le fondement dogmatique sur lequel nous choisissons de
nous appuyer parce que, objectivement, nous ne pouvons pas faire autrement
comme croyant[21] :
1-
La charité seule introduite dans la
vision de Dieu ;
2-
Dieu propose à tous cette charité
afin que tous puissent être sauvés ;
3-
Il la propose avant la mort,
c’est-à-dire durant notre vie terrestre, alors que notre âme est unie à notre
corps ;
4- AUSSITÔT après la mort, sans délai,
l’âme qui n’est pas en état de charité est en état de damnation éternelle.
Nous
présenterons dans un premier temps la certitude
de ces quatre points. Par certitude, nous entendons qu’ils réunissent tous les
critères permettant d’affirmer qu’ils sont Parole de Dieu et non une simple
opinion théologique (concordance entre sens littéral de l’Écriture, Tradition,
Magistère.) Dans un second temps, nous expliciterons leur signification dans la rigueur d’un langage théologique dépouillé.
Nous isolerons avec précision, à la base des conceptions citées en
prolégomènes, ce qui constitue le domaine de la foi et ce qui est
interprétation de la foi. Cette démarche devra être effectuée avec une grande
rigueur, en confrontant l’ensemble des textes du Magistère et en tenant compte
de leur degré d’autorité. C’est en effet très souvent à cause d’un manque de
précision dans ce travail, provoqué la plupart du temps par une théorie
théologique présupposée et a priori,
que le reste des recherches prend une option déviante. Or c’est principalement
sur la base de ce travail d’isolement que veut se fonder la scientificité
théologique du reste de notre recherche.
Appuyé
sur ces bases, nous établirons notre hypothèse. La mineure de notre approche
démonstrative ne sera pas un article de foi mais une constatation d’ordre
expérimental :
« Des millions d’hommes de jadis et
d’aujourd’hui meurent sans avoir seulement soupçonné l’existence d’un Dieu
d’amour. Ils meurent donc sans la charité (comment aimer Dieu sans le
connaître), alors que l’Évangile nous dit que Dieu veut proposer le salut à
tout homme. Sont-ils donc damnés pour l’éternité tel que semble l’affirmer le
quatrième article cité ? »
Oui,
répondaient saint Augustin et saint Thomas d’Aquin à leur cœur défendant. Non,
dirons-nous, d’où notre hypothèse. Sont-ils sauvés par la seule force de leur
volonté droite, sans l’amour de charité ? Oui, répondent beaucoup de théologiens
contemporains. Non, affirmerons-nous, d’où encore une fois la nécessité de
notre hypothèse : « Le retour du Christ
en gloire est un événement qui concerne non seulement la fin du monde mais
aussi l’heure de la mort individuelle. »
Nous
manifesterons la nécessité d’un choix libre et définitif, condition nécessaire
à l’entrée dans la Vision éternelle de Dieu ou dans le refus éternel de cette
vision. Nous distinguerons notre propos de celui de Ladislas BOROS sur l’option
finale[22] qu’il situe après la mort[23].
Arrivé
à ce point de l’exposition résumée de notre hypothèse, une objection peut être
formulée : est-il légitime de raisonner en s’appuyant sur une majeure
dogmatique et une mineure expérimentale ? Il semble illégitime de mélanger les
genres.
Cette
objection n’est pas nouvelle : elle fut adressée à saint Thomas d’Aquin qui fut
même un temps condamné par ses paires théologiens pour avoir introduit en
théologie des données philosophiques d’Aristote. Ce grand théologien se serait
sans doute justifié ainsi : Dieu est l’auteur de tout le réel. Il est à la fois
le Créateur des anges que nulle philosophie expérimentale ne peut connaître, et
des plantes qu’on peut examiner au microscope. Ainsi, quel que soit le mode par
lequel l’homme parvient à la connaissance du réel, que ce soit par les seules
forces de son intelligence ou en s’appuyant sur la révélation, il ne peut y
avoir contradiction. Le réel ne se contredit jamais. S’il y a contradiction, ce
peut être parce que l’homme appelle « foi » ce qui n’est qu’opinion théologique
ou qu’il appelle « science » ce qui n’est qu’erreur philosophique.
Il est donc possible pour le théologien de mélanger les genres, d’appeler son
expérience au service de sa foi. Saint François de Sales l’enseigne : « La foi et la raison doivent marcher
ensemble comme deux affectionnées. »
Non seulement cette attitude est possible mais elle est nécessaire pour le
service de la « science des sciences » qu’est la théologie. Mais cette
synthèse harmonieuse est difficile. On a rarement égalé en ce domaine le « Docteur commun. »
DEUXIÈME PARTIE :
Témoignages à l’appui.
Dans
un domaine aussi pratique que celui que nous abordons, la puissance d’un
raisonnement ne saurait suffire. Il paraît nécessaire qu’une certaine base
traditionnelle étaye le propos. Lorsqu’une thèse est totalement étrangère à
l’Écriture Sainte ou à la Tradition de l’Église, ne risque-t-elle d’être
considérée comme une opinion marginale ? C’est pourquoi, dans cette deuxième
partie, nous rechercherons ce qui dans l’Ecriture Sainte, dans l’expérience ou
les écrits des saints, des théologiens, correspond à notre hypothèse.
L’Écriture
Sainte en parle-t-elle explicitement ou implicitement ? Là encore notre
recherche sera très pauvre : aucun texte explicite n’existe mais seulement
plusieurs textes du discours eschatologique où Jésus semble unir l’annonce de
la fin du monde, l’annonce de la mort individuelle ou de la ruine du temple de
Jérusalem. Ces textes ne peuvent constituer une preuve car, comme le dit saint
Thomas d’Aquin, « seul le sens littéral
et explicite a valeur de fondement de foi »[24].
La
Tradition de l’Eglise, représentée en particulier par les saints canonisés ou
les théologiens reconnus en parle-t-elle explicitement ou implicitement ? Nous
ne nous appuierons pas excessivement sur ces témoignages. En effet, les saints
et les théologiens se contredisent trop souvent entre eux pour constituer une
preuve. Ils constituent simplement un signe manifestant que notre hypothèse,
quoique nouvelle, n’est pas radicalement étrangère à l’Église.
Enfin,
toujours dans un souci d’élargissement des bases de la thèse, il nous faudra
rechercher hors du domaine de l’Eglise : Que disent les autres religions ?
Existe-t-il des témoignages paranormaux de l’approche de la mort ? Que penser
des récits nombreux de ceux qui ont approché la mort et vécu à cette occasion
une expérience de lumière ? Depuis quelques années, grâce surtout aux études du
Docteur en Psychiatrie Raymond Moody, ce genre de témoignages s’est imposé à la
connaissance du public au point de devenir l’un des sujets paranormaux les plus
en vogue. Les opinions des scientifiques et des théologiens divergent : effet
subjectif du cerveau en détresse ? Réelle expérience mystique[25] ? Cet aspect de notre étude nous paraît
particulièrement important. S’il peut exister une approche de type expérimental
de l’heure de la mort et des événements qui se produisent, si des témoins
nombreux et critiquables se révèlent dignes de crédibilité au terme d’une
enquête policière sur leur témoignage, alors la recherche philosophique vient
croiser ma recherche théologique. Les points d’intersection entre ces domaines
de connaissance sont rares et intéressants.
TROISIÈME PARTIE :
Où se construit l’harmonie d’un traité théologique.
Notre
hypothèse ouvre la voie à la rédaction d’un Traité
des fins dernières, à la fois harmonieux avec lui-même et avec l’ensemble
de l’enseignement évangélique (l’amour de Dieu, la possibilité réelle d’un
enfer éternel, le blasphème contre l’Esprit de ceux qui se damnent, le silence
de Dieu, la souffrance, le purgatoire, la persistance des autres religions
après la venue du Christ, le développement permis par Dieu des athéismes etc.)
C’est par cette ouverture que nous conclurons la rédaction de notre hypothèse.
La question de la mort, en particulier, sera l’objet de notre attention ; De
cette manière, si nous n’avons su convaincre entièrement le lecteur de la
nécessité de l’hypothèse que nous défendons, nous espérons cependant en avoir
manifesté la très grande probabilité. Lorsqu’un traité s’harmonise avec la foi
en un Dieu d’amour et de lumière au point de constituer un appel à la
contemplation, lorsqu’il donne de plus une explication évangélique à des
énigmes jusque là sans réponses c’est qu’il ne manque pas d’intérêt.
Le dilemme suivant est-il réellement
insoluble ?
« Ou le christianisme est
nécessaire pour le salut, et vous êtes obligé de damner tous les millions
d’hommes qui sont venus au monde sans le Christ ; ou bien vous direz qu’ils
peuvent être sauvés, mais alors le christianisme n’est pas nécessaire au salut
et toutes les religions païennes valaient autant! »[27]
Au cours de
notre introduction, nous avons suggéré les difficultés des grandes théologies
chrétiennes sur la question du salut des non-chrétiens. Nous voudrions montrer
comment de grandes traditions chrétiennes, dans la mesure où elles gardent la
conviction que le salut éternel consiste dans la Vision face à face de la
Trinité (nous ne voulons pas aborder les messianismes temporels, notre sujet
étant axé sur une question d’ordre spirituel), ont imaginé le chemin nécessaire
pour y accéder. Nous voudrions surtout manifester les limites ou même les
contradictions de ces systèmes pour la question du salut de ceux du dehors.
Cette partie préparatoire vise à établir d’une manière critique la nécessité de
continuer la recherche en ce domaine, car l’Évangile du Christ ne peut se
contenter d’à-peu-près pour des questions aussi essentielles.
Appuyés sur la révélation contenue dans
l’Écriture Sainte, parfois aussi sur la tradition des anciens, des théologiens
se sont efforcés de discerner les conditions spirituelles voulues par Dieu pour
que l’homme puisse être introduit dans son Mystère. Ce domaine de réflexion est
l’un des plus fondamentaux de la théologie. Le débat sur la place de la grâce
et de la nature est central. Il est aussi l’un des plus débattus depuis le
début de l’Église au point qu’il est impossible d’en faire l’exposé complet.
Mais, au-delà des foisonnements des
systèmes théologiques en ce domaine, il est possible de discerner trois grandes
orientations. Ces courants sont discernables dès le début de l’Église et
réapparaissent périodiquement jusqu’à notre époque dans les débats
théologiques.
Le courant le plus traditionnel dans les
Églises chrétiennes, issu de la majorité des Pères de l’Église, systématisé
dans l’Église latine par saint Augustin, rationalisé par saint Thomas d’Aquin,
canonisé par le Concile de Trente, consiste à montrer que le salut ne peut être
obtenu qu’en raison de l’amour surnaturel appelé par saint Paul la charité[28]. La
charité est un amour d’amitié où Dieu et l’homme se donnent réciproquement.
Elle est l’acte surnaturel par excellence puisque l’homme doit être élevé au
niveau de la surnature de Dieu, Dieu s’abaissant au niveau de l’homme.
L’amitié, disait Aristote, ne peut exister entre un supérieur et un inférieur
mais entre deux égaux, d’où cet équilibrage réalisé par la grâce pour que
puisse exister la charité.
Pour d’autres, à la suite de Luther et
des réformés, l’homme est certain de recevoir la gloire dans l’autre monde s’il
constate qu’il éprouve pour Dieu une foi
confiante[29]. La
foi confiante est la seule attitude religieuse dont est capable un homme qui
connaît par Révélation l’existence de Dieu et son amour. Pour Luther et ses
disciples, l’homme est définitivement incapable de tout acte bon personnel
depuis le péché originel[30].
Lorsqu’un homme découvre par un don de la grâce qu’il a été créé par un Dieu
personnel et sauvé par l’incarnation et la passion de son Fils, il peut
l’adorer puis se tourner vers lui et lui remettre sa confiance. Il agit
passivement, tel un enfant. Il remet à Dieu sa confiance et sa reconnaissance
pour le salut qu’il sait avoir reçu sans aucun acte de sa part, avant ou après.
Cette attitude est louée par l’Écriture : «
L’homme doit croire que Dieu existe et se fait rémunérateur de ceux qui le
cherchent[31]. » Cette foi n’implique pas la charité
au sens catholique du terme. L’amour qu’elle contient n’est pas une amitié
d’égal à égal, mais une attitude confiante de d’enfant sauvé à son Père
miséricordieux[32]. Si
la confiance est nécessaire pour qu’existe l’amitié, la confiance ne conduit
pas toujours à l’amitié. Jésus établit cette distinction : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis »[33].
Pourtant, un serviteur peut avoir confiance en son maître. La Doctrine
luthérienne pense qu’il est possible à l’homme de dépasser le statut du
serviteur[34].
Mais ils bloquent la relation à Dieu à celle que peut avoir un enfant dénué de
liberté envers son Père qu’il aime. Les catholiques parlent donc de la foi qui
sauve en l’identifiant à la charité. Les réformés l’identifient à la confiance
de l’enfant. La distinction foi—charité-active d’avec la foi—confiance-passive
nous paraît tout à fait justifiée puisqu’elle est reconnue explicitement par
les protagonistes de l’époque de la Réforme, du côté de Luther[35] et
du Concile de Trente[36]. Il
est vrai que la problématique actuelle entre réformés et catholiques s’est
déplacée. Le sens des mots a changé de part et d’autre. Mais la problématique
du passé intéresse notre recherche.
Enfin, une troisième orientation
considère le salut acquis pour tout homme de bonne volonté. La notion de bonne volonté a pris plusieurs sens au
cours des crises de l’histoire. Les deux plus connus sont chez Pélage une
volonté conquérante de la vertu ou, comme l’enseigne une grande part des
théologiens contemporains[37],
une bonne volonté fragile et conditionnée par les faiblesses humaines. La bonne
volonté est le fait de tout homme droit qui écoute sa conscience. L’athée
lui-même peut agir en homme droit. La conscience morale n’est pas l’apanage de
l’homme religieux. Elle peut s’établir dans les amitiés humaines. La bonne
volonté ne nécessite ni la foi ni la charité. Elle est l’acte d’un homme droit,
s’appuyant sur ses capacités intellectuelles et spirituelles naturelles.
L’Évangile reconnaît la valeur d’actes humains bons et différents des actes
spécifiquement chrétiens : « Les païens
eux-mêmes en font autant. » [38].
Quant à cette distinction charité-foi d’une part, bonne volonté d’autre part,
elle reprend la confrontation ancienne comme l’Église et toujours actuelle
entre nature et grâce. Au cours de l’histoire, cette distinction s’est déclinée
de manière diverse mais elle est toujours apparue profondément encrée dans le
judéo-christianisme.
Dans le cadre de cette première
approche, nous avons esquissé cette distinction traditionnelle et thomiste[39]
entre charité, foi confiante et bonne volonté[40].
Elle apparaîtra dans toute sa clarté et jusque dans ses conséquences à la fin
de nos prolégomènes.
Il est aisé de se rendre compte que la
division des théologies du salut selon la valeur rédemptrice attribuée à ces
trois attitudes est valide car exhaustive : elle englobe tout acte humain
volontaire ; Elle s’étend même plus loin que le domaine des théologies
chrétiennes et peut rendre compte de toutes les religions et Sagesses. La
théologie islamique du salut, par exemple, se distingue de la conception
catholique par son rejet de la charité, l’idée même de cette vertu théologale
lui paraissant constituer un crime de lèse-majesté contre Dieu : qui est
l’homme pour prétendre à une amitié d’égalité avec le Tout-Puissant ? Pour le
musulman, le salut est une question de foi
confiante en Dieu, considéré comme le Créateur miséricordieux et
transcendant, à travers une attitude religieuse de soumission et comportement
humainement droit envers l’autre. Le bouddhisme, quant à lui, même s’il
n’attend pas un salut personnel à travers la rencontre avec Dieu, passe par une
conquête constante et volontaire de la part de l’homme : la volonté droite, naturelle, de l’homme
joue un rôle primordial. Dans notre terminologie, nous devrions dire que le
bouddhiste échappe aux réincarnations par un travail d’ascèse qui rend sa
volonté droite et harmonieuse à l’univers. Dans sa conscience, s’il se fond
dans l’extinction de toutes les passions de souffrance, s’il entre en vibration
paisible avec ce qu’il est (le grand Tout, l’univers), alors il est de bonne
volonté. Nous pourrions multiplier les exemples. Nous pourrions manifester
aussi que toute attitude humaine morale peut être classée sous un de ces trois
niveaux éthiques qui sont :
1) Les
éthiques humaines, naturelles, fondées sur les rapports existentiels de l’homme
avec les autres hommes et avec l’univers ;
2)
Les éthiques religieuses fondées sur le rapport de l’homme avec son
Créateur (monothéisme) ou ses dieux (polythéisme.) Il importe peu dans ce
domaine de savoir si l’homme à découvert sa religion par lui-même ou par un don
gracieux de la Révélation, l’essentiel étant l’apparition d’une réponse
religieuse passive de confiance et d’amour révérenciel du Tout-Autre
transcendant (ce que nous avons appelé la foi confiante) ;
3) Il existe enfin une éthique surnaturelle spécifiée par la charité, amour du
Tout-Autre se faisant proche comme un ami, et qui exige une surélévation
au-dessus de la condition de créature. Cet amour là est aussi différent du
précédent que peut l’être l’amour d’un enfant et l’amour d’une épouse.
Que nul ne puisse entrer dans la gloire
sans aimer Dieu pour lui-même à travers cet amour particulier appelé charité et
que saint Thomas d’Aquin décrit comme une amitié[41],
voici la conception la plus ancienne et la plus traditionnelle de la théologie
chrétienne, (orthodoxe, catholique). En Occident, elle fut magistralement
enseignée par saint Augustin et, à sa suite, par la scolastique dans son
ensemble. Elle s’identifie avec la théologie catholique avec, à son terme, les
écrits de H.U. von Balthasar[42].
Pour cette étude, nous nous sommes
inspirées des auteurs suivants : saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, sainte
Thérèse d’Avila, Mgr Glorieux, Ladislas Boros, Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus,
Charles Journet, H. U. von Balthasar[43].
Cette liste est étrange par son caractère méta-historique. C’est que, au plan
des conceptions théologiques en ce domaine, Balthasar est plus proche de saint
Augustin que son contemporain Pélage. Ils n’ont en commun ni l’époque, ni le
genre littéraire. Mais tous se rejoignent pour placer les deux commandements de
la charité au principe (comme source de toute intelligibilité) de leur
enseignement moral et mystique. Le fait de les confronter ainsi, sans prendre garde
à la chronologie, peut paraître illégitime en ce siècle où la méthodologie
exige que tout soit situé historiquement. Il est cependant certains domaines où
le temps interfère peu : la modalité du langage employé diffère mais la
doctrine sous-jacente est fondamentalement la même. De par leur interprétation
de l’Écriture en cette matière, ces divers auteurs sont au-delà du temps.
Ces penseurs s’unissent dans la
reconnaissance unanime que la révélation judéo-chrétienne est identifiée à
celle de l’amour (Agapè) de Dieu pour
les hommes conjointement à celle de la possibilité pour l’homme d’aimer (Agapen) Dieu en retours comme on aime un
ami.
La source de cette étonnante relation au
Créateur leur semble venir de la nature même de Dieu : l’amour de charité tel
qu’il est vécu en Dieu et proposé à l’homme dépasse tout ce qui peut être
imaginé puisqu’il s’identifie à la nature infinie de Dieu et ne trouve qu’une
manifestation limitée donc nécessairement inadéquate dans la passion du Christ.
Cette charité éternelle et incréée est source des actions extérieures de Dieu
(création, sanctification.) Le premier acte extra-trinitaire, selon un ordre
génétique, dans lequel transparaît l’amour de Dieu, est la création. Dieu qui
est parfait ne crée pas pour s’accomplir à la manière de l’homme mais dans une
gratuité absolue qui n’a d’autre raison que le don de lui-même.
La finalité de ce premier acte est dans
un second, premier selon l’ordre de perfection, réservé aux seules créatures
spirituelles. Dieu veut se donner dans une vie de charité réciproque semblable,
autant que faire se peut pour des natures créées, à la charité trinitaire.
L’union offerte trouve son modèle dans l’union éternelle et non créée des
personnes de la Trinité entre elles. Pour une créature, il ne peut exister
d’union plus proche de ce modèle que celle de la vision béatifique. Mais cette
vision ne peut être obtenue par autre chose qu’un amour de qualité
analogiquement semblable à l’amour intratrinitaire. Selon ces auteurs, nul
n’entre dans la gloire sans aimer Dieu d’une amitié intime, à la manière dont
les Personnes s’aiment entre elles. Tel est donc le projet ultime qui explique
de la part de Dieu la création gratuite de tout esprit, ange ou homme.
Mais pour que puisse exister un tel
amour d’amitié, dont la propriété première est d’être, à l’image des amitiés
humaines les plus nobles, totalement libre de la part de la créature, certaines
conditions sont présupposées : là où se trouve un esprit créé, Dieu se révèle
en vue de s’unir amoureusement avec cet esprit. En effet, pour que l’amitié
puisse naître, il est nécessaire en premier lieu que l’existence de l’ami et la
possibilité de l’aimer de cette manière soient connues. A cette révélation de
Dieu, toujours première et don de sa grâce, la créature répond par la foi au
sens de connaissance de ce que Dieu révèle. Appuyée sur la confiance dans la
vérité de cette révélation, si la créature y consent dans sa liberté, cette foi
peut alors s’épanouir dans une autre foi (appelée par saint Thomas d’Aquin la
foi confiante) et qui n’est autre qu’un premier amour reconnaissant. Cette
confiance peut se concrétiser dans l’expérience en la créature d’une présence
d’habitation affective. Dieu est là, tout proche, à l’intersection entre la
conscience et la foi. En dernier lieu, cette confiance peut elle-même
s’épanouir en amitié. Si la créature a l’audace de s’adresser à son Dieu comme
à son ami, d’égal à égal dans un amour de réciprocité fondé sur l’édifice
précédant, il entre dans la vie de la grâce sanctifiante. Cela se concrétise
selon les mystiques dans une vie d’oraison du cœur. « Je l’avise et il
m’avise », disait un paroissien du Curé d’Ars.
Saint Thomas d’Aquin[44],
conscient de la valeur surnaturelle de la charité, montre que son existence
même présuppose une surélévation de l’âme au-dessus de ses possibilités
naturelles. C’est le rôle, selon lui, de la grâce sanctifiante qui transforme
et surélève en rendant possible une vie avec la surnature de Dieu. L’existence
de la grâce sanctifiante a été posée en premier par saint Augustin dans sa
controverse avec Pélage pour expliquer la possibilité d’un rapport d’égalité
entre deux natures infiniment éloignées l’une de l’autre. Dès qu’il y a état de
grâce, il y a habitation des personnes divines et dès qu’il y a habitation, celle-ci
produit elle-même dans l’esprit ce qui la rend possible, à savoir la grâce
sanctifiante. La grâce vient dans l’essence de l’âme puis répand dans les
vertus théologales déjà existantes, surélevant la foi jusqu’ici source de
confiance en un Dieu proche mais inaccessible en une foi amoureuse d’un Dieu « amant de l’âme. » De même, l’espérance est vivifiée dans la volonté, la charité
lui donnant un réalisme qui ressemble à une nouvelle naissance. Nicodème, ce
fils éminent de la sagesse d’Israël, possédait les vertus théologales de foi et
d’espérance mais était considéré par Jésus comme non encore né tant
qu’elles n’étaient pas transfigurées par la charité.
La justification
est un terme théologique dont l’origine évangélique[45] a
reçu l’interprétation suivante en théologie scolastique : l’acte par lequel
Dieu « transfère » dans l’état de grâce celui qui vivait loin de sa présence
d’habitation. Par la charité, l’homme passe de l’état de non-justice par
rapport à Dieu à l’état de justice ou de sainteté. La justification est un acte
de la volonté libre de Dieu, qui répond à la réponse audacieuse de l’homme
selon l’adage de saint Augustin : « Dieu
qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. » L’homme étant un être libre, Dieu le meut en actionnant son libre
arbitre, et d’un libre oui à un autre, il le conduit, si l’homme ne refuse pas
ces motions, jusqu’au oui de la justification où fond en lui la grâce décisive,
celle qui rend possible l’exercice d’une charité réciproque.
La grâce de Dieu vient toujours prévenir
l’homme et elle le pousse pas à pas vers la justification. Les voies peuvent
être diverses mais commencent toujours par une certaine prise de conscience de
Dieu. En ce sens, la foi (entendue ici comme une simple connaissance) est la
racine de la justification. Puis vient l’espérance en Dieu, espérance dans sa
Parole qui ne peut manquer de tenir les promesses crues par la foi. Unies entre
elles, la foi-connaissance et l’espérance forment une attitude théologale que
des spirituels comme Luther appellent « Foi. » Il s’agit de la foi confiante dont nous avons exposé précédemment l’existence et
qui a pris depuis la Réforme une grande importance. Il est clair que
l’utilisation par l’Écriture Sainte du mot foi en des sens très différents ne
rend pas facile la tâche du théologien. Pour les auteurs cités dans cette
section, si les voies de la justification sont préparées par l’espérance en la
miséricorde mais la grâce ultime, la seule grâce qui en définitive compte et
est vie, consiste dans l’expérience mystique d’une amitié avec la Trinité
rendue possible par la charité. La
justification est donc spécifiée pour ces auteurs par le premier acte d’amour
d’amitié envers Dieu. Cet acte, quel que soit son peu d’intensité, implique une
union d’égalité et de réciprocité. L’amour existait avant mais, n’ayant pas eu
l’audace de se séparer de la distance respectueuse de la créature, puis de
l’enfant devant la transcendance du Créateur et du Père, il ne pouvait être
qualifié de charité. Il demeurait une forme religieuse de l’amour (aimer Dieu
en tant que Créateur) ou un exercice théologal de la foi et non une amitié
réciproque (vertu théologale de charité). On le voit, aux yeux de ces auteurs,
la spécifité des religions catholiques et orthodoxes est à la fois une notion enfantine
(car l’audace d’un tel amour mérite l’inconscience de l’enfant) et impliquant
une maturité d’adulte (car l’amitié ne peut être vécue de manière vraie que par
une personne morte aux autres motifs d’affection : plaisir et utilité.)
L’amitié est chose très rare et pure. La charité étant une amitié théologale,
l’Eglise a toujours affirmé qu’il était impossible à un homme de savoir s’il
aimait Dieu de cette manière[46]. La
charité ne cesse de s’affiner au cours d’une vie, à mesure qu’elle est détachée
de ce qui la pollue et la rend moins noble. Il faut du temps pour passer d’un
amour intéressé (même inconsciemment) à l’amour d’amitié total, où seul l’autre
compte. Cette évolution fut magistralement décrite par les Docteurs mystiques
Thérèse d’Avila et Jean de la Croix.
Par rapport au sujet qui nous intéresse,
la doctrine du mérite est éclairante[47].
Elle enseigne que la grâce sanctifiante mise en l’homme par Dieu mérite à ses
yeux selon la justice qu’il a lui-même
établi d’être récompensée au terme de la vie terrestre par l’obtention de
la vision béatifique. L’union affective rendue possible par la grâce
sanctifiante et la charité s’ouvre avec certitude à l’union effective de la
gloire[48].
Ainsi, la charité telle qu’elle est vécue dans une vie terrestre n’est qu’une
ébauche de la réciprocité que Dieu s’engage à donner à ceux qui l’aiment. «
Nous serons des dieux car nous le verrons face à face », dit saint Jean[49].
Pour les auteurs de cette doctrine, le rapport charité-vision béatifique est
nécessaire, sans qu’il puisse exister d’exception : nul ne peut entrer dans la
vision sans la charité. Pour eux, l’analogie la plus éclairante est celle des
noces : nul ne peut prétendre épouser une femme s’il n’existe pas de manière
réciproque, un amour d’amitié qui les pousse à échanger leur consentement. De
même, nul ne peut s’unir à Dieu dans la vision béatifique (les noces de
l’agneau) sans la charité réciproque.
Jusqu’ici, la doctrine sur le mérite et
la justification par la charité est limpide et laisse le goût de la Bonne
Nouvelle. Mais dès qu’il s’agit de se pencher sur le « comment » concret, sur
la manière dont Dieu communique la possibilité du salut aux hommes, les choses
se compliquent. Si l’on considère l’entrée dans la vision béatifique comme le
terme de l’histoire des hommes et des nations et si l’on garde avec la
tradition catholique l’analogie des noces humaines pour éclairer de manière
adéquate ce mystère, d’où la nécessité de la charité au centre de la vie
chrétienne, on se trouve confronté au problème suivant : il est de notoriété
que peu d’hommes se dirigent dans la vie mus par la charité au sens le plus
théologique que peut prendre cette notion : amour
surnaturel d’amitié pour Dieu et pour son prochain à cause de Dieu.[50] La
plupart meurent sans vivre de la charité. Si l’on reprend les mots mêmes de
l’évangile de saint Jean[51], « Ils ne sont pas nés d’en haut. » En d’autres termes, dira saint Thomas
d’Aquin, ils sont spirituellement morts.[52]
Ainsi, lorsque le Pape Benoît XII définit solennellement que « selon la disposition générale de Dieu, les
âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur
mort en enfer »[53],
faut-il en déduire avec saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et la scolastique
jusqu’au Concile Vatican II la damnation éternelle des païens, des enfants
morts avec la marque du péché originel, des chrétiens morts sans avoir eu le temps
de se repentir d’une faute en contradiction avec la charité ?
Tout repose en fait sur l’interprétation
de l’expression péché mortel. Pour
saint Thomas d’Aquin, le péché mortel est une notion analogique très large
puisqu’il intègre des péchés non volontaires (péché originel chez l’enfant,
l’ignorance non coupable chez les païens), et des péchés volontaires (de
faiblesse ou de méchanceté chez les chrétiens). Au sens le plus analogique de
sa théologie issue de ses grands prédécesseurs, tout homme qui ne vit pas de la
charité est dans un état de péché mortel[54].
Cela lui vaudra, s’il meurt, d’être séparé de Dieu pour l’éternité. Selon lui
en effet, tout homme qui ne vit pas de la grâce sanctifiante, pour quelque
raison que ce soit, libre ou non, est en état de mort spirituelle. La
notion de « péché mortel », cet acte et cet état spirituel qui
selon le pape Benoît XII, conduit en enfer, est donc très large[55].
Elle peut être le fait des petits enfants comme des faibles. Pour s’en
convaincre, il peut être intéressant de lire l’article de sa Somme
Théologique intitulé : « Le péché de
faiblesse peut-il être un péché mortel ? » Cette conclusion semble même
portée par les textes évangéliques : en Jean 3, 5, Nicodème, homme de bonne
volonté, mu par la foi et l’espérance d’Israël, n’en doit pas moins naître
selon l’esprit pour entrer dans le Royaume de Dieu.
Saint Thomas d’Aquin n’est pas à blâmer
d’avoir ouvert largement les portes de l’enfer. Comme saint Augustin, il s’est
montré fidèle à la doctrine de sa foi et a manifesté avec soumission les
conséquences des données suivantes : la charité seule ouvre le Ciel, et cette
charité doit être acquise tant que dure la vie terrestre. La vie est le temps
du mérite et la durée de ce temps est limitée. Il y aura un terme et déjà dans
les desseins de Dieu ce terme est prévu et fixé pour chaque homme. Chacun,
étant donné la nature humaine avec ses faiblesses, ses alternatives de bons
désirs ou de lâches retours, peut donner son concours à la grâce de Dieu. La
grâce divine excitera, soutiendra, reprendra par ses sollicitations multiples
et diversifiées presque à l’infini, s’adaptant à la prédestination de chacun.
Cependant, force nous est de le constater, la grâce décisive qui justifie n’est
pas proposée à tous, parce que le missionnaire n’a pas prêché, parce que la
mort est venue trop tôt, parce que l’Église n’était pas icône de l’Évangile ou
parce que Dieu s’est tu (voir le septième sceau de l’Apocalypse de saint Jean.)
Lorsque le jour du Seigneur arrive comme un voleur, peu de lampes sont
allumées, la plupart du temps parce que l’homme n’avait pas entendu dire qu’il
existait une lampe. Pourtant, une fois le terme atteint et le temps de
l’épreuve terminé, le « status viae »
fait place au « status termini. » Il ne peut être question d’existences
nouvelles, de métempsycoses, de réincarnations où de nouveau l’épreuve serait
tentée sur de nouvelles bases ou en des conditions différentes. L’âme sera
conduite à son sort éternel en fonction de l’emploi qu’elle a fait du temps qui
lui fut laissé. L’Évangile est formel à cet égard : le riche est jeté au feu
malgré son regret[56] ;
Lazare est appelé dans le sein d’Abraham. Il n’est pas jusqu’au degré de ce
bonheur qui ne soit fixé par l’usage que dans son pèlerinage terrestre l’homme
aura fait de sa liberté et de sa correspondance à la grâce.
Saint Thomas d’Aquin enseigne un autre
point qui selon lui, à cause de la netteté de l’enseignement de l’Église à cet
égard, ne peut faire de doute, à savoir que le terme assigné à l’état d’épreuve
n’est autre que la mort. Le temps des œuvres méritoires est égal à la durée de
la vie. Après la mort, aucun recours n’est plus possible mais le sort de
l’homme se trouve alors définitivement fixé pour l’éternité. Toutes ces
formules sont équivalentes et elles expriment un état de fait : « Dieu a lié le sort de l’homme à l’heure de
sa mort.[57] »
Le problème grave qui se pose alors est
de savoir pourquoi certains hommes sont morts sans la charité sans qu’il y ait
faute de leur part. Plusieurs solutions ont été avancées.
Certains[58] ont
pensé résoudre le problème de la manière suivante : « Tout homme de bonne volonté meurt avec la grâce de Dieu, même si
cette grâce ne transparaît pas. Le Royaume de Dieu ne se laisse pas voir de
l’extérieur. Ils sont donc sauvés. »
Selon eux, Dieu ne se tait donc jamais mais c’est l’homme qui ne sait discerner
la grâce sanctifiante là où elle est, à savoir dans tout acte humainement bon.
Le Cardinal Journet soutient cette position en introduisant la possibilité
d’une charité implicite.
Mais nous ne pouvons suivre cette
position, au moins dans la perspective de ce paragraphe : nous ne parlons pas
ici du salut obtenu par n’importe quelle grâce surnaturelle mais selon les
expressions scolastiques consacrées, par la
grâce sanctifiante librement et
consciemment exercée en charité
(sauf pour les petits enfants, précisera-t-on, où la charité peut exister sans
exercice.) Les grâces peuvent être multiples dans le chemin qui mène l’homme à la
charité (pré-attraction, grâces actuelles, présence d’un prédicateur de
l’Évangile, foi, espérance etc.) Il ne s’agit pas ici de ces grâces
préparatoires mais de la seule charité. Or une telle vie spirituelle ne peut en
aucun cas être totalement vécue dans l’inconscient pour un adulte. Il en est de
même pour l’amitié entre deux personnes humaines : il est aussi irréaliste de
parler d’amitié entre deux personnes qui ne se connaissent d’aucune manière que
de parler de charité pour une personne qui n’a pas la foi.
D’autres solutions plus bibliques ont
été proposées : pour saint Thomas d’Aquin, le silence de Dieu qui ne communique
pas sa grâce sanctifiante à de nombreux hommes est un mystère dont il ne
trouve pas d’explication autre que celle de l’Écriture : « Il endurcit qui il veut et il propose son salut à qui il veut »[59].
Avec sa foi d’un réalisme terrible, constatant d’expérience que des millions
meurent sans la charité, il admet leur damnation éternelle comme un acte où
s’exprime la justice divine. La définition de l’état de mort spirituelle est
large puisqu’elle s’étend à tout homme dont la fin ultime est en dehors (à
noter en dehors pas nécessairement en contradiction) de la charité.[60] Saint
Thomas d’Aquin, nous le verrons, nuance parfois cette idée vertigineuse en
imaginant pour les païens de bonne volonté la possibilité d’une révélation
directe du Christ avant la mort, proposant la possibilité d’adhérer au salut
par la charité, sans l’intervention du missionnaire dont parle saint Paul dans
l’épître aux Romains[61]. Il
écrit : « A un homme qui, sans y mettre
d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher le bien et éviter le
mal, on doit tenir pour très certain que Dieu révélerait par une inspiration
intérieure les choses qu’il est nécessaire de croire ou lui enverrait quelque
prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille. » S’il avait pu terminer la Somme Théologique, sa pensée
sur les fins dernières n’eût sans doute cependant pas essentiellement différé
de celle de saint Augustin, du moins si l’on en juge par ses derniers écrits.
La grâce particulière dont il parle dans ce texte très court est selon lui
exceptionnelle et privée. Parler autrement l’aurait conduit à une conséquence
inacceptable à ses yeux. N’aurait-il pas réduit l’Église hiérarchique tel que
Jésus l’a voulue à une servante inutile, Jésus pouvant se substituer à elle à
l’heure de la mort.
La théologie catholique issue de saint
Augustin et saint Thomas d’Aquin a été marquée au cours des siècles suivants
d’une certaine gêne : Comment harmoniser l’amour d’un Dieu qui donne sa vie sur
la croix et la théorie d’une justice qui damne des innocents, enfants ou païens
? La contradiction, flagrante de nos jours, sera pourtant pendant des siècles
refoulée dans l’inconscient collectif des chrétiens, la fidélité aux dogmes ne
paraissant pas pouvoir s’accommoder d’une autre solution que celle-ci. Cette
doctrine aura aussi des conséquences positives pour l’Église : Portés par leur
inquiétude pour le salut des païens, des générations de missionnaires ont donné
leur vie pour annoncer le salut de Dieu.
Cependant,
au cours des temps et surtout à l’époque contemporaine, on voit cette doctrine
structurée dans sa logique éclater ici et là, souvent sans même que les auteurs
s’en aperçoivent. Dans son ouvrage de vulgarisation théologique intitulé « Entretiens sur la grâce »[62], le Cardinal Journet commence par
énoncer en chapitres précis la pensée thomiste sur le salut réservé à la seule
grâce sanctifiante, fondement de la vertu de charité.
Puis,
tout naturellement, sa pensée le conduit à se pencher sur le cas de ceux qui
meurent sans la charité. Selon lui, avant que la venue du Christ ne soit
manifeste à la conscience d’un homme religieux tel qu’un juif qui en a pourtant
reçu la foi et l’espérance, l’homme se trouve dans « l’état de l’attente du Christ.
» Les hommes sont sauvés par lui, sans avoir encore vu sa venue, s’ils « croient » profondément par un assentiment de foi théologale que Dieu est
et qu’il est secourable. Dans la foi que Dieu est, est contenue de manière
implicite la foi en la Trinité. Dans la foi en un Dieu secourable, est
pré-contenue la foi en l’Incarnation rédemptrice. Le cardinal Journet fonde sa
thèse sur l’épître aux Hébreux[63] : «
Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Car celui qui s’approche de
Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le
cherchent. » Il admet donc ici, pour certains hommes morts sans la charité,
l’exception d’un salut par la foi confiante.
Il
ira même plus loin : son réalisme philosophique et théologique lui faisant
reconnaître qu’il existe des êtres qui n’ont même pas à l’heure de la mort la
possibilité de faire un acte de foi en l’existence de Dieu, il admettra la
possibilité d’une justification « par
la bonne volonté » des actes,
rejoignant ainsi tout un courant moderne[64]. Sa pensée, d’inspiration thomiste,
peut se résumer ainsi : l’enfant né dans une tribu sauvage où l’Évangile ne
sera jamais prêché, n’en développe pas moins une conscience morale. Il posera
un premier acte libre, conscient et moral par lequel il se tournera vers le
bien ou vers le mal. L’essentiel n’est pas l’objectivité de ce bien ou de ce
mal mais plutôt qu’il soit bien ou mal selon ce qu’est la conscience de
l’enfant. Dans la mesure où il choisit le bien, il est secrètement investi de
la grâce de Dieu. Le cardinal Journet conclut alors : « A cet instant, cet enfant est justifié et purifié du péché originel.
»
Il
parle aussi d’une notion qu’il qualifie de «
charité implicite. » Selon lui,
tout homme qui aime de manière altruiste son prochain, même si cet homme est
païen ou athée, aime sans le savoir le Dieu qui est la plénitude de la bonté.
Implicitement, cet homme vit d’une charité qui n’est pas explicitement une
amitié pour le Dieu de Jésus Christ. L’évangile de saint Mathieu semble
conforter cette thèse[65] : «
Alors le Roi dira à ceux de droite :
Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été
préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à
manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous
m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité,
prisonnier et vous êtes venus me voir. Alors les justes lui répondront :
Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé
et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou
prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette réponse : En vérité
je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de
mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » Selon le Cardinal
Journet, l’homme de bonne volonté, à cause du caractère implicite mais réel de
sa charité, est introduit dans le salut et il mérite après sa mort, l’entrée
dans la vision béatifique.
Que
penser de cette théologie ? Tout se résume dans le fait de savoir s’il peut
exister une charité implicite. Pour y répondre de manière moins théorique,
l’analogie de la foi est éclairante. La charité est une amitié entre Dieu et la
personne. Elle fonctionne au plan surnaturel comme au plan humain l’amour
d’amitié le plus fort entre deux personnes. Existe-t-il une amitié
implicite ? Tel homme, parce qu’il est de bonne volonté, honnête et disposé à
la fidélité, aime-t-il d’un amour implicite Juliette qui est là ? Est-il
possible de les unir dans le mariage, sans autres conditions ? Posée ainsi, la
question revêt un caractère cocasse. Au plan humain, on doit y répondre de la
manière suivante : non, cet homme ne peut être marié à Juliette. Une seule
chose est certaine. Parce que Juliette est, elle aussi, honnête et de bonne
volonté, quelque chose peut les disposer à s’aimer un jour, à condition 1)
qu’ils se rencontrent, 2) qu’ils se plaisent, 3) etc. La théologie officielle
définie par l’Eglise au Concile de Trente ne parle pas autrement de la charité
vis-à-vis de Dieu. Pour elle, il ne peut exister de charité implicite, mis
seulement toute une série de dispositions qui, si les personne se rencontrent,
aboutiront certainement à la charité. Ainsi, pour parler avec précision, la
grâce surnaturelle qui anime l’homme dont parle le cardinal Journet n’est pas
la grâce sanctifiante agissant par la charité (voir précédemment) mais
seulement cette attraction mystérieuse qui attire tout homme, sans même qu’il
en ait conscience, vers Dieu. Il s’agit d’une grâce actuelle que saint Thomas
d’Aquin distingue formellement[66] de la grâce sanctifiante. Il l’appelle
la « prémotion divine. »
Existe-t-il
donc, pour le cardinal Journet, un salut fondé sur la seule valeur d’actes de
volonté naturelle ? N’est-ce pas en contradiction flagrante avec premiers
chapitres de son ouvrage ? Faisons-lui cependant justice : interrogé, il aurait
certainement précisé sa pensée trop visiblement contradictoire avec les pages
sur la nature de la justification par la seule charité, en disant, avec le
Concile de Vatican II que les hommes ne sont pas justifiés au sens fort par
leur seule bonne volonté ou foi mais «
disposés à l’être par cette bonté de leurs actes, dès que le salut de la
charité leur sera prêché. » La pensée du cardinal Journet nous paraît
significative de la gêne des théologiens catholiques quand ils essayent de
faire se rejoindre leurs convictions dogmatiques et leur expérience à propos du
salut par la charité : ou bien la charité théologale est nécessaire durant la
vie terrestre pour être sauvé et l’on doit admettre la damnation de foules
immenses ou bien elle n’est pas nécessaire et les dogmes de l’Église catholique
sont constamment nuancés, interprétés, déviés de leur sens pourtant précis et
sans équivoque. Le dilemme posé par J.J. Rousseau précédemment ne s’en trouve
pas résolu.
Des
théologiens catholiques se sont efforcés, tout en gardant la plénitude des
dogmes, de trouver d’autres solutions au problème de la damnation des païens.
Au XXème siècle, on peut citer la tentative subtile de Mgr Glorieux[67]. Évêque dont l’orthodoxie et l’écoute
du Magistère de l’Église ne peuvent être mis en doute, il s’est efforcé de
résoudre la question du salut de ceux qui paraissent mourir sans la charité. Il
émet une hypothèse qui peut être résumée de la manière suivante[68] :
Mgr
Glorieux suppose que, si saint Thomas avait pu terminer sa Somme, il aurait
adopté sa thèse. Il se situe donc résolument dans la ligne du Docteur Commun.
Son intention consiste à aborder, à l'école de saint Thomas, la question des
fins dernières. A son école, c'est-à-dire en s’inspirant de ses enseignements
et des principes qu'il a posés, puisque lui-même n'en a point traité ex professo, et n'a soulevé nulle part
de façon explicite ces questions de l'impénitence finale et des grâces
dernières[69].
1-
Il compare le sort de l’ange et celui de l’homme chez saint Thomas : l’ange ne
se damne qu’à cause d’une obstination définitive, parce que libre et lucide,
dans le péché. « C'est pourquoi l'ange
s'étant délibérément prononcé au moment de son péché contre le souverain bien
qu’était Dieu et s'étant érigé lui-même en fin dernière, il se trouve de par sa
nature même dans l'impossibilité de voir autre chose, de vouloir autre chose,
de s'arracher à son moi pour se retourner vers Dieu. » [70] Or le choix de l’ange et celui de
l’homme sont identiques pour saint Thomas. De part et d'autre, l’esprit
s'immobilise dans la décision prise et devient incapable de revenir sur elle.
Et ceci, d'ailleurs, pour des motifs semblables ; car l'explication fournie
plus haut de l'endurcissement du démon, s'applique de point en point à l'âme du
damné ; si bien que nulle raison n'existe qui puisse la faire revenir sur son
choix. » Volontairement coupable, nécessairement impénitent, il sera l'éternel
ennemi, l’éternel damné. Entre les deux cas : la mort chez l'homme, la chute
chez l'ange, la parité semble absolue pour saint Thomas[71].
»
2-
Or cette obstination parfaite ne peut exister sur terre pour l’homme à cause du
corps (passions, raisonnements fragiles.) La doctrine de la parité entre l’ange
et l’homme pour la damnation pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
L’homme, à cause de sa faiblesse n’est pas capable d’une telle obstination
satanique, au moins durant sa vie terrestre.
« Et pourtant s'en tenir à cette
affirmation nous semble trop sommaire. C'est passer à côté de la difficulté et
négliger le véritable problème que pose justement le texte du Damascène et son
exploitation par saint Thomas. Ce qui à première vue semblerait être la raison
décisive du rapprochement entre l'ange et l'homme et de l'identité dans
l'explication de leur éternel malheur à tous deux, n'est-il pas précisément ce
qui différencie leurs cas du tout au tout, et ce qui, pour être dans la logique
des principes posés par saint Thomas, devrait nous faire reprendre tout le
problème pour l'examiner à nouveau de très près ? »
Pour
que l'obstination de l'âme s'explique de la même façon et pour que soit exact
ce parallélisme étroit sur lequel insiste saint Thomas entre le damné et le
démon, il faudrait que chez elle, comme chez l'ange, ne se trouvent,
naturellement ni surnaturellement, de causes susceptibles de la faire revenir
sur sa décision ; Qu’aucun élément nouveau n'intervienne après l'élection
dernière à laquelle elle s'est portée, capable de modifier sa façon de voir et
de l'amener à réviser son choix.
3-
S’il en est ainsi, Mgr Glorieux se voit obliger de poser l’hypothèse d’une
lucidité parfaite donnée par Dieu à l’homme. Cet état ne peut exister, selon
lui, tant que l’homme est lié à son corps. Le poids de la nature corporelle
emprisonne par trop l’intelligence et le choix pour qu’il ait cette propriété
de lucidité parfaite. Il ne peut donc exister que par la séparation de l’âme et
du corps.
« Qu'on veuille bien l'observer, le
raisonnement de saint Thomas n'a de rigueur et de valeur que si l'on suppose ce
jugement porte par l'âme quand déjà elle se trouve établie dans un état pareil
à celui de l'ange, quand elle est substance spirituelle séparée. »
Entre
l'âme unie au corps et l’âme séparée, il y a un abîme, tant pour le mode que
pour l'objet de sa connaissance. A partir du moment où elle est séparée du
corps, sa connaissance n'est plus comme auparavant acquise en partant des sens.
Elle participe au mode de connaissance de l'ange. Et même si elle doit être vouée
à l'enfer, l’âme reçoit de Dieu tout le bagage d'espèces infuses qui lui sont
dues naturellement. Entre l'âme unie au corps et l'âme séparée, n'y a-t-il
pourtant pas de disparité complète. Dans les deux états, la personne demeure
substantiellement elle-même. Son mode d’exercice spirituel a cependant été
bouleversé, lui permettant une activité de qualité angélique. Le passage d'un
état où les appétits étaient multiples, où le poids du corps était lourd et
aggravait l'esprit subtil, où les passions pouvaient sans cause apparente
arrêter ou brouiller les jugements de l'âme, où les décisions dernières étaient
prises sous cette multiplicité d'appétits, de tendances et d'influences
extérieures, le passage de cet état à un autre où l'âme deviendrait participante
de la simplicité d'appétition qui est propre à l'ange est en effet très
différent au plan psychologique :
« Qu'on le veuille ou non, le fait même
de la mort introduit nécessairement dans l'expérience psychologique de l'âme
une révolution totale, inévitable puisque commandée par la nature même des
choses ; un bouleversement capital, capable et au-delà d'amener une révision
complète des jugements précédents. »
Si
on n’admet pas cette hypothèse, on est obliger de reconnaître que c’est Dieu
lui-même qui est positivement responsable de la damnation d’une âme qu’il fixe
dans le choix fragile mais définitif de son dernier instant. Cette thèse
ancienne paraît à Mgr Glorieux par trop opposée à la révélation du Dieu de
Jésus-Christ.
« Si dans ces conditions on prétendait
maintenir malgré tout son incapacité à se déjuger, à réviser ses décisions
antérieures, celle-ci ne pourrait en toute vérité être attribuée qu'à Dieu qui
en déciderait ainsi, et qui lui interdirait, malgré les éléments nouveaux
d'appréciation dont elle disposerait, de revenir sur ce qu'elle a fait. »
Selon
l’auteur, cette hypothèse est thomiste par essence. Encore qu'il ne le dise pas
explicitement, et qu'il ne se prononce pas là-dessus, toute la logique du
raisonnement de saint Thomas suppose que le choix décisif de l'âme se fait
quand s'inaugure pour elle son état d'âme séparée
4-
Il émet une objection de la foi à cette hypothèse : le « status viae », celui de l’apprentissage et du mérite, est fini à
la mort. Or cette doctrine est un dogme de la foi. N'est-ce pas en effet rompre
en vision avec toute la tradition, avec l'enseignement courant que traduit
précisément ce langage, que de rejeter non plus au dernier moment de la vie
mais au premier moment de l'après-vie, comme cette thèse semble bien l'exiger,
l’acte qui prononcera du sort éternel de l'homme ? N'est-ce pas, par le fait,
prolonger indûment (ne serait-ce peut être que d'un instant, mais illégitime
déjà) le « status viae » et placer la
détermination dernière et le véritable dénouement du drame du salut personnel
quand déjà le « status termini » est
commencé ?
5-
En s’appuyant sur une méthode thomiste, il trouve une réponse à cette
objection. Il arrive à résoudre cette objection en se servant de l’analyse
thomiste du mouvement et en l’appliquant au sens du mot mort. Il montre que
plusieurs significations se cachent sous ce mot :
a-
Le processus d’agonie qui prépare la séparation de l’âme et du corps ;
b-
L’acte même de cette séparation qui lui semble nécessairement instantané ;
c-
Ce qui suit cette séparation.
On
reconnaît là la classique analyse thomiste du mouvement : avant, pendant,
après. La pointe de sa recherche se trouve dans un travail philosophique puis
théologique sur l’instant de la séparation. Il croit pouvoir lire dans saint
Thomas d’Aquin que rien ne s’oppose à ce qu’un mouvement, pourtant instantané,
puisse être en même temps le lieu d’une extrême activité. On le voit selon lui
dans des exemples tels que la création, la mutation. Appliquée à l’instant de
la mort, cette considération peut se ramener à quatre points :
a-
La mort implique séparation de l’âme d’avec le corps qu’elle informait
précédemment ; Il n’y a donc pas de mort tant que l’âme demeure unie au corps,
si peu que ce soit, puisque union et séparation, être uni et ne pas être uni,
sont opposés contradictoirement.
b-
Cette séparation est instantanée ; Et par le fait même, se séparer et être
séparé, se confondent.
c-
En l’instant où se réalise cette séparation, rien ne s’oppose à ce que puisse
s’exercer une riche activité d’ordre spirituel de connaissance, d’appétition,
de libre adhésion.
d-
Si enfin, à cet instant précis de la séparation, de la mort, l’âme exerce une
activité, celle-ci revêtira les caractères des opérations propres aux
intelligences séparées.
Pour
Mgr Glorieux, ces quatre points paraissent aptes à être soutenus en
philosophie, sans que la révélation chrétienne soit nécessaire.[72]
Dans
un second temps, il émet l’hypothèse que cet instant de la mort, celui qu’il
vient de décrire comme siège d’une activité spirituelle de type angélique
(propre aux intelligences séparées), fait encore partie de la vie terrestre,
c’est-à-dire de l’état d’union entre l’âme et le corps (hypothèse difficile
s’il en est puisqu’il admet dans le même temps que l’âme exerce alors son
activité spirituelle de la même manière que le décrit saint Thomas d’Aquin pour
les esprits sans corps.
6- A
partir de cette hypothèse qui sera ensuite élaborée de manière impressionnante
par Ladislas Boros[73], P. Glorieux peut justifier avec force des
domaines mystérieux de la théologie.
« Il
reste néanmoins que, transposé dans ces conditions que nous ne pouvons que
malaisément entrevoir, le geste décisif de l'homme s'ouvre à d'étranges
perspectives. La mort, même celle du pécheur, n'est plus le coupe-gorge ou
l'embuscade que, dans certaines façons de présenter l'impénitence finale, Dieu
semble lui dresser (...) Elle apparaît comme plus digne de l'homme et plus
digne de Dieu. »
Il y
voit aussi l’explication dernière au mystère de l’éternité de l’enfer, le damné
s’étant obstiné jusque dans les grâces de l’instant de la mort, donc en pleine
lucidité spirituelle à la manière des démons. Il y voit la solution au problème
du salut des païens à qui la miséricorde divine peut être appliquée de manière
ultime, à travers une révélation spirituelle et intuitive de l’Évangile.
« L’âme pourra d'autant moins reprocher
à son Dieu sa damnation qu'à ce moment-là, pour la dernière fois il est vrai,
la grâce lui sera offerte. Et là encore, toutes sortes de perspectives
s'offrent à la spéculation théologique ; car c'est là que vient se placer
précisément le problème des grâces dernières. Dans ce combat dernier où se joue
le sort de l'âme, un élément prépondérant peut intervenir : la grâce. »
Selon
lui, non seulement les lumières nouvelles qui devraient être naturellement
données même à l'âme destinée à l'enfer, puisque ce mode de connaissance lui
devient connaturel ; Non seulement la libération soudaine de l'âme soustraite
aux chaînes de son corps, de ses sens et de ses passions ; toutes choses
inséparables de cet état nouveau et qui demeureront quelle que soit l'issue du
débat ; mais auprès d'elles les ressources infiniment variées et riches de la
grâce actuelle ; Les lumières qui peuvent être données à l'intelligence et
aller jusqu'à l'éblouissement ; Les attraits qui peuvent être déposés dans la
volonté et l'emporter sans peine sur toutes les résistances invétérées. Ainsi,
si l'homme se damne, sa réprobation n'est en aucune façon imputable à Dieu, car
même alors le secours véritablement suffisant lui aura été présenté.
Il
réfute à l’avance une accusation qu’il prévoit : son hypothèse ne rend-elle pas
le salut par trop facile ? « Ce n'est point d'ailleurs décréter par
avance le salut de tous les pécheurs et fermer l'enfer devant eux, que de
reporter (comme la thèse de saint Thomas semble nous y engager) le choix
dernier de l'âme dans les conditions que l'on a dites. L'ange a pu pécher, lui
qui pourtant avait la lumière autrement vive que notre pauvre âme humaine. Et
l'homme se trouve moins assuré encore que l'ange de son salut. II serait
inexact, croyons-nous, de vouloir utiliser cette thèse au profit de l'opinion
ultra-miséricordieuse. »
Mgr
Glorieux reste volontairement en retrait de certaines conclusions qu’il voit se
profiler derrière sa thèse. La question des grâces de l’heure de la mort
intéresse notre propre recherche. Il ne se prononce pas.
« Nous n'avons point voulu aborder
précédemment ce problème très contesté de révélations dernières faites par Dieu
à toutes les âmes au moment de la mort. Ni le dogme de la grâce suffisante, ni
celui de la miséricorde divine ne requièrent cela pour ceux qui ont connu la
vraie foi et auxquelles suffisent les grâces de rappel, de lumière ou de force
sans que s'y joigne une révélation divine. Mais ne pourrait-on pas le supposer,
du moins avec une certaine vraisemblance, pour les âmes qui ont besoin non
seulement de grâces actuelles pour se sauver, mais de foi, et donc de
révélation. »
De
même, son hypothèse ne lui paraît pas porter en elle une solution définitive à
la question du salut des enfants. Il reste très prudent, comme en retrait.
Pourquoi ne se permet-il pas d’aller plus loin ? Selon lui, ces divers
problèmes peuvent s'expliquer l'un par l'autre. Mais ils ne s'impliquent pas
nécessairement l'un l'autre. Sans doute les explications seraient-elles
facilitées par la thèse qu’il expose. Ce n'est pas là cependant un argument
suffisant à ses yeux pour les ériger en certitudes. Mais la thèse elle-même ne
dépend pas de ces applications lointaines plus ou moins assurées. Plus modeste
dans ses prétentions, elle a voulu uniquement s'autoriser des principes posés
par saint Thomas dans l'explication qu'il fournit de l'obstination des démons
et, partant, de la justice de Dieu dans le châtiment qu'il leur inflige. Nous
montrerons plus loin que notre propre recherche aborde de façon tout autre
cette question.
« Nous n’irons pas jusqu’à dire qu'il en
pourrait être ainsi même pour les enfants, car il ne faut point compromettre de
bonnes causes par d'imprudentes hypothèses. Pourtant on ne peut oublier que,
même pour les enfants morts avant le développement de leur raison, l’état
d'âmes séparées dans lequel les plonge la mort, implique également aussi bien
que pour les adultes, et aussi connaturellement, l’infusion d'espèces
intelligibles qui leur permettent de ne pas demeurer éternellement dans la
torpeur ou l'hébétude, mais d'avoir une vie et une activité semblable à celles
des anges. Mais on reste là dans le domaine naturel ; une révélation nous
transporterait dans le domaine surnaturel pour lequel on ne peut rien affirmer,
si Dieu lui-même n'a rien certifié. »
Le
problème de Mgr Glorieux, s’il ne l’avoue pas, semble être le suivant : Pour ce
qui concerne les enfants morts sans baptême, la grâce de Dieu leur serait
proposée après la réception d’espèces intelligibles qui les rendraient capables
de juger. Or cela se passerait nécessairement après leur mort. Il y a
ici pour le coup contradiction flagrante avec le dogme de la foi. Les artifices
de la dialectique n’y peuvent rien changer, à moins d’admettre que, dans
l’instant de la mort, les enfants soient rendus à la fois mûrs au plan naturels
et saints au plan de la grâce.
Dors
et déjà, on peut émettre à la thèse de Mgr Glorieux les deux réserves suivantes
:
1)
N’est-il pas limite en théologie, en utilisant un artifice logique thomiste,
d’arriver à conclure que l’état d’une âme séparée fait partie intégrante de la
vie terrestre ? Nous verrons ultérieurement que c’est sur ce point là que notre
propre recherche se sépare de celle de cet auteur.
2)
Plus grave encore, il affirme que l’homme devient enfin lui-même quand son âme,
enfermée dans le tombeau du corps, en a été totalement séparée. Cette thèse de
type platonicienne, est en contradiction avec la foi en la résurrection de la
chair. Elle identifie trop l’homme à l’ange et néglige l’immense richesse
qu’est pour l’homme le fait de posséder un psychisme et un corps physique. Nous
montrerons ultérieurement à quel point il est important de respecter l’homme
dans la plénitude de sa nature et de ne pas confondre le poids du corps comme
conséquence provisoire du péché originel, avec la nature du corps. Notre thèse
rendra sa place au corps.
Ladislas
Boros n’a pas les exigences d’orthodoxie de Mgr Glorieux. Il connaît sa thèse
mais il s’en sépare et assume plènement ce que l’évêque n’approchait que du
bout des lèvres : l’inutilité du corps, la disparition définitive de la chair
pour la réalisation du choix éternel. Il élabore de manière impressionnante les
conséquences théologiques de ce présupposé platonicien[74].
1- La mort n’existe plus. Ladislas Boros se sépare résolument de
la problématique thomiste et dogmatique de Mgr Glorieux. Il s’appuie sur une
conception résolument platonicienne de l’homme pour réinterpréter les dogmes
catholiques, depuis celui de la résurrection à celui du purgatoire et du
jugement dernier. Ainsi, il commence sa recherche en se démarquant par rapport
à la conception thomiste de la mort. Habituellement la mort de l'homme est
conçue comme la « séparation de l'âme
et du corps. » Mais est-il encore
possible d'admettre une telle séparation ? A Jérusalem, devant le Sanhédrin,
saint Paul prononça cette parole si importante pour notre interprétation de la
mort : « C'est pour notre espérance, la
résurrection des morts, que je suis mis en jugement »[75]. Au centre de la prédication chrétienne
se place cette affirmation : dans la Résurrection du Christ la mort a été
vaincue. Depuis lors, ce qui se passe à la mort de l'homme n'est plus une
limite absolue de la vie. Il n’y a plus de mort donc, conséquemment, la
résurrection est l’heure de la mort. Boros résume sa recherche de la manière
suivante : « Nous pourrions formuler
brièvement notre opinion -déjà soutenue ailleurs- dans les termes suivants : à
ta mort s’ouvre la possibilité de la première décision pleinement personnelle
de l’homme. La mort est ainsi le lieu de la prise de conscience de l'homme, de
la rencontre de Dieu et de la décision sur le destin éternel. »
Pour
mesurer toute la portée de cette hypothèse, il présente d'abord les raisons qui
l’amènent à considérer la mort de l'homme avec tant d'espérance. Son hypothèse
implique que c'est seulement au moment de la mort que l'homme peut déposer
l'aliénation de son existence ; c'est seulement à la mort qu'il est
suffisamment en possession de son être pour rencontrer totalement Dieu -dans le
Christ- et se décider définitivement par rapport à lui. « Tels sont les
principes dont nous partons pour repenser la théologie de la mort. »
2- Lié à son corps, l’homme est
dépossédé de lui-même. Avant la mort, l’homme est comme
étranger à lui-même, à ses aspirations et à leurs réalisations. Les plus belles
expériences de Dieu que nous faisons dans notre existence restent toujours à la
surface. Notre relation avec Dieu est irréelle, incertaine et sans consistance
: ce ne sont que des passages fugitifs. Une étrange incapacité règne à
l'intérieur de nous-mêmes : l'incapacité de voir et de faire l'unique
nécessaire. L'homme est incapable de jouir de la plénitude de son désir. Dans
la connaissance, l'homme saisit par anticipation l’absolu mais ne peut en
approcher. Connaître signifie que l'esprit reçoit en lui-même une vérité qu’il
peut saisir. L'amour humain dépasse toute réalisation. Dans l'amour deux
personnes réalisent une unité d'être lorsqu'elles prononcent avec vérité le mot
« nous. » Mais l’homme est condamné par sa condition à ne faire
qu’approcher la réalisation d’un tel amour. Comment un monde transfiguré
peut-il s'élever de cette vie déchirée ?
3- Libéré du corps, l’homme devient
pleinement lui-même. Pour la première fois, son intelligence
s’exerce dans sa pleine dimension : fait pour la connaissance et l’amour infinis.
A la mort, dans la perte totale de l'extériorité, surgit l'intériorité totale.
Ainsi, dans la mort seulement, l'homme devient parfaitement lui-même, une
personne définitive. « Considérons dans
son ensemble l'analyse que nous avons amorcée du désir, de la connaissance et
de l'amour humains. Au centre de tous ces actes de l'existence il y a une
rencontre claire, franche et pleinement personnelle avec le Christ, avec
l'Inconditionnel devenu contingent, comme le point Oméga, la condition de
possibilité de l'humanisation totale. C'est seulement à l'instant où cela se
réalise avec une totalité existentielle que l'homme naît vraiment. »
Nous
voyons que son esquisse de la structure de l'existence humaine implique déjà
une affirmation importante sur la mort, et cela dans le sens de l'hypothèse,
formulée au début, de la décision finale au moment de la mort. A la mort
seulement l'homme devient totalement une personne ; à la mort seulement il peut
obtenir définitivement son salut en produisant librement son être propre en
face du Christ. Si on prolonge les lignes de cette dialectique, si on en tire
l'ultime conséquence, on obtient l'image suivante de la mort : à la mort, dans
la perte totale de l'extériorité, surgit l'intériorité totale. Ainsi, dans la
mort seulement, l'homme devient parfaitement lui-même, une personne définitive,
un centre d'être totalement autonome. A la mort il devient définitivement « adulte » ; libre, éclairé, affranchi, capable de prononcer une décision
définitive. Dans cette décision se produit la rencontre la plus nette de sa vie
avec le Christ.
3- Conséquence de son hypothèse sur
la mort :
Dans cette perspective, il peut réinterpréter la théologie des fins dernières.
La résurrection signifie une totalité existentielle, une immédiateté de corps
et d'âme par rapport à l'univers, à l’heure de la mort.
« Le mot « résurrection » est ici comme
un symbole désignant l'interprétation de ce qui ne peut être interprété,
l'explication de ce qui ne peut être expliqué. La résurrection signifie une
totalité existentielle, une immédiateté de corps et d'âme par rapport à
l'univers. La nature corporelle se développe en une personne. L'homme pose dans
sa décision finale sa propre éternité. L'immortalité devient l'événement
concernant la personnalité totale de l'homme comme unité de corps et d'âme et
donc aussi comme résurrection. Dans cette perspective il n'y a plus de
différence entre l'immortalité et la résurrection. »
En
voici la conséquence. Boros peut donner un sens renouvelé aux propositions de
la foi. En voici quelques exemples. L'événement de la résurrection doit être
universel. Boros écrit, dans sa perspective de l’option finale à l’heure de la
mort : « L'univers se concentre dans
l’homme. Nous sommes enfants de la terre, d'une terre qui n'est pas seulement
l’espace de notre développement indépendant et autonome, mais qui appartient à
la constitution de notre être. Si notre âme acquiert l'immortalité, celle-ci
doit s'appeler résurrection ; si la résurrection s'applique à notre corps, elle
doit en même temps signifier la transfiguration de l'univers. »
Le jugement dernier : L'univers doit être jugé : « Le monde n'est juste que si le bien est en
même temps bon et l'être lumineux. Ce monde n'existe pas encore. Il est
redressé par nous, par notre décision personnelle prise au moment de la mort. »
Dans l'Evangile de saint Mathieu[76] est gardée cette parole de Jésus : les
justes (et aussi les injustes) demandent au Christ : « Seigneur, quand avons-nous fait cela ? » Quand t'avons-nous vu
avoir faim ou avoir soif, être nu, malade, étranger, en prison ? L’homme a
accompli les plus grands actes de la vie sans s’en être rendu compte. Si on
n'affaiblit pas ces paroles du Christ, Boros pense qu’on peut esquisser, à
partir de l'image du jugement présentée par le Christ, une théologie de la
rencontre du Christ.
Le purgatoire : Le jugement est en même temps le
processus de purification « On peut, dans
cette hypothèse, concevoir le « purgatoire » comme la qualité et l'intensité de
l’option pour Dieu réalisée dans la mort. L'amour de Dieu baigne l'existence en
un seul instant. L'être humain doit alors s'élancer vers Dieu de toutes ses
forces. Les êtres humains traverseraient donc, suivant cette hypothèse, un
processus personnel de purification, différent pour chacun, en un seul instant,
à la mort. » A la mort se produit la même décision : c'est l'effondrement
de tout ce que l'homme a accumulé en lui d'aliénation existentielle. L'homme
est placé en face de ce qu'il est réellement, de ce qui dans son être a une
consistance éternelle, son succès est anéanti, sa puissance dissipée, sa
richesse évanouie. Il n'a plus d'appuis extérieurs. C'est dans ce retour de
l'homme à l'essentiel de ses sentiments que consiste simplement le purgatoire. C'est la rencontre de
l’homme avec son être, la condensation de toute l'existence, un processus
instantané par lequel on devient soi-même dans l'abîme de la mort. Mais comme
l'homme ne peut être ainsi « lui-même » totalement sans ressentir en même
temps dans son propre devenir d'homme la réalité de l'homme qu'il a été, la
rencontre de l'homme avec lui-même monte au niveau d'une rencontre avec Dieu
par l'intermédiaire du Christ.
L’enfer : Dieu ne damne personne de
lui-même
L'enfer
n'est pas quelque chose qui nous arrive. Ce n'est pas quelque chose que Dieu
nous impose pour nous punir après coup de nos mauvaises actions. Il n'y a rien
de grand, de majestueux, de brûlant, d'étouffant dans l'enfer. C'est simplement
l'homme même, qui s'identifie totalement avec ce qu'il est lui-même, avec ce
qu'il peut atteindre, réaliser par lui-même. C'est le mode d'existence d'un
homme qui trouve sa satisfaction en lui-même, pendant toute une éternité.
Le retour du Christ prend une autre lumière. Le Christ est
encore et toujours en devenir. Telle est la réinterprétation de Boros à propos
du retour du Christ : « Le Christ
apparaît à la plénitude de son âge cosmique quand tous les hommes qui doivent
constituer sa « plénitude » (plérôme) l'ont rencontré à l’heure de la mort dans
l'amour qui produit l'unité d'être. »
La descente du Christ aux enfers. Le Christ a pénétré dans la profondeur
du monde. Il est descendu dans la couche profonde de la réalité, où tout s’unit
par les principes. Il faut voir ici selon l’auteur une profondeur de la terre
qui est le lieu où s'intériorise tout l'être du monde, non seulement
l'organisation cosmique, mais aussi les relations historiques, personnelles et
existentielles. » En pénétrant par sa mort -comme prolongement
de la descente de l'Incarnation- dans la profondeur du monde, dans le « cœur de
la terre » (comme le rapporte saint Mathieu), le Christ s'est rendu présent à
toute l'humanité pré chrétienne. Le monde n'est plus le même qu'avant, en tout
ce qui est « profond, « réfléchi et essentiel », vit le Christ lui-même. »
Le sens de la vie réside dans la préparation de la mort :
« L'homme doit s'efforcer d'atteindre
durant sa vie cette fermeté résolue de l'existence qui lui rendra possible de
prendre à la mort la décision que réclame son être. L'idée d'une possibilité
d'option ultime ne diminue aucunement notre vigilance. L'obligation qui résulte
de la situation clairement envisagée dans laquelle on « va à la rencontre de la
mort comme décision finale « est plus profonde et plus « exigeante » qu'une
simple morale de commandements dans notre existence. L'obligation résulte de la
constitution fondamentale de l'existence même. »
Le
sens de la vie consiste dans ta pratique de ta vertu. La « vertu » est
l'accomplissement de la capacité d'être de l'homme comme orientation permanente
vers l'essentiel : c'est l'essence de l'homme réalisée par l'effort personnel
et vécue comme témoignage. Elle est le « courant
des profondeurs » du destin réalisé.
Le cardinal Ratzinger
présente et critique cette thèse à travers ce qu’il en connaît par son
principal défenseur, Ladislas Boros[77] qui
en est le théoricien principal. Il le cite : « La mort offre à l’homme la possibilité de son premier acte totalement
personnel, elle est donc le lieu existentiellement privilégié de la prise de
conscience, de la liberté, de la rencontre avec Dieu et de la décision sur sa
destinée éternelle. » Ratzinger
s’efforce de comprendre les raisons qui ont poussé Boros à établir une telle
doctrine qui lui paraît exagérée. Il croit pouvoir les trouver dans la distance
réelle entre une vie terrestre courte et marquée des nombreux conditionnements
de la liberté, et d’autre part un choix éternel et définitif qui se fonde sur
elle. En conséquence, il paraît nécessaire d’admettre que Dieu qui est juste
laisse à l’homme un moment de liberté de type angélique. Mais ici
justement se manifeste selon Ratzinger la faiblesse de la thèse de Boros : elle
voudrait finalement faire de l’homme un ange et, sans le dire, elle tient pour
irrecevable la spécificité de la condition humaine. Cette critique, à quoi on
devrait ajouter le défaut d’indices empiriques et de tradition théologique
convaincante, ne répond évidemment pas à la grave question que sous-entendent
ces réflexions. Pour un jugement dont l’enjeu est éternel, ne faut-il pas
exiger en fait une autre liberté ? Ratzinger le reconnaît et il mérite d’être
cité : « Il faut admettre que la
conception traditionnelle a sur ce point une réflexion beaucoup trop limitée.
La vérité de l’homme qui devient définitive dans le jugement, est cette vérité
qui a été la direction fondamentale de son existence dans l’ensemble de sa vie
et de sa conduite. Mais, dans la somme des décisions qui font une vie entière,
quelle est la direction suprême de l’homme ? »[78]
La critique la plus grave qu’on peut appliquer, semble-t-il à Mgr
Glorieux et à L. Boros est la réduction platonicienne qu’ils font du corps à un
tombeau provisoire de l’âme. De fait, bien qu’ils s’efforcent de s’en défendre
à travers des artifices théologiques, leur système de pensée en arrive à
conclure que l’homme n’est vraiment lui-même, ressuscité selon Boros, qu’après
la rupture avec le corps.
Pour
terminer notre panorama des tentatives théologiques, parmi les théologiens qui
admettent que le salut n’est ouvert qu’à la charité surnaturelle, certains
parmi les disciples de Boros, simplifiant sa pensée, admettent la possibilité
d’une justification après la mort. Ils sont peu nombreux et très
largement critiqués par ceux qui reconnaissent à la nature humaine, corps et
âme, une valeur substantielle voulue par Dieu. Cependant, leur tentative
platonicienne manifeste une fois de plus le trouble de la confrontation entre
cette charité si nécessaire, la faiblesse des choix humains terrestres et la
certitude que Dieu veut sauver tous les hommes. La théologie des fins dernières
dans sa version catholique en est rendue là.
Le
salut par la charité ne fut pas universellement enseigné par tous les
chrétiens. Nous avons montré d’autre part comment l’amour de Dieu révélé à la
croix fut source pour les théologiens catholiques jusqu’à aujourd’hui de
questions insolubles à propos du « comment » concret de l’arrivée de ce salut pour
tous les hommes avant que l’heure de la mort ne les fige à tout jamais loin de
Dieu. Historiquement, la doctrine catholique a toujours enseigné le salut par
la charité. Elle ne s’est jamais contredite sur ce point, au moins dans la
succession de ses papes et de ses docteurs reconnus. Dans la pratique, la
réalité est moins simple. Les périodes de décadence spirituelle sont
fréquentes. L’une des grandes tentations de l’Église latine, présente à travers
toute son histoire, consiste en une tendance à donner une place quasi absolue
au mode sacramentel de la prière (sacrements et sacramentaux) et des œuvres
extérieures pour le salut. Que n’a-t-on entendu, jusqu’à une période récente,
sur la damnation de celui qui n’a pas le temps de se confesser à un prêtre. Au
début du XVIème siècle, la prédication du clergé n’exaltait pas
seulement les sacrements mais aussi des sacramentaux comme les prières
indulgenciées. Confronté à une Église vivant trop souvent la charité comme un
commerce de mérites accumulés et d’indulgences dispensant de la souffrance
expiatoire du purgatoire, la conscience de certains fidèles s’émût. C’est
l’époque de Luther et de son fils spirituel Calvin.
Pour
notre recherche, l’apparition d’un deuxième grand pôle de la théologie du salut
dans l’Église est de grande importance. Nous allons montrer que pour Luther et
toute la Réforme, dans la lignée de la religion d’Abraham, c’est la foi et la foi seule qui justifie et mérite
l’entrée dans la gloire. Or cette foi est distincte de la charité. La conception du christianisme en est bouleversée. On
le sait, dans toute forme de pensée, une légère différence dans le principe
fondateur se répercute avec force dans les applications existentielles.
Pour
développer sans la déformer la pensée de ces deux réformateurs de la théologie,
nous nous sommes référés à certains de leurs écrits personnels (voir la
bibliographie générale), à Melanchthon, l’auteur de la confession d’Augsbourg.
Nous avons aussi été aidés et confirmés par le Père Frost, représentant catholique
auprès du Conseil Oecuménique des Églises (Genève).
- Luther, sa vie, sa réflexion
Luther
est avant tout un homme profondément religieux. Malgré les erreurs et les
faiblesses dont sa vie est semée, celle-ci a été tout entière dominée par les
grandes questions qui préoccupent le chrétien voulant vivre de sa foi. C’est
tout lui-même, dans toute la profondeur de sa vie intérieure que Luther a
engagé au service d’une œuvre religieuse. Né en 1483 en Saxe, ce moine augustin
semble avoir été travaillé très tôt par de graves crises de conscience que son
directeur ne pourra adoucir. La confrontation journalière entre son état de
pécheur et la haute conscience qu’il a de la grandeur de la justice de Dieu le
mine. Il vit de longues périodes d’introspection dépressive et la question de
son propre salut, du salut des pécheurs ne trouve pas de réponse dans ce qui
lui paraît être la théologie catholique. Comment être certain du salut ?
A
cette époque, le Dominicain Tetzel avait entrepris de persuader les fidèles que
le salut s’opère aisément par les œuvres. II proposait « les passeports pour franchir l'océan en furie, et arriver tout droit
au paradis. » Il utilisait
volontiers le dicton à la mode : « Sitôt
l'argent tinte dans la cassette, sitôt l’âme en faveur de qui l'on donne saute
hors du purgatoire. Martin Luther, lui, éprouvait dans son cœur et dans sa
chair « qu'il faut entrer au ciel par
beaucoup de tribulations. » Il se dressa donc contre ceux qui, à ses yeux,
incitaient les malheureux chrétiens à se reposer sur la sécurité d'une fausse
paix. Il le fit au nom de ce qu'il appelait «
la découverte de la miséricorde » dont il avait reçu la grâce alors qu'il
professait l'Épître aux Romains entre 1514 et 1517 : « Tandis que dans ma méditation, j’examinais l’enchaînement de ces mots
du verset 17 du ch. 1 : « la justice de Dieu se révèle dans l'Évangile, comme
il est écrit : le juste vit par la foi », j'ai commencé à comprendre que la
justice de Dieu signifie celle par laquelle le juste vit par le don de Dieu,
c'est-à-dire par la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : l’Évangile
nous révèle la justice de Dieu, mais la justice passive par laquelle, au moyen
de la foi, nous justifie Dieu, plein de miséricorde... aussitôt, je me sentis
renaître, et il me sembla être entré par les portes grandes ouvertes, au
paradis même. » Voici que la prédication des Indulgences lui donnait
l'occasion de crier sa découverte. Se doutait-il qu'en prenant ces positions,
il allait déclencher une crise telle que jamais le christianisme n'en avait
traversée de si grave ? Certainement non. Mais à ce cri, l’Allemagne inquiète
et frémissante allait répondre et ce drame d’âme déclencherait une révolution.
- La foi qui sauve selon Luther
Selon
Luther, la foi a une définition bien précise qu’il distingue de l’amour. Cette
distinction, reconnue par les auteurs de l’époque tant luthériens que
catholiques, nous semble constituer l’axe qui permet de distinguer les deux
Églises. Dans le Credo qu’il laisse
Melanchthon rédiger et qu’il prend le temps de corriger, mot à mot, pour
laisser aux juges catholiques un exposé sûr de ce qu’il prêche, il définit la
foi de la manière suivante[79] : «
On instruit également (les gens) de ce qu’il n'est pas question ici de cette
foi qu’ont même les diables et les impies qui, eux aussi, croient les récits
historiques[80]
relatant que le Christ a souffert et qu'il est ressuscité des morts. Celui qui
sait que, grâce au Christ, il a un Dieu qui fait miséricorde, connaît Dieu et
l'invoque ; L'Écriture parle de la foi selon que nous l’avons fait connaître à
présent ; Dans Hébreux[81],
elle enseigne, au sujet de la foi, que croire, ce n'est pas seulement avoir
connaissance des faits historiques, mais avoir une ferme confiance en Dieu,
avoir la ferme assurance de recevoir ce qu’il promet. Et Augustin nous rappelle
aussi que dans l'Écriture nous devons comprendre le mot « foi » de telle sorte,
qu’il veut dire la ferme confiance en Dieu, la ferme assurance qu’il nous fait
miséricorde, et non la simple connaissance des faits historiques, tels que les
diables, eux aussi, les connaissent.[82] »
A la
suite de saint Thomas d’Aquin[83], Luther distingue dans l’Ecriture
plusieurs sens du mot « foi. » Il en existe dans l’Ecriture au moins
six. « L’acte d’une puissance ou d’un habitus dépend
toujours de l’adaptation de la puissance ou de l’habitus à son objet. Or
l’objet de la foi peut se présenter de trois façons. Croire appartient à
l’intelligence en tant qu’elle est portée par la volonté à donner son
adhésion ; aussi l’objet de foi peut-il se prendre soit du côté de
l’intelligence elle-même, soit du côté de la volonté qui la meut. Si on le
prend du côté de l’intelligence, on peut voir dans l’objet de foi deux choses,
selon ce que nous avons dit plus haut. (1) De ces deux choses, l’une est objet matériel de la foi,
et à ce point de vue l’acte de la foi consiste à « croire à Dieu » (Credere
Deum) puisque rien ne nous est proposé à croire, avons-nous dit, si ce n’est dans la mesure où cela
concerne Dieu. »
L’Ecriture sainte exprime ce premier sens
quand l’épïtre aux Hébreux dit[84] : « L’homme
qui s’approche de Dieu doit croire que Dieu existe et qu’il se fait
rémunérateur et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. »
(2) «
L’autre est la raison formelle de l’objet ; c’est comme le moyen à cause de
quoi l’on adhère effectivement à telle et telle chose parmi les réalités à
croire et à cet égard l’acte de la foi consiste à « croire Dieu » (Credere Deo)
car, avons-nous dit, l’objet formel de foi c’est la vérité première, et c’est à
elle que l’on s’attache pour adhérer par elle à ce qu’on croit.
L’Ecriture sainte exprime ce deuxième sens
dans l’épître de Jacques[85] : « Toi, tu crois qu'il y a un seul Dieu ?
Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent. » Les démons croient car leur intelligence
est suffisamment perspicace pour savoir que ce qu’il dit ne peut être que
vrai.Mais leur foi n’implique aucun amour.
(3) Enfin,
si l’on regarde l’objet de foi de la troisième manière, en tant que
l’intelligence est mue par la volonté, alors c’est « croire en Dieu » (Credere
in Deum), qui est l’acte de la foi ; car la vérité première se réfère au
vouloir en tant qu’elle s’offre comme une fin. » L’Ecriture
sainte exprime ce troisième sens dans de nombreux textes[86] : « Abram crut en Yahvé, qui le lui compta
comme justice »
Selon
Luther, la foi qui sauve est cette foi là. Dans la Confession
d’Augsbourg, Melanchthon situe d’ailleurs l’amour en rapport avec les œuvres,
c’est-à-dire en second lieu. Il ne
nie pas l’importance des œuvres mais manifeste que seule la foi qui les fonde
justifie. L’amour lui paraît être une conséquence naturelle de la
reconnaissance de celui qui se sait sauvé.
(4) Si l’on suit l’Ecriture, il existe un
quatrième sens du mot « foi », identifiable à la charité. Saint
Thomas d’Aquin l’appelle « la foi
formée »[87] et cite saint Jacques[88] : «
Veux-tu savoir, homme insensé, que la
foi sans les œuvres est stérile ? » Pour lui, celui qui a
confiance en Dieu peut, en outre entrer avec lui dans une autre dimension. S’il
se met à vivre dans l’intimité de Dieu d’un amour réciproque et agissant, d’une
amitié adulte, alors sa foi devient agissante au sens profond du terme, elle
devient vivante et elle fait entrer dans le salut. Luther s’oppose
explicitement à cette conception. Il ne définit jamais l’amour à la manière de
l’Église catholique, à savoir comme une amitié qui élève l’homme dans un
rapport de tendresse d’égalité avec Dieu. Sans doute doit-on trouver ici
l’explication de l’absence de vie religieuse contemplative dans la Réforme.
Elle n’a jamais été comprise par Luther, son noviciat augustinien ne lui ayant
appris à la vivre que sous le mode d’une pratique extérieure. « En second lieu, on enseigne qu'on a le
devoir et que la nécessité impose de faire des œuvres bonnes, non pour y mettre
sa confiance, afin de mériter la grâce, mais pour l'amour de Dieu et pour sa
louange. C'est toujours la foi seule qui saisit la grâce et la rémission des
péchés. »
(5) Il existe
deux autres sens du mot foi, prise cette foi du côté des effets. Il peut s’agir
du fruit du Saint Esprit[89] : « Mais
le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté,
foi dans les autres, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses il n'y
a pas de loi. »
Celui qui vit dans l’a charité developpe en lui, comme un fruit surnuméraire,
ces qualités intérieures.
(6) Enfin, un sixième sens relève du charisme. La foi charismatique est
visible chez celui qui rayonne extérieurement la confiance en Dieu. Saint Paul
en parle[90] : « A
chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun. A l'un,
c'est un discours de sagesse qui est donné par l'Esprit ; à tel autre un
discours de science, selon le même Esprit ; à un autre la foi, dans le même
Esprit. »
On le voit, la complexité de la notion de foi
implique une extrême précision théologique.
- La justification par la foi seule
C’est
au niveau proprement théologique de la parole de Dieu que Luther trouve la
réponse qui le libère. Il découvre le sens véritable de la justice de Dieu dans
le texte clef de l’épître aux Romains : «
Car en lui (l’Évangile), la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi comme
il est écrit : Le juste vivra par la foi. » [91]. Ce texte fait le lien explicite entre
justice de Dieu et foi. C’est par la foi et non plus par la loi que, dans la
nouvelle Alliance de l’Évangile, la justice de Dieu se révèle. Par la foi,
Luther entend une confiance abandonnée
passivement en Dieu qui sauve, ni plus ni moins. Il le reconnaîtra lui-même
face aux critiques catholiques. Elle n’est pas la charité qui agit dans des
œuvres au service de Dieu (réciprocité d’amour d’amitié) ou du prochain
(action). Elle est cette confiance reçue passivement de Dieu par l’homme blessé
et incapable d’agir (le péché originel le rend tel.[92])
Pour
comprendre la différence entre la charité catholique et la foi réformée, il est
intéressant de comparer les interprétations de Luther et de saint Thomas
d’Aquin dans leur commentaire respectif de Romains[93] : pour Luther, l’expression paulinienne
« de la foi à la foi » manifeste la
nécessité et la suffisance de la confiance en Dieu pour obtenir le salut. Pour
saint Thomas d’Aquin, le passage de la
foi à la foi signifie le passage par étape comme dans l’architecture d’une
cathédrale. On commence par une foi fondation qui est la simple « connaissance de l’existence de
Dieu et de son salut. »
L’édifice prend forme dans une foi « confiance
en Dieu. » Mais son achèvement, sa
flèche qui touche le ciel est dans une troisième espèce de la foi, la foi vive « Agapé, amour d’amitié. » Saint Thomas d’Aquin, à travers ses
écrits multiples et d’une manière scientifique dans La Somme Théologique, distingue ces différents sens du mot foi.
Dans le traité de la Foi[94], il l’analyse selon son premier sens : « adhésion de l’intelligence à la vérité
révélée en tant qu’elle se révèle. »
Selon lui, cette foi là est présente jusqu’en enfer où les démons croient, bien
qu’ils tremblent[95]. Dans le traité de la charité, il
manifeste que par le péché mortel un homme peut perdre l’amour d’amitié avec
Dieu (la foi vive, Agapé), tout en
gardant une foi informe (la foi morte). Cette foi morte est plus que la simple
connaissance de Dieu. Elle peut impliquer la confiance en Dieu et même un
certain amour : l’homme garde, malgré le péché qu’il ne reproche qu’à lui-même,
sa confiance en Dieu mais la conscience de son action mauvaise lui interdit
l’exercice d’un amour d’amitié réciproque avec Dieu tant qu’il ne se l’est pas
réconcilié par une sincère confession, contrition et pénitence. Tant qu’il ne
l’a pas fait, son amour n’ose plus s’appeler amitié réciproque. Dieu est aimé
de plus loin, comme Créateur ou comme Sauveur, mais plus comme l’ami et, d’une
certaine manière, l’égal. La foi-confiance est certes présente dans l’amitié
mais elle ne nécessite pas l’amitié : elle peut être le fait du serviteur pour son maître, du militaire
pour le capitaine qu’il admire.
La
pensée de Luther, surtout dans ce qu’elle comporte d’original, se présente
comme une suite de l’intuition fondatrice qui est sienne concernant le rôle
suffisant de la foi-confiance pour le salut. On le voit, c’est bien sa propre
expérience de désert spirituel qui est source de la force qu’il imprime à sa
découverte. La foi est le salut en ce sens qu’elle manifeste la présence, à
l’état de germe dans l’homme, d’une œuvre salvifique initiée par Dieu et qu’il
épanouira avec certitude en gloire dans l’autre monde. L’homme est certain de
la chose suivante : ce que Dieu a commencé et que l’homme a reçu passivement,
sans que ses œuvres ou sa liberté intervienne, mais par un don gratuit, Dieu
l’achèvera dans l’autre monde. En ce sens, s’il a la foi, l’homme est
absolument certain de son salut. Luther trouve donc le moyen de libérer le
croyant de toute angoisse vis à vis de son destin éternel puisqu’il lui assure,
par la même qu’il a confiance en Dieu, au delà de son irrémédiable état de
pécheur, qu’il sera sauvé par le seul fait de l’action commencée par Dieu.
Fondé
sur l’Écriture, Luther est illuminé par l’intuition que seule la foi justifie.
Il ne s’agit nullement d’opposer la foi aux œuvres, comme le fera une certaine
scolastique protestante ultérieure, mais de souligner la nouveauté radicale,
par rapport à la loi de l’Ancien Testament ou à l’activisme dévot de certains
catholiques, de l’attitude de foi demandée au chrétien en réponse à
l’initiative de salut révélée en Jésus-Christ. C’est ainsi que l’insistance de
Luther sur la justification par la foi seule est liée chez lui à cette autre
intuition, centrale elle aussi, que le salut est offert en Jésus-Christ de
manière totalement gratuite.
A
cause de sa nature originellement scrupuleuse, Luther aura tendance à trouver
dans son intuition un remède d’ordre psychologique à l’angoisse du salut.
Souvent, sous le couvert de formules théologiques tirées de la Bible, il montre
que parce qu’il discerne en lui l’existence de cette foi au salut apporté par
le Christ, l’homme peut en retirer la certitude, psychologiquement sentie,
d’être sauvé. C’est d’ailleurs au yeux du réformateur la seule vertu qui compte
dans ce domaine du salut puisque l’homme, radicalement vicié par les
conséquences du péché originel, n’a aucun rôle actif dans sa propre
justification. Il reçoit entièrement le salut de Dieu, sans aucune initiative
vers la grâce offerte. Affirmer autre chose serait nier la souveraineté de Dieu
et la gratuité totale du salut qui seule convient dans les rapports entre
l’homme et Dieu.
- Les œuvres ne sauvent pas, la charité
non plus
Puisque par la foi le
Saint Esprit nous est donné, le cœur, à son tour, devient disposé à faire des
œuvres bonnes. Car, avant d'avoir reçu le Saint Esprit, il est trop faible ; de
plus, il est au pouvoir du diable qui pousse la misérable nature humaine à
commettre de nombreux péchés. Nous le voyons chez les philosophes qui se sont
avisés de mener une vie honnête et irréprochable, mais qui, malgré cela, n'y
sont pas parvenus et sont tombés dans nombre de péchés grossiers et manifestes.
II en va de même pour l'homme qui, étant en dehors de la vraie foi, est privé
du Saint-Esprit et n’a, pour se diriger, que ses propres forces humaines.
C'est
pourquoi il n'y a pas lieu de reprocher à cette doctrine de la foi de proscrire
les bonnes œuvres ; tout au contraire, il faut la louer de ce qu'elle enseigne
à faire des œuvres bonnes et de ce qu'elle nous en offre le moyen. Car, en
dehors de la foi et hors du Christ, la nature et le pouvoir de l'homme sont
beaucoup trop faibles pour qu'il puisse faire des bonnes œuvres, invoquer Dieu,
être patient dans la souffrance, aimer son prochain, exercer avec soin les
fonctions de sa charge, être obéissant, fuir les mauvais désirs, etc. Ces
grandes et véritables œuvres ne peuvent être accomplies sans l'aide du Christ,
comme il le déclare lui-même dans Jean[96] : «
Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »
Et l'Église chante : « Sine tuo numine (Sans
ta divine puissance), nihil est in homine, (rien dans l'homme), nihil est innoscium, (rien n'est
innocent) » (Liturgie de la messe de
la Pentecôte : Veni sancte spiritus et emitte
caelitus.)
La
théologie réformée, dont nous avons manifesté l’originalité propre,
apporte-t-elle une solution satisfaisante à la question du salut des incroyants
? Tel est, rappelons le, l’axe de nos prolégomènes puisqu’il s’agit de
manifester l’impasse où se trouve selon nous toute théologie chrétienne en ce
domaine, face à l’Évangile, quelle que soit sa logique.
Marqué
par sa propre expérience de pécheur, Luther croit en la corruption totale de la
nature humaine. Il n’y a donc de mouvement que de Dieu vers l’homme et le
mouvement inverse est impossible. Le salut se reçoit passivement et la foi est
la preuve que l’on est sauvé. Cette doctrine, belle dans sa simplicité, semble
pouvoir définitivement rassurer le croyant pécheur sur son salut. Cependant,
que devient-elle lorsqu’on l’applique aux incroyants pour comprendre la manière
dont Dieu les sauve ?
Logique
avec lui-même, Luther développera dans ses œuvres tardives, notamment dans son
commentaire de l’épître aux Galates publié en 1534[97], une doctrine de la justification prise
du côté de Dieu : il impute de l’extérieur sa justice aux hommes et ceux-ci
n’en sont que les réceptacles passifs. Il attaquera aussi la doctrine
catholique de la charité dont il niera toute possibilité d’exercice à la
manière d’une amitié réciproque et co-active (les œuvres).
Luther
ne développera pas de doctrine cohérente avec ses principes concernant la
question du sort des incroyants. C’est à son fils spirituel Calvin que l’on
doit une telle recherche.
Calvin
est de vingt-cinq ans le cadet de Luther. Il ne fait pas œuvre de réformateur
mais de penseur. Sa vocation consiste, il le dit lui-même, à mettre au service
de la Réforme son intelligence. L’intérêt de son œuvre consiste dans son aspect
systématique. Il pousse jusqu’à leurs ultimes conclusions les principes que
Luther ne fait qu’exposer dans leur beauté native. L’esprit de système le
domine au point qu’il ne sera pas suivi par tous les réformés. Pourtant, ses conclusions
sont filles de Luther. Réfléchissant au mystère de Dieu qui donne sa grâce à
ceux qu’il appelle, Luther pose au centre de sa théologie le principe suivant :
Dieu est souverain, Créateur et régisseur de toutes choses. Ceci s’exprime dans
la devise qu’aiment les calvinistes : «
Soli gloria Deo. » Que soient
attribuées à Dieu toute initiative et toute vertu, afin qu’il soit affirmé et
confessé maître et souverain de toute chose. La souveraineté absolue de Dieu
est même le critère interne, le principe au sens aristotélicien de la
dogmatique calviniste.
Puisque
Dieu est souverain, déterminant toutes choses, sa volonté toute juste est pour
l’homme une règle décisive. « Nous
ne sommes point nôtre, nous appartenons au Seigneur. » Telle est la
première entrée à l’obéissance de la foi.
Fondé
sur ce principe, la question de l’existence d’incroyants trouve aussitôt sa
solution pour Calvin : s’ils n’ont pas la foi et donc s'ils ne sont pas
justifiés, c’est que Dieu dans sa sagesse l’a voulu ainsi. Et puisque la foi
est un don de Dieu que nul homme, tant à cause de sa nature corrompue que de la
valeur surnaturelle de ce don ne peut obtenir par lui-même, c’est donc que Dieu
a voulu dans sa sagesse que certains meurent sans la justice de la foi. Ils
sont damnés pour l’éternité non par leur faute mais par un acte de
prédestination souverain, de même que ceux qui sont sauvés ne le sont pas par
leurs mérites mais par un acte souverain de prédestination. On le voit, cette
position découle tout droit, avec cette logique raide et linéaire dont nous
avons parlé, du point de vue de la souveraineté absolue de Dieu, qui détermine
tout et n’est déterminée par rien. Aussi arrive-t-il à poser une double
prédestination, l’une à la vie, l’autre à la mort : « Les uns sont prédestinés à Salut, les autres à damnation. » [98] Calvin n’a ici qu’un refuge : la
volonté de Dieu qui est pure, juste et bonne par elle-même.
Pensant
à l’élection des croyants, dont il était, Calvin voyait dans sa doctrine un
motif de joie et d’assurance. Mais ses disciples se sont révoltés souvent
devant cette prédestination directe et positive de certains à la mort. La
critique adressée à Calvin atteint aussi Luther. La doctrine du salut par la
foi ne résout en rien la question du salut des incroyants pour qui cependant le
Christ est mort. Elle oblige effectivement à conclure avec Calvin que si Dieu
ne donne pas la foi à certains, c’est que, mystérieusement, il y trouve un
motif de sagesse. Pourtant, elle laisse le théologien réformé devant le même
scandale que le théologien catholique qui réfléchit au salut par la charité.
Elle ne fait qu’élargir le domaine du salut aux autres religions qui vivent de
cette foi théologale, principalement les juifs et les musulmans. Certains
protestants ne reconnaîtront même pas à ces hommes la qualité de croyants au
sens de Luther puisqu’ils n’ont pas explicitement Jésus-Christ au centre de
leur démarche religieuse. Ainsi, le scandale du septième sceau de l’Apocalypse
reste entier. Il s’agit du scandale du silence de Dieu qui de fait, ne se
révèle qu’à ceux qu’il choisit.
De
nos jours, la théologie réformée reste confrontée, tout comme celle des
catholiques, à la question de l’enfer pour ceux qui meurent en dehors de la
justification de Dieu. Elle multiplie les solutions depuis le plus rigide
sectarisme calviniste au libéralisme le plus ouvert. C’est dans la Réforme que
se manifeste pour la première fois dès le XIXème siècle la vision de
l’universalité du salut pour tous les hommes de bonne volonté. L’humanisme
identifié au christianisme se développera dans le luthéranisme avant de se
répandre dans des courants de la théologie catholique. Le Concile Vatican II
saura tirer de ce courant ce qui est bon et qui sera résumé en une phrase : « Tout acte bon dispose(dispose seulement
mais pas davantage) au salut dans lequel l’homme est introduit par la charité. »[99] Il nous faut maintenant analyser cette
position, de plus en plus répandue de nos jours et que nous avons nommée humanisme chrétien.
Introduction :
Nous
laissons de côté toutes les conceptions du salut qui se sont trompées sur la
nature de ce salut. Le messianisme temporel n’est pas un phénomène moderne
puisque déjà les juifs furent tentés de faire de Jésus un roi terrestre
d’Israël. Mais notre étude n’est pas directement concernée par des pensées
comme celle de la théologie de la libération, le marxisme chrétien ou le
millénarisme, toutes conceptions qui attendent un salut terrestre d’une action terrestre bonne. Nous voudrions étudier
celles qui espèrent la vision béatifique par le mérite d’une action terrestre (naturelle et non théologale)
bonne.
Deux
courants nous ont particulièrement intéréssé, à cause de leur impact historique
ou contemporain. Le premier exalte une perfection acquise à force d’ascèse.
Nous avons choisi de présenter la pensée de Pélage, plutôt que tout autre parmi
les puritanismes car il est significatif d’un courant se caractérisant par
l’exaltation de la perfection vertueuse.
Nous
avons choisi de développer aussi cette forme d’humanisme moderne, identifié au
christianisme par une part importante de l’Eglise catholique ou des courants
réformés. Il exalte la valeur d’attitudes humainement bonnes comme l’humilité,
l’attention aux autres. Sa valeur suprême est une bonne volonté se traduisant
par un réel amour humain pour son prochain.
Mais
que ce soit perfection ou humanisme, ces deux courants se rejoignent dans leur
sens d’un salut par une attitude naturelle.
Né
dans les années 350, le moine Pélage était doté à son époque d’une réputation
d’ascète. Il est contemporain de saint Jérôme et de saint Augustin. Sa doctrine
est digne d’intérêt pour le sujet qui nous occupe car elle contient une
conception du salut liée à l’activité d’une volonté droite et conquérante.
Notre source principale est sa Lettre à Démétriade où il expose à
travers un enseignement ascétique assez classique, l’essentiel de sa pensée.
Cette doctrine exprime une confiance optimiste dans le bonum naturae, dans les forces et les possibilités de la nature,
qui est l’œuvre de Dieu. Contre tout fatalisme, contre tout déterminisme, d’où
qu’ils viennent, elle exalte la liberté de l’homme. Dieu a donné à l’homme la
possibilité foncière de choisir librement entre le bien et le mal. La bonté
foncière de la nature se manifeste dans les vertus des païens et des
philosophes. Il y a donc une sainteté naturelle qui devient, aux yeux de
Pélage, la seule sainteté réelle. L’exemple des saints antérieurs à la Loi
montre ce que nous pouvons faire[100]. «
Si les hommes tels qu’ils ont été créés par Dieu, peuvent ainsi faire le bien,
même sans Dieu, vois tout ce que peuvent faire les chrétiens, eux dont la nature
et la vie ont été instruites par le Christ et qui sont aidés par le secours de
la grâce divine. » (Lettre 2) Ces
mots expriment au mieux la pensée de Pélage sur la grâce. Elle est une
éducation, un enseignement et un secours pour faire mieux que les autres. Mais
elle n’est en aucun cas une surélévation de la nature en vue d’une vie
surnaturelle. La grâce du Christ est nécessaire pour que nous puissions
accomplir plus facilement ce qui nous est commandé par Dieu. Elle consiste dans
l’effet pédagogique de l’enseignement et l’exemple du Christ : Pélage insiste
volontiers sur l’imitation du Christ. Mais il est frappant de voir comment son
commentaire de Philémon[101] fausse habilement la pensée de l’apôtre
: « C’est Dieu qui fait en nous le
vouloir et le faire. Il fait en nous le vouloir par la persuasion et par la
promesse des récompenses ; il fait en nous le faire en disant : celui qui
persévérera jusqu’au bout sera sauvé.
»
Dans
la logique de Pélage, on pourra dire que l’homme « mérite » par la force
de ses actes de vertu l’entrée dans le salut de Dieu. Cela aboutira à un culte
de la perfection morale, assez semblable extérieurement à celle qui fut
cultivée par le Jansénisme, cette doctrine sur la grâce étant pourtant opposée
radicalement aux conceptions pélagiennes.
Dans
la perspective ici étudiée, la manière concrète pour l’homme d’être justifié
n’a rien à voir avec un don gratuit de Dieu mais dépend entièrement de la force
morale de chacun. Une fois juste devant Dieu par la force de sa conduite
vertueuse, l’homme est assuré de recevoir en récompense de ses luttes la vie
éternelle et la gloire de l’autre monde. Ainsi, le salut appartient aux
forts et seuls les forts s’en emparent, non par aide de Dieu mais par
conquête personnelle. Bien évidemment, Pélage ne se souciera guère du sort des
païens ou plutôt, devrions nous dire, des faibles qu’ils soient chrétiens ou
non. Le fait qu’il ne se pose pas la question de leur salut et qu’il les pense
simplement voués à l’enfer éternel par punition de Dieu est significatif : son
système de pensée n’est pas centré sur la charité ni même sur l’amour humain
mais sur des valeurs plus viriles à ses yeux. Ce système de pensée est bien
évidemment un contresens évangélique. Il permet cependant d’éclairer notre
recherche en dévoilant par mode d’analogie celui que nous allons présenter
maintenant. En effet, à notre époque, les tentatives pour expliquer la manière
dont l’homme incroyant mais de bonne volonté est justifié se multiplient. Elles
s’expliquent par la multiplication du nombre des athées autours d’une Église
davantage consciente des qualités de cœur des non-chrétiens.
La
tentative la plus importante car la plus enseignée et la plus semblable au
christianisme est celle de « l’humanisme. » Nous avons choisi de nommer ainsi un
courant à multiples facettes qui s’impose de plus en plus aux grandes Églises
chrétiennes contemporaines comme étant l’essence de l’Évangile de Jésus-Christ[102]. La dénomination est ambiguë. Nous
n’entendons pas sous ce mot les nombreux courants de la Renaissance qui ont
abouti à redonner sa place à l’homme dans une théologie chrétienne excessivement
théocentrique[103]. Cette perspective constituait un
rééquilibrage des deux commandements de l’amour, pour que l’amour ne l’homme ne
soit pas effacé par l’amour de Dieu. Dans le cas qui nous occupe, le
commandement de l’amour du prochain devient mesure de tout, le commandement de
l’amour de Dieu ne trouvant pas d’autre manifestation que dans l’action au
service de l’homme. A la différence du pélagianisme, cette conception du
christianisme ne prétend pas fonder le salut sur la vertu individuelle, sur la
capacité à dominer son propre être, mais sur la bonne volonté d’un cœur humain
attentif à l’autre. Théorisée, elle va jusqu’à identifier charité et amour
humain authentique. Cette théologie n’est pas facile à identifier car il existe
effectivement une grande ressemblance phénoménologique entre les diverses
espèces de l’amour « honnête », qu’il soit naturel ou non. Rien ne
ressemble plus à un amour authentique qu’un autre amour authentique (tourné
vers l’autre.) Seule une analyse de théologie morale peut découvrir une
différence entre charité et amitié naturelle, à partir en particulier, de
l’étude des finalités.
Parce
qu’il est difficile à distinguer, ce courant de pensée se répand partout, y
compris chez d’authentiques thomistes. A cet égard, l’exemple du Père Guy
Vandevelde est remarquable : formé à l’Université Grégorienne, ce prêtre
séculier enseigne la théologie dogmatique. Docteur en théologie, il a soutenu
sa thèse intitulée « expression de
la cohérence du mystère du salut »
à Rome en 1993. Sa thèse n’aborde pas exclusivement la question du salut des
païens mais porte un regard d’ensemble sur l’harmonie de la révélation. Dans
cette perspective, au cours de la troisième partie, il s’efforce de rendre
compte du salut des païens[104]. Il élabore donc une hypothèse
justifiant leurs mérites pour la vie éternelle : dans l’amour d’autrui, dit-il,
il n’y a jamais que de l’humain seulement. Il y a toujours une part de grâce
parce que celui qui imite Dieu qui est Amour, même du dehors, ne peut le faire
sans être rapproché de lui. Il reconnaît cependant que cette grâce n’est pas la
plénitude de la grâce sanctifiante telle que décrite précédemment et qui donne
part à la vie intime de Dieu. Son analyse, portée par une formation thomiste,
en arrive à distinguer l’amour du frère motivé par la reconnaissance en lui de
l’image de l’homme, de l’amour du frère motivé par l’Image de l’Homme Nouveau,
c’est-à-dire du Christ. Cependant, (et là se trouve l’argument qui le pousse à
en arriver à l’identification de la charité dans tout amour humain), celui qui
aime d’amitié cherche à promouvoir l’image de l’homme et cela ne peut venir que
de l’image de l’Homme Nouveau qui est en lui. Ainsi, en aidant celui qui
souffre, tout homme aide réellement le Christ qui souffre. Il vit de la charité
fraternelle. Citons le père Vandevelde : «
C’est pourquoi il faut affirmer que tout comportement habituel envers les
autres, individus ou groupes, constitué par le respect de la dignité de l’autre
selon ce que l’on sait de vrai, par la volonté de promouvoir dans le bien que
l’on voudrait pour soi, en marchant dans l’oubli de soi qui va jusqu’au pardon
(grâce de la « proximité » ou passion et résurrection du Christ dans la vie de
l’homme) est pour un homme la grâce de la charité qui l’unit au Père et au Fils dans l’Esprit, en l’associant à la foi
de l’Église. »[105]
Cette
tentative s’appuie sur la foi de l’Église catholique dans l’existence d’une
grâce surnaturelle à l’intérieur de tout acte humain. Elle est critiquable par
l’identification qu’elle implique en définitive entre cette grâce là (qui est,
au sens thomiste une grâce actuelle, c’est-à-dire une attraction de Dieu donnée
à toute créature spirituelle) et la grâce sanctifiante qui est de toute
autre nature et est seule apte à expliquer la vertu de charité. Le Père
Vandevelde se défend de faire cette confusion aussi il contourne la difficulté
en établissant une théorie de l’Assomption par le Christ homme des actes bons
faits à ses frères hommes. L’Évangile semble suggérer cette solution : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure
où vous avez fait du bien à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi
que vous l’avez fait. » [106]
D’une
manière pratique et bien au delà des laborieuses théorisations, l’humanisme
tend s’imposer comme l’unique Évangile chez les chrétiens eux-mêmes. Le
commandement de l’amour du prochain est exalté tant par la prédication que par
le mode de l’action catholique. La vie contemplative, de moins en moins
comprise, est dévaluée au profit de l’action sociale ou humanitaire. La valeur
suprême de l’Évangile se trouve dans l’amour d’autrui (aimé pour lui-même, que
la lumière du Christ intervienne ou non.)
Les conséquences de cette pensée se font sentir dans l’attitude
des chrétiens. Plus profondément qu’on le croit, l’Église est actuellement
divisée en deux courants difficiles à réconcilier et qui se qualifient l’un
l’autre d’intégrisme et de progressisme. Sans doute les divisions sont-elles
moins médiatiques qu’à l’époque des combats liturgiques de l’Église de France
et de Mgr Lefebvre. Mais elles sont en revanches beaucoup plus profondes car
elles ne touchent plus l’expression de la foi, mais la foi elle-même et ce de
manière radicale.
Aux
yeux du courant humaniste libéral, tel que nous l’entendons ici, l’attitude qui
spécifie le chrétien est à prendre dans son amour respectueux d’autrui. Une
autre vertu est une certaine humilité à reconnaître sa propre faiblesse
accompagné d’une étrange tolérance pour le péché. « Si ton péché te conduit
au bonheur, est-il un péché aux yeux de Dieu ? La gloire de Dieu n’est-elle pas
l’homme heureux ? » Le mot le plus employé pour caractériser le
comportement issu de cet amour est celui de tolérance.
Il n’y a pas d’attitude
plus chrétienne que celle qui consiste à tolérer autrui dans ses idées et son
comportement (dans la mesure ce comportement et ces idées sont elles-mêmes
tolérantes envers autrui.) Or, dans un monde sécularisé, la valeur suprême
qu’il convient de respecter chez l’autre, parce qu’elle définit sa qualité de
personne humaine, consiste dans sa liberté. En raison de sa liberté, l’homme
peut rechercher de manière pleinement humaine, affirmera-t-on, son bonheur
personnel. C’est pourquoi toute attitude qui s’opposerait d’une manière ou
d’une autre à la liberté inaliénable de chacun dans sa recherche du bonheur est
qualifiée d’anti- humaine et, par conséquent, d’anti-chrétienne. Il est à noter
que le premier ennemi, pour les tenants de cette conception humaniste et
libérale du christianisme, est l’autre christianisme, celui des dogmes et de la
morale imposée comme une règle venant d’en haut. Il est légitime de s’en
prendre à l’enseignement des papes tel qu’il est caricaturé, déformé par la
Presse. Il est vrai que si le Magistère enseignait réellement qu’il vaut mieux
communiquer le Sida à son prochain que d’utiliser le préservatif, il serait
criminel. Mais cherche-t-on à connaître en vérité la pensée du Magistère de
Pierre à cet égard ? Fidélité et liberté sont souvent antagonistes. Il existe
en effet, sous forme de non-dits, un antagonisme entre cette forme de
christianisme sécularisé et le christianisme le mieux compris : aimer Dieu et
son prochain jusqu’à donner sa vie, jusqu’à renoncer à sa liberté comme le font
certains contemplatifs, n’est-ce pas une pratique radicalement opposée à celle
qui consiste à exalter la liberté individuelle comme valeur suprême, digne
d’être aimée en soi et tolérée en l’autre ?
En
adhérant à cette thèse, le théologien semble enfin trouver la solution à la
question du salut des infidèles : tout homme est sauvé et entrera dans la
vision béatifique dans la mesure où il est de bonne volonté. Il n’y a pas à
rechercher dans cette bonne volonté un critère de vérité autre que l’adhésion
sincère à ce que la conscience morale présente comme bon. Mieux que ne le fait
Pélage, cette solution humaine est apaisante pour l’intelligence car elle
n’exalte pas la force mais la qualité du cœur. Elle possède même un certain
fondement évangélique, davantage que la théorie de Pélage qui se trouve
symbolisée par l’attitude pharisienne[107] : «
Alors les justes lui répondront :
Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé
et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou
prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette réponse : En vérité
je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de
mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Cependant,
si on l’analyse de plus près, on s’aperçoit qu’elle soulève d’autres questions
théologiques plus graves : elle relativise le Christ. Elle en fait un élément
second et dispensable. Que devient en effet la spécificité évangélique
soulignée par Jésus : « Quel gré vous en
sera-t-on de cette action ? Les païens n’en font-ils pas autant ? »[108] Qu’en est-il de l’analogie des noces
prise par Jésus pour illustrer l’entrée dans le Royaume de Dieu par la grâce et
la gloire ? En effet, si pour entrer au Ciel, il suffit d’avoir été humainement
bon sur la terre sans qu’un désir de Dieu se soit manifesté, c’est donc que le « mariage » de l’entrée dans la Vision se fait par surprise et non par choix
mutuel d’amour... On pourrait multiplier la liste des difficultés que pose
cette thèse qui, en un mot, réduit le Christ à l’homme.
Le
Père Vandevelde ne peut être accusé de réduire le christianisme à l’humanisme.
Mon but, en le citant, était le même qui me fit citer précédemment les
tentatives du cardinal Journet : La question du salut des païens reste ouverte
et les théologiens qui s’expriment, même s’ils s’efforcent en conscience de
trouver une solution conforme avec tout ce qu’ils croient être l’Évangile, sont
condamnés à entrer en contradiction avec leur foi s’ils ne veulent pas poser la
damnation éternelle de millions d’innocents. Tout ceci manifeste une fois de
plus la nécessité de la recherche théologique renouvelée pour rendre raison, en
harmonie avec la foi, (toute la foi !) de l’évidence chrétienne du fait
que tout homme de bonne volonté sera un jour introduit par Dieu dans la Vision.
Il convient cependant que cette solution garde entière la saveur de l’Évangile.
Nous
constatons ainsi que chacune des nombreuses systématisations du problème du
salut, lorsqu’elle est confrontée à la question concrète de la place de ceux
parmi les hommes qui ne répondraient pas aux conditions requises pour être
sauvé, s’est efforcée de se prononcer sur leur sort après la mort. Diverses
solutions ont été proposées jusqu’à aujourd’hui. Les passer toutes en revue
serait un travail démesuré. Cependant, nous constatons que la question de la
damnation éternelle est une pierre d’achoppement sur laquelle les plus belles
théologies viennent tourner et retourner. La théologie scolastique, en
admettant comme le centre de la foi que Dieu ne communique la béatitude
éternelle qu’à celui qui l’aime de charité, a été conduite à des contradictions
non encore résolues comme, chez un saint Thomas d’Aquin, à l’harmonisation
fragile entre l’amour infini du Christ mort pour tous et la doctrine des limbes
des petits enfants morts sans baptême, de l’enfer pour les païens ou ceux qui
meurent sans avoir entendu la prédication de la foi qui leur aurait permis
d’aimer. Chez d’autres thomistes, contemporains cette fois, l’idée de cet enfer
largement ouvert ne passe pas. Pour arriver à conserver l’idée du salut par la
charité sans damner une masse de pauvres gens qui l’ignorent, on invente des
concepts douteux de « charité
implicite », comme si l’amitié
pouvait être implicite. On ne discerne pas que ce qu’on appelle charité
implicite est un amour humain explicite, si bien que la contradiction avec les
prémices du raisonnement n’est pas perçue.
La
position de Luther aboutit quant à elle à celle de Calvin car une foi donnée
sans coopération de l’homme qui la reçoit conduit logiquement à l’idée d’un
Dieu qui damne qui il veut dans sa souveraineté éternelle. Cette position est
difficilement conciliable avec l’amour crucifié, mais qu’importe une telle
évidence au théoricien perdu dans sa logique.
Quant
à ceux qui ouvrent le salut à toute bonne volonté, ils résolvent la question de
l’enfer et semblent régler celle de l’amour universel de Dieu. Mais ils ne
résolvent plus la question de l’utilité du christianisme.
En
présentant de manière synthétique quelques théologies du salut, nous espérions
manifester le goût d’inachevé qu’elles laissent toutes : toutes présentent un
goût de vérité et en même temps un arrière goût d’insatisfaction. Une analogie
peut éclairer ce fait : elles ressemblent à la tentative d’une marieuse voulant
créer les conditions d’un mariage d’amour. Puisque l’entrée dans la gloire
ressemble à un mariage, cette analogie semble convenir. La marieuse fait un
premier essai, rêve pour les futurs époux (Dieu et l’âme, dirait saint Bernard)
d’un amour réciproque et oblatif mais ne sait pas comment obtenir qu’ils se
rencontrent avant le jour des noces (ainsi en est-il pour les païens avant leur
mort dans la théologie traditionnelle.) Elle tente donc un second essai,
obtient que les époux se rencontrent et croit pouvoir les marier pour toujours
alors qu’elle sait que la fiancée n’éprouve pour son fiancé que de la confiance
(tel est Luther et sa foi imputée) ; quant à sa troisième tentative, elle est
encore plus décevante puisque cette fois, notre entremetteuse amène à Dieu
(l’époux) toutes les filles de la terre, toutes fort braves et gentilles (la
bonne volonté), mais toutes fort étrangères puisque incapables d’amour du fait
qu’elles n’ont jamais entendu dire qu’il allait être question d’un mariage d’amour.
Telle est la théologie qui prétend introduire tout homme de bonne volonté dans
la vision de Dieu sans présupposer la charité. Quant à Pélage, il est encore
davantage en dehors du problème puisque l’épouse qu’il propose s’avère
invivable, centrée qu’elle est sur la recherche de sa propre perfection.
Cette
analogie des noces éternelles éclaire de manière satisfaisante la gêne où se
débat toute théologie face au mystère du salut. Lorsque nous aborderons la
question de la foi solennellement enseignée par l’Église catholique en ce
domaine, nous verrons que cette analogie du «
mariage d’amour » n’est pas une
pieuse image mais un véritable sacrement du Royaume de Dieu. La question ne se
pose ni en terme de confiance affectueuse ou de bonne volonté générale qu’elle
soit vertueuse ou pauvre, mais d’amour exclusif et passionné envers un Dieu
auquel il s’agit de s’unir pour l’éternité, en lui offrant par concomitance sa
confiance, sa vertu et sa bonne volonté. Ainsi, si la racine de la vérité est
plutôt chez saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, comment faire porter à
cette racine tout ce qu’elle promet en fruits d’espérance ? Comment s’y prend
d’une manière très concrète le Dieu qui veut sauver tous les hommes pour que
tous arrivent dans l’autre monde en aimant ou en refusant d’aimer et ce en
pleine lucidité, volonté et liberté, comme il convient au jour où l’on se marie
pour l’éternité ?
Nous
parlions dans notre introduction d’approche
démonstrative théologique. Cette expression, peu utilisée, mérite quelque
précision. Tout d’abord, il n’est licite de parler d’approche démonstrative que
lorsque, à partir d’un raisonnement, on aboutit à une conclusion nécessaire. Dans le domaine
mathématique, la réalité du point de départ importe peu. Quelles que soient les
prémices, cette discipline étant abstraite du réel, la validité logique du
raisonnement suffit à établir une démonstration. Il n’en est pas de même dans
le domaine du réel. Il n’est pas négligeable dans ce domaine de vérifier si le
point de départ est vrai, autrement dit s’il est en conformité avec la réalité.
Or,
selon saint Thomas d’Aquin, il existe deux sciences qui se partagent l’étude du
réel[109].
La science philosophique, qui ne considère la réalité dans son
ensemble que dans la mesure où l’intelligence humaine, par ses propres moyens,
peut l’atteindre. Dans ce domaine, s’il est nécessaire de démontrer l’existence
d’une réalité, d’une cause ou d’une loi quelconque dont on n’a pas
l’expérience, la certitude de la vérité du point de départ est essentielle.
Elle est acquise par divers moyens tels l’expérience, l’expérimentation. Cette
solidité du point de départ est fondamentale pour la solidité du reste de
l’édifice, d’où le soin que prennent les scientifiques à établir les prémices
expérimentales.
La
seconde science du réel, la science
théologique, ne considère quant à elle la réalité que selon qu’une Autorité
supérieure et digne de confiance, Dieu lui-même, la révèle pour le salut des
hommes. Ainsi, en théologie, le fondement sur lequel doit s’appuyer tout
raisonnement démonstratif ne se trouve pas dans un fait d’expérience mais dans
une « parole de Dieu. » Il s’agit à la fois d’une parole au sens d’un concept intelligible
et d’une parole au sens d’une
promesse sur l’honneur de ne pas mentir. Une approche démonstrative théologique
n’aura donc de valeur, à l’instar d’une démonstration philosophique ou
scientifique, que si :
1-
Son fondement est une vérité certaine, donc si l’on est sûr que la proposition
de départ est réellement une Parole de Dieu et non une opinion théologique trop
valorisée.
2-
Le raisonnement qui la constitue est valide, conforme non seulement à la
logique rationnelle mais surtout à la « logique
de ce qu’est Dieu. »
Comment
être certain de la vérité révélée d’une proposition théologique ? Cette
recherche, le lecteur l’aura compris, est fondamentale à notre thèse. Si nous
avions voulu établir, parmi d’autres hypothèses, celle du retour du Christ à
l’heure de la mort pour expliquer le salut des païens, nous n’aurions pas parlé
d'approche démonstrative théologique mais d’hypothèse théologique. Notre
intention est tout autre. Aussi, connaissant les controverses actuelles de la
théologie fondamentale à propos du domaine de la certitude de la foi, il nous
paraît utile de préciser sur quelle base nous nous appuyons. Nous laissons le
lecteur juge de nos choix.
Pendant
les sessions de préparation au Doctorat, deux théologiens de haut niveau,
auteurs de livres faisant autorité, se sont exprimés sur la notion de certitude
d’une vérité théologique. Le Père Joseph Moingt, s.j. fut on ne peut plus clair
à propos de la certitude venant du Magistère solennel en matière de foi. « Qui d’entre vous, disait-il aux
doctorants, peut encore de nos jours
donner une quelconque valeur aux documents des papes ?[110].
» Pour lui, la seule certitude en théologie venait non de l’autorité d’une
parole mais des méthodes rationnelles de l’exégèse confrontées à l’écrit. Or ce
genre de certitude, historico-critique, ne peut que provoquer une moue pour
tout esprit moderne habitué à chercher la vérité de l’être des choses. Ce genre
de certitudes est faible car l’écrit est dépendant de trop de facteurs humains.
La théologie ne serait donc pas autre chose qu’une science humaine ? Interrogé
à la session suivante par mes soins sur le point particulier du Magistère
solennel de l’Église en matière de foi, le Père Gislain Lafont o.s.b, prieur de
l’abbaye de la Pierre-Qui-Vire, répondait[111] : «
Les documents du Magistère ont une valeur probable. » Précisant sa pensée un peu plus tard, il ajoutait : « 92 à 94% sont vrais, mais que faire des 6
à 8% restant ? » Pas une fois dans son propos n’intervint la distinction
simple et classique entre les documents doctrinaux, pastoraux ou sacerdotaux du
Magistère, ni celle des degrés d’autorité des documents doctrinaux. Il en
ressortait de ce fait une grande confusion dans ce domaine et une certitude :
rien n’est certain dans la Révélation, tout est recherche et opinions.
Evidemment, dans cette perspective, parler d’approche démonstrative théologique
est hors de propos. On est loin de la pensée de saint Thomas d’Aquin, qui
écrivait au XIIIème siècle : «
La certitude en théologie vient de Dieu qui se révèle et ne peut mentir. » On
le voit, la question de la Théologie fondamentale est loin de faire l’unanimité
chez les théologiens. Il nous paraît donc nécessaire, avant d’établir notre
hypothèse, de manifester clairement quelle est la nôtre. Nous ne cachons pas
que nous ferons un choix, peu commun aujourd’hui chez nos pairs.
Notre
théologie fondamentale n’est pas choisie
a priori. Non seulement elle est celle de l’Eglise catholique à travers son
magistère[113], mais elle est réfléchie et simplement
logique avec ce qu’est une révélation.
D’où
vient en effet, le contenu de la théologie chrétienne ? Vient-elle d’un homme
ou de Dieu ? Il s’agit d’une parole émanant de la Trinité éternelle. Dieu
lui-même prend l’initiative de parler à l’homme pour lui annoncer sa
prédestination à la vision béatifique. Le contenu de cette Parole n’est donc
pas autre chose, en définitive, que l’essence Infinie de Dieu. Elle ne sera
saisie face à face, ad modum recipientis,
qu’après la glorification de l’homme.
Pour se
révéler, Dieu adapte évidemment son langage à ceux à qui il s’adresse. L’homme
sur terre ne peut comprendre l’Infini qu’à travers une image créée et adaptée à
sa capacité[114]. Cette Image n’est autre que Jésus Christ, à travers sa vie, sa
mort, sa résurrection et son enseignement oral. Or, il est intéressant de
remarquer qu’entre la créature Jésus, vrai homme (Verbe de Dieu) et sa divinité
de vrai Dieu qu’il révèle (Verbe de Dieu), la distance est infinie. Si Jésus
aime humainement pour révéler l’Amour trinitaire, sa révélation n’est pas
adéquate au Révélé. Est-ce à dire que son action est vaine, aléatoire et qu’il
ne peut y avoir de véritable théologie ici-bas ? Dieu n’agit pas en vain. C’est
donc qu’il peut exister, par l’analogie, un discours vrai sur Dieu. Le discours
sur l’analogie de la foi est fondé en ce lieu théologique.
Mais
la distance entre la Trinité infinie et la connaissance humaine ne s’arrête pas
ici. Jésus s’est exprimé oralement. Il a parlé à l’homme pour lui dire à
travers des mots, la Trinité éternelle et l’Evangile. D’où viennent ses
paroles articulées ? D’abord, il a pensé humainement ce qu’il a dit. Or, entre
sa pensée humaine et la pensée Trinitaire, la distance est infinie.
Ensuite,
il a exprimé extérieurement sa pensée. Or, entre la pensée humaine et son expression
à travers un langage articulé, il existe encore une distance supplémentaire.
Tous les poètes en ont l’expérience.
Jésus
n’a rien écrit. L’Ecriture Sainte est le fait de ses disciples directs ou
indirects. Ainsi, avant qu’apparaissent les écrits, sa Parole avait été reçue
dans le cœur de certains croyants. Ils n’y comprirent rien au début, rapportent
les évangiles. « L’Esprit Saint n’avait
pas été donné »[115]. Le récit des pèlerins d’Emmaüs ou
celui de la Pentecôte est à cet égard significatif. L’Esprit Saint a un certain
rôle à jouer en théologie...Mais ici intervient un autre intermédiaire entre
l’Ecriture et la Trinité éternelle : la Tradition des Saints. Cet
intermédiaire est plus important, semble-t-il, que l’Ecriture elle-même
puisqu’il la crée, il en est à la source.
Les
écrivains sacrés ont vécu l’Evangile. Portés par l’Esprit, ils en ont compris
des bribes, chacun à leur niveau. Puis ils ont pensé ces bribes (nouvelle
distance entre vie et pensée.) Enfin, ils ont écrit avec leurs propres mots (distance
entre la pensée et le mot.) Ces écrits nous sont parvenus, séparés de leur
auteur et de son histoire (nouvelle distance.)
Pour
résumer notre propos, il est possible de réaliser le schéma suivant :
L’origine de la Parole de
Dieu, l’importance de trois sources
I- L’ESPRIT SAINT :
I-
1-
TRINITÉ INFINIE
distance
infinie entre divinité et humanité du Christ, analogie de la foi.
I-
2- VERBE FAIT CHAIR, JESUS-HOMME
distance entre sa vie mystique et la
pensée en concepts humains de cette vie
I-
3- CONCEPTS HUMAINS DE JESUS
distance immense entre concepts et mots
I-
4- ENSEIGNEMENT ORAL DE JESUS
distance
immense entre Jésus et les saints
II-
LA TRADITION :
II-
1- PAROLE RECUE CHEZ LES SAINTS
(intervention de l’Esprit Saint)
distance
immense entre vie mystique des saints et leur pensée en concepts humains de
cette vie
II-
2- PENSEE DES SAINTS
III-
L’ECRITURE SAINTE :
III-
1- ECRITURE DES TEXTES
distance immense entre écrits et pensée
III-
2- MORT DES ECRIVAINS
Distance entre l’écrit mort et son
auteur humain historiquement situé.
Difficulté pour le lecteur moderne et
importance de l’exégèse historique et critique.
On le voit, à travers ces étapes, il s’établit une
distance de plus en plus lointaine entre l’écrit mort, figé, son auteur humain
disparu et son auteur principal : la Trinité éternelle.
Conscient
de cette distance infinie entre la Trinité et son expression, certains pasteurs
Réformés ont parfois nié la possibilité de tout langage théologique vrai,
conforme à ce qu’il doit exprimer. Cette position est exagérée. Elle ne tient
pas compte de la capacité de l’intelligence humaine à approcher le réel avec vérité. Il ne s’agit pas pour la théologie
de prétendre embrasser l’essence de
Dieu selon ce qu’elle est, mais de l’approcher par analogie. L’intelligence ne
peut d’ailleurs jamais agir autrement, même pour le réel créé objet de la
philosophie puisque la réalité est toujours plus que ce qu’on en a compris.
Mais comment un chrétien peut-il, au XXème siècle, approcher au plus
près ce qui est révélé par Dieu, à savoir Dieu lui-même, sachant que sa
découverte ne sera qu’analogique.
Fondé
sur ce que nous venons de manifester concernant l’origine de la Parole de Dieu,
il paraît évident que l’ordre vital est le suivant : plus le chrétien est à
proximité de la Source (Dieu), plus il peut et doit s’appuyer sur cette source.
L’ordre est donc :
1-
L’Esprit Saint ;
2-
Jésus vrai homme, approché de manière vivante (prière du cœur, liturgie) ;
3-
La Tradition vivante des saints, son interprétation de l’Ecriture ;
4-
L’Ecriture en tant que texte séparé de sa source.
Cet
ordre, idéal en sa conception théorique, est malheureusement moins évident dans
sa réalisation concrète. Il présente des incertitudes.
1-
Comment distinguer une inspiration de l’Esprit Saint d’une inspiration
psychologique, poétique ou angélique ? S’il était si aisé de distinguer les
esprits avec certitude, saint Paul aurait-il eu besoin de mettre en garde
contre les faux esprits ? Pour le chrétien priant, il ne peut être question de
nier l’existence d’un sensus fidei
proportionnel à la qualité de son humilité et de sa foi. Mais il est difficile
de fonder une théologie définitivement vraie sur ce seul fondement. Le monde
des Églises Pentecôtistes et sa division le manifeste.
2-
Comment être sûr que le Jésus imaginé par chacun correspond au Jésus réel ? Là
encore se mêle un fatras de constructions et de projections psychologiques. Le
Jésus de saint Jérôme est plus intransigeant que le Jésus de sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus...
3-
Les saints et les grands théologiens disent tout et l’inverse de tout. Les
Pères de l’Église sont à cet égard intéressants à lire. Comment distinguer la
vraie Tradition de ce qu’elle charrie avec elle ?
4-
L’Ecriture Sainte est immense et souvent contradictoire. L’exégèse du sens
littéral humain (ce que l’auteur humain a voulu dire) ne cesse d’élaborer des
conclusions aussitôt périmées par de plus récentes recherches. Il lui manque un
outil fondamental : les auteurs humains sont morts et inaccessibles. Elle en
est donc réduite, dans le meilleurs des cas, à des conjectures probables. Elle
est une science bien pauvre en certitude. Quant à l’exégèse du sens divin de
l’Écriture, elle est aussi très complexe. Tous les artifices de la parole
humaine ont été employés par Dieu pour se révéler, depuis la métaphore en
passant par le conte... Si l’on ajoute à cela que Dieu n’a rien dicté mot à mot
de sa parole, au moins dans les traditions monothéistes non musulmanes, mais
qu’il s’est contenté d’inspirer un auteur qui a retranscrit avec ses propres
mots, protégé cependant de l’erreur par une grâce spéciale, la vérité révélée,
on voit mal comment tirer avec certitude le vrai du faux de l’Écriture.
Difficile en conséquence pour le lecteur solitaire de la Bible, de reconnaître
une métaphore d’une analogie propre. Les témoins de Jéhovah, dans leur
controverse avec les catholiques, ne font souvent qu’appeler métaphore ce que
nous appelons sens littéral.
La
seule autorité qui de manière absolue est certaine en matière de Révélation,
c’est la parole de Dieu éternelle, incréée. Mais, étant inaccessible tant que
l’homme n’est pas introduit dans la vision béatifique, cette parole a du
s’incarner pour lui parvenir en mots humains. Traduire des vérités infinies par
l’analogie de vérités limitées est difficile. Pourtant, grâce précisément à
l’analogie, Dieu s’est révélé à l’homme.
Heureusement,
un moyen utile et pratique a été prévu par Dieu dès l’époque lointaine de la
révélation faite à Moïse : il s’agit d’un charisme particulier, donné à un ou
plusieurs hommes marqués du sceau de l’autorité, pour confirmer leurs frères dans
leurs interprétations laborieuses de l’Écriture Sainte. Dans l’évangile de
saint Jean[116], Jésus l’attribue au peuple juif, par
opposition au peuple samaritain : « Nous,
nous adorons ce que nous connaissons car le salut vient des juifs. » De même, ce charisme est donné à
l’Église catholique, à travers la personne fragile mais protégée en ce domaine,
des papes. L’Écriture Sainte, sans erreur en elle-même, est difficile à
interpréter dans la plénitude de sa vérité. L’exégèse y travaille ; La prière
des croyants, support de la Tradition est sûre en elle-même mais mélangée à
tout un ajout imaginaire difficile à séparer du bon grain.
C’est pourquoi, 1)
lorsque l’Écriture Sainte enseigne une vérité selon son sens littéral,
2) lorsque la Tradition
des saints canonisés affirme la même chose et
3) que le charisme
particulier du Magistère vient confirmer solennellement la vérité
de cette proposition, nous estimons être en présence d’une vérité théologique
sûre, capable de fonder une approche démonstrative théologique.
Notre
choix méthodologique se résume, au moins en ce qui concerne notre point de
départ, à cet a priori : nous
estimons pouvoir adhérer par la foi (la méthode de l’analogie étant
présupposée), à toute proposition confirmée de manière solennelle par le
Magistère. Les documents du Magistère étant la plupart du temps rédigés selon
un code de mots définis avec une précision juridique, leur interprétation en
est comme nous le verrons grandement facilitée (l’analogie de la foi restant
présupposée.) Nous avons pu l’expérimenter tout au long de notre recherche,
l’Église, en précisant les critères d’infaillibilité, ne cherche pas à enfermer
l’intelligence du théologien ou du croyant dans une discipline contraignante,
mais veut l’aider à entrer plus résolument dans le mystère de l’amour. Ainsi,
il nous paraît évident que l’infaillibilité ne s’est pas rajoutée tout à trac
aux prérogatives des papes un beau jour de juillet 1870. Elle fait partie
intégrante du mystère de la rédemption et de sa logique sacrée. C’est pourquoi
le charisme de l‘infaillibilité n’est pas attaché à un homme et à sa sainteté
mais à une fonction qui participe du mystère de l’Église.
Afin
de manifester avec précision ce que nous appelons le fondement d’une approche
démonstrative théologique, il nous paraît utile de préciser sur quels critères
nous baserons la qualité de notre assentiment à tel ou tel document
magistériel. Rappelons que nous appelons Magistère
ce qui a pour objet la morale et les mœurs, la vérité et le bien de l’homme en
vue de son salut. Car « l’objet de la
foi, c’est le salut des âmes »[117]. Il ne s’agit ici ni des documents
pastoraux, ni des décisions en matière de gestion des cultes.
Le
Concile Vatican II présente dans la constitution dogmatique sur l’Église une
doctrine équilibrée concernant les degrés d’autorité des documents du Magistère[118]. Pour discerner la foi de l’Église
concernant le salut des hommes, nous nous référerons à ces pages. L’assentiment
religieux demandé par le Concile aux fidèles peut revêtir des degrés divers de
certitude dans la foi. En matière doctrinale, autre est un document qui tranche
définitivement une question, d’un autre qui se contente d’émettre une opinion.
Entre ces deux extrêmes, le Concile avertit qu’un discernement est nécessaire
pour chaque document en fonction de sa présentation. C’est donc qu’une réelle
souplesse est de mise. Il nous paraît utile de distinguer trois degrés
d’infaillibilité.[119]
Lorsqu’un
Pape ou un Concile uni au Pape définit en matière de foi une vérité qui n’est
contenue dans l’Écriture Sainte ou dans la tradition que d’une manière implicite, donc non explicite. Nous
possédons, semble-t-il, deux exemples et deux exemples seulement de l’exercice
de cette autorité doctrinale étonnante de l’Église inspirée et portée par
l’Esprit Saint. Il s’agit des dogmes de l’Immaculée Conception et de
l’Assomption de Marie. Il est clair que l’Écriture ne nous parle de ces
mystères qu’à travers des métaphores lointaines et que la Tradition n’en a
découvert la réalité que sur le tard. Nous n’utiliserons pas dans le cadre de
notre étude de documents de cette teneur.
Lorsqu’un
Pape ou un Concile uni au Pape définit avec son autorité apostolique une vérité
de foi ou de morale qui est déjà « explicitement » contenue dans l’Écriture Sainte.
« Cette infaillibilité, dont le divin
Rédempteur a voulu pourvoir son Église pour définir la doctrine concernant la
foi et les mœurs, s'étend aussi loin que le dépôt lui-même de la Révélation
divine à conserver saintement et à exposer fidèlement. De cette infaillibilité,
le Pontife romain, chef du collège des évêques, jouit du fait même de sa charge
quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de
confirmer ses frères dans la foi[120], il
proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les
mœurs. C'est pourquoi les définitions qu'il prononce sont dites, à juste titre,
irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l‘Église,
étant prononcées sous l'assistance du Saint-Esprit à lui promise en la personne
de saint Pierre, n'ayant pas besoin, par conséquent, d'une approbation
d'autrui, de même qu'elles ne peuvent comporter d'appel à un autre tribunal. En
effet, le Pontife romain ne prononce pas une sentence en tant que personne
privée, mais il expose et défend la doctrine de la foi catholique, en tant
qu'il est, à l'égard de l’Église universelle, le maître suprême en qui réside,
à titre singulier, le charisme d'infaillibilité qui est celui de’Église
elle-même. L'infaillibilité promise à l’Église réside aussi dans le corps des
évêques quand il exerce son magistère suprême en union avec le successeur de
Pierre. A ces définitions, l'assentiment de’Église ne peut jamais faire défaut,
étant donné l'action du même Esprit-Saint qui conserve et fait progresser le
troupeau entier du Christ dans l'unité de la foi. »[121]
L’exemple
le plus typique que nous aurons sans cesse à utiliser, est la définition
dogmatique du Pape Benoît XII en matière d’eschatologie[122]. Son caractère solennel et
définitivement sûr ne laisse aucun doute : «
Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre
autorité apostolique, nous définissons que... » D’autre part, la précision du langage théologique utilisé lui
confère une haute valeur doctrinale. Nous ne considérons pas comme
extraordinaire mais simplement solennelle l’autorité de la constitution « Benedictus Deus » puisque tout
son contenu est explicitement enseigné par l’Écriture.
C’est
sur ce genre de document que nous fonderons notre recherche, dans l’assurance
qu’en conservant dans son intégrité tout ce qui a été ainsi défini, nous
faisons œuvre de théologien catholique. En effet, la valeur de certitude de
tels dogmes vient de Dieu lui-même et de sa promesse vis à vis de la vérité du
Magistère de l’Église.
L’utilisation
de l’Autorité présente l’inconvénient
suivant : elle peut être ressentie par le lecteur comme excessive ou servile.
Nous prions le lecteur de nous en excuser à l’avance. Notre intention est
ailleurs : nous voulons nous servir du dogme non comme d’une prison mais comme
d’un guide vers la vérité.
Telle
qu’elle est définie par le Concile, elle est le fait du successeur de Pierre
ainsi de toute l’Église lorsqu’elle est unie au pape et en premier lieu des
évêques. Elle s’étend aux saints, aux théologiens dans la mesure où ils
enseignent des vérités contenues dans l’Écriture Sainte et dans la Tradition,
même si elles n’ont pas fait l’objet d’une définition solennelle de la part du
Magistère. « Quoique les évêques, pris un
à un, écrit le Concile, ne jouissent
pas de la prérogative de l'infaillibilité, cependant, lorsque, même dispersés à
travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le
lien de la communion, ils s'accordent pour enseigner authentiquement qu'une
doctrine concernant la foi et les mœurs s'impose de manière absolue, alors,
c'est la doctrine du Christ qu'infailliblement ils expriment. La chose est
encore plus manifeste quand, dans le Concile oecuménique qui les rassemble, ils
font, pour l'ensemble de l'Église, en matière de foi et de mœurs, acte de
docteurs et de juges, aux définitions desquels il faut adhérer dans
l'obéissance et la foi. »
Cependant,
lorsque le Magistère du pape et des évêques enseigne depuis toujours de manière
habituelle une doctrine, elle peut être considérée comme infaillible. En
novembre 1995, le pape Jean-Paul II fut conduit à s’appuyer sur une telle
infaillibilité pour rappeler qu’il serait à jamais impossible à l’Église, à
cause d’une volonté implicite de Jésus, de communiquer le sacerdoce ministériel
aux femmes. Cependant, en s’exprimant ainsi, il nous semble que le pape fit
passer une doctrine habituellement reconnue comme vraie à un niveau
d’infaillibilité solennellement établi.
Jean-Paul
II, dans son discours à la Congrégation de la Doctrine de la Foi[123] éclaire ce troisième niveau en
expliquant que l’autorité ne doit pas être perçue sous le seul angle de « l’infaillibilité. » En effet, si les conditions d’actualisation de l’infaillibilité
sont clairement définies et établies dans l’Église, cette situation ne doit pas
fournir le prétexte de ne consentir qu'aux définitions pour lesquelles le Pape
engage son infaillibilité de manière extraordinaire ou solennelle. Il ne s'agit
pas, dit explicitement Jean-Paul II, de «
n'adhérer de façon irrévocable, qu’aux seuls enseignements et décisions
doctrinales du magistère, quand celui-ci s'exprime en un jugement solennel pour
un acte définitif ; et, pour les autres cas, de n'y adhérer qu'en fonction des
matières concernées et des motivations.
»
Dans
le cas général, tout en accordant une confiance totale aux évêques et aux
saints, aux encycliques papales, nous ne fonderons pas la recherche de cette
première partie sur ces écrits ou ces dires. En effet, nous recherchons une
certitude absolue comme fondement à notre recherche. Or, le discernement de la
vérité de ces documents est moins aisé à établir. Il s’y mélange opinions et
extrapolations à partir des dogmes ou de l’Écriture qui n’engagent que leurs
auteurs. Cependant, lorsque dans la deuxième partie nous chercherons à
confirmer par mode de signe notre recherche, nous utiliserons largement toute une
documentation de cet ordre. En effet, dans un premier temps, afin de fonder de
manière scientifique notre parcours théologique, nous allons nous efforcer de
dégager ce qui est d’une manière sûre la foi de l’Église. Nous nous attacherons
donc en premier lieu à ce qui, dans l’Écriture Sainte, a fait l’objet de la
part du Magistère d’une définition interprétative solennelle. Nous
dégagerons à partir de là quelques vérités fondamentales à notre recherche qui
nous permettront d’établir solidement et de manière théologique notre hypothèse
concernant le retour du Christ en gloire à l’heure de la mort[124].
L’opposition
à Rome n’est pas un phénomène nouveau. La France est dans ce domaine l’un des champions.
Historiquement, la gifle envoyée par ambassade au pape par le roi de France
Philippe IV le bel marque le début d’une histoire orageuse. Tant que ces luttes
se situent au plan temporel, au plan des luttes de pouvoir et de juridiction
humaine, elle est normale et saine. La « clérocratie » n’est pas chrétienne. Mais, la
papauté est de nos jours contestée jusque dans son domaine réservé, celui de
son charisme magistériel. Les universités catholiques dans leur ensemble sont
tentées par une attitude « d’opposition
larvée ou publique au Magistère doctrinal, qui tend à instituer un
contre-magistère, en proposant aux croyants des positions doctrinales et des
modalités de comportement alternatives »[125]. «
Or, poursuit Jean-Paul II, la
théologie ne peut jamais se réduire à la réflexion privée d’un théologien. Le
milieu vital du théologien, c’est l’Église, et la théologie, pour rester fidèle
à son identité, ne peut faire moins que de participer intimement au tissu de la
vie de l’Église dans sa doctrine, dans sa sainteté, dans sa prière. » Autrement dit, « le théologien a besoin de la parole vivante et clarifiante du
Magistère. » Sans cela, explique
Jean-Paul II, c’est l’édifice même de l’Église qui s’écroule car « l’Église se fonde essentiellement sur une
adhésion partagée à la parole de Dieu et sur la certitude qui en découle de
vivre dans la vérité. » L’enjeu
n’est donc pas mince.
« Nous devons prendre acte aujourd'hui, ajoute-t-il, d'une incompréhension répandue sur le sens et le rôle du magistère de
l’Église » constate le Saint-Père. « Une situation qui est à la base de
critiques et de contestations vis-à-vis des enseignements. Ces critiques et ces
contestations ne sont pas peu diffusées dans les milieux théologiques et
ecclésiastiques à propos des plus récents documents du magistère pontifical. » II établit alors la liste des textes
en cause : « Veritatis Splendor », «
Evangelium Vitae », la Lettre apostolique « Ordinatio Sacerdotalis » sur l'impossibilité de conférer
l'ordination sacerdotale aux femmes, et la Lettre de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi sur la question de la communion eucharistique des divorcés
remariés.
Tous
ces textes concernent effectivement l'ensemble de l’enseignement moral du pape
Jean-Paul II. Comment, dès lors, sortir de l'impasse ? Un effort peut être
réalisé sur le vocabulaire pour mieux rejoindre « L’homme contemporain »,
en particulier « par un style plus
incisif et efficace », mais
l'essentiel, pour le Pape, est ailleurs : «
II n'est pas possible,
dit-il, de laisser de côté l'un des
aspects décisifs, à la base du malaise de plusieurs secteurs du monde
ecclésiastique : la façon dont l'autorité est perçue. » Jean-Paul II insiste : «
L'autorité ne s'applique pas seulement quand intervient le charisme de
l'infaillibilité. » Son
exercice est « plus vaste. » II s'applique
« comme une tutelle du dépôt révélé de la Foi. » Le Saint-Père prévient : « L'autorité sur la détermination des
contenus à croire et à enseigner est une chose à laquelle on ne peut renoncer
» même s'il est évident que des «
hiérarchies » existent dans l'enseignement de l'Église. L'essentiel, dans
ce cas, est une « urgence » : il
s'agit de retrouver le concept authentique d'autorité, non seulement sous son
aspect juridique formel, mais, plus profondément, « comme une instance de garantie, de gardien et de guide de la
communauté chrétienne, dans la fidélité et la continuité à la Tradition afin de
permettre aux croyants le contact avec la prédication des apôtres, et avec la
source de la réalité chrétienne elle-même. »
Enfin,
et à propos de son enseignement en matière morale, Jean-Paul II ajoute : « J'ai voulu reproposer la doctrine
constante de la Foi de l'Église, comme un acte confirmé de vérité, clairement
attesté dans l'Ecriture. la Tradition apostolique et l’enseignement des
pasteurs. De telles déclarations, en vertu de l’autorité transmise par le
successeur de Pierre de confirmer ses frères, expriment la certitude commune,
présente dans la vie et l’enseignement de l’Église. »
Déjà,
en 1979, la Congrégation de la Doctrine de la foi rappelait les exigences du
théologien catholique en matière de recherche :
« Après avoir rappelé ces données, qu’il
soit permis maintenant d’évoquer les aspects principaux de la responsabilité
pastorale telle qu'elle doit se traduire dans les circonstances actuelles et à
la lumière de la prudence chrétienne.
Les difficultés inhérentes à ces
problèmes créent de graves devoirs aux théologiens, dont la mission est
indispensable. Aussi ont-ils droit à nos encouragements et à la marge de liberté
qu'exigent légitimement leurs méthodes. De notre part, cependant, il est
nécessaire de rappeler aux chrétiens sans nous lasser les enseignements de
l'Église qui constituent la base aussi bien de la vie chrétienne que de la
recherche des experts. Il faut aussi arriver à faire partager aux théologiens
nos soucis pastoraux pour que leurs initiatives de recherches ne soient pas
témérairement répandues parmi les fidèles dont la foi est mise en péril
aujourd'hui plus que jamais.
Le dernier Synode a manifesté
l'attention que l'Episcopat porte au contenu essentiel de la catéchèse, en vue
du bien des fidèles. Il est nécessaire que tous ceux qui sont chargés de le
transmettre en possèdent une idée très claire. »[126]
On
le voit, cet esprit d’attention et d’écoute de l’Église qui préside à cette
recherche n’est pas illégitime ni marginale.
Procédons à notre démarche de démonstration
théologique en commençant par la proposition majeure, le fondement dans
le réel. Il s’agira ici de dogmatique. Quatre dogmes complémentaires vont
être établis. A titre de proposition mineure, nous établirons une constatation
expérimentale[127], elle aussi
fondée dans le réel mais de manière philosophique.
Objection
à propos de la majeure : Pourquoi, pourrait-on objecter à ma
méthode, ne pas commencer par étudier les Écritures pour établir les vérités
évangéliques ? Pourquoi s’appuyer sur le Magistère ?
La
raison en est simple : pour gagner en certitude scientifique. Je ne veux pas
dire par là, comme d’aucuns ont reproché à l’Église catholique de le faire,
qu’il y aurait moins de vérité dans l’Écriture que dans le Magistère. Je veux
dire que la vérité de l’Écriture, étant présentée sous la forme d’un texte
vaste et de genres littéraires multiples, ne laisse pas facilement apparaître
son unité de doctrine. C’est pourquoi, par l’utilisation directe du Magistère
qui vient confirmer à la fois l’Écriture et la Tradition, tout un travail
exégétique m’est évité et la même vérité est atteinte. Elle est de plus
présentée sous l’analogie de concepts philosophiques rigoureux. Elle est donc
doté d’une très grande précision. Cette méthode, difficile à comprendre dans la
perspective actuelle d’une redécouverte du texte biblique, a été trop utilisée
par le passé. Cela ne veut pas dire quelle est devenue illégitime. Il convient
de l’employer à bon escient. Nous verrons par la suite qu’elle se justifie
parfaitement pour nous, l’Écriture ne parlant jamais de manière claire au sens
littéral, du retour du Christ à l’heure de la mort.
Les
positions multiples que nous avons évoquées en prolégomènes se réfèrent à
diverses conceptions de la justice qui mérite la vision de Dieu. Pour saint
Augustin et saint Thomas d’Aquin, conjointement à la théologie scolaire
traditionnelle, c’est la charité fondée sur la foi et l’espérance qui seule
rend digne d’entrer dans la gloire. Les théologies des auteurs catholiques se
déclinent, avec des nuances, autour de ce principe. Mais quelle est, au delà de
cette diversité, la foi de l’Église ? Trouve-t-on dans le Magistère solennel,
une explication sûre de ce qu’affirme l’Écriture de l’entrée dans le salut ?
Bonne volonté, foi, espérance ou charité sont-ils requis ?
« La vie éternelle, c’est te connaître, toi le seul véritable
Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ »[128].
Face
à la crise de la Réforme, l’Église catholique fut conduite durant le Concile de
Trente à se prononcer définitivement sur l’origine de la justification[129]. Il en sortit un texte dont la
précision de type scolastique éclaire d’une lumière sans ambiguïté ce problème.
Nous commenterons les chapitres 4 à 7 de la 6ème session (13 janvier
1347) intitulée : « esquisse d’une
description de la justification de l’impie. » Nous nous référons à la traduction du Père Dumeige[130].
Au
début du chapitre 4, le Concile explique son intention : donner une explication
nette de la nature de la justification. L’Écriture Sainte montre que nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu
s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint[131]. Que signifie ce bain de régénération
sans lequel l’homme reste séparé de Dieu, éloigné de l’adoption filiale qu’il
propose ?
A
partir du chapitre 5, le Concile entreprend une analyse théologique du
processus vital qu’est la justification. La méthode est visiblement inspirée du
thomisme puisqu’elle procède en premier lieu selon un ordre « génétique »classique à saint Thomas d’Aquin (ce qui précède la
justification, ce qu’elle est et ce qui la suit), avant de reprendre l’analyse
selon un l’ordre de « perfection »des cinq causalités (chap. 7.)
Le
chapitre 6 décrit ce qui précède la justification et la prépare. Puisqu’il
s’agit de l’entrée dans une vie absolument surnaturelle pour l’homme, elle ne
peut se préparer que par une initiative d’origine divine. La première grâce est
donc adressée à l’homme sans aucun mérite de sa part, sans même qu’il soit
encore capable de soupçonner ce qui est préparé en lui. L’effet de cette
première grâce est une certaine attraction à se détourner du péché. Ainsi Dieu
touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint Esprit, mais l’homme
lui-même n’est pas inactif en recevant cette inspiration qu’il peut librement
rejeter. Le Concile d’Orange avait déjà décrit cette première grâce comme une « affection pieuse »[132]. Psychologiquement, son effet est
d’attirer par mode de nostalgie l’homme vers un au-delà de lui-même, dont il
soupçonne ou espère plus ou moins consciemment l’existence sans en connaître la
nature. Par contrecoup, cette attraction provoque une tristesse devant son
propre péché. Mais tout cela n’est pas saisi comme venant de Dieu et de
l’attirance de sa Nature faite pour combler le cœur de l’homme. Saint Augustin
décrit dans ses confessions, 1 ce qu’il comprit être d’origine divine
après sa conversion : « Avant de te
connaître, je t’aimais et mon cœur ne trouvait pas de repos avant de se reposer
en toi. » Par l’effet de cette
grâce, la liberté de l’homme est appelée mais elle ne sait encore où se tourner
pour donner réponse. Dans le meilleur des cas, la nostalgie de Dieu peut
conduire, tant que l’homme ne sait pas qu’elle vient de Dieu, à une recherche
du sens de la vie, à une conversion vers une meilleure conduite humaine envers
son prochain, à des œuvres artistiques sacrées car tournées vers « autre chose. » Dans la mesure où une culture religieuse forte subsiste autour
de la personne, l’attraction divine pousse l’homme à chercher sa réponse dans
une recherche de Dieu à travers le conseil des croyants.
Le
chapitre 6 de la Constitution étudie les conditions d’une préparation plus
proche à l’entrée dans la justice. Il est important de noter qu’il ne s’agit
encore que d’une préparation et rien dans ce chapitre ne parle de
l’entrée dans la justice elle-même. Il s’appuie sur le réalisme de saint Paul[133] : «
Comment invoquer Dieu sans d’abord croire en lui ? Et comment croire en lui
sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et comment
prêcher sans d’abord être envoyé ? (...)La foi naît de la prédication. » Ainsi, il est évident pour le Concile
que l’attraction divine ne restera qu’une angoisse d’un au-delà sans objet si
un prédicateur, homme, ange ou Dieu, ne vient expliquer à l’intelligence de
l’homme ce qu’elle signifie. L’homme étant un être doué de liberté, il ne peut
choisir sans connaître ce qu’il a à choisir. Ainsi, le premier pas vers la
justification est la foi prise dans
le sens non de la confiance en Dieu mais de l’arrivée à la connaissance de l’homme de l’existence d’un Dieu Créateur animé
d’un projet positif sur l’homme créé. Savoir que Dieu veut justifier l’homme
impie par sa grâce, « au moyen de la
Rédemption qui est opérée par le Christ Jésus »[134] est le fondement sans quoi aucun chemin
vers la justification ne peut être envisageable. L’effet de ce savoir est en
premier lieu de manifester à l’homme qu’il est pécheur (au sens théologique du
terme, c’est-à-dire séparé de Dieu.) S’il considère la miséricorde de Dieu, il
découvre l’espérance. Si la prédication est portée à insister sur la rigueur de
la justice de Dieu, cette espérance théologale peut être teintée de crainte.
L’espérance et la crainte provoquent un ébranlement positif vers le rejet des
mauvaises actions et l’amendement du mode de vie. L’homme se propose, enseigne
le Concile, « de commencer une vie
nouvelle, d’observer les commandements divins et de recevoir le baptême. » «
Il commence à aimer Dieu comme la source de toute justice. »
Arrivé
ici dans notre analyse, une question se pose : le Concile de Trente nous donne
la description d’un homme vivant de la foi dans le Christ Sauveur, de
l’espérance dans la miséricorde de Dieu, du rejet de ses péchés et qui « aime » Dieu comme la source de toute justice, tout en affirmant que cet
homme n’est pas justifié et seulement en voie de justification. Au début du
chapitre 7, il dit : « Cela constitue une
disposition ou préparation qui sera suivie de la justification elle-même qui
n’est pas simple rémission des péchés mais aussi sanctification et rénovation
de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. »
Quelles
sont donc la foi, l’espérance et l’amour qui ne justifient pas ? N’y a-t-il pas
contradiction avec l’enseignement évangélique ? En fait, il n’y a aucune
contradiction. Encore faut-il être attentif à la nature de l’amour dont parle
le Concile : Dieu n’est pas aimé en tant qu’il est ami, d’égal à égal et
réciproquement, mais en tant qu’il est source transcendante de toute justice.
Autre est l’amour d’amitié et l’amour qui unit un inférieur au maître qu’il
admire. Cette distinction peut être repérée à travers l’Évangile dans son
ensemble et dans les enseignements unanimes des Conciles : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis », dit Jésus à ses
disciples[135]. De même, lorsque le juste Nicodème
vient le trouver au jardin des oliviers[136], bien que cet homme soit le portrait de
ce que réalise de mieux la foi d’Israël en foi, espérance, conduite droite et
amour de Dieu, Jésus lui dit : « A moins
de renaître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » Dans la
logique de ces enseignements, le Concile Vatican II réaffirme que les
traditions religieuses juives et musulmanes disposent au salut (mais ne donnent
pas le salut) donné par Dieu dans la charité.[137] En conséquence, on doit interpréter le
désir de la réception du baptême dont parle le Concile de Trente comme le désir
du baptême de l’eau, c’est-à-dire du repentir des péchés que prêchait Jean le
baptiste avant la venue du Christ. Il ne s’agit pas encore du baptême de
l’Esprit Saint, objet du chapitre 7 de la constitution. Le chapitre 7 définit
ce qu’est la justification elle-même : «
Bien que personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de
la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, cette communication s’accomplit dans
la justification de l’impie, quand, par le mérite de cette Passion très Sainte,
LA CHARITÉ de DIEU est répandue par le Saint Esprit dans les cœurs de ceux qui
sont justifiés[138] et
y demeure inhérente. Ainsi, dans la justification même, avec la rémission des
péchés, l’homme reçoit-il à la fois, par Jésus-Christ en qui il est inséré,
tous les dons infus : la foi, l’espérance et la charité. » Le Concile précise que si la charité ne
se joint pas à la foi et l’espérance, la foi n’unit pas parfaitement au Christ
et ne rend pas l’homme vivant de la nouvelle vie d’union. Cette foi est une foi
morte selon Jacques[139]. Ainsi, il semble que l’on peut
distinguer dans les Écritures une foi théologale qui ne justifie pas mais
dispose par la confiance en Dieu qu’elle suscite à la justice et une foi vive,
qui opère par la charité et constitue aux yeux de Dieu la justice[140]. Par charité, le Concile entend cette
forme d’amitié surnaturelle que saint Thomas d’Aquin a magistralement définie
dans sa Somme de théologie[141]. Ce texte est d’une grande précision.
Il ne laisse subsister aucun doute sur le fait que l’entrée dans la vie de
Dieu, grâce sanctifiante, ne se fait qu’à travers un don mutuel de charité. Le
Concile précise que cette grâce seule mérite la gloire de la vie éternelle.
Il s’agit d’un mystère d’épousailles impliquant nécessairement une réciprocité
de choix amoureux.
Ceci
étant posé, la place des autres qualités humaines et surnaturelles apparaît :
La bonne volonté, l’attraction divine, les actes humains bons, la foi et même
l’espérance sont comme les fondements sur lesquels peut et doit s’épanouir la
charité. Ils sont des DISPOSITIONS[142] à la justification mais ils ne
constituent en aucun cas la justice que recherche Dieu. Ainsi, il est certain
que nul n’entre dans la vision de Dieu s’il n’aime pas Dieu EXPLICITEMENT de
cet amour d’amitié, de la même façon que nul ne peut prétendre à un mariage
sacramentel valide (selon les conditions précises qu’on peut trouver dans le
code de droit canonique) si son sentiment est seulement celui de la confiance
(qui correspond à la foi au sens luthérien.) Il lui est en outre demandé un
amour d’amitié désireux de vivre en commun dans l’acceptation des fruits de
l’amour.
Dans
la troisième partie de notre étude[143], nous développerons avec ampleur ce
fondement de notre hypothèse. Nous présenterons d’une manière vitale
l’organisme spirituel qui fonde la charité et ouvre les portes du Ciel.
Cependant,
nous pouvons dès maintenant tirer quelques conclusions qui nous seront utiles
pour discerner la vérité des systèmes théologiques à propos du salut.
« Si quelqu'un dit que l'homme
peut être justifié devant Dieu par ses œuvres, réalisées soit par les forces de
sa nature soit par l'enseignement de la Loi, sans la grâce divine qui vient par
Jésus-Christ, anathema sit. » [144]
Cette
position trouve souvent une justification théologique dans la reconnaissance
universelle de l’Église pour la présence de la grâce au cœur des actes bons.
Cependant, le texte cité du Concile de Trente ne laisse aucun doute sur la
nature de cette grâce. Elle n’est pas celle qui ouvre au salut mais seulement celle
qui dispose, qui prépare au salut, puisqu’il est évident qu’un homme de bonne
volonté est disposé à accueillir la charité le jour où elle lui est proposée.
L’erreur
de ceux qui rendent immédiatement « méritoires » (au sens scolastique du mot) les actes
humains est à rechercher dans un manque de connaissance de la notion de grâce.
Elle est une notion analogique. Elle implique de multiples significations et
les réalités qu’elle exprime ont un certain rapport entre elles, tout en étant
très différentes[145]. Bien des conflits intellectuels
pourraient être évités si, au delà du mot employé, on prenait le temps de
discerner les multiples sens possibles. Ainsi, lorsqu’on entend par grâce « un don gratuit fait à la créature », on trouve (alors qu’il ne s’agit que
d’un des trois sens possibles du mot) une multitude de réalités. « Tout est grâce », affirme-t-on. De fait, le don de l’existence, de la vie, du
mouvement sont déjà des grâces de Dieu. Tout homme quel qu’il soit les a reçues
de Dieu en tant qu’il est Créateur (l’être), Père (la vie), et Moteur premier
(le mouvement.) Dans ce sens, les animaux eux-mêmes peuvent être regardés comme
comblés de grâce. Maître Eckart n’hésitait pas à écrire que les fleurs sont
remplies de la grâce de Dieu. Une telle affirmation lui valut (avec d’autres)
une enquête doctrinale. Il ne faisait pourtant qu’utiliser une vérité déjà
enseignée par saint Thomas d’Aquin : «
Dire qu’un homme a la grâce de Dieu, c’est dire qu’il a en lui un effet produit
gratuitement par la volonté de Dieu. Or cette aide s’exerce doublement : par un
amour général qui fait que Dieu aime tout ce qui existe et donne aux êtres
créés leur être naturel ; Mais il est un autre amour, spécial celui-là, en
vertu duquel Dieu attire la créature spirituelle vers la vie surnaturelle. »[146]
La
vie surnaturelle n’est certes pas objet d’expérience philosophique. Elle n’est
pas seulement objet de foi mais une réalité que l’homme peut expérimenter
intérieurement. Par vie surnaturelle, on entend une série d’activités qui
dépassent totalement les possibilités de la nature humaine. Pour la spécifier
en un seul mot quand il s’agit d’ici-bas, on peut dire qu’elle consiste dans la
charité. La charité est une amitié avec Dieu. Comme les amitiés terrestres,
elle peut atteindre divers degrés en nous. Cependant, à son sommet, elle
devient comparable aux épousailles les plus tendres entre Dieu et l’homme. Elle
est surnaturelle car elle implique des conditions qui dépassent la nature
humaine : l’homme et Dieu doivent devenir en un certain sens égaux car l’amitié
n’existe qu’entre deux semblables. Il faut donc que Dieu s’abaisse et qu’il
surélève l’homme. Les vertus théologales réalisent cette surélévation dans
l’esprit. Mais, d’une façon plus radicale, il faut admettre que c’est le fond
même de l’homme qui doit être disposé et élevé (toujours à cause de la grandeur
surnaturelle qu’implique la moindre amitié cœur à cœur avec Dieu.) C’est ainsi
que la théologie occidentale a été amenée par induction (de l’effet qui
est charité, elle est remontée à la cause qui est la grâce) à poser une
grâce particulière dont la fonction est de surélever l’âme elle-même (le
principe de vie.) Saint Thomas d’Aquin l’appelle la grâce habituelle[147] car elle est donnée à l’homme comme un
avoir dont il peut user à volonté ou encore grâce sanctifiante car c’est
elle et elle seule qui sauve. En effet, elle rend ontologiquement possible la
charité et la charité seule plaît à Dieu au point de le faire « fondre » devant nous, au point de nous mériter[148] la vision béatifique après cette vie.
Mais,
pour que cette charité soit possible, cet «
habitus » passif ne suffit pas.
Chacun de nous sait que, dans l’amour humain, il ne suffit pas de pouvoir aimer
pour aimer. Encore faut-il tomber amoureux, c’est-à-dire être attiré par le
bien-aimé. Il en va de même dans la vie surnaturelle. Saint Thomas d’Aquin
appelle cette attraction que Dieu exerce sur nous pour nous conduire à la
charité « une grâce actuelle. » Elle est vraiment une grâce de la vie
surnaturelle et non une simple grâce donnée par Dieu en tant qu’il étend sa
providence sur toute créature. En effet, par elle, Dieu nous attire à lui avant
même que nous le connaissions, pour nous unir à lui. Il existe donc en
théologie catholique deux grandes acceptions de la grâce surnaturelle :
- La
grâce habituelle qui surélève les facultés de l’âme et rend possible la
charité, donc la justice et le mérite de la gloire ;
- La
grâce actuelle qui aimante l’esprit vers Dieu.
Là
se situe le contresens de ceux qui pensent que tout acte humain bon mérite de
soi la vie éternelle : ils y discernent une grâce surnaturelle et ils ne se
trompent pas. Cependant, le mot grâce est ici employé par l’Église dans un sens
analogique : Elle entend par là une forme de l’attraction de Dieu. Dans tout
acte humain bon, Dieu non seulement agit comme Moteur premier (Auxilium) mais en plus il attire
invisiblement l’homme vers sa vocation qui est celle de la vision béatifique.
Cependant, cette attraction n’est pas réservée aux hommes de bonne volonté mais
à toute créature spirituelle. Certains théologiens vont jusqu’à affirmer que
les démons en enfer restent attirés par cette grâce de Dieu, d’où le feu qui
règne en eux[149]. Nous pensons quant à nous que
l’orientation naturelle de l’esprit vers la Vision pour laquelle il est fait
suffit à expliquer ce feu, sans que Dieu ait à surajouter son attraction
extérieure.
Il
est par contre certain que les actes humains dans leur ensemble sont marqués
ici-bas par la grâce actuelle de Dieu qui attire à lui tous les hommes, y
compris les pécheurs. Est-ce à dire qu’un homme humainement juste est aussi
divinement juste ? Autrement dit, en langage d’École, les actes bons
humainement méritent-ils de soi la vie éternelle ? Si l’on se réfère à Trente
et à toute la tradition du Magistère, la réponse est non. Par contre, on peut
affirmer avec Vatican II à propos des religions non-chrétiennes, que ces actes
bons disposent au salut. Il est évident qu’un homme droit fait sienne la Bonne
Nouvelle lorsqu’elle lui est suffisamment prêchée. Il convient d’être très
précis en ce domaine : un homme de bonne volonté, un juste au plan humain ne
mérite pas la vision béatifique parce qu’il ne la désire pas explicitement dans
l’amour de charité. De même, un homme juste et de bonne volonté ne serait
pas digne d’épouser, quelles que soient ses qualités, telle jeune fille
particulière tant que, étant aimé par elle, il ne l’aime pas, elle et elle
seule, explicitement d’amour.
Nous rejetons donc
toute conception de l’entrée dans la vision béatifique fondée sur le seul
mérite des actes humains bons. Nous acceptons la richesse de ces actes humains
et les considérons comme des dispositions importantes au salut.
« Si quelqu'un dit que la foi qui justifie n'est autre chose que la
confiance en la miséricorde divine qui remet les péchés à cause du Christ ou
que cette confiance seule est ce qui nous justifie, anathema sit. »[150]
Le
Concile de Trente, dans sa polémique avec la Réforme, précise de la manière
suivante le rôle de la confiance en Dieu dans la justification dont nous
parlons ici, c’est-à-dire celle qui mérite la vision béatifique[151] : «
Quand donc l’apôtre dit que l’homme est justifié « par la foi » et «
gratuitement »[152],
ces mots sont à prendre dans le sens que l’Église catholique a toujours et
unanimement exprimé, à savoir que nous sommes dits justifiés par la foi parce
que « la foi est le commencement du salut de l’homme », le fondement et la
racine de toute justification, « sans laquelle il est impossible de plaire à
Dieu »[153]et «
de parvenir à partager le sort de ses enfants. »
L’ambiguïté
des débats entre catholiques et réformés repose souvent sur l’utilisation des
mots. Saint Thomas d’Aquin remarque que le mot foi reçoit de l’Écriture de nombreux sens différents. Il peut
signifier dans certains cas une simple connaissance intellectuelle de la
révélation ou ailleurs une confiance de serviteur, un amour de charité, un
charisme ou un fruit du Saint Esprit. Or, Luther lui-même le reconnaît, il
entend par foi cette confiance
absolue en Dieu. Cette foi est présente dans la charité mais peut aussi exister
sans elle. On n’a pas confiance uniquement dans ses amis intimes. Cette foi confiante n’est pas le fait
des seuls chrétiens. Elle existe déjà chez les croyants juifs ou musulmans,
parfois aussi dans des religions d’autres origines « Entendant cela, Jésus fut
dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis,
chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël.[154] » La Tradition de l’Église enseigne
unanimement que cette attitude intérieure, lorsqu’elle existe sans la charité,
dispose au salut, à la justice et à la gloire, mais n’est pas le salut lui-même
: la foi est un réceptacle immédiat à la naissance de la charité sur laquelle
celle-ci peut venir se greffer le jour où elle est révélée et reçue par
l’homme.
L’analogie
que nous avons suggérée plusieurs fois et qui compare l’amour divin à des
épousailles humaines éclaire encore une fois la vérité de ce mystère : la foi
ne suffit pas à rendre juste devant Dieu (de cette justice parfaite qui mérite
la vision béatifique) de la même manière que la confiance ne suffit pas à
fonder un mariage humain.
Certains
théologiens, en vue d’une recherche oecuménique, ont manifesté la présence dans
la foi confiante de Luther d’un amour. Il leur paraît artificiel de vouloir
séparer les positions du luthéranisme orthodoxe de celles du catholicisme
puisqu’elles semblent, au delà des mots employés, signifier les mêmes réalités.
Qu’on se réfère à notre étude précédente et l’on verra que pour Luther et le
Concile de Trente, la distinction est réelle. C’est que, encore une fois, il
convient de ne pas jouer sur l’ambiguïté analogique du mot amour. L’amour qui
sort naturellement de la foi et de l’espérance en un Dieu transcendant et
Tout-puissant est un amour de respect et d’admiration soumise, comme celui d’un
inférieur envers un supérieur. Il n’est pas comparable à l’union de secrets et
de confidences que suscite l’amour d’amitié. L’Ancienne Alliance dans son
sommet visait à préparer de tels hommes de foi. Elle devait préparer le plus
grand des hommes, Jean-Baptiste[155] qui pourtant resta le plus petit dans
le Royaume de Dieu tant qu’il ne fut pas introduit dans le cœur à cœur que
donne la charité. Luther prépare, dans la mesure où l’on suit à la lettre sa
doctrine, des hommes de l’Ancienne Alliance mais non de la Nouvelle.
Nous rejetons donc
toute conception de l’entrée dans la vision béatifique fondée sur la seule foi
confiante en Dieu, lorsque cette foi existe sans la charité. Nous reconnaissons
la grandeur surnaturelle de cette foi et la considérons comme la disposition la
plus immédiate à la réception du salut par la charité.
Afin
de rendre plus complet le regard synthétique que nous voulons donner sur les
conceptions du salut, il nous paraît bon de citer rapidement cette conception
très proche, et sans doute même identique à la précédente. A propos d’une
question sur la mise à l’écart d’Israël, la théologienne Marie-Thérèse Huguet
écrit dans la revue Nova et Vetera[156] que c’est par l’espérance en la réalisation de la promesse de Dieu que les fils
d’Israël du passé, alors même qu’ils ne connaissaient pas encore le Christ,
étaient justifiés ; Elle s’appuie sur une citation de l’épître aux Galates[157]. A
fortiori, les Israélites d’aujourd’hui lui paraissent justifiés par
l’espérance en Dieu qui tient ses promesses lorsqu’on les voit, poussés par
leur histoire dramatique, attendre la consolation d’Israël. Elle cite la
ferveur des hassidim et l’admirable profession de foi d’Elie Wiesel : « Au jour du jugement, il ne sera demandé au
juif qu’une seule chose : As-tu espéré dans la Rédemption ? »
Sans
entrer dans une polémique qui est certainement hors de la pensée de l’auteur,
nous pensons que la précision du langage théologique est importante : plutôt
que de dire que les juifs sont justifiés par leur espérance théologale en la
Rédemption future, nous préférons dire qu’ils sont « disposés » à être
justifiés, du moins si l’on entend par justice celle qui nous occupe
actuellement et qui seule ouvre le Ciel. C’est donc que l’espérance elle-même
est autre chose que l’entrée en possession de ce qu’on espère, de même que
l’espoir humain d’approcher un jour un roi est autre chose que le fait d’en
devenir l’épouse aimée. Il est indispensable pour les théologiens d’avoir un
langage très précis en ce qui concerne ces matières, sous peine de réduire
l’Évangile à une nouvelle forme, sans radicale nouveauté, des Alliances
anciennes.
Cette
position théologique n’est pas une simple nuance. Elle permet de dire deux
choses : 1) Il est certain que ceux qui espèrent seront sauvés et vivront de la
charité dès qu’elle leur sera proposée, à l’image du bon larron crucifié : « Et
il disait : « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton
royaume. Et Jésus lui dit : En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras
avec moi dans le Paradis.[158] » 2) La spécificité de l’Evangile de
Jésus, c’est la charité théologale. Elle est le salut.
L’espérance
théologale la plus profonde ne sauve que si elle devient le fondement d’une
charité théologale. Mais nous reconnaissons la valeur de l’espérance comme une
disposition immédiate à l’accueil de ce salut dès qu’il est proposé.
Cette
conclusion s’impose à nous. Elle constitue le premier point de l’approche
démonstrative théologique que nous entreprenons. Nous suivons donc sur ce point
saint Augustin et saint Thomas d’Aquin ainsi que la théologie scolastique. Avec
eux, nous affirmons que :
Nul homme n’entre
dans la vision de Dieu s’il n’est pas rené de l’eau de la pénitence et de
l’Esprit de la charité.
Mais
nous constatons que la vérité de cette thèse a conduit saint Augustin et saint
Thomas d’Aquin a des conclusions sur le salut des païens, des pécheurs et des
enfants morts sans baptême sur lesquelles il faut maintenant s’interroger.
Concile
de Quierzy, canon n°3[159]
« Dieu tout-puissant veut que «
tous les hommes » sans exception «
soient sauvés »[160], bien que tous ne soient pas sauvés.
Que certains se sauvent, c'est le don de celui qui sauve ; que certains se
perdent, c'est le salaire de ceux qui se perdent. »
Concile
de Quierzy, canon n°4[161]
magistralement
définie dans sa Somme de théol"
« De même qu'il n'y a eu ou qu'il n'y aura aucun homme dont la nature
n'ait été assumée dans le Christ Jésus notre Seigneur, de même il n'y a, il n’y
a eu et il n'y aura aucun homme pour qui il n'ait pas souffert, bien que tous
pourtant ne soient pas rachetés par sa Passion. Que tous ne soient pas rachetés
par le mystère de sa Passion, ne concerne ni la grandeur ni l'abondance du
rachat, mais la partie des infidèles et de ceux qui ne croient pas de cette foi
qui « agit par la charité [162]« car la coupe du salut de l'humanité, faite
de notre faiblesse et de la puissance divine, contient ce qui est utile à tous
; mais si l’on n'y boit pas, on n'est pas guéri. »
La
vérité de cette proposition n’aurait pas besoin d’autre démonstration que
l’Évangile. Elle est l’Évangile. Celui qui médite sur la croix de Jésus, voit à
travers l’acte rédempteur du Dieu fait homme l’évidence de cette proposition.
Cependant,
afin de garder à notre recherche son caractère d’approche démonstrative
théologique, il nous paraît bon d’étayer notre affirmation par quelque
confirmation solennelle du Magistère de l’Église.
Et
un tel dogme solennel existe, dans le concile Vatican II, ce Concile que Jean
XXIII avait voulu uniquement pastoral et que l’Esprit Saint voulu aussi
dogmatique.
Citation: |
Vatican
II: “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de
l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que
l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité
d'être associé au mystère pascal” (Gaudium et Spes n° 22, 5) |
Commentant cette doctrine de Vatican II, voilà ce
que disait Karol Wojtyla dans "le signe de contradiction"
Citation: |
"La
naissance de l'Eglise qui a eu lieu sur la croix, au moment messianique de la
mort rédemptrice du Christ, fut dans son essence la naissance de l'homme, de
chaque homme et de tous les hommes, de l'homme qui - qu'il le sache ou non,
l'accepte ou non dans la foi - se trouve déjà dans la nouvelle dimension de
son existence. cette nouvelle dimension, saint Paul la définit tout simplement
par l'expression In Christo, dans le Christ" |
un peu plus loin
Citation: |
"Tous
les hommes depuis le commencement jusqu'à la fin du monde ont été racheté et
justifiés par le Christ et par sa croix" |
Dans Redemptor Hominis :
Citation: |
"Il
s'agit donc ici de l'homme dans toute sa vérité, dans sa pleine dimension. Il
ne s'agit pas de l'homme «abstrait», mais réel, de l'homme «concret»,
«historique». Il s'agit de chaque homme, parce que chacun a été inclus dans
le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s'est uni à chacun, pour
toujours, à travers ce mystère.(...)c'est cela, l'homme dans toute la
plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et dont
devient participant chacun des quatre milliards d'hommes vivant sur notre
planète, dès l'instant de sa conception près du coeur de sa mère." |
Auparavant,
voici quelques textes de l’Écriture Sainte :
« Alors toute chair verra le salut de
Dieu »[163]. Telle est la parole prophétique
qu’utilise le rédacteur du troisième évangile pour manifester la nature de la
mission de Jean-Baptiste, le précurseur. Saint Paul écrit d’autre part, pour
signifier que tous les hommes paraîtront au tribunal de Dieu[164] : «
Par ma vie, dit le Seigneur, tout genou devant moi fléchira et toute langue
rendra gloire à Dieu. » C’est donc, commente-t-il, que chacun de nous
rendra compte à Dieu pour lui-même. Ailleurs, il s’exprime avec précision à
propos de la manière dont Dieu agit :[165] «
Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que
tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.
Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le
Christ Jésus, homme lui-même s’est livré en rançon pour tous. Tel est le
témoignage rendu aux temps marqués. »
L’Église,
confrontée aux thèses de Calvin, s’est prononcée solennellement pour réaffirmer
cette vérité. Le canon 17 du décret sur la justification, condamne la thèse des
prédestinés au mal[166] «
Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’est accordée qu’aux
prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne
reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance
divine, qu’il soit anathème. »
Déjà
par le passé, devant des interprétations durcies des thèses de saint Augustin
sur la prédestination éternelle confondue avec la prédestination dans le temps
en fonction des mérites et de la liberté de chacun, l’Église avait rappelé la
vérité de l’Évangile[167] : «
Dieu tout-puissant veut que « tous les hommes »sans exception « soient sauvés »[168],
bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent, c’est le don de
celui qui sauve ; que certains se perdent, c’est le salaire de ceux qui se
perdent. »
Nous
n’entrerons pas ici dans l’analyse des subtilités théologiques qui entrent dès
que l’on veut confronter la Science éternelle de Dieu sur la damnation de
certains et la liberté humaine qui fait qu’eux seuls se séparent de Dieu.
L’essentiel pour le sujet qui nous occupe, est contenu dans la conclusion
suivante : « Dieu veut que tout homme
soit sauvé. Il donne donc à Tout homme les moyens d’être sauvé. » Libre à lui, dans un second temps, de
refuser ce salut.
Le
canon 17 du décret sur la justification[169], condamne la thèse des prédestinés au
mal : « Si quelqu'un dit que la grâce de
la justification n'est accordée qu'aux prédestinés à la vie et que tous les
autres appelés, tout en étant appelés, ne reçoivent pas cette grâce, parce que
prédestinés au mal par la puissance divine, qu'il soit anathème. »
Fondé
sur une telle foi, nous rejetons avec certitude la théorie calviniste sur la
prédestination divine de certains à la damnation éternelle. Cette thèse est en
contradiction manifeste avec l’Évangile. De même, il nous paraît impossible de
sauver certaines conclusions augustiniennes et thomistes à propos du sort des
hommes qui meurent, sans faute de leur part, sans la grâce de Dieu (donc, nous
l’avons précisé précédemment, sans la charité.) La théorie des limbes éternelles
pour les enfants morts sans baptême ne peut qu’entrer en contradiction directe
avec ce dogme de la foi. Elle consiste en effet à affirmer que ces innocents,
parce qu’ils n’ont pas reçu le baptême d’eau, sont exclus par Dieu de la proposition
du salut. Imaginer un état de damnation éternelle où l’on ne souffre pas car on
n’a pas fait le mal est visiblement, compte tenu du dogme ici rappelé, en
opposition avec la foi. De même, certaines thèses allant dans le sens d’une
damnation éternelle des païens, des pécheurs graves (exception faite, nous le
verrons, du seul blasphème contre le Saint Esprit), nous paraissent exagérées.
Un païen n’est tel que parce qu’il n’a pas reçu avec clarté la proposition de
l’Évangile. Saint Thomas d’Aquin dépasse heureusement par la souplesse
contemplative de sa pensée, ce que la rigidité de la logique pourrait suggérer
: ne sachant pas par quel moyen Dieu pourrait sauver les païens dont il
constatait avec évidence la mort éloignée de la charité, et étant mal à l’aise
devant la certitude de certains quant à leur rejet éternel, il écrit :[170]
« A un homme qui,
sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher le bien et
éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu révélerait par une inspiration
intérieure les choses qu’il est nécessaire de croire ou lui enverrait quelque
prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille.
»
Ce
texte est le plus ancien mais aussi le plus court allant dans le sens de notre
thèse. Saint Thomas d’Aquin n’a pas eu l’audace d’aller plus loin et d’en faire
un principe de sa théologie du salut. Il n’a pas pu, dans son réalisme
expérimental, s’imaginer l’universalité de cette parousie du Christ dans
l’heure de la mort. Nous savons pourtant de source contemporaine qu’il a vécu
cette parousie. Lorsque le Christ lui est apparu, dans les derniers mois de sa
vie, il fut saisi par sa gloire au point de vouloir brûler sa Somme de
Théologie. Il n’écrivit jamais plus rien. Dans une chrétienté comme celle de
son époque, il n’a pas été suffisamment confronté au drame de l’incroyance pour
réfléchir au cas de ceux qui vivent dans le péché parce qu’après la mort « c’est le néant. » De même, la psychologie moderne manifestera avec force les
limites de notre liberté terrestre. Le salut, même prêché avec force, peut être
rejeté ou oublié sans que la responsabilité soit telle qu’elle puisse mériter
la damnation éternelle. Dieu qui connaît la nature humaine et prend en pitié le
petit troupeau des hommes sans berger, ne veut-il pas sauver tous les hommes ?
Qu’un enfant soit loin de lui pour l’éternité parce que personne n’a pensé à
l’aimer en le baptisant, voici une théorie contradictoire avec la fameuse
parole de Jésus concernant le pardon de tous les péchés [171]que le Pape Innocent IV commente ainsi à
l’évêque du Tusculum[172] : «
Enfin, puisque la Vérité affirme dans l’Évangile que « si quelqu’un a blasphémé
contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné ni dans ce monde à venir »[173], ce
qui nous fait comprendre que certaines fautes sont déliées dans le siècle
présent, mais d’autres dans le siècle futur ; Puisque l’Apôtre dit que « le feu
éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun »et que « celui dont l’œuvre est
consumée en subira la perte ; pour lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu
»[174]
Dieu qui veut que
tout homme soit sauvé, propose à la connaissance et au choix de tous sans
exception son salut de telle manière que nul ne puisse le rejeter que
librement.
Le
problème qui apparaît maintenant est celui de la manière dont Dieu procède au
salut de ceux qui meurent sans connaître l’Évangile. Comment, quand et par qui
leur est-il prêché ? Saint Thomas d’Aquin nous ouvre la porte par le texte cité
plus haut. Mais avant d’aller plus loin dans cette recherche, il convient de
jeter quelques balisent supplémentaires de la foi de l’Église. Nous dégagerons
ainsi notre chemin des voies sans issues.
L’absence
de délai entre la séparation de l’âme et du corps et le jugement particulier
par lequel Dieu donne à l’âme ce qu’elle mérite est une vérité de foi qui ne
laisse au théologien aucune autre alternative. Nous le devons à une définition
solennelle du Pape Benoît XII, à la suite de sa controverse avec son
prédécesseur Jean XXII[175].
En
1331, Jean XXII avait affirmé dans ses sermons et ce à titre de recherche
personnelle que les âmes des élus ne jouiraient de la vision béatifique
qu’après le Jugement dernier et la résurrection de la chair, et qu’en attendant
elles ne possédaient qu’une béatitude incomplète (celle des limbes, du « sein d’Abraham. ») En 1332, il prêcha une opinion analogue sur la peine des
damnés. Ces prédications n’étaient pas des définitions solennelles. Elles
n’exprimaient que l’opinion privée du Pape. Néanmoins elles provoquèrent
aussitôt de vives contradictions, notamment de la part des dominicains de
l’Université de Paris et des franciscains schismatiques d’Allemagne. Jean XXII
renonça à son opinion personnelle en faveur de la doctrine traditionnelle de
l’Église, qu’il entendit proposer par un décret solennel. Mais c’est seulement
son successeur Benoît XII, auteur, alors qu’il était cardinal, d’un De statu animarum sanctarum ante generale
judictium, qui put, après une minutieuse enquête, réaliser ce projet
par sa constitution Benedictus Deus,
document « ex cathedra. »
Nous
citons les extraits de ce document qui intéressent notre propos, en priant le
lecteur de bien vouloir pardonner la longueur de la citation :[176]
« Par la présente
constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre autorité
apostolique, Nous définissons que, d’après la disposition générale de Dieu, les
âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde avant la Passion de notre
Seigneur Jésus-Christ : que celles des saints Apôtres, martyrs, confesseurs,
vierges et autres fidèles morts après avoir reçu le saint baptême du Christ, en
qui il n’y a rien eu à purifier lorsqu’ils sont morts ou en qui il n’y aura
rien à purifier lorsqu’ils mourront dans la suite ou encore, s’il y a eu ou
qu’il a quelque chose à purifier, lorsque, après leur mort, elles auront achevé
de le faire ; que, de même, les âmes des enfants régénérés par ce même baptême
du Christ ou encore à baptiser, une fois qu’ils l’auront été, s’ils viennent à
mourir avant d’user de leur libre-arbitre, (que toutes les âmes de ces
enfants), aussitôt après leur mort et la purification dont nous avons
parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection dans leur
corps et le Jugement général, et cela depuis l’Ascension du Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ au Ciel, ont été, sont et seront au Ciel, au Royaume des cieux et
au paradis céleste avec le Christ, admises dans la société des saints anges.
En outre, nous
définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui
meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer,
où elles sont tourmentées de peines infernales.
»
La
précision du langage scolastique de ce texte et la solennité de sa présentation
ne laisse aucun doute sur la vérité de ce qu’il définit. Nous le faisons donc
nôtre et admettons qu’il n’existe aucun délai entre la séparation de l’âme et
du corps (la mort au sens théologique du terme) et l’acquisition de son
orientation éternelle. Nous savons par ailleurs que cette orientation consiste
en enfer par un rejet de Dieu motivé par un blasphème contre le Saint Esprit
(Voir le texte du Pape Innocent IV à l’évêque de Tusculum cité précédemment),
c’est-à-dire par un de ces péchés absolument libres, car lucides et volontaires
contre l’amour. De même, nous avons montré que le mérite du paradis est dû à la
charité surnaturelle dans son exercice réciproque et libre. Il apparaît donc
déjà à notre regard la conclusion suivante : tout homme arrive après la mort en
état de mérite ou de démérite libre par rapport à la vision béatifique de telle
façon qu’aussitôt après la mort, il peut être jugé pour son éternité.
A
l’époque de saint Thomas d’Aquin où de saint Augustin, si ce dogme n’avait pas
encore été solennellement confirmé par Pierre, il n’en était pas moins connu.
Il est aisé de comprendre maintenant pourquoi ils en arrivèrent à conclure,
souvent à leur cœur défendant mais par fidélité à leur foi, à la damnation
éternelle de millions de païens et de nouveau-nés. Si toute personne humaine
qui meurt sans la charité est aussitôt
conduite en enfer éternel, il n’y a plus d’espoir à avoir pour les incroyants
et les enfants non baptisés. L’absence de délai, l’impossibilité apparente
d’une ultime prédication à l’heure de la mort (l’inconscience de l’agonisant
étant apparemment expérimentalement prouvée), il fallait bien se résoudre à
cette conclusion. Par cette thèse, nous essayons de prouver qu’un acte de la
pièce a été oublié, qui rend tout limpide et simple. Mais nous ne pouvons
manquer d’admirer, tout en rejetant leur thèse, la foi de saint Augustin et
saint Thomas d’Aquin qui les amène à adhérer à un mystère que leur charité ne
comprend pas.
Grâce
à cette définition du Pape Benoît XII, nous pouvons exclure de notre panorama
d’hypothèses théologique la thèse de Ladislas Boros[177] et celle de Mgr Glorieux[178]. Boros part de la constatation des
limites de la liberté humaine qui est ici-bas conditionnée par toutes sortes
d’influences étrangères. Il analyse les causes de cette faiblesse et conclut
par la dénonciation du corps biologique. Pour lui, une vie terrestre ainsi
fragilisée ne saurait à elle seule déterminer le destin éternel d’un homme. A
cause de la justice de Dieu, il se voit contraint de poser un temps
intermédiaire « après la mort », lorsque l’âme enfin libérée du
corps, est en mesure de juger intuitivement et sans erreur du bien et du mal,
peut choisir son orientation éternelle. Boros lui-même résume sa position : « Dans la mort (c’es-à-dire après la mort)
s’ouvre la possibilité du premier acte personnel de l’homme ; il est ainsi le
lieu privilégié de la prise de conscience, de la liberté, de la rencontre avec
Dieu et de la décision du destin éternel. » Cette position présente une
recherche intéressante mais elle est concrètement inconciliable avec la
définition solennelle de Benoît XII. Le temps intermédiaire que pose Boros
entre la séparation de l’âme et du corps et le jugement dernier n’existe pas
aux yeux de la foi catholique. Mais sa position présente un autre inconvénient
: le rôle de la vie terrestre et l’unité substantielle de l’homme, âme et
corps, deviennent incompréhensibles. Si le corps est le tombeau de l’âme au
point que l’âme n’est elle-même que séparée, on en arrive à un dualisme de type
platonicien qui pose plus de problèmes à la foi qu’il n’en résout. La Sagesse de
Dieu qui a créé l’homme âme, esprit, psychisme et corps devient obscure.
De
même, la définition de Benoît XII permet de repousser toute hypothèse
théologique qui suggérerait la possibilité d’un choix après la mort. Plus
subtile que la position de L.Boros, celle de H.U. von Balthasar n’en reste pas
moins difficile à mettre en accord avec la constitution Benedictus Deus : Dans sa Dramatique Divine[179], il écrit qu’au jugement, le bien d’une
vie humaine n’est pas opposé quantitativement au mal. Par ailleurs, selon lui,
la liberté humaine ne fait pas une sélection ponctuelle entre des biens finis,
mais elle transcende la finitude et décide à partir d’une autonomie absolue,
qui la dépasse elle-même. C’est pourquoi la décision humaine, « le choix fondamental », doit être évaluée qualitativement ; « Ce choix fondamental... ne se fait
cependant pas in abstracto, mais dans les différentes situations de vie qui se
succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes, qui ont tous une pente vers
la mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la finitude de l’espace assigné à
la liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir la relation avec le choix
fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après les différentes situations
; il y va sans aucun doute, primordialement de la sentence objective
(c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, de son Incarnation nécessaire
dans les décisions toujours exigées par les situations... Et comme il ne s’agit
pas d’une estimation quantitative, mais de la qualité du choix fondamental...,
se pose la question de savoir si un choix fondamental négatif, même s’il s’agît
du dernier dans le temps d’une vie, a pu s’exprimer sans restriction dans
toutes les situations d’une vie... Ici le juge cherchera « si, dans la vie de
celui qu’il a à juger quelque chose peut se laisser trouver qui a été saisi,
peut se laisser saisir de son amour vivifiant, une possibilité au moins
potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à juger, quelque chose est
capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à tout l’amour qui lui est
offert par Dieu. »
Les
citations de ce texte sont tirées du commentaire de la première lettre de saint
Jean par Adrienne von Speyr, alors que la note en bas de la page fait référence
à Mechtilde von Magdebourg. La mystique du Moyen-Age y décrit comment le Père
céleste s’approche d’une âme chargée de péchés et lui dit : « Ai-je seulement trouvé quelque chose de
bien en toi ?. »
Outre
le fait que l’âme connaît après la
mort un moment d’incertitude où le choix est comme suspendu, cette conception
présente encore la difficulté de faire porter le jugement sur des actes bons
mais des actes bons au plan naturel.
Or nous avons montré précédemment[180] que ces actes ne pouvaient constituer
qu’une disposition à la seule réalité qui compte en définitive pour entrer dans
la gloire : la charité théologale. Devra-t-on alors admettre que, après la mort et le jugement
miséricordieux de Jésus : « Ai-je
seulement trouvé quelque chose de bien en toi ? », l'âme se tourne dans sa
reconnaissance vers lui dans un premier acte de charité explicite et méritoire
? On se heurte alors de nouveau à la constitution de Benoît XII, qu’il est
difficile de ne pas admettre comme l’annonce solennelle et infaillible d’un
dogme.[181]
Bien
d’autres théologiens, poussés par leur foi en la bonté de Dieu et recherchant
le comment concret du salut des pécheurs, se refusant à admettre avec saint
Augustin ou saint Thomas d’Aquin la «
massa damnata », ont recherché la possibilité d’une option « dans la mort. » Dans la mort est une expression imprécise qui signifie la
plupart du temps « après la mort. » C’est qu’en effet, l’expérience
démontrait qu’ » avant la mort », la charité n’était pas
révélée à tous. D’autre part, la mort elle-même était un moment de faiblesse
inconsciente qui semblait ne laisser aucune place à un événement lucide. La
théologie des fins dernières s’est donc retrouvée dans une tension
inconciliable de la foi et de la charité. La théorie scolastique, concluant
logiquement à la damnation éternelle des hommes morts sans la charité, quelle
que soit leur responsabilité, était devenue insupportable à l’amour et aux
textes du Concile Vatican II démontrant la valeur dispositive de tout acte bon,
de toute religion empreinte « de semences
du Saint Esprit. » Si l’on ajoute
à cela le quatrième point de foi que nous allons maintenant étudier, on
comprend la détresse du Traité des fins
dernières.
Aussitôt après
la séparation de l’âme et du corps, l’âme est définitivement orientée selon sa
charité ou son refus de la charité vers le Ciel ou l’enfer, et cela sans délai.
C’est une doctrine très ancienne, qui fut cependant exprimée
avec une force dogmatique particulière durant le Concile Vatican II : “Puisque le
Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement
unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous,
d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal”
(Gaudium et Spes n° 22, 5, trad. officielle). Ce texte ne fait que
reprendre des dogmes solennels plus anciens : « Dieu qui veut que tout homme
soit sauvé... propose à tous son salut... ce qui ne signifie pas que tous
l'acceptent..."
Voici
quelques textes du Magistère plus anciens. Il en existe bien d'autres dans le
Dentzinger :
Dentzinger
340 : « Mais maintenant, en raison de l'autorité des saints témoignages qui se
trouvent en abondance dans le domaine des saintes Ecritures et qui sont
dévoilés de par la doctrine des anciens, je confesse volontiers que le Christ
est également venu sauver non seulement ceux qui croient, mais ceux qui sont
perdus, car ils sont perdus contre sa volonté. Et il ne convient pas que la
richesse de la bonté infinie et les bienfaits divins soient limités seulement à
ceux-là qui manifestement sont sauvés. (pape Simplicius, 3 mars 468,
Concile d'Arles)
Dentzinger
623 : « Dieu veut que tous les hommes sans exception soient sauvés"
(pape Léon IV, 10 avril 847, Concile de Pavie)
Dentzinger
780 : On ne peut admettre en effet que tous les petits enfants, dont tant
meurent chaque jour, périssent sans que le Dieu de miséricorde, qui veut que
personne ne périsse, leur ait procuré à eux aussi un moyen de salut. (Pape
Grégoire IX, Décrétales, I, III, tit. 42, c. 3).
Ce
dogme n’est que la conséquence des précédents : Si Dieu propose à tous le
salut, à travers la « prédication » de l’Évangile[182], puisque ce salut consiste en une
charité choisie (Trente), puisque d’autre part aussitôt après la mort (Benoît
XII), l’âme reçoit ce qu’elle mérite, c’est donc que l’Évangile lui est prêché
AVANT LA MORT.
Dans
les évangiles, nous ne disposons malheureusement à l’appui de cette vérité que
de textes de type apocalyptique. La difficulté de ces textes est qu’ils
englobent en un seul regard des réalités diverses comme la ruine du temple de
Jérusalem, la mort individuelle, la fin des sociétés, la fin du monde. Il
semble que dans le regard de Jésus, ces réalités diverses méritaient d’être
ainsi réunies à cause du rapport de signification qu’elles avaient les unes
avec les autres. Parmi les textes de ce genre, on peut citer Mathieu[183] : «
Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier en
témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin. » Appliqué
à la mort individuelle, il pourrait être ainsi traduit : l’Évangile sera prêché
à tout homme puis viendra sa mort. On pourrait citer aussi Mathieu[184] dont nous verrons ensuite en quel sens
une des interprétations possibles signifie les événements de la mort
individuelle, terme des souffrances de l’agonie. « Aussitôt après la
tribulation de ces jours-là, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa
lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront
ébranlées. Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; et
alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on verra le
Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.
Et il enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des
quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités. »
Cependant,
il faut reconnaître que ces deux textes ne constituent qu’un signe et non une
preuve de la prédication universelle à chaque homme individuellement, avant sa
mort, de la Bonne Nouvelle du salut. La constitution de Benoît XII, éclairée
par les autres points de la foi que nous avons développés, permet cependant de
conclure, avec une certitude que donne la confiance en l’amour de Dieu (qui ne
saurait permettre qu’un homme soit damné sans liberté) et en la vérité de Dieu
(qui ne saurait permettre que le Magistère de l'Église se soit trompé aussi
gravement sur « l’aussitôt après la mort
»), à la proposition suivante :
Tout homme reçoit durant sa vie terrestre la proposition explicite
du salut.
Si
notre confiance en Dieu adhère à cette vérité, elle le fait avec grande
difficulté à cause de l’énorme contradiction que semble apporter notre
expérience. Le Christ lui-même manifeste que c’est une contre vérité, au moins
pour les hommes qui vécurent avant sa venue : « En vérité je vous le dis, il en est beaucoup qui auraient voulu voir
un seul des jours que vous voyez et ne l’ont pas vu. » [185]Pourtant, cette foi est essentielle à
garder si l’on veut comprendre le sérieux de la vie terrestre et la grandeur de
notre nature humaine corps et âme. Il n’est pas naturel, en effet, à notre
nature d’être en état d’âme séparée de notre corps. Nous ne sommes pas une âme
tombée dans un corps dont elle doit se libérer pour être elle-même, mais un
être corps, psychisme, esprit et âme. Ainsi, quoiqu’en suggère la pensée de
Boros, il n’est pas naturel à notre esprit de connaître à la manière des anges,
c’est-à-dire par mode d’intuitions directes. Pour nous, l’intelligible parvient
à la connaissance grâce à la médiation des sens. De même, il n’est pas naturel
à notre volonté de se porter vers un bien d’un seul acte définitif. Elle doit
auparavant analyser une par une les raisons de la bonté de l’objet, les
comparer afin de s’y porter. Quoiqu’en dise Boros, cet acte n’est pas par
nature handicapé. La fragilité de nos choix terrestres ne vient pas de ce mode
de fonctionnement mais des tromperies de notre imaginaire débridé depuis le
péché originel. Sans le « fomes peccati »
au cœur de leur nature, Adam et Ève étaient capables de choix absolument
responsables. De même, quoiqu’en dise Luther, le foyer du péché n’a pas détruit
complètement notre capacité de choix. Cette capacité est certes conditionnée,
marquée par des influences inconscientes (Freud, Jung), mais elle reste la
plupart du temps réelle et même éducable. L’homme qui développe des vertus
intérieures dispose favorablement par la même occasion sa capacité de choix et « règne sur les astres » (Aristote.) La
Bible témoigne de cette nature humaine bonne, quoique blessée : « L’homme fort qui dompte son âme vaut mieux
que celui qui prend des villes »[186]. Ainsi, lorsque Boros affirme que
l’homme n’est lui-même que délivré de ce corps de mort, il exagère et sort de
la foi chrétienne en la bonté de la nature humaine corps et âme. Pourtant, sa
position marque avec vérité l’incroyable lourdeur de notre nature humaine
soumise aux lois d’une « chair qui
convoite contre l’esprit »[187]. Il manifeste la faiblesse de notre
état blessé qui ne saurait permettre un choix aussi vertical que celui qui
engage une éternité. A réfléchir sur la précarité de nos décisions et
l’éternité de leurs sanctions, le croyant ne sent guère, il est vrai, surgir
d’objection quand il s’agit d’une issue heureuse et du bonheur des élus. Mais
s’il commence à songer à l’éternité de l’enfer, un légitime vertige et un scandale
peuvent le saisir. Ce vertige ne semble pas affecter saint Thomas d’Aquin qui
justifie rationnellement la réalité de ce mystère[188] : «
Celui qui dans sa propre éternité pèche contre Dieu, sera puni dans l’éternité
de Dieu. Et l’homme pèche dans sa propre éternité non seulement par la
continuation d’un même acte tout au long de sa vie ; mais du seul fait qu’il
constitue sa fin dans le péché, sa volonté est de pécher éternellement. »
Ce
texte de saint Thomas d’Aquin est vrai dans son fond de foi puisqu’il affirme
avec l’Église sa confiance dans la capacité qu’a l’homme de choisir durant sa
vie terrestre. Mais, grâce au regard de Boros, Freud et de tous ceux qui ont
manifesté les limites de la liberté terrestre, il se heurte de front à la force
de l’expérience : comment choisit durant sa vie terrestre l’enfant avorté,
l’africain mort de famine dans ses premières années de vie de misère, l’athée
européen centré sur son travail et mort d’infarctus en pleine carrière...
Confronté à la réalité expérimentale de chaque vie humaine, le vertige aussitôt
nous prend non seulement à cause des risques de l’enfer mais aussi devant les
exigences de la charité qui conduit seule au face à face avec Dieu. Nous
maintenons cependant notre conclusion :
Le salut par la charité est proposé à
l’homme durant sa vie terrestre, explicitement (de droit et de fait), avant la
séparation de l’âme et du corps.
Objection
à propos de la proposition mineure de notre démonstration théologique : Avant d’aller plus loin, une objection
peut être formulée concernant la méthode de ce que nous appelons une approche
démonstrative théologique : est-il légitime de raisonner en s’appuyant sur une
majeure dogmatique et une mineure expérimentale ? Il semble illégitime de
mélanger les genres.
Cette
objection n’est pas nouvelle : elle fut adressée à saint Thomas d’Aquin qui fut
même un temps condamné par l’Église pour avoir introduit en théologie des
données philosophiques d’Aristote. Ce grand théologien se serait sans doute
justifié ainsi : Dieu est l’auteur de tout le réel. Il est le Créateur des
anges que nulle philosophie expérimentale ne peut connaître et des plantes
qu’on peut examiner au microscope. Ainsi, quel que soit le mode par lequel
l’homme parvient à la connaissance du réel, que ce soit par les seules forces
de son intelligence ou en s’appuyant sur la révélation, il ne peut y avoir contradiction.
Le réel ne se contredit jamais. S’il y a contradiction, ce peut être parce que
l’homme appelle « foi » ce qui n’est qu’opinion théologique
ou qu’il appelle « science » ce qui n’est qu’erreur philosophique.
Il est donc possible pour le théologien d’utiliser à son service tout type de
connaissance du vrai. Non seulement il lui est possible d’agir ainsi, mais il
doit le faire puisque sa foi cherche à être intelligente ; Non seulement cette
attitude est possible mais elle est nécessaire pour le service de la « science des sciences » qu’est la théologie. Saint François
de Sales l’enseigne : « La foi et la
raison doivent marcher ensemble comme deux affectionnées. » Bien des conflits dont la science ou
la foi ont été victimes au cours de l’histoire auraient été évités si cette
attitude harmonieuse avait toujours été de mise. Mais, parce que la méthode
philosophique et la méthode théologique sont utilisées par des hommes dont le
moindre des défauts est de croire qu’ils sont maîtres de toute la vérité, la
coopération est difficile. On a rarement égalé en ce domaine d’harmonie
coopérante de la science avec la foi le «
Docteur commun. »
Là
se trouve la difficulté de la foi des fidèles et des théologiens attentifs au
salut de leurs frères. Le livre de l’Apocalypse présente le silence de Dieu
comme l’un des sept mystères scellés que seul l’agneau peut ouvrir,
c’est-à-dire que seule la passion du Christ preuve de l’amour de Dieu peut
expliquer[189]. Encore faut-il admettre avec réalisme
le scandale, c’est-à-dire reconnaître que chaque jour, des milliers d’hommes
meurent en ignorant tout du salut par la charité. S’ils ignorent la
possibilité de la charité, c’est qu’ils meurent sans être entrés dans le salut
selon saint Paul : « Comment l’invoquer
sans d’abord croire en lui ? Et comment croire en lui sans d’abord l’entendre ?
Et comment entendre sans prédicateur ? »[190]. Mais en imaginant par impossible que
depuis l’Incarnation du Christ, toutes les nations de la terre aient entendu
parler de la Bonne Nouvelle, la question n’en serait pas résolue : comment
expliquer le retard entre le péché originel et la Rédemption ? A cette époque,
tous les hommes sauf exception notoire mouraient en ignorant totalement tout de
la charité de Dieu. Il leur était bien sûr impossible de l’aimer de charité en
retour et ils entraient dans la mort avec une grande frayeur de l’injustice des
dieux. De même, dans les chrétientés les plus ferventes, qui peut prétendre
avoir saisi toute l’urgence du message ? La vie est longue, les soucis
multiples et Dieu bien loin. Saint Thomas d’Aquin faisait à la suite d’Aristote
cette réflexion désabusée : « la plupart
vivent dans le sensible. »[191] Il commentait cette pensée à la lumière
de l’Évangile[192] : «
Large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition et il en est beaucoup
qui l’empruntent. » Cette tension
entre la foi qui enseigne solennellement que Dieu propose à tout homme le salut
durant sa vie terrestre et la constatation expérimentale du fait inverse est
source de trouble.
Qu’on
se souvienne du trouble analogue qui saisit la réflexion juive de l’Ancien
Testament dans la tension d’une foi enseignant sans ambiguïté que « Dieu comble de biens les hommes droits et
renvoie les riches les mains vides » et la constatation quotidienne de
l’inverse. Cette dramatique expérience fut source d’une mutation spirituelle
majeure de Job à la Sagesse, en préparation de la venue de Jésus. Au temps de
leur gloire, les juifs tuaient comme hérétiques les prophètes qui osaient
annoncer, chose impossible pour raison de présence de Dieu, la destruction du
Temple. Il fallut plusieurs ruines et déportations d’Israël pour que certains
comprennent qu’il était question d’un temple théologal. Nous sommes dans la
même situation paradoxale et les solutions évoquées par les fidèles ou les
théologiens ressemblent fort à celles des amis de Job. Il est à remarquer que
Dieu se plaît aux apparentes contradictions. Nous sommes frappés à l’évocation
des nombreux exemples qui jalonnent l’Écriture ou la vie des saints : Marie, au
pied de la croix, repensait-elle à la promesse de l’ange « Il gouvernera les nations avec un sceptre de fer » ? Jeanne
d’Arc, demandant à ses voix si elle serait sauvée s’entendit répondre : « oui, par grande victoire! » Deux jours plus tard, elle était
brûlée vive. Sainte Thérèse d’Avila, remarquant dans sa vie cette contradiction
entre les promesses de Dieu et leur réalisation, disait : « Dieu torture admirablement ceux qui l’aiment. »
Pour
le théologien, l’opposition apparente entre foi et réalité, loin d’être une
torture, constitue le lieu théologique par excellence, le lieu des découvertes.
Nous disions précédemment que la foi et l’expérience ne peuvent entrer en
contradiction, Dieu étant Créateur de tout ce qui est connu par la foi ou par
l’expérience. Deux vérités apparemment contradictoires, dont l’une procède de
la foi (Dieu propose son salut par la charité à tous les hommes durant leur vie
terrestre) et l’autre de l’expérience (ce n’est pas vrai car des hommes meurent
en ignorant tout de la charité) sont comparables à deux silex durs qu’on frotte
: La lumière en jaillit. Parvenus ici dans notre recherche, nous sommes proches
du moment où le jaillissement peut se produire.
Comment,
dans le peuple des chrétiens, s’est on efforcé de résoudre cette apparente
contradiction, à savoir la foi en Dieu qui sauve tous les hommes par le don de
sa grâce durant leur vie et la constatation expérimentale de l’inverse ?
Pour
une part des chrétiens, la responsabilité de l’absence de charité chez les
païens ne peut être celle de Dieu mais celle des païens eux-mêmes. Dans les
chrétientés occidentales, il leur semble en effet que nul ne peut ignorer
totalement la foi. Si elle n’est pas vivante dans les cœurs, cela ne peut venir
que d’un manque d’attention des hommes. Selon eux, Dieu propose sa grâce
sanctifiante à tout homme mais beaucoup la refusent. Évidemment, cette solution
simpliste ne résiste pas à un examen sérieux. Elle ne résout d’ailleurs pas
davantage des questions telles que l’existence d’un Islam puissant à la place
des chrétientés primitives, l’existence actuelle d’un judaïsme 2000 ans après
la Rédemption, des paganismes, de l’athéisme envahissant les anciennes
religions. Ce monde est mystérieux dans sa structure même et Dieu qui peut faire des enfants pour Abraham à partir des
pierres[193] semble avoir des projets autrement
mystérieux que ceux d’une conversion rapide, immédiate et définitive à la
charité qui conduit au salut (qu’il a pourtant au moins le pouvoir de proposer
aux hommes.)
Devant
le mystère du silence de Dieu qui ne propose pas à tous les hommes son salut
durant leur vie terrestre malgré ce qu’en dit la foi catholique, certains
évoquent le respect qu’il a pour notre liberté. On entend le raisonnement
suivant : « s’il révélait son amour
avec la puissance des signes et des miracles, chacun serait obligé de croire,
ce qui serait un manque de respect pour la liberté. » Ce raisonnement est fallacieux. Chacun sait que la liberté ne
naît pas de l’ignorance du choix proposé. Qui peut choisir ou rejeter pour
l’éternité ce qu’il ne connaît pas ou ce qu’il ne connaît qu’à travers les
voiles déformants d’une prédication humaine ? Au contraire, la vraie liberté de
choix se manifeste dans l’accueil ou le rejet d’une vérité parfaitement
révélée.
D’autres
évoquent donc une mystérieuse volonté prédestinatoire de Dieu à la damnation de
certains. Calvin soutient sa thèse inacceptable en s’appuyant sur un
raisonnement logique compte tenu de sa foi et de son expérience. L’Écriture
Sainte confirme ses dires : « Aussi bien
ne pouvaient-ils pas croire, car Isaïe dit encore : il a aveuglé leurs yeux et
il a endurci leur cœur, pour que leurs yeux ne voient pas et que leur cœur ne
comprenne pas, qu’ils ne se convertissent pas et que je ne les guérisse pas. »[194] Ce texte, on doit le reconnaître, est
profondément mystérieux. Calvin a-t-il raison ? Nous soutiendrons plus tard, à
la lumière de notre hypothèse, une autre interprétation : Dieu endurcit provisoirement le cœur de certains en ne
leur donnant pas sa grâce, il les « damne » ici-bas pour que, ayant touché leur
misère, ils crient vers lui et ne soient pas damnés pour l’éternité. Mais, bien
souvent, il se réserve de se révéler à eux à l’heure de la mort et non avant.
D’autres
théologiens, à la suite de l’école augustinienne ou thomiste, acceptent le fait
de la damnation éternelle de tout homme qui meurt sans la grâce. Pour ce faire,
saint Thomas d’Aquin établit une doctrine du péché mortel qu’il définit par les
mots suivants : « Tout acte de la volonté
humaine qui met sa fin dans un bien de telle façon que Dieu ne peut être aimé en
même temps comme fin dernière »[195]. Cette définition ouvre toutes grandes
les portes de l’enfer puisque, saint Thomas d’Aquin le reconnaît lui-même, la
faiblesse de la nature humaine, l’ignorance ou même le péché originel non
volontaire, peuvent laisser l’homme dans un état de mort théologale. Nous avons
souvent cité cette conception thomiste très large du péché mortel. Elle
surprend parfois les théologiens scolastiques eux-mêmes. Elle ressort pourtant
avec clarté de textes précis et aboutit aux conclusions déjà citées pour leur
évidente contradiction avec l’amour de Dieu : limbes des enfants, damnation des
païens etc. L’Église, pour enlever ces ambiguïtés scolastiques trop visiblement
contradictoires avec la Parole de Jésus sur le blasphème contre le Saint Esprit
qui seul est irrémissible[196], redéfinira au XXème siècle
le péché mortel en se servant des mots qu’utilisait saint Thomas d’Aquin pour
le blasphème contre le Saint Esprit : «
péché volontaire, lucide et libre en matière grave, c’est-à-dire contre l’amour. »
D’autres
chrétiens ne se résolvent pas à la damnation éternelle des masses de pauvres
gens. Ils inventent donc des scénarios du salut qui tous, par un axe ou par un
autre, viennent buter contre les enseignements solennels de l’Écriture ou de
l’Église : Certains voient le salut mérité pour tout acte authentiquement bon
au plan humain, car la grâce règne dans tout amour (Vandevelde, Journet,
Balthasar avec des nuances), car l’Évangile est libération sociale (théologie
de la libération), car l’homme est maître de sa vie avec Dieu (Pélage..). Mais
toutes ces conceptions, si on en poussait les conséquences à l’extrême,
arriveraient à ne plus discerner ce qui est radicalement différent dans la vie
surnaturelle et que décrit magistralement le Père Marie-Eugène de
l’Enfant-Jésus[197]. D’autres penseurs en arrivent à poser
une option finale qui ne peut se situer, l’expérience de la vie terrestre les
pousse à affirmer cela, qu’après la mort et avant le jugement dernier (Boros,
Glorieux, Balthasar, chacun selon des nuances à préciser.) Là encore, la foi
définie vient achopper, principalement grâce à l’éclairage donné par l’Esprit
Saint à travers le Pape Benoît XII. C’est donc que la vie humaine terrestre est
le lieu du choix éternel, aussi scandaleux que cela puisse paraître à tout
homme sensé et un peu conscient de l’état de misère où l’homme vit. L’Église
prend donc au sérieux l’état de notre vie terrestre. L’homme est
indissociablement esprit, psyche et
corps et c’est dans son état parfait d’homme vivant qu’il choisit pour
l’éternité. Cependant, n’exagérons pas l’étendue de cette liberté, à la manière
du Père J.H.Nicolas[198] dans un texte de sa Synthèse
Dogmatique. Il pense pouvoir expliquer sans scandale le salut des hommes
par le simple exercice des lois naturelles de la liberté à qui a été proposée
la foi au Christ. Il montre que la conversion « peut être refusée. »
Mais il omet de se poser la question de ceux à qui ce choix n’est pas proposé.
Quoiqu’en dise la foi
catholique, nous constatons que, de fait, la grâce sanctifiante n’est pas
proposée à tous les hommes, au moins dans ce que nous voyons de leur vie
terrestre.
Rappelons
notre recherche de la partie précédente.
D’abord
celle de la foi :
1-
Seule la charité théologale (voir déf. précédemment) ouvre à la vision
béatifique.
2-
Dieu qui veut que tout homme soit sauvé propose à tous les conditions de cette
charité
3-
durant la vie terrestre, à l’homme tout entier, corps et âme.
4-
Ainsi, aussitôt après la mort, l’homme en état de refus mortel de la charité
est damné pour l’éternité.
Il
est possible de synthétiser ces quatre dogmes par la proposition suivante :
« DURANT SA VIE TERRESTRE, L’HOMME REÇOIT
DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE L’AIMER DE CHARITÉ, DE TELLE FAÇON QU’IL PEUT, S’IL
REFUSE, ENTRER AUSSITÔT APRÈS LA MORT, DANS L’ENFER ÉTERNEL. »
Ensuite
celle de l’expérience :
5-
Quoiqu’en dise la foi, tous les hommes ne reçoivent pas la prédication de
l’Évangile, au moins dans ce qui est visible de leur vie terrestre. Cette
donnée de l’expérience est sûre et vérifiable car l’Évangile n’est pas un
message « implicite » mais une prédication que chacun sait
avoir reçue ou non.
En
confrontant foi et expérience, dans une confiance totale à la foi et à l’expérience, nous pensons pouvoir
établir avec certitude les quatre points suivants :
1- Puisque l’Évangile n’est pas prêché à tous
les hommes dans ce que nous voyons de leur vie terrestre mais qu’il est certain
qu’il est prêché, c’est donc que cette prédication a lieu dans ce que nous ne
voyons pas de la vie terrestre, à savoir à l’heure de la mort, dans les
instants qui précèdent la séparation de l’âme et du corps.
------------------
2- Puisqu’il convient que cette prédication soit
parfaite, devant déterminer le destin éternel d’une personne rachetée par le
sang de Jésus-Christ, il convient qu’elle soit faite par celui qui est l’Image
parfaite de Dieu, Jésus-Christ Sauveur.
------------------
3- Puisqu’il convient que ce soit l’homme tout
entier, corps et âme, qui détermine son destin éternel vers la charité ou
l’amour égoïste de soi, il convient que cette révélation soit à la fois
sensible et spirituelle, c’est-à-dire, comme il convient à l’homme, spirituelle
par l’intermédiaire du sensible. La prédication de l’Évangile sera donc
réalisée par l’apparition glorieuse de l’humanité corporelle de Jésus, gloire
qui contient par son rayonnement la plénitude de la Parole de Dieu.
------------------
4- Enfin, puisque le choix de l’homme doit être
parfaitement libre, il est nécessaire qu’à l’heure de la mort, il soit délivré
de tout ce qui conditionne de l’extérieur cette liberté : en premier lieu, la
souffrance, violence ou peur ; en second lieu le foyer du péché hérité de la
faute originelle ; en troisième lieu de l’ignorance. Cependant, tout ce qui
aide ce choix doit être conservé et soutenu à commencer par les acquis de la
vie terrestre passée, intentions, choix, circonstances, le choix final n’étant
que l’acte ultime d’une personnalité déjà construite.
La
difficulté de mon hypothèse réside dans le point suivant : chacun sait que
l’arrêt du cœur signifie aussi l’arrêt immédiat du cerveau (l’organe le plus
sensible au manque d’oxygène) et donc, conséquemment, perte de conscience.
Comment admettre, dans cette perspective, la possibilité d’un choix conscient ?
C’est d’ailleurs ce fait évident, lié à l’expérience, qui explique l’absence
dans la théologie catholique de l’hypothèse que je soutiens. Boros s’est penché
sur les moments qui suivent la séparation de l’âme et du corps parce que son
bon sens ne lui permettait pas d’envisager autre chose. On a critiqué Boros
pour le manque de fondements empiriques de sa thèse[199]. Nous ne voulons pas prêter le flanc
aux même critiques aussi nous étudierons longuement les témoignages de ceux
qui, ayant approché la mort à la suite d’un arrêt cardiaque, prétendent avoir
vécu des événements à la fois sensibles et spirituels[200]. Nous montrerons la haute probabilité
de vérité de ces témoignages, tant au plan d’une enquête policière puisque ce
qui est vu dans le phénomène de décorporation qui suit l’arrêt du cœur peut
être par la suite vérifié, qu’au plan psychiatrique et spirituel à cause de la
haute valeur des effets provoqués par la rencontre de l’être de lumière.
Le
propos de ce chapitre n’est pas de traiter de manière philosophique de la
possibilité d’admettre d’un état de conscience à l’heure de la mort. Nous
traiterons ultérieurement cette question, de manière critique, en analysant
l’Expérience de Mort Approchée[201]. S’il nous était absolument nécessaire,
pour étayer préalablement notre hypothèse, d’établir philosophiquement
l’existence d’une conscience à l’heure de la mort, notre recherche ne serait
plus d’ordre théologique mais philosophique. Or, quand bien même il
n’existerait aucune base expérimentale venant confirmer notre approche
démonstrative théologique, il nous semble que sa conclusion n’en serait pas
moins certaine.
Cependant,
afin de rendre plus concret ce que nous allons développer par la suite, il
convient de rappeler brièvement quelques faits d’ordre expérimentaux : L’étude de la mort fait partie
intégrante du Traité des fins dernières.
Nous prions le lecteur de se référer à la troisième partie où figure le plan
d’un tel traité tel que nous le structurerions sous une forme scolastique[202]. Mais elle est aussi objet d’étude
scientifique et philosophique.
Au
plan médical, la mort est définie comme un état organique irréversible de
destruction du cerveau.
Au
plan philosophique, selon saint Thomas d’Aquin, la mort est la séparation de
l’âme et du corps. Elle est un devenir réel impliquant un avant et un après,
comme tout mouvement[203]. Au point de départ, nous avons un
homme vivant, corps et âme ; Au terme, nous voyons un corps sans vie et nous
savons que l’âme subsiste, séparée du corps. Mais, le premier de ces deux
termes (départ), il est nécessaire d’admettre qu’il possède une certaine durée.
La science elle-même en témoigne : l’arrêt du cœur marque une certaine étape,
suivie de l’arrêt de l’activité électrique du cerveau. La réanimation est
impossible après environ sept minutes de cet état par suite de destruction
irrémédiable des neurones. Ce qui se voit au plan médical est analogue au plan
philosophique (nous sous-entendons une philosophie Aristotélico-thomiste) : de
même que sept à huit minutes ne sont pas la mort médicale réalisée puisque le
réveil est possible, de même, rien ne prouve que l’âme quitte le corps aussitôt
après le caractère irrémédiable du coma.
Arrivés
à l’aspect théologique de notre recherche, contentons-nous d’ouvrir une piste
qui relève davantage du domaine de la philosophie : comment peut-il être
possible qu’une activité sensible et spirituelle subsiste dans un coma profond
? Il s’agit d’une question médicale et philosophique. Nous renvoyons pour cela
aux excellentes recherches du Docteur E. KUEBLER-ROSS : Les derniers
instants de la vie[204].
Les
études du Docteur Moody et d’E. Kuebler-Ross sont formelles sur ce point :
L’état de coma biologique n’empêche en rien mais semble favoriser plutôt un
exercice paisible, surdéveloppé jusqu’à l’apparition de phénomènes paranormaux
de télépathie, de la vie sensible et spirituelle.
Or
l’existence d’activité spirituelle et psychique à l’heure de la mort
(sensations, mémoire sensible, imagination, cogitative) prouve que l’esprit
reste lié au corps. En effet, le psychisme est le siège d’activités impliquant
un organe matériel[205]. C’est donc que la mort, la séparation
de l’âme et du corps, n’est pas réalisée. Ainsi, dans l’hypothèse où
l’expérience décrite par les témoins correspond à une prédication de la Bonne Nouvelle,
elle est réalisée avant la mort. Au plan théologique, cette remarque présente
l’avantage de ne pas entrer en contradiction avec la définition du Pape Benoît
XII. L’expérience et la foi ne semblent donc pas entrer en contradiction. Ceci
est important en théologie puisque la source de notre certitude en cette
discipline ne vient pas seulement des fondements empiriques mais surtout de
l’autorité de Dieu qui se révèle pour notre salut.
Conclusion :
La science et
l’expérience de ceux qui ont approché la mort manifeste avec de plus en plus de
certitude l’existence d’une activité spirituelle et psychique au cœur du coma
dépassé qui précède la mort. Il n’y a donc pas d’impossibilité à notree
hypothèse.
Faut-il
parler de simple hypothèse ou d’hypothèse
très sûre pour ce premier point ? Il semble que nous le pouvons parler
d’une certaine certitude. Nous ne nous appuyons pas pour le dire sur le signe
empirique que nous venons d’évoquer mais sur un argument de théologie : en
effet, la certitude de la foi en l’amour de Dieu et la confiance dans le
Magistère solennel de l’Église qui enseigne, en s’appuyant sur l’Écriture
Sainte que Dieu propose son salut à tout homme durant sa vie terrestre, nous
permet de conclure qu’il le fait nécessairement
au dernier moment de cette vie, de sa propre initiative, même s’il a pu le
faire avant par son Église.
La nécessité de ce que nous établissons
est, nous semble-t-il, absolue. Et c’est justement quand une conclusion a pu
être établie sans qu’aucun doute soit possible qu’on peut la qualifier de
scientifique. Cependant, la relation de nécessité
ici utilisée est d’une nature spéciale qui mérite d’être définie. En effet,
c’est sur la qualité de cette nécessité que nous nous appuyons pour parler
d’approche démonstrative théologique. Aristote distingue dans sa métaphysique
quatre « Kat auto », quatre relations
de nécessité dans le monde :
1-
Une nécessité de substance : il
s’agit de la relation de nécessité la plus profonde puisqu’elle se fonde sur
l’être même des réalités. De par sa substance, par exemple, l’homme est
nécessairement doté d’une âme spirituelle.
2-
Une nécessité de propriété : elle
concerne des effets secondaires et pourtant nécessaires de l’être Exemple : de
par sa nature, il est nécessaire que l’homme soit capable de rire.
3-
Une nécessité de quiddité : il s’agit
d’une relation de nécessité entre les concepts et leur définition. Elle se
situe donc dans la pensée et peut, comme on le voit en mathématique, être
indépendante du réel. Exemple : la notion d’être contient nécessairement en
elle toutes les autres notions.
4-
Enfin, une nécessité de finalité :
elle concerne l’action et sa finalité. Certains moyens peuvent être nécessaire
en vue de l’accès à une fin. Ainsi, il est nécessaire à l’homme d’en aimer un
autre que lui-même pour être heureux.
La
nécessité d’une prédication de l’Évangile à l’heure de la mort relève de la finalité qui est l’entrée en possession
de la grâce et de la gloire. De plus, nous pouvons aller jusqu’à dire que cette
prédication, liée à la finalité du projet éternel de Dieu sur les hommes est
absolue (donc constitue sans doute davantage qu’une hypothèse.) En effet, il
existe deux manières dont un moyen est nécessaire pour obtenir une fin :
- Une
nécessité absolue (Par exemple, il est nécessaire d’avoir un moyen de
transport adapté pour traverser un océan.) De même, il est absolument
nécessaire, compte tenu de l’amour de Dieu, de sa volonté de conduire tout
homme qui le veut à la gloire et de la nature de cette gloire, que l’Évangile
soit prêché à l’heure de la mort.
- Une
nécessité relative (Par exemple, il est nécessaire d’avoir un paquebot pour traverser l’océan.) Cette
deuxième forme de la nécessité ne porte pas sur l’action elle-même dans sa
recherche de la fin mais sur l’efficacité de l’action. Le paquebot n’est
nécessaire de manière absolue qu’en tant qu’il est un bateau et évite la
noyade. Mais sa qualité de paquebot permet d’atteindre le but fixé avec une
plus grande efficacité et facilité. Elle est donc nécessaire de manière
relative. Ce type de nécessité relative ne concerne pas ce paragraphe mais
d’une certaine manière, comme nous le verrons, le suivant. En effet, la manière
dont la prédication de l’Évangile est faite, si elle nécessite une efficacité
absolue (car la connaissance et l’adhésion à l’Évangile n’est pas un plus
relatif mais une nécessité vitale sans laquelle, nous l’avons vu, nul ne peut
aimer de charité), implique-t-elle nécessairement l’intervention directe du
Christ Jésus ou simplement de l’un de ses amis (ange ou saint)[206] ?
Ce
que nous avons dit jusqu’ici de la nécessité absolue, en vue du salut éternel,
d’une prédication de l’Évangile pour les païens à l’heure de la mort, peut nous
conduire plus loin : cette même nécessité de l’ordre de la finalité nous oblige
à étendre cette révélation ultime aux chrétiens eux-mêmes. En effet, la
prédication de l’Évangile telle que nous la recevons sur terre par l’intermédiaire
d’instruments humains ou sacramentaux n’est jamais adéquate à l’intensité de
l’amour révélé. Si déjà, sans faute de leur part, de nombreux juifs qui virent
Jésus prêcher puis mourir sur la croix ne comprirent rien du motif spirituel de
ces événements, que dire des générations de chrétiens qui n’entendirent parler
de lui que par la prédication d’apôtres plus ou moins purifiés. Qui peut
prétendre avoir compris en plénitude l’intensité du contenu de l’Évangile ?
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dit, dans ses Derniers Entretiens,
qu’elle ne sera pas surprise en voyant le Ciel. Il n’est pas seulement
probable, il est certain qu’elle se trompait : « L’esprit humain n’a pas conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui
l’aiment »[207]. Elle reçut donc nécessairement, à
l’heure de sa mort, et en vue de son entrée au Ciel, la révélation plénière de
ce qu’elle connaissait déjà. La même relation de nécessité nous oblige à
étendre la certitude de cette révélation à tous les hommes de tous les temps et
de tous les lieux : parce que Dieu ne donne la vision de son essence infinie
qu’à ceux qui l’aiment de charité et parce que cette charité implique un choix
libre fondé sur la foi, avant la mort, Dieu s’est nécessairement révélé à tout
homme d’une manière ou d’une autre. Au cours de notre troisième partie, nous
aborderons uns à uns les cas généraux des hommes qui vécurent avant la
Rédemption, des enfants morts sans baptême, des païens. Nous verrons que la
nécessité de l’amour de Dieu permet de conclure que tous les hommes, sans
AUCUNE exception (L’Antéchrist lui-même s’il devait être un homme), reçoivent
la révélation de l’Évangile à l’heure de la mort. Chacun peut alors décider en
toute liberté de son destin éternel, tout en étant dans l’état de perfection
naturelle à l’homme pour sa connaissance et ses choix : l’état de vivant, âme
unie à son corps.
La logique de la foi
catholique nous oblige à admettre avec certitude qu’une forme de prédication de
l’Évangile a lieu dans les derniers instants de la vie terrestre.
Cette
prédication doit-elle nécessairement être réalisée par le Christ et par
personne d’autre ? Se pourrait-il qu’il soit absent physiquement et qu’il
délègue cette prédication à un de ses amis, un ange, un saint ? Pour répondre à
ce problème, il convient de se poser deux questions :
1)
Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le Christ qui est appelé rédempteur et
personne d’autre ?
2)
Les amis de Dieu peuvent-ils être des co-rédempteurs[208] ? A cause de leur union avec le Christ,
ont-ils le pouvoir de coopérer avec Lui au point d’être des canaux communiquant
la grâce de Dieu ? Leur apparition glorieuse à l’heure de la mort,
aurait-elle le pouvoir de révéler au mourant la plénitude de l’Evangile, au
point de rendre possible un choix pour l’éternité ?
Ces
questions ne sont pas secondaires. De leur réponse sortira telle ou telle
conception de l’Eglise, de la communion des saints. Pour un protestant fidèle,
de telles interrogations sont hors de propos. Elles constituent un outrage à la
majesté du Christ, vrai Dieu et vrai homme, seul rédempteur à l’exclusion des
hommes dont la liberté est détruite du fait du péché originel. Mais pour un
catholique s’ouvre une des plus incroyables conséquences du mystère de la
charité : les amis de Dieu coopèrent à la diffusion de la grâce.
1)
Qui est le Sauveur ? Pourquoi est-ce le Christ qui est appelé rédempteur et
personne d’autre ?
Le
Rédempteur ne pouvait être, selon saint Thomas d’Aquin[209], que le Christ lui-même, à savoir le
Verbe de Dieu fait homme, parce qu’il est… Dieu et homme. Au début du traité du
Verbe incarné, traitant des convenances de l’Incarnation, il établit que,
compte tenu du péché originel, il fallait nécessairement
que nous soyons sauvés par le Christ qui est, selon saint Paul, l’unique
médiateur entre Dieu et les hommes[210]. Mais est-ce le Christ parce qu’il est
homme ou parce qu’il est Dieu ?
Saint
Thomas d’Aquin montre que si on entend le Christ selon qu’il est Dieu, cette nécessité est absolue, sans autre voie
possible puisque c’est Dieu le Verbe et lui seul qui crée la grâce et la gloire
conjointement au Père et au Saint Esprit. Les théologiens orthodoxes expriment
ce fait d’une autre façon : le Christ Dieu est source nécessaire de la grâce
parce qu’il est la Grâce et la Gloire. Ainsi, la révélation de l’heure de la
mort, comme celles qui peuvent venir avant, ont nécessairement comme origine
l’initiative de Dieu, le Christ Sauveur.
Cependant,
si on regarde le Christ en tant qu’il est homme, il convient selon saint Thomas
d’Aquin de parler autrement : en se faisant homme et en mourant sur la croix,
le Verbe a opéré une œuvre de Rédemption dont il est impossible de penser une
plus grande : « il n’est pas de plus
grand amour que de donner sa vie pour celui qu’on aime »[211]. Cependant, la nécessité de cette œuvre
par rapport à sa finalité qu’est le salut de l’homme est d’une autre nature :
elle est de l’ordre non de la nécessité
absolue mais de la nécessité gratuite
d’un amour qui aurait pu se révéler par toutes sortes d’autres moyens
imaginables. Elle est le moyen le plus efficace et le mieux adapté au salut de
l’homme par la charité. Cependant, elle n’est pas le seul moyen imaginable. La
vie de Jésus eût pu être toute autre ; La prédication évangélique eût pu être
communiquée par une autre méthode que le cri de la croix. Ainsi, lorsque
l’alliance se brise dans un couple humain, il est de nécessité absolue si l’on
veut qu’elle se rétablisse, que les époux se pardonnent mutuellement et
s’aiment de nouveau ; mais il n’est pas nécessaire que la réconciliation soit
obtenue par un sacrifice total de l’époux fidèle, à travers une mort d’amour.
Cet acte est le plus grand possible mais il n’est pas la seule façon de prouver
son amour.
2)
L’apparition glorieuse des amis de Dieu à l’heure de la mort, aurait-elle le
pouvoir de révéler au mourant la plénitude de l’Evangile, au point de rendre
possible un choix pour l’éternité ?
En
conséquence, nous pouvons répondre à la question posée en début de ce
paragraphe de la manière suivante : il est nécessaire que ce soit la personne
du Christ, selon qu’il est homme qui réalise la prédication ultime de
l’Évangile à l’heure de la mort parce qu’il est par son être et par sa vie
l’Image la plus parfaite de Dieu, image non faite de main d’homme. Mais son
rôle d’image n’épuise pas l’infini de la révélation trinitaire : comment une
créature (et tel est Jésus en tant qu’homme) pourrait-elle épuiser la
révélation du Créateur ? C’est pourquoi Jésus peut laisser sur la terre à des
prédicateurs humains un véritable rôle sacerdotal : des hommes et avant tout
des saints peuvent devenir, conjointement avec lui, image de Dieu et révéler
Dieu aux hommes. Il peut en être de même pour des anges ou pour toute créature
image de Dieu par sa sainteté. On peut donc dire que Jésus en tant qu’il est
Verbe Éternel est l’unique médiateur entre les hommes et le Père, et ce d’une
manière absolue. En tant qu’homme, il est l’unique médiateur d’une médiation
qui rend possible toute autre médiation humaine ou angélique qui lui est conjointe.
Ainsi,
à l’heure de la mort, il est nécessaire que ce soit le Christ en personne qui
prêche la Bonne Nouvelle au mourant, mais il est nécessaire que ce soit ainsi non d’une manière absolue. Par rapport à
la finalité recherchée (la proposition du salut), tout saint, homme ou ange,
étant devenu au Ciel « une seule chair »[212] avec Dieu peut être considéré comme une
Image Parfaite, conjointement au Christ, de Dieu. Ainsi, tout l’Évangile est
contenu tout entier dans l’apparition de la Vierge à Bernadette de Lourdes :
cette enfant saisit dans le regard de Marie la plénitude du message chrétien
car Marie est Christo-conforme. Si par impossible elle s’était détournée
volontairement de Marie, elle n’aurait pu le faire qu’à la suite d’un blasphème
contre le Saint Esprit, c’est-à-dire contre l’amour parfaitement révélé. Cette
souplesse de l’amour qui se révèle est refusée par une grande partie du
protestantisme. Elle est pourtant importante car elle nous permettra de
comprendre comment le Ciel entier, hommes et anges, peut coopérer à la
révélation de l’Évangile à la fin de la vie humaine (comme d’ailleurs durant
cette vie à travers les multiples sacerdoces délégués par Dieu[213]). De même, elle nous permettra de
comprendre comment un messager délégué par Dieu au nom du Christ non encore né
(l’Ange de la mort des anciens) put
prêcher l’Évangile à Abraham selon le témoignage de Jésus : « Abraham a vu mon jour et il s’en est
réjoui »[214], et à tous les hommes d’avant le
Christ. Elle nous permettra de montrer que le Christ ne vient pas seul à
l’heure de la mort comme à la fin du monde mais accompagné des saints et des
anges, dont le rôle n’est pas seulement figuratif. Nous verrons que l’amour
chrétien est une communion des saints où chacun, uni à Dieu par la charité,
devient de manière aussi réelle qu’efficace coopérateur en royauté, sacerdoce
et prédication, tout cela en vue de la Rédemption des hommes.[215]
CONCLUSION
Le Christ, parce
qu’il est l’Évangile fait homme, prêche lui-même la Bonne Nouvelle à tout homme
à l’heure de sa mort (avant la mort réalisée.) Il peut être accompagné (ou
représenté pour les hommes qui vécurent avant sa résurrection) par les saints
et les anges.
Nous
avons montré à quel point la thèse de L. Boros sur l’après de la mort présentait d’inconvénients graves pour la foi et
le réalisme philosophique. L’unité substantielle et naturelle de l’homme âme et
corps, parfait selon cette nature quoique imparfait à cause des blessures de la
faute originelle, s’en trouvait remise en cause. Or nous avons montré aussi que
l’état d’une âme séparée, semblable à celui des anges, est pourtant imparfait
relativement à ce qu’est l’esprit humain. L’homme est une créature spirituelle
faite pour son corps et capable de choisir d’une manière libre sans que la
médiation de ce corps nuise à cette liberté. Dieu qui a créé cette nature mixte
le sait bien et, dans sa volonté de sauver tous les hommes, connaît les moyens
ultimes qu’il convient d’employer au terme de la vie pour qu’un choix parfait
et définitif soit réalisé. Nous verrons au paragraphe suivant certaines
conditions nécessaires dans le sujet qui choisit. Penchons nous maintenant sur
les conditions objectives de la révélation qui doivent précéder ce choix.
Puisque
le message doit être présenté à l’homme selon qu’il lui est naturel de
connaître, c’est-à-dire à travers des « espèces » sensibles dont l’intellect agent
abstrait le contenu spirituel, il convient que le mode de la révélation soit sensible
en vue du spirituel. Une révélation purement spirituelle comme une
compréhension directe de l’âme spirituelle du Christ est, quoiqu’on puisse en
penser, moins parfaite pour l’homme compte tenu de ce qu’il est. Cette
révélation, en ne touchant que son esprit, est à la fois moins comprise et
moins engageante : moins comprise car, à la différence des anges qui
connaissent par nature ainsi, elle acquiert pour l’homme un caractère abstrait,
plaqué comme de l’extérieur de sa vitalité ; Moins engageante car elle ne
touche qu’une partie de son être, même si cette partie est la plus noble. Or
l’homme, dans toutes ses opérations d’homme, est fait pour s’engager corps et
âme.[216]
Quelle
peut être la façon la plus parfaite de révéler la plénitude de l’Évangile à un
homme ? Nous avons affirmé au paragraphe précédent que le Christ est l’Évangile
incarné. « Qui m’a vu a vu le Père »[217], dit-il lui-même à l’un de ses apôtres.
L’Évangile n’est pas une doctrine seulement mais une personne que la doctrine
ne doit pas cacher. Cependant, la vue du Christ peut présenter des modes
différents :
1-
Mode biologique durant sa vie terrestre ;
2-
Mode mystique à travers le cœur à cœur de l’oraison ;
3-
Mode sacramentel à travers sa présence réelle dans l’eucharistie ;
4-
Mode de représentation et de symbole à travers une icône de sa présence,
qu’elle soit une peinture ou une personne sainte qui reflète quelque chose de
son visage ;
5-
Mode glorieux enfin.
Il
convient que la présence finale du Christ contienne ce qui est bon dans tous
ces modes de présence, afin que celui qui le rejette puisse le faire en toute
connaissance de cause et afin que celui qui l’épouse le fasse en toute vérité.
Ce qu’est le Christ, à savoir l’Évangile, doit apparaître en plénitude à la
connaissance humaine. Le Christ est à la fois beauté extérieure dans son visage
et souffrance inhumaine dans sa passion ; il est Dieu et il est homme ; il est
amour humain pour sa mère et ses amis et charité surnaturelle pour tous ; il
est justice contre les péchés et miséricorde pour les pécheurs...On peut
multiplier à l’infini les qualités de son être Image de Dieu. En un mot, le
Christ est Lumière et Amour. Pour manifester une telle plénitude sans erreur
possible, sa vie terrestre n’a pas suffi comme on le voit pour ceux qui, sans
mauvaise volonté, ne discernèrent en lui qu’un homme, parfois même un faux
prophète. De même, sa présence eucharistique, bien qu’adaptée à ceux qui ont la
foi, est trop cachée sous les symboles sacramentels pour parler aux autres. Il
en est de même pour la présence mystique qui ne peut être atteinte qu’au terme
d’un cheminement spirituel dont la délicatesse de l’amour n’est réservée qu’aux
petits. Il en est certainement autre chose dans la présence de Jésus
lorsqu’elle est manifestée par le visage et la rencontre d’un saint. Mais la
sainteté, même transfigurante comme celle d’un saint François d’Assise, est du
même ordre que la présence de Jésus durant sa vie terrestre : elle ne touche
pas l’homme mal disposé car elle est alors interprétée selon les intentions de
celui qui juge de l’extérieur. L’homme voit ce qu’il veut voir et transforme le
monde à l’image de son cœur.
Reste
donc la présence de gloire : la gloire n’est autre que la magnificence de la
beauté. La présence de gloire de Jésus que l’humanité attend pour la fin du
monde n’est autre que la manifestation instantanée et magnifique de TOUTE sa
beauté-Image de Dieu. Cette apparition est en premier lieu sensible : les
hommes verront le Christ avec leurs yeux de chair car il se manifestera avec son
corps. Cependant, l’une des propriétés majeures d’un corps glorieux est d’être
lumineux[218], c’est-à-dire qu’il laisse
transparaître sans aucune résistance à travers sa beauté le fond tout entier de
l’âme. Balthasar exprimerait ainsi cette propriété des corps glorieux : par le
rayonnement de la beauté qui est selon lui un des transcendantaux de l’être, la
bonté et la vérité sont manifestées en plénitude, sans aucun obstacle. Ainsi,
le contenu de la révélation d’un corps glorieux est adéquat, autant que le peut
une image parfaite, à la profondeur spirituelle du mystère. Concrètement, en
voyant le corps glorieux du Christ, l’homme saisit en un seul regard intuitif
sa vie et sa mort, son Évangile et son Amour, son être et sa mission. Certes,
le vertige de cette vision n’est pas celui de la vision béatifique mais il est
la représentation la plus parfaite de la nature divine, suffisante à un choix
éternel. Comme par clair-obscur, cette vision sensible est capable de révéler à
l’homme sa vie personnelle et la qualité de sa mort de pécheur, sa vérité et
son amour limités, son être et sa mission si peu réalisés.
Comme
pour le paragraphe précédent, il nous faut remarquer que la vision sensible du
plus petit des saints du Royaume de Dieu est capable de produire ce même effet[219]. En effet, la vision de Dieu
transfigure l’âme et, par l’âme le corps au point que l’image de Dieu se trouve
parfaitement réalisée. Après la résurrection, chacun d’entre les hommes sauvés
sera image de Dieu jusqu’en ses péchés passés et pardonnés qui brilleront
physiquement la miséricorde du Tout-Puissant. Ainsi, l’apparition du corps
glorieux du Christ réalisera pour l’homme la prédication ultime de l’Évangile
au terme de notre vie, sans pourtant effacer la coopération des saints et des
anges qui seront rendus visibles d’une gloire physique pour cette occasion
(voir en conclusion, traité de la mort.) La gloire du Christ n’efface rien de
celle de ses amis, de même que, selon Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, la
beauté de Marie ne fera que mettre en valeur celle de ses enfants.
Ce
qui paraît si évident pour la fin du monde, à savoir le mystère du retour
glorieux du Christ accompagné des saints et des anges, ne l’est pas moins pour
l’heure de la mort de chacun. Compte tenu de la finalité recherchée, à savoir
une prédication ultime et parfaite de l’évangile pour le salut, il n’est nul
besoin de faire autre chose que d’appliquer pour cette heure ce que l’Église a
toujours cru pour la fin du monde.
CONCLUSION
Il convient que la
prédication de l’Évangile qui intervient d’une manière ultime à la fin de la
vie terrestre soit réalisée par la venue glorieuse du Christ accompagné des
saints et des anges.
Remarque
: nous ne prétendons pas identifier le mystère de la parousie tel qu’il est
annoncé dans les évangiles à ce que nous décrivons ici sur l’heure de la mort.
Nous reconnaissons qu’à la fin du monde, le Christ se manifestera à tous les
hommes d’un seul coup. Cependant, ce que nous décrivons ici nous semble être le
même mystère en tant qu’il se réalise peu à peu au cours des siècles à l’heure
de chacun. Nous allons donc dans le sens du document de la congrégation pour la
foi, mai 1979 : « L’Église, conformément
à l’Écriture, attend la manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ
»[220],
considérée cependant comme distincte et différée par rapport à la situation qui
est celle des hommes immédiatement après leur mort.
»
On a
souvent reproché à la thèse de Ladislas Boros [221]le fait qu’elle ne laisse plus de place
au rôle de la vie terrestre. Selon lui, les choix posés durant cette vie sont
trop entachés des conditionnements extérieurs de la psychologie ou de
l’entourage pour être capable d’engager le destin éternel. A l’inverse, on
reproche à une grande partie du Thomisme rigide de croire exagérément en la
capacité de ces choix à déterminer à eux seuls réprobation éternelle ou entrée
dans la vision béatifique. Il nous semble que la vérité se trouve dans un
équilibre entre ces deux positions. Nul ne peut nier le rôle de la vie
terrestre, ni par le point de vue de la foi ni par celui de l’expérience : elle
façonne notre être et notre personnalité présente est le fruit d’une
interférence entre quantité de conditionnements non choisis tel que le milieu
où nous sommes nés, l’éducation reçue, les événements qui se sont imposés à
nous ; Ces conditionnements sont reçus dans une liberté plus ou moins
développée, plus ou moins construite et qui peut à la limite être inexistante
(handicap profond) ou surdéveloppée (chez ceux qui sont à la fois lucides sur
eux-mêmes et maîtres de ce qui dépend d’eux dans leur vie.) La plupart des
hommes se dirigent à travers une liberté médiane, naviguant au rythme des
conditionnements, avec d’étonnants sursauts d’héroïsme choisi ou de lâcheté
subie, la réciproque étant tout aussi vraie. Bref, notre personnalité est le
fruit de notre passé et notre personnalité est nous-mêmes. C’est elle qui doit
à la fin de notre vie se diriger librement vers le salut, si elle ne l’a déjà
fait au cours de sa vie. Il est donc évident que Dieu n’efface pas d’un geste
ce passé mais au contraire le propose à la conscience de chaque homme à ce
moment ultime, avec cependant une lecture miséricordieuse quoique vraie, tel
qu’il convient à sa Révélation. Ainsi, notre vie terrestre et ses
conditionnements limités sont l’humus d’où jaillit l’acte ultime de notre vie,
celui par lequel, dans la logique de ce que nous sommes vraiment, nous
choisissons pour l’éternité. A la différence de Boros, nous pensons que l’option
finale et libre est à situer dans la logique profonde de notre vie terrestre.
Nous entendons par logique profonde autre chose que cette apparence de logique
qui fait qu’un homme jugera perdu celui qu’il discerne de l’extérieur comme un
grand pécheur. La profondeur de l’être humain est au delà de ces apparences, et
celui qui s’est comporté durement dans ce monde peut avoir des raisons
profondes d’excuse que lui-même ignore mais que Dieu saura mettre en pleine
lumière dans la parousie de son Fils.
A la
différence de la scolastique, nous maintenons la nécessité d’une option finale,
à condition toutefois que cette option ait lieu durant la vie terrestre, avec
une liberté parfaite fondée sur la lucidité de l’intelligence et la parfaite
maîtrise de la volonté.
Nous
avons déjà étudié les conditions subjectives quant à l’intelligence, celle-ci
devant s’exercer avec la perfection de son mode humain lié aux sens, dans la
révélation sensible du Christ glorieux.
La
volonté, quant à elle, doit pouvoir se porter sans violence vers ce qui lui
paraît être son bien ultime, que ce soit l’amour de Dieu ou l’amour égoïste de
soi (dont les avantages, nous le verrons en troisième partie, sont présents au
choix de l’homme.) Les conditions de la liberté quant à la volonté ont été
largement étudiées par les philosophes. Nous ne ferons donc que les citer :
Absence de violence extérieure, de passion intérieure excessive, qu’elle soit
une jouissance trop forte ou une crainte. Mais surtout, à la racine de cela, il
existe ce que saint Thomas d’Aquin appelle en théologien « le foyer de la concupiscence »[222]. Selon lui, ce foyer qui explique que
nous faisons parfois ce que nous ne voudrions pas[223], est un désir déréglé de la
concupiscence. Il est un état de fait de l’appétit sensitif, conséquemment au
péché originel. Il n’est pas naturel car ce qui est naturel chez l’homme, c’est
que la passion soit régie par la raison. Chez Adam ou Ève, avant leur péché, la
volonté demeurait soumise à Dieu au point d’en rejaillir sur les facultés
inférieures dans une grâce de pacification au point qu’elle ne se tournait vers
un bien qu’avec le consentement de la raison. Il leur était donc impossible de
pécher par faiblesse et leur désobéissance n’eut pas de circonstances
atténuantes.
Pour
saint Thomas d’Aquin, ce foyer est à considérer comme une peine voulue par Dieu
après le péché ayant pour finalité l’humilité des hommes : confrontés à la
faiblesse de leur nature esclave de ses mauvais penchants, les hommes sont
sensés ne pas s’illusionner longtemps sur leur capacité à se passer d’un
Sauveur[224]. Cette inclination est donc voulue par
Dieu compte tenu de sa volonté de sauver tous les hommes. En effet, par elle,
l’homme est humilié de sa propre situation et, par ce fait, disposé à
l’humilité.
Cependant,
le foyer du péché n’est utile que dans la période préparatoire au choix
définitif qui oriente le destin éternel. En effet, s’il est bon avant en
diminuant la liberté et en révélant l’homme à lui-même, il devient mauvais au
moment du choix puisqu’il est capable de diminuer la liberté de ce choix. Il
est donc nécessaire que l’homme en soit délivré à cette heure. Nous l’affirmons
au plan d’un raisonnement théologique et nous montrerons la correspondance
expérimentale étonnante chez ceux qui ont connu une expérience de mort
approchée : tous reconnaissent avoir vécu ce moment dans une paix psychologique
jusqu’ici inconnue.
Comment
est possible une telle libération à l’heure de la mort ? Par la grâce de la
venue de Jésus-Christ dont la présence puissante provoque les mêmes effets de
pacification que ceux connus par Adam et Ève avant la faute originelle : toute
présence de Dieu conduit à cela, mais lorsque cette présence est intense, elle
peut arriver à calmer totalement la sensibilité qui se soumet alors à la
volonté. Il s’agit de ces grâces « préternaturelles »alliant une origine divine et une
source naturelle.
CONCLUSION
A la fin de la vie
terrestre, Dieu délivre l’homme du foyer de péché de telle façon qu’il puisse
choisir librement sa fin dernière compte tenu de ce qu’il s’est fait durant sa
vie.
Au
delà de la méthode rationnelle utilisée ici, il peut être utile de s’arrêter un
instant pour un regard plus contemplatif. Les conclusions auxquelles nous
aboutissons sont établies selon un raisonnement utilisant la logique.
Cependant,
la nécessité qui les fonde est celle d’une finalité,
finalité établie par Dieu souverainement dans un amour. Cette finalité est
simple puisqu’elle consiste à communiquer sa béatitude à ceux qui l’aiment.
Tout le reste est de l’ordre du moyen et Dieu adapte ses moyens à la nature
humaine de manière à ce que tout soit tenté pour sauver tout homme. Puisque les
conditions d’entrée dans la vision d’un Dieu humble et amour sont l’humilité et
l’amour, Dieu apprend aux hommes à être humble et à aimer.
Dieu
commence par les créer ; Il leur impose un difficile temps de vie terrestre,
marqué par la souffrance ; Il se fait homme pour ne pas leur cacher plus
longtemps ce qu’ils avaient oublié ; Il se cache de nouveau pour leur apprendre
à espérer ; Enfin, il se présente à eux à l’heure de la mort, dans toute la
beauté de son amour, de telle manière que ceux qui le refusent soient
l’exception. Comment refuser l’amour d’un tel Dieu quand on vient de l’épreuve
de la terre, quand on a appris dans son sang que l’homme est peu de chose et
que l’amour seul est digne de foi ?
Si
un homme se comporte ainsi, c’est que l’orgueil et l’amour de soi sont en lui
plus forts que la mort.
" La
Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts... " (1 P 4, 6). La
descente aux enfers est l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce
évangélique du salut. Elle est la phase ultime de la mission messianique de
Jésus, phase condensée dans le temps mais immensément vaste dans sa
signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, car
tous ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la Rédemption.
1- Fondements scripturaires
2- Sources chez les saints et les
théologiens catholiques
3- Sources dans les autres religions
4- Fondements empiriques
Lorsqu’on cherche, on trouve. Lorsqu’on a en tête
l’idée d’un retour du Christ dans sa gloire non seulement à la fin du monde
comme la Tradition l’a toujours explicitement lu dans l’Ecriture, mais aussi à
l’heure de la mort, on repère de nombreux textes où ces deux évènements
paraissent identifiés en un seul. Et pourtant, on ressort de cette étude avec
une interrogation : pourquoi les grands théologiens du passé n’ont-ils pas vu
cela ?
La réponse tient en une phrase : cette venue du
Christ est annoncée de manière si grandiose, qu’on a tendance à la voir, « comme l'éclair, en effet, part du levant
et brille jusqu'au couchant, «
(Matthieu 24, 27), comme un évènement nécessairement cosmique, donc
collectif. Pourtant, à de nombreuses reprises, la parousie glorieuse est vécue
de manière individuelle.
Mais
les textes parlent d’eux-mêmes :
Matthieu
26, 63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t'adjure par le
Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu" -- "Tu
l'as dit, lui dit Jésus. D'ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous
verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les
nuées du ciel."
Alors
le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a blasphémé!
qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d'entendre le
blasphème!
Il s’agit d’un récit mystérieux et fort.
Paul n’a pas approché la mort, pourtant ce qu’on raconte de lui ressemble à une
Near Death Experience. Aurait-il vécu ici-bas, en vue de sa mission d’apôtre,
ce que vivront tous les hommes à l’heure de la mort[225] ?
« Saul, ne respirant toujours que menaces et
carnage à l'égard des disciples du Seigneur, alla trouver le grand prêtre et
lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s'il y trouvait
quelques adeptes de la Voie, hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à
Jérusalem. Il faisait route et approchait de Damas, quand soudain une
lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté. Tombant à terre, il
entendit une voix qui lui disait : « Saoul, Saoul, pourquoi me
persécutes-tu" -- "Qui es-tu, Seigneur ? » Demanda-t-il. Et lui : «
Je suis Jésus que tu persécutes. Mais relève-toi, entre dans la ville, et l'on
te dira ce que tu dois faire." Ses compagnons de route s'étaient arrêtés,
muets de stupeur : ils entendaient bien la voix, mais sans voir personne. Saul
se releva de terre, mais, quoiqu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. On
le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas. Trois jours durant, il
resta sans voir, ne mangeant et ne buvant rien. »
Paul lui-même confirme et commente sa
conversion dans la deuxième épître aux Corinthiens[226] : « J'en
viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le
Christ qui, voici quatorze ans - était-ce en son corps ? Je ne sais ;
était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait - cet homme-là fut ravi
jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là - était-ce en son corps ? Etait-ce
sans son corps ? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais qu'il fut ravi jusqu'au
paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à
un homme de redire. Pour cet homme-là je me glorifierai ; mais pour moi, je ne
me glorifierai que de mes faiblesses. Oh! si je voulais me glorifier, je ne
serais pas insensé ; je dirais la vérité. Mais je m'abstiens, de peur qu'on ne
se fasse de moi une idée supérieure à ce qu'on voit en moi ou ce qu'on m'entend
dire. Et pour que l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas,
il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me
souffleter - pour que je ne m'enorgueillisse pas! A ce sujet, par trois fois,
j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi. Mais il m'a déclaré : « Ma
grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse." C'est
donc de grand coeur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que
repose sur moi la puissance du Christ. »
Paul répète par deux fois la mention
« - était-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps (c'est-à-dire mort au sens philosophique, âme
séparée du corps) ? » Il
semble indiquer son trouble devant la nature de son expérience. Son état
physique lui paraît mystérieux. On ne peut manquer de faire le rapport, à titre
de piste, avec cette mystérieuse expérience de décorporation dont parlent
beaucoup de témoins de l’approche de la mort.
Et voilà pourquoi saint Paul, qui voit
le Christ et qui monte jusqu'au troisième Ciel, ne finasse pas quand il dit :
Citation: |
2
Corinthiens 12, 2 Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans
- était-ce en son corps? Je ne sais ; était-ce hors de son
corps ? Je ne sais ; Dieu le sait - cet homme-là fut ravi
jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là - était-ce en son corps?
Etait-ce sans son corps (c'est-à-dire mort au sens philosophique, âme
séparée du corps)? Je ne sais, Dieu le sait --, je sais |
Il
n’existe aucun texte de l’Écriture Sainte qui enseigne au sens littéral le
mystère de la parousie en l’appliquant à l’heure de la mort exclusivement.
C’est pourquoi il faut reconnaître que la voie scripturaire ne peut constituer
une preuve de notre hypothèse mais un signe de sa crédibilité.
Tous
les exégètes depuis saint Césaire d’Arles dans son Commentaire de
l’Apocalypse[227] reconnaissent que les discours
eschatologiques mêlent des mystères divers. En général, on reconnaît à ces
textes[228] une valeur d’annonce de la ruine du
temple de Jérusalem, de la fin du monde, de la fin des sociétés humaines
passagères et de la mort individuelle de chacun de nous. Ces diverses
significations ne sont pas sans rapport, la première étant le symbole des
autres. La difficulté des textes consiste dans le fait qu’ils passent très
souvent, sans avertissement, selon leur littéralité d’une signification à une
autre.
Dans
le langage de Dieu, biblique, de type eschatologique, « Vengeance" veut dure "épreuve (temporelle)" en vue
du salut (éternel).
Exemple
ce texte :
Citation
: |
2
Théssaloniciens 1, 6 Car ce sera bien l'effet de la justice de Dieu de rendre
la tribulation à ceux qui vous l'infligent, et à vous, qui la subissez, le
repos avec nous, quand le Seigneur Jésus se révélera du haut du ciel, avec
les anges de sa puissance, au milieu d'une flamme brûlante, et qu'il
tirera vengeance de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui
n'obéissent pas à l'Evangile de notre Seigneur Jésus. Ceux-là
seront châtiés d'une perte éternelle, éloignés de la face du Seigneur et de
la gloire de sa force, quand il viendra pour être glorifié dans ses saints
et admiré en tous ceux qui auront cru - et vous, vous avez cru notre
témoignage. Ainsi en sera-t-il en ce jour-là. |
Ce
signifie :
Quand
Jésus va apparaître à l'heure de notre mort, ce qui est saint en nous se
précipitera vers lui, mais ce qui est méchant fuira, effrayé, détruit. Car sa
vengeance, ce ne sera pas sa colère, mais son amour puissant, humble,
compréhensif.
Ceux
qui ne connaissent pas Dieu signifient deux choses :
1° La partie qui en nous refuse Dieu
2° Ceux qui librement se damneront et fuiront avec
grande colère cette révélation insupportable de l'amour glorifié.
Bref,
ces textes de style apocalyptique se décryptent à la lumière de l'ÉVANGILE. Ils
n'ont pas leur sens en eux-mêmes.
Pour
le sujet qui nous occupe, nous voudrions citer quelques uns de ces textes dont
nous manifesterons la possibilité d’une interprétation dans le sens de la mort
individuelle :
« Comme aux jours de Noé, ainsi sera
la parousie du fils de l’homme. Alors, deux hommes seront dans un champ : l’un
sera pris, l’autre laissé ; Deux femmes seront en train de moudre, l’une
sera prise, l’autre laissée.
»
Habituellement,
les exégètes commentent ce texte en insistant sur l’aspect inattendu de la
parousie. Ils y voient l’annonce d’une parousie inopinée à l’image de la mort
qui surprend l’agriculteur dans son champ. A cet égard, le meilleur commentaire
est, me semble-t-il, celui de Daniel Marguerat[229].
» Cette impressionnante accumulation
de matériel parabolique tend à exploiter l’Apocalypse dans un sens précis : La
communauté est invitée à saisir le sérieux de la situation engendrée par
l’incertitude de l’heure de la parousie. Le savoir sue l’ignorance de l’heure
doit conduire les destinataires du discours à un faire : la vigilance. » Nous
ne nions pas la portée de cette intention de Jésus. Elle apparaît trop
clairement à travers le reste du discours eschatologique. Cependant,
l’insistance concernant cette intention des textes ne peut supprimer un autre
de leur enseignement, tiré du sens littéral de l’Ecriture : des logia de Jésus annonçaient la parousie
pour l’époque de la génération contemporaine du Christ. » Cette génération ne
passera pas que tout cela ne soit accompli. » De fait, la génération contemporaine du Christ croyait fermement
vivre cette parousie avant la mort des onze apôtres. Saint Paul en témoigne par
sa mise en garde contre ceux qui ne font plus rien dans ce monde qui leur
paraît vain car voué à sa fin de manière imminente. La génération suivante,
ayant constaté que la parousie n’était pas venue, fut conduite à interpréter
les textes autrement et dans le sens exclusif rapporté par Daniel Marguerat.
Notre hypothèse permet de donner une autre interprétation de ces textes qui ne
refoule pas dans la métaphore le sens littéral et historique qu’ils semblent
contenir :
Ce
texte est précieux puisqu’il unit en deux versets l’expression « parousie du Fils de l’homme », et la
description d’une scène de travail décrivant la mort individuelle d’un des deux
travailleurs. La parousie du Fils de l’homme n’est autre que son Avènement
final, celui que Mathieu décrit en termes apocalyptiques dès le début du
chapitre 24. Or, à lire le texte, on est tenté (et la majorité des exégètes le
sont) de n’insister que sur la signification politique, visible aux yeux des
nations toutes entières, de ces faits. Tout se passe en terme de ruine de
temple (1-3), massacres et persécutions religieuses (4-25), cataclysmes
cosmiques (29-31), apparition glorieuse du Fils comme l’éclair qui va de
l’orient à l’occident (26-28.) Nous ne refusons pas cette interprétation
traditionnelle[230], la plus évidente à la lecture des
textes. Cependant, nous pensons qu’elle en cache bien d’autres dont celle sur
laquelle nous voudrions insister. S’il s’agissait ici uniquement de la fin du
monde, de la parousie finale qui fera cesser le monde d’ici-bas, le Christ
aurait-il parlé d’un homme laissé dans son champ à travailler ou d’une femme
laissée à moudre ? On ne peut d’ailleurs objecter à notre interprétation une
autre, à savoir que cet homme et cette femme ne sont pas « laissés »sur terre mais
« abandonnés »parce que ne méritant pas la Vie éternelle. L’expression « laissé »est en effet à opposer à « pris »qui signifie un enlèvement en plein
travail réalisé sur l’un des deux travailleurs par l’Avènement du Seigneur.
Ainsi, comme ces textes se réfèrent à des événements visibles au quotidien des
hommes, nous pensons qu’ils se réfèrent à la mort individuelle, brutale et dangereuse
pour celui qui n’a pas veillé[231].
En
nous référant à cette clef d’interprétation, les autres textes de ce chapitre
de saint Mathieu prennent une autre lumière : « Aussitôt après les tribulations de ces jours-ci, le soleil
s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du
ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors apparaîtra le
signe du Fils de l’homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont
la poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel
avec grande puissance et grande gloire. Et il enverra ses anges avec une
trompette sonore pour rassembler les élus des quatre vents, des extrémités des
cieux à leurs extrémités. »
Cet
autre texte a toujours reçu une explication concernant la fin du monde.
Cependant, son genre littéraire apocalyptique ne fait pas de doute et nous
autorise à en diversifier les interprétations. L’auteur d’un tel texte n’a
d’ailleurs pas d’autre intention. Sous le même symbole, il entend signifier des
réalités multiples. Ainsi, appliqué à l’heure de la mort, ce texte prend une
lumière particulière. Procédons à la manière de saint Césaire d’Arles,
c’est-à-dire en relisant le texte point par point : Les tribulations de ces jours-ci
signifient la vie terrestre et ses épreuves qui constituent un purgatoire
préparatoire à la rencontre ; le soleil qui s’obscurcit signifie le moment qui
précède la fin de la vie où l’homme découvre à travers des épreuves physiques
et psychologiques que la vie est passagère et le monde insensé lorsqu’il est
recherché pour lui-même ; la lune qui ne donne plus sa lumière peut symboliser
les moments de l’agonie où les créatures qui reflétaient la lumière du soleil,
c’est-à-dire donnaient sens à la vie d’ici-bas perdent leur utilité ; les
étoiles qui tombent du ciel annoncent que ce qui donnait à l’homme la direction
dans sa vie devient vain ; le signe du fils de l’homme est l’heure de la mort
elle-même. En effet, la croix ou encore le signe de Jonas est le signe de la
limite des fils d’homme mortels. C’est l’épreuve ultime et substantielle où
chacun expérimente sa pauvreté, comme le Christ lui-même à son heure. Chacun se
frappe la poitrine à cette heure ultime, ceux qui sont adonnés à la terre car
ils perdent ce qui donnait sens à leur vie, ceux qui servaient le Seigneur car
ils discernent ne pas avoir correspondu à leur vocation. Enfin, la venue du
Fils de l’homme signifie son apparition qui suit l’arrêt du cœur et précède la
mort ; il vient accompagné des anges qui coopèrent avec les saints au salut du
mourant. Cette interprétation, nous le verrons en conclusion, ne supprime en
rien celle qui annonce le retour du Christ à la fin du monde ; elle respecte
aussi celle qui lit la description de la fin des sociétés, des projets humains.
Elle ne fait qu’ajouter une pierre aux sens multiples de la Parole de Dieu.
«
En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne
soit arrivé. Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. »
Ce
troisième texte et d’autres analogues semble annoncer la fin du monde et la
parousie générale en en fixant la date à la génération de ceux qui ont connu
Jésus. Il fut d’ailleurs à ce point interprété comme cela que saint Paul dut
tenir un discours très ferme dans le sens du démenti[232]. Devant la ruine du temple de Jérusalem
assaillis par les armées romaines, cette peur de la fin du monde se fit
certitude. Pourtant, dès les années apostoliques, saint Pierre signale la venue
de « railleurs pleins de raillerie,
guidés par leurs passions qui disent : où est la promesse de son avènement ?
Depuis que les pères sont morts, tout demeure comme au début de la création »
[233]. Cette remarque des railleurs est
d’actualité. Pourtant la parole de Jésus semble aussi nette que possible : « Cette génération ne passera pas... » S’est-il
trompé ?
Notre
hypothèse permet d’ouvrir la voie à une interprétation nouvelle : il existe une
parousie au cours de l’histoire qui marque chaque génération tout aussi
réellement que la parousie définitive qui fera s’arrêter le cycle des
générations. En effet, moins de cent ans après que Jésus a prononcé ses paroles
prophétiques, toute la génération qui les avait entendues avait réellement et
historiquement connu la parousie. Cela ne s’était pas réalisé d’un seul coup
mais par la somme des parousies individuelles à la mort de chacun. Ainsi, la
génération entière des hommes de l’époque de Jésus s’est trouvé face à sa
gloire très peu de temps après sa promesse. Ceux qui restaient sur terre
n’ayant, quant à eux, encore rien vu venir, pouvaient se permettre de railler
mais bien à tort... De même, notre interprétation permet de comprendre des
saints comme Vincent Ferrier qui annoncèrent sur ordre du Seigneur, avec force
signes et miracles prouvant leurs dires, le retour du Christ pour leur
génération. Canonisé sous le vocable d’ »ange
de l’Apocalypse », ce dominicain mort
en 1419 n’a pas menti. C’est ce dont pourrait témoigner sa génération, tout
entière jugée et fixée à l’heure qu’il est sur son destin éternel. Somme toute,
chaque homme peut recevoir pour lui cette parole de Jésus, sachant avec
certitude que peu d’années le séparent de sa mort et de la Manifestation
glorieuse du Christ. Quant à la fin définitive du monde, elle reste une réalité
annoncée littéralement par l’Écriture, du même ordre, avec cependant une
solennité particulière.
Nous
pourrions citer aussi de nombreux textes de l’Apocalypse. Ils se prêtent à une
interprétation dans ce sens mais ne constituent pas un apport essentiel : « Interprétation symbolique ne constitue
qu’un signe modéré de la vérité d’une hypothèse, selon saint Thomas d’Aquin[234]
Une remarque de J. Bescond, un traducteur de la
Bible, montre que en Luc 17, 21, il vaut mieux traduire "parmi" par
"au dedans". Cela change la donne si l'on veut prendre les deux
acceptations du terme grec (Royaume de Dieu et Parousie, un public et un
intérieur, un visible et un invisible).
Ceci illustre de manière cachée la thèse de la
Parousie du Christ à l'âme à l'article de la mort, qui devient scripturaire.
Martin 1744 / S. Luc chapitre 17 a écrit: |
Et on ne dira point : voici, il est ici; ou
voilà, il est là; car voici, le Règne de Dieu est au-dedans de vous. Il dit aussi à ses Disciples : les jours
viendront que vous désirerez de voir un des jours du Fils de l'homme,
mais vous ne [le] verrez point. Et l'on vous dira : voici, il est ici; ou voilà,
il est là; [mais] n'y allez point, et ne les suivez point. Car comme l'éclair brille de l'un des
côtés de dessous le ciel, et reluit jusques à l'autre qui est sous le ciel,
tel sera aussi le Fils de l'homme en son jour. (...) Et eux répondant lui dirent : où [sera-ce]
Seigneur? et il leur dit : en quelque lieu que sera le corps [mort],
là aussi s'assembleront les aigles. |
ou encore :
« Où sera le cadavre, là se
rassembleront les vautours. »
On conclut avec un défunt, et ses démons.
Par
ailleurs ce verset biblique : « Or,
la volonté de celui qui m'a envoyé, c'est que je ne perde aucun de ceux qu'il
m'a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier jour. Car la volonté de
mon Père, c'est que tout homme qui voit
le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle; et moi,
je le ressusciterai au dernier jour» (Jean 6,35-40).
Car
cette parole de Notre Seigneur est très claire. On peut certes voir le Christ à
travers ses Saints qui lui sont comme transparents, mais cette parole semble
plus précise encore.
« Jean 14, 2 je vais vous préparer
une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à
nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis,
vous aussi, vous soyez. »
Partout
dans l'Ecriture, cette annonce est donnée, pour ceux qui on appris à chercher.
«
Etant donc réunis, ils
l'interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas
restaurer la royauté en Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient
pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité.
Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur
vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la
Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre." A ces mots, sous leurs
regards, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils étaient
là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait, voici que deux hommes
vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés ; ils leur dirent : Hommes"
de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a
été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous
l'avez vu s'en aller vers le ciel."
Deux
point sont à relever dans ce récit :
1° L’ascension fut un phénomène visible,
au sens « sensible » du terme. Elle se passe « sous leurs regards. » Une nuée dérobe Jésus à leur yeux.
2° Mais l’ascension fut un phénomène
visible, au sens « spirituel » du terme. Les disciples vivent un
phénomène extatique qui les laisse comme fixés, un long moment, les yeux
tournés vers le ciel. Deux hommes vétus de blanc (des anges) sont comme
contraints de les tirer de leur extase.
3° Les anges annoncent que ce phénomène
est le modèle de la façon dont se produira le retours du Christ. On peut en
conclure que le retours du Christ, que le Credo définit ainsi : « Il
reviendra dans sa gloire accompagné des saints et des anges pour juger les
vivants et les morts. » sera un phénomène à la fois sensible et
porteur de sens spirituel. On ne peut manquer d’y voir une certaine concordance
avec les récits des témoins de Near Death Experience. Et, surtout, ce
mode de connaissance est parfaitement humain, adapté au mode habituel que
décrit saint Thomas : sensible en vue du spirituel.
Le
retours du Christ est toujours présenté comme un évènement inédit, de type
céleste, et non comme une descente de type purement charnel (Matthieu 24, 26) : «
Si donc on vous dit :
Le voici au désert, n'y allez pas ; Le voici dans les retraites, n'en croyez
rien. Comme l'éclair, en effet, part du levant et brille jusqu'au couchant,
ainsi en sera-t-il de l'avènement du Fils de l'homme. »
La
mort du Diacre Etienne, racontée un peu plus loin dans le livre des Actes
semble décrire ce retour du Christ lorsqu’il s’applique à la fin d’un individu
et son caractère à la fois sensible et spirituel.
« A
ces mots, leurs coeurs frémissaient de rage, et ils grinçaient des dents contre
Etienne. Tout rempli de l'Esprit Saint, il fixa son regard vers le ciel ; il
vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. "Ah!
dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de
Dieu." Jetant alors de grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et,
comme un seul homme, se précipitèrent sur lui, le poussèrent hors de la ville
et se mirent à le lapider. Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds
d'un jeune homme appelé Saul. Et tandis qu'on le lapidait, Etienne faisait
cette invocation : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit." Puis il fléchit
les genoux et dit, dans un grand cri : « Seigneur, ne leur impute pas ce
péché." Et en disant cela, il s'endormit. »
La
vision d’Etienne, il faut le remarquer, se passe avant sa mort et non « dans son agonie », ce qui est attesté par plusieurs témoins de Near Death
Experience pour qui l’ordre des évènements est variable. Pour la décrire,
Etienne utilise des termes semblables à ceux de l’ascension : « il
voit les cieux ouvert. »
Cette petite citation présente dans les
Actes des apôtres ou St Paul préche longuement, pourrait être un signe
scripturaire interessant de la mort comme «
durée » [235]:
« Un
adolescent, du nom d'Eutyque, qui était assis sur le bord de la fenêtre, se
laissa gagner par un profond sommeil, pendant que Paul discourait toujours. Entraîné
par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas. On le releva mort.
Paul descendit, se pencha sur lui, le prit dans ses bras et dit: « Ne vous agitez donc pas: son âme
est en lui." Puis il remonta, rompit le pain et mangea; longtemps
encore il parla, jusqu'au point du jour. C'est alors qu'il partit. Quant au
jeune garçon, on le ramena vivant, et ce ne fut pas une petite consolation. »
Il est mort et son âme est en lui.
Quelle conséquence en tirer sinon que la mort a une durée ?
Citons pour terminer un magnifique et peu connu texte de saint
Pierre[236] : « Béni
soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ : dans sa grande
miséricorde, il nous a engendrés de nouveau par la résurrection de Jésus-Christ
d’entre les morts, pour une vivante espérance, pour un héritage exempt de
corruption, de souillure, de flétrissure, et qui vous est réservé dans les
Cieux, à vous que, par la foi, la puissance de Dieu garde pour le salut prêt à se MANIFESTER AU DERNIER MOMENT. »
D’autres textes étonnant de cette épître
ont récemment conduit des théologies Protestante et Orthodoxe à poser que tous
les païens sont évangélisés dans les limbes après leur mort et que leur est
donné la possibilité de conversion et de salut. D’après le « DICTIONARY OF Dogmatic
Theology, Parente & Al, Milwaukee, 1951, pp. 164-165 », cette opinion
est, du point de vue critique, intenable (insoutenable). Mon avis : Cela ne se passe pas APRES la mort. C'est
impossible, affirme la constitution Benedictus
Deus. Cela se passe à l'heure de la mort, dans le passage du shéol entre ce
monde et l'autre. Et c'est obligatoire, sous peine de damner des millions de
gens à cause d'une ignorance non coupable.
« 1 Pierre
3, 18 Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des
injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été
vivifié selon l'esprit.
1 Pierre 3, 19
C'est en lui qu'il s'en alla même
prêcher aux esprits en prison,
1 Pierre 4, 5-6 Pierre
4, 6 Mais ils auront à rendre compte de leurs actes à Dieu, qui est prêt à
juger les vivants et les morts. Voilà
pourquoi la Bonne Nouvelle a été annoncée même aux morts : ainsi, bien que
jugés quant a leur existence terrestre, comme tous les humains, ils ont
maintenant la possibilité, grâce à l'esprit, de vivre la vie de Dieu.
La mort est-elle instantanée ou
dure-t-elle « un certain temps, comme
un passage ?
A contrario,
I Rois 17, 8-24 indique plutôt le contraire :
Citation : I Rois 17, 8-24 |
17 Après ces événements,
le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut
très violente, au point qu'il ne resta plus de souffle en lui. 18 Alors cette femme dit à
Elie : « Qu'ai-je à faire avec toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour
rappeler le souvenir de mes iniquités et pour faire mourir mon fils ? » 19 Il
lui répondit : « Donne-moi ton fils. » Et il le prit du sein de la femme et,
l'ayant monté dans la chambre haute où il demeurait, il le coucha sur son
lit. 20 Puis, il invoqua Yahvé, en disant : « Yahvé, mon Dieu, auriez-vous
encore fait tomber le malheur sur cette veuve chez laquelle je demeure,
jusqu'à faire mourir son file ? » 21 Et il s'étendit trois fois sur l'enfant,
en invoquant Yahvé et en disant : « Yahvé, mon Dieu, je vous en prie, que
l'âme de cet enfant revienne au dedans de lui! » 22 Yahvé écouta la voix
d'Elie, et l'âme de l'enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la
vie. 23 Elie prit l'enfant, le descendit de la chambre haute dans la
maison et le donna à sa mère ; et Elie dit : « Voici que ton fils est vivant.
» |
Donc, si dès que l'âme (souffle) revient
dans l'homme, il est vivant, alors dès que l'âme (souffle) s'en détache, il est
mort. A ce moment, Hébreux 9, 27 s'applique : après la mort vient le
jugement.
Or, il n'est pas indifférent qu'on
associe dans la Bible le souffle et l'âme. On pourra donc dire que dès l'arrêt
respiratoire, il y a mort et impossibilité de repentir ni de conversion
(Hébreux 6, 1-6). Dans ce cas, cette serait plus que suspecte bibliquement, par
son manque de fondements clairs -sedes doctrinae- et par les récits qui
témoignent plutôt contre elle...
Mais Actes 20, 7-12 pourrait
constituer un début de confirmation du contraire, à savoir que la mort
apparente n’est pas la mort accomplie (mais il n'est pas sûr que ce ne soit
plutôt une résurrection !)
Citation : Actes 20, 7-12 |
7 Or, le premier jour de
la semaine, comme nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul, qui
devait partir le lendemain, discourait avec (les frères), et il prolongea son
discours jusqu'à minuit. Il y avait beaucoup de lampes dans la salle haute où
nous étions assemblés. Or un jeune homme, nommé Eutyche, qui était assis sur
la fenêtre, pris par un sommeil profond tandis que Paul discourait longuement,
fut entraîné par le sommeil, tomba du troisième en bas et fut relevé mort.
Mais Paul, étant descendu, se pencha sur lui et le prit dans ses bras, disant : « Ne vous troublez pas, car son âme est en lui.
"
Puis étant remonté, il rompit le pain et mangea, et après avoir conversé
assez longtemps, jusqu'au point du jour, il partit ainsi. On ramena le garçon
vivant, et on (en) fut grandement consolé. |
Deux autres textes semblent indiquer que
l'âme n’est pas immédiatement séparée du corps, sans délai et qu’on peut
définir la mort comme autre chose, comme l'entrée dans l'autre monde. C'est ce
que constatèrent sans doute, face à Jésus, les amis de cet enfant :
Citation :
Marc 5, 38-40, Luc 8 |
Ils arrivent à la maison du chef de
synagogue et il aperçoit du tumulte, des gens qui pleuraient et poussaient de
grandes clameurs. Etant entré, il leur dit : « Pourquoi ce tumulte et ces pleurs ? L'enfant n'est pas
morte, mais elle dort." Et ils se moquaient de lui. Mais lui,
prenant sa main, l'appela en disant : «
Enfant, lève-toi." Luc 8, 55 Son esprit revint, et elle se
leva à l'instant même. |
Que signifient ces
paroles : elle n’est pas morte mais elle dort… son esprit revint… ?[237]
Jésus utilise pour Lazare la même
expression, plusieurs jours après sa mort :
Citation :
Jean 11, 11-14 |
Il dit cela, et ensuite : « Notre ami Lazare repose, leur
dit-il ; mais je vais aller le réveiller." Les disciples lui dirent
: « Seigneur, s'il repose, il sera
sauvé." Jésus avait parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu'il parlait du
repos du sommeil. Alors Jésus leur dit ouvertement : « Lazare est mort… |
Il pourrait donc,
bibliquement, y avoir une mort apparente qui pour Jésus n'est pas une mort accomplie
?
Une thèse se forge en théologie
scientifique. Elle doit partir des textes bibliques, ou se déduire de dogmes
exprimés au sens littéral. Or il existe une autre manière de faire de la
théologie, chère aux Pères de l'Eglise, très pratiquée par Origène, et qu'on
appelle la « théologie
symbolique. » C'est elle qui
découvre, sous le texte de l'Ecriture, des sens symboliques multiples et
explicitement voulus par Dieu. Cette théologie là ne démontre rien mais
illustre.
Or, il se trouve qu’il existe, en
théologie symbolique, un sens absolument étonnant. Pourquoi Jésus, au moins dix
fois dans le Nouveau Testament, dit-il à des disciples de se rendre en
Galilée, après sa résurrection, pour le voir ?
Que symbolise cette Galilée des
nations ? Dans les évangiles, c’est la région sombre de la mort,
comme l’indique ce texte :
Citation :
(Matthieu (BJ) 4) |
Ayant appris que Jean avait été livré,
il se retira en Galilée s'établir à Capharnaüm, au bord de la
mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali, 14 pour que s'accomplît
l'oracle d'Isaïe le prophète : « Terre de Zabulon et terre de Nephtali,
Route de la mer, Pays de Transjordanie, Galilée des nations! Le peuple qui
demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui
demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s'est levée. » |
La théologie
symbolique, dit saint Thomas (Somme, Ia pars Q. 1) donne trois sens aux textes
:
Sens
allégorique : Pris en ce sens, cela peut signifier l'âme humaine dans sa nuit
(la Christ vient au fond de la nuit de notre âme).
Sens
moral : Il signifie la manière dont il faut agir : « Trouver le Christ dans le
quotidien" (La Galilée étant le symbole de ce quotidien
triste).
Sens
eschatologique : Il est clair que si l’on identifie, en théologie symbolique, la Galilée et le pays sombre de la mort, on trouve des richesses de sens incontestablement proche de cette
thèse sur la venue du Christ à l’heure de la mort.
Citation :
(Matthieu (BJ) 26, 32) |
Mais après ma résurrection je
vous précéderai en Galilée (dans la région sombre de la mort). |
Citation :
(Matthieu (BJ) 28, 5-7) |
Mais l'ange prit la parole et dit aux
femmes : « Ne craignez point, vous
: je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n'est pas ici, car il
est ressuscité comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où il gisait, et vite
allez dire à ses disciples : Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà
qu'il vous précède en Galilée (dans la région sombre de la mort)
; c'est là que vous le verrez. |
Citation :
(Matthieu (BJ) 28, 9-10) |
Et voici que Jésus vint à leur
rencontre : « Je vous salue », dit-il. Et elles de s'approcher et
d'étreindre ses pieds en se prosternant devant lui. Alors Jésus leur dit : « Ne craignez point ; allez annoncer à
mes frères qu'ils doivent partir pour la Galilée (pour la région sombre de la mort),
et là ils me verront."
|
Citation :
(Matthieu (BJ) 28, 16) |
Quant aux onze disciples, ils se
rendirent en Galilée (à la région sombre de la mort),
à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous. |
Citation :
(Matthieu (BJ) 4, 23-25) |
Il parcourait toute la
Galilée Galilée (toute la région sombre de la mort)
enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et
guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple. Des foules
nombreuses se mirent à le suivre, de la Galilée, de la Décapole, de
Jérusalem, de la Judée et de la Transjordanie. |
Citation :
(Jean 2, 11) |
Tel fut le premier des signes de
Jésus, il l'accomplit à Cana de Galilée Galilée (dans la région sombre de la mort) et
il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. |
Le verset 17 dans la traduction de Louis
Segond dévoile un sens étonnant :
Citation : |
15 Le peuple de Zabulon et de
Nephthali, De la contrée voisine de la mer, du pays au delà du Jourdain, Et
de la Galilée des Gentils, 16 Ce peuple, assis dans les ténèbres,
A vu une grande lumière ; Et sur ceux qui étaient assis dans la région et
l'ombre de la mort La lumière s'est levée. 17 Dès ce moment Jésus commença à
prêcher, et à dire : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.
(Matthieu (LSG) 4) |
« Dès ce moment Jésus commença à prêcher… sur
ceux qui étaient assis dans la région et l'ombre de la mort. »
Alors ceux qui sont assis (ni debout ni
allongés mais en attente) vont bientôt se lever. Car voici en résumé dans Josué
l’Evangile que Jésus leur annonce :
Citation : |
1 Après la mort de Moïse, serviteur de
Yahvé, Yahvé parla à Josué, fils de Nûn, l'auxiliaire de Moïse, et lui dit :
2 "Moïse, mon serviteur, est mort ; maintenant, debout! Passe le
Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne
(Josué (BJ) 1) |
Moïse qui n'a pas vu la terre promise
peut symboliser notre vie terrestre.
(Moïse, le corps et « l'auxiliaire »,
l'âme) alors un sens apparaît.
« Serviteur
tu es mort. Lève toi et passe le Jourdain vers la terre promise. »
Il y a également quelque chose à méditer
dans ce passage du Jourdain, lieu de baptême par excellence.
Le sujet de cette thèse est dans la
continuité de la tradition du christianisme primitif et des premiers siècles.
Nous pouvons dire que le paradigme de cette approche (présentation de Lucifer
et du Christ à l"heure de la mort) se retrouve dans cette évangélisation
des morts qui séjournaient dans le séjour des morts avant la Résurrection. Il
me semble important de porter à votre connaissance ces phrases tirées
d'évangiles apocryphes [239] :
- Dans le "Transitus Marie"
attribué à l'évêque Méliton (Fin IIème siècle) au chapitre III, il
est écrit : « "Marie dit : « Je te prie d'envoyer sur moi ta
bénédiction afin que nulle puissance de l'enfer ne m'attaque à l'heure où mon
âme sortira de mon corps et afin que je ne voie point le prince des
ténèbres." Et l'ange répondit : "La puissance de l'enfer ne te
nuira pas. Le Seigneur, dont je suis l'esclave et l'envoyé, te donnera la
bénédiction éternelle ; Il ne m'est pas accordé de te donner de ne pas voir le
prince des ténèbres ; c'est au pouvoir de celui que tu as porté dans ton sein
sacré et dont la puissance s'étend dans les siècles et des siècles." »
- Au chapitre VIII : « Le Sauveur répondit
: « "Lorsque, envoyé par mon Père pour le salut du monde, j'ai été
suspendu sur la croix, le prince des ténèbres est venu vers moi ; mais ne
pouvant trouver nul vestige de son coeur, il s'est retiré vaincu et foulé aux
pieds. Je l'ai vu et tu le verras, suivant la loi commune du genre humain, à
laquelle tu te conformes en mourant, mais il ne pourra te nuire, parce qu'il
n'y a rien en toi qui soit en lui, et je serai avec toi pour te protéger. Viens
donc en paix, car la milice céleste t'attend pour que je t'introduise dans les
joies du paradis." »
- Dans l'introduction de l'Evangile
de Nicodème ou Actes de Pilate, l'auteur nous rappelle la réponse dans
l'Epître de Pierre sur le moment séparant la mise au tombeau et la résurrection
de Notre Seigneur Jésus-Christ : « "... mis à mort dans sa chair, mais
rendu à la vie par l'Esprit. C'est alors qu'il est allé prêcher même aux
esprits en prison, aux rebelles d'autrefois..." » (1 Pierre 3,
18-19 et : « " C'est pour cela, en effet, que même aux morts la bonne nouvelle
a été annoncée... " » (1 Pierre 4, 6).
- L'évangile de Nicodème ou Actes de Pilate
au Chapitre XVII-XXIX qui décrit la descente du Christ aux enfers et son
évangélisation des morts.
Dans l'évangile de Nicodème, les morts
qui sont libérés des ténèbres par l'arrivée du Christ sont ceux qui l'ont
attendu ou l'attendaient (Chapitre XXII-XXV) Autrement dit Christ est
reconnu par ses brebis comme le dit les évangiles canoniques. (ceux qui
reconnaissent l'amour et l'humilité).
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique
(1992) se penche sur la question de la mort.
Il rappelle les dogmes traditionnels de
la foi au numéro 1021 :
Citation : |
I. Le jugement particulier 1021 La mort met fin à la vie de
l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine
manifestée dans le Christ (cf. 2 Tm 1, 9-10). Le Nouveau Testament parle
du jugement principalement dans la perspective de la rencontre finale avec le
Christ dans son second avènement, mais il affirme aussi à plusieurs
reprises la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction de ses
œuvres et de sa foi. La parabole du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 22) et
la parole du Christ en Croix au bon larron (cf. Lc 23, 43), ainsi que
d’autres textes du Nouveau Testament (cf. 2 Co 5, 8 ; Ph 1, 23 ; He 9, 27 ;
12, 23) parlent d’une destinée ultime de l’âme (cf. Mt 16, 26) qui peut être
différente pour les unes et pour les autres. |
Auparavant, il manifeste le chemin
habituel des sacrements qui accompagnent le mourant dans son passage :
Citation : |
1020 Le chrétien qui unit sa propre
mort à celle de Jésus voit la mort comme une venue vers Lui et une entrée
dans la vie éternelle. Lorsque l’Église a, pour la dernière fois, dit les
paroles de pardon de l’absolution du Christ sur le chrétien mourant, l’a
scellé pour la dernière fois d’une onction fortifiante et lui a donné le
Christ dans le viatique comme nourriture pour le voyage, elle lui parle avec
une douce assurance. |
Les sacrements sont des signes sensibles
donnés par un prêtre à des catholiques. On donne dans l'ordre :
1°
L'absolution = Le sacrement de pénitence
2°
L'onction fortifiante est le sacrement des malades
3° Le
viatique qui est la dernière eucharistie
Puis le catéchisme fait allusion à un
texte liturgique qui dépasse le sacrement et en indique le sens :
Citation : |
Quitte ce monde, âme
chrétienne,
au nom du Père Tout-Puissant qui t’a créé, au nom de Jésus-Christ, le Fils du
Dieu vivant, qui a souffert pour toi, au nom du Saint-Esprit qui a été
répandu en toi. Prends ta place aujourd’hui dans la paix, et fixe ta
demeure avec Dieu dans la sainte Sion, avec la vierge Marie, la Mère de Dieu,
avec saint Joseph, les anges et tous les saints de Dieu (...). Retourne
auprès de ton Créateur qui t’a formé de la poussière du sol. Qu’à l’heure
où ton âme sortira de ton corps, Marie, les anges et tous les saints se
hâtent à ta rencontre (...). Que tu puisses voir ton Rédempteur face à
face... (Ex « Commendatio animæ ») |
Cet extrait montre
l’ancienneté de cette certitude que, A LA MORT, Marie, les anges et tous les saints se
hâtent à ta rencontre (...) du mourant.
Cependant, il
convient de le reconnaître : le Catéchisme utilise tour à tour les notions de :
AVANT la mort
A l'heure de la mort
APRÈS la mort.
Il est donc très
important de les travailler (voir Traité
des fins dernières, Question 8, article 4).
Il est essentiel de
se demander si la mort est instantanée, de telle façon que personne n'ait plus
l'occasion d'être sauvé, tout en se souvenant du dogme :
APRÈS LA MORT, le jugement et la rétribution sont donnés (de foi, Benoît
XII).
A L'HEURE DE LA MORT, l'âme rencontre le Christ et la Vierge (oraison de la liturgie,
non dogmatique, mais très traditionnelle).
Citation: |
Apocalypse 1, 18 « je fus
mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l'Hadès. » |
Dès le début de
l’Eglise, le texte du Credo affirme la descente de Jésus aux enfers : « Jésus a
souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est
descendu aux enfers. »
Le père Michel
Guitton écrit, dans France Catholique, 21 septembre 2007 (n°3085) :
Citation: |
La question
reste, toujours brûlante, de ce qu’il advient de ceux qui, sans fautes de
leur part, n’ont pu profité de l’annonce de l’Evangile. Nous pouvons alors
nous appuyer sur la phrase de saint Paul (Romains 11, 32) : « Dieu
a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde », pour penser qu’ils ne sont pas
abandonnés. Nous pouvons évoquer la Descente aux enfers où Jésus rejoint
les justes de l’Ancien Testament (alors pourquoi pas ceux d’après ?) |
Il faudrait étudier
si cette descente de Jésus dans l'Hadès décrite par saint Pierre n'est pas, en
clair, une preuve de plus de l'apparition glorieuse de Jésus, pour tous les
hommes de tous les temps, dans ce passage qu'est la mort.
Citation: |
Actes 2, 23 cet homme qui avait été livré selon le
dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir
en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l'a ressuscité, le
délivrant des affres de l'Hadès.
Aussi bien n'était-il pas possible qu'il fût retenu en son pouvoir; |
Le mot sheol
veut-il dire, au sens Biblique, la mort ? Sheol (שאול),
parfois écrit Shéol, est un terme hébraïque intraduisible, désignant le «
séjour des morts », la « tombe commune de l'humanité », le puits, sans vraiment
pouvoir statuer s'il s'agit ou non d'un au-delà."
L'étymologie du mot
hébreux "cheôl" est obscure, attribuée à plusieurs racinnes dont
"lieu d'interrogation" (Dictonnaire du NT de Xavier Léon-Dufour). Et
c'est le mot grec "haïdès" qui a été choisis pour dire en grec le mot
"shéol" ; hâdès qui veut dire "invisible"
Dans l'Apocalypse,
la mort et l'hadès sont étroitement liés. A chaque fois qu'il est question de
l'hadès, on lui adjoint la mort :
1 18 le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pour les
siècles des siècles, détenant la clef de
la Mort et de l'Hadès. Et la mer rendit les morts qu'elle gardait, la Mort et l'Hadès rendirent les morts
qu'ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses oeuvres.
Si la mort était
uniquement la mort biologique, pourquoi l'Apocalypse nous dit-elle que la mort
va rendre les morts qu'elle gardait ? Est-ce la mort où l'hadès qui a
rendu Lazare ? C'est la mort qui le gardait depuis 3 jours.
On trouve dans les actes des apôtres le récit d’une expérience qui
ressemble fort à ce dont témoignent les téoins des Expérience proches de la
mort. Le texte parle de lui-même. Il nous est donné en deux versions :
Citation : |
Actes 22, 6-11
"Je faisais route et j'approchais de Damas, quand tout à coup, vers
midi, une grande lumière venue du ciel m'enveloppa de son éclat. Je tombai
sur le sol et j'entendis une voix qui me disait : Saoul, Saoul, pourquoi me
persécutes-tu ? Je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Il me dit alors : Je suis
Jésus le Nazôréen, que tu persécutes. Ceux qui étaient avec moi virent bien
la lumière, mais ils n'entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Je
repris : Que dois-je faire, Seigneur ? Le Seigneur me dit : Relève-toi. Va à
Damas. Là on te dira tout ce qu'il t'est prescrit de faire. Mais comme je n'y
voyais plus à cause de l'éclat de cette lumière, c'est conduit par la main de
mes compagnons que j'arrivai à Damas. |
ou encore :
Citation : |
Actes 26,
12-18 "C'est ainsi que je me rendis à Damas avec pleins pouvoirs et
mission des grands prêtres. En chemin, vers midi, je vis, ô roi, venant du
ciel et plus éclatante que le soleil, une lumière qui resplendit autour de
moi et de ceux qui m'accompagnaient. Tous nous tombâmes à terre, et
j'entendis une voix qui me disait en langue hébraïque : Saoul, Saoul,
pourquoi me persécutes-tu ? Il est dur pour toi de regimber contre
l'aiguillon. Je répondis : Qui es-tu, Seigneur ? Le Seigneur dit : Je suis
Jésus, que tu persécutes. Mais relève-toi et tiens-toi debout. Car voici
pourquoi je te suis apparu : pour t'établir serviteur et témoin de la vision
dans laquelle tu viens de me voir et de celles où je me montrerai encore à
toi. C'est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes,
vers lesquelles je t'envoie, moi, pour leur ouvrir les yeux, afin qu'elles
reviennent des ténèbres à la lumière et de l'empire de Satan à Dieu, et
qu'elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une
part d'héritage avec les sanctifiés. |
Il y a même, chez saint Paul, la question de la présence ou non de son
corps dans cette expérience :
Citation : |
2 Corinthiens
12, 2-4 Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans - était-ce
en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le
sait - cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et cet homme-là -
était-ce en son corps ? Etait-ce sans son corps ? Je ne sais, Dieu le sait
--, je sais qu'il fut ravi jusqu'au paradis et qu'il entendit des paroles
ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire. |
Tertullien,
cité par Michel Hulin, « La face cachée du temps » Fayard, rapporte
le rêve de sainte Perpétue (avant son martyre) :
Perpétue
rencontre son compagnon de martyre, Saturus, et elle lui fait le récit
suivant :
« Nous
mourûmes et sortîmes de notre corps. Alors, des anges se mirent à nous porter
dans la direction de l'Orient. Leurs mains ne nous touchaient pas. Nous
n'avions pas l'impression d'être étendus sur le dos mais plutôt celle de gravir
une pente douce... à peine sortis de ce monde et toujours portés par les quatre
anges, nous vîmes une lumière immense et nous débouchâmes sur un vaste espace
qui ressemblait à un verger avec des arbres, des roses et toutes sortes de
fleurs. Les arbres étaient hauts comme des cyprès et leurs feuilles ne
cessaient de chanter. »
(Provenance
: Olivier)
Dans
la tradition orthodoxe, qui se fonde sur les visions dont certains saints ont
été favorisés, on estime que durant les deux premiers jours après la mort,
l’âme reste encore sur terre, parcourant les lieux où elle a vécu et auxquels
elle a été attachée durant sa vie terrestre. À partir du troisième jour, elle
passe par ce que les Pères de l’Église appellent les "postes de péage. » Ces "péages" sont
représentés de la manière suivante dans des visions de saint Antoine le Grand
que nous raconte saint Athanase, Docteur de l’Eglise, dans sa vie de saint
Antoine écrite en 356 :
« Un
jour, sur le point de manger, étant debout pour prier vers la neuvième heure,
il se vit lui-même ravi en esprit. Chose étonnante, debout, il se vit lui-même
hors de lui-même comme conduit à travers les airs par certains personnages ;
ensuite il en vit d’autres, amers et cruels, debout dans l’air et voulant
l’empêcher de monter. Ses conducteurs le défendant, les autres demandèrent s’il
leur était soumis et voulurent lui faire rendre des comptes depuis sa
naissance. Les guides d’Antoine s’y opposèrent, disant aux adversaires : Le
Seigneur a remis les fautes commises depuis sa naissance ; vous pouvez lui
demander compte de celles qu’il a commises depuis qu’il s’est fait moine et
consacré au Seigneur. Les adversaires l’accusaient, sans pouvoir rien prouver
La route fut libre et sans obstacles.
Alors
Antoine se vit revenir ; debout devant soi, et de nouveau il fut lui-même.
Oubliant son repas, il passa le reste du jour et la nuit dans les gémissements
et la prière. Il admirait par quelle lutte et quels labeurs il faut traverser
les airs et il se souvenait de ce que dit l’Apôtre du prince de la puissance de
l’air (Ép 2,2). L’ennemi a pouvoir de combattre et d’empêcher ceux qui montent
à travers (les airs). Il faisait donc surtout cette exhortation : « C’est
pourquoi prenez l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux jours mauvais en
sorte que l’adversaire soit dans la confusion : n’ayant aucun (mal) à dire de
nous " (2 Co 12, 2).
Plus
tard, il eut une controverse avec quelques visiteurs concernant le passage et
le séjour de l’âme après la mort ; la nuit suivante, quelqu’un l’appela d’en
haut : « Antoine, lève-toi et regarde. " Il sortit, car il savait à qui il
convenait d’obéir ; levant les yeux, il vit un être géant, affreux, redoutable,
debout et atteignant les nuées. Des êtres paraissant ailés montaient. Le géant
étendait les mains, empêchait les uns ; les autres, volant au-dessus,
traversaient, étaient conduits en haut sans être inquiétés. Pour ces derniers,
le grand grinçait les dents ; il se réjouissait de voir tomber les autres.
Aussitôt Antoine perçut une voix : « Comprends ce que tu vois. » L’esprit
lui fut ouvert : il comprit que c’était
le passage des âmes, que le géant debout était l’ennemi qui porte envie aux
fidèles, règne sur ceux qui se sont soumis à lui et les empêche de passer ;
mais ne peut dominer d’en haut ceux qui ne se sont pas laissé persuader par
lui. Averti par cette nouvelle vision, il luttait de plus en plus pour
progresser chaque jour. »
Ainsi,
pendant les quarante jours qui précèdent l’attribution à l’âme du défunt de ce
qui sera son séjour provisoire jusqu’à la parousie, les démons présentent tout
ce qu’elle a pu commettre comme fautes durant sa vie terrestre ; son seul
recours est alors le repentir qu’elle a manifesté pour les péchés qui lui sont
reprochés, les bonnes œuvres qu’elle a accomplies durant sa vie terrestre et
l’intercession de l’Église et des saints. La prière pour les défunts revêt
ainsi, dès le moment de leur mort, une grande importance ; elle protège l’âme
et la défend contre les entreprises des démons.
Certains
détails du récit ci-dessus rappellent ceux des témoignages rapportés par le
psychologue R. Moody dans son étude sur ceux qui ont approché la mort : le
brusque changement que cette expérience a apporté dans la vie et les
perspectives de cet homme, la présence d’un esprit servant de guide à travers
cette pérégrination, enfin les réticences montrées par le héros à raconter son
histoire à quiconque ne l’aurait pas écoutée avec un esprit ouvert et
bienveillant. Par rapport à notre hypothèse, nous remarquons que les visions
sensibles et imaginatives de cet homme prouvent qu’il est par quelque partie de
lui-même lié à son corps, au moins par son psychisme. Il n’est donc pas
vraiment mort, la séparation de son âme n’est pas totale. D’autre part, le
guide qui ne semble pas être nécessairement le Christ lui-même en est cependant
la ressemblance puisqu’il provoque une conversion vers l’amour et la vie
contemplative. Nous sommes donc bien, semble-t-il, devant une prédication
mystérieuse et forte de l’Évangile à l’heure de la mort.
Dans son homélie 23, sur S. Matthieu
10, 28 « Ne craignez rien de ceux
qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt Celui qui a le
pouvoir d’envoyer dans la géhenne à la fois l'âme et le corps. », Saint Jean Chrysostome commente : « Si vous approfondissez ces
paroles, vous y trouverez encore un autre enseignement. En effet, Notre Seigneur
ne dit pas : « Qui envoie dans la géhenne » mais : « Qui a le
pouvoir d’envoyer » car tous ceux
qui meurent dans le péché ne sont pas immédiatement livrés au supplice, mais
ils éprouvent quelques moments de repos et d’adoucissement par suite des
sacrifices et des prières qui sont offertes pour les âmes des défunts."
Commentaire du Père Marie-Bernard
d'Alès, le 16 oct 2015 : « ce passage pourrait signifier cette
rencontre avec le Christ dont bénéficient même les futurs damnés. Ils ne ne
sont pas immédiatement livré au supplice car le Christ accompagné des saints et
de leurs prières magnifie leurs bonnes actions afin
de leur permettre le repentir et la conversion dans le passage de la mort.
Mais ils refusent bien sûr et leur choix définitif est ratifié par le jugement
dernier et le renvoie.
On
trouve chez saint Augustin des récits concernant des miraculés de la mort,
des gens ayant connu un terrible accident et qui se réveillent à la surprise
générale. Ils rapporteraient tous des visions du Christ et des saints. Augustin
avait entendu parlé de cela et, en en débattant, il émet par deux fois dans ses
œuvres l'avis philosophique suivant :
Citation
: |
«
Tant que l'ordre et l'harmonie règnent entre les parties, la corps jouit de
la vie et de la santé, et l'âme ne pense pas à le quitter. Mais s'il y a
désaccord et confusion, l'âme se retire à regret, emportant tout avec elle, le sens, l'imagination, la raison,
l'intellect, l'intelligence, la concupiscibilité et l'irascibilité, pour
que tout cela serve, suivant ses mérites, à la rendre heureuse ou
malheureuse. » « Quæ cum temperata et ordinata
fuerint, congruunt vivificationi, et nunquam recedit anima. Si vero
distemperata et confusa fuerint, invita recedit anima, secum trahens omnia,
sensum scilicet, imaginationem, rationem, intellectum, intelligentiam,
concupiscibilitatem, et irascibilitatem : et ex his secundum merita afficitur
ad deleclationem, sive ad dolorem. » Saint
Augustin, De l’esprit et de l’âme, Chap. 15[240]. S.
Augustin dit encore : « Nous
croyons que seul l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du corps,
continue à vivre et garde vivants ses sens et son intelligence. » Commentaire
du livre de Qohelet, Chap. 16. |
Il appuyait ses dires sur des expériences de mort approchée, déjà
fréquentes à son époque. Les expériences de mort approchée se multipliant de
nos jours et étant de mieux en mieux étudiées, on est obligé d’admettre au plan
philosophique le fait d’une survie, non seulement des puissances de la vie
sensible mais de leurs actes.
Chez
saint Thomas d’Aquin, au Moyen-âge, le deuxième degré de vie, sensible, est une
fonction de l'organe du cerveau, au point que la mort du cerveau détruit toute
vie sensible. Les mort sont donc pour lui de purs esprits, dotés de deux
facultés : leur intelligence et leur volonté. Du coup, chez saint Thomas, la
totalité des souvenirs sensibles liés à l'imaginaire et à la mémoire des
images, disparaît (odeurs, visage des siens etc.). Les morts gardent uniquement
leur compréhension spirituelle et leurs choix libre.
Saint
Augustin semble ici donner une indication philosophique sur cette vie sensible
et sa nature : le cerveau semble donc être un organe matériel qui structure et
fabrique une sorte d'organe psychique qui survit à sa destruction. Si
cela est vrai, alors l'état des âmes des morts est différent : non seulement
leur esprit survit mais aussi toutes leurs facultés sensibles : ils voient,
il entendent, ils se souviennent du visage physique de leur mère etc.
Cette
indication semble purement philosophique et n'a pas de conséquences opposées à
la foi. Saint
Cette
conception philosophique de la survie du psychisme ne subsistera pas au
réalisme d'Aristote qui, introduit au Moyen-âge conclut :
Citation
: |
« La vie sensible est manifestement un
effet du cerveau. Donc elle ne survit pas au cerveau ». |
Pour
ma part, j'ai été contraint par la multiplication des données expérimentales,
d'opter pour la conception plus ancienne, connue jadis dans la psychologie de
l'Egypte antique et de l'hindouisme (d'où est venu le bouddhisme).
La
Bible n'y est pas entièrement étrangère, parlant des morts non comme des esprits
purs, mais comme des "ombres »,
voire dans l'évangile, comme des fantômes :
Citation
: |
Matthieu
14, 26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés : « C'est un fantôme », disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier. Mais
aussitôt Jésus leur parla en disant : «
Ayez confiance, c'est moi, soyez sans crainte. » |
Citation
: |
Luc
24, 36 Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu d'eux et leur dit :
« Paix à vous! » Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un
esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi
tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre coeur ? Voyez
mes mains et mes pieds ; c'est bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un
esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » |
Ce texte ne soutient pas une théologie identique à
celle qui est soutenue ici et qui parle de l’apparition du Christ avant et pendant le jugement. Mais
c’est une théologie proche. La Trinité, I, 13, 30-31 (trad. Brévard, 2000 ans
A, p. 152)
« Combien de temps vas-tu nous laisser dans le
doute ? »
« Comme il est égal au Père, le Fils de Dieu
ne reçoit pas le pouvoir de juger, mais il le possède avec le Père. Il le
reçoit pour que bons et méchants le voient juger, parce qu'il est Fils de
l'homme. Voir le Fils de l'homme sera donné aux méchants eux-mêmes,
mais la vision de sa divinité ne sera donnée qu'aux cœurs purs, car ce sont eux
qui verront Dieu (Mt 5,8). Qu'est-ce-que la vie éternelle, sinon que
cette vision, qui sera refusée aux impies ? «
Qu'ils te connaissent, dit le Seigneur, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu
as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Comment connaîtront-ils Jésus Christ
lui-même, sinon comme le seul vrai Dieu, lui qui se montrera lui-même à eux ?
Il se montrera plein de bonté dans la vision qui le découvrira aux cœurs purs. « Qu'il est bon le Dieu d'Israël pour ceux
qui ont le cœur droit » (Ps 72,1). Dieu seul est bon.
Voilà pourquoi quelqu'un qui avait appelé le
Seigneur « bon maître », en lui demandant conseil pour arriver à la vie
éternelle, s'est attiré cette réponse : «
Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Personne n'est bon sinon Dieu
seul » (Mc 10,17-18). C'est que cet homme qui l'interrogeait ne
soupçonnait pas à qui il s'adressait et le prenait simplement pour un fils
d'homme... « Cet aspect que je revêts, c'est celui du Fils de l'homme, celui
qui a été assumé, celui qui apparaîtra lors du jugement aux impies aussi bien qu'aux
justes... Mais il y a une vision de ma condition divine : quand je l'avais,
je ne me suis pas prévalu de ce qu'elle me rendait égal à Dieu, mais je me suis
anéanti moi-même pour prendre l'autre condition » (Ph 2,6-7). C'est donc lui,
ce Dieu unique, Père, Fils, Esprit Saint, qui n'apparaîtra que pour la joie
inaltérable des justes.
Petit texte intéressant du Denzinger:
Lettre Cuperemus quidem aux évêques des provinces de Vienne et de
Narbonne, 26 juillet 428.
La réconciliation à l'heure de la mort
« Nous avons appris que la pénitence était refusée aux mourants, et
que l'on ne répondait pas aux désirs de ceux qui, au moment de leur mort,
désiraient qu'on vienne en aide à leur âme par ce remède. Nous restons
horrifiés, nous l'avouons, devant l'impiété de ceux qui osent mettre en doute
la bonté de Dieu. Comme si Dieu ne
pouvait pas secourir tous les pécheurs qui se tournent vers lui, à n'importe
quel moment, et comme s'il ne pouvait pas délivrer l'homme, chancelant sous
le poids de ses péchés, du fardeau dont il souhaite être débarrassé. Je vous le
demande : que signifie ceci, sinon apporter une nouvelle mort à celui qui va
mourir et tuer son âme, en se comportant de telle sorte qu'elle ne puisse plus
être purifiée ? Or Dieu est toujours disposé au pardon ; il invite à la
pénitence et déclare : "Le
pécheur, quel que soit le jour où il se sera converti, son péché ne lui sera
plus imputé " Ez 33,16.... Puisque c'est Dieu qui sonde les coeurs, il
ne faut refuser à aucun moment la pénitence à qui la demande.... »
Ce récit est tiré du livre « L’échelle
sainte » de saint Jean Climaque, higoumène (supérieur) du groupe de
solitaires du Mont Sinaï (éditions de Bellefontaine). 6° degré n°20. Ce traité
enseigne à des moines du 6° siècle quel dur chemin suivre, qui conduit au ciel.
Jean Climaque, également connu sous le nom de Jean le Sinaïtique, moine syrien
du VIe ou VIIe siècle. Il est considéré comme saint par les Églises
catholique et orthodoxe. Sa fête est célébrée le 30 mars et le quatrième
dimanche du Grand Carême orthodoxe.
« Je ne peux omettre
de te raconter l’histoire d’Hésychius, le solitaire de l’Horeb. Il avait toujours
vécu dans une totale négligence, sans aucun souci de son âme. Mais un jour, il tomba gravement malade et émigra hors
de son corps l’espace d’une heure. Etant alors revenu à lui, il nous
supplia tous de nous retirer immédiatement. Il mura la porte de sa cellule et y
demeura reclus pendant 12 ans, sans jamais adresser un mot à personne, sans se
nourrir d’autre chose que de pain et d’eau. Il se tenait assis, ravi en esprit
par tout ce qu’il avait vu dans son extase ; il était tellement absorbé
qu’il ne changeait jamais de position ; semblant toujours hors de
lui-même, il versait silencieusement des larmes brûlantes. Mais quand il fut
près de mourir, nous enfonçâmes la porte et entrâmes ; et à toutes nos
questions, il ne répondait que ces seuls mots : « Pardonnez-moi !
Celui qui garde le souvenir de la mort ne pourra jamais pécher. » Et nous
admirions dans cet homme, que nous avions vu jadis si négligent, ce bienheureux
et subit changement et une telle transformation. Nous l’ensevelîmes avec vénération
dans le cimetière voisin de la forteresse. Quelques jours après, ayant voulu
revoir ses restes saints, nous ne les retrouvâmes plus. Le Seigneur voulut
ainsi à l’occasion de sa pénitence sincère et digne de louange, donner pleine
confiance à ceux qui ont résolu de se corriger, même après une longue
négligence. »
Saint Grégoire de Tours raconte dans son Histoire
des Francs :
« Saint
Saulve que l'on avait cru mort et dont on préparait les funérailles revint à la
vie le matin même du jour prévu pour son enterrement. En ouvrant les yeux, il
se plaignit d'avoir regagné le monde terrestre et ses ombres. Pendant trois
jours, il jeûna et, le quatrième jour, il raconta son histoire.
Au
moment où ses compagnons crurent qu'il trépassait, il fut emmené par deux anges
vers le plus haut des cieux. De là, il pouvait contempler sous ses pieds, non
seulement cette terre misérable mais aussi les nuages, la lune, le soleil, les
étoiles. Ensuite, par une porte étincelante, il fut conduit à l'intérieur d'un
palais où brillait une lumière ineffable et où se trouvait une multitude
d'hommes, de femmes et d'enfants. Les anges lui frayèrent un passage à travers
la foule et il parvint en un lieu où il y avait un nuage plus éclatant que toute
autre lumière. Il n'y avait là ni soleil, ni lune, ni étoiles mais cela
brillait davantage que tous ces astres réunis. Et, du fond du nuage, se faisait
entendre une voix semblable à la rumeur des eaux mêlées. Une douce fragrance
emplissait l'atmosphère, en sorte qu'il n'éprouvait le besoin ni de boire ni de
manger. Mais on lui fait savoir qu'il doit retourner sur terre pour le bien de
l'Eglise. »
On note la parenté de ces visions de l'Antiquité ou du Moyen Age
avec celles qui nous sont communiquées par nos contemporains :
On y
retrouve jusqu'au regret de revenir `sur terre', pour y accomplir une mission
inachevée.
On y
retrouve aussi une description paradisiaque qui s'estompe peu à peu dans une
description plus abstraite et plus proche du langage des théologiens.
Les
images ne sont là que pour suggérer la béatitude et elles cèdent la place à la
lumière, une lumière sans astres ni soleil, une lumière intérieure.
Saint-Grégoire fait état en 590
dans ses Dialogues de visions rapportées par certains religieux à
l'instant de trépasser ou de personnes ayant été tenues pour mortes :
« Ce vénérable prêtre, ayant vécu fort
longtemps, tomba malade la 40ème année de sa promotion aux Ordres, et fut
travaillé d'une violente fièvre qui le réduisit à l'extrémité (...). Il était
tout épuisé de force et étendu sur son lit comme une personne morte. Il
s'efforça de parler et dit d'un ton assez vigoureux : « Messieurs soyez les
bienvenus. Quelle est votre bonté de vivifier ainsi votre petit serviteur ? Je
m'en vais, je m'en vais, je vous rends grâce. » Comme il répétait toujours ces
mots, ses amis qui l'assistaient lui demandèrent à qui il parlait. Il leur
répondit avec étonnement : « Ne voyez-vous pas que les Saints Apôtres sont
venus ici ? " Puis, s'étant de nouveau tourné vers ces saints, il dit : "Me voici, je
viens, me voici, je viens" et, prononçant ces paroles, il rendit l'esprit.
»
« Un soldat fut attaqué de la peste et réduit à l'extrémité. Il sortit
de son corps qui resta mort et sans âme, mais il y rentra bientôt, et il
raconta ce qui lui était arrivé. Il disait donc qu'il y avait un pont sous
lequel passait un fleuve dont l'eau était noire et d'où s'élevait un nuage
obscur d'une puanteur insupportable. Mais après que l'on avait passé le pont,
l'on entrait dans des prairies bien vertes, riantes et ornées d'herbes et de
fleurs d'une odeur fort agréable, où il paraissait de petites compagnies
d'hommes vêtus de blanc. L'air y était rempli d'une senteur si douce que ceux
qui s'y arrêtaient en étaient tout parfumés (...). Il y avait aussi diverses
demeures pour chacun, qui étaient pleines d'une grande lumière, faites d'un
assemblage de lames d'or. » »
Le
Docteur Raymond Moody cite, quant à lui un récit de saint Bède le Vénérable[241], Docteur de l’Eglise. Nous le
rapportons in extenso, en priant le
lecteur de nous pardonner la longueur de la citation :
« En ce temps là, un miracle insigne,
semblable à ceux des jours anciens, eut lieu dans la Grande-Bretagne. Car afin
de réveiller les vivants de la torpeur spirituelle où ils étaient tombés, un
homme qui était mort revint à la vie corporelle et raconta maintes choses
remarquables dont il avait été
témoin, et dont il m’a paru opportun de donner ici une brève mention.
Un chef de famille vivait naguère dans
une ville du pays de Northumbrie appelée Cunningham ; il menait, avec tous ceux
de sa maison, une vie fort dévote. Cependant, il tomba malade et son état
empira rapidement ; aux premières heures de la nuit, il mourut. Mais à l’aube,
il revint à la vie et s’assit soudainement sur sa couche, au grand effroi de
ceux qui l’entouraient en pleurant, et qui s’enfuirent à toutes jambes. Seule
son épouse qui l’aimait tendrement demeura auprès de lui, tremblante et
apeurée. L’homme la rassura et lui dit : « Sois sans crainte ; car j’ai
vraiment échappé à l’étreinte de la mort, et il m’a été
donné de vivre à nouveau parmi les hommes. Mais il me faudra
dorénavant vivre autrement que je ne l’ai fait jusqu’ici, et adopter un mode de
vie très différent. » Peu de temps après, il renonça à toutes ses obligations
mondaines et se retira dans le monastère de Melrose.
Voici comment il avait coutume de
raconter son aventure : « J’avais pour guide un homme avenant vêtu d’une robe
brillante, et nous marchions en silence vers ce qui semblait être la direction
du nord-est. Tout en allant droit devant nous, nous arrivâmes à une large et
profonde vallée dont la longueur paraissait infinie(...) Il me fit bientôt
passer de l’obscurité à une atmosphère de claire lumière, et tandis que
j’avançais dans la lumière brillante, j’aperçus au devant de nous une muraille
colossale qui n’avait de limite ni en hauteur ni en longueur, dans toutes les
directions. Ne lui voyant aucun porche, aucune fenêtre, aucune entrée, je
commençais à me demander pourquoi nous étions venus jusqu’à ce mur ; mais
lorsque nous parvînmes à son pied, tout d’un coup, et je ne sais par quel
moyen, nous nous trouvâmes à son fait. A l’intérieur s’étendait une vaste et
agréable prairie (....) La lumière qui resplendissait en ce lieu surpassait en
brillance la lumière du jour ou les rayons du soleil à midi.
Le guide dit : « Il te faut maintenant
rejoindre le corps que tu as laissé et revivre parmi les hommes ; toutefois, si
tu veux bien peser tes actes avec plus de soin de façon à conserver tes paroles
et ta conduite dans les voies de la vertu et de la simplicité, alors quand tu
mourras, tu obtiendras toi aussi une demeure parmi ces esprits bienheureux que
tu vois. Car lorsque je t’ai quitté durant quelques instants, je l’ai fait pour
découvrir ce que sera ton avenir. »
Comme il disait cela, je ne me sentais
guère enclin à retourner vers mon corps, car j’étais ravi par le charme et la
beauté du lieu, ainsi que par l’agrément de la compagnie que j’entrevoyais.
Mais je n’osais pas questionner mon guide et, sur ces entrefaites, je me
retrouvais soudain vivant à nouveau parmi les hommes. »
Cet homme de Dieu se refusait à
commenter tout cela et les autres choses qu’il avait vues lorsqu’il s’adressait
à des indifférents ou à des personnes aux mœurs relâchées ; il réservait ses
récits à ceux qui vivaient dans la crainte du châtiment ou dans l’espérance des
joies éternelles, ceux qui voulaient bien prendre à cœur sa parole et croître
en sainteté. »
Saint
Bernard raconte dans la Vie de saint Malachie[242] : «
Saint Malachie vit un jour sa sœur qui
avait trépassé depuis quelques temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière
: à cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son
corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été
ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour
elle le sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à
nouveau sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à
la porte de l’Église, sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu
saint, peut être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des
Mystères Sacrés. » De multiples autres témoignages d’apparitions et
de révélations faites aux saints confirment ce genre de récit. Donc certaines
âmes font leur purgatoire sur terre.
Lotario, de la
famille des comtes de Segni, (Gavignano, 1160–Pérouse, 1216), élu pape
le 8 janvier 1198 sous le nom d'Innocent III, est considéré
comme le plus grand pape du Moyen Âge. Intellectuel et homme d'action,
préoccupé de remplir au mieux sa fonction religieuse, il fut un chef à la
décision rapide et autoritaire1. Il cherchera à exalter au mieux la justice et la
puissance du Saint-Siège de façon à renforcer son autorité suprême, gage selon
lui de la cohésion de la chrétienté.
Avant d’être
pape et comme théologien privé, enseigne que
« tout homme, bon ou mauvais, au
moment de quitter cette terre et avant de paraître devant son juge, voit lui
apparaître Notre Seigneur Jésus Christ crucifié. Le méchant voit le Christ
pour sa confusion, afin qu’il rougisse de n’être pas racheté par le sang du
Sauveur. Ses fautes exigent qu’il en soit ainsi. »
In Innocent III, De contemptu mundi sive de
miseria conditione humanae, Libri III CAPUT 43 |
D’Innocent III, Le mépris du monde ou la misère de
la condition humaine, Livre 3 Chapitre 43. |
De adventu Christi ad diem mortis cujuslibet
hominis. |
Au sujet de la venue du Christ au jour de la mort
de chaque homme. |
Videt etiam tam bonus quam malus,
antequam egrediatur anima de corpore, Christum in cruce positum. Malus videt
sibi ad confusionem, ut erubescat se non esse redemptum sanguine Christi, sua
culpa exigente. Unde de malis dicitur in Evangelio: « Viderunt inquem
pupugerunt », quod intelligitur de adventu Christi ad judicium, et
de adventu ejus ad diem mortis cujuslibet hominis. Bonus vero videt ad
exsultationem. Et hoc habemus ex verbis Apostoli, qui ait: « Usque in
adventum Domini nostri Jesu Christi », id est ad diem mortis, quando
apparet tam bonis quam malis Christus in cruce positus; et ipse Christus de
Joanne Evangelista ait: « Si eum volo manere donec veniam » scilicet
veniam ad obitum ejus. Quatuor namque leguntur adventus Christi, duo
visibiles, et duo invisibiles. Primus adventus visibilis fuit in carne,
quando natus est de Virgine; alius adventus visibilis est ad judicium, quando
judicabit bonos et malos, quando statuet oves a dextris, haedos vero a
sinistris. Primus adventus invisibilis fit in mente justi, per gratiam; unde
Christus de viro justo ait: « Ad eum veniemus, et mansionem apud eum
faciemus.» Est ergo anima justi sedes et habitaculum Dei, sicut scriptum
est: «Anima justi sedes Dei », quia sedet Deus in eo per gratiam.
Secundus adventus invisibilis est in obitu uniuscujusque fidelis; unde
Joannes in Apocalypsi, desiderans liberari a carcere corporis, ad Christum
ait: « Veni Domine Jesu » scilicet ad obitum meum; unde dicitur quod
in die obitus sui, obviam venit ei Christus. |
« Tant le bon que le méchant voit le Christ en croix, avant que l’âme
ne sorte du corps. Le méchant le voit à sa confusion, pour rougir de ne
pas avoir été racheté par le sang du Christ, comme sa faute l’exige. C’est
pourquoi il est dit des méchants dans l’évangile : « Ils verront celui
qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), ce qui s'entend de la venue du
Christ au jugement, et de sa venue au
jour de la mort de chaque homme. Le bon, lui, le voit pour son
exultation. Et nous tirons cela des paroles de l’Apôtre qui dit : «
Jusqu'à l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1Tm 6, 14),
c’est-à-dire au jour de la mort, quand le Christ en croix apparaît tant aux
bons qu’aux méchants ; et le Christ lui-même dit à propos de Jean
l’évangéliste : « Si je veux que celui-ci demeure, jusqu’à ce que je
vienne » (Jn 21, 22), c’est-à-dire «
jusqu’à ce que je vienne à sa mort ». De fait, nous lisons qu’il y a quatre
venues du Christ : deux visibles et deux invisibles. La première venue visible fut dans la
chair, quand il est né de la Vierge ; la deuxième venue visible est au
Jugement, quand il jugera les bons et les méchants, quand il mettra les brebis
à sa droite et les boucs à sa gauche. La première venue invisible se fait
dans l’esprit du juste par la grâce ; c’est pourquoi le Christ dit de l’homme
juste : « Nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui »
(Jn 14, 23). Donc l’âme du juste est le siège et la demeure de Dieu, ainsi
qu’il est écrit : « L’âme du juste est le trône de Dieu », parce que
Dieu siège en lui par la grâce. La
deuxième venue invisible est à la mort de chaque fidèle ; c’est pourquoi
Jean, dans l’Apocalypse, désirant être libéré de la prison du corps, dit au
Christ : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20), c’est-à-dire à ma mort
; c’est pourquoi on dit qu’au jour de sa mort, le Christ vint à sa rencontre.
» |
Rappelons que
ceci n’est pas un enseignement pontifical. Mais il manifeste que cette idée a
toujours couru dans l’Eglise chez des fidèles et même des théologiens.
Et surtout cela
m'a poussé à faire le raisonnement suivant :
- on dit
qu'Innocent ne parle pas de choix
- or il parle
d'une rencontre avant la mort
- si c'est avant
la mort nécessairement l'âme est encore libre d'agir
- donc l'âme
peut se repentir
- donc l'idée de
choix est implicite à la thèse d'Innocent.
Ajoutons à cela
les Artes Moriendi, et il semblerait qu’il existe une thèse sur l'heure de la
mort fondée par un Pape au XIIIe siècle et relayée par la culture populaire
jusqu'à nos jours.
Il
est fêté le 24 novembre. Docteur de l'Université de Bologne, il fut reçu dans
l'Ordre des Prêcheurs par saint Dominique lui-même, qui l’avait attiré dans
l’Ordre par une seule prière adressée humblement au Seigneur, et qui l’envoya
en Allemagne. Ayant appris par révélation l’heure de sa mort, il mourut à
Magdebourg, en chantant le psaume Cantate
Domino canticum novum, tandis que
Jésus, Marie et les anges le visitaient au moment suprême.
Tout
quitter pour le suivre
Depuis
quarante ans déjà Claire, selon la comparaison employée par saint Paul (1Co
9,24), menait la course dans le stade de la très grande pauvreté. Elle
approchait du but de sa vocation céleste et de la récompense promise au
vainqueur... La divine Providence se hâtait d'accomplir ce qu'elle avait prévu
pour Claire : le Christ veut introduire dans son palais royal la petite pauvre
au terme de son pèlerinage. Quant à elle, elle aspirait de tout l'élan de son
désir...à contempler, régnant là-haut dans sa gloire, le Christ qu'elle avait
imité sur terre dans sa pauvreté... Toutes ses filles étaient réunies autour du
lit de leur mère... S'adressant alors à elle-même, Claire dit à son âme : «
Pars en toute sécurité, car tu as bon guide pour la route. Pars, car celui qui
t'a créée t'a aussi sanctifiée ; il t'a toujours gardée et aimée d'un tendre
amour, comme une mère aime son enfant. Sois béni, Seigneur, toi qui m'as créée
! »
Une
sœur lui demanda à qui elle s'adressait. Claire répondit : « A mon âme bénie
». Son guide pour la route n'était pas loin. En effet, se tournant vers
l'une de ses filles, elle dit : « Vois-tu
le Roi de gloire que j'aperçois
? »...
Bénie
soit sa sortie de cette vallée de misère, sortie qui fut pour elle l'entrée
dans la vie bienheureuse ! En récompense de ses jeûnes d'ici-bas, elle connaît
maintenant la joie qui règne à la table des saints ; en échange des guenilles
et des cendres, elle est entrée en possession de la béatitude du Royaume des
cieux où elle est revêtue de la robe de gloire éternelle.
Saint
Thomas d’Aquin lui-même nie la possibilité d’une survie du psychisme à la mort
ou « dans la mort » (Voir Somme Théologique : La condition des âmes séparées). Il
n’envisage jamais d’autre possibilité et pose le raisonnement suivant : La vie
sensible étant liée à l’organe corporel, elle ne peut subsister à la
disparition de l’organe. Ainsi, l’âme séparée ne conserve que ce qui est
spirituel, à l’exclusion des sensations, passions, souvenirs sensibles. Elle
est, à l’image des anges, intelligence et volonté spirituelles. Et l’exercice
de cette intelligence se fait selon le mode angélique et non par abstraction à
partir du sensible. Il n’envisage donc pas d’événements dans le passage de la
mort qui est pour lui un évènement instantané, une séparation de l’âme et du
corps et non un passage.
Malgré
la logique de sa doctrine du salut, Saint Thomas se permet parfois, poussé par
une autre logique qui est celle de sa contemplation, des audaces pour le salut
des infidèles. A la suite des Pères, il a compris, à travers le discours de
Pierre à Corneille[245], que Dieu se manifeste à quiconque le
craint et le cherche en pratiquant la justice. D’où l’axiome théologique : « A celui qui fait son possible, Dieu ne
refuse pas la grâce. » [246] Thomas d’Aquin en a déduit la
possibilité d’une révélation immédiate, à l’intime de la conscience, en
concepts humains, de Dieu et de son Christ, accordée à l’homme fidèle à sa
conscience, en vue de lui donner la foi chrétienne et le salut éternel. Même au
sauvage vivant dans une forêt vierge... Il convient de citer le Docteur
angélique :[247]
« A un homme qui,
sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour chercher
le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu révélerait
par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de croire ou lui
enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille.
»
Ce texte
est le plus ancien que j’ai pu retrouver concernant la nécessité d’une
prédication pour les païens justes. Cette doctrine n’est différente de la nôtre
qu’en tant que nous l’avons poussée à l’extrême de son évidence, allant jusqu’à
en faire un des principes de la théologie, et en la rendant nécessaire pour
tout homme, saint, juste. Devant la croix de Jésus, et dans les limites de la
foi catholique telle qu’elle est définie par l’Église, nous ne pouvons faire
autre chose. Nous la poussons même plus loin, allant jusqu’à dire que Dieu ne
refuse pas, même à l’homme le plus perverti, la grâce de la prédication de
l’Évangile. Libre à cet homme de la rejeter. Telle est la justice de l’amour de
Dieu en vue du salut de tous.
On
peut en ajouter un autre texte, tiré du même ouvrage : On n'est jamais fixé
dans le bien ou dans le mal avant le dernier acte de liberté. « cas
où la justification ne se fait pas en un seul instant mais à travers de lentes
préparations. On pourrait ajouter que le poids des conditionnement négatifs est
au moins contrecarré partiellement par la rencontre de la beauté du Christ,
icône de Dieu, qui parle à la sensibilité ! »[248]
Mais,
encore plus troublante est chez ce saint, l’effet d’une expérience
bouleversante qu’il fit vers la fin de sa vie. En 1273, Frère Thomas d’Aquin dictait la troisième et dernière partie de sa Somme Théologique. Il avait dicté à son fidèle disciple, frère
Reginald, un article concernant le sacrement de la Pénitence. S’étant rendu à
l’église Sainte Dominique pour y célébrer la messe, il fut pris d’une extase.
Lorsqu’il revint à lui, plusieurs frères dominicains qui avaient été témoins de
son ravissement voulurent connaître de sa bouche ce qu’il avait vu. Mais Frère
Thomas se tut puis se retira dans sa cellule. Frère Reginald étant venu près de
lui comme à l’habitude pour recevoir la dictée de la suite de son travail, il
fut renvoyé. Le lendemain, il revint mais Frère Thomas d’Aquin ne voulut rien
lui dicter. Il en fut ainsi les jours suivants au point que son ami finit par lui
demander en privé la raison d’un tel comportement. Frère Thomas d’Aquin lui
avoua alors ceci : « J’ai vu des choses
que la langue de l’homme ne peut exprimer. » Et comme Frère Reginald insistait, il continua : « A côté de ce qui m’a été révélé, tout ce
que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien. » A partir de ce jour, Frère Thomas d’Aquin n’écrivit plus rien.
Sa Somme resta inachevée, à l’endroit même où son extase l’avait saisi. On ne
peut manquer de penser à l’expérience de saint Paul lors de sa conversion, à
son trouble devant non seulement la profondeur du mystère entrevu : « Je connais un homme dans le
Christ qui, voici quatorze ans fut ravi jusqu'au paradis et entendit des
paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire », mais aussi devant le caractère
incompréhensible du mode de son expérience : « Etait-ce
en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le
sait »[249]. Si l’on pense à une expérience de
décorporation du type de celle dont témoignent les témoins d’une expérience de
mort approchée (N.D.E.), on comprend le trouble de saint Thomas. Sa théologie
de l’âme séparée est à réformer. Le psychisme et ses facultés sensibles peuvent
s’exercer d’une manière séparée du cerveau…
Par
contre, saint Thomas enseigne explicitement que le retour du Christ se passe à
l’heure de la mort ET à la fin du monde[250] :
2470. Mais que dit [le Seigneur] ? CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE
HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE [dominus]. Il disait cela aux apôtres et on ne
trouve nulle part ailleurs qu’il se soit appelé aussi expressément « Maître », comme ici et en Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur,
et vous parlez justement, car je le suis. Mais quelqu’un pourrait dire que le
Seigneur parlait aux apôtres. Or, les apôtres n’allaient pas vivre jusqu’à la
fin du monde. Comment donc peut-il dire : VEILLEZ, CAR VOUS NE SAVEZ PAS À
QUELLE HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE ? Augustin dit que cela était nécessaire même
pour les apôtres, pour ceux qui nous ont précédés et pour nous, car
le Seigneur vient de deux manières. Il viendra à la fin du monde pour tous
d’une manière générale ; il viendra aussi vers chacun lors de sa propre fin,
c’est-à-dire de sa mort. Jn 14, 18 : Je ne
vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.
2471. Il y
a donc un double avènement : à la fin du monde et à la mort, et il a voulu que
les deux soient incertains. Et ces avènements sont en rapport l’un avec
l’autre, car on se retrouvera au second comme on aura été au premier. Augustin
[dit] : « Celui qui n’était pas prêt
à son dernier jour ne sera pas prêt au dernier jour du monde. » On peut aussi l’interpréter d’un
autre avènement, à savoir, [de l’avènement] invisible, lorsque [le Seigneur]
vient dans l’esprit. Jb 9, 11 : Si tu viens à moi, je ne m’en apercevrai pas.
Ainsi, il vient chez plusieurs, mais ils ne s’en aperçoivent pas. Vous devez
donc veiller avec attention, de sorte que, s’il frappe, vous lui ouvriez. Ap 3,
20 : Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez
lui et je dînerai avec lui.
Dans le livre de sa vie, il est rapporté un dialogue étrange entre
Satan et la vierge, au sujet d’une âme sauvée au dernier moment. Les termes
décrits pour définir le moment où ce salut s’est produit sont « l'heure
de l'agonie de cette âme » ou encore « la mort. »
« Elle
m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. »
Citation, Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI :
« Après la mort de son
fils, Sainte Brigitte fut transportée dans un palais vaste et magnifique. Elle
vit Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour innombrable des
Anges et des Saints. Près de Lui se tenait sa très-sainte Mère, qui écoutait
avec attention le jugement.
Elle aperçut aux pieds du juge, sous la forme d'un enfant
nouveau-né, l'âme du défunt, tremblante, ne pouvant ni voir ni entendre ce qui
se passait, mais en ayant la perception intime. A la droite du Juge et près de
l'âme se tenait un Ange; le démon était à gauche; mais ni l'un l'autre ne
touchaient l'âme.
Le démon se mit alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre d'une femme qui
est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle votre amour a donné tout
pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous, démons de l'enfer. Elle m'a
injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car, en bonne justice,
j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du corps et de l'amener,
avec mes compagnons, devant votre tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme
n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette femme, votre Mère, s'en
est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et vous l'a présentée. »
La Bienheureuse vierge Marie, Mère de Dieu, répondit ainsi : « Ecoute,
Satan, ma réponse. Quand tu sortis des mains du Créateur, tu avais
l'intelligence de la justice qui est en Dieu dès l'éternité et sans
commencement. Tu as eu aussi la liberté d'agir à ton gré, et, bien que tu aies
préféré haïr Dieu que de lui donner ton cœur, tu sais cependant ce que la
justice exige. Or je te dis qu'il m'appartient plus qu'à toi de présenter cette
âme à Dieu, son Juge. Car, durant son séjour sur la terre, elle m'a témoigné
une grande affection; elle se plaisait à se rappeler que Dieu a daigné me
choisir pour sa Mère et qu'il a voulu m'exalter au-dessus de toutes les
créatures. »
La pensée des privilèges dont Dieu a bien voulu m'honorer, lui
inspirait un tel amour qu'elle se disait souvent à elle-même : « Je
suis si heureuse de voir la Très-Sainte vierge Marie plus chère à Dieu que
toutes les créatures, que pour rien au monde je ne donnerais la joie que j'en
ressens. Bien plus, je mets cette joie au-dessus de tous les plaisirs de la
terre, et s'il était possible que Marie perdît un seul instant quelque chose de
sa haute dignité, j'aimerais mieux, s'il m'était donné de l'empêcher, être
éternellement tourmentée dans les abîmes de l'enfer que de le souffrir. Donc,
gloire éternelle et action de grâces infinies à Dieu, pour cette faveur
singulière et cette gloire immense qu'il a donnée à sa Bienheureuse Mère."
»
« Tu vois, Satan, dans quelles
dispositions cet homme est mort. Que
te semble-t-il donc ? N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma
protection devant le tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber entés
mains pour partager tes supplices? »
Et Satan demanda de nouveau: «
Pourquoi, ô Reine, à l'heure de
l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de telle sorte qu'aucun de
nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer? » La Vierge répliqua :
"J'ai fait cela à
cause de l'ardent amour qu'elle me portait." »
Autre récit (Révélations de sainte Brigitte, Liv. V, ch.
XL.) :
Un démon apparut au jugement divin, qui tenait l’âme
d’un défunt toute tremblante.
Voici de la proie, dit-il au Juge, votre ange et moi
avons suivi cette âme depuis sa naissance jusqu’à la fin de ses jours, lui pour
la sauver, moi pour la perdre.
Elle est à la fin tombée dans mes mains, mais votre
justice ne s’est pas prononcée ; c’est pourquoi je ne la possède pas avec
assurance. Je la désire avec autant d’ardeur qu’un animal affamé et si
tourmenté par la faim qu’il mange ses membres. Pourquoi est-elle tombée en mes
mains plutôt qu’en celles de son ange ?
–
Le juge répondit :
« Parce que ses péchés sont en plus grand nombre que
ses bonnes œuvres. »
Le démon dit :
"j’ai un livre tout plein de ses péchés. Le nom
de ce livre est Désobéissance. En ce livre sont sept livres et chacun a trois
colonnes, et chaque colonne n’a pas moins de mille paroles et souvent
plus."
Puis sur l’ordre du Juge, le démon énuméra en détail
les péchés d’orgueil, de cupidité, d’envie, d’avarice, de paresse, de colère et
de volupté commis par le défunt.
Quand il eût fini son accusation, la Mère de
Miséricorde s’approcha, et invitée par son divin Fils à parler, elle dit au
démon :
« Sais-tu toutes les pensées des hommes ? »
- Non, répondit le diable, je ne connais que celles
qui se manifestent par les œuvres extérieures et ce que je puis en conjecturer.
- La Sainte Vierge reprit : « Qu’est ce qui peut
effacer les écrits de ton livre ? »
- une seule chose, qui est la charité ; quiconque
l’obtient, soudain l’écriture de mon livre est effacée.
– « Dis-moi, poursuivit Marie, quelqu’un peut-il
être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence pendant
qu’il vit ? »
- Il n’y à personne, répondit le démon, qui s’il le
veut, ne le puisse avec la grâce ; Quand un pécheur, quel qu’il soit, change sa
mauvaise volonté en une bonne, tous les démons ne sauraient le retenir.
Alors la Mère de Miséricorde dit à ceux qui étaient
autour d’elle :
« Cette âme à la fin de sa vie s’est tournée vers
moi et m’a dit :
Vous êtes Mère de Miséricorde. Je suis indigne de
prier votre Fils, parce que mes péchés sont trop grands et trop nombreux. Je
vous supplie donc d’avoir pitié de moi, car vous ne refusez jamais votre
Miséricorde à qui vous la demande. Je me tourne donc vers vous et je vous
promets, si je vis, de me corriger, de tourner ma volonté vers votre Fils et de
n’aimer que Lui… »
Le diable reprit : Je n’ai rien su d’une telle
volonté.
- Se tournant vers le Juge, la Sainte Vierge lui dit
: O mon Fils, que le démon ouvre maintenant son livre et qu’il voie s’il y a
quelque chose d’effacé. »
Et le démon dut reconnaître que tous les péchés de
cette âme étaient effacés.
Le Juge dit alors au bon ange qui était là présent :
« Où sont donc les bonnes œuvres de cette âme. »
Et le bon ange les énuméra.
Et le diable cria, s’adressant à Marie : Malheur,
malheur, vous m’avez déçu. J’ai perdu, je suis vaincu.
Le Juge dit au démon : « Je te permets maintenant de
voir la vérité et la justice ; dis, que ceux qui sont ici l’entende, quelle est
ma volonté et quel doit être le jugement de cette âme. »
Le démon répondit : qu’elle soit purifiée de telle
sorte qu’il n’y reste aucune tache ; car elle ne peut arriver à Vous avant
qu’elle soit purifiée. Combien de temps sera-t-elle en mes mains ?
Le Juge répondit :
« Je veux que tu n’entres point en elle, mais tu
dois la purifier jusqu’à ce qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de sa
faute. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ; elle doit te voir en ta
méchanceté ; elle doit voir les peines terribles des autres âmes. Elle doit
entendre les malheurs horribles, parce qu’elle à voulu entendre les cris
épouvantables et les moqueries des démons. Elle sera brûlée d’un feu très
ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre
tache qui ne soit effacée par ce feu ; elle souffrira une grande rigueur de
froid, parce qu’elle brûlait de l’ardeur de ses passions et elle était glacée
dans ma charité ; elle sera aux mains du démon, afin qu’il n’y ait pas la
moindre pensée qui ne soit purifiée. Et comme elle aurait voulu vivre en son
corps jusqu’à la fin du monde, elle devra être dans la souffrance jusqu’à la
fin du monde. Celui qui me désire ardemment et aspire à quitter le monde pour
être avec moi mérite d’avoir le ciel sans peine, les épreuves de la vie
présente lui servant de purification ; celui qui craint la mort et pour la mort
elle-même et pour les peines qui la suivent, celui-là mériterait une peine plus
légère ; mais celui qui désire vivre jusqu’au jour du jugement par amour pour
cette vie, mérite d’être retenu dans le purgatoire jusqu’au jour du jugement. »
Alors la Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit :
« Béni soyez-vous, mon Fils, pour votre justice qui
est unie à la miséricorde. Bien que nous voyions et sachions toutes choses en
vous, néanmoins pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède on peut
appliquer pour diminuer un si long temps, et quel remède pour éteindre un feu
si ardent, et délivrer cette âme des mains du démon.?
- Il y a trois choses, répondit le Fils, qui
abrégeront la peine, éteindront le feu et l’arracheront aux mauvais esprits ;
la première, si par quelque peine on expie ses
injustices ;
la deuxième par de très grandes aumônes car, par
l’aumône, les flammes sont éteintes comme le feu par l’eau ;
la troisième par les messes et sacrifices et par les
prières de ses amis. »
La Mère de Miséricorde reprit alors : En quoi lui
profitent maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous ? »
- Le fils répondit : « Il n’y aura pas la moindre
parole dite pour mon honneur, pas la moindre bonne pensée qui n’aie sa
récompense. Tout ce qu’il a fait pour l’amour de moi est maintenant devant lui
et lui sert de soulagement dans ses peines; et moindre sont les rigueurs du
feu. »
La Mère de Dieu intercéda encore, alléguant que
cette âme avait certaines pratiques en son honneur, comme de jeûner la veille
de ses fêtes, de réciter son office, de chanter ses louanges, et elle obtint
que cette âme ne vît point les démons dans toute leur horreur, qu’elle
n’entendît point les paroles qui l’eussent couverte de confusion, qu’elle ne
ressentît point le froid glacial qu’elle avait mérité par sa froideur pour
Dieu.
Puis les saints intercédèrent à leur tour et
obtinrent que les démons n’aient pas le pouvoir de l’aveugler et de l’empêcher
de se consoler par la pensée que ses maux prendraient fin et que la gloire lui
serait donnée.
Cette âme était celle d’un soldat, doux et ami des
pauvres.
Sa femme fit pour lui de grandes aumônes.
Quatre (jours ou mois ?) après cette vision, sainte
Brigitte la vit derechef comme un jeune enfant très beau et à demi vêtu. La
sainte intercéda pour elle et le Juge lui dit :
« des larmes de charité m’ont été présentées pour
elle. Qu’on la porte au séjour du repos que l’œil n’a point vu , que l’oreille
ne peut entendre, qu’elle-même, si elle était en la chair, ne pourrait
comprendre ; là ou il n’y a point de ciel au dessus ni de terre au dessous; là
ou la hauteur est incompréhensible, la longueur indicible, la largeur admirable
et la profondeur inexprimable ; là où Dieu est sur toute chose, autour et
au-dedans de toutes choses, où il régit et contient toutes choses sans être
contenu par aucune. »
Alors sainte Brigitte vit que cette âme montait au
ciel, aussi brillant qu’une étoile. (Liv. V, ch. XL.)
Le Seigneur donna à sainte Brigitte cette consolante
instruction : « Je fais
miséricorde aussi bien aux païens qu’aux Juifs et il n’y a aucune créature en
dehors de ma miséricorde, car quiconque pense que ce qu’il croit est la vérité,
parce qu’il ne lui a jamais été prêché rien de meilleur, et fait de toutes ses
forces ce qu’il peut, sera jugé avec miséricorde. Si rien n’a empêché les
infidèles de rechercher le vrai Dieu, ni la difficulté, ni la crainte de perdre
l’honneur et les biens, mais seulement un empêchement humain, moi qui ait vu
Corneille et le Centurion qui n’étaient pas baptisés être grandement
récompensés, je sais qu’ils seront rémunérés comme leur foi l’exige. »
- Sainte Gertrude, vierge (1256-1302)
« Quand je vois à l'agonie
ceux qui, parfois, ont eu quelque douce pensée ou mémoire de Moi ou qui ont
accompli quelque oeuvre méritoire, Je me montre à eux, au dernier moment, si
bon, si tendre et si aimable qu'ils se repentent du plus profond de leur coeur
de m'avoir offensé et se repentir fait qu'ils sont sauvés. »[251]
Commentaire
du Bienheureux Jan van Ruusbroec sur Mathieu 11, 28-30 : « Venez à moi..., car
je suis doux et humble de coeur »
« Le troisième avènement du Christ
appartient encore à l'avenir. Il aura
lieu, soit au Jugement, soit à l'heure de la mort... Le jugement du Christ
est équitable car il est le Fils de l'homme et la sagesse du Père, à laquelle
appartient tout jugement. Tous les coeurs en effet lui sont transparents et
manifestes, au ciel, sur terre et aux enfers... Le mode que le Christ, notre
époux et juge, emprunte lors de ce jugement, consiste à récompenser et à punir
selon la justice, car il donne à chacun selon ses mérites. A tout homme bon, et
pour chaque oeuvre bonne produite en Dieu, il accorde la récompense sans mesure
qu'il est lui-même et qu'aucune créature ne saurait mériter. En effet,
puisqu'il collabore à chaque oeuvre de la créature, c'est grâce à la puissance
de celui-ci que la créature mérite le Christ lui-même en récompense, et cela en
toute équité... Le premier avènement, en lequel Dieu s'est fait homme, a vécu
en humilité et est mort par amour pour nous, il nous faut le suivre au-dehors
avec les moeurs parfaites des vertus, au-dedans avec la charité et une vraie
humilité. Le deuxième avènement, qui est actuel et en lequel Dieu vient avec la
grâce en tout coeur qui aime, il nous faut le désirer et le demander tous les
jours, afin de demeurer debout et de croître en nouvelles vertus. Le troisième avènement, qui est celui du
Jugement ou de l'heure de notre mort, il nous faut l'attendre et le
désirer, avec confiance et respect, pour être délivrés de l'exil présent et
pénétrer dans la demeure de la gloire. »
- Sainte Catherine de Sienne, Docteur de
l’Eglise (1347-1380), la miséricorde à l’heure de la mort
« Celui qui m'offense en
s'appuyant sur ma Miséricorde ne peut pas dire qu'il espère en ma Miséricorde, il
est plutôt coupable de présomption, cependant il a foi en Ma Miséricorde. Si,
quand vient l'heure de la mort, il reconnait ses fautes et décharge sa
conscience par une sainte confession, la présomption cesse, et il ne m'offense
plus.
La miséricorde lui reste, et ,
avec cette miséricorde, il peut, s'il le veut, se rattacher à l'espérance.
Sans cela, il ne pourrait éviter
le désespoir qui l'entrainerait avec les démons dans l'éternelle
damnation. » [253]
- Sainte Catherine de Sienne, Docteur de
l’Eglise (1347-1380), négation de la miséricorde à l’heure de la mort
« Cette seconde réprimande, ma très chère fille, se
fait entendre au dernier moment, alors qu'il n'y a plus de remède. L'homme est au porte de la mort,
et là il retrouve le ver de la conscience, qu'il ne sentait plus, aveuglé qu'il
était par l'amour-propre; mais, à cet instant de la
mort, quand l'homme
s'aperçoit qu'il va tomber entre mes mains, ce ver commence à se réveiller et à
ronger la conscience de ses reproches à la vue des grands maux où il a été
conduit par sa faute. Si cette
âme avait alors la lumière qu'il faut pour connaître son péché et en concevoir
du repentir, non à cause de la peine de l'enfer qui en est la suite, mais pour
moi qu'elle a offensé et qui suis la souveraine et éternelle Bonté, elle
trouverait encore miséricorde. Mais
elle franchit encore cet instant de la mort, sans une lumière, avec le seul
remord dans sa conscience, sans l'espérance dans le Sang, tout entière à sa
propre souffrance, se lamentant de sa perte, sans un regret de mon offense:
elle tombe ainsi dans l'éternelle damnation. C'est alors que ma justice
intervient (121) pour l'accuser, en toute rigueur, de son injustice et de son
faux jugement, et non seulement en général, des injustices et des faux
jugements dont elle a usé ordinairement dans toutes ses opérations, mais aussi
et surtout de l'injustice particulière qu'elle a commise en ce dernier instant,
et du faux jugement qu'elle a
porté, en estimant que sa misère était plus grande que ma miséricorde. Voilà le
péché irrémissible, qui n'est pardonné ni en ce monde ni dans l'autre. Elle a
repoussé, elle a méprisé ma miséricorde, et
ce péché est plus grave à mes yeux que tous les autres péchés dont elle s'est
rendue coupable. Aussi le désespoir de Juda, fut-il plus offensant pour Moi, et
plus douloureux pour mon Fils que sa trahison elle-même.[254]
Comme
on le voit, le mécanisme de la [con]damnation expliqué par sainte Catherine de
Sienne, ne passe par par une lumière à l’heure de la mort, à la différence
de celui décrit par sainte Faustine dans son Petit Journal 1697 : « au dernier moment, l’âme éclairée par
un puissant rayon de la grâce suprême, »
Comment
expliquer cette contradiction chez les saints ? L'autorité des saints est
faillible. Et c'est justement parce qu'ils soutiennent des opinions souvent
contradictoires sur des sujets ouverts, qu'on peut s'appuyer sur eux comme sur
des opinions respectables mais faillibles. C’est aussi pourquoi Jésus a
instauré le Magistère infaillible qui SEUL tranche le débat à la fin.
Ainsi,
l'illumination finale, rejetée par les certains docteurs (dont saint Thomas
d'Aquin) est accepté par d'autres dont le pape Innocent III.
Marie apparaît au mourant[255].
Saint Jean de Dieu, se trouvant près de mourir, attendait la
visite de Marie : il aimait tant cette bonne Mère ! Ne la voyant
point paraître, il s'attristait et peut-être s'en plaignait-il. Quand le moment
fut venu, la divine Mère se montra devant lui.
Voici le récit tel que le rapporte 1'abbé Saglier : « L'obligeance que mit l'archevêque à
célébrer dans la chambre du malade avait procuré à celui-ci la double et
incomparable joie d'entendre la messe et de recevoir le saint viatique. Or,
après sa communion, comme il était seul et tout entier à son action de grâces,
la Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de l'archange Raphaël et de saint
Jean l'Evangéliste. Il comprit alors qu'elle-même avait inspiré et ménagé
tout ce qui venait de s'accomplir, et il ne savait comment l'en remercier.
Mais elle, lui
essuyant la sueur qui couvrait son front, daigna lui parler en ces termes:
" Ce n'est pas ma coutume d'abandonner à pareille heure ceux qui m'ont
suivi. Et sachez aussi que je ne ferai jamais défaut à vos pauvres".
Panorama de la vie
Sainte Thérèse a vécu
le panorama de la vie, d'une façon très proche de celle des expérienceurs de
NDE. Déclenché sur l'injonction d'une instance transcendante, il s'assortit
d'un bilan de vie :
« Un soir,
tandis que j'étais en oraison, le divin Maître m'adressa quelques paroles qui
me remettaient en mémoire les grandes fautes de ma vie. Elles me remplirent de
confusion et de peine. De fait, ces paroles, lors même qu'elles ne sont pas
dites avec sévérité, provoquent un repentir et une douleur qui anéantissent.
Une seule d'entre elles fait plus avancer une âme dans la connaissance
d'elle-même qu'un temps considérable passé à réfléchir sur sa misère, parce
qu'elles portent avec elles un caractère de vérité auquel il lui est impossible
de se soustraire.
« Quand je commets
des fautes, et elles sont nombreuses, Sa Majesté me les montre dans une telle
lumière que j'en reste broyée. »
Rencontre de
personnes décédées
Les expérienceurs
parlent de tunnel, de gouffre ou de cylindre, dans lequel ils se trouvent
aspirés. C'est dans ce tunnel, ou à la transition vers la Lumière, qu'ils
rencontrent des êtres chers décédés. Thérèse ne se sent pas, si l'on peut dire,
aspirée par le bas, mais par le haut : elle est transportée. C'est alors qu'il
lui arrive d'entrer en contact avec des membres de sa famille.
Un jour, alors
qu'elle ne faisait aucun effort pour se recueillir, elle fut saisie d'un
ravissement d'une force irrésistible : « II me sembla que j'étais transportée dans le
ciel, et les premières personnes que j' y aperçus furent mon père et ma mère. »
La Lumière
Sainte Thérèse nous
parle de la Lumière en utilisant presque les mêmes termes que les expérienceurs
du cinquième stade :
« La
différence est si grande entre la lumière qui frappe nos yeux et celle qui
brille dans ce séjour où tout est lumière qu'il n'y a pas de comparaison à
établir. La clarté du soleil ne semble plus ensuite que laideur. Non,
l'imagination la plus subtile est incapable de se peindre, de se représenter
celle lumière telle qu'elle est [...] Les sens se trouvent alors dans une telle
jouissance et une telle suavité qu'il est impossible d'en donner l'idée. Ainsi,
mieux vaut n'en rien dire de plus. [...]
« Après ces
faveurs, mon âme voudrait rester toujours en celle région supérieure et ne plus
revenir à la vie, tant elle conçoit de mépris pour toutes les choses d'ici-bas.
De fait, elles ne semblent plus que fumier. [...]
« Tout ce que
je vois des yeux du corps me fait alors l'effet d'un rêve et d'une
plaisanterie. Ce que l'âme aperçu de ses yeux intérieurs, voilà ce qu'elle
appelle de ses vœux. »
Lors de séances de
relaxation dynamique, certains sujets voient une sphère lumineuse d'un diamètre
de 50 cm à 1 m, d'autres une colonne de lumière. Les sujets décrivent cette
lumière comme étant très blanche et pénétrante, presque palpable
Saint
Louis Marie Grignon de Montfort, le grand apôtre marial de l’Ouest de la
France, lisait beaucoup les écrits de saint Vincent Ferrier qui l’avait précédé
comme missionnaire sur ces terres. Dans son Traité
de la vraie dévotion à la sainte Vierge, il écrit, à propos de la
conversion des pécheurs :
« C'est
ce que Dieu a révélé à saint Vincent Ferrier, grand apôtre de son siècle, comme
il l'a suffisamment marqué dans un de ses ouvrages.
C'est
ce que le Saint-Esprit semble avoir prédit dans le Psaume 58, dont voici les
paroles : « Et scient quia Dominus dominabitur Jacob et finium terrae ;
convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes, et circuibunt civitatem
» : Le Seigneur règnera dans Jacob et dans toute la terre ; ils se convertiront
sur le soir, et il souffriront la faim comme des chiens, et ils iront autour de
la ville pour trouver de quoi manger. Cette ville que les hommes tournoieront à
la fin du monde pour se convertir, et pour rassasier la faim qu'ils auront de
la justice, est la Très Sainte Vierge qui est appelée par le Saint-Esprit ville
et cité de Dieu. »
«
Ils se convertiront vers le soir. » Cette parole mystérieuse est interprétée
non seulement pour signifier la fin du monde mais les derniers moments de la
vie humaine, l’heure de la mort.
De
nombreux saints ont été ravis par l’Esprit Saint en Paradis et de là sont
arrivés au Saint des Saints, au Trône de Dieu entouré de chérubins et de
Séraphins. Ainsi le saint homme de Dieu Syméon le Stylite vit au paradis de
merveilleux jardins et en leur sein l’âme d’Adam, le premier homme et l’âme du
Bon Larron( Saint Dismas) qui se tourna vers le Christ en Croix et qui fut
ainsi le premier homme à être conduit par Dieu en paradis après
l’accomplissement de l’œuvre de rédemption du Christ. (Vie de St. Syméon le
Stylite, 24 mai)
De
toutes les visions des Saints Pères qui nous soient connues, la vision du
Paradis la plus vivante et la plus détaillée est celle qui apparut à St. André le Fol en Christ, ce dernier
contempla en effet surnaturellement le Paradis invisible pendant deux semaines. Il
confia cette vision à Nicéphore, homme à qui il confiait ses secrets.
Voici ce qu’il lui dit...
« Je vis
que j’étais dans un jardin beau et tout à fait merveilleux... Mon esprit était
exalté et je pensai: qu’est ceci? Je sais que je vis à Constantinople, comment
puis-je être ici? Je ne puis comprendre. J’étais vraiment étonné et je ne
savais si j’étais dans mon corps ou bien hors de mon corps; Dieu seul le sait!
Mais je me voyais vêtu d’un vêtement très léger qui semblait être fait
d’éclairs de lumière tissés, sur ma tête était une couronne faite de grande
fleurs et j’étais ceint d’une ceinture digne d’un roi. Je me réjouissais de
cette beauté, m’en émerveillai intérieurement et je me réjouissais en mon cœur
de la douceur du Paradis de Dieu tandis que je le foulais de mes pieds.
Je vis de nombreux jardins avec de
grands arbres agréables à voir dont les cimes se balançaient; leurs branches
diffusaient un parfum merveilleux. Certains de ces arbres étaient
perpétuellement en fleurs, d’autres étaient couverts de feuilles d’or, d’autres
encore portaient des fruits d’uns beauté et d’une douceur indicibles. Il est
impossible de comparer ces arbres avec ceux qui poussent sur terre car c’était
la main de Dieu et non celle de l’homme qui les avait plantés. Il y avait
des myriades d’oiseaux dans ces jardins. Certains étaient perchés sur les branches
des arbres et chantaient magnifiquement, d’une manière tellement belle que je
ne me souvenais plus qui j’étais tant mon cœur en était touché. Il me semblait
que leur chant atteignait le sommet même du Paradis. Ces magnifiques jardins
poussaient en rangs comme des armées alignées l’une à côté de l’autre.
Tandis que je
marchais là et sentais mon cœur s’exalter,je vis un grand fleuve qui coulait en
leur mitan et les irriguait, Sur l’autre rive, il y avait une vigne. Ses plants
étaient couverts de feuilles d’or et de grandes grappes dorées. Des quatre
points soufflaient des vents paisibles et fragrants et les jardins sous l’effet
de la brise émettaient avec leurs feuilles bruissantes un son délicieux. »
St. André ne fut pas seulement emporté en Paradis,
mais comme l’Apôtre Paul, il fut ravi jusques au troisième ciel. Après son
récit du Paradis, il poursuit...
« Après
cela, je fus effrayé et je sentis que j’étais plus haut que la surface des
Cieux. Un jeune homme dont le visage était brillant comme le soleil marchait
devant moi. Je le suivis. Je vis enfin une belle et grande Croix qui était en
ses couleurs semblable à un arc-en-ciel. Autour d’elle se tenaient des
chanteurs semblables à des flammes qui chantaient une hymne de louange au
Seigneur crucifié. Le jeune homme qui me conduisait, s’approcha de la Croix,
l’embrassa et me fit signe de faire de même. Tandis que je m’exécutais, je fus
rempli d’une douceur spirituelle indicible et je sentis une fragrance plus
forte que celle du Paradis.
Dépassant la Croix,
en regardant vers le bas, je vis un abîme sous mes pieds, car il me semblait
que je marchais sur l’air. Je fuseffrayé et criai vers mon guide, “j’ai peur de
tomber dans l’abîme!” Il se tourna vers moi et dit:” N’aie pas peur, nous
devons aller plus haut,” et il me donna la main. Tandis que je saisissais sa
main, je vis que nous étions au-dessus du deuxième Ciel. Je vis là des hommes
merveilleux et leur grande paix, la joie d’une fête perpétuelle qui est
inexprimable dans la langue des hommes.
Après cela,
nous entrâmes dans une merveilleuse flamme qui ne brûlait pas mais qui nous
illumina. Je fus à nouveau effrayé et à nouveau il se tourna vers moi et me
donna la main en disant: “ Nous devons monter au troisième Ciel et plus haut
encore.” Après cette parole, nous étions déjà au-dessus du troisième Ciel et
j’entendis de nombreuses puissances célestes qui chantaient et louaient Dieu.
Nous
approchâmes d’un rideau qui brillait comme l’éclair. Devant lui se tenaient de
grands jeunes gens qui brillaient comme des flammes de feu. Leurs visages
brillaient plus encore que le soleil et dans leurs mains ils tenaient des armes
flamboyantes. Ils étaient entourés d’une multitude d’hôtes célestes. Le jeune
homme qui me conduisait me dit:” Quand le rideau sera levé, tu verras le
Seigneur Christ, incline-toi devant le trône de Sa gloire.”
Quand
j’entendis ceci. je tremblai de joie. L’horreur mais aussi un bonheur
inexplicable m’envahit. Je me tins là, fixant le rideau. Une main flamboyante
l’écarta et je vis mon Seigneur comme le Prophète Isaïe le vit un jour, assis
sur un trône élevé, entouré de séraphins. Il était vêtu de pourpre, Son visage
brillait d’une lumière indicible. Avec grand amour, il tourna Ses yeux vers
moi.
Quand je Le
vis, je tombai à genoux devant Lui et me prosternai devant le trône radieux et
terrifiant de Sa gloire. Il est impossible de dire quelle grande joie me
remplit quand je vis Son visage. Même à présent, tandis que je me souviens de
cette vision, je suis rempli d’une indescriptible douceur. Je gisais devant le
Seigneur, tremblant et étonné de Sa miséricorde: comment pouvait-Il me
permettre, à moi, l’homme impur et pécheur de venir devant Lui et de contempler
Sa divine beauté?
J’étais empli
d’une grande tendresse mais aussi de la conscience de mon indignité. Tandis que
je contemplais la grandeur de mon Seigneur, je me répétais les paroles du
Prophète Isaïe:” Alors je dis: Malheur à moi! je suis perdu, car je suis un
homme dont les lèvres sont impures, j'habite au milieu d'un peuple dont les lèvres
sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l'Éternel des armées.” ( Isaïe 6:5 )
Puis
j’entendis mon Créateur miséricordieux me dire avec Ses très pures et douces
lèvres trois paroles divines qui remplirent mon cœur d’une telle douceur et
m’enflamma d’une tel amour pour Lui que je me sentis fondre comme de la cire
avec la chaleur de mon esprit; les paroles de David me vinrent à l’esprit: “Mon
coeur est comme de la cire, Il se fond dans mes entrailles. ( Psaume 22:14)
Alors tous les
hôtes célestes entonnèrent une hymne merveilleuse impossible à décrire. Puis
-je ne sais comment- je me retrouvai marchant à nouveau en Paradis. La pensée
me vint que je n’avais pas vu la Souveraine et Très Sainte Mère de Dieu. Alors
je vis un homme léger comme un nuage qui portait une croix. Il me dit: “ Tu
aurais aimé voir la très Sainte Reine des Hôtes célestes? Elle n’est point ici
à présent. Elle est allée dans ce monde troublé afin d’aider les hommes et de
réconforter ceux qui sont dans l’affliction.
J’aimerais te
montrer sa sainte demeure, mais le temps est compté...
Tu dois
retourner à l’endroit d’où tu es venu. Ainsi l’ordonne le Seigneur. A ces
paroles, je me retrouvai dans le même lieu où j’étais avant ma vision. »
Parmi les œuvres de ce saint français très marial, on compte cet
ouvrage peu connu : « Le secret admirable du très saint Rosaire. » Saint Grignon de Montfort a divisé
son livre sur le rosaire en 50 roses, soit 50 chapitres.
Il existe aussi quatre dédicaces qui sont titrées :
- La rose blanche aux prêtres
- La rose rouge aux pécheurs
- Le rosier mystique aux âmes dévotes
- Le bouton de rose aux petits enfants
A la
vingtième Rose, il commente la fin du texte de l’Ave Maria :
« Sainte
Marie, mère de Dieu,
priez
pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant
et à l'heure de notre mort.
« Et
à l'heure de notre mort », si terrible et si périlleux, où nos forces sont
épuisées, où nos esprits et nos corps sont abattus par la douleur et la crainte
; à l'heure de notre mort que Satan redouble ses efforts afin de nous perdre
pour jamais ; à cette heure que ce sera la décision de notre sort pour toute
l'éternité bienheureuse ou malheureuse. Venez au secours de vos pauvres
enfants, ô Mère pitoyable, ô l'avocate et le refuge des pécheurs, chassez loin
de nous, à l'heure de la mort, les démons nos accusateurs et vos ennemis, dont
l'aspect effroyable nous épouvante. Venez nous éclairer dans les ténèbres de la
mort. Conduisez-nous, accompagnez-nous au tribunal de notre juge, votre Fils ;
intercédez pour nous, afin qu'il nous pardonne et nous reçoive au nombre de vos
élus dans le séjour de la gloire éternelle. "Amen. » Ainsi soit-il. » (Le secret admirable du très saint
Rosaire, Vingtième Rose)
Ce
texte suggère qu’il est vrai que la foi a toujours enseigné que le Christ ne
vient pas seul mais accompagné des saints et des anges représentées sous
l’image des nuées du ciel.
Au
cours du XXème siècle, on a vu se multiplier chez les saints et les
mystiques l’intuition de la nécessité d’un «
événement spécial »à l’heure de
la mort. Il s’agit d’une intuition qui se répand sans autre cause apparente, si
ce n’est une pression divine du sens de la foi. Nos sources pour cette
recherche sont diverses et glanées ici et là au cours de nos lectures.
Certainement, nous ne sommes pas exhaustifs. Force nous est cependant de
remarquer que la venue du Christ à l’heure de la mort est très peu si ce n’est
jamais explicitement enseignée. Les saints restent flous, n’osent affirmer,
sans doute hésitant devant le manque de fondement traditionnel de cette
doctrine. Si on trouve peu cette doctrine, on trouve par contre de nombreux
témoignages, en particulier chez les Pères, d’expériences d’apparition du
Christ auprès des mourants.
Un
saint comme le curé d’Ars, confronté au Saint Sacrement, découvre cette
vérité à travers une lente maturation qui le fait passer d’un christianisme
rigide à un christianisme centré sur l’amour de Dieu. Vers la fin de sa vie, il
console une mère éplorée devant le suicide de sa fille. Loin de la croire
nécessairement en enfer, comme semblait l’affirmer la traditionnelle théologie
du péché mortel à l’heure de la mort, il affirme : « Entre le pont et l’eau, elle s’est convertie. » « Entre le pont et l’eau »
: ne s’agit-il pas là d’une manière figurée, de la limite ultime de la vie
terrestre, la dernière heure où le Maître en personne appelle ses ouvriers à la
vigne ? Dans le même ordre d’idées, on pourrait citer le témoignage suivant :
“L'un des cas qui m'a le plus frappé... est celui de cette jeune femme de 27
ans qui s'est suicidée. Elle se souvient de ses hurlements lorsqu'elle se
retrouva dans le tunnel et de sa dernière pensée qui fut “ Mon Dieu,
faites-moi savoir si Vous me pardonnez, avant de mourir ”. Elle ne sait
pas – et sa requête le prouve – qu'on ne meurt pas. A peine sa phrase achevée,
Joan explique au De Serdahely que deux mains immenses sont sorties de cette
Lumière et une voix d'amour, de compassion et de joie aussi retentit, lui
disant en substance : “Je te pardonne, Je te pardonne. Je te donne une seconde
chance” ».[257]
Oui,
M.F., un chrétien se dira pendant l'éternité : « Qui est-ce donc qui m'a jeté en enfer ? Est-ce Dieu ? Ah !
non, non. Ce n'est pas Jésus-Christ ; au contraire, il voulait absolument
me sauver. Est-ce le démon ? Oh non, non, je pouvais bien ne pas lui
obéir, comme tant d'autres ont fait. Sont-ce donc mes penchants ? Ah !
non, non, ce ne sont pas mes penchants ; Jésus-Christ m'avait donné
l'empire sur eux, je pouvais les dompter avec la grâce de Dieu qui ne
m'aurait jamais
manqué. D'où peut donc venir ma perte et
mon malheur ? Hélas ! tout cela ne vient que de moi-même, et non de Dieu,
ni du démon, ni de mes penchants. Oui, c'est moi-même qui me suis attiré tous ces malheurs ; oui,
c'est moi qui me suis perdu et réprouvé de ma propre volonté ; si j'avais
voulu, je me serais sauvé. Mais je me suis damné ! »
Avant
d'entrer au Carmel, sa famille voulut la marier de force à un oncle en Egypte.
Elle s'enfuit et une famille de musulmans l'accueillit. Après avoir raconté son
histoire, le père de famille lui proposa de se convertir à l'islam mais elle
refusa. Pris de colère, il se mit à la battre, prit son cimeterre et lui
trancha la gorge. Son corps baignant dans un bain de sang, le fanatique, aidé
de sa mère et de sa femme, l'enveloppa dans un grand voile, et le corps fut
déposé dans une ruelle obscure.
Plus
tard, sa maîtresse des novices à Marseille lui demanda si elle avait subi le
jugement particulier. Elle répondra:
"Oh
non ! mais je me suis retrouvé au Ciel. J'ai vu la Sainte Vierge, les anges,
les saints m'accueilir dans une grande bonté, et je voyais aussi mes parents en
leur compagnie. Je voyais le trône éclatant de la Très Sainte Trinité, Jésus-Christ
notre Seigneur en son humanité. Point de soleil, point de lampe; mais tout
était brillant de clarté. Alors quelqu'un me dit : "Vous êtes vierge c'est
vrai, mais votre livre n'est pas achevé".
Ensuite,
Mariam s'est retrouvée dans une grotte, et une religieuse aux vêtements d'azur
s'occupa d'elle pendant au moins un mois. Elle lui dit l'avoir recueillie dans
la ruelle et lui avoir recousu le cou. Elle lui faisait à manger des soupes
délicieuses.
Elle
sut plus tard qu'il s'agissait de la Vierge Marie.
« Ce
n'est pas Moi qui choisit l'enfer pour vous, vous faites ce choix vous-même.
Pas une âme ne se perd sans que je lui aie parlé mille fois au coeur. » [258]
Les
témoignages nombreux que nous connaissons sur les derniers moments des saints
(canonisés ou non) vont plutôt dans le sens de cette apparition du Christ à
l’heure de la mort : extases finales d’enfants, illumination du visage du mourant,
sourire d’accueil devant une présence invisible. On ne compte plus les
témoignages de ce genre. L’un des plus significatifs concerne l’extase finale
de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus telle qu’elle fut observée par quelques-uns
unes de ses sœurs. Elles voulaient d’ailleurs assister à sa mort dans l’espoir
bien naturel chez des religieuses de voir un éclat du Ciel.
Le
Père Jean-Michel Maldamé rapportait lors d’une session de théologie à Toulouse
(25 janvier 1995) une histoire vécue et racontée par un ancien déporté russe du
camp de Dora : il assistait tous les jours au décès de dizaines de prisonniers
épuisés par les mauvais traitements et la sous-alimentation. Or le visage d’un
parmi ces hommes s’est illuminé juste avant sa mort. Certains affirmaient qu’il
avait vu le Christ.
Cette
conviction est d’ailleurs ancrée chez beaucoup parmi les revenants des camps.
Un polonais qui m’entendait présenter l’hypothèse ici soutenue ne cessait
d’acquiescer de la tête. Il me posa à la fin la question suivante : « Connaissez-vous le lieu où la Vierge est
apparue au plus grand nombre de personnes ? »Devant mon ignorance, il
continua : « C’est la chambre à gaz du
camp d’extermination d’Auschwitz... »
Le
Père Maldamé me conseillait de chercher parmi les écrits mystiques orthodoxes
quelques traces allant dans le sens de la parousie du Christ à l’heure de la
mort, convaincu que les visions répétées des déportés russes avaient laissé une
trace en théologie. Je n’ai pour le moment rien trouvé si ce n’est une
multitude sans cesse grandissante de témoignages. Il est d’ailleurs étonnant
qu’aucune thèse ne soit encore parue sur ce thème. On ne peut plus reprocher un
manque de bases empiriques.
Sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus aborde aussi, dans ses « derniers entretiens » (18
août 1897, carnet de mère Agnès), la nécessité d’être confronté au démon. Elle
n'en éprouvait aucune crainte : « 5
Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la
mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les
tout petits, il ne peut pas... »
- Bénigna Consolata, Religieuse visitandine
(1885-1916) : Une illumination finale à l’heure de la mort
Ordre
de la Visitation Sainte Marie de Côme.
Il
ne faut jamais désespérer du salut d’un pécheur :
La Mère
Scazziga, qui fut la supérieure de Bénigna Consolata a témoigné au procès de
béatification que la servante de Dieu avait appris du Seigneur qu’il exerçait
sa miséricorde même dans les cas les plus désespérés : « Si une personne enfoncée dans le péché trouvait
la mort sous un train ou sous une automobile, que nul ne dise : elle est perdue
; car personne ne peut savoir ce qui se
passe en ce moment entre l’âme et Dieu. Je peux donner un tel jet de lumière,
capable de susciter une lumière si intense que l’âme passe du fond de
l’iniquité à l’étreinte de ma miséricorde. »
Jésus
à Bénigne :
"La porte de ma miséricorde n’est
pas fermée à clef ; elle est seulement entrebâillée. Pour peu qu’on la
touche, elle s’ouvre. Même un petit enfant peut l’ouvrir, même un vieillard qui
a perdu ses forces.
« Celui
là seul se perd qui le veut et qui le veut obstinément, en dépit des efforts
répétés, des efforts amoureux de Ma Grâce pour le conduire au bien. » [259]
Chez
les saints modernes ou contemporains, l’intuition devient parfois enseignement
explicite. Leur autorité est malheureusement difficile à utiliser en théologie
car ils parlent le plus souvent par mode de visions ou de révélations privées.
Pourtant, sainte Faustine, canonisée par le Pape Jean-Paul II en 2000, a vu
explicitement les évènements situés à l’heure de la mort.
« Peins une image
pareille à ce modèle »
La
Congrégation de Notre Dame de la Miséricorde à Varsovie (Pologne) accueille en
1926, Hélène Kowalska, jeune novice. Elle y recevra l'habit, sous le nom de
sœur Faustine. Le 22 février 1931, au couvent de Plock, Jésus lui apparaît.
Elle raconte:
"Le
soir, dans ma cellule, j'ai vu le Seigneur Jésus. (…) Mon âme était remplie de
crainte, mais aussi d'une grande joie. Au bout d'un moment, le Seigneur Jésus
me dit: Peins une image pareille à ce modèle et signe: 'Jésus, j'ai confiance
en toi'. Je désire que cette image soit vénérée tout d'abord dans votre
chapelle, puis dans le monde entier. Je promets à ceux qui la vénéreront qu'ils
ne périront pas. Je leur promets dès ce monde la victoire sur l'ennemi, mais surtout à l'heure de la mort. Je les
défendrai Moi-même, comme ma gloire."
Cette
image - peinte à Vilnius, en Lituanie, en 1934, par le peintre polonais Eugène
Kazimirowski, selon les indications de sœur Faustine - fut exposée pour la
première fois au sanctuaire lituanien Notre Dame d'Ostra Brama (Ostra Brama
veut dire Mère de Miséricorde). C'est donc à Vilnius que fut célébrée la
première fête de la miséricorde en 1935.
Elle
constate qu’il s’agit bien d’un « moment
qui dure », d’une lutte et d’un choix
pour l’âme[260] :
« Petit journal 1697. J’accompagne
souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la miséricorde
divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui est toujours
victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d’une fois le pécheur au dernier moment, d’une manière étrange et
mystérieuse. A l’extérieur, nous croyons que tout est fini, mais il n’en
est pas ainsi. L’âme éclairée par un puissant rayon de la grâce suprême, se
tourne vers Dieu avec une telle puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit
de Dieu le pardon de ses fautes et de leurs punitions. Elle ne nous donne à
l’extérieur aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne réagit plus
aux choses extérieures. Oh ! Que la miséricorde divine est insondable !
Mais horreur! Il y a aussi des âmes, qui
volontairement et consciemment, rejettent cette grâce et la dédaignent. C’est
déjà le moment même de l’agonie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, donne à
l’âme dans son for intérieur ce moment de clarté. Et si l’âme le veut, elle a
la possibilité de revenir à Dieu.
Mais parfois, il y a des âmes d’une
telle dureté de cœur qu’elles choisissent consciemment l’enfer. Elles font
échouer non seulement toutes les prières que d’autres âmes dirigent vers Dieu à
leur intention, mais même aussi les efforts divins.
»
Ce
texte de sainte Faustine sur l’heure de la mort nous est précieux. Il est sans
doute le plus explicite de tous ceux que nous avons trouvés. Il se situe bien à
l’heure de la mort, sur le lit d’agonie, et non après la mort comme l’entendent
bien des théologiens de l’option finale, sortant en cela du domaine de la foi
catholique. Il reste cependant imprécis sur la nature de la grâce du dernier
moment, appelée « clarté », « puissant rayon de la Grâce suprême. » Sœur Faustine ne sait pas en définir
la nature qui reste à ses yeux « étrange
et mystérieuse » quoique « puissante. » S’agit-il d’une simple Révélation
spirituelle, dans l’intelligence ou comme nous espérons l’avoir démontré, d’une
Apparition glorieuse, donc sensible et spirituelle à la fois, du Christ
accompagné des saints et des anges ?
Il
faut remarquer que Faustine Kowalska fut mise à l'index par le
Saint Office en 1959 à cause de ses œuvres suspectes d’hérésie. Après une
tentative avortée de convaincre le pape Pie XII de signer une condamnation, le
cardinal Alfredo Ottaviani du Saint-Office a inclus ses livres sur une liste
qu'il a présenté au pape Jean XXIII. Le pape a signé le décret qui a placé ses œuvres
dans l'index des livres interdits et ils y sont restés plus de 20 ans. Le Père Polonais
Sopoćko a été durement réprimandé, et tout son travail de publication de
Faustine a été supprimé. Toutefois, Mgr Eugeniusz Baziak, l'archevêque de
Cracovie, a permis aux religieuses de maintenir l'image du Christ
miséricordieux dans leur chapelle pour que ceux qui voulaient continuer à prier
avant de pouvoir le faire.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Index_Librorum_Prohibitorum
Le
motif de cette mise à l'index n'a pas été clairement précisé par le saint
Office mais tout indique que c'est dans la ligne de celle du Père espagnol Luis
G. Alonso Getino sur l'illumination finale dans la mort : « Le 5 mars 1936, le
Saint-Office inscrivait dans l'Index des livres prohibés le livre de Luis G.
Alonso Getino, Del gran numero de
los que se salvan y de la mitigación de las penas eternas (Madrid,
f.e.d.a., 1934). Le 6 mars 1936, l'Osservatore Romano commentait ainsi
cette mise à l'Index :
« Cette condamnation mérite qu'on y
attache une importance particulière et qu'on la signale tout de suite à
l'attention des fidèles pour le tort très grave que pourrait leur causer la
lecture du livre en question (…)
Dans ladite publication, on défend en
outre, ex professo une étrange théorie concernant une prétendue illumination
spéciale que les âmes humaines recevraient de Dieu au moment de leur séparation
du corps, et grâce à laquelle elles se convertiraient intimement et
parfaitement au Créateur et seraient ainsi justifiées et sauvées. Il
n'est pas nécessaire, certes, de beaucoup de paroles pour faire comprendre
combien grave est le danger caché sous ces théories qui, non seulement
n'ont aucun fondement dans la Révélation, mais sont même en contradiction avec
elle et avec le sentiment commun de l'Église. »
Canonisée
par Jean-Paul II le 30 avril 2000, sainte Faustine Kowalska
est avec Marthe Robin, une de celle qui VOIT DE SES YEUX, la mort
comme un passage. Il y a parfois d’intéressants de retournements de l'histoire.
Sainte
Faustine est donc réhabilitée et, dès 1985, dans l’édition en Français de son
« petit journal », il est écrit[261] : « En présentant ici l'édition du Petit Journal de Sœur Faustine
Kowalska, j’ai pleine conscience de présenter un document de la Mystique
catholique d'une valeur exceptionnelle, et cela, non seulement pour l'Église de
Pologne, mais aussi pour l'Église universelle.
Il s'agit de l'édition critique et
authentique (digne de foi) faite par la Postulation de la cause de Sœur
Faustine, sous la compétence territoriale de l'Archevêché de Cracovie.
Le Petit Journal dont le contenu
concerne la dévotion à la Miséricorde Divine est devenu ces derniers temps
extrêmement actuel pour deux raisons.
Premièrement, parce que la Congrégation
de la Doctrine de la Foi a annulé, il y a deux ans (1983), les griefs
et les réticences soulevés jadis par la Congrégation du Saint-Office contre les
écrits de Sœur Faustine ; cette annulation de la Notification a eu
pour résultat le renouveau de la Dévotion à la Miséricorde Divine sur tous les
continents, dévotion présentée dans le Journal mentionné, ce que confirment
sans cesse les témoignages qui parviennent à la Postulation et à la
Congrégation à laquelle appartenait Sœur Faustine. [...]
Rome, le 20 décembre
1980 Andrzej Maria Deskur
Archevêque »
Dans
ses apparitions, Jésus insiste souvent sur cette lutte, cette gloire, et cette
défense venant de sa miséricorde à l’heure de la mort :
Petit journal 47. (Extrait n° 47
du Petit journal de Ste Faustine) : « Un soir, dans ma cellule, je vis Jésus vêtu
d’une tunique blanche, une main levée pour bénir, la seconde touchait son
vêtement sur la poitrine. De la tunique entr’ouverte sortaient deux grands
rayons, l’un rouge, l’autre pâle. Je fixais le Seigneur en silence, l’âme
saisie de crainte, mais aussi d’une grande joie. Après un moment, Jésus me dit
; "Peins un tableau de ce que tu vois, avec l’inscription : « Jésus, j’ai confiance en Vous ! » Je
désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis dans le
monde entier". »
Petit journal 48. "Je
promets que l’âme qui honorera cette image, ne sera pas perdue. Je lui promets
aussi la victoire sur ses ennemis dès ici-bas, et spécialement à l’heure de la
mort. Moi-même je la défendrai comme Ma propre gloire. »
Petit journal 1540. "Toutes
les âmes qui vénéreront ma miséricorde et propageront sa gloire en incitant les
autres âmes à la confiance en ma miséricorde - ces âmes ne connaîtront pas
l'effroi à l'heure de la mort. Ma miséricorde les abritera lors de cette
dernière lutte "...
Petit journal 1541. "Dis-leur
qu'aucune âme faisant appel à ma miséricorde n'a été déçue ni n'a éprouvé la
honte... Ecris : Si l'on récite ce chapelet auprès d'un agonisant, je me
tiendrai entre le Père et l'âme agonisante, non pas en tant que Juge juste,
mais comme Sauveur miséricordieux. "
Autre
texte de sainte Faustine concernant la possibilité d’un choix à l’heure de la
mort[262]. Ce texte de sainte Faustine qui
confirme que l'heure de la mort et l'agonie se prolongent bien après l'arrêt du
cœur (de trois heures à cinq heures, soit deux heures dans ce cas) :
Petit journal : « Malgré
le bruit qu’elles faisaient, j’entendis en mon âme ces mots : " Prie
pour moi ! " Mais je ne pouvais pas bien comprendre ces mots. Je me suis
éloignée de quelques pas de mes élèves, en me demandant qui pouvait bien me
demander des prières. Soudain j’entendis ces mots : « Je suis Sœur... »
Cette Sœur était à Varsovie, et moi à Wilno maintenant. "Prie pour moi jusqu’à ce que je te dise de cesser. Je suis en
agonie !" Sur le champ, je recommençai à prier ardemment pour elle et
sans relâche, je priai ainsi de trois heures à cinq heures. A cinq heures
j’entendis le mot : « Merci " - J’ai compris qu’elle avait expiré.
Cependant le lendemain à la Sainte Messe j’ai prié pour son âme avec ferveur. Dans l’après-midi est arrivée une carte
postale annonçant que Sœur... était morte à telle heure. C’était
l’heure où elle me disait " Prie pour moi. "
En d'autres termes, cette religieuse mit deux
heures à faire son choix, et la prière de sainte Faustine n'y fut pas pour rien.
Mais s'il y a liberté, quel est, exactement, le mode d'action, si je puis dire,
de la prière ? En effet, est-ce le fait, pour l'âme, de "voir" que
l'on prie pour elle qui fait son "efficacité".
Est-ce par un autre mode que passe cette grâce surajoutée de notre prière ?
Autre texte du Journal de sainte Faustine.
Elle ne cesse de parler de « l’heure de la mort » et de cette
présence du Christ :
« Petit
journal 810. En rentrant dans ma solitude, j’entendis
ces mots : « Je défends chaque âme à l’heure de la mort comme Ma propre gloire. Que
l’on récite ce chapelet soi-même, ou bien que d’autres le récitent pour
l’agonisant, l’indulgence est la même. Quand on le récite auprès de
l’agonisant, la colère divine s’apaise, la miséricorde insondable s’empare de
son âme et les profondeurs de Ma miséricorde sont émues par la douloureuse
Passion de Mon Fils. »
Oh ! Si l’on pouvait comprendre combien est
grande la miséricorde du Seigneur et que nous en avons tous besoin, surtout à
cette heure décisive ! »
« Petit
journal 1074. Je protègerai leur vie durant, comme une tendre mère son
nourrisson, les âmes qui propageront la vénération de Ma miséricorde. A
l’heure de la mort Je ne serai pas pour elles un Juge, mais le Sauveur
Miséricordieux. »
« Petit
journal 1539. 28 janvier 1938 - Le Seigneur m’a dit aujourd’hui : « Ecris ces
paroles ma fille : toutes les âmes qui vénéreront ma miséricorde et propageront
sa gloire en incitant les autres âmes à la confiance en ma miséricorde – ces
âmes ne connaîtront pas l’effroi à l’heure de la mort ! Ma miséricorde
les abritera lors de cette dernière lutte… »
« Petit
journal 1542. Ce soir, le Seigneur m’a dit : « Remets-toi entièrement à moi à
l’heure de la mort, et je te présenterai à mon Père comme ma bien-aimée.
Maintenant je te recommande de joindre de façon particulière tes actes, mêmes
les plus minimes, à mes mérites, et alors mon Père les regardera avec amour
comme il regarderait les miens. »
L’importance de ces dizaines de textes est dans ce
passage qui résume la vocation de sainte Faustine :
« Petit
journal 428. V. 1935. Lorsque j’ai compris les grands desseins de
Dieu sur moi, je fus effrayée de leur grandeur. Et me sentant tout à fait
incapable de les accomplir, j’ai commencé à éviter intérieurement les
conversations avec Dieu et je remplaçais ce temps par des prières vocales. Je
le faisais par humilité, mais je m’aperçus bientôt, que ce n’était pas la
véritable humilité, mais une grande tentation du démon.
Quand, un jour au lieu de
l’oraison, je pris un livre de lecture spirituelle, j’ai entendu distinctement
et fortement ces paroles : « Tu prépareras le monde à Ma venue dernière. »
Ces paroles m’ont
profondément impressionnée et quoique faisant semblant de ne pas les avoir
entendues, je les comprenais bien et je n’avais aucun doute. »
Il s’agit d’un passage de plus dans le
cinquième cahier au paragraphe 1452 qui étaye ses propos sur la miséricorde
divine lors de notre passage après la mort :
« Petit
journal 1452. Lorsque sonna minuit, mon âme se plongea
en un profond recueillement et j'entendis une vois en mon âme :"Ne crains
rien, ma petite enfant, tu n'es pas seule, lutte bravement car mon épaule te
soutient, lutte pour le salut des âmes, les incitant à faire confiance à ma
miséricorde, car c'est ton devoir en cette vie et dans la vie future. Après
ces paroles, j'eux une plus profonde compréhension de la miséricorde divine.
Seule l'âme qui le voudra elle même sera damnée, car Dieu ne condamne
personne."
Lors de son apparition à Fatima
(au Portugal) le 13 juillet 1917, la Sainte Vierge avait annoncé : «Pour
empêcher la guerre je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur
Immaculé et la Communion réparatrice des Premiers Samedis ».
Le 10 décembre 1925, Marie
apparaît avec l'Enfant-Jésus à Sœur Lucie, au couvent de Pontevedra (Espagne)
et dit : « Regarde mon cœur entouré
d'épines que les hommes lui enfoncent par blasphèmes et ingratitudes. Toi,
cherche à me consoler et dis que je promets d'assister à l'heure de la mort,
avec toutes grâces nécessaires au salut, ceux qui, le Premier Samedi cinq
mois de suite, se confesseront, recevront la Communion, réciteront le chapelet
et me tiendront compagnie quinze minutes en méditant les 15 mystères du Rosaire
avec l'intention de me faire réparation. »
A la même époque que sainte Faustine, le Saint Padre Pio voit dans la
mort un passage immédiat vers le jugement immédiat, sans qu’aucune conversion
ne soit possible :
« Les gens du monde qui ne sont plongés
que dans leurs problèmes matériels vivent dans l'obscurité et dans l'erreur.
Ils
ne se soucient pas des réalités spirituelles, ne pensent guère à leur salut
éternel et n'ont aucune hâte de connaître ce Messie dont la venue est attendue
par toutes les nations.
Quand notre dernière heure aura sonné,
quand les battements de notre cœur se seront tus, tout sera fini pour nous, le
temps de mériter et le temps de démériter. Nous
nous présenterons au Christ-Juge tels que la mort nous trouvera.
Nos
cris de supplication, nos larmes, nos remords, qui sur la terre encore, auraient
touché le cœur de Dieu et auraient pu, grâce aux sacrements, nous faire passer
de l'état de pécheurs à celui de saints, n'auront alors plus aucune valeur.
Le
temps de la miséricorde sera terminé, celui de la justice commencera.
Le
Seigneur révèle et appelle ; mais bien souvent nous ne voulons ni voir ni
répondre, car nous préférons nos vues personnelles. Ne te décourage pas s'il
t'arrive de beaucoup travailler et de récolter si peu. Si tu savais combien une seule âme coûte
à Jésus, tu ne te plaindrais jamais ! »
Padre Pio, sermon du 29 décembre 1960.
Cette opposition entre les saints de Dieu, entre sainte Faustine et saint
Padre Pio, est fréquente. En Orthodoxie, les docteurs, y compris canonisés, ont
des opinions si souvent diverses que, sans magistère pontifical pour trancher,
cette Eglise n’a pu définir de manière définitive aucune vérité définitive
depuis le schisme. Il faudra
donc qu'un jour Pierre tranche entre deux voies de compréhension, soutenues par
deux saints de son Eglise.
Mais je dirais que la chose est entendue depuis que
le Concile Vatican II s’est exprimé dans Gaudium et Spes 22, 5.
Cette citation de Padre
Pio : |
« Nos cris de supplication, nos larmes, nos
remords, qui sur la terre encore, auraient touchés le cœur de Dieu, n’auront
alors plus aucune valeur » |
est à interpréter. Non seulement il est nécessaire
que Dieu propose explicitement son salut à ceux qui ne le connaissent pas, mais
il est certain Dieu pardonne tout dès qu'il y a repentir lié à l'amour. Et s'il
ne pardonne pas, c'est que les cris ne viennent pas du repentir de l'amour mais
de la haine revendicatrice, autrement dit d'un blasphème contre l'Esprit. Jésus
le dit explicitement lui-même :
Citation: |
Matthieu 12, 31 Aussi je vous le dis, tout péché
et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera
pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme, cela
lui sera remis ; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, cela ne lui
sera remis ni en ce monde ni dans l'autre. |
https://sites.google.com/site/petitmondedeceline/amour-et-bonheur
« Je ne crois que pas qu'un grand nombre d'âmes
vont en enfer. Dieu nous aime tellement qu'il nous a formés à son
image, Dieu nous aime au-delà de la compréhension.
Et c'est ma conviction que lorsque nous sommes
passés de la conscience de l'autre monde, lorsque nous semblons être morts, Dieu, avant qu'il ne nous juge,
nous donnera l'occasion de voir et de comprendre ce que le péché est vraiment. Et
si nous le comprenons bien, comment ne pas se repentir? »
Maria Pompilio, quand son frère mourut, demanda
à Padre Pio, d'intercéder pour qu'il puisse entrer dans ses rêves. Son frère
est venu dans un rêve et lui a dit : « Padre Pio m'a aidé dans mon agonie. Il est
resté jusqu'à ce que le juge me juge et celui-ci m'a donné onze ans de purgatoire, mais sur l'intercession
de Padre Pio ,la douleur a été réduite à un an. »
DOCUMENT FAISANT PARTIE DES MINUTES
DU PROCÈS EN CANONISATION
DE PADRE PIO
Cher
Père,
Vous
m’avez demandé un résumé écrit au sujet de l’évidente protection dont j’ai été
l’objet en Août 1958, pendant la guerre d’Algérie.
J’étais,
à ce moment-là, au service de santé des armées. J’avais remarqué qu’à chaque
moment important de ma vie, Padre Pio qui m’avait pris en 1955 comme fils
spirituel, me faisait parvenir une carte m’assurant de sa prière et de son
soutien. Tel fut le cas avant mon examen de l’Université Grégorienne de Rome,
tel fut le cas au moment de mon départ à l’Armée, tel fut le cas au moment où
je dus rejoindre les combattants d’Algérie.
Un
soir, un commando F.L.N. (Front de Libération Nationale Algérienne) attaqua
notre village et je fus bientôt maîtrisé et mis devant une porte avec cinq
autres militaires et là, nous fûmes fusillés. Je me souviens que je n’ai pensé
ni à mon père, ni à ma mère dont j’étais pourtant le fils unique mais j’éprouvais
seulement une grande joie car « j’allais voir ce qu’il y a de l’autre
côté ». J’avais reçu, le matin même, une carte de la part de Padre Pio
avec deux lignes manuscrites : « La vie est
une lutte mais elle conduit à la lumière » (souligné deux
et trois fois).
Immédiatement, je fis l’expérience de la
dé-corporation. Je vis mon corps à côté de moi-même, couché et sanglant au
milieu de mes camarades tués, eux aussi. Et je commençai une ascension curieuse
dans une sorte de tunnel. De la nuée qui m’entourait, émergeait
des visages connus et inconnus. Au début, ces visages étaient sombres ; il
s’agissait de gens peu recommandables, pécheurs, peu vertueux. À mesure que je
montais, les visages rencontrés devenaient plus lumineux.
Je
m’étonnais de ce que je pouvais marcher… et je me dis que, pour moi, j’étais
hors du temps, donc déjà ressuscité… Je m’étonnais de voir tout autour de ma
tête sans me retourner… Je m’étonnais de n’avoir rien ressenti des blessures
occasionnées par les balles de fusils… et je compris qu’elles étaient entrées
dans mon corps tellement vite que j’avais pu ne rien sentir.
Subitement,
ma pensée s’envola vers mes parents. Immédiatement, je me suis trouvé chez moi,
à Annecy, dans la chambre de mes parents que je vis dormir. J’essayais de leur
parler, sans succès. J’ai visité l’appartement notant le changement de place
d’un meuble. Plusieurs jours après, écrivant à ma mère, je lui ai demandé
pourquoi elle avait déplacé ce meuble. Elle m’écrivit en réponse :
« Comment le sais-tu ? ».
J’ai
pensé au Pape Pie XII que je connaissais bien (j’étais étudiant à Rome)
et, de suite, je me suis trouvé dans sa chambre. Il venait de se mettre au lit.
Nous avons parlé par échange de pensées, car c’était un grand spirituel.
J’ai
continué mon ascension jusqu’au moment où je me suis trouvé dans un paysage
merveilleux, enveloppé d’une lumière bleutée et douce… Il n’y avait pourtant
pas de soleil « car le Seigneur est leur
lumière… » comme dit l’Apocalypse. J’ai vu là des milliers de
personnes, toutes à l’âge de trente ans à peu près, mais j’en rencontrais
quelques unes que je connaissais de leur vivant… Telle était morte à
80 ans… et elle semblait en avoir 30…telle autre était morte à
2 ans…et elles avaient le même âge…
J’ai
quitté ce « paradis » plein de fleurs extraordinaires et inconnues
ici-bas. Et je suis monté encore plus haut...Là, j’ai perdu ma nature d’homme
et je suis devenu une « goutte de lumière »
Je
vis beaucoup d’autres « gouttes de lumière » et je savais que telle
était Saint Pierre, telle autre Paul ou Jean ou un apôtre, ou tel saint…
Puis je vis Marie, merveilleusement
belle dans son manteau de lumière, qui m’accueillait avec un sourire indicible…
Derrière elle, il y avait Jésus, merveilleusement beau, et derrière, une zone
de lumière dont je savais qu’elle était le Père, dans laquelle je me suis
plongé…
J’ai ressenti là l’assouvissement total
de tout ce que je pouvais désirer… J’ai connu le bonheur parfait… et brusquement, je me suis retrouvé sur
terre, le visage dans la poussière, au milieu des corps sanglants de mes
camarades.
Je
me suis rendu compte que la porte devant laquelle je me trouvais, était criblée
par les balles qui m’avaient traversé le corps, que mon vêtement était percé et
plein de sang, que ma poitrine et mon dos étaient maculés de sang à moitié
séché, un peu visqueux …mais que j’étais intact. Je suis allé voir le
commandant dans cette tenue. Il vint à moi et cria au miracle. C’était le
commandant Cazelle, aujourd’hui décédé.
Cette
expérience m’a beaucoup marqué, on s’en doute. Mais lorsque, libéré de l’Armée,
je me rendis auprès de Padre Pio, celui-ci m’aperçut de loin dans le salon
Saint-François. Il me fit signe de m’approcher et me donna, comme d’habitude,
un petit signe d’affection. Puis il me dit ces simples mots : « Oh ! que tu
as pu me faire courir, toi ! Mais ce que tu as vu, c’était très
beau ! ». Et il borna là son explication.
On
comprend maintenant pourquoi je n’ai plus peur de la mort… puisque je sais ce
qu’il y a de l’autre côté. »
Père
Jean Derobert
*********************
Ce
document fait partie des minutes du procès en canonisation de Padre Pio.
Cette
lettre nous avait été donnée à condition de ne pas la faire connaître, c’était
avant sa canonisation.
Maintenant
qu’elle est publiée, nous vous la transmettons. Merci au lecteur qui nous l’a
remémorée.
Ce 2
mai est le 13ème anniversaire de sa béatification.
Le 6 août 1978, fête de la
Transfiguration, Paul VI ne put prononcer devant les pèlerins
de Castel Gandolfo la prière qu’il avait préparée pour l’angélus. Le soir
même, épuisé, miné par la maladie, il s’éteignait dans la résidence d’été des
papes. Quelques années plus tôt, il avait écrit dans son testament : « Je fixe mon regard avec une humble et
sereine confiance vers le mystère de la
mort et de ce qui l’accompagne dans la lumière du Christ qui seul
l’illumine. » (Prières de poche, Paul VI, Editions Artège, 112
pages).
http://www.aleteia.org/fr/religion/article/le-bienheureux-paul-vi-serviteur-souffrant-roseau-dans-les-tempetes-5804334138785792?page=2
La
Mère Scazziga, qui fut la supérieure de Bénigna Consolata a témoigné au procès
de béatification que la servante de Dieu avait appris du Seigneur qu’il
exerçait sa miséricorde même dans les cas les plus désespérés : « Si une personne enfoncée dans le
péché trouvait la mort sous un train ou sous une automobile, que nul ne
dise : elle est perdue ; car
personne ne peut savoir ce qui se passe en ce moment entre l’âme et Dieu. Je
peux donner un tel jet de lumière, capable de susciter une lumière si
intense que l’âme passe du fond de l’iniquité à l’étreinte de ma
miséricorde. »
Il
nous paraît possible de citer Marthe Robin. Cette mystique stigmatisée, dont la
sainteté est à l’étude dans son diocèse d’origine, est morte en 1983. Après
vérification auprès du Père Pagnoux des Foyers de charité, il apparaît qu’elle
a développé une véritable pensée sur les agonisants. Sans aller trop loin et
dans l’attente des textes non encore publiés, il semble qu’elle considérait la
mort comme le passage ultime où se joue dans la logique d’une vie le destin
éternel. Elle parlait de l’importance de la prière pour les mourants, de ces
instants qui pouvaient durer longtemps,
et de la grâce ultime donne par Jésus en
personne.
Philippe
Coutel (philippecoutel@msn.com) qui assistait à une retraite des Foyers de
Charité, rapporte : « Le 31 oct. 1979, vers 17h, deux cousines, un cousin et un
de leurs amis, dans la baie de Quiberon, ont voulu faire une dernier tour de
bateau avant de mettre celui-ci en cale-sêche pour l'hiver. Ils avaient
18-19ans. Brusquement alors qu'ils étaient dans la rade, une très violente
tempête s'est levée d'un coup. Le voilier a été sur le champs absorbé par les
flots, et ils sont morts noyés. Quelques semaines plus tard, je suis allé voir
Marthe Robin pour savoir ce qu'il était advenu d'eux quant à leur éternité, car
aucun d'eux n'étaient pratiquants; Avec même une vie moralement plus ou moins
dissolue, comme il est d'usage en Occident. J’étais donc un peu inquiet pour
eux. Mais le père spirituel de Marthe, le père Finet à du nez. Et sans même
être au courant de mon affaire il a sorti aux retraitants : "Surtout
n'allez pas demander à Marthe si vos proches qui sont morts sont sauvés. Et si
elle vous disait qu'ils sont en enfer "? Fort de cette recommandation je
n'ai rien demandé à Marthe; Mais la question me brûlait les lèvres. C'est
elle-même qui va rompre le silence, d'une manière détournée. Tout en respectant
la consigne du père Finet, elle a demandé au père qui nous prêchait la retraite
de nous dire : " Et......Marthe Robin m'a fait savoir, que quand des jeunes
qui ne pratiquaient pas, meurent dans l'ignorance de Jésus, il va se passer
plusieurs heures avant le jugement définitif; Et même plusieurs jours, où le
Seigneur va se montrer à eux dans toute sa lumière; Et va leur demander: VEUX-TU
DE MON AMOUR ? Et en général, les jeunes disent OUI".
Beaucoup
plus a dû se dire entre Marthe et ce père, car pendant tout le temps où il
disait ça, il a pris bien soin de ne pas regarder dans ma direction. Et même à
un moment, il a carrément mis une main en cache devant ses yeux pour ne pas me
regarder.
Marthe
Robin insistait souvent sur cette « durée » du temps de la mort. Le père
Maurice de Lesseps osb, moine de Fontgombault, rapporte le témoignage
suivant (mai 2007, plesseps@netcourrier.com) : « Le
neveu d’un de mes amis religieux (un confrère du Père André Rannou des Missions
Etrangères de Paris), mourut dans un accident de la route dans des
circonstances troubles, à la sortie d’une boite de nuit. Son oncle était fort
inquiet pour son salut, et pensait qu’il était damné. Et voici le témoignage
qu’il me rapporta. Il se rendit pour une retraite au foyer de charité de
Châteauneuf de Galaure. Vers la fin de la semaine, on le prévint que Marthe
voulait le rencontrer. Il se rendit donc dans sa chambre, mais avec une
certaine défiance, étant naturellement prévenu contre le merveilleux. Or
Marthe, qui était d’origine rurale, lui parla durant tout l’entretien de la
nature, des travaux agricoles. Il voulut brusquer la fin de l’entretien et se
leva pour prendre congé. Alors Marthe lui dit ceci : « Vous savez, Père, l’âme reçoit une grande lumière au moment de la
mort. Et peu d’âmes disent non à Dieu, surtout parmi les jeunes. » Mon ami
prêtre est sorti de la chambre assez bouleversé. »
Maria
Simma a dit quelque chose de semblable :
Au
moment de la mort, avant d'entrer dans son éternité, y a t-il un temps où l'âme
a encore la possibilité de se tourner vers Dieu, même après une vie de péché. Y
a t-il un laps de temps entre la mort apparente et la mort réelle ?
Maria
Simma :
« Oui, le Seigneur donne quelques
minutes à chacun pour regretter ses péchés et pour se décider : "J'accepte ou je n'accepte pas
d'aller voir Dieu." Là, on voit le film de sa vie.
Je
connais un homme qui croyait aux préceptes de l'Église, mais pas à la vie
éternelle. Un jour il est tombé gravement malade, a sombré dans le coma et
s'est vu alors dans une chambre avec un tableau sur lequel toutes ses oeuvres
étaient écrites, les bonnes et les mauvaises. Puis le tableau a disparu ainsi
que les murs de cette chambre et c'était infiniment beau. Puis il s'est
réveillé de son coma et a décidé de changer sa vie ! »
http://eschatologie.free.fr/heuremort/mariasimmaetlepurgatoire.htm
Nous
avons vu comment des théologiens, sortant malheureusement des indications
précieuses du Magistère de l’Église, ont formalisé cette intuition sous la
forme d’une grâce « après la mort. » L. Boros et Mgr Glorieux s’en
défendent. Il nous a paru cependant qu’une opération intellectuelle « à la manière des substances séparées »ne peut avoir lieu qu’après la mort.
D’autres
théologiens cependant, quoique de manière encore imprécise concernant la nature
de la grâce finale ou le moment de son don, ont eu l’intuition de ce mystère.
Au sommet de tous, tant par sa précision que par la sûreté de sa doctrine, on
trouve Mgr. d’Hulst. Cet évêque français, mort au début du XXème
siècle, fut un directeur spirituel apprécié pour avoir su unir douceur et
fermeté. Dans ses lettres de direction, confronté à la question du salut des
infidèles, il sait unir rigueur de la doctrine et audace de l’amour.[263] Selon lui, il faut chercher la solution de tous ces
problèmes théologiques épineux dans la contemplation de la croix de Jésus. Elle
permet à l’esprit un envol d’aigle car elle est un scandale de l’amour qui
dépasse toutes les formalisations de la pensée. Fondé sur cette contemplation,
il distingue une formule officielle du salut : « Il faut mourir dans les règles » ; et une loi du sauveur qui
dépasse toutes les lois et ne demande la permission à personne pour proposer
son salut à qui il veut. Cette liberté de l’amour de Jésus ne vient pas
détruire la formule officielle du salut et les ministres de Dieu qui n’ont pas
fait les règles, ont le devoir de les appliquer. Citons Mgr d’Hulst à propos de
l’heure de la mort :[264]
« Dans ce dernier combat de l’agonie,
quand la pensée est lucide et la voix muette, quand le monde extérieur s’éteint
autour du moribond et le laisse seul avec son monde intérieur, quand son
oreille n’entend plus ses paroles trompeuses destinées à le rassurer et que son
âme entend la réponse de mort, qui lui dit la prochaine et terrible vérité, à
cette heure d’angoisse et de clairvoyance, il y a certainement une
sollicitation suprême de la miséricorde ;
Il y a une apparition (je prends ce mot
dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus. Il y a le souvenir, tout d’un coup ranimé, de ces fragments épars
d’instruction religieuse oubliés depuis l’enfance, d’idées religieuses répandues
çà et là dans la société et que l’on rencontrait autrefois sur son chemin
d’indifférence. Tout cela s’assemble, tout cela revit comme les ossements
d’Ezéchiel, tout cela se recompose une figure de la vérité qui s’offre à l’âme
dans les traits bénis du Rédempteur.
» Selon Mgr d’Hulst, cette grâce finale qui précède la mort est si certaine
qu’in ne doit jamais désespérer du salut de personne. L’âme du mourant se sent
attirée par la miséricorde, elle jette vers la croix le dernier regard et peut,
si elle ne résiste pas, être sauvée.
Dans
une autre lettre de direction, écrite en 1882 pour une religieuse, Mgr d’Hulst
précise sa pensée à propos de la mort d’un franc maçon militant[265] : «
La voie unique du salut est Jésus-Christ, mais s’il y a la façon officielle de
trouver Jésus-Christ, nul ne lui refusera, je pense, le droit de se mettre en
rapport avec les âmes par d’autres moyens.(...) Saint Thomas d’Aquin disait
lui-même, à propos des bons infidèles : « A une âme ainsi disposée, Dieu
enverra plutôt un ange à l’heure de la mort que de la laisser en dehors de la
Rédemption. » [266]
Mgr.
d’Hulst reste à notre sens imprécis sur la nature de la grâce qu’il sait
pourtant nécessaire à l’heure de la mort. Une apparition au sens le plus
métaphysique du mot signifie à ses yeux que, quel que soit le moyen (intuition
intellectuelle, imaginative, apparition d’un ange ou du Christ glorieux), Dieu
trouve le moyen de donner à la connaissance du mourant l’être même de
l’Évangile. A l’époque où ce prêtre reçut sa formation, « métaphysique » ne
signifiait pas nécessairement « présence
de l’être » mais aussi « connaissance de l’être. » Quoi qu’il en soit, il nous paraît
être le premier auteur à avoir enseigné avec un tel développement la nécessité
vitale pour le salut d’une grâce de conversion à l’heure de la mort. Il est
remarquable qu’à peu près à la même époque, sœur Faustine ait reçu par voie de
révélation privée, la même certitude.
Notre
ignorance des opérations de l'âme au lit de mort laisse une des plus vastes
parties de l'existence humaine inaccessible à notre pénétration, si nous
considérons que la vie ne se mesure pas seulement à la longueur du temps
matériel.
L'observation et la psychologie
s'accordent à enseigner qu'il se passe à l'heure dernière beaucoup de choses
d'un caractère plus intellectuel que nous ne pourrions le concevoir. Il y a
souvent peu de place pour Dieu dans l'âme fascinée par les spectacles
extérieurs, et dans le cœur où résonnent les bruits du monde : mais l'heure
suprême est longue, et elle fait place au Créateur. Elle change les minutes en années; elle
redouble constamment l'activité de l'esprit à l'instant où il va quitter le
corps. C'est une heure de vérité, et une heure de vérité est plus longue qu'un
siècle de mensonge.
Le
Ciel s'approche alors pour secourir autant que pour contempler. Les yeux
voilés, le visage sans expression ou ravagé par la souffrance, les sons
inarticulés sont des voiles qui nous dérobent cette suprême entrevue terrestre
entre le Créateur et sa créature. C'est pour Lui la dernière chance qu'il a de
la sauver, et la divine Sagesse doit bien savoir comment en user.
Dans
la vie du Père de Condren il y a un remarquable passage qui est de nature à exciter
notre reconnaissance pour les grâces que Dieu accorde aux mourants, car dit-il
: « Sa compassion pour eux est
inexplicable et il paraît leur prodiguer ses faveurs d'autant plus volontiers
qu'ils ne sont plus guère en danger de les profaner. » Magnifique pensée!
Je concède que nous marchons ici sur un terrain inconnu : mais parce que la
volonté de Dieu est que l'âme soit sauvée, et qu'à ce moment décisif II accorde
des grâces cent fois plus nombreuses que nous ne le pouvons croire, je prétends
hardiment que le lit des mourants catholiques est le pur domaine de la
compassion divine. Cette heure dernière peut expliquer un grand nombre de
saluts inexplicables .
Parmi
les théologiens actuels, nous voudrions citer le Père François-Xavier Durwell.
Domicilié à Strasbourg, ancien professeur à la Faculté de Théologie catholique,
son œuvre écrite témoigne de son intérêt pour le mystère de la mort[268]. A plusieurs reprises, à l’occasion de
la rédaction de ce travail, j’ai pu le rencontrer.
La
thèse du Père Durwell concernant notre sujet consiste dans l’affirmation d’une
grâce de lumière à l’heure de la mort, en vue du choix final qui oriente le
destin éternel. Selon lui, cette grâce n’est pas à considérer comme un « retour sensible » du Christ tel que je l’entends, mais par une révélation mystique
et purement spirituelle de la Lumière de son Évangile. Au cours de nos
discussions, le Père Durwell s’est plutôt opposé à ma position, la qualifiant
de « mythologique. » Une heureuse réponse m’est venue : « Quand un exégète veut s’opposer à
l’historicité d’une donnée de l’Évangile, il la qualifie de mythologique ; s’il
veut la défendre, il la qualifie de mystère de l’Incarnation. » Au cours
d’un entretien avec lui en 1993 au Carmel de Forges près d’Avon, nous avons pu
nettement nous expliquer sur cette divergence qui, de fait, ne bouleverse pas
le fond commun de notre entente. L’essentiel est ailleurs : Dieu sauve. Plutôt que
de citer des passages de ses écrits, nous reproduisons un extrait d’une de ses
lettres[269] :
« Le thème de la mort est important. Il
y a une très grave lacune en théologie : on ne sait pas, on ne dit pas ce
qu’est la mort, ce qui s’y passe. Pourtant Jésus est venu, selon Heb. 2, 14ss,
nous délivrer par sa mort de la peur de la mort. Il y a des théologiens qui
prétendent qu’il ne s’y passe rien du tout. Un théologien allemand, Greshake, a
écrit : « on sort de la vie comme on y entre, sans le savoir et sans le
vouloir. » Dans Esprit et Vie, un recenseur, Pierre Jay, ironise au
sujet de mon petit livre « Le Christ, l’homme et la mort », où je
prétends que c’est l’instant suprême de la vie. Je ne me suis nullement inspiré
des thèses de Ladislas Boros dans Mysteruim Mortis à propos de l’option
finale. Je l’ai moi-même ignoré plus ou moins, pour ne m’inspirer que de ce que
je crois savoir du mystère pascal, à l’aide de l’Écriture Sainte. Les
théologiens ne sont pas assez attentifs à ce problème de la mort. J’ai multiplié
les publications. Mais du moins en France, les théologiens ne tiennent guère
compte de ce que je dis. »
Les
remarques un peu douloureuses du Père Durwell sont malheureusement tout à fait
justifiées. Il faudra attendre trois ans après sa mort et une encyclique du
pape Benoît XVI (Spe salvi 47) pour que soit évoqué publiquement l’hypothèse de
la rencontre avec le Christ dans la mort. De son vivant, la théologie sortait à
peine de ses controverses sur l’existence de l’âme séparée du corps, rejetée par
peur panique de tomber dans un dualisme soi-disant non biblique (comme si
l’Ancien Testament n’avait pas eu le droit de mûrir sous l’influence de la
pensée grecque, lui qui s’est nourri des conceptions égyptiennes et
babyloniennes). Force est de constater que, à la fin du XX° siècle,
l’interrogation sur l’existence et la nature d’une vie après la mort était
passée au second plan de la recherche théologique. La pensée des grandes
Églises avait été relayée par celle des sectes qui trouvent dans ce terrain en
friche un champ d’apostolat.
Recension communiquée par RicardoMalaguti en 2010 riccardo_malaguti@yahoo.it
Le père Fortea est un exorciste espagnol connu qui a
écrit la « Summa daemoniaca et exorcistica » (on la
trouve même en Internet, mais en espagnol). Il y écrit un chapitre au sujet des
« âmes errantes » (en espagnol : « almas
perdidas »). Il parle de certains cas où pendant ses exorcismes ces âmes
se manifestent à travers les possédés. Il analyse la question, il propose des
faits et donne différentes interprétations…Même la sienne !
Il dit que
ces âmes ont une voix qui n’est pas pleine de haine (comme celle des démons),
elles prient sans efforts et disent souvent de se trouver « dans
l’obscurité » et qu’il y a beaucoup d’âmes qui « errent » sans
repos sur terre. Si on prie pour elles, on les « évangélise », on
leur parle de Jésus et de son Evangile…à un moment donné elles disent qu’elles
voient « une femme » (la Vierge ?) et une Lumière (un
ange ? Le Seigneur ?) et elles s’en vont en sortant du possédés
« sans fracas » (mais au contraire les démons quand s’en vont
font des CRIS TERRIBLES !). Si on cherche à les exorciser rien ne se
passe. Ils ont seulement besoin de prière. Parfois elles ne connaissent même
pas l’existence de Dieu ! dit Père Fortea.
Le Père
Fortea cite le dogme de Benoit XII (Benedictus Deus), le passage célèbre « AUSSITOT APRES LA MORT…etc. » et se demande comment on peut concilier le dogme avec
ces faits.
Voilà comment faire concorder cela avec le dogme de
Benoît XII : en Hébreu, "Shéol" veut dire "la mort".
Autrement dit ces âmes sont DANS LE PASSAGE DE LA MORT. Elles ne sont pas APRES
LA MORT. Après la mort (c'est-à-dire après ce PASSAGE PAR LA MORT, le shéol,
qui doit durer normalement quelques heures, mais dure parfois des années) l'âme
entre aussitôt en enfer éternel car, cette fois, elle a rejeté lucidement le
Christ et son évangile.
Le père
Fortea confirme qu’il peut y avoir des âmes qui REFUSENT la Lumière du Christ
au moment de la mort, parce que elles NE VEULENT PAS SE REPANTIR,
mais qui n’arrivent pas jusqu’à la HAINE DE DIEU…Par conséquent le Seigneur les
laisse « errer sur terre » jusqu’au jour du Jugement Final. Le
père Fortea pense qu’il s’agit du "Purgatoire" de ces gens qui ont
risqué et risquent l’enfer (ils n’ont pas même encore fait leur choix pour ou
contre le Christ).
On peut
citer aussi « Esorcisti e psichiatri » (« Exorcistes et
psychiatres ») du Père Gabriele Amorth où (sans donner un jugement
définitif) il réfère l’opinion de différents exorcistes à ce sujet-là (le
chapitre s’appelle « Les surprises des exorcistes : les âmes des morts »).
Beaucoup disent que la théologie doit approfondir la question relative à ce qui
se passe « au moment de la mort », en comprenant le dogme de Benoit
XII dans sa profondité…
Je pense que
ce fait des "âmes errantes" (s'il est vérifié) peut être le plus
important à faveur de cette thèse sur l'eschatologie. Il contient: 1) le sens
de la mort comme "passage" qui peut "durer"; 2) la clé pour
comprendre la Miséricorde de Dieu à l'égard de ces qui n'ont pas connu
l'Evangile sur terre...3) la parousie du Christ à l'heure de la mort...
Une
approche de Jean Daujat[270] :
« A l'instant même de la mort est un instant
de lucidité totale et ceci même pour l'enfant en bas âge car cela résulte de la nature humaine et de
l'existence de l'âme spirituelle que cet enfant possède, celui-ci aura donc à
l'instant de sa mort le plein usage de son intelligence qu'il n'aura encore
jamais eu auparavant. Rien n'empêche alors que dans cette lucidité de l'instant
de la mort Dieu d'une manière quelconque fasse connaître à l'enfant sa destinée
surnaturelle et que celui ci puisse y adhérer librement, une telle solution ne
méconnaît nullement l'importance de baptiser les enfants car leur adhésion à
leur destinée surnaturelle à l'instant de leur mort est évidemment grandement
aidée par la possession de la grâce baptismale. On reconnaît donc à la fois
l'importance primordiale des sacrements et en même temps que Dieu qui les a
choisis comme moyens d'action peut s'en passer et agir autrement. »
En audio, par Jean Daujat : http://www.dailymotion.com/user/fredsinam/video/x8v3lg_lenfer_news
Cette remarque concernant les enfants est
très forte, très moderne et osée. En 2007, la commission Théologique
internationale, sans aller aussi loin, se penchera sur la question controversée
du sort des enfants morts sans baptême.
Alexandre Kalomiros,
théologien grec contemporain, est mort en 1990. Il a fait revivre l'esprit
patristique en notre temps, que ce soit dans un article comme Figures célestes,
qui explique le sens de l'iconographie orthodoxe, ou dans les nombreux textes
qu'il a consacrés à la défense de l'orthodoxie. La Lumière du Thabor a publié
plusieurs articles de lui. Le texte suivant est une conférence donnée, en
anglais, à Seattle en juillet 1980 intitulée « Le fleuve de feu »,
dans le cadre d'une rencontre de la jeunesse orthodoxe de l'Eglise russe.
XIV
« Certains pourront toutefois insister et dire que les
Ecritures et les Pères parlent toujours de Dieu comme du Grand Juge qui
récompensera ceux qui Lui ont obéi et punira les désobéissants au Jour du
Jugement (2 Tim., 4, 6-8). Comment devons-nous comprendre ce jugement si nous
interprétons les paroles de Dieu dans un sens divin plutôt qu'humain ? Qu'en
est-il du jugement de Dieu ?
Dieu est la Vérité et la Lumière. Le jugement de Dieu n'est rien d'autre que notre entrée en contact avec
la vérité et la lumière. Au Jour du Jugement, au Second Avènement, tous les
hommes paraîtront à nu devant la lumière pénétrante de la vérité. Les
livres seront ouverts. Que sont ces «livres» ? Ce sont nos cœurs. Nos cœurs
seront ouverts par la lumière pénétrante de Dieu, et ce qu'ils renferment sera
révélé. Les cœurs qui renferment l'amour de Dieu se réjouiront à la vue de Sa
lumière. Au contraire, ceux dont les cœurs renferment la haine de Dieu
souffriront en recevant dans leurs cœurs ouverts cette lumière pénétrante de la
vérité qu'ils auront détestée toute leur vie.
Ce ne sera donc pas une décision de Dieu, une récompense ou une
punition de Sa part, qui différenciera les hommes, mais ce qu'il y aura dans le
cœur de chacun ; ce que nos cœurs ont renfermé pendant toute notre vie sera
révélé au jour du Jugement. Si cette révélation comporte une récompense ou une
punition - et tel est le cas - cela ne viendra pas de Dieu mais de l'amour ou
de la haine qui règne dans notre cœur. Qui dit amour dit béatitude et qui dit
haine dit désespoir, amertume, peine, affliction, méchanceté, agitation,
confusion, obscurité et toutes les autres conditions intérieures qui composent
l'enfer (1 Cor., 4, 6).
La lumière de la Vérité, l'Energie divine, la grâce de Dieu, que
la corruption présente n'empêchera plus d'atteindre les hommes sans entraves au
jour du Jugement, sera la même pour tous. Il n'y aura aucune distinction. La
différence se trouvera tout entière dans ceux qui reçoivent et non dans Celui
qui donne. Le soleil brille sans distinction sur les yeux sains et sur les yeux
malades. L’œil sain apprécie la lumière qui lui permet de voir la beauté qui
l'entoure. Ceux dont l’œil est malade au contraire ressentent de la douleur,
sont blessés, souffrent et veulent se dérober à cette même lumière qui apporte
tant de joie à ceux qui ont les yeux en bon état.
Mais, hélas, il ne sera plus possible d'échapper à la lumière de
Dieu. Ce l'était pendant cette vie, mais dans la nouvelle Création de la
Résurrection, Dieu sera partout et en tout. Sa lumière et Son amour
embrasseront tout. Nul endroit ne sera caché de Dieu comme c'est le cas pendant
notre vie corrompue dans le royaume du prince de ce monde(40). Le diable sera
dépouillé de son royaume lors de la Résurrection générale et Dieu reprendra
possession de Sa création(41). L'Amour enveloppera tout de son feu sacré qui
jaillira comme un fleuve du trône de Dieu pour irriguer le paradis. Mais ce
même fleuve d'Amour suffoquera et brûlera ceux qui ont la haine dans le
cœur.
«Car notre Dieu est un feu consumant» (Héb. 12, 29). Le feu qui
purifie l'or, consume le bois. Les métaux précieux y brillent comme le soleil,
les déchets y brûlent avec une fumée noire. Tous sont dans le même feu de
l'Amour. Certains y brillent, d'autres deviennent noirs et sombres. Dans la
même fournaise, l'acier brille comme le soleil et l'argile noircit et devient
dur comme la pierre.
La différence est dans l'homme, non en Dieu. Elle provient du
libre choix de l'homme, que Dieu respecte absolument. Le jugement de Dieu est
la révélation de ce qu'il y a réellement dans l'homme. »
Le Père Marie-Dominique Philippe est un religieux français dominicain né à Cysoing (Nord) le 8 septembre 1912 et mort le 26 août 2006 au prieuré de Saint-Jodard (Loire), fondateur, en 1975, de la Communauté Saint Jean à Fribourg, puis des Sœurs contemplatives et des Sœurs apostoliques de
Saint-Jean. Il est un théologien reconnu.
15 août 2011
Voici l'opinion du Père Marie-Dominique Philippe op, à propos de
l'heure de la mort et du salut offert à tous les hommes, qui me semble - bien
qu'exprimée succinctement- tout à fait cohérente avec cette thèse.
Citation: |
Père M.-D.Philippe : « (...)
le Christ est mort pour tous les hommes, de sorte qu'il y a une unité avec le
Christ qui existe au-delà de la conscience des gens. Si je crois au Corps
mystique, je crois que Jésus porte tous les hommes. Alors les uns
en ont conscience, les autres beaucoup moins, certains pas du tout, et
parfois certains se révoltent. Et malgré cela, Jésus les porte, si bien qu'à
un moment donné la révolte tombera. » Question (F. Lenoir) : « Elle tombera peut-être après leur
mort ? » Réponse (Père M.-D.Philippe) : « Oui, ou au moment de
leur mort. Au moment de la mort il peut y avoir une grâce très particulière
d'amour. (...) » Les trois sagesses, Ed. Aletheia / Sarment
editions du Jubilé, 1994, p. 281, Nihil obstat. |
Comme
chez saint Thomas d’Aquin, il n’y a dans toute son œuvre que cette seule phrase
évoquant ce thème, comme une intuition évidente.
Un texte du pape Benoît XVI, présenté sous forme d’une simple mise
en perspective, semble indiquer la prise en compte par l’Eglise de cette
hypothèse théologique, celle d’une rencontre lumineuse avec le Christ (sans
plus de précision sur son moment) :
Benoît XVI, encyclique Spe salvi, 47 : « Certains théologiens
récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le
Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La
rencontre avec le Christ est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard
s'évanouit toute fausseté. C'est la
rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et nous libère pour
nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie
peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre,
où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se
trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent
grâce à une transformation certainement douloureuse, comme « par le feu. »
Cependant, c'est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son
amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d'être totalement
nous-mêmes et avec cela totalement de Dieu. Ainsi se rend évidente aussi la
compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas
insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins
nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. En
fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au
moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de
son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l'amour
devient notre salut et notre joie. Il est clair que la « durée » de cette
brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures
chronométriques de ce monde. Le « moment
» transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre –
c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans
le Corps du Christ [39]. Le Jugement de
Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est
grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est
terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question
concernant la justice – question décisive pour nous face à l'histoire et face à
Dieu lui-même. S'il était pure justice, il pourrait être à la fin pour nous
tous seulement un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a
tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la justice est établie
avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en
tremblant » (Ph 2, 12). Malgré
cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la
rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1). »
COMMENTAIRE :
Quand le pape dit dans son encyclique : « Certains théologiens
soutiennent que la rencontre avec le Christ est un feu qui etc. » Il me conduit à m’interroger sur le nom de ces théologiens. Or,
de théologiens qui soutiennent ceci, à ma connaissance, il n'y en a que trois
(quatre avec moi). Ils sont sans autorité et peu reconnus (j’exclus Mgr Glorieux (XIX° s) et Ladislas Boros (1950) qui parlent
d’une rencontre avec le Christ APRÈS la mort, une fois débarrassé du corps. Le
Cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI, dans son livre sur l’eschatologie[273]
condamne leur thèse et il a raison) :
1° Mgr d’Hulst au XIXème siècle
dans un texte de dix lignes encore peu précis, qui évoque plutôt une grâce
métaphysique, qui touche au sens profond) venant du Christ : « Il y a une apparition (je prends ce mot
dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus. »
2° le Père François-Xavier Durwell sj vers
1990. Je l'ai rencontré. Mais il parle d’une « grâce de lumière » et nie formellement comme "mythologique"
une rencontre avec l’humanité du Christ glorieux.
3° Jean Daujat dans un petit texte écrit
en 1990 où il évoque « à l'instant même
de la mort est un instant de lucidité total ». Il ne parle pas directement
de cette rencontre.
J'ignore s'il existe des théologiens
germanophones.
Donc le fait que le pape cite ces
quelques théologiens me frappe. Cela veut dire que, au delà du peu de nombre de
théologiens et de leur peu d'autorité dans l'Eglise, cette thèse avance et
entre avec cette encyclique (c’est un premier pas) comme une hypothèse pour le
Magistère...
Il faut remarquer que la recherche initiée ici par le pape était
nécessaire. En effet, la synthèse scolastique de saint Augustin puis de saint Thomas d’Aquin, ne tenant pas compte de ce
dogme inconnu d’eux : « Dieu
propose explicitement (et en cette vie donc) l'entrée dans la grâce
sanctifiante », ne peut plus être gardée sur ce point du salut ultime. En
effet, constatant que les enfants non-baptisés meurent en état de mort
spirituelle (ainsi que les païens ou les pécheurs chrétiens surpris avant le
repentir), ils sont contraints d'admettre leur séparation éternelle d'avec
Dieu. Il faut donc que les théologiens
cherchent une nouvelle synthèse intégrant ce troisième dogme.
Ce texte du pape fait référence à un purgatoire. La rencontre avec le
Christ, dit le pape, provoque purification du cœur de ceux qui, à sa vue,
l'aiment. Pourtant, il ne s'agit pas des purgatoires jusqu'ici enseignés par
les saints.
- Ce n'est pas le purgatoire de cette terre
(AVANT LA MORT) où le Christ, par définition, se cache.
- Ce ne sont pas les trois purgatoires de
sainte Catherine de Gênes qui sont efficaces du fait d'un temps de grande
solitude APRÈS LA MORT.
- C'est autre chose. C'est une rencontre
lumineuse, douloureuse et joyeuse à la fois, où beaucoup changent leur cœur. De
cette rencontre sort le jugement individuel et définitif.
MON AVIS:
Si on est fidèle aux trois dogmes cités plus
haut, cela ne se passe ni dans ce monde, ni après la mort.... Mon opinion est
que cela se passe « DANS LE PASSAGE DE LA MORT », à la fin de cette vie.
Et cela oblige à repenser la notion de mort
qui, chez saint Thomas, est instantanée et ne laisse place à rien. C'est
uniquement chez sainte Faustine, chez Marthe Robin, que la mort devient, comme
dans la Bible, un "passage" qui dure et laisse place à une rencontre.
Enfin, il faut remarquer que le
pape, dans le passage cité, assortit sa pensée de cette réserve
explicite : «
(…) Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de
la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais
notre saleté ne nous tache pas
éternellement, SI du
moins nous sommes demeurés
tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. » Ne doit-on pas voir là l’indication de ce que la question examinée
ne concerne que ceux qui n’ont pas rompu l’amitié avec Dieu par la perte de la
grâce sanctifiante ?
C’est vrai. Ce n'est donc
pas ce texte mais ma thèse qui étend cette rencontre à tous les hommes sans
exception, à cause du dogme cité en Gaudium
et Spes 22, 5. Le pape ne va pas jusque là. Il faut dire que, comme il le
remarque, il s'agit de l'avis de « certains
théologiens récents. »
Une dernière remarque: le
ton du pape indique qu’il s’agit pour lui d'une HYPOTHÈSE. Il n’y a rien de
dogmatique, bien que ce soit dans une encyclique théologique.
En 2011, dans son livre livre
: « Lumière du monde ; le pape,
l'Eglise et les signes des temps » (Entretien
Avec Peter Seewald), le pape Benoît XVI répond à la question suivante :
« La notion de tribunal, lors du jugement dernier, est-elle
symbolique ?
Il répond :
« bien sûr que non ! C’est bel
et bien un jugement dernier qui aura lieu ici. Disons que l'avant-dernier
jugement a déjà lieu au cours de la mort. Le grand sénario que
dessine surtout Mathieu 25, avec les brebis et les bouc, est un scénario de
l’inconcévable ».
Cette expression est
hélas trop courte et trop orale. Mais il est interessant de la noter.
En mai 2011, lors d’une
adresse télévisée à la télévision italienne, une auditrice pose la question
suivante :
« Sainteté, Dans le
Credo, on dit que Jésus est descendu
aux enfers après sa mort. Pouvons-nous penser que nous le verrons nous-aussi
après la mort et avant de monter au Ciel ?
Benoît XVI : « Tout
d’abord, cette descente de l’âme de Jésus aux enfers ne doit pas être imaginée
comme un voyage géographique local. C’est un voyage de l’âme. Nous ne devons
pas oublier que l’âme de Jésus touche toujours le Père mais que, en même temps,
cette âme humaine touche jusqu’aux dernières frontières de l’être humain. C’est
pourquoi elle va en profondeur vers tous les égarées, vers tous ceux qui ne
sont pas arrivés au but de leur vie, et jusqu’aux hommes du passé. Cette
descente de Jésus aux enfers indique que même le passé est rejoint par Jésus.
Il embrasse le passé et tous les hommes de tous les temps. Les Pères disent
avec une image très belle que Jésus prend Adam et Eve par la main, c'est-à-dire
l’humanité et la guide vers le haut. Il crée ainsi l’accès à Dieu parce que
l’homme ne peut atteindre la hauteur de Dieu par lui-même. Il prend l’homme par
la main et ouvre ainsi l’accès au Ciel. C’est pourquoi cette descente de Jésus
aux enfers, c’est-à-dire dans les profondeurs de l’être humain, dans les
profondeurs du passé de l’humanité, vers les hommes du passé est une partie
essentielle de sa mission de rédempteur.
Cette descente de Jésus
aux enfers des anciens ne s’applique pas à nous. Notre vie est différente. Nous
avons déjà été racheté par le Seigneur. Pourtant nous verrons le visage du
juge, de Jésus, à l’heure de notre mort. Et son regard sera purifiant car je
pense que tous, plus ou moins, nous avons besoin de purification. Cette
purification venant de son regard nous purifiera d’abord puis nous rendra
capable de vivre avec Dieu et avec les saints, mais aussi en communion avec les
personnes que nous aimons et qui nous ont précédé. »
Benoît XVI semble prendre
fait et cause personnellement cette fois pour ce qu'il présentait en 2007 comme
une simple hypothèse de théologiens récents dans Spe Salvi 47.
La thèse centrale qu'il m'a semblé développer est
que l'Occident n'a plus de théologie
de la valeur salvifique de la passion du Christ
depuis l'abandon des notions post-Augustiniennes de Substitution et de
Satisfaction.
En quoi fallait-il que le fils de Dieu souffrit
cette mort-là pour que nous soyons sauvés ?, lui semble être la question sans
réponse pour les hommes de ce temps, actuellement.
Pour ceux qui ne connaitraient pas ces notions qui
furent officiellement enseignées pendant des siècles : elles consistent à
présenter le Père comme si atrocement offensé par la faute de nos premiers
parents qu'aucune expiation par aucun être humain ne pouvait apaiser sa colère
infinie. Il fallait donc que son fils ( Substitution ) souffrit sa
passion pour satisfaire à l'infini de l'offense des péchés humains et
rétablir ainsi l'honneur de Dieu.
On a donc présenté un Père Tortionnaire de son fils
en proie à une passion Humaine (la colère), juge sévère et impitoyable.
Autrement dit, on a présenté un Dieu qu'il est impossible d'aimer mais
seulement de craindre ou d'être térrorisé par Lui.
Or, nous dit François Brune, il faut sortir de
toute urgence de cette théologie-là, car le Vrai sens de la passion du Christ
est de le rendre capable de rencontrer tout être humain pendant sa Mort
qu'elle soit violente, atrocement douloureuse, infamante et humiliante comme a
été au plus haut degré la crucifixion du Seigneur, ou qu'elle ait été douce,
préparée et pacifiée par un cheminement et un accompagnement, comme certains ont
la chance de la vivre.
Sans sa passion, le Christ n'aurait pas été capable
de rencontrer tout humain au moment de sa mort et tel me semble bien être la
théologie qui pourrait remplacer celle mortifère des siècles passés de
L'occident.
Tout
Mourant est en effet configuré à la croix et à la passion du Seigneur, en la
solitude du passage, sa douleur, son caractère terrorisant et sa déréliction
que Le Seigneur lui même a éprouvée lorqu'il a crié : " Pourquoi m'as tu
abandonné?".
Et c'est en cela même qu'il rejoint le profond
abandon où tout humain se pense dans ce moment décisif pour le rejoindre de
tout son amour infini.
L'évangile qui met bien cela en évidence est celui
du Bon Larron. Car le Bon Larron, c'est chacun d'entre nous au moment de
l'humilation et de la nudité de la mort. Et c'est parceque le Christ est passé
par là qu'il peut rejoindre chacun d'entre nous, et certainement pas pour
satisfaire à la colère infinie de son Père, ce qui est blasphématoire.
Ainsi cette thèse de la venue du christ à l’heure
de la mort est un mouvement théologique profond, peut être encore au millieu du
gué qui va d'un Dieu qui terrorise et qu'on ne peut pas aimer vers un Dieu qui
a tout donné et par l'amour duquel on est irrésistiblement sauvé, sauf à
refuser le moyen qu'il a choisi pour nous sauver : la volonté de de pas être
roi et d'être humilié, discrédité, diffamé, assassiné, torturé et avili. C'est
seulement si on méprise cela qu'on ne peut pas être sauvé comme en font preuve
les chefs, le Peuple et les soldats, dans cette cécité contagieuse du péché
collectif, et comme en fait preuve aussi le mauvais Larron.
L’intuition
centrale du père Gallez est que l’heure de la mort est une petite fin du monde
et implique, comme pour la fin du monde, une rencontre avec le Christ.
Au
cours de son argumentation il écrit : « Il apparaît ainsi que l’augustinisme a
contribué à détourner la réflexion théologique du sens biblique de l’histoire.
Le noeud du changement se situe dans le basculement opéré par st Augustin (dans
La Cité de Dieu) qui reporte le temps de la millénie à celui de l’Eglise, ce
qui réduit les trois étapes de l’histoire à deux : il n’a pas compris que la
manifestation glorieuse –la Parousie – et l’entrée de la création dans la
gloire étaient deux étapes différentes et nécessaires toutes les deux. Un
parallèle doit d’ailleurs être fait avec le domaine de « l’eschatologie »
personnelle où il opère un basculement semblable : il réduit les trois étapes
(vie terrestre, cheminement après la mort, Eternité) à deux (vie terrestre,
Eternité). Il enlève toute consistance à
la Rencontre-Jugement avec le Christ dans le mystère de la mort – en quelque
sorte une Parousie personnelle – en reportant son contenu sur la vie présente,
spécialement au moment de son terme (le dernier soupir). C’est de là que vient
l’idée insensée que les dernières pensées avant de « rendre l’âme »
détermineront le lieu où l’on sera (Dieu sait comment !) quelques instants plus
tard : au ciel, au purgatoire ou en enfer. »
|
On
lit à la page 180 : « Les âmes
m'ont dit que chacun a la même possibilité, à sa mort, de dire
"oui" au dernier moment. Que ce soit une lente maladie qui les
emporte ou une balle qui leur traverse la cervelle, tous disposent des mêmes
deux ou trois minutes pour dire "oui " à Dieu. »
Une
italienne, Mirella Pizzioli, semble avoir reçu le charisme de recevoir des
messages de l’au-delà. Les messages visent souvent les familles en deuil. "Le ciel est ouvert au-dessus de moi, dit-elle, la mort n'existe pas, je les vois,
j'entends leurs voix, ils sont vivants, ils nous tendent les bras, nous
sourient…"
Ces
révélations privées sont intéressantes en ce sens qu’elles parlent de ce qui se
passe dans les instants de la mort et semblent confirmer point par point ce que
cette thèse s’efforce de poser : la mort est un passage qui peut durer,
les morts gardent leur vie sensible, le Christ, des morts et des anges leur
apparaissent, les mourants y font un choix.
Voici
des extraits d'un entretien de C. Parmantier tirés de plusieurs articles du
journal « STELLA MARIS » (2011).
« (...) J'ai assisté une autre
femme âgée, de la famille de mon mari. On a dû lui mettre les barrières de
protection, parce qu'en agonie, elle tombait du lit. Et quand elle est partie, les créatures du Ciel m'ont dit
que cette personne est au purgatoire et que sa faute, c'était son grand égoïsme
et son attachement à l’argent. J'ai dit quelques mots à sa famille, mais ils se
sont offensés, disant qu'il n'était pas possible que cette femme de 80 ans puisse
être au purgatoire, parce que son purgatoire, elle l'avait déjà fait sur la
terre.
-
Que doit faire la famille quand arrive l'agonie ?
« Elle doit prier, prier, demander
pardon au Seigneur pour cette créature. Si elle est catholique, elle doit
demander le prêtre pour le sacrement des malades et l'inviter doucement à se
confesser. Et si on n'y réussit pas, nous, prions pour elle. Si elle
n'accepte pas, on prie discrètement pour elle; il suffit d'aller dans le
couloir, et de dire : "Seigneur, miséricorde pour cette personne !",
parce que la miséricorde que le Seigneur a pour cette personne, un jour, il
l'aura pour nous qui l'avons imploré pour les autres.
-
Pour un agonisant, la prière des proches est donc très importante.
Libère-t-elle le moribond plus vite ?
« Je pense que oui. Mais, de toute
façon, le Seigneur a pitié de cette créature, même si personne ne prie pour
elle. Mais, si nous mettons en acte notre foi, nous avons, nous, un bénéfice,
qui est toujours réciproque. Dans les messages que je reçois, selon ce que
disent les créatures de leur passage,
c'est un moment sans douleurs. Très souvent, elles disent qu'au moment de
partir, elles se sentent comme quand elles étaient petites, serrées dans les
bras de la maman.
« Arrivées
au moment de « la mort », - elles ne disent jamais « la mort »; la
mort, pour elles, a un autre sens, pas celui-ci -,
après la souffrance, après l'immense lassitude, l'épuisement physique au point
de n'en plus pouvoir, alors, elles éprouvent la sensation de rêver, de se sentir
si bien, qu'elles sont convaincues de rêver. Et dans ce rêve conscient, elles
se disent: « Je ne veux pas ouvrir les yeux », parce cela faisait longtemps
qu'elles ne se sentaient pas aussi bien. Elles goûtent la paix en elles-mêmes.
Elles ne ressentent plus les douleurs, elles n'entendent plus le bruit. Et
elles craignent d'ouvrir les yeux, parce que, après ce temps de souffrances,
elles vivent une sensation si belle, qu'elles ont peur, en ouvrant les yeux, de
se retrouver malades à l'hôpital.
« Et à l'improviste, il arrive
toujours quelque chose. Ou elles s'entendent appeler, ou elles sont comme
obligées d'ouvrir les yeux. Au moment où il y a cette ouverture, elles
s'aperçoivent que quelque chose est arrivé. Certaines disent qu'elles se sont
senties planer, comme une plume qui flotte dans l'air, comme quelque chose qui
se balance, mais toujours quelque chose de très agréable.
« La mort, telle que nous en
parlons, ne comporte pas de souffrances. C'est
un moment de grâce, c'est un moment de tendresse.
« Et alors, il y a le contact avec
l'autre réalité. Dès qu'elles ouvrent les yeux, elles se rendent compte
immédiatement qu'elles sont « mortes », de l'autre côté... que c'est une autre
situation où elles n'ont plus rien à faire avec la terre.
La terre, elle est fermée ! Et là, pour
certains, c'est la terreur, pour d'autres la joie. Quand l'âme est détachée du
corps, elle acquiert la connaissance immédiatement et opère un certain retour,
une réflexion profonde sur ce qu'a été sa vie. Sereine et en paix, elle éprouve
la sensation d'être arrivée : "Il n'y a plus de problèmes".
« Elle veut affronter avec courage
la purification qui reste nécessaire.
« Pour les créatures qui ont vécu
de manière indifférente vis-à-vis de Dieu, ou sans le connaître, celles qui n'ont
pas réfléchi, qui n'ont pas encore
choisi, lorsqu'elles se trouvent sur le seuil de la Porte, le Seigneur leur donne l'opportunité de
comprendre, de voir, d'entendre. Et alors elles se décident à dire oui ou non à
Dieu.
Le plus grand nombre, au moment du
détachement, se convertit, demande pardon et est sauvé. Mais il y a des personnes qui malgré tout ne le veulent
pas.
« Si je pouvais vous raconter tous
les messages, reçus ici, dans ce sous-sol, ce serait plein d'écrits, des piles
de paquets! Bien que ce soit la même chose, chacun a une sensation différente.
Chaque personne est différente d'une autre, différente dans sa vie sur la
terre, différente dans sa préparation...
« C'est merveilleux, vu que chacun
vit ce moment d'une manière qui lui est propre. Mais au fond, à ce moment-là,
c'est toujours un réveil; la créature comprend immédiatement sa situation, avec une très grande lucidité. Personne
ne dit : "Mais qu'est-ce que je fais là, où suis-je ?" Non, chacun
sait ce qu'il lui est arrivé.
« Pour certains, j'ai l'impression
qu'ils se retournent comme s'ils voulaient revenir en arrière, s'échapper de
là. Mais c'est impossible. Ceux qui meurent dans la violence, ceux qui se
suicident, qui partent immédiatement dans un accident de la route... et se
mettent presque en colère. Ceux qui se suicident, c'est presque de la folie.
Ils veulent revenir en arrière, parce qu'ils se disent: "Mais qu'est-ce
que j'ai fait ? Je n'ai rien compris ! " C'est vraiment la perception
immédiate de ce qu'ils ont fait.
« Beaucoup,
dans les accidents de la route, restent sur le lieu même des jours durant; je
les vois assis sur le trottoir. Et
souvent, quand il y a un accident, un autre survient au même endroit... Elles me parlent de la lumière, mais
pas de tunnels. Elles parlent seulement de leur totale lucidité à comprendre où
elles sont.
« Très
souvent si c'est un fils, Dieu envoie la maman qui
s'approche pour consoler. En voyant une maman, on n'a pas peur.
« Si c'est une personne qui a déjà
l'habitude de vivre en Dieu, la sainteté se reflète, et c'est la rencontre
proprement dite. Mais je crois que c'est une action immédiate, aussi bien l'une
que l'autre, parce qu'il n'est plus question de temps (puisqu'il n'y a plus de
matière, il n'y a plus de lieu ni de temps).
« Pour des garçons qui s'en vont
dans les accidents de la route, d'autres garçons qui sont déjà au Ciel viennent
parler avec cette créature. Et voyant des jeunes, ils se tranquillisent entre
eux. Ils plaisantent entre eux; je les vois, avec les jeans, les chaussures de
sport toutes défaites, ils rient ; puis la personne qui est morte à ce moment,
si elle est jeune, très souvent donne des coups de pied à la voiture ! Elle est
comme en colère après la voiture. Et puis, elle se dit: «C'est ma faute, parce que j'allais
trop vite, je savais que je ne devais pas le faire, c'est de ma faute». (...)
« Les
créatures voient leur corps, et
elles ne se plaisent jamais! Quand elles se regardent de l'extérieur de leur
corps, c'est comme d'enlever un vêtement sale, déchiré... Elles n'ont aucune
nostalgie du corps. C'est même un plaisir de se détacher de quelque chose qui a
fait souffrir. "C'était si pesant", disent-elles. Certaines m'ont
avoué avoir bien ri, malgré le déplaisir de voir leurs parents les pleurer.
L'âme est dans la joie. (...)
« Les âmes n'oublient rien de la
terre, elles se souviennent de tout.
« Dans tous les cas, elles viennent
nous enseigner à ne pas faire les mêmes erreurs qu'elles ont faites, elles : "Si
je n'avais pas fait ceci..." Elles demandent pardon si elles n'ont pas su
aimer, elles se repentent de ne pas avoir enseigné l'amour à leurs enfants, de
ne pas leur avoir appris à embrasser, à s'embrasser.
« Elles disent toutes une chose :
"Jamais plus sur la terre ! Si le Seigneur me demandait un tel sacrifice,
je le ferais pour lui, mais, moi, de ma propre volonté, jamais plus sur la
terre !" Mais le Seigneur ne le demande pas.
« Les âmes s'en souviennent de la
mort comme d'un moment très doux, le moment le plus important; elles
l'appellent la renaissance. C'est pourquoi elles ne fêtent pas le jour de leur
anniversaire, mais le jour de leur départ de la terre. (...). »
Karl-Gustav
JUNG (1875 - 1961) lorsqu'il fut hospitalisé à la suite d'une crise cardiaque,
au début de l'année 1944 fit la description dans son autobiographie d'une NDE.
« (...)
Les images avaient une telle violence que j'en conclus moi-même que j'étais
tout près de mourir. Mon infirmière me dit plus tard : « Vous étiez comme
entouré d'un halo lumineux ! » C'est un phénomène qu'elle avait parfois observé
chez les mourants (...)
Je
croyais être très haut dans l'espace cosmique. Bien loin au-dessous de moi,
j'apercevais la sphère terrestre baignée d'une merveilleuse lumière bleue (...)
Évidemment je voyais aussi les sommets enneigés de l'Himalaya, mais tout y
était brumeux et nuageux (...) Je savais que j'étais en train de quitter la
terre. (...) Le spectacle de la terre vue de cette hauteur était ce que j'ai
vécu de plus merveilleux et de plus féerique.
(...)
Quelque chose de nouveau entra dans mon champ visuel. À une faible distance,
j'aperçus dans l'espace un énorme bloc de pierre, sombre comme un météorite, à
peu près de la grosseur d'une maison, peut-être même plus gros. La pierre
planait dans l'univers et je planais moi-même dans l'espace.
J'ai
vu des pierres semblables sur la côte du Bengale (...). Ma pierre était aussi
un de ces sombres et gigantesques blocs. Une entrée donnait accès à un petit
vestibule ; à droite, sur un banc de pierre, un indien à la peau basanée était
assis dans la position du lotus, complètement détendu, en repos parfait ; il
portait un vêtement blanc. Ainsi, sans mot dire, il m'attendait. Deux marches
conduisaient à ce vestibule ; à l'intérieur, à gauche, s'ouvrait le portail du
temple (...)
Quand
je m'approchai des marches par lesquelles on accédait au rocher, je ressentis
une très étrange impression : tout ce qui avait été jusqu'alors s'éloignait de
moi. Tout ce que je croyais, désirais ou pensais, toute la fantasmagorie de
l'existence terrestre se détachait de moi ou m'était arrachée ; processus
douloureux à l'extrême. Cependant quelque chose en subsistait, car il me
semblait avoir alors, près de moi, tout ce que j'avais vécu ou fait, tout ce
qui s'était déroulé autour de moi. Je pourrais tout aussi bien dire : c'était
près de moi et j'étais cela ; tout cela en quelque sorte me composait. J'étais
fait de mon histoire et j'avais la certitude que c'était bien moi. (...) Cet événement
me donna l'impression d'une extrême pauvreté, mais en même temps d'une extrême
satisfaction. Je n'avais plus rien à vouloir, ni à désirer ; j'étais
pourrait-on dire, objectif, j'étais ce que j'avais vécu. (...) Plus aucun
regret que quelque chose fût parti ou enlevé. Au contraire : j'avais tout ce
que j'étais et je n'avais que cela.
J'eus
encore une autre préoccupation : tandis que je m'approchais du temple, j'avais
la certitude d'arriver dans un lieu éclairé et d'y rencontrer le groupe
d'humains auquel j'appartiens en réalité. Là je comprendrais enfin, cela aussi
était pour moi une certitude, dans quelle relation historique je me rangeais,
moi ou ma vie. Je saurais ce qui était avant moi, pourquoi j'étais devenu ce
que je suis et vers quoi ma vie continuerait à s'écouler...
Tandis
que je méditais sur tout cela, un fait capta mon attention : d'en bas, venant
de l'Europe, une image s'éleva : c'était mon médecin, ou plutôt son image,
encadrée d'une chaîne d'or ou d'une couronne dorée de lauriers. Je me dis
aussitôt : « Tiens ! C’est le médecin qui m'a traité ! "
Dans
une vie antérieure il aurait été le roi de cette île où l'on avait érigé un
temple en hommage à Esculape, dieu romain de la médecine, mais aussi lieu de
naissance d'Hippocrate, modèle de l'éthique médicale. »
Jung
poursuit :
« Quand
il fut arrivé devant moi, planant comme une image née des profondeurs, il se
produisit entre nous une silencieuse transmission de pensées. Mon médecin avait
été en effet délégué par la terre pour m'apporter un message : on y protestait
contre mon départ. Je n'avais pas le droit de quitter la terre et devais y
retourner. Au moment où je perçus ce message, la vision disparu.
J'étais
déçu à l'extrême ; maintenant tout semblait avoir été en vain. Le douloureux
processus de "l'effeuillement" avait été inutile : il ne m'était pas
permis d'entrer dans le temple ni de rencontrer les hommes parmi lesquels
j'avais ma place. (...) En réalité, il se passa encore trois bonnes semaines
avant que je pusse me décider à revivre, je ne pouvais pas me nourrir,
j'éprouvais du dégoût pour tous les mets. »
Par
la suite, le compte rendu relate la déception de Jung d'être revenu à la vie, « La
vie et le monde entier m'apparaissaient comme une prison... », avant de
s'achever sur une funeste prémonition :
Je
ressentais de la résistance face à mon médecin parce qu'il m'avait ramené à la
vie. Par ailleurs, j'éprouvais du souci à son sujet : « Par Dieu, il est menacé
! Ne m'est-il pas apparu sous sa forme première ? Lorsque quelqu'un en est arrivé
à cette forme, c'est qu'il est sur le point de mourir" (...). J'essayai de
mon mieux de lui en parler, mais il ne comprît pas. (...) J'avais la ferme
conviction qu'il était en danger parce que je l'avais rencontré dans sa forme
originelle.
En
effet je fus son dernier malade. Le 4 avril 1944, je sais encore très
exactement la date, je fus autorisé, pour la première fois, à m'asseoir sur le
bord du lit et ce même jour, il se coucha pour ne plus se relever.
(...)
Après cette maladie commença pour moi une période fertile de travail. Bon
nombre de mes œuvres principales ne furent écrites qu'après. La connaissance ou
l'intuition de la fin de toutes choses me donnèrent le courage de chercher de
nouvelles formes d'expression. »
On
ne peut certainement pas écarter du récit de Jung l'influence de ses thèmes
d'étude, de ses voyages et de son attrait pour les cultures orientales,
hindoues plus particulièrement. Il n'empêche que l'on y rencontre de fortes
similitudes, riches de composantes transcendantales, avec notre " EMI
standard "
A
travers les mythes et récits des nombreuses traditions religieuses, on trouve
une constante affirmation d’un jugement à l’heure de la mort. Nous aurions pu
ici rapporter les multiples analogies à notre hypothèse : Apparition d’un Dieu,
d’une barque, d’un fleuve symbolisant le passage et le jugement. Nous nous
contenterons de rapporter les plus significatives, celles en qui nous estimons
que tout le reste est présent. Nous avons retenu le tantrisme et l’Islam. Nos
sources se trouvent dans l’Encyclopédia Universalis, articles Tantrisme,
Bouddhisme, Islam, le livre des morts tibétains, un traité de catéchisme
islamique doté de l’Imprimatur, de Fdal Haja.
La
religion de l’Egypte antique est comme une religion d’enfants. Elle représente
sa théologie, parfois très spirituelle, sous forme sensibles et animale. Cela
rend très aisé à comprendre sa conception des évènements de la mort.
Or,
ce qui est étonnant, c’est la concordance extrême entre la vision des
évènements de la mort et ce qui est raconté ici, au point que cette phrase mystérieuse de
Matthieu 2, 15, citant un oracle inconnu d’un prophète « D’Egypte j’ai
appelé mon Fils », prend un sens étonnant.
J’ai
tenté d’établir un tableau de concordance mettant en parallèle ce qui est
commun entre ces deux religions et les Near Death Experiences. Il en
ressort de fortes similitudes.
L’Égypte
Antique |
Le
catholicisme |
Les
Near Death Experiences |
Osiris,
Dieu de la vie, mis à mort et ressuscité |
Le
Christ, Dieu fait homme, mis à mort et ressuscité (De foi). |
|
Isis,
sœur et épouse d’Osiris qui obtint en priant sa résurrection. |
Marie,
mère et épouse mystique du Christ qui obtint en priant sa résurrection
(opinion des mystiques). |
|
Imiter
Isis et Osiris pour obtenir d’eux la résurrection. |
Imiter
le Christ et Marie pour obtenir de Dieu la résurrection (De foi). |
|
A
l’heure de la mort, le Kâ (le
double sensible du mort) et le Baï,
son esprit) sortent du corps. |
A
l’heure de la mort, seul l’esprit survit. Tout ce qui est lié au cerveau
disparaît, donc la vie sensible (opinion de saint Thomas d’Aquin). |
A
l’heure de la mort, un corps psychique et l’esprit sortent du corps. |
3
degrés de vie : -
le corps (fondement de tout, lié à la momie qui doit rester intact). - Kâ, siège des sensations et
sentiments, survit à la mort. C’est le « corps double. » - Baï, siège des choix et des péchés,
survit à la mort. |
3
degrés de vie : -
La chair, le corps mortel -
La vie sensible (pas de corps distinct de la chair pour cette vie
intermédiaire). -
L’esprit, directement créé par Dieu, survit SEUL à la mort (opinion de saint
Thomas d’Aquin). |
3
degrés de vie : -
Biologique, lié au corps de chair. -
Sensible, lié au corps psychique ou astral, qui est comme le «
corps double. » Il survit à la mort. -
Spirituel, survit à la mort. |
Le Kâ et le Baï ne peuvent survivre si la momie n’est pas conservée intacte. |
La
survie de l’esprit est indépendante de la décomposition du cadavre, bien que
l’Eglise préfère l’inhumation à l’incinération. |
La
survie du corps astral et de l’esprit sont indépendantes de la décomposition
du cadavre, comme l’atteste la venue des proches décédés depuis longtemps. |
A
l’heure de la mort, décorporation puis passage difficile sur le
fleuve-serpent Apophis. |
Rien
d’attesté par la foi, ni pour ni contre, sur la survie du psychisme, sauf
pour la survie de l’esprit qui est de foi. |
A
l’heure de la mort, décorporation (corps psychique et esprit) puis passage
vers un tunnel noir. |
Présence
du dieu Anubis, le chacal, qui aide le mourant. |
Foi
dans la présence de l’ange gardien (opinion des mystiques). |
Présence
attesté d’un «
guide » invisible, qui accompagne et rassure. |
Epreuve
des sept portiques que l’âme doit passer un à un en attestant de sa justice
et en prononçant les noms des sept gardiens, puis des dix pylônes et de leurs
dix dieux. |
Foi
dans la présence de Lucifer auprès du mourant, dans une dernière tentation
(opinion des mystiques). |
Quelques
N.D.E. infernales, extrêmement effrayantes attestées par de grands pécheurs. |
Apparition
du tribunal d’Osiris, en présence des dieux. |
Credo
: « Le Christ reviendra dans sa gloire… |
Apparition
de l’Etre de Lumière, au trois qualités : Amour, vérité, humour. |
C’est
le lieu du jugement. Le cœur du mourant est déposé sur la balance et pesé
face à une plume de la déesse Maat, la droiture. |
…
pour juger les vivants et les morts… |
L’Être
de Lumière passe en revue, avec douceur et vérité, le film de la vie, le bien
et le mal commis. |
Rien
d’attesté. |
…
accompagné des saints et des anges. » (De foi, foi habituellement comprise
pour la seule fin universelle du monde). |
Apparition
des proches décédés qui viennent soutenir le mourant et l’entourer. |
L’âme
justifiée est conduite aux jardins d’Elihu, le paradis, où elle reprend, dans
la lumière et face aux dieux, sa vie d’avant, mais sans la souffrance. |
Après
le jugement dernier, l’âme est immédiatement conduite au paradis qui est la
vision spirituelle et face à face, de l’essence de Dieu (De foi). |
(Les
témoins des N.D.E. ne vont pas plus loin : une limite apparaît, celle de
l’au-delà : s’ils la franchissent, ils savent qu’ils ne reviendront plus sur
terre. |
L’âme
des méchants est livrée à la « dévorante », qui est un monstre crocodile, hippopotame, et lion. |
L’âme
en état de péché mortel est aussitôt conduite en enfer où elle subit des
peines diverses (De foi). |
Fin
de l’expérience… |
Rien |
L’âme
en qui il reste quelque imperfection est conduite à un temps de purgatoire
(De foi). |
Rien |
A
la fin du monde, tel le scarabée, la résurrection de la momie est promise aux
seuls justifiés. |
A
la fin du monde, tel le Christ, la résurrection de la chair est promise, aux
méchants comme aux bons (De foi). |
|
Le
livre des morts tibétain est un ouvrage hors du commun qui se présente comme
une anthologie des enseignements dispensés au long des siècles par les sages de
l’ancien Tibet. Il s’agit de la mise par écrit au VIIIème siècle de
notre ère de traditions orales plus anciennes.
La
forme adoptée par ce livre étrange résulte des différents usages auxquels il a
été destiné. Tout d’abord, aux yeux des érudits qui l’avaient rédigé, la mort
passait pour une activité impliquant une certaine technique ; on pouvait s’en
tirer avec art, comme aussi avec maladresse, selon que l’on possédait ou non
les connaissances requises à cet effet. C’est pourquoi la lecture de ce livre
faisait partie de la cérémonie funéraire ou s’effectuait au chevet d’un mourant
pour accompagner ses derniers instants. On assignait donc à cette lecture deux
fonctions. La première : aider le mourant à se pénétrer de la nature de chacun
des phénomènes accompagnant la mort, si nouveaux et si merveilleux, à mesure
qu’il en faisait l’expérience. La seconde : Encourager les survivants à former
des pensées bénéfiques, de manière à ne pas retarder le mourant par des
manifestations d’amour ou de tension émotionnelle, en sorte qu’il puisse
accéder aux plans de l’après vie dans un état d’esprit approprié, dégagé de tout
souci terrestre.
Pour
parvenir à ces fins, le livre contient une longue description des différentes
étapes par lesquelles l’âme passe après la mort (ou au moment ?) de la mort
physique. Or, la concordance entre les premiers stades de la mort ainsi présentée
et ce que nous soutenons comme nécessaire à la mort chrétienne à travers notre
hypothèse est tout bonnement fantastique. De même, on ne peut manquer de
remarquer les similitudes avec les récits de l’expérience de ceux qui ont
approché la mort[279].
Pour
commencer, dans l’exposé tibétain, l’esprit ou l’âme (la précision scolastique
des mots n’est pas à rechercher dans ces descriptions) du mourant se détache de
son corps. Peu après, cette âme connaît une sorte de syncope et se trouve dans
un vide (non pas un vide physique, mais un vide qui possède en fait des limites
qui lui sont propres), et où la conscience est conservée. Il se peut que le
défunt entende à ce moment là des bruits ou des sons alarmants ou désagréables,
qualifiés de grondements, de tonnerres ou de sifflements semblables à ceux du
vent. Il se retrouve ensuite, en général, aussi bien lui-même que ce qui
l’entoure, comme enveloppé d’un éclairage gris et brumeux.
Il
s’étonne en s’apercevant qu’il a quitté son corps. Il voit et il entend ses
parents et ses amis qui se lamentent tout en se livrant à la toilette du corps
en vue des funérailles. Il voit et il entend, ce qui signifie que, sans être
dans son corps physique qu’il peut regarder, il est doté d’une activité
sensible qui implique un certain lien de son esprit avec une partie physique de
lui-même. C’est donc que la mort au sens chrétien du mot (séparation de l’âme
et du corps), n’est pas réalisée. Le mourant ne se rend d’ailleurs pas encore
compte qu’il est mort, si ce n’est par le fait que lorsqu’il essaye de parler à
ceux qui entourent sa dépouille, ils ne l’entendent pas. Il en est désorienté.
Il se demande s’il est mort ou non et, quand il finit par concevoir qu’il l’est
effectivement, il ne sait où aller ni quoi faire. Un grand regret s’abat sur
lui et il se sent déprimé par ce nouvel état. Il demeure un certain temps au
voisinage des lieux qui lui sont familiers.
Il
constate qu’il continue à avoir un corps (dénommé par le livre corps brillant)
qui ne paraît pas constitué de matière au sens palpable du mot. Ainsi, il peut
traverser les murs, les rochers et même les montagnes sans rencontrer la
moindre résistance. Les déplacements sont instantanés ; quel que soit le lieu
où il désire aller, il y parvient en une seconde. Sa pensée et ses perceptions
sont moins limitées ; son intellect devient lucide, et ses sens lui paraissent
plus aiguisés, plus parfaits, et d’une nature plus proche du divin. S’il a été,
durant sa vie physique, sourd ou aveugle ou estropié, il est surpris de se
découvrir dans son corps brillant doté de l’intégrité de ses membres. Il
rencontre éventuellement d’autres êtres possédant un corps semblable, et peut
aussi se trouver devant ce que le texte désigne comme « une claire et pure lumière.
» Les Tibétains conseillent au mourant, lorsqu’il approche de cette
lumière, de s’efforcer de n’avoir que des pensées d’amour et de compassion à
l’égard d’autrui. Les descriptions de cette lumière sont à la fois physiques et
spirituelles. Plus qu’une lumière, il s’agit d’une entité rayonnant lumière
physique et spirituelle, chaleur physique et spirituelle. Le mourant est attiré
vers elle et découvre à travers sa présence que l’amour seul est digne de foi.
Ces descriptions ne peuvent que frapper le chrétien dans la mesure où il ne
voit pas autrement le Christ : la gloire de son corps, telle qu’elle est
apparue aux disciples le jour de la transfiguration ne rayonnait-elle pas
lumière et amour, comme une image sensible de la gloire de Dieu ? En ce qui
concerne notre hypothèse, nous ne pouvons manquer de faire remarquer à quel
point cette apparition, qui semble appartenir encore à ce monde et devancer la
séparation totale de l’âme et du corps, ressemble à une parousie.
Le
livre décrit aussi des sensations de paix immense et de bonheur éprouvé par le
défunt ; et, également, une sorte de « miroir »dans lequel sa vie entière, les bonnes
et les mauvaises actions, se reflètent à sa propre vue comme à celle des
entités qui la jugent. Dans cette circonstance, aucune erreur n’est possible.
Nul ne peut tricher sur sa propre vie. Ceci nous paraît s’identifier à ce que
nous avons cru pouvoir admettre comme nécessaire, à travers une recherche de
théologie catholique, au choix qui précède le destin éternel. En termes
scolastiques, on parlerait de « disparition
du foyer de péché »et de conditions
parfaites au choix libre. L’analogie est en tout cas frappante.
Bref,
bien que le Livre des morts tibétain contienne encore de nombreuses
informations sur les stades ultérieurs de la vie après la mort, qui sont
nécessairement teintés de croyances bouddhiques et outrepassent le domaine dont
nous nous sommes fixé l’étude, il est notoirement évident que de frappantes
similitudes s’établissent entre ce que la théologie catholique fondée sur ses
dogmes se doit d’admettre et les descriptions de ces hommes qui semblent avoir
expérimenté le phénomène.
• Grande spécialiste du bouddhisme
tibétain, Françoise Pommaret
rapporte remarquablement des récits d'expériences qu'elle nomme, non sans une
certaine pertinence, des "descentes aux enfers. » On rencontre, explique-t-elle,
“Les
récits de descente aux enfers par une personne apparemment morte, forment un
genre littéraire bien connu aussi en Chine. Il en est de deux espèces... [Dans
l'une] un individu quelconque s'évanouit et revient à la vie. L'autre concerne
de héros religieux comme Maudgalyâyana qui va volontairement en enfer grâce à
sa puissance religieuse... Cette seconde catégorie de personnes [ne traverse
pas la mort]... mais descend simplement aux enfers... de son plein gré, pour
“ sauver ” un être qui lui est cher et le amener sur terre, ou bien
le faire renaître dans un meilleur domaine de réincarnation afin qu'il trouve
pleinement le salut.
[Le récit relevant de la première
catégorie, lui,]... met en scène un personnage qui n'est au départ ni un héros,
ni un saint... Il “ meurt ” à la suite d'une maladie et se trouve
propulsé dans un voyage à travers les enfers et quelquefois les paradis... il
doit faire face aux acolytes du dieu des morts, Yama Dharmarâya, puis assister
aux tortures des pécheurs dans les différents enfers, rencontrer des
personnages qui lui expliquent la raison de leurs châtiments... Ce message
[pour les vivants] enjoint [à ceux-ci] d'accomplir de bonnes actions et
d'éviter les péchés. Tout au long de son parcours dans l'au-delà, le ’das log est souvent accompagné par une
entité surnaturelle [!] qui le protège et lui explique ce qu'il voit”[280].
Au Bhoutan, l'auteur a rencontré
plusieurs de ces ’das log, qui, en
majorité, sont des femmes.
Françoise
Pommaret rapporte des récits
d'expériences du type NDE, conférant
à ceux qui les ont vécues (seulement à l'occasion d'une "maladie" ?),
un statut particulier dans la communauté sociale, celui de ’das log. Au Bhoutan, l'auteur a rencontré plusieurs de ces ’das log, qui, en majorité, sont des
femmes.
« Les récits de descente aux enfers par une
personne apparemment morte, forment un genre littéraire bien connu [pas
seulement au Tibet mais] aussi en Chine... [Un tel récit] met en scène un
personnage qui n'est au départ ni un héros, ni un saint... Il "meurt"
à la suite d'une maladie et se trouve propulsé dans un voyage à travers les
enfers et quelquefois les paradis... il doit faire face aux acolytes du dieu
des morts, Yama Dharmarâya, puis assister aux tortures des pécheurs dans les
différents enfers, rencontrer des personnages qui lui expliquent la raison de
leurs châtiments... Ce message [pour les vivants] enjoint [à ceux-ci]
d'accomplir de bonnes actions et d'éviter les péchés. Tout au long de son
parcours dans l'au-delà, le ’das
log est souvent accompagné par une entité surnaturelle [!] qui le protège
et lui explique ce qu'il voit »[281].
L’Islam
est une religion d’un tout autre genre que l’origine judéo-chrétienne rapproche
davantage des dogmes de l’Église catholique. Elle croit que Jésus, vrai homme
et non pas Dieu, est le Messie et qu’il apparaîtra à la fin du monde pour
remettre entre les mains de Dieu les vrais musulmans. La foi dans le retour du
Christ est très vivante en Islam. Mais, curieusement, cette venue est
explicitement enseignée comme ne concernant pas seulement la fin du monde mais
la mort individuelle de chacun. L’Islam a donc franchi le pas que nous nous
efforçons de franchir en théologie catholique par notre recherche. Notre source
principale est l’excellent résumé de Fdal Haja dans son ouvrage : la mort et
le jugement dernier selon les enseignements de l’Islam[282].
Son
travail a le mérite d’avoir été approuvé par les autorités religieuses de
l’Islam Chiite et sunnite. L’auteur part d’un verset du Coran[283] : «
Il n’en pas un seul parmi les gens du Livre à ne pas croire à lui avant sa
mort, et le jour de la Résurrection Jésus sera témoin contre eux. » Haja, s’appuyant sur les commentaires
des Docteurs qui l’ont précédé croit pouvoir interpréter de la manière suivante
ce verset : il y est dit que tout homme verra la vérité dévoilée sur son lit de
mort au point que pas un seul être humain ne mourra sans avoir reconnu avant le
vrai du faux. La vérité sera prêchée par Jésus, et les gens sauront en
particulier toute la vérité sur lui : ils sauront qu’il est homme et non pas
Dieu.
Alors
la religion deviendra une, la religion d’Abraham, le musulman, le fervent.
Jésus tuera l’Antéchrist dans le cœur de chacun, sur ordre de Dieu. Haja cite
un propos prêté au prophète Mahomet par Abu Hurayra : « Comment vous comporterez vous au jour de l’apparition parmi vous du
fils de Marie, si vous vous comportez ainsi avec votre guide qui est pourtant
des vôtres ? »
On
le voit, la pensée Islamique, sans doute grâce à une plus grande familiarité
avec le genre littéraire apocalyptique, n’hésite pas à appliquer à l’heure de
la mort individuelle de tels textes. Elle résout de cette manière sans
difficulté la question du salut des gens du Livre (juifs et chrétiens) qui
vivent dans l’erreur par la faute de leurs premiers imams. Nous ne souscrivons
certes pas au contenu de la prédication faite par Jésus sur le lit de mort mais
nous reconnaissons avec l’Islam la nécessité d’une telle prédication pour tout
homme sous peine de non-compréhension du mystère de la justice de Dieu.
Force
nous est aussi de remarquer l’importance qu’a prise en terre d’Islam la
théologie du « lit de mort. » Il s’y passe des événements
spirituels d’une extrême importance pour le salut.
Victor
Hugo est loin d’être un prophète mais il est, en un certain sens un fondateur
de religion, d’une sorte de culte spirite dont les îles anglo-normandes furent
la matrice. A sa façon de poète, il fut un mystique. Nous ne pouvons résister à
la tentation de citer en conclusion quelques vers de son poème intitulé Ce
qu’est la mort[284] :
CE QUE C’EST QU’EST LA MORT
Ne dites pas : mourir ; dites : naître.
Croyez.
On voit ce que je vois et ce que vous
voyez ;
On tâche d'oublier le bas, la fin,
l’écueil.
La sombre égalité du mal et du cercueil
;
Quoique le plus petit vaille le plus
prospère ;
Car tous les hommes sont les fils du
même père ;
Ils sont la même larme et sortent du même
œil.
On vit usant ses jours à se remplir
d'orgueil ;
On marche, on court, on rêve, on
souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc cette aube ?
C’est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort. Viens! Un
vent inconnu
Vous jette au seuil des cieux. On
tremble ; on se voit nu,
Impurs hideux, noué de mille nœuds
funèbres ;
De ses torts de ses maux honteux, de ses
ténèbres ;
Et soudain on entend quelqu'un dans
l'infini
Qui chante et par quelqu'un on sent
qu'on est béni.
Sans voir la main d'où tombe à notre âme
méchante
L'amour, et sans savoir quelle est la
voix qui chante
On arrive homme, deuil, glaçon, neige :
on se sent
Fondre et vivre : et d'extase et d'azur
s'emplissant,
Tout notre être frémit de la défaite
étrange
Du monstre qui devient dans la lumière
un ange
Au
dolmen de la tour Blanche, jour des morts, novembre 1854
Victor
Hugo, Les contemplations
On tremble, on se
voit nu. Où suis-je ? Dans la mort... Et soudain on entend quelqu’un dans
l’infini qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni, sans voir la main
d’où tombe à notre âme méchante, l’amour.
Dans
sa synthèse dogmatique, le Père J.H. Nicolas n’a pas de mots trop durs pour
attaquer une position proche de celle que nous défendons et qu’il attribue à
Boros, Glorieux et Geffré[285]. Il cite un texte de Geffré : « La mort coïnciderait avec le premier acte
pleinement personnel de l’homme. Elle serait ainsi le lieu privilégié de la
conscience de soi, de la liberté, de la rencontre avec Dieu et de sa décision
quant à sa destinée éternelle. La mort réaliserait ainsi l’achèvement de notre
dynamisme humain et épuiserait toutes nos possibilités de choix. Cet acte
ultime n’est pas à situer avant ou après la mort. Il coïncide avec l’instant
même de la mort. » Puis le Père
Nicolas le commente de la façon suivante : «
Il faut noter que c’est là pure hypothèse, absolument invérifiable, qui va
plutôt à l’encontre de tout ce qu’on peut vérifier de l’état de la personne au
moment de la mort.(...) Il n’existe pas de dernier instant qualitativement
différent des précédents. Ordinairement, la personne est au contraire
extrêmement diminuée et incapable d’agir et de décider à ce point ultime de la
vie terrestre. Il est tout à fait arbitraire d’affirmer qu’elle est à ce moment
plus capable qu’auparavant de se décider librement à l’égard de Dieu, du Christ. »
Le
Père Nicolas élabore ensuite une théorie du salut de type classique en montrant
que les choix terrestres, malgré les limites de leur liberté, suffisent à
déterminer le destin éternel. Il semble ne pas se rendre compte de la
contradiction interne que présente sa théologie puisqu’il reconnaît par
ailleurs que celui qui se met en enfer ne le fait qu’à travers un acte
parfaitement libre (blasphème contre le Saint Esprit au sens le plus thomiste
de l’expression), blasphème dont il reconnaît ici l’impossibilité puisque la
liberté est limitée. De fait, il n’échappe pas à la contradiction interne de la
conception traditionnelle de l’eschatologie. Mais sa critique contre la
position de Geffré nous atteint : de fait, la faiblesse de notre position vient
du manque apparent de fondements empiriques. Notre position est-elle si
arbitraire qu’il y paraît ? C’est ce que nous allons étudier. Cependant, qu’on
ne pense pas que nous fondons notre hypothèse sur ce qui va suivre. Il semble,
en effet, que des hommes réanimés par la médecine, témoignent d’une expérience
très semblable à celle dont nous avons posé la nécessité en théologie. Au delà
de l’expérience de mort approchée (« Near
Death Experience »), c’est la logique
interne de toute la foi catholique telle que nous l’avons rapportée
précédemment, qui nous a obligé à poser cette parousie à l’heure de la mort. Nous
répondrons au Père Nicolas comme à tous ceux qui formulent ce genre de critique
trop rapide : le problème n’est pas que cela paraît arbitraire, à cause d’un
manque de fondement empirique ; le problème est de savoir si cela est
nécessaire, compte tenu de qui est Dieu.
L’expérience
de mort approchée, telle qu’elle est rapportée par des personnes de plus en
plus nombreuses, les progrès des techniques de réanimation expliquant cela,
n’est pas de l’ordre d’une révélation privée. Étant vécu par un nombre important,
elle entre dans le domaine expérimental
de la philosophie. Mais est-elle autre chose qu’un rêve ?
Epistémologiquement, elle ne relève donc pas de la théologie catholique mais de
la philosophie. Elle ne relève pas de la foi mais de l’expérience, même si
cette expérience n’est vécue que dans des circonstances particulières. Or, il
est toujours intéressant pour un théologien de voir le domaine de la théologie
entrer en intersection avec le sien. Nous avons prouvé théologiquement la
nécessité d’admettre une révélation à l’heure de la mort. cette révélation
peut-elle être identifiée à l’expérience de ceux qui ont approché la mort ?
En
1977, le Docteur Raymond Moody publie chez Laffont un ouvrage intitulé la
vie après la vie, suivi d’une étude plus approfondie et critique en 1978
sous le titre de Lumières nouvelles sur la vie après la vie. Ces deux
ouvrages deviennent vite des best seller et suscitent de vifs débats
dans les milieux catholiques, où ils sont tour à tour taxés de « religion au rabais »ou de « phénomène
parapsychique. » Il s’agit d’une
sélection et d’une analyse des témoignages de plus de trois cents personnes
qui, étant passées par une mort clinique et ayant ensuite été réanimées, ont
vécu l’expérience d’un mode de vie préternaturel pendant la durée où elles
étaient cliniquement mortes. Docteur et praticien à la fois en psychologie et
en médecine, Moody était bien préparé pour mener cette étude. Sa méthode
consiste avant tout dans l’écoute des témoignages, dans leur affinement à
l’aide d’un questionnaire ciblé. Il en souligne lui-même les insuffisances.
Dans ce domaine nouveau, il lui a été impossible de suivre une méthode
rigoureusement scientifique, telle que celle du double aveugle. Les témoignages
recueillis sont d’autre part encore trop peu nombreux, et surtout ils proviennent
d’un milieu trop homogène : l’américain moyen, c’est-à-dire des chrétiens (qui
ne le sont souvent que de nom) et quelques juifs. Dans les années qui ont suivi
ses premières publications, ce handicap a été en partie supprimé et la palette
des témoignages est aujourd’hui à la fois plus large et toujours concordante.
Moody a tenté d’élargir son enquête en retrouvant des expériences analogues
dans les écrits de Platon, des Tibétains, des orphiques et dans ceux de
Emmanuel Sweedenborg (1688-1772). De son côté, le traducteur a enrichi
l’enquête de quelques témoignages relevés dans la culture occidentale
catholique. Son enquête est donc typiquement philosophique puisqu’elle par de
l’expérience (non de la foi) et cherche à en établir la nature. Certes, il n’a
pas lui-même vécu cette expérience. Il prend donc le temps de vérifier la
crédibilité de ceux qu’il interroge.
Moody
est chrétien et certaines de ses remarques témoignent d’une foi vivante. Il
nous laisse donc entrevoir le regard de sa foi sur cette expérience. Il note
qu’il n’a relevé de goût pour l’occultisme que chez cinq ou six témoins, soit
avant, soit après leur aventure[287]. Et il n’a « relevé dans aucun des cas la moindre indication concernant
l’éventualité d’une réincarnation. Néanmoins, il est juste de reconnaître
qu’aucun d’eux n’élimine radicalement cette hypothèse. »[288] Il s’est efforcé de faire abstraction
de ses convictions chrétiennes, n’ayant indiqué sa propre lecture de ces
phénomènes qu’avec la plus grande discrétion dans sa dédicace : « A George Ritchie, docteur en médecine, et,
à travers lui, à Celui dont il a suggéré le nom. » Il a cherché à s’assurer
la collaboration d’un théologien et malheureusement il n’y est pas parvenu,
ceux qui se sont intéressés à ses recherches appartenant comme lui au milieu
des évangélistes ou fidéistes, esprits simplistes incapables d’aborder ces
faits avec une mentalité théologiquement critique.
On
peut reprocher à son étude d’être, philosophiquement parlant, involontairement
tendancieuse, tant à cause des influences de sa foi que des nécessités de son
public avide de sensationnel. Elle l’est déjà dans son titre, qui devrait être,
non pas « la vie après la vie » mais
: « la vie pendant la mort clinique. » Les témoins ont en effet tous survécu
à leur expérience. Ils ne sont donc pas morts mais ont été considérés comme
morts. Selon R. Chatillon, la nuance est capitale[289]. Toute l’équivoque est dans l’emploi de
la préposition « après. » Il est probable que ce titre a été
choisi par l’éditeur et imposé à l’auteur par l’éditeur en raison d’arguments
publicitaires. Moody ne fait pas de mise au point, même discrète, dans son
deuxième ouvrage. C’est regrettable. Au contraire, il se permet de sortir de
son objectivité de clinicien pour interpréter les témoignages d’une façon tendancieuse,
dans le sens de l’équivoque suggérée par le titre. En ce qui concerne les
témoins, il est remarquable de constater qu’ils demeurent objectifs. En
général, ils n’ont pas de culture religieuse concernant les fins dernières,
aussi leur témoignage n’est pas entaché d’influences idéologiques extérieures.
Or, ils retrouvent pour décrire l’inexprimable les mêmes mots : la rencontre
avec « l’être de lumière » est à cet
égard significative.
On
peut adresser une autre critique à Moody : il fait œuvre de clinicien aussi il
s’efforce d’isoler dans les témoignages les phases les plus significatives. Il
s’ensuit malheureusement que très peu de relations sont données dans leur
ensemble et d’une seule venue, en particulier les expériences les plus
complètes et les relations les plus détaillées. De plus, l’auteur a peu
développé la phase ultime, celle qui à notre avis est essentielle et va dans le
sens de notre hypothèse : les fruits de la vision de l’être de lumière, la
conversion à une vie spirituelle.
Dans
un premier temps, il est légitime de se demander ce que nous entendons par ce
terme d’expérience. Il ne s’agit pas
d’expérience au sens d’expérimentation scientifique. Le film intitulé L’expérience interdite, sorti sur les
écrans en 1993, raconte une approche de ce type réalisée par un groupe
d’étudiants qui veut observer ce qui se passe de l’autre côté de la mort. Dans
ce but, ils provoquent artificiellement la mort clinique de l’un d’entre eux.
Leur expérience, quoique très risquée (c’est ce que veut montrer le film), est
de type scientifique. En ce qui nous concerne, nous prenons ce mot dans son
sens très général, à savoir celui d’une aventure vécue au plan extérieur ou
intérieur, sans chercher dans un premier temps à déterminer sa vérité ou son
caractère purement imaginaire. Notre étude comporte trois parties :
1-
Description.
2-
Analyse et recherche critique au plan philosophique et théologique.
3-
Conclusion et confrontation à notre hypothèse.
A la
lecture des divers témoignages, nous pouvons discerner diverses phases dans
l’expérience de mort approchée. Toutes ne sont pas décrites par tous les
témoins. Il s’agit d’éléments divers qui en général ont été vécus dans leur
ensemble, quoique l’un ou l’autre puisse manquer. Par ailleurs, même dans les
expériences les plus complètes, la rencontre avec l’être de lumière fait
parfois défaut. Notons qu’aucune de ces phases n’est conditionnée par la mort
clinique. Il peut arriver qu’un simple état de choc à la suite d’un accident
suffise. L’auteur en donne des exemples. Enfin, il faut remarquer que les
témoins sont unanimes à dire que leur expérience est inexprimable. Ce qu’ils en
disent n’est qu’un effort pour l’exprimer en images sensibles.
La
première phase, la moins profonde et la plus vécue, est décrite ainsi : le
mourant entend des bruits désagréables ou au contraire des sons harmonieux, et
se sent emporté dans un tunnel obscur ou une spirale. Ce phénomène est connu
dans d’autres cas comme lors d’une anesthésie à l’éther ou d’une prise de
fortes doses de drogue. Il semble que c'est une réaction purement psychique,
une réaction du cerveau au choc de la mort approchée. Cette phase ne présente
donc pas d’intérêt.
La deuxième phase est beaucoup plus intéressante et méritera une
étude particulière. Le mourant se retrouve soudain hors de son corps physique.
Il constate qu’il peut regarder son corps en dehors de lui-même, de la même
manière que tous les objets extérieurs qui l’entourent. Il voit, il entend parler
ceux qui entourent son corps, personnel médical ou famille. Certains récits
émanant d’aveugles de naissance témoignent d’un retour à la vue. Le corps dans
lequel se retrouve le mourant est une entité particulière, invisible à ceux qui
sont vivants dans la pièce et incapable de communiquer avec eux. Il est doté de
propriétés étonnantes. Il obéit à la volonté de telle manière que le désir de
passer dans une autre pièce est immédiatement exécuté, en passant à travers les
murs. Il peut lire les pensées de ceux qui sont présents (télépathie ?) Le
mourant éprouve alors en général un sentiment de grande inquiétude : il ne
comprend pas ce qui lui arrive. Tout se passe comme si ce n’était pas l’âme
seule qui quitte le corps, mais un être plus complexe, immatériel mais
jouissant encore de facultés corporelles. Avec quelques témoins, l’auteur le
désigne sous le nom équivoque de « corps
spirituel »[290]. Cette décomposition de l’être humain
semble accompagner nécessairement la mort clinique sans que cette mort en soit
la condition nécessaire, puisque certains témoignages connus en parapsychologie
attestent de décorporations provoquées volontairement ou sous l’influence de
drogues.
Il
arrive souvent qu’à cette étape ou plus tard, des parents ou amis décédés, et
quelquefois des inconnus, se montrent. Ils se présentent dotés d’un corps « spirituel »semblable à celui du mourant. Ils veulent aider le mourant. Par
ailleurs, à une étape que les témoins ne parviennent pas à préciser, certains
ont rencontré des « âmes en peine »[291].
Cette
quatrième phase est la plus importante à nos yeux et dans le cadre de cette
étude. Nous reviendrons donc de manière particulière et critique sur elle
ultérieurement.
Le
mourant se trouve face à une grande lumière blanche (donc sensible et non
seulement spirituelle.) Elle est décrite invariablement comme un être doué de personnalité, débordant d’un
amour miséricordieux. Certains précisent qu’ils se sentent aimés « tels qu’ils sont. » Immédiatement ou bientôt, ils se sentent envahis par de la joie
et de la paix, d’une manière inconnue de telle sorte qu’ils ne désirent plus
revenir dans le monde qu’ils viennent de quitter.
Nous
voici au noyau de l’expérience. Il est ressenti à la fois comme surnaturel et
humain, bien qu’aucun des témoins n’emploie ces mots. Cet « être de lumière » comme
le qualifient la plupart, n’est pas rencontré par ceux qui se trouvent en état
de mort clinique à la suite d’un suicide, au moins dans les expériences
étudiées par l’auteur. Les souffrances de ces témoins particuliers demeurent
cependant relatives. Une femme raconte que les circonstances qui l’avaient
poussée au suicide « en étaient toujours
au même point. » C’était comme si
la même chose se répétait sans cesse, un éternel retour »[292]. Un témoin précise : « Je ne voyais pas seulement tout ce que
j’avais fait (de mal) mais même les répercussions que mes actes avaient
entraînées pour d’autres personnes »[293]. C’est une expérience difficile, mais
elle ne nous permet pas d’y voir l’enfer. Moody nous semble sortir de sa
méthode et de ses compétences de cliniciens en se permettant cette conclusion.
Quand on lui demande si quelque témoin a vu l’enfer, il répond qu’aucun d’eux
n’a été un grand pécheur, et il évoque ce que peut être la souffrance par
exemple d’un des responsables des atrocités nazies, confronté non seulement à
ses actes, mais à leurs conséquences. Il se déclare incapable « d’imaginer un enfer plus horrible, plus
fondamentalement insupportable que celui là »[294]. Et pourtant, il manque à l’enfer tel
que l’imagine Moody la qualité particulière qui le distingue de tout ce qu’on
peut appeler purgatoire : la volonté libre et obstinément maintenue face à la
révélation de l’amour de Dieu, de ne pas se convertir.
De
même, ceux qui n’ont pas connu la mort clinique ne connaissent en aucun cas une
rencontre avec l’être de lumière.
« Pas un seul de mes sujets, écrit l’auteur, n’a exprimé le moindre doute quant au fait qu’il s’agissait d’un être,
d’un être de lumière. Et qui plus est, cet être est une personne, il possède
une personnalité nettement définie. Il émane de lui une chaleur et un amour à
l’adresse du mourant qu’il est postérieurement impossible de décrire. Le témoin
est comme envahi et transporté hors de lui par cet amour ; il s’abandonne en
paix à celui qui l’accueille et, en même temps, il voudrait ne jamais le
quitter. L’être de lumière est attirant, magnétique et l’homme est
inéluctablement entraîné. Tous les témoignages sont unanimes sur ce point. Par
contre, lorsqu’il s’agit d’identifier l’être de lumière, les réponses varient
et sont en dépendance des antécédents, de l’éducation et des croyances
religieuses de chaque individu. Ainsi, la plupart de ceux qui ont été élevés
dans la tradition et la foi chrétiennes identifient cette lumière au Christ.
(...) Un homme et une femme de tradition israélite voyaient en cette entité un
ange (...). Un homme qui n’avait reçu ni croyance ni éducation religieuse
parlait simplement d’un « être de lumière. » Cette même appellation a également
été
utilisée par une dame professant la foi chrétienne et qui, apparemment, ne se
sentait nullement portée à considérer que cette lumière était le Christ.
»[295]
Avant
de procéder à l’étude du rôle de cet être de lumière au cours de la revue de la
vie passée, nous pouvons nous arrêter à un témoignage exceptionnel qui ne
comporte ni revue de la vie, ni mort clinique, et qui fut pourtant très
complexe. Trois jours avant une opération critique, apparemment au cours d’un
évanouissement, l’être de lumière apparut à ce témoin et l’invita à le suivre.
C’est alors seulement que se produisit la décorporation. Il fut conduit à la
salle de réanimation : il n’allait pas survivre à l’opération et « l’être ne voulait pas que je prenne peur
au moment où mon esprit quitterait mon corps, il voulait me faire reconnaître
ce que j’éprouverais à l’instant du passage, parce qu’il ne m’apparaîtrait pas
immédiatement ; Il fallait que je passe d’abord par d’autres épreuves. Mais il
me promettait de tout surveiller d’en haut, et se présenterait à moi tout à
fait à la fin. » Jusqu’au
lendemain matin, le malade se sentit tout à fin calme : « Je me rendais compte que j’allais mourir et je n’en concevais ni
regret ni terreur. » Puis, il se
sentit préoccupé par le sort d’un neveu qu’il avait adopté, et se mit à rédiger
une lettre posthume pour sa femme et pour son neveu, et bientôt il fondit en
larmes. Il sentit alors de nouveau la présence de l’être de lumière, qu’il prit
d’abord pour une infirmière : « Pourquoi
pleures-tu ? Je pensais que tu serais heureux de venir à moi. » Il songeait : « Oui, c’est vrai, je le désire vivement »- « Alors, pourquoi pleures-tu ? »Le malade expliqua le souci qu’il
avait pour le sort de son neveu. L’être répondit : « Parce que tu intercèdes pour quelqu’un d’autre, parce que tu penses à
autrui et non à toi-même, je vais t’accorder ce que tu demandes. Tu vivras
jusqu’à ce que ton neveu ait atteint l’âge d’homme. » Le lendemain,
l’opération fut menée à bien et, à la grande surprise des docteurs, il n’y eut
pas besoin de technique spéciale de réanimation.[296]
La
rencontre avec l’être de lumière est intense et se prolonge dans un dialogue,
non fait de paroles articulées mais d’intuition directe. Une question est posée
qui invite le mourant à faire le bilan de sa vie. Selon les témoins, il s’agit
d’un « jugement. »
Le
mourant relit sa vie en compagnie de l’être de lumière. Auparavant, il comprend
qu’une question lui est posée. La question n’est pas formulée verbalement aussi
elle est traduite de manière diverse par les témoins. Le docteur Moody en donne
plusieurs formulations[297] : «
Es-tu préparé à la mort ? - Qu’as-tu fait de ta vie, que tu puisses me montrer
?- Qu’as-tu fait de ta vie que tu estimes suffisamment ? - Veux-tu mourir ? -
Est-ce que cela valait la peine ? - M’aimes-tu ? - Jusqu’à quel point as-tu
appris à aimer ?- Te sens- tu capable d’aimer les autres avec la même intensité
que je t’aime ? » Chez plusieurs
autres témoins, la formulation est presque identique. Tandis que se déroule le
film de la vie, l’être de lumière accompagne tel un guide le mourant et la
miséricorde qui émane de lui rend l’expérience pleine de compréhension et non
de condamnation. Dans cette lumière, même les actions mauvaises prennent un
aspect positif. Un témoin déclare : « Il
insistait aussi sur l’importance de la connaissance. Il me signalait sans arrêt
tout ce qui a rapport avec apprendre. Il m’a dit que j’allais devoir continuer
(parce que, entre temps, il m’avait révélé que j’allais revivre). Il y aurait
toujours en moi un besoin de savoir. Il m’a dit que c’était un besoin
permanent, d’où j’ai conclu que cela doit continuer après la mort. Je crois
bien que son but, en me faisant assister à mon passé, était de m’instruire. » [298] Cela s’est traduit chez ce témoin par
un changement de vie vers une conversion au savoir qui permet de mieux aimer.
Ce témoignage manifeste le caractère pleinement humain, quoique souverain ou
transcendant, de l’intervention de l’être de lumière.
Un
témoin qui ne semble pas avoir vu le film de sa vie ou qui a omis de le
mentionner, déclare : « J’imagine
maintenant que cette voix qui me parlait a dû constater que je n’étais pas du
tout prêt à mourir. Elle voulait simplement me mettre à l’épreuve, sans plus.
Et cependant, à partir du moment où elle a commencé à parler, je me suis senti
délicieusement bien, protégé et aimé. L’amour qui émanait de la lumière est
inimaginable, indescriptible. Et, par dessus le marché, elle dégage de la gaieté!
Elle avait le sens de l’humour, je vous assure! »[299].
L’être
de lumière reste présent et assiste le mourant dans son examen. Il peut y avoir
une vue rapide et intense de leur vie passée que les témoins décrivent comme un
film d’une rapidité vertigineuse, comme une vue panoramique et pourtant
détaillée. Certains précisent qu’ils se voyaient objectivement, se
reconnaissant par exemple enfant.
Le
mourant se trouve ensuite devant une sorte de passage, de frontière qui semble
figurer le point de non-retour de l’au-delà. Elle se présente sous la forme de
nombreux symboles sensibles : rivière, mur, précipice, prairie. A ce moment, il
lui est indiqué par l’un de ses proches ou par l’être de lumière qu’il lui faut
retourner en arrière. Assez souvent, il en prend lui-même la décision, avec la
permission de l’être de lumière, souvent parce que ses enfants ou ses proches
ont besoin de lui. Il peut y avoir un combat intérieur tant la paix de ce qui
est vécu contraste avec l’état habituel du monde des hommes. A son grand
regret, il se retrouve dans son corps. Ce regret est moins sensible lorsque
l’être de lumière n’a pas été rencontré.
Après
le retour dans le corps, le témoin ne trouve pas de mots pour décrire son
aventure. Il pense pourtant l’avoir vécue comme « quelque chose de réel, de plus réel non seulement que le rêve, mais
que la réalité elle-même. » La
distinction avec le rêve lui paraît en tous cas évidente. S’il essaie d’en
parler, on ne le prend pas au sérieux. Mais la vie et la mort prennent pour lui
un sens nouveau. Il peut se produire une véritable conversion du comportement
et des finalités de la vie : aimer son prochain et se préparer à la rencontre avec
l’être de lumière. S’il n’a pas rencontré l’être de lumière, il s’efforce en
général d’oublier cette aventure plus mystérieuse qu’angoissante.
Qu'est-ce qu'une NDE ou Expérience de Mort Imminente
Quelques remarques générales au sujet des
N.D.E. Pour plus de commodité, nous utiliserons le terme anglo-américain
d'expérienceur pour désigner toute personne ayant vécu une N.D.E. (Near Death
Experience) ou Expérience de Mort Imminente (E.M.I), encore appelée E.F.M
(Expérience aux Frontières de la Mort). Ce qui est remarquable dans les N.D.E.,
c'est que nous retrouvons tous les mêmes phases, bien qu'il n'y ait pas deux
N.D.E. identiques. Cependant, dans la réalité, nous qui avons vécu cette
expérience, nous ne connaissons que très rarement l'intégralité des étapes
répertoriées ci-après. Généralement, nous ne vivons que quelques-unes
d'entre-elles et l'ordre dans lequel se déroule ces étapes diffère d'une N.D.E.
à l'autre. Tous les chercheurs s'accordent malgré tout pour dire qu'il existe
une "structure-type" de la N.D.E., une sorte de modèle de référence,
dont ils soulignent les caractères d'invariabilité et de permanence, quelle que
soit la culture, l'époque, la zone géographique, l'âge, le sexe ou la religion
du sujet. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue que la N.D.E. est une
expérience globale et globalisante qui se prête mal à une dissection
parcellaire de ses éléments que l'on essaierait ensuite de relier entre eux par
des liens de cause à effet. En réalité, cette expérience se situe tellement
au-dessus de la capacité de nos outils analytiques habituels que toute
tentative visant à la comprendre en la divisant et en l'émiettant, en quelque
sorte, s'expose inexorablement à en travestir la véritable nature. La
possibilité d'expérimenter une N.D.E serait donc une constante universelle, une
possibilité inhérente à la condition humaine qui ne serait ni rare, ni récente.
Par ailleurs, les N.D.E. sont remarquables par la richesse de leur contenu.
Potentiellement, elles comportent une prodigieuse variété‚ de thèmes de
réflexions et d'interrogations, ainsi que des voies de recherches prometteuses
dans des domaines aussi différents que la physique quantique, par exemple, ou
l'existence d'entités immatérielles désignées comme étant des "anges"
ou des "guides. » D'ailleurs,
ceux qui s'intéressent aux N.D.E. découvrent bien vite en les étudiant qu'il
semble impossible d'épuiser l'immense champs de recherches qu'elles contiennent
à l'état latent. Pour établir cette "structure-type », nous nous sommes inspirés des travaux du Docteur Raymond
Moody, et surtout de son livre fondateur "La vie après la vie.
» Nous avons puisé aussi dans l'œuvre du Professeur Kenneth Ring
et principalement dans ses deux excellents livres intitulés : « Sur
la frontière de la vie » et « En route vers Oméga. » Le
livre d'Evelyn Elsaesser-Valarino, « D'une vie à l'autre »
(cf. Le Grain de Sable n° 2 p. 21) nous a été d'une grande aide également.
Enfin, nos témoignages ont complété utilement ces recherches
Les principales étapes de la N.D.E.
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Lorsque la N.D.E. survient lors d'un
accident ou d'une maladie par exemple, notre état interne (physiologique et
organique) est généralement dégradé. Nous entrons alors dans le processus de
mort et les mécanismes physiologiques correspondants sont amorcés. Il peut
alors être enregistré, si l'on est dans un milieu médical, une perte de connaissance,
un arrêt cardiaque brusque, un électro-encéphalogramme plat, un pouls
indétectable, une respiration imperceptible,. Lors
de cette étape, les conditions physiologiques objectives sont réunies pour
aboutir réellement à la mort. Pour ceux qui l'ont vécu, l'intégrité physique
est gravement menacée. Certains ont d'ailleurs eu le sentiment que leur mort
était proche, alors que d'autres n'en ont pas eu conscience du tout. Une
restriction notoire est à apporter ici car il existe des cas où des N.D.E. se
sont produites en dehors de tout risque mortel. Il n'est donc pas nécessaire
d'être physiquement proche de la mort pour vivre une N.D.E. Cette restriction
est importante, car elle montre que la N.D.E. n'est pas intrinsèquement liée à
la détérioration des fonctions biologiques de l'organisme. Cette remarque
pourra nous servir à valider, par exemple, le rapprochement entre N.D.E. et
expériences religieuses, mystiques ou initiatiques, que nous développerons dans
de prochains articles. Il semblerait pourtant que le sentiment de mort
inéluctable intensifie extrêmement l'impact concret de l'expérience par la
suite, dans la vie de ceux d'entre-nous qui l'ont éprouvé. Leur regard sur la
mort est définitivement et très profondément changé. Peut-être pourrait-on dire
que si toutes les N.D.E. changent le regard, celles qui ont été vécues en
conscience de mourir réellement, ancrent une certitude totale que la mort n'est
qu'un passage et transforme profondément le regard sur la vie.
L'étape autoscopique correspond à l'épisode
de sortie hors du corps. Ceux d'entre-nous qui l'ont connue vivent une
décorporation (appelée O.B.E. Out of Body Expérience - expérience hors du
corps). Lors de cette décorporation, ils voient leur corps, sans le reconnaître
tout de suite quelquefois s'ils n'ont pas l'immédiate conscience de ce qu'il
leur arrive. Ils éprouvent une sensation de légèreté, et ils flottent au-dessus
de leur corps inerte. Certains "voient" à 360°, dessus et dessous à la fois, d'autres normalement, mais tous
voient très distinctement les détails et l'ensemble, avec une clarté‚ très
particulière. En milieu hospitalier par exemple, ils "voient" et
"entendent" très bien le personnel médical s'affairer autour de leur
corps pour les ramener à la vie. Ils ont très souvent la faculté de lire dans
la pensée des personnes présentes. Ils découvrent souvent leur nouvel état en
se découvrant planer au plafond. Il semblerait que beaucoup réalisent seulement
à ce moment-là, de par ce qu'ils "voient" et "entendent"
qu'ils sont en train de mourir, souvent avec un étrange détachement. D'autres
se déplacent au travers d'objets matériels, de personnes, de murs, etc.,
déplacement très rapide, à la vitesse de la pensée, avec la possibilité de se
rendre très loin de leur corps physique, auprès de leurs enfants par exemple,
ou ailleurs, dans une évidence simple et sans questionnements. Certains vivent
cet épisode conscients du changement de la relation à l'espace, d'autres ne
réalisent l'étrangeté de ce passage qu'après l'expérience. Certains
d'entre-nous, dont Carl-Gustav Jung, un des créateurs de la psychanalyse, sont
sortis de leur corps, ont quitté notre planète, et se sont retrouvés dans
l'espace au-dessus de l'atmosphère terrestre. Certains disent s'être ressentis
dans un « corps
subtil éthérique », d'autres se sont
perçus comme une conscience, d'autres encore n'ont rien de spécial.
Ceux qui l'ont vécue sont envahis par un
grand calme et une paix profonde. Leurs douleurs physiques, même les plus
vives, ont disparues pour laisser place à un bien-être paisible et serein. Au
cours de cette phase, ils vivent un élargissement de la conscience.
Etrangement, la capacité de penser, de raisonner et de comprendre non seulement
n'a pas disparue mais au contraire apparaît comme très rapide, fluide, claire
et instantanée. La majorité d'entre-nous dit avoir vécu sa N.D.E., dans ces
nouvelles conditions d'existence, comme si une version élargie de l'être
s'exprimait. Un sentiment d'être plus authentiquement nous-mêmes, ayant pris
conscience que la personnalité n'est, en définitive, qu'un aspect contracté et
limité de l'être véritable. Comme si nous découvrions un "moi"
supérieur et transcendant, possédant des facultés plus développées que notre
"moi" terrestre.
La plus grand partie d'entre-nous est
aspirés dans une sorte de tunnel, ou dans un couloir étroit, voire dans une
"canalisation », et même parfois
dans un « cône », plus rarement un "vide noir. » Il existe cependant des expériences
dans lesquelles le tunnel est clair ou de lumière ou un « passage
d'énergie protectrice. » Nous ne
savons pas où nous sommes mais nous ne sommes pas angoissés, au contraire. Nous
sommes calmes et sereins, certains expriment la curiosité de cette situation
impensable. Nous nous déplaçons, pour la plupart, très rapidement dans ce
tunnel. La vitesse est si prodigieuse que certains ont l'impression qu'ils se
sont déplacés plus vite que la vitesse de la lumière et ont franchi d'énormes
distances (un nombre infini de kilomètres disent-ils) en un temps presque nul.
A un moment de ce parcours dans le tunnel, nous percevons tous la Lumière, qui
devient de plus en plus intense. Certains s'en sont retournés à ce moment-là,
simplement parce qu'ils en ont éprouvé de la crainte. Mais en général cette
Lumière nous attire. Elle est fascinante et exerce sur certains un attrait
irrésistible, magnétique. Ils ressentent un besoin profond de la rejoindre.
Dans le tunnel, certains perçoivent des sons, plus ou moins harmonieux. Cela va
de musiques d'une beauté indicible aux simples sifflements, en passant, mais
plus rarement, par des sons pouvant être pénibles et dérangeants. D'autres y
rencontrent leurs « disparus », des « guides » ou des « anges », en tout cas des entités qu'ils
perçoivent comme tels.
Ceux qui ont vécu cet épisode décrivent les
"guides" comme étant des entités spirituelles, ou les assimilent
parfois aux anges gardiens. Ils les ont rencontrés à des étapes différentes.
Quelquefois, ils sont venus vers eux dès la phase de décorporation, la prise de
conscience de notre mort est immédiate dans ces cas-là- ou dans le tunnel
qu'ils ont aidé à traverser. D'autres fois, dans la Lumière. Ils nous
accompagnent presque toujours dans les revues de vie et dans les prises de
décision de notre retour sur terre. Les entités perçues comme
"guides" sont toujours bienveillantes. Elles peuvent, selon le cas,
prendre apparence humaine, mais avec un corps subtil éclatant, souvent revêtus
d'une tunique blanche qui descend jusqu'aux pieds (à noter que les pieds sont
souvent invisibles). Elles peuvent aussi se présenter uniquement sous une forme
lumineuse indéfinie, très puissante, sorte de foyer énergétique de Conscience
pure, neutre et impersonnel. Parfois, aucune forme n'a été vue mais il a été
ressenti une présence et entendu (ou non) le son d'une voix. Ces
"rencontres" communiquent télépathiquement guident et rassurent.
Elles répondent à toutes les questions. Cette communication est comparable à un
transfert immédiat de la pensée et des idées, sans aucun obstacle, « circulant"
dans une absolue clarté, sans équivoques. Les concepts sont perçus comme une
vérité évidente et limpide, sans que le doute d'une erreur ou d'un mensonge
n'effleure. Nous sommes nombreux à dire que nous recevions la réponse immédiate
à la moindre pensée ou question qui nous venaient à l'esprit. Les pensées sont
émises et reçues sans l'intermédiaire d'un langage particulier ; elles sont
simplement et immédiatement comprises et l'information "circule" à ce
moment, de façon instantanée. Lors de N.D.E. provoquées par un accident, il
arrive que les "guides" conseillent des gestes précis pour éviter de
plus graves blessures, ou tout simplement pour sauver la vie. Des chercheurs
ont remarqué que les "guides" apparaissent très souvent dans les
N.D.E. d'enfants et qu'ils prennent alors très souvent une apparence féminine.
Lorsque la rencontre se fait avec un foyer de conscience impersonnel, la
communication peut prendre la forme d'une mémoire retrouvée. Elle
semble en connexion étroite avec la Connaissance intégrale à laquelle elle
donne souvent accès.
La plupart d'entre-nous, une fois le tunnel
franchi, sont entrés dans ce que nous décrivons tous comme une Lumière d'une
beauté ineffable, qui, bien qu'étant très brillante (blanche ou dorée) et d'une
force inimaginable sur terre, ne brûle pas, n'aveugle pas, n'éblouit pas.
Certains récits la comparent au soleil ou à un coucher de soleil dont on peut
regarder les rayons en face sans être incommodé. Mais pour la majorité, elle
est indescriptible en langage humain. Elle est perçue comme une grande
puissance vibratoire, une Energie vivante, quelquefois un Etre. Certains y perçoivent
des couleurs vives, cristallines. Pour d'autre, elle apparaît comme une sorte
d'arc-en-ciel supraterrestre. Une sensation de chaleur douce y est souvent
associée. Elle les enveloppe, les pénètre. Elle est en eux. Il se passe une
fusion entre la Lumière et eux. Elle est eux, ils deviennent Elle, tout en
conservant leur individualité. Ceux d'entre-nous qui sont rentrés dans la
Lumière, ne se préoccupent plus de leur existence terrestre, ni de leur corps,
ni de leurs famille ou amis (pour nos enfants la question est plus délicate).
C'est la béatitude. Ils sont dans un état où seule existe la Lumière et une
forme sublime et transcendante de leur conscience. La Lumière est pour eux un
univers, une "porte" permettant l'accès à autre plan que celui que nous
connaissons. Quand ils pénètrent dans la Lumière, ils vivent diverses
expériences qui restent pour eux d'une importance primordiale. La Lumière
dispense un Amour inconditionnel qui n'a pas d'équivalent sur terre. Ils sont
submergés d'un Amour absolu, d'une profondeur et d'une pureté imaginable, qui
enveloppe l'ensemble de l'expérience. Certains Le reçoivent, baignent dedans
dans un bonheur serein et total ; d'autres Le perçoivent comme émergeant
d'eux-mêmes et deviennent source d'un amour indicible. L'Amour est partout, Il
est tout, le commencement et la fin de tout, l'essentiel, le sens du
"Graal. » Cette perception de
l'Amour marque souvent ceux qui l'ont vécue à jamais, et beaucoup en garde une
profonde et douloureuse nostalgie. En général, elle change en profondeur leur
perception du monde et des relations, et participe de manière essentielle aux
changements de valeurs qui suivent pratiquement toujours le retour à la vie.
La connaissance Intégrale :
La connaissance intégrale Pour ceux qui ont
eu accès à la connaissance universelle, tout s'est passé comme s'ils avaient eu
accès à une vision absolument prodigieuse concernant la totalité de l'univers.
Pour les uns, flot continu d'informations, pour les autres "océan de
connaissance. » Ils reviennent avec
le souvenir d'avoir contemplé tous les secrets de l'univers, dans une
compréhension étendue du début à la fin des temps, - paradoxalement sans début
ni fin puisque temps et espace étaient abolis, d'avoir découvert le secret du
cosmos, de l'espace et du temps, d'avoir perçu l'harmonie parfaite de toutes
choses et les liens qui unissent les êtres et tout ce qui existe, d'avoir
compris que nous faisons tous partie d'un ensemble harmonieux, universel, dans
lequel nous sommes tous interdépendants où tout est interdépendant, d'avoir vu
profondément l'unicité de toute chose et de tout être, vu le sens de la vie en
général, de la leur en particulier.
Cette Connaissance dépasse infiniment toutes les formes de connaissances
humaines, les capacités de compréhension intellectuelle et les capacités
cognitives humaines. Aucun mot ne peut la retranscrire sans la réduire.
Beaucoup disent avoir eu le sentiment de retrouver ce savoir, comme s'il avait
toujours été en eux. Cette expérience de Connaissance est reçue le plus souvent
dans la Lumière mais peut aussi être dispensée par des "guides. » En réintégrant leurs corps, ils ont
reperdu cette mémoire mais ils sont nombreux à dire la retrouver par bribes, le
plus souvent au cours des lectures faites dans cette passion de connaître que
déclenche la N.D.E. chez beaucoup. Pendant toute cette phase de la Lumière, ils
parlent tous d'extase, de béatitude, mots qui pour la plupart d'entre eux
restent trop faibles pour exprimer ce qu'ils ont vécu. Une paix, absolue, un
sentiment radieux de perfection, une joie et un bonheur incomparables à ceux
qu'ils ont pu vivre sur terre. Ils sont nombreux à dire avoir retrouvé là-bas
leur "maison », leur "vraie
demeure », leur "patrie. » Ils étaient de retour chez eux,
enfin, après les tempêtes et les épreuves de la vie. Pour ceux qui ont reçu
l'Amour et la Connaissance intégrale, il est indéniable que le stade de la
Lumière représente la phase centrale et décisive de la N.D.E., son "noyau
dur », « l'expérience
centrale" selon Kenneth Ring, son coeur rayonnant. C'est la phase
transcendante par excellence, une expérience cruciale, d'une profondeur et
d'une beauté indescriptibles. La grande majorité de ceux qui ont vécu cette
phase reviennent à la vie avec un regard sur le monde tout autre. Elle est à l'origine
des plus profonds changements de valeurs, elle bouleverse tous les repères, les
structures et les croyances antérieures.
C'est elle qui entraîne les plus grandes transformations, les plus grandes
perturbations aussi, la plus grande nostalgie.
La phase du panorama de la vie peut
survenir dès le tout début de la N.D.E. Dans ce cas, elle se déclenche le plus
souvent lors d'un événement brutal : accident, ou noyade par exemple. On peut
tout aussi bien la rencontrer dans le tunnel ou dans la Lumière. Ceux qui
l'expérimentent la vivent comme une revue panoramique, vivante, hors du temps,
en trois dimensions, parfois de leur vie entière, parfois seulement des
événements essentiels. Elle est revécue profondément, non seulement ses actions
et réactions mais aussi ce qu'elles ont provoqué chez autrui. C'est alors
qu'ils comprennent leurs erreurs et leurs impacts. Personne ne les juge,
simplement les causes et les effets de leur comportement deviennent évidents.
Beaucoup perçoivent aussi une question, telle que : - Qu'as-tu fait de ta vie ?
- Qu'as-tu fait de ta vie que tu puisses me montrer ? - Qu'as-tu fait de ta vie
que tu estimes suffisant ? - Qu'as-tu fait pour autrui ? - As-tu aimé
suffisamment autrui ? Cette question ne suggère ni condamnation ni jugement
quelconque, plutôt une aide à prendre conscience des vraies valeurs de la vie,
une obligation à voir l'essentiel. Ce qui paraissait important sur terre
(situation sociale, argent, possessions matérielles, notoriété, succès
mondains, réussite scolaire, etc.), devient secondaire dans la Lumière. De
même, les simples actes d'amour et de vérité, jugés insignifiants sur terre,
prennent alors une dimension insoupçonnée et une valeur considérable. Ils
comprennent l'importance primordiale de l'Amour. Les actes sont appréhendés par
rapport au degré d'Amour qui les a inspirés. Ils découvrent que le critère
fondamental d'évaluation de la conduite humaine est l'Amour. Toute leur vie est
pesée à l'aune de l'Amour. Les actes accomplis par et avec Amour et
authenticité sont essentiels, seuls facteurs de progrès spirituels. Le panorama
de la vie s'effectue devant une entité bienveillante et aimante, un
"guide" ou un "ange" ou un foyer d'énergie lumineuse. Cette
présence ne juge pas, elle pointe seulement les actes adéquats ou inadéquats.
La confrontation avec le panorama de vie est pour ceux qui le vivent une grande
source d'enseignement et de compréhension. Pour certains, cette vision ne s'est
pas limitée au passé et s'est étendue à leur avenir. D'autres y ont revécu des
scènes de vies antérieures. D'autres encore ont vu le futur de l'humanité.
Généralement, ce qui leur est montré concerne des catastrophes naturelles
(inondations, tremblements de terre, activité volcanique accrue, etc.), des
guerres, des famines, et des problèmes engendrés par la pollution. La leçon qui
se dégage de ces images est que si l'humanité s'entête dans ses erreurs et ses
errements actuels, il lui faudra bientôt affronter de redoutables épreuves.
Les rencontres peuvent avoir lieu, elles
aussi, à différents stades de la N.D.E., dans la Lumière, dans le tunnel, lors
de la décorporation, voire même dès la première étape d'entrée dans la mort.
Ceux qui les ont vécues rencontrent des parents, des amis, dont certains qu'ils
n'ont jamais connus (un grand-père mort avant leur naissance, par exemple).
D'une manière générale, les défunts viennent spontanément à leur rencontre pour
les accueillir et pour les aider à aller plus loin si la rencontre a lieu dans
les premières étapes de l'expérience. Il peut y avoir une seule personne,
plusieurs, ou parfois même toute une "foule », en général, très heureuse de les accueillir. Se vivent toujours
de joyeuses retrouvailles pleines d'amour, comme après une longue séparation.
Dans d'autres cas, les défunts se contentent de sourire en silence. Lorsqu'il y
a communication, elle est télépathique. Ils peuvent leur apparaître dans une
sorte de corps subtil diaphane, réplique exacte de leur corps terrestre, sans
aucune trace de dommages, même si leur mort avait été violente (par exemple :
accidenté.).
En sortant du tunnel, certains d'entre-nous
arrivent directement dans une sorte de paysage surnaturel d'une très grande
beauté. Les visions décrites sont soit de magnifiques jardins, des prairies,
des paysages champêtres analogues à nos plus belles campagnes. Mais la
splendeur de ces paysages ne trouve aucun équivalent terrestre. Il y règne une
telle perfection qu'elle fait dire à certains avoir l'impression d'avoir
séjourné au « Paradis. » Cette mention fait aussitôt penser au
fameux jardin d'Eden mentionné dans la Bible et dans toutes les autres
descriptions paradisiaques mentionnées dans les autres traditions. La mort
semble bannie de cette étrange contrée.
Aucune feuille fanée, aucune branche cassée, aucun arbre sec ne viennent rompre
le charme fascinant de ces lieux. Là-bas, tout paraît extraordinairement
vivant. Ceux qui ont eut la chance de cette fabuleuse visite disent y avoir
observé une très grande variété de fleurs, de plantes, souvent totalement
inconnues. Des fleurs qui, par exemple, réagissent au touché en changeant de
couleur. Certains perçoivent cette flore fantastique comme interagissant avec
leur conscience. Cette nature bienveillante, harmonieuse et parfaite, leur
donne l'impression d'être en osmose totale avec leur état d'esprit. On peut y
rencontrer des animaux (chevaux, oiseaux, etc.), de même que des chemins, des
ponts, des lacs, des clôtures, des vallées, et même pour certains des
habitations. Jamais et en aucun cas il n'y a été rencontré une quelconque
hostilité. Tout est d'une telle harmonie et d'une si étonnante beauté que ceux
qui l'ont contemplé ne peuvent l'oublier.
Certains d'entre-nous ont visité de
véritables "villes de lumière. »
Elles sont généralement immenses et ressemblent à nos cités terrestres. Elles
ont leurs rues, des jardins extraordinaires et des édifices divers. Elles sont
construites avec des matériaux transparents, semblables à du plexiglas et qui
ont souvent la forme de briques cubiques, dans lesquelles brille une
"lumière d'or et d'argent. » La
lumière qui les illumine semble provenir tout autant du centre de la ville que
des bâtiments eux-mêmes. Tout y respire la clarté, la pureté, l'harmonie, la
beauté, la douceur et l'Amour. Dans ces récits, la ville est souvent en liaison
étroite avec la Connaissance intégrale, tout comme la rencontre des foyers
d'énergie pure. En effet, certains édifices ressemblent à des cathédrales dans
lesquelles, ceux qui y pénètrent sont envahis par un immense flot de
connaissances. Ils en parlent comme d'un lieu de savoir, disent parfois que
l'édifice et les matériaux sont en fait la Connaissance même. Il peut leur
arriver d'entendre, de comprendre et de parler des langues inconnues.
Cette frontière représente la limite entre
le monde des vivants et celui des morts. Elle "matérialise" une zone
de démarcation à la fois réelle et symbolique entre la condition humaine
terrestre et cette forme d'existence supraterrestre. Tous ceux d'entre-nous qui
la perçoivent savent que cette limite franchie, ils ne reviendront pas dans le
monde des humains. Bien qu'elle soit difficile à décrire avec les mots du
langage ordinaire (comme toute l'expérience d'ailleurs), elle est parfois
comparée à une ‚tendue d'eau, lac ou rivière, à une barrière, sous forme de
"mur », ou "clôture"
ou "haie », parfois même à une
montagne. A quelque étape que soit perçue cette frontière, elle indique la
limite du "voyage », qui peut
parfois être orienté dans un autre sens, vers une autre phase. La
plupart l'acceptent simplement et sans questions ; d'autres la craignent ou
s'en tiennent à distance ; d'autres encore tentent de la forcer et rencontrent
à ce moment-là une "présence" qui les guide ailleurs et ils
"comprennent" alors d'eux même que ce n'est pas le moment. La
présence de cette frontière laisse à penser que l'expérience de la N.D.E., avec
toutes ses phases, se déroule dans un espace "sas" entre la vie
consciente et la mort effective, qui se situe au sens propre comme au sens
figuré réellement entre la vie et la mort, libre des lois de la première et
initiatrice de celles de la seconde.
Il est demandé à certains s’ils veulent
revenir. Une vision de leurs proches ou de leurs enfants est souvent décisive.
Certains décident de repartir, d'autres se voient renvoyés et d'autres encore
l'acceptent, comprenant soudain ce qu'il leur reste à faire ou à apprendre.
Beaucoup se retrouvent brusquement dans leur corps, sans qu'il ne leur soit
rien demandé ou dit. Un des aspects les plus étranges de cette phase concerne
la réintégration corporelle qui survient, le plus souvent, immédiatement après
que la décision de retour ait été prise, volontairement ou non. C'est le moment
précis de l'inversion du processus de mort. On pourrait dire que tant que la
décision de retour n'a pas été prise, nous restons dans ce sas, mort en puissance,
vie en sursis. Tout se passe alors comme si notre vie
physique était suspendue à cet instant. Décidons-nous de rester dans l'au-delà
et nous mourons, décidons-nous ou acceptons-nous le retour et nous réintégrons
notre corps. Certains d'entre-nous sont revenus à la vie alors que leurs
fonctions corporelles, trop affaiblies ou détériorées, ne leur permettaient
normalement pas. Ils n'auraient pas dû survivre. Quelques uns ont même
totalement et inexplicablement guéris.
La plupart n'ont aucun souvenir du retour
dans leur corps. Ceux qui s'en souviennent parlent tous d'un moment très
désagréable, avec la sensation de rentrer dans un vêtement trop étroit. Les uns
sont rentrés dans leur corps par le haut du crâne, d'autres par le ventre. La
majorité s'est retrouvée brutalement engoncée dans un corps parfois
terriblement douloureux, par exemple lors d'un accident ou d'une maladie. C'est
brutalement à nouveau le contact avec la vie, dans la dimension ordinaire. Nous
y découvrons que ce voyage qui nous a paru si long s'est écoulé en une fraction
de seconde. Comme si il y avait eu une distorsion du temps, suspendu ou
"gel‚" tout au long de cette expérience. Ce retour à la vie et dans
le corps est, pour la plupart, vécu dans un bouleversement émotionnel plus ou
moins profond et plus ou moins long. Certains parlent : - Pourquoi m'avez-vous
ramené ? - Je voulais rester là-bas. -
J'ai vu. En général, leurs propos sont tenus pour
du délire ou des incohérences dues au choc. S'ils persistent, souvent en milieu
hospitalier, ils ne tardent pas à recevoir la visite du psychiatre.
Beaucoup se taisent. Si l'expérience n'est pas allée trop loin, certains
peuvent même revenir en ayant l'impression d'un rêve très étrange. De manière
générale, plus la N.D.E. a été profonde, surtout si la Lumière a été rencontrée
dans toutes ses composantes, plus son impact sera fort. Parler ou se taire
dépend bien souvent de l'accueil que nous craignions à nos propos. Une évidence
qui, dans la majorité des cas, nous contraint au silence ce qui ne simplifie
pas la phase suivante.
Cette phase de la N.D.E. peut donc être inconsciemment occultée. Mais nous
sommes de plus en plus nombreux à penser que, loin d'être insignifiante, elle
pourrait bien être, au contraire, décisive au déroulement global de
l'expérience, à la forme de son impact concret et au degré d'intégration
ultérieur.
La terre est un lieu merveilleux pour
vivre, si l'on n'en connaît pas d'autres. Or
le problème justement est que nous avons entrevu un autre monde, bien meilleur,
tellement plus beau, vrai, harmonieux.
Contrairement à ce que l'on croit, les difficultés de réadaptation à la vie
normale sont plutôt la règle que l'exception. Nous avons vécu une expérience
inintégrable dans le cadre reconnu par notre société, notre culture, notre
religion, et dans l'immenses majorité, notre famille même.
Après le choc, à dépasser de l'expérience elle-même, d'une manière générale,
nous avons "peur de passer pour un fou
», et malheureusement non sans raison, beaucoup d'entre-nous ayant fait la
douloureuse expérience de l'incompréhension, de la méfiance, voire de la visite
du psychiatre ! Nous nous retrouvons dans l'impossibilité de parler, de
partager, de recevoir des explications, d'être rassuré, de comprendre ce qui
nous est arrivé. Dès notre retour, bien sûr, nous nous replions sur nous-mêmes
et sur notre indicible et perturbant vécu, nous rentrons dans le secret. Nous
nous retrouvons très rapidement à avoir besoin d'accepter, de reconnaître la
validité pour nous de cette expérience, pour certains soudain étrange, sinon
suspecte, pour les autres toujours aussi prégnante mais maintenant perturbante
tant elle change notre regard sur la vie, de nous l'approprier et de la voir
reconnue et comprise dans les changements qu'elle apporte. Ce qui est rarement
le cas car en général le silence règne. Les liens familiaux et sociaux établis
avant sont très souvent soumis à rude épreuve, de manière incompréhensible pour
les autres puisque rien n'a été exprimé. Nous réapproprier notre corps est loin
d'être toujours évident. Une intégration harmonieuse nous oblige à accepter
cette expérience pleinement. Nous devons digérer l'enseignement ramené, la
mémoire retrouvée, les dimensions contactées, ce qui peut, selon les cas,
remettre en question jusqu'aux fondements de notre identité et de notre
personnalité car nos repères habituels, nos modes de pensée et notre conception
du monde et de la vie ont changés, ce qui peut créer de profonds bouleversements
dans nos vies. L'intégration est d'autant plus longue et difficile que le
silence dure, car nos proches, conjoints, parents ou amis ne sont, dans la
plupart des cas, pas du tout préparés à recevoir ni à accepter ce genre
d'expérience et encore moins leurs répercussions. De plus, le fait d'avoir
connu une réalité merveilleuse et de l'avoir "perdue" pour revenir
parfois dans un corps très douloureux ou des circonstances de vie
insupportables, a généré, chez certains d'entre-nous, une profonde fracture
intérieure. D'un côté, ils ‚prouvent cette nostalgie du "paradis
perdu" et de l'autre, peuvent avoir à affronter de nouveau des contraintes
parfois particulièrement difficiles de l'existence terrestre. Cette situation,
en plus du silence et de la solitude éprouvée, peut engendrer de nombreux
déséquilibres psychologiques et de profondes dépressions. Quelques uns
d'entre-nous reviennent avec l'impression d'avoir eu accès à la Vérité absolue,
peuvent se penser détenteur d'une grande mission et développer un complexe de
gourou. D'autres passent par une phase de gonflement de l'ego relativement
brève si l'intégration se fait de manière équilibrée. Il nous faut en général
une dizaine d'années environ pour vivre en harmonie avec notre expérience.
Lorsque nous réussissons cette intégration, les répercussions tant
psychologiques que comportementales peuvent se révéler très positives. Pour
certains d'entre-nous, les choses se révèlent plus longues, plus douloureuses.
Dans ce cas-là, nous ressentons cruellement la solitude, le besoin de
compréhension, de partage et d'aide. Chacun procède alors à sa manière pour se
protéger d'un monde vécu comme agresseur et injuste et cherche à sa façon à
retrouver son sens et sa cohérence Nous sommes unanimes pour souligner le caractère
transformateur de nos N.D.E. respectives. La transformation qu'elle opère chez
beaucoup d'entre-nous est parfois si radicale et si profonde qu'elle laisse en
nous une empreinte indélébile. Les métamorphoses intérieures qui en découlent
marquent souvent une rupture définitive avec le passé.
a) - Renversement des valeurs.
D'une manière générale, vivre une N.D.E. a
notablement modifié notre vision du monde. La grande majorité d'entre-nous,
surtout ceux qui ont bénéficié du contact avec la Lumière, reviennent avec une
nouvelle conception de l'existence. Lorsque ce changement de valeurs
intervient, de manière plus ou moins profonde selon les cas, il transforme
notre rapport à la vie. Notre compréhension des relations humaines est
différente. Bien sûr, nous rejetons le matérialisme et l'individualisme
moderne, donnant désormais priorité aux valeurs essentielles. La plupart
d'entre-nous parlent de la primauté de l'être sur l'avoir, de celle de l'amour
dans toutes les situations relationnelles, de développer la compassion,
l'ouverture et l'écoute à l'égard d'autrui, de cultiver l'oubli de soi et de
diminuer l'impact séparateur de notre ego. Une
vision commune de la vie se développe après la N.D.E. : l'homme serait sur
terre pour apprendre et évoluer et la vie faite de mises en situation et
d'épreuves dans ce but, ce passage sur terre étant très court par rapport à ce
qu'il retrouvera après la mort. Nous quitterions notre véhicule corporel pour
accéder à la réalité de l'au-delà, où continuent l'apprentissage et l'évolution
spirituelle. Nous n'avons plus peur de la mort puisque nous sommes persuadés
que la vie continue sous une autre forme. Beaucoup d'entre-nous ont tendance à
admettre l'idée de la réincarnation, et sont attirés par les religions
orientales. En ce qui concerne notre rapport aux religions institutionnalisées,
nous n'accordons, en général, moins sinon plus du tout, d'importance aux
aspects formels et rituels de chaque culte. Beaucoup d'entre-nous les rejettent
même comme étant séparateurs. Cette tendance provient sans doute du fait de
cette vision unitive des différentes religions, que nous considérons comme des
manifestations relatives et contingentes d'une vérité sous-jacente, d'une
vérité transcendante qui serait située au cœur de tous les cultes et de toutes
les voies spirituelles.
D'ailleurs, beaucoup d'entre-nous rêvent d'une sorte de religion universelle
qui les engloberait tous et toutes.
b) - Recherche de connaissances nouvelles.
Après cet oubli de l'océan de Connaissance
dans lequel nous avons été plongés, sommes-nous à la recherche d'une autre
conception du monde, ou de nouveaux points de repères ? Cherchons-nous à
confirmer, ancrer ou structurer celle que nous ramenons avec nous ? En tout
cas, nous avons tous un point commun : le besoin insatiable de connaître et de
s'informer. Nous consacrons tous beaucoup plus de temps à la lecture et à la
réflexion. Beaucoup d'entre-nous entreprennent des recherches dans le domaine
de la spiritualité, des états de conscience modifiée, des phénomènes
paranormaux. Certains éprouvent une attirance très marquée pour la cosmologie,
ou la physique. Dans ce dernier cas, l'intérêt va surtout vers la physique
quantique même sans aucune connaissance de base dans ce domaine. Il est vrai que
les concepts développés par la théorie quantique sont beaucoup plus en
résonance avec notre nouvelle vision de la réalité‚. Entre autre dans sa
représentation de l'espace et du temps, très différente de la conception
habituelle. Nous y retrouvons un niveau de réalité dans lequel il n'y a ni
passé, ni présent, ni avenir, mais simultanéité absolue de tous les événements.
La théorie des quanta semblerait donner à la N.D.E. un sens et un cadre que ne
peut lui accorder la physique newtonienne conventionnelle. Beaucoup
d'entre-nous disent retrouver, au cours de leurs recherches diverses, des
bribes de la mémoire perdue. Ce qui leur permet peut-être de manière subtile de
confirmer et de structurer de manière plus stable cette nouvelle appréhension
du monde.
c) - Dons psychiques.
Une des répercussions inattendue de nos
N.D.E. est, assez souvent, l'acquisition de dons psychiques tels que la
télépathie, la clairvoyance, la télékinésie, la précognition, la prédiction,
les O.B.E, la bilocation, les visions d'apparitions, la propension aux états de
conscience modifiée, au don de guérison, etc. Selon les cas, il peut nous être
difficile de reconnaître, d'admettre et de vivre avec ces nouveaux dons. Si
l'on part du principe que la N.D.E. est bien une expérience spirituelle, qui
peut être très profonde, rien n'interdit de penser que, comme d'autres
expériences spirituelles, elle soit capable de déclencher un développement plus
ou moins spectaculaire de nos facultés psychiques. Cet aspect des implications
de la N.D.E. est des plus fascinants. Cependant, les études dans ce domaine ne
sont pas faciles à réaliser d'une part, parce qu'il est difficile de prouver
que c'est la N.D.E. qui est à l'origine du "réveil" de ces facultés,
d'autre part, parce qu'elles ne se laissent pas facilement appréhender par les
méthodes habituelles d'investigation scientifique.
d) - Besoin de partager.
Nous avons souvent souligné le fait de
rencontrer beaucoup de difficultés à raconter et expliquer notre N.D.E à des
tiers. Nombre d'entre-nous ont mis l'accent sur l'impossibilité dans laquelle
ils étaient d'en faire part même à leur famille ou à leurs amis. Plusieurs
années peuvent s'écouler avant que nous osions enfin nous ouvrir à des proches.
Aussi délicat que cela puisse rester, il est devenu actuellement plus facile
d'en parler car ce phénomène est, malgré tout, de plus en plus connu. Beaucoup
d'entre-nous mentionnent le fait d’être revenus à la vie parce qu'ils n'avaient
pas achevé leur "mission », ou
parce qu'il leur restait quelque chose d'important à faire ici-bas. De fait,
nous avons en général conscience que notre vie a un sens, et sinon, lui
cherchons-nous une signification nouvelle. La plupart d'entre-nous éprouvent le
besoin profond de connaître la finalité de notre existence et de savoir à quels
buts se consacrer. Nous pensons souvent qu'il doit y avoir une raison à notre
N.D.E., à notre retour à la vie, avec le sentiment prégnant qu'elle s'inscrit
dans un ensemble plus vaste et que nous avons désormais conscience d'un rôle à
jouer dans le monde. Certains le ressentent même comme une mission. Et
précisément, ce rôle consiste d'abord, pour quelques-uns d'entre-nous, à
témoigner et à tenter d'expliquer aux autres ce qu'il nous est arrivé. A noter
le paradoxe de cette situation puisque quasiment tous, nous insistons sur le
caractère ineffable de notre expérience et sur l'impossibilité de la partager.
Comment et avec quels mots décrire une expérience qui ne l'est pas, qui s'est
déroulée dans une dimension aussi immatérielle qu'intemporelle, et dont nous
avons oublié les révélations. Et
pourtant, ce besoin de partager l'incommunicable, de dire l'indicible, de faire
connaître, d'ouvrir une brèche, peut être là Un chemin vers une autre vision de
la vie et du monde.
e) - Préoccupations humanitaires et
écologiques.
Une des préoccupations semblant découler
automatiquement de notre N.D.E. concerne l'avenir de la planète et de
l'humanité. Les "études" disent qu'il est possible que cette
expérience nous ait donné une conscience plus aiguë de la précarité et de la
fragilité des systèmes vivants. Peut-être, certainement, quoique cette
explication ne soit pas suffisante. Il est nécessaire d'évoquer une raison
sous-jacente, plus profonde que l'inquiétude provoquée par les récentes et
graves ruptures de l'équilibre de notre planète et par le devenir de l'homme.
Certes, nous vivons une époque où ces équilibres sont très menacés et où émerge
une très timide forme de conscience écologique et humanitaire. Nous nous
inscrivons donc parfaitement dans cette mouvance, mais avec la différence que
nos motivations s'enracinent avant tout dans notre N.D.E. Certains d'entre-nous
ont vu l'avenir de notre planète, en général assez sombre. Mais surtout,
beaucoup d'entre-nous ont vu et compris qu'en tout être humain, la Lumière est
présente, que nous sommes tous profondément égaux, que la nature elle-même,
faune et flore, est notre égal, que nous devons la respecter et qu'elle nous le
rendra au centuple. Le développement de la pensée d'un humanisme et d'une
écologie planétaire découle avec évidence de cette compréhension.
f) - Développement de la créativité.
Il n'est pas rare qu'à la suite d'une N.D.E
se manifeste pour certains une irrépressible envie de créer. Ceux qui étaient
déjà artistes découvrent de nouvelles sources d'inspiration et peuvent même
parfois être, comme ils le disent, « guidés"
par une force qui les dépasse. Ceux qui n'avaient pas de prédispositions
particulières pour les arts se sentent brusquement inspirés et se lancent à
corps perdu dans la poterie, la peinture, la sculpture, l'écriture, etc.
g) - Changement de personnalité.
Ce changement dépend d'une appropriation et
d'une intégration équilibrée et harmonieuse des différents aspects et
répercutions de nos expériences. Pour la majorité, le changement commence par
une vision de la vie différente, sinon totalement transformée. Mais le concept
n'est pas la chose. La remise en question peut concerner parfois beaucoup de
domaines, la mise en acte peut être très douloureuse, les ajustements
personnels intérieurs et extérieurs difficiles et problématiques. On peut
estimer que l'intégration est réussie lorsque s'accomplit le processus qui nous
conduit à adopter un mode d'existence conforme à cette nouvelle conscience de
notre nature profonde. Notre comportement peut alors changer radicalement. Dans
ce cas, les traits généraux qui caractérisent ce changement de personnalité‚
peuvent être résumés ainsi : - Une meilleure estime de soi et une plus grande
confiance en soi, une auto acceptation, avec ses qualités et de ses défauts,
dans un jugement plus objectif et serein de soi-même et la capacité de se
remettre en question et de "travailler sur soi. » Il y a une profonde aspiration à l'authenticité dans ses
relations, à l'expression de l'identité véritable. - L'affirmation de soi se
fait sans crainte ni excès et l'approbation extérieure revêt beaucoup moins
d'importance. De manière assez générale, il y a plus de dynamisme, d'activités
et d'engagements dans divers projets. On vit l'instant qui passe dans une sorte
de paix et de réconciliation intérieure. Il n'y a plus de peur de la mort. Si
le changement de personnalité‚ est parfois très spectaculaire il faut savoir
qu'il ne se produit pas sans souffrances, mais au contraire au prix de
douloureuses ruptures avec le passé et de longs ajustements intérieurs. Il
devient impératif de renouer avec son essence la plus intime et en définitive
de devenir ce que l'on est vraiment. En tout cas, quel que soit le chemin de la
transformation, il est évident pour ceux qui la vivent qu'ils ne peuvent plus
être ce qu'ils étaient avant leur N.D.E.
h)
Difficultés et pièges.
Tant que l'appropriation et l'intégration
de nos expériences ne sont pas faites, nous passons par beaucoup de phases de
décalages, de malaises, de déséquilibres qui peuvent être très douloureuses.
Beaucoup ont perdu tous leurs repères, leurs bases ; leurs croyances sont
bouleversées. Nous revenons en effet avec une vision nouvelle mais cela peut
aussi rester dans les concepts ou les discours, car nous nous retrouvons prisonniers,
malgré toutes les merveilles entrevues, d'une multitude de vieux
conditionnements émotionnels, culturels et personnels. Nous aspirons tous à
exprimer la Lumière et l'Amour de notre nature profonde, mais dans la
confrontation avec la réalité de la vie "ici-bas », il n'y a plus l'évidence perçue "là-bas. » Le choc peut être très rude. Certains
peuvent s'enfermer dans un regret nostalgique, passer par des dépressions
profondes. D'autres, au retour, peuvent se réapproprier les valeurs ordinaires
et considérer leur expérience comme un rêve magnifique. La difficulté peut
conduire certains à l'occulter, comme un fantasme utopique, à la rationaliser
ou au contraire à la mystifier. Il y a aussi les crises mystiques, les
affirmations absolues et les gourous en herbe. Chacun cherche à continuer à
vivre à sa manière et à retrouver ses marques. Les uns essayent de coller leurs
visions à la vie, d'autres la vie à leur vision. Il revient alors à chacun de
trouver le moyen d'effectuer le travail d'harmonisation nécessaire à la
construction d'une identité renouvelée et équilibrée. Ce qui peut parfois être
particulièrement difficile à réaliser sans écoute compréhensive et sans aide
appropriée. En dernier lieu, notre N.D.E. aura sur nous l'impact que notre
interprétation et notre appropriation lui permettront d'avoir et notre
transformation sera proportionnelle au changement que nous serons capables
d'accepter dans nos vies, quel que soit le plan concerné. Les N.D.E.
douloureuses ("négatives") Certains d'entre-nous ont vécu une
expérience difficile et semble-t-il parfois même terrifiante. Pour beaucoup
d'entre eux, il est très difficile et parfois impossible d'en parler,
d'expliquer, de raconter. Ils
ne connaissent pas les aspects dont nous venons de parler et ont, semble-t-il,
souvent bien du mal à exprimer ce qui les a terrifié. Rien dans leur vie ou
leur personnalité ne les différencie de nous tous. Il semblerait qu'ils aient
abord‚ "là-bas" par un côté plus sombre ou d'un symbolisme obscur. Ils
en gardent souvent un souvenir difficile et la crainte de la mort semble
persister. Certains en reviennent très perturbés, d'autres avec un regard
nihiliste sur la vie et d'autres encore dans une quête spirituelle intense et
réparatrice. Ceux d'entre-nous qui ont vécu ces voyages douloureux n'en parlent
pas ou très rarement. Il est difficile pour eux de raconter ce vécu
particulier, de poser une expérience douloureuse au côté de tant de récits
merveilleux. Même ceux d'entre-nous qui ont vécu cette étape sombre avant la
Lumière, en parlent peu, voire l'occulte complètement pour ne parler que du
lumineux. Mais tant que nous n'aurons pas les témoignages de leur vécu, tant
que nous ne saurons pas quels sont leurs points communs, leurs visions, leurs
angoisses, leur douleur commune, nous n'aurons qu'une face de la N.D.E., qu'un
aspect. Celui dont on parle, que l'on met en
exergue, dont on généralise l'interprétation comme étant ce que l'on trouve
derrière la mort. Peut-être sont-ils beaucoup à ne rien dire
de leur expérience douloureuse ? Les entendre, les écouter, nous ouvrir au
message qu'ils portent est essentiel pour pouvoir appréhender le double aspect
de ce qui se trouve derrière la porte de la mort. Ils
portent très probablement un message de première importance pour ce qui est
d'une compréhension encore plus globale de la Vie. Conclusion Nous vous avons
présenté ce que les scientifiques appellent la "structure-type" de la
N.D.E., en exprimant la manière dont nous la vivons. Bien sûr, elle n'est pas
exhaustive et vous pouvez nous aider à l'améliorer en nous faisant part de vos
remarques et de vos expériences afin d'élargir ensemble ce modèle. Si d'autres
caractéristiques de la N.D.E. vous paraissent oubliées, si vous avez vécu des
aspects particuliers, n'hésitez pas à nous les communiquer car c'est
essentiellement à partir de vos témoignages que nous affinerons les aspects
essentiels de nos expériences. Il y a peut-être deux autres points qu'il serait
nécessaire d'approfondir. Ce sont d'une part les effets biologiques éventuels
de la N.D.E., par exemple les effets sur la composition sanguine, le système
immunitaire, le fonctionnement du système nerveux, etc. les différences
biologiques entre avant et après. Si tel est votre cas, écrivez-nous, s'il vous
plaît. D'autre part, nous ne connaissons pas la multiplication de la N.D.E. en
occident, et peut-être dans le monde entier, ni l'impact de ce phénomène sur
l'évolution de l'humanité. Les recherches dans ces domaines sont pratiquement
inexistantes. Le champ est ouvert aux recherches, aux analyses, aux
interprétations et aux supputations. Il est ouvert aussi vers une autre
réflexion, un autre point de vue : la N.D.E. ouvre une brèche dans la
conception ordinaire du monde. Si l'on accepte sa réalité, sans la réduire à
une résultante biologique quelconque, elle secoue et bouleverse les repères sur
lesquels sont assis toutes nos croyances et tous nos systèmes de pensées, notre
conception du réel et de la vie. Elle est novatrice, transformatrice,
perturbante, dérangeante. Et
c'est parfait ainsi, chacun se trouvant effectivement responsable à la fois de
son interprétation, de sa réponse et de ses résultats.
a)
Analyse : La description de cette expérience, telle qu’elle est rapportée plus
haut, permet d’établir, par induction ou déduction philosophique, quelques
conclusions. Elle pose surtout au philosophe de nombreuses questions.
-
Les témoins ne sont pas morts (séparation de l’esprit et du cerveau) puisqu’ils
demeurent capables d’opérations sensibles : ils voient, entendent, ils
éprouvent des sentiments (paix, bien être et, sous d’autres rapports,
inquiétude, angoisse.) Ils restent en rapport avec les facultés sensibles dont
l’exercice lié à la matière ne peut être le fait d’un pur esprit. Ils sont liés
à leur corps ou, pour le moins, à quelque chose de leur corps. C’est pourquoi
il est raisonnable de parler d’expérience de mort approchée et non d’expérience
de la mort.
- Les
témoins décrivent une sorte de rupture entre leur vie végétative, représentée
par leur corps physique qu’ils observent comme mort au-dessous d’eux et leur
vie psychologique et spirituelle qui subsiste en dehors de ce corps dans un
double fait de matière non palpable. Faut-il donc parler pour décrire le
cheminement de la mort d’une étape de séparation entre le corps physique et un
corps psychique ? Ce serait un apport intéressant qui, s’il s’avérait vrai,
pourrait avoir des conséquences importantes pour la philosophie des vivants.
D’autre part, l’existence d’une manière de corps psychique, fait de matière
réelle quoiqu’impalpable, pourrait ouvrir la voie à une meilleure connaissance
des propriétés de la matière en science physique. Il n’est pas exclu qu’à l’état
corpusculaire et ondulatoire de la matière, on puisse ajouter un état psychique
encore inconnu et siège de la vie sensible.
-
Les témoins décrivent avec étonnement ce phénomène inconnu en Occident quoique
très connu en Chine, de séparation du corps physique et d’un corps psychique.
Les théologiens occidentaux parlent plutôt de séparation du corps (vie
végétative et vie sensible) de l’âme spirituelle (vie de l’esprit) quand ils
analysent la mort. Faut-il renouveler notre conception théologique de la mort
(les morts seraient des esprits liés à leur vie sensible) ou simplement parler
d’une étape non encore décrite (en admettant une étape suivante de séparation
du psychisme sensible et de l’esprit) ?
-
Les témoins décrivent tous une augmentation qualitative de leur vie sensible et
l’apparition de nouvelles facultés sensibles comme la télépathie, la liberté
des mouvements locaux par rapport aux limites habituelles comme la gravitation,
les obstacles matériels. Il semblerait donc que la séparation d’avec le corps
biologique libère la vie psychique sensible d’obstacles importants. Toute la
difficulté de cette description réside dans la question suivante : le siège des
facultés sensibles est le cerveau. La neurologie le montre de manière
expérimentale. Comment expliquer la subsistance de telles facultés alors que
l’activité électrique du cerveau est nulle ? Le cerveau et son activité
neurologique ne serait-il qu’un siège facultatif de la vie psychique. Dans ce
cas, il est difficile d’en comprendre l’utilité. Est-il au contraire un siège
nécessaire mais qui laisse subsister une activité psychique quelque temps après
sa destruction, un peu comme un aimant naturel transforme pendant quelques
minutes un morceau d’acier en aimant, alors qu’il n’est plus en contact avec
lui ?
b)
Critique : S’agit-il d’une expérience imaginaire ou d’une réalité ? L’étude de
la condition nouvelle où prétendent se trouver les témoins intéresse davantage
le philosophe que le théologien. Elle n’a pas en soi de valeur religieuse. Mais
elle est extrêmement importante pour décider si la suite de l’expérience de
mort approchée est un pur effet subjectif dans le cerveau fragilisé ou une
expérience réelle. En effet, la vérification de la valeur objective de toute
l’expérience de mort approchée trouve une aide précieuse dans le fait que, pour
cette phase, une enquête de type policier peut être faite : le récit des
témoins concorde-t-il avec ce qui s’est passé réellement pendant leur mort
clinique ? Par cette méthode, il n’est pas possible d’obtenir une certitude de
type mathématique ou positive. Il est possible par contre d’obtenir une
certitude humaine rigoureuse, fondée sur des témoignages impossibles à
falsifier dans leur confrontation à ce qui s’est réellement passé au cours de
leur mort clinique.
Fondé
sur la base d’enquêtes sérieuses décrites par le Docteur Moody et bien des
chercheurs après lui, il est possible de conclure à la réalité d’un phénomène
paranormal particulier, réel et non seulement lié à la réaction subjective d’un
cerveau fragilisé. En effet, un questionnaire sérieux réalisé auprès des
témoins et confronté aux récits de ceux qui ont assisté aux tentatives de
réanimation, confirme la vérité de ses dires : il a bien vu, de manière vraie
et vérifiable, ce qui se passait dans la pièce, alors même qu’il gisait inanimé
sans activité apparente du cœur et du cerveau. Il a donc été conscient alors
que son corps était en état de mort clinique. Le Docteur Moody, aidé de
médecins intéressés par ses recherches, est allé jusqu’à imaginer de petites
expériences significatives. Ils cachèrent sur des armoires des salles
d’opération, à l’insu de tous et surtout des malades, de petits objets
surprenants dans de tels lieux (peluches, autocollants.) Après les opérations,
dans les cas de graves difficultés opératoires, ils obtenaient auprès des
malades réanimés des réactions nettes : «
Pourquoi y a-t-il une peluche rouge sur l’armoire. Je la voyais bien du lieu où
j’étais.[300]Il est de nos jours difficile
d’expliquer cette expérience de décorporation par un rêve sans suite du cerveau
traumatisé. Il s’agit bien d’une expérience sensible objectivée par le réel.
Cette deuxième phase, même si elle n’est pas la plus profonde, est à cet égard
intéressante car elle augure bien, par son objectivité vérifiable, de l’objectivité
des autres phases.[301]
c)
Recherche du comment : Comment expliquer le phénomène de la décorporation ? Il
semble que l’étude de la constitution même de l’homme pourrait amener des
pistes de réponse. Selon des traditions philosophiques chinoises et indiennes[302], on peut discerner dans l’être humain
trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés
l’un à l’autre pour former une seule personne : le corps physique, le corps
astral et le corps mental. Le corps physique est le siège des facultés
végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il est aussi le
siège d’un autre corps appelé corps astral. Le corps physique est source de
l’existence du corps astral à tel point que, selon eux, la survie de ce dernier
est assez éphémère après la mort du premier. Mais la phase de survie peut
expliquer l’expérience de la décorporation que rapportent ces nombreux
témoignages. Le corps astral serait le siège des facultés psychiques comme les
sensations, les passions, l’imagination et la mémoire sensible. Le corps mental
n’est autre que ce que la théologie occidentale appelle l’esprit, siège de
l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent le nom de corps que par
métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement
spirituel. C’est lui qui, dans la pensée hindouiste, se réincarne à travers les
âges. Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie mais son analyse
s’attache moins à la cause matérielle. Peut-être faudrait-il revenir à
l’anthropologie tripartite de saint Paul : il y a dans l’homme le corps,
l’esprit et l’âme. Il fut suivi par quelques-uns uns des Pères mais le
laborieux développement des sciences expérimentales fit préférer la division
bipartite.
Cette
approche philosophique est à travailler. Il est clair en tout cas que la
théologie occidentale classique ne nous fournit que peu de lumière. Nous
pouvons peut-être nous rapporter au commentaire théologique que saint Thomas
d’Aquin, à la suite de saint Augustin, donne des « visions et révélations du Seigneur »dont fait état saint Paul dans la seconde lettre aux Corinthiens[303] : «
Je connais un homme en Christ qui, voici quatorze ans -était-ce avec son corps
? Je ne sais, Dieu le sait -était-ce sans son corps ? je ne sais, Dieu le
sais-, cet homme-là fut enlevé jusqu’au troisième ciel (...) « Ce passage de saint Paul relate une
grâce tout à fait particulière appelée, du terme utilisé par l’Écriture « enlevé », raptus. Saint Paul
révèle dans ses paroles une gêne à expliquer le rapport à son corps dans son
expérience. Doit-on y voir une allusion à une mystérieuse décomposition en deux
parties ?
Quant
aux sciences exactes, elles n’ont pas su faire place pour l’étude de quantité
de phénomènes dits extraordinaires, et cependant communs, tels que la
communication de pensées à distance, et moins encore à la prescience d’un
événement futur. Des expériences ont été faites en U.R.S.S. au temps de la
guerre froide[304]. Mais la décorporation reste ignorée
jusqu’à ce jour ou qualifiée de phénomène imaginaire.
d)
Apport pour notre hypothèse : Cependant, vécu par tous dans le moment de
l’approche de la mort, elle semble correspondre à un supplément de vie terrestre et on peut y voir ce moment si
nécessaire que nous avons cru devoir poser en théologie catholique pour
justifier du salut des hommes. Une révélation ne peut-elle se produire dans cet
espace qui, tout en faisant partie de la vie terrestre, est déjà passage vers
l’autre monde (voir l’étape 4)
On
trouve dans l’Écriture quelques allusions à un délai avant la mort définitive.
Quand Jésus ressuscite la fille de Jaïre, il dit : « L’enfant n’est pas morte mais elle dort. Et on se moquait de lui. » [305] De même, Jésus dit de Lazare : « Cette maladie n’est pas mortelle »et « Notre ami Lazare repose ; je vais aller le
réveiller »[306]. Lorsqu’un jeune homme de l’auditoire
de Paul tombe par la fenêtre, Luc nous affirme qu’ »on le releva mort. »
Mais Paul dit : « Ne vous agitez pas :
Son âme est encore en lui »[307]. Dans ce dernier cas, il y aurait bien
délai. Et, plus important encore, ce délai permettrait une intense activité
spirituelle, profondément humaine car fondée sur des sensations comme il est
naturel à l’homme, paisible car libérée des affres d’un corps en agonie,
qualitative car liée à une sensibilité affinée. Nous n’entendons pas autre
chose dans notre recherche théologique quand nous posons la nécessaire
disparition du fomes peccati.
a-
Au plan philosophique, la vérité de cette phase est beaucoup moins vérifiable
que celle de la précédente. En effet, on pourrait attribuer à une subjectivité
en détresse la mémorisation des visages des proches décédés. Il existe
cependant certaines expériences troublantes permettant d’hypothéquer sans trop
de risques de la vérité de ces rencontres. Un patient, hospitalisé dans un état
critique, avait dans le même temps perdu son épouse. Nul ne lui avait annoncé,
craignant de lui causer un choc fatal. Suite à un arrêt cardiaque, il sort de
son corps et est accueilli par la vision de proches décédés parmi lesquels se
trouve sa femme. Revenu à lui, il demandait autour de lui pourquoi on lui avait
caché son décès.[308] De tels témoignages peuvent-ils être
mis en doute ? En poussant l’exigence critique, il est certain que beaucoup de
chercheurs n’hésitent pas à les rejeter complètement. Cependant, leur attitude
est souvent exagérée, et suscitée par une intention autre que scientifique (La
peur de paraître crédule donc non crédible devant ses pairs est un motif très
actuel chez beaucoup de chercheurs.)
Il
ne s’agit pas de rechercher en science humaine une certitude de type
positiviste. Les témoignages humains ont leurs limites, bien établies en
psychologie. Faut-il les rejeter parce qu’ils sont liés à une part de
subjectivité ? Dans cette hypothèse, il conviendrait de rejeter toutes les
disciplines liées au témoignage comme l’histoire ou la recherche judiciaire des
coupables car leur fondement est bien souvent lié exclusivement à des
témoignages concordants. L’histoire et la justice peuvent se tromper. Mais
lorsque les témoins visuels sont nombreux et dignes de confiance, l’erreur est
rare. Qui peut nier, par exemple, Auschwitz alors que des millions de témoins
silencieux ou encore vivants parlent ? Seuls de malhonnêtes historiens mus par
une idéologie cachée ont osé nier ce crime.
b-
Au plan de la théologie catholique, cette phase va dans le sens de la communion
des saints. L’Église a toujours enseigné la protection particulière exercée par
les fidèles défunts sur les vivants. La fête de la Toussaint n’a pas d’autre
but que de rappeler la présence affectueuse et agissante des morts auprès des
vivants. L’hagiographie fait souvent état de telles apparitions d’âmes à des
saints qui témoignent avoir été ainsi avertis de se préparer à la mort (voir le
récit de Bède le Vénérable, ci-dessus.) D’autre part, dans la première épître à
Timothée[309], l’apôtre Paul parle de « l’avènement du Seigneur Jésus avec tous
les saints. » C’est donc
accompagné de personnes déjà décédées que le Seigneur se montrera à la fin. On
le voit, cette venue des proches décédés à l’heure de la fin individuelle,
telle que l’expérimentent les agonisants, n’a rien de contradictoire avec la
foi.
Certains
témoignages attestent la rencontre avec des âmes en peine. Il faut dire que
cette expression religieuse n’est employée par aucun des témoins. Ils les
décrivent comme des hommes décédés errant avec leur propre détresse et
incapables psychologiquement de se sortir de cette errance. Les témoignages
recueillis par le docteur Moody sont rares à leur sujet. Ils sont aussi
rapportés dans l’hagiographie chrétienne, islamique ou bouddhiste, aussi bien
du reste que dans l’expérience de ceux qui s’adonnent aux drogues ou au
spiritisme. S’agit-il, comme l’affirment certains théologiens (84) de cette
catégorie d’hommes que la notion d’altruisme et de bonté laisse indifférents,
sans qu’ils soient cependant foncièrement pervers, et auquel Dieu laisse un
temps de réflexion au désert avant de se révéler pour leur salut. En Russie
orthodoxe, on appelle ces êtres les « âmes
qui paient », c’est-à-dire qui paient
un droit de passage dans l’éternité. Il s’agit d’un souvenir des croyances
judéo-chrétiennes sur la nécessaire purification. Une pieuse croyance,
respectée par l’Église d’Orient et justifiée par un texte attribué à Saint
Antoine le Grand, veut qu’à l’image du Christ les morts n’entrent dans leur
état définitif que par étapes. C’est pourquoi on prie pour eux aux 3èmes,
9 èmes, 40 èmes jours après leur décès.
En
rapport avec notre hypothèse, il nous sera possible d’établir ultérieurement
l’importance de la manifestation des saints qui accompagne la parousie du
Christ[310]. Nous montrerons qu’il ne s’agit pas
d’un épiphénomène mais d’une réalité essentielle à la conception catholique du
salut par la charité, c’est-à-dire par la communion avec Dieu et ses saints. En
tout état de cause, le fait que les agonisants réanimés prétendent rencontrer
des proches décédés ne peut qu’apporter un surcroît de crédibilité à ce que
nous avons posé auparavant dans notre approche théologique.
a- Analyse du phénomène
- La
première difficulté qui ressort à mon sens des descriptions du phénomène,
consiste à établir ce que voient réellement les témoins. S’agit-il d’une vision
spirituelle d’un être de vérité (lumière) et de compréhension (chaleur) ?
S’agit-il d’une simple lumière et chaleur de type physique ? A la lecture des
témoignages descriptifs, on constate que les deux approches sont intimement
liées : des couleurs magnifiques ont été vues,
avec des nuances de dégradés inconnues sur terre ; Une chaleur douce a été ressentie, accompagnée d’une impression
de paix psychologique totale. En même temps, les témoins s’accordent à dire que
cette lumière et cette chaleur étaient un être spirituel dont ils comprenaient la vérité et l’amour.
L’expérience semble donc mêler intimement des aspects sensibles et spirituels.
Nous pourrions même parler, sans trop nous avancer, de spirituel par le sensible. Nous l’avons montré
précédemment, il s’agit là du mode le plus naturel de la connaissance humaine
puisque l’homme est par nature un être sensible dont l’intelligence et la
volonté s’exercent naturellement en s’appuyant sur l’apport des sens.
-
Quelle est l’image sensible qui leur apparaît ? Unanimement, les témoins
s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un être humain. Ils distinguent
facilement l’être de lumière des autres créatures qui les entourent comme les
proches décédés. Les proches décédés ont un corps humain semblable au leur. Ils
reconnaissent les visages. L’être de lumière leur paraît être de nature
différente, supérieure. Il n’a pas de visage, ni de regard sensible (jamais
aucun des témoignages ne rapporte qu’il en ait.) Sa personnalité rayonne
autrement. Il semble que nous sommes obligés d’admettre qu’il ne s’agit pas
d’un homme. Dans ce cas, une objection majeure semble apparaître au plan
théologique vis à vis du titre même de notre hypothèse. La parousie du Christ,
si elle a lieu à l’heure de la mort, est celle d’un vrai Dieu mais aussi d’un
vrai homme. Son mode de manifestation ne devrait-il pas se rapprocher davantage
de celle des proches décédés que de celle des anges qui n’ont pas de corps qui
leur soit naturellement uni ? Sommes-nous donc en présence du Christ ? Ne
sommes-nous pas plutôt en présence d’une créature d’un autre type ? En fait,
nous l’avons montré précédemment, il ne s’agit pas d’une contradiction
fondamentale de notre hypothèse. Le plus important est situé ailleurs, dans la
question suivante à laquelle il nous faudra répondre : cet être est-il une
image de Dieu ? S’agit-il d’une expérience mystique ? (Nous entendrons par
expérience mystique tout au long de ce travail la rencontre personnelle avec la vie de la grâce ou de la gloire.
Nous n’en parlons pas dans le sens analogique attribué par les modernes aux
expériences bouddhique du nirvana ou aux expériences de contemplation
artistique.)
- En
philosophie, il est impossible de parler des anges. Ils échappent à sa raison
formelle voir[311] car ils ne peuvent en aucune manière
être découverts par les seules forces naturelles de l’intelligence. Leur
existence est révélée et seule la foi, tant que l’homme vit ici-bas, peut les
atteindre. Par contre, il est possible de découvrir en philosophie l’existence
d’un être supérieur, que les traditions religieuses appellent Dieu et qui est
Créateur. Saint Thomas d’Aquin montre dans son De Deo uno que ce Créateur est nécessairement Acte pur, donc
indépendant de tout corps physique comme du temps, du lieu, des limites de
toutes sortes. Il est donc possible de conclure en philosophie, par simple
comparaison avec ces conclusions nécessaire, que ce que voient les agonisants
n’est pas Dieu dans son essence, mais une créature. Il est évident que Dieu est
au delà du rayonnement des plus magnifiques couleurs. Celles-ci peuvent
constituer un vestige de sa nature infinie mais un vestige seulement.
-
Comment expliquer qu’une image de lumière sensible puisse être source d’une
connaissance spirituelle d’une telle intensité ? Bergson, dans ses études sur
les phénomènes de la vie mystique, discerne chez certains saints la possibilité
d’une connaissance nouvelle au plan qualitatif, de type extatique[312]. Au plan artistique, il existe un « analogué » de cette expérience : à travers une vision sublime de beauté
sensible, il peut arriver qu’une sensibilité fine discerne d’un seul regard une
profondeur insoupçonnée de signification spirituelle. La beauté sensible est
source d’un déclic spirituel fugace qui peut laisser par la suite une
impression inoubliable. Dans la connaissance extatique d’une beauté de l’autre
monde, un phénomène semblable peut sans doute se produire. L’intelligence est
happée par la vision sensible qui rayonne surnaturellement. Elle discerne par
mode d’intuition et d’un seul coup l’intensité spirituelle sous jacente.
b- Approche critique au plan
philosophique
Jugeant
de l’extérieur ce phénomène, il n’est guère possible de trancher définitivement
sur sa vérité. Certains signes inclinent
à pencher dans ce sens comme le témoignage unanime des personnes interrogées
qui sont certaines de pouvoir distinguer cette apparition d’un simple rêve. Les
effets à moyens et long terme sont aussi très significatifs : ils vont dans le
sens d’un progrès, d’une meilleure attention aux autres, d’une envie de vivre
pleinement, tous phénomènes positifs très étrangers à ce que produit une simple
hallucination. Cependant, le philosophe Feuerbach, s’il avait eu à critiquer ce
phénomène, aurait certainement écrit la même théorie qu’il utilise pour
expliquer le christianisme : « projection
sublime dans un au-delà objectif des désirs d’une subjectivité portant en elle
l’infini. » Il est donc difficile
de conclure sans se voir retourner ses propres arguments dans le sens inverse.
Nous ne pouvons donc pas aller plus loin que l’établissement de cette vérité
par mode de signes de crédibilité.
Il
est légitime de se demander pourquoi seulement un petit pourcentage de ceux qui
sont passés par la mort clinique y vivent une telle rencontre. L’auteur
mentionne un malade qui, étant passé plusieurs fois par la mort clinique, n’a
vu l’être de lumière qu’une fois. Cette expérience n’est pas nécessairement
conditionnée par la mort clinique. Elle peut la précéder ou même se produire en
pleine santé. Sans doute trouvons-nous là un signe de plus de son objectivité
puisqu’elle se dissocie de l’état d’un cerveau traumatisé
c- Approche critique au plan théologique
L’Église
utilise habituellement certains critères qui lui permettent de juger d’un
phénomène paranormal. Ils sont au nombre de trois[313].
1-
Conformité à la foi catholique ;
2-
Fruits spirituels positifs ;
Ces
deux premiers signes permettent d’établir un a priori positif face à la réalité d’un phénomène mystique. Ils ne
suffisent cependant pas fonder une conclusion définitive puisqu’il est possible
d’imiter de tels critères. Le cas de Vassula, récemment
traité par la Congrégation de la Foi[314] est à cet égard significatif. C’est
pourquoi l’Église demande, avant de se prononcer définitivement sur tel ou tel
phénomène, la confirmation de son caractère surnaturel par :
3-
Un miracle d’origine divine, impossible à mettre en doute, comme une guérison
instantanée échappant au pouvoir de la psychologie, la résurrection d’un mort
etc. dans le cas qui nous occupe, il n’existe rien de tel. Notre approche reste
donc probable.
1- Conformité à la foi catholique
Pour le théologien catholique, au plan
du dogme, une conclusion positive, s’impose : rien dans l’expérience de mort
approchée ne s’oppose à la foi de l’Église catholique. Tout n’appartient pas à
son enseignement officiel certes mais rien ne va contre. Au contraire, la
rencontre d’un être personnel, sensible et surnaturel, dont la personnalité
s’épanouit en sagesse et amour, va dans le sens de l’Évangile. Si l’Évangile
n’est pas là, où le trouvera-t-on ?
Quelques
questions méritent d’être soulevées
En
premier lieu, cette expérience n’est pas en lien avec l’Église prise dans le
sens de sa hiérarchie. L’expérience n’est pas ecclésiale au sens d’un lien avec
la hiérarchie terrestre. Il semble qu’il y ait ici un premier problème. Le Père
Bot, professeur au Séminaire International d’Ars y voyait l’objection la plus
déterminante. Rien, selon lui, ne peut advenir de surnaturel dans une
séparation totale à l’Église militante (spiritualité sulpicienne.)
Il
est possible de répondre à cette objection. Quoiqu’il en paraisse, cette
expérience est ecclésiale[315]. Elle l’est dans le sens d’une
rencontre avec l’Église du Ciel puisqu’elle implique la rencontre avec des
personnes rayonnant la vérité et l’amour, qualités essentielles à l’Église
sainte. Cette expérience est d’autre part ecclésiale au plan de ses effets
puisqu’elle dispose celui qui en revient à l’attention au prochain à cause de
l’être de lumière. Le fruit premier de cette aventure est là et non, comme
c’est le plus souvent le cas pour les adeptes du spiritisme, dans une curiosité
malsaine pour les phénomènes parapsychiques : c’est la conscience d’être
réellement aimé par un amour souverain, et le désir d’apprendre à aimer
réellement le prochain. D’un chrétien qui choisit la voie des conseils
évangéliques, il est remarquable qu’on dise : « Il a entendu l’appel du Christ
», alors qu’on pourrait dire avec plus de réserve : « Il a entendu l’appel de l’Église. » La première formule a pour elle un argument scripturaire : « Ils n’auront plus à s’instruire
mutuellement se disant l’un à l’autre : Ayez la connaissance de Yahvé! Mais ils
me connaîtront tous, des plus petits jusqu’aux plus grands - oracle de Yahvé »[316].
Le
fait que cette expérience n’ait pas de lien avec l’Église hiérarchique ne peut
être un argument décisif. Il est vrai que le chemin habituel de la grâce est
dans l’Église à travers sa prédication, son enseignement, et ses sacrements.
Cependant, Dieu n’a institué ces moyens humains que pour rendre l’Évangile
accessible de manière sociale. L’homme étant par nature un animal politique, la
nécessité de ces modes de communication de la grâce est évidente. Cependant,
Dieu n’est pas lié à ces seuls moyens et la grâce peut parvenir à l’homme par
bien d’autres voies selon son initiative. L’Abbé Mugnier, aumônier des artistes
parisiens à la fin du siècle dernier, se plaignait dans son journal de ce que
la grâce était rendue prisonnière du seul culte par l’Église. Sa critique est
absolument juste en ce qui concerne la spiritualité des prêtres séculiers
français de son milieu. Elle ne porte pas s’il s’agit de l’enseignement le plus
profond de l’Église. Sainte Thérèse d’Avila, Docteur en ces matières mystiques,
enseigne tout autre chose. Pour elle, la grâce de Dieu et communiquée à l’homme
par tous les moyens imaginables, l’essentiel de cette grâce n’étant pas son
caractère sacramentel mais son intensité de rencontre personnelle.
Autre
question :
La conversion que rapportent les témoins semble liée au don d’une grâce
sensible et visible. N’est-ce pas en opposition avec ce qu’implique une réelle
conversion chrétienne : « Heureux ceux
qui croient sans avoir vu »[317] ?
Cette
question est un faux problème. Qu’ils aient bénéficié ou non de grâces
sensibles extraordinaires, la générosité des saints à suivre le Christ ne peut
s’expliquer psychologiquement que par l’amour d’un ami. Ils témoignent
unanimement et ce jusque dans une fidélité héroïque, que le Christ est vivant
et s’est manifesté à eux. Chez les uns, cette rencontre peut être retracée
jusqu’à une manifestation sensible extérieure ; Chez les autres -le plus grand
nombre, peut-être il n’y a eu que l’expérience ressentie au fond de leur
sensibilité, d’une Présence. Mais chez les uns et les autres, il y a rencontre,
il y a révélation personnelle et affective. Etant hommes, cette rencontre se
fait obligatoirement par l’intermédiaire de grâces sensibles. Ce n’est que dans
un second temps que ces grâces sensibles peuvent disparaître pour laisser la
place à la foi nue (nuit des sens et surtout nuit de l’esprit.) Les fruits de
cette rencontre sont considérés par l’unanimité des maîtres spirituels comme
des signes certains de son origine : toute authentique théophanie produit des
fruits en paix, joie intérieure et en désir de charité fraternelle extérieure.
Ainsi,
les grâces sensibles, plus ou moins intenses ou intérieures sont nécessaires au
commencement de toute vie spirituelle. Elles peuvent aussi se montrer
indispensables pour certaines étapes de sa croissance. C’est du moins l’opinion
des plus grands maîtres[318]. La raison de la nécessité de ces
grâces sensibles est à rechercher dans la nature même de l’homme qui ne peut
arriver au spirituel sans l’instrument de ses sens.
Une
objection pourrait encore être formulée : Comment est-il possible que ceux qui
ont eu l’expérience d’une rencontre avec l’être de lumière, dans l’hypothèse où
cette rencontre fut réelle et d’origine surnaturelle, comment peuvent-ils
encore avoir la foi ? Ou bien on vit sous le régime de la foi ou bien sous
celui de l’expérience, et si on a eu l’expérience on n’est plus capable d’être
assailli par le doute. A cette question, la réponse est en premier lieu
pratique : Saint Paul, lui dont nous tenons cette définition de la foi,
avait-il lui même la foi, alors qu’il avait rencontré Jésus dans une grande
lumière sur le chemin de Damas et que plus tard il fut enlevé jusqu’au septième
ciel. Les mystiques ont-ils cessé de vivre sous le régime de la foi ? Thérèse
de Lisieux endura dans son agonie le désespoir des incroyants et Bernadette à
la fin de sa vie ne savait plus dire si elle avait vu réellement la Dame. Elles
étaient donc bien sous le régime de la foi pure. En effet, la disparition de la
foi ne peut intervenir que dans la pleine Vision, c’est-à-dire dans le face à
face de la vision de Dieu. Or aucun des saints cités ni même ceux qui ont
approché la mort n’ont vu Dieu face à face. Leur expérience reste sensible,
adaptée au mode humain de connaissance, quoiqu’extatique. De retour dans ce
monde, elle laisse une trace sensible qui ne supprime pas l’absence de nouveau
vécue. Certes, le doute sur l’existence de l’au-delà n’est plus de mise, sauf
épreuve particulière envoyée comme une nuit par Dieu. Mais absence de doute
n’est qu’une propriété normale de la foi, certitude des choses qu’on ne voit
pas.
Qui
est l’être de lumière ? Peut-il être identifié au Christ glorieux ? Nous avons montré
précédemment que tout semblait indiquer la nature non humaine de cet être. Or
cela semble constituer un signe contraire à notre hypothèse concernant
l’apparition glorieuse du Christ - Vrai homme à l’heure de la mort.
En
fait, cette objection nous paraît peu essentielle : dans le cadre de notre
hypothèse et en particulier du paragraphe I-3-2-2 concernant l’auteur de la
prédication à l’heure de la mort, une seule chose nous paraît importante. A
l’heure de la mort, un envoyé de Dieu, homme ou ange, suffit par sa
manifestation, à révéler au mourant qui est Dieu. En effet, tout homme et tout
ange entré dans la vision béatifique est devenu image parfaite de Dieu,
christoconforme.
Qu’en
est-il de la « Near Death Experience » ? Nous sommes obligés de reconnaître
que la description faite par les témoins de l’être de lumière constitue une
remarquable Image de Dieu. Tout en étant perçu par les sens (lumière blanche,
couleurs ineffables, chaleur), il rayonne spirituellement jusqu’au fond de
l’âme du témoin de Lumière spirituelle et d’amour. On ne saurait mieux décrire
en termes humains et surnaturels ce qu’est à un tout autre niveau le Dieu de
l’Évangile. Le fait qu’il s’agisse d’une Image glorieuse (c’est-à-dire
resplendissante de la Beauté qu’elle représente) suffit à notre hypothèse.
C’est bien, nous semble-t-il, une prédication de l’Évangile qui se réalise ici.
Par contre, en toute objectivité, nous hésitons à conclure en une apparition
glorieuse du Christ : nulle part en effet, il n’est dit que cet être de lumière
a forme humaine. La tradition judéo-chrétienne m’invite à interpréter plutôt
cette apparition comme celle d’un ange, les «
messagers »de Dieu, créatures
purement spirituelles et pourtant capables de se rendre visibles aux sens, et
qui ne font pas écran entre Dieu et le sujet, comme nous le voyons à
l’Annonciation. A travers l’ange, c’est Dieu lui-même qui se manifeste, en la
personne de Jésus ou en celle du Saint Esprit. La « lumière blanche » dont
parlent tant de témoins fait penser à la transfiguration dont bénéficièrent
Séraphim de Sarov et son disciple. Mais cet être de lumière se montrant le
maître de nos destinées et la qualité de son amour étant profondément humaine,
nous sommes ramenés à la personne de Jésus. L’hagiographie nous montre que
l’expérience des saints est tantôt christique, tantôt plus pneumatique, mais en
fin de compte le Verbe et le Saint Esprit ne font qu’un quand ils se manifestent
aux âmes : c’est une question d’accent. Quand Dieu se manifeste à un Israélite,
on conçoit que l’accent ne soit pas mis d’emblée sur l’Incarnation, qu’il
ignore. Si cette délicatesse peut être interprétée par certains comme une
preuve du subjectivisme de l’expérience, elle nous paraît plutôt un signe de
plus du caractère surnaturel car très respectueux, de cette parousie.
L’essentiel est que tous les témoins ont expérimenté cette présence comme celle
de l’Ami qui les aime et qui les sauve, et non comme celle d’un inconnu qu’ils
chercheraient à identifier.
2- Fruits spirituels postérieurs à
l’expérience
Le
docteur Moody a voulu confronter l’expérience qu’il rapporte aux critères
habituellement utilisés par l’Église catholique pour vérifier la vérité d’une
révélation privée. L’auteur peut répondre que « c’est précisément dans ce sens que les personnes interviewées ont été
poussées à la suite de leur approche de la mort. » [319] Les fruits spirituels de cette
rencontre sont multiples.
a- Un certain changement de vie
Beaucoup
de témoins paraissent n’avoir eu qu’une conversion embryonnaire. Cela n’est pas
étonnant si l’on considère leur point de départ, souvent étranger à toute vie
spirituelle. » J’agissais auparavant sous le coup d’impulsions ; maintenant, je
réfléchis d’abord aux choses, calmement, lentement »[320].
» La vie m’est devenue bien plus
précieuse depuis lors » (p. 111) «
C’est l’esprit qui est devenu pour moi la partie la plus essentielle de
moi-même, au lieu de la forme de mon corps. » (p. 111) Il existe aussi des conversions plus complètes et plus
radicales : « Un homme, à sa rencontre
avec l’être de lumière, s’est senti totalement aimé et accepté, alors même que
sa vie se déroulait en un panorama destiné à être vu de l’entité. Il lui
semblait que la question posée par celui-ci équivalait à lui demander s’il
était capable d’aimer les autres avec la même intensité. Il pense maintenant
que sa mission sur terre consiste à s’efforcer d’apprendre à aimer ainsi. »[321]. D’une façon générale, l’auteur peut
affirmer que « tous reconnaissent que
leur foi religieuse est sortie de l’épreuve fortifiée »[322].
b- L’amour du prochain
La
plupart des témoins insistent sur leur désir de se montrer généreux envers
leurs prochains à la suite de cette expérience. Ils semblent marqués par la
relecture accomplie en compagnie de l’être de lumière et qui portait
essentiellement sur les relations aux autres. Ce désir ressort clairement de
l’ensemble des témoignages. » A mon retour, j’étais dominé par un désir
envahissant, cuisant, de faire quelque chose pour autrui (...) J’avais
tellement honte de ce que j’avais fait ou n’avais pas fait dans ma vie ; Il me
semblait qu’il fallait tout réparer tout de suite, que cela ne pouvait attendre
»[323].
L’auteur
analyse cet amour dans son deuxième livre : l’amour est selon lui l’» agapé » grec et la connaissance est la « Sofia. » « Il s’agissait d’un amour
qui n’a rien à voir avec sous-estimer les gens ; Etais-je capable d’aimer les
gens, même ceux que je connaissais, à fond, avec leurs défauts- voilà ce que
l’être de lumière me demandait. »
« Ce que voulait l’être de lumière en
parlant de savoir, c’était une connaissance en profondeur, en quelque sorte
reliée à l’âme... la sagesse plutôt »[324]. L’auteur ajoute : « C’était l’amour qui se présentait comme le but essentiel. Quand
l’être de lumière évoquait la connaissance, il le faisait en passant, et comme
par dessus le marché » [325].
c- Un désir de la sagesse
A ce
désir d’aimer le prochain s’ajoute donc chez certains un désir de s’instruire.
Certains
ont expérimenté un mode transcendant de savoir : « Plusieurs sujets m’ont affirmé que, à un certain moment de leur
expérience, ils avaient eu de furtifs aperçus d’une façon d’exister entièrement
différente, dans laquelle toutes les connaissances -celles du passé, du présent
et de l’avenir- se fondaient en une sorte d’état intemporel (...) Cette
fugitive vision ne les avait en aucune façon détournés de l’effort de
s’instruire au cours de cette vie, mais avait au contraire produit chez eux un
effet de stimulation. »[326]
d- L’humilité
L’auteur
remarque en concluant : « Pas un seul de
ceux que j’ai interrogés n’a prétendu sortir de l’expérience purifié ou
amélioré par rapport aux autres. Aucun n’a fait montre d’une attitude du style
« je suis plus saint que toi. » En fait, la plupart ont spécifié qu’ils se
sentent comme en recherche, en travail. Leur vision leur a assigné de nouveaux
buts à poursuivre, de nouveaux préceptes moraux (...), mais en aucun cas elle
ne leur a inspiré l’idée d’un salut instantané ou d’une infaillibilité morale »[327]. Quand il y a mission explicite, c’est
seulement en accomplissement des devoirs familiaux.
Autre
point remarquable et qui explique peut-être une forme de réticence à admettre
la valeur de cette expérience de mort approchée par les responsables des
religions instituées, c’est que dans aucun des cas étudiés, il n’a été demandé
au mourant de se tourner vers telle ou telle Église pour y trouver la vérité.
Le converti se sent simplement « en
travail, en recherche », livré à lui-même sans autre assistance que le
souvenir de sa rencontre. Mais cela n’est pas étonnant : ainsi en est-il de
toute grâce de conversion. Elle est donnée dans un cœur à cœur sensible et
spirituel, d’où la possibilité pour elle de se corrompre ensuite au contact de
mauvais bergers. Sur le chemin de Damas, Paul fait exception à cette règle
commune. Mais il ne s’agit pas d’un simple fidèle bénéficiant d’une révélation
privée : sa vocation était de devenir l’apôtre des nations. Il convenait que le
salut lui vienne à travers l’Église
e- Au dessus de tout, l’amour et
l’obéissance à l’être de lumière
Pour
notre part, en tant que théologien catholique, nous ne pouvons manquer
d’admirer la haute valeur spirituelle de ces fruits. Ils se résument en deux
axes : un désir de changer sa vie dans le sens de la préparation à la rencontre
de l’être de lumière et dans le sens de l’amour du prochain. Or ce désir, si on
l’analyse selon les critères du théologien, n’est pas celui d’un humanisme mais
d’une véritable charité théologale. Le prochain est aimé dans la lumière et
pour l’être de lumière qui, s’il n’est pas Dieu en personne, n’en est pas
moins, nous l’avons montré, son Image souveraine et humaine.
En
employant l’expression « expérience
mystique », nous l’opposons à « naturelle » : Il reste en effet à décider de la nature de l’expérience de
mort approchée. Est-elle porteuse d’une grâce surnaturelle originée dans la
rencontre avec un représentant de Dieu (telle est selon nous la définition
chrétienne de la vie mystique) ? Est-elle un rêve du cerveau en détresse ? Un
témoin rapporte : « J’ai voulu tout
raconter à mon confesseur. Mais il m’a répondu que j’avais eu des
hallucinations. Du coup, je n’ai plus rien dit »[328]. Le positivisme de notre culture a
contaminé bien des pasteurs.
Dans
l’expérience de mort approchée, au delà des phénomènes paranormaux secondaires,
l’élément essentiel est d’une part la vision d’un être souverain et aimant, et
d’autre part une parole -la vocation- qui n’a pas besoin d’être formulée
verbalement pour être perçue. Ces deux phénomènes nous apparaissent comme
ordonnés l’un à l’autre : c’est pour « appeler »que l’être de lumière semble se
manifester. Le fait que cette manifestation puisse arriver à tous les hommes (y
compris aux chrétiens fervents) et qu’elle est toujours source d’une prise de
conscience supérieure de l’importance de l’amour, manifeste sa qualité
spirituelle, supérieure à tout ce qui peut être imaginé humainement. Seule
sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, parmi les mystiques, eut l’audace d’affirmer
avant sa mort : « Lorsque je le verrai,
je crois qu’il ne pourra pas me surprendre. » [329] En fait, elle fut surprise car
l’apparition glorieuse du Christ dépasse tout ce que peut imaginer un homme
ici-bas.
Au
terme l’expérience mystique, la parole intérieure est perçue comme distincte de
la voie de la conscience. La croissance de la vie spirituelle (quatrièmes et
sixièmes demeures de sainte Thérèse d’Avila) conduit le croyant à ne plus
chercher autre chose que l’amour, au delà des besoins naturels de sentir ou
même de comprendre la finalité de l’appel. Il apprend par diverses étapes
purifiantes que sa réponse fidèle suffit, au delà de toutes les lumières de la
grâce.
Le
docteur Moody pense pouvoir l’identifier[330] au jugement particulier et définitif de
la théologie catholique. Il n’en est rien. Le jugement dernier prend en
théologie catholique un sens très particulier. Il suit l’acte d’un choix
définitif posé par l’âme du mourant et aboutit à l’assignation par Dieu de son
destin éternel. Il s’agit plutôt ici d’un examen de conscience portant sur
l’état provisoire d’une vie non encore pleinement mûre : « Le jugement que je portais sur la valeur de ma vie, sachant désormais
ce que je savais »[331]. Il semble être mesuré en fonction du
degré de développement spirituel du sujet : «
J’avais brusquement mûri (...) La vie ne se borne pas au cinéma du vendredi
soir et aux matches de football ; il y a, dans ma propre vie, beaucoup plus que
je n’en connais moi-même. » [332] Généralement cependant, l’examen de
conscience est spécifiquement moral : «
En face d’une action égoïste, les sujets avaient ressenti une impression de
repentir cuisant ; là où ils avaient fait preuve d’amour désintéressé, ils en
éprouvaient du bonheur »[333]. Aussi, déclare un témoin, « quand je suis revenu à moi, j’avais pris
la résolution de tout changer »[334].
Par
rapport à l’hypothèse qui nous intéresse, la relecture de la vie passée prend
un sens très favorable : nous avons montré en théologie catholique à quel point
la vie terrestre est importante puisqu’elle façonne notre personnalité ; En
même temps, nous affirmions que les choix d’ici-bas, parce que teintés
d’ignorance et de faiblesse, ne pouvaient suffire à eux seul à déterminer le
choix éternel. L’expérience de ceux qui ont approché la mort semble confirmer
ce fait : la vie passée a sa place, mais elle est relue à la lumière de la
vérité et de l’amour. Elle prend alors tout son sens pédagogique, quoique
restant une disposition au choix final qui ne relève pas des témoignages
rapportés par l’auteur. En tout état de cause, l’expérience de mort approchée
semble aller dans le sens d’une vision du salut telle que nous l’avons décrite
en première partie.
On
connaît en psychologie des cas purement naturels de vision des souvenirs
passés. La revue de la vie est parfois vécue comme un phénomène simplement
psychique, provoqué par un état de stress brutal du cerveau ou de frayeur
incontrôlable. Cela arrive fréquemment dans l’instant d’un danger de mort ressenti
intensément, sans qu’il y ait aucune rencontre avec un être de lumière. Guy de
Larigaudie, auteur d’un petit livre de mémoires intitulé Étoile au
grand large[335], décrit une expérience de ce type.
Voulant épater des amies en plongeant du haut d’une falaise dans l’eau d’un
torrent, il eut l’impression fugitive mais certaine qu’il allait s’écraser sur
un rocher en contrebas alors qu’il s’était déjà élancé. » Dans la seconde qui sépara
mon départ de mon arrivée sain et sauf dans l’eau, je vis défiler ma vie, à une
vitesse inimaginable et pourtant avec un luxe de détails qui me laissa tout
étourdi. Je me revis enfant, je revis jeune le visage de ma mère. » Des
phénomènes analogues peuvent être provoqués cliniquement ou par hypnose. Cela
se produit en un instant réel et peut paraître subjectivement très long. Cette
fausse impression de durée est-elle due à une accélération de la faculté de
perception, sous l’effet de l’émotion ? parfois, lors d’un accident, la
catastrophe est vue comme au ralenti. Cela peut se produire dans de nombreux
cas que Moody cite. Il emploie l’expression de « décomposition du temps »,
de parenthèse dans le temps linéaire.
Le
cas qui nous occupe est différent. L’être de lumière semble être la source
d’une relecture à la suite de la question qu’il pose au mourant. Même en
présence de l’être de lumière, il arrive qu’il soit ressenti par les témoins
comme autre chose qu’un jugement. Certains témoins ont trouvé plutôt amusant de
revoir leur enfance[336]. Un accidenté par exemple[337] entre directement dans la phase 2 et
voit les sauveteurs s’activer à la réanimation de son corps. Après avoir
parcouru les phases 4 à 7, il fait retour à la phase 2 et revoit les sauveteurs
au moment même où il les a quittés, comme s’ils s’étaient figés dans leur
mouvement, alors qu’il a l’impression subjective de s’être absenté une heure.
Puis il réintègre son corps et le temps reprend son cours normal.
Depuis
toujours, les maîtres spirituels et les responsables de l’Église catholique
sont unanimes à enseigner la plus grande prudence vis à vis des manifestations
extraordinaires. Prudence ne veut pas dire refus systématique mais discernement
des esprits, car tout ne vient pas du Saint Esprit. La rencontre avec l’être de
lumière peut-elle être un effet de l’imagination ? Il est difficile d’être
définitivement concluant pour cette question. L’expérience de mort approchée a
suscité de vifs débats entre les tenants de son authenticité et les autres. Ces
derniers ont fait remarquer avec justesse l’existence de faits analogues chez
les drogués ou dans certaines formes de maladies mentales. La décorporation, la
vision de scènes du passé inscrite dans la mémoire, l’apparition de morts, tout
cela pourrait selon eux être expliqué par un surgissement dans certaines
conditions de l’inconscient personnel. Cependant, peut-on objecter, chez les
malades, de tels phénomènes, loin de provoquer un mieux être, sont source au
contraire d’une aggravation de l’état mental, d’un désir de fuite du monde et
de refuge dans cet imaginaire protecteur. Les relations avec le réel se
dégradent, l’attention au prochain disparaît. Au contraire, l’expérience de
mort approchée suscite toujours un mieux être : les pensées de suicide
disparaissent, l’attention aux autres redouble, le comportement moral change,
une lutte contre les défauts est entreprise, l’espérance théologale naît. Tout
cela ne prouve pas mais indique avec force qu’on n’est pas en présence d’un
rêve mais d’une expérience forte dont l’effet réaliste est suffisamment
puissant pour durer un certain temps dans la majorité des cas. Ce fait peut
être constaté non seulement par le psychologue mais par tous les proches. La
radicale nouveauté de l’expérience n’est pas à rechercher dans les phénomènes
cités mais dans la rencontre personnelle avec l’être de lumière.
Dans
sa chronique du Figaro du 22 janvier 1979, Jean Guitton se dit « frappé de l’analogie de ces expériences de
récupération avec les témoignages des mystiques dans toutes les religions. » Sa réticence vient d’une crainte,
justifiée à l’époque comme de nos jours, de réduire la mystique à une rencontre
impersonnelle de type New Age avec un Tout harmonieux. Or il nous semble que
Jean Guitton a fait un contre sens en ne remarquant pas que le noyau de ces
expériences est une rencontre entre avec une entité personnelle, un « être de
lumière »qui lui manifeste un amour
souverain et miséricordieux. Le fruit de cette expérience est une conversion,
au sens chrétien du mot, qui cependant n’inclut pas nécessairement un
rapprochement avec l’Église chez ceux qui lui étaient étrangers. Ainsi, il y a
analogie avec les expériences mystiques judéo-chrétiennes, bien plus
spécifiquement qu’avec les religions orientales qui ignorent une entité divine
personnelle. Et comme cet amour semble bien avoir un caractère, non pas
seulement souverain, mais en même temps humain, il y aurait, plus
spécifiquement encore, analogie avec la mystique chrétienne. Ainsi, malgré les
réserves qu’il faut faire, le lecteur chrétien se trouve confronté à la
question suivante : comment justifier ces grâces, abondantes, reçues hors de
l’Église visible ? Secondairement, le lecteur est amené à se demander que
penser de l’état de décorporation où se trouve généralement le sujet au cours
de cette expérience. Enfin, quelques témoignages, rares mais précis, faisant
état de la rencontre avec ce que la sagesse populaire appelle des « âmes en peine », le lecteur ne peut manquer d’être frappé du caractère
d’orthodoxie chrétienne de ce qui est dit à leur sujet.
Une
autre critique moins traditionnelle et très contemporaine mérite d’être citée.
Dans la lignée du courant théologique symbolique contemporain (exaltation du
sens symbolique de l’Écriture et relégation dans le mythe du sens historique)
Jacques Neirynck, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne écrit[338] : «
L’exégèse historico-critique appliquée aux évangiles a sérieusement changé la
perspective où nous les lisons.(...) Lire les évangiles de Pâques, ces récits
bien évidemment non historiques, est tout aussi nécessaire aujourd’hui pour
l’esprit cultivé que de connaître les textes littéraires que sont Oedipe-roi,
la belle au bois dormant et Robinson Crusoë. Mais seuls les enfants posent la
question naïve de savoir s’ils ont existé. (...) Ne sommes-nous pas restés dans
cette attitude infantile à l’égard de Pâques ? Ne cherchons-nous pas des
assurances pseudo-scientifiques de notre résurrection dans les comptes rendus
de « Near Death Experience » (Expérience proche de la mort) ? »
Le
côté paradoxal de l’exégèse historico-critique, consiste en ce qu’elle prétend
distinguer de manière scientifique ce qui dans l’Écriture est historique et ce
qui n’est que symbolique. Or, bien souvent, ses arguments rationnels sont si
faibles que ses conclusions apparemment scientifiques ne sont que le reflet de
la foi ou de l’incroyance de leur auteur. Monsieur Neirynck illustre ce
travers. Son argumentation exégétique est faible : parce qu’il discerne
quelques contradictions dans les récits de la résurrection du Christ (Y
avait-il une femme ou deux femmes au tombeau, un ange ou deux anges ?), il les
relègue tout entiers dans le domaine des contes symboliques. Il ressemble en
cela à Drewerman. Sans doute a-t-il trop étudié en faculté pour savoir
discerner épistémologiquement un témoignage d’une Thèse d’État en histoire.
Parce qu’il est incroyant (la foi rappelons-le, est une réponse d’enfant à une révélation digne de
confiance) et parce qu’il veut paraître intelligent, il se pose dans une
attitude de recul rationaliste. Il en résulte une bouillie théologico-littéraire
d’où il est difficile de discerner ce qui relève de l’incroyant et de l’exégète
rigoureux. On peut porter un regard analogue sur sa critique de la « Near Death Experience. » La rejette-t-il parce que, a priori, l’homme cultivé ne saurait
porter un regard scientifique sur une telle expérience trop grossièrement
évangélique ? Ou parce qu'il s’est appliqué de manière rigoureuse à étudier les
témoignages ? Ainsi, dans ce monde où il est de bon ton pour l’homme cultivé de
ne pas paraître naïf en restant croyant, il est souvent de bon ton de ne pas
paraître naïf en restant philosophe.
Pour
notre part, quitte à paraître naïf, nous avons abordé ce phénomène paranormal
avec la même option de crédibilité philosophique que nous accordons à tout
récit hagiographique ou simplement au récit ingénu d’une conversion, avec
l’apport supplémentaire du nombre. Il ne s’agit pas d’un récit mais de
centaines. Nous n’avons rien rejeté a
priori mais nous avons soumis les témoignages à une étude critique
raisonnable (l’hyper criticisme n’est pas philosophique.)
Pour
faire un jour partie de la foi catholique, une doctrine doit avoir été crue
toujours est partout. Ce principe lérinien n’est pas gardé sans restriction par
l’Eglise qui a constaté qu’il n’est pas toujours valable. Beaucoup de choses
fausses ont été crue toujours et partout (Ex : la création du monde en six
vrais jours) et se sont révélées fausses ; D’autres doctrines furent rejetées
par tous les théologiens et se révélèrent vraies (ex : la proposition du
salut à tous les hommes y compris aux enfants morts sans baptême, Gaudium et
Spes 22, 5). Le critère de vérité ultime n’est donc pas dans ce critère de
saint Vincent de Lérins mais dans la confirmation ultime du Magistère.
Ainsi,
pour décider si la question du retour du christ à l’heure de la mort peut
intéresser la foi un jour, l’histoire du dogme de l’immaculée conception peut
nous servir de modèle. Le pape Benoît XVI, dans une catéchèse du 7 juillet
2010, faisait remarquer que, « à
l'époque de Duns Scot, la majorité
des théologiens opposait une
objection, qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très
Sainte Vierge Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de
sa conception : en effet, l'universalité de la Rédemption opérée par le Christ,
à première vue, pouvait apparaître compromise par une telle affirmation, comme
si Marie n'avait pas eu besoin du Christ et de sa rédemption. C'est pourquoi
les théologiens s'opposaient à cette thèse. Alors, Duns Scot, pour faire
comprendre cette préservation du péché originel, développa un argument qui sera
ensuite adopté également par le Pape Pie IX en 1854, lorsqu'il définit
solennellement le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Et cet argument est
celui de la « Rédemption préventive », selon laquelle l'Immaculée Conception
représente le chef d'œuvre de la Rédemption opérée par le Christ, parce que
précisément la puissance de son amour et de sa médiation a fait que sa Mère
soit préservée du péché originel. Marie est donc totalement rachetée par le
Christ, mais avant même sa conception. Les Franciscains, ses confrères,
accueillirent et diffusèrent avec enthousiasme cette doctrine, et d'autres
théologiens - souvent à travers un serment solennel - s'engagèrent à la
défendre et à la perfectionner. »
Mais
le pape Pie IX, tout en remarquant l’opposition quasi universelle des
théologiens à l’immaculée conception et son absence totale de l’Ecriture
Sainte, avait remarqué que cette doctrine avait toujours été crue, et partout,
par la majorité des fidèles. Les
papes, avec une très grande prudence, n’avaient pas tranché contre cette
croyance populaire. Il avait pu alors proclamer ce dogme.
Qu’en
est-il de la question du retour du Christ à l’heure de la mort ? Il semble
que son histoire soit en tout point comparable à celle de l’Immaculée
Conception bien qu’elle soit, quant à elle, présente de manière réelle dans
l’Ecriture.
Force
est de constater (nous l’avons vu en II-2) que la question de l’apparition du
Christ à l’heure de la mort est récente chez les théologiens. On la voit
pointer chez les théologiens au XIX° s. et seuls deux saints du XX° s. (sainte
Faustine et Marthe Robin) la voient de leur yeux sous la forme d’une
« illumination finale » ; Auparavant, à part quelques traces ici
ou là (dont le futur pape Innocent III qui l’enseigna explicitement à titre
privé), la majorité des grands théologiens et des docteurs enseignent
l’inverse. Pour eux, la mort est un instant et il ne s’y passe rien.
Mais
qu’en pense le peuple de Dieu ? Dans sa simplicité inspirée parfois par
l’Esprit Saint, a-t-il cru que, à sa mort, il verrait le Christ ?
Il semble que, de manière très ancienne, dans le peuple de Dieu,
on ait cru en cette venue du Christ à la mort. Jacques Le Goff, dans « La
civilisation de l'Occident Médiéval », p 137, écrit tout un chapitre sur
le contexte spirituel du temps : « Disputé ici-bas entre Dieu et
Diable, l'homme est enfin à sa mort l'enjeu d'une dernière et décisive dispute
à l’heure de sa mort. L'art
médiéval a représenté à satiété la scène finale de l'existence terrestre où
l'âme du mort est écartelée entre Satan et Saint Michel avant d'être amenée par
le vainqueur au Paradis
ou en Enfer ».
Cette image représente l’orgueil du mourant qui est l’une des
cinq tentations répertoriées par l’Ars moriendi. Sur cette
représentation, le démon propose une couronne au mourant, sous l’œil
désapprobateur de Marie, Jésus et Dieu.
On
trouvera ici http://www.bdnancy.fr/Ars%20Moriendi.htm une
courte présentation du concept et surtout des gravures numérisées.
Pour Jacques Le Goff, il s'agit du courant
des artes moriendi. L'art de mourir. Voici un document PDF qui
t'intéresse cette thèse :
http://misraim3.free.fr/divers/la_mort_en_occident.pdf
Extrait :
page 22-23 a écrit: |
Peu à peu, au XV° s., on passe des morts à la
Mort : une mort plus individualisée, mais aussi plus abstraite, remplace les
foules de squelettes évoquant les revenants. Un peu partout, vers 1460, la
mort relaye les morts dans les danses macabres. Le motif de la mort
saisissant un vivant - un jeune surtout - se répand dans l’art. Le discours
iconographique et littéraire passe ainsi de la mort collective à la mort
individuelle, de la peur des revenants à l’angoisse de la mort, personnage
symbolique qui hante le chevet du mourant, rôde autour des avares, menace les
couples d’amoureux. Il faut donc apprendre à mourir, à négocier
l’hora mortis, ce passage dont dépend le salut de l’âme : la bonne mort peut
racheter la mauvaise vie terrestre, ouvrir la porte à la vie éternelle. C’est
pour s’assurer de cet enjeu d’importance que se développent, de 1450 à 1530, les
artes moriendi, les arts de mourir (p. 19). L’ars moriendi (en français l’art au morier), est
un best-seller (234 manuscrits connus et 77 éditions) qui domine durant 80
ans la littérature sur la mort. Son originalité, parmi les autres productions,
est d’exposer une attitude rigoureusement chrétienne. Son succès tient
probablement à la combinaison du texte et des gravures sur bois. L’ars
moriendi déroule l’agonie du bon chrétien en 5 tentations diaboliques
corrigées par 5 inspirations célestes, suivies d’une bonne mort. Couché dans
son lit, le mourant est seul, environné tour à tour des démons et des anges
qui se livrent à travers lui à un dernier combat dont dépend son salut. Les
démons tentent le mourant sur sa foi, puis sur son espérance, sur son
impatience, sur son orgueil et sur son avarice. L’ars moriendi témoigne d’une
christianisation de la mort qui ira croissant, mais aussi d’une insistance
sur les effets magiques de l’ultime repentir qui permet d’effacer toutes les
fautes. L’art au morier, incunable xylographique de 1450,
est le premier livre imprimé en français (24 bois gravés de 260 x 185 mm).
Les documents de la p. 28 concernent la deuxième tentation, celle du
désespoir, et l’inspiration contre elle. La Tentation représente le mourant
entouré de démons qui lui rappellent ses fautes, nommées sur des phylactères
dans la gravure sur bois. On note l’étroite concordance entre le texte et
l’image “Voici tes péchés” dit le démon qui en brandit la liste. “Tu es
pécheur” dit son voisin. “Tu as forniqué” dit celui du haut. En bas, de
gauche à droite, sont représentés le vol, le meurtre, le refus de secourir
les pauvres. L’ange de l’Inspiration contre le désespoir insiste sur la
miséricorde de Dieu, dont ont bénéficié saint Paul, le bon larron (sauvé in
extremis…), sainte Madeleine et saint Pierre. * A l’âge classique : Les catéchismes font leur apparition dans la
deuxième moitié du XVI° s., au moment où les artes moriendi périclitent. Fort
répandus à l’âge classique, ils enseignent aux enfants le mystère de la mort
et des fins dernières. On peut lire dans l’un des plus communs au XVII° s. :
« Quel doit être le plus grand soin d’un chrétien ? - C’est de se bien
préparer à la mort. » Suivent plusieurs leçons consacrées à la mort, au
jugement, à l’enfer et au paradis. Dans les petites écoles, l’enseignement
élémentaire fait de la mort un thème privilégié. En Anjou, pour apprendre à
lire aux enfants aux XVII° et XVIII° s., on utilise un manuel intitulé Les
sept trompettes pour réveiller les pécheurs et pour les induire à faire pénitence,
du P. Jouye : près de la moitié du livre est centrée sur la mort et ses
suites, avec de terribles descriptions des derniers moments et de l’enfer.
Les sermons et cantiques des curés et des missionnaires prennent ensuite le
relais. Viennent s’ajouter les livrets populaires comme la Danse macabre, le
Calendrier des Bergers, et surtout des manuels, comme le De arte bene
moriendi de Bellarmin (début XVII° s.), le Pensez-y bien du P. de Barry
(1654), La préparation à la mort du P. Crasset (1689), la Douce et sainte
mort (1680), la Méthode pour finir saintement sa vie (1741), etc. |
page 25 a écrit: |
La « bonne mort » à l’âge classique (documents p. 21) : * les images Jusqu’au XVI° s., l’image a joué un
grand rôle dans la pédagogie de la mort, à travers les gravures des artes
moriendi et des livres d’heures. Il s’agissait surtout des scènes de
l’histoire sainte, à commencer par la Passion du Christ et sa mort sur la
croix. L’image pesait même plus lourd que le texte : dans les livres d’heures
imprimés de 1450 à 1550, 2 à 3 % du texte (office des morts) mais 20 % des
images concernent la mort. Il n’en va plus ainsi au XVII° s. La part de
l’image régresse au profit du texte. Pour D. Roche (cf. bibliographie), il
s’agit d’un signe de la promotion de la mort : en parvenant au stade de
l’Ecrit, elle s’adresse à l’élite sociale. Cette régression se poursuit au
XVIII° s. : les préparations à la mort sont rarement illustrées et les images
volantes ne s’intéressent plus à la mort (1 % des estampes). Le document de la p. 21 est l’image d’une « Bonne
mort ». Comme dans les artes moriendi, le
mourant assiste à une scène surnaturelle (ange gardien, démon, tableau,
angelots…), que n’aperçoivent pas le jeune homme effondré (le fils ?) au
premier plan et le prêtre qui prie au pied du lit (presque invisible,
sous l’angelot du milieu). Là aussi, le mourant est un enjeu entre le
Bien et le Mal. Là aussi, la référence scripturaire (l’exemple de
Jésus) est bien mise en valeur. Mais le traitement de la scène est baroque et
l’image, encadrée par trois textes, est traitée comme un emblème. |
Toujours pour vérifier si la parousie du
Christ à l’heure de la mort a toujours été crue dans le peuple de dieu, ce
chapitre vise donc à collecter, en dehors des témoignages de saints, les récits
de "l'heure de la mort dans la culture chrétienne populaire". Qu’en
dit la vox populi à travers
les siècles ?
Lorsque Yvonne Bonis, une de mes amies
bretonne née vers 1930 relut les épreuves du livre « L’heure de la
mort », elle me dit que, dans sa jeunesse en Bretagne, dans la région de
Quimper, elle se souvenait que le Recteur enseignait explicitement en chaire
que dans la mort, le christ apparaissait à l’âme et venait la chercher. Ce
recteur n’était pas un grand théologien thomiste mais un homme de terrain,
formé par le bon sens et par sa foi.
Reçu ce témoignage de Jean-Daniel Jouanneault
(j2nlt@wanadoo.fr) le 11
novembre 2010 :
« Quand je vous ai entendu parler des
NDE sur Radio Notre Dame j’ai ri intérieurement. Non de dérision mais de joie.
En effet, il a 55 ans, j’avais lu le tout premier livre « La vie après la
vie » de Raymond Moody et ce livre décrivait avec une telle évidence que
l’éblouissante Lumière de Jésus nous attendait au bout du tunnel et que nous
devions exercer notre liberté entre l’enfer et le ciel, cela corroborait
tellement tout ce que mes Parents m’avaient raconté sur la mort (Dans
ma famille, il était raconté de génération en génération, que la durée de la
séparation de l’âme du corps était inversement proportionnelle avec la
brutalité du décès. Ainsi une mort dans un accident de voiture permettait au
défunt de choisir durant une petite semaine, alors qu’une lente agonie sur plusieurs
semaines ne permettait à l’âme du défunt de quitter son corps qu’en quelques
heures seulement), tout ce que j’avais pressenti au lendemain du départ
de ma sœur qui l’âge de 13 ans tout juste, était monté tout droit au Ciel
(« Marie-France ou l’offrande à l’aube de la vie », Editeur :
François Xavier de Guibert) puisqu’elle s’adressait à moi de manière très
concrète après son envol, tout ce que j’avais appris au catéchisme, lu dans la
Bible, que j’ai accepté ces témoignages relatés par Raymond Moody comme une
évidence, un « enfonçage de portes ouvertes » qui me confirmait bien
la naïveté enfantine de ces braves Américains !
Cette piste (confirmée par le témoignage de
Philippe Coutel sur Marthe Robin) de la proportionnalité de la durée du
détachement de l'âme du corps en fonction de la brutalité du décès est
intéressante. Elle laisse penser qu'une âme non préparée à mourir
"lutte" pour rester accrochée au corps.
Ici on pourrait recenser tous les contes,
histoires brèves et autres points de vue traitant de la comparution devant le
Christ, ou la confrontation avec un ange, au moment du trépas.
Ce moyen "CONNU DE DIEU", les plus
petits le connaissaient bien avant les grands théologiens ! Ils savaient bien,
en mourant, qu'ils allaient voir Jésus ! Mais, que voulez-vous, les théologiens
doivent le RAISONNER et le COMPRENDRE.
Les petites gens se contentent de le sentir.
La petite filles aux allumettes, Andersen, 1845
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et
puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mère le plus
longtemps possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta
bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de
chagrin: c'était devant le Trône de Dieu.
Le lendemain matin, cependant, les passants
trouvèrent dans l'encoignure le corps de la petite ; ses joues étaient rouges,
elle semblait sourire ; elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait
apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite
main, toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
Le Drôle de Noël de Scrooge, de Charles Dickens.
Un homme égoïste est visité le jour de Noël
par trois fantômes (passé-présent-futur). Il n’est pas mort mais il semble dans
un état second est-ce avec son corps ou sans son corps) qui lui fait revisiter
sa vie.
« J'ai
toujours eu la conviction intime, comme une certitude, (à tel point que c'est
la manière dont je présentais les choses à mes enfants) qu'au moment de la
mort, Jésus nous apparaissait à tous en nous tendant les bras plein d'Amour et
en nous proposant son infinie miséricorde, et que l'homme à ce moment là,
choisissait cet Amour miséricordieux, ou au contraire le refusait... J'ai
toujours eu cette certitude que Dieu, puisqu'il est Miséricorde infinie ne
pouvait pas damner un homme par un jugement qui proviendrait de Lui (sinon il y
aurait là un contresens!), ni même envoyer une âme dans un purgatoire qui
serait un lieu de souffrance où l'âme expierait ses fautes...sinon, là aussi,
contresens: Il s'agirait d'un Dieu avec une miséricorde "partielle", puisque
il faudrait un certain d'attente et d'expiation avant d'obtenir la miséricorde
(Alors qu'Il est fou d'Amour, et a-t-on déjà vu un amoureux passionné dire à sa
bien-aimée: je t'aime d'un amour absolu et j'ai donné ma vie pour toi... mais
reviens plus tard, tu n'es pas digne de moi? Ca ne colle pas!)
Cela
voudrait aussi dire que l'homme se "sauverait lui-même" en expiant
lui-même ses fautes... Or Jésus n'a-t-Il pas pris sur Lui tous les péchés du
monde? Donc c'est Lui seul qui nous sauve par son seul mérite, et non le
nôtre... Il me semblait que je m'étais "forgé" cette conviction
profonde en lisant St Thérèse de Lisieux...Lorsque l'âme découvre Jésus dans
toute sa splendeur, au moment des noces éternelles, elle se sentait tellement
souillée qu'elle choisissait elle-même de prendre le temps de se faire
"toute belle", comme une fiancée qui se présenterait devant son époux
le jour des noces avec les cheveux sales, et une robe déchirée et couverte de
boue... Elle aurait alors le désir irrépressible de Lui dire: "Mon Amour,
attends, je reviens me préparer dignement pour notre Alliance"...
Voilà
ce que je racontais à ma fille de 9 ans quand elle me posait la question:
"Mais si Dieu nous aime, comment peut-il nous envoyer en enfer... ou même
au purgatoire?"
Quand
j’ai entendu expliquer par la théologie si brillamment et si clairement ce qui
se passait au "passage de la mort" (avec toutes les nombreuses
références aux textes bibliques sur laquelle votre théologie s'appuie), c'est
comme si enfin cette conviction intime et très profonde éclatait au grand jour!
Quelle joie!
Cependant,
ce que je ne comprenais pas, c'était: Qui ne choisirait pas l'Amour et la
miséricorde, et choisirait l'Enfer, c'est à dire le "manque
d'Amour"?? Merci d'expliquer si bien la grande tentation de Lucifer et de
son "homme debout", choisissant lui-même son bien et son mal...
Quelle tentation, en effet!!!!!
Et
merci d'expliquer que l'âme qui a "choisi de se faire belle" au
purgatoire, doit en fait arriver à la conclusion qu'elle ne sera jamais assez
digne du Christ, et qu'elle doit s'en remettre à Lui, le coeur brisé...
MERCI!!!!!!!!!
Bien à
vous, une théologienne en herbe »
Nous
avions cité précédemment un dilemme posé par J.J.Rousseau à l’Église dans la
Profession de foi d’un vicaire savoyard. Il le pensait insoluble.
« Ou le christianisme
est nécessaire au salut, et vous êtes obligés de damner tous les millions
d’hommes qui ont vécu avant le Christ ; Ou bien vous direz qu’ils pouvaient
être sauvés, mais alors le christianisme n’est pas nécessaire au salut. »
Il
est vrai que ce dilemme est difficile à résoudre dans le cadre d’une
ecclésiologie trop centrée sur l’aspect hiérarchique ou sacramentel de
l’Église. A travers cette hypothèse, nous espérons avoir ouvert la voie d’une
réponse authentiquement évangélique :
Dans
le christianisme, les seules réalités absolues, faites pour demeurer
éternellement, sont les personnes, à savoir le Christ et nos frères. L’amour de
charité est le lien qui unit pour toujours Dieu et ses amis. Pris en ce sens,
qui n’est autre que la communion des
saints, le christianisme ne disparaîtra jamais. Tout le reste (hiérarchie,
sacrements, états de vie etc.), est appelé à disparaître. Il ne constituait
qu’un moyen en vue de la croissance du lien de la charité qui construit la
communion des saints, c’est-à-dire l’Église.
Nul
homme ne peut être sauvé en dehors de la communion des saints. Mais,
parallèlement, nul homme ne peut être damné sans avoir lucidement blasphémé la
communion des saints.
Ainsi,
le christianisme en tant que religion
structurée n’est nécessaire que dans la mesure où il construit la charité
théologale. S’il ne le fait plus, par manque de saints, il devient inutile et
parfois nuisible.
Mais
le christianisme, en tant que communion des
saints fut nécessaire pour tous les hommes de tous les temps. Tous ont
expérimenté, avant même la naissance du Christ, ce que signifie être accueillis
par une Église Sainte et éternelle à l’heure de la mort. C’est ce que nous
espérons avoir démontré.
L’heure
de la mort est l’heure de la réunion définitive des saints, libérés enfin, dans
la lumière de la venue du Christ accompagné des habitants du Ciel, d’une trop
longue séparation.
Nihil Obstat
Archevêché de Paris
Paris, le 12
mars 1992 (n° 50), M. Dupuy
Imprimatur
Archevêché de Paris
Paris, le 5
novembre 1992, Mgr M. Vidal
Auteur
: Arnaud DUMOUCH, Agrégé en Sciences religieuses, Paris, 1992.
Dans
la récente édition par le Cerf (1986) de la Somme
Théologique de saint Thomas d’Aquin, le choix des traducteurs fut de ne pas
faire figurer le "Supplément".
Les raisons se comprennent aisément. Cette partie de la Somme n’est pas
directement de l’auteur, puisque celui-ci mourut prématurément. Elle est le
fruit d’une compilation réalisée par ses disciples à partir d’œuvres de
jeunesse. Et la qualité de ce Supplément est loin de valoir le reste de
l’œuvre. On peut même dire sans exagération que la théologie catholique a connu
des siècles de blocages sur bien des points de ces traités abusivement vénérés
au même titre que le reste de son œuvre de maturité (Voir en particulier
l’histoire des doctrines de l’ordre, du mariage et des fins dernières).
En
1273, Thomas d’Aquin était âgé de 47 ans. Depuis longtemps, il était connu dans
la chrétienté comme l’un des plus grands docteurs jamais donnés à l’Église. Il
dictait alors la troisième et dernière partie de sa Somme Théologique. Il avait
dicté à son fidèle ami et disciple, frère Reginald, un article concernant le
sacrement de la Pénitence. S’étant rendu à l’église Sainte Dominique pour y
célébrer la messe, il fut pris d’une extase. Lorsqu’il revint à lui, plusieurs
frères dominicains qui avaient été témoins de son ravissement voulurent
connaître de sa bouche ce qu’il avait vu. Mais Frère Thomas d’Aquin se tut puis
se retira dans sa cellule. Frère Reginald étant venu près de lui comme à
l’habitude pour recevoir la dictée de la suite de son travail, il fut renvoyé.
Le lendemain, il revint mais Frère Thomas d’Aquin ne voulut rien lui dicter. Il
en fut ainsi les jours suivants au point que son ami finit par lui demander en
privé la raison d’un tel comportement. Frère Thomas d’Aquin lui avoua alors
ceci : « J’ai vu des choses que la
langue de l’homme ne peut exprimer" Et comme Frère Reginald insistait, il
continua : « À côté de ce qui m’a été
révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien. » À partir de ce jour, Frère Thomas
d’Aquin n’écrivit plus rien. Sa Somme resta inachevée, à l’endroit même où son
extase l’avait saisi. Sa méditation sur la Pénitence s’éteint dans le silence
de Dieu comme si tout l’effort de l’homme n’était rien devant la Lumière. Frère
Thomas d’Aquin mourut moins d’un an plus tard. Ses disciples s’efforcèrent de
compléter l’œuvre théologique qu’il laissait inachevée ; mais leur travail
ressemble à celui d’un architecte maladroit qui s’efforcerait d’achever à sa
façon la flèche d’une cathédrale laissée par les siècles. Le génie de saint
Thomas d’Aquin est unique. On ne peut que l’imiter.
Le
Thomisme n’est surtout pas une doctrine. C’est à cause de cette confusion qu’il
est devenu aujourd’hui insupportable pour beaucoup dans les Églises
chrétiennes. C’est d’abord un esprit. Si la Somme Théologique a contribué à
faire de son auteur le plus grand Docteur de l’Église catholique, c’est
certainement à cause de cet esprit qui l’anime de bout en bout.
Malheureusement, seul le temps et la maturation permet de le discerner.
Saint
Thomas d’Aquin fut d’abord, à l’école d’Aristote un grand philosophe. Il apprit
à écouter la réalité, à s’y soumettre selon toutes ses dimensions. Même
lorsqu’elle lui semblait d’un premier abord contradictoire avec la révélation,
il s’y soumettait. Il remettait en cause son interprétation de la révélation.
Jamais l’affaire Galilée n’aurait pu avoir lieu si les théologiens de cette
époque avaient été vraiment thomistes. Jamais la science actuelle dans son
réalisme ne se serait à ce point séparée de la philosophie devenue idéaliste et
coupée du réel si Descartes avait été disciple de saint Thomas.
A
son école, nous ne cesserons de tendre à l’écoute de la réalité. Nous
ajouterons à la méthode nécessairement limitée, vu les outils scientifiques de
son époque, ceux d’aujourd’hui. Cet effort apparaîtra particulièrement dans le
traité de la résurrection. La nature du corps glorieux apparaîtra plus
mystérieuse qu’à l’époque de saint Thomas depuis que nous approchons mieux
aujourd’hui l’incroyable diversité d’états que peut prendre la matière. De même,
notre traité de l’heure de la mort a été marqué profondément par l’expérience
de la mort approchée. Cette expérience, non accessible à la science positive
est tout à fait réaliste au plan d’une enquête rigoureuse de philosophie.
Saint
Thomas d’Aquin fut un grand théologien car il fut avant tout un homme de foi.
Il se permet des audaces doctrinales très grandes car il sait s’appuyer sur le
rocher de la révélation. Il n’essaye jamais de remettre en doute les
définitions solennelles du Magistère. Il croit en la protection de Dieu sur le
ministère de Pierre. Il sait hiérarchiser avec précision le degré de chaque
autorité. Il a raison d’agir ainsi. La qualité de son travail en est rendue
unique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la structure de ses
articles. Chacun est centré sur un argument d’autorité qu’il tire, le plus
souvent qu’il le peut, de l’Écriture Sainte ou encore de l’enseignement de
l’Église ou des docteurs reconnus.
Cependant,
il est conscient que l’utilisation de l’Écriture Sainte par fragments détachés
de leur contexte risque de conduire à négliger leur genre littéraire et par la
suite à faire erreur sur leur sens. Aussi saint Thomas d’Aquin ne se contente
pas de ces arguments mais fait suivre son étude par un raisonnement théologique
que l’on peut qualifier de scientifique. Il s’agit d’une science au sens
profond du terme puisque, appuyé sur la révélation, il s’efforce d’en établir
les multiples conséquences par un raisonnement rigoureux. Il fait confiance à
l’intelligence humaine et l’établit dans toutes ses potentialités au service de
la foi. Il réalise à l’avance cette maxime de saint François de Sales : « La foi et la raison sont filles d’un
même Père : elles doivent avancer ensemble comme deux affectionnées"
L’esprit
et la méthode de saint Thomas d’Aquin vont encore plus loin : Pour mieux
approcher le réel révélé, il écoute les penseurs qui l’ont précédé. Il
s’intéresse aux docteurs et aux théologiens reconnus par l’Église comme aux
hérétiques. Il cite leur thèse en une série d’objections quand elles s’opposent
à ses propres opinions. À la fin de chaque article, il s’efforce de leur
répondre, sur un ton mesuré et jamais polémique, et la vérité s’en trouve bien.
Chaque article, construit pour répondre à un
problème précis, fait lui-même parti d’un ensemble organique plus grand appelé
"question. » Ces questions
correspondent chacune à un des grands axes de compréhension du sujet traité.
Elles rejoignent souvent les cinq causalités telles qu’elles ont été définies
par Aristote.
Sa
logique : C’est que, outre cet esprit de foi qui fonde toute la théologie
thomiste, il existe une méthode structurellement aristotélicienne. Il fit de ce
maître le formateur de sa pensée. Il fit traduire du grec, spécialement pour
lui, une grande partie des écrits du philosophe. Il s’imprégna de sa pensée non
seulement à cause de sa parfaite structure analytique mais surtout à cause de
la vérité qu’on peut y trouver. Selon saint Thomas d’Aquin, Aristote n’est
autre que le "philosophe »,
c’est-à-dire celui qui, parmi tous les chercheurs de la vérité, l’a approchée
de plus près.
De tout cela, il résulte un exposé organique, très
complet, précis et, malheureusement, trop souvent utilisé par les lecteurs
d’une manière scolaire et désincarnée. Pour éviter ce risque, il faut se
souvenir qu’au delà de la fidélité doctrinale, l’esprit de saint Thomas d’Aquin
consiste dans la charité. Il n’utilise les moyens de connaître mieux que pour
mieux aimer. Ainsi, sans une vie d’oraison et un exercice quotidien de l’amour
du prochain, le lecteur de tels traités court le risque d’hypertrophier sa
raison.
Dans le travail qui est le mien, j'essayerai
d’appliquer la même méthode à ce que, selon moi, devrait être un traité complet
des fins dernières.
Mon intention première est théologique. Il s’agit de
montrer l’harmonie totale de la révélation chrétienne lorsqu’on lui donne son
sens ultime, son terme.
Il s’agit aussi de montrer la valeur unique que peut
prendre la pensée chrétienne lorsqu’elle fait le double pari de la fidélité
catholique aux trois canaux de la révélation (Écriture, Tradition Magistère) et
de la soumission philosophique au réel.
Mon
intention est enfin pastorale. Une théologie peut être plus facilement mise au
service de la prédication lorsqu’elle s’organise selon un plan structuré et
sait aborder les questions subtiles dans un langage à la fois précis et simple.
Il est important que la prédication des fins dernières viennent à nouveau
soutenir l’espérance. Si les prédicateurs se remettent à enseigner notre
avenir, la foi et la charité reprendront feu.
Remarque
: L’esprit de saint Thomas n’est pas toujours sa lettre :
Certains
points de ce travail sont dans la droite ligne de L'ESPRIT DE SAINT THOMAS...
et pourtant sont opposés SELON LA LETTRE. Les voici, pour le propre jugement du
lecteur.
Deux
points sont fondamentaux et visibles car à la source des autres :
1° La possibilité de la survie du
psychisme (la vie sensible) à la mort. C'est absolument nié par saint Thomas...
2° La nécessité, dans le passage de la
mort, d'une parousie du Christ glorieux, accompagné des saints et des anges.
C'est nouveau, cela ne fait pas partie de la foi définie. Mais cela ne s'y
oppose pas, loin de là. Seule sainte Faustine et Marthe Robin en parlent... Si
cela se révèle vrai, les conséquences sont essentielles pour toute la théologie
catholique.
3° L'impossibilité des limbes ETERNELLES.
"Tout homme se verra proposé le salut.
» Mais la probabilité de limbes... PROVISOIRES (là encore, ce n'est pas
thomiste et c'est pour moi un point essentiel).
Deux
points sont importants quoique seconds :
1° Les SIX degrés du purgatoire (ils ne
sont que la compilation de ce que les saints ont ajouté depuis la mort de saint
Thomas).
2° Les peines de l'enfer ne sont pas
surajoutées par Dieu. Elles sont toutes, y compris le feu corporel, les
conséquences NATURELLES de la privation de la fin, la vision béatifique.
Enfin,
deux points sont accessoires :
1° Certaines considérations sur le corps
ressuscité et le monde physique nouveau. Elles sont dues aux progrès de la
physique.
2° La présence d'animaux et de plantes
dans le monde nouveau (explicitement niée par saint Thomas).
Quand
Saint Thomas d’Aquin est mort, laissant la Somme de Théologie inachevée, son
disciple, Frère Reginald, s’efforça de remplacer ce que le maître n’avait pu
faire en prenant, ici et là, dans d’autres œuvres, des éléments susceptibles de
jouer ce rôle. Il se servit principalement du commentaire des Sentences de
Pierre Lombard, qui est une œuvre de jeunesse. Il en sortit un résultat qui
n’est pas inintéressant, mais qui, malheureusement, pèche par bien des points.
Le traité le plus faible, lorsqu’on le regarde avec un œil du XXIème
siècle, est celui du mariage. Mais peut-on reprocher à saint Thomas d’Aquin de
n’avoir pas eu le Pape Pie XII et le Concile Vatican II ? Le traité de la
Résurrection est souvent inutilisable car le maître appuie ses raisonnements
sur une science physique erronée, celle du Moyen Âge ; Quant au Traité des fins dernières dans son
ensemble, frère Reginald prit le parti de le centrer autour du mystère de la
résurrection des corps. Ce choix est commode car il permet de voir beaucoup de
choses en les groupant dans "ce qui précède la résurrection, ce qui
l’accompagne et ce qui la suit" Cependant, un tel ordre présente
l’inconvénient d’être peu scientifique, c’est-à-dire de ne pas mettre en valeur
le principe de toute l’intelligibilité de l’au-delà, à savoir la fin, le but
qui éclaire tout et vers lequel tout chemine : la vision de Dieu.
De telles critiques sont fondamentales, surtout si
l’on est habitué à l’extrême précision des analyses thomistes habituelles. Quel
est, de fait, le bonheur ultime de l’homme ? Le recouvrement de son intégrité
physique ? Mais les damnés eux-mêmes ressuscitent. Il semble que l’Évangile
insiste sur l’annonce certaine du miracle futur de la résurrection des corps
pour mieux démontrer, par mode de signe concret, la réalité de la seule vie qui
de fait donne sens à cette résurrection, celle de l’entrée dans la gloire. En
conséquence, s'il faut présenter un traité complet des fins dernières selon une
analyse thomiste,
1° Il faut l’inaugurer d’une première
partie intitulée la vision béatifique.
2° Dans un
deuxième temps, parce que le destin de l'homme se réalise selon un devenir
(passé, présent, futur), il faut reprendre le plan général de Frère Reginald :
ce qui précède la résurrection, ce qui l’accompagne et ce qui la suit.
3° Cependant, et cela paraîtra dans le
résumé qui va suivre, il faudra bouleverser l’ordre des questions et en ajouter
d’autres selon les précisions théologiques apportées par l’Église ou par les
saints.
Voici le plan du traité :
PREMIÈRE PARTIE : LA VISION
BÉATIFIQUE
1° Ses convenances dans le plan de Dieu.
2° Sa nature.
3° Sa cause.
4° Son siège dans l’âme humaine.
5° Ses effets dans l’homme.
6° Les conditions ontologiques dans l’âme
pour qu’elle soit possible.
7° Les conditions spirituelles requises
pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
DEUXIÈME PARTIE : CE QUI
PRÉCÈDE LA RÉSURRECTION
8° La mort ; (ici se situe notre thèse par
rapport à l’ensemble du traité).
9° La condition de l’âme séparée du corps.
10° Le jugement dernier de l’individu.
11 à 14° L’enfer ; (cette question complexe
nécessite en effet plusieurs chapitres)
15 à 17° Le purgatoire.
18° La condition des âmes des enfants morts
sans baptême.
19° Les suffrages pour les défunts.
20 à 24° Le paradis.
25° Le retour du Christ ; (nous quittons
ici l’étude du destin individuel pour celle du destin des communautés
humaines).
26 à 32° Les signes de la fin du monde.
33° La fin du monde.
TROISIÈME PARTIE : LA
RÉSURRECTION
34 à 37° Sa cause, son mode, son point de
départ.
38 à 40° L’état des ressuscités.
41 à 46° L’état corporel des élus comparé à
celui des damnés.
47° La conflagration du monde.
48° Le monde physique nouveau.
QUATRIÈME PARTIE : CE QUI
SUIT LA RÉSURRECTION
49 à 52° Le jugement général de l’humanité.
53° L’état du monde après le jugement.
Ce
plan donne une idée générale de la structure du traité. Notons qu’il y apparaît
une distinction entre l’eschatologie de la communauté et celle de l’individu[340]. Nous n’avons cependant pas voulu la
faire apparaître sous forme de grandes parties indépendantes afin de ne pas
laisser penser qu’il s’agit d’une division plus qu’une distinction. Il faut en
effet remarquer que si l’Ancien comme le Nouveau Testament soulignent davantage
l’eschatologie de la communauté en tant que telle, cela ne veut pas dire que le
salut soit une réalité toute faite qui intéresse une communauté anonyme et non
pas l’individu. Bien au contraire, c’est l’individu qui s’insère dans la
communauté par une adhésion de foi personnelle. Si par le passé on a surtout
présenté l’eschatologie sur le plan individuel, aujourd’hui, on met en évidence
sa dimension communautaire et cosmique. Cependant, même à l’intérieur de
l’eschatologie individuelle, la dimension communautaire garde une place
fondamentale. Ainsi, même dans la mort, qui est le moment où l’individu se
trouve seul, la personne se trouve confrontée à l’autre monde et à sa vie tout
entière. Ainsi, là encore, les rapports avec les autres gardent une importance
capitale. Il en va de même pour la béatitude céleste, qui tout en reliant
l’individu à la Trinité, l’associe à l’Église triomphante avec ses anges et ses
Saints et nous apparaît donc comme une réalité communautaire.
Ces questions sont traitées dans un langage qui
recherche la précision intellectuelle. Elles paraîtront au premier abord
desséchantes. Saint Thomas avait choisi ce style pour les débutants en
théologie. Il pensait éviter les répétitions. Beaucoup lui ont reproché par la
suite d’avoir étouffé l’Esprit Saint dans la pensée occidentale. Pour éviter ce
danger, la solution est donnée par le Saint lui-même : ne jamais travailler la
théologie sans prier ; Prier surtout Marie qui sait rendre doux ce qui est
rigide.
Nous
sommes arrivés à traiter de la fin dernière de la vie humaine, celle des
bienfaits que le sauveur nous a préparés. Et le bienfait principal, c’est la
vision béatifique où Dieu se montrera à nous "face à face" Il s’agit
de la fin de la vie immortelle, selon cette parole de saint Augustin : « Te posséder toi, ô mon Dieu, c’est
être riche de tous les biens »[341]. Nous traiterons ensuite de la
résurrection qui réalise jusque dans notre corps les promesses du sauveur.
Ce traité se divise en quatre parties :
1° La vision béatifique en elle-même.
2° Les moyens ultimes par lesquels Dieu
nous conduit à la vision béatifique, au moment de notre mort, après notre mort
et à la fin du monde.
3° La résurrection qui est la rémunération
due à notre corps qui a participé à nos actes durant la vie terrestre.
4° Ce qui suit la résurrection, à savoir
le monde nouveau, lieu du jugement général et éternel de tous sur tout.
Dans la première partie, nous aurons à considérer :
1° La convenance de la vision béatifique.
2° La nature de la vision béatifique.
3° Sa cause.
4° Son siège en nous.
5° Ses effets et sa durée.
6° Les conditions requises par l’âme pour
qu’elle soit capable de la vision béatifique.
7° Les conditions spirituelles requises
pour être digne d’être élevé par Dieu à la vision béatifique.
Dans cette première partie, je me suis efforcé de
dévoiler la lumière qui permet de comprendre théologiquement absolument tout
l’univers créé. Dieu a tout fait à cause d’un projet unique de son cœur : il
veut communiquer (1) son bonheur infini à des créatures spirituelles (2) Il
veut se montrer face à face, gratuitement, à ceux qui l’aiment (3). Or, la
Vision béatifique (4), c’est le bonheur absolu, à savoir la béatitude (5).
Celui qui saisit le sens de ce projet de Dieu peut
comprendre dans un regard simple toute la théologie chrétienne car il a saisi
la source et le but de tout ce qui est.
(1) Questions 1 et 3, (2) Question 4 ; (3) Question
7 ; (4) Question 5
(5) « La croyance au Ciel, épurée mais
réelle, est nécessaire pour que la terre demeure habitable et pour que l’homme
soit délivré de son angoisse devant la mort. Le Ciel fait reconnaître la terre
comme l’espace où se joue la comédie divino-humaine, constamment élevée
au-dessus d’elle-même par un incessant jeu d’amour. » [342]
Pour envisager les convenances du mystère de la
vision béatifique nous nous poserons sept questions :
1° Dieu appelle-t-il l’homme à la vision
béatifique ?
2° La vision béatifique est-elle
nécessaire à la béatitude parfaite de l’homme ?
3° Dans l’hypothèse où Dieu n’aurait pas
proposé la vision béatifique, l’homme aurait-il été heureux dans l’au-delà ?
4° Le motif ultime de la création de
l’homme est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
5° Le motif ultime de la création de
l’ange est-il l’entrée dans la vision béatifique ?
6° Dans l’hypothèse où Adam Ève n’auraient
pas péché, seraient-ils entrés dans la vision béatifique ?
7° Le motif ultime de l’Incarnation et de
la Rédemption opérée par le Verbe est-il de nous introduire à nouveau dans
l’espérance de la vision béatifique ?
8° Convenait-il que la vision béatifique
ne nous soit donnée qu’après une vie terrestre ?
Objections :
1. La béatitude éternelle de l’homme ne
semble pas pouvoir consister dans la vision de l’essence divine car selon la
parole de Denis : « le suprême effort
de l’intelligence consiste à s’unir à Dieu comme à un être pleinement inconnu ». Ainsi, la dernière perfection
de l’intelligence ou béatitude ne consiste pas à voir l’essence divine.[343]
2. Dieu ne peut proposer à l’homme une
chose qui est impossible. Or la vision béatifique, qui consiste à voir Dieu tel
qu’il est, est impossible à l’homme, selon cette parole de l’Écriture : « Nul ne peut voir ma face, car l’homme
ne peut me voir et vivre »[344]. Il semble donc que Dieu n’appelle pas
l’homme à la vision de son essence.
3. De même, l’homme ne doit pas désirer des
réalités qui ne sont pas à sa portée : « oui, Dieu est si grand qu’il
dépasse notre science » reconnaît le livre de Job[345]. La vision de l’essence de Dieu dépasse
l’homme. L’homme ne peut donc la désirer sans courir le risque de tomber dans
le péché de présomption.
Cependant :
Saint
Paul dit aux Corinthiens : « Maintenant,
nous voyons dans un miroir, d’une manière mystérieuse, mais alors nous verrons
face à face ».1
Ce qui se voit face à face se voit dans son essence. Les saints dans la patrie
verront Dieu dans son essence.
En
outre, Saint Jean dit : « Quand il
apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est »[346]. Nous le verrons donc dans son essence.
Conclusion :
C’est
une donnée de la foi que la fin ultime de la vie humaine consiste en la vision
de Dieu. C’est en ce sens que s’exprime le pape Benoît XII, à travers une
parole solennelle et définitive : « Les
âmes saintes aussitôt après la mort et la purification pour sceller qui en ont
besoin, avant même la résurrection dans leur corps et le jugement général,
entrent au Ciel, au royaume des cieux et au paradis céleste avec le Christ et
les anges saints. Elles voient l’essence divine d’une vision intuitive et même
face à face, sans la médiation d’aucune créature qui serait un objet de vision.
La divine essence se manifeste plutôt à eux à nu, clairement et à découvert et,
par cette vision, elles jouissent de cette même essence. Par cette vision et
cette jouissance, les âmes sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et
le repos éternels ».[347]
Solutions :
1. Le texte de Denis qu’on nous cite
concerne la connaissance de Dieu qu’ont en cette vie ceux qui tendent à la
béatitude
2. Ce qui est impossible à l’homme n’est
pas irréalisable si l’on considère la puissance de Dieu. Seules les choses
contradictoires en soi échappent à la puissance de Dieu. Dieu ne peut faire par
exemple que ce cercle soit en même temps carré. La vision béatifique n’entre
pas dans ce genre d’impossibilité. Elle est seulement impossible relativement à
la puissance naturelle de l’homme. Rien n’empêche donc que Dieu, par sa gloire,
surélève les facultés de l’homme.
3. L’homme ne peut désirer une chose qui le
dépasse sauf si Dieu lui en donne l’ordre. C’est pourquoi les saints
n’encouraient pas le péché de présomption quand leur désir commun attendait de
Dieu la vision de son essence, selon l’Exode : « Montre-moi ta gloire »
[348] et le psalmiste : « montre ta face et nous serons sauvés »[349]. Bien au contraire, c’est à cause de
leur très grand amour de Dieu qu’ils s’exprimaient ainsi.
Objections :
1. La vision de l’essence divine dépasse
les capacités naturelles de l’homme. Elle dépasse donc aussi son désir naturel.
Il semble donc que ces désirs naturels de bonheur peuvent être satisfaits par
des biens inférieurs comme une certaine contemplation de Dieu à travers ses
œuvres, une harmonie avec les créatures spirituelles et avec l’univers.
2. Ensuite, la
perfection d’une nature supérieure est elle-même supérieure. Or la vision de
l’essence divine est la perfection propre de la nature divine. Elle dépasse les
aspirations de la nature humaine qui est faite pour contempler Dieu de loin. On
doit donc dire que la destinée de l’homme est dans une fin moins haute[350].
Cependant :
La dernière et parfaite béatitude de l’homme ne peut
consister qu’en la vision de l’essence divine. La raison en est que l’homme ne
saurait être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque chose à désirer
et à poursuivre. Or, si l’homme ne voit pas l’essence divine, il ne connaît pas
la Réalité qui donne raison à tout ce qu’il est et à tout ce qui s’entoure. Il
reste donc en son intelligence un manque et son bonheur ne peut être plénier.
Conclusion :
La dernière et parfaite béatitude de l’homme ne peut
être effective que si les facultés vitales qui sont en lui se reposent
parfaitement dans leur objet. La perfection d’une faculté doit être appréciée
d’après la nature de son objet. Or l’objet de l’intelligence est la quiddité
des choses, autrement dit leur essence, ce qu’elles sont. D’où il résulte que
la perfection atteinte par l’intelligence procède de la connaissance qu’elle a
de l’essence des réalités. Si donc une intelligence connaît dans son essence un
certain effet, mais de telle sorte que par cet effet elle ne puisse parvenir à
la connaissance de la cause dans son essence même à savoir dans ce qu’elle est,
on ne peut dire que cette intelligence atteigne purement et simplement la cause
bien que, par l’effet envisagé, elle sache de cette cause qu’elle est. Voilà
pourquoi, en raison de sa nature même, l’homme désire non seulement connaître
l’existence d’une cause mais aussi la nature de cette cause, ce qu’elle est. Et
c’est là un désir d’admiration ou d’étonnement qui provoque la recherche, comme
il est dit au début de la Métaphysique d’Aristote. Par exemple, quelqu’un,
voyant une éclipse de soleil, comprend qu’elle doit avoir une cause, et comme
il l’ignore, il s’étonne, admire, et sous l’empire de ces sentiments, il
cherche et son investigation n’aura de cesse qu’il ne soit parvenu à connaître
l’essence même de cette cause.
De la même manière, l’intelligence humaine, quand
elle connaît dans son essence un effet qu’elle sait créé par Dieu, mais qu’elle
ne connaît rien de ce Dieu sinon son existence, ne peut prétendre connaître en
plénitude la Cause Première. Il lui reste un désir naturel de chercher à
connaître cette cause. Elle n’est donc pas encore parfaitement heureuse. En
conséquence, dans la parfaite béatitude, il faut que l’intelligence atteigne à
l’essence même de la Cause Première. C’est ainsi qu’elle obtiendra sa
perfection absolue par son union à Dieu comme à son objet puisqu’en cet objet
seul consiste la béatitude de l’homme ainsi que nous l’avons dit[351].
On
peut, donner une autre raison commune aux philosophes et aux théologiens :
connaître intellectuellement étant par dessus tout l’opération propre de
l’homme et de toute créature spirituelle, il faut que sa béatitude consiste en
la forme la plus parfaite de cette opération. La perfection de celui qui
connaît en tant que tel, est l’intelligible lui-même : si dans l’opération la
plus parfaite de l’intelligence l’homme ne parvenait pas à voir l’essence
divine mais un autre objet, on devrait dire que l’homme est béatifié par autre
chose que Dieu et puisque l’ultime perfection de chaque chose consiste dans la
conjonction avec son principe, il s’en suivrait que le principe effectif du
bonheur de l’homme serait autre chose que Dieu, ce qui nous semble absurde.
C’est pourquoi, selon nous, on doit dire qu’il est nécessaire que l’essence
divine soit vue pour qu’une béatitude parfaite existe.
Solutions :
1. La réalisation de la vision de l’essence
divine dépasse les capacités naturelles de l’intelligence humaine. Il existe
par contre un désir naturel de connaître l’essence de Dieu, en tant qu’elle est
cause de tout le monde créé et qu’elle seule peut nous en donner la parfaite
intelligibilité.
2. En ce qui
concerne les degrés qu’on signale entre les natures il faut observer ceci : le
mot fin se prend en deux sens :
a)
Il signifie la chose même qui est
désirée et, en ce cas, la fin est la même pour la nature inférieure, voire pour
tous les êtres, puisque toute chose existe pour Dieu.
b)
La fin se prend aussi pour l’entrée dans
la possession de la chose, et alors la fin est différente pour la nature
supérieure et pour la nature inférieure, à cause du rapport différent qu’elles
entretiennent avec cette chose. Ainsi, Dieu a une plus haute béatitude du fait
qu’il enveloppe complètement par son intelligence sa propre essence, que
l’homme ou que l’ange qui voient cette essence mais ne l’épuisent pas dans
toute son intelligibilité.
Objections :
1. Il semble que l’homme n’aurait pas été
heureux. Saint Augustin affirme dans ses Confessions : « Posséder toutes choses sans t’avoir, toi, ô mon Dieu, c’est être
démuni de tout ».
2. Être séparé de Dieu dans l’au-delà, sans
espoir de le voir un jour, c’est ainsi que l’on définit l’enfer. Or il n’y a
pas de bonheur en enfer. L’homme, s’il n’a pas après la mort la Vision
Béatifique ne peut donc aucunement être heureux.
3. Cette question
paraît insensée. Au paradis terrestre, Dieu avait comblé Adam et Ève de la plus
haute béatitude possible, exception faite bien sûr de celle que donne la vision
béatifique. En conséquence, un au-delà sans vision béatifique n’eut été qu’une
prolongation éternelle du jardin d’Eden.
Cependant :
Même
sur cette terre, l’homme peut atteindre à un certain degré de bonheur. Il peut
y avoir un bonheur naturel fondé sur l’amitié et une certaine contemplation de
Dieu comme en parle Aristote dans l’éthique à Nicomaque. Il peut aussi y avoir
un bonheur surnaturel fondé sur la grâce donnée par Dieu "je les comblerai
de joie dans ma maison de prière" dit le Seigneur[352].
Conclusion :
La béatitude plénière, telle que nous l’avons
décrite dans l’article précédant, consiste en la disparition de tous les
désirs, aussi bien pour l’esprit que pour le corps de l’homme. Elle ne peut donc
se réaliser que par la possession de tous les biens et surtout de celui qui les
contient tous : Dieu lui-même. Mais rien n’empêche qu’il existe des degrés de
béatitude qui, s’ils ne sont pas pléniers, peuvent néanmoins être de véritables
bonheurs. Ainsi, Adam et Ève jouissaient dans le paradis terrestre de la
béatitude la plus parfaite possible, bien qu’il leur manquât la vision
béatifique. C’est vers un tel bonheur retrouvé qu’aspirent les adeptes de
l’Islam.
Si
Dieu n’avait pas proposé à l’homme la vision béatifique, il lui aurait préparé
dans l’au-delà un bonheur à sa mesure mais il ne lui aurait pas donné le
bonheur absolu qui ne peut être obtenu qu’à travers la vision, la possession et
la jouissance de Dieu. En conséquence, sans ce pour quoi il est créé, l’homme
aurait pu être heureux mais imparfaitement.[353]
Solutions :
1. L’homme n’a pas besoin de la vision
béatifique pour posséder, d’une certaine manière, Dieu. Il peut s’unir à lui
dans l’obscurité de la foi à travers un amour de charité. Les dons du Saint
Esprit et principalement le don de sagesse peuvent donner à l’homme dès cette
terre une connaissance amoureuse de l’essence de Dieu. Cette connaissance, bien
qu’obscure, donne une certaine béatitude.
2. L’enfer ne consiste pas dans n’importe
quelle séparation de Dieu. Il s’agit d’une séparation volontaire que l’âme
damnée provoque par son trop grand amour d’elle[354].
3. Saint Thomas a
évoqué explicitement l’hypothèse de la nature pure : un homme dans l’état de
nature pure n’aurait pas, après sa mort, la vision divine. Mais ce ne serait
pas une sanction : autre chose est de n’avoir pas un droit, ce qui n’est qu’un
manque, non une peine ; autre chose d’être privé d’un droit, ce qui est une
peine.
Selon
lui, les enfants dans les limbes sont privés de la grâce adamique. En ce sens,
l’absence des dons surnaturels a un caractère pénal. Mais saint Thomas déclare
qu’en fait "ces enfants n’ont jamais été proportionnés à la vie éternelle
: elle ne leur était due ni en raison des principes de la nature dont elle excède
toutes les ressources, ni en raison d’un acte personnel qui aurait pu les
proportionner à un si grand bien. Aussi ne souffriront-ils absolument pas de la
privation de la vision divine : au contraire, ils se réjouiront de tout ce
qu’ils participeront de la bonté divine dans les biens naturels. Cependant, selon saint Thomas,
« l’intelligence humaine, ouverte à l’infini, désire connaître pleinement
non seulement les créatures, mais Celui qui les a causées. » C’est
pourquoi, « pour atteindre la béatitude parfaite, il est requis que
l’intelligence atteigne l’essence même de la cause première. » Il semble
s’inspirer de ce texte lorsqu’il écrit, à propos des enfants dans les limbes : « Tout ce firmament ouvert au-dessus
d’eux et propre à les ravir, pourra bien éveiller en eux quelque indéfinissable
et exaltante nostalgie, mais non pas une souffrance. » Nostalgie, non souffrance. Mais qu’est-ce qu’une nostalgie sinon
une forme douce de souffrance ? Même si l’amour naturel envers Dieu les faisait
consentir à leur état de bonheur imparfait, cette souffrance subsisterait. Nous
pouvons conclure que le thème d’une béatitude naturelle est contradictoire. En
conclusion, nous pouvons dire que si le Seigneur n’avait pas proposé la vision
de son essence, nous n’aurions jamais été pleinement heureux dans l’autre
monde. Nous sommes faits pour voir Dieu. Loin de lui, nous brûlons. Nous
montrerons ailleurs que l’hypothèse des limbes éternels, d’origine
augustinienne, est intenable face à la foi catholique.
Objections :
1. Il ne semble pas que ce soit le motif de
la création de l’homme. On voit mal les raisons pour lesquelles dans ce cas,
Dieu aurait imposé à l’homme l’épreuve d’une vie terrestre. Il aurait,
semble-t-il, donné directement à l’homme ce pourquoi il était fait.
2. L’expérience montre que l’homme est
fait, par tout son être, pour vivre dans la société des autres hommes, pour
vivre des amitiés et communiquer la vie à d’autres êtres semblables à lui.
Ainsi, dans la Genèse, Dieu commande de dominer l’univers, de donner des noms
aux animaux et il ne lui propose pas d’autres buts que ceux-là. Dieu n’a donc
pas créé l’homme pour la vision béatifique.
3. Dans le paradis terrestre, l’homme
vivait de la présence de Dieu d’une manière surnaturelle. Dieu s’entretenait
familièrement avec lui et "tout cela était bon" (Genèse I, 31) dit la
Bible. Il semble que ce bonheur eût suffi pour l’éternité.
Cependant :
Saint
Paul affirme : « Tout a été créé par lui et pour lui »[355]. Or l’homme, par son esprit, peut
connaître et aimer. Son esprit trouve sa pleine réalisation dans la
connaissance plénière de Dieu et dans l’amour de charité. C’est pourquoi Jésus
prie le Père : « Je veux que ceux que
tu m’as donnés soient avec moi, pour qu’ils voient cette gloire que tu m’as
donnée »[356]. Dieu a créé l’homme en vue de lui
communiquer sa propre béatitude, par la vision de son essence.
Conclusion :
Pour le comprendre, il faut se souvenir que Dieu
est, par essence, la bonté[357]. Non
seulement il possède toutes les perfections, dans tous les ordres, mais il
trouve en lui-même sa propre finalité et sa béatitude plénière. Or la bonté a
pour tendance de se communiquer. Ainsi celui qui découvre une chose bonne
désire en faire partager la découverte aux autres. De même Dieu, dans sa totale
liberté, veut en créant des êtres spirituels à son image, leur communiquer sa
vie et sa béatitude. Or nul ne peut vivre de la béatitude d’un autre s’il n’en
connaît l’objet. Il est donc nécessaire que l’homme, pour vivre de la bonté
même de Dieu, connaisse son essence qui est cette bonté même. De tout cela, on
peut conclure que Dieu a créé l’homme pour lui donner la vision béatifique.
C’est librement que Dieu se communique à l’homme jusque dans la vision de son
essence et non par nécessité de nature. Rappelons que Dieu se suffit
entièrement à lui-même, dans le bonheur plénier de sa vie trinitaire. Il n’a
nul besoin d’autre chose que lui. S’il crée et communique à des créatures son
bonheur, c’est donc par un don absolument gratuit de sa bonté.
Solutions :
1. La vision béatifique est un bien
spirituel qui présuppose une certaine amitié avec Dieu. Comme le secret qui
noue l’amitié, il est indispensable qu’une confiance mutuelle s’instaure. C’est
pourquoi Jésus disait aux Juifs : « Quiconque n’accueille pas le Royaume
de Dieu en enfant n’y entrera pas »[358]. De même qu’on ne peut imposer une
amitié, de même Dieu ne peut imposer la vision béatifique et l’amour qu’elle
présuppose. L’homme doit être apte à en faire le choix. La vision béatifique ne
pouvait donc être donnée à l’homme dès le premier instant de sa création.
Quant
à la nécessité de la vie terrestre, elle s’impose à l’homme à cause de sa
nature sensible. À la différence de l’ange qui est un pur esprit, parfait dès
l’instant de sa création, l’homme devient capable de choix en développant son
intelligence par étapes, en s’élevant du sensible à l’intelligible. Adam et Ève
échappent bien sûr à cette loi puisqu’ils ont été créés avec les capacités
adultes du choix. Cependant, même s’ils n’avaient pas péché, ils auraient mis
au monde des enfants soumis à la nécessité d’avancer « en sagesse, en âge et en
grâce devant Dieu et devant les hommes »[359].
2. Les activités humaines comme le travail,
la vie politique et l’amitié sont elles-mêmes ordonnées par Dieu au
développement des virtualités présentes en germe dans la nature de l’homme.
Elles ne sont donc pas, dans le plan de Dieu, des fins en soi.
3. Adam et Ève ne
seraient pas restés éternellement dans le paradis terrestre même s’ils
n’avaient pas péché. Ils ne seraient pas morts mais Dieu, au moment choisi par
lui, les aurait enlevés dans la vision de son essence. Il serait venu les
chercher corps et âme, d’une manière semblable à celle de la vierge Marie lors
de sa dormition et de son assomption. De même que la vierge Marie, qui était
exempte du péché originel, n’a pas connu la mort et la corruption, de même Adam
et Ève auraient été introduits directement dans la vision béatifique.
Objections :
1. Il ne semble pas. La Bible dit à propos
des anges : "Dieu donnera ordre à ses anges et sur leurs mains ils te
porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre"[360]. Les anges ont donc été créés pour être
les serviteurs des hommes.
2. Nous avons
montré que Dieu a tout créé pour lui[361]. Mais les
réalités créées ne sont pas toutes ordonnées à la vision béatifique. Les
plantes et les animaux par exemple en sont incapables. Le but premier de la
création des anges semble donc être le même que pour toutes choses, à savoir la
gloire de Dieu qui se manifeste par la beauté de ses œuvres.
Cependant :
Jésus
affirme en saint Matthieu[362] : «
Je vous le dis, leurs anges aux Cieux voient constamment la face de mon
Père qui est aux Cieux ». Donc
les anges ont été créés eux aussi pour la vision béatifique. C’est pourquoi
l’égalité avec les anges est promise aux saints.
Conclusion :
Dieu,
dans la gratuité de sa bonté, a créé les êtres spirituels en vue de se
communiquer à eux. Dans l’hypothèse où il existe, outre les hommes et les
anges, d’autres espèces de créatures dotées d’un esprit dans l’univers, Dieu ne
pourrait les avoir créés pour une finalité ultime autre. La nature même de
l’esprit permet de le comprendre. L’intelligence est faite pour connaître tout
ce qui est, à commencer par la cause première de tout. La volonté tend à s’unir
au bien absolu, source de tous les biens. Les anges, cependant, parviennent
d’une manière différente à la vision béatifique. N’étant pas liés à un corps,
ils n’ont pas besoin de l’apprentissage des choses sensibles pour atteindre sa
perfection naturelle. Ils sont créés parfaits et leur intelligence contient dès
le premier instant tout ce qui leur est nécessaire pour leur vie. Comme les
hommes, la vision béatifique ne leur est pas imposée mais proposée par Dieu
comme une fin surnaturelle à laquelle il les appelle. Les anges ont donc été
créés dans la foi en cette parole de Dieu les appelant à la contemplation de
son essence. Ils ont reçu la grâce qui leur permettait de se tourner vers cette
fin surnaturelle. Ceux parmi eux qui ont posé un acte de charité à l’égard de
Dieu furent introduits immédiatement dans sa béatitude. Quant à ceux qui
refusèrent Dieu, ils furent immédiatement plongés dans la solitude de l’enfer.
Cette absence de délai et de réflexion sur un tel choix est possible à cause de
la perfection totale et immédiate de leur jugement. Le mode parfaitement
spirituel de leur nature le permettait sans aucune erreur possible donc sans
aucun changement de choix.[363]
Solutions :
1. La mission des anges par rapport aux
hommes ne constitue pas le motif de leur création. Il s’agit d’un ministère qui
leur fut confié par surcroît. La nécessité n’en est pas chez les anges qui
trouvent leur pleine béatitude dans la vision de Dieu mais chez les hommes qui,
par la faiblesse de leur nature, ont besoin d’être protégés et conduits. Cette
mission leur fut cependant présentée avant leur choix. Elle constitua pour
certains un motif de révolte parce qu’ils discernèrent en l’homme et surtout en
la femme une créature mieux bâtie qu’eux pour l’humilité (kénose) et l’amour.
2. Il est vrai que la création entière, par
son harmonie, manifeste les perfections du Créateur. Elle est un reflet de sa
gloire et c’est en ce sens que s’exprime le livre de Judith : « que la
création entière te serve »[364]. La parfaite harmonie des hiérarchies
angéliques manifeste avec le plus d’éclat la gloire de Dieu. Mais cet ordre et
cette harmonie eux-mêmes ne constituent pas la finalité ultime du projet de
Dieu[365]. Saint Paul, dans l’épître aux Romains[366] l’exprime ainsi : « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu », c’est-à-dire à l’entrée dans la
vision béatifique des êtres spirituels qui aiment Dieu.
Objections :
1. Il semble que si Adam et Ève n’avaient
pas péché, ils ne seraient pas entrés dans la vision béatifique. La liturgie de
Pâques chante en effet : « Bienheureuse
faute qui nous valut un tel Sauveur. »
Elle veut exprimer par là que Jésus par son Incarnation est venu nous apporter
un bien supérieur à celui d’Adam et Ève. Ce bien ne peut être que l’espérance
du Royaume de Dieu réalisée dans la vision de son essence.
2. Adam et Ève avaient reçu le don de
l’immortalité. C’est en effet par leur péché que la mort est entrée dans le monde,
selon la parole de saint Paul[367]. Il semble donc qu’ils seraient restés
à jamais dans le paradis terrestre, comme l’immortalité de leur corps le leur
permettait.
3. Dans le livre
de la Genèse, Dieu ne donne pas à l’homme la promesse de la vision béatifique.
Au contraire, après l’avoir créé, il se repose de toutes ses œuvres. Il semble
donc que, si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils seraient restés dans le
jardin préparé pour eux en Éden.
Cependant :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils auraient
tout de même engendré des fils et des filles en grand nombre. La terre n’aurait
bientôt pas suffis pour contenir et pour nourrir l’humanité. Elle n’était donc
qu’un séjour temporaire pour l’homme[368].
Conclusion :
Si Adam et Ève n’avaient pas péché, ils ne seraient
pas restés pour toujours dans le paradis terrestre mais auraient été introduits
dans la vision béatifique. La raison en est qu’ils furent créés par Dieu dans
ce but, comme nous l’avons montré précédemment. Mais le mode de leur vie
terrestre eut été différent. Ils auraient vécu sur terre un temps, mettant en
pratique les commandements donnés par Dieu. Ils auraient résisté à la tentation
du démon victorieusement, manifestant ainsi leur totale soumission à la volonté
de Dieu. Ils auraient gardé intact le don originel qui les unissait d’une
manière familière à leur Créateur et les conséquences qui en découlaient dans
leur âme, dans leur corps et sur la nature entière[369]. Ils auraient
mis au monde des enfants auxquels ils auraient transmis la grâce originelle et
ses effets. Ceux-ci auraient à leur tour subi la tentation de l’orgueil
suggérée par le serpent et auraient choisi librement de rester unis à Dieu ou
au contraire de s’en détourner.
Pour
comprendre la manière dont Adam et Ève et leur descendance auraient été
introduits dans la vision béatifique, nous avons un modèle dans la nouvelle
Ève, la vierge Marie. Comme Ève, la vierge Marie fut conçue d’une manière
immaculée mais elle sut conserver durant toute sa vie terrestre ce don de Dieu.
Ayant remporté un triomphe total sur le péché et ses suites, elle a obtenu,
comme le couronnement suprême de ses privilèges, d’être préservée de la
corruption du tombeau et, comme son Fils, après avoir vaincu la mort, d’être
élevée en corps et en âme à la gloire du plus haut des Cieux. [370] Sa vie se termina donc par la
glorification de son corps virginal, sitôt qu’elle fut parvenue à cette
béatitude qui est réalisée par la vision de Dieu face à face. Elle est devenue
spirituelle tant dans son corps que dans son âme[371].
Au
sujet de la mort de la vierge Marie, deux opinions existent : certains
prétendent que la Vierge est morte vraiment, à cause de son trop grand désir de
Dieu qui arracha son âme dans une dernière extase. Selon cette tradition plutôt
latine, elle aurait été mise au tombeau d’où son corps aurait ressuscité trois
jours plus tard, à l’image de son Fils. Selon une autre opinion davantage
orthodoxe, la Vierge immaculée, n’ayant pas le péché originel, ne connut pas la
mort, c’est-à-dire la séparation de son âme et de son corps. Elle ne vécut
qu’une mort apparente car son âme était déjà intentionnellement auprès de Dieu
avant son assomption, ce qui la faisait apparaître comme morte. C’est en ce
sens qu’on parle du mystère de la "dormition" de Marie et non de sa
mort. Une telle tradition sur le sommeil-mystérieux de Marie est plus conforme
aux prérogatives de son Immaculée Conception.
La glorification de la Vierge n’en reste pas moins
le modèle de ce qui se serait passé pour Adam et Ève si le péché originel ne
les avait pas soumis à l’obligation de mourir.
Solutions :
1. Quand la liturgie chante : « bienheureuse faute qui nous valut un
tel Sauveur », elle ne prétend pas
affirmer que Dieu a voulu introduire l’homme dans la vision béatifique grâce à
son péché originel et qu’il n’en avait l’intention auparavant. Elle veut
simplement montrer que si la faute originelle n’avait pas existé, Dieu ne se
serait pas incarné en Jésus Christ. La Rédemption qui est la finalité de
l’incarnation n’aurait pas été nécessaire[372].
Elle
veut aussi sous-entendre que sans ce péché, l’homme et la femme auraient été
introduits dans la vision sans qu’aucune souffrance physique ou psychologique
ne soit possible de manière directe et immanente aux dérèglements de la nature
humaine. Ces souffrances ne sont subies durant la vie terrestre que parce que
la grâce originelle d’harmonie de l’homme avec sa propre nature et l’univers a
été enlevée. Ces "croix" ont la particularité de pouvoir creuser dans
le cœur de l’homme une découverte unique de sa petitesse. Leur effet est au
terme d’une vie terrestre une humilité (kénose), et un désir du salut sans
commune mesure avec celle de l’innocence originelle. La gloire qui en résulte
après cette vie en est considérablement augmentée puisque Dieu ne se donne qu’à
la mesure du désir de sa créature.
2. L’immortalité d’Adam et Ève dans le
paradis terrestre n’était que la figure de l’immortalité que Dieu avait
préparée pour eux dans la gloire de sa vision. Mais s’ils n’avaient pas péché,
la glorification de leur corps se serait faite sans la rupture de la mort à
laquelle nous sommes aujourd’hui soumis et qui conduira Dieu à ressusciter
notre chair à la fin des temps pour nous rendre la plénitude de notre nature
humaine.
3. Dieu est dit
se reposer le septième jour en ce sens qu’il a cesse de produire de nouvelles
créatures. Ultérieurement, en effet, il ne fit rien qui n’ait d’une manière
quelconque préexisté dans les premières œuvres[373]. La
glorification d’Adam et Ève préexistait dans leur âme par la communication de
la grâce habituelle qui n’attendait que son plein épanouissement dans la
lumière de gloire.
Objections :
1. Cela paraît bien improbable : le retard
dans la révélation n’a suscité que du mal selon le livre de la Genèse au point
que Dieu dut prendre la décision d’éliminer les hommes de la surface de la
Terre[374]. Le péché s’était en effet considérablement
multiplié au point qu’on peut douter du salut des hommes de cette époque.
2. Loin de Dieu, les hommes oublièrent vite
l’Évangile connu par Ève et Adam. Ils inventèrent toutes sortes de théories
idolâtriques pour résoudre les énigmes de l’univers. Or l’Écriture est très
sévère vis-à-vis de l’idolâtrie dont saint Paul dit quelle n’obtiendra pas le
Royaume de Dieu. Il aurait donc mieux valu que Dieu vienne parler lui-même à
l’homme juste après le péché originel.
3. À travers tout
l’Ancien Testament, depuis Noé à Abraham, Moïse aux prophètes, on voit se
développer une connaissance de Dieu toujours partielle et surtout superficielle
puisque le mystère de sa charité et de la charité que nous pouvons lui rendre
en retour est caché. Souvent, Dieu est davantage connu comme un juge
intransigeant que comme un véritable ami[375]. Mais le
royaume de la vision béatifique n’est ouvert, nous le verrons[376] qu’à ceux qui
l’aiment de charité. Donc le retard de l’incarnation est un grand malheur,
source de la damnation de peuples entiers.
Cependant :
L’Écriture
nous dit à propos de Dieu : « Tu
sauves, Seigneur, l’homme et les bêtes ».
Le Seigneur, pour montrer l’incommensurable Sagesse qui règle ses actions, dit
à Job : « As-tu, une fois dans ta
vie, assigné à l’aurore son poste ? »[377]. C’est donc que le retard dans
l’Incarnation du Verbe fut utile au salut des hommes.
Conclusion :
Nous le verrons[378], l’entrée
dans la Vision béatifique est comparable point par point à un mariage d’amour
entre deux époux qui se donnent pour l’éternité. Pour se réaliser, ce mariage
implique du côté de Dieu et de l’homme des conditions permettant un choix
mutuel finalisé exclusivement par la personne du conjoint. Ce choix doit être
pur c’est-à-dire dépouillé de tout motif autre que le bien de l’autre. Tout
reste d’égoïsme et de sa première conséquence qui n’est autre que l’orgueil et
l’exaltation de sa volonté propre en face de celle de l’autre rend impossible
l’union béatifique des époux célestes. Cette condition est incontournable au
point que le moindre orgueil et la moindre trace d’égoïsme rendent Dieu
incompréhensible au présomptueux qui espèrerait le voir dans cet état.
Du côté de Dieu, ces conditions sont toujours
réalisées car Dieu, dans sa simplicité, est amour. Mais du côté de l’homme, il
en est tout autrement : Les premiers, Adam et Ève brisèrent leurs fiançailles
avec Dieu, préférant à l’amour une indépendance fondée sur l’orgueil. Ils ne se
rendaient pas compte des conséquences de leurs actes puisque, étant faits pour
voir Dieu dans l’autre monde, ils se disposaient à se fixer dans le malheur de
l’égoïsme éternel. Cependant, à la différence de l’ange, leur acte n’était pas
définitivement lucide. Ils pouvaient donc être sauvés, avant de s’enferrer
définitivement dans un orgueil impénitent. Or, la première disposition d’un
amour rejeté ne consiste pas à se révéler à nouveau aussitôt. On le voit dans
les couples humains. Le conjoint rejeté par son époux adonné à un autre amour,
aurait beau supplier, s’humilier dans l’attente immédiate d’un retour de son
conjoint, il n’obtiendrait que du mépris. Mieux vaut au contraire s’effacer et
laisser l’autre vivre sa vie comme il l’entend, en espérant que la vie nouvelle
dans l’infidélité sera meilleur avocat au retour. Dieu n’agit pas différemment
avec nous. L’histoire de l’humanité et notre histoire témoignent de sa sagesse.
Dans
un premier temps, il laissa l’humanité vivre jusqu’au bout de la liberté
choisie par Adam et Ève. Il s’effaça et l’homme put expérimenter le malheur
d’une vie terrestre sans espérance après la mort. C’est ce que nous dit Dieu en
Osée[379] à propos de son épouse infidèle : « Je la conduirai au désert. » Dans un deuxième temps Dieu révéla
une partie de son mystère, à commencer par son existence unique et sa justice.
Mais il ne révéla pas la profondeur de son amour, laissant le peuple peu
nombreux qui le découvrait dans la peur de son Nom. Ainsi, au mont Sinaï, il
menaça de mort celui qui, parmi le peuple, s’aventurerait à l’escalader[380]. De toute cette terreur et de l’absence
de connaissance de Dieu à cette époque, il sortit beaucoup de bien pour le
salut des hommes. Confrontés à l’angoisse d’une vie éprouvante et d’une mort
inconnue, ils étaient disposés par ces humiliations à devenir humbles et à
renoncer à l’orgueil de « leur
nuque raide. » L’humilité ainsi
acquise dans la peur ne les sauvait pas mais les disposait à accueillir le
salut proposé par l’envoyé de Dieu à l’heure de la mort.
Mais Dieu ne fit pas que préparer son salut futur
par l’humilité. Il le fit aussi désirer par l’espérance. Que ce soit à travers
la Révélation explicite faite aux Hébreux d’un Sauveur à venir ou celle moins
explicite qui circulait dans toutes les religions, philosophies et même
idolâtries du monde, il conduisait les hommes à espérer l’existence de Dieu et
d’un salut futur. Cette espérance est qualifiée par le Concile Vatican II de
semence du Saint Esprit. À cause d’elle, les religions dans leur ensemble ne
sauvent pas mais disposent le cœur de l’homme à embrasser le salut lorsqu’il
est proposé. Ainsi, comme nous le verrons[381], lorsque les
hommes découvrent l’amour dont ils sont aimés par Dieu, que ce soit durant leur
vie ou, pour la plupart, à l’heure de la mort, ils sont disposés par leur vie
et le dépouillement de leur mort en train de s’accomplir à écouter l’Évangile.
Solution l :
Les
souffrances de toute sorte, loin de conduire à la damnation, disposent plutôt
le cœur de l’homme à l’humilité (après le péché originel). Voilà pourquoi Dieu
décida de donner à l’homme la grâce qui était la cause de l’harmonie parfaite
de son corps, de sa psychologie et de son esprit. Blessé dans son être, l’homme
connut la souffrance physique et les pulsions de sa sensibilité. Dieu préférait
le voir entrer estropié et malade dans son Royaume après la mort, plutôt que de
le voir aller tout entier et en bonne santé dans l’enfer. La souffrance apparut
donc dans le monde, une souffrance non seulement spirituelle (le désir de Dieu,
du bonheur), mais aussi psychologique (la peur, le désespoir, l’angoisse) et
physique. Ces deux dernières souffrances, tellement palpables et déchirantes,
firent découvrir à beaucoup combien était réelle et misérable leur condition de
créatures sans Dieu et l’orgueil en fut diminué, dès le départ, en Adam et Ève
: ils découvrirent qu’ils pouvaient être impudiques, lâches, menteurs, non
seulement par choix, mais entraînés par des instincts sommeillant au fond de
leur sensibilité. Leurs enfants après eux purent vivre de cette dérisoire
liberté promise par Satan, dérisoire liberté dont Freud, d’une manière exagérée,
a montré les limites : liberté conditionnée, parfois déterminée par les
instincts du corps, les mouvements de l’entourage social ; liberté manipulée,
affirme l’Église, par le rôle occulte des démons vainqueurs et triomphants qui,
le jour de la chute d’Adam et Ève, reçurent un pouvoir direct sur leur corps et
leur psychisme. Il en résulta beaucoup de mal, jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit
heureusement d’un mal davantage provoqué par la faiblesse des passions et par
la bêtise que par une réelle méchanceté. Peu d’hommes sont capables d’être
ici-bas réellement coupable du blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire du
choix parfaitement lucide et volontaire de l’égoïsme, tant la nature humaine
est fragilisée. Le premier, Caïn, fils d’Adam, tua son frère Abel par jalousie,
plongeant par la même occasion sa mère dans le chagrin « Tu enfanteras dans la douleur », avait prédit Dieu. Puis l’humanité se pervertit de plus en plus
malgré des cycles et des renouveaux partiels de civilisation. La préhistoire
aurait beaucoup à dire en ce domaine.
Pendant
des milliers d’années, Dieu laissa Adam et Ève, puis leurs enfants, manger
jusqu’au bout les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu
les laissa se diriger seuls. Il ne parlait plus. Il était comme absent de la
terre. Quand un homme le cherchait, il lui répondait dans son silence qui est
lumière. Il acceptait de venir habiter son cœur, mais d’une manière très
différente de celle du jardin d’Éden. En effet, à ceux qui le cherchaient, Dieu
ne se faisait plus aussi présent. Mais très peu d’hommes eurent foi en lui. La
bible en cite quelques-uns : Énoch, Noé. La plupart des autres, la grande masse
des autres perdirent jusqu’au sens de Dieu. Confrontés à la souffrance de cette
vie, ils se façonnèrent des images de Dieu, aussi fausses que désespérantes.
Elles furent multiples : certains l’imaginaient comme un Dieu cruel ou encore
comme des dieux multiples et assoiffés de gloire. D’autres adorèrent Lucifer et
ses démons. D’autres prétendirent que Dieu était l’univers ou encore cette
statue façonnée de leurs mains ou le soleil. D’autres affirmèrent qu’il n’y
avait pas de Dieu. Ils se firent alors eux-mêmes leur propre dieu. Comment en
vouloir à ces hommes désespérément à la recherche de solutions à leur vie
dirigée vers la mort, et confrontés au silence de Dieu. La clef de la
connaissance véritable, celle qui mène à la vie éternelle, était perdue, et
Dieu se taisait[382]. Les hommes vécurent de ces dieux
froids ou féroces. Le silence de Dieu durant ces nombreux siècles était aussi
réel que terrible. Il n’y avait pas de prophètes pour parler de lui, et très
peu d’hommes osaient découvrir sa présence tant on l’imaginait faussement
absent ou méchant Les seules actions de Dieu que décrit la Bible, dans cette
première phase de l’humanité, sont le déluge qui tua la plus grande partie des
habitants de la terre, puis la destruction de la tour de Babel. En effet,
lorsqu’il voyait les hommes sombrer dans le péché d’orgueil, malgré tous ces
malheurs qui sans cesse les humiliaient, lorsqu’il discernait l’apparition de
cette racine qui conduit en enfer, Dieu agissait. En livrant les corps à la
mort, il sauvait leur âme. À Babel, où les hommes réussissaient enfin à bâtir
une humanité puissante et harmonieuse (fondée sur la puissance et non sur
l’amour), Dieu agit. Voyant qu’ils s’enorgueillissaient de leur œuvre et
pensaient, ainsi, devenir comme des dieux, il divisa leur cœur et leur langage.
Ils ne s’entendirent plus entre eux, se firent la guerre et leur œuvre fut
ruinée. En livrant l’homme à la souffrance, à la mort, en se taisant durant des
siècles, en n’agissant que pour détruire les œuvres dont l’homme était fier,
que voulait Dieu ? Il voulait sauver ses enfants. Et, réellement, il les sauva
en masse. Lorsque, broyés par la souffrance, leur âme quittait leur corps, elle
avait été humiliée, et humiliée, elle était bien souvent devenue humble
(kénose).
2. Saint Jean Chrysostome répond à cette
objection : « Donnez-moi deux
attelages pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent
vérité et orgueil, ceux du second, hérésie et humilité. Et bien vous verrez le
second attelage remporter la victoire, non à cause de l’erreur mais à cause de
l’humilité. » Il en est ainsi pour
les noces de la Vision béatifique. La vérité étant de toute façon prêchée à
tout homme au cours de sa vie, c’est bien sur son humilité que pourra se fonder
son choix ou son refus de l’amour.
3. Et cela répond
à la troisième objection : Dieu pourrait par sa puissance faire que l’Évangile
ait été proposé à toutes les nations de la terre au point que l’Église soit
aujourd’hui la seule communauté religieuse vivante. Il aurait pu aussi
s’incarner plus tôt mais, pour que l’humilité demeure attachée à la vérité et
qu’ainsi, la vérité serve l’amour, il préfère retarder ce moment. Il est clair
qu’il n’existe pas d’Église à la fois puissante politiquement et humble. Or cet
orgueil est, en face de l’entrée dans la vie éternelle, un mal plus grand que
l’ignorance de la vérité sur Dieu, vérité qui de toute façon est prêchée tôt ou
tard.
Objections :
1. Il ne semble pas. Il a été montré que le
motif principal de l’incarnation était de nous délivrer au péché qu’il soit
originel ou actuel[383].
2. Le Verbe s’est fait chair pour nous
manifester le Père. C’est en se sens que saint Paul appelle le Christ l’image
du Dieu invisible[384]. Saint Jean dit que Jésus est la
manifestation de l’amour du Père[385]. Le motif premier de l’incarnation et
de la crucifixion est donc de nous donner une connaissance vraie de Dieu, à
savoir de rendre notre foi plus certaine et plus profonde.
3. Saint Augustin écrit[386] : « Rien n’était aussi nécessaire, pour accroître notre
espérance que de nous montrer à quel point Dieu nous aimait. » Il semble que le motif premier de
l’incarnation et de la Rédemption soit de rendre à l’humanité son espérance.
4. Le motif premier de l’incarnation et de
la Rédemption semble être de nous donner un modèle sur lequel nous pouvons
calquer notre vie car, comme écrit saint Augustin[387] : «
Nous ne pouvions suivre l’homme que nous avions sous les yeux et il fallait
imiter Dieu qui pour nous était invisible : afin donc de donner à l’homme un
exemplaire, et un exemplaire visible, Dieu s’est fait homme ».
5. Le but ultime de la création et de la
Rédemption semble être de nous réconcilier avec Dieu, de nous réintroduire dans
l’amour qui nous unit à lui. « Qu’a
voulu Dieu, en venant à nous, sinon nous montrer son amour », dit saint Augustin[388].
Cependant :
Jésus dit : « la vie
éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu. » Or il n’y a pas de véritable[389] connaissance de Dieu si ce n’est celle
de la vision de son essence. Jésus est donc venu en premier lieu pour nous
introduire dans la vision béatifique.
Le Cardinal Gouyon écrit : «
Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est pour nous proposer cette
expérience, c’est pour nous faire connaître cette vie. Toute la prédication de
sa vie terrestre, tout l’effort de l’Esprit Saint à travers l’histoire de
l’Église qui est insérée dans la trame de l’histoire du monde, vise à cette
connaissance et à cette expérience. L’Église -dit le Concile dans la Constitution
qui lui est consacrée- à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et
dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n’aura sa
consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps où toutes
choses seront renouvelées [390]et que, avec le genre humain, tout
l’univers lui-même, intimement uni avec l’homme et atteignant par lui sa
destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection »[391][392].
Conclusion :
Dans la nature, la causalité finale se comporte avec
ordre. Ainsi, si l’on peut attribuer à une chose une finalité mais que cette
finalité elle-même est ordonnée à une autre, on peut dire qu’en dernier lieu,
cette chose a pour fin ce qui est le plus ultime dans l’ordre des fins. Ainsi,
un homme utilise une scie dans le but de couper du bois. Mais si ce bois est
lui-même ordonné au chauffage de sa maison, on dira que cet homme scie du bois
pour se chauffer.
Il
en est ainsi dans l’ordre de l’Incarnation et de la Rédemption opérée par le
Christ. Après le péché originel, l’homme s’est retrouvé dans une situation
telle qu’il était soumis à l’empire du démon qui était devenu le prince de ce
monde. De même l’homme était dans la servitude du péché de la gangue duquel il
lui était impossible de se sortir par lui-même. En conséquence, la connaissance
de Dieu était obscurcie et l’espérance de son salut avait quasiment disparu. De
même, il était impossible à l’homme d’aimer Dieu avec cette amitié que confère
la vertu de charité.
Le
Verbe s’est fait chair, en vue de rétablir en l’homme l’image de Dieu détruite
par le péché originel. Pour réaliser une telle œuvre de Rédemption il
faut :
1° en premier lieu détruire l’obstacle qui
l’empêche, à savoir le règne du démon et l’empire du péché. C’est donc là le
motif fondamental de ce mystère puisqu’il détruit l’obstacle fondamental.
2° En second lieu, il fallait redonner à
l’homme une connaissance du vrai Dieu[393]. Selon l’ordre de perfection, la
libération du péché et du démon était ordonnée comme à sa fin à une
connaissance plus parfaite du vrai Dieu, grâce à la suppression de la pesanteur
intellectuelle à laquelle conduit le péché, donc à la pureté de la foi. C’est
en ce sens que l’on peut dire, avec l’objection 2, que l’Incarnation et la
Rédemption sont ordonnées à la foi.
3° Mais la foi elle-même trouvait un
certain achèvement dans l’espérance des biens promis par la bonté de ce Dieu
qui se révélait en Jésus car il est plus grand d’espérer la présence de Dieu et
sa grâce que de simplement le connaître. Et cela répond à la troisième difficulté.
L’espérance
elle-même trouvait son achèvement dans l’amour de charité dont l’homme était à
nouveau capable grâce à la Rédemption opérée par Jésus. On peut donc dire en ce
sens que le motif de la venue du Christ est de nous réintroduire dans la communion
avec Dieu, selon l’objection 5.
4° C’est pour mieux vivre de cette
communion instaurée par le Christ qu’il nous laisse un modèle de la manière
dont il veut que nous nous comportions, selon la quatrième difficulté car la
vie vertueuse à laquelle Jésus appelle le chrétien n’a pas de sens si elle
n’est mise au service de l’amour de charité selon cette parole : « Les deux commandements de la charité
résument la loi et les prophètes. »
5° Quant à la charité, elle trouve son
plein achèvement dans la vision béatifique. La charité se comporte en effet
comme une amitié. Or un ami ne peut se contenter d’une lointaine union
affective avec son ami. Il désire une pleine union effective qui ne peut se
réaliser que dans une parfaite communauté de vie impliquant une connaissance
profonde de son ami et une identité de volonté. Si la charité peut réaliser
déjà sur cette terre une certaine identité de la volonté de l’homme avec celle
de Dieu, seule la vision béatifique peut le faire pleinement. Il est en effet
impossible d’être parfaitement en union avec la volonté de Dieu qui est son
essence même, si l’on ne connaît cette essence. Ainsi, la charité telle qu’elle
est vécue sur terre est ordonnée à la vision béatifique qui en est la
réalisation plénière.
C’est donc bien pour cette finalité ultime qu’est la
vision de l’essence divine, que le Messie s’est incarné et nous a sauvé.
Pour
mieux comprendre l’édifice surnaturel de la sanctification, on peut prendre
l’analogie de l’union conjugale. Le but ultime en est l’union intime à travers
l’amour effectif d’une vie commune source de vie. Mais, pour réaliser cette
grande œuvre, plusieurs conditions sont requises. 1° Si le prétendant est en prison, il faut d’abord qu’il en sorte
(L’emprise du démon) ; 2° Il faut
qu’il connaisse l’existence de l’autre et quelque chose de lui, ce qui
correspond à l’enseignement du Christ et au contenu de la foi ; 3° Il faut ensuite avoir un certain
espoir de ce futur mariage ce qui est impossible si la personne refuse ou est
déjà engagée. 4° Il faut surtout
aimer cette personne. Qui peut prétendre au mariage avec une personne qu’il
n’aime pas ? Cet amour doit devenir réciproque et s’achever dans une volonté
commune de s’engager.
Solutions : et cela répond aux objections.
Une
remarque doit cependant être ajoutée : certains théologiens enseignent, à la
suite de l’école franciscaine inaugurée par saint Bonaventure que le Verbe se
serait fait chair même s’il n’y avait pas eu le péché originel. Ils estiment,
considérant l’amour infini de Dieu, qu’une telle grâce n’aurait pas pu nous
être refusée. Saint Paul semble aller dans ce sens : « Dieu nous a élus dans le Christ dès avant la fondation du monde. »[394] Cette opinion n’est pas inconciliable
avec la foi, bien au contraire. Il faut cependant chercher quel aurait été en
Dieu le motif de cette incarnation. Cela n’aurait pas été pour une rédemption
des hommes pécheurs, ceux-ci étant restés par hypothèse unis à la grâce de Dieu
; cela n’aurait pas eu comme finalité d’augmenter leur vie contemplative,
celle-ci étant à l’origine la plus tendre et la plus profonde qu’on puisse
imaginer sur la Terre ; cela n’aurait pas été utile pour entrer dans la vision
béatifique, Dieu se laissant voir ici directement, sans la médiation d’aucune
créature, fusse sa nature humaine. Saint Bonaventure le reconnaît : le Verbe,
dans cette hypothèse, se serait incarné non pour sauver l’homme de la mort
éternelle mais pour donner un certain achèvement à la beauté de l’univers, Dieu
s’unissant à sa créature non seulement dans la vision bienheureuse des élus
mais aussi dans l’union hypostatique avec sa nature humaine. Il est difficile
de conclure définitivement sur la vérité de cette opinion, saint Paul
enseignant bien souvent ailleurs que le Verbe s’est fait chair "pour nous
sauver de nos péchés"[395]. En tout état de cause, il est évident
que, s’il n’y avait pas eu le péché, le Christ ne serait pas mort sur une
croix.
Objections :
1. On voit mal la nécessité d’une vie
terrestre précédant l’entrée dans la vision béatifique. En effet, la vision
béatifique est donnée à l’intelligence qui est une faculté spirituelle de
l’âme. Or, dans la vie terrestre, l’esprit est appesanti par le corps qui est,
selon Platon, comme le tombeau de l’âme. Il semble donc que le corps est
inutile à l’homme et il aurait été préférable que Dieu propose la vision
béatifique sans passer par la vie terrestre.
2. Même dans l’état parfait que connurent
Adam et Ève à l’origine, le corps et la vie terrestre qu’il implique
constituaient un obstacle. Leur intelligence en était obscurcie. La preuve en
est que le serpent n’eut pas de mal à les séduire et à les entraîner au péché.
3. Après le péché originel, l’inutilité de
la vie terrestre pour conduire l’homme à Dieu apparaît en pleine lumière :
l’esprit est à ce point aveuglé par l’ignorance que bien des hommes ne
soupçonnent même pas l’existence du Créateur. De même le poids de la chair est
tel que, comme le disait le philosophe Aristote : « la plupart demeurent dans le sensible » s’élevant à peine au-dessus de la vie animale. Il semble
donc que la vie terrestre ne prépare en rien l’entrée dans le Ciel mais
l’occulte au contraire.
4. Le monde
d’ici-bas donne à l’homme une existence précaire. Il peut disparaître à tout
moment et la vie est un perpétuel combat. Il existe de multiples maux dont
l’origine est parfois la nature tels la mort, les tremblements de terre, les
malades, parfois l’homme lui-même comme la guerre, le péché. Un tel monde a
plutôt tendance à révéler un Dieu cruel qu’un Dieu d’amour. Il semble donc que
la vie terrestre, loin de conduire à Dieu, en éloigne.
Cependant :
La
Bible dit : « Dieu planta
un jardin en Éden, à l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé »[396]. C’est donc le Créateur lui-même qui a
placé l’homme sur la terre et cela ne peut être que bon.
Conclusion :
Pour répondre à cette question, il faut se souvenir
que lorsque Dieu a créé l’homme, il lui a fait don d’un état de perfection qui
a disparu avec le péché originel. Dans cet état primitif, il n’existait aucun
mal aussi bien dans l’âme humaine que dans la nature. C’est pourquoi la Bible
parle d’un paradis situé en Éden. Or, dans cet état de perfection primitif, il
convenait que l’homme passe par une vie terrestre avant d’être introduit dans
l’ultime béatitude préparée pour lui, la vision béatifique.
La raison en est dans la nature même de l’homme. À
la différence de l’ange, il est un esprit naturellement uni à la matière. Or
toute perfection, y compris la vision béatifique, est reçue dans son sujet
conformément à la nature de ce sujet. Le propre de la nature angélique, c’est
d’acquérir sa perfection naturelle non pas progressivement, mais par elle-même
dès qu’elle existe, ainsi que nous l’avons montré[397]. De même donc
que, du seul fait de sa nature, l’ange reçoit dès le premier instant de sa
création toutes les perfections qui lui sont naturelles, comme la science de
lui-même et des autres anges, de même dans l’ordre de la vie surnaturelle,
l’ange est introduit dans la vision béatifique dès qu’il s’y dispose par un
seul acte de charité.
Or l’homme n’est pas, comme l’ange, destiné selon sa
nature à acquérir sa perfection immédiatement. Il y parvient progressivement et
ce qui est psychique en lui précède ce qui est spirituel. Ainsi, c’est par de
longs efforts et après beaucoup de temps que l’enfant entre dans la perfection
de l’âge adulte. De même, dans l’ordre de la vie surnaturelle, il convient
qu’un plus long espace de temps que pour l’ange précède l’entrée dans la
béatitude divine. Ce temps permet une croissance en perfection naturelle
(physique, psychique et spirituelle) puis un choix définitif à l’heure où la
vérité est totalement manifestée. C’est pour cette raison qu’Adam et Ève ont
été placés par Dieu sur la terre au jour de leur création.
Après
le péché originel, l’homme s’est trouvé dans un état de nature corrompu. Or,
même dans cet état, il convenait qu’il passe par une vie terrestre avant
d’entrer dans la gloire. Étant soumis à la misère d’une existence précaire,
s’achevant dans la mort, étant constamment dépendant des conséquences du péché
originel, l’homme découvrait sa petitesse. Il lui était alors difficile de
sombrer dans l’orgueil qui est un péché contradictoire avec l’entrée dans la
vision béatifique, comme nous le verrons. De même, il aspirait à la venue d’un
Sauveur qui le délivrerait de tous les esclavages. De cette manière, à travers
les misères de la vie terrestre, Dieu disposait les hommes en vue du bonheur
éternel qu’il voulait leur proposer. Il leur apprenait l’humilité qui est une
disposition nécessaire à l’entrée dans la gloire, selon cette parole : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais il
donne sa grâce aux humbles »[398].
De
même, après la venue du Christ qui rétablit l’amour de Dieu sur la terre, il
convenait que l’homme passe par la vie terrestre avant d’entrer dans la gloire.
Jésus, s’il a rétabli la grâce et la vie surnaturelle, n’a pas supprimé les
conséquences du péché originel comme la souffrance, la mort et la faiblesse. Là
encore, la vie terrestre dispose l’homme à entrer dans la vision béatifique.
Non seulement elle maintient l’homme dans l’humilité de sa condition précaire
mais elle lui donne la possibilité d’aller plus loin dans les exigences de la
charité à travers la souffrance elle-même. Ainsi, Jésus disait : « chargez-vous de mon joug et venez à ma
suite »[399], c’est-à-dire : aimez Dieu et votre
prochain à travers votre temps de souffrance.
Solutions :
1. Le corps appesantit la vie
intellectuelle. En effet, l’intelligence humaine doit abstraire à partir des
données des sensations le contenu intelligible qui s’y trouve. Au contraire,
l’intelligence angélique qui atteint d’une manière directe et intuitive des
réalités est bien supérieure à celle des hommes. Mais il n’en est pas de même
dans le domaine de l’amour. L’homme, grâce à sa sensibilité peut dépasser les
anges dans l’ordre de l’amour. L’ange aime en effet d’une manière entièrement
volontaire et se porte tout entier dès la première fois vers l’objet de son
amour, sans qu’aucun progrès ne soit possible et selon le degré de perfection
de sa nature. Il n’aime donc qu’autant qu’il comprend qu’il faut aimer. L’homme
au contraire peut s’il le veut progresser sans cesse dans l’amour. Il lui est
possible d’aimer jusqu’à l’absurde, ce qui est la mesure de Dieu : Aimer ses
ennemis, aimer, jusqu’à la mort, aimer jusqu’à accepter volontairement d’être
anathème pour le salut de ses frères[400]. « Il
n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis »[401]. En ce sens, il dépasse en perfection
la nature angélique et peut être considéré comme le chef-d’œuvre de Dieu.
2. Adam et Ève, dans l’état de perfection
qui était le leur avant le péché, ne pouvaient en aucune façon être trompés par
le démon puisque leur intelligence était protégée de l’erreur. Ils avaient reçu
de Dieu suffisamment de connaissances pour empêcher toute ignorance dans les
domaines importants de leur vie. Leur péché fut donc leur entière
responsabilité. Ils s’enorgueillirent de la beauté qu’ils découvraient en eux
et décidèrent d’être eux-mêmes les maîtres du bien et du mal. Quant au démon,
son rôle fut simplement de présenter extérieurement les avantages d’un tel
orgueil. Adam et Ève, malgré la science qu’ils avaient reçue de Dieu à propos
des conséquences d’un tel péché, décidèrent d’ignorer cet avertissement. Leur
ignorance fut donc volontaire.
3. La fragilité dans laquelle les hommes
furent plongés après le péché originel est, en ce qui concerne l’entrée dans la
vision béatifique, un mal moins grave que l’orgueil. Si Adam et Ève avaient
gardé après leur péché la pleine maîtrise de leur nature, il est certain qu’ils
se seraient complus dans leur orgueil et se seraient séparés définitivement de
Dieu. Au, contraire, la misère où ils furent plongés, si elle ne les rapprocha
pas entièrement de leur Créateur, leur fit comprendre que, sans lui, l’homme
n’est et ne peut rien faire (dans le domaine du salut).
4. Le mal qui règne dans le monde provoque
chez beaucoup le rejet et la haine de Dieu. Mais, en définitive, l’homme
rejette alors ce qu’il ne connaît pas car il ne peut comprendre que c’est en
vue d’un bien éternel que Dieu impose à l’homme des maux temporels. L’homme
agit un peu comme le petit enfant, qui recevant de sa mère une punition qui lui
paraît injustifiée, n’en découvre que plus tard le bien-fondé. De même les
hommes, en découvrant au moment de leur mort la vraie raison du gouvernement
divin sur eux, n’en éprouveront plus de scandale, sauf si l’orgueil est resté
en eux. Telle est la finalité de la souffrance. Telle est la raison ultime de
toutes les peines que subissent les hommes en ce monde. Le peuple juif en est
témoin : les justes massacrés à Auschwitz ont vérifié l`affirmation suivante :
Celui qui persévère dans l’amour qui est la voie de l’espérance et de la
crainte recevra affermissement et secours du Seigneur pour -au-delà des
possibilités humaines- parvenir à l’amour absolu qui offre la vie pour l’amour
de Dieu comme Abraham sacrifiant Isaac. Ainsi ont-ils aussi vérifié le suprême distique
en lequel Bahya résume chacun des Portiques de son introduction au devoir des
cœurs[402] : «
Alors, du Dieu vivant, tu verras le visage unissant dans l’amour ton âme au
Rocher. » [403]
Si
on suit Aristote, un bonheur humain est possible. Selon lui, il se réalise à
travers la possession de deux biens : l’amitié et une contemplation naturelle
de l’Etre premier.
Ce
bonheur raisonnable suffit-il pour combler les aspirations de l’homme ? Qohélet
constate que non (Ecclésiaste 1, 12) : « Moi,
Qohélet, j'ai été roi d'Israël à Jérusalem. J'ai mis tout mon cœur à rechercher
et à explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. C'est une
mauvaise besogne que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour qu'ils s'y
emploient. J'ai regardé toutes les œuvres qui se font sous le soleil : Eh bien,
tout est vanité et poursuite de vent! »
L’expérience montre qu’un désir irréaliste mais très réel demeure en celui qui
est comblé de tout. Le philosophe Feuerbach décrit ces désirs qui dépassent le
raisonnable :
1° L’homme est touché dans son être même :
il ne veut pas mourir, il désire vivre éternellement.
2° Le bonheur auquel il aspire doit être
toujours nouveau, libéré du poids du quotidien.
3° Son intelligence voudrait maîtriser la
totalité du réel.
4° Son affectivité aspire à l’amour
romantique d’un être complémentaire qui ne s’use jamais, dont le premier désir
résiste au temps.
5° Son désir de puissance illimité
qui fait souvent de l’homme un prédateur insatiable.
6° Son psychisme rêve de plaisir, de
beauté, de paix et d’activité à la fois.
7° Cela s’étend jusqu’au corps qu’il
voudrait lumineux, jeune, impassible, léger, obéissant, délivré des limites et
des murs.
Ces
désirs sont connus des théologiens. Ils appellent béatitude un état où tout
désir est comblé. La béatitude se distingue du bonheur qui n’en est qu’une
approche mesurée.
Au
plan psychiatrique, ce désir est dangereux car utopique. Il conduit les gens
raisonnablement heureux au malheur et les angoissés au suicide. L’éducation
s’efforce soit de le réprimer dans l’inconscient soit de le canaliser vers des
activités constructives comme l’amour, l’art, la contemplation du vrai. Il
ressort alors, tôt ou tard, sous la forme d’une angoisse, c’est-à-dire un
mal-être dont le sujet ignore l’origine. C’est l’une des pierres d’achoppement
du monde moderne.
Au
plan politique, ce désir non canalisé est source des messianismes temporels.
Les politiques s’efforcent de combler leurs concitoyens de tous les biens pour
instaurer par la matière, la béatitude ici-bas. Or la consommation de drogue,
le suicide, la violence autodestructrice augmentent sans qu’ils en trouvent la
raison.
Au
plan religieux, ce désir constitue la raison même de toutes les religions qui
proposent, d’une manière ou d’une autre la béatitude pour l’au-delà.
Ce
désir apparaît à la connaissance par diverses activités qu’il produit comme le
mal-être et son effet, la recherche perpétuelle de « toujours plus. »
Il y a donc bien une actuation. S’il est un acte, c’est qu’il existe une
puissance tapie quelque part dans l’homme.
On
peut se représenter cela métaphoriquement comme un « creux », une béance dans le désir agissant comme un inconscient
douloureux. Si ce vide n'est pas empli, l'esprit souffre sans savoir pourquoi.
On peut représenter cela à la manière de ce vase dont parlait Agnès, la sœur de
sainte Thérèse, dans l'histoire d'une âme.
Au plan scientifique, il s’agit d’une puissance.
Ne
peut-on pas dire que la psychanalyse de Freud a cherché l’objet de ce désir ?
Il parle d’une recherche inconsciente liée à une libido (désir fondamental du
plaisir). L’expérience montre que sa recherche reste superficielle. Certes, le
plaisir est important car présent en extension dans chacune des velléités du
bonheur infini. Mais il n’est qu’un aspect de ce qui est constaté.
Au
plan philosophique, on peut dire que l’objet de ce désir n’est pas un simple
bonheur (une vie raisonnablement agencée dans l’épanouissement modéré de
l’esprit). Il a pour objet la béatitude, c’est-à-dire un bonheur complet,
irraisonnable, de tout l’être (esprit, sensibilité et corps) où le désir
s’arrête tant il est comblé d’actuations toujours renouvelées.
Toujours
au plan philosophique, on doit donc en déduire que la contemplation naturelle
de Dieu à travers ses œuvres ne comble pas la totalité de ce désir. Dieu y est
connu comme l’inconnu. Il y est aimé comme le Créateur des choses ce qui est
loin de correspondre aux velléités d’amour et d’union décrites par Feuerbach
plus haut. Ce désir ne peut donc avoir pour objet Dieu en tant qu'accessible à
la raison, même si celui qui contemple Dieu ainsi trouve un certain soulagement
à son désir.
Cependant,
au plan théologique : quand la Révélation passe par là, elle permet de
comprendre par l’espérance des biens promis la profondeur du désir en question.
On s’aperçoit que la Bonne Nouvelle promet point par point, sans rien omettre,
tout ce qui est désiré de manière velléitaire par le non-croyant.
1° L’éternité de l’être : « De mort, il n’y en aura plus. »
2° Le bonheur : « On ne se souviendra
plus du passé. J’essuierai toutes les larmes de leurs yeux. »
3° Son intelligence verra Dieu, la
Lumière, face à face.
4° Son affectivité : sainte Thérèse de
Lisieux la décrit dans un poème : « J'ai
besoin d'un cœur brûlant de tendresse, restant mon appui sans aucun retour,
aimant tout en moi, même ma faiblesse... Ne me quittant pas, la nuit et le
jour. Je n'ai pu trouver nulle créature qui m'aimât toujours, sans jamais
mourir. Il me faut un Dieu prenant ma nature, devenant mon frère et pouvant
souffrir ! »
5° Son désir de puissance : car Dieu
mettra sa Toute-puissance à la disposition des humbles.
6° Son psychisme qui verra de ses yeux un
monde nouveau préparé pour l’éternité.
7° Son corps qui sera ressuscité glorieux.
Conclusion :
Ainsi,
ce que la Révélation montre, c’est que ce désir a pour objet non seulement la
béatitude de la partie supérieure de l’être, mais celle de tout l’être dans son
extension. Il s’agit à la fois, et dans l’ordre d’importance de 1- Dieu vu dans
son essence, aimé et possédé comme un époux (donc de la béatitude essentielle,
celle de l’esprit), mais aussi 2- de la glorification de la sensibilité avec le
mode de lumière et de beauté qu’elle implique et 3- de la résurrection dans la
gloire de la chair, avec le monde physique qu’elle implique.
Bref,
c’est l’épanouissement total de tout l’être, jusqu’à ce que l’imaginaire, dans
sa folie, ne peut concevoir, qui semble l’objet réel de cet inconscient
spirituel.
Ce
désir n’a pas pour siège l’esprit mais l’essence de l’âme humaine. En effet, il
étend son feu dans tout l’être : La substance (dans sa recherche d’immortalité)
; l’intellect (dans sa recherche du Vrai) ; la volonté en tant qu’appétit (sous
la raison générale de Bien) ; mais aussi la volonté dans son rapport aux moyens
(dans sa recherche de toute puissance) ; le composé d’esprit et de psychisme
(dans sa recherche du Beau) ; la sensibilité (dans sa recherche du plaisir
sensible) ; le corps (dans son aspiration à l’incorruptibilité). Il me semble
donc que cet appétit dépasse l’une ou l’autre faculté de l’esprit.
C’est
ce que semble rappeler la phrase de saint Paul (Romains 8, 19) : « Car
la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut
assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui
l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la
servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants
de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour
gémit en travail d'enfantement. »
Bref,
il me semble que la puissance qui est à la source de ce désir n’a pas pour sujet
l’esprit dans l’une ou l’autre de ses facultés, mais la racine de notre être
(l’âme) puisque seule une cause plus radicale que celle d’une faculté peut
avoir un tel effet universel dans l’être. Ce serait une marque entitative,
une orientation créée dans l’âme par Dieu au moment où il la crée.
On
objecte que Dieu ne peut avoir mis une telle marque dans la nature humaine.
S’il l’avait mise, c’est qu’il aurait créé l’homme pour la Vision béatifique et
la glorification de ses facultés. Or, le don de la Vision est gratuit…
Comme
Alain, je pense qu’il n’y a pas de contradiction entre gratuité du don et
présence de cette marque entitative. Un simple exemple permet de le comprendre.
L’entrée dans la Vision béatifique fonctionne comme le mariage d’amour. Les
époux se donnent gratuitement. Cette gratuité n’empêche pas que, dès leur
conception, ils ont reçu dans leur être une orientation innée pour l’amour de
l’autre sexe.
Ce
que j’ai dit répond à cette question : dans la réalité, les effets de ce désir
sont souvent anarchiques puisqu’ils ne sont pas ordonnés par leur vraie cause.
Du coup, au plan d’une raison athée, le chercheur a beaucoup de mal à en
découvrir l’unité. Sans son principe d’intelligibilité, ce désir apparaît non
structuré, sans signification. Il peut être décrit par la raison seule comme le
prouve Feuerbach. Dans ce cas, il apparaît comme une velléité que l’individu
doit réprimer et canaliser car ennemie du bonheur puisque inaccessible. Par
contre, au plan sociologique, il apparaît comme le moteur de l’humanité qui la
pousse à aller toujours plus loin dans tous les domaines (conquêtes
géographiques, scientifiques, intellectuelles, croissance matérielle etc.).
L’humanité ne supporte pas de frontière.
Au
plan d’une philosophie réaliste, ouverte à la contemplation d’un Etre premier,
je me demande si quelqu’un de très perspicace ne pourrait pas en déduire un
certain soupçon sur le monde de l’au-delà en posant le principe suivant : Dieu,
qui a créé l’âme humaine, y aurait-il mis de tels désirs sans raison ?...
Par
la Révélation, ce désir prend tout son sens, de même qu’une puissance devient
connue par son acte : Comme dit saint Augustin : « Avant de te connaître je t’aimais », ce qui montre que cet appétit fondamental de l’âme s’exerce
sans objet conscient avant que le don de la foi ne vienne rendre explicite son
objet.
Ce
n’est que dans la Vision béatifique que la profondeur de ce désir sera connu
dans son acte, donc en plénitude. Sa partie suprême, celle qui concerne
l’esprit et la Vision de Dieu, apparaîtra alors non comme un désir infini
puisqu’elle trouve son siège dans une âme finie. Elle apparaîtra comme le désir
d’un être infini. Cet être (Dieu) la dépassera toujours et ce désir, pourtant
comblé, ne pourra en maîtriser la démesure de la Trinité. Sa partie seconde (la
glorification de la sensibilité et du corps), loin d’être une velléité,
deviendra la plus réaliste des réalités.
Ce
désir entre en acte dès que la vie spirituelle émerge, c’est-à-dire dans
l’enfance.
De
manière naturelle, ce désir s’actue de manière anarchique comme tout appétit
séparé de son objet. Livré à lui-même, sans être canalisé, il est source des
plus profondes maladies psychiques.
Mais,
comme un torrent, il peut être en partie canalisé dans les digues naturelles de
la recherche de biens terrestres. La recherche de l’amitié et d’une
contemplation de l’Etre premier donne un certain bonheur, selon Aristote. Celui
qui n’a pas la chance ou l’éducation pour entrer dans ces deux finalités risque
bien d’expérimenter ce qu’est la convoitise : à la recherche du bonheur, on
emplie sa vie de toujours plus de plaisirs, de richesses, de gloires, sans
jamais être rassasié, sans autre objet précis que la recherche d’un bonheur
toujours plus grand. C’est ce qui explique que le cœur de l’homme, même
lorsqu’il est objectivement comblé de tous les biens terrestres, est sans
repos.
De
manière surnaturelle, ce désir prend son sens. La foi en révèle la vraie nature
; la charité en fait toucher déjà l’objet ; l’espérance révèle que seule la
Vision béatifique le comblera et qu’en attendant, il faut vivre assoiffé sur
terre. Ce dernier point est important au plan spirituel pour ceux qui se
contenteraient de la vie chrétienne d’ici-bas : la vie terrestre reste une
vallée de larmes ; la vie de la grâce et l’eucharistie ne peuvent combler qu’en
partie ce désir ; seule la Vision béatifique et la glorification le pourra.
On
en revient ici à l’hypothèse des limbes des enfants morts sans baptême.
J’essaye
de m’imaginer cet état. L’hypothèse de saint Thomas montre que dans les limbes,
les enfants vivront ressuscités pour l’éternité d’un bonheur naturel et sans
souffrir de ne pas voir Dieu. L’esprit de ces enfants s’exercera puisqu’il
vivra d’une contemplation philosophique de Dieu, à travers ses effets selon les
trois modes qu’il décrit [par mode de causalité : « Dieu existe puisque ces réalités sont sorties du néant » ; par mode de négation : « Dieu est infini, à l’inverse de ces
créatures finies » ; par mode
d’éminence "Dieu est infiniment intelligent, bien plus que moi"].
Ces
enfants ne seront donc plus des enfants. Ce sont des adultes qui penseront et
aimeront. Leur corps sera ressuscité. Leur psychisme sera dans sa plénitude.
Ils pourront voir de leurs yeux les merveilles inouïes du monde nouveau. Ils
passeront leur éternité, séparés du monde des élus, avec leurs compagnons de
limbes, à visiter ces merveilles. Ca doit être fabuleux, une véritable
aventure…
La
question que je me pose est celle-ci : comment imaginer que l’inconscient
spirituel que les six articles précédent ont décrit puisse alors s’éteindre ?
Cela me paraît très contradictoire avec l’expérience de la nature humaine.
Saint Augustin dit dans ses confessions (je cite approximativement) : « Posséder toutes les merveilles du
monde, sans te posséder toi, la Source de tous les biens, c’est être indigent. » J’avoue que ces observations de
l’âme humaine me laissent dubitatives sur la possibilité d’une éternité
vraiment heureuse, sans désir, sans la Vision de Dieu. Mais Bouddha le montre,
le désir, c’est cause de la souffrance.
A propos de la nature de la vision béatifique, cinq
questions se posent :
1° Consiste-t-elle à voir[404] l’essence de Dieu ?
2° Par l’intermédiaire de l’humanité du
Christ ?
3° Comment une telle vision peut-elle se
réaliser ?
4° Consiste-t-elle à comprendre l’essence
divine tel que Dieu la comprend ?
5° Dans la vision béatifique, l’homme
devient-il Dieu ?
Objections :
1. Il ne semble pas. Saint Jean dit : « Personne n’a jamais vu Dieu »[405] et saint Jean Chrysostome affirme[406] que « même
les essences célestes (les chérubins et les séraphins eux-mêmes) ne pourront
jamais le voir tel qu’il est ».
Aux hommes est promise seulement l’égalité avec les anges : en saint Matthieu[407] : « ils seront comme des anges de Dieu dans le Ciel ». Donc les Saints eux-mêmes dans
la patrie céleste ne verront pas Dieu dans son essence.
2. Denys[408] montre que le moyen le plus parfait
pour notre intelligence d’être unie à Dieu, c’est d’adhérer à lui comme à
l’inconnu. Or une chose qui est vue en son essence n’est pas inconnue. Nous ne
verrons pas Dieu dans son essence[409].
3. Ce qui est vu à travers un intermédiaire
n’est pas vu dans son essence. Dieu, dans la patrie, sera vu par
l’intermédiaire de la lumière de gloire, comme dit le psalmiste : « Dans ta lumière nous verrons la
lumière »[410]. Il ne sera donc pas vu dans son
essence.
4. Dans la patrie, Dieu sera vu face à
face, selon saint Paul aux Corinthiens[411]. Quand nous voyons un homme face à
face, nous le voyons dans sa représentation imprimée en nous. Dieu, dans la
patrie, sera donc vu dans une représentation de lui, non en son essence.
5. Tout ce qui
est vu dans son essence, est connu selon ce qu’il est. Mais notre intelligence
ne peut pas savoir de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas,
comme disent Denys et saint Jean Damascène. Notre intelligence ne pourra donc
pas voir Dieu dans son essence.
Cependant :
Benoît XII, pape, écrit : « Les âmes saintes voient l’essence divine d’une vision intuitive
et même face à face sans aucune médiation ».[412]
Conclusion :
Pour comprendre la nature de la vision béatifique,
il faut voir qu’il peut exister plusieurs manières de contempler Dieu.
La
première peut être obtenue par les simples forces de l’intelligence humaine. Il
s’agit d’une contemplation naturelle. Dans un premier temps, l’intelligence
découvre la nécessité de l’existence d’un Être Premier. Par mode de causalité,
c’est-à-dire en s’appuyant sur le fait que tout effet a une cause, elle aboutit
à poser l’existence d’une cause Première qui n’a pas de cause. Dans un second
temps, elle peut arriver à manifester la manière d’être de cet Être Premier :
elle nie en lui toutes les potentialités que l’on constate dans les réalités de
ce monde. Dieu ne peut qu’être simple, parfait, bon, indépendant du lieu, du
temps, du mouvement. Il s’agit d’une contemplation par mode négatif. Elle
manifeste enfin que l’Être Premier, Dieu, doit posséder éminemment les
perfections des réalités de ce monde : Dieu ne peut qu’être éminemment bon,
amour, intelligence, puissance, vie et être. Il s’agit d’une contemplation par
mode d’éminence. Une telle contemplation philosophique atteint Dieu non en ce
qu’il est mais à travers ses effets c’est-à-dire à travers sa création.
Un
second mode de contemplation s’appuie sur les données révélées par la foi. Dieu
en effet a révélé par touches successives au cours de l’histoire des aspects de
son mystère. Ainsi, il dit à Moïse son nom « Je
SUIS celui qui est » ; En Jésus, il
révèle le secret de sa vie trinitaire. L’intelligence humaine en s’appuyant sur
ces données révélées, peut aboutir à une nouvelle contemplation de Dieu.
L’intelligence essaie de percer les mystères révélés en les éclairant par des
analogies propres et métaphoriques prises dans le monde d’ici-bas. Il s’agit
d’une contemplation théologique.
Un
troisième mode de contemplation peut être obtenu dès cette terre mais nécessite
le secours d’un don surajouté qu’on appelle la grâce sanctifiante[413]. L’Esprit Saint vient habiter dans
l’âme et lui révèle intimement par l’action des 7 dons fondés sur la charité
des aspects de son Mystère divin. Ainsi le psaume[414] chante : « Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon. » Il s’agit d’une contemplation
mystique. Là encore, Dieu est vu par l’intermédiaire d’images ou de concepts.
Il n’est donc pas vu face à face dans son essence. On distingue plusieurs
degrés de contemplation mystique en fonction des degrés d’intelligence infusés
par l’Esprit Saint.
La
vision béatifique, quant à elle, ne peut être comparée à aucune de ces trois
sagesses[415]. Comme dit saint Paul : « l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a
pas entendu, le cœur de l’homme n’a pas soupçonné ce que Dieu a préparé pour
ceux qui l’aiment »[416]. La vision béatifique consiste en la
vision de Dieu dans son essence, sans aucun intermédiaire créé.
Solutions :
1. Le texte cité peut être interprété de
trois manières, comme le dit Saint Augustin dans le livre de la vision de Dieu.
Ou bien il exclut la vision corporelle par laquelle personne n’a vu ni ne verra
l’essence divine ; ou bien il exclut la vision intellectuelle de Dieu dans son
essence pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle ; ou bien il exclut la
vision de compréhension[417] par une intelligence créée. Et c’est
ainsi que l’entend saint Jean Chrysostome. Il ajoute donc : « l’évangéliste parle ici de la
connaissance qui serait la contemplation tout à fait sûre et la compréhension
telle que le Père l’a du Fils ». C’est
bien aussi la pensée de l’évangéliste qui continue : « Le Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a fait
connaître », voulant nous prouver
d’une manière exhaustive que le Fils est Dieu.
2. Denys parle ici de la connaissance par
laquelle sur terre nous connaissons Dieu à travers une forme créée par notre
intelligence. Mais comme dit saint Augustin : « Dieu échappe à toute forme de notre esprit » parce que, quelle que soit la
forme conçue par notre esprit, elle n’atteint pas la notion de l’essence
divine. C’est pourquoi il ne peut être rejoint par notre intelligence. Mais
nous le connaissons très parfaitement dans notre condition de voyageurs si nous
savons qu’il est au-dessus de tout ce que notre intelligence peut concevoir :
et ainsi nous lui sommes unis comme à quelqu’un d’ignoré. Au contraire, dans la
patrie, nous le verrons par cette forme qu’est son essence, et nous lui serons
unis comme à quelqu’un de connu.
3. La lumière de gloire n’est pas un
intermédiaire dans lequel Dieu serait vu. Elle est plutôt une grâce donnée par
Dieu qui élève la puissance de notre intelligence afin de la rendre capable
d’être unie à la substance incréée. Elle ne se met pas entre le connaissant et
le connu mais elle est ce qui donne à celui qui connaît la puissance de
connaître.
4. On dit des
créatures corporelles qu’elles sont vues sans intermédiaire quand ce qui en
elle peut être uni au sens de la vue lui est uni en fait. Mais elles ne peuvent
pas être unies au sens de la vue dans leur essence à cause de leur matérialité.
Elles sont donc vues sans intermédiaire quand leur image est unie à la vue.
Mais Dieu est par essence capable d’être uni à l’intelligence. Il ne serait
donc pas immédiatement visible si son essence n’était pas unie à
l’intelligence. Et cette vision qui s’opère d’une manière immédiate, s’appelle
la vision de la face.
En
outre, l’image de la chose corporelle est reçue dans le sens de la vue telle
qu’elle est en réalité, quoique non selon la même manière d’être. Elle conduit
donc directement à cette chose. Aucune représentation ne peut conduire notre
esprit de cette manière jusqu’à Dieu.
5. Ces citations
et toutes celles qui leur sont semblables doivent s’entendre de la connaissance
que nous avons de Dieu sur terre, pour les raisons dites plus haut.
Objections :
1. L’Écriture Sainte l’affirme en de
nombreux passages : « Nul ne vient au
Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. »[418] À Philippe qui lui a demandé de voir le
père, Jésus répond : « Comment
peux-tu dire : montre nous le Père! Qui m’a vu a vu le Père. Ne crois-tu pas
que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? »[419]
2. L’Évangile de saint Jean rapporte la
parole suivante du Seigneur[420] : «
Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils a la
vie éternelle ; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie. » De ce texte il ressort que la
médiation du Christ est indispensable pour obtenir la vie éternelle qui n’est
autre que la Vision béatifique.
3. Affirmer que la Vision béatifique se
réalisera directement sans la médiation de l’humanité créée du Verbe c’est,
semble-t-il, ne pas tenir compte de la dignité et de la primauté du Christ
"par qui et pour qui tout a été créé au Ciel et sur la Terre"[421]. Cela réduit l’humanité du Verbe à
l’inutilité dans l’au-delà.
Cependant :
Le
pape Benoît XII a défini solennellement la foi catholique comme suit[422] : « Les
bienheureux voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face,
sans la médiation d’aucune créature qui serait objet de vision ». Or, selon que l’on considère sa
nature humaine, le Christ est une créature. Il ne peut donc sous ce rapport-là
être un intermédiaire de vision intellectuelle de l’essence divine. En
conséquence, la vision béatifique ne peut consister à voir Dieu à travers
l’humanité du Verbe.
Conclusion :
Considérée
en elle-même, la nature humaine du Verbe éternel est une créature et, par
conséquent, est soumise aux contingences essentielles de tout ce qui est créé.
Malgré sa perfection suprême et les prérogatives dont elle est revêtue dans la
gloire, elle ne devient pas la nature divine. Ainsi, dans la personne du Verbe
incarné, les deux natures sont unies pour former un seul être, mais sans
mélange ni confusion. En conséquence, lorsque l’intelligence contemple le
Mystère de Dieu en fixant son jugement sur l’humanité sainte du Christ, ce qui
spécifie son acte, c’est une nature créée. Appuyée sur cet objet de
connaissance, elle peut alors par l’analogie de la foi que la grâce de Dieu
illumine contempler comme dans un miroir, l’essence divine. Une telle
contemplation est notre lot d’ici-bas. Lorsqu’elle est produite principalement
par l’effort de notre intelligence, on l’appelle la sagesse théologique ;
Lorsqu’elle est produite avant tout par la motion divine à travers les dons du
Saint Esprit, on l’appelle la sagesse mystique. Elle peut atteindre des degrés
sublimes dans l’intelligence du mystère à cause de la qualité des grâces de
lumière communiquées par Dieu, que de la lumière sensible donnée par la
méditation de la vie de Jésus. Le sommet de ce genre de contemplation est
certainement celle qui fut offerte à saint Jean sur l’île de Patmos[423]. En voyant dans une extase le corps
glorifié du Christ, il comprit comme saint Paul "des paroles ineffables,
qu’il n’est pas permis à un homme de redire"[424]. Pourtant, malgré le caractère élevé de
cette grâce qui le laissa comme mort, il ne peut s’agir de la Vision béatifique.
Ce qui est contemplé directement est une nature créée, et par elle
indirectement comme dans l’éclat d’une image, l’Incréé. Or voir le créé, aussi
sublime soit-il, reste infiniment distant de la vision de l’Incréé. De tout
cela il ressort que l’acte contemplatif dans lequel consiste la Vision
béatifique ne peut avoir l’humanité sainte du Christ comme intermédiaire de
vision.
Solutions :
1. Tous les
textes semblables à celui-ci, si on les interprète en considérant qu’ils se
réfèrent au Christ selon son humanité concernent la manière dont nous devons
remonter au Père durant notre vie ici-bas. En effet, depuis le péché originel,
la nature humaine est ainsi blessée qu’il nous est impossible de progresser
durablement dans la vie surnaturelle sans nous appuyer sur la médiation du
Christ dans son humanité. Sainte Thérèse montre très bien cette nécessité dans
les sept demeures de son château intérieur. Ainsi, celui qui s’essaye à
contempler une personne divine en se séparant totalement de la contemplation
sensible de Jésus ne peut que sombrer tôt où tard dans un vide spirituel et,
par suite, dans la divagation de sa pensée. Au contraire, en revenant sans
cesse à l’Image que Dieu nous a donnés de lui-même, nous trouvons la voie qui
conduit à la vérité et à la vie. Dans la Vision béatifique, l’humanité du Verbe
n’est plus nécessaire si l’on considère ce point précis. En effet, la Trinité
réalise elle-même et sans intermédiaire la manifestation de son essence. Ainsi,
dans l’au-delà, loin de nous manifester les personnes divines, l’humanité
sainte du Verbe nous sera plutôt rendue manifeste par la vision directe que
nous aurons de ces personnes puisque ce qui est moins lumineux est rendu
visible par ce qui l’est plus.
Cependant,
ces textes de saint Jean peuvent trouver une autre interprétation si on les
considère comme se référant au Christ en tant qu’il est Dieu, c’est-à-dire au
Verbe éternel. Pris en ce sens, ce texte peut être appliqué par mode
d’appropriation à la Vision béatifique. En effet, il s’agit d’un acte de contemplation
dont le siège, nous le verrons, est spécifiquement l’intelligence, même si elle
s’origine dans l’amour de charité et s’achève en lui. Or on attribue
habituellement au Verbe tout ce qui a rapport en Dieu avec l’intelligence
puisqu’il procède du Père en tant qu’il se connaît lui-même. En ce sens, nous
connaîtrons le Père par le Verbe.
2. Nous avons montré que ce texte comme les
précédents se réfère au temps du pèlerinage vers la Vision béatifique. Mais
lorsque viendra le temps de la vision de Dieu, il en sera tout autrement selon
saint Paul :[425] « Puis ce sera la fin ; alors le
Christ remettra la royauté à Dieu le Père après avoir détruit toute
Principauté, Domination, Puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il
ait placé tous ses ennemis sous ses pieds (...). ; Alors le Fils se soumettra à
celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous. » Et ce mystère de l’effacement de
l’humanité du Verbe ne signifie pas qu’elle n’aura plus de place dans l’au-delà
mais seulement qu’elle ne sera plus la voie qui conduit à la vision de Dieu, le
temps de la voie étant terminé. Le Verbe incarné sera alors visible pour nous
directement en tant qu’il est la seconde personne de la Trinité et sera l’objet
de notre béatitude essentielle conjointement au Père et à l’Esprit Saint. C’est
ce que veut signifier métaphoriquement ce passage de l’Apocalypse[426] : «
La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la
gloire de Dieu l’a illuminée ». L’humanité du Verbe sera présente et vue
par nous mais ne constituera pas la raison première de notre béatitude. Elle
sera pour nous un bonheur de surcroît, en ce sens qu’en la voyant de nos yeux
de chair selon la parole de Job[427], elle sera source d’une extension
nouvelle de joie jusque dans notre sensibilité. C’est ce que signifie la suite
du texte de l’Apocalypse : « L’Agneau
lui tiendra lieu de flambeau »,
c’est-à-dire d’illumination surajoutée.
3. Pour
l’éternité, l’humanité du Verbe gardera le rang de premier :
1° Au plan de son être en premier lieu,
elle est et restera la nature humaine de Dieu.
2° Au plan des grâces dont elle est
revêtue, elle surpassera pour toujours toutes les autres créatures, brillant
dans le Ciel d’un éclat qui attirera tous les regards. Le corps glorieux du
Christ sera le centre du monde matériel refaçonné à la fin ; son âme ravira par
sa grâce tous les regards.
3° Le Christ dans son humanité gardera
pour toujours la primauté de la reconnaissance des élus car chaque homme sauvé
saura qu’il n’a pu parvenir à un tel bonheur que par sa médiation : « la grâce et la vérité nous sont
venues par Jésus-Christ ».[428]
4° Cependant, le Christ quant à son
humanité ne sera plus l’objet premier de la contemplation des élus puisque le
Christ selon sa divinité sera vu sans intermédiaire comme nous l’avons montré.
Un tel effacement ne nuira pas à la dignité du Christ puisque sa personne
restera le centre de toute vie surnaturelle, conjointement au Père et au Saint
Esprit, à cause cependant de sa nature divine.
Objections :
1. Il ne semble pas que la vision
béatifique soit réalisée par l’union directe de l’essence divine à
l’intelligence. En effet, puisque l’être intelligible perfectionne l’intelligence,
il doit y avoir proportion entre l’intelligible et l’intelligence, comme entre
le visible et la vue. Or il ne peut y avoir de proportion entre notre
intelligence et l’intelligence divine, puisqu’elles sont infiniment distantes.
L’essence divine ne peut donc être unie à notre intelligence comme son objet[430].
2. Dieu est plus distant de notre
intelligence que l’intelligible créé est distant du sens. La vision de la
créature spirituelle ne peut d’aucune manière être atteinte par le sens. Dieu
ne peut donc d’aucune manière s’unir à notre intelligence pour qu’elle le voie
dans son essence.
3. Selon Denys, « Dieu, l’Être, est quelqu’un d’invisible à cause de son excessive
clarté »[431]. Cette clarté qui est trop vive pour
l’intelligence de l’homme sur la terre, l’est aussi pour son intelligence dans
la patrie. Elle sera donc invisible dans la patrie comme pour l’homme en marche
sur terre parce qu’elle lui sera disproportionnée.
4. Tout infini
comme tel, est inconnu. Dieu est infini de toutes manières et donc tout à fait
inconnu et inconnaissable par une intelligence finie.
Cependant :
Le
pape Benoît XII écrit : « La divine
essence se manifeste immédiatement à nu, clairement et à découvert à
l’intelligence à travers une vision intuitive »[432].
Conclusion[433] :
Il
nous reste donc à rechercher comment Dieu peut rendre visible son essence à
l’intelligence humaine. Certains affirmèrent, comme Alpharabe et Avempace, que
par le fait même que notre intelligence connaît n’importe quel objet
intelligible, elle parvient à voir l’essence d’une substance séparée. Pour le
montrer, ils procèdent de deux manières. La première : de même que la nature de
l’espèce ne varie pas dans les divers individus, sauf en tant qu’elle est unie
aux principes d’individuation, de même, la forme intelligible connue ne varie
pas selon qu’elle est connue par tel ou tel, sauf en tant qu’elle est unie à
diverses formes imaginatives. C’est pourquoi quand l’intelligence sépare par
l’abstraction la forme intelligible des formes imaginatives, il reste la quiddité
intellectuelle, qui est une et identique dans les diverses intelligences qui la
connaissent. Et cela c’est la quiddité de la substance séparée. C’est pourquoi,
quand notre intelligence parvient à la totale abstraction de la quiddité
intelligible de n’importe quoi, elle connaît par là la quiddité de la substance
séparée, qui est semblable à elle-même.
La seconde manière de démonstration : notre
intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les êtres
intelligibles qui en ont une. Si donc la quiddité qu’elle abstrait de tel être
individué ayant une quiddité, est une quiddité qui n’a pas elle-même de
quiddité, en la connaissant, elle connaît la quiddité d’une substance séparée,
qui est ainsi disposée, puisque les substances séparées sont des quiddités
subsistantes, qui n’ont pas de quiddité ; car la quiddité de ce qui est simple
est le simple lui-même, comme dit Avicenne. Mais si la quiddité abstraite de
tel être sensible individué est une quiddité qui possède sa quiddité, alors
l’intelligence est apte à abstraire cette quiddité. Ainsi, puisqu’on ne peut
pas remonter à l’infini, on doit arriver à une quiddité qui n’a pas elle-même
de quiddité, c’est-à-dire une quiddité séparée.
Mais cette argumentation ne semble pas suffisante.
D’abord parce que la quiddité de la substance matérielle, que l’intelligence
abstrait, n’est pas de la même nature que les quiddités de substances séparées
: donc, du fait que notre intelligence abstrait les quiddités des choses
matérielles et les connaît, il ne suit pas qu’elle connaisse la quiddité de la
substance séparée, et surtout l’essence divine, qui est tout à fait d’une autre
nature que toute quiddité créée. Ensuite, parce que même en supposant qu’elle
soit de la même nature cependant en connaissant la quiddité d’une chose
composée, on ne connaîtrait pas celle de la substance séparée, sauf selon son
genre le plus éloigné, qui est la substance. Mais cette connaissance est
imparfaite tant qu’on ne parvient pas aux caractères propres de la chose. En
effet, celui qui connaît l’homme seulement en tant qu’il est animal ne le
connaît que relativement et en puissance. Et il le connaît bien moins encore
s’il ne connaît que la nature de la substance en lui-même. C’est pourquoi,
connaître ainsi Dieu ou les substances séparées, ce n’est point voir l’essence
divine ou la quiddité de la substance séparée : c’est seulement connaître par
les effets produits et comme dans un miroir.
C’est pourquoi Avicenne, dans ses Métaphysiques,
expose un autre moyen de connaître les substances séparées : celles-ci seraient
connues par nous à travers les intentions de leurs quiddités, qui seraient des
similitudes d’elles-mêmes, non pas abstraites d’elles-mêmes, puisqu’elles sont
immatérielles, mais imprimées par elles dans nos âmes. Mais ce nouveau mode de
connaître ne nous paraît pas non plus suffisant pour la vision divine que nous
recherchons. Il est en effet évident que « tout ce qui est reçu en quelque
chose est en elle selon la manière d’être de cette chose qui reçoit. » La
similitude de la divine essence imprimée dans notre intelligence serait donc en
elle selon le mode de notre esprit. Mais le mode de notre esprit est déficient
en regard de la parfaite réception de la similitude divine. Cette déficience à
l’égard de la parfaite similitude peut se produire avec autant de manières
qu’il y a de manières d’être dissemblables.
D’une manière, la similitude est déficiente quand la
forme est participée dans la même espèce, mais non d’une manière aussi parfaite
: comme si quelqu’un est seulement un peu blanc, tandis que l’autre l’est bien
plus. D’une autre manière, la similitude est encore plus déficiente quand les
deux êtres n’appartiennent pas à la même espèce, mais seulement au même genre :
comme seraient semblables celui qui a une couleur citron ou jaunâtre et celui
qui a la couleur blanche. D’une autre manière encore il y a davantage
déficience de similitude quand deux êtres n’appartiennent pas au même genre,
mais sont seulement analogues ou proportionnés : comme si on parle de
similitude entre la blancheur et l’homme parce que tous deux sont des êtres. Et
de cette manière, toute similitude entre une créature et la divine essence est
tout à fait déficiente. Pour que la vue connaisse la blancheur, il faut que la
représentation de la blancheur soit reçue en elle selon sa raison d’espèce,
bien que non selon le même mode d’être, car être une forme reçue dans un sens
ou bien être une chose existant en dehors de l’âme, ce sont deux modes d’être
fort différents. Si l’œil recevait la forme couleur citron, on ne dirait pas
qu’il voit la blancheur. De même pour que l’intelligence connaisse une
quiddité, il faut qu’elle reçoive une similitude selon la raison d’espèce, bien
que peut-être les deux n’aient pas le même mode d’être : en effet la forme qui
se trouve dans l’intelligence ou le sens n’est pas principe de connaissance
selon le mode d’être possédé par l’un et l’autre, mais selon la raison par
laquelle elle communique avec la chose extérieure. Il est ainsi évident que
Dieu ne peut être connu, de telle sorte que son essence serait vue
immédiatement, par aucune similitude reçue dans un esprit créé. C’est pourquoi
certains qui pensaient que l’essence divine pouvait être vue seulement de cette
manière, dirent que cette essence même ne sera pas vue, mais seulement une
sorte d’éclair, comme un rayon d’elle-même. Cette manière de connaître ne
suffit donc pas à atteindre la vision divine, que nous cherchons à expliquer.
Nous
devons donc considérer une autre manière que certains philosophes, Alexandre et
Averroès, ont proposée : en toute connaissance, il doit y avoir quelque forme
par laquelle la chose est connue ou est vue. La forme par laquelle
l’intelligence est perfectionnée pour voir les substances séparées ne serait
pas la quiddité que l’intelligence abstrait des choses composées, comme le
prétendait la première opinion. Ce ne serait pas non plus une impression
produite dans notre esprit par la substance séparée, comme disait la seconde
opinion : ce serait la substance, séparée elle-même qui s’unirait à notre intelligence
comme une forme, de telle sorte qu’elle serait à la fois ce qui est connu, et
ce par quoi on le connaît. Quoi qu’il en s oit des autres substances séparées,
nous devons accepter cette manière de connaître quand il s’agit de la vision de
Dieu en son essence ; car toute autre forme qui informerait notre intelligence
ne pourrait pas la conduire à l’essence divine.
Nous ne devons pas entendre cela en ce sens que
l’essence divine serait la vraie forme de notre intelligence ou que par l’union
entre elle et notre intelligence serait formée quelque chose d’un absolument
comme dans les choses naturelles résultant de l’union de la forme et de la
matière ; mais en ce sens que le rapport entre l’essence divine et notre
intelligence est comparable au rapport entre la forme et la matière. Chaque
fois en effet que deux choses dont l’une est plus parfaite que l’autre sont
reçues dans le même réceptacle, le rapport de l’une à l’autre est analogue au
rapport de la forme à la matière : ainsi la lumière et la couleur sont reçues
dans le diaphane, et la lumière est par rapport à la couleur comme la forme par
rapport à la matière. De même, quand l’âme reçoit la lumière intellective et
l’essence divine elle-même, qui l’habite, bien que ce ne soit point de la même
manière, l’essence divine est par rapport à l’intelligence comme la forme par
rapport à la matière. Et l’on peut prouver de la façon suivante que cela suffit
pour que l’intelligence puisse voir l’essence divine elle-même à travers cette
même essence divine : de même que par l’union de la forme naturelle, de
laquelle une chose reçoit l’être, et de la matière, il se forme un seul être
unique, ainsi par l’union de la forme par laquelle l’intelligence connaît, et
de l’intelligence elle-même, il se forme un seul être dans celui qui connaît.
Dans
les choses naturelles, une chose subsistante en soi ne peut pas devenir la
forme d’une matière, si cette chose possède déjà de la matière qui fait partie
d’elle, car une matière ne peut pas devenir la forme de quelque chose. Mais si
cette chose subsistante en elle-même est seulement une forme, rien n’empêche
qu’elle devienne la forme de quelque matière et qu’elle devienne ce par quoi
existe un composé : comme cela se produit pour l’âme humaine. Dans
l’intelligence, nous devrons considérer l’intelligence elle-même étant en
puissance comme une sorte de matière tandis que l’espèce intelligible est la
forme. Quand l’intelligence connaît en acte, elle est comme un composé des
deux. Donc, s’il y a une chose subsistante par elle-même qui n’a pas en soi
autre chose que d’être intelligible en elle-même, cette chose pourra par
elle-même être la forme par laquelle l’intelligence connaît. Une chose est
intelligible en tant qu’elle est en acte, non en tant qu’elle est en puissance.
Nous en voyons un signe dans ce fait que la forme intelligible doit être
abstraite de la matière et de toutes ses propriétés. C’est pourquoi, puisque
l’essence divine est acte pur, elle pourra être la forme par laquelle
l’intelligence connaît : telle sera la vision béatifiante. Aussi Aristote
dit-il que l’union entre l’âme et le corps est "un exemple de l’union
bienheureuse par laquelle l’esprit est uni à Dieu"
Solutions :
1. Il ne peut y avoir de proportion entre
le fini et l’infini, puisque l’infini dépasse le fini d’une manière absolument
indéterminée. Mais il peut y avoir entre eux une certaine proportion dans le
sens d’une similitude de leurs proportions : car de même que le fini est égal à
tel autre fini, ainsi l’infini est égal à l’infini. Pour qu’une chose soit totalement
connue, il faut parfois qu’il y ait une proportion entre le connaissant et le
connu, puisque la puissance du connaissant doit égaler la possibilité d’être
connu de la chose connue : cette égalité constitue une certaine proportion.
Mais parfois la cognoscibilité de la chose dépasse la puissance de celui qui
connaît : comme quand nous connaissons Dieu ou au contraire quand Dieu connaît
les créatures. Et alors il ne doit pas y avoir une proportion entre le
connaissant et le connu mais seulement une certaine proportionnalité :
c’est-à-dire que celui qui connaît soit par rapport à ce qui doit être connu
comme le connaissable par rapport à ce qui est connu. Et cette proportionnalité
suffit pour que l’infini soit connu par le fini, et vice versa. On pourrait
dire aussi que la proportion, selon la signification propre de ce mot, indique
un rapport de quantité à quantité, selon un certain dépassement déterminé ou
bien une égalité. Mais on peut l’étendre pour signifier toute relation d’une
chose avec une autre. C’est ainsi que nous disons que la matière doit être
proportionnée à la forme. De cette manière, rien n’empêche que notre
intelligence, bien que finie, soit proportionnée à la vision de l’essence
infinie, non cependant en la saisissant totalement, à cause de son immensité.
2. Il y a deux sortes de similitudes ou de
distances entre les choses. La première est considérée selon leurs natures : et
ainsi Dieu est plus distant de l’intelligence créée que l’être intelligible
créé est distant du sens. La seconde est considérée selon la proportionnalité :
ici, c’est le contraire, car le sens n’est pas proportionné pour connaître
quelque chose d’immatériel comme l’intelligence l’est pour connaître n’importe
quel être immatériel. Cette seconde similitude est requise pour connaître, non
la première : car il est évident que l’intelligence qui connaît une pierre ne
lui est point semblable en son état naturel, de même que l’œil voit du miel
rougeâtre et du fiel rougeâtre, bien qu’il ne saisisse pas la douceur du miel.
La rougeur du fiel se compare mieux avec le miel en tant que visible, que la
douceur du miel avec le miel en tant que visible.
3. La clarté de Dieu, bien qu’elle dépasse
toutes les formes par lesquelles notre esprit est informé ici-bas, ne dépasse
pas l’essence divine elle-même, qui sera comme la forme de notre esprit dans la
patrie. C’est pourquoi, bien qu’elle soit maintenant invisible, elle ne le sera
plus alors.
4. L’infini
considéré au sens privatif (ou indéfini) est inconnaissable, en tant que tel,
puisqu’il est privé de ce complément de détermination d’où vient la
connaissance d’une chose. Il se réduit à la manière d’être de la matière qui
serait privée de toute détermination, comme dit Aristote dans les Physiques.
Mais l’infini pris dans le sens seulement négatif signifie l’absence de matière
qui le limite. Tel est l’infini de Dieu, infini déterminé et connaissable.
Objections :
1. Cela semble nécessaire. Tout ce qui
existe d’une manière et est vu d’une autre manière, n’est pas vu tel qu’il est.
Ainsi, si Dieu est vu par les saints d’une autre manière que ce qu’il est
vraiment, on ne pourra pas parler d’une véritable vision de l’essence divine.
Il ne sera pas vu par eux selon ce qu’il est.
2. La compréhension est nécessaire à la
vision béatifique. En effet, comprendre signifie seulement posséder un objet
dans sa connaissance.
Cependant :
Dieu est infini et il dépasse les capacités de
l’intelligence humaine. Il est donc impossible à l’homme de voir Dieu tel qu’il
se voit lui-même.
Conclusion :
De
même que Dieu dépasse par son essence infinie toutes les choses existantes qui
ont une essence limitée, de même la connaissance qu’il a de lui-même est au
dessus de toute connaissance. Le rapport de notre connaissance avec notre
essence créée est comme le rapport de la connaissance divine avec son essence
infinie. Dans toute connaissance, il y a trois choses à considérer : ce qui est
connu ; ce par quoi nous connaissons ; celui qui connaît 1° Dans la vision béatifique, l’homme verra la même chose que Dieu
à considérer ce qui est connu puisque c’est Dieu lui-même qui sera vu, comme
nous l’avons montré. 2° De même,
considérer ce par quoi il est vu, nous serons semblables à Dieu car nous le
verrons dans son essence comme il se voit dans son essence. 3° Mais du côté du connaissant, il y a
une différence : celle qui existe entre l’intelligence divine et la nôtre.
L’intensité de la connaissance dans celui qui connaît dépend de la puissance de
celui-ci : celui qui a une vue plus forte voit plus nettement. En conclusion,
on doit dire que l’homme verra réellement Dieu dans son essence mais selon la
possibilité limitée de son intelligence créée ; Nous montrerons que cette
potentialité sera mesurée en chacun par l’intensité du désir de sa charité et
non selon la puissance naturelle de l’intelligence elle-même, d’où le scandale
des anges déchus dont l’intelligence est incomparablement plus vigoureuse que
celle des hommes. L’homme ne comprendra donc pas Dieu tel qu’il se comprend[435].
Solutions :
1. Dans la patrie, Dieu sera vu par les
saints tel qu’il est, si nous parlons de celui-là même qui est vu ; les saints
le verront de la manière qu’il est lui-même. Mais si nous parlons de celui qui
le connaît, alors il ne sera pas vu tel qu’il est parce que l’esprit créé
n’aura pas une capacité suffisante pour le voir, en comparaison de la
possibilité que l’essence divine possède en elle-même d’être connue. Sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus explique ce fait par une analogie : l’essence divine
est comme un vin précieux. De même que le vin peut remplir en plénitude un
petit verre et un grand verre, mais seulement selon la capacité de chacun, de
même la vision béatifique sera donnée à chacun selon le degré de son désir de
Dieu. Mais c’est le même vin qui remplit les deux verres, de même que c’est la
même essence de Dieu.
2. Le mot
compréhension peut être entendu de deux manières. Il peut signifier une
inclusion de ce qui est compris dans celui qui le comprend, et dans ce cas ce
qui est compris par un être fini est fini, de telle sorte que Dieu, en ce sens,
ne peut être compris par l’intellect d’aucune créature. En second lieu,
comprendre peut signifier simplement tenir dans ses prises l’objet qui
désormais est possédé et rendu présent. Ainsi un homme qui en poursuit un autre
est dit l’appréhender quand une fois il le tient, et c’est ce genre de
compréhension qui est requis pour la béatitude.
Objections :
1. « Dans les choses séparées de la matière,
dit Aristote, l’intelligence et son objet ne sont qu’un »[436]. Mais Dieu est absolument séparé de
toute matière. Si donc l’intelligence créée voit Dieu dans son essence, c’est
qu’elle devient cette essence même de Dieu.
2. Le Christ est
non seulement l’image de Dieu mais aussi la préfiguration de ce que nous serons
dans l’au-delà. Or l’humanité du Christ n’est pas seulement unie à Dieu par une
amitié. Elle est unie dans sa substance au point de former avec Dieu une seule
personne. Il semble donc que lorsque les effets de la Rédemption seront donnés
en plénitude, les hommes deviendront Dieu de la même manière que Jésus est
Dieu.
Cependant :
Si
dans la Vision béatifique, l’homme devenait Dieu, il serait détruit dans son
être substantiel. Ce qui s’oppose à l’Écriture qui parle des saints comme
d’êtres différents de Dieu : « les
serviteurs de Dieu règneront pour les siècles des siècles ».[437]
Conclusion :
Dans
la vision que l’homme aura de Dieu, l’essence divine sera elle-même la forme
par laquelle l’intelligence humaine connaîtra. Il n’est pas nécessaire qu’elle
devienne une seule chose avec l’essence divine c’est à dire qu’elle devienne
l’être de Dieu, mais seulement que l’une et l’autre deviennent une seule chose
dans l’acte de connaître. C’est cette unité réalisée par la connaissance que
veut exprimer saint Jean lorsqu’il dit[438] "Nous serons semblables à lui car
nous le verrons tel qu’il est." Dans la Vision béatifique, l’âme deviendra
déiforme car elle vivra de la vie même de Dieu. Son opération sera simple,
parfaite, bonne à l’image de la simplicité, perfection et bonté de sa Cause. De
même, la Trinité des personnes divines imprimera son caractère à l’opération
contemplative de l’esprit humain. Mais cette transformation n’ira pas jusqu’à
atteindre la substance, c’est-à-dire à faire de l’homme Dieu lui-même.
Solutions :
1. La substance séparée de la matière se
connaît et connaît les autres choses : et dans les deux cas, nous pouvons
constater la vérité du texte cité. En effet, puisque l’essence même de la
substance séparée est intelligible par elle-même et est en acte en tant que
séparée de la matière, il est évident que quand la substance séparée se connaît
elle-même, le connaissant et le connu sont tout à fait la même chose. Car elle
ne se connaît pas elle-même à travers quelque intention abstraite d’elle-même,
comme nous connaissons les choses matérielles. Telle semble être la pensée d’Aristote.
Mais
en tant que la substance séparée connaît d’autres choses, ce qui est connu en
acte devient une même chose avec ce qui connaît en acte, en tant que la forme
du connu devient forme de l’intelligence, comme le prouve Avicenne. Car
l’essence de l’intelligence demeure une sous de multiples formes, en tant
qu’elle connaît plusieurs choses successivement, comme la matière première
demeure unique sous diverses formes. C’est pourquoi le Commentateur compare
l’intellect possible dans ce cas à la matière première. Et ainsi, il ne
s’ensuit nullement que notre intelligence devienne l’essence divine elle-même,
mais qu’elle est comparée à elle comme à sa perfection et à sa forme.
2. Il y a une
grande différence entre le Christ qui est Fils de Dieu par nature et nous qui
le sommes par adoption. Ainsi le Christ n’est pas une personne humaine mais il
est la deuxième personne de la Trinité unie substantiellement à une nature
humaine. Au contraire les hommes sont à part entière et substantiellement des
créatures. L’individuation de leur être est une des perfections données par
Dieu. Leur fusion en Dieu serait une perte de cette perfection.
A ce sujet, trois questions se posent :
1° L’homme peut-il par ses propres forces arriver
à voir Dieu ?
2° L’homme acquiert-il la vision
béatifique par l’action d’une créature supérieure ?
3° Est-ce Dieu qui réalise en l’homme la
manifestation de son essence ?
Objections :
1. La nature ne fait pas défaut dans les
choses nécessaires, comme il est dit dans le livre de l’âme. Or rien n’est plus
nécessaire à l’homme que ce par quoi il obtient sa fin dernière. Donc cela ne
fait pas défaut à la nature humaine, et par conséquent l’homme peut acquérir la
vision béatifique par ses forces naturelles.
2. Au surplus, l’homme étant supérieur aux
créatures privées de raison doit pouvoir mieux qu’elles se suffire à lui-même.
Or ces créatures peuvent parvenir à leurs fins par leurs forces naturelles,
donc l’homme, à plus forte raison, peut de la même manière acquérir la vision
béatifique.
3. En outre, la
vision béatifique est une opération parfaite. Or il appartient à la même cause
de commencer et de parfaire. Donc puisque l’opération imparfaite qui est au
point de départ de l’activité humaine est soumise au pouvoir naturel de
l’homme, par quoi il est maître de ses actes, il semble que par le même pouvoir
naturel l’homme puisse parvenir à l’opération parfaite qui est la vision de
l’essence divine.
Cependant :
C’est
par son intelligence et sa volonté que l’homme est naturellement le principe de
ses actes. Or la dernière béatitude promise aux saints dépasse l’intelligence
et la volonté de l’homme, ce qui fait dire à l’apôtre[439] : « l’œil de l’homme n’a point vu,
son oreille n’a point entendu et jamais n’est monté jusqu’à son cœur ce que
Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. » Donc l’homme, par ses forces
naturelles, ne peut acquérir la béatitude.
Conclusion :
Voir
Dieu dans son essence dépasse non seulement la nature de l’homme mais celle de
toute créature comme nous l’avons montré. En effet, la connaissance naturelle
de chaque créature est conforme à la modalité de sa substance, ce qui a fait
dire de l’intelligence dans le livre des causes, qu’ « elle connaît ce qui est au dessus d’elle et ce qui est au
dessous d’elle selon le mode de sa substance ».
Mais toute connaissance réduite au mode de la substance créée est en défaut
quant à la vision de la divine essence, puisque celle-ci dépasse infiniment
toute substance créée. Donc l’homme ni aucune créature ne peut voir Dieu par
ses seules forces naturelles.
Solutions :
1. De même que la nature ne fait pas défaut
à l’homme quant au nécessaire, bien qu’elle ne l’ait pas pourvu d’armes et de
vêtements comme elle l’a fait pour les autres animaux, puisque, en revanche,
elle lui a donné une raison et des mains qui lui permettent d’acquérir ces
choses ; de même la nature ne fait pas défaut à l’homme dans les choses
nécessaires en ne lui donnant pas le moyen d’acquérir par lui-même la
béatitude, car cela était impossible ; mais elle lui a donné le libre arbitre,
par lequel il peut se tourner vers Dieu qui, lui, le fera heureux, et le
Philosophe nous dit : « Ce que nous
pouvons par nos amis, c’est par nous-mêmes, en quelque sorte, que nous le
pouvons. »
2. La supériorité de l’homme sur les
créatures sans raison n’est pas compromise de ce fait ; car une nature qui peut
acquérir le bien parfait, quoique ayant besoin pour cela d’un secours
extérieur, est d’une condition supérieure à celle de la nature qui ne peut pas
acquérir ce bien parfait, mais qui en acquiert un imparfait, n’ayant besoin
pour cela d’aucun secours étranger. Ainsi raisonne le Philosophe. Par exemple,
celui-là est dans de meilleures dispositions par rapport à la santé qui peut
obtenir une santé parfaite, bien que ce soit par le secours de l’art, que celui
qui peut obtenir sans ce secours une santé imparfaite. Voilà pourquoi la
créature raisonnable, pouvant conquérir le bien parfait de la béatitude, tout
en ayant besoin pour cela du secours divin, est supérieure à la créature privée
de raison, qui n’est pas capable d’un tel bien, mais peut acquérir un bien
imparfait par les seules forces de sa nature.
3. On veut que le
bien imparfait et le bien parfait qui est la béatitude procèdent de la même
cause. Mais l’imparfait et le parfait ne procèdent du même pouvoir que s’ils
sont de même espèce ; cela ne s’impose plus quand ils sont d’espèce différente.
En effet, tout ce qui peut disposer une matière n’est pas apte à procurer
l’ultime perfection du travail. Or l’action imparfaite qui est au pouvoir
naturel de l’homme n’est pas de la même espèce que l’opération parfaite en
laquelle consiste la béatitude, puisque c’est l’objet qui détermine l’espèce de
l’opération. Cet argument n’a donc pas de valeur.
Objections :
1. Il semble que l’homme puisse être rendu
heureux par l’action d’une créature supérieure, à savoir l’ange. En effet, il
existe deux sortes d’ordre dans les choses : un ordre qui relie entre elles les
diverses parties de l’univers, et un ordre qui rattache par un juste rapport tout
l’univers à un bien qui lui est extérieur. Le premier de ces ordres dépend du
second comme de sa fin, ainsi que le dit Aristote dans la Métaphysique, de la
même manière que l’ordre des éléments d’une armée a pour fin le rapport de
l’armée elle-même à l’égard du chef. Or l’ordre des parties de l’univers
s’obtient par l’action des créatures supérieures à l’égard des créatures
inférieures comme nous l’avons dit dans la Première Partie et la béatitude
consiste dans le juste rapport de l’homme au bien qui est extérieur à
l’univers, à savoir Dieu. Donc c’est par l’action d’une créature supérieure,
l’ange, que l’homme atteint à sa béatitude.
2. En outre, ce qui est tel en puissance
peut être amené à l’acte par ce qui est lui-même tel en acte et par exemple ce
qui est chaud en puissance devient chaud en acte par l’action de ce qui est
lui-même chaud en acte. Or l’homme a la béatitude en puissance : donc il peut
être rendu heureux en acte par l’ange qui est lui-même actuellement heureux.
3. Au surplus, la
béatitude consiste, nous l’avons dit, dans une opération de l’intellect. Or
nous avons dit également, dans la Première Partie, que l’ange peut éclairer
l’intellect de l’homme : donc l’ange peut rendre l’homme heureux.
Cependant :
On
lit dans le psaume 83 : « C’est Dieu
qui donne la grâce et la gloire. »
Conclusion :
Toute créature, du fait qu’elle a une vertu et une
action finie, est soumise aux lois de la nature, et ce qui est au-dessus de la
nature ne peut donc pas être réalisé par la vertu d’une créature quelconque. Si
donc quelque chose doit être réalisé qui dépasse la nature, cela est fait par
Dieu sans intermédiaire, comme par exemple la résurrection d’un mort, le retour
d’un aveugle à la vue, et autres faits du même genre. Or nous avons montré que
la béatitude est un bien supérieur à toute nature créée. II est donc impossible
que la béatitude soit procurée à l’homme par l’action d’une créature. C’est par
l’action de Dieu seul que l’homme est rendu heureux, à parler de la béatitude
parfaite. S’agit-il de la béatitude imparfaite, il en est d’elle comme de la
vertu, dans l’exercice de laquelle cette béatitude consiste.
Solutions :
1. La considération de l’ordre du monde ne
peut que confirmer notre conclusion car ce qui arrive le plus souvent, quand
des puissances actives sont ordonnées entre elles, c’est qu’il appartienne à la
puissance la plus élevée de conduire l’objet commun à sa dernière fin, alors
que les puissances inférieures aident à ce résultat en créant les dispositions
favorables. Ainsi l’art de la navigation, qui préside à l’art des constructions
navales a la charge d’utiliser le navire qui n’a été construit qu’à cet effet.
Ainsi, dans l’ordre universel, l’homme est aidé par les anges à atteindre sa
fin dernière quant à certaines conditions qui l’y préparent mais la fin
dernière elle-même est obtenue par l’action du premier agent, qui est Dieu.
2. En ce qui concerne la communication de
l’acte par un agent en acte, on n’a pas suffisamment précisé. Quand une forme
existe en acte dans un sujet selon son être parfait et naturel, cette forme
peut être un principe d’action à l’égard d’un autre sujet : ainsi un corps
chaud échauffe grâce à sa chaleur Mais si la forme n’existe dans le sujet
qu’imparfaitement et non pas selon son être naturel, elle ne peut être un
principe de communication au profit d’un autre. Ainsi la représentation de la
couleur, dans l’œil, n’a pas le pouvoir de blanchir. Au surplus, il n’est pas
vrai que tout ce qui est clair ou chaud puisse éclairer ou échauffer autre
chose de cette façon. En effet l’éclairement ou l’échauffement se
perpétueraient à l’infini. Or la lumière de gloire, par laquelle on voit Dieu,
est bien en Dieu d’une manière parfaite et selon son être naturel ; mais dans
une créature, elle n’existe qu’imparfaitement, par ressemblance ou
participation. De là vient qu’une créature heureuse ne peut pas communiquer sa
béatitude à une autre.
3. Enfin il est
très vrai que l’ange, du sein de la béatitude, peut éclairer l’intellect de
l’homme et aussi celui d’un ange inférieur en ce qui concerne certains aspects
des œuvres divines ; mais non pas quant à la vision de la divine essence, comme
nous l’avons montré dans la Première Partie. Pour cette vision, tous sont
immédiatement illuminés par Dieu.
Objections :
1. Il est dit en Ssint Jean[442] : «
La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. » Or ce nom de Jésus- Christ ne désigne pas seulement la nature
divine qui s’est unie la nature humaine, mais encore cette nature humaine créée
par Dieu. Donc la gloire céleste qui est une grâce divine peut être donnée par
une créature.
2. Denys dans sa
hiérarchie céleste, affirme que les anges purifient, illuminent et
perfectionnent les anges inférieurs et aussi les hommes. Mais la vision
béatifique est le don par excellence par lequel la créature raisonnable peut
être purifiée, illuminée et perfectionnée. Donc Dieu n’est pas le seul à donner
la gloire de la vision béatifique.
Cependant :
Il
est dit dans le psaume[443] : «
C’est le Seigneur qui vous donnera la grâce et la gloire. »
Conclusion :
Aucun agent ne peut produire un résultat qui sorte
des limites de son espèce, car il faut toujours que la cause soit supérieure à
l’effet. Or le don de la gloire surpasse la puissance de toute nature créée
puisque la gloire est la participation à la nature divine, laquelle surpasse
toute nature. C’est pourquoi aucune créature ne saurait être cause de la vision
béatifique en une autre créature. Dieu seul peut déifier des êtres en leur
communiquant son essence ; de même que seul le feu peut mettre un corps en état
de combustion.
Solutions :
1. L’humanité du Christ est, selon
l’expression de Ssint Jean Damascène, « une sorte d’instrument de sa
divinité »[444]. Or ce n’est pas par son propre pouvoir
que l’instrument réalise l’action de l’agent principal, c’est par la vertu de
cet agent. Ce n’est donc pas par sa propre puissance que l’humanité du Christ
introduira l’homme dans la Vision béatifique, mais par la vertu même de la
divinité à laquelle elle est jointe et qui donne aux œuvres de l’humanité du
Christ leur valeur de salut.
2. Si l’ange purifie, illumine et
perfectionne un autre ange et même l’homme, c’est en l’instruisant d’une
certaine manière, mais non en lui communiquant la vision de l’essence divine.
Aussi bien Denys lui-même dit-il que « cette purification, cette
illumination et ce perfectionnement ne sont pas autre chose qu’une réception de
la science divine. »
A propos de ce sujet, deux questions se posent :
1° Le siège de la vision béatifique est-il
l’intelligence ou la volonté ?
2° Les saints après la résurrection,
verront-ils Dieu avec les yeux du corps ?
Objections :
1. II semble que la béatitude consiste en
un acte de la volonté. En effet, saint Augustin écrit : « La béatitude de l’homme consiste dans la paix », selon ces mots du psaume : «
Il a fait de tes frontières un séjour de paix ». Or la paix s’établit dans la volonté.
2. La béatitude est aussi un souverain
bien. Or le bien est du ressort de la volonté.
3. N’est-ce pas du reste au premier moteur
que doit correspondre l’ultime fin, de même que la victoire, fin dernière de
toute l’armée, est la fin du chef qui meut l’armée tout entière ? Or le premier
moteur de toute opération est en nous la volonté car c’est elle qui actionne
nos autres facultés ainsi que nous le dirons par la suite. Donc la béatitude
appartient à la volonté.
4. Au surplus, supposé que la béatitude
soit une opération, ce doit être l’opération humaine la plus noble. Or l’amour
de Dieu, qui est un acte de la volonté, est plus noble que la connaissance,
opération intellectuelle. C’est ce que proclame l’Apôtre dans sa première
épître aux Corinthiens.
5. Enfin, nous trouvons dans saint Augustin
ces paroles : « Celui-là est heureux
qui a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal ». Et peu après : « Celui-là
est proche d’être heureux qui veut selon le bien tout ce qu’il veut ; car ce
sont des biens qui rendent heureux, et de ces biens un tel homme a déjà une
part, qui est sa propre bonne volonté ».
C’est donc que la béatitude consiste en un acte de volonté.
Cependant :
Le
Seigneur dit : « La vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi, seul vrai Dieu ». Or la vie éternelle est notre dernière fin, comme nous
l’avons dit. Donc la béatitude de l’homme consiste dans la connaissance de
Dieu, qui est un acte intellectuel. Donc le siège de la Vision béatifique est
l’intelligence.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, deux choses
sont requises pour la béatitude : l’une qui est son essence même, l’autre qui
est en quelque sorte son propre accident, à savoir la délectation qui s’y ajoute.
Je dis donc qu’en ce qui concerne l’essence même de la béatitude, il est
impossible qu’elle consiste en un acte de volonté. Il est clair en effet,
d’après ce qui précède, que la béatitude est l’entrée en possession de notre
fin dernière. Or l’entrée en possession de la fin ne consiste pas dans un acte
de volonté. Car la volonté se porte vers la fin soit absente, alors qu’elle la
désire, soit présente, lorsque s’y reposant, elle en jouit. Or il est évident
que le désir de la fin n’en est pas l’acquisition, mais un mouvement vers elle.
La jouissance, à son tour, vient à la volonté de ce que la fin lui est
présente, et on ne peut dire, à l’inverse, que quelque chose soit rendu présent
du fait que la volonté en jouit. Il faut donc qu’il y ait quelque chose d’autre,
en dehors de l’acte de la volonté, par quoi la fin même soit rendue présente à
celui qui veut.
Cela
apparaît clairement quand on l’applique à des fins sensibles Si l’on pouvait
acquérir de l’argent par un acte de volonté, l’avare serait en possession de
cet argent dès le moment où il le désire. Mais au départ l’argent lui manque,
il l’acquiert en y portant la main ou par quelque autre geste, et désormais il
se délecte en l’argent possédé. Ainsi en est-il en ce qui concerne notre fin
intelligible. Au départ, nous voulons obtenir cette fin intelligible ; nous
l’obtenons du fait qu’elle nous devient présente par un acte intellectuel, et
dès lors notre volonté, mise en état de jouissance se repose dans son union
avec la fin cette fois possédée.
Ainsi,
l’essence de la béatitude consiste en un acte intellectuel ; mais à la volonté
appartient la délectation afférente à la béatitude, ce qui fait que saint
Augustin définit la béatitude : « la
joie de la vérité », parce que la
joie est la consommation de la béatitude.
Solutions :
1. Assurément la paix a rapport à la fin
dernière de l’homme ; mais elle n’en est pas l’essence ; elle n’est à son égard
qu’un antécédent et une conséquence. Un antécédent en ce que par elle, tout
élément perturbateur et tout obstacle sont écartés du chemin de la béatitude.
Une conséquence, parce que désormais l’homme en possession de sa dernière fin
demeure apaisé, son désir ayant trouvé le repos.
2. On argue de l’objet de la volonté. Mais
le premier objet de la volonté n’est pas son acte à elle comme le premier objet
de la vue n’est pas la vision mais le visible. Ainsi, de cela même que la
béatitude concerne la volonté comme son premier objet, il résulte qu’elle ne se
confond pas avec son acte même.
3. II est très vrai que la fin dernière
doit correspondre au premier principe, et si la fin est appréhendée d’abord par
l’intelligence, le mouvement vers la fin s’inaugure en effet dans la volonté.
Mais c’est précisément pour cela que nous attribuons à la volonté ce qui
résulte en dernier de l’acquisition de la fin, à savoir la délectation ou la
jouissance.
4. On plaide pour le primat de la volonté,
et assurément l’amour surpasse la connaissance là où il s’agit d’imprimer le
mouvement. Mais la connaissance précède l’amour quant au fait d’atteindre ; car
ainsi que l’observe saint Augustin, on n’aime que ce qui est déjà connu. Pour
cette raison, nous atteignons d’abord notre fin intelligible par une action de
l’intellect, de même que c’est par les sens que nous atteignons d’abord une fin
de l’ordre sensible.
5. Ce que dit le
texte invoqué dans la dernière objection ne nous contredit pas. Celui qui a
tout ce qu’il veut est heureux du fait même qu’il a ce qu’il veut ; Mais s’il
l’a, c’est par tout autre chose qu’un acte de volonté. Quant à ne vouloir rien
de mal, c’est là une prédisposition nécessaire à la béatitude même. Enfin la
bonne volonté est placée par saint Augustin au rang des biens qui nous rendent
heureux, en ce sens qu’elle est une sorte d’inclination vers ces biens. C’est
ainsi que le mouvement rentre dans le genre auquel appartient son terme et
l’altération dans le genre de la qualité qui en sera le résultat.
Objections :
1. Il semble que oui. L’œil glorifié aura
une puissance plus grande que celle de tout œil non glorifié. Or le bienheureux
Job a vu Dieu de ses yeux : « Je t’ai
entendu par mon oreille, et maintenant mon œil te voit. » À bien plus forte raison l’œil glorifié pourra-t-il voir Dieu en
son essence.
2. Job dit : « Dans ma chair, je verrai Dieu mon Sauveur. » Dans la patrie, on verra donc Dieu, des yeux du corps.
3. Parlant de la vue qu’auront les yeux
glorifiés, saint Augustin s’exprime ainsi : «
Leurs yeux posséderont une force toute-puissante, non pour qu’ils voient
d’un regard plus perçant comme celui qu’on attribue aux serpents ou aux aigles
: quelle que soit la pénétration de vision de ces animaux, ils ne peuvent voir
rien d’autre que les corps. Mais les yeux glorifiés verront même les choses
incorporelles. » Toute puissance
capable de voir les choses incorporelles peut être élevée jusqu’à la vision de
Dieu. Les yeux glorifiés pourront donc le voir.
4. La différence entre les choses
corporelles et les incorporelles est la même qu’entre celles-ci et les
premières. Or l’œil incorporel peut voir les choses corporelles. Donc l’œil
corporel peut voir les choses incorporelles : donc, même conclusion que plus
haut.
5. Saint Grégoire dit : « L’homme qui, s’il avait observé les
préceptes, serait devenu spirituel jusqu’en sa chair, est devenu, par le péché,
charnel jusqu’en son esprit ».
Mais de ce fait, « il ne pense plus
qu’aux choses qui parviennent à l’esprit par les images des corps ». Quand sa chair sera devenue
spirituelle (ce qui est promis aux saints après leur résurrection), il pourra
voir dans sa chair même les choses spirituelles. Donc, aussi Dieu.
6. L’homme ne peut recevoir que de Dieu sa
béatitude. Il la recevra non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps.
Il verra donc Dieu ; non seulement par l’intelligence mais aussi par sa chair.
7. Comme Dieu est présent par son essence
dans l’intelligence, ainsi il sera présent dans le sens, car "il sera
toutes choses en tous "comme dit saint Paul aux Corinthiens. Mais
l’intelligence le voit parce que son essence lui est une. Il pourra donc être
vu aussi par le sens.
Cependant :
Saint
Ambroise dit, au sujet de saint Luc : « Dieu
ne peut être cherché par les yeux du corps, il ne sera pas cerné par la vue ni
touché par le tact. » Dieu ne sera
donc vu en aucune manière par un sens corporel. En outre, saint Jérôme dit à
propos d’Isaïe, « J’ai vu le siège du
Seigneur ». « Les yeux de chair ne peuvent apercevoir ni la divinité du Père,
ni celle du Fils, ni celle de l’Esprit Saint, mais seuls la voient les yeux de
l’esprit, dont il est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur ». De plus, saint Jérôme dit
ailleurs : « Une chose incorporelle
n’est pas visible pour des yeux corporels.
» Or Dieu est le plus incorporel de tous les êtres. Donc, etc. De plus,
saint Augustin dit : « Personne n’a
jamais vu Dieu tel qu’il est, soit en cette vie, soit en la vie des anges, à la
manière dont sont visibles les choses qui sont vues par la vision corporelle. » Mais la vie des anges est la vie
bienheureuse dans laquelle les ressuscités vivront. Donc, etc. De plus
« on dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en tant qu’il peut voir
Dieu », comme dit saint Augustin. Mais l’homme est à l’image de Dieu par
son esprit, non par sa chair. C’est donc par l’esprit et non par la chair qu’il
verra Dieu.
Conclusion :
Il y a deux manières de percevoir quelque chose par
le sens corporel : par soi ou par accident. Par soi : nous percevons ce qui
peut produire par soi une impression sur le sens corporel. Une chose peut
produire cette impression ou bien sur le sens en tant que sens ou sur tel sens
en tant qu’il est tel sens. Ce qui agit sur le sens de cette dernière façon est
le sensible propre de tel sens, par exemple la couleur pour la vue, le son pour
l’ouïe. Puisque le sens en tant que tel se sert d’un organe corporel, une chose
ne peut être perçue par lui que corporellement, car tout ce qui est reçu en
quelque chose l’est à la manière de ce qui le reçoit. C’est pourquoi toutes les
choses sensibles impressionnent le sens en tant que sens, selon qu’elles
possèdent une dimension. Dès lors, la dimension et toutes ses conséquences,
comme le mouvement, le repos, le nombre, etc., sont appelées des sensibles
communs par soi. Ce qui n’impressionne pas le sens, ni en tant que sens, ni en
tant qu’il est tel sens, peut pourtant être connu, par accident : parce qu’il
est uni aux choses qui impressionnent le sens par elles-mêmes. C’est ainsi que
Socrate, et le fils de Diares, et son ami, et d’autres réalités de ce genre,
qui sont connues par soi universellement par l’intelligence, peuvent être
connues dans le concret par la puissance cogitative de l’homme ou par
l’estimative des autres animaux. Nous disons que le sens extérieur perçoit ces
choses, par accident seulement, quand à partir de ce qu’il connaît par soi, la
puissance cognitive (à qui il appartient de connaître par soi cet objet connu),
le perçoit aussitôt, sans doute et sans déduction : De même que nous voyons que
quelqu’un vit s’il parle. Quand il n’en est pas ainsi, on ne dit pas que le
sens connaît, même par accident.
Je
dis donc que Dieu ne peut en aucune manière être vu du regard corporel, ni être
perçu par quelque sens, comme une chose visible par soi, ni ici-bas, ni dans la
patrie ; car si on enlève au sens ce qui lui convient en tant que sens, il
cesse d’être un sens. De même, si on enlève à la vue ce qui lui convient en
tant que telle, il n’y a plus de vue. Le sens en tant que tel perçoit la
dimension et la vue en tant que telle perçoit la couleur. Il est donc
impossible que la vue perçoive quelque chose qui n’est pas coloré, ni étendu, à
moins de parler de sensation d’une manière équivoque. Puisque la vue et le sens
seront dans le corps glorieux spécifiquement les mêmes qu’ici-bas, il n’est pas
possible qu’ils voient l’essence divine comme une chose visible par soi. La vue
le percevra seulement comme une chose visible par accident, d’une part en
considérant la gloire de Dieu dans les corps, surtout glorifiés, et
principalement dans le corps du Christ ; et d’autre part parce que
l’intelligence verra Dieu si clairement, que la vue le percevra dans les choses
corporelles, de même que si quelqu’un parle on perçoit qu’il vit. Assurément
notre intelligence ne verra pas Dieu dans les créatures, mais elle le verra à
travers les créatures vues corporellement. C’est de cette manière de voir Dieu
corporellement que Saint Augustin parle quand il dit : « Il est tout à fait croyable que nous verrons les réalités
corporelles du monde, du nouveau Ciel et de la nouvelle terre de telle sorte
que nous apercevrons dans une éblouissante clarté Dieu présent en toutes choses
et gouvernant tous les êtres même corporels. Cela se fera, non pas comme
maintenant nous découvrons les choses invisibles de Dieu à travers celles qu’il
a créées, mais de la manière dont, quand nous voyons les hommes, nous ne
croyons pas, mais nous voyons qu’ils vivent.
»
Solutions :
1. Job se réfère à l’œil spirituel ; c’est
pourquoi saint Paul dit : que « seront éclairés les yeux de notre cœur. »
2. Ce mot de Job peut prophétiser plusieurs
choses. S’il parle de la vision béatifique, cette citation doit être comprise
non en ce sens que nous verrons Dieu par nos yeux de chair, mais en ce sens
que, étant dans la chair, nous verrons Dieu. S’il parle de la vision de la
gloire de Dieu qui accompagne l’heure de la mort, il se réfère alors à une
réalité sensible (apparition de l’envoyé de Dieu) manifestant de manière
puissante l’essence encore cachée de Dieu. En ce sens, il s’agit d’une vision
de l’œil physique, comme nous le montrerons.[447]
3. Dans ce passage, saint Augustin est à la
recherche du sens de ces paroles, et parle conditionnellement. Cela ressort de
ce qu’il dit plus haut : « ils seront
d’une toute autre puissance. Si par les yeux ils voient la nature incorporelle. » Il ajoute : « C’est pourquoi cette puissance. » Et il conclut en accord avec ce que nous avons vu plus haut.
Toute connaissance se réalise par une abstraction de la matière. C’est
pourquoi, plus la forme corporelle est abstraite de la matière, plus elle est
principe de connaissance. La forme qui existe dans la matière n’est aucunement
principe de connaissance ; elle l’est de quelque manière dans le sens, en tant
que séparée de la matière, et mieux encore dans notre intelligence. C’est
pourquoi l’œil spirituel, libéré de l’empêchement matériel de la connaissance,
peut voir une chose corporelle. Il n’en découle pas que l’œil corporel,
dépourvu de la puissance de connaître à cause de sa participation à la matière,
puisse connaître parfaitement les choses connaissables incorporelles.
5. Bien que l’esprit devenu charnel ne
puisse connaître que ce qu’il reçoit des sens, cependant, il le connaît
immatériellement. Tout ce que la vue saisit, elle le voit corporellement. Elle
ne peut donc pas connaître les choses qui ne peuvent être saisies
corporellement.
6. La béatitude est la perfection de
l’homme en tant qu’homme. Il n’est pas homme par son corps, mais plutôt par son
âme. Les corps ne sont de l’essence de l’homme qu’en tant qu’ils sont perfectionnés
par l’âme. C’est pourquoi la béatitude de l’homme ne consiste principalement
que dans un acte de l’âme, et c’est d’elle qu’elle dérive dans le corps par une
sorte de débordement, comme nous l’avons vu. Il y aura cependant une certaine
béatitude de notre corps en tant qu’il verra Dieu dans les créatures sensibles,
et surtout dans le corps du Christ.
7. L’intelligence
perçoit les choses spirituelles, qui échappent à la vue du corps. C’est
pourquoi l’intelligence pourra connaître l’essence divine qui lui sera unie ;
mais non l’œil corporel.
A propos de ce problème, douze questions se posent :
1° Les âmes qui voient Dieu sont-elles dans
la béatitude ?
2° Les vertus morales demeurent-elles dans
la vision béatifique ?
3° Les vertus intellectuelles
demeurent-elles dans la vision béatifique ?
4° La foi reste-t-elle après cette vie ?
5° L’espérance reste-t-elle après la mort
et dans l’état de gloire ?
6° Reste-t-il dans la gloire quelque chose
de la foi ou de l’espérance ?
7° La charité reste-t-elle dans la gloire
après cette vie ?
8° Les dons du Saint Esprit restent-ils
dans la patrie ?
9° Les récompenses attribuées aux huit
béatitudes seront-elles données dans la vision béatifique ?
10° Les fruits du Saint Esprit seront-ils
des effets de la Vision béatifique ?
11° L’élément principal de la béatitude
est-il la vision de Dieu ou la délectation qui en résulte ?
12° Les saints en voyant Dieu, voient-ils
tout ce que Dieu voit ?
13° La vision béatifique est-elle éternelle
?
Objections :
1. La
béatitude est la possession totale et simultanée de la perfection du bien qui
comble un être. Or, avant la résurrection, les hommes sont des âmes car ils
sont privés de leur corps, donc d’une partie de leur être. Ils ne peuvent donc
pas être dans la béatitude, qui implique perfection, mais seulement dans un
bonheur spirituel qui ne s’étend pas dans tout leur être.
2. Le
désir naturel de l’intelligence est de voir Dieu tout entier et tel qu’il se
voit puisque c’est la seule manière de connaître la Cause de tout ce qui est.
Or l’intelligence humaine étant limitée, il est impossible qu’elle voit Dieu
tel qu’il se voit. L’âme ne peut donc pas être dans la béatitude.
3. La
béatitude ne peut pas être durable car l’homme finit par se lasser de tout.
C’est ce que dit Qohelet qui, ayant essayé tous les bonheurs, en conclut[449] :
« Tout est vanité ». Il est même destructeur pour l’homme que d’aspirer
à ce qui est utopique et il vaut mieux se contenter d’un simple état de
bonheur, c’est-à-dire, commente Aristote, d’amis fidèles et d’une contemplation
de l’Etre premier.
Cependant
:
Le pape Benoît XII écrit dans la
constitution dogmatique Benedictus Deus :
« En outre, par le fait même de
cette vision, les âmes de ceux qui sont déjà morts, jouissent de la divine
essence, et par le fait même de cette vision et de cette jouissance elles sont
vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternel. »
Conclusion
:
Etre bienheureux, c’est être comblé de
manière absolue dans toutes les dimensions de son être. Pour savoir où se
trouve la béatitude, il faut voir que le bonheur humain possède quatre degrés dans son épanouissement.
1° Sa vie
mystique,
propre à l’esprit, aspire de manière naturelle à connaître et aimer la Cause
première de tout, à être uni à elle pour toujours.
2° Sa vie
morale aspire
à un lien stabilisé aux autres personnes dans la communion et la confiance de
l’amour d’amitié.
3° Sa vie
psychologique
(commune avec les animaux) trouve son équilibre dans le fait de se sentir bien.
Pour résumer ses aspirations, on peut dire avec Piaget qu’un homme ou un animal
est équilibré par la possession de trois sentiments du moi. Ces
sentiments s’acquièrent dans la construction de la personnalité à travers son
histoire passée (sentiment de valorisation), présente (sentiment d’autonomie)
et future (sentiment de sécurité).
4° Sa vie
physique
trouve son équilibre dans la possession d’un corps parfait, en bonne santé et
aux performances maîtrisées.
La vision de Dieu donnera à tous ces
points de vue la béatitude.
1° Dieu y sera vu face à face, dans une
union de lumière venant de l’amour. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus,
manifestant la plénitude de ce mystère du point de vue de l’union d’amour,
écrit dans ses « Poésies » : « J'ai besoin d'un cœur
brûlant de tendresse, restant mon appui sans aucun retour, aimant tout en moi,
même ma faiblesse... Ne me quittant pas, la nuit et le jour. Je n'ai pu trouver
nulle créature, qui m'aimât toujours, sans jamais mourir. » Mais la vision de Dieu ne comblera pas que
notre désir d’amour. Il comblera notre intelligence par sa Lumière et la
volonté d’efficacité de notre esprit par sa Puissance, ne laissant aucun désir de
l’esprit sans réalisation selon cette parole de Jésus : « Lorsque
vous priez, croyez déjà avoir été exaucé ».
2° Selon
notre vie morale, la Vision béatifique nous comblera bien que tous nos frères
et sœurs ne soient pas encore parvenus au terme de leur chemin vers Dieu. En
effet, nous verrons tout avec le regard de Dieu si bien que les souffrances des
nôtres encore présents dans les purgatoires ne seront vues que selon leur
finalité et la gloire qu’elle doit bientôt réaliser en eux. Si l’un de nos proches
se damne, nous respecterons dans la joie et la paix son choix final entièrement
libre et qu’il maintient pour toujours.
3° Selon
notre vie psychologique, qui reste présente comme nous l’avons dit avant même
la résurrection, la connaissance parfaite de Dieu se répercutera par un profond
sentiment de valorisation ; l’union amoureuse à notre Bien-aimé nous
rendra autonome car comblés de tout ; la stabilité de la possession de
Dieu nous sécurisera définitivement.
4° Avant la
résurrection, n’ayant pas encore retrouvé la totalité de notre être, il y aura
en nous un manque naturel mais nous n’en souffrirons pas, comme le montre la
solution 1.
Solutions :
1.
Saint Augustin répond à cette objection dans ses Confessions par cette
phrase : « Te posséder, toi le
seul Vrai Bien, c’est être riche de toutes les richesses ». Par la
vision de Dieu, c’est la partie la plus profonde de l’âme humaine qui est
rendue bienheureuse. Mais, par extension, l’homme tout entier s’en trouve
perfectionné à tel point que, même si provisoirement, l’être entier de l’homme
n’est pas rendu à sa perfection, il n’en ressent aucun manque. Le retour du
corps lors de la résurrection ne rendra d’ailleurs pas l’homme plus heureux, la
béatitude étant parfaite, mais permettra l’extension de cette béatitude jusque
dans sa chair à travers les opérations du sens du toucher mises au service de
l’amour.
2. On
ne peut certes voir Dieu tel qu’il se voit. Mais on voit Dieu à la mesure de
notre désir de le voir selon l’Ecriture[450] :
« C'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans
votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en
retour. » Si bien que, l’aimant et le désirant de tout son cœur, de toute
son âme et de toute sa force, il est entièrement comblé.
3. Cette
objection fait référence à la recherche de la béatitude ici-bas. En ce monde,
la béatitude est inaccessible et la rechercher est un péché capital
destructeur. Seule la recherche du bonheur, qui est un bien-être raisonnable et
se contentant de ses imperfections est possible. Il arrive cependant que
certains puissent éprouver durant des moments fugaces quelque chose qui
ressemble de loin à une forme de béatitude. C’est le cas des jeunes couples
dans les premiers moments de leur amour ou des adeptes de paradis artificiels
par la drogue. Le danger de ces expériences est de croire qu’il est possible de
les prolonger toute une vie. Voilà pourquoi le Catéchisme de l’Eglise
catholique, 676, écrit en 1992 : « Cette imposture antichristique se
dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend accomplir ici-bas dans
l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà d’elle à
travers le jugement eschatologique. »
Dans l’autre monde au contraire, la
béatitude est rendue possible par la vision directe de Dieu. Sa nature étant
infinie, c’est lui qui à chaque instant et pour l’éternité, renouvellera la
nouveauté de son apparition si bien que, sans pouvoir se lasser, l’homme sera
éternellement bienheureux.
En enfer au contraire, où l’homme
possède tout ce qu’il veut sauf la vision de Dieu et la présence d’amis, tout
se transforme en malheur. Et ce mécanisme se voit déjà en ce monde où les plus
grandes merveilles finissent par devenir ennuyeuse pour celui qui les recherche
pour le seul plaisir égoïste.
Objections :
1. Selon toute apparence, non. Car dans
l’état de la gloire future les hommes seront semblables aux anges, comme il est
dit en saint Matthieu[451]. Mais il est ridicule de supposer chez
les anges des vertus morales. Il n’y en aura donc pas non plus chez les hommes
après cette vie.
2. Les vertus morales perfectionnent
l’homme dans la vie active. Mais la vie active ne demeure pas après cette vie :
« les œuvres de la vie active, dit saint Grégoire, passent avec le
corps. » Donc les vertus morales ne demeurent pas après la vie présente.
3. La tempérance et la force qui sont des
vertus morales appartiennent aux fonctions non spirituelles de l’âme, dit le
Philosophe. Or ces fonctions disparaissent avec le corps, puisqu’elles sont
actes d’organes corporels. Il semble donc que les vertus morales ne demeurent
pas après cette vie.
Cependant :
Il
est écrit dans la Sagesse [452]que « la
justice est perpétuelle immortelle. »
Conclusion :
Selon saint Augustin, Cicéron a estimé que les quatre vertus
cardinales n’existent plus après cette vie, mais que dans l’autre vie les
hommes « sont heureux uniquement par la connaissance de cette nature en
laquelle on ne peut rien trouver qui soit meilleur et plus aimable »,
sous-entendu « que cette nature
même qui a créé toutes les natures »,
comme Saint Augustin le dit en cet endroit. Mais lui-même après cela définit
que ces quatre vertus existent encore dans la vie future, cependant sous un
autre mode.
Pour y voir
clair, il faut savoir que dans ces vertus il y a quelque chose de formel, et
quelque chose qui tient lieu de matière. Leur côté matériel, c’est le penchant
des appétits vers les passions ou vers les opérations, selon une certaine
mesure. Mais puisque cette mesure est déterminée par la raison, il s’ensuit
que, dans toutes les vertus, le formel est l’ordre même de la raison. Ainsi
donc, il faut affirmer que ces vertus morales ne demeurent pas dans la vie
future quant à ce qu’elles ont de matériel. Car les convoitises et les plaisirs
relatifs à la nourriture et aux activités sexuelles n’auront pas place dans la
vie future ; ni non plus les craintes et les audaces relatives aux périls de
mort ; ni non plus les distributions et les échanges appelés par la pratique de
la vie présente. Mais quant à ce qu’elles ont de formel, ces vertus
subsisteront après cette vie chez les bienheureux à leur plus haut degré de
perfection ; c’est-à-dire que la raison de chacun sera dans la plus grande
rectitude selon son état, et que l’appétit sera mû entièrement selon l’ordre de
la raison pour tout ce qui ressortit à cet état. D’où, ces réflexions de saint
Augustin dans le même passage : « la prudence sera là sans aucun péril
d’erreur ; la force, sans l’ennui des maux à supporter ; la tempérance sans
l’opposition des mauvais désirs. La prudence sera de ne préférer ni égaler à
Dieu aucun bien ; la force, d’être attaché à lui avec la plus grande fermeté ;
la tempérance, de se délecter sans aucune défaillance coupable. Quant à la
justice, il est encore plus évident que l’acte qu’elle aura là-haut ce sera
d’être soumis à Dieu, parce que même en cette vie il appartient à la justice
qu’on soit soumis à son supérieur. »
Solutions :
1. Le Philosophe parle là de nos vertus
morales en ce qu’elles ont de matériel ; ainsi, à propos de la justice, il
pense aux « échanges, ventes et
achats » ; à propos de la force, aux
« choses qui font peur et aux périls » ; à propos de la tempérance,
aux « convoitises dépravées. »
2. Il faut en dire autant pour la seconde
objection. Les choses de la vie active sont pour les vertus comme le côté
matériel.
3. Nous aurons deux états après cette vie
: l’un avant la résurrection, quand les âmes seront séparées de leurs corps ;
l’autre après la résurrection, quand les âmes seront de nouveau unies à leurs
corps. En cet état de résurrection, il y aura des puissances non rationnelles
dans les organes du corps comme il y en a maintenant. De sorte qu’il pourra y
avoir de la force dans l’irascible, et de la tempérance dans le concupiscible,
en tant que l’une et l’autre puissance seront parfaitement disposées à obéir à
la raison. Mais dans l’état précédant la résurrection, dans l’hypothèse ou les
facultés de la vie sensible ne subsisteront pas, les fonctions non rationnelles
ne seront pas dans l’âme d’une manière actuelle, elles n’y seront que par leur
racine dans l’essence de l’âme elle-même. Aussi les vertus de cette sorte
n’existeront pas non plus d’une manière actuelle, si ce n’est en leur racine,
c’est-à-dire dans la raison et dans la volonté où il y a, avons-nous dit, des
germes de ces vertus. Toutefois, la justice qui réside dans la volonté
subsistera même d’une manière actuelle ; c’est pourquoi on a dit d’elle
spécialement qu’elle est « perpétuelle
et immortelle », tant en raison du
sujet, puisque la volonté est une faculté qui ne peut périr, qu’à cause aussi
de la similitude de l’acte qui est le même, comme nous venons de le dire, en
cette vie et en l’autre.
Objections :
1. Il semble que non. L’Apôtre écrit en
effet que « la science sera
détruite », et la raison en est que
nous avons là une « connaissance
partielle »[453]. Mais, si la connaissance de science
est partielle, c’est-à-dire imparfaite, il en est de même des autres vertus
intellectuelles, aussi longtemps que dure cette vie. Toutes ces vertus
cesseront donc après cette vie.
2. Le Philosophe dit que la science,
puisqu’elle est un habitus, est une qualité difficilement changeante ; en
effet, elle ne se perd pas facilement, si ce n’est par quelque forte
modification organique ou par maladie. Mais il n’y a pas de modification du
corps humain aussi grande que celle qui se fait par la mort. Ni la science ni
les autres vertus intellectuelles ne demeurent donc après cette vie.
3. Les vertus intellectuelles
perfectionnent l’intelligence pour le bon accomplissement de son acte propre.
Mais cet acte, semble-t-il, n’existe plus après cette vie du fait que « l’âme n’a plus aucune pensée sans
image », d’après Aristote ; or les
images ne subsistent pas après cette vie puisqu’elles n’existent que dans des
organes corporels. Les vertus intellectuelles ne subsistent donc pas non plus
après cette vie.
Cependant :
La
connaissance de l’universel et du nécessaire est plus ferme que celle du
particulier et du contingent. Mais il demeure en l’homme après cette vie une
connaissance de choses particulières contingentes, par exemple de ce qu’il a
fait et souffert, selon cette parole de saint Luc[454] : «
Souviens-toi que tu as reçu des biens pendant ta vie et que Lazare a reçu
des maux. » Donc la connaissance de
l’universel et du nécessaire, objet de la science et des autres vertus
intellectuelles, demeure bien davantage.
Conclusion :
Ainsi que nous l’avons dit dans la première Partie, certains ont
soutenu que les espèces intelligibles ne sont pas en permanence dans
l’intellect passif si ce n’est lorsqu’il fait acte d’intelligence ; en dehors
de la pensée actuelle, il n’y aurait pas la moindre conservation d’espèces, si
ce n’est dans les facultés sensibles qui sont les actes d’organes corporels,
c’est-à-dire dans l’imagination et dans la mémoire. Or ce sont là des facultés
qui disparaissent avec le corps. Aussi, dans cette position, la science ne
restera d’aucune manière après cette vie, une fois le corps détruit ; ni non
plus aucune autre vertu intellectuelle.
Mais cette opinion contredit la pensée d’Aristote qui affirme au
livre III du Traité de l’âme que « l’intellect passif est en acte du fait qu’il devient chaque
chose en la connaissant, alors qu’il n’est cependant qu’en puissance à y penser
d’une manière actuelle. » Cette
opinion contredit aussi la raison, car les espèces intelligibles sont reçues
dans l’intellect passif de façon immuable selon le mode du récepteur. C’est
pourquoi cet intellect est appelé « le lieu des espèces », étant pour
ainsi dire le conservatoire des espèces intelligibles.
Toutefois, il est bien vrai, comme nous l’avons dit dans la première
Partie, que l’homme en cette vie pense à condition de regarder les images pour
y appliquer les espèces intelligibles. Or les images sont détruites avec le
corps. Donc, quant à ces images qui sont pour ainsi dire le matériel des vertus
intellectuelles, on peut dire que ces vertus sont détruites avec le corps. Mais
quant aux espèces intelligibles qui résident dans l’intellect passif les vertus
intellectuelles demeurent ; or de telles espèces sont comme le formel de ces
vertus. Aussi celles-ci demeurent-elles après cette vie par leur côté formel,
mais non par leur côté matériel, comme nous l’avons dit à propos des vertus
morales.
Solutions :
1. La parole de l’Apôtre doit s’entendre
de ce qu’il y a de matériel dans la science, et aussi du mode de penser. Le
fait est qu’une fois le corps détruit les images ne subsisteront pas, et que
l’usage de la science ne se fera plus par recours aux images.
2. Par la maladie l’habitus de science est
détruit dans ce qu’il a de matériel, c’est-à-dire dans les images, mais non
dans les espèces intelligibles, qui ont leur siège dans l’intellect passif.
3. L’âme séparée possède après la mort,
comme nous l’avons dit dans la première Partie, une autre manière de penser que
par recours aux images. Et ainsi la science demeure, non pas cependant selon la
même manière d’opérer, comme nous l’avons aussi remarqué pour les vertus
morales.
Objections :
1. Il semble que la foi demeure après
cette vie, car elle est plus noble que la science, et nous venons de voir que
celle-ci demeure. Donc la foi aussi.
2. « Personne, dit l’Apôtre[455], ne peut poser d’autre fondement que
celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus, c’est-à-dire la foi au Christ
Jésus. » Mais, le fondement enlevé,
il ne reste rien de ce qui est bâti dessus. Donc, si la foi ne demeurait pas
après cette vie, aucune autre vertu ne demeurerait.
3. Connaissance de foi et connaissance de
gloire diffèrent comme le parfait et l’imparfait. Mais une connaissance
imparfaite peut coexister avec une connaissance parfaite ; ainsi, chez l’ange,
il peut y avoir la connaissance du soir en même temps que celle du matin ; et
un homme peut avoir sur la même conclusion une science par syllogisme
démonstratif et une opinion par syllogisme dialectique. Donc la foi aussi peut
exister après cette vie en même temps que la connaissance de gloire.
Cependant :
L’Apôtre
dit[456] : «
Tant que nous sommes dans notre corps, nous sommes en exil loin du
Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. » Mais ceux qui sont dans la gloire ne
sont plus en exil loin du Seigneur, ils lui sont présents. C’est donc que la
foi ne demeure pas après cette vie quand on est dans la gloire.
Conclusion :
Ce qui fait l’essentiel et la cause propre d’une opposition, c’est
que les opposés s’excluent l’un l’autre au point qu’il y ait toujours entre eux
l’opposition entre affirmation et négation. Or, en certains cas, l’opposition
se rencontre bien selon des formes contraires, comme le blanc et le noir dans
les couleurs. Mais, en d’autres cas, elle se fait selon des degrés de parfait
et d’imparfait ; c’est ainsi que dans les changements par altération, le plus
et le moins sont pris comme des contraires, par exemple quand une chose passe
du moins chaud au plus chaud, selon Aristote, et parce que le parfait et
l’imparfait s’opposent, il est impossible qu’il y ait en même temps dans le
même sujet perfection et imperfection.
Il faut
néanmoins remarquer que parfois l’imperfection est essentielle à une chose et
fait partie de l’espèce même, comme le manque de raison fait partie de la
notion spécifique du cheval ou du bœuf. Et, comme une réalité ne peut jamais
être transférée d’une espèce à une autre tout en restant numériquement la seule
et même réalité, il s’ensuit que si l’on enlève à une chose cette imperfection
qui lui est essentielle, on change l’espèce : un bœuf, par exemple ou un
cheval, ne serait plus ni bœuf ni cheval s’il devenait un être raisonnable.
Parfois en revanche l’imperfection n’appartient pas à la raison spécifique,
mais elle est un accident déterminé, chez un individu, par quelque chose
d’étranger à l’espèce ; c’est ainsi qu’il arrive à un homme d’être privé de la
raison en tant que le sommeil, l’ivresse ou un autre accident semblable
l’empêche d’exercer sa raison. Mais il est clair que si l’on éloigne une telle
imperfection, la substance de la chose n’en demeure pas moins.
Or, il est évident que l’imperfection de la connaissance est
essentielle à la foi. Elle est dans sa définition : la foi est « la substance des choses à
espérer, la conviction de ce qui ne se voit pas », selon l’épître aux Hébreux[457] ; et saint Augustin affirme : « Qu’est-ce que la foi ? C’est croire à
ce que tu ne vois pas. » Mais qu’une
connaissance existe ainsi sans l’apparition ni la vision de l’objet, c’est pour
elle une imperfection. Et ainsi l’imperfection de la connaissance est
essentielle à la foi. D’où il est manifeste que la foi ne peut devenir une
connaissance parfaite tout en restant numériquement identique.
Mais il faut aller plus loin, pour savoir si elle peut exister en
même temps qu’une connaissance parfaite. Il faut donc remarquer que la connaissance
peut être imparfaite de trois manières : du côté de l’objet à connaître, du
côté du moyen de connaître, du côté du sujet. Du côté de l’objet à connaître,
la connaissance du matin et celle du soir chez les anges diffèrent comme le
parfait et l’imparfait, car la connaissance du matin regarde les choses en tant
qu’elles ont leur existence dans le Verbe, celle du soir les regarde selon
qu’elles ont l’existence dans leur propre nature, ce qui est imparfait en
comparaison de la première existence.
Du côté du moyen, ce qui diffère comme le parfait et l’imparfait,
c’est la connaissance qu’on a d’une conclusion par un moyen démonstratif, et
celle qu’on a par un moyen probable. Du côté du sujet enfin, ce qui diffère
comme parfait et imparfait, c’est l’opinion, la foi, la science. Car il est
essentiel à l’opinion de prendre un parti avec la crainte que le parti opposé
ne soit vrai ; aussi n’a-t-elle pas d’adhésion ferme. Au contraire, il est
essentiel à la science d’avoir une ferme adhésion avec la vision
intellectuelle, car elle a une certitude qui découle de l’intelligence des
principes. Quant à la foi, elle tient le milieu ; en ce qu’elle a une ferme
adhésion, elle dépasse l’opinion ; mais en ce qu’elle n’a pas la vision, elle
est au-dessous de la science.
Évidemment, le parfait et l’imparfait ne peuvent exister en même
temps sous un même aspect. Mais les choses qui diffèrent selon le parfait et
l’imparfait sur un certain point, peuvent exister ensemble identiquement sur un
autre point. Ainsi donc, une connaissance parfaite et une connaissance
imparfaite du côté de l’objet ne peuvent aucunement avoir en commun le même
objet. Elles peuvent cependant avoir en commun le même moyen terme et le même
sujet. Rien n’empêche en effet qu’un homme ait en même temps et du même coup,
par un seul et même moyen terme, la connaissance de deux objets dont l’un est
parfait et l’autre imparfait, comme la santé et la maladie, le bien et le mal.
Pareillement, il est impossible aussi qu’une connaissance parfaite et une
connaissance imparfaite du côté du moyen terme se rejoignent dans un seul
moyen. Mais rien n’empêche qu’elles se rejoignent dans un seul objet et dans
un seul sujet ; car le même homme peut connaître une même conclusion par un
moyen terme probable, et par un moyen terme démonstratif. Enfin, il est
pareillement impossible qu’une connaissance parfaite et une connaissance
imparfaite, du côté du sujet, existent ensemble dans le même sujet. Or, la foi
implique dans sa raison même cette imperfection subjective : que le croyant ne
voit pas ce qu’il croit ; La béatitude au contraire a dans sa notion même cette
perfection, que le bienheureux voit ce qui le béatifie. Aussi est-il évidemment
impossible que la foi demeure en même temps que la béatitude dans le même
sujet.
Solutions
1. La foi est plus noble que la science du
côté de l’objet, parce que celui-ci est la vérité première. Mais la science a
un mode de connaître plus parfait, qui ne s’oppose pas à la perfection de la
béatitude, c’est-à-dire à la vision, comme s’y oppose le mode de la foi.
2. La foi est un fondement quant à ce
qu’elle possède de connaissance. C’est pourquoi, quand il y aura une
connaissance plus parfaite, il y aura un fondement plus parfait.
3. La solution ressort ici de ce que nous
venons de dire.
Objections :
1. Il semble bien. Car l’espérance
perfectionne l’appétit humain plus noblement que ne le font les vertus morales.
Mais les vertus morales demeurent après cette vie, comme le montre saint
Augustin. Donc l’espérance à plus forte raison.
2. La crainte s’oppose à l’espérance. Mais
la crainte subsiste après cette vie : chez les bienheureux, la crainte filiale
qui demeure à jamais ; chez les damnés, la crainte des châtiments. Donc
l’espérance, à titre égal, peut demeurer.
3. Comme l’espérance a pour objet un bien à
venir, de même le désir. Mais il y a chez les bienheureux un désir des biens à
venir, et quant à la gloire du corps à laquelle, dit saint Augustin, aspirent
les âmes des bienheureux, et même quant à la gloire de l’âme selon cette parole
de l’Ecclésiastique[458] : «
Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore
soif », et le mot de saint Pierre sur
« celui en qui les anges
désirent plonger leur regard »[459]. Il semble donc que l’espérance puisse
exister après cette vie chez les bienheureux.
Cependant :
L’Apôtre écrit[460] : «
Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer. » Mais les bienheureux voient ce qui fait l’objet de leur
espérance, c’est-à-dire Dieu. Donc ils n’espèrent plus.
Conclusion :
Ainsi que nous venons de le dire pour la foi, quand une chose
implique par définition une imperfection du sujet, elle ne peut rester dans un
sujet qui possède parfaitement la perfection opposée. Ainsi, il est évident que
le mouvement implique de soi une imperfection du sujet, puisqu’on le définit « l’acte d’un être en puissance en
tant que tel ». Aussi, quand
cette puissance est réduite en acte, le mouvement cesse lorsqu’une chose est
déjà devenue blanche, elle n’a pas à blanchir encore. Or l’espérance implique
un mouvement vers ce qu’on n’a pas, comme on peut le voir par tout ce que nous
avons dit plus haut sur la passion d’espérance. C’est pourquoi quand on sera en
possession de ce qu’on espère, c’est-à-dire lorsqu’on jouira de Dieu, il ne
pourra plus y avoir d’espérance.
Solutions :
1. L’espérance est plus noble que les
vertus morales quant à l’objet qui est Dieu. Mais les actes des vertus morales,
sauf peut-être par ce côté matériel qui ne subsiste pas dans l’autre vie, ne
s’opposent pas à la perfection de la béatitude comme fait l’acte de l’espérance.
En effet la vertu morale perfectionne l’appétit non pas seulement en vue de ce
qu’on n’a pas encore, mais aussi par rapport à ce qu’on a présentement en sa
possession.
2. Comme nous le dirons plus loin, il y a
deux craintes, la crainte servile et la crainte filiale. La crainte servile est
la peur du châtiment, qui ne pourra plus exister dans la gloire puisqu’il ne
restera aucune possibilité de subir une peine. Quant à la crainte filiale, elle
a deux actes : révérer Dieu, et quant à cet acte elle demeure ; puis,
craindre d’être séparé de lui, et quant à cet acte elle ne demeure pas. En
effet, être séparé de Dieu, c’est un mal ; or aucun mal ne sera plus à craindre
là-haut, selon la parole des Proverbes[461] « On jouira abondamment, la
crainte du mal ayant disparu. »Pour ce qui est de l’opposition entre la
crainte et l’espérance, elle se fonde, avons-nous dit, sur l’opposition entre
le bien et le mal : aussi la crainte qui restera dans la gloire n’est-elle pas
en opposition avec l’espérance.
Chez
les damnés, au contraire, la crainte du châtiment peut exister, plus que chez
les bienheureux l’espérance de la gloire. C’est que chez les damnés les peines
se présenteront les unes après les autres, et ainsi elles auront toujours
l’aspect d’une chose à venir, qui est l’objet formel de la crainte. Mais la
gloire des saints ne se réalise pas d’une manière successive : elle participe
de l’éternité, où il n’y a ni passé ni futur mais uniquement le présent. Et
pourtant, même chez les damnés la crainte à proprement parler n’existe pas. Car
elle n’est jamais, avons-nous dit, sans quelque espoir d’évasion ; or cet
espoir chez les damnés n’existera aucunement. Par conséquent la crainte non
plus, si ce n’est dans le sens tout à fait général où l’on donne le nom de crainte
à n’importe quelle attente d’un mal à venir.
3. Quant à la gloire de l’âme, il ne peut y
avoir, pour la raison que nous venons de dire, un véritable désir chez les
bienheureux sous l’aspect où le désir regarde le futur. On dit que la faim et
la soif existent là-haut, pour écarter l’idée qu’on s’ennuierait. C’est pour la
même raison qu’on dit que le désir existe chez les anges. Mais par rapport à la
gloire du corps, dans les âmes des saints il peut bien y avoir un désir, mais
non une espérance à proprement parler ; ni au sens précis où elle est vertu
théologale, car alors son objet est Dieu et non un bien créé ; ni au sens où
elle est prise en général, parce que l’objet de l’espérance est quelque chose
d’ardu, avons-nous dit. Or, aussitôt que nous possédons la cause inéluctable
d’un bien, il ne se présente plus à nous sous un aspect ardu. Ainsi, lorsque
quelqu’un a de l’argent, et qu’il y a des choses qu’il peut acheter tout de
suite, on ne dit pas à proprement parler qu’il espère les avoir. Et pareillement,
ceux qui possèdent la gloire de l’âme, on ne dit pas à proprement parler qu’ils
espèrent la gloire du corps ; on dit seulement qu’ils la désirent.
Objections :
1. Il semble qu’il en demeure quelque chose
dans la gloire. En effet, écartez ce qui est propre, il demeure ce qui est
commun. On lit ainsi au livre Des Causes : «
Une fois écarté l’être raisonnable, il reste le vivant ; et une fois écarté
le vivant, il reste l’être. » Mais la
foi a quelque chose de commun avec la béatitude, à savoir la connaissance même
; elle a d’autre part quelque chose qui lui est propre, à savoir l’énigme :
elle est en effet une « connaissance
en énigme ». Donc, une fois
écarté le caractère énigmatique de la foi, il reste encore la connaissance même
de la foi.
2. La foi est dans l’âme une lumière
spirituelle, selon l’Apôtre[462] : «
Que les yeux de votre cœur soient illuminés pour la connaissance de Dieu. » Mais cette lumière est imparfaite par
rapport à la lumière de gloire dont il est dit dans le Psaume[463] : «
Dans ta lumière nous verrons la lumière.
» Or une lumière imparfaite demeure même quand survient la lumière parfaite
: un cierge ne s’éteint pas quand survient la clarté du soleil. Il semble donc
que la lumière de foi demeure avec la lumière de gloire.
3. On n’enlève pas sa substance à un
habitus du fait qu’on lui ôte sa matière ; on peut garder l’habitus de la
libéralité même après qu’on a perdu son argent, mais on ne peut plus en avoir
l’acte. Or la foi a pour objet la vérité première non vue. Une fois cette
matière enlevée par le fait même de la vision de la vérité première, il peut
donc y avoir encore l’habitus même de la foi.
Cependant :
La
foi est un habitus simple. Or une chose simple ou disparaît tout entière ou
demeure tout entière. Donc, puisque la foi ne peut pas demeurer entièrement
mais, comme nous l’avons dit est vidée de ce qui la définit, il semble qu’elle
soit totalement enlevée.
Conclusion :
Pour certains, l’espérance disparaît tout à fait, tandis que la
foi disparaît en partie, c’est-à-dire quant à l’énigme, et demeure en partie,
c’est-à-dire quant à la substance de la connaissance. Si l’on entend par là
qu’elle reste, non dans une identité numérique mais dans une identité
générique, c’est tout à fait vrai, car la foi s’accorde avec la vision de la
patrie dans un genre, celui de la connaissance. L’espérance, au contraire, ne
s’accorde pas avec la béatitude dans un genre ; en effet, l’espérance est
comparée à la jouissance de la béatitude, comme le mouvement est comparé au
repos que l’on goûte en arrivant au terme.
Mais si l’on veut dire que la connaissance qu’on a dans la foi
reste numériquement la même dans la patrie, c’est tout à fait impossible. Car
lorsqu’on enlève la différence constitutive d’une espèce, la substance du genre
ne reste plus numériquement la même ; ainsi, quand vous ôtez ce qui fait la
blancheur, la substance de la couleur ne demeure pas numériquement la même, de
sorte qu’une couleur numériquement la même serait tantôt le blanc et tantôt le
noir. Le genre, en effet, ne se compare pas à la différence spécifique comme la
matière à la forme, au point que la substance du genre puisse rester identique
numériquement, même après qu’on a changé la différence, comme la substance de
la matière demeure identique numériquement, même quand la forme a changé. Le
genre et la différence ne sont pas des parties de l’espèce ; autrement, on n’en
ferait pas des prédicats de l’espèce. Mais, de même que l’espèce signifie le
tout, c’est-à-dire le composé de matière et de forme dans les réalités
matérielles, de même la différence représente le tout, et pareillement le genre
; mais le genre désigne le tout par ce qui en est pour ainsi dire la matière,
tandis que la différence le désigne par ce qui en est pour ainsi dire la forme
; mais l’espèce le désigne par l’un et l’autre côté. Ainsi, dans l’homme, la
nature sensible se présente matériellement par rapport à la nature
intellectuelle ; On appelle animal ce qui a la nature sensible ; raisonnable,
ce qui a la nature intellectuelle ; homme enfin, ce qui est en possession des
deux. C’est bien le même tout qui est signifié par ces trois choses, mais non
du même point de vue.
De toute évidence par conséquent, puisque la différence ne fait
que préciser le genre, si l’on écarte la différence, la substance du genre ne
peut rester la même, car ce n’est pas la même animalité qui demeure si c’est
une autre sorte d’âme qui constitue l’animal. Par conséquent il n’est pas
possible qu’une connaissance qui a existé d’abord sous forme d’énigme, devienne
ensuite une vision à découvert en demeurant numériquement la même. Ainsi est-il
évident que rien de ce qui est dans la foi ne demeure dans la patrie, identique
numériquement ou spécifiquement ; ce n’est identique que génériquement.
Solutions :
1. Otez le raisonnable, le vivant ne
demeure plus le même numériquement, mais par le genre, nous venons de le
montrer.
2. L’imperfection de la lumière d’un cierge
ne s’oppose pas à la perfection de la lumière solaire, parce qu’il ne s’agit
pas du même sujet. Mais l’imperfection de la foi et la perfection de la gloire
s’opposent entre elles et regardent le même sujet. Elles ne peuvent donc
exister ensemble, pas plus que dans l’air la clarté ne peut coexister avec
l’obscurité.
3. Celui qui perd de l’argent ne perd pas
la possibilité d’en avoir, et c’est pourquoi il peut très bien garder l’habitus
de la libéralité. Mais dans l’état de gloire non seulement on perd en acte
l’objet de foi, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas ; mais on perd jusqu’à la
possibilité de le recouvrer, étant donné la stabilité de la béatitude. Aussi un
tel habitus demeurerait pour rien.
Objections :
Il ne semble pas. Car, dit l’Apôtre[464], «
quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel (c’est-à-dire
imparfait) disparaîtra. » Mais la
charité de l’homme voyageur est imparfaite. Donc elle disparaîtra
lorsqu’adviendra la perfection de la gloire.
2. Habitus et actes se distinguent d’après
les objets. Mais l’objet de l’amour est le bien appréhendé. Comme on appréhende
tout autrement dans la vie présente et dans la vie future, il semble donc que
la charité ne doive pas rester la même des deux côtés.
3. Dans
les choses qui sont d’une même essence, l’imparfait peut s’élever au niveau de
la perfection par un accroissement continu. Mais la charité dans l’état de
voyage, quelle que soit sa croissance, ne peut jamais parvenir à égaler la
charité dans la patrie. Il semble donc que la charité du voyage ne demeure pas
dans la patrie.
Cependant :
L’Apôtre assure[465] : «
La charité ne disparaîtra jamais. »
Conclusion :
Quand l’imperfection d’une chose, avons-nous dit, n’appartient pas
à la définition de son espèce, rien n’empêche qu’en demeurant identique
numériquement, ce qui fut d’abord imparfait ne devienne ensuite parfait, comme
l’homme se perfectionne par croissance, et la blancheur par intensification. Or
la charité est un amour. Il n’est aucune imperfection qui soit essentielle à
l’amour ; il peut avoir pour objet aussi bien ce qu’on possède que ce qu’on ne
possède pas, ce qu’on voit que ce qu’on ne voit pas. Aussi la charité ne
disparaît pas par la perfection même de la gloire, mais elle reste
numériquement la même.
Solutions :
1. L’imperfection de la charité lui advient
par accident ; l’imperfection n’est pas essentielle à l’amour. Or, quand on ôte
ce qui est accidentel, il reste néanmoins la substance de la réalité. Dès lors,
si l’imperfection de la charité est supprimée, la charité elle-même ne l’est
pas.
2. La charité n’a pas pour objet la
connaissance même ; dans ce cas en effet, elle ne serait pas la même dans le
voyage et dans la patrie. Mais elle a pour objet la réalité connue qui, elle,
reste identique, à savoir Dieu même.
3. Si la charité du voyage ne peut parvenir
par accroissement à égaler celle de la patrie, cela tient à une différence du
côté de la cause ; la vision est en effet une cause de l’amour, dit Aristote.
Or Dieu est d’autant plus parfaitement aimé qu’il est plus parfaitement connu.
Objections :
1. Il semble bien que non. Car saint
Grégoire affirme : « Par les sept
dons, le Saint-Esprit forme notre esprit à résister à chacune des tentations de
la vie. » Mais dans la patrie il n’y
aura plus de ces épreuves, selon la parole d’Isaïe[467] : «
On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte montagne. » Les dons du Saint-Esprit n’existeront
donc plus dans la patrie.
2. Ces dons sont, avons-nous dit, des
habitus. Or c’est bien inutilement qu’il y aurait des habitus s’il ne peut
plus y avoir d’actes. Mais les actes de certains dons ne peuvent avoir lieu
dans la patrie. Saint Grégoire dit en effet : « L’intelligence fait pénétrer ce qu’on connaît, le conseil
empêche la précipitation, la force empêche de craindre l’adversité, la piété
emplit le fond du cœur d’œuvres de miséricorde. » Or tout cela ne convient pas à l’état de la patrie. Donc ces
dons n’existeront plus dans l’état de gloire.
3. Parmi les dons, les uns, comme la
sagesse et l’intelligence, perfectionnent l’homme dans la vie contemplative ;
les autres, comme la piété et la force, le perfectionnent dans la vie active.
Mais, dit saint Grégoire : « La vie
active se termine avec la vie présente. »
Donc dans l’état de gloire il n’y aura pas tous les dons du Saint-Esprit.
Cependant :
Saint Ambroise écrit dans son livre sur
le Saint-Esprit : « La cité de Dieu,
la Jérusalem céleste, n’est pas arrosée par le cours d’un fleuve terrestre ;
mais le Saint-Esprit qui découle de la fontaine de vie, dont une petite gorgée
nous contente, semble jaillir avec plus d’abondance dans les esprits célestes,
bouillonnant à plein dans le canal des sept vertus qui émanent de lui. »
Conclusion :
Nous
pouvons parler des dons de deux manières. 1°
En les considérant dans leur essence même. À ce point de vue, ils existeront
dans la patrie à leur degré le plus parfait, comme le fait voir l’autorité de
saint Ambroise qu’on vient de citer. La raison en est que les dons du
Saint-Esprit perfectionnent l’âme humaine pour lui faire suivre la motion du
Saint-Esprit ; ce qui aura lieu surtout dans la patrie quand Dieu sera
"tout en tous" comme dit l’Apôtre [468]et que l’homme sera totalement soumis à
Dieu. 2° On peut aussi considérer
les dons quant à la matière sur laquelle ils s’exercent. À cet égard, ils ont à
s’exercer présentement dans une matière qui aura disparu dans l’état de gloire.
Et à ce point de vue ils ne demeureront pas dans la patrie, ainsi que nous
l’avons dit auparavant à propos des vertus cardinales.
Solutions :
1. Saint Grégoire parle là des dons selon
qu’ils conviennent à l’état présent ; c’est bien par eux en effet que nous
sommes protégés contre les tentations des maux de cette vie. Mais dans l’état
de gloire, tous les maux ayant cessé, les dons du Saint-Esprit serviront encore
à nous parfaire dans le bien.
2. Saint Grégoire met en chacun des dons
quelque chose qui passe avec l’état présent, et quelque chose qui demeure dans
la vie future. Il dit en effet que « la sagesse rassasie l’âme par l’espérance et la certitude
des biens éternels ». De ces
deux choses, l’espérance passe, mais la certitude demeure. - De l’intelligence
il dit « qu’elle pénètre
l’enseignement entendu, et par là même en éclaire les ténèbres en nous
rassasiant le cœur. » De ces deux
choses, l’enseignement entendu passe, puisque « l’homme n’aura plus à enseigner son frère » comme il est écrit en Jérémie[469] mais l’illumination de l’esprit
demeurera. - Du conseil, il dit qu’il « empêche
la précipitation », ce qui est
nécessaire dans la vie présente, et en outre, qu’il « remplit l’âme de
raison », ce qui est nécessaire même dans la vie future. - De la force il
dit qu’elle « ne craint pas
l’adversité », ce qui est nécessaire
à présent, et en outre, qu’elle « nourrit
la confiance », ce qui demeure même à
l’avenir. - Pour la science il est vrai qu’il mentionne une seule chose,
qu’elle « surmonte le jeûne de
l’ignorance », ce qui appartient à
l’état présent. Mais ce qu’il ajoute : « dans
le ventre de l’esprit », peut au
figuré s’entendre d’une plénitude de connaissance, ce qui demeure même dans
l’état futur. - Pour la piété il dit qu’elle « remplit les entrailles du cœur d’œuvres de miséricorde. » C’est là une chose qui littéralement
n’appartient qu’à l’état présent. Mais ce sentiment profond à l’égard du
prochain, que désigne le mot « entrailles », appartient aussi à l’état futur, où
la piété ne se répandra plus en œuvres de miséricorde mais en gratitude réciproque.
– À propos de la crainte, il dit qu’elle « abaisse
l’esprit pour l’empêcher de s’enorgueillir du présent », ce qui est bien pour le présent ; il dit aussi qu’ « au sujet des réalités futures,
elle le réconforte en le nourrissant d’espérance. C’est encore pour maintenant,
quant à l’espérance ; mais ce peut être aussi pour l’état à venir, quant au
réconfort que procurent ces réalités espérées ici-bas et obtenues là-haut. »
3. Cette raison est valable si l’on regarde
la matière des dons. Car les œuvres de la vie active ne seront plus la matière
des dons. Mais tous exerceront leurs actes sur les choses de cette vie
contemplative qu’est la vie bienheureuse.
Objections :
1. Il semble que ces récompenses dont
l’énumération est la suivante : la possession du royaume de Dieu, de la terre,
la consolation, le rassasiement de tout désir de justice, l’obtention de la
miséricorde, la vision de Dieu, le nom de fils de Dieu, peuvent être d’ores et
déjà obtenues dès cette terre chez les saints, comme nous l’avons montré
précédemment. Il est donc inutile qu’elles le soient à nouveau après la mort.
2. Il semble que
la possession de la terre est une récompense du monde d’ici-bas. Or, dans la
vision béatifique, nul n’emporte avec lui ses possessions terrestres.
Cependant :
Le
livre de l’Apocalypse écrit : « Il
essuiera toutes larmes de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus, de pleur, de
cri, de peine, il n’y en aura plus car l’ancien monde s’en est allé. » Les récompenses promises pour les
béatitudes sont donc de l’au delà.
Conclusion :
Durant notre vie terrestre, les récompenses promises
dans les béatitudes sont déjà présentes en germe chez les saints, à la manière
d’un commencement. En premier lieu, ils possèdent déjà la grâce qui est la
cause par mode de mérite de la béatitude future qui sera réalisée en eux. En
second lieu, leur espérance leur fait déjà goûter les biens de la vie future.
Ils possèdent en quelque sorte les moyens qui les mènent à la fin espérée et
sont donc sous ce rapport déjà en possession de la fin.
Cependant, les promesses des béatitudes ne
trouveront leur pleine réalisation que lors de l’entrée dans la vision de Dieu
qui sera la cause de la béatitude parfaite à la fois dans l’esprit, et par
répercussion dans la sensibilité et dans le corps.
Solutions :
1. Il est certain que ces récompenses là
seront parfaitement consommées dans la vie future. Mais en attendant, même en
cette vie, elles sont en quelque sorte commencées. Car le royaume de Dieu peut
s’entendre au dire de saint Augustin, du commencement de la parfaite sagesse,
selon lequel chez les parfaits l’esprit commence à régner. Mais, dans la vie
future, le royaume de Dieu sera possédé en plénitude à cause de la possession
par l’âme de l’essence même de Dieu ; consolés, les bienheureux le seront par
l’inhabitation totale du Saint Esprit, c’est à dire du Consolateur, dans leur
âme ; rassasiés, ils le seront par l’assouvissement en Dieu de tous leurs
désirs, car Dieu est le bien par essence ; ils seront aussi rassasiés de
justice car ils verront directement dans l’essence divine la parfaite harmonie
qui commande la distribution des peines et des récompenses ; ils obtiendront la
miséricorde de Dieu non seulement comme sur terre dans l’obscurité de la foi
mais face à face ; ils y seront purifiés par l’entière conformité de leur
volonté avec la volonté de Dieu qui est la règle de toute pureté.
2. La possession de la terre doit
s’entendre en premier dans un sens spirituel. Il est en effet évident que, même
sur la terre, la possession des richesses n’est pas forcément un signe de la
bénédiction de Dieu. Les méchants coulent très souvent leurs jours dans le
bien-être, selon la parole de Job[471]. La possession de la terre doit donc
s’entendre en premier lieu de la possession des récompenses spirituelles que
les bons reçoivent dès cette vie selon saint Marc[472] : « vous recevrez le centuple même
dans ce siècle ». De même, les méchants, s’ils possèdent parfois en ce
monde les richesses matérielles, ne possèdent jamais les richesses
spirituelles, selon saint Augustin[473] : « tu as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, qu’une âme en
désordre soit à elle-même sa peine ».
Dans la Vision béatifique, les bienheureux
posséderont la terre en plénitude à la fois si on s’entend au sens spirituel
avant la résurrection et au sens matériel après la résurrection de leur corps,
puisque Dieu donnera aux hommes un univers renouvelé[474].
Objections :
1. Les fruits du Saint-Esprit énumérés par
l’apôtre[475] charité, joie, paix, longanimité,
serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi,
chasteté auxquels on peut rajouter la modestie et la mansuétude ne semblent pas
être des effets de la Vision béatifique puisqu’ils peuvent exister sans elle
comme on le voit chez les saints.
2. On voit mal à quoi pourrait servir la
chasteté, du moins avant la résurrection des corps puisqu’elle n’aura pas de
corps à réfréner dans ses penchants.
3. De même, la serviabilité est un effet de
la charité sur la terre. Les âmes au Ciel n’en auront nullement besoin
puisqu’elles n’auront aucun service à rendre.
Cependant :
Le livre de l’Apocalypse écrit : « Je vis le fleuve de vie qui jaillissait du trône de Dieu et
de l’agneau. Au milieu de la place, de part et d’autre du fleuve, il y a des
arbres de vie qui fructifient douze fois.
» [476] Les arbres de vie symbolisent les
fruits du Saint-Esprit. Ils sont donc bien un effet de la Vision béatifique
symbolisé par le fleuve de vie.
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, les fruits du Saint-Esprit ne sont pas
autre chose que l’effet de la charité. En un premier sens, les fruits peuvent
être des actes car la charité pousse l’homme à agir. Selon cette acception, les
fruits du Saint-Esprit demeurent après l’entrée dans la vision béatifique de la
même façon que nous l’avons décrit pour les dons du Saint-Esprit. En un second
sens, les fruits peuvent désigner les récompenses des actes car tout acte porte
des fruits soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de celui qui agit.
Saint Paul, dans le texte cité, entend
par fruit du Saint-Esprit cette délectation ultime et intérieure que l’homme
goûte en agissant dans la charité. En ce sens, il est évident que, dans la
Vision béatifique, l’homme recueillera en plénitude les fruits du Saint-Esprit
à cause du rejaillissement dans son âme de sa vie d’amour réciproque avec Dieu.
Le premier fruit sera la charité. Il ne
s’agit pas de la charité en tant que vertu qui est à la base de toute entrée
dans la Vision béatifique. Il s’agit de la charité en tant qu’elle sera rendue
brûlante par la vision de l’essence de Dieu. La connaissance du bien, en effet,
rend l’amour de ce bien parfait.
Le second fruit sera la joie[477] et elle sera plénitude. Celui qui aime
se réjouit quand il est uni à ce qu’il aime. Or l’âme sera unie d’une manière
totale à Dieu par la vision, d’où sa béatitude.
Le troisième fruit sera une paix totale
et absolue. Une paix intérieure d’abord puisque tous les désirs et toutes les
affections de l’âme seront unis par le repos dans le Dieu unique ; une paix
avec tous les participants de la vision divine en second lieu puisque chacun
aimera le prochain comme Dieu lui-même l’aime et aura une volonté conforme à la
sienne. Il y aura donc parfaite identité des vouloirs.
Quant aux autres fruits, ils seront de
la même façon conséquences de la charité parfaite qui régnera dans le monde
nouveau.
Solutions :
1. Chez les saints, les fruits du
Saint-Esprit existent d’une manière limitée par l’exercice de la charité sur la
terre. Dans la Vision béatifique, la charité s’exerce dans la plénitude de ses
potentialités sans aucun des obstacles liés à notre condition passagère. Elle
portera donc des fruits en plénitude.
2. La chasteté comme fruit du Saint-Esprit
est une aisance intérieure qui ordonne les plaisirs vers la plus grande gloire
de Dieu. Mais les plaisirs ne sont pas seulement ceux du corps. Ils sont aussi
ceux de l’esprit. Dans la vie future, la chasteté ne s’exercera plus par
rapport aux plaisirs relatifs à la nourriture et aux choses sexuelles puisque
de tels plaisirs n’existeront plus à la manière d’ici-bas. Mais elle restera dans
ce qu’elle a de formel c’est-à-dire qu’elle ordonnera toutes les affections de
l’homme et les plaisirs ineffables de la béatitude dans la louange de Dieu.
3. Les âmes du
Ciel peuvent exercer leur serviabilité pour ceux qui en ont besoin, tant sur la
terre qu’au purgatoire. Elles le font principalement par leurs prières. À la
fin du monde, lorsqu’il ne restera personne à aider, la serviabilité restera un
état permanent du monde des esprits, c’est-à-dire une disposition intérieure
qui rendra chacun attentif aux autres.
Objections :
1. Il semble que, dans la béatitude, la
délectation soit plus primordiale que la vision. Car, au dire d’Aristote, « la délectation est la perfection de
l’activité. » Or ce qui perfectionne
est supérieur à ce qui est perfectionné. Donc la délectation est plus
importante que l’activité de la vision.
2. Ce qui rend une chose désirable est
supérieur à cette chose. Or les opérations sont désirées à cause des
délectations qu’elles procurent ; c’est pourquoi la nature, lorsqu’il s’agit
d’opérations nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce, y a
attaché la délectation, afin que ces activités ne soient pas négligées par les
êtres animés.
3. La vision correspond à la foi, et la
délectation ou fruition à la charité. Or la charité est supérieure à la foi,
dit l’Apôtre[479]. Donc la délectation ou fruition est
supérieure à la vision.
Cependant :
La cause est supérieure à l’effet. Mais la vision est la cause de
la délectation ; donc la vision est supérieure à la délectation.
Conclusion :
Cette question a été soulevée par
Aristote au livre X de son Ethique,
et il l’a laissée pendante. Mais si l’on y regarde de près, on reconnaîtra
nécessairement que l’activité de l’intellect, la vision, prévaut sur la
délectation. En effet, la délectation consiste en un certain repos de la
volonté. Or, si la volonté se repose en quelque chose, c’est uniquement parce
qu’elle trouve un bien dans l’objet de son repos. Donc, si la volonté trouve
son repos dans une activité, c’est à cause de la bonté de celle-ci. Et il ne
faut pas dire que la volonté cherche le bien en vue du repos ; car alors l’acte
même de la volonté serait sa fin, ce que nous avons déclaré impossible ; mais
la volonté cherche à se reposer dans cette activité parce que celle-ci est son
bien. Il est évident que le bien le plus primordial est ici l’opération dans
laquelle la volonté se repose, plutôt que le repos de la volonté dans ce bien.
Solutions :
1. Selon Aristote au même endroit, la
délectation parfait l’opération vitale à la manière dont la grâce parfait la
jeunesse, grâce qui est un effet de la jeunesse elle-même. Il en découle que la
délectation est une certaine perfection accompagnant la vision, et non une
perfection qui rende la vision parfaite dans son espèce.
2. La perception sensible n’atteint pas à
la raison générale du bien, mais à un bien particulier qui se présente comme
délectable. C’est pourquoi, en ce qui regarde l’appétit sensible des animaux,
les activités sont recherchées en vue de la délectation. L’intellect, au
contraire, saisit la raison universelle du bien, dont la possession engendre la
délectation. Pour cette raison, il se propose le bien à titre premier, plutôt
que la jouissance. De là vient aussi que l’intellect divin, en instituant la
nature, a attaché les délectations aux activités dans l’intérêt de celles-ci.
Or il ne convient pas de porter sur les choses une appréciation décisive au
niveau de l’appétit sensible, mais au niveau de l’appétit intellectuel.
3. La charité ne recherche pas le bien aimé
en vue de la délectation. C’est par voie de conséquence qu’elle se délecte
dans la possession du bien qu’elle aime. Et ainsi ce n’est pas la délectation
qui correspond à la charité comme étant sa fin, mais plutôt la vision, par
laquelle d’abord cette fin lui est rendue présente.[480]
Objections :
1. Il semble que les saints qui voient Dieu
en son essence voient toutes les choses que Dieu connaît en lui-même, car,
comme dit Isidore : « Les anges
voient toutes choses dans le Verbe de Dieu, avant qu’elles s’accomplissent ». Les saints seront égaux aux
anges de Dieu, selon saint Matthieu. En voyant Dieu, ils verront donc toutes
choses.
2. Saint Grégoire dit : « Puisque là-haut ils verront tous Dieu
en une même clarté, que pourraient-ils ignorer en connaissant celui qui sait
toutes choses ? » Il parle des bienheureux
qui voient Dieu par essence. Ceux qui le voient de cette manière connaissent
donc toutes choses.
3. Comme dit Aristote : « L’intelligence qui connaît les plus
grandes choses peut plus encore connaître les plus petites. » Mais le plus élevé des intelligibles est Dieu. La puissance de
l’intelligence est donc très augmentée en le connaissant. En le voyant elle
voit donc toutes choses.
4. L’intelligence n’est empêchée de
connaître quelque chose que parce que celle-ci la dépasse. Mais aucune créature
ne peut dépasser l’intelligence qui voit Dieu. En effet, saint Grégoire dit : « Toute créature devient minime pour
l’âme qui voit le Créateur. » Ceux
qui voient Dieu en son essence connaissent donc toutes choses.
5. Toute puissance passive qui ne passe pas
à l’acte est imparfaite. L’intellect possible de l’âme humaine est une
puissance passive ordonnée à tout connaître, puisque « l’intellect possible est ce par quoi nous devenons toutes
choses », comme dit saint Grégoire.
Si donc dans la béatitude il ne connaissait pas toutes choses, il demeurerait
imparfait, ce qui est absurde.
6. Tout homme qui voit un miroir voit tout
ce que ce miroir reflète. Or toutes choses sont comme reflétées dans le Verbe
de Dieu, qui est la raison et l’image de tout. Les saints qui voient le Verbe
par essence, voient donc toutes les créatures.
7. Les Proverbes disent : « Les justes obtiendront l’objet de leur
désir. » Les saints désirent
connaître toutes choses. Puisque « tous
les hommes, par nature, désirent connaître
», et que la nature n’est point supprimée par la gloire. Dieu leur donnera
donc de tout connaître.
8. L’ignorance est une sorte de châtiment
de la vie présente. Or tout châtiment sera supprimé pour les saints, dans la
gloire. Donc aussi toute ignorance : ils connaîtront donc toutes choses.
9. La béatitude des saints est d’abord dans
l’âme, puis dans le corps. Les corps des saints seront transformés dans la
gloire pour être assimilés au corps du Christ selon saint Paul aux Éphésiens.
Les âmes seront donc perfectionnées aussi par la similitude de l’âme du Christ.
Celle-ci voit toutes choses dans le Verbe. Toutes les âmes des saints verront
donc toutes choses dans le Verbe.
10. L’intelligence comme le sens connaît
tout ce dont elle reçoit en elle la similitude. Or l’essence divine représente
toutes choses plus exactement que toute autre similitude des autres choses.
Puisque, dans la vision bienheureuse, l’essence divine devient comme la forme
de notre intelligence, il semble que les saints verront tout en Dieu.
11. Aristote dit que « si l’intellect agent devenait la forme de notre intellect
possible, nous connaîtrions toutes choses.
» Mais la divine essence contient la représentation de toutes choses plus
clairement que l’intellect agent. L’intelligence, en voyant Dieu en son essence,
connaît donc toutes choses.
12. Les anges
inférieurs, qui ne connaissent pas toutes choses, sont illuminés au sujet de ce
qu’ils ignorent, par les anges supérieurs. Mais après le jour du jugement un
ange n’en éclairera plus un autre, car alors toute prééminence cessera, comme
dit la Glose au sujet de l’Epître de saint Paul aux Corinthiens. Les anges
inférieurs connaîtront alors toutes choses, et pour le même motif, tous les
saints qui verront Dieu en son essence.
Cependant :
Comme dit Denys, «
les anges supérieurs libèrent les inférieurs de leur ignorance ». Or les anges inférieurs volent
l’essence divine ; un ange qui voit cette essence peut donc quand même ignorer
certaines choses. Et l’âme ne voit pas Dieu plus parfaitement qu’un ange, il
n’est donc point nécessaire que les âmes qui voient Dieu connaissent toutes
choses.
En
outre, le Christ seul possède l’esprit sans mesure, comme dit saint Jean. C’est
en tant que tel qu’il connaît toutes choses dans le Verbe. C’est pourquoi, nous
voyons dans le même passage, que « le
Père a mis toutes choses dans sa main. »
Nul autre que le Christ n’a donc le pouvoir de connaître toutes choses dans le
Verbe.
De plus, plus un principe est connu parfaitement,
plus on connaît à travers lui ses nombreux effets. Mais certains de ceux qui
verront Dieu dans son essence le connaîtront plus parfaitement, lui qui est le
principe de toutes choses. Certains connaîtront donc plus de choses que
d’autres. Et tous ne sauront pas tout.
Conclusion :
Dieu, en connaissant son essence, connaît tout ce
qui est, sera, a été. Et ce mode de connaissance est appelé connaissance de
vision, parce qu’elle est semblable à la vision corporelle qui connaît toutes
les choses présentes. En voyant son essence, Dieu connaît en outre tout ce
qu’il est capable de faire, bien qu’il ne l’ait jamais réalisé et ne le
réalisera pas. Sinon il ne connaîtrait point parfaitement sa puissance, car on
ne connaît pas sa puissance si on en ignore les objets. C’est ce qu’on appelle
connaître de science ou connaissance de simple intelligence.
Il est impossible qu’une intelligence créée, en
voyant l’essence divine connaisse toutes les choses que Dieu peut faire. Plus
un principe est connu parfaitement, plus on connaît de choses à travers lui, de
même que dans un principe de démonstration, celui qui possède un esprit plus
perspicace découvre plus de conclusions que celui qui a un esprit plus lent.
Puisque le degré de la perfection divine correspond à ce dont elle est capable,
si une intelligence voyait dans l’essence divine tout ce que Dieu est capable
de faire, elle serait d’un degré de perfection égal, dans son acte de
connaissance, à la perfection de la puissance divine réalisant ses effets :
elle engloberait donc la puissance divine, ce qui est impossible pour tout esprit
créé. Par contre, les choses que Dieu connaît par science de vision peuvent
être connues dans le Verbe par un esprit créé, c’est-à-dire l’âme du Christ. Au
sujet de ceux qui, en dehors du Christ, voient l’essence divine, il y a deux
opinions différentes : Les uns disent que tous ceux qui voient Dieu en son
essence voient tout ce que Dieu voit par science de vision. Mais cela est en
désaccord avec les affirmations des saints, qui disent que les anges ignorent
certaines choses, bien qu’il soit de foi qu’ils voient tous Dieu en son
essence. Les autres disent que les autres que le Christ, bien qu’ils voient
Dieu en son essence, ne voient pas tout ce que Dieu voit, parce qu’ils ne
saisissent pas la plénitude de l’essence divine. Il n’est pas nécessaire que celui
qui connaît une cause en connaisse tous les effets, s’il connaît intégralement
la cause. Or cela n’est pas possible pour un esprit créé. C’est pourquoi chacun
de ceux qui voient Dieu en son essence voit d’autant plus de choses en elle,
qu’il la pénètre plus clairement : certains pourront donc en éclairer d’autres.
De cette manière, la science des anges et des saintes âmes peut croître
jusqu’au jour du jugement, comme les éléments qui appartiennent à la récompense
accidentelle. Mais ensuite cette science ne croîtra plus, car ce sera le
dernier état des choses, et dans cet état il est possible que tous connaissent
tout ce que Dieu connaît par sa science de vision.
Solutions :
1. Ce que dit Isidore : « Les anges savent dans le Verbe toutes
choses avant qu’elles s’accomplissent »,
ne peut se rapporter à ce que Dieu sait de science de simple intelligence
puisque ces choses ne se produiront jamais. Elles ne peuvent être rapportées
qu’à ce que Dieu connaît par science de vision. De ces choses, il ne dit pas
que tous les anges les connaissent toutes, mais peut-être quelques-unes. Et
ceux-là même qui les connaissent ne le font pas parfaitement. Dans une même
chose on peut en effet considérer de multiples raisons intelligibles, comme
diverses propriétés, et relations avec les autres choses : il est possible que
tandis que deux personnes connaissent la même chose, l’une perçoive plus de
raisons que l’autre et puisse les communiquer à l’autre. C’est pourquoi Denys
dit que "les anges inférieurs reçoivent des anges supérieurs les raisons
intelligibles des choses. Les anges qui connaissent toutes les créatures ne
perçoivent pas nécessairement tout ce qui est intelligible en elles.
2. De cette citation de saint Grégoire, il
ressort que dans la Vision béatifique nous est donné le pouvoir de tout
connaître, puisque l’intermédiaire de notre connaissance sera alors l’essence
divine elle-même, essence par laquelle Dieu connaît tout. Mais le fait que tout
ne sera pas compris est à mettre au compte des limites de notre intelligence créée,
qui ne peut comprendre l’essence divine.
3. L’intelligence créée ne voit pas
l’essence divine selon le mode d’être de cette essence mais selon son mode
propre, qui est limité. Il n’est donc pas exigé que sa pénétration de
connaissance en cette vision soit étendue infiniment jusqu’à la connaissance de
toutes choses.
4. Le défaut de connaissance ne provient
pas seulement d’un excès ou d’un défaut de ce qui est connaissable, mais aussi
de ce que la raison connaissable n’est pas unie entièrement à l’intelligence :
de même que la vue parfois ne voit pas une pierre, parce que l’image de cette
pierre ne l’atteint pas. Bien que l’esprit qui voit Dieu soit uni à son essence
divine, qui est le principe de toutes choses, il ne lui est pas uni en tant
qu’elle est la raison (ou source intelligible) de toutes les choses, mais en
tant qu’elle est la raison de quelques choses : et chacun pénètre d’autant plus
l’essence divine qu’il y voit la raison de plus de choses.
5. Quand une puissance passive peut être
perfectionnée par plusieurs perfections ordonnées l’une à l’autre, si elle est
perfectionnée par la plus élevée de ces perfections, on ne dit pas qu’elle est
imparfaite parce quelques dispositions précédentes lui manquent. Toute
connaissance qui perfectionne l’intelligence créée est ordonnée, comme à sa
fin, à la connaissance de Dieu. Donc, en voyant Dieu en son essence même si on
ne voyait rien d’autre, l’intelligence serait parfaite. Et elle n’est pas plus
parfaite parce qu’elle connaît en même temps quelque autre chose, à moins que
cela augmente sa connaissance de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin dit :
« Malheureux l’homme qui connaît toutes les choses créées et t’ignore.
Bienheureux celui qui te connaît, même s’il ignore le reste. Celui qui te
connaît, et aussi d’autres choses, n’en est pas plus heureux : il n’est
bienheureux qu’à cause de toi seul. »
6. Ce miroir est doué de volonté, et de
même qu’il se montre à qui il veut, ainsi il manifeste en lui-même ce qu’il
veut. Ce n’est point comme le miroir matériel qui n’a pas le pouvoir de se
faire voir ou non. On pourrait dire aussi que dans le miroir matériel, les
choses reflétées, comme le miroir lui-même, apparaissent sous leur propre
forme. Bien que ce miroir apparaisse grâce à la forme qu’il reçoit de la réalité,
tandis que la pierre réfléchie par lui, n’est vue que par sa propre forme qui
est réfléchie par autre chose qu’elle-même. Par la même raison on connaît l’un
et l’autre. Au contraire, dans le miroir incréé, on voit quelque chose par la
forme du miroir lui-même, comme un effet est vu à travers la connaissance de sa
cause, et vice versa. Il n’est donc pas nécessaire que qui voit le miroir
éternel voie tout ce qui s’y trouve contenu. En effet, quelqu’un qui voit une
cause ne voit pas nécessairement tous ses effets, à moins qu’il n’ait une
connaissance exhaustive de cette cause.
7. Le désir qu’ont les saints de tout
connaître est assouvi seulement par la vue de Dieu, de même que leur désir de
posséder tous les biens sera satisfait par la possession de Dieu. De même que
Dieu, bonté parfaite, comble tout amour de bien, et que sa possession procure
de quelque manière tous les biens, de même sa vue donne une satisfaction totale
à l’intelligence. Comme dit saint Jean : «
Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. »
8. L’ignorance proprement dite marque une
privation de quelque chose : comme telle, elle est une peine ; elle est alors
la privation de la connaissance de choses qui devraient être connues ou qu’il
est nécessaire de connaître. Dans la patrie céleste, les saints ne seront
privés d’aucune connaissance de ce genre. Mais parfois, on prend le mot
ignorance pour signifier n’importe quelle absence d’une connaissance. En ce
sens, les anges et les saints ignoreront certaines choses dans la patrie. C’est
pourquoi Denys dit que « les
anges sont libérés de l’ignorance. »
Ainsi comprise, l’ignorance n’est pas un châtiment, mais seulement une
déficience. Et il n’est point nécessaire que toute déficience de ce genre
disparaisse dans la gloire : dans le même sens, on pourrait dire que c’était un
défaut pour le Pape Lin de ne point parvenir à la gloire de saint Pierre.
9. Notre corps sera conforme à celui du
Christ dans la gloire en similitude mais non en égalité : il sera lumineux
comme le corps du Christ, mais non également. De même notre âme possédera la
gloire à la ressemblance de l’âme du Christ, mais non également. Elle possédera
donc la science comme l’âme du Christ, mais non autant. Elle ne saura pas
toutes choses comme l’âme du Christ.
10. Bien que l’essence divine soit le
principe de toutes les choses connaissables, ce n’est pas en tant que principe
de toutes choses qu’elle sera unie à l’intelligence créée. L’argument proposé
ne vaut donc pas.
11. L’intellect agent est la forme
proportionnée à l’intellect possible, de même que la puissance de la matière
est proportionnée à la puissance naturelle : de telle sorte que tout ce qui est
dans la puissance passive de la matière ou de l’intellect possible, se trouve
dans la puissance active de l’intellect agent ou de l’agent naturel. C’est
pourquoi, si l’intellect agent devient la forme de l’intellect possible,
celui-ci doit connaître tout ce à quoi s’étend la puissance de l’intellect
agent. Mais l’essence divine n’est pas une forme qui serait proportionnée de
cette manière à notre intelligence. La comparaison ne vaut donc pas.
12. Rien n’empêche de dire qu’après le jour
du jugement, quand la gloire des hommes et des anges sera totalement achevée,
tous les bienheureux sauront tout ce que Dieu connaît de science de vision,
bien que tous ne voient pas toutes choses dans l’essence divine. Mais l’âme du
Christ verra alors pleinement toutes choses, comme elle le voit déjà
maintenant. Les autres âmes verront alors plus ou moins de choses, selon le
degré de clarté de leur connaissance de Dieu : c’est ainsi que l’âme du Christ
illuminera les autres âmes au sujet de ce qu’elle voit mieux qu’elles dans le
Verbe. C’est pourquoi l’Apocalypse dit que « la
clarté de Dieu illuminera la cité de Jérusalem, et sa source de lumière est l’Agneau. » De même les supérieurs illumineront
les inférieurs, non par une nouvelle illumination qui augmenterait la science
des inférieurs, mais par une sorte de prolongation d’illumination : comme si on
imagine que le soleil au repos illumine l’air. C’est pourquoi Daniel dit que « ceux qui enseignent à beaucoup la
justice, brilleront comme les étoiles pour l’éternité. » La prééminence des divers ordres cessera seulement quant aux
choses qu’ils exercent actuellement à notre égard par leurs ministères subordonnés
l’un à l’autre, comme cela ressort de la Glose de ce texte.
Objections :
1. Il semble que la Vision béatifique peut
se perdre : elle est une certaine perfection ; Or toute perfection inhère à son
sujet selon le mode de ce sujet, et puisque l’homme est de nature changeante,
il semble que la béatitude ne soit participée par lui que selon le mode du
changement, de telle sorte qu’il puisse la perdre.
2. La Vision béatifique est une opération
de l’intelligence et l’intelligence dépend de la volonté. Or la volonté
s’applique aux contraires ; donc elle peut se désister de l’opération
béatifiante et ainsi l’homme cessera de voir Dieu.
3. Au surplus,
lorsqu’il y a commencement, il y a fin. Or la vision que l’homme a de Dieu a un
commencement, puisque l’homme ne l’a pas toujours vu : il semble donc qu’elle
doive avoir une fin.
Cependant :
L’évangéliste[482] dit des justes « qu’ils iront dans la vie éternelle », vie qui n’est autre, comme nous l’avons dit, que la béatitude
des saints. Or ce qui est éternel ne fait jamais défaut : donc la vision de
Dieu ne peut jamais être perdue.
Conclusion :
Origène
pensait, entraîné par l’opinion de certains platoniciens, que l’homme peut
tomber dans le malheur après avoir acquis la dernière béatitude. Mais cela
apparaît manifestement faux de deux façons. Tout d’abord si l’on considère ce
qu’est la Vision béatifique. Nous avons montré que le royaume de Dieu consiste
dans la vision de l’essence divine. Or il est impossible que celui qui voit
l’essence divine veuille ne plus la voir ; Car tout bien que l’on possède et
dont on veut se défaire ou se présente comme insuffisant, et l’on cherche à sa
place un objet qui puisse suffire ou se trouve conjoint à quelque déplaisir et
c’est à cause de cela qu’on le prend en dégoût. Mais la vision de l’essence
divine remplit l’âme de tous les biens en l’unissant à la source de toute
bonté, ce qui fait dire au psalmiste XVI, 15 : « Je serai rassasié lorsque m’apparaîtra ta gloire ». De même la vision de l’essence
divine n’entraîne aucun déplaisir car de la contemplation de la Sagesse il est
dit encore[483] : «
sa société n’a pas d’amertume et son commerce n’a pas d’ennui. » On voit donc clairement par là que
les Bienheureux ne peuvent de leur propre volonté renoncer à la béatitude.
Dieu, de son côté ne peut la leur ravir ; car le
retrait de la Vision béatifique étant une peine, il ne peut être infligé par
Dieu juste juge que pour une faute ; mais celui qui voit l’essence de Dieu ne
peut pas commettre de faute, puisque cette vision entraîne nécessairement la
rectitude de la volonté, comme nous l’avons fait voir.
Enfin, nul autre agent n’est capable de soustraire à
l’homme un tel bien ; car l’âme unie à Dieu se trouve élevée au-dessus de toute
créature, et par suite aucun agent ne peut l’arracher à une pareille union. Il
paraît donc de toute manière insoutenable que par je ne sais quelles
vicissitudes des temps l’homme passe de la béatitude à la misère et
réciproquement. Ces sortes de vicissitudes n’appartiennent qu’à ce qui est
soumis au temps et au mouvement.
Cependant, l’éternité peut être regardée selon un
autre sens. Au sens strict, il s’agit d’une notion que la théologie attribue
seulement à Dieu. Boèce en donne la définition suivante : l’éternité est la
possession à la fois immédiate, totale et parfaite de la vie qui ne finira
jamais[484]. Nous n’avons
pas de termes qui puissent nous aider à comprendre cette notion, même si nous
admettons, par révélation et par raisonnement, que la communion et l’amitié
avec Dieu ne peuvent être qu’éternelles. L’analogie de l’instant, qui est
d’autant plus intense qu’il est rempli et comblé, peut nous en approcher.
L’éternité est moins une durée qu’une profondeur, coextension de la conscience
à la réalité. L’éternel en effet embrasse la totalité de l’être, et notre
conscience, en coïncidant d’une certaine manière avec la totalité de l’être,
pourra entrer dans l’éternité.
Solutions :
1. La vision de Dieu est une certaine
perfection, comme on le dit ; mais c’est une perfection consommée, qui exclut
tout défaut dans celui qui la possède, aussi elle est acquise par l’élu hors de
toute mutabilité, grâce à la vertu divine qui élève l’homme à la participation
de son éternité, au-dessus de toute vicissitude.
2. On observe que la volonté peut se
décider en des sens contraires, et c’est vrai en ce qui concerne nos décisions
en vue de notre fin ; mais quant à la fin dernière elle-même, la volonté s’y
dirige d’un mouvement de nécessité naturelle, et ce qui le prouve, c’est que
l’homme ne peut manquer de désirer être heureux.
3. Le fait que la
Vision béatifique a un commencement ne prouve pas non plus qu’elle ait une fin.
Car si elle a un commencement, c’est en raison de la condition de l’homme qui
la participe, et si elle ne doit pas avoir de fin, la raison en est dans la
condition du bien dont la participation rend heureux. Ainsi, c’est pour une
cause que la béatitude a un commencement et pour une autre qu’elle n’a pas de
fin.
A propos de ce sujet, cinq questions se posent :
1° La lumière de gloire[485] est-elle nécessaire pour voir Dieu ?
2° La lumière de gloire est-elle une
réalité créée ?
3° La lumière de gloire est-elle un
intermédiaire entre Dieu et l’âme ?
4° La lumière de gloire est-elle la même
chose que la grâce habituelle ?
5° La lumière de gloire a-t-elle son siège
dans l’intelligence ?
Objections :
1. Il ne semble pas. Comme nous l’avons
montré, Dieu se comporte dans la Vision béatifique comme le concept pour
l’intelligence. Il informe donc directement l’intelligence sans qu’aucune autre
lumière ait besoin d’être surajoutée.
2. Dieu est
lumière. Il est donc par lui-même éminemment intelligible. Il n’a donc pas
besoin d’être rendu intelligible par autre chose que lui-même.
Cependant :
Le
concile de Vienne (1312) note : « L’âme
a besoin d’une lumière de gloire qui l’élève pour voir Dieu et jouir de lui
dans la béatitude »[486].
Conclusion :
Dans
toute connaissance, on peut distinguer deux termes : ce qui connaît et ce qui
est connu. Pour que la connaissance soit possible, il doit y avoir une
proportion entre l’objet connu et ce qui connaît. Ainsi l’œil ne peut voir une
lumière trop vive car elle dépasse en proportion ses capacités. Or Dieu est
pour l’intelligence humaine dans le même rapport que la lumière trop vive pour
l’œil. Pour qu’il puisse être vu dans son essence, il faut donc que
l’intelligence soit adaptée à sa lumière. Elle doit être élevée au-dessus
d’elle-même et c’est le rôle de la lumière de gloire. C’est pourquoi l’Écriture
Sainte affirme :[487] « par
ta lumière nous voyons la Lumière ».
Par la lumière de gloire qui surélève la capacité de l’intelligence, nous
voyons la lumière éternelle qui est l’essence divine.
Solutions :
1. Dieu informe directement l’intelligence.
Mais l’intelligence a besoin d’être préparée pour recevoir une telle
connaissance qui la dépasse, comme nous l’avons montré. La lumière de gloire ne
constitue pas un intermédiaire entre l’intelligence et l’essence de Dieu mais
une disposition préalable de l’intelligence.
2. La lumière de gloire n’est pas
nécessaire pour rendre Dieu intelligible en lui-même mais pour le rendre
intelligible par rapport à nous.
Objections :
1. Dieu vivifie l’âme, comme l’âme vivifie
le corps « il est lui-même ta
vie », dit le Deutéronome[488]. Mais c’est sans intermédiaire que
l’âme vivifie le corps. De même par conséquent, rien ne s’interpose entre Dieu
et l’âme dans la Vision béatifique et la lumière de gloire n’est autre que
l’Esprit Saint lui-même.[489]
2. L’Apocalypse de saint Jean écrit à propos
de la lumière de gloire : « La ville
peut se passer de l’éclat du soleil et de la lune car la gloire de Dieu l’a
illuminée »[490]. Par la lumière du soleil, on entend la
connaissance donnée par l’humanité du Christ ; Par la lumière de la lune, on
entend la médiation de la vierge Marie et des saints par qui nous est donné le
Sauveur, de même que la lune reflète la lumière du soleil. Dans la gloire, nous
serons donc éclairés par Dieu lui-même et par une lumière créée.
Cependant :
Le
prophète Baruch [491]écrit : « Dieu guidera Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec
la miséricorde et la justice qui viennent de lui ». Or ce qui vient de Dieu est un effet de Dieu en l’homme et
non Dieu lui-même. C’est donc une créature.
Conclusion :
Appliqué
à Dieu, le mot lumière peut signifier deux choses. En un premier sens, il peut
désigner l’essence même de Dieu, en tant qu’elle est éminemment intelligible.
C’est pourquoi saint Jean écrit « Dieu
est lumière »[492]. Pris en ce sens, la lumière est une
réalité incréée car elle est Dieu lui-même. En second sens, la lumière peut
désigner toutes les grâces données à l’homme qui illuminent son esprit : « La parole de Dieu est limpide, lumière
pour les yeux »[493]. En ce sens, les grâces données par
Dieu peuvent être appelées lumières et ce sont des réalités créées. Telle est
la lumière de gloire qui surélève la capacité de l’âme pour la rendre capable
de voir Dieu face à face. Elle est une qualité de l’âme par laquelle Dieu
pourvoit à la nécessité de sa créature qu’il veut gratifier de la vision
surnaturelle de son essence. La lumière de gloire est une disposition active
appropriée à cet acte contemplatif. Par elle, la vision devient en un certain
sens connaturelle à l’intelligence dont l’acte devient aisé, sans
éblouissement.
Solutions :
1. Dieu est la vie de l’âme en tant que
cause efficiente première et extérieure alors que l’âme est cause de la vie du
corps en tant que cause efficiente interne et cause formelle. Or il est vrai
qu’entre la forme et la matière, il n’y a pas de place pour un intermédiaire
parce que c’est par elle-même que la forme affecte la matière. Mais l’agent,
lui, n’informe pas le sujet par sa propre substance, il ne le fait que par une
forme qu’il cause dans cette matière. Donc la lumière de gloire est une forme
surnaturelle mise en nous par Dieu, mais elle est distincte de Dieu.
2. Ce texte
signifie que dans la gloire, nous ne verrons pas Dieu comme dans un miroir. La
contemplation terrestre ne peut se faire que par l’intermédiaire d’une image de
Dieu. Jésus est par excellence l’image de Dieu. La vierge Marie et les saints
sont, chacun à leur manière, images de Jésus qu’ils ont imité par toute leur
vie. C’est pourquoi l’Apocalypse les compare à la lumière de la lune. Mais,
dans la gloire, Dieu sera vu dans son essence, directement et non à travers la
vision d’une créature. La lumière de gloire est nécessaire pour permettre cette
vision directe comme nous le montrerons dans l’article suivant. Quant à la
communion des saints, sa lumière ne sera pas étouffée par celle de Dieu mais
elle constituera un surcroît de rayonnements diversifiés, de la même manière
que la lumière se diversifie et prend mille teintes en passant dans un prisme.
Objections :
1. Il semble que
la lumière de gloire est intermédiaire entre Dieu et l’intelligence. On l’a vu,
l’intelligence est avec Dieu dans le même rapport que l’œil avec une lumière
trop vive. Or l’œil, pour voir une telle lumière a besoin d’un intermédiaire
qui tempère l’éclat de la lumière.
2.[494] Quand une intelligence connaît en acte
quelque chose, il faut toujours qu’elle soit informée par la représentation en
elle de cette chose, représentation imprimée en elle, qui est le principe de
l’opération qui s’achève dans l’objet, comme la chaleur est le principe de
l’échauffement. Si donc notre intelligence connaît Dieu, cela doit se faire
grâce à une similitude de lui qui informe notre intelligence. Ce ne peut être
l’essence divine elle-même puisque l’être de la forme et de ce qu’elle informe
est unique : or l’essence divine diffère de notre intelligence selon son
essence et selon son être. Ce ne peut être que cette lumière de gloire qui est
créée par Dieu et imprimée dans notre esprit. Donc la lumière de gloire est
intermédiaire entre Dieu et l’intelligence.
Cependant :
Denys
écrit : « Si quelqu’un voit quelque
chose qui vient de Dieu, c’est qu’il ne voit pas Dieu même dans son essence »[495]. Donc la lumière créée ne peut être un
intermédiaire entre l’essence divine et l’intelligence.
Conclusion :[496]
Dans
la vision corporelle et dans la vision intellectuelle, on peut considérer trois
sortes d’intermédiaires. 1° D’abord,
l’intermédiaire grâce auquel on voit : celui-là perfectionne la vue pour toute
vision en général, sans la déterminer à tel objet spécial ; telle est la
lumière corporelle pour la vue corporelle, et la lumière de l’intellect agent
pour l’intellect possible, en tant qu’intermédiaire. 2° Puis il y a l’intermédiaire par lequel on voit : et c’est la
forme visible, par laquelle chacune des deux puissances visuelles est
déterminée à tel objet spécial ; ainsi la forme de la pierre fait voir la
pierre. 3° Enfin, il y a
l’intermédiaire dans lequel on voit : c’est ce par la vue de quoi le regard est
conduit à voir autre chose : en regardant un miroir nous sommes conduits à y
voir ce qu’il réfléchit, et en voyant une image nous sommes conduits à ce
qu’elle représente ; de même l’intelligence, par sa connaissance de l’effet,
est conduite à sa cause inversement. Dans la Vision béatifique, Il n’y aura pas
ce troisième intermédiaire, c’est-à-dire que Dieu serait connu par les images
d’autre chose comme ici-bas : c’est pourquoi on dit que nous voyons maintenant
dans un miroir. Il n’y a pas non plus le second intermédiaire parce que
l’essence divine sera elle-même ce par quoi notre intelligence verra Dieu. Nous
aurons seulement le premier intermédiaire, qui élèvera notre intelligence pour
qu’elle puisse être unie à la substance incréée, comme nous l’avons dit. Mais
cet intermédiaire ne permet pas de dire que la vision sera médiate : puisqu’il
ne se place pas entre le connaissant et la chose connue, mais il est ce qui
donne à celui qui connaît la puissance de connaître.
Solutions :
1. La lumière de gloire agira en rendant
notre intelligence "capable de voir la lumière trop vive" et non en
cachant cette lumière sous les voiles d’une créature.
2. Nous avons
montré que c’est l’essence divine qui informe directement l’intelligence béatifiée
à la manière du concept pour toute autre connaissance. La lumière de gloire ne
peut en aucune manière être un intermédiaire selon le troisième mode car alors
Dieu ne serait pas vu face à face.
Objections :
1. Cela n’est pas possible. La lumière de
gloire surélève l’intelligence pour la rendre capable de saisir l’essence
divine. Elle a donc son siège dans l’intelligence. La grâce habituelle au
contraire surélève l’âme tout entière pour la rendre capable d’une vie
surnaturelle. C’est pourquoi on l’appelle un habitus entitatif car elle a son
siège dans l’âme elle-même d’où elle rejaillit sur les puissances.
2. La grâce
habituelle surélève l’âme et la rend capable de recevoir la foi, l’espérance,
la charité et tous les autres dons infusés par Dieu dans l’ordre de la vie
surnaturelle. Or, dans la patrie, la foi est remplacée par la vision, la
charité est achevée dans l’union et l’espérance disparaît pour laisser place à
la possession de Dieu. Il faut donc quelque chose de plus grand que la grâce
habituelle car l’effet reçu est plus grand.
Cependant :
Par la grâce habituelle, l’âme est rendue capable de
recevoir la vie surnaturelle imparfaite d’ici-bas. Par la lumière de gloire,
l’âme est rendue capable de recevoir la vie surnaturelle parfaite du Ciel. Or
l’imparfait et le parfait sont dans le même genre. Donc la grâce habituelle et
la lumière de gloire sont la même chose.
Conclusion :
Entre
l’état de la grâce et celui de la gloire, il y a continuité selon l’ordre de la
puissance à l’acte. L’édifice spirituel tout entier tel qu’il est ici-bas
trouve sa pleine et totale réalisation dans la gloire. Mais l’état de gloire
trouve son fondement dans la vision directe de l’essence incréée, qui vient
remplacer la connaissance partielle donnée par la foi. Son premier effet est de
faire disparaître toute espérance car on n’espère plus ce qu’on sait posséder
en plénitude. Quant à la charité elle s’épanouit dans l’union effective qui est
source de joie[497]. Après la résurrection, cette gloire
s’étendra jusque dans la sensibilité et dans le corps physique. C’est donc
l’être tout entier qui est glorifié. Or la lumière de gloire est nécessaire
pour « élever l’âme et lui permettre de voir Dieu et de jouir de lui dans
la béatitude », selon les paroles du Concile de Vienne[498], de même que la grâce habituelle
surélève l’âme dès cette terre pour lui permettre de recevoir la foi,
l’espérance et la charité. La grâce habituelle et la lumière de gloire ont donc
le même objet qui est l’élévation de l’âme au-dessus de sa nature en vue de
recevoir une participation à la vie divine. Elles sont donc une seule et même
chose mais la seconde réalise parfaitement ce que l’autre ne fait que
commencer.
Solutions :
1. On nomme souvent une réalité par ce
qu’il y a de plus important en elle. Or ce qu’il y a de principal dans la
gloire, c’est la vision de l’essence divine qui trouve son siège dans
l’intelligence. C’est par appropriation qu’on appelle la grâce habituelle de la
gloire une lumière. On exprime ainsi son rôle premier et principal, qui est de
rendre l’intelligence apte à voir Dieu. Mais le rôle de la lumière de gloire ne
s’arrête pas là. La volonté aussi se trouve surélevée et rendue capable de
jouir de la béatitude divine. De plus, après la résurrection, c’est le corps
entier qui sera glorifié et élevé au-dessus de son état actuel. La lumière de
gloire agit donc sur plusieurs facultés humaines. Étant donné qu’elle est
antérieure aux puissances de l’âme, il faut que son sujet soit antérieur aux
puissances, c’est-à-dire l’essence de l’âme. Dans la gloire, la grâce
habituelle appelée lumière de gloire agit sur l’essence de l’âme d’où son
action découle sur les puissances à commencer par l’intelligence.
2. Il n’est pas
besoin de poser une différence substantielle entre la grâce habituelle
d’ici-bas et la lumière de gloire parce que l’une a un effet moindre que
l’autre. La grâce habituelle infusée par Dieu dans notre âme dès cette terre ne
peut agir selon toutes ses potentialités non parce qu’elle serait imparfaite
(car les œuvres de Dieu sont toujours parfaites) mais à cause de l’état de
voyageur dans lequel est plongée notre nature humaine. Dès que cet état
disparaît, au moment où Dieu nous plonge dans l’éternité de sa vision, la grâce
habituelle surélève l’âme avec toute la puissance de sa potentialité, inondant
notre intelligence de la lumière de gloire qui émane d’elle à travers notre
âme.
Nous
abordons enfin la question des conditions demandées par Dieu à l’homme pour
qu’il se donne à sa vision. Douze points nous paraissent importants à traiter,
de manière à ne laisser subsister aucune ambiguïté. Pour voir Dieu, est-il
préalablement nécessaire et suffisant :
1° d’être doté de libre arbitre ?
2° de bonne volonté ?
3° de faire certaines actions humaines ?
4° d’être humble ?
5° d’être dans un état de kénose ?
6° de souffrir pour entrer dans la
gloire ?
7° d’avoir la grâce ?
8° la foi ?
9° de croire explicitement le mystère du
Christ et de la Trinité ?
10° d’avoir l’espérance théologale ?
11° la charité ?
12° une charité parfaite ?
13° d’avoir reçu le baptême ?
14° enfin, la Vision béatifique sera-t-elle
donnée en proportion de la charité ?
Objections :
1. Les enfants baptisés entrent dans la
gloire sans l’exercice de leur libre arbitre, comme on le dit des Saints
Innocents massacrés par Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa
gloire sans que l’exercice du libre arbitre soit exigé.
2. C’est la même cause qui produit la
glorification de l’âme et la conserve. Saint Augustin dit, en effet, dans son
commentaire de la Genèse, que « l’homme
doit se convertir à Dieu de telle sorte qu’il soit justifié par lui sans cesse. » Mais la conservation de la vision de
Dieu s’opère sans le concours du libre arbitre. Donc l’entrée dans la vision
peut être accordée elle aussi sans l’intervention du libre arbitre.
Cependant :
Nous
lisons dans saint Jean : « Quiconque
a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi »[500]. Mais on ne s’instruit pas sans que le
libre arbitre entre en action. Celui qui s’instruit acquiesce à l’enseignement
du maître. Donc personne n’entre dans la vision de Dieu sans l’exercice de son
libre arbitre. D’autre part, le Christ compare lui-même la gloire à des noces.
Or nul ne se marie validement sans échanger son consentement. La lucidité et la
liberté de ce consentement constitue canoniquement la condition première de la
validité du sacrement du mariage.
Conclusion :
Notre
réponse est oui, sans aucun doute. L’entrée dans la gloire provient de l’action
de Dieu qui introduit l’âme dans son intimité car, selon saint Jean, c’est Dieu
lui-même qui donne la grâce et la gloire. Or Dieu meut tous les êtres selon la
nature particulière de chacun d’eux. Dans le monde physique, à titre d’exemple,
nous voyons qu’il meut différemment les corps lourds et les corps légers parce
que leur nature n’est pas la même. Pareillement, il dirige les hommes vers la
gloire de sa vision suivant la condition de la nature humaine. Mais le propre
de l’homme, c’est d’être doué de libre arbitre. D’où, quand il s’agit d’une
nature qui a l’usage du libre arbitre, l’impulsion que Dieu lui donne pour
l’amener à la justification de la grâce et à l’entrée dans la gloire qu’elle
mérite, ne va pas sans le libre arbitre. Dieu communique la vision de son
essence de telle sorte qu’il meut en même temps le libre arbitre à désirer ce
don. Saint Jean[501] décrit le cheminement de la vie
spirituelle comme un acte humain libre : «
Quiconque a entendu l’enseignement du Père et s’y est instruit vient à moi. »
Solutions :
1. On pourrait objecter à cela le cas des
petits enfants morts baptisés et que la tradition chrétienne dans son ensemble
considère comme sauvés. Tel est le cas des saints innocents massacrés par
Hérode. Il semble donc que Dieu peut communiquer sa gloire sans que l’exercice
du libre arbitre soit exigé. Cependant, même les petits enfants morts avant
d’avoir exercé leur libre arbitre n’entrent pas dans la vision de l’essence
divine sans que leur libre arbitre ne s’exerce. La raison en est que l’entrée
dans cette vision présuppose un acte de charité qui ne peut exister sans
liberté. Il est donc nécessaire que Dieu supplée à l’incapacité naturelle de
l’enfant. Pour cela, il infuse dans son intelligence les conditions qui sont nécessaires
à l’exercice plénier du libre arbitre, d’une façon différente quoique analogue
par certains aspects à ce qu’il le fit pour les anges à l’instant de leur
création. Nous traiterons de leur cas plus tard à la lumière de l’apparition
glorieuse du Christ et des saints à l’heure de la mort.[502]
2. Dans le don de
la gloire, il y a une transformation de l’âme, c’est pourquoi un mouvement
venant de l’âme humaine est requis afin que cette âme soit mue selon sa nature.
La conservation de cette vision béatifique, au contraire, se fait sans
transformation. Dès lors, un mouvement de la part de l’âme ne s’impose pas, la
seule continuation de l’influx divin suffit.
Objections :
1. Nous avons dit que la béatitude consiste
essentiellement dans une opération de l’intellect. Or la perfection de
l’intellect n’exige pas la rectitude de la volonté. Celle-ci fait appeler les
hommes purs ; or Augustin, dans ses Rétractations, écrit : « Je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière : O Dieu qui
n’avez voulu faire connaître la vérité qu’aux âmes pures. On peut en effet
répondre que beaucoup, parmi ceux qui ne sont pas purs, connaissent pourtant
beaucoup de vérités. » Donc la
droiture de la volonté n’est pas requise pour la béatitude.
2. En outre, ce qui précède ne dépend pas
de ce qui suit. Or l’opération de l’intellect précède celle de la volonté :
donc la béatitude, opération parfaite de l’intellect, ne dépend pas de la rectitude
de la volonté.
3. Au surplus, ce
qui se rapporte à une chose comme à sa fin n’est plus nécessaire après
l’obtention de cette fin : ainsi le navire une fois qu’on est au port. Mais la
rectitude de la volonté, qui est le fait de la vertu, se rapporte à la
béatitude comme à sa fin : donc, la béatitude obtenue, la rectitude de la
volonté n’est plus nécessaire.
Cependant :
On
lit dans l’Écriture : « Heureux ceux
qui ont le cœur pur, car ceux-là verront Dieu »[503] ; « Conservez
la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. »
Conclusion :
Saint Thomas d’Aquin se pose explicitement cette
question. Il explique que la droiture de la volonté est requise à titre
d’antécédent et par concomitance.
A titre d’antécédent, car ce qui rend droite la
volonté, c’est son juste rapport avec la fin dernière. Ainsi, rien ne peut
atteindre une fin quelconque sans être dans un juste rapport avec elle. Cette
droiture est également requise par concomitance. Comme la béatitude consiste
dans la vision de Dieu et que Dieu est l’essence même du bien, il est évident
que la volonté de celui qui voit Dieu par essence aime tout ce qu’elle aime par
référence au bien général qu’elle connaît. Or c’est cela même qui rend une
volonté droite.
On le voit, saint Thomas d’Aquin entend par volonté
droite cette forme parfaite de droiture que donne l’orientation explicite vers
la vision de Dieu.
Cependant,
et d’une manière plus actuelle, se pose la question de cette autre forme de
droiture, simplement humaine, que l’on constate chez tout homme fidèle à ce que
lui dicte sa conscience du bien et du mal. Cette bonne volonté-là est-elle
nécessaire ? Par exemple, l’homme qui avec une conscience droite vit dans la
recherche immédiate des plaisirs parce qu’il est sincèrement persuadé que la
vie terrestre se termine dans le néant, peut-il accéder au salut ?[504] Il faut remarquer que la conscience de
cet homme n’est droite qu’en rapport avec son intelligence préalablement déviée
du vrai. Si cette intelligence n’est pas elle-même déviée par une recherche
égoïste présupposée, comme on le voit chez un homme qui choisit d’être athée
pour pouvoir jouir de sa liberté, alors il est certain que lorsque
l’intelligence sera remise dans la vérité, la volonté elle-même gardera sa
droiture et se tournera vers Dieu. La personne reconnaîtra simplement son
erreur et saura en tirer les conséquences par une sincère conversion. Dieu qui
lit dans les âmes connaît la droiture de cette volonté. Mais il sait aussi
qu’une vie menée par athéisme dans l’égoïsme produit elle-même des fruits
d’égoïsme. Pour éviter que par l’entraînement de l’habitude, l’homme ne se
complaise totalement dans ce danger, Dieu a façonné la nature humaine de telle
façon qu’elle produise des fruits amers, selon le livre de la Sagesse : « Mais Dieu a mis un piège devant les
pas de l’Impie. »
En
conséquence, on doit dire que la droiture de la volonté est certainement
nécessaire pour entrer dans la gloire à titre de disposition car l’homme qui
agit ainsi ne peut agir autrement lorsqu’il se trouve confronté au bien par
essence qu’est Dieu. Sa fidélité à la recherche d’un bien participé le dispose
favorablement à reconnaître et rechercher le bien absolu lorsqu’il le connaît.
Cependant, cette bonne volonté nécessaire ne peut être suffisante puisqu’elle
ne proportionne pas directement l’homme dans une recherche du bien absolu qui
est Dieu.
Solutions :
1. Ce que dit saint Augustin ne peut
infirmer notre conclusion, car il parle en ce passage de la connaissance d’une
vérité qui n’est pas en même temps l’essence de la bonté.
2. On dit avec raison que tout acte de
volonté procède de quelque acte d’intelligence ; mais il ne s’ensuit point que
tel acte de volonté ne précède pas tel acte d’intelligence. C’est ainsi que la
volonté tend vers cet acte dernier de l’intelligence qui est la béatitude même.
D’où il suit que la rectitude de la volonté est préexigée à la béatitude comme
à la flèche une trajectoire correcte pour que le but soit frappé.
3. On prétend que
la fin obtenue, cette condition n’est plus nécessaire. Mais tout ce qui a
rapport à une fin ne cesse pas d’exister en présence de cette fin ; cela
seulement disparaît qui a un caractère d’inachèvement et d’imperfection comme
le mouvement. C’est pourquoi, tout ce qui ne sert qu’au mouvement n’a plus de
raison d’être une fois qu’on est arrivé au terme (la foi par exemple, remplacée
par la vision) ; mais un juste rapport à l’égard de ce terme est toujours
nécessaire.
Objections :
1. D’après Luther, la foi seule, même si
elle reste passive, sauve. C’est donc qu’aucune œuvre bonne n’est nécessaire
pour entrer dans la gloire.
2. Il semble superflu que des actions
humaines interviennent comme condition pour que la béatitude soit conférée à
l’homme par Dieu. En effet, Dieu étant un agent d’une puissance infinie, il n’a
pas besoin, pour son action, d’une matière préalable ou de dispositions de
cette matière ; il peut tout produire à la fois. Or, puisque les œuvres de
l’homme ne sont pas requises pour la béatitude au titre de causes efficientes,
ainsi que nous l’avons montré, elles n’y peuvent intervenir qu’à titre de
dispositions. Donc Dieu, qui n’a pas besoin de dispositions pour agir, doit
conférer la béatitude sans œuvres préalables.
3. Au surplus, Dieu produit immédiatement
la béatitude comme il a institué immédiatement la nature. Or dans la première
institution de la nature, Dieu a produit les créatures sans aucune disposition
antérieure, sans aucune action d’un agent créé, mais a posé aussitôt chaque
être parfait dans son espèce. II semble donc que de la même manière Dieu
confère à l’homme la béatitude sans aucune opération préalable.
4. N’est-ce pas ce qu’affirme l’Apôtre
quand il parle de la béatitude de l’homme[506] « à
qui Dieu impute la justice indépendamment des œuvres » ?
Cependant :
On
lit dans saint Jean : « Bienheureux
serez-vous si, sachant ces choses, vous les faites »[507]. C’est donc par l’action que nous
parvenons à la béatitude.
Conclusion :
Nous
avons dit déjà que la droiture de la volonté est nécessaire à la béatitude,
n’étant autre chose qu’une juste disposition de la volonté dirigée vers la fin
dernière, disposition qui n’est pas moins nécessaire à cette fin que la bonne
disposition de la matière à la réception de la forme. À vrai dire, il n’est pas
prouvé par là qu’une certaine activité de l’homme doive précéder sa béatitude ;
Car Dieu pourrait créer du même coup une volonté orientée vers sa fin et en
possession de cette fin, comme il dispose parfois la matière en même temps
qu’il lui donne sa forme. Mais l’ordre de la divine sagesse exige qu’il n’en
soit pas ainsi. En effet, comme il est dit au Livre du Ciel[508], «
parmi les êtres qui sont aptes à posséder le bien parfait, il en est qui
l’ont sans aucun mouvement, d’autres d’un seul mouvement, d’autres au moyen de
plusieurs », et posséder le bien
parfait sans aucun mouvement appartient à celui qui le possède par nature. Or
posséder la béatitude naturellement est le fait de Dieu seul. À lui seul donc
il appartient de n’y être pas conduit par quelque opération antérieure. Au
contraire, la béatitude excédant toute nature créée, il n’est aucune pure
créature qui puisse convenablement recevoir la béatitude sans un mouvement
d’activité par lequel elle y tend. Seulement, l’ange étant par sa nature
supérieur à l’homme, il a, selon l’ordre de la sagesse divine, acquis le bien
suprême par un seul mouvement d’activité méritoire, comme on l’a exposé dans la
Première Partie. Les hommes l’obtiennent par de multiples mouvements d’activité
de charité qu’on appelle leurs mérites. Aussi, aux yeux du Philosophe lui-même,
la béatitude est-elle la récompense des actes vertueux.
Solutions :
1. De manière concrète, l’entrée dans la
béatitude et son acte lui-même ne se fait donc pas de manière passive, comme le
pensait Luther pour qui la liberté humaine avait été totalement détruite par le
péché originel. Au contraire, lorsque Dieu prend l’initiative de proposer son
amour et sa lumière à sa créature, il lui demande de se tourner à son tour vers
lui librement, telle une épouse. Il y a donc dans l’acte de la grâce et de la
gloire une donation active et réciproque. Dieu prend l’initiative de donner la
foi et de proposer l’amour. Mais c’est à l’homme de répondre par l’amour à
l’amour. À l’actif de Luther, on peut dire qu’il refusait comme nécessité au
salut certaines œuvres extérieures de piété, comme des prières récitées et
d’autres pratiques dévotes. S’il ne s’agit que de ces œuvres-là, il est évident
qu’elles ne sont pas nécessaires au salut. Elles constituent des aides adaptées
à la sensibilité de certains.
2. On invoque à tort la toute puissance de
Dieu pour suppléer à nos actes ; car si l’action de l’homme est préexigée à
l’acquisition de la béatitude, ce n’est point que le pouvoir béatifiant manque
à Dieu, c’est pour que l’ordre soit observé dans les choses.
3. Certes Dieu a produit les premières
créatures de chaque espèce aussitôt parfaites, c’est-à-dire qu’il a posé les
premiers individus des espèces, par où la nature spécifique passerait à leurs
descendants. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il ne prépare pas l’émergence
des espèces nouvelles par une disposition dans les espèces précédentes. Tout
indique qu’il le fait comme par exemple le fait que dans les vivants
supérieurs, on retrouve tout ou partie du chiffre biologique des espèces
inférieures.
Dieu
agit comme[509] « un propriétaire qui tire de son trésor du
neuf et du vieux. »
Et
de même, lorsque Dieu donne la vision de son essence, il la donne parfaitement
dès le départ ce qui ne veut pas dire que certains actes humains n’y ont pas
disposé. Il existe une seule exception, c’est celle de l’humanité du Christ
mais son cas est irréductible à celui des autres hommes car le Christ est la
personne du Verbe, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi son âme, dès le premier
instant de sa conception et sans aucune œuvre méritoire antérieure, a été
bienheureuse. Mais cela n’appartient qu’à lui seul. Chez les enfants même,
quand on les baptise, les mérites du Christ concourent à l’octroi de la grâce
sanctifiante, mais s’ils meurent, ils n’entrent pas dans la Vision sans un acte
humain de coopération comme nous le verrons.
4. Quant aux
paroles de saint Paul, l’Apôtre y évoque la béatitude de l’espérance, qui est
communiquée au chrétien par la grâce qui le justifie. Que si cette grâce n’est
pas donnée en raison des œuvres qui précèdent, c’est qu’elle n’a pas le
caractère d’un terme de mouvement, comme la béatitude, mais est plutôt le
principe du mouvement par lequel on tend vers cette béatitude.
Objections :
1. Il ne semble pas. L’humilité nous
enseigne à ne pas désirer ce qui nous dépasse. Or la Vision béatifique dépasse
grandement notre capacité humaine. L’humilité risque donc de nous pousser à
nous détourner de l’espérance de la Vision béatifique. Elle doit donc être
rejetée.
2. L’humilité met l’homme devant la
grandeur de Dieu et lui manifeste au contraire sa petitesse. Si donc l’humilité
est nécessaire au salut, ceux qui ne connaissent pas Dieu ne peuvent avoir
cette vertu. Ils ne peuvent donc être sauvés.
3. Ce n’est pas
l’humilité qui est demandée à la créature pour entrer dans la Vision béatifique
mais quelque chose de plus absolu. En effet, la révélation semble indiquer
l’existence, dans la vie trinitaire du Dieu tout-puissant, d’une forme
d’effacement total des trois personnes, l’une devant l’autre. Sans cesse, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit se donnent l’un à l’autre. Chacune des
personnes de la Trinité met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation
et l’amour de sa grandeur. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer. Révélée
par le Verbe fait chair, cette propriété intérieure de Dieu est appelée
"kénose". Ce n’est donc pas de l’humilité mais une forme
d’anéantissement personnel qui est exigé pour être conforme à Dieu et pour
entrer dans sa communion.
Cependant :
Dans
les Écritures saintes, le Seigneur ne cesse de rappeler l’importance que revêt
à ses yeux la vertu d’humilité : il nous enseigne à l’imiter sur cette voie. « Apprenez de moi que je suis doux
et humble de cœur »[510]. Il proclame : « heureux ceux qui ont une âme de
pauvre car le Royaume de Dieu est à eux »[511]. Saint Pierre confirme ces paroles : « Revêtez-vous d’humilité dans vos
rapports mutuels car Dieu résiste aux orgueilleux »[512]. On pourrait multiplier les citations
et toutes aboutissent à cette conclusion : nul n’entre dans la gloire s’il
n’est humble.
Conclusion :
Il reste à savoir quel genre d’humilité est
nécessaire et suffisante. L’humilité est une disposition intérieure dont le
caractère est de situer l’homme à sa place devant l’autre quel qu’il soit. Elle
est une attitude liée à la vérité qui amène à se situer exactement dans l’axe
de ce que nous sommes, ni trop haut (ce serait l’orgueil), ni trop bas (le
complexe d’infériorité est la caricature de l’humilité). Cette vertu peut
naître de multiples manières, non seulement chez le chrétien mais dans tout
homme doté d’une volonté droite. Ainsi, dans son regard sur l’immensité de
l’univers, la complexité et l’ordre de la matière, le scientifique peut
acquérir une véritable humilité qui se transforme en admiration étonnée devant
ce qui le dépasse ; mais c’est aussi l’humilité qui lui fait découvrir que son
propre être vaut plus que l’univers entier. De même, le philosophe confronté à
l’être dont il perçoit quelques aspects de la vérité mais dont il discerne
aussi l’infinie supériorité sur sa pauvre connaissance, peut devenir un homme
humble ; encore faut-il qu’il soit un vrai philosophe, c’est-à-dire un homme
soumis au réel.
Autre niveau d’humilité : chaque homme confronté à
son frère peut découvrir à la fois sa propre grandeur et l’absolu dépassement
du mystère de l’autre. Lorsqu’apparaît l’amitié, l’homme est appelé à découvrir
une forme d’humilité qui n’est plus spéculative mais pratique. En effet,
l’amitié n’est possible que dans un don mutuel auquel s’oppose radicalement
toute volonté de dominer l’autre. L’orgueil est une faute mortelle à l’amitié
puisqu’il s’attaque directement à cette forme de dépendance qui fonde l’amour
de l’autre. De même, dans la contemplation philosophique qui aboutit à la
découverte de Dieu comme Créateur et grand horloger de l’univers, il peut
apparaître une nouvelle forme d’humilité contemplative et pratique -l’acte
d’adoration- sans commune mesure avec les formes jusqu’ici décrites. Mais
lorsque l’homme découvre que le Dieu infini et tout-puissant dont il sait dans
son humilité n’être qu’une créature limitée, propose son amitié à travers le
cœur à cœur de l’oraison et, pour après cette vie, la vision de son être, il
est évident qu’il peut apparaître une nouvelle humilité contemplative et
pratique, analogue à celle qu’on voit naître dans l’amitié humaine, mais
infiniment plus profonde tant est infiniment supérieure la grandeur du Dieu qui
se donne ainsi.
De
toutes ces considérations, on peut conclure que toute forme d’humilité est une
disposition à l’entrée dans la gloire, non qu’elle la mérite directement
puisque seul l’amour réciproque de charité mérite un tel mariage, mais parce
qu’elle écarte un obstacle mortel à l’amour spirituel : l’orgueil et, à sa
source, l’amour égoïste de soi. C’est pourquoi le Christ recommande
particulièrement à ses disciples cette forme d’humilité suprême qui vient avec
la charité. C’est pourquoi aussi tout ce qui dans le monde provoque dans les
hommes, chrétiens ou non, un progrès de l’humilité dans ses autres formes est
voulu par Dieu : les diverses religions parce qu’elles adorent "un Autre
plus grand que l’homme" [513], les sciences soumises à la recherche
du vrai, les amitiés respectueuses de l’autre, les souffrances qui montrent à
l’homme sa vraie dimension et même la mort physique qui, depuis le péché
originel est un puissant vecteur de petitesse.
Solutions :
1. « Prétendre à quelque chose de grand en
comptant sur ses propres forces est contraire à l’humilité mais il en va tout
autrement si l’on compte sur le secours de Dieu qui exalte dans la mesure où
l’on s’abaisse devant lui. Autre chose, dit saint Augustin, est s’élever vers
Dieu, et autre chose s’élever contre Dieu »[514].
2. L’humilité trouve sa perfection dans la
comparaison que peut faire l’homme entre sa nature limitée et la grandeur de
Dieu. Ce rapport avec Dieu n’est pas essentiel à l’existence de cette vertu, au
moins dans son existence partielle. Elle peut s’appuyer sur la simple
connaissance de notre faiblesse, sans référence à autre chose qu’à l’univers,
nous-mêmes et aux autres. Elle peut donc exister même chez les païens comme
directrice et modératrice de certains actes de la volonté. Elle peut donc
constituer même chez ceux qui ne connaissent pas Dieu une disposition à la
communication future de la grâce puis de la gloire, disposition qui a Dieu lui-même
comme cause première ainsi que cela a été dit[515]. Cette réalité est d’ailleurs
essentielle pour comprendre la manière dont Dieu procède pour disposer
efficacement au salut les athées, les pécheurs, les païens ou les infidèles. La
vie terrestre est ainsi faite qu’il est difficile d’en sortir sans avoir appris
par quelque voie, un commencement d’humilité sur lequel viendra se greffer la
charité.
3. La vertu d’humilité, quoique nécessaire,
n’est pas suffisante. Comme le montrera l’article suivant, il existe une
nécessité d’annihilation de soi -de kénose- à la fois dans la nature divine, et
par conséquent, dans la créature qui s’unit à elle.
Objections :
1. Il
ne semble pas. Dieu a créé l’homme pour qu’il agisse selon sa nature,
c’est-à-dire comme une personne libre. Un anéantissement intérieur du moi
(kénose) serait donc contraire à la nature humaine et constituerait une demande
non conforme à la sagesse de Dieu.
2. Si
Dieu lui-même s’abaisse au dessous de sa condition et s’il exige de l’homme le
même genre d’abaissement, c’est que Dieu commande autre chose que la vertu
d’humilité, qui est, au sens biblique le fait d’être soi-même. Or, commander un
acte contraire à une vertu, c’est commander un vice.
Cependant
:
« Mais,
dit Dieu, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et
vivre. »
Exode 33, 20.
« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le
grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il meurt, il
porte beaucoup de fruit. » Jean
12, 24.
Conclusion
:
La nécessité
de cette "kénose" de tout ce qui s’approche de la Vision de Dieu
vient de la nature propre de la vie trinitaire. Sans cesse, le Père, le Fils et
le Saint Esprit se donnent l’un à l’autre. Chacune des personnes de la Trinité
met l’autre en avant, s’efface devant la contemplation et l’amour de sa
grandeur. Cette vie trinitaire, ce don mutuel total, rayonne au point de
constituer l’Être même de Dieu. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer.
Certains théologiens, tout en admettant
le mystère de cette kénose interne à la Trinité, nient que Dieu puisse être, en
conséquence, dans une attitude d’anéantissement de lui-même devant les créatures,
lui qui est le Tout-puissant. Mais la Révélation évangélique montre qu’ils ont
tort plus encore qu’ils ne le pensent. Dieu s’abaisse jusqu’à "la
folie" selon l’expression de saint Paul[517] et
nul concept tiré des analogies naturelles ne peut exprimer cette réalité. Au
plan philosophique, le terme d’humilité ne peut convenir. Elle est en effet une
certaine vérité qui fait que chacun se situe à sa juste place. Selon cette
définition, Dieu étant l’infinie perfection de toutes les vertus, il est humble
lorsqu’il dit : « Les hommes sont néant devant moi puisque leur être
trouve leur cause en moi. » La théologie des musulmans est, à cet égard,
très juste et précise. Pourtant l’Évangile propose une révélation
complémentaire : Dieu, tout en reconnaissant sa supériorité de nature,
considère la personne de l’homme comme plus grande que sa propre personne au
point de s’abaisser non seulement à devenir homme mais à perdre apparence
humaine… Ce n’est plus de l’humilité, c’est de la "kénose" et, selon
saint Paul, la folie de la croix. Un texte le confirme, dans l’évangile de Jean[518] : « Je suis le maître et le Seigneur », dit Jésus à Pierre, manifestant de
l’humilité. "Si donc je vous
ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous
laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné,
pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous." Ce
jour-là, au grand scandale de Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère
du cœur de Dieu, outre son amour, sa kénose. « Lui, de condition
divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il
s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux
hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant
jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! »[519]
Il est certain que cette Révélation
nouvelle ne concerne pas seulement l’humanité du Christ mais sa divinité selon
Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père. » En conséquence, Dieu étant ce
qu’il est, ce n’est pas une simple humilité qui est nécessaire à l’ange ou à
l’homme pour entrer dans la Vision de Dieu mais une forme absolue de kénose,
d’anéantissement de soi-même. Cette exigence, impossible à acquérir de la part
de l’homme selon ses propres forces, est possible à Dieu à travers les
purgatoires successifs, comme nous le verrons.
Solutions
:
1. Puisque
la Vision béatifique est le don ultime d’un amour réciproque et choisi, elle
présuppose de la part de Dieu comme de l’homme un abaissement réciproque seul
capable de fonder cet amour. De la part de Dieu puisqu’il s’abaisse en
s’unissant dans l’amour à un être de nature inférieure ; de la part de l’homme
puisqu’il doit voir un être dont la profonde petitesse ne peut être saisie que
par une vertu ressemblante. En effet, puisque Dieu est par nature « kénose », il va de soi qu’un ange ou un homme non conformés
intérieurement à cette kénose ne peuvent rien saisir de l’essence de Dieu.
2. Humilité
et kénose peuvent coexister sans contrariété et conjointement car leur raison
formelle n’est pas identique. Ainsi, Dieu est humble en tant qu’il est et se
proclame infini et tout-puissant devant l’homme ; il est "kénose" en
tant qu’il considère l’homme comme plus important que lui-même.
A l’argument « Cependant », il
faut répondre qu’il existe une possibilité de contresens dans cette parole de
Dieu : « Nul ne peut voir Dieu et
vivre. » Sous le terme vivre, il faut
entendre ici le refus possible de cette kénose intérieure et spirituelle dont
nous parlons. En ce sens, en enfer, les damnés « vivent. » Au
contraire, dans la Vision béatifique, les saints sont « morts à
eux-mêmes. »
Objections
:
1. «
Par
la croix, le salut est entré dans le monde
», chante-t-on le vendredi Saint. La croix, c’est-à-dire la souffrance, est
nécessaire pour entrer dans la gloire.
2. La
moindre humilité et le moindre amour de charité méritent la vie éternelle
puisque Dieu ne se refuse jamais à celui qui l’aime. Or l’humilité et l’amour
peuvent exister sans l’expérience de la souffrance.
3. La
souffrance est un mal. Nul ne peut la désirer sans être présomptueux. Lui
donner une valeur quelconque, même éducative, n’est-ce pas en faire un bien et
faire tomber les croyants dans un risque de déviation morbide ?
Cependant
:
Adam et Ève, qui avaient été placés sur
terre pour la durée d’une vie sans souffrance, avaient reçu la promesse de la
Vision béatifique. Donc la souffrance n’est pas nécessaire à l’entrée au paradis.
Conclusion
:
Peu de religions donnent une explication
de la souffrance. L’islam appelle à la confiance et promet l’explication pour
l’au-delà. L’hindouisme et le bouddhisme donnent une véritable explication,
mais de type philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme et à
l’orthodoxie, à la différence des Églises protestantes, ils proposent au niveau
de leurs saints ou de son Magistère une théologie unifiée. Elle est une
conséquence ultime du fondement de la foi. La théologie catholique est une
"science" en ce sens qu’elle est logique. Elle tire de quelques
principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne
signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre
chose est de croire à ces principes.
La Bonne Nouvelle est, par son contenu,
le principe de toute la théologie chrétienne. « Dieu propose à l’homme la
vision de son Être éternel. Il ne peut se donner qu’à ceux qui l’aiment car,
par essence, deux qualités du cœur résument sa vie : l’abaissement de soi et
l’amour. Sans cesse, le Père exalte le Fils parce qu’il l’aime. Cet abaissement
et cet amour sont infinis dans toutes les directions des relations
trinitaires. »
Pour s’unir à Dieu, il y a donc des
conditions. On ne peut voir Dieu face à face que si on l’épouse librement,
comme dans un mariage d’amour. Et, pour l’épouser, il faut devenir semblable à
lui. Nul ne peut voir Dieu s’il ne devient, comme Dieu, mais à son niveau de
créature, tout abaissement et tout amour. « Nul ne peut voir Dieu sans
mourir à soi-même. » Il ne s’agit pas de n’importe quel abaissement, ni de
n’importe quel amour. La moindre trace d’orgueil ou d’égoïsme rend impossible
car contradictoire le mariage avec Dieu. Dans ces conditions, il est impossible
d’entrer dans la Vision. Elle serait vide de toute compréhension.
Concrètement, il est possible
d’atteindre la kénose sans la souffrance. Une méditation profonde et fréquente
sur ce qu’est l’homme peut rendre un individu dans sa vraie dimension. Il est
aussi possible, à cause des conséquences du péché originel (le foyer du péché),
de découvrir sa propre misère : « Le juste pèche sept fois par
jour ». Mais la souffrance, lorsqu’elle vient arracher à l’homme un bien
où il repose sa volonté, possède un pouvoir unique, celui de faire découvrir de
manière expérimentale et totale son propre néant. La vieillesse, la maladie et
la mort, en particulier, ont ce pouvoir unique puisqu’elles viennent briser
l’unité de l’être, mais aussi la perte de ce qui détermine la volonté selon
cette parole de Jésus [520] : « Là où est ton trésor, là aussi est ton
cœur. »
En conséquence, on doit dire que la
souffrance n’est pas nécessaire de manière absolue pour entrer dans la gloire.
Mais, en tant qu’elle est capable de faire toucher de manière très profonde à
l’homme sa petitesse, elle a le pouvoir de produire de manière unique cette
disposition à la kénose qui s’appelle l’humilité.
Solutions
:
1. Ce
n’est pas la souffrance qui nous vaut la rédemption, mais l’abaissement de soi
et la charité qui sont la synthèse de toutes les vertus. La souffrance n’a de
valeur dans la rédemption qu’en fonction de la kénose et de l’amour qu’elle
produit. Elle a donc une grande valeur parce qu’elle a, la plupart du temps, le
pouvoir de produire (même avant l’arrivée de la grâce sanctifiante) une
humilité sans commune mesure avec toutes les autres formes d’humilité. Ce
pouvoir de la souffrance est démontré dans l’épître aux Hébreux, même chez le
Christ dont l’humilité et l’amour étaient déjà parfaits[521] : « Tout Fils qu’il était, le Christ
apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ; après avoir été rendu parfait, il
est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. »
2. Nous
le verrons[522], la
mesure de l’union à Dieu dans la Vision béatifique est l’intensité du désir de
Dieu. Ce désir est directement le fruit de la charité et indirectement celui de
l’humilité, puisque c’est dans l’humilité que l’amour peut naître sans
obstacles. Mais il est impossible sans la souffrance de devenir tout humble
(kénose) et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu. Cette mesure est
décrite dans les évangiles à travers la vie et les actes de Jésus. Qui peut se
targuer d’être humble (kénose) et aimant au point d’être capable de donner sa
vie pour autrui, surtout s’il s’agit d’un ennemi ? Ceux qui ont mis à mort le
Christ et qui se moquent de lui, il les aime au point qu’il les accueille à
l’heure de leur mort et leur propose la vie éternelle.
Pour approfondir l’humilité de l’homme,
la méthode de Dieu consiste à le faire passer par la vie terrestre, puis, si
nécessaire, par les cinq autres purgatoires de l’autre monde[523].
Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la souffrance
puisqu’elle est fragile, dépendante des aléas du hasard et qu’elle s’achève par
la mort. De plus, l’existence de Dieu et d’une survie après la mort peuvent y
être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel est une des épreuves les
plus étonnantes de la terre. Beaucoup d’ailleurs en concluent, non sans un
certain bon sens : « Dieu ne peut
exister et être amour. Le monde ne serait pas ainsi. »
Pourtant, si l’on étudie avec attention
les écrits de la plupart des théologiens canonisés par l’Église, la vie
terrestre et ses souffrances s’expliquent justement par le mystère de la
Trinité.
L’humanité entière peut être comparée au
Golgotha, c’est-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié Jésus avec deux
bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste) est représentée
par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa souffrance. Il meurt
comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la misère de ce qu’il est
vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en lui un peu d’humilité, ce
qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que nous l’avons exposé plus
haut. Le bon larron représente ce qui est droit en nous. En effet, il est déjà
juste : « Je paye pour ce que j’ai
fait. C’est justice. » Dans sa
souffrance, il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré son péché. Il
est humble. Il désire la vie. Il l’aura certainement juste après sa mort, lui
promet Jésus. Quant à Jésus, il représente les saints, c’est-à-dire ceux qui
savent qu’il n’y a qu’un seul commandement : « aimer Dieu et le prochain »
et qui s’efforcent d’en vivre. Eux s’efforcent de faire de leur vie un acte d’offrande
pour cet amour.
3. La
souffrance est un mal mais son effet peut être un bien, affirme Jean-Paul II[524]. La
souffrance, même quand elle n’est pas acceptée, a pour le moins comme effet
l’humiliation de l’orgueil. Elle peut creuser le cœur dans le sens de
l’humilité (kénose) (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) d’un
amour qui sauve. Cette analyse permet de comprendre beaucoup d’enseignements de
Jésus :
« Les
prostituées et les pécheurs devancent les prêtres dans le Royaume de Dieu [525] ». C’est
ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité par la vie et par leurs
clients, sont plus disposées à développer l’humilité (kénose) qu’un prêtre
reconnu universellement comme un homme bien[526].
« Beaucoup
de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers[527] »
pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire ici-bas, de
comprendre qu’on n’est pas grand-chose.
« Il
est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à un chameau
de passer dans le trou d’une aiguille »[528].
Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point de vue du cœur.
La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils rendent arrogants,
sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un enfant mort
abandonné est mieux disposé à l’humilité (kénose) qu’un riche homme d’affaire[529].
A l’objection citée en « cependant », il faut répondre : Trois niveaux d’humilité peuvent être
distingués : 1° « L’humilité en parole.
» Elle est présente chez celui qui, sans en vivre, a intellectuellement
compris qu’il faut être humble (kénose) pour être sauvé. Il s’agit d’une
humilité théorique mais non d’une humilité vécue. Elle est par exemple le lot
des enseignants de la parole de Dieu.
2° « L’humilité en pensée. » Elle est présente chez celui qui a
intellectuellement compris qu’il n’était rien. Elle peut être acquise à travers
une vie de méditation scientifique, philosophique ou religieuse. Elle ne
nécessite pas d’avoir souffert.
3° « L’humilité (kénose) en acte. » Elle est le fait de celui qui n’est
plus rien, en acte. Cette humilité ne peut être, semble-t-il, acquise sans la
souffrance, même pour la personne du Christ ou pour la Vierge Immaculée, selon
la parole de l’Epître aux Hébreux 5, 8. Seule la deuxième forme d’humilité est
nécessaire pour voir Dieu. Mais la troisième est tellement plus profonde que
l’Église chante dans sa liturgie de la Semaine Sainte à propos de la faute
d’Adam et Ève : « Bienheureuse faute
qui nous valut un tel salut. »
Objections :
1. L’homme mérite devant Dieu, ainsi que
nous l’avons dit, le bien pour lequel Dieu l’a fait. Mais par sa nature l’homme
est tourné vers la béatitude comme vers sa fin. C’est pourquoi, même naturellement,
il désire être bienheureux. Donc par ses moyens naturels et sans la grâce il
peut mériter la béatitude qui est la vie éternelle.
2. Moins une œuvre est due, plus elle est
méritoire. Or une bonne action accomplie par celui qui a été moins favorisé est
moins due. S’il en est ainsi, celui qui ne possède que les biens naturels ayant
été moins favorisé de Dieu que celui qui a reçu en plus les dons gratuits, ses
œuvres seront, semble-t-il, plus méritoires devant Dieu. Si donc celui qui
possède la grâce peut d’une certaine façon mériter la vie éternelle, à bien
plus forte raison, celui qui ne la possède pas.
3. La miséricorde
et la libéralité de Dieu dépassent infiniment la miséricorde et la libéralité
humaines. Or un homme peut mériter aux yeux d’un autre même quand il n’a jamais
eu auparavant ses bonnes grâces. II semble donc qu’à bien plus forte raison on
puisse sans la grâce mériter devant Dieu la vie éternelle.
Cependant :
L’Apôtre
dit dans l’épître aux Romains[531] : «
La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. »
Conclusion[532] :
L’homme
sans la grâce, nous l’avons déjà noté, peut être considéré selon deux états
différents : l’état de nature intègre qui fut celui d’Adam avant sa faute et
l’état de nature corrompue qui est le nôtre avant la restauration par la grâce.
Si nous parlons de l’homme dans le premier de ces états, la raison qui fait
qu’il ne peut mériter la vie éternelle, lorsqu’il est réduit à ses ressources
naturelles et sans la grâce, c’est que le mérite de l’homme dépend de l’ordre
préalablement établi par Dieu. Et d’après cet ordre établi par Dieu, l’acte
d’un être ne tend jamais vers un objet sans proportion avec la force active qui
est le principe de cet acte. C’est une loi de la divine Providence que rien
n’agisse au delà de son pouvoir. Or la vie éternelle est un bien sans
proportion avec la portée de la nature créée ; puisque même, elle dépasse sa
pensée et son désir selon la parole de la première épître aux Corinthiens : « Ni l’œil de l’homme n’a vu, ni son
oreille n’a entendu, ni il n’est entré dans son cœur. » De là vient qu’aucune nature créée n’est le principe suffisant
d’un acte qui mérite la vie éternelle, à moins qu’un don surnaturel ne lui soit
ajouté ; et ce don nous l’appelons la grâce. Si maintenant c’est l’homme soumis
au joug du péché que nous considérons, à cette raison que nous venons de donner
s’en ajoute une seconde : l’obstacle du péché. En effet, le péché est une
offense faite à Dieu, laquelle nous exclut de la vie éternelle, comme il
ressort de notre exposé à ce sujet. Dès lors, nul homme en état de péché ne
peut mériter la vie éternelle à moins qu’il ne soit réconcilié avec Dieu et que
son péché ne soit effacé ; or c’est la grâce qui produit ce résultat. Ce qui
est dû en effet au pécheur ce n’est pas la vie, mais la mort, comme l’enseigne
l’épître aux Romains[533] : «
Le salaire du péché, c’est la mort. »
Solutions :
1. Sans doute Dieu a donné pour fin à la
nature humaine la vie éternelle. Il existe un désir naturel de voir Dieu
puisque l’intelligence se porte naturellement vers ce qu’elle sait être cause
de tout. Cependant, ce désir naturel tend vers l’inaccessible car la Cause en
question est sans commune mesure avec la nature limitée de l’esprit créé. Pour
l’obtenir, ce désir naturel doit donc être surélevé, non pas par ses propres
forces, mais avec le secours de la grâce. Et c’est de cette façon que son acte
peut mériter la vie éternelle.
2. L’homme sans la grâce ne peut produire
une œuvre égale à celle qui procède de la grâce, parce que plus le principe de
l’action est parfait, plus l’action elle-même est parfaite. Or l’argument
proposé n’aurait été admissible, que si nous nous étions trouvés en présence
d’œuvres égales de part et d’autre.
3. Si nous considérons l’objection à la
lumière de la première raison invoquée dans notre conclusion, aucune
assimilation n’est possible entre Dieu et l’homme. Car l’homme tient de Dieu
tout le pouvoir qu’il a de faire du bien ; tandis qu’il ne tient en rien ce
pouvoir d’un autre homme. C’est pourquoi l’homme ne peut avoir quelque mérite auprès
de Dieu qu’en vertu d’un don de Dieu ; l’Apôtre nous le fait entendre
expressément par ces mots : « Qui
donc a donné quelque chose à Dieu le premier pour attendre de Dieu une
rétribution ? » Au contraire, nous
pouvons acquérir quelque mérite auprès d’un de nos semblables avant d’en avoir
rien reçu, et cela, au moyen de ce que nous avons reçu de Dieu. Si, par contre,
nous considérons l’objection à la lumière de la seconde raison invoquée, celle
qui vient de l’obstacle du péché, cette fois la situation est la même qu’il
s’agisse de l’homme ou de Dieu ; car on ne peut pas non plus mériter auprès
d’un homme qu’on a offensé, à moins d’avoir satisfait et de s’être réconcilié
avec lui.
Objections :
1. Pour son salut et pour sa perfection un
être peut toujours se contenter, semble t-il, de ce qui convient selon sa
nature. Mais ce qui est de foi dépasse la raison naturelle de l’homme : c’est
ce qui ne se voit pas. Pour être sauvé, il ne semble pas être nécessaire de
croire.
2. Le salut de l’homme réside en Dieu : « le salut des vôtres vient du Seigneur », dit le psalmiste[534]. Mais « ce qu’il y a d’invisible en Dieu, depuis la création du
monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres », comme le dit l’apôtre[535]. Ce qui se découvre à la pensée, on n’a
pas à le croire. Il n’est donc pas nécessaire au salut que l’on croie des
choses.
3. Nul n’est tenu à ce qui n’est pas en son
pouvoir. Mais croire n’est pas au pouvoir de l’homme puisque la foi est un don
de Dieu. Bien souvent, ce don est fait par l’intermédiaire d’instruments
humains comme les apôtres. « Mais
comment croiront-ils s’ils n’ont pas entendu prêcher ? », dit l’apôtre[536]. Ainsi, la foi ne peut être nécessaire
au salut sans quoi des millions d’hommes seraient damnés sans responsabilité de
leur part n’ayant pas eu la chance d’être visités par des missionnaires. C’est
d’ailleurs une position de Calvin rejetée par l’Église : Dieu ne prédestine
personne à l’enfer.
Cependant :
«
Celui
qui s’approche de Dieu doit croire »[537]. « Celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé. Celui qui ne croira pas sera condamné. » [538]
Conclusion :
Comme nous l’avons montré, le libre arbitre est
requis comme une disposition du côté de l’homme à l’entrée dans la vision de
Dieu. Dieu ne se donne qu’à celui qui l’aime et le désire. Mais il ne peut y
avoir véritablement libre arbitre si l’on ne connaît pas d’une certaine manière
ce vers quoi l’on est conduit. Ainsi, l’âme ne peut d’aucune manière disposer
son libre arbitre vers la communication de la béatitude éternelle si elle n’en
connaît pas l’existence. Dieu seul peut en révéler la possibilité. C’est
pourquoi il est requis que l’homme réponde par la foi à une telle révélation. La
foi est requise aussi à l’homme en tant qu’elle implique de sa part une
certaine confiance en Dieu car nul ne croit en la parole d’un autre s’il n’a
pas confiance en cet autre. De même nul ne peut être établi dans la vision de
Dieu s’il n’a pas une totale confiance en celui qui l’appelle à son admirable
lumière. Mais nous verrons plus amplement cela dans l’article consacré à la
nécessité de la charité.
Solutions :
1. Parce que notre salut éternel est
d’ordre surnaturel, il est nécessaire qu’il nous soit proposé par une
connaissance d’origine surnaturelle. D’où la nécessité de la foi.
2. Les attributs invisibles de Dieu, la foi
les perçoit d’une façon plus élevée et en plus grand nombre que ne fait la
raison naturelle lorsqu’elle remonte des créatures à Dieu. D’où cette parole de
l’ecclésiastique[539] : « On t’a montré beaucoup plus de choses que l’intelligence
humaine n’en peut comprendre. » La
connaissance obtenue par la raison naturelle sur Dieu ne peut suffire pour
rendre l’homme capable de se disposer librement à entrer dans la vision de son
essence. Elle peut constituer une disposition à la foi. Mais seule une
révélation venant de Dieu, à laquelle l’homme adhère, peut lui donner
connaissance de la nature, de la possibilité et des moyens du salut.
La
nature de cette disposition est plus aisée à comprendre par l’analogie du
mariage. Savoir qu’il existe des jeunes filles à marier correspond à la
connaissance extérieure de la philosophie. Savoir que telle jeune fille est
digne d’être aimée, voici le contenu de la foi. Avoir confiance qu’on l’aimera
un jour, voici la foi elle-même. L’aimer dans un amour réciproque, voici
l’analogie de la charité.
3. Tout homme peut être amené à croire avec
le secours de la grâce. Et ce secours vient toujours selon cette parole de
l’Écriture : « Tous les lointains de
la terre ont vu le salut de notre Dieu. »[540]Les lointains de la terre symbolisent
les hommes qui ne connaissent pas Dieu. Si Dieu donne à certains la possibilité
d’avoir la foi dès cette terre grâce à la prédication de ses apôtres, c’est à
cause de sa très grande miséricorde. Quant aux autres, Dieu leur propose son
salut à l’heure de leur mort, comme aux ouvriers de la onzième heure. Mais
l’essentiel dans tout cela, c’est qu’il dispose chacun en enseignant l’humilité
(kénose) et le désir, à entrer librement dans la révélation de la charité, à
son heure.
Objections :
1. L’apôtre dit seulement[541] : « il faut croire, quand on s’approche de Dieu, qu’il existe et
que pour ceux qui le cherchent, il est rémunérateur ». Mais on peut croire cela sans la foi en la Rédemption ou à
la Trinité. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir explicitement la foi en ces
deux mystères pour entrer dans la gloire.
2. Nous sommes tenus de croire
explicitement en Dieu qui est l’objet de la béatitude. Mais ce qui fait la
possibilité de la béatitude, c’est la souveraine bonté de Dieu. Or elle peut se
concevoir, en lui-même sans la distinction des personnes. Il n’est donc pas
nécessaire de croire explicitement en la Trinité et au Christ.
3. Très peu
d’hommes même parmi les chrétiens, soupçonnent l’intensité du mystère présent
sous les mots de Trinité et de Sauveur. On ne peut donc dire qu’ils connaissent
explicitement par la foi ces réalités. On voit mal comment tant de gens
pourraient être écartés du salut à cause d’une ignorance.
Cependant :
Saint
Athanase affirme dans son symbole[542] : «
Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique : (...)
nous vénérons un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité (...). Mais il
est nécessaire au salut éternel de croire fidèlement aussi à l’incarnation de
Jésus Christ (...). »
Conclusion :
La vie béatifique à laquelle l’homme est appelé pour
l’éternité à pour objet la contemplation du Mystère insondable de la Trinité.
D’autre part, c’est par Jésus-Christ, le seul médiateur qui soit entre Dieu et
l’homme, qu’est donné ce salut. Il est donc impensable qu’un homme entre en
possession de Dieu par Jésus-Christ s’il ne connaît ni Dieu ni Jésus-Christ.
On
peut expliquer comme suit ces affirmations : ce qui appartient proprement et
par soi à l’objet de foi, et par excellence à cette foi qui précède l’entrée
dans la Vision béatifique, c’est la nature de la béatitude proposée et ce par
quoi on obtient la béatitude. Or, pour les humains, le chemin qui mène à la
béatitude, c’est le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption du Christ[543]. Il est dit en effet au livre des Actes
4, 12 : « Il n’y a pas d’autre nom
qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devrions être sauvés. » Jésus-Christ est d’autre part l’image
de Dieu, adaptée parfaitement au mode de la connaissance humaine. Il révèle aux
hommes par ce qu’il est le mystère de la vie trinitaire qui est l’objet de la
Vision béatifique.
Cette connaissance est donc nécessaire. Elle n’a pas
besoin d’être parfaite et totale sans quoi, puisque Jésus est Dieu, on devrait
dire que l’homme doit d’abord avoir vu l’essence de Dieu pour choisir de la
voir pour l’éternité. Cependant, cette connaissance doit être suffisamment
lumineuse et profonde pour permettre un choix parfaitement libre et définitif.
La foi d’ici-bas a rarement cette qualité même chez les saints. Mais, au moment
de la mort, elle est purifiée, illuminée et perfectionnée par le ministère de
Jésus-Christ et des anges.
Solutions :
1. Croire explicitement ces deux choses
mentionnées par l’apôtre, cela a été nécessaire en tout temps et pour tous.
Comme nous le verrons, la possibilité de croire est offerte à tout homme durant
sa vie terrestre, même si cela ne paraît pas expérimentalement évident.
2. La souveraine bonté de Dieu, dans la
mesure où présentement nous la comprenons par ses effets, peut se concevoir en
dehors de la Trinité des personnes. Mais en tant qu’elle est comprise en
elle-même, elle ne peut se concevoir en dehors de la Trinité des personnes. Or
c’est là l’objet de la Vision béatifique. Donc ce mystère ne peut être ignoré
de l’homme s’il est amené à le choisir ou à le refuser un jour. D’autre part,
puisque ce sont les missions du Fils et du Saint Esprit qui nous conduisent à
ce salut, et que les moyens doivent nous être connus, nous aboutissons à la
même conclusion.
3. L’objection considère la foi telle qu’elle
est ici sur terre. Mais au moment de la mort, elle est rendue parfaitement
claire par le ministère de Jésus-Christ et des anges. Quant aux païens qui
n’ont jamais eu la possibilité de connaître l’existence des mystères du salut
parce qu’ils n’en ont pas reçu la prédication, ceux-ci leur seront révélés, à
tous sans exception, à l’instant de la mort, selon cette parole de l’Écriture :
« Il s’en alla même prêcher aux
esprits en prison »[544]. Cela ne veut pas dire que tous
croiront car Dieu n’oblige personne à répondre par une foi confiante à la
prédication, comme nous le verrons plus loin[545].
Objections :
1. La béatitude éternelle dépasse toute aspiration
de l’âme. L’apôtre dit en effet « qu’elle
n’a pas été révélée à un cœur d’homme »[547]. Nul n’est donc tenu d’espérer la
béatitude pour y être introduit.
2. Nous avons montré que l’humilité
(kénose) était nécessaire pour entrer dans la gloire. Or l’espérance de la
vision s’oppose à l’humilité puisque l’homme désire un bien qui le transcende,
donc l’espérance de la Vision béatifique n’est pas nécessaire pour y entrer.
3. Celui qui
n’espère pas voir Dieu ne pèche pas. Cela peut venir d’une ignorance s’il ne
connaît pas l’existence de la béatitude. Or l’ignorance n’est pas coupable ;
cela peut venir aussi du sentiment de la grandeur de Dieu ou de l’horreur de
ses péchés personnels ce qui est un signe de grande pauvreté d’âme. Donc
l’espérance n’est pas nécessaire pour entrer dans la gloire.
Cependant :
L’espérance a pour objet la béatitude éternelle. Or
nul ne peut recevoir librement ce qu’il n’espère pas donc l’espérance est
nécessaire pour être introduit par Dieu dans la Vision béatifique.
Conclusion :
L’homme est tenu d’avoir une espérance théologale
parfaite pour être introduit dans la Vision béatifique. En premier lieu, cette
espérance doit porter explicitement sur la vie éternelle c’est-à-dire sur la
vision et la jouissance de Dieu. La raison en est que le moyen doit être
proportionné à la fin. Or la fin de l’espérance c’est la possession de Dieu.
Nul ne peut être introduit dans la Vision béatifique s’il ne l’espère car Dieu
ne s’impose pas à la liberté de sa créature, comme nous l’avons montré.
En outre, il est nécessaire que la certitude de
l’espérance s’appuie tout entière sur le secours divin. Dieu est en effet un
bien supérieur que nul ne peut atteindre par ses propres forces. Espérer cela
autrement serait de la présomption.
L’espérance
parfaite ne peut exister sans une foi parfaite sur laquelle elle s’appuie car
la foi propose à l’espérance ses deux objets qui sont la béatitude éternelle et
le secours divin par lequel nous l’obtenons.[548]
Solutions :
1. En effet, la béatitude éternelle n’est
pas révélée d’une façon parfaite au cœur de l’homme, de telle manière que
l’homme puisse en connaître avant d’y être introduit, toute la nature et la
qualité. Mais, selon sa raison commune, celle du bien parfait, l’homme peut en
avoir une certaine connaissance. Et c’est sous cet aspect que le mouvement de
l’espérance s’élève vers elle. D’où est-ce par métaphore que l’épître aux
Hébreux[549] dit que l’espérance pénètre « jusque de l’autre côté du voile », l’objet de notre espérance nous
étant encore pour l’instant voilé.
2. L’espérance théologale désire obtenir un
bien supérieur non en s’appuyant sur ses propres forces, mais sur celles de
celui qui peut le lui donner. Au contraire, l’orgueil qui s’oppose à l’humilité
cherche à obtenir la vision de Dieu sans l’aide de Dieu car il est meilleur
d’avoir un bien par soi-même que de le tenir d’un autre, selon saint Grégoire.
Donc l’espérance ne s’oppose pas à l’humilité. C’est la présomption qui
s’oppose à l’humilité.
3. Dans l’instant qui précède l’entrée dans
la vision de Dieu, l’ignorance n’existe plus comme nous le montrerons plus loin[550] car le Sauveur révèle à l’âme tout ce
qu’il lui faut pour se porter librement vers sa fin. Si une telle ignorance
subsiste dans l’âme, elle ne peut être que coupable et volontaire. Elle peut
être causée par un péché contre le Saint Esprit par exemple un refus de croire
malgré l’évidence. De même, dans cet état particulier qui précède la gloire, si
la peur de Dieu ou l’horreur de ses péchés subsistent jusqu’à conduire au refus
d’espérer le salut, ce ne peut être par humilité. Car l’humble soumet sa
volonté à celle de Dieu quand elle lui est suffisamment manifestée. Or Dieu
donne à l’âme la possibilité de connaître la grandeur de sa tendresse qui
supprime toute peur et de son pardon qui efface tout péché. Il y a donc
nécessairement une racine d’orgueil dans un tel désespoir qui constitue alors
aussi un blasphème volontaire contre le Saint Esprit.[551]
Objections :
1. Il semble que la charité ne soit pas
nécessairement requise pour entrer dans la Vision béatifique. Dieu ne demande
pas à l’homme ce qui dépasse ses forces. Or la charité est une amitié
surnaturelle pour Dieu. Elle dépasse donc les forces de l’homme,
2. Avant la venue de Jésus, Dieu conclut
avec les hommes diverses alliances dans lesquelles il promettait de leur donner
un jour une terre où couleraient le lait et le miel[553], ce qui symbolise sa gloire. Or Dieu
demandait simplement aux hommes l’obéissance à sa volonté comme nous le montre
le Pentateuque. Donc la charité n’est pas nécessaire pour entrer dans la Vision
béatifique.
3. Que penser
enfin des hommes qui, même après la venue du Christ, refusent d’aimer Dieu
comme un ami, c’est à dire par amour de charité, à cause de leur sens de la
grandeur du Créateur devant qui l’homme ne peut que plier le genou.
Cependant :
Jésus
dit[554] : «
si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous
ferons chez lui notre demeure ».
Donc la charité est nécessaire pour être introduit en Dieu.
Conclusion :
Nul
ne peut être introduit dans la Vision béatifique s’il n’aime Dieu. Il faut en
effet considérer que la vie éternelle consiste dans la jouissance de Dieu. Or
le mouvement de l’âme humaine vers la jouissance du bien divin, c’est l’acte
propre de la charité et c’est par lui que tous les actes des autres vertus se
rapportent à cette fin puisque la charité commande les autres vertus. Aussi
est-ce premièrement à la charité qu’il appartient de recevoir la vie éternelle
car Dieu ne donne la jouissance de sa présence dans l’âme que par amour libre
et gratuit pour sa créature qui doit répondre en retour par l’amour. Les autres
choses que nous avons décrites n’ont de valeur aux yeux de Dieu que parce que
leurs actes conduisent à l’amour de charité. L’assemblage des vertus peut se
comparer à un édifice. L’humilité est première et fondement de cet édifice en
ce sens qu’elle enlève les obstacles qui peuvent s’opposer à sa construction et
en particulier l’orgueil. Elle rend l’homme docile à l’action de Dieu. La foi
est le commencement du bâti car elle révèle à l’homme l’existence de la fin
suprême ; l’espérance vient ensuite car elle fait que l’âme désire avancer dans
sa quête. La grâce habituelle peut alors intervenir comme finition du temple
puisqu’elle rend possible la charité par laquelle Dieu vient l’habiter,
invisiblement dès ici-bas, visiblement au Ciel ; la charité en est le sommet
car elle nous fait aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme de toute
nos forces et parce qu’elle nous fait aimer le prochain à cause de Dieu comme
nous nous aimons nous-même. Étant un amour de Dieu, elle nous mérite de sa part
la vie éternelle car Dieu, dans sa justice, donne à celui qui l’aime ce qu’il a
promis. « Si quelqu’un m’aime,
mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre
demeure ».[555]
Solutions :
1. Dieu donne à l’homme à un moment ou à un
autre la possibilité de le connaître de telle façon qu’il puisse l’espérer et
1’aimer. La charité surnaturelle n’est pas hors de portée de l’homme s’il
s’appuie sur la grâce que Dieu ne lui refuse pas. Et cette vertu est nécessaire
car Dieu est amour et ne se donne qu’à ceux qui l’aiment.
2. Avant la venue du Christ, quand la possibilité
d’aimer Dieu par la charité n’avait pas encore été rendue à l’homme à cause du
péché originel qui le séparait de Dieu, les hommes n’entraient pas dans la
vision de l’essence divine. Il leur fallut attendre la mort du Sauveur qui, en
s’offrant comme victime pour les péchés, prit sur lui les fautes de chacun.
Auparavant, ils attendaient dans les enfers et le Christ vint lui-même les
délivrer selon cette parole de saint Pierre[556] : « Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » Quant au fait que le Christ vint si
tard, il s’explique par la dureté du cœur de l’homme que Dieu dut relever par
étapes, se révélant à lui d’abord comme l’ami et même l’époux.
3. Les musulmans,
les Juifs et les fidèles des religions qui par humilité refusent d’aimer Dieu
dans l’amitié de la charité n’en sont pas moins disposés par leur religion aux
sentiments intérieurs qui écartent l’obstacle de l’orgueil car la droiture de
leur volonté les dispose directement à accepter la prédication que le Sauveur
leur adresse au moment de leur mort par la vision de son humanité Sainte. Rien
n’empêche donc qu’ils soient sauvés. Ils y sont au contraire disposés par leur
religion. Nul ne peut être damné que s’il refuse explicitement cette charité
lorsqu’elle est proposée de manière évidente. Il s’agit alors d’un blasphème
contre l’Esprit Saint.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible. Aimer Dieu
parfaitement, c’est l’aimer tel qu’il s’aime lui-même. Or personne ne peut
aimer Dieu comme il s’aime. Donc une charité parfaite n’est pas requise.
2. L’homme ne peut être continuellement
tourné vers Dieu, ce qu’exigerait pourtant une charité parfaite. Or Dieu ne
peut exiger ce qui dépasse les forces de l’homme. Donc une charité parfaite
n’est pas requise.
3. Le moindre acte de charité trouve son
origine en Dieu qui en rend l’homme capable par sa grâce. Or la moindre grâce
de Dieu est capable de nous mériter la béatitude. Donc une charité parfaite
n’est pas requise pour être sauvé.
4. Après la mort,
nul ne peut augmenter sa charité pour Dieu puisque nul ne peut mériter. Or
beaucoup meurent avec une charité imparfaite. Faut-il donc admettre qu’ils
seront séparés de Dieu ? Cela n’est pas possible. Donc la charité parfaite
n’est pas requise pour entrer dans la Vision béatifique.
Cependant :
Jésus
dit : « celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ».[557] Il dit aussi : « qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».[558] Or aimer Dieu plus que ses proches et
plus que sa propre vie c’est la charité parfaite selon ce que dit saint Paul
aux Philippiens (1, 23) : la charité atteint sa perfection quand elle dit : « je désire mourir et être avec le Christ ». Donc une charité parfaite est requise pour entrer dans la Vision
béatifique.
Conclusion :
Il
est nécessaire que l’homme aime Dieu plus que tout pour entrer dans la Vision
béatifique. La raison en est que Dieu est par essence la source de toute bonté.
Il est plus aimable que tout bien participé. Il faut donc que le cœur de
l’homme soit disposé de telle façon qu’il désire voir Dieu plus que toute autre
chose. Un tel désir est seul proportionné à la réception du Bien parfait. Il
est un acte de la charité parfaite.
Solutions
:
1. Par charité parfaite, nous n’entendons
pas un amour qui aimerait Dieu tel qu’il s’aime. Aucune créature n’en est
capable car Dieu est aimable autant qu’il est bon. Il est donc infiniment
aimable puisque sa bonté est infinie. Or aucune créature ne peut aimer Dieu
infiniment puisque toute vertu créée est limitée.
2. Il n’est pas nécessaire que l’homme aime
Dieu de telle façon qu’il se porte continuellement vers lui de toute sa force.
Une telle perfection de la charité est celle qui règnera dans l’autre monde
lorsque l’homme aura été délivré du mode provisoire du fonctionnement de la
chair. Il est seulement exigé que l’homme donne habituellement tout son cœur à
Dieu, de ne rien penser et de ne rien vouloir qui soit contraire à la divine
dilection. Dans l’instant qui précède l’entrée dans la gloire, cela se réalise
concrètement par le fait que l’âme vaque tout entière à Dieu et aux choses
divines, en laissant tout le reste. Une telle charité est vécue dans certains
cas dès ici-bas par ceux qui sont consacrés à Dieu dans la vie contemplative.
En ce sens, ils sont témoins de ce que vivent toutes les âmes avant leur entrée
dans la vision de Dieu.
3. Le moindre acte de charité mérite à
l’homme de recevoir la gloire de la vision divine. Cependant, tant que cet acte
est mélangé par des restes de péché, c’est-à-dire par des affections qui sont
autres que celle qui se portent vers Dieu et vers les biens divins, il ne peut
conduire immédiatement à la vision de Dieu. Il demande donc à être purifié d’où
l’existence après la mort d’un feu purificateur comme nous le verrons
ultérieurement.
4. La charité, si
on la considère en elle-même, est toujours parfaite puisqu’elle est infusée par
Dieu qui ne saurait faire œuvre imparfaite. Mais, relativement à celui qui
possède la charité, elle peut être imparfaite en ce sens qu’elle trouve dans la
volonté un obstacle à son parfait exercice. C’est cet obstacle qui est supprimé
par le purgatoire, sans que la charité ait besoin d’être augmentée en elle-même[559].
Objections
:
1. Le baptême est nécessaire selon les
paroles du Seigneur : « Celui qui
croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné ».[560] L’autorité de cette Parole ne saurait
être mise en doute.
2. Il semble que l’homme doit non seulement
recevoir le baptême pour être sauvé mais aussi le sacrement de l’Eucharistie
selon la parole de Jésus : « Je suis
le pain vivant descendu du Ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra à
jamais ».[561] Si donc l’Eucharistie est nécessaire au
salut, a fortiori, le sacrement du
baptême qui y introduit est indispensable.
Cependant :
Jésus
dit au bandit crucifié à sa droite : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le
paradis »[562]. Or cet homme n’avait pas été baptisé,
ni par le baptême d’eau, ni par celui du martyre puisqu’il n’est pas mort pour
le Christ. Donc il est possible d’être sauvé sans recevoir le sacrement de
baptême.
Conclusion :
Le baptême est un sacrement puisqu’il réalise
efficacement dans l’âme de celui qui le reçoit ce qu’il signifie. Il est
possible de distinguer en lui au delà du signe sensible qui est l’eau versée
accompagnée de la parole dite, une réalité efficacement reçue par le baptisé.
Cette réalité n’est autre que le pardon de tous les péchés commis
antérieurement, et la réception de la grâce comme d’une vie nouvelle. Ces deux
effets du baptême sont signifiés par l’eau qui lave et fait naître à la vie.
Ainsi, si l’on considère le baptême en tant qu’il donne le pardon et la grâce,
alors sa réception est indispensable au salut. Nous avons montré en effet que
nul ne peut rentrer au Ciel si ses péchés ne lui sont pardonnés et s’il n’a
reçu la grâce.[563]
Cependant,
cette grâce du baptême peut être reçue par l’homme de plusieurs manières : bien
des humains la reçoivent avant même d’avoir été baptisés sacramentellement.
Ainsi, ceux qui tournent leur âme vers Dieu par une sincère conversion,
reçoivent dès cet instant de sa part les effets du baptême. Sachant cela,
l’Église n’hésite pas à différer chez les catéchumènes la réception du baptême
plusieurs années après qu’ils l’aient demandé. Elle sait qu’elle ne met pas en
danger leur salut. De même, les enfants morts sans baptême sont considérés comme
sauvés à cause du baptême de la prière de leurs parents pour eux, ou des
parents adoptifs du Ciel.
En
conséquence, on doit dire que la grâce du baptême est nécessaire au salut d’une
manière absolue. Quant au sacrement du baptême, il n’est pas nécessaire en soi
mais relativement à cet effet dont il est la cause la plus habituelle.
Solutions :
1. Les paroles du Seigneur doivent
s’entendre en premier lieu de l’effet du baptême qui est la conversion du cœur
vers la vie de la grâce. Cependant, en un second sens, on doit les interpréter
par une nécessité de recevoir le sacrement de baptême. En effet, celui qui est
véritablement introduit par l’Esprit Saint dans la vie de la grâce ne peut que
désirer la réception de ce bain d’eau instauré par le Christ. S’il refuse
obstinément, c’est que sa conversion n’est pas totale. En ce sens là, on doit
dire que le baptême sacramentel est nécessaire au salut.
2. Comme nous
l’avons montré, l’homme ne peut entrer dans la gloire s’il n’a pas une foi
ferme et profonde en Dieu, une espérance infaillible et une charité brûlante.
Or c’est le rôle du sacrement de confirmation de rendre la foi et l’espérance
adultes ; De même, l’eucharistie enflamme la charité puisque, en communiant,
l’homme s’unit amoureusement à Dieu en même temps qu’à son prochain. Il réalise
sensiblement dans sa vie les deux commandements donnés par le Seigneur.
Cependant, ces effets de la grâce peuvent naître dans l’homme par d’autres
moyens, comme on le voit chez certains saints qui furent longtemps privés par
la persécution de la réception des sacrements. Bien des hommes ne reçoivent ces
grâces qu’au moment de leur mort. Nous le montrerons ultérieurement.
En
ce qui concerne l’argument en sens contraire, on doit répondre ceci : le bandit
crucifié à la droite de Jésus fut réellement baptisé, non d’un baptême d’eau
certes mais du baptême de l’Esprit Saint. En effet, il confessa sa foi au
Seigneur et une telle profession ne peut venir « de la chair mais seulement du Saint-Esprit »[564], comme le dit le Seigneur à saint
Pierre. On peut même affirmer que le bandit fut baptisé d’un baptême de sang
puisqu’il estima juste devant le Seigneur les souffrances qu’il endurait pour
son péché. Il est donc évident que cet homme était rempli de la grâce que
confère habituellement le baptême d’eau.
D’autres théologiens pensent que ce bandit ne reçut
pas sur sa croix la grâce sanctifiante dans ce qui la spécifie, à savoir cette
amitié cœur à cœur avec Dieu, mais seulement l’humilité et l’espérance qui en
étaient les dispositions. Dans cette hypothèse, il reçut la grâce du baptême un
peu plus tard, c’est-à-dire juste à l’heure de sa mort, par la Révélation de
l’Évangile du Royaume de Dieu. C’est ce qui se produisait habituellement pour
tous les hommes de l’Ancienne Alliance.
Objections :
l .On ne peut affirmer qu’un homme pourra
voir Dieu plus qu’un autre. Dieu ne se prête pas au plus et au moins. Il est
simple. Celui qui le voit le voit donc tout entier ou alors il ne le voit pas
dans son essence.
2. Cela ne se peut pas. Nous avons montré[565] que la Vision béatifique est une
opération dont le siège est l’intelligence. Elle consiste en un acte de
contemplation. La charité quant à elle est un amour de la volonté. L’expérience
montre que l’intelligence d’un homme n’a pas de rapports proportionnels avec sa
bonté.
3. Dans l’autre
monde, nous serons semblables aux anges, selon l’affirmation de Jésus[566]. Or les anges
reçoivent la Vision béatifique en proportion de leur capacité naturelle. C’est
ce qu’affirme Denys.
Cependant :
Saint
Jean de la Croix affirme que « nous
serons jugés sur l’amour. » Par le
mot amour, il n’entend pas n’importe qu’elle dilection mais bien la charité.
Conclusion :
La
Vision béatifique sera donnée à l’homme en proportion du degré de sa charité au
moment de sa mort. C’est une vérité de foi qui ressort avec évidence des
enseignements de Jésus et que les saints n’ont cessé d’enseigner. Ils
manifestent la nécessité de se préparer dès cette terre à la réception de la
gloire. La notion de mérite ne signifie pas autre chose : Dieu sera vu par nous
en proportion de ce que désirera notre charité. La nécessité en tient à la
nature même de Dieu qui est infiniment lumineux et qui éclaire l’intelligence
dans la proportion même de son désir de le connaître, un peu comme un petit et
un grand vase sont qualifiés de totalement plein sans pourtant contenir la même
quantité d’eau. Il faut maintenant essayer de découvrir l’origine de ce lien de
proportionnalité entre la charité et la vision de Dieu. Certains théologiens
ont affirmé qu’il n’était autre qu’une règle établie souverainement par
l’auspice de Dieu, celui-ci se montrant volontairement à sa créature d’une
manière plus ou moins profonde, cachant une partie de son mystère à celui qui
l’aime moins. Mais cette raison ne convient pas car Dieu est simple et se livre
simplement et totalement à celui qui l’aime : « Il fait briller son soleil sur les bons comme sur les moins bons. » [567] Il faut donc chercher la cause de cette
différence ailleurs, dans la créature. Parmi les opérations intellectuelles, il
en est certaines qui se réalisent sans lien direct avec l’affectivité. Le
savant qui cherche à découvrir une loi physique ne la découvrira qu’à force de
sagacité intellectuelle et sa qualité morale n’interfèrera pas avec sa
recherche. C’est ainsi que fonctionnent les sciences dont l’objet consiste dans
des réalités inférieures à l’homme. Mais il existe d’autres types de connaissance
humaine qui ne trouvent pas toute la profondeur de leur objet sans
l’intervention de l’affectivité. Elles atteignent pourtant leur objet d’une
manière vraie. C’est d’elles dont parle le philosophe Aristote quand il dit
qu’il vaut mieux connaître les réalités inférieures et aimer les réalités
supérieures. Parmi ces réalités supérieures, on peut citer la personne humaine,
l’ange et Dieu. Il est évident par exemple que l’ami connaît mieux que tout
autre son ami. Il pénètre par son amitié des réalités de son âme que nulle
science ne peut atteindre. De même, dans l’ordre de la grâce celui qui aime
Dieu le connaît plus profondément que celui qui n’en a que la science. C’est
que la réalité 1a plus profonde en Dieu (celle qui a suscité son acte créateur
et l’incarnation du Verbe) est l’amour. Cette réalité est davantage accessible
à la connaissance issue de l’amour qu’à la connaissance rationnelle qui, quant
à elle, atteint d’une manière plus connaturelle ce qui est lié à la toute
puissance de Dieu, par réflexion sur la création. Dans l’ordre de la gloire qui
vient accomplir la vie de la grâce par la vision de Dieu, il en est de même :
plus un homme aime Dieu, plus son intelligence se trouve favorablement disposée
à son mystère. Orientée par la charité, elle se trouve en connaturalité avec le
tréfonds de Dieu qui consiste aussi dans l’amour. Lorsqu’elle entre dans la
vision, elle se trouve donc capable de comprendre davantage le mystère que ne
le peut celui qui aime moins.
En
conclusion le chrétien doit tenir solidement deux points essentiels à propos du
sens de cette vie et de son rapport à l’au-delà : il doit croire d’une part à
la continuité fondamentale qui existe, par la vertu de l’Esprit Saint, entre la
vie présente dans le Christ et la vie future. En effet, la charité est la loi
du Royaume de Dieu et c’est la mesure de notre charité ici-bas qui sera celle
de notre participation à la gloire du Ciel ; mais, d’autre part, le chrétien
doit discerner la rupture radicale entre le présent et l’avenir du fait que, au
régime de la foi, se substitue celui de la pleine lumière : nous serons avec le
Christ et nous "verrons Dieu"[568] promesse et mystère inouïs en quoi
consiste essentiellement notre espérance. Si l’imagination ne peut y arriver,
le cœur y va d’instinct et fond.
Solutions :
1. Ce n’est pas du côté de Dieu qu’il faut
rechercher la cause des différences de vision chez les saints. Dieu en ce qui
le concerne se livre tout entier et sans mesure à sa créature. C’est du côté de
l’homme que réside du plus et du moins. Chacun au Ciel aimera Dieu de toute la
force de son cœur mais tous n’auront pas la même capacité à aimer. Or c’est
cette capacité à aimer, que l’homme est appelé à développer durant sa vie
terrestre, qui détermine le degré de vision en chacun.
2. Dans l’exercice de l’amour spirituel,
les deux facultés de l’esprit n’agissent pas l’une sans l’autre. Il existe un
double rapport entre elles : en premier lieu, l’intelligence donne à la volonté
son objet car nul ne peut aimer ce qu’il ne connaît en aucun cas. En second
lieu, l’amour en grandissant aiguise l’intelligence en lui donnant à la fois le
désir et la pénétration nécessaires pour connaître plus profondément le bien
aimé. Il en est ainsi aussi bien dans l’ordre de l’amour humain que de l’amour
divin, car la grâce et la gloire suivent la nature qu’elles surélèvent. Ainsi,
dans l’autre monde, celui qui aimera davantage Dieu lui sera davantage
semblable et, en conséquence, le comprendra davantage.
3. Les anges sont
de purs esprits. Leur nature est ainsi faite qu’ils se portent vers leur fin
tout entier et d’un seul coup. Après leur création, lorsque les anges eurent à
choisir entre la voie qui mène au paradis et celle qui mène à l’enfer, ils s’y
portèrent chacun selon leur choix et définitivement. En effet, lorsque leur fut
adressée la révélation divine concernant la gloire, chacun la comprit en
proportion de la puissance naturelle de son intelligence ; aidé par la grâce de
Dieu, chacun choisit ou au contraire refusa cette voie avec une détermination
volontaire proportionnelle à ce qu’il avait compris ; chacun reçut alors ce
qu’il méritait en proportion de la force de ce choix qui n’est autre, pour les
bons anges, que la charité. Voila pourquoi Denys peut affirmer qu’en définitive
les anges voient Dieu en proportion de leurs capacités naturelles.
Mais il en est tout autrement pour l’homme : de part
son corps et sa sensibilité, il ne peut comme l’ange aimer Dieu d’un seul coup
et de toute l’intensité dont il est capable. L’expérience montre qu’il apprend
à aimer par étape et d’une manière faillible. Par contre, à la différence de
l’ange, l’homme peut aimer sans limite naturelle, c’est-à-dire au delà de ce
qu’il comprend de Dieu ou de son prochain. Il peut se déposséder de lui-même
jusqu’à renoncer à sa vie. Une telle charité peut lui mériter une gloire
supérieure à celle des chérubins.
Il
nous faut maintenant considérer la résurrection des corps qui a été promise à
tous les hommes par le Sauveur : « l’heure
vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de
l’homme et sortiront : ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de
vie, ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de jugement »[570]. Et cette résurrection se produira dans
le temps, à un instant que Dieu connaît[571]. Nous verrons donc successivement :
I) Ce qui précède la résurrection.
II)
La résurrection elle-même et ses circonstances.
III) Ce qui la suit.
Concernant le premier point, nous examinerons :
A)
Le destin individuel de chaque homme
1° La mort et la condition des âmes
séparées de leur corps.
2° Le jugement particulier.
3° Les demeures des âmes après la mort.
4° Les suffrages par lesquels les vivants
peuvent aider les défunts.
B)
Le devenir du monde
De même que le corps de chaque homme en particulier
passe par la mort pour ensuite ressusciter, de même le monde dans son ensemble[572] doit avoir
une fin qui précèdera l’apparition d’un monde nouveau, d’une Jérusalem céleste
selon l’Apocalypse[573]. À ce sujet,
il nous faudra voir :
1° les signes précurseurs de la fin de ce
monde.
2° la conflagration de l’univers à la fin
des temps.
Au sujet de la mort qui est pour chacun de nous le
passage de ce monde à l’au-delà, quatorze interrogations nous paraissent
nécessaires :
Q. 8, article 1
: L’âme humaine survit-elle à la mort du corps ?
Q. 8, article 2
: Après la mort, l’homme conserve-t-il une vie sensible ?
Q. 8, article 3
: La mort est-elle naturelle ?
Q. 8, article 4
: La mort est-elle instantanée ?
Q. 8, article 6
: Dans le moment de la mort, l’homme est-il délivré de la faiblesse du corps ?
Q. 8, article 7
: L’homme voit-il Dieu dans son essence au moment de la mort ?
Q. 8, article 9
: L’homme peut-il voir des personnes décédées avant-elle ?
Q. 8, article 10
: L’homme voit-il le démon à l’heure de la mort ?
Q. 8, article 11
: L’homme peut-il voir des personnes encore vivantes sur terre ?
Q. 8, article 12
: L’homme voit-il défiler sa vie, le bien et le mal commis ?
Q. 8, article 13
: Peut-il y avoir repentir dans le moment de la mort ?
Q. 8, article 15
: Le jugement dernier a-t-il lieu au moment de la mort ?
1° L’âme humaine survit-elle à la
destruction du corps ?
2° Après la mort, l’homme conserve-t-il
une vie sensible ?
3° La mort est-elle naturelle ?
4° La mort est-elle instantanée ?
5° L’homme reçoit-il certaines révélations
de la part de Dieu dans la durée qu’on appelle l’heure de la mort ?
6° Dans le moment de la mort, l’homme
est-il délivré du foyer du péché ?
7° L’homme voit-il Dieu dans son essence
au moment de la mort ?
8° L’homme voit-il de manière sensible
l’humanité sainte du Christ au moment de la mort ?
9° L’homme peut-il voir des personnes
décédées avant lui ?
10° L’homme peut-il voir le démon au moment
de la mort ?
11° L’homme peut-il voir des personnes
encore vivantes sur la terre ?
12° L’homme voit-il défiler sa vie, le bien
et le mal commis ?
13° Peut-il y avoir repentir et conversion
dans le moment de la mort ?
14° Cette révélation de l’Évangile fut-elle
nécessaire au moment de la mort à tous les hommes de tous les temps ?
15° Le jugement dernier a-t-il lieu au
moment de la mort ?
Cette question, nous en sommes conscients, aborde un
domaine d’étude jamais encore approfondi de cette manière par la théologie.
Pourtant, l’étude de la mort et des évènements qui l’accompagnent est d’une
importance extrême pour le reste du traité. La question de l’apparition
glorieuse du Christ donne l’intelligibilité du destin individuel de chacun.
Objections :
1. Le mot "âme" lui-même est
piégé. Il porte les vestiges de certaines philosophies grecques dualistes comme
celle de Platon. Il n’est plus possible de l’employer aujourd’hui, alors que
nous savons que l’homme est un, substantiellement.
2. Il ne semble pas que la mort soit la
séparation de l’âme et du corps. Elle est plutôt la destruction de l’âme. En
effet, l’âme est la forme du corps. Or la forme ne peut plus subsister quand la
matière se corrompt.[576]
3. En parlant de séparation de l’âme et du
corps, on est amené à poser dans l’être humain deux parties essentiellement
différentes. Or l’expérience montre que l’homme est un seul être.
4. Si l’âme pouvait subsister après la
disparition du corps, cela apparaîtrait par l’existence d’une activité vitale
indépendante du corps. Mais cela n’est pas vrai de l’acte intellectuel pour
lequel il faut toujours des images, phénomène d’origine corporelle.
5. Il semble que l’âme est détruite après
la mort d’après l’Écriture et l’Église. On redit en effet lors de la liturgie
des cendres la parole de Dieu au jardin d’Eden : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ».[577] Si l’âme devait subsister après la
mort, elle ne retournerait pas à la poussière.[578]
Cependant :
Luc 23, 43 : le "bon larron" sera dès sa
mort avec Jésus.
Luc
20, 38 : Jésus répond à ceux qui ne croyaient pas en la survie actuelle des
morts : « Dieu n’est pas le Dieu des
morts mais des vivants. »
Actes 1, 59 : Etienne demande au Seigneur d’être
accueilli dès sa mort au Ciel.
Ph 1, 21-26 : Paul est certain d’être dès sa mort
avec le Christ d’une façon définitive.
2 Co 12, 1-6 : Paul a été déjà au paradis.
2 Tm. 4, 18 : la confiance de l’apôtre d’entrer dès
la mort dans le Royaume.
Ap. 6, 9 : les âmes des martyrs sont au Ciel.
Ap.
14, 13 : « Heureux dès à présent ceux
qui sont morts dans le Seigneur. »
L’ecclésiaste
12, 7 : « La poussière retourne à la
terre comme elle en est venue et le souffle à Dieu qui l’a donné. » Donc la mort implique la survie de
l’âme (autrement dit du « souffle ») après la destruction du corps.
Conclusion :
La
mort est le passage de l’âme spirituelle de ce monde à l’au-delà. Elle
présuppose la séparation de l’âme et du corps et n’aboutit pas à la destruction
de l’âme. Pour mieux le comprendre, il faut considérer ce qu’est l’âme. Par
expérience, nous pouvons constater chez nous l’existence d’actes vitaux
d’espèces différentes tels que manger, imaginer, penser, aimer. Ces actes
permettent de remonter aux puissances vitales qui les causent à savoir par
exemple la puissance nutritive, l’imagination, l’intelligence, la volonté.
Parmi ces facultés, certaines ne peuvent exister sans un organe biologique ce
qui se manifeste clairement si on analyse leur objet et leur exercice qui sont
indissociables de la matière. Ce sont les facultés corporelles. Elles peuvent
être classées parmi les facultés de la vie végétative en tant qu’on les
retrouve dans la vie des plantes ou parmi les facultés de la vie sensible en
tant qu’elles nous sont communes avec les animaux.
Certaines facultés au contraire n’ont pas besoin
d’un support biologique pour exister même si, dans l’état présent, elles ne
s’exercent pas sans le corps, comme cela a été montré dans la première partie :
L’intelligence et la volonté nous sont communes avec les anges. En ce sens, on
peut appeler le troisième degré de vie "la vie spirituelle".
Les trois degrés de vie sont unis indissociablement
pour former la nature humaine. Cette unité se réalise par une cause efficiente
vitale qu’on appelle l’âme car elle anime de l’intérieur la personne tout
entière. Non seulement l’âme réalise l’unité en un seul être de deux natures
différentes à savoir une nature corporelle et un esprit ; mais elle est source
de leur vie. On le constate avec évidence pour le corps qui ne subsiste pas
dans sa forme de corps humain mais se décompose dès qu’il n’est plus animé. La mort
survient lorsque le corps se trouve soustrait à l’influence vivifiante de
l’âme. Cela vient de la déficience du corps qui, à cause de la maladie, d’un
accident ou de l’usure de la vieillesse perd son adaptation à l’âme.
C’est
ici que commence la voie par laquelle Aristote entend démontrer la non
matérialité donc l’incorruptibilité de l’âme humaine et de ses deux facultés
spirituelles. Il analyse l’intelligence humaine et la volonté. Il constate que,
même si nous ne pouvons pas penser sans nous aider avec des images
(l’imagination nous est donc indispensable pour penser), nous pouvons cependant
penser à des objets qui ne sont pas des images.
Illustration
: pour comprendre ce qu’est l’amour, nous pouvons avoir en tête un exemple
concret d’attraction entre deux personnes. Nous pouvons en faire un dessin (un
cœur blessé par exemple). Mais la notion d’amour, ce que nous comprenons de
l’amour, dépasse toute représentation. Il s’agit d’un concept abstrait. Nous
sommes incapables de représenter cette pensée par une image. Cette pensée n’est
pas matérielle. Elle la dépasse totalement. Elle est d’un autre ordre,
spirituel.
De
même, notre volonté peut aimer une réalité (une personne par exemple)
uniquement parce que notre intelligence nous fait comprendre que cette personne
est digne d’amour. Cela dépasse ce que nous pouvons ressentir pour elle (amour
passion). Il s’agit d’un amour qui dépasse toute matière. Nous sommes capables
d’aimer de manière spirituelle un bien spirituel. Notre amour volontaire n’est
donc pas matériel. Il dépasse complètement les domaines du sensible, du
psychologique.
Si
les deux facultés de l’esprit humain ont un objet immatériel, c’est donc
qu’elles-mêmes dépassent la matière. Elles ne peuvent avoir d’organe matériel.
Toute faculté liée à un organe matériel produit une action matérielle. C’est
parce que l’œil est fait de matière qu’il peut capter la lumière matérielle.
Principe de causalité : toute cause
(ici l’œil organique) produit un effet qui lui est proportionné (ici la vision
de la lumière qui est matérielle).
De
même, puisque l’intelligence humaine peut comprendre des réalités non
matérielles, c’est donc qu’elle est elle-même immatérielle (donc qu’elle n’a
pas d’organe).
Aristote
pose une autre conclusion nécessaire à son raisonnement : l’âme spirituelle
(l’âme humaine, l’intelligence et la volonté) ne peuvent venir de l’action des
parents lorsque, à travers l’acte sexuel, ils conçoivent un enfant. La matière
(spermatozoïde et ovule) ne produit que de la matière. C’est donc que l’âme spirituelle
vient "d’ailleurs" Aristote ne dit rien de plus. Mais saint Thomas
d’Aquin conclura le raisonnement d’Aristote : «L’âme spirituelle vient d’ailleurs, c’est-à-dire qu’elle est créée
immédiatement par Dieu, pour chaque enfant individuellement, après la
conception. Seul Dieu, en effet, qui est un être spirituel et infini peut créer
des réalités spirituelles. »
Ainsi lorsque le corps se soustrait, à cause de sa
potentialité, à l’influence de l’âme, celle-ci se sépare de lui. Puisqu’elle
n’est pas faite de cette matière que nous voyons se corrompre, mais d’autre
chose dont la nature est spirituelle, c’est qu’elle survit, de même que les
puissances spirituelles dont elle est source.
L’âme
spirituelle subsiste après la mort. C’est pourquoi Jésus a pu dire au bandit
qui était crucifié à sa droite : « aujourd’hui,
avec moi, tu seras dans le paradis. »
Le fait que l’âme subsiste après la mort est un article de foi selon
l’enseignement du saint Concile du Latran[579]. « Nous
condamnons et réprouvons tous ceux qui affirment que l’âme intellective est
mortelle. » Mais c’est aussi une
vérité que la raison naturelle peut arriver à découvrir par ses propres forces.
Solutions :
1. À la différence de Platon, Aristote
n’est pas dualiste. Il n’oppose pas l’âme, principe de la pensée au corps qui
serait son fardeau et sa punition. Pour lui, l’être humain constitue un seul
être complet, corps, sensibilité et esprit inclus. Il possède trois niveaux de
vie qui s’exercent en harmonie :
--
Une vie végétative, commune avec les plantes. Elle est une vie purement
physique. Elle s’exerce de manière inconsciente à travers une série d’organes.
Ses facultés sont essentiellement celles de la nutrition, de la respiration, de
la croissance, de l’adaptation et de la reproduction.
--
Une vie psychologique, commune avec les animaux supérieurs. Elle est le siège
d’une certaine conscience sensible mais reste toujours liée à des organes (le
système nerveux et le cerveau). On peut citer, entre autre, parmi ses facultés
: les cinq sens, les passions (amours et haines sensibles d’un bien sensible),
l’imagination, la mémoire des images, l’estimative (intelligence animale de
l’utile et du nuisible).
--
Une vie spirituelle enfin, commune avec les anges, et qui est le fait de deux
facultés complémentaires : l’intelligence et la volonté (qui n’est autre que la
faculté d’aimer de l’intelligence). Ces deux facultés ne sont pas autre chose
que l’esprit.
Toute
cette diversité appartient à un seul être, une personne humaine complète et
unifiée. Or, pour expliquer l’unité qui apparaît au delà de la multiplicité des
facultés, il faut bien accepter l’existence d’un principe d’unité. Aristote
l’appelle l’âme (psyché en grec,
anima en latin). Selon lui, même les animaux et les plantes ont une âme
puisqu’ils sont unifiés dans une grande diversité de matière et de facultés
vitales. Mais, chez l’homme, l’âme fait exister non seulement un corps et un
psychisme sensible, mais aussi un esprit. Son âme n’est donc pas seulement végétative ou animale mais spirituelle.
2. L’âme est la forme du corps. Mais elle
est une forme qui subsiste par elle-même. On peut le montrer par la
considération suivante : De même que l’intelligence humaine est séparée de la
matière et donc incorruptible de même sa cause est nécessairement immatérielle et
incorruptible car une cause ne peut produire un effet supérieur à elle. Quant à
l’immatérialité de l’intelligence, on peut la découvrir en regardant son objet
qui est, potentiellement, la connaissance de tout (du concret à l’abstrait, de
l’être matériel à Dieu). Son objet n’est pas restreint à tel ou tel être
particulier comme on le voit par exemple pour l’œil qui, étant un organe
matériel (donc corruptible), n’atteint que tel domaine du monde matériel, à
savoir le visible[580].
3. L’âme et le corps ne sont pas deux
parties essentiellement différentes, comme le pensait Platon. De même que la
forme de la statue est une avec sa matière pour former une seule œuvre d’art de
même pour l’âme et le corps. L’âme réalise l’unité substantielle de tout
l’homme en informant le corps. Mais elle est aussi une forme subsistante. Elle
peut donc continuer à exister lorsque l’intégrité humaine est brisée.
4. Le corps n’est pas requis pour l’acte
intellectuel à la manière d’un organe mais en raison de l’objet qu’il fournit à
savoir l’image qui est à l’intelligence ce que la couleur est à la vue. Le fait
d’avoir besoin du corps pour son exercice n’empêche pas l’intelligence d’être
subsistante. Dans l’au-delà, elle acquiert un nouveau mode d’exercice comme
nous le verrons[581].
5. Quand Dieu
dans le livre de la Genèse dit à l’homme qu’il est poussière et qu’il
retournera à la poussière, il ne veut pas lui dire que toutes les parties de
son être sont matérielles et donc corruptibles. En disant à l’homme qu’il est
poussière, il lui signifie qu’il n’est rien quand il se sépare de la source de
sa vie, Dieu. Par la mort l’homme sera conduit à expérimenter jusque dans la
destruction de sa chair le caractère insensé de sa révolte contre Dieu.
Objections :
1. L’argument d’Aristote pour prouver
philosophiquement la survie de l’esprit consiste à montrer que l’objet de
l’intelligence et de la volonté est immatériel. Les facultés le sont donc
aussi. Or l’objet de toutes les facultés psychologiques (sensations, passions,
imagination, mémoire sensible, estimative) est toujours lié à la matière.
L’organe de ses facultés est connu, c’est le cerveau. Il est donc impossible
qu’elles subsistent à la destruction du cerveau.
2. La phase de décorporation ressemble
beaucoup à certaines expériences décrites dans la toxicomanie. Elle semble être
l’effet d’une hallucination produite par le cerveau en détresse. Il semble
abusif d’en conclure qu’après la mort, l’homme conserve un corps psychique.
3. La rencontre avec un être de lumière,
avec des proches décédés, tout cela fait penser à l’effet d’une réaction
anesthésique du cerveau dans le stress de la mort approchée. On ne saurait
fonder une doctrine sur une vision si critiquable.
4. On ne trouve trace nulle part de cette
expérience de la mort approchée, ni dans la foi de l’Église, ni dans sa
Tradition. Il est dangereux d’ajouter de telles expériences au domaine de la
révélation.
5. Enfin, cette expérience de la mort approchée
semble être dangereuse pour la foi. Là où est l’expérience, la foi disparaît.
Cependant :
Dans
son commentaire littéral du livre de la Genèse, 32, saint Augustin se réfère
souvent à l’expérience de la mort approchée, déjà bien décrite à son époque : il
reconnaît que ces personnes ravies hors de leurs sens corps, ont conservé
"une certaine ressemblance de leur corps"[582], par laquelle elles peuvent être
emportées vers des lieux corporels. « Je
ne vois pas, dit-il, comment il pourrait en être autrement : l’âme garde
quelque chose qui ressemble à un corps lorsque, le corps étant étendu privé de
sentiment, mais sans être mort, elle voit ce qu’une foule de personnes rendues
à la vie, après avoir éprouvé cette sorte de ravissement, ont raconté qu’elles
avaient vu ; je ne vois pas, dis-je, pourquoi elle ne l’aurait pas, une fois
que, par la mort corporelle, elle a complètement quitté son corps. »
Conclusion :
Le
docteur Moody, psychologue américain, publia en 1978 son livre : « La vie
après la vie[583] ». Il s’agit d’une étude faite
auprès des américains ayant connu, à un moment, un état d’arrêt cardiaque ou
même de mort clinique. En dépit des différences présentes pour chaque cas,
écrit le docteur Moody, tant par les circonstances qui entraînent les approches
de la mort que les différents types humains qui les subissent, il n’en reste
pas moins que de frappantes similitudes se manifestent entre les témoignages
qui relatent l’expérience elle-même. En fait, ces similitudes sont telles qu’il
devient possible d’en dégager des traits communs, sans cesse répétés.
Voici donc un homme qui meurt et, tandis
qu’il atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin
constater son décès. Il commence alors à percevoir un bruit désagréable, comme
un fort timbre de sonnerie ou un bourdonnement et, dans le même temps, il se
retrouve hors de son corps physique immédiat. Il aperçoit son propre corps
physique à distance, comme en spectateur. Il observe de ce point de vue
privilégié les tentatives de réanimation dont son corps fait l’objet. Il se
trouve dans un état de forte tension émotionnelle. Au bout de quelques
instants, il se reprend et s’accoutume peu à peu à l’étrangeté de sa nouvelle
condition. Il s’aperçoit qu’il continue à posséder un "corps" mais ce
corps est d’une nature très particulière et jouit de facultés très différentes
de celles dont faisait preuve la dépouille qu’il vient d’abandonner. Après
cela, il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long
tunnel. Et soudain, une entité spirituelle d’une espèce inconnue, un esprit de
chaude tendresse, tout vibrant d’amour (un être de lumière) se montre à lui.
Cet être fait surgir en lui une interrogation, qui n’est pas verbalement
prononcée, et qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. L’entité le
seconde dans cette tâche en lui donnant une vision panoramique, instantanée, de
tous les événements qui ont marqué son destin. Bientôt, d’autres événements se
produisent, d’autres êtres s’avancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui
venir en aide. Il entrevoit des parents et des amis décédés avant lui. Le
moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer devant lui une sorte de
barrière ou de frontière, symbolisant apparemment l’ultime limite entre la vie
terrestre et la vie à venir. Mais il constate alors qu’il faut revenir en
arrière, que le temps de mourir n’est pas encore venu pour lui. À cet instant,
il résiste car il est désormais subjugué par le flux des événements de l’après
vie, et ne souhaite pas ce retour. Il est envahi d’intenses sentiments de joie,
d’amour et de paix. En dépit de quoi il se retrouve uni à son corps physique.
Il renaît à la vie.
Par
la suite, lorsqu’il tente d’expliquer à son entourage ce qu’il a éprouvé entre
temps, il se heurte à différents obstacles. En premier lieu, il ne parvient pas
à trouver des paroles humaines capables de décrire de façon adéquate cet
épisode supraterrestre. De plus, il voit bien que ceux qui l’écoutent ne le
prennent pas au sérieux, si bien qu’il renonce à se confier à d’autres. Pourtant,
cette expérience marque profondément sa vie et bouleverse notamment toutes les
idées qu’il s’était faites jusque-là à propos de la mort et de ses rapports
avec la vie.
On
peut résumer ce tableau idéal en cinq grandes étapes[584] :
1° décorporation : la personne se trouve
comme suspendue au-dessus de son corps ; 2°
tunnel noir ; 3° vision de l’être de
lumière ; 4° vision de proches
décédés précédemment ; 5° le retour
et ses conséquences psychologiques. L’ordre des étapes peut varier puisque
certaines personnes affirment avoir vu l’être de lumière avant le passage dans
le tunnel noir. D’autre part, certains témoignages s’arrêtent à la première ou
deuxième étape, la mort clinique n’ayant apparemment pas assez duré.
Les
propriétés du corps double ont pu être décrites d’une manière assez précise :
Il s’agit tout d’abord d’un corps matériel, même s’il n’est pas composé de
matière palpable. Il s’agit plutôt de matière sous forme d’énergie, de flux
ondulatoire. C’est une sorte de champ magnétique, organisé sur lui même, un
corps psychique. Il s’agit malgré tout d’un véritable corps humain, double du
corps physique, ayant toute une vie psychologique et spirituelle : Il possède
ses cinq sens, même si le toucher et le goût s’exercent différemment.
L’imagination est entièrement présente, avec la mémoire et leur exercice
cérébral. Des souvenirs disparus peuvent réapparaître intacts. Les émotions
passionnelles sont présentent mais elles sont beaucoup plus paisibles. La joie,
la paix, la peur et la tristesse s’exercent sans excès, comme si l’absence du
corps physique les rendait plus contrôlables.
La
vie spirituelle est, quant à elle, intensément présente. L’intelligence
comprend ce qui leur arrive, la volonté se porte vers tel ou tel choix. Mais le
plus étonnant demeure sans doute l’apparition de propriétés parapsychologiques
nouvelles. Ce corps est fluide : il peut passer à travers les murs les plus
épais, obéissant aux désirs de la volonté. Une femme raconte que, s’étant
aperçu qu’elle mourrait, elle eut une pensée pour son mari et son fils présents
dans la salle d’attente. Elle se retrouva aussitôt auprès d’eux, ayant traversé
plusieurs pièces de l’hôpital à travers les murs. Elle décrivit après son
réveil des détails sur cette salle d’attente qui ne laissent aucun doute de sa
bonne foi.
Ce
corps est agile : il peut se déplacer à volonté avec une vitesse incroyable. Un
homme se voyant quitter son corps physique pensa intensément à son épouse qu’il
avait laissée à l’étranger. Il se retrouva auprès d’elle, ayant franchi en quelques
instants des milliers de kilomètres.
Ce
corps est léger : il ne présente aucun des inconvénients du corps physique :
fatigue, poids, inertie ; Étant entièrement soumis à la volonté, il peut être
appelé en ce sens "corps spirituel".
Ce
corps est parfait : il ne présente aucun des handicaps du corps physique. Une
jeune fille, aveugle de naissance, pût décrire avec force détails la couleur de
ce qu’elle avait vu dans la pièce lors de son expérience. Un ancien combattant,
amputé des deux jambes, eut la surprise de se voir tel qu’il était avant son
accident.
Enfin,
ce corps est doué de perceptions extrasensorielles nouvelles et qui lui
apparaissent comme naturelle. Les témoins prétendent non seulement entendre les
paroles proférées autour d’eux mais lire directement les sentiments et les
pensées de chacun. C’est une sorte de télépathie à sens unique puisqu’ils sont,
quant à eux, incapables d’attirer l’attention de qui que ce soit.
Chaque
personne, chaque objet, leur apparaît nimbé dans une auréole de lumière aux
couleurs vivantes ce qui rend leur perception de l’univers presque féerique.
Selon les pensées et les sentiments de ceux qui sont dans la pièce, ces
couleurs prennent des nuances différentes.
Solutions :
1. L’argument d’Aristote est logique. Le
cerveau étant détruit, il est rationnellement logique que les facultés
sensibles liées à cet organe soient détruites. Mais cela ne tient pas devant
l’expérience. Or c’est le propre du philosophe de soumettre son raisonnement
devant la réalité qui est maîtresse de sa science. Reste donc à savoir si
l’expérience de la mort approchée est sûre et non imaginaire. C’est un problème
d’ordre philosophique.
Face
aux propriétés décrites du corps psychique, on est tenté de le rejeter dans le
domaine imaginatif. L’hypothèse d’un effet psychique subjectif dû à la mort
clinique a été émise. Il est vrai que les phases du tunnel et celles qui la
suivent ne sont pas vérifiables. Mais la première phase (la décorporation)
présente certaines propriétés qui excluent toute interprétation purement
toxicologique et subjective. En effet, le fait de voir physiquement, à 10 ou
1000 kilomètres du lieu où se produit l’arrêt cardiaque, ce que fait telle
personne précise à tel moment précis, les vêtements qu’elle porte, est
objectivement vérifiable. Si un tel effet est produit par l’état de détresse du
cerveau, il n’en reste pas moins vrai qu’une "partie" de la
conscience s’est nécessairement transportée à 10 ou 1000 kilomètres (voir
solution 2).
Le
problème n’est donc pas d’affirmer que ce n’est pas possible mais plutôt de se
demander comment cela est possible. Certains philosophes ont donc essayé de se
pencher sur l’historicité de la question. Il leur est apparu que le phénomène
de la décorporation n’est pas nouveau. La psychologie le décrit comme propriété
de certains hallucinogènes puissants. D’autre part, de longs traités
pluriséculaires, écrits dans les traditions philosophiques chinoises, hindoues
et tibétaines[585] en parlent. C’est d’ailleurs là qu’on
trouve les plus profondes explications philosophiques du phénomène. Selon ces
traditions, on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie auxquels
correspondent trois corps parfaitement adaptés l’un à l’autre pour former une
seule personne : le corps physique, le corps astral et le corps mental.
1° Le corps physique est le siège des
facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il est
aussi le siège d’un autre corps, appelé le corps astral.
2° C’est le corps physique qui est source
de l’existence du corps astral, au moins pour sa naissance. Selon ces
traditions, après la mort du corps physique, le corps astral s’en sépare et
subsiste d’où l’expérience de la décorporation. Le corps astral est, avec puis
sans l’organe du cerveau, siège des facultés psychiques comme les sensations,
les passions, l’imagination et la mémoire.
3° Le corps mental n’est autre que ce que
nous appelons l’esprit, siège de l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui
donnent le nom de "corps" que par métaphore car, selon eux, il
dépasse cette notion pour être entièrement spirituel. Le corps mental est
immortel et indestructible. C’est lui qui, dans la sagesse hindouiste, se
réincarne à travers les âges.
Cette
explication orientale traditionnelle, loin de s’opposer à la philosophie
occidentale, semble au contraire prendre la réalité selon un regard
complémentaire. Aristote distingue de la même façon trois degrés de vie mais
son analyse s’attache moins à la cause matérielle de la vie. Le mérite de la
philosophie orientale semble être ici de rendre intelligible un phénomène que
l’Occident ne fait que découvrir. Cela ne reste bien sûr encore qu’une
explication hypothétique, une piste de recherche qui devrait encourager la
science à s’intéresser au phénomène. En effet, si le corps astral existe et est
matériel, il doit y avoir moyen d’en mesurer la présence.
2. L’intérêt philosophique fut très vif aux
USA et l’on s’efforça de vérifier la véracité des récits. Seule la
décorporation peut-être objet d’une telle enquête scientifique. Pour les autres
phases, le témoignage des patients ne peut être confronté à aucun moyen de
mesure. Cette expérience de décorporation présente un intérêt unique. On ne
peut qu’être frappé par le récit des victimes qui semble concorder en tout
point avec la réalité. Or la victime est en état de mort clinique. Elle est
allongée sur une table, son cerveau est en état de mort clinique transitoire.
Elle ne peut, théoriquement, rien voir de ce qui l’entoure. Pourtant, on est
obligé d’admettre qu’elle voit ce qui se passe et qu’elle le voit d’un point
situé en dehors de son propre corps. Dans une salle de réanimation, un médecin
eut l’idée de pousser les vérifications en fixant sur la face supérieure des
armoires de petits autocollants, de telle façon qu’on ne puisse les voir que du
plafond. On eut la surprise de recueillir, dans le témoignage de ceux qui
prétendaient avoir connu une expérience proche de la mort, un certain nombre de
mentions de ces autocollants. Il ne s’agit donc pas d’un rêve puisque les
sensations éprouvées correspondent à la réalité sensible extérieure aux témoins
en état de mort clinique.
A
cause du perfectionnement des méthodes de réanimation, cette expérience se
multiplie et met la science devant un nouveau phénomène paranormal. On est
obligé d’affirmer, à moins de faire mentir les multiples vérifications
effectuées, qu’il existe une décorporation. Ce phénomène reste inexpliqué mais
on peut en décrire les conditions.
3. Les phases 3 et 4 (vision de l’être de
lumière et de proches décédés) sont invérifiables par la science positive. En
effet, si on analyse avec précision le témoignage de ceux qui ont frôlé la
mort, ils n’affirment pas avoir vu avec leur seul œil matériel, de la même
manière qu’ils voyaient les infirmières s’agiter dans la pièce. Ils parlent
aussi, accompagnant cette vision physique de la lumière, d’une vision
intérieure, de l’intuition intellectuelle d’une présence. Elle leur semble
puissante et ils manquent de mots pour décrire. Nous semblons être au-delà du
monde sensible pour toucher à une dimension spirituelle, a priori plus subjective, peut-être même mystique, donc dépassant
totalement la mesure des sciences de la matière.
La
philosophie et la psychologie ont par contre leur mot à dire. Le docteur Moody,
sans se prononcer définitivement, affirme son sentiment d’être en présence d’un
phénomène réel. Selon lui, les maladies psychiques de type hallucinatoire ou
hystérique, si elles produisent l’audition de voix et la vision de fantômes
imaginaires, ont après coup un effet destructeur sur la personnalité. Les
personnes s’enfoncent dans leurs névroses (angoisses, obsession, désespoir) et
parfois sombrent définitivement dans leurs psychoses (paranoïa, schizophrénie).
Bien au contraire, l’expérience de mort approchée donne comme un souffle
puissant de renouveau à leur vie. Pour nombre d’entre eux, la valeur première
devient l’amour, selon deux formes significatives : l’amour de l’Être de
lumière, qu’ils savent devoir rejoindre un jour (certains l’appellent Dieu,
d’autres Jésus, Bouddha selon leur culture), et l’amour de leurs frères. En vue
de ces deux amours, ils s’efforcent de progresser, d’éliminer leurs défauts, de
développer leur intelligence. Selon le docteur Moody, de tels effets ne peuvent
venir d’un état maladif d’hallucination mais d’une véritable expérience
mystique. Son raisonnement est valable, tout en maintenant qu’il ne prouve pas
mais suggère. Il apparaît comme un signe de la vérité du phénomène car
"d’un mauvais arbre ne sortent pas de bons fruits".
4. Il est faux de dire que la tradition des
théologiens ne parle jamais de l’expérience de mort approchée. Saint Augustin
en faisait un des thèmes de sa théologie des fins dernières. Mais la précision
logique de saint Thomas sur la nature des âmes séparées du corps, à la suite
d’Aristote, fit disparaître cette expérience du domaine de la recherche.
L’Église,
par la voix de son Magistère, ne s’est jamais prononcée à propos de
l’expérience proche de la mort. En général, les théologiens reçoivent de sa
part trois critères de discernement vis-à-vis des phénomènes paranormaux :
1° Une vision peut-être considérée comme
valide si lorsque, entre autres choses, les effets qu’elle produit sur le
comportement humain sont positifs : par exemple, si elle les porte à se
rapprocher de Dieu ou encore à approfondir la connaissance de la religion.
2° Il est indispensable qu’une vision soit
cohérente avec le message de la Bible, selon l’interprétation authentique du
Magistère Romain. Ces deux critères ne suffisent pas à prouver aux yeux de
l’Église qu’il y a bien eu vision. N’importe quel faussaire pourrait singer une
apparente conversion et une grande orthodoxie.
3° L’Église demande en outre, avant de
reconnaître une apparition, quelques miracles dont l’origine divine est
manifeste. En l’absence de ce troisième critère, elle ne se prononce pas sur la
N. D. E. C’est aux théologiens qu’il revient de rechercher si les critères 1 et
2 sont conformes. Le premier critère est manifestement vérifié. C’est justement
dans le sens d’un retour au religieux que se sont senties poussées les
personnes marquées par cette expérience. On peut même affirmer que la plupart
d’entre elles, même si elles ne deviennent pas chrétiennes, se font sans le
savoir disciple de Jésus-Christ quand il disait : « Je vous donne deux commandements : tu aimeras ton Dieu de tout
ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et tu aimeras ton prochain comme
toi-même ».[586]
Quant
au deuxième critère, l’expérience de mort approchée ne présente aucune
contradiction avec la foi. Le Magistère solennel de l’Église ne dit rien de
l’heure de la mort. Il laisse entièrement libre les théologiens et les
philosophes dans leurs recherches sur cette étape.
Reste
la tradition profonde qui court dans l’âme des chrétiens. Il n’est donc pas
exclu que tout homme, au moment même de sa mort, qu’il soit baptisé, juif,
païen ou athée, se retrouve face à l’humanité sainte de Jésus. La Bible affirme
avec force : « toute chair se prosternera devant ta face et devant la
face de l’agneau. » Saint Thomas d’Aquin précise que cette vision première qui
suit la mort ne peut être aussitôt celle de Dieu tel qu’il est. Dieu, par son
irruption brutale dans l’âme, empêcherait tout jugement car la liberté
n’existerait plus. Il est si grand, si infini par sa bonté qu’il happerait à
jamais l’âme en son sein. Or Dieu ne veut forcer la liberté de personne. Cette
vision ne peut être que celle d’une image sensible de Dieu. La tradition
profonde qui court chez les fidèles semble nette pour affirmer que tout cela se
passe « au moment de la mort. » Mais elle n’a jamais précisé ce
qu’elle entendait par le moment de la mort. Certaines écoles théologiques
pensent qu’il s’agit de l’instant précis où l’âme se sépare du corps. D’autres
enseignent que ce moment peut durer plusieurs jours. La liturgie chrétienne
penche plutôt pour cette deuxième opinion, d’où la coutume de veiller trois
jours le corps des défunts. Marthe Robin pensait qu’il fallait prier pour les
morts longtemps et que cette phase pouvait durer plusieurs jours.
Si
l’on compare, maintenant, la théologie traditionnelle décrite ici avec le récit
de ceux qui ont approché la mort, on est obligé d’admettre qu’il n’existe
aucune opposition entre les deux. Bien au contraire, elle semble trouver dans
ces récits une confirmation.
5. L’expérience de la mort approchée n’appartient
pas au domaine de la foi mais de la philosophie. En ces temps où la foi est
rejetée comme une attitude indigne d’un adulte doué d’esprit critique, Dieu
semble avoir accepté de se mettre au niveau de l’homme. Pour se révéler, il
parle un langage nouveau de sa part : aux astrologues Chaldéens, qui ne
comprenaient que l’astrologie, il révéla sa naissance en faisant apparaître une
étoile ; aux bergers, prêts à croire le moindre miracle, il envoya un ange. Une
telle condescendance de la part de Dieu fut expérimentée par saint Paul, apôtre
des païens, qui vécut lui-même une expérience proche de celle-ci[587] : «
Je connais quelqu’un, confie-t-il à propos de lui-même, qui, voici 14 ans
(était-ce avec son corps ? Je ne sais ; Etait-ce hors de son corps ? Je ne sais
; Dieu le sait), cet homme là fut ravi jusqu’au troisième Ciel. Et cet homme là
(était-ce en son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait). Je sais qu’il fut ravi
jusqu’au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas
permis à un homme de redire ».
L’expérience
de la mort approchée va plus loin puisqu’elle n’est pas le fait d’un seul
homme. Elle présente l’intérêt théologique de confirmer le dogme du Concile
Vatican I dans sa condamnation du fidéisme : « l’intelligence humaine peut, par ses propres forces, atteindre
l’existence d’une vie après la mort. »
Objections :
1. Cela paraît évident : l’homme est
composé d’éléments mixtes aussi divers que l’esprit et la matière. De par son
corps matériel, on peut même discerner en lui un programme génétique commun
avec celui des animaux et qui, en ralentissant la division cellulaire, le
conduit insensiblement et nécessairement vers la vieillesse. Si l’on objecte
que ce programme n’est pas partie essentielle de la nature humaine et peut être
modifié (voir les expériences déjà réalisées chez le rat)[588], on peut répondre que la durée de la
vie n’en est que prolongée, les cellules n’ayant de toute façon pas la faculté
de se régénérer à l’infini.
2. Dans l’Ancien Testament, la mort est
considérée comme le sort commun de tous les hommes, qui sont comparés à l’herbe
des champs[589] et qui retournera en poussière[590]. Elle est le chemin par où tout le
monde s’en va[591]. Elle fait partie de la condition humaine[592] et quel vivant pourrait lui échapper ?[593] L’ecclésiastique devance les
existentialistes en méditant sur la vanité de toute chose puisque tout est
condamné à périr[594]. Donc la mort est naturelle à l’homme
comme elle l’est à la bête.
3. Platon manifeste l’état naturel de l’âme
lorsqu’elle est séparée de ce corps qui constitue pour elle une prison
l’empêchant de contempler les essences éternelles pour lesquelles elle est
faite. Saint Paul va dans son sens : « Qui
me délivrera de ce corps de mort ? » [595] Il semble donc que la mort nous permet
d’échapper à notre condition terrestre passagère et limitée, ordonnée à une
mortification passagère de notre orgueil.
4. Si la mort
n’était pas naturelle et voulue par Dieu, n’aurait-elle pas été détruite
définitivement par le Christ lors de sa venue ? Or nous constatons qu’il
nous impose toujours de mourir.
Cependant :
Saint
Paul écrit : « Voilà pourquoi, de
même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la
mort, ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché »[596]. Il fait allusion au récit de la Genèse
où Dieu commande à l’homme de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du
bien et du mal sous peine de mort[597]. C’est donc que l’homme ne devait pas
mourir.
Conclusion :
Nous avons montré[598] la réalité
d’un projet concret de Dieu au commencement, par lequel l’homme aurait été
introduit corps et âme dans la Vision béatifique sans passer par la mort. Nous
avons montré qu’il ne s’agit pas là d’une simple hypothèse mais d’une volonté
initiale de Dieu (si tant est qu’on peut, par analogie, parler de volonté
initiale dans l’éternité) dont la réalisation matérielle est visible à travers
la vie et la dormition de la vierge Marie immaculée, dans les moments qui
précédèrent son assomption. Ceci étant posé, doit-on dire que l’assomption de
Marie, mystère proposé jadis aussi à Ève et Adam, est naturelle ? Au contraire,
est-ce la mort qui l’est ?
Pour
répondre à cette question, il convient de regarder sous quel aspect formel elle
est posée. En effet, la mort est autre chose selon qu’on la regarde du côté du
corps, de l’âme c’est-à-dire de la personne tout entière ou de Dieu. Prise du
côté du corps, il est évident que la mort est naturelle. En effet, la matière
minérale n’est pas parfaitement adaptée à devenir un corps vivant. Par nature,
son état de stabilité n’est pas celui de l’édifice biologique, mais celui de
molécules stables unies par les forces de l’interaction atomique. Ces forces
sont faibles et absolument incapables par elles-mêmes de structurer les
molécules de la vie. C’est pourquoi, dès que le principe vital (l’âme) a
disparu, toute vie se désagrège. De même donc que, prise du côté de la matière,
la mort est naturelle à tout être biologique, de même l’apparition à partir
d’éléments minéraux de la vie n’est pas naturelle. Il n’en était pas
différemment pour Adam et Ève, pour Jésus et pour Marie : Leur corps n’était
pas différent du nôtre quant à son mode biologique de fonctionnement. Il était
donc par lui-même vulnérable, capable de mourir comme on le voit pour Jésus à
l’heure de sa passion. Ils n’étaient délivrés de la mort que par une aide
spéciale des anges qui les protégeaient de tout danger et par l’action de Dieu
qui fortifiait leur âme et serait venu les prendre dans sa gloire avant que
l’âme soit devenue, de par ses forces naturelles, incapable d’assumer un corps
devenu trop âgé.
Prise
du côté de l’âme, on doit affirmer que la mort n’est pas naturelle à la
personne humaine. En effet, l’âme spirituelle est par nature immortelle et elle
donne vie à un être qui, au plus profond de son désir naturel, veut vivre
toujours. Avec le corps, elle constitue un être qui ne saurait être brisé que
par une violence substantielle. Ainsi, l’âme est par nature faite pour
conserver à l’être tout entier son unité d’être. Si elle ne le peut, ce n’est
pas de son fait mais à cause des limites de la matière vivante devenue non
assumable. Voilà pourquoi l’homme ressent la mort comme le dépouillement le
plus terrible. Il l’aborde d’une façon démunie et elle s’impose à lui comme un
signe ultime de sa nature fragile.
Prise
du côté de Dieu, la mort est, depuis le péché originel, voulue par lui pour le
bien de l’homme. Elle est l’instrument ultime dont il use en vue de le conduire
à la vie éternelle. Confronté ainsi à sa petitesse, l’homme est disposé à
l’humilité et, par l’humilité à l’espérance d’un salut. Lorsque le salut lui
est proposé, il ne lui est alors possible de le rejeter qu’à cause d’un orgueil
plus fort que la mort. En conclusion, on peut dire que la mort est
biologiquement naturelle, métaphysiquement contre-nature et théologiquement
utile au salut depuis le péché originel.
Solutions :
1. La mort est naturelle au mode biologique
de fonctionnement du corps humain ; mais, nous le verrons, il existe un autre
mode de fonctionnement de la matière vivante, capable de se rendre entièrement
soumise à la vitalisation de l’âme et qui sera commune à tous les vivants après
la résurrection dans le monde nouveau.[599]
2. Dieu n’a pas révélé tout de suite à
l’homme son projet d’amour après qu’il en eût oublié la nature dans les
générations qui suivirent le péché originel. Il se tut durant de longs siècles,
comme le rapporte Jésus lui-même : « Nombreux sont les hommes qui auraient
voulu voir un seul de ces jours et ne l’ont pas vu »[600]. Mais cette ignorance qui les laissait
dans une détresse vive à l’heure de leur mort servait en définitive à leur
salut. Lorsqu’au terme d’une vie passée à poursuivre la gloire, les terribles
guerriers[601] de jadis entraient dans la vieillesse,
puis rendaient leur âme à Dieu, comme le plus humble de ses esclaves, il ne
restait souvent en eux que confusion et regret. Lorsqu’à ce moment, s’attendant
à rencontrer un juge terrible et dur, ils se retrouvaient face à leur ange
gardien, ange de miséricorde, image du Dieu vivant qu’il représentait,
accompagné souvent des êtres qu’ils avaient chéris durant leur vie, lorsqu’ils
entendaient révéler l’existence d’un Dieu unique au pardon généreux, ils
fondaient. Et lorsque la voix de leur ange leur annonçait, pour bientôt, la
venue d’un Sauveur qui les délivrerait de tous leurs péchés, ils croyaient. Et
ces pécheurs broyés par la vie s’écriaient : « Pardon Seigneur Dieu, car nous avons péché contre toi. Envoie ton
Sauveur. Qu’il vienne nous délivrer, car nous voulons voir son visage. » Accompagnés de leur ange, ils
considéraient l’état de leur âme, apprenaient à découvrir leur péché. Ils
acceptaient de toute la générosité de leur cœur éclairé par la grâce de Dieu,
de subir un purgatoire aussi longtemps qu’il le fallait. Ils se plongeaient,
eux-mêmes, sans récriminer, dans la solitude de ce purgatoire, pour que
disparaisse en eux toute trace d’égoïsme. Puis cette œuvre effectuée, ils s’en
allaient retrouver Adam et Ève dans les limbes où ils attendaient, dans
l’espérance, la venue du Sauveur promis. Cette attente n’était pas douloureuse
car Dieu, en prévision de la venue future du Sauveur, les comblait de la grâce
de sa présence invisible d’une manière bien plus forte encore que ce qu’avaient
expérimenté Adam et Ève en Eden. Jésus décrivant les limbes où les patriarches
attendaient sa venue, parle d’une eau pure qui comblait le pauvre Lazare[602]. Certes, Dieu ne se montrait pas encore
à eux face à face. Il attendait pour cela son heure, l’heure où, face à Lucifer
jusqu’ici triomphant, il ouvrirait les portes de la Vision béatifique.
3. De même, les faiblesses de notre corps
qui, de par son état provisoire de vie biologique empêche l’âme d’exercer
toutes les potentialités qu’elle sent en elle, affaiblit la capacité intellectuelle,
limite la liberté, mortifie la volonté par diverses échardes "plantées
dans notre chair"[603] servent Dieu pour notre salut. Elles
peuvent parfois, à l’exemple de Platon, nous lasser et nous amener à penser que
ce corps est étranger à nous-mêmes. Il ne s’agit pourtant que d’une impression
psychologique bien éloignée de la vérité que nous expérimentons chaque jour.
Notre corps est notre être par mode de partie intégrante, comme notre esprit.
C’est pourquoi saint Paul, pour manifester cette unité de notre être, écrit par
ailleurs : « Nous ne voudrions pas
mourir. »[604]
4. Vitalini Sandro[605] résout ainsi l’objection : « L’homme est donc invité à accomplir le
geste du pauvre de Yahvé. En s’appuyant sur Jésus et en ayant foi en lui, il
entre en possession de la vie, de la vie éternelle.[606] Celui qui possède cette vie triomphe de
la mort. Mais étant donné que cette participation est progressive, la victoire
sur la mort s’accomplit aussi au fur et à mesure que cette insertion progresse.
La progression n’a donc rien d’automatique, car elle relève de la conversion.
Il faut mortifier le vieil homme assujetti à la mort par des œuvres de
mortification dont la dernière est la mort corporelle. La vie chrétienne
implique un renoncement suprême : le don de la vie. C’est justement la force de
la foi qui peut permettre l’oblation au lieu du désespoir. On s’appuie sur le
Seigneur, sûr que rien n’est à craindre lorsqu’on se met entre ses mains. Nous
relevons encore une fois le grand principe de la vie chrétienne qui est insérée
dans la Trinité et qui ne peut être que dynamique. On vit pour mourir mais on
meurt chaque jour pour vivre plus intensément. La mort corporelle est donc pour
le croyant l’heureux passage de la dernière mortification à la vie éternelle
qui sera plus plénière parce qu’elle rendra toute la personne plus apte à
scruter la beauté de Dieu. »
Objections :
1. Il semble que la mort soit un processus
instantané. En effet, elle est la séparation de l’âme et du corps. Or, on peut
dire que, à l’instant qui précédait cette séparation, l’âme était encore unie
au corps.
2. Le témoignage de ceux qui ont été
ranimés après être passés près de la mort, que ce soit à la suite d’un arrêt
cardiaque ou d’un accident semble confirmer ce fait. Elles ont perdu conscience
et se sont retrouvées instantanément en dehors de leur corps qu’elles
prétendaient voir allongé dans la position où elles l’avaient quitté. Elles ne
racontent pas s’être vues quitter progressivement ce corps. Donc la séparation
de l’âme et du corps est instantanée.
3. Les médecins définissent la mort par son
caractère irréversible. Or la mort est irréversible à partir du moment où le
cerveau est détruit. On peut donc dire avec certitude que l’instant de la mort
se situe à ce moment, puisque seul un miracle divin peut provoquer un retour à
la vie.
4. Il semble que la mort est instantanée et
qu’elle surprend l’homme comme un voleur selon la parole du Seigneur[607] : «
Je viendrai comme un voleur. Veillez et priez car vous ne savez ni le jour
ni l’heure. » Celui qui soutient que
la mort a une certaine durée ne peut comprendre de quelle manière la venue du
Seigneur surprend l’âme. Au contraire, il devrait dire que le Seigneur vient en
s’annonçant d’une manière progressive et non comme un voleur.
Cependant :
La mort est la séparation de l’âme et du corps.
Avant la mort, l’âme est présente au corps comme sa forme ; après la mort, elle
ne lui est plus présente. Le premier de ces deux termes, l’avant de la séparation,
est un processus qualitatif, c’est-à-dire un devenir qui est nécessairement
d’une certaine durée[608].
Conclusion :
Le
mot mort est difficile à définir. Il prend plusieurs sens selon la discipline
qui l’étudie.
1° Au sens médical, le sens de l’expression
"mort clinique" n’a cessé d’évoluer. Les médecins appellent mort
clinique la destruction irréversible du corps. Elle est liée à un aspect
organique, à l’étude de la cause matérielle. Au fur et à mesure que la médecine
a progressé, elle a du en repousser plus loin les limites. Ainsi, on déclarait
jadis un malade cliniquement mort en s’appuyant sur le fait qu’il ne respirait
plus, puis par la constatation de l’arrêt de son cœur ou de l’arrêt de toute
activité électrique du cerveau. En dernier lieu, on a dit qu’un malade pouvait
être déclaré cliniquement mort lorsque son cerveau avait manqué d’oxygène un
temps assez long pour être irrémédiablement détruit. Sauf exception, un cerveau
humain resté plus de sept minutes sans oxygène, est cliniquement détruit. Il
est vrai que dans ce cas le retour à une vie normale est impossible. Cependant,
au plan philosophique, le fait que certains malades morts cérébralement
continuent à vivre d’une vie végétative manifeste la présence du principe
d’unité de leur vie, c’est-à-dire de leur âme[609].
2° Au sens philosophique, la mort est la
séparation définitive de l’âme et du corps. C’est l’aspect formel de la mort.
Dans l’expérience de la mort approchée, une certaine séparation se fait mais
elle n’est jamais définitive. C’est pourquoi, il ne faut pas dire que ces gens
sont morts mais qu’ils ont approché la mort.
3° Il existe une troisième définition de
la mort, théologique celle-là. Elle seule intéresse notre sujet. Un homme est
mort au moment où il entre dans l’autre monde. Avant, il se trouve dans la
mort, c’est-à-dire entre deux mondes. De nombreux témoins revenus d’une N.D.E.
affirment que le passage de la mort, d’un monde à l’autre, n’est pas le simple
franchissement d’une porte. Ce passage est un cheminement vivant, accompagné
d’apparitions et de révélations successives. Certains mystiques comme Marthe
Robin affirment que le mourant peut mettre plusieurs jours à le franchir. Nous
verrons (Question 16), que plus d’une tradition religieuse décrivent ce
passage, appelé "royaume de la mort" (shéol) comme une errance de
plusieurs siècles.
Solutions :
1. Même si l’on
prend la mort dans son sens philosophique, elle peut avoir deux sens, on peut
vouloir signifier le moment précis où l’âme se sépare du corps. En ce sens, la
mort est un phénomène instantané. Il est impossible de savoir exactement à quel
moment se produit une telle séparation car l’âme est par nature immatérielle et
donc non perceptible.
En
un second sens, on peut vouloir parler du processus qui aboutit à cette
séparation. En ce sens, la mort a une certaine durée car, comme tout mouvement,
elle a un début, un devenir et une fin. Le terme final de ce mouvement
qualitatif constitue la mort telle que nous en avons parlé au premier sens.
Mais le commencement du processus, qui constitue « l’agonie » a une
certaine durée. Même s’il est impossible de dire avec précision le moment où se
produit la séparation entre l’âme et le corps, on peut tout de même essayer de
le conjecturer en s’appuyant sur des signes physiques. En effet, le fait que
l’âme n’est plus active doit être discernable par quelques effets dans le corps
qui ne vit que par elle.
2. L’expérience
vécue par ces personnes n’est pas la mort accomplie mais seulement une approche
de la mort. On peut le prouver facilement. Ces personnes sont revenues à elles
sans qu’il y ait de miracle mais simplement à travers le mécanisme médical d’un
réamorçage des fonctions végétatives du corps. Ces personnes n’étaient pas
réellement mortes[610], au moins si
l’on définit la mort comme un processus irréversible.
Si
l’on insiste en disant qu’elles ont eu des contacts avec des êtres de l’au-delà
comme des proches décédés depuis longtemps ce qui semble confirmer qu’elles
étaient vraiment mortes, on peut répondre ceci : ces contacts eux-mêmes semblent
s’être produits dans un domaine qui précède l’au-delà. Ces gens ne se disent
pas morts mais disent plutôt qu’ils sont dans la mort, c’est-à-dire dans le
passage qui relie les deux mondes. Dans l’expérience de la mort approchée, les
témoins vivent la différence entre leur expérience et la mort réelle à travers
l’apparition d’une limite symbolique mais pourtant réelle (rivière, porte,
barrière) dont ils savent par intuition que, s’ils la franchissent, leur retour
sur terre sera impossible.
3. Cette objection parle de la mort
clinique[611]. Il s’agit d’une définition qui
considère l’aspect organique de la mort. Elle n’aide pas la théologie qui a
besoin de connaître le moment où l’âme entre dans l’autre monde, au-delà de ce
passage intermédiaire qu’on appelle la mort, le shéol.
4. Quand Jésus
dit qu’il vient comme un voleur, il ne veut pas signifier que l’âme surprise
par la mort reste figée pour l’éternité dans l’état où elle a été trouvée de
telle façon que celui qui aurait commis la veille avant de s’endormir un péché
mortel et aurait omis de s’en repentir sur le champ serait irrémédiablement
damné si la mort venait à le surprendre durant le sommeil. Il veut dire que
celui qui ne maintient pas habituellement son âme dans la charité prête pour la
mort, risque d’être surpris alors qu’il n’est pas prêt et que son éternité se
décide.
Objections :
1. Il ne semble pas. L’homme qui meurt en
état de péché mortel est immédiatement introduit en enfer selon les paroles du
pape Innocent IV[613]. Il est donc inutile qu’elle reçoive
une révélation puisqu’elle est déjà jugée.
2. Jésus dit à propos des pécheurs
"même si un mort ressuscitait, ils ne croiraient pas"[614]. Il est donc inutile qu’une révélation
soit donnée au moment de la mort puisque ceux qui n’ont pas cru sur la terre ne
croiront pas plus à cet instant.
3. Jésus dit : « celui croira et sera baptisé sera sauvé »[615] ce qui signifie que celui qui n’a pas
reçu le baptême ne peut être sauvé. Inutile donc qu’il reçoive une révélation
au moment de la mort pour être sauvé.
4. On voit mal à quoi cela sert. Il suffit
pour réaliser son salut que l’âme reçoive ces révélations après sa mort,
c’est-à-dire après la séparation complète de l’âme et du corps. Inutile donc de
poser d’hypothétiques révélations dans les moments troubles de la mort.
5. Cela paraît inutile au moins pour ceux
qui croient puisqu’ils n’ont pas besoin de recevoir la foi qu’ils ont déjà.
6. Récemment, la discussion, grâce aux
conceptions de H-U von Balthasar (et donc d’A. von Speyr), a pris une tournure
différente. « Au jugement, le
bien d’une vie humaine n’est pas opposé quantitativement au mal. Par ailleurs,
la liberté humaine ne fait pas une sélection ponctuelle entre des biens finis
mais elle transcende la finitude et décide à partir d’une autonomie absolue,
qui la dépasse elle-même. C`est pourquoi la décision humaine, « le choix fondamental », doit être évalué qualitativement. » Ce choix fondamental ne se fait
cependant pas in abstracto, mais dans les différentes situations de vie qui se
succèdent, dans une série d’actes et d’attitudes qui ont tous une pente vers la
mort et qui nous révèlent aussi sans cesse la finitude de l’espace assigné à la
liberté de choix. Il est difficile d’éclaircir la relation avec le choix
fondamental, qui ne se laisse pas décomposer d’après les différentes situations
; il y va sans aucun doute, primordialement de la sentence objective
(c’est-à-dire le jugement de Dieu), d’une part, et, d’autre part, de son
incarnation nécessaire dans les décisions toujours exigées par les situations.
Et comme il ne s’agit pas d’une estimation qualitative mais de la qualité du
choix fondamental, se pose la question de savoir si un choix fondamental
négatif, même s’il s’agit du dernier dans le temps d’une vie, a pu s`exprimer
sans restriction dans toutes les situations d’une vie. Ici le juge cherchera
« si, dans la vie de celui qu’il a à juger, quelque chose peut se laisser trouver
qui a été saisi, peut se laisser saisir de son amour vivifiant, une possibilité
au moins potentielle de foi, si donc dans l’homme qu’il a à juger, quelque
chose est capable d’amour! D’un petit grain d’amour en réponse à tout l’amour
qui lui est offert par Dieu ».[616]
Cependant :
Il
est écrit : « Tout homme verra le salut de notre Dieu »[617] et « l’Évangile sera prêché à toutes les nations
puis ce sera la fin »[618]. Il est donc annoncé que les hommes
reçoivent la révélation de l’Évangile avant leur jugement dernier, surtout ceux
qui n’ont aucunement entendu parler du Christ auparavant.
C’est
ce que confirme saint Pierre (1 Pierre 4, 6) : « C'est pour cela, en effet,
que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les
hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit. »
C’est
pourquoi sainte Faustine Kowalska, peut écrire[619] : «
J’accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la
miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui
est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d’une fois le
pécheur au dernier moment, d’une manière étrange et mystérieuse. À l’extérieur
nous croyons que tout est perdu, mais il n’en est pas ainsi. L’âme éclairée par
un puissant rayon de la grâce suprême se tourne vers Dieu avec une telle
puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes
et de leurs punitions. Elle ne nous donne à l’extérieur aucun signe de repentir
ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses extérieures. Oh! Que la
miséricorde divine est insondable.
Mais
horreur ! Il y a aussi des âmes, qui volontairement et consciemment rejettent
cette grâce et la dédaignent. C’est déjà le moment même de l’agonie mais Dieu,
dans sa miséricorde donne à l’âme en son for intérieur ce moment de clarté. Et
si l’âme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu.
Mais
parfois il y a des âmes d’une telle dureté de cœur, qu’elles choisissent
consciemment l’enfer. Elles font échouer non seulement toutes les prières que
d’autres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts
divins. »
Conclusion :
En
effet, on peut comparer l’entrée dans la vie éternelle à un mariage d’amour
entre deux époux. Dieu serait l’époux et l’âme la fiancée. Pour que le mariage
soit valide, il est évident qu’il faut que les époux échangent leur
consentement sans y être contraints mais avec une pleine liberté. Pour cela, un
certain nombre de conditions sont requises. Il faut que le futur conjoint soit
capable d’aimer en général, c’est-à-dire qu’il ne soit pas complètement
perverti par l’égoïsme. Cette disposition générale n’est autre que la bonne
volonté mais, cela est évident, il ne suffit pas que Pierre soit en général un
homme de bonne volonté pour qu’il épouse Marthe. Il faut en outre qu’il
connaisse l’existence de Marthe et quelque chose de son cœur (ce qui correspond
au plan surnaturel à la foi) ; il faut en plus que les deux conjoints soient
libres de tout autre lien donc qu’ils aient un certain espoir vis-à-vis de la
possibilité du mariage (ce qui correspond au plan surnaturel à l’espérance). En
outre, s’il est arrivé jadis que l’un ait offensé gravement l’autre, il doit
être prêt à en demander pardon (ce qui correspond au plan surnaturel à la
contrition signifiée par le baptême de Jean). Une dernière disposition est
requise : il faut que, chacun par devers soi, les futurs conjoints soient
attirés l’un vers l’autre. Je veux parler ici du premier amour qui s’impose
d’une manière non libre : lorsqu’un homme tombe amoureux d’une femme, cet amour
s’impose à lui dans un premier temps sans qu’il en ait cherché la
naissance ; (de même, au plan surnaturel, c’est toujours Dieu qui prend
l’initiative d’attirer à lui l’homme. C’est ce que le Concile de Trente[620] appelle la prémotion divine).
Tous
ces éléments, s’ils constituent une disposition très proche au mariage, ne
suffisent pourtant pas à le fonder. C’est pourquoi le Concile de Trente[621] enseigne qu’il ne s’agit là au plan
surnaturel que de dispositions prochaines au salut mais que tous ces éléments
(bonne volonté, attraction divine, foi, espérance, contrition), s’ils rendent
juste un homme, ne le sanctifie pas. Ils ne méritent pas la vie éternelle. Il
est évident en effet, pour qu’un mariage d’amour puisse avoir lieu, qu’il est
nécessaire que chacun des conjoints se sachant aimé, ait choisi d’aimer l’autre
: Après un temps convenable de fiançailles qui leur permet de se connaître
mutuellement, il faut qu’ils choisissent de se donner l’un à l’autre pour la
vie entière, à cause de leur amour, pour le meilleur et pour le pire. De même,
pour ce mariage éternel qui fait entrer dans la vision de Dieu, il est
nécessaire que l’âme, connaissant suffisamment le cœur de Dieu par la
révélation qu’en donne Jésus-Christ, désire explicitement s’unir à lui, tel
qu’Il est, avec les conditions surprenante de l’humilité (kénose) et de
l’amour. Il s’agit d’un acte de charité, et même d’une charité parfaite puisque
nul n’entre dans la gloire sans elle, comme l’enseigne l’Église à propos du
purgatoire. Ainsi, c’est la charité et la charité seule qui nous mérite la vie
éternelle de même que c’est l’amour réciproque, libre et fervent qui conduit au
mariage. Cette charité implique tous les éléments dispositifs dont nous avons
parlé précédemment car nul ne peut aimer Dieu et désirer le voir face à face
pour l’éternité s’il ne croit pas, n’espère pas, ne se repend pas et n’est pas
attiré par sa présence.
De tout cela, nous pouvons tirer la conclusion
suivante :
1° Puisque l’Église nous enseigne qu’ « aussitôt après la mort », le choix de l’âme est fait au point
qu’elle est conduite en enfer ou au contraire promise à la gloire. [622]
2° Puisque d’autre part, l’expérience nous
montre que les conditions de ce choix lucide ne sont pas données à tous les hommes
durant ce que nous voyons de leur vie terrestre (les païens non visités par les
missionnaires, les chrétiens ignorants de leur foi etc.).[623]
3° Puisque enfin nous savons que Dieu veut
proposer à tout homme cette vie, au point que nul ne peut se damner pour
l’éternité qu’à cause d’un blasphème parfaitement lucide contre cette
révélation, appelé par notre Seigneur le "blasphème contre l’Esprit
Saint".[624]
Nous pouvons conclure que, nécessairement, tout
homme reçoit la révélation du Salut de Dieu dans ce moment que nous avons
appelé « l’heure la mort », «
la onzième heure », moment ultime
de la vie terrestre qui précède la mort. Par cette grâce donnée par Dieu,
chacun peut alors se porter vers Dieu ou le rejeter, en fonction de ce qu’il
s’est fait pendant sa vie terrestre[625].
Ces
conditions impliquent un certain temps et c’est avec raison que sainte Faustine
parle des "efforts divins" pour nous convaincre.
Car
cette lucidité est celle d'un homme, pas d'un ange. L'ange qui est un pur
esprit comprend en un instant T1 puis décide à l'instant T2. Il ne revient
jamais en arrière. Il n’a pas de psychisme sensible (imagination, mémoire des
images sensible, estimative) pour interférer dans son jugement.
Au
contraire, l'homme comprend à travers ses sens, même dans la mort (le psychisme
survit). Il voit donc de ses yeux le corps lumineux du Christ et c'est son
charme, sa lumière physique, qui lui révèle à travers l’abstraction de
l’intellect agent, l’amour et la vérité. L'homme doit donc considérer une à une
les choses. Il y a ensuite le même travail avec Lucifer qui présente le côté
positif de son projet égoïste. Il faut que Lucifer reçoive contradiction par le
Christ qui montre que tout cela est illusion, fausse liberté. Enfin, il y a
l'apport des proches, leur appel. Au moment où la discussion est finie, la
compréhension parfaite, le choix peut être posé par l’homme. Et cela peut donc
prendre du temps.
Autre
chose : Si l'âme de certains pécheurs, prise par l'action, n'est pas assez
calme et disposée à entrer dans ce jugement, il se peut qu'il soit différé et
qu’elle erre un temps sur les lieux où il a péché. Ce temps de limbes est
souvent indispensable à l'homme, toujours à cause de ce psychisme qu'il emmène
avec lui et qui ne doit pas abîmer la liberté totale du choix à venir (voir
plus loin, le purgatoire).
Solutions :
1. Il est nécessaire d’affirmer que l’homme
reçoit de Dieu certaines révélations dans le moment de la mort, c’est-à-dire
dans le devenir immédiat qui précède l’entrée dans l’autre monde. La raison en
est que bien des hommes arrivent à la porte de l’autre monde en état de mort
spirituelle, sans aucun amour pour Dieu, mais sans qu’il y ait de leur part une
entière culpabilité. Parmi eux, certains enfants sont en état de mort
spirituelle sans aucune culpabilité personnelle, mais à cause du choix posé
pour eux jadis par Adam et Ève. La foi nous enseigne que tout homme qui arrive
de l’autre côté de la mort en état de péché mortel est damné pour toujours.
Dieu qui est juste, ne peut damner indistinctement tous ces humains selon la
parole même de Jésus[626] : «
Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, dans ce monde et dans
l’autre mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera pas remis, ni dans ce
monde ni dans l’autre. »
Pour
mieux établir ce raisonnement, il faut procéder avec ordre. En premier lieu, il
faut définir les différentes raisons qui peuvent faire qu’un homme ou un enfant
vivent en état de mort spirituelle. En second lieu, il faut rappeler la justice
de Dieu qui sonde en vérité les raisons du péché mortel. En troisième lieu, il
faut montrer que, nécessairement, Dieu ne condamne que celui qui s’obstine,
malgré une série de révélations suffisantes, dans son refus de la vie
spirituelle (blasphème conscient volontaire et libre contre l’Esprit Saint).
1° Qu’est ce que l’état de mort spirituel
(autrement dit, dans son sens le plus général, le péché mortel[627]) ? C’est une notion analogique qui
signifie simplement : « pas de grâce
sanctifiante, séparation d’avec la présence mystique de Dieu. » Un homme en état de mort spirituelle
peut l’être pour plusieurs raisons. Il y a trois sortes de péchés mortels :
Le
premier est lié à une ignorance (c’est péché contre le Verbe à qui on attribue
dans la Trinité la Connaissance). Le péché originel est de cet ordre. Il existe
donc un péché mortel non volontaire, ce qui prouve l’extrême largeur de cette
notion théologique. Voilà pourquoi saint Augustin met dans une séparation
éternelle de Dieu les enfants morts en état de péché originel. Certains adultes
peuvent aussi commettre des péchés mortels à cause d’une ignorance préalable :
en effet s’ils avaient su parfaitement la gravité du péché et de ses
conséquences contre Dieu, contre le prochain et contre eux-mêmes, ils
n’auraient jamais péché. C’est ce que veut exprimer l’apôtre quand il dit[628] : «
Si le Christ n’est pas ressuscité, mangeons et buvons car demain nous
mourrons. » Le péché d’ignorance peut
être une faute mortelle en tant que l’homme met sa fin dernière dans les
créatures mais il est en partie excusable à cause de l’ignorance qui lui est
conjointe.
Le
second est un péché lié à une faiblesse (péché contre le Père à qui on attribue
dans la Trinité la puissance). Certains commettent des péchés mortels parce que
leur volonté est détournée de sa fin par l’action des puissances sensibles qui
les entraînent vers leur fin particulière. Ils savent qu’ils font le mal mais
ils ne peuvent s’en empêcher. Ainsi, celui qui se livre à la débauche à cause
de son amour pour le plaisir peut savoir d’une manière générale que Dieu ne consent
pas à de tels actes et pourtant il y cède dans certains cas particuliers à
cause de l’entraînement de son désir sensible. Sa volonté se détourne alors de
Dieu pour mettre sa fin dernière en autre chose que Dieu. Dans cette mesure, il
s’agit d’un péché mortel, selon les paroles de l’apôtre aux Romains[629] : «
les passions perverses produisent en nos membres des fruits de morts », même si ce péché mortel est en
partie excusable à cause de la faiblesse qui en est l’origine[630].
Enfin,
le troisième est le péché contre l’Esprit Saint (lucide, conscient, libre
contre l’amour). Certains peuvent commettre des péchés mortels avec une pleine
connaissance qui exclut l’ignorance et une pleine maîtrise de soi qui exclut la
faiblesse. Leur acte est alors pleinement volontaire et c’est avec pleine
responsabilité qu’ils se détournent de Dieu. Un tel péché de malice volontaire,
quand il ne présuppose aucune ignorance et aucune faiblesse déterminante est
appelé par Jésus le péché contre l’Esprit Saint, car il s’oppose à l’amour qui
est attribué en Dieu par appropriation à l’Esprit Saint. Seul le péché contre
l’Esprit Saint épuise ce qui est contenu sous la notion de péché mortel car
l’homme porte alors son intention sur une fin en sachant et en voulant que
cette fin le détourne de Dieu. Ici-bas, un tel péché est rare car peu d’hommes
sont capables des deux conditions énoncées. Jésus en a accusé avec justesse
certains théologiens de son temps. Ils avaient décidé de le mettre à mort, tout
en sachant parfaitement que sa mission venait de Dieu. Aucun théologien ne peut
ignorer que Dieu seul et non Satan peut ressusciter un mort.
2° Dieu est juste. La question qui pose
débat est : tout homme qui meurt en état de péché mortel est-il damné pour
l’éternité ? C’est la conviction de la foi de l’Église, "Tout homme
qui meurt en état de péché mortel est conduit en enfer aussitôt après la
mort"[631]. C’est aussi celle de saint Augustin et
de saint Thomas. Saint Augustin en conclut : « Péché originel : limbes
éternelles, enfer sans souffrance ; païens dans l’ignorance de l’évangile :
damnation ; chrétiens faibles en état de péché contre le Père : damnation car
tout homme qui meurt en état de péché mortel est damné. » Voilà où en est
le débat.
Or, pour qu’il y ait un jugement juste, certaines
conditions sont requises en celui qui est jugé. En premier lieu, il doit savoir
de quoi il est accusé et pour quelles raisons. C’est pourquoi le premier acte
des juges dans les procès est d’énoncer le délit commis et de préciser sur quel
point du droit il s’oppose. Celui qui ignore complètement ce dont on l’accuse
et pourquoi on l’accuse ne peut bien évidemment pas être jugé avec justice.
Jésus,
à la différence de bien des hommes, juge en fonction des intentions qui sont
sources des actes, selon cette parole : «
Dieu sonde les reins et tes cœurs. »
Or l’homme, dans sa condition terrestre, n’agit pas toujours en fonction
d’intentions parfaitement éclairées et pleinement libres. Comme cela a été
montré[632], bien des péchés mortels commis dans le
monde n’ont pas leur source première dans la malice de la volonté, mais dans la
faiblesse de la chair et dans l’ignorance de l’intelligence
3° Ainsi, dans le moment qui précède la
séparation définitive de l’âme et du corps, il convient que le juste juge qui
juge les intentions supprime toute ignorance préalable aux péchés. Il faut donc
qu’il révèle à l’homme certaines choses essentielles à son salut tel que
l’amour de Dieu, l’existence d’un Sauveur, la malice du péché. Si l’homme,
malgré cette révélation, maintient obstinément sa volonté dans le péché, il
peut être jugé pour des actes dont il est vraiment responsable. C’est pourquoi
Jésus dit, à propos du péché d’ignorance : « Si je n’étais pas venu et ne
leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont
pas d’excuse à leur péché ».[633]
De
même, pour le péché de faiblesse[634], il convient que l’homme au moment de
sa mort et avant son jugement soit délivré des passions du corps qui
l’entraînaient à pécher. De la même façon, celui qui est délivré de sa faiblesse
au moment de sa mort, et qui maintient obstinément sa volonté dans le péché,
peut être jugé pour des actes dont il prend la pleine responsabilité. Ce n’est
donc pas n’importe quel péché mortel qui introduit l’homme immédiatement après
sa mort dans la damnation éternelle mais seulement le péché contre l’Esprit
Saint, c’est-à-dire le péché mortel "parfait" qui implique pleine
conscience, pleine volonté et liberté. C’est pourquoi le même pape Innocent IV
écrit : « Puisque la Vérité affirme dans l’Évangile que si quelqu’un a
blasphémé contre l’Esprit Saint, « il ne lui sera pas pardonné ni dans ce
monde ni dans le monde à venir »[635], elle nous fait comprendre que
certaines fautes sont déliées dans le siècle présent, mais d’autres dans le
siècle futur »[636]. Les péchés qui sont pardonnés dans le
siècle futur, c’est-à-dire au moment de la mort sont les péchés contre le Fils
(c’est-à-dire les péchés d’ignorance car on attribue en Dieu au Fils par
appropriation la science) et les péchés contre le Père (c’est-à-dire les péchés
de faiblesse puisque le Père est considéré comme la puissance en Dieu par
appropriation). Après la mort, les seuls péchés qui subsistent sont les péchés
véniels, c’est-à-dire les restes de l’attachement au péché, et les fautes
contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire l’obstination orgueilleuse dans le péché.
Les restes du péché sont purifiés par le purgatoire ; Les péchés mortels qui
subsistent et qui, comme on l’a vu sont des blasphèmes contre le Saint-Esprit,
conduisent en enfer où il n’y a plus d’autre amour dans l’intention du pécheur
que l’amour de soi.
2. Il existe deux
manières d’être incroyant : en un premier sens, cela peut-être par haine de la
foi alors même qu’elle a été entendue et reçue dans le cœur. Il convient que la
foi soit prêchée à ces hommes là au moment de la mort afin que, s’ils
maintiennent avec obstination leur refus, ce soit en pleine conscience et
liberté. Il s’agit alors de la première espèce du péché contre l’Esprit Saint,
c’est-à-dire le refus de croire à la vérité suffisamment manifestée[637].
En
un second sens, cela peut être par ignorance de la foi selon ce que dit
l’apôtre : « Comment peut-on croire
sans avoir entendu ? » [638] Une telle incroyance n’est pas
coupable. Elle est donc supprimée au moment de la mort, à cause de la bonté et
de la justice de Dieu qui veut sauver tous les hommes.
3. Jésus ne parle pas ici du baptême au
sens sacramentel mais d’abord de ce que signifie et réalise ce baptême, à
savoir l’entrée dans la grâce de Dieu qui est la communication de la grâce
sanctifiante. Or une telle entrée en grâce peut avoir lieu jusqu’au dernier
moment, c’est-à-dire jusqu’au moment de la mort accomplie.
4. Dans l’hypothèse (semble-t-il erronée,
voir article 2) où l’âme humaine perdrait après la mort les facultés de sa vie
psychique, elle serait moins bien disposée à poser un acte pleinement humain
qu’à l’heure de la mort. Après la séparation complète de l’âme et du corps, la
volonté humaine se comporterait d’une manière comparable à celle des anges :
elle se porterait tout entière vers son objet, suivant en cela l’acte d’une
intelligence devenue intuitive. Mais ce mode d’élection, propre aux anges, est
disproportionné par rapport à l’exercice normal de l’intelligence humaine. Il
implique une puissance intellectuelle que l’homme ne possède pas. Le propre de
l’homme est de connaître les réalités spirituelles par l’instrument d’images
sensibles dont l’intellect agent extrait l’intelligibilité. Ainsi, une telle
connaissance intuitive lui serait moins claire car trop éblouissante. C’est pourquoi
le choix doit être réalisé dans le mode adapté à l’homme, c’est-à-dire par une
intelligence unie à son psychisme. C’est pourquoi, au moment de la mort, l’âme
reçoit la grâce de l’apparition visible de Jésus dont le corps glorieux devient
pour elle source de la plénitude de la révélation spirituelle de l’Évangile.
Voilà pourquoi un choix humain et libre est possible durant notre vie terrestre
et, selon la foi catholique, « aussitôt
après la mort », l’âme est
définitivement fixée sur son destin éternellement choisi.
Nous
insistons sur ce point : ce n’est donc pas l’âme mais l’homme tout entier qui
choisit, durant sa vie terrestre, son destin éternel.
5. Même les
croyants reçoivent la révélation de Jésus-Christ au moment de leur mort. En
effet, nul ne peut prétendre connaître sur terre la profondeur du mystère du
salut. Il reste bien souvent des préjugés et des erreurs qui doivent
disparaître avant le jugement dernier. La prédication opérée par Jésus purifie
la foi de toute ignorance essentielle.
Seule
la vierge Marie, à cause de sa sainteté inégalable, aurait pu être introduite
directement dans la Vision de l’essence divine de son Fils. Cependant, il est
évident que celui-ci s’est montré à elle au jour de sa dormition, dans son
corps, son âme humaine. La foi de Marie, avant même de voir la divinité ce son
Fils, en a toujours vécue.
6. Cette hypothèse de Balthasar concernant
le salut présente certains avantages. Elle montre l’importance de la vie
terrestre dans son ensemble comme orientation vers le salut. Elle manifeste
d’autre part comment Dieu reconnaît et bénit tout acte bon, naturel ou
surnaturel dans sa créature. Mais elle présente des inconvénients par rapport à
ce que nous avons exposé de la foi de l’Église qui nous obligent à la
considérer comme insuffisante : 1°
Le premier d’entre eux (et le moins important sans doute puisqu’il suffirait de
modifier la position de Balthasar et de situer ce qu’il décrit à l’heure de la
mort et non après la mort) est la non concordance de sa position avec la
constitution "Benedictus Deus" du pape Benoît XII de l’an 1336. Il y
est dit : « Nous affirmons en plus : comme Dieu l’a ordonné
communément, les âmes de ceux qui sont morts chargés d’un péché effectivement
grave descendent immédiatement en enfer, où elles subissent des peines
infernales. »[639] Nulle âme ne saurait être conduite au
Ciel à cause d’un acte ou même de toute une vie passée dans le bien, qu’il soit
humain ou surnaturel si, dans le moment ultime de sa vie, face à Jésus qui se
révèle, elle ne s’appuie pas sur ce passé pour poser un acte actuel de charité
envers lui. Ainsi, nous sommes d’accord avec Balthasar pour reconnaître ce
"petit grain d’amour" que Jésus manifeste à tout homme dans sa vie
passée, mais nous affirmons en plus que Jésus en attend un autre, actuel,
surnaturel et parfait, ayant la qualité du "oui" que se disent
mutuellement les époux le jour de leur mariage. Sans cet acte (c’est-à-dire
dans le cas où une créature refuserait obstinément de le poser), nul n’entre au
Ciel après la mort.
Objections :
1. Tant que l’âme n’est pas séparée du
corps, elle reste liée aux faiblesses du corps. Elle ne peut donc être libérée
de la faiblesse de la sensibilité avant que la mort soit totalement accomplie.
2. Jésus met en garde l’homme contre le
péché en disant "veillez et priez car vous ne connaissez ni le jour ni
l’heure où le fils de l’homme viendra"[640]. Il veut signifier par là qu’il faut se
garder de tout péché, même des péchés de faiblesse car un seul péché mortel, si
nous sommes surpris par la mort, peut conduire en enfer.
3. Dieu a imposé
à l’homme sa faiblesse afin qu’il apprenne l’humilité[641]. Si donc
cette faiblesse est supprimée au moment de la mort, l’homme risque de
s’enorgueillir à cause de la pleine maîtrise qu’il a de lui-même. Cela semble
contradictoire avec la sagesse de Dieu qui veut conduire tout homme à la vision
de son essence. Donc l’homme n’est pas délivré de la faiblesse au moment de la
mort.
Cependant :
Nul ne peut se porter d’une manière absolument libre
vers une fin s’il est entraîné par quelque passion du corps.
Conclusion :
De même que le péché lié à une ignorance est
supprimé au moment de la mort par une révélation concernant la nature du salut
préparé par Dieu, de même il est nécessaire que le péché de faiblesse qui est
très souvent mortel soit supprimé. Et cette nécessité vient de la fin du
jugement particulier auquel aboutit la mort. Ce jugement détermine le sort éternel
de l’âme par rapport à Dieu. Or une âme ne peut être damnée que pour des actes
dont elle est pleinement responsable ce qui n’est pas entièrement le cas du
péché de faiblesse à cause de l’entraînement de la passion subi par la volonté.
Ainsi, dans le moment qui précède la séparation de l’âme et du corps, le corps
est rendu par Dieu léger pour l’âme de telle manière que la volonté ne peut
plus subir l’entraînement du foyer de péché. Dans cette situation, si un homme
s’obstine à maintenir sa volonté fixée sur le péché, ce ne peut être qu’à
raison d’un péché contre l’Esprit Saint comme l’impénitence finale. Au
contraire, si l’homme se repent au moment de sa mort, il reçoit le pardon de
Dieu et peut être sauvé, même si c’est à travers un feu[642], c’est à dire
en passant par le purgatoire.
Solutions :
1. La mort, telle que nous l’entendons dans
cette question, est le devenir progressif qui aboutit à la séparation de l’âme
et du corps physique, mais non des facultés du psychisme. Ce devenir implique
une certaine durée au fur et à mesure de laquelle le lien qui unit l’âme au
corps physique devient de plus en plus ténu. Au point de départ, l’intelligence
ne peut s’exercer sans le concours des images données par l’organe du cerveau
et la volonté sans entraîner avec elle les appétits du corps sensible. Au terme
final, l’intelligence s’exerce d’une manière plus aisée car les images lui sont
apportées par des facultés sensibles bien réelles s’exerçant pourtant de
manière séparée de l’organe du cerveau. Pour l’intelligence, l’exercice devient
aisé, comme si le poids de la matière dont se plaignait Platon n’était plus un
obstacle mais au contraire une harmonie. Pour la volonté, aucune entrave
n’affaiblit sa capacité à se porter vers le bien.
En
fait, cette libération de la faiblesse a Dieu pour cause. De même qu’après le
péché d’Adam et Ève, il avait imposé à toute leur descendance le fomes peccati
(foyer de péché) qui diminuait sans la supprimer la liberté de chacun, de même,
il en libère chaque homme à l’heure du passage. La personne expérimente alors
un état de profond calme psychologique, comparable à celui d’Adam et Ève en
Eden. C’est un fruit de la rédemption. Le foyer du péché est cette propension
lourde de notre sensibilité à chercher son propre bien (valorisation, autonomie,
sécurité) en opposition avec les volontés de l’esprit. Depuis le péché
originel, ces instincts de notre sensibilité sont devenus difficiles à
contrôler. Ils entraînent souvent notre volonté, malgré son désir profond.
2. Le péché mortel quel qu’il soit, même
s’il a des circonstances atténuantes dans l’ignorance ou la faiblesse, peut
conduire l’homme au péché contre l’Esprit Saint lorsque l’ignorance et la
faiblesse disparaissent. Rien ne prouve en effet que l’homme se repente
toujours de ses péchés au moment de la mort, à cause de l’attachement à soi qui
est présent dans tout péché et qui subsiste même après la mort. Cet amour
déréglé de soi peut conduire et conduit souvent à la révolte définitive contre
Dieu, car l’arbre à tendance à tomber du côté où il penche, comme nous le
verrons. [643]
3. Dieu veut
conduire tout homme à la vision de son essence mais pas à n’importe quel prix.
Comme nous l’avons montré, il convient que l’homme désire librement entrer dans
cette gloire. C’est pourquoi il est nécessaire que tout élément qui conditionne
de l’extérieur cette liberté disparaisse comme la violence, la faiblesse, la
peur. Dieu n’impose donc à l’homme l’état de faiblesse qui aboutit à la mort
que sur cette terre et en préparation du jugement dernier que la mort inaugure.
Objections :
1. Il est nécessaire que l’homme voie
l’essence de Dieu au moment de la mort. Nous avons montré que la Vision
béatifique devait être précédée d’un choix libre. Or nul ne peut choisir ce
qu’il ne connaît pas, donc l’âme voit Dieu dans son essence au moment de la
mort.
2. Dieu veut que
tout homme soit sauvé. En montrant son essence sainte dès le moment de la mort,
il pourrait réaliser ce salut pour tous puisque nul ne peut plus pécher en
voyant Dieu. Il semble donc qu’il agit ainsi dans sa bonté.
Cependant :
Cette
thèse condamnée au XIVème siècle en Angleterre par l'archevêque de Cantorbéry,
Simon Langham, dans une lettre adressée en 1368 au chancelier de l'Université
d'Oxford : « Toute personne
dans l'état de voie [c'est à dire tout personne sur terre, non encore arrivée
au terme de sa vie qui est soit l'enfer, le purgatoire ou le paradis], tant
adulte que non adulte, musulman, juif et païen, même mort dans le sein
maternel, aura une claire vision de Dieu avant sa mort, vision par laquelle il
aura le libre choix de se convertir à Dieu ou de s'en détourner ; et si alors
il choisit de se tourner vers Dieu, il sera sauvé, autrement, il sera
damné. »
Donc
l’homme ne voit pas l’essence de Dieu dès le moment de la mort.
Conclusion :
La béatitude qui consiste à voir Dieu dans son
essence ne peut être donnée avant le jugement personnel de l’âme. En effet,
voir l’essence de Dieu, c’est voir l’essence de la bonté. L’âme qui voit Dieu
se trouve donc réellement et totalement dans le bonheur absolu. Or personne ne
peut vouloir ou agir sinon en vue du bonheur. Il est en effet impossible de se
détourner du bien comme tel. Ainsi l’homme, s’il était uni dès le moment de la
mort au Bien Incréé ne pourrait plus pécher en ce sens qu’il ne serait plus
capable de liberté. Dans cette hypothèse parfaitement opposée à ce qu’est Dieu,
la liberté serait happée et figée comme peut l’être le papillon dans la flamme
d’une lampe. Il ne voudrait jamais s’en séparer, non par choix libre mais par
force ce qui, on le sait par les paroles de Jésus, n’est pas la manière dont
Dieu veut le salut de l’homme. Il veut s’unir à lui comme on le fait dans un
mariage[645]. L’homme serait confirmé et stabilisé
dans le bien dès le moment de la mort. Or il n’en est pas ainsi puisque
certains d’entre eux seront damnés selon cette parole du Seigneur :[646] « Allez loin de moi, maudits, dans
le feu éternel qui a été préparé pour le Diable et ses anges. »
Solutions :
1. Il n’est pas nécessaire, pour se porter
vers un bien de connaître d’expérience tout ce qui est impliqué dans ce bien
mais simplement de connaître la raison générale de sa bonté. Ainsi, dans le
mariage humain, il n’est pas nécessaire pour s’engager d’avoir expérimenté la
sexualité mais il est nécessaire de savoir qu’il y aura une vie sexuelle. De
même, il n’est pas nécessaire que l’homme voie l’essence de Dieu pour se porter
vers Dieu, il est seulement nécessaire qu’il comprenne qu’il verra Dieu et que
Dieu est à l’image de Jésus, à la fois le Tout-puissant et le plus humble
(kénose) et aimant, jusqu’au mépris de soi. On le voit sur terre chez ceux qui
aiment Dieu plus que tout, sans avoir vu son essence.
2. La bonté de
Dieu est aussi Sagesse. Or Dieu dans sa sagesse a créé l’homme avec un libre
arbitre. C’est donc selon le mode de la nature de sa créature qu’il se donne à
lui, c’est-à-dire après un acte de son libre arbitre, ce qui ne serait pas
possible si Dieu manifestait son essence dès le premier instant.
Objections :
1. Il semble que cela n’est pas possible :
Jésus est actuellement glorifié et son corps glorieux est invisible à l’œil
humain à cause de sa nature supérieure, qui est spirituelle.
2. Nul ne peut voir s’il n’a les yeux
ouverts. Or le corps, dans le moment qui précède la mort, est dans une
situation limite telle que ses fonctions sensitives ne fonctionnent plus. Il
n’est donc plus en mesure de voir quoique ce soit.
3. Aucun texte de
l’Écriture n’enseigne cela. On ne doit rien ajouter à la Révélation sous peine
de malédiction selon l’Apocalypse[648].
Cependant :
L’Écriture
dit[649] : «
Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » De même dans l’Évangile, le Seigneur annonce : « les puissances des cieux seront
ébranlées et alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec grande
puissance et grande gloire »[650], parole qui peut s’appliquer à la fin
générale du monde aussi bien qu’à la fin de ce petit monde qu’est l’homme.
Jésus le dit encore plus concrètement au Grand Prêtre qui l'interrogeait, avant
sa condamnation à mort : « Es-tu le
Christ, le Fils du Béni ? » "Je
le suis, répond Jésus, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite
de la Puissance et venant avec les nuées du Ciel. "[651]
Conclusion :
Nous
avons montré qu’il est nécessaire que l’homme reçoive dans le moment de la mort
certaines révélations de la part de Dieu concernant son salut. Or la parole de
Dieu faite chair, c’est Jésus-Christ lui-même selon saint Jean : « et le Verbe s’est fait chair et il a
demeurÉ parmi nous »[652]. Dans l’humanité du Christ, Dieu a
façonné une image de sa divinité, une image parfaitement adaptée au mode de la
connaissance humaine qui s’appuie sur ce qui est senti pour s’élever à ce qui
est compris par l’intelligence. Il convient donc que la révélation de la gloire
réalisée dans le moment de la mort le soit par le Christ Jésus. C’est pourquoi
l’Écriture dit[653] : «
Il n’existe pas d’autre nom sous le Ciel que celui de Jésus par lequel nous
devons être sauvés. » Ce n’est donc
pas par des paroles mais par la rencontre bouleversante avec Jésus, la Parole
faite chair, que se fera l’ultime révélation précédant le jugement dernier.
Elle est donnée non seulement aux hommes qui ne connaissent pas Jésus,
c’est-à-dire aux païens, mais aussi aux croyants. Car nul chrétien, aussi
contemplatif soit-il sur terre ne soupçonne l’intensité de lumière et d’amour
qui rayonne de l’humanité Sainte de Jésus. On raconte de saint Thomas qu’il
cessa d’écrire sa somme théologique à la suite d’une apparition du Christ. Il
confia à son secrétaire qu’il n’écrirait plus car il avait compris en un
instant qu’il ne savait rien.
Quant
aux modes de cette révélation, ils sont décrits métaphoriquement par l’apôtre
Jean dans ses visions[654] : «
Je me retournais pour regarder la voix qui me parlait et, m’étant retourné,
je vis au milieu de sept candélabres comme un Fils d’homme, revêtu d’une longue
robe serrée à la taille par une ceinture d’or. Sa tête avec ses cheveux blancs,
est comme de la laine blanche, comme la neige, ses yeux comme une flamme
ardente, ses pieds pareils à l’airain précieux que l’on aurait purifié au
creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux. Dans sa main, il y a sept
étoiles et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant, et son
visage, c’est comme le soleil qui brille dans tout son éclat. À sa vue, je
tombais à ses pieds comme mort mais il posa sur moi sa main droite en disant,
ne crains pas. »
En
parlant de Fils d’homme, saint Jean veut nous signifier que ce n’est pas Jésus
en tant qu’il est Dieu qu’il a vu ; Sa longue robe est la plénitude de toutes
les vertus que tient la plus grande d’entre elles : la charité qui est comme
une ceinture d’or ; les cheveux blancs symbolisent la sagesse qu’on attribue
d’habitude aux vieillards ; la blancheur rappelle la pureté du cœur de Jésus ;
ses yeux sont comme une flamme ardente car il émane d’eux un amour qui enflamme
celui qu’il regarde ; ses pieds sont pareils à l’airain car Jésus est le
rocher sur lequel tout homme peut et doit s’appuyer, il nous l’a montré dans le
creuset de sa crucifixion ; Sa voix est comme celle des cascades car tout homme
l’entendra. Dans sa main se trouvent sept étoiles, c’est-à-dire la grâce qu’il
peut donner si quelqu’un la demande ; quant à l’épée acérée, elle est sa parole
qui dévoile dans chaque âme le péché là où il est, ne laissant rien de caché
dans la conscience ; tout son être rayonne comme le soleil car il éclaire de sa
vive lumière tout homme qui arrive en sa présence[655].
On
peut résumer la révélation ainsi décrite de cette manière : à sa mort, l’âme
encore liée à son corps voit avec les yeux de sa chair l’humanité Sainte de
Jésus, selon le mode voulu par lui, de telle façon qu’elle découvre comme dans
un miroir la lumière de Dieu et l’amour de Dieu. Dans cette lumière, l’homme
découvre à quel point il est ténèbres et péché, « néant devant Dieu »
selon les paroles de sainte Catherine de Sienne. Il s’agit d’une révélation à
la fois bouleversante car elle remet en question notre connaissance limitée de
Dieu[656], et effrayante car elle fait toucher du
doigt ce que nous sommes vraiment (Dies Irae)[657].
Solutions :
1. Le corps glorieux de Jésus obéit parfaitement
à sa volonté : il se rend donc visible au gré de sa volonté et selon le mode
qu’il veut. Il adapte la vision de son humanité en fonction du bien de chaque
homme à qui il se montre.
2. La vision du corps glorieux du Christ se
fait avec les facultés de la vie sensible. La raison en est que le corps de
Jésus est un corps physique et non un corps intelligible. Il existe une autre
personne dont le corps physique est présent dans l’autre monde. C’est la vierge
Marie. Le mystère de son assomption trouve ici son sens ultime car Dieu, l’Etre
aux qualités masculines (Toute-puissance, éternité, justice) et féminines
(humilité (kénose)[658], amour, miséricorde) peut être révélé
dans une plus grande plénitude par l’apparition de Jésus et Marie unis. Il faut
donc admettre que les facultés sensitives de l’homme peuvent s’exercer un
certain temps après l’arrêt de ses fonctions végétatives. Cela correspond
d’ailleurs au témoignage de ceux qui sont passés près de la mort. D’après eux,
la vie sensible demeure et s’exerce avec un mode supérieur au mode habituel.
Quant
au fait qu’il faut avoir des yeux ouverts pour voir, cela ne prouve rien car
Jésus peut imprimer directement dans l’œil et dans l’imagination l’image de son
humanité Sainte[659]. Une autre explication a été apportée
plus haut[660]. Nous la devons aux philosophies de
l’Extrême Orient. Les facultés psychiques survivraient par la survie d’un corps
fait d’une matière psychique que l’âme a le pouvoir de maintenir vivant au-delà
de la disparition du corps physique.
3. Dans le cas qui nous occupe, des textes
explicites existent, bien qu’ils puissent être appliqués aussi au retour
définitif de Jésus qui aura lieu à la fin du monde. Ce fait apparaît clairement
dans l’évangile selon saint Matthieu[661] : «
Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. En ces
jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et
mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de
rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi
l’avènement du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs : l’un est
pris, l’autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l’une est prise,
l’autre laissée. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir
votre Maître. » Jésus parle de son « avènement », ce qui semble signifier sa dernière parousie, celle de la fin
du monde. Or pour s’expliquer, il dit « qu’en
ce jour-là, deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. » Cela ne peut signifier que l’heure de
la mort individuelle de cet homme.
Un
autre texte peut aller dans le sens de l’identification par Jésus entre les
mystères de la mort individuelle et ceux de la fin politique du monde : « En vérité, je vous le dis, cette
génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. Le Ciel et la terre
passeront mais mes paroles ne passeront pas ».[662] Ce texte et d’autres analogues semble
annoncer la fin du monde et la parousie générale en en fixant la date à la
génération de ceux qui ont connu Jésus. En apparence, cela ne s’est pas réalisé
car on pense ici à son retour universel lors de la fin des fins. Or il existe
une parousie au cours de l’histoire qui marque chaque génération tout aussi
réellement que la parousie définitive qui fera s’arrêter le cycle des
générations. En effet, moins de cent ans après que Jésus a prononcé ses paroles
prophétiques, toute la génération qui les avait entendues avait réellement et
historiquement connu la parousie. Cela ne s’était pas réalisé d’un seul coup
mais par la somme des parousies individuelles à la mort de chacun.
La
Révélation plénière ne se trouve pas tout entière dans la lettre de l’Écriture,
mais aussi dans la Tradition et la confirmation du Magistère. Ainsi, poussée
par l’Esprit Saint, l’Église fut contrainte de proclamer les dogmes de
l’Immaculée Conception de la vierge Marie et de son assomption alors qu’ils ne
sont pas présents d’une manière littérale dans la Bible. Avant même cette
proclamation, l’Esprit n’avait pas attendu pour en susciter la foi dans le cœur
de certains saints et dans le peuple de Dieu. De même, la tradition de l’Église
n’est pas totalement muette sur cette parousie à l’heure de la mort. Outre
sainte Faustine, nous trouvons le passage suivant chez saint Thomas d’Aquin[663] : «
À un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour
chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu
révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de
croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à
Corneille. » De manière plus récente,
l’un des textes les plus beaux est à trouver chez Mgr d’Hulst sur le salut des
incroyants. [664] « Notre
Sauveur est au-dessus de ses propres lois, et il ne demande permission à
personne pour sauver une âme qui l’a plutôt ignoré que trahi. Dans ce dernier
combat de l’agonie, (…) il y a certainement une sollicitation suprême de la
miséricorde ; il y a une apparition (je prends ce mot dans le sens métaphysique
et le plus large), une apparition de Jésus ; il y a le souvenir, tout d’un coup
ranimé, de ces fragments épars d’instruction religieuse oubliés depuis
l’enfance. (…) Et quand l’âme est droite, quand elle a péché par ignorance,
faiblesse ou entraînement, quand elle n’a pas commis et multiplié ces grands
crimes de trahison intérieure, de résistance à la voix de Dieu entendue, de
mauvaise foi dans la calomnie et le blasphème ; de guerre impie faite à la
croyance et à la vertu des autres ; alors se réalise pour elle la personne de
Jésus crucifié. » [665]
C’est
ce qu’enseigne saint Jérôme "Le jour du Seigneur est aussi bien la
parousie lointaine que le jour de la mort".[666]
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible. Les
personnes décédées n’ont plus de corps. Elles sont comme des anges et ne
peuvent être vues par l’œil matériel. Elles ne peuvent donc apparaître au
moment de la mort.
2. La vision de l’humanité Sainte de Jésus
suffit amplement pour révéler à l’âme la nature du bonheur éternel et la
manière de l’atteindre. Car Jésus est l’image parfaite de Dieu. Il est donc
superflu que des personnes décédées apparaissent avec lui.
3. Parmi les
proches décédés, il est possible que certains soient damnés. Il semble
inconvenant qu’ils soient rendus présents pour provoquer la conversion de
l’âme. Les damnés en effet voudraient que chacun le soit avec eux.
Cependant :
L’apôtre
parle de "l’avènement du Seigneur Jésus avec tous ses saints"[668]. C’est donc accompagné de personnes
déjà décédées que le Seigneur se montrera à la fin de notre vie. Le Concile
Vatican II appuie cette fonction essentielle des morts[669] : «
Étant en effet plus intimement liés avec le Christ, les habitants du Ciel
contribuent à affermir plus solidement l’Église en sainteté. Ils ajoutent à la
grandeur du culte que l’Église rend à Dieu sur la terre et l’aident de
multiples façons à se construire plus largement[670]. Car admis dans la patrie et présents
au Seigneur[671] par Lui avec Lui et en Lui ils ne
cessent d’intercéder pour nous auprès du Père offrant les mérites qu’ils ont
acquis sur terre par l’unique Médiateur de Dieu et des hommes le Christ Jésus[672] servant le Seigneur en toutes choses et
complétant en leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ en faveur de
son corps qui est l’Église[673]. Ainsi leur sollicitude éternelle est
du plus grand secours pour notre infirmité.
»
Conclusion :
La finalité de la révélation qui accompagne la mort
est d’amener l’homme à se tourner vers Dieu, s’il ne l’a déjà fait et à le
faire davantage s’il est déjà vivant de la vie de grâce sanctifiante, de la
même façon que toute prédication de l’Évangile. Dans ce but, Jésus donne dès
cette terre à ses apôtres des pouvoirs extraordinaires qui manifestent
extérieurement la vérité du message. Au moment de la mort, la manifestation de
la gloire du corps de Jésus est suffisante par elle-même car elle manifeste en
plénitude la vérité et la bonté de l’Évangile[674]. Elle n’a
donc pas besoin d’être accompagnée d’autre chose qu’elle-même. L’homme peut
alors répondre par un acte de cette foi qui agit par la charité ou au contraire
se détourner du Christ et en mépriser l’apparition.
Mais
la présence des personnes que l’agonisant a chéries dans sa vie terrestre et
qui l’ont précédé dans la mort peut constituer un surcroît de délicatesse de la
part de Jésus et manifester efficacement son immense amour. C’est pourquoi il
arrive qu’il les rende présents. Car l’amour se nourrit d’actes de délicatesses
qui le révèlent. Il peut s’agir de la présence des proches décédés comme les
parents ou les amis ; il peut aussi s’agir de la présence des saints que la
personne a particulièrement vénérés durant sa vie ; c’est pourquoi la sainte
Vierge s’engage dans ses apparitions à être présente lors de la mort de celui qui
la prie d’une manière particulière selon les paroles de l’Ave Maria : « et à l’heure de notre mort. » Le cas de la vierge Marie est
cependant particulier, comme nous l’avons suggéré plus haut. Elle a un rôle
unique dans le plan rédempteur de Dieu, à titre d’image féminine de Dieu et de
collaboratrice unique dont le oui, par opposition au non d’Ève, à fait entrer
la Vie dans le monde.
La
finalité de la présence des saints ou des proches décédés étant de manifester à
l’homme avec délicatesse l’amour de Dieu, Jésus adapte ces présences en
fonction de la sensibilité de chacun. Il est donc probable que certains
protestants ne reçoivent à l’heure de leur mort ni la visite de la vierge Marie
ni celle des saints. Ils reçoivent la visite de Jésus seul qui respecte leur
sens de l’unique rédemption opérée par lui, même si ce sens erroné se trouve
très vite rectifié. [675]
Solutions :
1. Deux hypothèses : 1° Les morts n’ont plus aucun rapport avec leur corps. Ils sont des
esprits séparés. Dans ce cas, dit saint Thomas, ils sont rendus visibles par le
ministère des anges qui façonnent pour l’occasion une image de leur corps.
Quant à la sainte Vierge qui est déjà glorifiée avec son corps, elle apparaît
en exerçant sa propre puissance. 2°
Les morts conservent la partie psychique de leur corps (le corps astral des
philosophies extrême orientales). Dans ce cas, ils peuvent apparaître par leur
propre force.
2. L’apparition des proches décédés ou de
la Vierge n’est pas une nécessité absolue puisque Jésus est à lui seul image
parfaite de Dieu. Mais elle convient comme un surcroît de délicatesse divine,
car c’est par la délicatesse manifestée que naît l’amour. [676]
3. Quant aux
personnes damnées, elles ne sont pas rendues présentes par le ministère des
anges bons qui ne sauraient utiliser la tromperie dans leurs actions. Il est
par contre possible qu’elles soient rendues présentes par l’action du démon qui
fait tout ce qu’il peut pour entraîner l’âme avec lui dans la perdition. Ainsi,
les proches qui sont en enfer peuvent accompagner le démon dans d’ultime
tentative d’entraîner après lui les âmes. Les âmes du purgatoire qui sont
saintes et déjà unies intentionnellement avec Dieu peuvent être visibles de la
même manière que les âmes du paradis. Mais, à la différence des élus du Ciel, elles
ne sont pas visibles immédiatement dès qu’elles en expriment le désir. Elles
sont en effet, pour leur bien et de leur propre volonté, séparées du reste du
monde[677].
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible. Le démon
est l’ennemi de Dieu et cherche à entraîner l’âme à sa perdition éternelle.
Dieu ne peut donc permettre sa présence jusque dans le terme ultime de la vie
qui précède le jugement dernier.
2. Le règne du démon a été vaincu par le
Christ selon cette parole de l’Écriture : «
Vous avez vaincu le Mauvais »[679]. Son pouvoir sur l’homme a été détruit.
Il paraît donc incroyable qu’il puisse se manifester à l’heure de la mort.
3. Le démon est un ange déchu. Il n’a pas
de corps et ne peut donc pas être vu.
4. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait[680] : «
Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la
mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les
tout petits, il ne peut pas. » C’est
donc que le démon n’a pas l’autorisation d’approcher toutes les âmes.
Cependant :
L’Apocalypse
de Jean écrit : « Le dragon se lança
à la poursuite de la femme. Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle. Le
serpent vomit alors un fleuve d’eau derrière la femme pour s’entraîner dans ses
flots. Mais la terre vint au secours de la femme ».[681] La femme peut représenter selon un des
sens possibles l’âme au moment de la mort. On voit que jusqu’au bout, malgré
l’aide de Dieu signifiée par les ailes et par la terre, le démon poursuit
l’homme, jusque dans le moment de la mort.
Conclusion :
Sans
le vouloir, quoiqu’ils fassent, les démons servent le plan de salut de Dieu sur
les hommes et ce tout au long des étapes de notre salut ; ils font cela de
leur propre initiative à cause de leur malice qui les fait haïr le dessein de
Dieu. Mais ces attaques sont permises par Dieu et sont utiles à notre salut car
il sait se servir avec ordre des divers maux en les orientant vers le bien. En
effet, par ces épreuves qui découlent de ces péchés, l’orgueil de l’homme est
flagellé ; parfois même, il naît un peu d’humilité et de désir d’un salut ;
mieux encore, chez quelques-uns, tout cela augmente l’amour en disposant la
charité.
1° Au cours de sa vie terrestre, alors que
le destin individuel de chaque homme se prépare, les attaques principales des
démons sur l’homme consistent dans les
tentations. Le diable vient en tant que Satan -le serpent- c’est-à-dire
qu’il se glisse puis se cache dans la psychologie et nous attire vers les biens
relatifs, les présentant comme des fins en soi. Il tente l’homme par ces trois
choses principales qui sont poussière pour lui -plaisirs égoïstes, argent
égoïste et vanités égoïstes-. Son œuvre provisoire vise à nous habituer à vivre
dans l’égoïsme, et cela constitue une simple préparation à la perdition car la
grande partie des hommes pèche encore dans l’ignorance et par faiblesse.
2° Dans la deuxième étape, au moment de la
mort, alors que le destin individuel de chaque homme se décide, il est
absolument nécessaire (d’une nécessité morale) que le royaume de l’enfer soit
présenté à l’âme, cette fois en toute lucidité et sans faiblesse. Car l’homme
est amené à opter avec son libre arbitre entre deux royaumes, « le règne de l’amour de Dieu jusqu’au
mépris de soi ou le règne de l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu »
selon saint Augustin[682]. Il convient que le démon qui est à la
tête du règne du péché vienne en tant qu’il est Lucifer -le dragon debout et
digne, le Porteur de lumière- et soit l’ambassadeur de cette révolte contre
l’humilité et l’amour du Royaume de Dieu. A ce moment, Lucifer vient selon deux
modes : a) Il est d’abord présent comme
séducteur, selon l’Écriture : « le
séducteur du monde entier, fut jeté sur la terre... frémissant de colère et
sachant que ses jours sont comptés »[683].Son effort consiste alors à nous
manifester clairement son projet, dans toute sa beauté apparente, et en
s’appuyant sur la complicité de nos péchés passés qui nous attirent vers lui.
Il essaie de convaincre de mille façons : il montre sa lumière, il argumente, il rappelle les plaisirs et gloires
passés, il appelle à un faux honneur du style : « Reste digne ! Tu n'as
pensé qu'à toi. Tu ne vas pas maintenant te repentir ? ». Il
s’efforce de convaincre le mourant que, en s’opposant au Dieu de l’humilité
(kénose) et de l’amour, il peut devenir maître du bien et du mal, c’est-à-dire,
selon la Genèse, comme un dieu -selon
lui- pleinement libre. Dans cette
présentation, il y a de la part de Lucifer une apparente exigence de vérité,
dont le Christ, lorsqu’il paraît, manifeste le mensonge. b) S’il ne convainc
pas le pécheur, Lucifer se fait ensuite présent comme accusateur selon l’Écriture : « Il est l’Accusateur de nos frères »[684], c’est-à-dire qu’il rappelle à l’homme
ses péchés passés en s’efforçant de le faire désespérer du pardon de Dieu.
Solutions :
1. Dieu ne permet la présence du démon que
parce qu’il sait pouvoir s’en servir pour sa gloire ; et la gloire de Dieu
selon saint Augustin c’est le bien de l’homme. Mais cette présence ultime du
démon, démultipliée à cause du fait qu’elle est la dernière possibilité qui lui
est laissée, n’est tolérée par Dieu que dans la mesure où cela est nécessaire
au choix ultime de l’homme. Dieu ne permet pas que l’homme soit tenté au-delà
de ses forces. C’est pourquoi la moindre conversion du cœur de l’homme vers
Dieu provoque la manifestation du Christ et de ses saints qui font cesser toute
attaque de l’ennemi selon l’Apocalypse : «
la terre vint au secours de la femme »[685]. Il faut remarquer enfin que nous
trouvons une annonce cachée de cette venue du démon dans l’Écriture dans le
texte suivant : « Quand on vous emmènera
pour vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, mais dites ce
qui vous sera donné sur le moment : ce n’est pas vous qui parlerez, mais
l’Esprit Saint »[686]. Le démon se faisant accusateur en
évoquant toutes nos fautes passées et en appelant à son aide le souvenir de la
souffrance que nous avons causée pour nos frères sera vaincu par notre plus petit
regard d’amour pour Dieu.
2. Notre vie connaîtra trois étapes : 1° Pour le moment, durant notre vie
terrestre, le règne du démon sur l’homme a été vaincu en tant que la passion du
Christ a préparé à l’homme un remède. Aidé par la grâce, l’homme humble peut
résister aux tentations du démon et, par là, mener jusqu’à l’héroïsme son amour
pour Dieu et pour ses frères. 2° À
l’heure de la mort, cette victoire sur le démon se manifestera glorieusement
par l’apparition visible du Christ dont la lumière balayera la tentation d’être
entraîné infailliblement dans la mort éternelle. 3° Après le jugement individuel, que nous soyons au purgatoire ou a fortiori dans la Vision béatifique, le
démon n’aura plus jamais aucun pouvoir sur nous car Dieu nous aura
définitivement stabilisé dans le salut selon ce texte[687] : «
Le dernier ennemi qu’il détruira, c'est la Mort ; car Dieu a tout mis sous les
pieds du Christ. »
3. Le démon a gardé après son péché les
puissances naturelles que Dieu lui avait données lors de sa création. Il lui
est donc possible de se rendre visible quand il veut de manière sensible, dans
la mesure où Dieu le permet. S’il se rend visible ainsi, c’est parce qu’il
s’adapte au mode de la connaissance humaine à qui il est naturel de connaître
le spirituel par le sensible. Mais, à l’heure de la mort, cette connaissance se
fait de manière parfaite au point que, en voyant Lucifer, le mourant comprend
en un instant tout ce qu’il doit comprendre sur l’enfer.
4. Le rôle du
démon est essentiel à la liberté du choix même 1° pour les humbles (kénose) ou les enfants morts prématurément comme
nous le verrons. Mais le moindre retour vers Dieu le fait fuir, selon cette
parole de l’Ecriture[688] : « Alors l'Impie se
révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche,
l'anéantira par la manifestation de sa Venue », Dieu ne
permettant pas qu’il tente un homme au-delà de ses forces. Ce dernier point est
une certitude confirmée par le dogme.
2° Pour les orgueilleux, la venue de
Lucifer possède, outre la liberté du choix, une autre utilité que décrit ce
texte[689] : « Voilà pourquoi
Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousse à croire le
mensonge. » En effet,
devant la beauté du projet de Lucifer, nous serons tous très tentés de le
suivre et nous tomberons tous au point de nous damner si le Christ et les
saints ne venaient à notre aide, selon cette parole[690] : « Et si ces jours-là n'avaient été abrégés, nul
n'aurait eu la vie sauve; mais à cause des élus, ils seront abrégés, ces
jours-là. » Et ce sera pour l’orgueil qui est en nous tous une
profonde humiliation qui hâtera notre purification.
Objections :
1. On voit mal comment cela serait
possible. Si l’homme, au moment de sa mort, voit l’humanité sainte de Jésus, il
faut que ses facultés sensibles soient élevées par lui au-dessus de leur
capacité naturelle, comme on le voit chez ceux qui ont des apparitions et qui
sont en extase. Or l’homme ne peut être en même temps hors du monde sensible
habituel et dans ce monde. Il ne peut donc voir les personnes encore vivantes
sur terre.
2. Au moment de la mort, les premières
facultés qui cessent de fonctionner sont les facultés liées au cerveau car,
d’après les médecins, le cerveau est l’organe le plus sensible au manque
d’oxygène. Il y a une perte de la conscience telle qu’elle implique une
séparation par rapport à notre monde. Donc l’homme ne peut voir des personnes
encore vivantes sur terre.
3. Si des
personnes encore vivantes sont rendues visibles à celui qui est en train de
mourir, ce ne peut être qu’à leur insu. On voit mal le Seigneur agir ainsi.
Cependant :
Le Seigneur ne néglige rien de ce qui peut être
utile au salut de ceux qu’il appelle à son admirable lumière. Il peut donc
arriver que des personnes encore vivantes soient rendues visibles si le bien
l’exige.
Conclusion :
De même qu’il peut être bon pour le salut de l’âme
que Jésus soit accompagné par des défunts qui sont déjà sauvés, de même il peut
être convenable que soient rendues visibles des personnes encore vivantes sur
la terre. Cela arrive principalement quand ceux qui sont sur la terre offrent
des prières et des sacrifices à l’intention de celui qui est mort. Ils sont
alors rendus visibles et donc coopérants et efficaces à l’œuvre de rédemption.
C’est
ce qu’enseigne en un certain sens le Concile Vatican II[691], sans toutefois aller jusqu’à parler de
la possibilité du mode sensible de la communion entre les saints du Ciel, ceux
de la terre et ceux qui vivent l’heure de la mort : « Tous cependant [les trois "états" de l’Église] à des
degrés divers et sous des formes diverses, nous communions dans la même charité
envers Dieu et envers le prochain, chantant à notre Dieu le même hymne de
gloire. En effet, tous ceux qui sont du Christ et possèdent son Esprit,
constituent une seule Église et se tiennent mutuellement comme un tout dans le
Christ[692]. Donc, l’union de ceux qui sont encore
en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ ne connaît
pas la moindre intermittence ; Au contraire, selon la foi constante de
l’Église, cette union est renforcée par l’union des biens spirituels. »
Solutions :
1. Jésus a le pouvoir de rendre visible en
même temps que son corps glorifié certaines réalités du monde présent comme on
le voit d’ailleurs dans le récit de certaines apparitions authentifiées par
l’Église. [693]
2. Relativement à la puissance naturelle de
celui qui meurt, de telles visions sont impossibles mais pas si l’on considère
la puissance de Dieu et des anges qui réalisent cet effet.
3. C’est parce que ceux qui sont sur terre
se répandent en prières pour le défunt que le Seigneur manifeste parfois cette
prière à celui pour qui elle est adressée. Ce n’est donc pas totalement à
l’insu de la personne qui prie. Cette prière, venant visiblement pour
l’agonisant d’une personne qui est sur la terre plongée dans l’obscurité totale
de la foi bouleverse encore davantage que celle des saints du Ciel car elle
implique un amour et une foi dépourvus de l’appui de la Vision béatifique. Il
est donc certain qu’elle possède auprès du mourant une vertu démultipliée en
vue de sa conversion. On voit donc pourquoi il est si important de prier pour
ceux qui meurent. [694]
Objections :
1. Cela n’est pas possible : les souvenirs
du passé sont souvent irrémédiablement oubliés. Quant à ceux qui demeurent dans
la mémoire sensible, ils disparaissent immédiatement avec la destruction du
cerveau qui est leur siège.
2. Bien des péchés passés ont été effacés
par la pénitence. Il est donc inutile qu’ils soient ramenés à la mémoire au
moment de la mort.
3. Il serait ridicule qu’un homme mûr
revoie les fautes commises durant son enfance selon l’apôtre : « quand nous étions enfants, nous
agissions comme des enfants[695]. » Or ce qui est de l’enfant a disparu depuis longtemps.
Cependant :
Le
récit de ceux qui sont passés près de la mort rapporte souvent qu’ils voient
défiler le film complet de leur vie.
Conclusion :
Nous
avons montré qu’il est nécessaire que l’homme, au moment de sa mort, reçoive de
Dieu les révélations indispensables à son salut car l’Évangile doit être prêché
à tous. La parole de Dieu est donnée grâce à la vision du Verbe fait chair
c’est-à-dire Jésus-Christ. Or la vision de la lumière du Verbe incarné a pour
premier effet de manifester à l’homme la nuit qui est en lui. À cela, nul
esprit créé ne peut échapper selon cette parole de Job :[696] « Il
convainc même ses anges d’égarement. »
L’homme est donc confronté à revivre sa vie à la lumière de Jésus[697]. Chaque acte bon et chaque acte mauvais
est manifesté et rien de ce qui est caché dans la conscience ne le demeure. La
nécessité de cette relecture de la vie terrestre est manifeste pour la raison
suivante : c’est par les actes de la vie terrestre que l’homme devient ce qu’il
est au moment de sa mort. C’est donc en voyant sa vie que l’homme peut
connaître ce qu’il est vraiment aux yeux de Dieu. Il peut connaître aussi ce
que Dieu attendait de lui durant sa vie et, comme dans un miroir, qui est Dieu.
"Il faut que nous soyons mis à découvert devant le tribunal du Christ,
pour que chacun retrouve ce qu’il aura fait pendant qu’il était dans son corps,
soit en bien, soit en mal".[698]
Solutions :
1. On peut donner
deux explications possibles de la manière dont les souvenirs passés reviennent
à l’esprit et à la conscience au moment de la mort. Cela peut être à cause
d’une loi naturelle du psychisme humain qui, dans la situation qu’est la mort,
fait remonter à la surface les souvenirs enfouis dans la mémoire sensible. Car
la mémoire humaine garde la trace de toute action, même si de tels souvenirs
restent inconscients et ne peuvent ressurgir que dans certaines situations. Il
faut se souvenir qu’à l’heure de la mort, la faculté de la mémoire sensible
s’exerce d’une manière nouvelle, beaucoup plus efficace, puisqu’elle semble
subsister malgré la disparition de l’organe matériel qu’est le cerveau.
Autre
explication : cela peut être aussi un effet de la providence divine ou du
ministère des anges qui connaissent chacun selon son mode, les méandres de
notre vie.
2. Même les péchés mortels passés qui ont
été effacés par la pénitence sont ramenés à la mémoire non à cause de la
condamnation qu’ils auraient mérité s’ils n’avaient été pardonnés mais à cause
de la miséricorde de Dieu qui se dévoile dans le pardon.
3. Rien de ce qui
a été commis durant la vie humaine n’est indifférent au salut éternel car la
vie tout entière prépare le jugement dernier. Ainsi, les actions bonnes et
mauvaises commises dans l’enfance, de même qu’elles ont des conséquences sur la
vie d’adulte, en ont aussi par rapport à la vie éternelle.
A
propos du jugement dernier, le cardinal Gouyon écrit un texte qui peut aussi
illustrer le moment de la mort[699]: «
Alors tout apparaîtra : nos efforts comme nos lâchetés, mais surtout notre
amour et notre refus. La conclusion se tirera d’elle-même. L’homme qui
cherchait Dieu sera ébloui de la rencontre, mais sans doute ressentira-t-il le
regret de s’être trop souvent dérobé à un amour qui est ici capable de le
satisfaire. L’amertume de ces refus lui causera une souffrance passagère qui
permettra sa purification, sans lui enlever l’espérance. Nous voyons ce que
nous aurions dû faire et que nous n’avons pas fait[700]. Cela devrait suffire à ce délai que
nous appelons le purgatoire mais qui porte en lui-même la promesse de cette
possession de Dieu sans mesure et sans fin que sera le Ciel. »
Objections :
1. La foi de l’Église affirme que toute
personne qui meurt en état de péché mortel et sans avoir été lavée par la
pénitence est directement condamnée à la peine éternelle de l’enfer. Il ne
semble donc pas qu’il puisse y avoir de repentir au moment de la mort.
2. Si c’est le cas, il suffit pour être
sauvé de se convertir au dernier moment et il n’est nul besoin de vivre une vie
parfaite. Cette doctrine semble donc encourager le péché.
3. La foi catholique enseigne de manière
solennelle qu’il ne peut y avoir repentir que pendant la vie terrestre, le
temps de la mort étant celui de la récompense ou de la peine. C’est ce qui
apparaît clairement dans la Constitution dogmatique de Benoît XII : « En outre, nous définissons que, selon
la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché
mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées
de peines infernales. » Donc il ne
peut y avoir de repentir à l’heure de la mort.
4. La théologie présente le choix de l'âme
comme un choix intellectuel qui se ferait après une délibération de l'esprit
entre les points positifs et négatifs. N’est-ce pas une vision par trop
intellectuelle ?
Cependant :
À
une mère qui demandait au curé d’Ars si sa fille était sauvée, alors qu’elle
s’était suicidée, celui-ci répondit : « entre
le pont et l’eau, elle s’est convertie. »
Ce qui signifie que jusqu’au dernier moment la conversion est possible.
Conclusion :
Tant que l’âme se trouve dans cette vie, le repentir
est possible. La raison vient non de la nature de la connaissance humaine mais
des limites provisoires où Dieu l’a plongée. Le vouloir de l’homme est en effet
proportionné au mode de sa connaissance.
La
nature de la connaissance de l’homme, ici-bas comme dans l’au-delà, consiste à
se porter vers l’intelligible en l’abstrayant du sensible. Pour cela, elle
utilise une capacité d’abstraction appelée « intellect
agent. »
1° Ici-bas : or, ici-bas, avant comme
après le péché originel, le sensible est obscur. Il ne reflète que
difficilement l’essence de la réalité. L’intellect agent n’abstrait qu’avec
difficulté à partir des images leur signification. En conséquence, la volonté
de l’homme qui se porte vers ce que l’intelligence lui présente comme bien, n’est
pas immuable et inflexible. Demain l’objet lui apparaîtra sous des aspects
nouveaux et ce qui est désiré aujourd’hui sera repoussé avec la même ardeur
sous l’impulsion des raisons nouvelles que l’on vient de découvrir. Beaucoup de
gens séduisant sont pervers et inversement. La séduction du péché empêche d’en
voir pleinement les conséquences amères.
Après le péché originel, une deuxième limite est
venue perturber davantage la liberté des choix. Il s’agit de la révolte des
passions. La volonté de l’homme peut être amenée à se porter sur un objet parce
que le choix est perturbé par une orientation puissante et non contrôlée des
passions trompeuses. C’est pourquoi, lorsque la passion disparaît nous
changeons souvent nos vouloirs.
Pour
ces deux raisons (difficulté à comprendre et faiblesse de la sensibilité), nos
choix terrestres sont fragiles. Il est donc toujours possible de revenir en
arrière lorsqu’apparaît une raison qu’on n’avait pas précédemment discernée.
C’était déjà en partie vrai pour Adam et Ève, au moins pour la première raison,
d’où la possibilité pour eux d’un salut.
2° Dans le passage de la mort, la nature
de la connaissance humaine ne change pas dans son essence (abstraction à partir
d’images) mais dans son mode. Le perfectionnement se fait dans la connaissance,
non seulement à cause de la puissance de l’intellect agent qui est augmentée
qu’à cause de la nature des objets sensibles. 1° L’intellect agent exerce son abstraction d’une manière nouvelle
à savoir sans aucune difficulté, de manière pourtant humaine et non angélique.
Les sensations elles-mêmes deviennent plus puissantes. Ce nouveau mode de
connaissance se met en œuvre à cause d’une certaine séparation du psychisme
vis-à-vis de l’organe matériel du cerveau. Les images nécessaires au mode de la
connaissance humaine sont apportées de manière limpide par la faculté sensible
qui s’exerce sans l’organe du cerveau, comme nous l’avons montré (a. 2). La
connaissance de l’heure de la mort devient intuitive quoique appuyée sur le
sensible. 2° D’autre part, la
réalité sensible est transfigurée. Une propriété, propre aux corps glorieux,
est donnée aux réalités sensibles. Il s’agit de la "clarté". Elle
signifie que le sensible devient, sans qu’il n’y ait plus d’erreur possible,
révélateur de l’essence des réalités.
3° Les faiblesses des passions, le fomes peccati est lui-même détruit. Les
passions se soumettent à la volonté, les névroses et les peurs disparaissent.
Un état de paix psychologique, proche de l’état originel revient. Ainsi, la
volonté qui suit l’intelligence peut se porter vers ce qui lui apparaît le bien
sans aucune hésitation et sans qu’aucune raison nouvelle ne puisse modifier son
choix, dans un sens ou dans un autre.
En
conséquence et pour ces trois raisons, le choix de l’heure de la mort est
parfaitement conscient, volontaire et libre. Qu’il se fasse dans un sens ou
dans l’autre, il est définitif et irréformable, non parce que l’homme ne
pourrait pas changer, mais parce qu’il ne le voudra jamais. L’image ne
constitue plus un obstacle à la signification intellectuelle qu’elle porte en
elle. Ainsi, en voyant le corps du Christ et des saints, l’intelligence peut
saisir de manière intuitive en un seul regard, l’intelligibilité du mystère de
l’Évangile. De même, l’image du démon est suffisante pour révéler les avantages
de l’enfer et de sa liberté, ainsi que le feu qui lui est associé. L’erreur
n’est plus possible face à la parousie, «
comme l’éclair traverse le Ciel de l’orient à l’occident », disait Jésus[701]. Voilà
pourquoi, lors de l'apparition du Christ, deux choses sont faites selon ce
texte[702]
: « Jésus
leur répondit : "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : 1°
les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les
sourds entendent, les morts ressuscitent (ce qui signifie la fin de
tous nos handicaps et limites physiques et morales) et 2° la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (ce
qui signifie la fin de toute ignorance concernant le salut) ; et heureux celui qui ne trébuchera pas à
cause de moi ! (ce qui signifie que, en outre, face au Christ, on
peut, loin de se sauver, éprouver pour lui mépris et rejet tant il est
infiniment humble et doux, à en énerver l'orgueilleux.) »
En
conclusion, il faut remarquer qu’on ne peut jamais présumer du salut ou de la damnation
de personne, même s’il semble que cette personne est morte en état de péché
mortel, selon cette parole de Jésus : « tout
péché et blasphème seront remis aux hommes mais quiconque aura parlé contre le
Saint- Esprit, cela ne lui sera pas remis ni en ce monde, ni dans l’autre »[703]. Quant au blasphème contre l’Esprit
Saint, il ne peut être remis car il est commis par un homme en dehors de toute
passion aveuglante et trompeuse. Celui qui le commet demeure donc ferme et
immuable dans ses résolutions, comme nous le verrons.[704]
Solutions :
1. Il peut y avoir repentir et conversion
car l’intelligence est, souvent pour la première fois, confrontée à la totalité
de l’enjeu. De nouveaux motifs de jugement apparaissent presque nécessairement,
sauf peut-être pour certains hommes (souvent théologiens de haut niveau) qui,
dès cette terre, sont capables de choisir en pleine conscience le paradis ou
l’enfer. La connaissance est surélevée à un mode pleinement humain en ce sens
que les inconvénients dénoncés par Platon à propos du poids du corps
disparaissent. Ainsi, cette conversion au bien et au mal est pour la première
fois si lucide qu’elle constitue un choix définitif, maintenu après la mort
pour l’éternité.
2. Celui qui pèche sa vie durant en
espérant se convertir au dernier moment fait un mauvais calcul. En effet, tout
péché est fondé comme sur une racine par l’amour désordonné de soi qui engendre
l’orgueil, le rejet des volontés de Dieu. Chaque acte de péché fortifie et
augmente cet amour déréglé de soi et rend de plus en plus difficile le
renoncement à un tel amour. Ainsi, arrivé au moment de la mort, il est fréquent
que l’homme ne puisse plus (c’est-à-dire ne veuille plus tant il est devenu un
être individualiste) se convertir, c’est-à-dire renoncer à l’amour désordonné
de soi, à cause de la trop grande force de cet amour. L’enfer correspond tout à
fait à son goût, malgré les inconvénients que nous décrirons plus loin. Cela
aboutit à la damnation non à cause de l’absence de miséricorde divine mais à
cause de l’orgueil de celui qui se damne. Il est donc gravement imprudent, sous
prétexte de la miséricorde de Dieu, de laisser le règne du péché envahir son
âme durant le temps de sa vie terrestre. [705]
3. Le moment de
la mort n’est pas la mort consommée mais l’introduction dans la mort. Il fait
encore partie de la vie terrestre, tout en constituant la porte ouverte sur
l’éternité. Il est intermédiaire entre les deux mondes. L’entrée dans l’autre
monde est d’ailleurs souvent décrite par ceux qui ont vécu une expérience de mort
approchée comme une barrière au-delà de laquelle il n’y a plus de retour. Il
n’y a donc pas d’opposition avec la foi catholique.
4. La Bible ne
présente pas ce choix comme une simple délibération intellectuelle. Toute la
vie y est engagée. C'est une bataille finale dans sa propre âme, la
« bataille d'Harmagedôn », où l'on se détermine en fonction de sa
vie, de ses péchés, de sa générosité : « Apocalypse 16, 16 : Ils les rassemblèrent au lieu dit, en
hébreu, Harmagedôn. Et le septième répandit sa coupe dans l'air ; alors,
partant du temple, une voix clama : "C'en est fait!" Et ce furent des
éclairs et des voix et des tonnerres (la force de l’apparition du Christ), avec
un violent tremblement de terre (qui bouleverse l’âme) ; non, depuis qu'il y a
des hommes sur la terre, jamais on n'avait vu pareil tremblement de terre
(impossible indifférence face à lui, qui provoque un rejet ou un amour total),
aussi violent ! La Grande Cité se scinda en trois parties (enfer, purgatoire,
paradis), et les cités des nations croulèrent ; et Babylone la Grande, Dieu
s'en souvint pour lui donner la coupe où bouillonne le vin de sa colère
(privation de la vision béatifique pour les hommes stabilisés dans le blasphème
contre l’Esprit). Alors, toute île prit la fuite, et les montagnes disparurent
(tout orgueil, toute fierté). »
Objections :
1. Dieu n’impose pas à l’homme des exigences
impossibles à réaliser. Or entre le péché originel et la rédemption, il était
impossible aux hommes de vivre durant leur vie terrestre de la charité : la
connaissance de Dieu avait été perdue et, comme le dit Jésus lui-même, « l’Esprit Saint n’avait pas encore été
donné.[706] » Quelques particuliers le reçurent en prévision de la venue future
du Messie mais la grande masse du peuple mourut en ignorant tout de l’Évangile.
2. De même, à notre époque, des millions
meurent sans la charité, sans la foi et même dans le péché le plus grave,
estimant qu’ils peuvent vivre ainsi dans leur certitude sincère qu’il n’y a
rien après la mort. Dieu ne leur demandera donc pas la charité pour les sauver.
Il ne la demandera qu’aux seuls chrétiens.
3. Que dire des enfants morts en bas âge et
sans le baptême ?
4. Si la charité
est exigée depuis toujours par Dieu durant la vie terrestre, on ne voit pas
pourquoi les âmes de ceux qui moururent avant la venue du Christ durent
attendre dans les enfers l’accomplissement de la passion du Christ avant
d’entrer dans la gloire. On ne voit pas non plus pourquoi Jésus descendit aux
enfers s’il n’eût pas à leur révéler l’Évangile.
5. Si cette
Révélation était nécessaire pour tous les hommes de tous les temps, elle ne
pouvait être donnée que par le Christ lui-même. Or, pour les hommes de l’Ancien
Testament, le Christ comme Verbe incarné n’existait pas encore. Donc cette
révélation était impossible.
Cependant :
Le dogme catholique affirme :
Puisque l’amour de charité est nécessaire depuis
toujours pour être sauvé avant l’entrée dans l’autre monde et le jugement
dernier, au point que celui qui arrive dans l'autre monde sans la grâce est
aussitôt conduit en enfer[707] ;
Puisque nous devons tenir que Dieu propose d'entrer
dans ce salut à tout homme en cette
vie[708] ;
Puisque nous constatons que Dieu ne le fait pas dans ce que nous voyons de cette vie[709] chez des
millions d'hommes du passé, et aujourd’hui chez des millions de non chrétiens
et des millions de chrétiens sociologiques ;
Alors il faut en déduire que Dieu le faisait depuis
toujours dans ce que nous ne voyons pas de la vie terrestre, à savoir à la
onzième heure de cette vie, entre ce monde et l'autre "quand tout
extérieurement semble perdu" (sainte Faustine).
Conclusion :
Platon et Boros considérèrent l’union de l’âme et du
corps comme nuisible au choix de l’esprit car ils ne surent pas distinguer le
mode terrestre de la vie spirituelle et sa déviation due soit à un état
provisoire d’obscurité du sensible, soit aux conséquences du péché originel. Il
est clair que notre intelligence se trompe souvent dans sa connaissance du réel
et que notre volonté ne se porte ici-bas qu’avec difficulté vers ce que
l’intelligence lui propose comme bon, même lorsque cette dernière ne se trompe
pas. La faute n’en est pas à l’esprit lui-même mais à l’obscurité du sensible
d’une part, à l’imaginaire, aux passions et à la vie sensible révoltée contre
l’esprit d’autre part.
Cependant, lorsqu’il s’agit de l’orientation
dernière qui doit décider de notre éternité, il n’est pas convenable qu’elle se
fasse à travers un choix non pleinement humain. C’est l’homme tout entier qui
doit se porter vers le bien, dans un choix libre et conscient. Il convient donc
qu’il soit délivré de tout ce qui pourrait nuire à la liberté de son choix. Le
premier obstacle est l’obscurité du sensible. Dans le passage de la mort, le
sensible devient lumineux. Il révèle pleinement la nature des choses. Le second
obstacle est le foyer intérieur du péché. Nous avons vu de quelle façon Dieu en
libère l’homme avant sa mort (a. 5). Le troisième est la peur extérieure ou la
violence. Les anciens peuples soumis à toutes sortes de terreur sur Dieu ou les
dieux pouvaient en être délivrés facilement par une simple révélation.
C’est pourquoi il convient que Dieu libère l’homme
de ces trois obstacles. Dieu est amour et fait tout en vue de lui communiquer
la Vision béatifique. Nous pouvons donc être très certains qu’il a toujours agi
ainsi, en tout temps, même avant la passion du Christ et en prévision de cette
passion. Il supprimait toute faiblesse et ignorance, il rendait possible le
choix des anciens à travers une prédication de l’Évangile parfaite et adaptée
au mode de notre connaissance. Ainsi, depuis toujours, tout homme a toujours
été sauvé par le Christ qui devait venir.
Solutions :
1. Selon l’opinion de Balthasar, les âmes
de ceux qui moururent avant la venue du Christ descendaient toutes dans un état
d’attente angoissante sans aucune connaissance de leur sort futur si ce n’est
une espérance très vague d’une rédemption à venir. Ils attendirent comme des
ombres durant les siècles qui précédèrent la descente de Jésus aux enfers. Il
est vrai qu’il existe dans l’Écriture des textes qui décrivent ainsi le shéol.
Job parle du « royaume des
ombres où il n’y a aucune joie. » [710] L’existence de ces "limbes"
est attestée en plusieurs endroits dans l’Écriture. De nombreuses religions
primitives décrivaient aussi les morts à la manière d’ombres hantant les lieux
de leur ancienne vie. Cet état, nous le verrons[711], est encore attesté par de nombreux
saints après la venue du Christ. Mais il n’est jamais considéré par eux comme
un état permanent, mais plutôt comme une demeure provisoire, un purgatoire
particulier qui prolonge la vie terrestre de ceux qui meurent en étant maladivement
attachés à la terre. Ces âmes en peine peuvent en être délivrées par la prière
et les explications de ceux qui sont sur la terre.
Au
cours des temps, l’Esprit Saint conduisit petit à petit les Juifs dans une plus
grande intelligence du mystère de la mort. Ils comprirent que le triste et
éphémère séjour des ombres ne disait pas tout du mystère. Ils différencièrent
dès l’Ancien Testament trois enfers distincts en fonction de l’état de ceux qui
y descendaient : un enfer des damnés pour les pervers, un lieu de purification
pour les justes morts sans être tout à fait nets de toute souillure[712], et un lieu où régnait la grâce appelée
par Jésus "le sein d’Abraham"[713]. Pour signifier cette grâce, Jésus
parle dans le même texte d’une eau pure où le riche aurait bien voulu se
rafraîchir. Si la grâce régnait dans une demeure des enfers, c’est donc que les
âmes des morts avaient reçu la prédication de l’Évangile ; s’ils vivaient de la
charité, c’est donc qu’ils attendaient la venue future du Messie, en
connaissaient la nature, y croyaient et se tournaient vers Dieu en
reconnaissance joyeuse pour le salut à venir. Ils attendaient sa visite et
vivaient de Dieu dans le cœur à cœur de la charité par anticipation de la
Rédemption. De même, certains pouvaient rejeter par avance cette rédemption et
se plonger en enfer éternel.
En
conséquence, on doit admettre qu’ils recevaient comme nous une révélation à
l’heure de leur mort, non par le Christ cependant, celui-ci n’étant pas encore
né, mais par un messager qui représentait efficacement Dieu et leur révélait la
bonne nouvelle du Salut futur. Si l’on suit les livres anciens des morts tels
qu’ils apparaissent dans les diverses religions préchrétiennes, ce messager
était un ange du Seigneur, mandaté par lui comme Gabriel le fut à Marie[714]. Il se laissait voir à travers une
image de corps façonné pour l’occasion, de telle façon que l’homme arrivé à
l’heure de sa mort connaisse comme il convient à la nature humaine,
c’est-à-dire saisisse l’intelligence du salut à travers la gloire sensible de
l’apparition de l’ange. Aujourd’hui, cette révélation est faite par le Christ
lui-même. Mais, à cette époque, la gloire de l’ange de la mort suffisait à
rendre le choix final des hommes définitif vers l’enfer ou le paradis promis et
espéré.
2. Cette objection trouve sa solution dans
les articles précédents.
3. Comme tout être humain, les enfants
parviennent au salut par le choix libre de leur charité. Au moment de leur
mort, ils sont accueillis comme n’importe qui par la communion des saints. À la
prière de l’Église du Ciel et de la terre, ils sont libérés du péché originel
si cela n’a pas déjà été obtenu précédemment par le baptême. Cette libération
signifie que l’Esprit Saint propose son inhabitation à leur âme, par
l’instrument de l’apparition sensible d’un messager de Dieu, qu’il soit ange
avant la Rédemption ou Jésus-Christ après la Rédemption[715]. Cette vision à la foi sensible et
intelligible a le pouvoir, par sa gloire, d’éveiller suffisamment leur
intelligence pour rendre possible un choix libre. Ils se tournent
infailliblement vers l’amour car ils sont petits et incapables de retour sur
eux-mêmes.
4. Selon Balthasar à la suite d’Adrienne
von Speyr, Jésus est descendu aux enfers pour vivre jusqu’au bout la condition
de l’homme, y compris dans le mystère de son shéol. Selon lui, il a éprouvé
l’état de la damnation des réprouvés. Ce faisant, tout en l’homme était sauvé.
Nous ne le suivons pas jusqu’au bout dans sa contemplation des abaissements du
Christ : en effet, il nous paraît que si Jésus a pu s’identifier au pécheur au
point de devenir "péché" devant Dieu, il n’a jamais pu éprouver
l’état des damnés de l’enfer qui se caractérise par une volonté consciente et
métallique de rejeter Dieu : « il n’a
pas commis le péché ».[716] Nous pensons de plus que toutes les
descriptions prophétiques laissées par Adrienne sur le désespoir du Christ
peuvent s’expliquer non par une descente dans la situation des damnés de
l’enfer mais par celle de ceux qui subissent les abandons de la vie terrestre
et du purgatoire. "Il s’est fait péché pour nous. [717]" Ainsi, à la suite du pape
Jean-Paul II nous préférons adhérer à l’opinion selon laquelle toute rédemption
fut accomplie au moment de la mort de Jésus, selon ses propres Paroles. Sa
descente aux enfers ne fut donc pas un moment de souffrance de plus, tout en
ayant souffert avant, mais celui du don glorieux aux âmes de la Vision
béatifique qu’ils espéraient de toute la force de leur charité depuis qu’elle
leur avait été promise à l’heure de leur mort. Quant à ces âmes (excepté celles
qui étaient errantes entre deux mondes dans le shéol), nous estimons qu’elles
avaient déjà été jugées individuellement : les damnés avaient déjà rejeté par
avance le Christ et son Salut, par un jugement lucide et définitif posé à
l’heure de leur mort devant l’Ange du Seigneur. De même, les élus avaient déjà
répondu par la charité à cette Révélation.
5. Comme nous l’avons montré, n’importe
quel amis de Dieu, comme l’ange de la mort, suffisait pour annoncer par sa
gloire l’Evangile et sa réalisation à venir.
Damien
Saurel (2006) pense que c’est le Christ et non un ange qui apparaissait aux
anciens. Il s’appuie pour cela sur le bienheureux Dun Scot, théologien du
Moyen-âge, qui pensa le premier à la rétroactivité de la grâce. Par là, il
expliqua comment la Vierge avait pu naître sans la tache du péché originel,
alors que le Christ n'était pas encore venu dans la chair nous laver de nos
péchés ; il en conclut à la rétroactivité de la grâce christique accordée à
Marie.
De
la même manière, on peut élargir cette notion : tous les dons relevés dans
l'Ancien Testament, sont le fait de grâces christiques rétroactives, étant
entendu que la grâce du Christ ne subit ni limitation temporelle ni spatiale :
elle transcende le temps.
On
peut donc imaginer que par ce même pouvoir rétroactif, le Christ a pu
apparaître aux anciens et les enseigner, venant en quelque sorte du futur.
Ainsi le reconnurent-ils lors de sa descente au séjour des morts, etc.
Cette
apparition du Christ lui-même, à toutes les époques, consolide considérablement
ce propos, lui donnant encore plus d’unité et de logique.
Objections :
1. C'est
impossible comme le montre le pape Benoît XII[718] : "Aussitôt
après la mort, toute âme qui est sans la grâce sanctifiante est aussitôt
conduite en enfer". Il
n'y a donc ni baptême, ni salut après la mort.
2. Dans
sa pratique liturgique, l'Eglise n'a jamais accepté qu'un prêtre baptise le
corps sans vie d'un enfant mort-né. Ceci semble indiquer qu'il n'y a pas de
baptême après la mort.
3. Dans
sa remarque, saint Paul semble indiquer une étrange pratique : un homme irait
recevoir de nouveau un baptême d'eau à l'intention d'un autre, en l'occurence
un mort. L'Eglise n'a pas conservé une telle pratique.
Cependant :
Saint Paul fait remarquer[719] : «
Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts
ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? » Il
semble donc indiquer une pratique dont l'usage a été perdu.
Conclusion :
L'Eglise a toujours cru
que, après la mort, on ne pouvait plus baptiser personne car le choix est fait.
Reste à définir ce qu'on entend par "après la mort".
Il semble que la mort, prise au sens biblique, implique une
durée, et que beaucoup sont baptisés par le Christ lui-même lors de son
apparition dans cette durée. La mort (shéol) étant un passage, avant le
jugement dernier, la conversion et donc le baptême semblent possibles. C'est ce
que disait Marthe Robin : « Vous savez, Père, l’âme reçoit une grande lumière au moment de la mort.
Et peu d’âmes disent non à Dieu, surtout parmi les jeunes. »
Solutions :
1. Le
dogme du pape Benoît XII vise la mort prise au sens théologique, c'est-à-dire
la fin du processus qui aboutit au jugement dernier. Après ce jugement, aucun
baptême et aucune conversion n'est possible car l'âme damnée, perfectionnée
dans la liberté de son choix, ne veut plus jamais se changer et demeure
obstinément et à jamais dans sa liberté solitaire.
2. Le
baptême sacramentel lié au signe de l'eau n'est plus d'actualité après la mort
biologique puisque le corps n'est plus le séjour de l'âme. Mais la pratique de
l'Eglise a toujours reconnu le droit aux parents de baptiser leur enfant à
travers le désir de leur prière pour lui.
3. Il
faut prendre cette pratique perdue comme une forme de dévotion ancienne. Elle
consistait pour les premiers chrétiens, en le faisant de manière sensible, à
implorer Dieu pour qu'il baptise lui-même une personne qui était morte sans être
baptisée. Et, comme on l'a montré, tant que le jugement dernier n'a pas eu lieu
et que l'âme est "à
l'heure de la mort",
le Christ apparaît systématiquement pour proposer la grâce du baptême. Cette
dévotion ancienne semble donc rejoindre, comme par intuition, une réalité
spirituelle.
Objections
:
1. Il
semble qu’on puisse pécher tranquillement. Du moins, c’est ce que laisse penser
cette croyance. On peut penser que l'on peut toujours
reporter à demain le jour de sa conversion, que l'on peut même attendre la mort
pour se convertir, puisque le Christ propose un repentir jusque dans le passage
de la mort.
2. Il
semble de plus qu’il soit inutile d’annoncer l’évangile aux non-croyants
puisque le Christ s’en charge à l’heure de la mort.
Cependant
:
Jésus avertit dans de nombreux passages de se
convertir sans attendre[720] : « Si le maître de maison avait su à quelle heure le
voleur devait venir, il n'aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Vous
aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils
de l'homme va venir. »
Il dit d’autre
part que celui qui est trouvé sans huile à sa lampe sera rejeté[721] : « Les vierges sottes étaient parties
acheter de l’huile quand arriva l'époux. Finalement elles arrivèrent aussi et
dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous! Mais il répondit : En vérité je vous le
dis, je ne vous connais pas! Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni
l'heure. »
Cette parabole
montre non seulement que Jésus peut revenir à n'importe quel instant mais que,
si nous jouons avec le péché, nous ne trouverons pas assez d'amour (l’huile) en
nous pour l'aimer lorsqu'il apparaîtra. Nous risquons de vouloir entrer dans la
Vision béatifique (la salle des noces) sans amour (et juste pour profiter des
richesses qu'elle apporte), alors qu'il est impossible de s'unir à Dieu sans
l'aimer. Ce péché là est fréquent chez les damnés : il s'appelle la
présomption.
Conclusion
:
Il ne faut pas
jouer avec les péchés mortels de faiblesse et d'ignorance durant sa vie, même
si toute faiblesse et ignorance sont enlevées par la venue du Christ à l’heure
de la mort en vue du choix éternel. En effet, si on s'y complaît, on construit
en son âme un goût pour l'égoïsme et l'orgueil qui nous attirera vers la
liberté solitaire, qui est justement l'annonce de Lucifer en enfer. Ce poids du
péché risque bien, face à la parousie du Christ, de nous faire mépriser sa
douceur et sa petitesse (qui sont sa gloire principale) et nous dirons :
« Ce n'est que ça le Christ ? »
Donc nous
devons fuir le péché, non par peur du Christ mais par peur de nous-mêmes. Dieu
est prêt à pardonner tout, « soixante-dix-sept fois sept fois »[722], si nous nous repentons. La peur doit venir de
nous. Car personne ne sait s'il ne sera pas déçu, lors de la venue du Christ
dans sa gloire, par tant d'humilité.
Solutions
:
1. Il faut avoir un esprit qui n'est pas fait pour
comprendre ce qu'est la miséricorde de Dieu pour raisonner ainsi et en abuser.
Ce même raisonnement fallacieux fut pratiqué jadis dans un mauvais usage des
sacrements du salut, certains s’autorisant tous les péchés en pariant sur le
caractère suffisant d’une absolution finale. Et cet abus fut fréquent au point
que, dans son code de droit canonique de 1983, l’Eglise va jusqu’à menacer
d’une excommunication latae sententiae
le prêtre qui appliquerait un tel raisonnement, allant jusqu’à user du
sacrement de pénitence pour rassurer sa complice dans l’acte de fornication.
Mais c’est une illusion. Même muni des sacrements dans leur matérialité, l’âme
qui se complaît dans le péché risque bien de ne pas reconnaître le Christ comme
sien lors de sa venue, reconnaissant en Lucifer le Messie qui correspond à la
vraie nature de son cœur empli d’égoïsme.
Cependant, il
faut se souvenir que le péché qui met le plus en danger l’âme est peu visible.
On se souvient de cette anecdote. A la fin des apparitions de Lourdes, on
voulut protéger Bernadette dans un couvent de Nevers dirigé par une religieuse
d’un grand ascétisme. Sa supérieure s'attendait à voir en Bernadette une grande
mystique, pleine de transports. Or Bernadette était simple. Le constatant, la
Supérieure fit cette remarque : « Ce n'est que cela
Bernadette ? » Beaucoup d'entre nous, chrétiens fervents et
secrètement assez sûr de notre salut, nous n'avons pas le même choix que la
sainte Vierge qui, reine du Ciel, l’est parce qu’elle est la plus petite.
2. Il faut savoir que c'est la
peur pour le salut des pauvres
païens qui a été le moteur le plus puissant de l'évangélisation. Le second
moteur, hélas auxiliaire, était la joie de faire connaître l'amour de
Dieu.
Au commencement de l’Eglise, afin de stimuler le
zèle des Apôtres, Dieu cacha donc dans sa Révélation cette vérité qui y est
explicitement enseignée dans ces textes comme celui-ci[723] : « sur ceux qui demeuraient dans la région
sombre de la mort, une lumière s'est levée. »
Vers la fin du monde, lorsque la
proximité de l’Antéchrist rendra la prédication plus difficile, il est probable
que l’Esprit Saint rendra l'Eglise consciente de cette vérité et elle annoncera
l’Evangile dans la joie, ne s’inquiétant plus et faisant confiance à Dieu qui
propose son salut à tout homme. C’est ce qu’annonce Jésus ici[724] : « Quand cela commencera d'arriver, redressez-vous et
relevez la tête, parce que votre délivrance est proche. »
Solution
à l’argument en sens contraire :
Le Christ dit qu’il vient comme un
voleur, non pour annoncer que si on en venait à mourir, après une vie de
service et juste après avoir commis un seul péché, on serait certainement
damné, mais pour avertir que si on a vécu dans le péché, on ne trouvera pas
dans son âme la ressource de choisir la voie du salut, qui est l’inverse du
péché et qui passe « par un amour de Dieu et du prochain poussé jusqu’au
mépris de soi »[725].
Objections :
1. Il semble que le jugement dernier peut
avoir lieu avant la mort et même dès cette terre, si l’on en croit la parole du
Seigneur : « Qui ne croit pas est
déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique »[726].
2. L’homme qui est en état de péché mortel
s’est séparé volontairement de Dieu. Or la moindre faute mortelle peut être
jugée par Dieu par une sentence éternelle qui ratifie cette séparation dont
l’homme s’est rendu responsable. Donc le jugement dernier a lieu au moment de
la mort.
3. La durée d’une vie entière est suffisante
pour choisir le camp de Dieu ou celui du démon. Ce sont donc les actes de notre
vie qui nous jugent et nous valent le salut ou la réprobation éternelle. Le
jugement a donc bien lieu au moment de la mort.
4. Nous avons
montré que l’homme est rendu capable, à la lumière de l’apparition glorieuse de
Jésus, de discerner le bien et le mal dans son cœur et dans sa vie passée. Or
il s’agit bien là d’un jugement. Donc le jugement dernier a lieu au moment de
la mort.
Cependant :
Tant que l’âme n’est pas entrée dans l’autre monde,
elle est en état de voie. Le repentir est possible. La sentence du juge ne peut
donc être prononcée. Ainsi le jugement dernier ne peut avoir lieu au moment de
la mort mais seulement après la mort.
Conclusion :
Dans tout jugement, plusieurs éléments sont
nécessaires. Il faut d’abord, comme nous l’avons dit, qu’il y ait énoncé par le
juge de la faute dont est accusé le prévenu. Et cette faute ne peut être connue
par un simple soupçon mais elle doit être mise à la connaissance de celui qui juge
par des preuves sûres. Il faut en second lieu que le prévenu puisse se défendre
et se justifier. Il faut enfin que le juge délibère pour déterminer la gravité
de la faute et la sentence encourue.
Il en est de même dans le jugement dernier. Mais aux
yeux de Dieu qui regarde d’abord les intentions de l’homme, une faute est
définitivement considérée comme telle quand elle est pleinement volontaire,
c’est-à-dire quand elle est commise sans qu’aucune ignorance ou faiblesse ne
vienne en amoindrir la pleine responsabilité. Alors seulement, le juste juge
fixe la sentence éternelle. Mais dans le moment de la mort, il peut demeurer
une certaine hésitation dans l’âme selon ce que nous avons dit à l’article
précédent. Tant qu’il demeure une telle potentialité, la faute n’est pas
considérée par Dieu comme pleinement consommée. Elle n’est donc pas soumise au
jugement dernier mais seulement à un jugement provisoire qui manifeste à l’âme
ce qu’il y a de mauvais en elle. De même, la sentence définitive et éternelle
ne peut être prononcée qu’après la mort, c’est-à-dire lorsque l’âme a choisi
définitivement et éternellement sa fin dernière.
Solutions :
1. On peut donner plusieurs interprétations
à ces paroles : en un premier sens, elles peuvent être adressées à l’intention des
pharisiens et des chefs du peuple dont Jésus connaissait déjà la perfidie. En
effet ceux-ci ne crurent pas en Jésus non pour un motif d’ignorance puisqu’ils
reçurent de lui tous les signes annoncés par les prophètes, ceux qui devaient
confirmer sa mission divine. Sachant qu’il venait de Dieu, il semble qu’ils
voulurent l’éliminer pour préserver le pouvoir qu’ils avaient peur de se voir
enlever. En ce sens, on peut dire qu’ils commirent un blasphème contre l’Esprit
Saint, selon les paroles mêmes du Seigneur. En ce sens, on peut dire que tout
homme qui dès cette terre ou au moment de la mort, rejette le Nom de Jésus
alors même qu’il sait que ce Nom est venu de Dieu est déjà jugé car il reste
obstiné dans son péché. En un second sens, les paroles de Jésus peuvent
signifier un jugement provisoire et terrestre : ceux qui ne croient pas sont,
tant qu’ils ne croient pas, exclus de la grâce et de la rédemption.
2. C’est à cause de sa très grande
miséricorde que Dieu repousse le plus loin possible l’énoncé de la sentence
éternelle que mérite toute faute mortelle. Dieu connaît trop ce qu’il y a
d’ignorance et de faiblesse dans le cœur de l’homme pour lui appliquer une
stricte justice distributive. S’il le faisait, nous serions tous, sauf la
Vierge Immaculée, damnés pour l’éternité.
3. Un seul acte de repentir, jusqu’au
dernier moment peut valoir à l’homme la grâce de sa justification. C’est
pourquoi Jésus nous a donné la parabole des ouvriers de la dernière heure qui,
malgré l’heure tardive de leur conversion aux œuvres de Dieu, reçoivent la même
récompense que ceux qui ont peiné toute la journée, à savoir la Vision
béatifique.
4. Le jugement de discernement doit
précéder cet autre jugement dont l’objet est de déclarer coupable ou innocent
le prévenu. Quant à la sentence énonçant la peine ou la récompense, elle ne
peut venir qu’en dernier lieu car elle découle des deux autres. Cependant, le
jugement de discernement qui a lieu au moment de la mort ne doit pas être
identifié avec celui qui constitue le jugement dernier, juste après la mort,
car l’homme est encore en état de convertir sa volonté vers le bien ou vers le
mal. Il ne fait que préparer l’âme au jugement ultime et définitif en la
portant à choisir, d’un choix libre et réfléchi, entre la charité et l’égoïsme.
Il s’agit maintenant de regarder l’état des âmes
après leur séparation complète avec le corps physique. À ce sujet on se
demandera :
1° Les puissances sensibles
demeurent-elles dans l’âme séparée ?
2° Les actes des puissances sensibles
demeurent-ils ?
3° Les connaissances et les souvenirs de
la vie passée demeurent-ils ?
4° Comment s’exerce l’acte de
l’intelligence dans l’âme séparée ?
5° Comment s’exerce l’acte de la volonté ?
6° L’âme séparée peut-elle entrer en
contact avec une autre âme séparée ou avec un ange ?
7° L’âme séparée voit-elle les hommes qui
sont sur la terre ?
8° Les âmes séparées peuvent-elles
apparaître aux hommes ?
Objections :
1. « L’homme, dit saint Augustin, est composé
de deux substances : une âme et un corps, une âme avec sa raison, un corps avec
ses sens[728].
» Or, les puissances sensitives dépendent du corps. Donc, dans l’âme
séparée du corps, elles ne sont plus.
2. Aristote, parlant de la séparation de
l’âme d’avec le corps, s’exprime ainsi : «
Il faut rechercher s’il y a, en dernière analyse, quelque chose de
permanent. Ce n’est pas impossible pour certains êtres, l’âme, par exemple,
sinon tout entière, du moins cette partie qui est l’entendement, car peut-être
l’âme tout entière ne peut avoir cette propriété »[729], c’est-à-dire que ses puissances
sensibles ou végétatives périssent avec le corps.
3. Parlant de l’intelligence ou
entendement, Aristote dit qu’elle est un autre genre d’âme "et le seul qui
puisse être isolé du reste comme l’éternel du périssable. Quant aux autres
parties, il est manifeste qu’elles sont inséparables du corps, à l’encontre de
ce que prétendent certains philosophes"[730], et, par conséquent, qu’elles ne
subsistent plus dans l’âme séparée.
4. Un tout n’est plus entier s’il lui
manque quelque partie. Mais les puissances de l’âme sont considérées comme des
parties de l’âme. Si la mort lui en enlevait quelques-unes, elle ne serait donc
plus entière : ce qui est inadmissible.
Cependant :
Saint Augustin dit : « L’âme se sépare du corps, emportant
tout avec elle : la sensibilité, l’imagination, la raison, l’intellection,
l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit irascible » [731] ; saint Augustin dit encore : « Nous croyons que seul l’homme possède
une âme subsistante qui, séparée du corps, continue à vivre et garde vivants
ses sens et son intelligence ».[732]
Il appuyait ses dires sur des expériences de mort approchée, déjà
fréquentes à son époque. Les expériences de mort approchée se multipliant de
nos jours et étant de mieux en mieux étudiées, on est obligé d’admettre au plan
philosophique le fait d’une survie, non seulement des puissances de la vie sensible
mais de leurs actes.
Conclusion :
Cette question a reçu diverses réponses. Certains philosophes
niaient la survie de la sensibilité après la mort. La réponse la plus logique à
cet égard était soutenue par saint Thomas d’Aquin, à l’école d’Aristote. Selon
lui, il est évident que certaines opérations, qui ont les puissances de l’âme
pour principe, ne sont pas de l’âme seule, à proprement parler, mais du
composé humain, puisqu’elles s’accomplissent au moyen du corps, par exemple,
voir, entendre, etc. De ces puissances, le composé humain est donc le sujet,
l’âme en est le principe actif, de même que la forme est le principe des
propriétés de l’être composé de matière et de forme. Certaines opérations, au
contraire, sont accomplies par l’âme, indépendamment de l’organisme, par
exemple, comprendre, considérer, vouloir ; étant donc propres à l’âme, il
s’ensuit que les puissances d’où elles émanent ont l’âme non seulement pour
principe, mais encore pour sujet. Dès lors, puisque sujet et propriétés demeurent
ou disparaissent ensemble, il est nécessaire que l’âme séparée garde les
puissances dont l’action est indépendante de l’organisme, mais qu’elle perde
celles dont l’action en dépend, c’est-à-dire celles qui appartiennent à l’âme
sensitive et à l’âme végétative. Pour saint Thomas, les puissances sensibles et
les autres du même ordre, étant liées à un organe, demeurent dans l’âme
séparée, non pas formellement, mais radicalement, à la manière dont les effets
sont contenus dans leurs causes ; en d’autres termes, l’âme séparée conserve
l’énergie capable de produire à nouveau ces puissances, si elle retrouve son
corps. Mais tant que l’âme reste séparée du corps, elle est incapable d’exercer
les facultés sensibles.
Cette
opinion semble la plus raisonnable à première vue. Mais elle est battue en
brèche par l’expérience suffisamment documentée de ceux qui ont approché la
mort. En effet, on constate toujours dans leur témoignage la présence d’actes
sensibles. De même, les âmes des connaissances et des amis déjà décédés depuis
longtemps qu’ils rencontrent au cours de leur expérience sont dotées du même
corps psychique qu’eux.
C’est
pour cette raison que certains penseurs, du côté de l’Égypte ancienne, de
l’hindouisme, des anciennes traditions animistes, ont cherché une autre
explication. Ils ont distingué dans l’homme deux espèces de puissances
matérielles. Les unes sont les actes des organes physiques faits de matière
palpable (atomique). Elles dérivent de l’âme dans le corps physique et disparaissent
avec lui. Ce sont les facultés de la vie végétative. Mais les autres sont
l’acte d’une autre sorte de matière physique, appelée corps psychique ou
astral, ce sont les facultés de la vie sensible. Le corps psychique est
constitué de matière dont l’état est plus subtil que celui de la matière
atomique. C’est une forme d’énergie qui peut subsister après la disparition du
corps physique en s’appuyant sur l’âme qui possède le pouvoir de le faire durer[733]. Il est le siège des facultés
sensibles. Par lui, l’âme rend le corps sensible à la vision, à l’audition,
etc., même après la disparition du corps physique.
Cette
distinction entre deux corps faits de matière, s’emboîtant l’un dans l’autre à
la manière de poupées russes semble être seule capable de rendre raison de la
survie hors du corps physique décédé d’un double matériel, doté des facultés
sensibles.
Solutions :
1. La science moderne n’a pour le moment
aucun moyen expérimental de visualiser l’existence et la survie de l’âme dans
son lien avec un corps psychique. Pourtant, rien ne s’oppose scientifiquement à
ce qu’un état de la matière, différent dans ses propriétés de ce qui est connu,
puisse exister. Il paraîtrait incroyable à un homme du XVIIIème
siècle qu’il puisse exister des ondes capables de porter le signal de la radio.
Il en est sans doute de même pour nous vis-à-vis du corps astral.
L’objection
soulevée par saint Augustin porte sur la possibilité de survie de ce corps fait
de matière psychique alors que son support physique, le corps physique et le
cerveau, a cessé d’exister. On peut expliquer cette survie de la manière
suivante. Il existe une grande distance entre les facultés spirituelles
(intelligence et volonté) et les corps physiques composés d’atome. Mais rien
n’empêche que la distance soit moindre entre ce même esprit et un état subtil
de la matière, à tel point que l’esprit, par ses propres forces, ait le pouvoir
de le garder vivant sans l’aide du corps physique.
2. Le domaine de la matière psychique
semble être digne de recherche au plan de la science physique. Il ouvre des
perspectives sur un nouvel état de la matière dont les propriétés ne nous sont
connues que par des accumulations de témoignages concordants et certaines
expériences sur les particules élémentaires. C’est tout le domaine du cerveau,
qu’il soit humain ou animal qui s’en trouvera probablement éclairé.
3. L’expérience montre effectivement que
l’organe du psychisme (sensations, imagination, mémoire, passions et
estimative) est le cerveau. Mais un autre genre d’expérience, tout aussi
crédible montre que, après l’arrêt complet de l’activité du cerveau, ces
facultés s’épanouissent dans un nouvel exercice plus performant. De nouvelles
sensations apparaissent (couleurs inconnues par exemple) et de nouvelles
facultés se manifestent (lecture directe des pensées de l’autre, etc.).
Certains pensent que ces témoignages relèvent du rêve, ce qui est contredit,
nous l’avons montré, par le fait que c’est la réalité elle-même, de manière
objective, qui informe le sens et non une série d’images immanentes au sujet. Le
réel étant le maître du philosophe, il est nécessaire de sortir de ce qui est
simplement logique pour expliquer ce qui est vrai.
4. En perdant son corps physique qui est
une partie de lui-même, l’âme humaine garde la racine des facultés végétatives
mais perd totalement leur exercice qui est purement physique. Par contre, elle
garde ce qui est essentiel dans l’organe des facultés psychiques à savoir la
matière subtile qui est leur support réel, le cerveau n’étant semble-t-il que
le support dispositif à leur naissance et à leur épanouissement.
Objections :
1. Ce qui exige l’union de l’âme et du
corps ne saurait demeurer dans l’âme séparée. Or, toutes les opérations des
puissances sensibles exigent cette union, puisque toutes exercent leur activité
par l’entremise d’un organe corporel. Cette activité doit donc être refusée à
l’âme séparée.
2. Aristote dit que "le corps ayant
disparu, l’âme n’a plus ni souvenir ni amour".[734] Et il en va de même pour tous les actes
des puissances sensibles.
3. Parmi les actes des facultés sensibles,
certains sont indissociables du corps physique comme les activités liées à la
reproduction et à la nutrition. Donc ces actes là au moins disparaissent.
4. L’âme sent au moyen du corps car cet
acte est non celui de l’âme elle-même, mais du composé auquel elle donne le
pouvoir de sentir. C’est ainsi que l’on dit que la chaleur chauffe. En
l’absence du corps physique, l’âme ne peut donc plus avoir de sensation. Cela
paraît pour le moins évident pour le sens du toucher.
5. Si par l’amour, la joie, la tristesse,
etc. on entend des passions de la sensibilité, elles ne sont pas dans l’âme
séparée, puisque, par définition, elles supposent un mouvement du cœur et de
l’organisme. Si on l’entend des actes de la volonté, faculté intellectuelle,
elles sont dans l’âme séparée ; c’est ainsi que le plaisir qui, en un sens, est
une passion de la sensibilité, comporte un autre sens suivant lequel Aristote
l’attribue à Dieu qui, dit-il, « jouit
toujours d’un plaisir unique et simple. »
6. Le mot mémoire peut désigner deux choses
: une puissance de la sensibilité, selon qu’elle a pour objet les images
sensibles du temps passé. Cette mémoire fait défaut à l’âme séparée. C’est en
ce sens qu’Aristote dit : « Le corps
disparu, l’âme n’a plus le souvenir ».[735] Il peut désigner encore "une
partie de l’image" des choses spirituelles dans la partie intellectuelle
de l’âme ; car elle fait abstraction de toute différence de temps et a pour
objet l’intelligible, au delà du présent et du futur aussi bien que du passé.
Cette mémoire persiste dans l’âme séparée.
Cependant :
Saint Augustin, se référant à l’expérience de la mort approchée,
reconnaît que ces personnes ravies hors de leurs corps, possèdent "une
certaine ressemblance de leur corps »,
par laquelle elles peuvent être emportées vers des lieux corporels et éprouver
quelque chose de semblable aux images des sens. Or, on ne peut comprendre que
l’âme ait « une ressemblance
de son corps », sinon parce qu’elle la voit.
Augustin
affirme encore : « L’âme séparée du corps jouit ou souffre,
selon qu’elle l’a mérité, de ces choses »[736], à savoir, l’imagination, l’appétit concupiscible et irascible,
qui sont des puissances sensibles. "Ce n’est pas le corps qui éprouve
la sensation, mais l’âme".[737] Il dit
encore un peu avant : « Il y a cependant certaines choses que l’âme
ressent par elle-même, indépendamment du corps, comme la crainte, etc. » Elle
peut donc aussi les ressentir, séparée du corps.
Conclusion :
La
solution de cette question découle de la précédente. Si l’âme séparée du corps
physique garde un corps fait de matière psychique, siège de toutes les facultés
sensibles, il en garde aussi tout naturellement les actes.
Plusieurs
différences sont cependant relevées dans les témoignages entre les actes
sensibles d’ici-bas et ceux de l’heure de la mort :
1° D’abord, il semble que l’exercice des
actes est beaucoup plus facile qu’ici-bas. La raison en est de la subtilité et
de la légèreté de la matière psychique, beaucoup plus aisément soumise aux
commandements de la volonté que la matière physique du cerveau. C’est pourquoi
aussi les handicaps n’existent plus. « Les
aveugles voient et les boiteux marchent.
» C’est que le corps physique a disparu, laissant place à son double qui
semble non vulnérable.
2° Ensuite, les facultés semblent beaucoup
plus riches et diversifiées : sensations nouvelles, capacité à se déplacer à
volonté et de manière immédiate dans divers lieux, télépathie, etc. Libéré du
poids de la matière physique, il semble que le psychisme a plus de facilité à
exprimer ses nombreuses potentialités cachées.
La raison de cette nouvelle liberté du psychisme est, nous l’avons
montré, ordonnée au choix qui accompagne l’heure de la mort. La disparition du
poids du corps physique dégradé par l’âge ou la maladie entraîne une parfaite
libération des facultés sensibles des conséquences du péché originel. La
connaissance et le choix de l’homme redeviennent donc parfaitement humains,
délivrés de tout ce qui en diminuait provisoirement la liberté, en attendant la
résurrection de la chair transfigurée qui, cette fois, ne pèsera plus pour
diminuer la liberté.
Solutions :
1. L’organe corporel des facultés sensible
demeure, nous l’avons montré. Le corps psychique, né du corps physique, possède
une vie propre qui s’appuie sur sa proximité avec l’esprit qui le fait
subsister après la mort.
2. Dieu qui a créé la matière a su remédier
à ce qui aurait constitué un inconvénient majeur pour l’homme et son salut. En
effet, si l’homme devait perdre tout ce qui a d’une certaine manière un rapport
avec son psychisme après la mort, il perdrait du même coup toutes ces
informations qui font la matière de la connaissance humaine et qui le distingue
des purs esprits que sont les anges. Il perdrait le souvenir des visages, les
émotions et, chose plus grave pour le choix de son éternité, les souvenirs des
circonstances sensibles de tous ses actes bons ou de tous ses péchés. Cela
constituerait une amputation certaine et même une rupture dommageable au salut.
Dieu permet donc que l’homme soit arraché à cette vie par la perte d’une partie
de lui-même (son corps physique) sans que cela n’affecte l’essentiel de
lui-même, à savoir l’exercice spirituel et sensible de son esprit.
3. Nous concédons cette objection. Parmi
les actes sensibles, certains s’exercent au service de la vie de l’esprit et
d’autres au service de la vie du corps. La raison en est que la vie sensible
est intermédiaire et au service de la vie végétative et de la vie spirituelle.
Le corps physique ayant disparu, le désir sexuel et l’instinct de nutrition qui
sont essentiellement liés au corps biologique disparaissent dans leur acte mais
non dans leur racine, c’est-à-dire dans les potentialités de l’âme.
4. Le sens du toucher ne peut plus
s’exercer sur la matière physique, le corps physique ayant disparu. Mais rien
n’empêche qu’il s’exerce sur la matière dont est composé le corps psychique, à
savoir sur cette "matière psychique" dont nous avons déjà parlé. Cet
état de la matière, encore scientifiquement inconnu, est probablement présent
partout, de même que partout où se trouve la matière physique se trouve son
rayonnement. C’est donc une nouvelle face du monde qu’atteint l’âme dans sa
séparation du corps physique.
5. En sens contraire, nous pouvons affirmer
que ce sont des vraies sensations et non une métaphore de sensations qui
demeurent après la mort.
6. La mémoire
sensible demeure dans l’âme séparée. L’intelligence n’est donc aucunement
privée des images acquises durant la vie terrestre. En vue du choix, les
souvenirs apparemment oubliés et cependant enfouis dans la mémoire peuvent
reparaître de manière entièrement limpide. Ils sont utilisés par les
révélations qui accompagnent la mort.
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible. Les
souvenirs sont dans la mémoire sensible et peuvent disparaître dès cette vie
comme on le voit chez les personnes âgées. Il paraît donc évident qu’ils
disparaissent complètement avec la destruction totale de la mémoire.
2. Si l’âme est
en état de péché mortel, c’est qu’elle se considère elle-même comme sa fin
ultime. Au contraire, si elle a répondu à la grâce de Dieu proposée jusque dans
les derniers moments précédant la séparation d’avec le corps, elle est
justifiée et peut être sauvée. Il n’est donc pas nécessaire que soient
rappelées après la mort ou à l’heure du jugement dernier chacune des
circonstances de la vie humaine. Un tel rappel est par contre nécessaire dans
le moment de la mort et après la résurrection des corps, lors du jugement
général de l’humanité où chaque action sera révélée à tous.
Cependant :
On doit affirmer que tous les faits de la vie humaine dans leurs
moindres détails sensibles doivent subsister pour le jugement dernier. Car la
bonté ou la malice de nos actes peut être conditionnée ou même parfois
déterminée par de telles circonstances. Or un juge juste ne peut prononcer une
sentence que s’il connaît parfaitement l’acte qu’il a commis.
Conclusion :
De
même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur, de même le
jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce verset du
livre des rois : « l’homme voit les
choses qui paraissent au dehors tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur »[738]. Mais on ne peut porter un jugement
parfait sur quelqu’un que si les témoins ont déposé au sujet de tous les faits
qui doivent être jugés. Il faut donc, puisque le jugement personnel a lieu
après la séparation de l’âme et du corps physique, que la conscience de celui
qui est jugé garde mémoire de toutes les choses sur lesquelles il doit porter.
C’est pour cette raison que Dieu permet qu’aucun des souvenirs de la vie
terrestre ne puisse disparaître.
Au sujet de la connaissance et des souvenirs, il
faut considérer ce qui en eux dépend d’une faculté corporelle comme la mémoire
sensible et l’imagination et ce qui dépend de la seule intelligence. Comme nous
l’avons montré dans la première partie, les habitus des sciences acquises
durant la vie terrestre ont leur siège dans l’intelligence ; mais le mode
d’exercice de ces habitus se fait par le recours aux images. C’est donc ces
deux mémoires qui doivent subsister afin que la science acquise demeure tout
entière et non seulement dans ses principes généraux.
Ainsi, après la mort, l’âme humaine garde d’une
manière naturelle ce qui est la substance même de la vie morale et qui trouve
son siège dans les facultés spirituelles : les volontés, les intentions et les
choix qui ont dirigé la vie humaine ainsi que la connaissance des biens qui ont
été poursuivis. De même, elle garde d’une manière plénière les souvenirs des
circonstances sensibles particulières de la vie terrestre, qui étaient gardés
dans la mémoire sensible et dans l’imagination comme par exemple le souvenir
des lieux géographiques, des formes de visages, des sons de voix.
Solutions :
1. L’homme ne possède pas seulement une
mémoire spirituelle mais aussi une mémoire sensible dont le siège est la
sensibilité et qui coopère de manière essentielle à la connaissance humaine,
qu’elle soit spéculative ou pratique. Après la mort, les souvenirs de la
mémoire sensible demeurent donc comme on l’a dit, ainsi que la mémoire
spirituelle qui est essentielle à la subsistance de la personnalité morale. La
raison en est que le jugement dernier et la sentence définitive du juge portent
non seulement sur l’intention radicale qui finalise l’âme alors qu’elle entre
dans la mort, (à savoir l’amour égoïste ou l’amour de charité) mais aussi sur
les circonstances de ses actes qui ont participé à leur bonté ou à leur
perversion.
2. Il est
essentiel que la vie spirituelle de l’homme reste elle-même non seulement à
l’heure du choix (l’heure de la mort), mais aussi quand il vit de ce choix
(après la mort). Dieu respecte la liberté du choix définitif de ses créatures
en ne permettant pas que l’homme subisse une quelconque diminution. Ce n’était
pas le cas durant la vie terrestre dont la finalité était une préparation
progressive au choix par la croissance de la maturité et de l’humilité.
Objections :
1. Il semble que l’intelligence séparée
connaisse les réalités par simple intuition de leur essence et non de la même
manière qu’ici-bas, par abstraction à partir des images. En effet, le mode de
connaissance propre aux anges lui est nécessaire sous peine de ne pouvoir
connaître les réalités séparées des corps comme Dieu.
2. Les anges sont de purs esprits, de
nature supérieure à l’homme. Ils ne peuvent pas être vus à travers une image
sensible de leur essence. Dans cette hypothèse, la connaissance qui en
résulterait serait à la fois mensongère (puisque les anges n’ont pas de corps)
et insuffisante, puisque aucune image créée ne peut être adéquate à la
perfection spirituelle de leur nature.
3. Après la mort, l’intelligence subsiste
et a donc un mode d’exercice bien différent puisqu’elle est appelée à voir,
dans leur essence, les réalités immatérielles comme Dieu. Il lui convient alors
de connaître en se tournant vers ce qui est de soi intelligible, de la même
manière que les substances séparées. Dieu infuse à l’âme des espèces de la même
manière qu’il le fait pour les anges. L’âme y a part quoique sous un mode moins
élevé. Par l’intermédiaire de ces espèces, elle connaît ce qui lui est
nécessaire d’une manière intuitive et directe. Cette connaissance dépasse en
qualité et en sûreté ce qui existe sur terre tant à cause de la supériorité de
la lumière divine qu’à cause de l’absence de possibilité d’erreur issue des
phantasmes de l’imagination.
4. Ici-bas, c’est
parce que l’intellect agent extrait l’intelligibilité à partir des images
sensibles des choses que la connaissance est si fragile et soumise au risque
d’erreurs. En effet, les images sont trompeuses. La méchanceté n’est pas
inscrite sur les visages, de même que la quiddité n’apparaît pas de manière
évidente dans l’image des choses. Ce mode de connaissance paraît donc indigne
de l’autre monde.
Cependant :
Le propre de l’intelligence humaine est de connaître
les réalités spirituelles à partir de leur image sensible. Elle n’est pas de la
même nature que l’intelligence angélique, qui, n’étant pas naturellement unie à
un corps, connaît directement les essences des choses à l’aide de formes
intelligibles infusées au moment de leur création. Or Dieu meut chaque nature
selon son mode propre. Donc l’intelligence humaine connaîtra toujours en
s’appuyant sur les images.
Conclusion :
Nous avons montré qu’à l’heure de la mort comme
après la mort, l’âme conserve la partie sensible d’elle-même. L’acte
d’intelligence s’exerce donc en ayant recours aux images. Mais la connaissance
humaine peut se porter sur deux sortes d’objets. Certains lui sont par nature
inférieurs comme les réalités matérielles. D’autres lui sont supérieurs comme
les esprits, les anges et surtout Dieu.
1° En ce qui concerne la connaissance des
réalités matérielles, certains théologiens dont saint Thomas d’Aquin, ont
suggéré que l’intelligence humaine dans l’autre monde reçoit directement de
Dieu des espèces intelligibles de la même universalité que celles qui sont
données aux anges. Mais s’il en était ainsi, elle n’obtiendrait pas par ce
moyen une connaissance parfaite des réalités parce qu’elle n’a pas autant de
capacité intellectuelle que les anges. Sa connaissance serait seulement
générale et confuse. C’est ce qui se voit en quelque façon chez les enfants :
ceux en effet qui ont une intelligence plus faible, ne pénètrent parfaitement
les conceptions universelles des intelligences plus vigoureuses que si on leur
explique en détail. Or il est évident que, parmi les substances individuelles,
les âmes humaines sont, dans l’ordre de la nature au degré le plus bas.
C’est pourquoi il faut parler autrement. La limite
de la connaissance humaine ici-bas vient à la fois du fonctionnement pesant de
l’organe du cerveau et de l’obscurité des images des choses, qui ne sont qu’un
pâle reflet de l’extérieur de la réalité. Dans l’autre monde, ces deux limites
disparaissent.
D’abord, l’intelligence acquiert une nouvelle
facilité d’exercice puisque les organes du psychisme, qui participent à son
exercice, tout en subsistant, sont rendus plus subtils et légers. Le corps
psychique a la particularité d’être entièrement soumis à l’âme qui le fait
subsister sans que le poids de la matière moléculaire du cerveau vienne en
ralentir l’exercice. D’autre part, les images des choses deviennent beaucoup
plus lumineuses, allant jusqu’à révéler la nature intime des réalités
matérielles. Le sens devient absolument adapté à la perception de la matière
selon toutes ses dimensions, au point de pénétrer sa structure intime. Ainsi,
la connaissance humaine est perfectionnée au point que, sans quitter son
exercice naturel, elle devient capable de pénétrer par elle-même l’essence des
réalités matérielles, avec simplicité et sans erreur.
2° En ce qui concerne la connaissance des
réalités spirituelles, il faut parler différemment selon que l’on parle des
créatures ou du Créateur.
Lorsqu’il s’agit des créatures, hommes ou anges, les
témoins d’une expérience de mort approchée décrivent dans le détail une
surélévation de la connaissance qui reste tout à fait semblable, quant à son
mode de fonctionnement, à celle d’ici-bas. Ils racontent que la vision de
l’être de lumière (le Christ, un ange ?) comme celle des proches décédés se
fait à travers une perception sensible. Ils voient avec leurs yeux matériels un
corps de lumière dans le premier cas et un corps psychique semblable au leur dans
le deuxième cas. Mais ces corps ont la particularité de ne pas cacher
l’intériorité spirituelle. Bien au contraire, à travers ce corps, ils
obtiennent de manière immédiate et intuitive la connaissance de la nature et
des pensées actuelles de l’être à qui ils sont confrontés. C’est ce que nous
avons appelé la vision du corps glorieux[739]. En effet, le
corps sensible, tout en jouant son rôle habituel de médium pour la connaissance
de l’intelligible, n’est plus un obstacle mais un support parfait d’où l’intellect
agent peut extraire sans perte essentielle l’intelligibilité spirituelle. Il
permet d’entrer dans l’intimité de la personne à qui appartient ce corps.
Par
contre, lorsqu’on parle de la vision du Créateur, au moins de cette vision
directe et face à face que nous appelons Vision béatifique, on doit reconnaître
qu’aucune image sensible ne peut permettre à l’homme d’en connaître
l’intelligibilité. Dieu se fait donc, sans aucun intermédiaire créé, l’objet de
l’intelligence. Il s’agit d’un mode nouveau de connaissance où l’intellect
agent n’a pas de place, comme nous l’avons montré. [740]
Solutions :
1. Ce qui rend
cette question difficile, c’est d’abord la constatation des limites de la forme
de connaissance par abstraction des images, telle que nous l’expérimentons
ici-bas. Mais on doit répondre que ce n’est pas ce mode de connaissance qui est
limité. C’est son exercice tant à cause de la faiblesse de notre intellect
agent que de l’obscurité des images. Ces obstacles étant levés, la connaissance
humaine peut atteindre, selon la mesure de chacun, son objet, à savoir une
adéquation au réel délivrée de l’erreur à la réalité.
L’autre
difficulté vient du fait qu’il n’existe pas que des réalités unies à des corps.
Dieu en particulier ne peut être connu de cette manière. Cependant, nous avons
montré qu’à l’heure de la mort, une image sensible de Dieu communiquée à l’âme
par l’intermédiaire de la parousie du Christ ou d’un ange, suffit à fonder un
choix qui engage l’éternité. Qu’un tel choix définitif et sans erreur soit
possible pour la volonté alors qu’elle s’appuie sur une connaissance
intellectuelle extraite par l’intellect agent de l’image contemplée, montre le
haut degré de perfection de cette connaissance. Quand il s’agira de voir
l’essence de Dieu face à face, il en sera tout autrement comme nous l’avons
dit.
2. Pour communiquer avec les hommes, les
anges disposent de deux moyens. Ils ont le pouvoir de façonner pour nous une
image rayonnante quoique sensible de leur nature spirituelle, si parfaitement
adaptée à notre nature sensible qu’elle permet à notre intellect agent de
connaître avec une grande perfection leur essence supérieure. L’intellect agent
de l’homme est capable d’en extraire la quiddité et ce mode de connaissance lui
est à la fois naturel et performant. D’autre part, les anges ont le pouvoir de
communiquer directement dans l’intellect passif de l’homme des concepts, de la
même manière qu’ils procèdent entre eux pour communiquer. Mais ce deuxième type
de connaissance, très supérieur à la capacité naturelle de l’intelligence
humaine, est pour nous source d’une connaissance moins parfaite car elle est
moins adaptée à notre nature. C’est de ces deux manières, semble-t-il, que
procède l’ange de la mort par la manifestation d’un corps de lumière. Et elles
sont suffisantes pour donner, sans erreur, une connaissance de ce qui est utile
au choix de l’âme.
3. Nous l’avons dit, ce mode de
connaissance par infusion directe des concepts dans l’intelligence est possible
mais insuffisant pour une connaissance parfaite adaptée à l’homme. C’est
pourquoi elle est portée et accompagnée par une connaissance sensible et
abstractive.
4. Sur terre, les
images sont trompeuses car Dieu a voulu que les corps ne livrent que la partie
superficielle de leur rayonnement sensible. Il a permis ce secret des choses
dans le but unique de soumettre l’homme à l’expérience de la faiblesse de sa
nature. C’est une première école dont le but est l’acquisition, si ce n’est de
l’amour, au moins de l’humilité. Dans l’autre monde, il n’en est plus ainsi.
L’heure du choix libre étant arrivée, le visage des méchants comme des bons
manifeste à nu l’état de leur âme. La vérité et la bonté ne sont plus séparées
de la beauté. Il est impossible de dissimuler. Les corps physiques rayonnent de
la structure de leur organisation. C’est pourquoi la connaissance à partir des
images ne laisse plus de place à l’erreur.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’elle s’exerce en
restant immuablement fixée sur l’objet de son élection car le libre arbitre est
une propriété de la volonté qui ne peut disparaître de cette manière après la
mort.
2. On prétend que
la volonté reste fixée sur son objet à cause de l’infaillibilité de l’intelligence
qui lui présente le bien et le mal. Or l’intelligence, même après la mort, peut
se tromper puisqu’elle peut conduire l’âme à se séparer de Dieu. Il doit donc
être possible que, se rendant compte de son erreur, elle revienne en arrière.
Cependant :
La volonté est l’appétit intellectuel. Elle suit le
mode d’exercice de l’intelligence. Si donc l’intelligence lui présente d’une
manière parfaite et limpide un bien, elle s’y porte d’un seul coup et ne
revient pas sur son choix.
Conclusion :
Après la mort, la volonté de l’homme se porte vers
son objet d’une manière entière et définitive. La cause de cette stabilité, il
faut la prendre dans la condition de l’état qui suit la séparation d’avec le
corps physique. L’intelligence appréhende infailliblement son objet à la
manière dont nous saisissons tout de suite les premiers principes et en avons
l’intuition. La connaissance est parfaitement adaptée à l’homme. Elle devient
limpide et dénuée d’erreur sur le bien et le mal. La volonté, quant à elle, se
comporte par rapport à l’intelligence qui la meut comme le mobile par rapport
au moteur. Elle suit donc l’intelligence et se porte immuablement vers ce
qu’elle lui présente comme un bien de la même façon que celle-ci adhère
immuablement au vrai. Si donc nous considérons l’âme séparée avant son
adhésion, elle peut librement se fixer sur tel objet ou son contraire (sauf
s’il s’agit d’objets voulus naturellement comme le bonheur). Mais, après cette
adhésion, elle se fixe définitivement sur l’objet de son choix. De là vient que
l’on a coutume de dire que le libre arbitre de l’homme, tant qu’il est sur la
terre, est capable de se porter sur des objets opposés aussi bien avant
l’élection qu’après ; tandis que le libre arbitre de l’homme après sa mort est
capable de se porter vers des objets opposés avant l’élection mais pas après.
Solutions :
1. C’est en pleine liberté que la volonté
se porte sur son objet et ne varie plus. Elle ne veut plus revenir sur son
choix à cause de la parfaite connaissance du bien qui l’a orienté et qui ne
peut, à cause de sa perfection, varier au cours du temps. Si la volonté humaine
varie dans ses choix tant qu’elle est soumise aux conditions terrestres, c’est
à cause de la connaissance de notre intelligence liée aux sens, qui est
progressive et mobile ouverte vers les contraires.
2. Quand l’âme
choisit de se séparer de Dieu, elle le fait à cause d’un certain bien qui lui
paraît suffisamment absolu pour relativiser le mal des peines de l’enfer. Ce
bien est l’exaltation de soi. Une telle détermination de l’intelligence est
suffisamment lucide et sûre pour ne pas varier en enfer, d’où l’obstination des
damnés et l’éternité de l’enfer.
Objections :
1. L’homme est par nature un être sensible.
Il ne peut donc communiquer qu’à travers des signes sensibles comme le langage
articulé. Après la mort, il n’y aura plus de langage articulé puisque le corps
physique aura disparu. Donc il sera impossible de communiquer avec les autres.
2. Il y a deux sortes de langage : le
langage intérieur par lequel on se parle à soi-même, et le langage extérieur
par lequel on parle à un autre. Mais le langage extérieur se fait au moyen d’un
signe sensible comme la parole, le geste ou à l’aide d’un membre corporel comme
la langue ou le doigt : toutes choses qui ne peuvent convenir à une âme
séparée.
3. L’ange est
d’une nature intellectuelle supérieure à l’âme séparée. Il conçoit des pensées
d’une intelligibilité supérieure que l’âme humaine ne peut saisir à cause de sa
faiblesse. On doit donc dire que les anges ne peuvent communiquer avec les âmes
séparées.
Cependant :
Le jugement individuel de l’âme a lieu après la
séparation de l’âme et du corps. Or ce sera un jugement public. Il est
nécessaire que l’âme puisse entrer en contact avec ses accusateurs, ses
défenseurs et ses juges. Donc une âme peut communiquer avec d’autres âmes.
Conclusion :
Après la séparation de l’âme et du corps physique,
l’intelligence humaine s’exerce dans son mode habituel mais avec une nouvelle
perfection grâce à l’extrême agilité et légèreté du corps psychique qui lui
reste uni. Elle trouve donc son exercice parfait et découvre à quel point
l’état terrestre était handicapant. C’est ce que pourrait signifier le mythe de
la caverne de Platon.
Or quand un homme ici-bas veut communiquer avec un
autre, il le fait selon le mode de son intelligence, c’est-à-dire qu’il
manifeste par les signes sensibles que sont les mots et le langage articulé, le
concept mental qu’il porte en lui. Il doit convertir sa pensée sous forme d’une
élocution et il appartient à l’autre de convertir à nouveau cette élocution en
un contenu conceptuel.
Dans l’au-delà, un tel langage sera possible puisque
l’intelligence sera liée à son corps psychique. Il ne sera plus nécessaire
puisque le langage pourra avoir un nouvel exercice bien supérieur. Nous avons
dit en effet que le corps psychique a la propriété d’être lumineux en ce sens
qu’il ne constitue plus un obstacle entre l’intériorité de l’être et celui qui
le voit. Il y aura donc un langage nouveau, propre à l’homme transporté dans
l’autre réalité et très original. Il suffira de regarder le corps de l’autre
pour comprendre son intériorité et la pensée qu’il voudra communiquer. Si une
âme, par sa volonté, ordonne son concept mental en vue de le manifester à une
autre âme, aussitôt cette dernière en prendra connaissance en lisant le visage
lumineux de l’autre : de cette manière, l’âme pourra parler à une autre âme.
Car parler à autrui, ce n’est pas autre chose que lui manifester sa propre
pensée. Le langage sera universel puisqu’il ne passera pas comme ici-bas par
des signes conventionnels ; d’autre part, il sera parfait puisque les
"mots" employés seront les concepts eux-mêmes. Chacun pourra exprimer
ses pensées sans être trahi par les mots.
Solutions :
1. Il convient que l’intelligence humaine
s’exprime par l’intermédiaire de signes venant du corps à cause de l’opacité du
corps ici-bas. Cependant, cet état de la matière n’est que provisoire et lié à
la "vallée de larmes" où l’homme est en apprentissage. Cependant, par
nature, le corps peut prendre d’autre mode de fonctionnement comme on le voit à
l’heure de la mort où seule sa partie psychique demeure et à la résurrection où
le corps physique palpable sera rendu.
2. Le langage extérieur qui se fait par la
voix ne nous est nécessaire qu’à cause de l’obstacle du corps non « lumineux ». C’est pourquoi il ne convient ni aux anges ni aux âmes séparées
qui ne connaissent que le langage intérieur. Or ce langage ne consiste pas
seulement à se parler à soi-même en formant un concept, mais aussi à ordonner,
par le moyen de la volonté pour les anges et de la sensibilité pour les hommes,
le concept en vue de le manifester à un autre. Ainsi, ce n’est que par
métaphore qu’on parle de la langue des purs esprits pour signifier la puissance
qu’ils ont de manifester leur pensée.
3. L’ange a la
capacité d’adapter les concepts intelligibles qu’il conçoit à la portée de
l’intelligence à qui il les communique, de la même manière que le professeur
dont la science est supérieure à celle de l’élève peut tout de même la lui
communiquer progressivement. L’ange a reçu de Dieu une faculté de produire des
images sensibles de ce qu’il veut communiquer aux hommes, comme on le voit dans
les nombreuses apparitions relatées par la Bible. Il lui est donc tout à fait
possible de communiquer avec les hommes.
Objections :
1. Cela semble possible. L’âme humaine,
lorsqu’elle est séparée du corps, devient comme un ange selon saint Marc[741]. Or les anges ont la capacité naturelle
de savoir ce que font les hommes sur la terre, sans quoi ils ne pourraient être
envoyés en mission auprès d’eux. Il doit en être de même pour les hommes.
2. L’intelligence est faite pour connaître
ce qui est. Si donc elle ne peut connaître ce qui se passe sur la terre après
la mort, c’est qu’elle est frustrée de son objet. Or une telle frustration ne
peut être naturelle car un être ne peut aspirer à une chose qui est hors de sa
portée. Donc l’intelligence humaine peut voir ce qui se passe sur la terre.
3. Les âmes qui sont au paradis voient les
hommes puisqu’il est recommandé de leur adresser nos prières de demandes. Si
elles leur étaient inconnues, de telles prières seraient inutiles ce qui est
contraire à la foi.
Cependant :
Job
écrit à propos des morts : « Si ses
fils sont honorés, il ne s’en rend pas compte ».[742] Donc l’âme séparée ne peut voir les
hommes qui sont sur terre.
Conclusion :
L’âme
séparée du corps physique peut exercer l’acte des facultés sensibles puisque
ces facultés demeurent, comme nous l’avons montré[743]. Elle peut donc de manière naturelle
voir les hommes qui sont sur la terre, du moins si on entend par là la vision
corporelle qui se fait avec les yeux. De plus, les témoins d’une mort approchée
affirment que leurs sens s’exercent de manière plus performante. Ils ont accès
de manière directe aux images présentes dans la pensée des hommes qui sont
autour d’eux.
Cependant,
une telle théorie semble contredire les diverses autorités de l’Écriture comme
les paroles de Job qui veulent décrire l’état des âmes justes conduites dans
les limbes des patriarches. Elle contredit aussi les récits de ceux qui ont
approché la mort et qui racontent passer dans une autre dimension séparée de la
nôtre et ouverte par le passage dans un tunnel noir. Il semble donc qu’on doive
affirmer que les âmes séparées ne peuvent voir les actions des hommes qui sont
sur la terre, non par nature mais à cause d’une disposition de Dieu.
Pour
le comprendre, il faut saisir la raison de la séparation entre le monde des
morts et celui des vivants. Elle correspond à une volonté explicite de Dieu qui
conduit par étape l’homme à la vision de sa lumière. Avant la mort, l’homme vit
une première étape de purification dont la finalité commune pour tous est la
découverte de sa propre misère. Pour se faire, le gouvernement de Dieu consiste
à laisser l’homme dans les propres lois de son péché. Dieu se cache et ordonne
à ceux qui sont avec lui de se cacher. Il n’intervient que très rarement et par
exception de manière directe (miracles, apparitions, prophéties). La deuxième
étape est la mort elle-même où Dieu révèle sa lumière. Mais tant que l’homme
est encore en chemin, qu’il n’est pas entré dans la pleine lumière de la
Vision, il lui est difficile de comprendre les raisons de cette séparation. Sa
tendance naturelle consisterait plutôt à se montrer et à témoigner auprès des
vivants de ce qu’il fait. En agissant ainsi, il compromettrait le plan de Dieu
et nuirait dangereusement à la préparation spirituelle des hommes. C’est
pourquoi le Seigneur interdit strictement la pratique de l’évocation des morts
selon le Deutéronome : « On ne trouvera
chez toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique
divination, incantation, mantique ou magie, personne qui use de charmes, qui
interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces
choses est en abomination à Yahvé ton Dieu, et c’est à cause de ces
abominations que Yahvé ton Dieu chasse ces nations devant toi. »
Après
l’entrée de l’âme dans la Vision, il en est tout autrement. Non seulement les
saints voient en voyant Dieu tout ce qu’ils désirent, mais ils peuvent, à leur
simple désir, se rendre sur terre auprès de chacun. Ils ont entière liberté
pour cela car leur volonté est totalement une avec Dieu. S’ils prennent une
quelconque initiative, elle ne peut qu’être celle de Dieu tant leur volonté est
une avec celle de Dieu.
Solutions :
1. La nature intellectuelle de l’ange étant
supérieure, elle peut recevoir de Dieu des espèces intelligibles suffisamment
lumineuses pour connaître les choses en leur nature universelle et aussi en
leur singularité. Il n’en est pas de même pour les âmes qui sont incapables de
saisir les singuliers à travers des formes universelles. Elles doivent donc en
recevoir la science à travers le sensible, ce qui leur est possible dans la
mesure où elles restent unies à leurs sens après la mort. Etant séparées du
monde des vivants, cette perception leur est interdite tant qu’elles n’ont pas
achevé le chemin de leur purification. Cependant, les âmes des morts peuvent
recevoir certaines nouvelles des vivants à travers des révélations constantes
des esprits supérieurs et à chaque fois qu’une âme les rejoint en passant par
la mort. Mais une telle connaissance est indirecte. Donc les âmes qui ne sont
pas dans la Vision béatifique ne peuvent voir ce que les hommes font sur terre.
2. Une faculté peut être empêchée
d’atteindre son objet à cause d’un obstacle extérieur à elle-même. Ainsi
l’aveugle ne peut voir les couleurs non à cause de l’absence de la faculté de
voir qui existe réellement dans son âme mais à cause d’un obstacle dans l’instrument
de la vision qui est l’œil. De même, après la mort, l’intelligence ne peut
connaître ce qui se passe sur la terre à cause de la séparation provisoire que
lui impose Dieu, pour le bien de sa purification.
3. Les âmes glorifiées voient nos actions
de trois manières : 1° À travers
l’essence de Dieu qu’elles contemplent face à face et qui porte en elle tout ce
qui est connaissable dans le monde ; 2°
D’autre part, elles reçoivent de la part des anges avec qui elles sont unies
par la charité des révélations intimes et intuitives concernant le gouvernement
de Dieu sur les habitants de la terre. 3°
Enfin, elles peuvent se rendre elles-mêmes sur la terre et voir, de leurs yeux
sensibles et par les sens intérieurs nos actions. Elles le font sans voyeurisme
mais dans la même attitude intérieure que Dieu quand il nous voit, à cause de
leur union totale à la sainteté de Dieu.
Objections :
1. Cela semble confirmé par le témoignage
de nombreux hommes dignes de foi qui prétendent avoir vu apparaître des âmes
défuntes du purgatoire ou même des saints du Ciel, comme Jeanne d’Arc pour
sainte Catherine ou encore des âmes de l’enfer, comme les enfants de Fatima.
2. Dans le livre de Samuel, on voit le roi
Saül évoquer l’esprit du prophète Samuel par le ministère d’une nécromancienne[744] : «
Elle vit un spectre qui monte de la terre, il ressemblait à un vieillard
drapé dans un manteau. » Ceci semble
prouver que les esprits des morts peuvent apparaître, au moins en s’appuyant
sur la médiation d’un médium.
3. Il serait inutile de prier les saints
pour soi-même ou pour les autres s’ils ne pouvaient en aucune manière agir
efficacement en retour. Or celui qui peut agir peut aussi apparaître, donc les
âmes séparées peuvent apparaître aux hommes.
4. Selon le Seigneur[745] : «
Nous serons comme des anges. » Or
les anges peuvent agir sur les hommes et leur apparaître en se façonnant un
corps apparent. Donc les âmes séparées peuvent apparaître aux hommes.
5. L’expérience montre que, en invoquant
les esprits des morts par des méthodes spirites, on obtient des réponses par
l’intermédiaire d’un langage codé ou encore d’apparitions fantomatiques.
Cependant :
Le
riche, plongé dans l’Hadès, supplie Abraham d’envoyer quelqu’un auprès de ses
cinq frères vivants sur terre. Il n’aurait pas parlé ainsi s’il avait pu le
faire lui-même. Donc les âmes séparées ne peuvent pas apparaître aux hommes.
Conclusion :
L’âme
humaine séparée du corps physique ne peut apparaître aux hommes, du moins si
elle s’appuie sur les seules forces de sa nature. La raison en est qu’elle est,
parmi les natures spirituelles, la moins parfaite de toutes. Plus une nature
spirituelle est parfaite, plus la connaissance qu’elle a des réalités est
universelle et simple. Et c’est un principe dans toute la création que la
capacité d’action suit l’universalité de la connaissance. Ainsi Dieu qui est
l’essence de la perfection connaît toutes choses à travers un seul concept qui
est sa propre essence. La puissance de son action est proportionnée à la
perfection de son esprit : ainsi Dieu peut-il tout faire de ce qui est
faisable. Les anges qui sont intermédiaires entre Dieu et les hommes
connaissent par l’intermédiaire de diverses espèces intelligibles. Plus ils
sont proches de Dieu par leur essence, plus leur connaissance naturelle se
simplifie et s’approfondit. Par leur seule puissance intellectuelle, et sans
nécessité de facultés de connaissances sensibles, ils sont capables de
connaître tous les singuliers matériels. Aussi sont-ils par nature capables de
mouvoir tous les corps matériels, par la seule puissance de leur esprit. Ils
peuvent apparaître aux hommes en se façonnant des corps provisoires, comme on
le voit dans le livre de Tobie à propos de l’ange Raphaël [746] : «
Vous avez cru me voir manger ; ce n’était qu’une apparence. » De même, les anges peuvent influencer
les hommes soit en agissant sur l’organe de leur imagination, soit en mouvant
de l’extérieur leur faculté motrice ce qui peut être vu dans les cas de
possessions démoniaques.
L’homme
enfin, qui est le plus faible des esprits ne connaît les réalités que
progressivement, à travers ses sensations dont il abstrait l’intelligible. Sa
connaissance part donc du singulier. De même, il est ordonné par nature à ne
mouvoir qu’un seul corps qui est le sien. Il lui est impossible d’imprimer un
mouvement à autre chose par la seule action de sa volonté. Tout mouvement local
imprimé à un autre corps passe par l’intermédiaire de son propre corps. Cet
instrument peut être la main ou, plus rarement, un magnétisme émis par le
psychisme comme on le voit chez ceux qui déplacent de minuscules objets à
distance. Il s’agit d’une faculté très faible et exceptionnelle qui joue
surtout dans le domaine des particules.
Après
la mort, tout lien étant coupé avec son corps physique, l’âme devient par les
seules forces de sa nature incapable de provoquer une action sur les corps
physiques, sauf pour l’exception suivante : étant encore unie à son corps
psychique, elle garde semble-t-il tout de même un certain pouvoir de réaliser
par elle-même quelques signes faibles et fragiles de sa présence. Elle ne peut
donc se faire entendre ou apparaître par elle-même que de manière débile et
inefficace (apparitions fantomatiques, impressions de froid). De même, étant
incapable de savoir ce que font les hommes, comme on l’a montré précédemment,
elle se trouve plongée dans un autre monde, selon saint Luc[747] : «
Entre nous et vous, un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient
passer d’ici chez vous ne le puissent, et qu’on ne traverse pas non plus de là
bas chez nous. »
Solutions :
1. Il peut arriver que des défunts
apparaissent aux hommes, mais ces apparitions ne sont pas dues aux seules
capacités de leur puissance naturelle. Elles sont provoquées par le ministère
des anges qui les ordonnent au bien de l’homme : ainsi, la misère des âmes de
l’enfer rappelle aux tièdes la gravité extrême du péché mortel ; la détresse
des âmes du purgatoire les invite à offrir leurs prières pour leur salut
définitif ; quant aux saints du paradis, ils peuvent apparaître à volonté
puisqu’ils sont surélevés par la puissance de Dieu qui les rend plus puissants
que les anges. Ils manifestent aux hommes la proximité de leur aide.
2. À propos de cette apparition de Samuel,
saint Augustin écrit[748] : «
Il n’est pas déraisonnable de croire que, par une permission de Dieu, et
par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l’âme d’un juste,
sans subir aucunement l’influence des artifices et de la puissance magique, ait
pu se montrer aux regards du roi, qu’il devait frapper du jugement de Dieu. Ou
bien, il faudrait penser que ce ne fut pas vraiment l’esprit de Samuel, arraché
à son repos, mais un fantôme et une illusion imaginative, produite par les
artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui donnerait alors le nom de Samuel
en suivant le procédé commun, qui consiste à donner le nom des choses aux
images qu’elles représentent. » La
plupart du temps, lors des séances de spiritisme, ce ne sont pas les morts qui
apparaissent mais les démons qui trouvent par ce moyen un mode efficace d’accès
à l’intelligence de l’homme naïf. Lorsqu’il s’agit des morts eux-mêmes, ce ne
sont pas les âmes saintes du paradis qui réprouvent avec Dieu ces pratiques,
mais les esprits errants et peu évolués de morts qui s’appuient sur le
psychisme d’un médium ou du groupe. Dans ce cas, les messages sont à leur
image, très mondains.
3. Les âmes qui sont dans la vision de Dieu
sont en quelque sorte une seule chose avec Dieu puisque leur volonté est
parfaitement conforme à celle de Dieu. Elles ne veulent donc rien d’autre que
ce que Dieu veut. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’apparaître aux vivants,
elles sont revêtues de la puissance divine qui les en rend capables. Mais elles
ne peuvent se rendre visibles sans cette aide de Dieu ou des anges, à la
différence du Christ et de la vierge Marie qui, étant unis à leur corps,
peuvent apparaître par eux-mêmes.
4. Dans l’au-delà, les âmes seront comme
les anges en ce sens que leur esprit s’exercera de manière analogue en
perfection et acuité à celle des anges mais non en ce qu’il aura la même
puissance que le leur. C’est pourquoi, le fait que les anges puissent
apparaître ne prouve pas que les hommes le puissent par eux-mêmes.
5. La pratique de l’évocation des esprits
est strictement interdite par le Seigneur[749] : «
Celui qui s’adresse aux spectres et aux devins, se prostituant à leur
suite, je me tournerai vers cet homme là et je le retrancherai du milieu de son
peuple. » De même l’Église a renouvelé
sans cesse ces interdictions. La raison en est que celui qui s’adonne à de
telles pratiques en arrive immanquablement, à cause de la fascination que
provoque sur lui l’enseignement des esprits, à perdre la foi en Dieu pour se
tourner vers le culte des "dieux" de l’au-delà, ce que la Bible
appelle se prostituer. Et il est certain que les esprits qui se manifestent aux
spirites ne sont pas les bons anges puisque ces derniers suivent en tout les
volontés de Dieu exprimées par l’Écriture et l’Église et qui interdisent ces
pratiques. Ce ne peut être que très faiblement les esprits des morts puisqu’ils
sont pratiquement incapables par nature sans l’aide préalable de la puissance
des anges ou de Dieu de se manifester clairement aux vivants. La plupart du
temps, il s’agit donc de l’action des anges rebelles, c’est-à-dire des démons
qui n’hésitent pas à se déguiser en prenant l’apparence des esprits des morts
pour mieux nuire aux hommes. En effet, leur pouvoir sur nous est habituellement
limité à celui de la tentation qui consiste à incliner nos penchants sensibles
vers des actes mauvais. Dans le spiritisme, leur pouvoir atteint directement
l’intelligence de l’homme qu’ils peuvent enseigner à volonté.
Il
nous faut maintenant regarder le jugement individuel.
A ce
sujet, nous nous demanderons :
1° Y a-t-il un jugement individuel qui
suit immédiatement la mort ?
2° L’âme arrive-t-elle au jugement dernier
en état de mérite ou de démérite ?
3° Toutes les âmes passent-elles en
jugement ?
4° Est-ce l’âme qui se juge elle-même ?
5° Est-ce Jésus sous la forme de son
humanité qui juge l’âme ?
6° Aussitôt arrivées dans l’autre monde,
les âmes reçoivent-elles leur récompense ou leur châtiment ?[751]
Objections :
1. Il ne semble pas que le jugement
individuel suive immédiatement la mort. Le terme de ce jugement est en effet
l’attribution d’une peine ou d’une récompense éternelle. Or saint Augustin dit[752] : «
Dans l’intervalle entre la mort et la résurrection générale, les âmes
habitent des demeures mystérieuses, suivant que chacune a mérité le repos ou la
peine. » Or ces demeures ne sauraient
signifier le Ciel ou l’enfer où les âmes seront avec leur corps après la
résurrection, car alors la distinction faite par le saint docteur entre le
temps qui précède la résurrection et celui qui la suit n’aurait plus de sens.
2. La gloire de l’âme est supérieure à
celle du corps. Or la gloire corporelle sera donnée à tous en même temps, afin
que la joie de chacun soit comme multipliée par la joie de tous, comme le dit
la glose. Donc, à plus forte raison, la gloire des âmes doit-elle être différée
jusqu’à la fin du monde où elle sera donnée à tous en même temps. Ainsi, il
semble que le jugement individuel n’aura lieu qu’à ce moment, en même temps que
le jugement général.
Cependant :
Saint
Paul dit[753] : «
Nous savons que si cette tente, notre demeure terrestre, vient à être détruite,
nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui
n’est pas faite de main d’homme, dans le Ciel. » Si cette demeure est éternelle, c’est qu’elle ne doit jamais être
changée. Donc les âmes sont jugées à
l’instant qui suit leur entrée dans l'autre monde[754]. Cette vérité est proclamée avec
évidence par les Écritures canoniques, les ouvrages des saints Pères et la
définition solennelle de Benoît XII. Sa négation doit donc être regardée comme
hérétique.
Conclusion :
De
même que la gravité ou la légèreté porte les corps au lieu qui est le terme de
leur mouvement, de même le mérite ou le démérite conduit les âmes à la
récompense ou au châtiment qui sont le terme de leur activité. De même donc que
si rien n’y met obstacle, les corps obéissent à la gravitation et atteignent le
lieu qui leur convient, de même les âmes, après la rupture du lien corporel qui
les retenait ici-bas, reçoivent du juge souverain la sentence de leur
récompense ou de leur châtiment. Tel est le but du jugement individuel.
Il
reste à comprendre de quelle manière on peut dire qu’il ne reste plus
d’obstacle à ce que l’âme reçoive la sentence de son destin éternel juste après
la mort. À l’heure de la mort, nous l’avons montré, l’homme a été conduit par
une série de révélations à poser un choix définitif qu’il ne pourra ni ne
voudra jamais changer. Il n’existe donc plus de motif de la part de Dieu pour
retarder l’obtention de ce choix. La vie terrestre ne permettait des retours
sur les choix qu’à raison de son rôle éducatif et provisoire. C’est pourquoi,
juste après la mort, l’âme est conduite en enfer et, dès qu’elle s’est
totalement purifiée des restes de son péché, au paradis. On doit donc affirmer
que le jugement individuel qui réalise l’attribution de ces peines ou de ces
récompenses suit immédiatement la mort.
Solutions :
1. Parmi les demeures mystérieuses dont
parle saint Augustin, il faut ranger le Ciel et l’enfer ou il y a des âmes même
avant la résurrection de la chair. Ce qui distingue le temps qui précède celle-ci
et le temps qui la suit, c’est l’absence où la présence du corps physique, et
aussi le fait que certaines demeures qui contiennent aujourd’hui des âmes n’en
contiendront plus après la résurrection, (le purgatoire).
2. Le corps crée une espèce de continuité
entre tous les hommes. C’est par lui que se vérifie cette parole des actes[755] : «
D’un seul homme, Dieu a fait sortir tout le genre humain. » Au contraire « Dieu a créé chacune des âmes. » La glorification simultanée de toutes les âmes s’impose donc
moins que celle de tous les corps. De plus la gloire du corps est moins
essentielle que celle de l’âme. L’ajournement de celle-ci causerait donc aux
saints un préjudice d’autant plus grave, et que ne suffirait pas à compenser le
supplément de joie que chacun recevrait de la joie de tous. Donc il convient
que le jugement individuel de chaque âme ne soit pas différé après la mort.
Objections :
1. Il semble que certaines âmes n’arrivent
pas en état de mérite ou de démérite par rapport à la vie éternelle. Car le
mérite comme la justification impliquent le libre arbitre. Il semble donc que
les enfants morts prématurément ne méritent ni de déméritent puisque leur
esprit est incapable par nature de se porter vers un bien.
2. De même ceux qui n’ont jamais entendu
parler durant leur vie terrestre de la béatitude préparée par Dieu, comme ceux
qui ont vécu avant la venue du Christ ou ceux qui, après sa venue, n’ont pas
reçu la prédication évangélique, ne peuvent être en état de mérite ou de
démérite par rapport à ce qu’ils ne connaissent pas.
3. Une tradition attestée par les Pères
décrit un séjour des morts appelé « mort,
shéol. » Ces âmes errent entre deux mondes,
sans but. Elles ne sont donc ni en état de mérite, sinon elles seraient
dirigées vers le paradis, ni de démérite sinon elles se détermineraient vers
l’enfer. Donc…
Cependant :
Après
sa mort, l’âme reçoit la sentence du juge qui la fixe dans son avenir éternel.
Or le jugement divin ne peut qu’être juste et attribuer à chacun la récompense
de ses œuvres. L’âme est donc nécessairement en état de mérite ou de démérite
par rapport à cette rémunération.
Conclusion :
Nous
avons montré précédemment que tout homme recevait de la part de Dieu durant sa
vie terrestre la possibilité de vivre de la grâce et d’être justifié. Si cette
révélation n’est pas donnée durant la vie, elle est alors reçue au moment de la
mort. Elle se fait d’une façon suffisamment claire pour chaque homme de manière
que le libre arbitre s’ouvre à la gloire ou au contraire la rejette d’une
manière pleinement responsable[756]. L’âme est donc introduite dans la mort
de telle manière qu’elle est pleinement en état de mérite ou au contraire de
démérite par rapport à la vie éternelle. Or le mérite vient du fait qu’on a
établi son intention dans la recherche exclusive de Dieu et de sa volonté comme
fin dernière de sa vie, ce qui se réalise par la charité. Le démérite au
contraire est la conséquence d’une intention qui s’établit dans la recherche de
soi-même comme fin dernière de toutes ses activités. La première de ces
intentions étant fondée sur la grâce mérite de la part de Dieu qui en est la
cause première, l’introduction dans la gloire. La seconde mérite au contraire
la séparation définitive avec Dieu que l’homme rejette.
Solutions :
1. Le cas des enfants morts prématurément
est à considérer à part à cause de l’absence chez eux d’un libre arbitre
personnel. Comme tout être spirituel, ils sont appelés par Dieu à la Vision
béatifique mais ils ne peuvent y être introduits que de la manière qui convient
aux êtres spirituels : dans sa liberté souveraine, Dieu ne veut s’unir à sa
créature que si elle-même le désire dans un acte de charité. Pour ce faire,
deux conditions sont requises :
1° Il faut que l’enfant puisse poser un
acte libre. Dieu doit donc remédier à son incapacité naturelle. Nous verrons
qu’il le fait par une éducation qui vient réaliser dans leur esprit ce
qu’aurait dû accomplir l’apprentissage de la terre. Il le fait aussi par la
puissance sensible de l’apparition des saints et des anges dont l’image est
capable, de manière adaptée à la faiblesse de l’esprit enfantin, de faire
naître une vraie vie de connaissance et de volonté active.
2° Il faut en outre que l’enfant puisse se
tourner vers Dieu et le désirer. Cet acte de charité n’est possible que par
l’infusion de la grâce surnaturelle ce qui présuppose le pardon du péché
originel et la proposition explicite de la grâce. Parmi les enfants, certains
ont été baptisés soit par le baptême d’eau reçu de l’Église, soit par le
baptême que leurs parents ou leurs proches ont désiré pour eux sans pouvoir
leur administrer. D’autres, ayant été abandonnés ou oubliés par leurs parents
avant leur naissance, sont adoptés et baptisés à la demande des habitants du
paradis par le nouvel Adam et la nouvelle Ève, à savoir Jésus et Marie. Grâce à
ces diverses formes de baptême, tous les enfants ont en eux la grâce
sanctifiante. De ceci ressort que les enfants, après s’être tournés vers Dieu
dans l’innocence de leur âme, arrivent au jugement en état de mérite par
rapport à la vie éternelle.
2. Même avant la venue du Christ, les âmes
recevaient la prédication du salut qui allait être bientôt réalisé par la
naissance, la mort et la résurrection du Christ. Le contenu de cette révélation
n’était pas alors aussi riche et précis que celui reçu de nos jours par les
hommes à l’heure de leur mort mais il suffisait pour établir leur âme dans
l’espérance future du salut. Depuis toujours, pour pouvoir effectuer son choix
de manière lucide, l’homme devait simplement croire que Dieu est lumière et
amour et qu’il propose la Vision béatifique à celui qui l’aime. Il devait aussi
espérer la venue prochaine d’un Messie de cet Évangile.
Et
cette espérance ou ce refus d’espérer leur valait déjà de mériter ou de
démériter par rapport à la vie éternelle que Jésus vint leur révéler en
plénitude après sa passion[757] : «
Il s’en alla même prêcher aux esprits en prison. » En attendant cette révélation, les âmes séjournèrent dans les
limbes des patriarches, autrement dit l'un des "enfers" selon
cette parole de Jacob[758] : «
S’il arrivait malheur à Benjamin, vous feriez descendre mes cheveux blancs
avec douleur dans les enfers. » Si
avant la venue du Christ, les âmes des justes ne furent pas immédiatement
introduites dans le repos éternel et parfait de la vision de l’essence divine,
c’est parce que l’obstacle du péché qui mérite en stricte justice la séparation
d’avec Dieu n’avait pas encore été enlevé par le Christ, selon cette parole « il a pris sur lui notre péché, le
châtiment qui nous rend la paix est sur lui et dans ses blessures nous trouvons
la guérison »[759].
Quant
aux enfers, il ne faut pas les confondre avec l’enfer tel que nous en parlons
aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de l’état des réprouvés, mais du séjour
des morts, qu’ils soient justes, en voie de purification ou déjà saints. Toutes
ces âmes avaient en commun d’être séparées de la Vision béatifique de Dieu et
en ce sens, il s’agit bien d’enfers, c’est-à-dire de lieux inférieurs. 1° Mais les unes étaient séparées de
Dieu à cause d’un obstacle provisoire que le Christ devait enlever. Leur séjour
était l’enfer des justes, (appelé par l’Écriture le sein d’Abraham car Abraham
est le signe de ceux qui croient, le grand exemple de la foi présenté par la
Bible, puisqu’il se sépara de la multitude incroyante et reçut le signe de
l’Alliance avec Dieu). Il s’agissait d’un état d’où la souffrance était exclue
puisqu’il n’y avait pas de faute à expier. Mais le repos dont jouissait l’âme
des justes était imparfait car le désir subsistait, la fin dernière restant
encore à atteindre. 2° En outre,
certaines âmes étaient déjà, avant la venue du Christ, séparées de Dieu à cause
de leur volonté obstinée dans le mal. Ce sont les âmes de l’enfer des damnés
qui se distingue de l’enfer des justes car il est l’état définitif de ces âmes
obstinément fixées dans le blasphème contre le Saint Esprit de Dieu. 3° En troisième lieu, l’Écriture Sainte
oblige à supposer l’existence, dès avant la rédemption opérée par le Christ,
d’un "enfer" correspondant au purgatoire dont parle actuellement
l’Église et où les âmes saintes, ayant cependant quelque reste du péché,
séjournaient dans une attente douloureuse. C’est ce qu’enseigne avec netteté le
livre des Maccabées[760] : «
Judas fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent
délivrés de leurs péchés. » Il semble
qu’il s’agit de la demeure où fut conduit l’homme riche dont parle Jésus dans
l’Évangile de saint Luc[761] : «
Dans l’Hadès, en proie à des tortures, le riche lève les yeux et voit de
loin Lazare en son sein. Alors il s’écrit : père Abraham, aie pitié de moi et
envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la
langue, car je suis tourmenté par cette flamme. » En tout état de cause, de ces trois enfers, seuls subsistent
aujourd’hui les deux derniers car les âmes des justes qui séjournaient dans le
sein d’Abraham furent toutes introduites dans la gloire du Ciel au soir du
vendredi saint, au moment où, symbolisant cet évènement, le rideau du temple se
déchirait.
Quant
au jugement individuel qui aboutissait dès avant l’incarnation du Verbe à la
distinction des âmes, on peut supposer qu’il était réalisé par l’apparition au
moment de la mort d’un envoyé glorieux mandaté par Dieu, capable de manifester
avec puissance et clarté la certitude du Salut à venir : sans doute
s’agissait-il d’un archange se montrant sous une forme adaptée pour le mourant.
3. Le shéol est un état provisoire réservé à
des personnes très rustres. Dieu permet que ces âmes restent entre deux mondes
parce qu’il espère, en retardant l’apparition du Christ et le jugement dernier,
affiner leur perception du bien et du mal. Il n’y a ni mérite ni démérite
définitif car, laissées dans l’ignorance des révélations de la gloire qui
accompagnent la parousie du Christ, elles sont maintenues dans l’incapacité de
choisir leur destin éternel. Comme les autres âmes, après ce temps de
prolongement de la vie terrestre, ces âmes seront visitées et arriveront au
jugement en état de mérite ou de démérite.
Objections :
1. Il semble que les saints ne passent pas
en jugement lors de leur mort. En effet, Jésus dit[763] : «
En vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui
m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement mais il est passé de
la mort à la vie. »
2. Il semble que l’on doive parler de la
même manière pour ceux qui sont en état de péché mortel puisque Jésus annonce à
leur égard[764] : «
Qui ne croit pas est déjà jugé car il n’a pas cru au nom du Fils unique de
Dieu. »
3. Les enfants morts après avoir reçu le
baptême n’ont pas besoin d’être jugés puisqu’ils n’ont commis aucun péché
personnel et qu’ils sont sauvés par la foi de leurs parents et de l’Église qui
les présente à Dieu.
4. La vierge Marie au moins, à cause de son
incomparable pureté, semble avoir échappé au jugement individuel et être montée
directement au Ciel.
Cependant :
D’après
Benoît XII[765] : les âmes reçoivent après leur mort
leur récompense ou leur châtiment. Or c’est là justement ce qui spécifie le
jugement des individus. Donc tous les hommes passeront en jugement.
Conclusion :
Dans
le domaine du bien et du mal, on peut employer le terme juger selon plusieurs
sens :
1° En un premier sens qui est fondamental,
juger signifie simplement énoncer le droit. Et cette détermination exacte des
choses justes se fait par rapport à une règle qui peut être écrite (ainsi dit-on
que la loi juge de ce qui est bon ou mauvais dans la cité) ou vivante (et c’est
le rôle du juge). Pris en ce sens, on doit affirmer que le jugement individuel
concerne tout homme, aussi bien les bons que les mauvais car il est nécessaire
que chacun puisse discerner ce qui est bon ou mauvais en lui. Un tel jugement
est inauguré dans le temps qui précède la séparation totale de l’âme et du
corps physique par l’apparition du Christ glorieux qui est, à lui seul, la loi
vivante de Dieu pour les hommes. La vision de son humanité sainte, accompagnée
des diverses révélations qui lui sont conjointes manifeste d’une manière
suffisante à l’âme l’état de ses mérites ou démérites devant Dieu, au point
qu’elle sera rendue capable de discerner en elle chaque péché et chaque bonne
action. C’est ce que signifie saint Bonaventure quand il dit qu’on ouvrira le
livre des consciences de chacun[766].
2° En un second sens, juger peut signifier
la condamnation d’un pécheur à cause de sa faute. Ainsi voit-on les juges se
prononcer sur la culpabilité de celui qui a commis un crime en le déclarant
coupable. De même, dans les évangiles, Jésus interdit aux hommes de juger afin
de ne pas être jugés eux-mêmes[767]. Il signifie par là qu’il n’appartient
qu’à Dieu de condamner un pécheur pour son péché car nul autre que lui n’est
réellement capable de discerner les intentions profondes de chacun : « Il sonde les reins et les cœurs. »[768] Pris en ce second sens, seuls les
méchants seront jugés, obtenant par là une juste réponse à leur obstination perverse
dans le péché. Quant aux saints, ceux qui auront été trouvés avec la charité,
ils échapperont à ce jugement. Ils s’entendront signifier une bénédiction.
3° Enfin, juger peut signifier
l’énonciation d’une sentence. Ainsi celui qui a commis un crime reçoit-il une
juste peine de la part du juge. Pris en ce sens, on doit affirmer que tous les
hommes, les bons comme les mauvais passeront après leur mort en jugement car
les justes s’entendront déclarer par le Christ dignes de la vie éternelle
tandis que les pécheurs seront déclarés condamnés à l’enfer éternel, selon le
démérite de leur péché. C’est ce que signifie saint Bonaventure lorsqu’il
affirme qu’on ouvrira le livre de Vie qui manifestera la justice de Dieu[769] : «
Entrez dans la joie de mon Père. »
Solutions :
1. Cette parole de Jésus signifie que celui
qui aime Dieu n’a pas à craindre un jugement de condamnation, selon la deuxième
acception du mot jugement. Par contre, Dieu établira en lui un discernement de
tous les restes du péché, selon cette parole de l’épître aux Hébreux[770] : «
Le Verbe de Dieu, comme un glaive à deux tranchants, pénètre jusqu’au point
de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, il peut
juger des sentiments et des pensées du cœur.
» Il s’agit de la première acception du mot jugement. De même, selon la
troisième acception, le juste s’entendra déclarer digne du salut dès son
jugement individuel : même s’il lui reste quelque péché à effacer au
purgatoire, la certitude d’être sauvé ne le quittera jamais.
2. Le jugement de condamnation qui est
réservé aux méchants s’achève donc dans l’énonciation d’une sentence de
damnation dont l’origine vient du péché que le réprouvé s’obstine à garder.
L’origine étant le péché on peut dire avec l’Écriture que le réprouvé est jugé
par sa propre perversité plutôt que par le juste juge qui ne fait que ratifier[771].
3. Comme tout être spirituel, l’enfant
n’entre pas au Ciel sans un acte libre de sa volonté. Il reçoit donc de la part
de Dieu certains dons qui viennent remplacer ce qu’aurait du normalement
accomplir l’éducation et l’enseignement d’une vie terrestre. Ainsi, son
intelligence est rendue suffisamment forte pour pouvoir engager sa volonté dans
un choix concernant le bien et le mal. Simultanément, l’enfant reçoit du Verbe
fait chair la révélation explicite du contenu de la foi et de l’espérance.
L’enfant étant innocent, il ne subit aucun jugement de discernement vis-à-vis
du péché de sa vie passée. Il est simplement introduit au Ciel, dès son premier
acte volontaire de charité, par la sentence du juge qui bénit la simplicité de
son âme.
4. La vierge Marie n’a pas eu besoin de se
voir énoncer à nouveau les volontés divines lors de son passage dans l’autre
monde puisqu’elle en avait perçu pleinement les profondeurs des sa vie terrestre
; de même, il n’y a en elle aucun discernement du péché puisqu’elle était
immaculée. Elle n’a donc connu le jugement individuel que selon sa première et
troisième acception ce qui signifie que le Christ redit devant elle et le Ciel
entier ce que l’ange Gabriel avait fait des années plus tôt. Il l’a déclarée « pleine de grâce. » Puis il a énoncé devant elle la
sentence de sa gloire incomparable. C’est ce que l’Église célèbre par la fête
de son couronnement. En effet, dans le même moment, la Vierge Immaculée a été
élevée par son Fils à la gloire de la Vision béatifique, et proclamée Reine du
Ciel et de la terre.
Objections :
1. Cela semble contradictoire avec ce que
nous venons de montrer, au moins en ce qui concerne les damnés. Jésus ne peut à
la fois être juge et se départir du jugement.
2. Le Christ ne semble pas devoir nous
juger sous la forme de son humanité parce que le jugement requiert chez le juge
l’autorité. Celle-ci est dans le Christ, à l’égard des vivants et des morts, en
tant qu’il est Dieu : comme tel, il est le Maître et le Créateur de toutes
choses. C’est donc sous cette forme divine qu’il jugera.
3. Le juge a besoin d’un pouvoir invincible.
L’Ecclésiastique[772] : «
Ne cherche pas à devenir juge, à moins que tu aies le pouvoir de vaincre
les iniquités. » Or c’est en tant que
Dieu que le Christ possède cette force invincible. Il jugera donc sous la forme
de sa divinité.
4. Matthieu 12, 41 : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette
génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de
Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se lèvera lors du
Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des
extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus
que Salomon! »
Matthieu
19, 28 : « Jésus leur dit :
En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi : dans la régénération, quand
le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi
sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Ce n’est donc pas le Christ seul qui juge mais aussi les saints.
Cependant :
Dans
l’Évangile de saint Jean, Jésus disait[773] : «
le Père ne juge personne, il a donné au Fils le jugement tout entier. » C’est donc à Jésus qu’il appartient
de juger aussi bien dans le jugement particulier de l’âme que dans le jugement
général de l’humanité qui suivra la résurrection. De même il est écrit[774] : «
Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est Fils de l’homme. » C’est donc sous la forme de son
humanité que Jésus jugera.
Conclusion :
Il
est nécessaire d’admettre l’existence d’un juge qui soit autre que l’âme
elle-même lors du jugement personnel comme lors du jugement général. La raison
en est qu’il faut, pour juger de la rectitude d’un acte, une mesure déterminée
du bien et du mal. Or cette mesure est la volonté de Dieu elle-même et elle est
exprimée à l’homme dans les commandements. La plus parfaite des révélations est
faite par la parole de Dieu faite homme, c’est-à-dire le Verbe Incarné. C’est
donc lui qui est la loi divine et la règle du jugement, de la même façon que
les juges de la terre représentent dans le tribunal la loi humaine rendue vivante.
Mais il convient que le Christ en tant qu’homme soit le juge de l’homme parce
qu’il a reçu l’autorité sur les hommes (nul ne peut juger s’il n’a juridiction)
pour deux raisons : 1° Il est
notre maître non seulement en tant qu’il est notre Dieu et notre Créateur mais
aussi en tant qu’il est homme et que, par sa passion, il nous a ouvert les
portes du salut ; c’est ce que signifient ces paroles des Actes : « Lui-même a été institué par Dieu juge
des vivants et des morts. » 2° Il faut que le juge puisse être vu
par tous ceux qui sont jugés. Or si le Christ apparaissait sous la forme de sa
divinité, il ne pourrait être vu par l’intelligence des pécheurs qui n’est pas
surélevée par la grâce. Comme le dit saint Bonaventure[775] : «
Sans la déiformité de l’esprit et la fruition du cœur, la vision de face
est impossible. » Le juge devra donc
apparaître sous le visage d’une créature et non du Créateur. Et comme il devra
manifester avec puissance l’Évangile de Dieu, on doit admettre qu’il
n’apparaîtra pas sous les formes cachées de son humanité douloureuse, tel que
le virent ses disciples en Judée mais sous la forme lumineuse de son corps
glorieux. Mais nous traiterons plus amplement de cette question dans le
chapitre consacré au jugement général[776].
Solutions :
1. Pour les méchants, le Christ est juge
pour trois raisons : d’abord il manifeste par la clarté de sa lumière la
gravité de leur péché de même que la loi humaine manifeste ce qui est illégal.
Ensuite il lui revient de prononcer la sentence de culpabilité. Enfin, il lui
revient d’en notifier la peine qui ratifie le choix que l’âme maintient
librement dans sa volonté perverse.
2. Le Christ en vertu de sa nature divine
possède le pouvoir de dominer toutes les créatures par droit de création. En sa
nature humaine il possède le pouvoir de domination qu’il a mérité par sa
passion. C’est comme une autorité secondaire et acquise tandis que la première
est naturelle et éternelle.
3. Le Christ en tant qu’homme ne possède
pas un pouvoir irrésistible qui résulterait de la puissance de l’espèce
humaine. Pourtant par suite d’un don de sa divinité, il possède ce pouvoir
invincible jusqu’en sa nature humaine en tant que toutes choses lui sont
soumises comme dit saint Paul aux Corinthiens et aux Hébreux. C’est pourquoi il
jugera dans sa nature humaine mais par sa puissance divine.[777]
4. Voir un seul élu dans le rayonnement de
sa gloire, c’est comprendre l’Évangile de Dieu. Le plus petit dans le Royaume
de Dieu est prophète, prêtre et roi parce que, s’étant abaissé, il a été élevé
par son Créateur. Ainsi, l’apparition à l’heure de la mort d’un seul de ces
saints serait suffisante pour réaliser tout ce que nous avons dit de
l’apparition du Christ. En voyant les mérites passés des habitants de Ninive,
nous verrons nos manques ; en voyant leurs péchés pardonnés, nous comprendrons
la miséricorde de Dieu. Et ainsi de suite pour le reste. Ainsi, le pouvoir de
juge du Messie, loin de diminuer celui des autres saints, le fonde. C’est
pourquoi le Christ ne vient pas seul mais accompagné des saints et des anges.
Objections
:
1. Il
ne convient pas que l’Eglise du Ciel juge selon cette parole[778] : « Tout jugement appartient au
Christ ».
2. S. Paul ajoute aussitôt : « Nous comparaîtrons
tous au tribunal du Christ. » Si le Christ est juge et juge tous les
hommes, alors nul autre que lui n’est juge.
Cependant :
Jésus dit[779] :
« Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement
avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la
proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se lèvera
lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des
extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus
que Salomon! » Et saint Paul
confirme[780] : « Ne savez-vous pas que c'est vous qui
jugerez les anges ! »
Conclusion :
C’est à tous les points de vue que les saints et les anges, c’est-à-dire
l’Eglise du Ciel, jugeront.
Au jugement individuel d’abord, ils
jugeront du fait même de leur présence avec le Christ-juge car leur apparition
glorieuse manifestant les qualités de leur charité, ils provoqueront par
comparaison dans l’âme du pécheur une mesure. Cependant, ce jugement des saints
sera à l’image de celui du Christ, emprunt de vérité et d’amour, c’est-à-dire
miséricordieux. Il n’écrasera pas la mèche qui fume, commente la Bible car ces
hommes, excepté la vierge Marie, auront été eux-mêmes pécheurs, auront eux-même
souffert.
Au jugement général aussi, les saints et
les anges jugeront car tout sera montré à tous et tous verront les mérites de
chacun, admirant la gloire de Dieu qui se manifeste dans l’autre et dans leur
histoire. Ainsi, chacun sera la mesure de chacun et cette mesure sera celle de
la charité.
Solutions
:
1. Il
est vrai que le seul juge, source de tout le jugement, est le Christ. en lui se
trouve en effet la norme du bien et du vrai. Cependant, son salut ne consiste
pas à garder jalouseùment ce pouvoir mais à le déléguer à ses amis. C’est en ce
sens qu’on peut dire que les saints et les anges jugeront : par
délégation. C’est de la même manière que nous sommes et serons
« pères », bien que Jésus dise[781] :
« N'appelez personne votre Père sur la terre : car
vous n'en avez qu'un, le Père céleste. »
2.
Cela répond à l’objection 2.
Objections
:
1. Cela
n’est pas possible. On ne peut être à la fois juge et accusé, comme on le voit
dans les procès humains. Il faut donc qu’il y ait un juge assigné par Dieu pour
déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu et pour lui attribuer sa
peine ou sa récompense.
2. Pour
les bons, le jugement dernier aboutit à l’entrée dans la gloire. Or nul ne peut
se juger digne soi-même de recevoir une telle récompense. Ce serait de la
présomption. Il faut donc qu’il y ait un juge autre que l’âme elle-même.
3. Comme
nous venons de le montrer, il appartient au Christ de manifester lors du
jugement particulier la règle du droit, de déclarer coupable le pécheur ou
juste l’homme de bien ainsi que d’énoncer la peine ou la récompense finale. Ce
n’est donc pas l’âme qui se juge elle-même.
Cependant
:
Jésus affirme en saint Jean[783] : « Si quelqu’un entend mes paroles et ne les
garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais
pour sauver le monde. Qui me rejette et n’accueille pas mes paroles a son Juge
: la parole que j’ai fait entendre, c’est elle qui le jugera au dernier
jour ». Or la parole que Jésus a fait entendre est la cause du
témoignage de la conscience donc l’âme n’est pas à elle-même son propre juge.[784]
Conclusion :
Pour répondre à cette question, il faut
reprendre les distinctions établies à l’article précédent, comme nous l’avons
dit, sur le mot jugement :
En un premier sens, le plus fondamental,
il signifie le discernement du bien et du mal qui se trouvent dans l’âme. Ce
discernement est réalisé par l’apparition glorieuse du Christ et des saints
dont la présence à la fois lumineuse,
forte et douce manifeste au pécheur l’état de son âme. En ce premier sens,
c’est Jésus dans l’unité de l’Église du Ciel qui est cause du jugement puisque
sa présence suffit pour en manifester la règle. Mais l’âme est rendue capable,
grâce à son apparition, de se juger elle-même, en toute vérité. En se voyant en
quelque sorte, à travers les yeux du Christ, l’âme est à ce point rendue
participante à son propre jugement qu’elle ne peut, quelle qu’en soit la
sentence, qu’en constater de l’intérieur la justice. En ce sens là, on peut dire
que l’âme ne se juge pas elle-même, mais plutôt qu’elle reçoit du Christ-juge
la capacité de se juger.
En un second sens, qui découle du
premier, on appelle jugement la sentence qui relaxe ou condamne le prévenu. Et
cette sentence peut être regardée de deux manières : 1° de par sa cause qui est le mérite ou démérite de l’âme ; 2° en elle-même. 1° La cause de la sentence est importante à considérer car c’est
elle qui motive le salut de l’élu ou au contraire la réprobation du damné.
Cette cause doit être juste : il faut que celui qui est damné le soit à cause
d’une disposition de sa volonté qui le sépare de Dieu, à savoir un péché mortel
à la vie de la grâce. De même celui qui est conduit au salut, doit avoir
auparavant sa volonté disposée favorablement par la grâce qui lui mérite
l’entrée dans la gloire. Or ce n’est pas de la même façon qu’un homme est
pécheur et qu’il est juste. Celui qui est pécheur l’est à cause de sa propre
volonté qui lui fait se porter librement vers un bien créé comme sur sa fin dernière.
C’est donc par un libre choix qu’en se portant vers la créature, il se sépare
du Créateur. Et cette liberté est totale au moment de la mort comme on l’a vu,
puisque toute âme reçoit suffisamment pour ne plus être trompée dans son choix
par l’ignorance et entraînée par la faiblesse de ses passions. En conséquence,
on doit dire que, pris du côté de la cause de son jugement, c’est le méchant
lui-même qui est source de sa réprobation, non en ce sens qu’il refuserait
explicitement la Vision béatifique, mais parce qu’il est prêt à perdre ce bien
plutôt que de renoncer à son péché. C’est ce que veut signifier l’Écriture
quand elle dit : « C’est toi seul qui
est cause de ta perte, Israël. » Au
contraire, pour celui qui est juste, la cause première de sa justice ne vient
pas de lui-même car nul ne peut croire, désirer et aimer Dieu s’il n’a pas reçu
auparavant de lui la grâce qui l’en rend capable. Chez le juste, le libre
arbitre n’est pas cause première de la justification mais ne fait que donner
son assentiment à cette justification que Dieu réalise. Le juste mérite donc
une récompense éternelle à cause de Dieu. 2°
La sentence prise en elle-même, aboutissant à la condamnation du pécheur
impénitent ou au contraire à la bénédiction du juste ne peut en aucun cas venir
de l’âme elle-même, ni du côté du méchant ni du côté du juste. Car le méchant
est trop pervers en blasphémant contre le Saint Esprit de Dieu pour se
reconnaître coupable. Il proteste au contraire du bon droit de sa révolte et
s’oppose de toutes ses forces à la justice de Dieu qui condamne son orgueil.
Quant au juste, la conscience de l’imperfection de son cœur, confronté à la
bonté simple du cœur de Jésus, l’empêche de se déclarer lui-même digne du
salut. Il reçoit la sentence de sa justice dans l’obéissance : « Venez les bénis de mon père. »
En un troisième sens, nous avons montré
que le jugement signifie l’énonciation de la peine ou de la récompense qui
découle de la condamnation ou de la justification. Là encore, on doit affirmer
que l’âme n’est pas pour elle-même son propre juge. Le réprouvé, en effet, ne
veut pas de la séparation d’avec Dieu pour elle-même. S’il pouvait voir
l’essence de Dieu qui est l’essence même du bonheur, sans pour autant renoncer
à son péché, il choisirait cette voie. Mais comme il rejette obstinément les
conditions requises pour entrer dans le cœur de Dieu à savoir l’humilité
(kénose) et la charité, il est nécessaire que lui soit notifiée par le juste
juge cette sentence, selon cette parole de l’Écriture : « Allez-vous en loin de moi,
maudits! » Quant à l’élu, à cause
même de sa grande humilité (kénose), il ne s’estime quant à lui jamais digne
d’entrer dans cette gloire que sa charité lui fait désirer. C’est donc Jésus
qui l’y introduit, au moment choisi par lui seul.
Solutions
:
1. Le
méchant est à lui-même son propre juge en ce sens que son intention perverse
manifeste sa culpabilité et mérite sa sentence d’une manière suffisante. Le
juge ne fait, en quelque sorte, que ratifier ce qui est déjà réalisé dans l’âme
de celui qui rejette Dieu. Le méchant est donc à lui seul cause de sa
réprobation. En ce sens, on peut dire qu’il est lui-même son propre juge[785].
2. La
grâce que les justes reçoivent de la part de Dieu leur mérite en stricte
justice l’entrée dans la gloire. Mais la cause première de ce mérite n’est pas
l’homme lui-même qui ne peut en effet réaliser par ses propres forces une telle
élévation surnaturelle. Elle est causée par Dieu lui-même qui achève par la
glorification ce qu’il avait commencé en justifiant l’âme de bonne volonté.
C’est donc Dieu qui juge l’âme des justes et les déclare dignes d’entrer dans
la gloire éternelle.
3. Selon
toutes les acceptions du mot jugement, l’âme ne se juge jamais elle-même mais
elle reçoit du Verbe Incarné la règle de son jugement, la sentence de sa
condamnation ou de sa justification et la peine ou la récompense qui en
découle. Cependant, elle ne vit pas de l’extérieur son jugement personnel car,
selon la première signification du mot jugement, l’âme se voit elle-même jusque
dans ses retranchements les plus intimes ; de même, selon le deuxième sens,
elle sait que la cause de sa damnation vient d’elle seule, à raison de son
péché irrémissible. Elle est obligée, devant l’évidence de ce fait, de
reconnaître la justice de cette sentence qu’elle rejette malgré tout de toute
la force de son orgueil[786].
Objections :
1. Il ne convient pas que l’âme reçoive aussitôt
après la mort sa récompense ou son châtiment. En effet, c’est l’homme tout
entier qui a commis le péché ou mérite la gloire. De même, il convient que
l’homme tout entier soit puni ou récompensé. Donc il convient d’attendre la
résurrection finale des corps.
2. Certains obstacles peuvent parfois
s’opposer à la réception immédiate de la gloire comme par exemple quelques
restes d’attachement au péché. C’est pourquoi l’Église enseigne l’existence
d’un purgatoire après la mort. Donc certaines âmes ne reçoivent pas aussitôt
séparées du corps leur récompense.[788]
3. Avant la venue du Christ, les saints
n’étaient pas aussitôt introduits dans la vision de Dieu mais attendaient dans
un lieu de paix que l’Écriture appelle le sein d’Abraham. De même, avant la
résurrection finale des corps, le paradis promis aux saints n’est pas la vision
de Dieu mais seulement un lieu provisoire d’attente.[789]
4. Après le jugement dernier, les saints
reçoivent de la part de Jésus la sentence de leur salut. Ils sont donc certains
de recevoir à la fin du monde la récompense de la gloire. Et cette espérance
assurée constitue déjà un paradis. Il n’est pas besoin d’affirmer qu’ils sont
introduits immédiatement dans la vision de Dieu.[790]
5. Le châtiment et la récompense qui
dépendent du jugement ne doivent pas le précéder. Or le feu de l’enfer ou le
bonheur du paradis seront décernés à tous les hommes par la sentence du
souverain juge, au dernier jugement qui suivra la fin du monde. Donc jusque là,
les âmes doivent attendre dans les limbes et personne ne va au Ciel ou en
enfer.[791]
Cependant
:
Qu’aussitôt
après la mort les âmes reçoivent leur châtiment ou leur récompense, s’il n’y a
pas d’obstacle, les textes de l’Écriture l’affirment. Il est dit des méchants
au Livre de Job[792] : «
Ils passent leurs jours dans le bonheur et en un instant ils descendent aux
enfers » ; et en saint Luc[793] : «
Le riche mourut et fut enseveli dans l’enfer », l’enfer étant le lieu où les âmes sont punies. Il en va
évidemment de même pour les bons. Le Seigneur, suspendu à la croix, dit au
larron[794] : «
Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis », étant entendu que le Paradis est la récompense qui est promise
aux bons, selon le mot de l’Apocalypse[795] : «
Au vainqueur je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le paradis de mon
Dieu. »[796]
Conclusion :
Les
âmes humaines reçoivent aussitôt après la mort, selon leurs mérites, leur
châtiment ou leur récompense. C’est la finalité du jugement individuel dont la
sentence est aussitôt exécutée.
Pour
le comprendre, on peut montrer comment tous les obstacles ont disparu. Le
premier d’entre eux est le péché originel. Le choix d’Adam et Ève consista à
rejeter Dieu au nom de toute l’humanité. Il provoqua un retard vis-à-vis de
l’entrée dans la gloire. Il fut effacé par l’acceptation inverse du Christ et
de la nouvelle Ève, Marie.
La
seconde condition est celle de l’éducation du cœur de l’homme à l’amour, à
l’humilité et à la pureté. Pour cela, Dieu le mène à travers un chemin de vie.
Sa première étape est celle de la terre et du passage à travers l’état d’un
corps mortel. Tant que le corps mortel subsiste dans son état végétatif, il est
impossible à l’homme de voir Dieu. La complexion de cet état est trop fragile
pour supporter une telle puissance. Cette vie-ci est le temps du mérite ou du démérite,
d’où la comparaison avec le service militaire et les jours du mercenaire, telle
qu’elle est établie au Livre de Job[797] : «
La vie de l’homme sur terre est un temps de service, ses jours sont comme
ceux d’un mercenaire. » Après la
mort, que les âmes puissent entrer dans la gloire, c’est évident, après ce que
nous avons dit : dès que l’âme est séparée du corps physique, elle devient
capable de voir Dieu.
La
seconde étape de cette purification consiste dans la manifestation de
l’Évangile et de la possibilité de son refus. C’est réalisé par la parousie du
Christ et l’apparition du démon à l’heure de la mort. La clarté de cette
manifestation suffit à conduire l’âme à poser le choix de son éternité. Ce
choix ne variera jamais, comme nous l’avons dit. Dans cette mesure, on ne voit
pas pourquoi châtiment et récompense seraient différés, du moment que l’âme est
capable de l’un et de l’autre. Sitôt donc que l’âme est séparée du corps, elle
reçoit sa récompense ou son châtiment pour tout ce qu’elle a fait pendant qu’elle
était dans son corps.
En
ce qui concerne l’entrée dans la vision de Dieu, il reste malgré tout un
troisième obstacle. Si l’apparition provoque un amour tel qu’il est impossible
de l’aimer davantage après la mort, elle ne provoque pas nécessairement une
purification totale de l’orgueil. S’il reste donc une purification du cœur à
effectuer, l’âme subit un certain retard avant l’entrée dans la gloire. Alors,
après le temps de service, après le travail du mercenaire, vient la récompense
ou le châtiment, dus à ceux qui ont bien ou mal œuvré. Aussi est-il dit au
Lévitique[798] : «
Le salaire du mercenaire ne restera pas avec toi jusqu’au lendemain. » Et encore, en Joël[799] : «
Bien vite, je ferai retomber votre provocation sur vos têtes. »
Solutions :
1. Il est normal que l’ordre du châtiment
et de la récompense réponde à l’ordre de la faute et du mérite. Or mérite et
faute n’intéressent le corps que par l’intermédiaire de l’âme : rien ne rentre
dans l’ordre du mérite ou du démérite qui ne soit volontaire. On convient donc
que la récompense comme le châtiment atteignent le corps par le biais de l’âme,
non point l’âme par le biais du corps. Il n’y a donc aucune raison d’attendre
la résurrection des corps pour qu’ait lieu la récompense ou la punition des
âmes ; bien plutôt convient-il que les âmes en qui tout d’abord se trouvent
réalisées faute et mérite, soient tout d’abord aussi punies ou récompensées.
2. Récompense et
châtiment sont dus aux créatures raisonnables en vertu de la même providence de
Dieu qui accorde aux réalités naturelles leurs perfections propres. Or il en va
ainsi des réalités naturelles que chacune d’elles reçoit à l’instant la
perfection dont elle est capable, à moins qu’il n’y ait un obstacle soit de la
part du sujet récepteur, soit de la part de l’agent. Puisque les âmes
deviennent capables de la gloire et du châtiment aussitôt que séparées du
corps, elles les recevront immédiatement, sans que la récompense des bons et le
châtiment des méchants soient différés jusqu’au temps où les âmes retrouveront
leur corps.
Il
faut cependant bien voir que de la part des bons il peut y avoir un certain
obstacle à ce que l’âme déliée du corps reçoive immédiatement cette récompense
dernière qu’est la vision de Dieu. À cette vision, qui dépasse absolument les
facultés naturelles, la créature raisonnable ne peut être élevée qu’une fois
totalement purifiée. Il est dit de la Sagesse que[800] « rien
de souillé ne peut pénétrer en elle »
; et en Isaïe, « qu’aucun impur ne
passera par là. » L’âme est donc
immédiatement introduite dans la Vision de l’essence divine, à moins qu’elle
n’ait comme on l’a dit, à être purifiée dans le purgatoire.
3. Certains prétendent, sans doute, qu’il
ne faut pas voir dans le paradis l’ultime récompense des cieux dont il est
parlé en saint Matthieu[801] : «
Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans
les cieux. » Il ne s’agirait que
d’une récompense terrestre, le paradis semblant être en effet ce lieu terrestre
dont il est dit dans la Genèse[802] : «
Dieu planta un paradis de délices et il y mit l’homme qu’il avait modelé. » Mais si l’on étudie correctement les
paroles de la sainte Écriture, on verra que la rétribution finale promise aux
saints dans les cieux est accordée aussitôt après cette vie. Dans la IIe Epître
aux Corinthiens[803], l’Apôtre a commencé par parler de la
gloire finale en disant que « la
légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une
messe éternelle de gloire. » Aussi
bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les
choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles,
parole qui s’applique clairement à la gloire finale, celle des cieux. Puis,
pour en montrer le temps et le mode, l’apôtre ajoute[804] : «
Nous savons en effet que si cette tente -notre demeure terrestre- vient à
être détruite, nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, une demeure
éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, et qui est dans les cieux. » Par là Paul donne clairement à
entendre qu’une fois accomplie la séparation d’avec le corps, l’âme entre dans
l’éternelle demeure du Ciel, qui n’est rien d’autre que la jouissance de Dieu,
à l’image de celle des anges dans les cieux.
4. L’Apôtre, objectera-t-on peut-être, n’a
pas dit qu’aussitôt après la dissolution du corps nous prendrions en fait
possession de cette demeure éternelle des cieux. Il ne s’agit que d’espérance,
l’entrée en possession réelle étant réservée à l’avenir. Une telle objection
est évidemment à l’opposé de l’intention de l’Apôtre, c’est dès cette vie en
effet que nous est promise, selon la prédestination divine, cette demeure du
Ciel ; et déjà nous l’avons en espérance, selon cette parole de l’Epître aux
Romains[805] : «
C’est en espérance que nous avons été sauvés. » C’est donc inutilement qu’il aurait ajouté : « si cette tente -notre demeure
terrestre- vient à être détruite… »
Il lui aurait suffi de dire : « Nous
savons que nous avons une maison qui est l’œuvre de Dieu, etc. » Ce qui suit le montre d’ailleurs plus
clairement encore[806] : «
Sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur,
car nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision, nous sommes donc
pleins d’assurance et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du
Seigneur. » C’est en vain que nous
voudrions quitter ce corps, c’est-à-dire en être séparés, si ce n’était pour
nous trouver aussitôt dans la présence du Seigneur. Or nous ne sommes en sa
présence que dans la claire vision. Tant que nous marchons dans la foi et non
pas à vue nous vivons en exil loin du Seigneur. C’est donc aussitôt après sa
séparation d’avec le corps que l’âme sainte voit Dieu face à face, ce qui est
la béatitude suprême. C’est ce que prouvent aussi ces paroles de l’Apôtre aux
Philippiens : « J’ai le désir de m’en
aller et d’être avec le Christ. » Or
le Christ est au Ciel. L’Apôtre espérait donc parvenir au Ciel aussitôt que
délié de son corps.
5. Saint Grégoire propose et résout cette
même objection : « Si les âmes des
saints sont dès aujourd’hui dans le Ciel, que recevront-il donc au jour du
jugement, comme prix de leur vertu ? »
et il répond : « Un merveilleux
accroissement : jusque là, leurs âmes seules goûtent le bonheur qui est leur
récompense, mais alors ils jouiront de la béatitude de leur corps, ils seront
heureux dans cette même chair dans laquelle ils ont enduré les douleurs et les
tourments pour le Seigneur. » La même
distinction s’applique aux damnés. Nous savons que le bonheur de l’âme sera non
seulement spirituel mais sensible puisque, grâce à son corps psychique, elle
verra de ses yeux et avec une grande sensibilité la beauté des élus. Après la
résurrection de la chair, ce bonheur s’étendra jusqu’au niveau du sens du
toucher de la matière palpable et du plaisir physique qui lui est conjoint.
Il
nous faut maintenant voir les demeures des âmes après la mort et avant la
résurrection des corps. Au sujet de l’enfer, quatre questions sont posées :
1° La cause de la réprobation prise du
côté de l’homme ; 2° Les peines de
l’enfer ; 3° La condition des damnés
quant à leur intelligence et à leur volonté ; 4° La miséricorde et la justice de Dieu par rapport aux damnés.
La
réprobation est l’acte par lequel les méchants sont séparés pour toujours de
Dieu. Au sujet de sa cause, nous nous demanderons :
1° N’importe quel péché mortel demeurant
après la mort conduit-il à la réprobation ?
2° La racine de tout péché conduisant à la
damnation est-elle l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu ?
3° Le refus obstiné de croire à la vérité
reconnue peut-il conduire à la damnation ?
4° La présomption peut-elle conduire à la
damnation ?
5° Le désespoir ?
6° L’envie des grâces fraternelles ?
7° L’obstination ?
8° L’impénitence finale ?
Objections :
1. Cela n’est pas possible. Beaucoup
d’hommes commettent des actes contradictoires avec l’amour de Dieu à cause de
la faiblesse ou de l’ignorance de la nature humaine telle qu’elle est sur la
terre. Or de tels actes ne sont pas pleinement responsables. On ne voit pas
comment le Dieu miséricordieux pourrait les punir par la damnation éternelle.
2. Il semble qu’il est impossible que
subsiste un seul péché mortel après la mort. L’action de Dieu qui tend à
détruire l’orgueil des méchants à travers les épreuves de la vie et de la mort,
l’apparition du Christ et des saints dans leur gloire suffisent à changer le
cœur de tous les hommes. Qui pourrait résister à la puissance de son amour ?
Cependant [809] :
Le
concile de Florence écrit[810] : «
Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel actuel, elles
descendent immédiatement en enfer où elles reçoivent des peines inégales. »
Conclusion :
N’importe
quel péché mortel mérite de soi, en stricte justice, la réprobation éternelle.
La raison en est que l’homme, en péchant mortellement, convertit son âme vers
un bien créé de telle façon qu’il devient la fin dernière de son activité
volontaire. La grâce et l’amitié avec Dieu ne peuvent subsister en même temps
car nul ne peut avoir simultanément deux fins dernières. Ainsi la conséquence
immédiate du péché mortel, c’est la mort de la vie de la grâce et la séparation
avec Dieu qui mériterait, en stricte justice de demeurer éternellement à cause
de la dignité infinie de celui qui est offensé. Cependant, Dieu accorde sa
miséricorde parce qu’il est ainsi, à condition toutefois que l’homme se repente
de son péché.
Il
faut maintenant considérer ceci : parmi les péchés mortels, certains n’auraient
jamais été commis si la personne avait eu pleinement conscience de ce qu’elle
fait selon la parole du Seigneur à la croix[811] : «
Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » D’autres sont commis à cause d’un entraînement préalable de la
volonté par les passions du corps selon saint Paul [812] : «
Les passions pécheresses opèrent en nos membres des germes de mort. » Aussi Dieu, dans sa miséricorde,
applique l’œuvre de rédemption opérée par son Fils jusqu’aux dernières limites
possibles. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, il poursuit l’âme jusqu’à
l’heure de sa mort en lui proposant sa grâce. Ainsi, la révélation donnée à
l’heure de la mort supprime l’ignorance d’une manière telle que si l’âme
s’obstine dans son péché mortel, ce ne peut être qu’en
pleine connaissance.
Ainsi s’exprime Jésus après avoir manifesté pleinement sa mission divine aux
chefs des Juifs[813] : «
Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de
péché. » Il signifiait par là qu’aux
yeux de Dieu, un péché mortel n’est vraiment tel selon toute la force du terme[814] que s’il présuppose une pleine
connaissance de ce qu’on fait.
De
même, la libération du foyer du péché (fomes
peccati) au moment de la mort supprime l’entraînement des passions à tel
point que l’âme ne connaît plus la tentation permanente de la chair que décrit
la parole de saint Paul[815] : «
La chair convoite contre l’esprit. »
Ainsi, l’âme qui dans cet état se maintient dans le péché mortel ne peut le
faire qu’en pleine possession de son libre arbitre. En conséquence, on doit
dire que les seuls péchés qui subsistent après la mort sont les péchés de
malice volontaire dans toute leur perfection, c’est-à-dire les péchés contre
l’Esprit Saint. Car celui qui pèche contre l’Esprit Saint le fait en sachant
explicitement qu’il blasphème l’amour de Dieu et le fait avec pleine maîtrise
de soi. Un tel péché est rare sur la terre car il est rare qu’un homme ait
suffisamment de maîtrise de soi et de connaissance de Dieu pour pécher de cette
manière. Il est pourtant possible comme on le voit dans les récits de
l’Évangile. Cependant les péchés de malice volontaire commis contre les frères
sont des dispositions directes même chez les païens au péché de malice contre
Dieu[816] qui ne peut exister qu’après qu’ils
aient reçu la révélation du vrai Dieu.
En
conclusion, on doit dire que tout homme qui après la mort est en état de péché
mortel l’est en pleine responsabilité et mérite de ce fait la réprobation et la
damnation éternelle[817].
Solutions :
1. Les péchés mortels qui présupposent une
certaine ignorance ou une faiblesse pourront être pardonnés jusqu’au dernier
moment. S’ils demeurent, c’est parce que la malice de l’âme est suffisamment
forte pour s’obstiner dans le péché malgré la disparition de l’ignorance et de
la faiblesse. Selon la parole de Jésus[818] : «
Ils sont alors sans excuse à leur péché.
» Ce n’est donc pas à cause d’un manque de miséricorde que Dieu réprouve
certains mais à cause de la dureté de leur cœur qui est capable de résister à
cette miséricorde et au pardon qu’elle propose. [819]
2. Les évêques de France écrivent : « Nous espérons le salut de tous. Mais
nous savons que Dieu ne peut forcer à l’aimer celui qui s’y refuserait
définitivement. Un refus radical de l’amour, conduisant à une tristesse indicible
et sans issue, reste possible. Le Christ, si doux et humble (kénose) de cœur
qu’il ait été, a évoqué les pleurs et les grincements de dents, et le feu qui
ne s’éteint pas. Ces images ne peuvent être effacées de son message. Elles
évoquent la terrible réalité d’une rupture absolue, celle de l’enfer. Elles
nous avertissent du sérieux de nos choix ; elles nous rappellent que nous
sommes des êtres faillibles, exposés à la tentation. C’est le Christ qui juge,
c’est le Christ qui sauve. »[820] C’est de cette façon qu’il faut,
pensons-nous, comprendre la thèse de Balthasar sur la séparation du pécheur et
du péché, le péché étant seul en enfer.[821] Le blasphème contre l’Esprit est le
seul qui ne peut être séparé du pécheur puisqu’il est parfaitement voulu[822]. Il l’entraîne donc en enfer. Quant aux
autres péchés, la vision glorieuse de la croix de Jésus les fait disparaître
dans le souffle de sa venue.
Objections :
1. L’amour de soi est bon puisque le
Seigneur le prend comme mesure de la charité fraternelle[823] : «
Tu aimeras le prochain comme toi-même.
» Or d’un bon arbre, il ne peut sortir un mauvais fruit. Donc l’amour de
soi n’est pas à la base de tout péché qui conduit à la réprobation.
2. L’amour de soi conduit à la vie
éternelle puisque celui qui aime Dieu s’aime lui-même d’une manière éminente.
L’amour de soi ne peut donc conduire à la réprobation.
3. Nul ne peut haïr Dieu car Dieu est
l’essence même de la bonté. On ne hait que ce qui possède en soi quelque chose
de haïssable. Donc la haine de Dieu ne peut être à la base de tout péché qui
conduit à la réprobation.
Cependant :
L’autorité
de saint Augustin suffit[824].
Conclusion :
La
notion d’amour de soi est analogique. Elle peut en effet prendre plusieurs sens
qui découlent les uns des
autres mais ne doivent pas être confondus.
1° L’amour
de soi est d’abord cet amour naturel à tout homme qui fait qu’il recherche de
manière nécessaire le bonheur, c’est-à-dire ce qu’il estime être le bien pour
lui. C’est donc l’amour de soi qui est universellement à la base des actes
humains car nul n’agirait s’il ne cherchait en quelque manière son bien. Fondée
sur cet amour non volontaire, l’intention de l’homme peut se mettre de diverses
manières à la recherche du bonheur.
2°
L’égoïsme : certains agissent d’une volonté directe et uniquement en vue de ce
bonheur individuel, faisant d’eux-mêmes par la
même occasion la fin ultime de leur vie. Ainsi celui qui se soucie de lui-même
d’une manière telle que les autres deviennent des moyens ou des obstacles à son
propre épanouissement est appelé un égoïste. Il s’octroie en priorité des biens
qui lui paraissent capables de le rendre heureux.
3°
L’amour : d’autres au contraire considèrent ce bonheur individuel comme un
effet consécutif à la
bonté de leurs actes et non comme la fin directe de leurs actes. Ainsi, celui
qui se soucie des autres avant lui-même trouve le bonheur par surcroît selon
cette parole du
Seigneur[825] : «
Celui qui perd se trouve. » C’est
de cette manière que Dieu veut que nous cherchions le bonheur. L’amour de soi,
quand il est réglé selon la volonté de Dieu sur nous, conduit l’homme à
s’oublier lui-même pour mettre l’amour de Dieu et du prochain comme la finalité
première de sa vie. Le Seigneur explique qu’il s’agit là du véritable amour de
soi car il aboutit réellement au bonheur[826] : «
Celui qui quittera tout pour moi, récoltera le centuple dès maintenant. » L’homme à la volonté droite qui agit
ainsi est prédisposé directement à recevoir la grâce de Dieu et la gloire,
comme nous l’avons montré précédemment.
Au
contraire, celui qui vit selon un amour déréglé de soi s’établit lui-même comme
fin ultime de sa vie. Dans ce but, il recherche à s’attribuer certains biens
qu’il considère comme des moyens pour atteindre le bonheur. Le premier fruit de
l’amour de soi est donc la cupidité qui fait désirer pour soi les plaisirs, les
honneurs et les richesses. En cela il s’oppose à la volonté de Dieu sur lui
selon saint Jean[827] : «
Tout ce qu’il y a dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise
des yeux, l’orgueil de la richesse vient non pas du Père mais du monde. » Ainsi, la cupidité qui vient de
l’amour déréglé de soi conduit à l’orgueil c’est-à-dire au rejet des volontés
de Dieu pour sa propre volonté. Et si Dieu manifeste extérieurement à l’homme
sa volonté par sa parole ou par l’envoi de certaines peines, l’orgueilleux est
conduit à haïr Dieu dont il ne supporte pas les interventions. C’est pour cette
raison que tant de prophètes qui parlèrent au nom de Dieu subirent la
souffrance et la persécution de la part des méchants, selon cette parole de
Jésus[828] : «
On vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux païens, on vous traduira
devant les rois et les gouverneurs à cause de mon nom, et tout cela aboutira
pour vous au martyre. » De même, les
peines que Dieu envoie à l’homme pour manifester le danger de l’amour déréglé
de soi provoque l’orgueilleux à la haine de Dieu selon l’Apocalypse[829] : «
Les hommes, loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, blasphémèrent le
Nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. »
On
le voit, égoïsme, cupidité et orgueil sont les trois attitudes perverses d’un
amour de soi qui ne conduit pas à la Vision béatifique. De tout cela, il
ressort que la racine de tout péché mortel conduisant à la damnation est
l’amour déréglé de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu.
Solutions :
1. L’amour de soi (dans le premier sens)
est naturel à l’homme et non libre. Il s’impose à la nature humaine et il est
nécessaire à toute action vitale. En cela, il vient de Dieu et il est bon. Mais
l’usage libre que l’homme fait de cet amour peut être mauvais. L’homme a le
pouvoir de faire sortir d’un bon arbre un mauvais fruit comme on le voit par
exemple chez ceux qui s’enorgueillissent de leur vertu.
2. Dans cette objection, on entend l’amour
de soi quand il est réglé dans le sens que Dieu veut.
3. Ce n’est pas en tant que Dieu est
l’essence même du bien qu’il est haï par les réprouvés mais en tant qu’il peut
exister certains effets de sa providence qui s’opposent à la volonté
orgueilleuse qui se veut seule maîtresse du bien et du mal. Le Cardinal
Ratzinger conclut ainsi son étude de l’enfer[830] : «
Que reste-t-il de ces idées ? D’abord le fait que Dieu a un respect absolu
de la liberté de sa créature. L’amour peut lui être donné, et, partant, la
possibilité d’échapper à toute insuffisance qui est en elle-même. L’homme n’a
pas à "produire" le oui à un tel amour ; c’est l’amour lui-même, par
sa propre vertu, qui suscite ce oui. Mais la liberté de refuser cet
assentiment, de ne pas le prendre à son compte, demeure. C’est la différence
entre le beau rêve du Bodhisattva[831] et sa réalisation : le véritable
bodhisattva, le Christ, va en enfer et le vide en souffrant. Mais il ne traite
pas les hommes comme des êtres immatures, incapables en définitive d’assumer la
responsabilité de leur propre destin. Son Ciel, au contraire, repose sur la
liberté qui, même au damné, donne le droit de vouloir sa damnation. Le trait
distinctif du christianisme se manifeste ici dans sa conviction de la grandeur
de l’homme. La vie de l’homme est une affaire sérieuse. L’artifice de la pensée
ne saurait en définitive la réduire tout entière à n’être qu’un pion sur
l’échiquier de Dieu. »
Objections :
1. Ce qui est reconnu comme vrai ne peut
qu’être cru ou su. Car la vérité pleinement démontrée s’impose à l’intelligence
et n’est pas objet de choix de la volonté. Donc un tel péché n’existe pas.
2. Le refus de croire est une certaine
ignorance de l’intelligence. Or nous avons montré qu’il ne peut subsister
aucune ignorance dans le péché qui conduit à la réprobation, puisque ce péché
doit être absolument conscient et libre. Donc le refus de croire à la vérité
reconnue n’est pas un péché qui conduit à la damnation.
Cependant :
Le
Cardinal Gouyon écrit[833] : «
Rien n’est plus tenace que la révolte provoquée par l’orgueil. Elle va
jusqu’au refus de l’évidence[834]. C’est là, sans doute, le mystérieux
péché contre le Saint-Esprit dont parle l’Évangile[835] : «
Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre le
Saint-Esprit ne sera pas remis. » Le
contexte montre bien que ceux à qui s’adresse alors Jésus cherchaient toutes
les échappatoires plutôt que de reconnaître sa mission. La mort pour de tels
hommes risque d’être l’ultime raidissement contre la lumière, alors que tout ce
qui leur assurait un certain bonheur ici-bas a disparu. Celui-là se trouve
alors plongé dans la solitude la plus absolue face à un Dieu qui seul pourrait
lui donner la joie et qui voudrait la lui donner. Mais cet homme continue de
récuser ce don tout en souffrant de sa propre révolte. »
De plus le maître des sentences[836] cite l’opposition à la vérité reconnue
parmi les péchés contre l’Esprit Saint qui ne seront pas pardonnés. Donc un tel
péché peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Une
chose peut être pleinement reconnue par l’homme quand sa vérité est manifestée
d’une manière certaine. Cela peut se produire de plusieurs manières : la plus
parfaite est le témoignage de la vision. Celui donc qui, étant maître de lui et
en bonne santé, voit de ses propres yeux quelque chose ne peut nier l’avoir vu
sans porter un faux témoignage.
Pour
les choses invisibles, la vérité peut être pleinement reconnue à la suite d’une
démonstration. C’est ainsi que les savants ont pu démontrer l’existence de
certaines planètes avant même de les avoir vues au télescope, par induction à
partir des effets constatés. Quand il s’agit de choses concernant la foi, Dieu
manifeste leur vérité par des actes que lui seul peut faire comme des miracles
qui échappent au pouvoir de toute créature (la résurrection d’un mort par
exemple) ou des prophéties portant sur les futurs contingents, donc
inconnaissables par les créatures. C’est pourquoi Jésus disait aux Juifs [837] : «
Si vous ne me croyez pas, croyez à cause de mes œuvres. » Mais, comme on l’a vu, il peut aussi manifester aux hommes la
vérité de sa mission au moment de leur mort en apparaissant dans son corps de
gloire, ce qui constitue le témoignage suprême qu’il est impossible de mettre
en doute sans mentir à sa propre conscience. Le blasphème contre l’Esprit dont
nous traitons ici consiste en cela. Cela n’est possible dès cette terre que
chez ceux qui ont suffisamment de théologie pour être capables de reconnaître
d’une manière indubitable le doigt de Dieu. D’après le témoignage de
l’Évangile, ce fut apparemment le cas de certains théologiens juifs[838]. Jésus avait en effet accompli quantité
de miracles et il avait même ressuscité des morts au point que le peuple
reconnaissait en lui un envoyé de Dieu, selon le témoignage de l’aveugle né[839] : «
Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle
si Dieu n’est pas avec lui. » Malgré
cela, les chefs des Juifs décidèrent de le faire mourir. Ils préférèrent le
faire disparaître à cause de leur amour du pouvoir religieux et des honneurs.
Ils refusèrent donc volontairement de croire en la mission divine de Jésus,
bien qu’elle ait été suffisamment reconnue. En cela, parce qu’ils étaient des
théologiens, ils commirent un péché contre le Saint-Esprit[840]. Face au Christ et aux saints, au
moment de la mort, il n’existe aucune raison qu’ils changent d’option. Ils
savaient déjà que le Christ venait de Dieu. De même, tout homme qui à cette
heure, ayant reçu de Dieu la révélation indubitable de son existence et de sa
miséricorde, refuse d’adhérer par la foi intérieure et la confiance à cette
vérité reconnue, commet un péché contre le Saint-Esprit. Comme nous l’avons
montré précédemment, la raison d’une telle attitude ne peut être qu’un amour de
soi poussé jusqu’à un orgueil extrême. Un tel péché ne peut être pardonné car
celui qui le commet refuse même de considérer la simple existence de ce pardon.
Il mérite donc la séparation d’avec Dieu.
Solutions :
1. Quand la vérité est suffisamment
manifeste, elle est reconnue par l’intelligence parce que celle-ci ne peut faire
autrement que croire à ce qui est dit, encore qu’elle ne soit pas convaincue
par l’évidence de la chose. Par exemple, si un prophète prédisait dans un
discours inspiré par le Seigneur un évènement futur et s’il produisait un signe
en ressuscitant un mort, par ce signe même le voyant recevrait dans son
intelligence une confirmation telle qu’il connaîtrait clairement que la chose
est dite par Dieu, lequel ne ment pas, et pourtant cet évènement, celui qui est
prédit, en soi ne serait pas évident, ce qui fait qu’il y aurait encore place
pour une vraie foi. Ainsi, jusqu’au moment de la mort, la vision de
l’apparition du Christ qui annonce au mourant la possibilité et les conditions
de la gloire peut permettre chez ce dernier une vraie foi, c’est-à-dire une adhésion
de l’intelligence que commande la volonté, à ce qui n’est ni vu ni su, mais à
ce qui est annoncé. C’est cette foi qui est refusée obstinément dans le péché
qui nous occupe. Quant à la foi au premier sens, les démons eux-mêmes l’ont
puisqu’ils y sont forcés par l’évidence des signes.
2. L’ignorance, lorsqu’elle diminue l’acte
volontaire, diminue la responsabilité de la faute. Or, dans le cas qui nous
occupe, il ne s’agit pas d’une telle ignorance mais d’une ignorance voulue
directement et par soi pour pécher plus librement. Pareille ignorance accroît,
semble t-il, ce qu’il y a de volontaire dans l’acte et par là-même le péché :
si quelqu’un en effet veut bien, pour se donner la liberté de faire mal, subir
le dommage de l’ignorance, cela vient de ce qu’il a une volonté qui cherche à
pécher.
Objections :
1. La présomption ne semble pas être autre
chose que le refus de croire à la vérité reconnue. Car la présomption s’appuie
sur une fausse connaissance de Dieu puisqu’il est faux de penser que Dieu
accordera son pardon à ceux qui persévèrent dans le péché et qu’il dispense sa
gloire à ceux qui cessent de faire le bien.
2. La présomption implique un excès
d’espérance. Or dans l’espérance qu’on a de Dieu, il ne peut y avoir d’excès
car la puissance et la miséricorde divines sont infinies. La présomption ne
semble pas conduire à la damnation.
3. Bien des hommes pèchent par présomption
en ce monde puisqu’ils décident de se maintenir dans une vie de péché avec
l’intention de se convertir au dernier moment. En cela, il semble qu’ils
présument de la miséricorde divine et cela ne semble pas être un péché capable
de conduire à la damnation éternelle puisqu’ils peuvent se repentir de leurs
péchés, obtenant ainsi le pardon.
4. Un homme présomptueux désire tout de
même voir Dieu. Et Dieu ne saurait mépriser son désir. Donc il le fera entrer
dans sa Vision.
Cependant :
La
présomption s’oppose à la vertu d’espérance. Or nul ne peut entrer dans la
gloire sans l’espérer. Donc la présomption conduit à la damnation.
Conclusion :
La présomption qui est un péché contre
l’Esprit Saint conduit à la damnation. Pour le comprendre, il faut considérer
ceci : La Vision béatifique, qui est le bien éternel promis par Dieu aux
hommes, ne peut être donnée que si l’homme espère la recevoir. Or un tel bien
dépasse les forces naturelles de toute créature. Aussi
doit-il être espéré en s’appuyant sur la certitude que Dieu nous donnera
lui-même les moyens pour y accéder. Du côté de l’homme, certaines dispositions
intérieures sont nécessaires comme la bonne volonté, l’humilité et, si
des péchés ont été commis, la pénitence. Dans cette mesure la grâce et la
justification peuvent être données par Dieu. Alors, uni à Dieu par la charité,
l’âme peut le
recevoir, telle une épouse. Au contraire, lorsqu’un homme a l’audace de vouloir
recevoir le pardon de Dieu sans pénitence préalable ou la gloire sans les
mérites intérieurs qu’elle présuppose, il se comporte en présomptueux. Lorsque
ce péché est commis avec à la fois une pleine lucidité et une pleine maîtrise
de soi, porté par un orgueil qui refuse de s’abaisser devant la volonté de
Dieu, il constitue un péché contre l’Esprit Saint car il rejette et méprise
l’aide du Saint-Esprit. Celui qui arrive dans l’au-delà avec une telle
présomption est certainement repoussé. Il s’appuie en effet sur un amour de soi
et un orgueil si forts qu’il préfère ne rien avoir plutôt que de le recevoir
d’un autre en s’humiliant. Il le fait d’une manière suffisamment consciente et
libre, comme nous l’avons montré, pour rester définitivement fixé dans
cette attitude.
Solutions
:
1. La présomption est autre chose que le
refus de croire à la vérité reconnue. Le présomptueux accepte de croire en la
révélation divine et en la promesse de la gloire. Cette gloire lui paraît même
être un bien excellent et désirable mais il en refuse les conditions préalables
qui consistent non seulement en une soumission de l’intelligence à Dieu mais
aussi une soumission de la volonté aux conditions données par Dieu et qui sont
pour synthétiser, l’humilité et la charité. Un tel péché implique un grand sens
de son excellence personnelle aussi on l’attribue à l’ange Lucifer qui
acceptait d’être introduit dans la gloire à condition de ne pas avoir à
s’abaisser dans le service de l’homme selon Jérémie.[841]
2. La présomption n’implique pas un excès
d’espérance du fait qu’on espère trop de Dieu, mais du fait qu’on attend de
Dieu ce qui ne convient pas à Dieu. Et c’est là aussi trop peu espérer de lui,
car c’est, dans une certaine mesure, diminuer sa puissance. Pour comprendre la
présomption, il faut se souvenir de la chute de l’ange Lucifer. Actuellement,
cet ange comme tous les démons, ne cesse de réclamer la Vision béatifique à
Dieu. Il s’estime digne de ce bonheur et le considère comme dû à chacun en
mesure de la noblesse de son intelligence. La présomption est ici : vouloir
posséder Dieu en refusant les conditions voulues par lui, humilité (kénose) et
charité. Ce péché est typiquement luciférien car il implique un sens inné de sa
propre grandeur. Il est pourtant possible chez l’être humain, surtout au terme
d’une vie emplie d’honneurs et de richesses. Supposons qu’un homme arrive
devant Jésus à l’heure de sa mort et exige le paradis tout en excluant les
conditions de petitesse proposées par le Sauveur ; supposons qu’il maintienne
fermement cette attitude, en pleine lucidité, prêt à perdre la vie éternelle
plutôt que d’aimer ce Dieu qui ne se donne qu’à l’amour, alors il se condamne
lui-même à l’enfer et ce pour l’éternité puisque, éternellement, il criera à
Dieu : « J’ai raison. » Dieu rejette activement cet
homme-là car il a l’audace de vouloir forcer l’entrée dans la Vision
béatifique. D’où ces textes[842] : «
Les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront
les pleurs et les grincements de dents. »
3. Pécher avec le propos de persévérer dans
sa faute à cause de l’espérance du pardon, c’est formellement de la
présomption. Et cette circonstance ne diminue pas mais au contraire augmente le
péché. Mais pécher tout en gardant l’espérance de recevoir un jour son pardon,
en se proposant d’abandonner le péché et d’en faire pénitence, ce n’est pas de
la présomption, et une telle circonstance diminue le péché ; car c’est
manifester qu’on a une volonté moins décidée à pécher. Cependant, mettre son
salut éternel en dépendance totale de sa capacité à se repentir au dernier
moment, c’est présumer de ses propres forces car nul ne peut être certain de
pouvoir se repentir. Un tel homme, face à la présentation objective effectuée
par le démon du bien qu’on peut trouver en enfer risque de s’y porter tout
naturellement si l’amour de soi a pris suffisamment corps en lui.
4. Lucifer désire certes voir Dieu car il
convoite à partir de cette vision certaines richesses aptes à augmenter sa
perfection : connaissances, puissance. Mais il en refuse certaines conditions
voulues par Dieu, toutes les conditions impliquant un abaissement de soi. Or,
Dieu n’impose pas ces conditions pour écraser l’homme, mais en fonction de sa
nature même : Dieu est par essence, et l’analogie de la foi étant sauve, humble
et amour. L’humilité et l’amour ne signifient en lui aucune faiblesse mais une
vie trinitaire de dépendance totale : Le Père (la paternité) n’existe pas par
lui-même mais comme relation subsistante au Fils (la filiation). Ainsi, quand
bien même Dieu, par impossible, voudrait introduire un orgueilleux dans la
Vision de son essence, il y aurait impossibilité car incompréhension de la part
du présomptueux : l’orgueil ne comprend pas l’humilité et l’égoïsme ne comprend
pas l’amour. De même, dans le couple, il ne peut y avoir communion sans amour.
Mais il peut y avoir viol.
Objections :
1. Il ne semble pas que le désespoir puisse
conduire à la damnation s’il subsiste après la mort. Le désespoir est une
passion de la sensibilité qui a pour cause la perte définitive d’un bien
sensible important. C’est ainsi que bien des hommes, poussés par le désespoir
d’une vie qui leur apparaît insensée, se suicident. Il serait aberrant de les
estimer tous damnés.
2. Tout péché, d’après saint Augustin,
comporte une conversion à un bien périssable, avec une aversion pour le bien
immuable. Or le désespoir ne comporte pas de conversion à un bien périssable.
Ce n’est donc pas un péché. Il ne conduit pas à la damnation.
Cependant :
Il
en est du désespoir comme de la présomption. Il s’oppose directement à
l’espérance. Donc il peut conduire à la damnation.
Conclusion :
Comme
péché contre l’Esprit Saint, le désespoir (plus précisément la désespérance)
est nécessairement un acte parfait du libre arbitre, c’est-à-dire qu’il
implique pleine conscience et volonté maîtresse d’elle-même. Il présuppose
donc, quand il est appliqué à Dieu, que l’intelligence sache que Dieu pardonne
les péchés à qui se repend et donne la gloire à qui l’aime ; de même, il
présuppose que la volonté soit libérée de ce qui la porte de l’extérieur au
désespoir comme l’entraînement de la sensibilité. Nous avons vu que Dieu donne
à tout homme cette liberté dans le moment de la mort. Celui donc qui, à cause
de la racine orgueilleuse de son âme, s’obstine à refuser d’espérer que Dieu
donne son pardon ou qu’il retourne les pécheurs vers par la grâce qui les
justifie, détourne son âme d’une manière coupable. La conséquence d’un tel
refus volontaire d’espérer est que l’homme se plonge lui-même dans la
séparation d’avec Dieu. Nous en avons un exemple dans l’attitude de Judas,
celui qui livra Jésus malgré les multiples tentatives que le Seigneur avait
faites pour le ramener dans la fidélité. Le signe de la bouchée de pain[843] prouve l’amitié et la confiance. En
acceptant ce pain de communion, sans parler à Jésus de son trouble, il
s’enferra dans l’hypocrisie. Le démon n’eut plus qu’à lui suggérer de livrer
Jésus aux chefs des Juifs, en lui apportant de très bonnes raisons, le danger
politique de l’Évangile, la nécessité d’un jugement de discernement de la part
des Docteurs de la loi, et l’argent à gagner. Quand il eut livré Jésus, il se
retrouva seul et comprit la gravité de son geste que Jésus avait depuis
longtemps annoncé prophétiquement. Ayant connu la miséricorde du Seigneur, il
savait qu’il n’existe pas un péché qui ne puisse être pardonné. Mais il
n’espéra pas pour lui ce pardon et se suicida.
Ce suicide est le fruit d’un désespoir
devant la conscience d’un acte irréparable. Mais il ne constitue pas encore,
semble-t-il, un péché contre l’Esprit Saint. En effet, l’effroi d’une
condamnation sans rémission possible de la part de Dieu vient submerger la
pensée au point d’entraver le jugement. Elle est fausse et liée à un manque de
connaissance de Dieu. Elle doit donc être rectifiée par une preuve glorieuse de
la bonté de Dieu. Quant à sa faiblesse liée à la panique, l’attitude de Judas
la prouve : il court rendre l’argent, espérant peut-être d’une façon illusoire
libérer Jésus. Tout péché, aussi grave soit-il, lorsqu’il est empreint d’erreur
théologique ou de faiblesse, ne peut constituer un véritable blasphème contre
l’Esprit Saint. Le suicide de Judas révèle d’autre part en lui une capacité à
regretter la faute commise tout en n’imaginant pas le pardon possible.
A l’instant même de sa mort, Jésus (ou
un ange délégué par Jésus selon l’heure à laquelle il fit son geste) se montra
à lui. Sans erreur possible, la clarté de cette apparition manifesta à Judas
l’inimaginable : son péché pouvait être pardonné. Mais le démon toujours
présent à l’heure de la mort le séduisait : «
Garde ta dignité. Ta faute est trop grave, assumes-en les conséquences en
refusant le pardon." Puis il l’accusait : « Faute impardonnable! Malheur à toi, tu es perdu." Par cette
parole, il le tentait non plus de désespoir mais de désespérance. Il ne s’agissait
plus pour lui de le pousser à un désespoir psychologique en lui faisant croire
faussement à l’impossibilité du pardon de Dieu. Il s’agissait de lui rendre sa
fierté pour qu’il dise, avec hauteur et conscience de sa dignité, sans
faiblesse : « Mon péché est trop
grand. Ta proposition de pardon est une offense à ma dignité. » Quel fut le choix définitif de Judas
? Il existe une parole terrible de Jésus à son égard : « Malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré.
Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ».[844] Il faut ajouter comme sous-entendu à ce
texte : « sauf s’il implore le
pardon. »
La
désespérance, comme blasphème contre l’Esprit Saint, est concrètement un choix
de l’intelligence et non une pulsion de la sensibilité.
Solutions :
1. Le désespoir psychologique est une
passion. Il se différencie donc du désespoir spirituel qui est un choix de la
volonté et qui est plutôt un refus d’espérer malgré l’évidence de la
possibilité du pardon octroyé par Dieu. On doit donc affirmer que celui qui se
suicide par désespoir psychologique, s’il commet bien un péché mortel puisque
sa volonté est égoïstement centrée sur lui, sans beaucoup de souci de ceux qui
restent sur terre dans les larmes ni du droit de Dieu sur la vie, le commet
malgré tout avec les circonstances atténuantes que sont l’ignorance et un état
de grande souffrance. On peut donc penser qu’ils sont la plupart du temps
sauvés, même s’ils doivent subir un temps de purification. C’est pourquoi le
Curé d’Ars disait à propos d’un suicide : «
entre le pont et la rivière, il a eu le temps de se repentir », signifiant par cette expression
le moment qui précède immédiatement la mort.
2. Dans tout péché mortel, il y a aversion
pour le bien immuable et conversion à un bien périssable, mais diversement. En
effet, c’est principalement en une aversion pour le bien immuable que
consistent les péchés opposés aux vertus théologales, comme la haine de Dieu,
le désespoir ou l’infidélité, parce que les vertus théologales ont Dieu pour
objet. C’est de par leur cause présupposée qu’ils impliquent une conversion à
un bien périssable, l’âme qui délaisse Dieu se tournant nécessairement comme
vers des biens périssables vers d’autres réalités. Les autres péchés, par
contre, consistent dans leur définition même en une conversion à un bien
périssable et ont pour conséquence une aversion au bien immuable : celui qui
pratique la fornication n’a pas en effet l’intention de s’éloigner de Dieu,
mais de jouir d’un plaisir de la chair, et la conséquence est qu’il s’éloigne
de Dieu.
Le
désespoir dont nous parlons ici, s’il s’oppose directement à la miséricorde
infinie de Dieu, a pour cause l’attachement excessif au propre jugement que le
pécheur a de lui-même et de Dieu. Il dit : «
Nul ne peut me pardonner. » C’est
une fausse humilité. C’est un vrai orgueil. Maintenu face à l’apparition
glorieuse du Christ qui, en vérité, pardonne les plus grands péchés, c’est un
blasphème contre l’Esprit.
Objections :
1. L’envie est une passion incontrôlable.
Elle ne peut donc subsister dans la mort puisque l’homme est libéré du foyer de
péché. Elle ne peut donc conduire à la damnation éternelle.
2. Un homme peut envier le bien d’un autre
parce que cet autre ne le mérite pas et c’est alors un sentiment de la justice
ou encore parce que ce bien lui manque
et
c’est alors l’émulation. Il ne semble donc pas que l’envie des biens d’autrui
soit un péché.
Cependant :
D’après
le livre des sentences, l’envie des grâces d’autrui est un péché contre
l’Esprit Saint. Il ne trouve donc pas de pardon, ni en cette terre ni dans
l’autre monde. Il conduit à la damnation.
Conclusion :
Pour
comprendre comment l’envie des grâces du prochain peut dans certains cas
devenir un blasphème contre l’Esprit et conduire immédiatement après la mort, à
la damnation, il faut considérer ceci : l’homme qui fait le mal à son prochain
se réjouit tant qu’il est sur terre car il obtient, grâce au mal commis, une
certaine domination sur l’autre. Or cette domination ne dure pas avec la mort,
selon cette parole d’Amos[845] : «
Silence!, écoutez, vous qui écrasez le pauvre. » Car dans la mort, nul n’emporte le triomphe qu’il a obtenu
durant sa vie terrestre par le péché mais chacun se retrouve égal devant Dieu.
Or,
dans la révélation qui accompagne la mort, deux choses apparaissent à la
conscience du pécheur. En premier lieu, il découvre dans la vision du Christ
que chaque fois qu’un mal a été commis contre un innocent, c’est d’une manière
mystérieuse à Jésus qu’a été fait ce mal, selon cette parole[846] : «
J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donne à mangez, j’ai eu soif et vous ne
m’avez pas donne à boire. » Jésus
aura donc en quelque sorte le visage de leurs victimes[847] : «
ils verront celui qu’ils ont transpercé.
»
En second lieu, ils comprendront que ceux qui étaient leurs victimes ont
souvent obtenu de Dieu une récompense éternelle qui fait d’eux des rois dans le
royaume de Dieu, gloire qu’ils savent ne pas mériter eux-mêmes avec la même
intensité puisqu’elle est donnée en proportion de la charité.
De
ces deux révélations peut naître, à cause de l’orgueil auquel sont habitués les
méchants un désir envieux envers les grâces de Jésus et de ceux qui sont
sauvés. Une telle envie, si elle est maintenue obstinément au moment de la
mort, face à l’apparition du Messie et des saints, demeure éternellement comme
une orientation perverse de la volonté. Elle mérite donc de soi la damnation
éternelle car elle s’oppose directement à la charité[848].
Solutions :
1. Prise au sens propre, l’envie est une
passion qui nous fait haïr le bien d’autrui. Mais elle peut signifier aussi un
acte de la volonté qui refuse la grâce spirituelle chez celui qui nous apparaît
comme indigne d’un tel don. En ce sens, elle demeure après la mort et elle
existe même chez les démons. Elle demeure aussi dans la sensibilité comme une
passion puisque les âmes conservent la faculté d’éprouver des sentiments, comme
nous l’avons dit (question 8).
2. Il y a une autre façon de s’attrister du
bien d’autrui ; lorsque le prochain a plus de bien que nous, alors qu’il le
mérite. Une telle envie, si elle demeure après la mort est mauvaise et conduit
l’âme à la révolte contre Dieu et contre l’ordre qu’il établit. Nous prendrons
l’exemple d’une personne ayant vécu. Il ne s’agit pas, encore une fois, de se
prononcer sur le choix éternel de quiconque, mais seulement d’être illustratif.
Lorsqu’Adolf Hitler s’est suicidé, il a quitté ce monde en emportant la
responsabilité directe de dizaines de millions de vies humaines détruites dont,
en particulier, quelques millions de femmes, d’enfants coupables d’être nés
accompagnés de son mépris. À l’heure de sa mort, il les vit un à un pendant un
de ces regards profonds que peut offrir la puissance de Dieu au moment décisif.
Toutes ces âmes réunies proposaient[849] leur pardon, sans arrière-pensée. Le
démon aussi, avait droit à la parole, comme il convient en cette occasion. Il
n’est pas difficile, connaissant les obsessions d’Hitler durant sa vie
terrestre, d’en reconstituer la teneur : «
Vois ces juifs, ces tziganes que tu as méprisés avec raison toute ta vie.
Regarde leur humiliante attitude de dépendance les uns vis-à-vis des autres.
Regarde la royauté qu’ils ont reçue de Dieu. Si tu te convertis maintenant,
n’oublie pas que toi, le Guide de millions d’hommes, tu seras plus petit qu’eux
pour l’éternité. De Maître que tu étais, tu deviendras inférieur car chacun se
fait serviteur de tous dans leur monde. Ne te convertis pas. Reste fidèle à ton
combat, sois Roi avec moi, loin de ces gens. »
Là
se trouve la puissante tentation de l’envie des grâces fraternelles. Elle
concerne tout homme qui a été dominant vis-à-vis de son prochain durant sa vie.
Maintenue dans cette situation de lucide liberté, l’envie des grâces fraternelles,
deuxième péché contre l’Esprit Saint, est sans rémission possible car, commis
ainsi dans la lucidité de l’heure à la mort, il est le fait d’une personne qui
jamais plus ne reviendra en arrière.
Objections :
1. L’obstination ne semble pas être un
péché spécial mais la condition de tout péché qui conduit à la damnation. Il ne
semble donc pas qu’il faille la compter parmi les péchés contre l’Esprit Saint
qui conduisent à la damnation.
2. Celui qui s’obstine à considérer le
péché comme la source de la béatitude ne peut durer dans cette conviction que
parce qu’il subsiste en lui une certaine ignorance. Une telle obstination ne
peut en effet que disparaître avec l’expérience du malheur terrible qui règne
en enfer. Or nous avons montre que l’ignorance ne pouvait subsister sur un
point aussi essentiel au moment de la mort. Donc l’obstination ne conduit pas à
la damnation éternelle.
Cependant :
Le
Siracide écrit[850] : «
Le cœur obstiné finira dans le malheur.
» Donc l’obstination est un péché qui peut conduire en enfer éternel.
Conclusion :
L’obstination
dans le péché, si elle demeure après la mort, conduit à la damnation. Par
l’obstination l’homme affermit sa résolution dans l’attachement du péché. Il
maintient donc son âme fixée dans une fin dernière qui est un bien créé, malgré
la découverte faite au moment de la mort de la médiocrité et la brièveté de ce
bien, selon cette parole de l’apôtre[851] : «
quel fruit avez-vous eu dans ces péchés dont aujourd’hui vous rougissez ? » Une telle obstination est fondée sur
un amour désordonné de soi assez puissant pour résister à trois choses : 1° L’expérience terrestre de l’effet
d’amertume de ces biens ; 2° La
prédication de gloire du Christ et des saints ; 3° La perspective du malheur éternel de l’enfer. C’est pourquoi le
prophète Jérémie dit à propos de ceux qui s’obstinent dans le péché malgré la
manifestation du Seigneur : « Et
vous, vous avez agi plus mal que nos pères. Voici, chacun de vous se conduit
selon l’obstination de son cœur mauvais, sans m’écouter. Je vous jetterai donc
hors de ce pays, dans un pays inconnu de vous et de vos pères et vous servirez
d’autres dieux, jour et nuit, car je ne vous ferai plus grâce. » Il signifie par là la réprobation
éternelle que méritent ceux qui s’obstinent dans leur péché.
Solutions :
1. L’obstination dont nous parlons ici
n’est pas seulement celle qui accompagne tout péché contre l’Esprit Saint sans
quoi elle ne serait pas un péché spécial mais une circonstance des péchés. Il
s’agit plutôt ici d’un choix de la volonté qui fait du bien créé son objet
final, à cause d’une considération de l’intelligence qui y voit un bien plus
grand que le bien Incréé, c’est à dire la Vision de Dieu. Il y a donc dans
l’obstination une conversion vers le bonheur apparent donné par le péché et un
mépris de la béatitude proposée par Dieu. C’est pourquoi le prophète Osée peut
parler ainsi[852] : «
Ils ont préféré l’ignominie à leur Grand Dieu. » L'exemple suivant peut éclairer : après la prédication de Satan,
un homme adonné toute sa vie à la recherche du plaisir se rend compte qu'en
enfer, il pourra librement livrer son corps à la débauche. Il lui est révélé
qu'il n'en obtiendra aucun plaisir. Mais il s'obstine à considérer que le sexe
n'a d'autre fonction que l'égoïsme, méprisant la délicatesse du Ciel où tout
est au service d'autrui. Face à l'apparition glorieuse du Christ et des saints,
une telle obstination implique un tel orgueil qu'aucun repentir, à jamais, ne
viendra.
2. L’obstination, quand elle est un péché
contre l’Esprit Saint, demeure même avec une science parfaite des peines de
l’enfer qui sont préparées. Mais pour l’obstiné, la solitude éternelle le ver
rongeur de la rancoeur ou même le feu de l’enfer ne paraissent pas des peines
assez considérables pour lui faire renoncer à l’amour désordonne de soi et du
péché. Une telle obstination demeure même après l’expérience de l’enfer et ceci
pour toujours car l’obstiné estime toujours avoir raison et maintient fermement
son choix.[853]
Objections :
1. L’impénitence finale est une persistance
dans le péché jusqu’à la mort. Elle n’est donc pas un péché spécial mais une
circonstance du péché. Elle ne doit pas être comptée parmi l’un des six péchés
contre l’Esprit Saint qui conduisent immédiatement à la damnation.
2. Tout homme en état de péché mortel doit
se repentir pour être rétabli dans la grâce de Dieu. Or la conversion est un
don de Dieu. Elle ne dépend donc pas du pécheur mais de Dieu qui meut le
pécheur à se convertir. Elle ne peut donc être un péché spécial mais seulement
un effet de la justice divine qui laisse l’homme dans l’état qu’il a lui-même
désiré dans sa volonté déréglée.
Cependant :
Saint
Paul écrit[854] : «
Par ton endurcissement et l’impénitence de ton cœur, tu amasses contre toi
un trésor de colère, au jour de la colère où se révèlera le juste jugement de
Dieu ».
Conclusion :
Dès
cette terre, l’impénitence peut être parfois un péché contre l’Esprit Saint, au
moins chez ceux qui ont pleine connaissance de ce qu’est le péché au regard de
Dieu. Mais après la mort, l’impénitence qui demeure est nécessairement un péché
de cette nature et elle conduit donc à la réprobation et à la damnation
éternelle. La raison en est que l’âme a reçu jusque dans la mort suffisamment
de grâces de la part de Dieu pour connaître ce qu’est le péché, sa gravité
aussi bien par rapport à Dieu que par rapport au prochain et à soi-même. En
outre l’âme connaît la nécessité pour elle de se repentir de son péché si elle
veut être justifiée et introduite dans la gloire. Quant à la volonté, elle est
dans un état tel qu’elle n’est pas mue par autre chose que par l’intelligence
comme nous l’avons montré.
Celui-là
donc ne peut refuser de reconnaître son péché en le confessant à Dieu et d’en
demander pardon par une contrition parfaite que s’il est attaché à son orgueil
au point de préférer garder son péché plutôt que de
s’humilier. Une telle volonté perverse, demeurant après la mort, mérite la
séparation éternelle avec Dieu. C’est pourquoi Jésus dit[855] : «
Les hommes de Ninive se dresseront lors du jugement avec cette génération
et la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y
a plus ici que Jonas. »
Solutions :
1. L’impénitence finale n’est pas prise ici
dans le sens d’une persistance du péché jusqu’à la mort. Elle est prise comme
un péché spécial dont l’objet propre est la résolution de ne pas faire
pénitence, à cause d’un trop grand amour de sa propre excellence.
2. Il est vrai qu’en stricte justice, tout
homme en état de péché mortel mérite la damnation éternelle puisqu’il a
manifesté suffisamment par un seul acte de péché sa répulsion pour Dieu.
Cependant Dieu, dans la justice de son amour, poursuit le pécheur et l’invite à
se repentir jusqu’au dernier moment. Il donne donc largement toutes les grâces
nécessaires qui peuvent commencer dans l’âme du pécheur un mouvement de retour.
Si ce retour n’a pas lieu, cela vient de la seule initiative de la volonté
perverse de l’homme qui préfère rester séparée de Dieu que se repentir.
Nous
nous demanderons :
1° La peine principale de l’enfer est-elle
la séparation d’avec Dieu ?
2° Outre la séparation d’avec Dieu,
y-a-t-il une peine du feu en enfer ?
3° Outre le feu spirituel de l’âme,
existe-t-il en enfer un feu matériel ?
4° Les damnés souffrent-ils du ver rongeur
de la rancoeur ?
5° Pleurent-ils ?
6° Sont-ils plongés dans les ténèbres
extérieures ?
7° Outre les peines précitées, existe-t-il
en enfer d’autres peines ?
8° Les démons exécuteront-ils la sentence
du juge à l’égard des damnés ?
Objection l :
Cela
ne semble pas. En effet, les âmes du purgatoire sont séparées de la vision de
Dieu et elles souffrent de cette séparation. Or on ne dit pas qu’elles sont en
enfer. Donc cette peine n’est pas la principale en enfer.
2. Saint Paul disait[857] : «
je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes
frères. » Or nul ne peut souhaiter
aller en enfer pour l’amour de ses frères. Donc la séparation d’avec Dieu n’est
pas l’enfer.
3. Avant la venue du Christ, les hommes
attendaient après leur mort dans les enfers. Ceux dont l’âme était perverse
souffraient déjà des peines dans leur âme comme du ver rongeur de la rancoeur
ou du feu. En cela, ils se distinguaient des âmes justes qui étaient seulement
séparées de Dieu sans subir aucune peine. Donc l’enfer se définit plutôt par
les peines qu’il implique que par la séparation d’avec Dieu.
4. Les damnés veulent être séparés de Dieu
puisqu’ils haïssent ses volontés qui s’opposent à leur orgueil. Or ce qui est
voulu ne peut constituer une peine. Donc l’enfer ne consiste pas principalement
dans la séparation d’avec Dieu.
Cependant :
Le
Seigneur dira aux méchants, lors du jugement de leur âme[858] : «
Allez loin de moi, maudits. »
C’est là la peine la plus importante dans l’enfer.
Conclusion :
Pour
tout être, il ne peut y avoir de plus grand mal que la perte définitive de sa
fin. Ainsi dans la nature, lorsqu’il arrive qu’une espèce animale ou végétale
disparaisse, on considère habituellement un tel évènement comme une catastrophe
parce que chaque espèce, portée à travers la succession des individus de même
nature qui la représentent, n’a pas d’autre finalité que de durer toujours.
En
ce qui regarde l’homme dont la finalité personnelle ne consiste pas seulement
dans la communication de la vie mais essentiellement dans une union spirituelle
avec Dieu[859], la perte de cette fin constitue de la
même manière le plus grand des maux. Or, pour les êtres spirituels, une telle
séparation n’est parfaitement consommée que par le péché dans ce qu’il a de
plus absolu, c’est-à-dire dans l’acte conscient, volontaire et libre de
blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché qui est, comme nous l’avons
montré[860], le principe premier conduisant à la
peine du dam, est considéré par Dieu comme le plus grand des maux de l’âme
humaine. Et pour éviter que l’homme ne soit trouvé au terme de sa vie dans une
telle disposition intérieure, Dieu ne néglige aucun moyen : il envoie des
prophètes, le Fils éternel se fait homme en Jésus-Christ, il multiplie les
signes et les miracles, il frappe les corps de maux qui rappellent à l’esprit
la vanité de tout ce qui est créé, il revient dans sa gloire à l’heure de la
mort. Lorsque, malgré cela, l’égoïsme, la cupidité et l’orgueil conduisent un
homme à rejeter volontairement Dieu, on doit considérer cette séparation voulue
comme la première et la plus grande des peines de l’enfer. En effet, en se
séparant de Dieu, l’homme perd sa fin et devient un être vain : son
intelligence faite pour atteindre la vérité, se condamne à l’obscurité de
l’ignorance puisqu’elle ne voit pas la Vérité première ; sa volonté, créée pour
tendre au bien se condamne à errer sans cesse à la recherche d’un bonheur qui
n’existe pas hors de Dieu, puisque Dieu est la Bonté. Origène écrit[861] : «
Qu’on nous arrache un membre, nous éprouvons de vives souffrances, mais
l’âme, séparée de Dieu, à qui elle aurait dû être unie, souffrira bien
davantage de ce déchirement. Tiraillée en mille sens divers, elle sera comme
divisée d’avec elle-même, et en place de l’unité harmonieuse à laquelle Dieu la
destinait, elle offrira le spectacle du désordre et de la confusion. »
Solutions :
1. Ce n’est pas pour le même motif que les
âmes du purgatoire et celles de l’enfer n’ont pas la vision béatifique : celles
du purgatoire veulent une séparation provisoire à cause de la conscience
qu’elles ont de leur impureté et de la très grande pureté du Dieu qu’elles
désirent. Au contraire, les âmes de l’enfer veulent la séparation d’avec Dieu à
cause de ses volontés qui leur paraissent un mal qu’il faut fuir puisqu’elles
s’opposent au bien de leur orgueil. En conséquence, ces âmes se séparent
elles-mêmes de Dieu au moment de la mort. Par le fait même, elles perdent la
possibilité de s’unir au seul bien capable de les rendre heureuses et elles
errent éternellement à la recherche d’une béatitude qu’elles ne peuvent jamais
atteindre. Leur souffrance provient essentiellement de cette absence de Dieu.
L’enfer est l’état d’une âme qui s’est volontairement séparée de Dieu.
2. Saint Paul ne souhaitait pas être séparé
de Dieu en tant qu’il est Dieu mais de Dieu en tant qu’il pouvait béatifier son
âme car son amour excessif pour ses frères lui faisait préférer leur bien à son
propre bonheur. Sa charité excessive est donc sans rapport avec l’égoïsme
excessif des damnés de l’enfer.
3. Comme nous le verrons, le feu et le ver
rongeur de la rancoeur sont des conséquences directes dans l’âme des damnés de
leur volonté pervertie qui se sépare de ce pourquoi elle a été créée. Aussi on
doit dire que l’enfer ne se définit pas essentiellement par ces peines mais par
cette séparation spécifique qui est causée, chez le damné, par sa volonté.
Quant aux âmes qui séjournaient dans l’enfer des patriarches, elles ne
souffraient certes pas, à moins que l’on qualifie de souffrance le désir
intense de voir celui dont la présence cachée les comblait de sa grâce
sanctifiante.
4. Une chose peut-être volontaire de deux
manières :
1° elle peut l’être par soi et
directement. Ainsi l’homme fuit-il le mal et recherche ce qui lui apparaît
bien.
2° elle peut l’être indirectement à cause
d’une condition présupposée. Ainsi, on ne dit pas que le marin pris dans la
tempête jette sa cargaison à l’eau pour le simple plaisir de s’en débarrasser.
Il la jette à cause d’un bien qui lui paraît supérieur c’est-à-dire la survie
du navire. Une telle distinction peut être appliquée aux damnés pour comprendre
de quelle manière ils se séparent volontairement de Dieu. Comme nous l’avons
dit, avant le jugement dernier qui détermine le destin éternel des hommes, deux
choses sont révélées : la possibilité de la vision béatifique et les conditions
requises pour entrer dans cette vision, comme la nécessité de la pénitence, de
l’humilité (kénose), de la charité.
Celui
qui se damne ne peut refuser directement et par soi la vision de l’essence
divine puisqu’elle lui est suffisamment révélée selon ce qu’elle est, à savoir
le Bien parfait. Mais il peut la refuser à cause des conditions préalables qui
lui sont demandées et le motif de cette révolte est, comme nous l’avons montré,
l’amour désordonné de soi. Cette exaltation de soi pousse l’âme à rejeter
directement et par soi les volontés de Dieu concernant les conditions de
l’entrée dans la Vision béatifique car ces conditions lui paraissent être un
mal relativement au bien de son orgueil qui est place en absolu. En conclusion,
on peut dire que le damné ne désire directement ni la séparation d’avec Dieu,
ni l’enfer mais qu’il cherche sa propre liberté égoïste et, en conséquence
s’oppose à ce qui s’y oppose, les moyens du salut.
5. « Les autres peines de l’enfer ne sont que
la conséquence naturelle de l’absence de Dieu due au rejet de Dieu. Mais en
même temps, ayant refusé librement Dieu comme fin surnaturelle, il l’a du même
coup refusé librement comme fin naturelle. Il le déteste par un acte libre où
il est fixé, et il préfère à la vraie béatitude la fausse béatitude qu’il a
choisie, son orgueil. C’est là sa fin ultime voulue par-dessus tout, même au
prix de toute espèce de souffrance et de privation, être un dieu par sa propre force,
voilà sa béatitude. Il ne peut pas révoquer ce choix, parce que celui-ci porte
sur la fin ultime et a été accompli en pleine lumière spirituelle, fixant la
volonté en lui, en telle sorte que tous les actes subséquents de vouloir ne
seront effectués que dans la vertu de cet acte-là. Il y a donc déchirement,
mais non pas repentir, il ne demande aucun pardon, il refuserait le pardon s’il
lui était proposé, il veut continuer dans cet état. Ainsi, l’éternelle justice
doit être désignée, si nous cherchons des images humaines, moins comme la
mystérieuse colère que comme la mystérieuse patience de Dieu, qui souffre que
sa miséricorde soit finalement refusée, qu’une créature soit pour toujours et
par son choix libre son propre dieu. »
(Réf.)
Objections :
1. Cela semble inutile. La séparation
d’avec Dieu semble une peine suffisante puisqu’elle est la perte de la
béatitude surnaturelle qui avait été proposée. Celui qui refuse les conditions
d’un bien supérieur par son obstination semble être suffisamment puni par le
fait qu’il est privé de ce bien.
2. Dieu crée l’homme par amour dans le but
de lui proposer la béatitude surnaturelle. Celui qui la refuse librement ne
doit donc pas être torturé par un feu mais simplement vivre d’un bonheur
naturel selon son désir.
3. Si la séparation d’avec Dieu est source
dans l’âme d’un feu spirituel qui la torture, tout être spirituel devrait
souffrir du feu de l’enfer dans la mesure où il est séparé de Dieu. Ce n’est
manifestement pas le cas pour les habitants de la terre.
Cependant :
Le
psalmiste écrit[863] : «
le feu et le souffre, et le souffle des tempêtes seront la part de leur
calice" et Job continue[864] : «
de l’eau des neiges, il passe à l’extrême chaleur. » C’est pourquoi l’Église a défini par la voix de Benoît XII le
dogme suivant[865] : «
Nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de
ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en
enfer, où elles sont tourmentées des peines infernales. » Donc le feu de l’enfer existe réellement.
Conclusion :
Que
le feu de l’enfer et les autres peines rapportées par l’Écriture existent,
c’est un dogme de foi. Mais quand il s’agit de définir la nature de ce feu,
plusieurs opinions existent. Certains Pères pensent qu’il s’agit d’une
souffrance spirituelle appelée par métaphore feu. D’autres pensent qu’on
doit parler au sens propre d’un feu matériel, sensible, touchant l’âme à la
mesure de son attachement au péché. Nous étudierons cette seconde opinion dans
l’article suivant.
Quant
à la première opinion, sa vérité apparaît avec évidence. Aucun être, lorsqu’il
est séparé de sa fin, n’est en repos tant qu’il n’a pas rejoint cette fin. Or
l’homme a été créé pour Dieu. Ainsi les âmes de l’enfer en subissent
nécessairement une souffrance.
Il
reste à définir la nature du feu qui les torture. Pour la comprendre, il faut
considérer ceci : l’âme humaine a été créée par Dieu en vue d’être élevée au
Bien Eternel. On en voit le symptôme à travers chacune des facultés de
l’esprit. L’intelligence humaine se porte vers un objet universel qui est la
vérité et la volonté est faite pour aimer ce qui a raison de Bien en général.
L’âme possède donc par nature une orientation vers Dieu qui est par nature la
Vérité et la Bonté. Il s’agit d’un instinct spirituel dont l’exercice nous
porte dès cette terre vers ce qui nous dépasse et vers ce qui est sacré. Cet
instinct spirituel étend son effet jusque dans la sensibilité au point que
l’homme est attiré vers ce qui lui rappelle la transcendance de manière
sensible, à savoir le beau. C’est pour la même raison que l’homme est par
nature un être religieux même si, à cause du poids du corps et des occupations
multiples de la vie matérielle, il peut arriver à étouffer pour un temps son
appétit spirituel.
Comme
cet instinct spirituel touche les facultés spirituelles dans l’ensemble, c’est
que le siège même de ces facultés en est la cause. C’est pourquoi on peut dire
que le désir de Dieu est un habitus entitatif (c’est-à-dire une orientation non
seulement liée à l’esprit mais à sa racine, l’âme) qui, lorsque la fin désirée
n’est pas unie d’une manière ou d’une autre, est source d’un inconscient
spirituel auquel Freud n’a pas pensé. Dès cette terre, ses effets se font
sentir chez les hommes qui ne vivent que dans le sensible. C’est ce qu’on
appelle l’angoisse.
Après
la mort, lorsque l’âme se trouve libérée du corps, l’instinct divin retrouve en
plénitude son exercice et pousse l’âme à s’orienter de toutes ses forces vers
Dieu. Or, chez les damnés, cet amour naturel, entitatif de l’âme est contrarié
par l’intention perverse de leur volonté qui les fait préférer l’amour
d’eux-mêmes. Et c’est cet amour désordonné de soi qui les plonge dans la
séparation d’avec Dieu. Il y a donc contradiction en eux entre le désir de leur
nature et celui de leur volonté. Cette contradiction est perpétuelle et très
profonde puisqu’elle s’oppose au désir le plus profond de la nature de leur
être et est malgré cela voulue et choisie dans une obstination lucide.
L’instinct divin, étant pour l’éternité séparé de son bien, se trouve en état
de perpétuelle insatisfaction. Ce désir de la nature qui trouve son origine
dans l’âme elle-même, est source d’un feu brûlant de l’âme, c’est-à-dire d’un
profond mal être spirituel. Il ne cesse jamais, de la même manière que la
souffrance provoquée par l’instinct de la nourriture chez les animaux ne cesse
pas tant que la nourriture n’est pas donnée.
Ce
feu de l’enfer, qui brûle l’essence même de l’âme puisqu’il trouve son origine
dans un appétit entitatif de l’homme, contredit par la chaleur intérieure qu’il
provoque, la volonté perverse du damné. Il a donc raison de peine et il est
autre chose que la séparation d’avec Dieu.[866]
Solutions :
1. La séparation d’avec Dieu étant voulue
par l’âme des damnés à cause de leur volonté perverse, elle est source en eux
du feu de l’enfer de la manière que nous avons dite. Ce n’est pas le cas chez
les âmes des limbes car chez elles la volonté est droite et se porterait, si
elle le pouvait, vers la béatitude surnaturelle. Chez elles, le désir de Dieu
est réel mais il est source d’espérance et non de cette rage désespérée de ceux
qui, en enfer, s’obstinent dans le péché mortel actuel.
2. Celui qui refuse le don de la Vision
Béatifique ne le fait pas parce qu’il préfère rester dans un bonheur naturel,
comme celui que donne l’amitié ou la contemplation naturelle. Bien au contraire
; de tels biens naturels disposent l’âme à désirer la Vision de l’essence
divine si elle est proposée par Dieu. Celui qui se damne ne se sépare de Dieu
qu’à cause d’une intention mauvaise, qui est l’amour de soi poussé jusqu’au
mépris des autres. C’est donc une volonté perverse qui se condamne elle-même et
mérite une peine proportionnée à sa perversité.
3. Toute âme séparée de la vision de Dieu
souffre d’une manière entitative d’un feu car le désir naturel qui la fait
tendre vers le bonheur absolu ne peut être comblé que par la possession de
Dieu. Cependant, ce désir de l’âme n’est pas ressenti de la même manière chez
tous. Ici-bas, chez ceux qui ne connaissent pas Dieu, il demeure dans
l’inconscient. C’est ce que montre saint Augustin dans les Confessions
en disant qu’il s’est rendu compte qu’il aimait Dieu sans le connaître le jour
où il l’a connu. Mais son effet est facilement repérable pour le psychologue
qui observe le comportement humain. Il se traduit en général chez le pécheur
par une fuite dans de multiples distractions ou occupations de la vie active,
une peur du silence, quelquefois même des névroses et des psychoses. Il est
aussi chez les jeunes et les personnes âgées l’origine principale des
angoisses, c’est-à-dire de ce sentiment de malaise sans cause connue.
Après
la mort, cet instinct de l’âme se manifeste chez tous dans toute sa force
puisque le poids de la chair n’est plus là pour le cacher. Mais, s’il est chez
tous source de désir, il n’est pas source chez tous de souffrance. Tout dépend
de la proximité de Dieu. Chez l’âme glorifiée, unie à l’objet de ce désir, cet
habitus entitatif est source de la béatitude, c’est-à-dire du bonheur sans
autre désir. Chez les justes qui étaient retenus dans le "sein d’Abraham », il s’épanouissait dans le feu de la
charité et l’exultation de l’espérance certaine, grâce à la présence de la
grâce sanctifiante. Il était source de joie car ils étaient certains du salut à
venir. Chez les âmes du purgatoire, aimantes de Dieu mais séparées pour un
temps de toute sa présence, il est source d’un désir extrêmement douloureux.
Elles souffrent de ce feu à cause de l’absence de Dieu et des saints qu’elles
ressentent comme totale et de la connaissance qu’elles ont de déplaire au Ciel
à cause de leurs imperfections. Mais le péché véniel actuel qui demeure en
elles étant accompagné d’une fervente charité pour Dieu, elles éprouvent
simultanément de par ce feu une grande joie et paix. Quant aux âmes de l’enfer,
enfin, elles n’éprouvent de par le désir naturel de leur âme qui continue de
tendre vers Dieu, que de la souffrance puisque ce désir s’oppose directement à
l’orientation de tout leur être qui cherche le bonheur dans un bien opposé à
savoir le péché. Et plus le péché actuel du damné est intense, c’est-à-dire
opposé au désir naturel de son âme faite pour Dieu, plus il en subit les
conséquences. L’intensité de cette souffrance est incomparablement plus grande
que celle qui peut exister sur la terre à cause de la condition nouvelle de
l’âme qu’aucune distraction extérieure ne peut venir troubler la conscience de
sa contrariété interne.
Objections :
1. Saint Augustin semble dire que c’est
impossible. Les choses par lesquelles sont affectées, en bien ou en mal, les
âmes sorties du corps, ne sont pas corporelles, mais ressemblent seulement à
des choses corporelles.
2. L’être qui agit sur un autre lui est
toujours supérieur. Or, aucun être corporel ne peut être supérieur à l’âme
séparée, donc agir sur elle.
3. Action et passion exigent une matière
commune à l’agent et au patient. Or il n’y en a pas pour l’âme séparée qui est
esprit et un feu corporel. C’est pourquoi il ne peut y avoir non plus de
transformation réciproque.
4. Si le feu corporel pouvait agir sur
l’âme séparée, celle-ci en recevrait donc quelque chose, qui serait donc
spirituel comme elle-même, et donc une perfection, au lieu d’une punition.
5. L’âme ne peut pas davantage être punie
par le feu[868], du fait qu’elle le voit comme semble
le dire saint Grégoire car cette vision, en l’absence de tout organe, ne peut
être qu’intellectuelle, et donc agréable, puisque, comme le dit Aristote, il
n’y pas de tristesse contraire au plaisir de la connaissance.
6. Un être corporel ne peut agir à distance
qu’en agissant sur les intermédiaires. Or, on ne voit pas comment le feu de l’enfer
aurait une telle puissance, ni surtout qu’il l’exerce de fait, sur les âmes et
sur les démons qui ne sont pas toujours dans l’enfer, et dont cependant la
peine doit être ininterrompue comme l’est aussi le bonheur des élus.[869]
7. Il semble que le feu de l’enfer qui
tourmente l’âme des damnés n’est pas un feu matériel. Saint Jean Damascène dit
en effet : « Le diable et les démons,
et leur homme, c’est-à-dire l’Antéchrist, seront livrés avec les impies et les
pécheurs, au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est ici, parmi nous,
mais tel que Dieu le connaît" Le feu de l’enfer ne sera donc pas corporel.
8. Les âmes des damnés, séparées de leur
chair, sont jetées au feu de l’enfer. Mais saint Augustin dit[870] : «
Je pense que le lieu où l’âme est envoyée après la mort est spirituel, et
non corporel. » Donc le feu de
l’enfer n’est pas un feu corporel.
9. Le feu physique, dans sa manière d’agir
brûle aussi bien les bons que les mauvais. Au contraire, la peine du feu de
l’enfer tourmentera les damnés en proportion de leurs fautes. C’est pourquoi
saint Grégoire dit[871] : «
il n’y a qu’un feu de la géhenne, mais il ne tourmente pas tous les
pécheurs de la même manière : chacun subira une peine proportionnée à sa faute. » Le feu n’est donc pas physique.
Cependant :
Une
décision de la Sacrée Pénitencerie (1890) interdit de donner l’absolution à qui
ne verrait dans le feu de l’enfer qu’une métaphore désignant les peines
intenses des damnés. Cette décision, de caractère disciplinaire, se fonde sur
l’enseignement commun des théologiens[872].
Conclusion :
Au
sujet de l’existence d’un feu physique dans l’enfer dès avant la résurrection
de la chair, il n’y a pas de définition solennelle de la part du Magistère de
l’Église, mais seulement l’opinion commune de la plupart des grands docteurs,
Pères de l’Église et théologiens. Dans l’Écriture Sainte, il est possible que,
malgré leur nombre, les textes parlant au sens littéral d’un feu matériel
signifient par mode de métaphore une souffrance lancinante. Mais, après la
résurrection de la chair, selon l’opinion la plus commune, on doit affirmer
ceci : il ne fait pas de doute, les damnés souffriront d’un feu de nature
physique car la perversité de leur âme rejaillira par ses effets jusque dans
leur psychisme et dans leur corps, comme nous l’étudierons ultérieurement[873].
Parlons
d’abord du feu de l’enfer avant cette résurrection finale. Il faut se demander
s’il est possible et comment il peut être possible qu’un feu corporel tourmente
l’âme incorporelle. Il existe deux sortes d’argumentations, selon la nature que
chacun attribue à l’âme.
1° Un premier groupe de théologiens, dont
saint Thomas d’Aquin à la suite d’Aristote, pense que l’âme séparée du corps
est un pur esprit, comparable aux anges. Son rapport à la matière se résume à
un désir, lié à la nature de l’âme faite pour être unie à son corps, du retour
des facultés du corps dont la sensibilité.
Cette première hypothèse étant posé, ces théologiens se sont demandé
comment une âme séparée pouvait souffrir d’un feu alors qu’elle n’a plus de
sensibilité. Une première opinion admet que l’âme peut souffrir en réalité
d’un feu corporel : « Nous pouvons conclure des récits
évangéliques, dit saint Grégoire, que l’âme souffre du feu non
seulement en le voyant mais en l’éprouvant. » Voici l’explication qu’on en
donne. Le feu corporel de l’enfer peut être considéré à un double point de vue
: comme une chose corporelle quelconque, et ainsi il est incapable d’agir sur
l’âme ; comme instrument de la justice divine qui exige, et c’est dans l’ordre,
que l’âme qui, par le péché, s’est faite l’esclave des choses corporelles pour
jouir, le soit aussi pour être punie. D’autre part, l’instrument agit non
seulement par sa vertu propre, mais encore par la vertu de celui qui l’emploie.
Il n’est donc pas déraisonnable d’admettre que ce feu vengeur, servant
d’instrument à un être spirituel, puisse agir sur des esprits comme l’âme et le
démon. C’est ainsi que s’explique la sanctification de l’âme par les
sacrements.
Cette
opinion prête à la critique. En effet, un instrument n’agit pas seulement par
la vertu que lui communique l’agent principal, mais encore par sa vertu propre
et naturelle ; bien plus, c’est l’usage de celle-ci qui permet à la première de
s’exercer : c’est parce que l’eau du baptême lave le corps qu’elle peut
sanctifier l’âme, c’est parce que la scie coupe le bois qu’elle peut bâtir une
maison. Il est donc nécessaire d’assigner au feu une action sur l’âme, qui soit
en rapport avec sa nature corporelle, pour qu’on puisse en faire l’instrument
de la justice divine sur l’âme pécheresse.
Une
seconde opinion affirme que le damné est condamné par Dieu à ne plus pouvoir
considérer par son intelligence que l’essence même du feu matériel, de telle
façon qu’elle ne puisse plus connaître rien d’autre. Ce ne peut être que de la
même manière qu’il le fait pour les purs esprits que sont les démons. Or nous
avons vu que les purs esprits sont dits être en rapport avec une réalité
matérielle quand leur intelligence connaît par un jugement actuel cette réalité
ou quand ils y appliquent l’efficacité de leur action. Ainsi, le démon est
considéré comme présent dans le corps d’un homme quand il prend possession par
sa puissance des facultés de cet homme. Les anges ont par nature la possibilité
de porter leur jugement successivement sur diverses réalités ou même d’y
appliquer leur action. En ce sens on parle pour eux de mouvement local. Mais
cette liberté angélique par rapport au mouvement local peut être entravée par
une décision de la volonté divine : Dieu peut donc empêcher un pur esprit de
tourner son intelligence vers certaines réalités au point qu’il ne puisse plus
les connaître selon un jugement actuel. De même, il peut leur interdire d’y
porter leur action comme on le voit dans le livre de Tobie[874] : «
l’ange Raphaël poursuivit le démon, l’entraîna et le garrotta sur-le-champ. »
Cette
opinion présente un avantage : elle permet d’expliquer par une raison plus
pratique l’origine de la peine : Les démons et les âmes, étant pris par
l’obsession de cette idée fixe du feu, comme dans une prison, n’ont plus la
liberté de connaître ce que font les hommes sur la terre et donc de leur nuire.
Cependant elle présente aussi de graves inconvénients : comme nous l’avons vu,
la damnation étant le fruit d’un acte totalement libre de la part de la
créature, il serait inconvenant que Dieu détruise totalement la liberté de
pensée dont il a respecté l’orientation, en obscurcissant ainsi son
intelligence. L’intelligence du damné et du démon doit pouvoir se porter sur
autre chose que sur la considération de la nature du feu, et peut-être tout
particulièrement sur les raisons de son choix qu’elle maintient obstinément.
C’est
pourquoi il existe une troisième opinion. Les damnés souffriraient du feu à
cause de l’obsession même de leur esprit centré sur la recherche d’eux-mêmes.
Ils passent leur temps à chercher leur bon plaisir sans jamais le trouver. Dans
leur aigreur, et leur repli sur la considération d’eux-mêmes, ils sont comme
enfermés dans un lieu (eux-mêmes) à l’exclusion des autres. En ce sens on peut
dire que l’enfer est une prison et qu’on y souffre un feu matériel car
localisé. C’est de cette manière que les démons de l’enfer peuvent être
torturés par une réalité en rapport avec le monde physique et le mouvement
local. Leur obsession égoïste entrave leur intelligence et leur puissance au
point qu’ils ne peuvent faire autre chose que de considérer actuellement les
réalités de l’enfer, à savoir l’état de leur propre nature rongée par les
conséquences de leur choix pervers et obstiné, et la compagnie des autres
damnés. Cela représente pour leur esprit une prison insupportable. Il est
naturel en effet sur cette terre à celui dont la conscience n’est pas en paix,
de fuir toute confrontation avec lui-même dans le silence. C’est la même raison
qui poussait les démons que Jésus exorcisait du corps d’un possédé à demander
de[875] « ne
pas les envoyer dans l’abîme »
car ils estimaient que c’était une peine terrible pour eux de ne plus pouvoir
s’occuper et de devoir appliquer passivement leur intelligence à rien d’autre
qu’à la considération du feu éternel en eux. Ils préféraient tout à cela, même
être envoyés dans un troupeau de porcs.
Cependant,
même considéré de cette manière, il faut admettre que cette prison de feu ne
peut agir sur l’âme que d’une manière adaptée aux purs esprits, c’est-à-dire
d’une manière spirituelle. On voit la difficulté extrême de conclure à une
peine sensible si l’âme des morts n’a plus de sensibilité.
2° Un second groupe de théologiens (saint
Augustin avant ses rétractations, ceux qui de nos jours s’intéressent à la
N.D.E) pense que les âmes, en se séparant du corps physique, conservent leur
corps psychique et les facultés sensitives qui vont avec. Dans cette hypothèse,
il est aisé de comprendre comment une souffrance sensible peut exister.
Plusieurs
explications ont été apportées. Selon l’opinion d’Avicenne, les âmes des
méchants, avant la résurrection, sont punies non dans leur corps, mais dans une
sorte d’image du feu produite par leur imaginaire. De même, dans les songes, à
cause des similitudes des choses, qui se trouvent dans l’imagination, il semble
à l’homme qu’il soit torturé par des peines diverses. Il semble que saint
Augustin admette aussi ce mode de punition, dans son commentaire de la
Genèse. Cet obscurcissement de leur intelligence et de leurs sens viendrait
d’une punition de Dieu. L’argumentation habituelle de ces théologiens consiste
à dire que « cette peine est nécessaire pour cause de justice car il est normal que
celui qui pèche par ses sens reçoive une peine sensible pour le mal commis.
Ainsi voit-on sur la terre que les juges appliquent aux coupables des peines
proportionnelles à leur crime. » De cette façon, ils tentent de
rétablir l’ordre de la société qui a été de quelque manière détruit et ils
donnent un exemple qui sert d’avertissement pour ceux qui seraient tentés de
commettre le même crime. Il leur semblait en être ainsi de la part de Dieu pour
les peines en enfer.
Une
telle argumentation, appuyée sur l’application par Dieu d’une stricte justice
pénale envers les damnés ne peut que susciter les plus vives réserves pour
trois raisons[876] :
--
Il n’est nul besoin d’ajouter pour l’exemplarité de la peine l’existence d’un
autre feu que le feu spirituel décrit à l’article précédent, ce feu spirituel
étant la souffrance la plus grande qui puisse exister.
--
Dieu n’agit jamais par raison de stricte justice. S’il l’avait fait, nous
serions tous damnés éternellement sans espoir de salut, à cause en tout premier
lieu, du choix libre de nos premiers parents, Adam et Ève, lorsqu’ils se
séparèrent de Dieu en leur nom et en notre nom. De plus, on voit mal comment un
damné dont la liberté et la maîtrise sont totales et respectées par Dieu,
pourrait être puni par un phantasme incontrôlable de son imagination.
--
L’exemplarité n’existe plus dans l’autre monde puisque le choix de chacun est
déterminé par la seule liberté, jamais par la peur.
Tout
cela ne paraît pas convenir. C’est pourquoi, pour être concluant, il semble
qu’on doive parler autrement. Il existe réellement en enfer, dès avant la
résurrection de la chair, un feu sensible. Mais il n’est pas besoin de voir en
lui un quelconque ajout de la justice de Dieu. Il est la conséquence normale, à
l’intérieur de la vie psychique, de la contradiction spirituelle entre le péché
contre l’Esprit et le désir naturel de Dieu. Le feu spirituel de l’angoisse
laisse l’âme déchirée et étrangère à ce pourquoi elle est faite. Les passions
ne font que suivre en se développant anarchiquement. Elles cherchent leur bien
propre (plaisirs, honneurs et possessions). Elles ne le trouvent jamais. Elles
se révoltent de toutes les manières possibles. L’enfer tel que l’a décrit Dante
peut donner une idée qui n’est pas seulement métaphorique du déchaînement[877] d’une sensibilité privée de sa fin.
L’âme se trouve alors prisonnière de la propre prison qu’elle s’est créée.
Dieu
n’ajoute aux damnés aucune autre peine que celles qui découlent, par voie de
conséquence naturelle de leur péché. Il ne met qu’une seule limite à leur
liberté. Il les empêche de venir nuire ou effrayer en toute liberté les hommes
qui sont encore sure terre. Mais cette décision ne vise pas à punir les damnés.
Loin d’être l’application d’une stricte justice pénale, cette limite de leur
liberté est rendue nécessaire au bien des hommes vivants sur la terre, afin que
la présence négative des esprits de l’enfer ne viennent pas trop troubler la
paix des vivants. Et s’il arrive que quelques démons ou quelques âmes de
l’enfer peuvent être laissés par Dieu sur la terre, c’est parce qu’il peut en
sortir un bien supérieur pour l’homme qui résiste héroïquement à la tentation
suscitée par eux.
Solutions :
1. Saint Augustin veut dire que la cause
prochaine de douleur ou d’affliction pour l’âme est spirituelle : elle souffre
par la connaissance qu’elle a d’être emprisonnée sur elle-même, sur la
perpétuelle considération de son âme révoltée contre Dieu et pourtant faite
pour Dieu. Cette prison étant un lieu de souffrance, on peut l’appeler par
métaphore un feu matériel. Cette souffrance spirituelle se répercutant dans la
sensibilité qui lui est liée, à travers toutes sortes de passions excessives et
négatives, on peut la qualifier au sens plus propre un feu sensible, même avant
la résurrection de la chair. Après cette résurrection, par somatisation,
l’absence voulue de Dieu et de l’amour ira jusqu’à provoquer des souffrances
physiques et des déformations de la chair.
2,
3, 4. La
matérialité du feu de l’enfer est à prendre dans le sens que nous avons dit, à
savoir comme une souffrance sensible découlant naturellement de la souffrance
de l’âme[878]. Elle est aussi un lieu qui emprisonne
l’esprit puisque le damné est obsédé par la considération de lui-même. En
dernier lieu, après la résurrection de la chair, il se peut que les damnés,
pour éviter toute rencontre fortuite avec les saints qu'ils haïssent, se
terrent au plus profond des lieux déserts.
5. La vision intellectuelle ne comporte
aucune souffrance du fait que quelque chose est vu : car, à ce point de vue
précis, il ne peut y avoir de contrariété entre l’objet et la faculté. Dans la
vision sensible, il peut y avoir une contrariété indirectement : il arrive que
l’objet, par l’action qu’il exerce pour être vu, blesse l’organe visuel.
Cependant la vision intellectuelle elle-même peut être une cause de souffrance,
si ce que l’on voit est appréhende comme un mal, non pas par le seul fait
d’être vu, mais pour tout autre motif. C’est ainsi que la vision de soi-même en
feu fait souffrir l’âme.
6. Les esprits condamnés à l’enfer n’en
sortent jamais sans que Dieu le permette pour instruire ou exercer les élus. Où
qu’ils soient, ils voient toujours le feu de l’enfer puisqu’ils le portent en
eux, de même que des prisonniers, même hors de leur prison, souffrent en
quelque sorte de la prison à laquelle ils sont condamnés. Cependant la peine
des damnés en est alors diminuée car en exerçant des activités extérieures à
eux-mêmes, ils se peuvent distraire momentanément d’eux-mêmes.
7. Cette parole de saint Jean Damascène
signifie que la peine du feu, pour les damnés et les démons, est avant tout une
souffrance spirituelle, puisqu’elle trouve son origine essentiellement dans la
tristesse qu’ils ont d’être séparés de leur fin, dont ils possèdent le désir
naturel. C’est ce que nous avons montré dans l’article précédent. C’est la
peine du dam.
Mais
il existe, dès avant la résurrection des corps, une peine du sens qui
correspond au fait qu’elles se sont tournées vers les créatures d’une manière
défendue. L’âme est donc tourmentée par un emprisonnement, de même qu’elle a
péché en se tournant indûment vers l’exaltation d’une liberté orgueilleuse.
Mais dans les deux cas, lorsque l’on parle de peine du feu, on doit l’entendre
ainsi : Il brûlera en contraignant la volonté du pécheur par l’esclavage dans
lequel il se plonge lui-même. Ainsi, quand l’Écriture dit à propos des damnés
qu’ils brûleront dans le feu, qu’ils seront affligés par des pesanteurs etc.,
elle entend (au moins avant la résurrection du corps) des souffrances
spirituelles et sensibles, c’est-à-dire diverses contrariétés pour volonté orgueilleuses
du pécheur et pour ses passions.
8. Comme nous l’avons dit, l’enfer est
d’abord un état d’âme : celui d’une volonté suffisamment perverse pour rejeter
tout autre amour que celui d’elle-même. Mais, en un second sens, il est aussi
un lieu où les damnés et les démons sont emprisonnés, en ce sens que leur
intelligence et leur capacité d’action ne peut se porter vers autre chose que
les réalités contenues dans ce lieu.
9. Avant la résurrection des corps, le feu
matériel de l’enfer agira à la manière d’une prison dans lequel l’âme des
damnés sera enfermée. Il sera donc d’autant plus source de contrariété pour la
volonté que celle-ci aura un plus grand orgueil. Car plus un homme a le sens de
sa propre suffisance, moins il supporte facilement les contrariétés qui
s’opposent à sa liberté. Donc ceux qui auront davantage péché souffriront
davantage du feu de l’enfer.
Objections :
1. Les damnés ne peuvent éprouver de
rancoeur pour leurs actes sans quoi ils seraient amenés à s’en repentir. Celui
qui en effet regrette un mal accompli est disposé à en demander pardon à Dieu.
Or on a vu que cela était exclu chez les damnés. Donc la rancoeur n’existe pas.
2. C’est librement que les damnés ont
choisi de se séparer de Dieu. Ils l’ont fait lucidement à cause de l’amour
d’eux-mêmes. Ils n’en éprouvent donc aucune rancoeur, à la manière de ceux qui
sur terre peuvent pécher sans en éprouver aucun regret.
3. Si le ver rongeur de la rancoeur existe,
on voit mal comment on peut le distinguer de la peine du feu qui est, comme
lui, une peine spirituelle.
Cependant :
L’Écriture
l’affirme[879] : «
Dans la géhenne, leur ver ne meurt point. »
Conclusion :
La
métaphore du ver rongeur signifie un état de l’âme semblable à celui d’un fruit
qui serait rongé de l’intérieur par un ver. Il est bien évident que le ver des
damnés ne doit pas être considéré comme corporel, même après la résurrection
des corps puisque le corps sera alors incorruptible. Il s’agit plutôt de la
rancoeur de la conscience qui ronge intérieurement les damnés.
Pour
comprendre comment, il faut considérer ce qui suit : l’intelligence humaine
possède par nature une orientation qui lui fait discerner ce qui est bien et ce
qui est mal. Il s’agit d’un habitus qui invite au bien la volonté et proteste
contre le mal lorsque l’homme se met, à l’aide des premiers principes
pratiques, à la recherche de ce qu’il faut faire. Cet habitus naturel est
appelé par les philosophes la syndérèse. Tant que l’homme est sur la
terre, la syndérèse peut être en partie étouffée par les habitudes vicieuses.
C’est ainsi que les méchants peuvent arriver à faire le mal sans que la voix de
leur conscience se fasse trop entendre. Cependant, la syndérèse est toujours
présente sous forme d’un habitus dont le siège est l’intelligence et dont
l’effet porte sur la volonté. Elle proteste contre le péché. Son action,
lorsqu’elle est refoulée par le vice, peut alors s’exercer dans le sommeil par
des songes comme le rapporte le livre de la sagesse[880] : «
Alors que les méchants pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets,
sous le sombre voile de l’oubli, ils furent effrayés par de terribles frayeurs,
épouvantés par des fantômes, car le réduit qui les abritait ne les préservait
pas de la peur ; des bruits effrayants retentissaient autours d’eux et des
spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient. » Les cauchemars des impies sont un effet de leur conscience
morale naturelle, c’est-à-dire de la syndérèse qu’ils ne peuvent jamais
complètement détruire en eux. C’est pourquoi les méchants ne trouvent jamais la
paix dans leur cœur et sont sans cesse rongés par le ver de la rancoeur.
Cette
souffrance est ce que l’Écriture appelle le ver. Après la mort, lorsque l’âme
est séparée du corps, la syndérèse retrouve son exercice parfait puisqu’elle
n’est plus empêchée par une occupation extérieure. Elle peut donc se manifester
en plénitude par la tristesse de la rancoeur lorsque la volonté d’un homme
s’oriente dans une autre direction que celle du bien. Une telle perversion de
la volonté est ce qui caractérise l’état des damnés puisqu’ils sont
perpétuellement en état de péché mortel. Nous avons montré d’autre part que
leur péché mortel est parfait au point de constituer un blasphème contre le
Saint Esprit puisqu’il implique une parfaite lucidité et maîtrise de soi. Il
est donc évident que les damnés sont rongés par le ver de la rancoeur,
perpétuellement, selon la mesure de leur perversité.
Solutions :
1. La rancoeur des damnés est une
protestation naturelle de leur conscience profonde. Si les damnés le pouvaient,
ils s’efforceraient de faire disparaître ce ver rongeur comme on le voit chez
les méchants de la terre qui chassent les cauchemars de la rancoeur en les
noyant dans les activités extérieures et en fuyant la solitude. Bien loin de
conduire les damnés au repentir, la rancoeur qui les oppresse les pousse à
blasphémer davantage Dieu qui en est la cause première. Mais leur volonté
perverse préfère souffrir ainsi plutôt que de renier son choix orgueilleux.
2. Il est vrai que les damnés se sont
séparés de Dieu en toute conscience. Mais c’est justement cette parfaite
conscience qui démultiplie en eux la protestation de l’instinct naturel de leur
conscience. Au moment du jugement dernier, la volonté perverse des damnés est
allée jusqu’à rejeter le pardon proposé par Dieu au travers de l’apparition de
l’humanité Sainte de Jésus. Selon la Bible, les damnés ont vu « celui qu’ils transperçaient »[881], ce qui signifie qu’ils se sont séparés
de Dieu en sachant qu’en le faisant, ils crucifiaient à nouveau Jésus d’une
manière mystérieuse.
Le
souvenir du regard de Jésus crucifié, croisé au moment du jugement, ne peut
jamais quitter l’intelligence des damnés et reste constamment à leur mémoire.
Ce souvenir démultiplie donc en eux la conscience d’avoir mal agi et le ver
rongeur de la rancoeur. Mais loin de les conduire au repentir de leur faute, il
conduit au blasphème car leur seul regret est celui de devoir souffrir. Car le
repentir est la souffrance d’avoir blessé une personne aimée. Leur rancoeur est
la souffrance de ne pas avoir réussi leur projet de béatitude sans repentir et
amour.
3. Le feu de l’enfer a son siège dans
l’essence même de l’âme qui, étant faite naturellement pour l’union à Dieu,
reste éternellement insatisfaite. Le ver rongeur a son siège dans la puissance
intellectuelle, mais son effet dans la volonté qui, étant naturellement portée
au bien, souffre de l’orientation perverse choisie.
Objections :
1. Cela est impossible, au moins avant la
résurrection des corps puisque les damnés sont séparés de leur chair. Ils sont
donc incapables de pleurer ou de grincer des dents.
2. Celui qui pleure peut le faire pour
plusieurs causes : un amour contrarié, le regret d’une faute, par exemple. Mais
les larmes sont toujours un signe de faiblesse. Donc si les âmes de l’enfer
pleurent, c’est qu’elles ne sont pas parfaitement déterminées dans leur péché.
Ce n’est pas le cas en enfer. Donc il n’y a pas de place pour les pleurs.
Cependant :
Jésus
affirme sept fois dans les évangiles à propos de l’enfer[882] : «
là seront les pleurs et les grincements de dents. » Cela semble donc être une vérité irrévocable.
Conclusion :
Lorsqu’il
s’agit de réalités spirituelles, l’Écriture a l’habitude de s’exprimer par mode
de métaphore. Ainsi, elle rend plus accessible aux hommes des réalités qui par
nature les dépassent. C’est ainsi que "le bras de Dieu" ne signifie pas
que Dieu ait un bras comme nous mais qu’il a la puissance d’agir dans le monde.
Il en est de même pour les pleurs ou les grincements de dents. Ils expriment
avant tout sous un mode sensible un état permanent de l’esprit et du psychisme
des damnés, même si, après la résurrection des corps, ils prendront une vérité
propre puisque les pensées et la sensibilité des passions se répercuteront
jusque dans les actes extérieurs du corps.
Auparavant,
on peut dire que les damnés pleurent et grincent des dents d’une manière
passionnelle. Par les pleurs, l’Écriture veut exprimer la souffrance extrême
provoquée par le feu de l’enfer et par la rancoeur car c’est par les pleurs que
s’exprime habituellement la souffrance. Par les grincements de dents, elle veut
exprimer l’état permanent de révolte et de rancœur contre tout ce qui s’oppose
à leur volonté perverse. Ils se révoltent en particulier contre la peine du
lieu matériel de l’enfer qui, en les empêchant de nuire aux vivants, les
empêche d’agir à leur guise dans le monde. Ils se révoltent aussi contre les
volontés de Dieu qu’ils savent être cause première de leur emprisonnement.
Solutions :
1. Cela répond à la première objection.
2. Les âmes de l’enfer sont, quant à leur
volonté, irrémédiablement décidées à se maintenir dans le péché, au point
qu’elles seraient prêtes à retourner au néant plutôt qu’à s’humilier par la
pénitence. Par contre, elles sont en état de faiblesse quant à leur esprit qui
est rongé de rancoeur et quant à leur liberté d’action qui est entravée par
leur emprisonnement dans l’enfer. Sous ce rapport, elles peuvent donc pleurer.
Mais ces pleurs ne méritent pas par rapport à Dieu. Ils sont des pleurs de rage
et non de contrition.
Objections :
1. Les damnés voient leur châtiment et cela
augmente leur peine. Leur intelligence est donc éclairée par quelque lumière
divine. Elle n’est donc pas dans les ténèbres.
2. Les damnés voient le bonheur des élus,
selon le témoignage de l’Écriture[883] : «
Le riche vit Abraham et Lazare en son sein. » Donc ils ne sont pas plongés dans les ténèbres extérieures au
monde des bienheureux.
3. Le livre de Job raconte que[884] « le
démon assiste au conseil divin, en présence des bons anges. » Or le démon est en enfer. S’il peut pénétrer en présence de
Dieu, c’est qu’il n’est pas dans les ténèbres extérieures. Il doit donc en être
de même pour les âmes des hommes.
Cependant :
Saint
Matthieu dit[885] : «
après lui avoir lié les mains et les pieds, jetez le dans les ténèbres
extérieures. »
Conclusion :
Comme
tout ce que dit l’Écriture à propos de l’enfer, les ténèbres extérieures
signifient avant tout une peine spirituelle, même si elles prennent, après la
résurrection de la chair, une signification corporelle.
Ainsi
la lumière et les ténèbres se rapportent à un bien de l’intelligence, à savoir
à la connaissance qui est une lumière pour le jugement. On doit donc dire que
les damnés, après leur jugement, connaîtront certaines choses et en ignoreront
d’autres.
Ils connaîtront tout ce qui est nécessaire à la justice de leur sentence
éternelle. Ainsi, un condamné doit savoir pourquoi il est condamné et à quelle
peine il est condamné. Une telle science, les damnés la reçoivent avant même le
jugement dernier, comme nous l’avons montré et ils la reçoivent en plénitude
par apparition de l’humanité Sainte du Christ. Ils savent donc et n’oublient
jamais que Dieu existe, qu’il propose aux humbles la vision de son essence,
qu’il réprouve les orgueilleux et les punit avec les peines éternelles de
l’enfer. Ils expérimentent d’ailleurs ces peines dans leur âme à chaque
instant. Sous ce rapport, les damnés ne sont pas dans les ténèbres.
Cependant,
après avoir été plongés dans la séparation d’avec Dieu, les damnés ne peuvent
plus rien connaître du monde extérieur à l’enfer, sauf si une disposition
particulière de la miséricorde ou de la justice divine en décide provisoirement
autrement. Même dans ce cas, on peut dire qu’ils sont dans les ténèbres extérieures
puisque, s’ils voient le bonheur des élus, ils sont incapables d’en connaître
la cause qui est Dieu. Cette vision est plutôt source pour eux d’un surcroît de
souffrance à cause de l’envie qui les dévore. C’est pourquoi elle n’est donnée
à tous sans exception qu’une fois, lors du jugement général qui manifestera aux
yeux de l’univers entier les secrets les plus cachés, le bien et le mal du cœur
de chacun. C’est donc par miséricorde que Dieu sépare les damnés de la vision
du festin éternel des élus, pour ne pas multiplier inutilement les pleurs et
les grincements de dents.
Solutions :
1. La vision de leur châtiment est une
lumière nécessaire à la justice. Mais les damnés sont dans les ténèbres par
rapport à tout ce qui est extérieur à l’enfer, c’est-à-dire par rapport au
monde terrestre et au paradis. Il est même improbable qu’ils puissent voir les
âmes du purgatoire, bien qu’elles soient séparées de Dieu. S’ils les voient,
c’est de toute façon sans comprendre ce qu’elles sont car la charité brûlante
de ces âmes leur échappe.
2. Les damnés, avant le jour du jugement,
verront parfois les bienheureux dans la gloire mais non de telle sorte qu’ils
comprennent quelle est leur gloire mais en sachant qu’ils sont dans une gloire
inestimable. Cela les trouble soit à cause de leur envie qui les fera souffrir
de voir leur félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir perdu
eux-mêmes cette gloire. C’est pourquoi la sagesse dit[886] : «
À ce spectacle, ils seront troublés par une crainte horrible. » Mais, après le jour du jugement, les
damnés seront complètement privés de la vue des bienheureux. Cela ne diminuera
pas leur envie, car ils garderont le souvenir de la gloire des bienheureux,
qu’ils auront aperçue au jugement général ou parfois avant le jugement. Plus
tard, ils souffriront de voir qu’ils sont considérés comme indignes même de
voir la gloire méritée par les saints.
3. Tant qu’il reste des hommes sur la
terre, certains démons reçoivent de Dieu la permission de sortir de l’enfer. La
raison en est que, malgré leur désir de nuire aux hommes, ils peuvent
involontairement leur être utiles, car l’homme qui, résistant ou chutant dans
la tentation, en développe de l’humilité et de l’amour, s’approche de Dieu.
Cependant,
même si les démons voient ce qui se passe sur la terre et entrent en contact
avec les élus, ils peuvent être considérés comme plongés dans les ténèbres
extérieures puisqu’ils ne participent en aucune manière à la joie du paradis.
Ils éprouvent au contraire de la colère et de l’envie à la vision d’un tel
bonheur qui leur est étranger. Après la fin du monde, Lucifer lui-même sera
définitivement séparé des élus puisqu’il n’y aura plus d’utilité à son action.
C’est pourquoi l’Apocalypse écrit[887] : «
Le diable, leur séducteur, fut jeté dans l’étang de feu et de souffre. » Il sera donc définitivement dans
l’ignorance de ce qui se passe au paradis. Il sera dans les ténèbres
extérieures.
Objections :
1. Il semble que toutes les peines de
l’enfer peuvent se ramener à celle du feu qui est la plus terrible. Les autres
noms ne sont que des manières différentes pour définir l’effet nuisible de
cette unique peine.
2. Dans l’âme des pécheurs, il peut s’établir
une complexité morale indéfinie car celui qui s’éloigne de Dieu devient
complexe. Il est donc plus simple de classer les peines de l’enfer sous
quelques symboles marquant comme le feu, le ver rongeur, les ténèbres ; Inutile
de chercher à aller plus loin.
Cependant :
L’Écriture
parle du « soufre, du sel, de la
terre brûlée »[888] « des
torrents qui se changent en poix ».[889] Bien d’autres noms peuvent être
appliqués à l’enfer. Donc il existe en enfer d’autres peines.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré, toutes les peines de l’enfer, aussi bien avant la
résurrection des corps qu’après, découlent en droite ligne du blasphème contre
l’Esprit Saint qui amène le pécheur à rompre avec Dieu. Elles peuvent toutes se
comprendre par analogie à la mort pour le corps : quand le principe vital,
l’âme, est atteint, la corruption s’installe dans les autres parties du corps.
De même pour les damnés, la charité étant détruite par le péché, laisse place à
de multiples corruptions. C’est pourquoi la Bible appelle la damnation "la
seconde mort".[890]
Les
souffrances et les peines des damnés peuvent être classées en trois ordres :
celles qui ont rapport avec Dieu, celles qui ont rapport avec soi-même, celles
qui ont rapport avec le prochain et avec l’univers entier.
1° En ce qui concerne Dieu, qui est le
principe de toute béatitude dans l’au-delà, la corruption qui trouve sa racine
dans l’amour désordonné de soi a comme première conséquence la séparation
définitive d’avec lui. De cette séparation naît immédiatement la peine du feu
spirituel qui est la souffrance naturelle d’une âme coupée de ce pourquoi elle
est faite ; En Dieu, il ne faut pas seulement considérer l’essence de son être
mais aussi les volontés qui émanent de lui. Par rapport à ces volontés qui
consistent essentiellement en une exigence de charité, d’humilité et de pureté,
l’âme répond par la révolte qui est symbolisée par les grincements des dents ;
c’est de Dieu que l’âme reçoit certaines peines comme celle du feu matériel qui
l’emprisonne comme dans un abîme : à cela, l’âme répond par la douleur
symbolisée par les larmes ; par la haine de Dieu, la rancœur qui peuvent
correspondre au soufre car la haine ronge le cœur à la manière du soufre sur la
peau ; Par la colère puisque l’âme a l’impression d’être opprimée dans sa liberté
et cela peut correspondre au souffle de la tempête ; Par le regret de souffrir
et même de vivre qui peut être représenté par les eaux glaciales ; et par bien
d’autres pensées négatives qui se nouent au fur et à mesure.
2° Par rapport à elle-même, on peut
classer les peines de l’enfer selon qu’elles nuisent à leur essence, à
l’intelligence, à la volonté ou à la capacité d’action. Par rapport à son
essence, l’âme subit en conséquence de son péché la peine d’un feu
intérieur tel que nous l’avons décrit précédemment. Dans son intelligence, elle
s’emprisonne elle-même dans la considération d’elle-même. Cette pensée, sans
cesse présente à son jugement l’empêche de se porter librement vers les
considérations de son choix. Dans sa volonté, elle subit les atteintes d’une
rancoeur qui ne cesse pas. Quant à sa capacité d’action, elle est entravée par
la vue de son malheur qui se comporte à son égard à la manière d’une prison. À
ces peines principales s’ajoutent d’autres qui, telles les métastases d’un
cancer, s’étendent dans toutes les activités des damnés. Ainsi, l’âme éprouve
de la haine vis-à-vis d’elle-même puisqu’elle sait profondément être la cause
première de son malheur. Une telle haine peut être là encore symbolisée par le
soufre ; la conséquence de cette haine est que l’âme fuit la confrontation avec
elle-même et le silence car son cœur lui apparaît comme un désert sans eau ;
elle se fuit en se plongeant dans l’agitation extérieure à la manière du vent
de la tempête ou du vol des sauterelles n’ayant plus de finalité en dehors
d’elle-même à cause du désespoir qui est comparable aux ténèbres : l’âme
erre sans but. Elle est donc dans la solitude d’un Ciel sans étoiles.
De
même que tous les maux spirituels liés au repli sur soi peuvent exister en
elle, ils prolongent leur corruption jusque dans la sensibilité par les
sentiments négatifs d’angoisse, de tristesse, de haine, d’envie, de désespoir,
de crainte. Après la résurrection, ces souffrances s’étendront jusque dans le
corps qui en sera déformé et appesanti.
3° Par rapport au prochain, toute présence
sera à l’âme un poids, selon cette parole d’un philosophe[891] "l’enfer, c’est l’autre. » La vision des élus provoquera l’envie
par rapport à leur bonheur. Et cette envie est comparable à la lèpre ; la
colère par rapport au propre malheur du damné comparable à la tempête. La
vision des autres damnés chez qui n’existe que l’égoïsme sera source d’amertume
pesante car au aucune joie ne peut sortir de la complicité dans le malheur.
En
résumé, on peut dire, selon saint Basile qu’à la purification finale du monde
se produira une séparation des éléments : tout ce qui est pur et noble
demeurera en haut, pour la gloire des bienheureux, mais tout ce qui est vil et
corrompu sera précipité en enfer pour la peine des damnés : ainsi toute
créature sera, pour les bienheureux, matière à jouissance, et pour les damnés
augmentation de tourments, selon la Sagesse[892] : «
l’univers combattra avec lui les insensés. » Cela se réalisera dès avant la résurrection pour les maux de
l’âme, et après la résurrection pour ceux du corps.
Saint
François de Sales écrira que[893] « Les
peines sont toutefois moindres de beaucoup que les coulpes et crimes pour
lesquels elles sont infligées. »
Solutions :
1. Parmi les peines, la peine du feu est la
plus fondamentale puisqu’elle trouve son origine immédiate dans la séparation
d’avec Dieu. Cependant, on doit admettre d’autres peines surajoutées à ce désir
naturel du bonheur comme celle qui est symbolisée sous le froid glacial et qui
peut signifier le désir de disparaître dans le néant à cause du désespoir.
2. Il est vrai que le péché provoque la
complexité de l’âme puisqu’il la disperse dans la recherche insatiable d’un
bonheur qui n’existe qu’en Dieu. Cependant, on peut établir quelques unes des
caractéristiques de cette complexité qui a sa source dans l’unique amour de
soi, qui se concrétise à travers les six espèces du péché contre l’Esprit Saint
et qui s’achève dans la multiplicité des états d’âme morbide par rapport à
Dieu, à soi-même et au prochain.
Objections :
1. Il semble que non. Saint Paul dit : « Alors, le Christ expulsera toute
principauté, les puissances et les vertus.
» Il n’y aura donc plus de détenteurs d’autorité. Mais, exécuter la
sentence du juge dénote une certaine autorité ; les démons, après le jour du
jugement, ne seront donc plus les exécuteurs de la sentence du juge.
2. Les démons ont péché plus gravement que
les hommes. Il n’est pas juste que ceux-ci soient tourmentés par eux.
3. Comme les démons ont poussé les hommes
au mal, les anges les ont portés au bien. Récompenser les bons n’est pas la
charge des bons anges : Dieu le fera sans intermédiaire. Punir les méchants ne
sera donc pas non plus la charge des démons.
Cependant :
Les
pécheurs se sont soumis au démon en péchant. Il est juste qu’ils lui soient
soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis par lui.
Conclusion :
Le
Maître des Sentences signale à ce sujet deux opinions : l’une et l’autre
semblent compatibles avec la justice divine. La première part de ce fait que
quand l’homme pèche, il se soumet justement au démon ; En conséquence, il
serait juste qu’ils lui soient soumis dans leurs châtiments, afin d’être punis
par lui. Selon cette opinion, on s’attache plutôt à respecter la justice divine
au point de vue des hommes qui doivent être punis.
La
seconde opinion argumente en sens contraire en disant que cette domination du
démon est une chose en soi injuste. L’ordre de la justice divine qui demande la
punition des démons, légitimerait cette opinion qui exclut que les démons,
après le jour du jugement, dominent encore les hommes en leur appliquant leurs
peines.
Impossible
pour nous de discerner la plus vraie de ces opinions. J’estime cependant plus
vraisemblable que, en enfer, les démons envers les hommes comme les hommes
envers les démons seront sources de châtiment réciproque. Il s’agira d’un monde
peuplé d’égoïstes orgueilleux. Leur rencontre ne sera source que de peine supplémentaire,
aucune bonne volonté n’étant à attendre de personne. Mais les démos étant d’une
nature supérieure, l’influence néfaste qu’ils exerceront sera plus tyrannique.
De même qu’un certain ordre sera gardé à l’égard des élus, en ce sens que
certains seront illuminés et perfectionnés par d’autres selon l’ordre de la
charité, de même en enfer, l’ordre des hiérarchies célestes demeurera
perpétuellement. De la sorte, de même que la vierge Marie transmettra aux bons
anges et aux hommes des illuminations divines, ainsi les démons transmettront
aux hommes damnés les effets de l’écrasante domination de leur intelligence.
Cela ne réduit en rien la peine des démons, car en tourmentant les autres, ils
sont tourmentés eux-mêmes : la société de ces malheureux ne diminue pas leurs
malheurs, elle l’augmente.
Solutions :
1. La
supériorité que le Christ supprimera est celle de ce monde : ici-bas, des
hommes sont supérieurs à d’autres hommes, et les anges aux hommes, et des anges
à d’autres anges, et les anges aux démons, et certains démons à d’autres, et
des démons aux hommes et cela sert à conduire ces derniers à leur destin ou à
les en détourner. Tout cela est la plupart du temps hiérarchisé selon l’ordre
du Prince de ce monde, Satan, c’est-à-dire à l’inverse de celui que confère
l’humilité (kénose) ou l’amour. Quand toutes choses seront parvenues à leur
fin, il n’y aura plus de supériorité pour éloigner de la fin ou pour y conduire
mais seulement pour conserver dans la fin, bonne ou mauvaise.
2. Bien
que le mérite des démons ne requière pas qu’ils dominent les hommes, parce que
c’est injustement qu’ils se les sont soumis, cela est demandé par le rapport
entre leur nature et celle des hommes. Denys dit : « Les biens naturels demeurent intègres chez eux. »
3. Il y a
une différence entre la hiérarchie de l’enfer qui est fondée sur l’ordre
naturel de l’intelligence et celle du paradis qui est fondée sur le désir de
l’amour. Au paradis, le mérite fait monter, tandis qu’en enfer, le péché
accable. C’est pourquoi, bien que la nature de l’ange soit plus élevée que
celle de l’homme, certains hommes, à cause de l’excellence de leurs mérites,
sont tellement élevés par Dieu qu’ils dépassent l’élévation de la nature et de
la récompense méritée par des anges : dès lors, il y aura des anges qui seront
illuminés par des hommes. Mais aucun pécheur ne parviendra, à cause de son
degré de malice, à cette élévation qui est due aux démons en vertu de leur
nature.
Les
plus grands saints du Royaume de Dieu ne sont pas la cause efficiente de la
récompense principale des élus : ceux-ci la reçoivent directement de Dieu.
Mais ils sont la cause de certaines récompenses accidentelles, en tant que ceux
que l’humilité (kénose) et la charité ont rendus proches de Dieu, illuminent
les autres au sujet de certains secrets divins, qui n’appartiennent pas à la
substance de la béatitude. De même, la peine principale du damné lui viendra
directement de l’absence de Dieu. C’est l’exclusion perpétuelle de la vision de
Dieu. Mais il n’y a pas d’inconvénient à ce que d’autres peines sensibles lui
soient infligées par les démons.
Nous
sommes amenés à étudier maintenant ce qui concerne l’affectivité et
l’intelligence des damnés. Onze questions se posent :
1° Les damnés se plongent-ils eux-mêmes en
enfer ?
2° Y a-t-il des hommes en enfer ?
3° Tout vouloir des damnés est-il mauvais
?
4° Les damnés se repentent-ils parfois des
fautes commises ?
5° Les damnés préfèreraient-ils ne plus
exister ?
6° Les damnés voudraient-ils la damnation
des autres ?
7° Les impies ont-ils de la haine pour
Dieu ?
8° Les damnés peuvent-ils démériter ?
9° Les damnés peuvent-ils se servir de la
science acquise ici-bas ?
10° Les damnés pensent-ils parfois à Dieu ?
11° Les damnés voient-ils la gloire des
bienheureux ?
Objections :
1. Il semble que non : l’enfer est une
peine puisque c’est une prison où il n’y a ni joie ni paix. Nul ne peut vouloir
ce qui est un mal. Donc les damnés ne veulent pas aller en enfer.
2. L’enfer est la séparation d’avec Dieu.
Mais Dieu est un bien. Il est même le Bien Absolu puisqu’il n’y a en lui aucun
mélange avec le mal. Nul ne peut donc vouloir la séparation d’avec Dieu qui est
l’enfer.
Cependant :
C’est
l’homme seul qui est cause de son péché et non Dieu qui ne veut absolument pas
du péché. C’est donc l’homme qui est cause première de sa damnation.
Conclusion :
Comme
nous l’avons dit, une chose peut être voulue de deux manières :
1° Directement et par soi ; 2°
indirectement et à cause d’autre chose. Nul ne peut vouloir un mal en tant
qu’il est un mal car la volonté ne se porte que vers ce qui a raison de bien.
Par contre, quelqu’un peut vouloir un certain mal à cause d’un bien plus grand
qui y est attaché. Ainsi, Dieu veut pour l’homme qui est sur la terre les
peines comme la souffrance et la mort, non directement mais à cause du bien de
l’humilité (kénose) et de la charité qui peut en sortir chez celui qui est bien
disposé. En ce qui concerne l’enfer, on doit parler de la même façon. Ce que
l’âme perverse veut directement et par soi, c’est s’aimer elle-même de telle
façon que rien d’autre qu’elle-même n’a de valeur à ses yeux. En conséquence,
elle rejette directement comme un mal l’obéissance aux volontés de Dieu car
cette obéissance s’oppose à l’exaltation de sa propre volonté. Si l’âme se
sépare de Dieu, ce n’est donc pas par une volonté directe puisque Dieu lui
apparaît comme un bien, mais relativement aux conditions présupposées à l’obtention
de la gloire. Ainsi, on doit dire que l’âme veut l’enfer, en tant qu’il est la
séparation d’avec Dieu, d’une manière indirecte à cause de son orgueil. Par
contre, on ne peut dire d’aucune manière qu’elle veut l’enfer en tant qu’il est
un lieu de souffrance et de peines parce qu’il n’y a aucun bien à retirer du
mal de peine. Mais l’âme est prête à supporter toutes les peines de l’enfer
pour l’éternité plutôt que de se convertir et de s’humilier pour son péché.[895]
Solutions :
1. En tant qu’il est une peine, l’enfer
n’est en aucune façon voulu par l’âme comme nous l’avons montré.
2. La séparation d’avec Dieu est voulue par
l’âme non à cause de ce que Dieu est en lui-même, mais à cause des exigences de
conversion, d’humilité (kénose) et de charité qui sont présupposées à l’entrée
dans la gloire. C’est du moins de cette façon que l’âme justifie sa révolte. De
fait, c’est contre l’essence même de Dieu qu’il y a révolte car Dieu est
humilité (kénose) et Amour.
Objections :
1. Il semble qu’il n’y ait personne en
enfer. En effet, nul ne peut résister à la révélation de la miséricorde de Dieu
quand elle est plénière. Tout homme se convertit donc au moment de la mort si
ce c’est fait avant.
2. Jésus affirme que[896] « beaucoup
sont appelés mais que peu sont élus. »
Il semble donc qu’il y ait peu d’homme au paradis de Dieu.
3. L’Écriture parle explicitement de 144000
élus[897] ou, ailleurs, de deux tiers[898] des hommes sauvés. On doit donc tenir
l’un de ces chiffres pour la révélation exacte du nombre des élus.
4. Saint Thomas pense que la majorité des
hommes sont damnés, tandis que la majorité des anges seraient sauvés[899]. Il s’appuie sur le raisonnement
suivant : pour l’ange, ce qui prévaut c’est sa nature intellectuelle, faite
pour adhérer à la vérité. Pour l’homme, au contraire, c’est son penchant
mauvais et sensuel qui l’emporte et qui le traîne en bas. Dans la majorité des
cas l’homme s’oriente donc vers le péché et l’enfer.
5. Historiquement -et la critique
concernant Balthasar le mentionne souvent- on connaît des récits de réprouvés
et des visions de l’enfer[900]. Donc il y a des hommes en enfer.
Cependant :
Jésus
dit : « Les fils du royaume seront
jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront les pleurs et les grincements de
dents. » Donc certaines âmes seront
damnées, celles qui appartiennent au royaume du mal.
Conclusion :
Au
sujet du nombre de ceux qui sont en enfer, plusieurs opinions ont été émises et
chacune d’elles s’appuie sur des arguments valables. Certains pensent que peu
d’hommes seront sauvés, s’appuyant en cela sur la parole du Seigneur[901] : «
Il est large en effet le chemin qui mène à la perdition et beaucoup s’y
engagent, mais elle est étroite la porte qui mène à la Vie et il en est peu qui
le trouvent. » Ils étayent leur
argumentation sur la constatation que bien peu d’hommes sur la terre ont la
volonté de mettre la charité au commencement et à la fin de leur vie. Le
philosophe Aristote disait[902] : «
la plupart des hommes restent dans le sensible. » D’autres théologiens affirment qu’un tiers des hommes seront
damnés. Selon eux, ce chiffre est annoncé dans l’Écriture et est à prendre au
sens propre : « Le tiers des hommes
fut exterminé. » D’autres préfèrent
prendre au sens propre le passage de l’Apocalypse des 144000 élus[903]. Selon une dernière opinion enfin,
certains affirment que le nombre des damnés sera très faible si ce n’est nul à
cause de la miséricorde de Dieu qui est infinie et à cause de son projet de
sauver tous les hommes qui ne saurait être un échec.
Pour
essayer de discerner vrai dans tout cela, il faut se rappeler ce que nous avons
dit sur la cause de la réprobation : elle vient principalement de l’homme et de
sa volonté perverse qui se fixe immuablement sur le péché, avec pleine
connaissance et liberté. Il s’agit d’un péché contre l’Esprit Saint,
c’est-à-dire un péché de malice volontaire contre Dieu. Un tel péché conduit
immédiatement à la damnation après la mort. Il faut donc, pour connaître d’une
manière approximative le nombre de ceux qui seront damnés, s’efforcer de savoir
si le péché contre l’Esprit Saint est fréquent. Pour qu’il y ait un véritable
péché contre l’Esprit Saint, il est nécessaire que celui qui le commette ait
une parfaite connaissance de ce qu’il fait, ce qui ne peut convenir qu’à celui
qui connaît l’existence de Dieu et la rétribution future. L’homme qui, en
effet, ne connaît aucunement l’existence de Dieu ne peut pécher contre Dieu. De
même, le péché contre l’Esprit Saint présuppose une parfaite maîtrise de sa
sensibilité afin que la volonté qui commet le péché soit libre et non causée
par l’entraînement de la faiblesse. De telles conditions sont rares sur la
terre aussi on doit admettre que le péché contre l’Esprit Saint est peu
fréquent. Cependant, tout péché mortel commis sur la terre peut être une
disposition au péché contre l’Esprit Saint. Celui qui, en effet, met son
intention dans la recherche exclusive de son bien-être égoïste, crée en lui une
disposition stable, un vice, qui fait que l’âme se complait de plus en plus
dans son péché. Ainsi, arrivé au moment de la mort où la révélation l’enjoint à
faire un choix entre l’amour de Dieu ou l’amour de soi, elle est conditionnée
par sa vie entière à se porter plutôt vers le second choix. Mais il ne s’agit que
d’une disposition et non d’une détermination certaine. Parmi les hommes qui
vivent en état de péché mortel, la plupart le sont à cause d’une ignorance ou
d’une faiblesse présupposées. Mais ils ne resteraient certainement pas dans cet
état s’ils avaient l’occasion d’en connaître la gravité aux yeux de Dieu, comme
l’Écriture le montre pour la ville de Ninive qui se convertit après un seul
appel du prophète Jonas. C’est aussi la raison pour laquelle on constate que
les conversions sont fréquentes à l’approche d’un danger comme la guerre ou la
maladie. Ainsi, il est permis de penser que la masse de ceux qui ont commis
durant leur vie des péchés mortels par ignorance ou par faiblesse, seront
sauvés même s’ils doivent être auparavant purifiés par le feu du purgatoire.
Mais il existe aussi des hommes qui pèchent gravement sur cette terre contre
leur prochain par malice volontaire et cela même parmi les païens. Ceux-là se
mettent par leur péché dans une disposition directe au péché contre l’Esprit
Saint car il est presque certain qu’ils agiraient de même dans la plupart des
cas même s’ils connaissaient Dieu. Celui qui est capable froidement de faire le
mal à son prochain, est disposé par sa malice à rester dans le péché jusque
dans la mort.
De
tout cela, on peut conclure qu’il semble que parmi les hommes,
-
une petite partie va directement au Ciel soit parce que, étant chrétiens ils
ont vécu en plénitude de la charité dans une kénose totale de leur esprit, soit
parce que, sans connaître le Christ, ils furent disposés par leur vie et leurs
souffrances, à aimer Dieu dès qu’ils l’ont connu ;
-
une petite partie est damnée parce qu’ils ont vécu froidement dans le mal et
ont maintenu jusque dans la mort leur volonté fixée dans le péché. D’où cette
parole de Jésus, touchant un de ses Apôtres sur douze[904] (donc une minorité) : « J'ai veillé et aucun d'eux ne s'est perdu, sauf le fils de perdition, afin
que l'Ecriture fût accomplie. »
-
Quant à la masse des hommes, elle vit dans le sensible et suit les impulsions
de la chair ou du monde plus par ignorance et faiblesse que par véritable
malice. Ceux là sont sauvés mais « comme
à travers un feu » selon
l’apôtre[905], c'est-à-dire en passant par les
purgatoires qui suivent cette vie.
Solutions
:
1. Au moment de la mort, l’âme ne voit pas
directement l’essence divine. S’il en était ainsi, nul ne pourrait se séparer
de Dieu puisqu’il est l’essence même de la bonté et qu’il n’a aucune espèce de
mal en lui. L’intelligence est confrontée avec l’humanité Sainte de Jésus. Il
lui est possible de résister à son amour. C’est ce que montre Balthasar [906] : «
Que cela soit possible, cela nous est attesté de nombreuses fois par
l’Écriture, par Jésus lui-même. Il est possible de résister en face à l’Esprit
d’amour de Dieu, et alors il est évident qu’à quelqu’un qui résiste ainsi, il
ne puisse "être pardonné ni en ce monde ni dans le monde à venir"[907]. Il est également possible qu’un tel
"non" ne se révèle comme déterminant pour une vie qu’au moment où
l’homme est placé devant la norme éternelle[908]. Avons-nous besoin de nous représenter
cette possibilité, voire de nous la dépeindre ? À coup sûr pour nous-mêmes
seulement ; on ne devrait faire de théories générales et neutres sur l’enfer ni
en théologie ni en pastorale. Mais on ne doit pas davantage répandre des
théories générales suivant lesquelles, à cause de la bonté de Dieu, il ne peut
pas exister un enfer dans lequel il y a quelqu’un. En le faisant, nous
empiéterions sur la souveraineté de notre Juge, qui décide avec justice de
notre salut et de notre perte, en fonction de nos choix. »
2. Cette parole de Jésus signifie que peu
d’hommes sont capables de rester tout au long de leur vie terrestre, fidèles à
la grâce reçue. La plupart ne pensent à Dieu que lorsque le besoin s’en fait
sentir, et non par véritable amour. Mais cette parole ne veut pas dire que ceux
qui aiment Dieu d’un amour utilitaire seront damnés. Dieu a le temps et les
moyens de faire progresser chacun, que ce soit à travers les croix de la vie
terrestre et de la mort, son apparition glorieuse ou le purgatoire.
3. Il faut prendre ces chiffres dans un
sens symbolique comme presque toutes les images qui sont dans le livre de
l’Apocalypse. Le chiffre 144000, à savoir 12000 de chacune des douze tribus
d’Israël signifie que Dieu connaît le nombre des élus et que ce nombre sera
parfait, ce qui signifie que les hommes seront sauvés ou damnés selon l’ordre
de la justice divine. Quant au nombre d’un tiers, il manifeste que la part de
ceux qui seront damnés est connue et fixée par Dieu de toute éternité puisque
Dieu est au-delà du temps et connaît tout.
4. Mais, pour l’homme, ce raisonnement peut
être renversé. S’il est vrai que celui-ci est tellement pauvre et misérable, il
faudrait plutôt conclure que personne ne peut se damner, car ce n’est pas par
ignorance et simple faiblesse qu’il peut choisir le refus éternel. En fait,
l’erreur de saint Thomas en ces matières est venu d’un excès de confiance dans
la logique apparente des raisonnements : De même qu’il ne découvrit pas
l’immaculée conception de Marie parce qu’il était nécessaire qu’elle ait été
sauvée par le Christ (la logique ne peut déduire de ces prémices que Marie peut
être sauvée par le Christ, mais par anticipation, avant même sa passion),
de même il mettait logiquement en enfer tous les hommes qu’il constatait mourir
sans la charité, donc la plupart d’entre les chrétiens, sans compter les
païens). Il fut en cela fidèle au dogme mais n’imagina pas que Dieu pouvait,
étant au delà de ce qui se voit, réaliser le dogme et leur proposer le salut
jusque dans le passage de la mort (qui, étant le terme de cette vie, n’est pas
encore l’autre monde).
5. D’après Balthasar, il s’agit cependant
de menaces qui veulent susciter la conversion. Ce sont des images en creux du
salut, c’est-à-dire des prophéties, qui veulent précisément être contre
productives en voulant arracher à celui qui les écoute la décision de
s’orienter vers le salut par la description du mal. « Si les menaces de jugement et les images terribles de la
gravité des châtiments infligés aux pécheurs que nous trouvons dans l’Écriture
et la Tradition ont un sens, alors c’est certainement celui de me montrer, à
moi, la responsabilité qui m’incombe avec ma liberté ».[909]
D’après
moi au contraire, ces images de l’enfer sont crédibles à propos de la réalité
du choix de certains hommes. Nous ne sommes pas assez attentifs au bien réel,
quoiqu’apparent et mensonger, que peut trouver l’homme égoïste dans la
proposition de l’enfer, telle qu’elle est vantée en toute vérité par le démon à
l’heure de la mort. L’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi paraît bien
peu tentant face à la liberté, cette autonomie parfaite, cette capacité
"divine"[910] à choisir soi-même ce qui est bien et
mal, et malgré la solitude et la souffrance naturelle qui en découle. Ils existent car, lorsque
le Christ apparaît, ce qui saute aux yeux, c'est que sa gloire est humble. Les
stigmates de sa passion sont là. Son coeur apparaît encore brisé de ce qu'il a
vécu. Les orgueilleux s'esclaffent tout naturellement : "Ce n'est que ça,
le Christ ! " En comparaison, la gloire de Lucifer, faite de dignité et de
puissance les enthousiasme.
Nous
pouvons malgré tout faire nôtre ce passage du Père Teilhard de Chardin[911] : «
Vous m’avez dit, mon Dieu, de croire à l’enfer. Mais vous m’avez interdit
de penser, avec absolue certitude, d’un seul homme, qu’il était damné. Je ne
chercherai donc pas ici à regarder les damnés ni même, en quelque manière à
savoir qu’il en existe. Mais acceptant, sur votre parole, l’enfer, comme un
élément structurel de l’univers, je prierai, je méditerai, jusqu’à ce que, dans
cette chose redoutable, apparaisse pour moi un complément fortifiant,
béatifiant même, aux vues que vous m’avez ouvertes sur votre Omniprésence ».
Objections :
1. Il semble que non, car comme dit Denys, « les démons désirent le bien et le
meilleur, à savoir être, vivre et connaître.
» Puisque les hommes damnés ne sont pas d’une condition pire que les
démons, il semble qu’ils puissent avoir eux-mêmes de bons vouloirs.
2. « Le mal, dit Denys, est tout à fait
involontaire. » Si donc les damnés
veulent quelque chose, ils le veulent en tant que bon ou comme un bien
apparent. Mais le vouloir qui est ordonné par soi au bien est bon. Les damnés
peuvent donc avoir de bons vouloirs.
3. Certains seront damnés, bien que, se
trouvant en ce monde, ils aient eu des dispositions vertueuses, comme les
païens, qui eurent des vertus civiques. Or, les dispositions vertueuses
engendrent un vouloir louable. Il pourra donc y avoir un vouloir louable chez
certains damnés.
Cependant :
Une
volonté obstinée ne peut jamais être inclinée que vers le mal. Mais les hommes
damnés seront obstinés, comme les démons. Leur volonté ne pourra donc jamais
être bonne. En outre, la volonté des damnés est à l’égard du mal comme celle
des bienheureux à l’égard du bien. Mais les bienheureux n’ont jamais de mauvais
vouloir. Donc les damnés n’en ont jamais de bon.
Conclusion :
Chez
les damnés nous pouvons distinguer deux volontés : la volonté délibérative et
la volonté naturelle. Cette dernière ne vient pas d’eux, mais de l’Auteur de la
nature, qui a mis en elle cette inclination qu’on nomme volonté naturelle.
Puisque la nature demeure en eux, il pourra y avoir en eux cette bonne volonté
naturelle. Mais la volonté délibérative vient d’eux-mêmes, en tant qu’ils ont
le pouvoir de s’incliner par sentiment vers ceci ou cela. Et cette volonté est
en eux seulement mauvaise. Ils sont en effet totalement détournés de la fin
ultime d’une volonté droite, et aucune volonté ne peut être bonne que si elle
est ordonnée à cette fin. Donc, même s’ils voulaient quelque chose de bon, ils
ne le voudraient pas bien, de manière qu’on puisse dire que leur volonté est
bonne.
Solutions :
1. Ce mot de Denys s’entend de la volonté
naturelle, qui est l’inclination de la nature vers quelque bien. Mais cette
inclination naturelle est corrompue par la malice des damnés, en tant que ce
bien qu’ils désirent naturellement est recherché par eux en de mauvaises conditions.
2. Le mal ne meut pas la volonté en tant
que mal, mais en tant qu’on l’estime bon. Mais, à cause de leur malice, les
damnés estiment bon ce qui est mal. Leur volonté demeure donc mauvaise. Ils
font tout en fonction de leur intention première. Leur seule finalité est la
recherche égoïste d’eux-mêmes.
3. Les dispositions des vertus civiques ne
demeurent pas dans l’âme séparée, puisque ces vertus perfectionnent l’homme
dans sa vie civile seulement, et celle-ci n’existe plus après la vie terrestre.
Si elles demeuraient, elles n’aboutiraient jamais à un acte bon, parce qu’elles
seraient liées par l’obstination de l’esprit.
Objections :
1. Il semble qu’ils ne s’en repentent
jamais, car saint Bernard dit dans son commentaire des Cantiques que « le damné veut toujours l’iniquité
qu’il a accomplie. » Il ne se repent
donc point du péché commis.
2. Vouloir n’avoir pas péché est un bon
vouloir. Les damnés n’en auront jamais. Ils ne voudront donc jamais n’avoir pas
péché.
3. Selon saint Jean Damascène, « la mort est pour les hommes ce que la
chute fut pour les anges. » Mais la
volonté de l’ange après sa chute devint inconvertible, en ce sens qu’il ne peut
revenir sur le choix par lequel il avait péché. Les damnés ne peuvent donc pas
se repentir des péchés qu’ils ont commis.
4. La perversité des damnés en enfer est
plus grande que celle des pécheurs en ce monde. Mais il y a des pécheurs,
ici-bas, qui ne se repentent pas des péchés commis, soit par aveuglement de
l’esprit, comme les hérétiques, soit par obstination, comme ceux dont les
Proverbes disent "qu’ils se réjouissent d’avoir mal fait et exultent dans
les pires choses. » Donc…
Cependant :
La
Sagesse dit, des damnés, « qu’ils se
repentent intérieurement. » En outre,
Aristote dit que « les êtres
corrompus sont pleins de regret ; car ils sont bien vite attristés de ce qui
les réjouissait. » Les damnés, très
corrompus, ont donc beaucoup de regret.
Conclusion :
Se
repentir du péché peut se réaliser de deux manières : en soi ou par accident.
En soi, quand quelqu’un s’en repent parce qu’il le déteste en tant que péché.
C’est alors la contrition ; par accident, quand il le repousse à cause de
quelque chose qui s’y ajoute, « c’est-à-dire
le châtiment ou quelque autre suite semblable. C’est alors la rancoeur.
Les
mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que le vouloir de la
malice du péché demeure en eux ; ils se repentiront par accident, en tant
qu’ils seront attristés de la peine subie à cause du péché. Ce repentir n’est
autre que la rancoeur dont nous avons déjà traité.
Solutions :
1. Les damnés veulent l’iniquité, mais
repoussent le châtiment : par là, ils se repentent, par accident, de leur
iniquité.
2. Vouloir n’avoir pas péché à cause de la
honte de l’iniquité, serait un bon vouloir ; mais il n’existe pas chez les
damnés.
3. II arrive que des damnés se repentent de
leurs péchés, sans aversion de la volonté à leur égard, car ils regrettent, non
pas ce qui les avait entraînés au péché, mais la peine qui a suivi.
4. En ce monde, les hommes, même les plus
obstinés dans le mal se repentent parfois, par accident, de leurs péchés, s’ils
sont châtiés à cause d’eux, parce que, comme dit saint Augustin, « nous voyons même les bêtes les plus
féroces s’abstenir de plaisirs très attirants, à cause de la souffrance du
châtiment menaçant. »
Objections :
1. Il semble qu’ils ne le puissent pas.
Saint Augustin dit : « Mais combien
est bonne cette existence, qu’heureux et malheureux veulent également. » Il est en effet meilleur d’exister et
d’être malheureux que de ne pas être du tout.
2. Saint Augustin raisonne ainsi : La
pré-élection suppose un choix. Mais on ne peut choisir de ne pas exister, car
cela ne présente aucun aspect bon. Ne pas exister ne peut donc pas être plus
désirable pour les damnés que 1 existence.
3. Le mal majeur est le plus à fuir. Mais
le plus grand des maux est de ne pas exister, car cela supprime tout bien, n’en
laissant subsister aucun. L’inexistence est donc plus à fuir que la souffrance.
4. Concrètement, ne pas vouloir exister
conduit au suicide. Or on imagine mal les damnés tentant de se suicider.
Cependant :
Il
est écrit dans l’Apocalypse : « En
ces jours-là les hommes désireront la mort, et elle leur échappera. » En outre, le malheur des damnés
dépasse tout malheur de ce monde. Mais pour échapper au malheur d’ici-bas,
certains désirent mourir. Il est dit dans l’Ecclésiastique : « O mort, ta sentence est bonne pour
l’homme malheureux et qui a perdu ses forces, pour l’homme use par l’âge et
pour celui qui est accablé de soucis pour celui à qui on ne croit plus et qui a
perdu la raison. » Il est donc bien
plus désirable encore de ne pas exister pour les damnés, avec délibération
raisonnable.
Conclusion :
Ne
pas exister peut être considéré de deux façons : en soi et ainsi ce n’est
aucunement désirable, puisque cela ne contient aucun aspect de bien, et n’est
qu’une pure privation de bien- ou bien, en tant que c’est la libération d’une
vie de peine ou de malheur : et alors, ne pas être prend un aspect de bonté.
"Être exempt du mal est une sorte de bien », comme dit Aristote. Sous cet aspect, il est préférable pour les
damnés de ne pas être que d’être malheureux.
Il
est dit en saint Matthieu : « Il eût
été mieux pour cet homme de n’être pas né
», et à propos de Jérémie : « Maudit
soit le jour où je suis né. » La
Glose de saint Jérôme ajoute : « Il
vaut mieux n’être pas que d’être mal. »
Et ainsi, les damnés peuvent choisir délibérément de ne plus exister.
Solutions :
1. Ce mot de saint Augustin doit s’entendre
en ce sens que ne point exister n’est pas préférable en soi, mais seulement par
accident, en tant que c’est là le terme d’une souffrance. Dire qu’exister et
vivre sont désirés par soi, ne vaut pas pour la vie malheureuse et corrompue,
ni pour celle qui s’écoule au milieu des tristesses, comme dit Aristote, mais
seulement absolument parlant.
2. Ne pas être n’est point préférable en
soi, mais par accident, comme nous l’avons dit.
3. Ne pas exister est le pire des maux.
Cependant, la privation de l’existence est un grand bien, si elle entraîne la
privation du plus grand des maux : ainsi considérée, on peut la préférer à
l’existence.
4. Les damnés sont par rapport au suicide
dans une double attitude. En tant qu’ils sont portés par une intention
profonde, à savoir une volonté de vivre heureux et libres, il n’est pas
question pour eux de penser au suicide. Un tel aveu de faiblesse ne convient
pas à l’orgueil.
En
tant qu’ils vivent sans but et dans un désespoir total, ils souhaiteraient
disparaître et ne plus souffrir. Ils savent cependant que ce désir est vain
puisque leur être est indestructible, tant à cause de la nature de leur âme que
de l’impassibilité de leur corps ressuscité.
Objections :
1. Il semble que les damnés, en enfer, ne
veulent pas la damnation de ceux qui ne sont point damnés. Luc 16, 25 dit en
effet, du riche damné, qu’il priait pour ses frères, afin qu’ils ne viennent
pas en ce lieu de tourments. Les autres damnés ne voudraient donc pas, pour le
même motif, que, au moins leurs amis de la terre, soient condamnés à l’enfer.
2. Les damnés gardent leurs affections
désordonnées. Mais quelques-uns ont aimé d’une manière désordonnée quelques
personnes qui ne sont pas damnées. Ils ne leur voudraient donc pas ce mal que
serait la damnation.
3. Les damnés ne désirent pas
l’augmentation de leur peine. Mais s’il y avait davantage de damnés, leur peine
croîtrait, de même que la multiplication des bienheureux augmente leur joie.
Les damnés ne voudraient donc pas la damnation des élus.
Cependant :
A
propos d’Isaïe : « Ils se levèrent de
leurs sièges », la Glose dit : « C’est un soulagement pour les
malheureux que d’avoir de nombreux compagnons de souffrances. »
En outre, chez les damnés, l’envie règne au maximum. Ils souffrent de la
félicité des bienheureux et désirent leur damnation.
Conclusion :
Chez
les bienheureux dans la patrie règne la plus parfaite charité : chez les
damnés, c’est la plus parfaite haine. Comme les saints se réjouissent de voir
tous les bons, les impies en souffrent. La vue de la félicité des saints les
fait souffrir. C’est pourquoi Isaïe écrit : «
Que les peuples envieux le voient et soient confondus ; et que le feu
dévore tes ennemis. » Les damnés
voudraient que tous les bons soient damnés. On observe cette contamination du
mal dès ici-bas. Pour celui qui vit dans l’égoïsme, la vue des justes est un
tourment car ils rappellent, sans le vouloir, à la conscience du méchant sa
contradiction avec le bien. Le livre de la Sagesse décrit avec précision, au
chapitre 2, 12 cet état d’esprit : «
Tendons des pièges au juste, puisqu'il nous gêne et qu'il s'oppose à notre
conduite (…). Il est devenu un blâme pour nos pensées, sa vue même nous est à
charge ; car son genre de vie ne ressemble pas aux autres, et ses sentiers sont
tout différents. »
Solutions :
1. Le riche de la parabole n’est pas dans
l’enfer des damnés mais seulement au purgatoire comme l’indique le fait qu’il
désire la grâce (l’eau dont s’abreuve le pauvre Lazare) et qu’il veut le salut
de ses frères. La charité n’existe pas en enfer.
L’envie
des damnés sera telle qu’elle atteindra même la gloire de leurs proches, tandis
qu’ils se verront dans le plus grand malheur : cela se produit même en cette
vie, quand l’envie parvient à son comble. Pourtant, ils auront moins d’envie à
l’égard de leurs proches qu’à l’égard des autres. Ils souffriraient davantage
si tous leurs proches étaient damnés, tandis que les autres seraient sauvés,
que si quelques-uns des leurs étaient sauvés.
2. L’affection malhonnête se brise
facilement, surtout chez les hommes méchants, comme dit Aristote. Les damnés ne
conservent donc pas d’amitié pour ceux qu’ils ont aimés d’une manière
désordonnée. Mais leur volonté demeurera perverse en ceci, qu’ils s’attacheront
encore à la cause de leur affectivité coupable.
3. Bien que la souffrance de chaque damné
soit accrue par leur multitude, pourtant la haine et l’envie se développeront
chez eux à un tel point qu’ils préféreront souffrir davantage avec un plus
grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls.
Objections :
1. Cela ne semble pas, car Denys dit : « Il est objet d’amour pour tous, ce
beau et ce bon qui est la cause de toute bonté et de toute beauté. » C’est Dieu. Il ne peut donc être haï
par personne.
2. Nul ne peut haïr la bonté elle-même,
comme nul ne peut vouloir sa propre malice.
» Il est en effet tout à fait impossible de vouloir le mal en soi », comme dit Denys. Dieu est la Bonté
même. Donc personne ne peut le haïr.
Cependant :
Le
Psalmiste dit : « L orgueil de ceux
qui te haïssent, augmente toujours. »
Conclusion :
L’affectivité
est attirée par le bien ou le mal, en tant qu’ils nous sont connus. Dieu peut
être connu de deux manières : en lui-même, comme il l’est par les bienheureux,
qui le voient en son essence ou à travers ses effets, comme il est vu par nous
et par les damnés. En lui-même, puisqu’il est par essence la Bonté, il ne peut
déplaire à aucune volonté : quiconque le voit en son essence ne peut le haïr.
Mais certains de ses effets choquent la volonté, parce qu’ils s’opposent à
quelqu’un. Ainsi, un homme peut avoir de la haine pour Dieu, non en lui-même,
mais à cause des effets de son action. Les damnés, qui voient Dieu à travers
les effets de sa justice, c’est-à-dire dans leur châtiment, le haïssent, comme
ils haïssent leurs tourments.
Solutions :
1. Ce mot de Denys vaut pour l’appétit
naturel : lui-même est perverti chez les damnés, sous l’influence de leur
vouloir libre.
2. Cet argument vaudrait si les damnés
voyaient Dieu en lui-même en tant qu’il est bon par essence.
Objections :
1. Cela paraît, car ils ont une volonté
mauvaise, comme disent les Sentences. Or, c’est par leur volonté mauvaise en
cette vie qu’ils ont démérité. Si, là où ils sont, ils ne déméritaient plus,
ils tireraient avantage de leur damnation.
2. Les damnés sont dans la même condition
que les démons. Mais ceux-ci déméritent encore après leur chute, puisque Dieu
infligea une peine au serpent qui entraîna l’homme au péché, comme il est dit
dans la Genèse. Les damnés déméritent donc.
3. Un acte déréglé procédant du libre
arbitre est toujours déméritoire, même s’il est l’effet d’une sorte de
déterminisme, dont la personne qui pose l’acte est elle-même la cause. Ainsi
"l’homme ivre mérite un double châtiment" si à cause de son ivresse,
il commet un autre péché. Or, les damnés ont été la cause de leur propre
obstination, à cause de laquelle ils sont comme déterminés à pécher. Puisque
leur acte déréglé procède de leur libre arbitre, ils gardent son démérite.
Cependant :
Le
châtiment se distingue de la faute. Mais la volonté perverse procède chez les
damnés de leur obstination, qui est leur châtiment. Cette volonté perverse ne
constitue donc pas une faute par laquelle ils démériteraient.
En
outre, après le terme ultime, il ne reste plus de mouvement ni vers le bien, ni
vers le mal. Mais les damnés, après le jour du jugement, sont parvenus tout à
fait au dernier terme de leur damnation, parce que "alors les deux cités
atteindront leur fin" comme dit saint Augustin. Après le jour du jugement,
les damnés ne démériteront donc plus ; sinon leur damnation croîtrait encore.
Conclusion :
Au
sujet des damnés, nous devons distinguer entre ce qui précède et ce qui suit le
jour du jugement. Tous les auteurs reconnaissent qu’après ce jour, il n’y aura
plus de mérite ni de démérite : ceux-ci sont en effet ordonnés à l’acquisition
de quelque bien ou quelque mal. Après le jour du jugement, ce sera l’achèvement
ultime des bons et des méchants, et il n’y aura plus rien à ajouter au bien ou
au mal. Chez les bienheureux, la volonté bonne ne sera plus un mérite, mais une
récompense ; chez les damnés, la volonté mauvaise ne sera plus un démérite,
mais seulement un châtiment. Les actes des vertus sont surtout dans le bonheur,
et leurs contraires surtout dans le malheur, comme dit Aristote.
Certains
disent qu’avant le jour du jugement les bienheureux méritent et les damnés
déméritent : mais cela ne peut pas être au sujet de la récompense essentielle,
ni de la peine principale, car sur ce point, ils sont tous parvenus au terme.
Leur choix a atteint la plénitude de sa détermination dans l’égoïsme à l’heure
de la mort, quand leur a été révélé l’Évangile et l’enfer. Ils détestent de
tout leur cœur, de toute leur âme, de toutes leurs forces le royaume du Christ
et ne peuvent le haïr davantage. Par contre, ce peut être à l’égard d’une
récompense accidentelle ou d’une peine secondaire, qui peuvent augmenter
jusqu’au jour du jugement. C’est surtout vrai pour les démons ou les bons anges
: ceux-ci entraînent les hommes vers leur salut ; ainsi croît la joie des anges
; tandis que les peines des démons augmentent parce qu’ils ont entraîné des
hommes à la damnation.
Solutions :
1. C’est le plus grand désavantage que de
parvenir au comble du mal. C’est ainsi que les damnés ne peuvent plus démériter
: leur péché ne leur apporte donc rien.
2. Il n’appartient pas au rôle des hommes
damnés d’attirer les autres à la damnation comme cela appartient aux démons,
qui, par la, méritent une plus grande peine secondaire.
3. Les damnés ne sont pas mis dans
l’impossibilité de démériter parce qu’ils sont déterminés à pécher, mais parce
qu’ils sont parvenus au comble du mal. Cependant, la nécessité de pécher, dont
nous sommes nous-mêmes la cause, diminue la faute, en tant qu’elle constitue un
certain déterminisme, car tout péché doit être volontaire et libre ; mais il
n’y a point réellement d’excuse, en tant que ce déterminisme provient d’un
vouloir libre précédent. Ainsi le démérite de la faute qui suit remonte à la
culpabilité de la première faute.
Objections :
1. Il semble que non. La considération de
sa science procure en effet une très grande satisfaction. Or il n’y a pas de
satisfaction chez les damnés. Ils ne peuvent donc pas se servir de la science
acquise auparavant pour la considérer.
2. Les peines des damnés sont plus grandes
que celles de ce monde. En ce monde, quand quelqu’un est plongé en de grands
tourments, il n’est plus capable de considérer des conclusions intellectuelles,
en se dégageant de ses souffrances. Donc, bien moins encore en enfer.
3. Les damnés sont soumis au temps. Mais
"la longueur du temps est cause d’oubli" comme dit Aristote. Ils
oublieront donc les choses qu’ils ont sues.
Cependant :
Les
espèces intelligibles et les souvenirs des images demeurent dans l’âme séparée
de la chair, comme nous l’avons dit plus haut. Si elles ne pouvaient servir,
elles seraient vaines.
Conclusion :
À
cause de la parfaite béatitude des saints, il n’y aura rien en eux qui ne soit
matière à joie. De même, chez les damnés rien qui ne soit pour eux matière et
cause de tristesse, et il ne leur manquera rien de ce qui peut contribuer à
leur tristesse, afin que leur souffrance soit consommée. Or la considération
des choses connues apporte une certaine joie, soit à cause de ces choses
elles-mêmes, soit à cause de la connaissance qu’on en a, et qui est agréable et
parfaite. Il peut aussi y avoir de la tristesse, en cette considération, soit à
cause des choses connues, si elles sont de nature à attrister, soit à cause de
la connaissance qu’on en a, si elle apparaît imparfaite : quand, par exemple,
quelqu’un s’aperçoit qu’il n’a pas une pleine connaissance d’une chose qu’il
désirerait connaître parfaitement. Ainsi, chez les damnés, il y aura une
considération des choses connues auparavant, mais comme source de tristesse et
non de délectation. Ils considéreront les péchés qu’ils ont commis, et pour
lesquels ils sont damnés, ainsi que les biens agréables qu’ils ont perdus ; et
ces considérations les tourmenteront. De même, ils souffriront de voir que la connaissance
qu’ils ont eue des choses visibles est imparfaite, et de voir qu’ils ont perdu
cette grande perfection qu’ils avaient la possibilité de réaliser.
Solutions :
1. Bien que la considération de sa science
soit en elle-même délectable, elle peut devenir source de tristesse à cause
d’une circonstance accidentelle, comme nous venons de le dire : et c’est le cas
des damnés.
2. En ce monde, l’âme est unie-au corps
corruptible : quand le corps souffre, le regard de l’âme est paralysé. Mais
dans l’au-delà l’âme ne sera point ainsi influencée par le corps. Quelle que
soit la souffrance du corps, l’âme considérera toujours très clairement les
choses qui pourront être pour elle cause de douleur.
3. C’est
accidentellement que le temps est cause d’oubli, en tant que le mouvement, dont
il est la mesure, est cause de changement et d'usure des organes faits de chair
corruptible comme le cerveau. Dans l'autre monde, après la résurrection, l’oubli
ne pourra plus résulter de la durée puisque la matière sera délivrée de sa
propriété de corruption. D’ailleurs, même avant ce jour, l’âme
séparée est
liée à un corps psychique dont la matière n’est
plus transformée en ses dispositions par l'usure des organes matériels.
Objections :
1. Il semble que les damnés penseront
parfois à Dieu, car on ne peut avoir un acte de haine que pour ce à quoi on
pense. Et les damnés haïssent Dieu, comme il est dit dans les Sentences.
2. Les damnés souffriront de la rancoeur de
la conscience, et celle-ci a de la rancoeur des actes commis contre Dieu : ils
penseront donc parfois à Dieu.
Cependant :
La
plus parfaite connaissance de l’homme est celle qu’il a de Dieu. Mais les
damnés sont dans le plus imparfait des états. Ils ne penseront donc pas à Dieu.
Conclusion :
On
peut considérer Dieu de deux manières : 1°
ou bien en soi, et selon ce qui lui est propre, à savoir être le principe de
toute bonté : ainsi, il est impossible de penser à lui sans jouissance et les
damnés ne pourront aucunement penser à lui de la sorte. 2° ou bien, en quelque chose qui lui est pour ainsi dire
accidentel, c’est-à-dire les effets de son action comme de punir ou d’autres
choses semblables. Sous cet aspect, la pensée de Dieu peut conduire à la
tristesse : et c’est ainsi que les damnés penseront à Dieu.
Solutions :
1. Les damnés n’ont de haine pour Dieu qu’à
cause de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à leur volonté
mauvaise : ils ne le considéreront donc que comme celui qui punit et qui
interdit.
2. La deuxième difficulté est résolue par
là, puisque la conscience n’a de la rancoeur du péché qu’en tant qu’il est
contraire au décret divin.
Objections :
1. Les damnés ne paraissent pas voir la
gloire des bienheureux, car elle est encore plus distante d’eux que les
événements de ce monde. Or, ils ne les voient pas. Saint Grégoire, au sujet de
Job : « Que leurs fils
soient nobles », dit : « De même que ceux qui vivent encore,
ignorent en quel lieu se trouvent les âmes des morts, ainsi les morts qui ont
vécu d’une manière charnelle, ignorent comment se passe la vie de ceux qui se
trouvent encore dans la vie de la chair.
» Donc, bien moins encore peuvent-ils voir la gloire des bienheureux.
2. Ce qui
est accordé aux saints en cette vie à titre de grand privilège, n’est
jamais accordé aux damnés. Mais c’est à titre de grand privilège que fut
accordé à saint Paul de voir la vie en laquelle les saints vivent éternellement
avec Dieu, comme il le dit aux Corinthiens. Les damnés ne verront donc pas la
gloire des
bienheureux.
Cependant,
il est dit en Sagesse 5, 1 : « Alors
le juste se tiendra debout, plein d’assurance, en présence de ceux qui
l’opprimaient. »
Conclusion :
Les damnés, avant le jour du jugement,
verront les bienheureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu’ils
comprennent quelle est leur gloire, mais en sachant qu’ils sont dans une gloire
inestimable. Cela les troublera, soit à cause de leur envie qui les fera
souffrir de voir leur félicité, soit parce qu’ils auront conscience d’avoir
perdu eux-mêmes cette gloire. C’est pourquoi la Sagesse dit : « À ce spectacle, ils seront troublés
par une crainte horrible. » Cette vision leur sera donnée pour deux
raison : 1° en vue de leur jugement
particulier à l'heure de leur mort, afin qu'ils ne rejettent cette gloire qu'à
travers un acte parfaitement libre. 2°
en vue du jugement général, à la fin du monde, afin que tout les mystères du
monde et des actes de Dieu leur soient connus, jusqu'au plus petit détail de
l'héroïsme, de l'humilité (kénose) et de l'amour des élus. Mais,
après le jour du jugement, les damnés seront laissés complètement
libres
de fuir la vue des bienheureux. Ils s'enfuiront pour ne plus jamais être
confronté à la vision du bonheur des repentants jusque dans les lieux les plus
déserts, dans l'obscurité en feu du cœur des astres. Cela,
loin de diminuer leur peine l’augmentera, car ils garderont le souvenir de la
gloire des bienheureux, qu’ils auront aperçus au jugement ou avant le jugement.
Plus tard ils souffriront de voir qu’ils sont considérés comme indignes même de
voir la gloire méritée par les saints. La raison de cette privation ne viendra
pourtant pas de cette raison mais au contraire de la miséricorde des saints qui
comprendront à quel point leur proximité ne peut qu’augmenter la rage et la
rancœur des damnés.
Solutions :
1. Les
événements de cette vie n’affligeraient pas les damnés en enfer autant que la
vue de la gloire des saints. Cependant parmi les choses qui arrivent ici, leur
sont révélées celles-là seules qui peuvent les attrister.
2. Déjà repentant, Paul pût
apercevoir la vie dans laquelle se trouvent les saints avec Dieu en
l’expérimentant et en espérant la vivre plus tard plus parfaitement : ce n’est
point le cas des damnés : ils la regardent de l'extérieur, en en rejetant avec rage
l'humilité (kénose) et l'amour. Ce
n’est donc point la même chose.
Il
nous reste à considérer la justice et la miséricorde de Dieu à l’égard des
damnés, c’est-à-dire l’enfer pris du côté de Dieu. Cinq questions se posent :
1° Est-ce la justice divine qui inflige
aux pécheurs une peine éternelle ?
2° La miséricorde divine mettra-t-elle fin
à toute peine des hommes et des démons ?
3° Est-ce que, au moins, le châtiment des
hommes aura une fin ?
4° Au moins celui des chrétiens ?
5° Et celui de ceux qui ont accompli des
œuvres de miséricorde ?
Objection l :
Il
ne semble pas que la justice divine puisse infliger aux pécheurs une peine
éternelle : car la peine ne doit point dépasser la faute. Le Deutéronome dit : « La modalité des châtiments sera à la mesure
de la faute. » Mais celle-ci est
temporelle. La peine ne doit donc pas être éternelle.
2. Si nous considérons deux péchés mortels,
l’un est plus grand que l’autre, et doit donc être puni par une peine plus
grande. Mais aucune peine n’est plus grande qu’une peine éternelle car elle est
infinie. Dès lors, celle-ci n’est pas due à tout péché mortel. Or si elle n’est
pas due à l’un d’eux, elle n’est due à aucun, puisqu’il n’y a pas entre eux de
distance infinie.
3. Un juge juste n’inflige de peine que pour
corriger. Aristote dit que « les
peines sont des médicaments. » Mais
la punition éternelle de l’impie ne sert pas à sa correction ni à celle
d’autres êtres, puisque, après le jugement, il n’y aura plus d’hommes qui
puissent être corrigés par cette vue. La justice divine n’inflige donc pas aux
péchés une peine éternelle.
4. Ce qui n’est point voulu en soi ne peut
l’être que pour quelque avantage. Mais Dieu ne veut pas les châtiments pour
eux-mêmes : il n’en tire aucune jouissance. Puisque Dieu ne peut tirer aucun
avantage de la perpétuité du châtiment. Il semble qu’il ne doive pas imposer
une punition perpétuelle pour le péché.
5. Rien de ce qui n’existe que par accident
n’est perpétuel, comme dit Aristote. Le châtiment fait partie des choses qui
existent par accident, en tant qu’il est contraire à la nature. Il ne peut donc
être perpétuel.
6. La justice de Dieu semble exiger que les
pécheurs soient réduits au néant : en effet, l’ingratitude mérite la perte des
bienfaits reçus. Or, parmi les bienfaits de Dieu. Il y a l’existence même. Il
semble donc juste que le pécheur, ingrat envers Dieu, perde l’existence. Si les
pécheurs sont réduits au néant, leur punition ne peut être perpétuelle.
Cependant :
Il
est écrit en saint Matthieu : « Ceux-ci,
c’est-à-dire les pécheurs, iront au supplice éternel. »
Conclusion :
Le
cardinal Journet répond[923] : «
Il est clair que tout ce qu’il y a de richesses et de splendeurs
ontologiques en enfer, les natures incorruptibles des anges, les âmes
spirituelles des hommes et plus tard leurs corps ressuscités ; tout ce qu’il y
a en outre de positivité ontologique dans le désir naturel des réprouvés pour
le bonheur, et jusque dans leur incessante activité intelligente et libre :
tout cela a sa source suprême en Dieu, tout cela résulte du don premier et sans
repentance de sa miséricorde qui le pousse à créer toutes choses, le monde
matériel, les anges, l’homme, non pour les anéantir, mais pour les soutenir par
sa providence dans leur être et leur agir.
Il
est clair d’autre part que tout ce qu’il y a en enfer de mal du péché, de
révolte, d’orgueil, de blasphème, ne peut être un élément structurel de
l’univers, ne peut remonter d’aucune manière à Dieu, ni directement ni
indirectement.
Mais
que penser du mal de la peine des réprouvés, du mal de la souffrance,
inséparable de leur révolte ? Dieu en est-il la cause ? Il en est la cause en
tant qu’il veut et ne peut pas ne pas vouloir ce à quoi se heurtent par leur
faute volontaire et permanente les réprouvés. Pour que cesse l’insoluble
conflit où les maintient leur rébellion et leur laisser le champ libre, il
faudrait que disparaisse le double obstacle contre lequel ils se brisent, à
savoir Dieu et l’ordre de la création ; il faudrait que Dieu d’une part se
renie en se détruisant lui-même, et d’autre part renie le décret par lequel il
a imposé un ordre dans l’univers. Quand on parle de la sainte Justice de Dieu
qui s’oppose au mal, on ne peut désigner -et il faudrait pourtant s’en
souvenir- que le double Amour, l’un, nécessaire, par lequel il ne peut pas ne
pas se vouloir lui-même, l’autre, libre, par lequel, ayant décrété le monde
dans sa sagesse, il ne lui est pas possible de se dédire. Ne pas punir le damné
serait pour Dieu accepter cette affirmation de soi contre Lui qui est le
péché-même.
Dieu
est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[924] ; ne sont dans les ténèbres que ceux
qui lui ferment l’accès de leur cœur : à la manière dont l’homme qui ferme ses
volets se met dans l’obscurité. »
Tant
que le pécheur maintient cette révolte contre Dieu, la lumière ne peut rentrer.
Mais, et c’est là que s’explique l’éternité de l’enfer, jamais aucun pécheur en
enfer ne revient sur sa révolte. Il le pourrait. Il est parfaitement libre.
Mais il ne le veut jamais car il sait et il veut en perfection ce qu’il vit,
dès le premier instant de sa révolte, dès qu’à l’heure de la mort il a vu le
Christ crucifié et glorifié et s’en est moqué. Tout autre péché que le
blasphème contre l’Esprit disparaît mais ce péché là ne disparaît jamais, par
définition.
On pourrait
objecter à cela que Dieu pourrait finir par se donner tout de même, par
miséricorde pour le pécheur non repentant. C’est impossible, non seulement de
par sa volonté de se donner à l’amour, mais surtout parce que, par essence, il
est l’Humilité (kénose) et l’Amour. Le pécheur ne verrait rien de Dieu selon
cette parole [925] : «
Nul ne peut voir Dieu sans mourir »
à soi-même.
Solutions :
1. (De saint Thomas) On peut dire, comme
saint Grégoire, que bien que la faute soit temporelle en son acte, elle est éternelle
dans la volonté qui la commet.
2. Le degré de la peine, en intensité,
correspond au degré du péché. C’est pourquoi, pour des péchés mortels inégaux,
il y aura des peines inégales en intensité, mais non en durée.
3. Les châtiments infligés à ceux qui ne
sont pas complètement chassés de la société civile, sont ordonnés à leur
correction, mais non les peines qui constituent une expulsion totale de la
société. Celles-ci peuvent du moins servir à la correction et à la tranquillité
des autres citoyens qui demeurent dans la cité. De même, la damnation éternelle
des impies sert à la correction des membres actuels de l’Église : Car les
châtiments ne servent pas seulement à corriger quand ils sont appliqués, mais
aussi quand ils sont déterminés.
4. Les châtiments des impies, qui dureront
perpétuellement ne seront pas tout à fait inutiles, car ils serviront à deux
choses : d’abord à manifester la détermination des damnés, prêts à subir cette
vie insensée pour toujours plutôt que de renoncer à leur liberté sans amour.
Secondement,
ces peines sont utiles parce qu’elles procurent aux justes la satisfaction de
contempler la manifestation de la justice de Dieu, qui ayant tout fait pour
orienter ces êtres vers la vraie béatitude pour laquelle ils étaient créés,
respecte en fin de compte leur choix puisqu’il est obstiné. Le Psalmiste dit : « Le juste se réjouira de voir la
vengeance » et Isaïe : « Les impies seront la satisfaction de
la vue de toute chair », c’est-à-dire
des saints, comme le précise la Glose. C’est ce qu’affirme saint Grégoire : « Tous les réprouvés envoyés au supplice
éternel sont punis à cause de leur iniquité. Cependant, leur supplice servira à
autre chose : car tous les justes, en Dieu, ont conscience des joies qu’ils
goûtent et en même temps ils aperçoivent chez les damnés les supplices auxquels
eux-mêmes ont échappé. Ils comprendront ainsi d’autant mieux ce qu’ils doivent
éternellement à la grâce divine. »
5. Dieu a disposé son salut de telle
manière que chacun puisse, de manière libre, s’en détourner. Il se propose à
l’amour de la créature spirituelle mais ne s’impose pas. Certains auteurs ont
souhaité l’anéantissement des damnés car ils se représentaient l’enfer à la
manière d’un camp de torture infligé par Dieu pour punir les égoïstes et les orgueilleux.
La réalité est toute autre. L’enfer est choisi par les pécheurs parce qu’ils y
voient d’abord leur bien. Eternellement, ils choisissent de rester en enfer.
Ils s’y considèrent comme heureux car libres et divins. De fait, ils savent
qu’ils sont malheureux. Ils voient leur âme dépérir du manque de Dieu, de sa
lumière et de son amour. Ils voient leur psychisme se maintenir dans toutes
sortes de passions mauvaises. Plus tard, après la résurrection de la chair,
leur corps somatisera ce malheur. Ils comprennent que ce malheur, excepté
l’éloignement que leur impose Dieu vis-à-vis du monde des habitants de la
terre, n’est que la conséquence normale de leur nature coupée de sa fin.
Pourtant, ils restent en enfer. Ils ne se repentent pas. Si Dieu les réduisait
au néant, il se comporterait injustement avec eux puisqu’il ne prendrait pas au
sérieux le choix de ses créatures. C’est ce que dit Vitalini Sandro[926] : «
Dieu respecte jusqu’au bout la liberté qu’il a communiquée aux anges en les
créant comme des personnes. Que certains d’entre eux aient préféré souffrir les
peines de l’enfer plutôt que de se livrer aux exigences de la charité, cela
reste leur décision personnelle. Il ne convient pas de les faire retourner au
néant puisqu’ils manifestent par leur existence la magnanimité de leur
Créateur. »
Objections :
1. Il semble que la miséricorde divine
doive mettre un terme à tout châtiment des hommes aussi bien que des démons.
Car nous lisons dans la Sagesse : « Tu
as pitié de tous, Seigneur, car tu es tout-puissant. » Donc leur peine elle-même aura une fin.
2. Saint Paul dit aux Romains : « Dieu a enfermé toutes choses dans la
désobéissance, pour faire à tous miséricorde. » Or, Dieu a enfermé les démons dans leur péché ou du moins permis
qu’ils soient enfermés. Il semble donc qu’il doive un jour leur faire
miséricorde.
3. Comme dit saint Anselme : « Il n’est pas juste que Dieu permette
qu’une créature qu’il a faite pour la béatitude périsse tout à fait. » Il semble donc que, puisque toute
créature raisonnable a été créée pour la béatitude, il ne soit pas juste que
Dieu permette qu’elle périsse totalement.
4. Il semble que la peine des démons se
terminera par leur retour au néant car, s’ils ne veulent revenir de leur
perversion, Dieu dans sa miséricorde ne pourra tolérer leur tourment éternel et
préfèrera détruire leur être.
Cependant :
Il
est dit en saint Matthieu 18, 8 : « Eloignez-vous
de moi, maudits, dans le feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour
ses anges. » Ils seront donc punis
éternellement. En outre, comme les bons anges furent rendus bienheureux par
leur conversion vers Dieu, ainsi les mauvais anges furent rendus malheureux par
leur aversion à son égard. Si le malheur des mauvais anges finissait un jour,
la béatitude des bons anges devrait se terminer aussi, ce qui ne convient pas.
Conclusion :
«
Ce
fut une erreur d’Origène, comme dit saint Augustin, de penser que les démons
seront un jour libérés de leurs peines par la miséricorde de Dieu. » Cette erreur fut réprouvée par
l’Église pour deux motifs : d’abord, parce que cela est manifestement contraire
à l’autorité de la Sainte l’Écriture, qui dit dans l’Apocalypse : « Le diable qui les séduisait fut envoyé
dans un étang de feu et de soufre, où les gens abêtis et les pseudo-prophètes
seront torturés jour et nuit dans les siècles des siècles », formule qui signifie pour toujours ; ensuite, parce que d’une
part Origène étendait trop la miséricorde divine, et d’autre part il la
contraignait trop. Il semble en effet que le même motif exige que les bons
anges demeurent dans la béatitude éternelle, et que les mauvais anges soient
punis pour l’éternité. Ce motif, nous l’avons montré, est lié à une parfaite
détermination dans le bien ou dans le mal. C’est pourquoi, comme il affirmait
que les démons et les âmes des damnés seraient un jour libérés du châtiment,
ainsi, il affirmait que les anges et les âmes des bienheureux seraient
quelquefois déchus de leur béatitude dans les misères de cette vie.
Solutions :
1. Dieu, en lui-même, a compassion de tous.
Mais, parce que sa miséricorde est réglée par l’ordre de sa sagesse, elle ne
s’étend pas à certains, qui se sont rendus indignes de cette miséricorde, comme
les démons et les damnés, obstinés dans leur malice. Cependant, on peut dire
que même à leur égard la miséricorde intervient, en tant qu’ils sont punis
moins qu’ils le méritent, sans être totalement libérés de leur peine.
2. Ici, l’universalité doit s’entendre de
toutes les espèces d’êtres, mais non de tous les membres de chaque espèce.
Cette citation doit être entendue des hommes dans leur état terrestre, en ce
sens que Dieu eût pitié des Juifs comme des Gentils, mais non de tous les
Gentils ni de tous les Juifs.
3. Saint Anselme estime que ce ne serait
point juste et ne conviendrait pas à la bonté divine ; mais il parle de la
créature selon son espèce. Il ne convient pas à la bonté divine que toute une
espèce de créatures manque la fin pour laquelle elle a été faite. Il ne
convient donc pas que tous les hommes ou tous les anges soient damnés. Mais
rien n’empêche que quelques-uns parmi les hommes ou les anges périssent
éternellement, puisque l’intention de la volonté divine se trouve réalisée en
ceux qui sont sauvés.
Objections :
1. Il semble que la miséricorde divine ne
supporte pas un châtiment éternel, du moins pour les hommes, car il est dit
dans la Genèse : « Mon esprit ne
demeurera pas contre l’homme éternellement, car il est chair. » Et ici, ce mot esprit signifie
"mon indignation », comme cela
ressort de la Glose. Puisque l’indignation de Dieu n’est pas autre chose que le
châtiment qu’il inflige, il ne punira pas éternellement.
2. La charité des saints, en cette vie, les
fait prier pour leurs ennemis. Là-haut, ils auront une charité plus parfaite,
et prieront donc pour leurs ennemis damnés. Leurs prières ne pourront être
inefficaces, puisqu’ils sont très agréés par Dieu. Donc, à cause de ces prières
des saints, la miséricorde divine libérera un jour les damnés de leur punition.
3. La prédiction par Dieu, de l’éternité du
châtiment des damnés appartient aux prophéties de menace. Mais une prophétie de
menace ne s’accomplit pas toujours, comme cela apparaît dans Jonas : il dit que
Ninive serait détruite et elle ne le fut point comme il l’avait prédit, et
Jonas en fut attristé. Il semble donc que, bien plus encore, la miséricorde
divine changera la menace d’un châtiment éternel en une sentence très douce,
qui ne donnera à personne de la tristesse, mais procurera à tous de la joie.
4. Le Psalmiste dit : « Dieu sera-t-il en colère pour l’éternité ? » Or, la colère de Dieu, c’est la punition des méchants.
Donc…
5. À propos d’Isaïe « Tu as été projeté »,
la Glose interlinéaire dit : « Même
si toutes les âmes trouvent un jour le repos, toi tu ne l’auras jamais », en parlant du diable. Il semble
donc que toutes les âmes humaines trouveront un jour la cessation de leurs
tourments.
6. Ce que Dieu peut faire, il le fait si
cela convient avec sa miséricorde. Or Dieu peut donner aux hommes damnés la
possibilité de sortir de leur perversion, par exemple en les réincarnant sur la
terre avec un autre corps, de telle manière qu’ils perdent le souvenir même de
leur orgueil passé. Il semble donc que Dieu donne une fin au châtiment des
damnés.[929]
7. Si Dieu ne peut supprimer la volonté
perverse de l’homme qui se sépare de lui, il peut au moins supprimer la peine
du feu et les autres peines qui viennent de sa justice en enfer. Donc la
miséricorde de Dieu ne tolère pas les peines éternellement en enfer.
8. On attribue à Origène la théorie dite de
l’apocatastase selon laquelle même les démons se convertiraient finalement à la
bonté divine. Dans cette ligne, se place l’Ambrosiaster et saint Jérôme. Dans
ce sens aussi, Grégoire de Nysse affirme : «
Quand seront rétablis dans leur condition primitive ceux qui sont
maintenant plongés dans le vice, le concert d’actions de grâces s’élèvera de
toute créature. »
Cependant :
Il
est dit en saint Matthieu 18, 8, à propos des élus et des réprouvés : « Ceux-ci iront au supplice éternel,
mais les justes, à la vie éternelle. »
Il ne convient pas de dire que la vie des justes cessera. Il ne convient donc
pas non plus de dire que le supplice des réprouvés se terminera.
En
outre, saint Jean Damascène dit : « La
mort est pour les hommes ce que la chute fut pour les anges. » Mais les anges, après la chute,
furent irréformables. Donc aussi les hommes après leur mort. Le supplice des
réprouvés ne cessera donc jamais.
Conclusion :
Comme
le dit saint Augustin, certains suivirent sur ce point l’erreur d’Origène, et
affirmèrent que les démons seraient punis à jamais, tandis que tous les hommes,
même les infidèles, seraient un jour libérés de leur châtiment. Mais cette
position est tout à fait déraisonnable. Car, de même que les démons doivent
être punis perpétuellement à cause de leur obstination dans le mal, ainsi
également, les âmes des hommes qui sont morts sans la charité, puisque la
liberté de la mort est pour les hommes comme celle de la chute pour les démons.
Solutions :
1. Cette citation doit être entendue de
l’homme selon qu’il est sur cette terre. Il peut arriver que Dieu enlève la
grâce de ses bienfaits matériels ou spirituels de manière provisoire, jusqu’à
ce qu’une génération touche le fond de sa misère et en vue d’un renouveau de la
génération suivante. Dieu se sert des lois de la sociologie. Quand le peuple
redevient réceptif à la grâce, l’indignation de Dieu s’éloigne du genre humain,
à cause de l’avènement du Christ. Mais ceux qui ne veulent pas entrer ou
demeurer dans cette réconciliation que le Christ a opérée, perpétuent en
eux-mêmes la colère divine, puisqu’il n’y a point pour nous d’autres manières
de réconciliation que celle qui se réalise à travers le Christ.
2. Comme disent saint Augustin et saint
Grégoire, « les saints, au cours de
cette vie, prient pour leurs ennemis afin qu’ils se convertissent à Dieu, tant
que cela est encore possible. Si nous savions qu’ils sont déterminés de manière
obstinée et libre à la mort spirituelle, nous ne prierions pas plus pour eux
que pour les démons. » Mais
puisque, après cette vie, ceux qui sont morts sans la grâce ne voudront plus de
conversion, aucune prière ne sera faite pour eux, ni par l’Église militante, ni
par l’Église triomphante. Pour eux, on ne peut rien comme dit saint Paul, pour
que Dieu « leur donne de faire pénitence, et qu’ils sortent des lacets du
diable. »
3. La prophétie de menace ne change que si
sont modifiés les mérites de celui contre qui est proférée la menace. C’est
pourquoi Jérémie dit : « Je parlerai
aussitôt contre cette nation, contre ce royaume, afin de le déraciner, de le
détruire et de le disperser. Si cette nation fait pénitence de son mal, je
ferai moi-même pénitence pour le mal que j’ai eu l’intention de lui faire. » Puisque les mérites des damnés ne
peuvent plus changer, la menace de leur châtiment s’accomplira toujours en eux.
Cependant, la prophétie de menace s`accomplira toujours en eux en un certain
sens, car, comme dit saint Augustin, « Ninive
a été bouleversée, puisqu’elle était mauvaise et est devenue bonne : ses
remparts et ses maisons sont demeurés, mais les mauvaises mœurs de la ville
furent détruites. »
4. Ce mot du psaume vaut pour les vases de
miséricorde qui ne se sont pas rendus indigne de la miséricorde ; car, en cette
vie, qui est comme une manifestation de la colère de Dieu à cause des
souffrances d’ici-bas, les vases de miséricorde sont transformés en mieux. D’où
ce mot du psaume : « Ce changement
est l’œuvre de la droite du Très-Haut. »
On peut dite aussi que ce passage doit être entendu de la miséricorde qui
produit un relâchement, mais sans libérer totalement, si on l’applique aux
damnés. C’est pourquoi il est écrit : non pas « il préservera de sa colère ses miséricordes », mais bien : « dans sa colère », parce
que la peine ne sera pas totalement supprimée, et tandis qu’elle demeure, la
miséricorde agira pour la diminuer.
5. Cette Glose ne peut pas être prise
absolument, mais dans une l’hypothèse impossible pour accroître la grandeur du
péché du diable lui-même ou de Nabuchodonosor.
6. Ce qui convient à la miséricorde de Dieu
ne convient pas forcement à sa sagesse. Or Dieu, dans l’ordre de sa sagesse, a
fait de l’homme une personne c’est-à-dire un être qui se dirige lui-même en
suivant le libre arbitre de son esprit. C’est pourquoi, au terme d’une certaine
croissance, l’homme obtient les conditions d’une liberté parfaite. C’est donc
librement que l’homme se damne. Il est contradictoire avec la sagesse de Dieu
qu’il détruise ce libre arbitre sous prétexte que l’homme s’en est servi pour
mal agir. C’est pour cela qu’il n’efface jamais la personnalité de l’homme en
le réincarnant dans un autre corps et en effaçant ses souvenirs.
7. Les peines de l’enfer ne sont que les
conséquences naturelles dans la nature humaine de la perversité de la volonté
des damnés. Ainsi, le feu n’est autre que le désir naturel de Dieu qui a été
frustré et le ver de la rancoeur la révolte de la conscience profonde. Ces
peines là ne peuvent donc en aucun cas disparaître tant que la volonté reste
dans son obstination. Quant à l’emprisonnement de l’âme qui est due au feu
matériel, il est nécessaire pour que ces damnés ne puissent pas venir effrayer
les vivants ou ennuyer les élus.
8.[930] Le Magistère se situe dans le sillon de
la Tradition, et Vatican II encore nous rappelle la possibilité du refus de la
vie qu’elle entraîne : « Ignorants du
jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous
restions constamment vigilants pour mériter, quand s’achèvera le cours unique
de notre vie terrestre,[931] d’être admis avec Dieu aux noces et
comptés parmi les bénis de Dieu[932] au lieu d’être, comme de mauvais et
paresseux serviteurs[933] écartés par l’ordre de Dieu vers le feu
éternel[934], vers ces ténèbres du dehors où « seront les pleurs et les
grincements de dents ».[935]
Objections :
1. Il semble que, du moins pour les
chrétiens, la miséricorde divine mettra fin au châtiment, car nous lisons en
saint Marc : « Celui qui aura cru et
aura été baptise sera sauvé. » C’est
le cas de tous les chrétiens : ils seront donc finalement sauvés.
2. Il est dit en saint Jean : « Celui qui mange ma chair et boit mon
sang, possède la vie éternelle. »
C’est l’aliment et le breuvage communs des chrétiens. Tous ceux-ci seront donc
finalement sauvés.
3. Saint Paul écrit en 1 Corinthiens 3, 15
: « Si celui dont l’œuvre est brûlée
subit un dommage, lui-même sera pourtant sauvé, bien que comme à travers le
feu. » Il parle ici de ceux qui ont
possédé le fondement de la foi chrétienne. Donc, ceux-ci seront tous sauvés
finalement.
Cependant :
Saint
Paul dit aux Corinthiens : « Les gens
iniques ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Mais il y a des chrétiens qui sont iniques. Tous les chrétiens
ne parviendront donc pas au Royaume, et certains seront punis perpétuellement.
En outre, il est dit en saint Pierre : « Il
eût été mieux pour eux de ne point connaître la voie de la justice, plutôt que,
après l’avoir connue, de retourner en arrière, loin du saint précepte qui leur
avait été donné. » Ceux qui n’ont pas
connu la voie de la vérité seront punis éternellement ; donc aussi les
chrétiens qui ont reculé après l’avoir connue.
Conclusion :
Certains,
à ce que dit saint Augustin, promirent l’absolution de la peine éternelle, non
à tous les hommes, mais aux seuls chrétiens, et ils différèrent dans la
précision de leur pensée. Les uns dirent que tous ceux qui ont reçu les
sacrements de la foi seront exempts de la peine éternelle. Mais cela est
contraire à la vérité, puisque certains reçoivent les sacrements de la foi sans
avoir la foi, « sans laquelle il est
impossible de plaire à Dieu. »
D’autres dirent que seuls seront exempts de la peine éternelle ceux qui ont
reçu les sacrements de la foi et ont possédé la foi catholique. Mais il semble
contraire à cette opinion que des hommes aient possédé la foi catholique et
s’en soient ensuite éloignés : ils sont donc dignes non pas d’un châtiment
moindre, mais plus grand. Car, « il
eut été mieux pour eux de ne pas connaître la voie de la justice que de
retourner en arrière après l’avoir connue.
» Il est clair que le péché des chefs religieux qui, abandonnant la foi,
fondent de nouvelles hérésies, est plus grand que celui de ceux qui par leur
naissance ont été élevés dans une hérésie. C’est pourquoi, d’autres ont dit que
seuls sont exempts de la peine éternelle ceux qui persévèrent jusqu’à la fin
dans la foi catholique quels que soient les crimes dans lesquels ils sont
impliqués. Mais cela est manifestement contraire à l’Écriture, car il est dit
en saint Jacques : « La foi sans les
œuvres est morte » et dans saint
Matthieu : « Ce ne sont pas tous ceux
qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux,
mais bien celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » Et en beaucoup d’autres passages,
l’Écriture menace les pécheurs de châtiments éternels. Donc, tous ceux qui
persistent jusqu’à la fin dans la foi ne seront exempts de la peine éternelle
que si, à la fin, ils sont libérés de tous les crimes.
Solutions :
1. Le Seigneur parle ici de la foi formée,
qui agit par amour : tout homme qui meurt avec cette foi sera sauvé. À cette
foi s’oppose, non seulement l’erreur de l’infidélité, mais tout péché mortel.
2. Cette parole du Seigneur doit être
entendue non au sujet de ceux qui ne font que manger sacramentellement
l’Eucharistie, et dont certains parfois la mangent indignement. Selon saint
Paul aux Corinthiens, ils « mangent
et boivent leur condamnation. » Le
Maître parle de ceux qui mangent spirituellement, et qui sont incorporés à lui
par la charité : c’est ce qu’opère la manducation sacramentelle, si quelqu’un
s’en approche dignement. Donc, en vertu du sacrement l’âme est introduite en la
vie éternelle, bien que quelqu’un puisse être privé de ce fruit par son péché,
même après avoir reçu dignement ce sacrement.
2. Le fondement dont parle l’Apôtre est la
foi formée. Celui qui a construit sur elle des péchés véniels subira un
dommage, puisqu’il sera puni par Dieu : mais lui-même sera finalement sauvé,
comme par le feu : Soit celui d’une épreuve temporelle, soit celui de la peine
du purgatoire après la mort.
Objections :
1. Il semble que oui, et que seuls seront
punis éternellement ceux qui ont négligé les œuvres de miséricorde. Il est dit
en effet dans saint Jacques : « Le
jugement s’accomplira sans miséricorde pour ceux qui n’ont point fait
miséricorde », et dans saint
Matthieu : « Bienheureux
les miséricordieux, parce qu’ils jouiront eux-mêmes de la miséricorde. »
2. Saint Matthieu 25, 44 expose la
discussion judiciaire du Seigneur avec les reprouvés et les élus. Mais cela ne
porte que sur les œuvres de miséricorde. Donc certains seront punis
éternellement uniquement à cause de leur omission des œuvres de miséricorde.
Donc…
3. Il est dit en saint Matthieu : « Remettez-nous nos dettes comme nous
les remettons à nos débiteurs », et
plus loin : « Si vous pardonnez aux
hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés. » Il semble donc que les miséricordieux
qui pardonnent aux autres leurs fautes, obtiendront eux-mêmes le pardon de
leurs péchés : ils ne seront donc pas punis éternellement.
4. Une glose de saint Ambroise, au sujet de
l’épître de saint Paul à Timothée : « la
piété est utile à tout », dit : « Tout l’essentiel de la discipline
chrétienne consiste en la miséricorde et la piété : si quelqu’un les pratique,
mais subit les périls de la chair, il sera sûrement châtié, mais ne périra pas.
Mais si quelqu’un n’a pratiqué que la discipline corporelle, il souffrira des
peines éternelles. » Dès lors, ceux
qui se livrent aux œuvres de miséricorde tout en étant entraînés par les péchés
de la chair, ne seront point punis éternellement.
Cependant :
Saint
Paul dit en 1 Corinthiens 6, 9 : « Ni
les fornicateurs, ni les adultères, ne posséderont le royaume de Dieu. » Or, parmi eux il y a beaucoup de
personnes qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde. Les miséricordieux ne
parviendront donc pas tous au royaume éternel, et quelques-uns d’entre eux
seront damnés éternellement. En outre, il est dit en saint Jacques : « Quiconque a observé toute la loi, mais
l’enfreint sur un point, est coupable de tout. » Donc celui qui garde la loi au sujet des œuvres de miséricorde,
mais néglige d’autres bonnes œuvres, est coupable de transgression de la loi et
sera puni éternellement.
Conclusion :
Comme
dit saint Augustin, certains affirmèrent que ceux qui possèdent la foi
catholique ne seraient pas tous libérés de la peine éternelle, mais seulement
ceux qui se livrent aux œuvres de miséricorde, même s’ils sont coupables
d’autres crimes. Mais cela ne peut être, car sans la charité rien n’est
agréable à Dieu, et rien ne peut servir à mériter la vie éternelle, puisque la
vie éternelle consiste en une alliance d’amour de charité avec Dieu. Or, il y a
des personnes qui pratiquent la miséricorde sans avoir la charité.
Cependant,
celui qui pour des raisons de réelle bonté humaine s’est montré miséricordieux
durant sa vie a le cœur disposé à se tourner vers le Christ miséricordieux au
jour où l’Evangile lui sera annoncé. C’est pourquoi, les vertus humaines des
hommes, si elles ne sauvent absolument pas en elles-mêmes, préparent cependant
l’homme au salut pour le jour de la venue du christ dans sa gloire. D’où cette
parole du Seigneur [937]: «
Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure
où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que
vous l'avez fait. »
Il
est certaines personnes qui pratiquent la miséricorde pour des motifs mauvais
(comme l’obtention de gloire, ou d’un avantage en retour). Pour elles, rien ne
sert à obtenir la vie éternelle, ni à les libérer du châtiment éternel, comme
nous le voyons dans l’épître aux Corinthiens. Cela apparaît surtout absurde à
propos des voleurs, qui s’emparent de beaucoup de biens mais font quelques dons
par miséricorde ou, pire, pour paraître miséricordieux et s’attirer une bonne
réputation. On doit donc dire que tous ceux qui meurent en état de péché mortel
ne seront libérés du châtiment éternel, ni par leur foi, ni par leurs œuvres de
miséricorde, même après un très long espace de temps.
Solutions :
1. Ceux-là seuls sont dans la miséricorde
de Dieu, qui exercent la miséricorde d’une manière bien ordonnée, c’est-à-dire
pour un motif lié à la vertu théologale de charité. Ceux qui exercent la
miséricorde pour un motif liée à une volonté humaine droite sont cependant
préparés à reconnaître le Christ et sa charité lorsqu’il les appellera au
salut. Ce n’est point le cas de ceux qui, en faisant miséricorde aux autres, ne
pensent qu’à eux-mêmes, et s’attaquent à eux-mêmes en agissant mal. Ceux-là ne
recevront pas une miséricorde qui les absoudrait totalement, même s’ils
reçoivent des dons qui les soulagent de quelques peines.
2. Matthieu 25, 44 : « Alors ceux-ci lui demanderont à leur
tour: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé,
étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ? Alors il
leur répondra: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas
fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. » Cette discussion indique que ceux
qui, pourtant chrétiens, ne pratiquent pas la miséricorde, ne peuvent obtenir
le salut. Elle signifie aussi que ceux qui, non chrétiens, pratiquent la
miséricorde par un réel motif de bonté, ont le cœur disposé à vivre de la
charité dès que la foi leur est enseignée. Cependant, ce n’est pas leur
miséricorde qui par elle-même les sauve, bien qu’elle les prépare au salut.
3. Cette parole du Seigneur s’adresse à
ceux qui demandent la rémission de leur dette non à ceux qui demeurent dans
leur péché. Dès lors, ceux-là seuls qui font pénitence obtiennent, par leurs
œuvres de miséricorde le pardon qui les délivre totalement. Et il est vrai que
celui qui est miséricordieux avant de connaître le Christ est disposé à le
devenir par amour du Christ le jour de sa Révélation.
4. La glose de saint Ambroise parle du
péché véniel, dont quelqu’un, après les peines purificatrices, qu’il appelle
châtiment, sera absout à cause de ses œuvres de miséricorde. Ou bien, s’il
parle de péril du péché mortel, on doit l’entendre en ce sens que, se trouvant
encore en cette vie, ceux qui sont tombés dans les péchés charnels par
fragilité, seront disposés à la pénitence, à cause de leurs œuvres de
miséricorde. Un tel pécheur ne périra pas, parce que grâce à ces œuvres il sera
disposé de telle sorte qu’il ne périra pas.[938]
Successivement, nous traiterons de son
existence, de sa nature, de son effet sur les âmes.
A
propos du purgatoire, nous nous demanderons :
1° Existe-t-il un purgatoire après cette
vie ?
2° Existe-il six degrés du purgatoire ?
3° La vie terrestre est-elle le premier
purgatoire ?
4° Les purgatoires de l’au-delà ont-ils un
lieu ?
5° Certaines âmes se purifient-elles en se
réincarnant sur terre ?
Objections :
1. La notion de purgatoire n’a été définie
par l’Église qu’au XVème siècle. Il semble que les Pères n’y ont pas
cru avant. Elle ne saurait donc être un dogme de foi mais seulement un ajout à
la foi.
2. L’Apocalypse semble le nier[940] : «
heureux les morts qui meurent dans le Seigneur! Dès maintenant, dit
l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux. » Ceux qui meurent dans le Seigneur n’ont donc pas à subir un
travail de purification après cette vie ; pas davantage ceux qui ne meurent pas
dans le Seigneur, puisqu’il n’y a pas, pour eux, de purification possible.
3. Le rapport est le même entre la charité
et la récompense éternelle, le péché mortel et le supplice éternel. Or ceux qui
meurent en état de péché mortel vont immédiatement au supplice éternel. Donc
ceux qui meurent en état de grâce vont tout droit au Ciel.
4. Dieu qui est souverainement
miséricordieux, est plus prompt à récompenser le bien qu’à punir le mal. Or de
même que ceux qui sont en état de grâce peuvent avoir commis certains péchés
qui ne méritent pas la peine éternelle, de même ceux qui sont en état de péché
mortel peuvent avoir fait quelque bien qui ne mérite pas la récompense
éternelle. Dès lors, puisque ce bien n’est pas récompensé dans l’autre vie, ces
péchés ne doivent pas être punis non plus (Selon Alexandre de Halès).
Cependant :
Le
pape Clément VI écrit[941] : «
Nous croyons que c’est au purgatoire que descendent les âmes de ceux qui
meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leur péché par
une entière pénitence. De même, nous croyons qu’elles y sont tourmentées par un
feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même le jour du
jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude qui consiste
à voir Dieu face à face et à l’aimer. »
Conclusion :
L’existence
du purgatoire est un article de foi qui trouve son fondement dans l’Écriture
Sainte d’une manière explicite. Il est écrit au livre des Macchabées[942] : «
C’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin
qu’ils soient délivrés de leurs péchés. »
Or ceux qui sont au paradis n’ont pas besoin de prières puisqu’ils ne manquent
de rien ; ceux qui sont en enfer n’en ont que faire, puisqu’ils ne veulent être
délivrés de leurs péchés. Il y a donc dans l’autre monde des âmes qui peuvent
parvenir à la gloire par une purification. C’est ce que veut dire saint Paul
dans l’épître aux Corinthiens[943] : «
Quant à l’homme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de la
paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu. »
Mais
on peut établir d’une manière théologique la nécessité du purgatoire pour
certaines âmes. Le fondement de toute théologie catholique est le suivant : « L’entrée dans la vision de Dieu se
fait à travers le consentement mutuel, comme dans le mariage entre Dieu et de
la créature élevée par la grâce. Mais la créature doit être adaptée à la nature
de son époux, à savoir devenir tout humble (kénose) et tout amour. » Au moment de la mort, face à la
parousie de l’image de Dieu que constitue le Christ glorieux accompagné des
saints et des anges, la contrition peut être parfaite et supprimer tout péché
mortel ; l’amour de charité s’enflamme alors tout entier au point que l’âme
aime Dieu de toute sa force. L’âme reçoit alors le pardon de toutes ses fautes
et est établie par la grâce en état de sanctification. Cependant, il peut
subsister certains restes du péché dans l’âme et ils sont de deux sortes :
1° Un manque d’humilité : il s’agit d’un
attachement habituel de l’âme à elle-même qui l’empêche de se donner pleinement
et totalement à l’amour de Dieu. Ce vice de l’âme fait subsister des péchés
véniels actuels qui rendent imparfaits l’acte de la charité. À cause de ces
restes des péchés passés, l’âme est comme entachée. Il lui est donc impossible
d’être immédiatement introduite dans la lumière de Dieu, non à cause d’un
défaut de cette lumière mais à cause de la tâche elle-même qui empêche la
lumière de pénétrer. Il est donc nécessaire que le reste du péché soit détruit
par une purification.
2° Une dette de pénitence : En outre, il
peut subsister des péchés passés et lavés par la contrition une obligation à la
peine. Chaque péché réalise en effet un désordre dans le monde qui peut être
rétabli d’une manière juste par la pénitence. Ainsi, celui qui vole son
prochain est tenu de restituer s’il veut rétablir pleinement le droit. De même,
la justice divine peut exiger de l’âme la satisfaction de la peine non
accomplie sur cette terre, dans l’autre vie. C’est ce que dit saint Luc[944] : «
hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire tant que tu es en chemin avec
lui (…) Je te le dis, tu ne sortiras pas de prison que tu n’aies rendu même
jusqu’au dernier sou. » C’est
principalement par ce texte que l’Église admet la nécessité de réparer, même au
purgatoire, pour les désordres issus de nos péchés. Nous verrons cependant que
"l’indulgence" de Dieu qui peut nous en dispenser.
De
ces deux considérations, il ressort la nécessité d’un purgatoire après cette
vie pour les âmes chez qui il subsiste la moindre imperfection. L’essence
divine est d’une si grande et incompréhensible pureté qu’elle ne saurait être
vue par une âme imparfaitement purifiée. Vatican Il rappelle sobrement la
doctrine des autres Conciles dans le chapitre sur le caractère eschatologique
de l’Église[945] : «
Ainsi donc, en attendant que le Seigneur soit venu dans sa majesté,
accompagné de tous les anges, et que, la mort détruite, tout lui ait été
soumis, les uns parmi ses disciples continuent sur terre leur pèlerinage ;
d’autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore ; d’autres enfin sont mis
dans la gloire contemplant dans la pleine lumière, tel qu’il est le Dieu en
trois Personnes. »
Solutions :
1. Au XVe siècle, l’Église n’a pas inventé
le purgatoire mais elle en a proclamé, au plan de son Magistère romain, la
définition solennelle. L’opposition de Luther à cette doctrine vient moins de
la proclamation tardive par l’Église de cette foi explicitement contenue dans
l’Écriture, que de la conception du salut qui domine dans les confessions
réformées. En effet, ils ne voient pas l’entrée dans la vie de Dieu comme un
consentement libre et mutuel lié à l’amour réciproque de charité. Pour eux,
même élevée par la grâce, la liberté humaine est définitivement détruite quand
il s’agit de ces sujets. L’homme est élevé à la Vision béatifique non comme une
épouse libre mais comme un enfant confiant et incapable d’une autre coopération
que cette confiance passive. En conséquence, admettre une purification de la
liberté avant comme après la mort leur est insupportable. Là se trouve la
racine de toute différence entre Réforme et foi catholique ou orthodoxe.
2. Dans le purgatoire qui subsiste après la
parousie du Christ, les âmes sont saintes. En pleine liberté, le choix de Dieu
qu’elles ont fait est définitif. Elles savent, de science certaine, qu’elles
verront Dieu dès que leur humilité aura été perfectionnée et leur dette payée.
En ce sens, elles sont dans le repos, la joie et la paix.
3. Le mal n’est pas semblable au bien. Il
n’existe pas de mal sans quelque bien. En enfer, les damnés, malgré la parfaite
lucidité de leur rejet de Dieu, restent des créatures spirituelles dont la
nature est bonne. Au contraire, le bien parfait exigé par la Vision de Dieu ne
supporte aucun reste d’impureté. C’est pourquoi, même fixée dans l’amour de
Dieu, une âme sainte peut rester imparfaitement bonne et à purifier.
4. Pour entrer auprès de Dieu, pour vivre
du bonheur infini qui consiste à le voir et à l’aimer face à face, il est
absolument nécessaire de devenir semblable à lui, dans la proportion adaptée à
une faible créature, à savoir tout humble (kénose) et tout donné à l’amour. Ici
se trouve la clef de tout. « Nul
ne peut voir Dieu sans mourir à lui-même[946] », enseigne l’Ancien Testament. À cause
de la pureté et de la délicatesse de Dieu, n’importe quel amour, n’importe
quelle humilité ne suffit pas mais seulement un amour d’amitié total, dépouillé
de toute recherche intéressée. Le moindre orgueil, le moindre égoïsme, et
l’entrée face à Dieu devient impossible, comparable à un viol alors qu’elle
devrait être un mariage. Il ne s’agit pas d’une condition liée à une convenance
de la part de Dieu mais d’une nécessité de nature. Toute la vie de Jésus en est
la révélation. L’image de l’amour nécessaire est visible à travers la vie de
Jésus. Ceux qui l’ont mis à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point
qu’il les accueille à l’heure de leur mort et leur propose, sous condition de
repentir et de conversion totale, la vie éternelle.
Concrètement,
personne ne peut entrer dans la vie éternelle. Les conditions exigées sont
impossibles à l’homme. Il est impossible de devenir humble (kénose) et aimant à
ce niveau-là. Il suffit de considérer avec réalisme notre mentalité humaine.
Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème[947], ce n’est pas impossible à Dieu, d’où
le purgatoire.
Pour
résumer, il peut être plus simple de comprendre les choses ainsi : Parce que
Dieu est infinie délicatesse de l’humilité et de l’amour, nul ne peut le voir
et être heureux de son bonheur que s’il l’épouse. C’est un mariage d’amour où
il est exigé de la fiancée (nous-mêmes) d’être comme Dieu[948] : tout humble (kénose) et tout amour[949]. Sans ces qualités du cœur, nul ne peut
épouser Dieu car nul ne peut alors comprendre quoique ce soit de Dieu.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible. Si l’on
distingue six degrés du purgatoire, c’est qu’il peut y avoir perfectionnement
de la charité. Or Martin Luther montre que la charité ne peut croître.
2. L’existence d’un purgatoire appelé shéol
ou limbes situé après la mort et où le désir de Dieu pourrait augmenter est
contraire à la foi puisque aussitôt après la mort, les âmes reçoivent leur
récompense ou châtiment selon leur mérite ou démérite.
3. Dès l’entrée dans le purgatoire, l’âme
possède une charité parfaite, selon sainte Catherine de Gênes. Aucun purgatoire
ne semble donc nécessaire après l’apparition du Christ.
4. Si l’on admet trois degrés de
purification après la parousie du Christ, pourquoi ne pas admettre de nombreux
autres degrés intermédiaires par lesquels l’âme passe avant de contempler Dieu
face à face.
5. Dès cette terre, certains hommes sont
préoccupés uniquement par la recherche de Dieu et "désirent mourir pour
être avec le Christ" comme saint Paul. Il semble qu’il soit inutile qu’ils
passent par les degrés du purgatoire qui suivent la mort.
Cependant :
Dans
tout mouvement, il y a un début, un progrès et une fin. Or la purification de
l’âme est un mouvement qui aboutit au détachement total de soi. Donc on doit
admettre qu’il peut y avoir plusieurs étapes dans cette purification. C’est ce
que confirme sainte Catherine de Gênes[951] : «
la joie des âmes augmente en proportion qu’elles s’approchent de Dieu,
qu’elles s’occupent uniquement de lui. »
Conclusion :
Si
l’on considère l’homme dans la totalité de son histoire, c’est-à-dire depuis sa
conception par ses parents jusqu’à son entrée dans la vision de Dieu, deux
types de croissances peuvent être discernés : 1° une croissance humaine et naturelle. 2° une croissance surnaturelle liée à la grâce.
Au
terme, il convient que toute créature humaine soit capable 1° de poser un acte de choix libre et conscient, volontaire et
libre ; 2° de refuser Dieu où au
contraire de l’aimer sans aucune trace d’un quelconque amour désordonné de soi
(voir question 7).
En
scrutant la tradition la plus lointaine de l’Église, on arrive à discerner
l’existence de six demeures du purgatoire. Il s’agit de six étapes successives.
L’homme n’est pas obligé de passer par toutes. L’essentiel est, qu’au terme,
l’amitié (Agape) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble (kénose).
Les
deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le Ciel et ses
habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du « silence de Dieu »[952], les purgatoires de l’ombre.
1° La première demeure est la vie
terrestre. Elle est l’un des plus terribles purgatoires en ce sens que l’homme
n’est pas sûr autrement que par un acte de foi du projet de Dieu. Il est laissé
dans l’absence d’évidence. Il est possible à certains de comprendre avec leur
raison que Dieu existe et que l’âme survit après la mort pour un jugement. Mais
l’homme est laissé dans l’ignorance totale de la nature de ce jugement… sauf
s’il accepte de croire : « Heureux
celui qui croit sans avoir vu »[953]. Cette première étape est très efficace
pour disposer le cœur de l’homme, à travers une succession de bonheur fragile
et d’abandons, vers une soif de plus en plus intense d’un salut : « Y a t il quelqu’un là-haut, qui entend
nos prières ?[954] »
2° La deuxième est le domaine des âmes
errantes. Ce purgatoire est décrit par saint Bernard dans sa vie de saint
Malachie. C’est un lieu que la Bible appelle « le territoire des ombres[955] » ou ailleurs le « shéol »[956]. Elle commence avec l’arrêt du cœur et
se termine lorsque le Christ et les saints paraissent. La prolongation d’une
errance dans le shéol n’est nécessaire qu’aux âmes extrêmement rustres ou
coupables d’un grand crime, quoique non obstinées dans le mal, et pour qui un
délai d’errance et de solitude entre ce monde et l’autre aura l’effet positif
de développer un minimum de sensibilité à l’amour. L’homme constate que la mort
ne conduit pas au néant. En ce sens, il n’a plus peur. Mais, s’il se prolonge,
ce temps de shéol peut constituer pour certains hommes particuliers une grande souffrance
et purification en vue du salut parce qu’il erre sans but dans une solitude qui
paraît ne jamais devoir s’arrêter. Il est inquiet et tremble à l’idée que Dieu
ou les dieux sont des forces hostiles dont il ignore la nature.
Les
quatre derniers purgatoires (à partir de l’apparition du Messie glorieux), sont
caractérisés par le fait qu’une connaissance totale de la Révélation est
donnée. Ce sont les purgatoires de lumière.
3° Le premier est vécu à travers
l’apparition glorieuse du Christ accompagné des saints et des anges (voir
question 8), telle que la décrit saint Faustine dans son Journal. Il
s’agit bien du "troisième ciel" où fut ravi saint Paul et qu’il
décrit en 2 Corinthiens 12, 2. Cette parousie se produit dans le passage du
shéol (dans la mort) la plupart du temps sans délai. La puissance de sa vision
provoque un tremblement dans l’âme, plus puissant que tout. À la lumière de la
pureté de l’humilité (kénose) et de l’amour du Messie, l’âme est choquée de ses
propres ténèbres. L’effet en est la violente purification du reste de ses
illusions « Dies irae ».
Dieu apparaît à tout homme sous les voiles de son humanité (étape 3) avant de
se donner sous la forme de sa divinité (7). Personne n’échappe à cette étape
qui permet un choix libre. C’est ce purgatoire là, qui provoque et accompagne
le jugement individuel, que le pape invite à contempler dans son encyclique Spe Salvi, n° 47 (2008) : « 47. Certains théologiens récents sont
de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même,
le Juge et Sauveur. La rencontre avec
Lui est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute
fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et
nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées
durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et
s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette
rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent
évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur
nous guérissent grâce à une transformation certainement douloureuse, comme «
par le feu ».
4-5-6° Pour ceux qui choisissent le projet de
Dieu et en qui demeurent quelques restes du péché, s’ouvrent alors les trois
purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes dans son Traité
du purgatoire[957]. Les âmes, toutes amoureuses de Dieu,
passent de la volonté d’être un jour dignes de lui à la certitude qu’elles ne
le seront jamais. Elles deviennent vraies, c’est-à-dire humbles. L’amour égoïste
de soi ne subsiste dans cet état qu’à travers des restes qui sont comme des
tendances vicieuses de la volonté encore attachée à elle-même. Celui donc qui,
dans le purgatoire, désire se purifier des restes du péché en étant
principalement préoccupé par la lutte contre la tâche qu’ils laissent en lui,
peut être considéré comme un débutant dans la purification et c’est le premier
degré du purgatoire mystique. Celui dont la préoccupation principale est
d’établir de plus en plus la totalité des tendances de sa volonté dans l’unique
désir de Dieu, c’est-à-dire de progresser dans la purification de son âme est
dans le deuxième degré du purgatoire mystique, c’est-à-dire le degré des
progressants. Enfin, celui qui ne se préoccupe plus du tout de la pureté de son
âme mais ne désire qu’une chose, à savoir l’union à Dieu, appartient au
troisième degré du purgatoire mystique qui est celui des parfaits et qui peut
être appelé le parvis immédiat du Ciel. Elle peut donc être immédiatement
introduite dans la gloire de la vision béatifique.
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7-
Vision béatifique |
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6-
Parvis du Ciel |
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5-
Purgatoire de l’usure |
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4-
Purgatoire des fiers |
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3-
parousie du Christ (troisième ciel). |
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2-
Limbes |
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1-
Vie terrestre |
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Cette
théologie frappa les Pères de l’Église au point qu’ils virent les étapes
successives qui conduisent à l’amitié parfaite pour Dieu sous l’image de
l’échelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils d’Abraham,
Jacob eut un songe[958] : «
Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet
atteignait le Ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que
Yahvé se tenait devant lui et dit : « Je
suis Yahvé, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac. La terre sur
laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance. » Il s’agissait là, selon eux, de la
vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la vision de Dieu.
Solutions :
1. Luther nie la possibilité même de la
charité, c’est-à-dire d’un amour d’amitié réciproque et libre entre Dieu et
l’âme. Sa théologie constitue une perte par rapport à l’Évangile mais non une
perte totale car il admet un amour passif d’abandon et de confiance. Les degrés
du purgatoire ne se prennent pas tous de l’augmentation de la charité[959]. Avant l’apparition du Christ glorieux,
de désir de Dieu peut augmenter, donc la charité dès que cet amour est proposé
explicitement. Au moment de son apparition, l’amour s’embrase tout entier.
L’âme aime de tout son cœur. Après l’apparition du Christ, la charité brûle
avec la même force l’âme au début et à la fin de la purification. Les trois
purgatoires décrits par sainte Catherine de Gênes ne concernent donc pas la
charité mais l’humilité (kénose), c’est-à-dire les restes du péché. Au
commencement de ce purgatoire mystique lorsque la présence glorieuse du Christ
s’efface, l’âme prie en disant : « Je
t’aime et je deviendrais un jour digne de ton amour. » Son amour est total mais il lui manque de cette humilité qui est
adaptée à l’essence même de Dieu. Au terme du purgatoire, laminée par
l’attente, l’âme dit : « Je ne suis
pas digne de te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guéri. » Sans qu’elle l’ait provoqué
elle-même, par la seule vertu du feu de l’absence, son amour est devenu humble.
2. Le shéol ne se situe pas après la
mort. Il est le passage même de la mort, c’est-à-dire qu’il n’est ni tout à
fait ce monde ni encore l’autre monde. Il est représenté dans l’Ecriture Sainte
par le désert où vécut le peuple Juif entre l’Egypte (ce monde) et la terre
promise. Le Christ glorieux descend visiter l’âme dans ce passage, sous forme
d’une colonne de feu dit le livre de l’Exode, de telle façon qu’à l’entrée dans
l’autre monde, c’est-à-dire après la mort (au sens théologique), l’âme soit
pour l’éternité en état de mérite et de démérite. Le fait que cette étape
puisse se prolonger pour certains ne constitue donc pas une opposition au
dogme, sauf si l’on se donne une autre définition de la mort (question 8,
article 4).
3. Après la venue du Christ glorieux, que
la charité soit parfaite, cela signifie que l’âme est définitivement établie
dans l’amour de Dieu au point qu’elle ne peut et ne veut se tourner vers une
autre fin que celle de la charité. Mais cela ne signifie pas qu’il ne demeure
aucun reste de l’attachement à soi aussi bien dans les tendances de la volonté
que dans les préoccupations de l’intelligence. Or celui qui commence à se
détacher du péché véniel est dans une autre disposition intérieure que celui
qui progresse ou que celui qui arrive au terme. Il y a donc trois degrés dans
le purgatoire mystique, après la parousie du Christ.
4. Toutes les distinctions intermédiaires
que l’on peut saisir dans la purification de l’âme se trouvent comprises dans
l’un ou l’autre des degrés dont on a parlé ; de même que toute division
pratiquée dans ce qui est continu est située, selon le philosophe dans ces
trois termes : le début, le milieu, la fin.
5. Ceux qui, dès cette vie terrestre, ont
déjà purifié leur âme de tout attachement à eux-mêmes ne passent pas dans ou
après la mort par le feu du purgatoire. Mais, au cours de l’histoire humaine,
en dehors du Verbe incarné, il ne s’est trouvé qu’un seul humain pour vivre une
telle perfection, à savoir la vierge Marie. Pour elle, l’apparition du Messie
glorieux n’a en aucune façon constitué une révélation de sa misère. Elle se
savait si misérable, que la parousie de son Fils ne fit que confirmer les
paroles de l’ange à l’annonciation : « Tu
es pleine de grâce. » Pour tous les
autres hommes, même les plus grands saints, un purgatoire au moins est vécu
après celui de cette terre. Il s’agit du "jour du Seigneur" selon
l’Écriture [960] : «
En ce jour-là - oracle de Yahvé - le cœur manquera au roi, il manquera aux
chefs ; les prêtres seront frappés de stupeur et les prophètes d'effroi. Et je
dis : « Ah! Seigneur Yahvé, tu as
vraiment trompé ce peuple et Jérusalem quand tu disais : Vous aurez la paix
alors que l'épée nous a frappés à mort! »
Une
autre exception peut être discernée : c’est le cas des petits enfants ou des
malades mentaux parvenus innocents dans la mort (Question 19). Mais leur cas
n’est pas comparable puisqu’ils n’ont pas été confrontés à la lutte de la chair
pendant la vie terrestre. Comme nous le verrons, les innocents connaissent un
temps dans les limbes (deuxième purgatoire) où ils développent leur capacité de
choisir en présence des saints et des anges, avant la venue du Messie.
Ceux
qui sont dans l’état de progressants dans la charité n’ont pas besoin de passer
par le purgatoire des débutants car il y a continuité spirituelle entre le
purgatoire de cette terre et celui de l’au-delà.
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne pas de
parler ainsi de la terre. Loin d’être un purgatoire, elle ressemble plutôt à
l’épreuve d’une tentation puisque bien des hommes, confrontés aux injustices,
loin de se tourner vers Dieu, le rejettent.
2. La terre est un scandale selon saint
Paul, et un scandale lié à la croix[961], c’est-à-dire à la souffrance, d’autant
plus incompréhensible qu’elle frappe coupables et innocents ensembles. Elle
n’est donc pas un purgatoire mais un scandale.
3. Il semble que les épreuves de la terre,
loin d'être purificatrices, sont plutôt la punition du péché selon le Lévitique
26, 19 : « Je continuerai à vous
châtier au septuple pour vos péchés. Je briserai votre orgueilleuse puissance,
je vous ferai un Ciel de fer et une terre d'airain. »
Cependant :
L’Apocalypse
7, 13 affirme à propos des élus : « Ces
gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où viennent-ils ? Ce sont ceux
qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes et les ont
blanchies dans le sang de l'Agneau. »
La grande épreuve est la vie terrestre. Avec la grâce du Christ, elle a le pouvoir
de laver les âmes. Donc elle est un purgatoire.
Conclusion :
On ne peut entrer dans la vie éternelle qu’à deux
conditions :
1° A titre de
disposition, l’humilité poussée jusqu’à la mort intérieure (kénose).
2° A titre de
réalité, l’amour réciproque de charité avec Dieu.
Il est impossible à l’homme de devenir par lui-même
tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu et révélée par la vie
de Jésus. Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce
thème, ce n’est pas impossible à Dieu[962]. C’est
pourquoi, à travers une série d’étapes, Dieu va donc conduire les hommes de
bonne volonté à une conformité au Christ.
La première étape consiste en la vie terrestre qui
est marquée par plusieurs épreuves caractéristiques :
1° Le silence
de Dieu (Ap. 8, 1) : il se cache à la grande majorité des hommes. Il
cache ses volontés, laissant la plupart dans l’incertitude totale sur le destin
qui suit la mort. C’est l’épreuve la plus grande car celui qui ne connaît pas
le but ne sait rien d’essentiel.
2° Les
injustices (Ap. 8, 9) puisque le bon comme le mauvais sont frappés, à
égalité, de toutes sortes de maux.
3° Les
souffrances matérielles et spirituelles (Ap. 6, 1) –maladie, famine,
guerre, mort- au point que tout homme de ce monde finit tôt ou tard par être
vaincu. La vie est fragile, dépendante des aléas du hasard et elle s’achève par
la mort.
Ces épreuves sont, avec les nombreuses joies de
cette vie, des MOYENS utilisés par Dieu pour préparer l’homme au salut, comme
le montrent les sept mystères scellés de l’Apocalypse.
La FINALITE de toutes ces épreuves est de donner à
tout homme un cœur humble, de telle manière qu’il soit préparé à accueillir
favorablement l’Evangile du Messie, soit en cette vie, soit à la onzième heure
de cette vie. C’est ce qu’annonce le prophète Isaïe (Luc 3, 4) : « Tout ravin sera comblé, et toute
montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux deviendront droits et
les chemins raboteux seront nivelés. »
Pour quelques uns qui sont disciples du Messie dès
cette terre, ces épreuves font davantage que disposer au salut à venir mais,
puisqu’ils vivent déjà dans une relation de charité avec Dieu, elles purifient
les restes de l’orgueil.
Pour résumer : sauf orgueil indéracinable,
cette vie est le premier purgatoire et elle produit au minimum de
l’humiliation qui est une préparation à l’humilité. Pour d’autres hommes,
cette vie produit de l’humilité et le désir d’un salut. Dans les deux
cas, il s’agit d’une disposition au salut. Pour quelques uns enfin, qui ont eu
la chance de connaître par la foi la volonté de Dieu, cette vie produit par le
don de la grâce surnaturelle, un amour de charité tout humble, pour Dieu
et le prochain, ce qui est déjà le salut vécu dans une véritable union
affective. Dans le passage de la mort, l’union effective à Dieu est ensuite
proposée glorieusement à tout homme sans exception.
Solutions :
1. Rejeter Dieu parce qu’il paraît injuste
ou indifférent, loin d’être une preuve de damnation est plutôt un signe de
disposition au salut selon Matthieu 5, 6 : «
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. » En effet, à l’heure de la mort, dès
que ces révoltés seront confrontés à la révélation des vrais motifs de ces
injustices provisoires, ils aimeront Dieu.
2. Dès qu’on applique au concret du destin
de chacun, la souffrance de la terre devient insupportable au point que saint
Paul parlait du "scandale de la croix" et que sainte Thérèse d’Avila
disait : « Pas étonnant que Dieu ait
si peu d’amis. » Pourtant, même la
question de la mort des enfants perd sa dimension incompréhensible si on la
regarde du point de vue de la vie éternelle : au moment de leur mort, le Ciel
tout entier vient les chercher. Ils voient Jésus, accompagné des anges et des
saints, de leurs proches déjà décédés. C’est un accueil d’une beauté et d’une
tendresse inouïe. Ils comprennent son projet, la raison de leur mort et la
raison de son silence. Un tel amour enflamme leur cœur. Autant ils avaient subi
l’abandon, autant ils se sont jettent avec force dans les bras de Dieu. Leur
amour est devenu intense comme celui de nul autre car leur humilité et leur
désir, provoqués par leur souffrance, s’étaient considérablement creusés.
3. Pour l’homme
tant qu’il vit ici-bas, la purification par la croix est interprétée comme un
châtiment, de la même façon qu’un enfant fessé par son père n’y voit pas
d’amour. Ce n’est que plus tard, devenu adulte, qu’il comprend que la punition
était une pédagogie.
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne pas de
parler d’un lieu pour le purgatoire. Les âmes sont en effet séparées du corps
et ne peuvent être localisées puisqu’elles ne sont pas de nature matérielle. Le
purgatoire est donc plutôt un état intérieur de l’âme qu’un lieu.
2. Même si l’on admet un lieu pour le
purgatoire, ce ne peut être que d’une manière métaphorique, à la manière dont
on parle d’un lieu pour les purs esprits. Mais ce ne peut être d’une
localisation telle qu’on en parle pour les hommes de la terre. C’est pourtant
de cette manière là que parlent ceux qui décrivent des apparitions de fantômes
et de revenants.
3. L’âme qui reste liée au corps de telle
manière qu’elle peut voir ce qui se passe dans le monde d’ici-bas n’est pas vraiment
passée par la mort qui est la séparation totale d’avec le corps. Elle n’est
donc pas au purgatoire qui suit le jugement dernier et la mort. Donc on ne peut
s’appuyer sur les témoignages des N.D.E. pour conclure sur la question de la
localisation des demeures du purgatoire.
Cependant :
Les
expériences de mort approchée montrent que les âmes ont un rapport avec le
lieu.
Conclusion :
La
localisation physique est une conséquence de ce que nous avons dit de la nature
des morts. Puisqu’ils conservent un corps psychique véritablement fait de
matière, ils en possèdent les propriétés à savoir une localisation. Le lieu des
deux premiers purgatoires est la terre comme nous venons de le dire. Pour les
quatre autres, le contenu de la révélation ne donne pas de précisions
décisives. Selon l’opinion commune des anciens théologiens, c’est un lieu
séparé des âmes de l’enfer, et des âmes du paradis. D’autres théologiens
anciens prétendaient au contraire que, selon la loi commune, le purgatoire est
situé au-dessous de nous et correspond ainsi à l’état de ces âmes qui sont à
mi-chemin entre le Ciel et la terre. Cette opinion est évidemment liée à une
cosmologie que la science actuelle rend caduque. Elle est sans doute liée à des
visions de type métaphorique, visant à faire comprendre des réalités autrement
plus profondes car spirituelles. Il vaut mieux dire que nous ne savons pas où
se trouve le purgatoire.
De
même, la raison ne peut conclure d’une manière définitive. L’étude des Near death Experience semble indiquer
l’existence d’une porte entre ce monde et l’autre, que beaucoup décrivent comme
un tunnel. Elle s’ouvre à l’arrêt du cœur ou dans d’autres circonstances rares
mais ne semble pas éloignée. Il semble que l’autre monde et ses demeures est
plutôt un monde parallèle et invisible qu’un univers situé à l’autre extrémité
de l’univers.
Solutions :
1. On peut regarder le purgatoire selon
deux approches : 1° Si l’on
considère le purgatoire sous son aspect formel qui est un cheminement
purificateur de l’âme, alors le purgatoire n’est pas un lieu. Il est plutôt un
état de l’âme, de la même façon que l’enfer est d’abord l’état de celui qui se
sépare de l’amour de la charité à cause de son orgueil. 2° Si l’on considère le purgatoire sous l’aspect plus matériel de
l’état corporel de celui qui subit la purification, il faut se souvenir que
l’âme séparée de la chair garde un corps psychique siège de ses facultés
sensibles[963]. Elle est donc localisée par elle-même
et non seulement d’une manière métaphorique comme on le dit pour les anges
quand ils appliquent leur intelligence et leur action à un corps déterminé. En
ce sens, les âmes sont véritablement dans un lieu.
2. La nature du corps psychique est peu
connue. Les témoignages le présentent comme un double du corps physique fait
d’une matière non palpable. Son rapport avec le lieu semble identique à celui
du corps physique. Il occupe un espace déterminé. Mais son rapport au mouvement
local est différent. Privé de masse et d’inertie, il se déplace de manière
véloce et n’est pas arrêté par les murs.
3. Nous concédons le caractère hypothétique
de ces recherches, en insistant sur la valeur philosophique des témoignages, au
moins pour ce qui concerne l’objectivité de la première phase de décorporation.
Objections :
1. Cela semble prouvé par le témoignage de
certains enfants qui parlent une langue étrangère sans l’avoir apprise et qui
se souviennent de lieux sans y être allés. On voit mal comment cela serait
possible s’ils n’avaient connu ces choses dans une vie antérieure.
2. La réincarnation semble convenir au
moins pour les enfants morts sans baptême. La bonté de Dieu qui appelle tout
homme à la vie éternelle ne peut tolérer pour eux qu’ils demeurent
éternellement handicapés dans leur capacité d’aimer, à cause d’un échec de leur
vie terrestre. Le moyen de la réincarnation qui leur donne une chance de passer
à nouveau par le pèlerinage terrestre semble donc adapté.
3. Dans l’Écriture Sainte, la réincarnation
est possible pour certains saints qui, de cette manière, peuvent revenir sur
terre et prêcher à nouveau. C’est ce que semble dire Jésus à propos de
Jean-Baptiste[964] : «
Or Je vous le dis, Élie est déjà venu en Jean-Baptiste. » Si cela est possible pour les saints qui n’en ont pas besoin,
cela le semble a fortiori pour ceux
qui ont à se purifier.
4. La damnation éternelle où l’âme se
plonge à cause de la perversité de sa volonté est le mal absolu que Dieu ne
peut vouloir puisqu’il a créé tout esprit en vue de la béatitude. Il est donc
concevable qu’il donne à ces âmes la possibilité de revenir sur leur choix par
le moyen d’une réincarnation qui tire un trait sur la vie passée et sa
méchanceté. Il semble donc que les damnés se réincarnent.
5. Le purgatoire est finalisé par la
purification des peines du péché et par le paiement de la dette due par le
péché. Or la réincarnation semble pouvoir réaliser ces deux buts puisque,
d’après ceux qui y croient, le méchant paye ses dettes en se réincarnant dans
un corps handicapé ou malade. Il semble donc que la réincarnation peut être une
forme de purgatoire.
6. À la fin du monde, Dieu ressuscitera nos
corps et les transformera pour la vie éternelle. Or il n’est pas plus difficile
pour sa puissance de ressusciter un corps que de donner à une âme un corps
différent. Cela semble sage de sa part puisqu’il permet ainsi le salut de
l’âme. Donc la réincarnation peut être un moyen de purification en vue de la
gloire.
Cependant :
Les
saints Conciles de l’Église ont formellement condamné la doctrine de la
réincarnation et de la transmigration des âmes qui était enseignée par Origène[965] puis ils ont continuellement renouvelé
leur rejet jusqu’à aujourd’hui[966]. Donc la réincarnation n’existe pas.
Conclusion :
La
réincarnation n’existe pas. C’est un article de foi qu’il faut tenir sous peine
de sortir de la révélation apportée par notre Seigneur. Mais c’est une vérité
qu’on peut établir aussi par la raison naturelle. Comme nous l’avons montré
dans la première partie, l’âme ne se comporte pas à l’égard du corps comme un
moteur à l’égard d’un mobile. C’était l’opinion de Platon et c’est la raison
pour laquelle il croyait qu’une âme pouvait indifféremment migrer d’un corps à
un autre. Or nous avons montré que l’âme n’est pas seulement cause efficiente
du mouvement corporel. Elle est aussi forme du corps c’est-à-dire qu’elle donne
au corps d’être ce qu’il est. L’âme est donc indissociablement adaptée à tel
corps, d’une manière analogue à la forme d’une œuvre d’art qui est avec la
matière une seule réalité. Ce n’est que par une distinction de la raison que
l’homme est capable d’opposer dans une œuvre d’art sa forme et sa matière qui,
en fait, forment indissociablement une seule réalité.
De
tout cela, on doit conclure que l’âme est adaptée par nature à son corps et à
nul autre. Elle est incapable par ses propres forces de devenir substance et
forme d’un autre corps. Seul un miracle divin qui changerait la nature de l’âme
pour en faire le principe d’un autre corps pourrait réaliser cela. Mais alors,
ce ne serait pas la même âme. Ce ne serait donc pas la même personne, ce qui
s’oppose au fondement même de notre connaissance de Dieu qui veut créer des
personnes établies pour l’éternité.
On
peut établir par des arguments théologiques qu’un tel miracle ne convient pas à
la Sagesse de Dieu. En effet, comme on l’a vu, le projet de Dieu sur l’homme
est de créer une personne individuelle de nature raisonnable pour l’unir au
bonheur de sa vie trinitaire. Il ne l’élève pas à sa gloire par mode
d’obligation mais comme il convient à une nature personnelle, c’est-à-dire à
travers l’acceptation consciente et volontaire du libre arbitre. Et la
condition primordiale à un tel projet, c’est que Dieu respecte parfaitement la
liberté humaine. Dans ce but, il commence par la former et c’est la finalité de
la vie terrestre qui fait de l’enfant un être responsable et capable de choix.
En second lieu, il propose au choix de l’homme la finalité surnaturelle et
c’est le but de la révélation et de la prédication de l’Évangile qui est
accordée à tout homme durant sa vie terrestre ou à son terme. Il est essentiel
à cette conduite divine que la personne humaine conserve au moment de son choix
et après ce choix ce qui fait d’elle une personne morale, c’est-à-dire les
connaissances et les intentions profondes de son intelligence et de sa volonté.
Or
la réincarnation, telle qu’elle est comprise et enseignée, est absolument
contradictoire avec cela puisque ceux qui se réincarnent perdent non seulement
tout souvenir de ce qu’ils ont été, de leurs choix passés, mais aussi changent
de personnalité en recevant un corps et une sensibilité nouvelle. Il y aurait
dans ce cas, non respect de la part de Dieu de la personne de l’homme, ce qui
est contradictoire avec sa sagesse et avec sa bonté. Il est donc aberrant pour
un chrétien de croire que sa personne et la personne de ceux qui l’entourent
puisse être le fruit d’une quelconque réincarnation.
De
même, concernant le purgatoire, il est contradictoire avec la sagesse de Dieu
qu’il puisse se faire sur la terre après une réincarnation. La raison première
en est l’absence de tout souvenir d’une quelconque vie antérieure. Nul ne peut
être puni pour ce qu’il n’a pas le souvenir d’avoir commis car l’oubli supprime
la responsabilité de la faute.[967]
Solutions :
1. Le fait que des jeunes enfants aient des
souvenirs qui semblent appartenir à une autre personne ne prouve pas
nécessairement la réincarnation car de tels phénomènes peuvent trouver d’autres
explications. On constate en effet dans la nature des phénomènes analogues qui
ont une cause différente : on peut par exemple, en hypnotisant quelqu’un,
introduire dans sa mémoire des souvenirs qu’il croira être siens à son réveil.
De même, les enfants qui par nature sont influençables peuvent recevoir
inconsciemment au moment de leur naissance ou plus tard des influences
extérieures. Cela peut être provoqué par l’action d’un homme qui est en train
de mourir et qui, étant dans un état de détresse, émet avec force des ondes
cérébrales qui peuvent être captées par celui qui y est sensible. C’est ainsi
qu’on raconte que certaines mères ont l’intuition de la mort de leur enfant au
moment où elle se produit et bien qu’elles soient très éloignées de lui. Rien
n’empêche que, par le même processus, des souvenirs portés par le cerveau d’un
autre soient communiqués à l’enfant. Le phénomène peut aussi trouver une
explication dans l’action des bons anges qui protègent la survie de religions
anciennes ou encore des esprits angéliques mauvais qui espèrent de cette
manière détourner l’homme de sa foi au Jugement dernier.
2. Les enfants reçoivent la vision de Dieu
à la mesure de tout leur amour pour Dieu, amour qu’ils peuvent développer dans
un temps d’éducation appelé les limbes, comme nous le verrons. Au jour de leur
choix, ils entrent donc dans la béatitude. Rien ne leur manque. Il leur est
inutile de se réincarner. Ils ne regrettent jamais leur mort précoce. Ce sont
plutôt les adultes, au moment où ils les rejoignent au Ciel, qui sont plein de
confusion s’ils ont provoqué un avortement volontaire.
3. Lorsque le Seigneur dit que
Jean-Baptiste est cet Élie qui devait revenir, il n’entend pas enseigner la
réincarnation de l’âme du prophète Élie dans le corps de Jean-Baptiste. Il veut
signifier que Jean-Baptiste est le prophète annoncé dans l’Écriture et qui
devait revenir avec la force et la spiritualité d’Élie. Et c’est bien ainsi que
cela s’est passé : de même qu’Élie fut intransigeant par rapport à la pureté de
la foi du peuple d’Israël, au point de faire mettre à mort les prophètes des
idoles, de même Jean-Baptiste fut intransigeant concernant la morale au point
d’en perdre la vie après avoir reproché à Hérode son mariage avec une femme
déjà engagée. Jean-Baptiste prêcha aussi la conversion au bord du Jourdain,
renouant avec la spiritualité d’Élie qui convertit le peuple en le privant de
pluie pendant trois ans. Ainsi, on peut dire en vérité que Jean-Baptiste a vécu
de la spiritualité d’Élie à un point tel qu’on aurait dit qu’Élie était revenu
sur terre. Mais ce retour n’est une réincarnation qu’au sens métaphorique.
4. C’est d’une manière absolument libre que
les âmes des damnés se séparent de Dieu pour l’éternité. Il est vrai que Dieu
ne veut absolument pas ce mal pour elles mais il le permet à cause de son
respect pour la liberté de l’homme qui est une créature spirituelle. Dieu ne
peut renier son œuvre car il se renierait lui-même. Il ne peut donc s’opposer à
la liberté de celui qui le rejette car ce serait s’opposer à son projet de
faire de l’homme une créature douée de liberté. C’est pourquoi il n’est pas
pensable qu’il impose aux damnés contre leur choix une réincarnation qui
effacerait les orientations profondes et définitives de leur personne.
5. Jésus nie explicitement dans l’évangile
la théorie d’une réincarnation qui servirait à payer les dettes du péché
accumule dans sa vie terrestre : aux disciples qui lui demandent pourquoi
l’aveugle est né avec un tel handicap et si cela vient de lui, il répond[968] : «
ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour que la gloire se révèle
en lui (qu’il est handicapé). » Et la
raison de l’impossibilité d’une telle manière de s’acquitter de ses dettes
vient de ce que nul ne peut payer que pour ce qu’il sait avoir commis. C’est
pourquoi celui qui ignore complètement pourquoi il est accusé ne peut être
condamné. Il est donc essentiel que le purgatoire soit vécu par l’âme en pleine
connaissance de cause ce qui n’est pas le cas sur la terre dans l’hypothèse où
la réincarnation servirait à cela. C’est pourquoi le purgatoire a lieu avant la
mort, dans la mort et après la mort.
6. C’est un plus grand miracle pour Dieu
que d’unir une âme à un corps pour lequel elle n’est pas faite que de l’unir à
son propre corps par la résurrection. En effet, dans le premier cas, il faut
non seulement qu’un corps soit façonné mais en plus il faut changer la nature
de l’âme pour qu’elle soit adaptée à ce nouveau corps dont elle devient la
forme. Or changer la nature de l’âme, c’est changer l’être tout entier puisque
l’âme est ce par quoi l’homme existe. Dans le cas où Dieu réaliserait un tel
miracle, ce ne serait pas le même homme qui se réincarnerait puisque ce ne
serait pas la même âme. Cela s’oppose d’une manière contradictoire au fait que
Dieu a fait de l’homme une personne individuelle et non une simple énergie
impersonnelle capable de migrer de corps en corps.[969]
A ce
sujet, neuf questions :
1° Existe-t-il un purgatoire dans le
passage de la mort ?
2° La peine du purgatoire est-elle voulue
par Dieu ?
3° La peine principale du shéol est-elle
la solitude de l’errance ?
4° Les âmes de ce purgatoire sont-elles
tourmentées par les démons ?
5° Ce purgatoire est-il pire qu’ici-bas ?
6° Les âmes de ce purgatoire sont-elles
saintes ?
7° Les âmes de ce purgatoire peuvent-elles
pécher ou au contraire mériter ?
8° Peuvent-elles prier pour nous ?
9° Est-ce dans ce purgatoire que le Christ
glorieux paraît dans sa gloire ?
Objections :
1. Il semble qu’il ne convienne pas de
parler d’un tel purgatoire. La mort est la séparation de l’âme et du corps,
selon Aristote. Elle ne laisse donc aucune place pour un passage et encore
moins pour un séjour de longue durée.
2. On ne trouve pas, dans l’Ecriture
sainte, de passages clairs sur un tel séjour. C’est bien plutôt dans les
religions païennes et les cultes animistes que l’on parle de revenants et de
fantômes.
3. Même si l’on admet d’un tel purgatoire,
ce ne peut être que d’une manière métaphorique. On ne voit pas en effet où il
pourrait être situé si tant est qu’on puisse parler d’une localisation pour
l’âme d’un mort qui est un esprit. Mais ce ne peut être une localisation telle
qu’on en parle pour les hommes de la terre. Tout cela ne relève-t-il pas
davantage des contes et légendes que de la réalité ?
4. Il n’y a pas de trace de ce purgatoire
dans les textes officiels de l’Église.
5. L’âme qui reste liée au corps de telle
manière qu’elle puisse voir ce qui se passe dans le monde d’ici-bas n’est pas
vraiment passée par la mort qui est la séparation totale d’avec ce monde et
l’entrée dans l’autre monde. Elle n’est donc pas au purgatoire.
6. Ce n’est pas conforme au dogme : Il
est dit dans l’Ecriture Sainte : « L’homme
meurt une fois puis il reçoit sa récompense.
» Or ce purgatoire prolonge la vie terrestre dans un temps qui, comme sur
terre, précède le jugement dernier.
7. Ce n’est pas conforme à l’Ecriture qui
dit en effet[970] : « Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive
comme un voleur en pleine nuit. Quand les hommes se diront: Paix et sécurité!
C’est alors que tout d'un coup fondra sur eux la perdition, comme les douleurs
sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » Or, si la mort un long passage, voire un séjour, c’est qu’elle
vient progressivement et non brutalement, laissant l’homme dans l’état de
mérite ou de démérite où il a été surpris.
Cependant :
Saint
Bernard raconte[971] : «
Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelques
temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses vanités, des
soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été
condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à
la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la
messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette
fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’église,
sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut être parce
qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés. »
Conclusion :
L’Écriture
Sainte donne une série de textes dont le sens littéral parle d’un territoire
des ombres sans joies, où justes et criminels, rois et esclaves, pieux
et impies se retrouvent après la dissolution de leur corps pour y demeurer dans
le silence et y redevenir poussière. La Bible hébraïque nomme ce lieu shéol
dès le livre de la Genèse : « l'homme insensé ignore qu'il y a là des
Ombres et que ses invités sont aux vallées du shéol".[972] Plus tard, dans les livres écrits en
grecs, ce lieu est appelé l’Hadès ce qui se réfère au « séjour de la mort »[973] de la mythologie grecque : « Pour eux, durant cette nuit vraiment
impuissante, sortie des profondeurs de l'Hadès impuissant, endormis d'un même
sommeil, ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux, tantôt
paralysés par la défaillance de leur âme; car une peur subite et inattendue les
avait envahis. »
Le
Magistère de l’Église laisse sur ce point les théologiens sans repères
dogmatiques.
Cependant,
il est possible d’avancer certains arguments en s’appuyant sur des révélations
privées qui paraissent dignes de crédibilité et une longue tradition des saints,
des docteurs et des théologiens dans l’Église. De multiples autres témoignages
d’apparitions et de révélations faites aux saints[974] confirment ce genre de récit. Donc
certaines âmes font leur purgatoire sur terre.
L’existence
d’un « passage » entre ce monde et l’autre est d’ailleurs confirmée par les
témoins des Near Death Experiences (EMI) qui décrivent un temps
relativement court où l’âme, déjà sortie de son corps de chair, n’est pas
encore entrée dans l’autre monde. Ils distinguent trois étapes dont la première
est une présence en ce monde ; la seconde est un passage en forme de
tunnel ; et la troisième un jardin magnifique où ils peuvent s’avancer
jusqu’à une certaine limite, symbolisée par une barrière, une rivière ou tout
autre limite.
Solutions :
1. C’est au sens théologique et
scripturaire que la mort a de tout temps été regardée comme un passage,
sens qui ne s’oppose pas à la définition philosophique d’Aristote mais regarde
les choses sous un autre rapport. Au plan théologique, est considéré comme
ayant franchit la mort celui qui est entré dans l’autre monde, soit pour son
salut, soit pour sa perte éternelle.
2. Il est clair que, universellement dans
le monde, la croyance au phénomène des âmes errantes est attestée. Mais la
tradition biblique scripturaire n’est pas étrangère à cela, non seulement dans
ses nombreuses attestations sur le shéol, mais aussi dans le livre de l’Exode
tout entier qui est reconnu par la tradition rabbinique comme une métaphore
exprimant le passage de cette vie (l’Egypte) à l’autre monde (la terre promise)
à travers la mort (le désert). Et on voit bien le livre de l’Exode décrire ce
passage comme une véritable purification qui, en l’occurrence, alors qu’il
devait durer quelques semaines, dura 40 ans par la faute du peuple Hébreux.
3. La possibilité d’une telle localisation
pour l’âme d’un mort s’explique facilement si l’on considère ce que nous avons
montré sur la survivance dans les morts d’une vie non seulement spirituelle
mais d’un corps psychique. Des traités pluriséculaires, écrits dans les
traditions philosophiques égyptiennes (le kâ
et le baï[975]), chinoises, hindoues et tibétaines
(corps astral), animistes (esprits) en parlent. C’est d’ailleurs là qu’on
trouve les plus profondes explications philosophiques du phénomène. Selon ces
traditions, on peut discerner dans l’être humain trois degrés de vie auxquels
correspondent trois « natures » unifiées en une personne et
parfaitement adaptés l’une à l’autre : le corps physique, le corps psychique et
l’esprit.
Dans
l’hindouisme, le corps physique est le siège d’un autre corps, appelé le corps
astral. Le corps astral est, avec le corps physique, le siège des facultés
psychiques comme les sensations, les passions, l’imagination, la mémoire,
l’estimative. Mais, selon cette tradition, la survie de ce dernier est
indépendante de la mort du premier. Si l’on tue le corps physique, son double
subsiste. Cette propriété explique l’expérience de la décorporation, aussi bien
chez l’homme que chez l’animal.
4. Lorsque des prêtres sont confrontés à ce
phénomène de revenants, ils usent naturellement d’une procédure liée aux âmes
du purgatoire, comme on le voit dans le cas de saint Malachie cité ci-dessus.
1° L’enquête est première. Toutes les
histoires d’âmes en peine ne doivent pas être prises à la lettre. Une
imagination effrayée peut inventer bien des fantasmes.
2° Si le cas est avéré, la deuxième étape
est la parole d’explication adressée à l’âme. Parce que la connaissance précède
l’amour et que ces âmes sont dans une grande ignorance de ce qui leur est
arrivé, les vivants, s’ils se rendent compte de leur présence, ont le pouvoir
de les aider en leur expliquant leur erreur et le chemin qui leur est ouvert
vers l’autre monde.
3° La troisième étape est la prière :
Face au phénomène, la réponse doit être la miséricorde et la prière qui,
offerts pour elles, ont une efficacité étonnante. L’âme en peine est
bouleversée, comme le serait le plus solitaire des prisonniers, qui, pour la
première fois, recevrait une lettre. Ce geste est souvent efficace, surtout
lorsque l’âme, après un long temps de solitude, est dans de bonnes dispositions
et a besoin de présence affective. Elle peut, devant un geste d’attention,
comprendre assez rapidement la grandeur de l’amour. Si on l’y invite et qu’elle
a dépassé son blocage intérieur, elle appelle le Sauveur. Elle passe alors dans
un autre purgatoire, celui de la parousie du Christ.
5. On peut répondre à cette objection en
disant que les apparitions de revenants sont dues à des âmes qui sont dans
la mort au sens théologique. Elle est un passage qui peut durer plusieurs
jours selon Marthe Robin, voire des années après la mort au sens clinique du
corps charnel, selon des récits dignes de crédibilité. La partie psychique de
son être subsistant, ces morts errent sur la terre ou dans le parvis de l’autre
monde sans avoir vécu la parousie du Christ, des saints et des anges. Elles
sont donc entre deux mondes et cet état n’est pas normal. Leur nature aspire au
contact avec les vivants des deux mondes et souffre de la solitude.
6. L’homme ne meurt qu’une fois. Il ne
revient jamais pour se réincarner sur terre. Ce qui n’empêche pas que la mort
puisse être un passage purifiant, pouvant durer de longues années. Ce n’est qu’après
cette mort selon la lettre du dogme de Benoît XII[976], c’est-à-dire après ce passage, et
après la parousie du Christ glorieux que l’homme, définitivement stabilisé en
état de mérite ou de démérite, reçoit sa récompense s’il ne reste rien à
purifier en lui, ou son châtiment.
7. L’heure de la mort arrive d’un coup,
sauf bien sûr si une longue maladie ou la vieillesse extrême prévient l’homme
attentif. La mort arrache l’homme à cette terre et à ses richesses matérielles.
C’est justement lorsque l’homme, surpris par sa venue, refuse de quitter ses
attaches à cette terre, qu’il peut être laissé par le Christ dans ce
prolongement de temps. D’où l’intérêt du sacrement des malades qui vise, à
travers son rituel, à préparer les hommes à ce détachement. Ceci ne veut pas
dire que Dieu stériliserait par la mort toute liberté humaine, la statufiant
pour l’éternité dans l’état de grâce ou d’absence de grâce, comme le crurent
les anciens théologiens. Au contraire, d’une manière ou d’une autre, comme
l’enseigne le Concile Vatican II[977], il est certain que Dieu proposera sa grâce
à tout homme avant son entrée dans l’autre monde.
Objections :
1. Tout ce qui peut produire du salut est
voulu par Dieu. Or ce prolongement de la vie terrestre, en plongeant l’âme dans
la solitude et le malheur, produit souvent de l’humilité, au moins chez les
hommes de bonne volonté, donc une disposition au salut. Donc ce purgatoire est
voulu par Dieu.
Cependant :
Dans
le chapitre 14 du livre des Nombres, on voit que c’est le peuple Hébreux qui,
de sa propre initiative, refuse de suivre les indications de Moïse et d’entrer
tout de suite dans la terre promise, effrayé à l’idée d’affronter un autre
monde et plein de nostalgie pour le pays d’Egypte[978] : « Alors toute la communauté éleva la voix; ils poussèrent des cris;
et cette nuit-là le peuple pleura. »
Ce n’est qu’en conséquence que Dieu transforme ce passage par le désert en un
véritable séjour, une errance de quarante années[979] : « et vos fils seront nomades dans le désert pendant 40 ans, portant
le poids de votre infidélité, jusqu'à ce que vos cadavres soient au complet
dans le désert. » Donc ce purgatoire
est d’abord une responsabilité de l’homme.
Conclusion :
Le
projet de Dieu est le salut des hommes. Il n’impose donc pas à l’homme une
épreuve sans qu’elle ne soit utile, d’une manière ou d’une autre, pour son
salut. C’est pourquoi, en fonction de la mentalité de telle ou telle âme, il
peut être sage que Dieu lui laisse souffrir un temps de purgatoire dans ce
passage de la mort, et parfois sur les lieux même de sa vie terrestre. On peut
voir à cela deux raisons :
1° Le bien de l’âme elle-même. Deux
raisons peuvent expliquer qu’une âme ne soit pas prête à entrer dans l’autre
monde :
La
première vient de ses attaches trop fortes à cette terre, comme on le voit dans
la parabole de l’homme des greniers[980] : « et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en
réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais
Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. » Il est probable qu’un tel homme,
surpris par une mort brutal, reste attaché un long temps à ces greniers qui
faisaient le but de sa vie. C’est l’âme elle-même qui reste comme
"accrochée" au lieu où elle a vécu, incapable malgré la disparition
de la chair, de s’en détacher. Il s’agit donc d’une âme pathologiquement
attachée à quelque chose de terrestre au point qu’elle est incapable de
considérer la Lumière du Christ ou de son ange au moment de son apparition,
malgré sa beauté. Cette âme est certes en état de mort spirituelle, sans être
pourtant coupable d’un blasphème explicite contre l’Esprit. Elle peut donc être
sauvée. Pour que la parousie du Christ puisse produire son effet, à savoir le
choix lucide entre le Ciel ou l’enfer, il est nécessaire que la gangue qui
l’enferme soit quelque peu et progressivement dégrossie.
La deuxième peut venir du refus d’une âme mourante d’affronter
l’apparition lumineuse du Ciel, à cause de la conscience d’un important crime
passé non pardonné, comme dans ce texte[981] : « A cette vue, Simon-Pierre se jeta aux
genoux de Jésus, en disant: « Eloigne-toi
de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur! » Ainsi, sainte Faustine décrit le salut d’un grand pécheur de ce
purgatoire à travers un dialogue entre l’âme et Jésus[982] :
« - L'âme, comme éveillée :
Est-il possible qu'il y ait encore de la miséricorde pour moi ? demande-t-elle
pleine d'effroi.
- Jésus : C'est justement toi, mon enfant, qui as un droit
exclusif à ma miséricorde. Permets à ma miséricorde d'agir en toi, dans ta
pauvre âme ; permets aux rayons de la grâce d'entrer dans ton âme, ils
apportent avec eux la lumière, la chaleur et la vie.
- L'âme : Pourtant la crainte m'envahit au seul souvenir de mes
péchés et cette terrible frayeur me pousse à douter de Ta bonté. »
Pour ces deux raisons, le Christ ou son ange peuvent retarder leur
parousie. L’âme qui s'accroche à cette terre reste dans le passage de la mort,
bloquée sur les lieux où elle a péché sans pouvoir se livrer au péché. Elle
touche du doigt d’une certaine façon la vanité du péché. De même, l’âme qui,
ayant commis un grand péché, fuit la rencontre de son juge, délaissée dans le
désespoir solitaire de ce second purgatoire, visitée au bout d’un long temps
d’abandon par les anges ou par la prière des vivants, peut apprendre à demander
pardon.
2° La deuxième raison est l’instruction
des vivants lorsque, par exception, les âmes en peine de ce purgatoire
manifestent leur présence. À la vue de leurs souffrances, les vivants sont
amenés à convertir leurs mœurs pour éviter à leur tour de subir cette errance
qui suit la mort. En outre, les vivants sont ainsi conduits à offrir leurs
prières comme adoucissement aux peines des morts. Pour cela, Dieu permet
parfois que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent entendre des
vivants. Il leur est difficile de le faire par elles-mêmes car le corps
psychique qu’elles gardent est peu adapté à ce genre de contact. C’est pourquoi
ceux qui parlent des phénomènes des revenants décrivent parfois la vision d’un
corps vaporeux, fait d’énergie physique. Il faut en tout cas tenir que la
subsistance de ce lien avec la matière est naturel, comme nous l’avons dit
précédemment, même si sa manifestation aux vivants n’est pas aisée pour l’âme faite
pour se rendre visible à travers son corps charnel.
La
plupart du temps, l’apparition est produite à travers une aide de Dieu et de
ses anges. Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne doit pas
effrayer. Qu’on se rappelle la réaction des disciples de Jésus quand ils le
virent s’approcher d’eux en marchant sur les eaux[983] : «
Ils crurent que c’était un fantôme, et poussèrent des cris. »
Solutions :
1. Ce purgatoire n’est pas voulu par Dieu
directement et par soi mais comme un moyen, une dernière planche de salut,
adaptée à certaines âmes. Il peut y avoir dans cette expérience un réel progrès
spirituel de certains hommes matérialistes et encore rustres, peu disposés à
accueillir l’apparition lumineuse de l’ange de Dieu ou du Christ. Cette prolongation
de la vie terrestre, peut faire naître une plus grande sensibilité au
spirituel. Ce purgatoire devait être très fréquent dans les temps anciens, à
l’époque frustre des générations antiques, selon l’Écriture[984] : «
Ce sont les héros du temps jadis, ces hommes
fameux. Yahvé voyait que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre et
que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée. » De
nos jours, la sensibilité et la culture s’étant affinées, il semble être moins
universellement nécessaire. Cela explique des récits tels que ceux rapportés
par saint Bernard.
Objections :
Il
ne semble pas qu’on puisse qualifier ce purgatoire par les notions de solitude
et d’errance. En effet, pour caractériser un purgatoire, il faut quelque
chose qui lui soit propre, comme la parousie du Christ glorieux dans le
troisième. Or la terre est elle aussi le plus souvent un lieu de solitude, sans
compter les purgatoires qui suivent la parousie du Christ.
2. Dans cette comparaison, Jésus dit à ses
disciples[985] : « En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer
dans le Royaume des Cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau
de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des
Cieux. » Il semble donc que ce
purgatoire, adapté aux âmes riches, se caractérise par le détachement de
soi-même et non par la solitude et l’errance.
Cependant :
Le
psaume 116, 3 dit : « Les lacets
de la mort m'enserraient, les filets du shéol; l'angoisse et l'affliction me
tenaient, j'appelai le nom de Yahvé. De grâce, Yahvé, délivre mon âme! » et le livre de la sagesse 17,
2 ajoute : « Alors que des
impies s'imaginaient tenir en leur pouvoir une nation sainte, devenus
prisonniers des ténèbres, dans les entraves d'une longue nuit, ils gisaient
enfermés sous leurs toits, bannis de la providence éternelle. Alors qu'ils
pensaient demeurer cachés avec leurs péchés secrets, sous le sombre voile de
l'oubli, ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs, épouvantés par
des fantômes. Car le réduit qui les abritait ne les préservait pas de la peur;
des bruits effrayants retentissaient autour d'eux, et des spectres lugubres, au
visage morne, leur apparaissaient. »
Conclusion :
Dans
le passage de la mort, le mourant n’est pas nécessairement confronté d’un seul
coup à toutes les étapes qui le conduiront au choix éternel. Il arrive que ce
ne soit que dans un second temps que le Christ paraisse et que sa gloire libère
l’âme de toute faiblesse et ignorance. Ainsi, lorsque le Christ retarde son
apparition, c’est pour mieux la disposer au salut. Dans cette circonstance, le
péché contre le Père, à savoir le péché mortel de faiblesse et le péché contre
le Fils, à savoir le péché du à l’ignorance restent possibles. Sans pouvoir
atteindre une finalité ni sur terre ni au Ciel, l’âme erre entre deux mondes à
la recherche d’un but. Privée pour un temps de toute affection humaine et
divine, elle se tourne vers les créatures avec angoisse, ne parvenant plus à en
obtenir de satisfaction. Ne pouvant être vues par les hommes vivants (sauf cas
exceptionnel) et étant séparées de l’au-delà, leur solitude est totale. Si
cette solitude dure plusieurs années, plusieurs siècles, elle finit par
produire un retournement. La vanité des choses auxquelles elles sont attachées
finit par s’imposer. Ils comprennent que l’unique bien est l’Amour ou au
contraire l’égoïsme. Comme un feu contrariant la nature de son esprit et de sa
sensibilité, l’effet douloureux de cette errance affine l’âme et la dispose à
recevoir en temps voulu deux choses :
1° Un détachement de ses anciennes
affections terrestres.
2° Une soif ardente d’un salut.
Solutions :
1. Chacun des purgatoires participe, d’une
manière ou d’une autre, à la transformation de l’esprit humain dans l’humilité
et l’amour en vue de l’union à Dieu. Pour les caractériser, on regarde ce qui
est universellement vécu dans chacun d’eux. Ainsi, pour le premier purgatoire,
celui de cette terre, qu’on peut aussi appeler « premier Ciel », la vie
est liée au corps biologique. C’est pourquoi ce premier ciel est physique
et sa purification peut être caractérisée par la dimension de fragilité
charnelle, la nécessité de se nourrir et de mourir, l’incertitude sur la survie
après la mort.
Le
deuxième ciel est le ciel psychique. L’âme est enserrée dans les liens
de sa propre psychologie pécheresse et elle est conduite à s’en détacher par
une confrontation à la solitude. Faite pour aimer, l’âme s’ennuie, puis
souffre, puis appelle.
Le
troisième Ciel est mystique car il correspond à la parousie du Christ
accompagné des saints et des anges, qui délivre l’âme de ses faiblesses et de
ses ignorances, et lui communique, si elle l’accepte, la plénitude de la grâce
sanctifiante.
Quant
au fait que certains vivent de cette grâce sanctifiante dès le premier ciel, il
n’implique pas qu’on doive caractériser la vie terrestre par cette grâce qui
est le fait d’un petit nombre.
2. Le détachement de soi-même est une des
dispositions du cœur nécessaire comme préparation à une bonne réception de la
grâce. En ce monde, ce détachement -qu’il soit matériel, psychologique ou
spirituel- est produit principalement par le silence de Dieu, l’injustice, la
famine, la maladie, la guerre et la mort, comme le montre le livre de
l’Apocalypse 6-8, à travers les sept mystères scellés. Mais parfois, ces
épreuves n’arrivent pas ou ne suffisent pas. C’est pourquoi, dans le passage de
la mort et avant la parousie du Christ, cet effet peut être approfondi par la
douloureuse expérience de la solitude, dans un séjour ou la souffrance physique
n’existe plus, mais où le psychisme humain reste fait pour la compagnie de ses
proches, tandis que son esprit reste en attente d’un sens à la vie. C’est
pourquoi, bien que le deuxième purgatoire vise à libérer l’âme de ses
richesses, il peut être caractérisé par son épreuve significative qui est la
solitude et l’errance.
Objections :
1. Il ne convient pas que les anges
révoltés viennent tourmenter et tenter les âmes de ce purgatoire. En effet, les
démons ont reçu un pouvoir provisoire en cette terre, par le choix libre d’Adam
et Eve lorsqu’ils vivaient dans leur chair. Or, dans la mort, le corps
de chair ayant disparu, le pouvoir donné par Adam et Eve disparaît aussi.
Cependant :
Le
chapitre 17 du livre de la Sagesse décrit le tourment qui en sort : « Pour eux, impuissants durant cette
nuit des profondeurs de l'Hadès, ils étaient tantôt poursuivis par des spectres
monstrueux, tantôt paralysés par la défaillance de leur âme ; car une peur
subite et inattendue les envahissait. Celui qui tombait là, quel qu'il fût, se
trouvait emprisonné dans cette geôle sans verrous. » Tout ceci relève à la fois de la faiblesse d’une psychologie
malade et non délivrée du « foyer du
péché », et des tentations des
démons.
Conclusion :
Ce
deuxième purgatoire est, rappelons-le, un prolongement exceptionnel de la vie
terrestre, adapté à certaines âmes. Il est donc logique que certains des
instruments de Dieu utilisés pour notre salut en cette vie soient encore
utilisés. Ainsi en est-il de l’ignorance, mais aussi de certaines des
faiblesses psychologiques de cette terre. Tel en est-il aussi du rôle de Satan
qui, pour ce qui est de lui, n’a pas pour but de sauver l’homme mais au
contraire de l’habituer à l’égoïsme.
Or
il faut remarquer que les anges révoltés peuvent visiter l’homme sous deux
formes :
1° Ils se font serpent (Satan) sur
cette terre: Leur action consiste à se cacher dans la vie des hommes pour les
habituer à des égoïsmes matériels - plaisir égoïste, argent égoïste, gloire
égoïste -. Le but de Satan est de disposer la volonté humaine à l'égoïsme.
2° Mais les démons se montrent sous leur
vrai jour d'Anges de lumière (Lucifer) au dernier moment de notre vie,
c’est-à-dire à l'heure de notre mort et à la fin du monde. Là, ils nous
révèlent la vraie raison de leur révolte à savoir la liberté, la dignité, l’exigence
d'un changement des plans de Dieu, le refus de l'humilité et de l'amour. Ils
espèrent que, habitués à l'égoïsme, nous les suivrons librement dans leur
révolte.
Dans
ce deuxième purgatoire, c’est en tant que Satan que les anges révoltés
tourmentent les âmes. Ils prolongent leur œuvre de la terre en appliquant à
l’âme des tentations cependant moins charnelles, le corps ayant disparu. Ils
les tentent principalement par la convoitise frustrée, le désespoir et la
colère.
Ce
n’est que lorsque arrive le troisième purgatoire, à savoir la parousie du
Christ, que les démons se montrent comme Lucifer, présentant à la liberté de
l’âme son projet de salut alternatif.
Solutions :
1. Comme on l’a dit, ce purgatoire est un
prolongement de cette vie et non une partie de l’autre monde. Tant que le
Christ n’est pas venu, lui qui détient les clefs de l’Hadès[986], certaines des lois de cette vie
fragile restent utiles pour le salut de l’âme. Ainsi en est-il de l’Hadès que
le Christ vient visiter lui-même, à l’heure qu’il estime la plus adaptée au
salut.
Objections :
Il
ne semble pas car, sur un point au moins, ces âmes expérimentent leur
immortalité, chose dont beaucoup doutent dans l’angoisse sur terre.
2. La vie terrestre laisse l’homme dans un
état proche de l’animal puisqu’il doit trouver chaque jour sa nourriture et
peut mourir d’un simple accident. Dans le passage de la mort, l’âme est
délivrée de tout cela. Donc ce purgatoire est moins douloureux et plus stable
que la vie terrestre.
3. Le livre de Job montre que le shéol est
souvent un séjour de paix par rapport à la misère de cette vie[987] : « Or mon espoir, c'est d'habiter le shéol, d'étendre ma couche dans
les ténèbres. »
Cependant :
L’Ecriture
Sainte décrit le shéol comme un séjour sans joie[988] : « Les flots de la Hadès m'enveloppaient, les torrents de Bélial
m'épouvantaient; les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort
m'attendaient. »
Conclusion :
On peut
regarder chaque purgatoire de deux façons :
1° D’abord selon les lois générales qui le
caractérisent. Le deuxième purgatoire a pour but de briser le cœur endurci de
ceux qui y transitent à travers l’expérience d’une longue et désespérante
solitude et errance. La personne étant seule et n’ayant plus son corps de
chair, mais seulement sa vie sensible, rien ne peut venir la distraire de
l’angoisse. En comparaison, les lois de la vie terrestre permettent de grands
moments de bonheur. Donc, selon ses lois générale, le shéol est plus étranger à
la nature humaine et beaucoup plus douloureux.
2° On peut regarder chaque purgatoire
selon la manière individuelle dont il a été vécu. Selon cette approche, il
arrive que le premier purgatoire, celui de cette terre soit pour certains le
plus terrible de tous. Je vise principalement les personnes qui, n’ayant pu
trouver de réconfort à l’angoisse dans des occupations extérieures ou dans un
endurcissement de leur âme, sont extrêmement sensibles à l’épreuve, parfois
jusqu’à mettre un terme à leur vie. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ayant
connu cette tentation du désespoir dès ici-bas dans les affres de sa maladie et
du silence de Dieu, écrivait qu’elle comprenait l’acte de ceux qui désirent la
mort. Pour ces personnes là, le plus terrible des purgatoires peut être la
terre.
Solutions :
1. Sous le point de vue de l’épreuve de la
mortalité, le purgatoire de la terre est effectivement le plus terrible puisque
les âmes du shéol expérimentent leur indestructibilité. Cependant, non
seulement l’homme ne pense pas sur terre à chaque instant à sa mort, mais il
peut soit par raisonnement philosophique soit par la foi, vivre dans la
certitude de la survie.
Cependant,
on doit admettre que pour certains hommes, ceux qui vivent dans l’angoisse de
leur mortalité et de la vanité de toute chose, cette épreuve peut être source
de désespoir et être donc de la plus terrible des souffrances qu’aucun autre
purgatoire ne pourra dépasser.
2. « L’homme ne vit pas seulement de pain… », dit Jésus. Celui qui a souffert
expérimente que plus la souffrance touche une dimension profonde de son être,
plus elle est douloureuse.
1° Ainsi les souffrances physiques
seules, sont moins douloureuses que 2°
les souffrances psychologiques à savoir que les passions négatives comme
la tristesse, la peur, le désespoir. L’incertitude, source de peurs et
d’espoirs alternés, de l’homme qui ne sait pas s’il sera torturé le fait plus
sûrement parler que les tortures physiques d’un homme qui, fort dans sa
psychologie, défie ses bourreaux. 3°
De même les souffrances spirituelles comme le fait d’avoir livrer ses
amis à l’ennemi pour éviter la torture physique sont plus douloureuses que la
torture elle-même. 4° Au dessus de
tout, les souffrances « mystiques », celles qui sont liées à la perte
totale du sens à sa vie, conduisent ceux qui les subissent à l’idée du suicide.
Ainsi,
si la disparition du corps charnel dans le passage de la mort délivre l’homme
des douleurs physiques, elles exacerbent la sensibilité à la douleur psychologique
par l’incapacité de l’âme à atteindre les plaisirs sensibles de jadis, spirituelle
par l’absence de la compagnie de sa famille et de ses amis, et mystique
à cause du silence du Ciel resté fermé. C’est ce que montre Moïse dans le
désert de l’Exode, qui est le symbole du shéol[989] : « Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger
la manne que ni toi ni tes pères n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne
vit pas seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche
de Yahvé. »
3. Pour l’homme qui vit sur terre un vrai
désespoir, tout autre lieu que cette vie devenue insensée semble meilleure.
Pourtant, le suicide ne résout rien et celui qui le pratique doit, comme tout
homme, à un moment où à un autre, soit dans le passage de la mort ou après la
parousie du Christ, expérimenter cette mort à lui-même pour entrer dans le
septième Ciel de la Vision de Dieu. Voilà pourquoi le suicide est un acte
dommageable, quoique souvent pardonné puisque le plus souvent regretté, et qui
ne fait que retarder la purification de l’âme.
Objections :
1. Elles sont nécessairement saintes,
c’est-à-dire en état de mérite, sinon, selon le dogme solennel de Benoît XII[990], elles sont damnées pour l’éternité
puisque ces âmes vivent après la mort. En effet, Benoît XII écrit :
« Selon
la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché
mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer. »
2. Sainte Catherine de Gênes note[991] : «
L’ardent désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est proprement
celle du purgatoire. » Or un ardent
désir de Dieu est la définition de la sainteté. Donc…
Cependant :
Loin
d’être saints, les Hébreux excitèrent la colère de Dieu par leur refus d’entrer
dès leur sortie d’Egypte dans la Terre promise. C’est donc à cause de leurs
péchés que Dieu les condamna à errer puis à mourir au désert. De même, les âmes
ne restent dans le shéol jusqu’à leur mort à elles-mêmes par le désespoir qu’à
cause de leur péché grave et actuel.
Conclusion :
Les
âmes de ce deuxième purgatoire sont nécessairement en état de mort spirituelle.
Comme nous l’avons montré, elles ne restent dans le passage de la mort que pour
deux causes :
1° Leur attachement extrême à la terre.
2° Leur refus de rencontrer la lumière du
Christ, à cause d’un grand péché dont, ayant conscience, les paralyse dans la
peur.
Or
ces deux causes sont deux péchés contraires à l’existence de la charité. Un
homme centré sur des biens créés ou effrayé par la venue du Messie ou de son
ange ne peut en même temps l’aimer dans une amitié réciproque.
Mais
c’est parce que ces péchés mortels ne constituent pas un blasphème contre
l’Esprit Saint (pleine lucidité et maîtrise de soi) que ce purgatoire à sa
raison d’être. Ces âmes peuvent être sauvées et ce prolongement de vie dans
l’errance vise à les disposer à accueillir l’Evangile du Christ au jour de sa
venue.
Solutions
1. Comme nous l’avons montré, ce purgatoire
n’est pas « après la mort. » Il est le passage de la mort
lui-même, dont la durée est prolongée exceptionnellement pour certaines âmes.
Les expressions bibliques « shéol » ou « Hadès » ne signifient
pas autre chose que « la mort. » Elle est un passage qui peut durer
plusieurs jours selon Marthe Robin, voire des années après la mort au sens
clinique du corps charnel, selon des récits dignes de crédibilité. La partie
psychique de son être subsistant, ces morts errent entre deux séjours, parfois
sur la terre ou dans les parvis de l’autre monde, sans avoir vécu la parousie
du Christ, des saints et des anges. Si, face à la venue du Christ qui se
produit dans ce passage, une âme du shéol s’obstine dans son péché mortel,
c’est qu’elle est dans un état de blasphème contre l’Esprit Saint. Elle est
alors damnée pour l’éternité car elle entre dans le monde qui suit la mort
en état de démérite parfaitement lucide, volontaire et libre.
2. Sainte Catherine de Gênes ne parle pas
ici de ce purgatoire mais des trois purgatoires mystiques où les âmes saintes
qui ont choisi d’aimer le Christ après sa parousie achèvent de se purifier après
la mort et le jugement dernier. Dans le shéol, il règne cependant un ardent
désir de Dieu, douloureusement ressenti. La grande différence est que cette
angoisse, les âmes du shéol n’en connaissent pas toujours la cause alors que
dans les purgatoires vus par sainte Catherine de Gênes, les âmes sont
paisiblement établies dans la charité et ont compris, comme saint Augustin dans
ses Confessions que leur cœur fait pour Dieu aimait jadis Dieu sans le
savoir et avant même de le connaître.
Objections :
1. Selon saint Thomas d’Aquin, le temps de
la vie terrestre est celui du mérite et du démérite. Après cette vie terrestre,
vient le temps de recevoir la récompense de son mérite ou démérite. Or, si ces
âmes sont en état de démérite, elles recevront nécessairement l’enfer. Ce qui
n’est pas toujours le cas. Donc ces âmes sont saintes.
2. Sainte Catherine de Gênes dans son Traité
du purgatoire[992] que les âmes du purgatoire sont assurée
de leur salut et en éprouvent une joie constante. Donc elles ne peuvent se
damner.
Cependant :
Sainte Brigitte de Suède rapporte ce dialogue entre Satan et la
vierge Marie, à l’occasion de la mort et du salut miraculeux de son fils[993] : « Le démon se mit alors à crier : « Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me
plaindre de votre mère (…). Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît
devant vous. Car, en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au
moment de sa sortie du corps et de l'amener, avec mes compagnons, devant
votre tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du
corps, que cette femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa
puissante protection, et vous l'a présentée.
» La sainte Vierge dit à Satan : "Tu vois, Satan,
dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te semble-t-il donc ?
N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma protection devant le
tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber en tes mains pour partager
tes supplices?" Et Satan demanda de nouveau: "Pourquoi,
ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de telle
sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer?" »
Sainte
Faustine rapporte en sens contraire le cas d’une possible damnation dans le
passage de la mort[994] : « "Conversation de Dieu miséricordieux avec l'âme désespérée :
- Jésus : Ame plongée
dans les ténèbres, ne désespère pas, tout n'est pas encore perdu, entre en
conversation avec ton Dieu qui est amour et miséricorde même. -
Mais malheureusement l'âme demeure sourde à l'appel de Dieu et se plonge dans
des ténèbres plus grandes encore.
- Jésus l'appelle à nouveau : Ame, entends la voix de ton Père miséricordieux.
- Une réponse s'éveille en l'âme : Il n'y a plus pour moi de
miséricorde. Et elle tombe dans des ténèbres encore plus grandes, dans une
sorte de désespoir qui lui donne comme un avant-goût de l'enfer et la rend
complètement incapable de se rapprocher de Dieu.
-
Pour la troisième fois, Jésus s'adresse à l'âme, mais l'âme est sourde et
aveugle et elle commence à s'affermir dans l'endurcissement et le désespoir.
Alors des entrailles de la miséricorde divine un dernier effort est tenté et
sans aucune coopération de l'âme, Dieu lui donne Sa dernière grâce. Si elle la
dédaigne, Dieu la laisse alors dans l'état où elle-même veut être pour les
siècles." » Donc, si on peut
être sauvé ou damné dans le passage de la mort.
Conclusion :
Ce purgatoire est situé avant la mort
accomplie, entre ce monde et l’autre, comme à la onzième heure de cette vie. Il
a lieu avant la parousie du Christ qui permettra le choix définitif de l’âme.
Donc l’âme n’a absolument pas reçu les conditions nécessaires à l’acte
parfaitement lucide, volontaire et libre qui lui permettrait de se tourner vers
la grâce ou au contraire de la rejeter. Comme sur terre, l’âme n’est absolument
pas assurée de son salut dont, bien souvent, elle ignore la nature. Ce n’est
que lorsque le Christ paraît à ces ouvriers de la onzième heure[995], qu’il les a appelés à la vigne pour y
travailler, qu’ils peuvent s’y rendre ou refuser. Ainsi en est-il pour les âmes
du shéol. Elles peuvent donc se damner.
Solutions :
1. Les ouvriers de la onzième heure ne sont
pas « après la mort » mais dans le passage de la mort comme
nous l’avons dit.
2. Sainte Catherine de Gênes dans son Traité
du purgatoire, ne décrit pas ce purgatoire là mais les purgatoires qui se
situent après le retour du Christ et après l’entrée dans l’autre monde.
Objections :
1. Saint Alphonse de Ligori écrit[996] : «
On doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières afin que ces
saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous soit
conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et nous prions pour
elles. »
Cependant :
D’après
l’opinion de saint Thomas d’Aquin, les âmes du purgatoire sont dans un tel état
d’affliction qu’elles ne peuvent prier pour personne. Elles sont entièrement
occupées de leur purification.
Conclusion :
Nous
avons montré que ces âmes ne font du passage de la mort un séjour durable qu’à
cause d’un attachement très fort aux choses de cette terre, ou encore par un
acte de leur conscience qui fuit la lumière du Christ qui vient. Elles ne
vivent donc pas de la charité et sont extrêmement centrées sur elles-mêmes.
Tout cela ne constitue pas une disposition favorable à la prière.
Par
contre, il se produit pour celles pour qui ce purgatoire se révèle profitable,
non seulement un détachement vis-à-vis de la terre, mais un progrès dans le
repentir selon cette parole biblique[997] : « Les flots de la Mort m'enveloppaient, les torrents de Bélial
m'épouvantaient; les filets du shéol me cernaient, les pièges de la mort
m'attendaient. Dans mon angoisse j'invoquai Yahvé et vers mon Dieu je lançai
mon cri; il entendit de son temple ma voix et mon cri parvint à ses oreilles. »
C’est
pourquoi, lorsque l’âme arrive au terme de cette étape de purification, on doit
dire que non seulement elle prie Dieu mais qu’elle se met à prier pour les
hommes qu’elle voit puisque, comme on l’a dit, beaucoup font ce purgatoire dans
les lieux mêmes où elles ont vécues et qu’elles ne quittent pas.
Solutions :
1. Saint Alphonse de Ligori parle ici des
purgatoires mystiques qui suivent la parousie du Christ ou encore de l’état de
certaines âmes du shéol, lorsqu’elles sont proches de leur délivrance et
s’ouvrent enfin à la grâce.
A l’objection en sens contraire :
Il
faut répondre que, comme sur terre, les dispositions intérieures des âmes de ce
shéol sont diverses et peuvent évoluer selon qu’elles entrent dans une démarche
de repentir ou au contraire se durcissent dans l’obstination. Il arrive que, au
début de ce long temps d’errance, certaines sont entièrement prises par leurs
attaches terrestres, tandis que vers la fin, usée par le désespoir et pleines
de bonnes dispositions, elles se mettent à prier pour les hommes qu’elles
voient dans les lieux où elles résident et qui, souvent, les ont eux-mêmes
aidés de leurs prières.
Objections :
1. Le Christ devrait apparaître au tout
début de l’entrée dans la mort et non au terme de ce passage.
2. D’après saint Paul, c’est plutôt la
venue du démon ou de l’Antéchrist qu’on doit attendre avant la fin de cette vie[998] : « Ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par
des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant
de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que
personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et
se révéler l'Homme impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève
au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant
jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Cependant :
L’Apocalypse
1, 17 rapporte cette parole du Christ : « Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant; je
fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de
la Mort et de l'Hadès. » Donc c’est
le Christ qui met fin à l’Hadès en y apparaissant aux mourants.
De
plus, avant et après sa passion, le Christ dit et fait dire de nombreuse fois à
ses disciples par des anges[999] : « Il est ressuscité d'entre les morts, et voilà qu'il vous précède
en Galilée; c'est là que vous le verrez.
» Or, la Galilée des nations est présentée par l’Ecriture comme le sombre
pays de la mort[1000] : « Galilée des nations ! Le peuple qui demeurait dans les
ténèbres a vu une grande lumière; sur ceux qui demeuraient dans la région sombre
de la mort, une lumière s'est levée. »
C’est donc dans ce passage de la mort que le Christ paraît dans sa gloire à
tous les hommes de toutes les nations.
Conclusion :
Universellement,
pour tous les hommes de tout temps, il est nécessaire que, avant l’entrée dans
l’autre monde, la Bonne Nouvelle du salut soit prêchée en pleine lumière et
sans que la personne soit esclave de quelques faiblesse ou peur. Cela se fait
déjà en cette chair pour certains et dans le passage de la mort pour tous, de
telle manière que tout homme qui entre dans l’autre monde soit en état de
mérite ou de démérite de manière entièrement libre.
C’est
pourquoi, avant l’incarnation du Verbe, cette annonce de la future rédemption
était faite par un messager de Dieu, tandis que, après la rédemption, elle est
accomplie par le Christ lui-même accompagné des saints et des anges, comme nous
l’avons montré dans la question 8. C’est pourquoi le pape Paul VI rappelle dans
le Credo de 1968 : « Le
Christ viendra de nouveau, en gloire cette fois, pour juger les vivants et les
morts : chacun selon ses mérites - ceux qui ont répondu à l'amour et à la pitié
de Dieu allant à la vie éternelle, ceux qui les ont refusés jusqu'au bout
allant au feu qui ne s'éteint pas. »
Solutions :
1. Dieu patiente, selon saint Pierre[1001] : «
Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme
certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que
personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. Il viendra, le Jour du
Seigneur, comme un voleur ; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas,
les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme
sera consumée. » Pour la même raison,
pour le salut de quelques-uns, rien n’empêche que cette patience de Dieu se
prolonge dans la mort, le Christ retardant de quelques jours ou quelques années
son apparition, laissant l’âme découvrir la stupidité de son attachement aux
vanités de cette terre.
2. Il est vrai que, pour la
liberté du choix, il est nécessaire que Lucifer paraisse aussi avant l’entrée
dans l’autre monde Mais auparavant, l’âme doit être confrontée à la venue de
Lucifer selon ce texte de saint Paul[1002]. Lucifer présente à l’âme,
comme séducteur puis accusateur son projet fondé sur une liberté orgueilleuse.
Mais saint Paul ajoute, dans le même passage : « Alors l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par
le souffle de sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. » ce qui signifie tout homme recevra
toute l’aide qu’il lui faut pour échapper à l’attraction de l’enfer. C’est
pourquoi sainte Faustine conclut sa vision du salut d’un grand pécheur dans le
passage de la mort[1003] : « - Jésus : Ame, sache bien que tous tes péchés ne m'ont pas
blessés aussi douloureusement le cœur, que ta méfiance actuelle ; comment
peux-tu demeurer incrédule devant ma bonté ?
- L'âme : O Seigneur, sauve-moi Toi-même, car je péris, sois pour
moi le Sauveur. O Seigneur, je ne suis pas en état d'exprimer le reste, mon
pauvre cœur est déchiré, mais Toi, Seigneur...
Jésus
ne laissa pas l'âme terminer ces mots, mais l'enleva de terre, de cet abîme de
misère et en un moment la conduisit en la demeure de son propre Cœur où tous
ses péchés disparurent en un clin d'œil, le feu de l'amour les détruisit. »
A ce
sujet, quatorze questions :
1° La peine principale des trois
purgatoires de lumière est-elle la séparation d’avec Dieu ?
2° Le feu de ces trois purgatoires est-il
le désir de Dieu ?
3° Les âmes de ces trois purgatoires
sont-elles rongées par le ver de la rancoeur ?
4° Les âmes de ces trois purgatoires
sont-elles tourmentées par les démons ?
5° Le feu de ces trois purgatoires est-il
le même que celui de l’enfer ?
6° Les souffrances de trois ces
purgatoires surpassent-elles toutes celles d’ici-bas ?
7° La peine du purgatoire est-elle voulue
par Dieu ?
8° Les âmes de ces purgatoires sont-elles
saintes ?
9° Sont-elles soumises à la volonté de
Dieu ?
10° Veulent-elles d’une volonté droite les
souffrances du purgatoire ?
11° Peuvent-elles pécher ?
12° Peuvent-elles mériter ?
13° Les âmes du purgatoire sont-elles dans
la joie et la paix ?
14° Peuvent-elles prier pour nous ?
Objections :
1. On parle ici des trois purgatoires qui
suivent l’apparition du Christ. Nous avons montré que la peine de l’enfer était
la séparation d’avec Dieu. Elle ne peut donc être celle du purgatoire sans quoi
le purgatoire et l’enfer seraient une seule et même chose.
2. Dans l’Écriture, la peine principale du
purgatoire est désignée sous le terme de "feu". Ce n’est donc pas la
séparation d’avec Dieu.
3. Durant notre vie terrestre, nous sommes séparés
de Dieu. Cela ne constitue pourtant pas pour nous une peine plus terrible que
celles que nous devons subir par la maladie, la souffrance et la mort. Il en
est de même au purgatoire qui n’est que l’achèvement de la purification
commencée en cette terre.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[1004] : «
L’âme qui est au purgatoire aime Dieu au point que cela lui est un tourment
insupportable que d’être obligée de se séparer de lui un moment. »
Conclusion :
La
peine principale du purgatoire est la séparation d’avec Dieu. Pour le
comprendre, il faut savoir que l’âme humaine possède par nature un instinct
divin qui la fait se porter vers Dieu comme vers la source unique de tous ses
désirs. Mais le péché originel et l’accumulation des péchés actuels a fini par
quelque peu obscurcir l’acte de cette inclination au point que l’homme, sur
cette terre, n’éprouve pas toujours l’angoisse du désir de Dieu et se complaît
souvent dans les biens créés. Après la mort, l’âme libérée du poids
psychologique des conséquences du péché originel retrouve l’acte de cet
instinct divin dont l’exercice se trouve démultiplié par la participation des
grâces infusées par Dieu. Ces grâces consistent principalement dans la
découverte actuelle de l’amour de Dieu, de sa miséricorde à l’égard d’une
créature aussi imparfaite et du soin qu’il apporte à l’élever jusqu’à lui.
L’âme se porte donc vers Dieu comme vers sa fin dernière avec une charité
incomparable dans son exercice à celle de la terre. En conséquence, la
séparation provisoire d’avec Dieu devient une peine qui est à la mesure de la
charité qui porte l’âme à Dieu. Cette peine est proprement celle du purgatoire.
Vitalini Sandro écrit[1005] : «
L’homme se découvre isolé, incapable de communiquer aux autres. Tandis
qu’il coïncide avec son propre moi, il comprend que la seule valeur qui a
existé est celle de son don. La personne compare son amour à l’Amour, son être
à l’Être. Au désir d’une communion plénière avec l’Amour se joint l’effroi
jaillissant de la perception de sa propre indignité. L’amour qui est Dieu est
un feu dévorant ; sa présence enchante et épouvante à la fois, si l’on se
réfère aux théophanies de l’Écriture : la vision de Moïse et d’Élie, la
Transfiguration, les visions de l’Apocalypse. »
Solutions :
1. « L’Église, dans la fidélité au Nouveau
Testament et à la Tradition croit à la félicité des justes qui seront un jour
avec le Christ. Elle crut qu’une peine attend pour toujours le pécheur qui sera
privé de la vue de Dieu et à la répercussion de cette peine dans tout son être.
Elle croit enfin pour les élus à une éventuelle purification préalable à la
vision de Dieu, tout à fait étrangère cependant à la peine des damnés. C’est ce
que l’Église entend lorsqu’elle parle d’enfer et de purgatoire ».[1006] La séparation d’avec Dieu est voulue
par les âmes de l’enfer à cause de leur perversité qui les porte à haïr les
volontés de Dieu. Les âmes du purgatoire au contraire se séparent de Dieu à
cause de leur très grand amour pour lui et de leur désir de devenir parfaites
épouses pour lui, selon l’Apocalypse[1007] « son
épouse pour lui s’est faite belle. »
C’est pourquoi la séparation est éternelle pour les damnés mais temporaire au
purgatoire.
2. Le feu du purgatoire n’est autre que le
désir ardent que l’âme a de voir Dieu. Il est donc un effet de l’intense
charité qui ne peut supporter d’être séparée de Dieu.
3. L’exercice de la charité ne peut être
parfait sur la terre à cause des conséquences du péché, qu’il soit originel ou
actuel, qui obscurcissent dans l’âme l’instinct de Dieu. C’est pourquoi nous ne
souffrons pas trop de son absence. Cependant, une telle souffrance peut exister
consciemment chez ceux que la grâce a suffisamment purifiés comme on le voit
chez certains saints. C’est pourquoi le Cantique des Cantiques chante[1008] : «
J’ai cherché celui que mon cœur aime, Je l’ai cherche mais ne l’ai pas
trouvé. Si vous trouvez mon bien-aimé, dites-lui que je suis malade d’amour. » Chez les autres, elle existe
réellement et se manifeste sous la forme de certaines angoisses profondes, au
point que l’augmentation des suicides des désespérés dans des pays pourtant
matériellement heureux est le signe, voire la preuve de cette orientation
naturelle de l’âme humaine vers le Bien absolu non connu.
Objections :
1. Il ne semble pas que le feu du
purgatoire soit le désir de Dieu mais un véritable feu matériel. Saint Paul
affirme en effet[1009] : «
qu’elles seront sauvées mais comme à travers un feu. » De même, il dit que c’est le feu qui éprouvera la qualité de
l’œuvre de chacun. Ce feu semble donc être une réalité qui purifie l’âme de
l’extérieur et non de l’intérieur.
2. Saint Grégoire écrit : « Ainsi que dans le même feu l’or brille
et la paille fume, ainsi par le même feu le pécheur est brûlé en l’élu purifié. » Il semble donc que le feu de l’enfer
est le même feu que celui du purgatoire. Or le feu de l’enfer n’est pas sans
rapport avec la matière, comme nous l’avons vu. Donc le feu du purgatoire est
autre chose que le désir de Dieu.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes note : « L’ardent
désir de Dieu est ressenti comme une peine qui est proprement celle du
purgatoire. » Or ce qui est ardent
est comme un feu. Donc le désir de Dieu est le feu du purgatoire.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré précédemment, la peine principale du purgatoire est la
séparation d’avec Dieu. Mais il s’agit d’une séparation douloureuse puisque
l’âme aime Dieu qu’elle a aperçu sous la forme de l’humanité du Christ. Celui
qui aime ne peut consentir sans tristesse à se séparer du bien aimé. Or l’âme
est libérée du poids des conséquences du péché originel et divinement justifiée
par la grâce à une charité envers Dieu dont l’exercice est parfait puisqu’il
n’est empêché par aucun obstacle venant du corps. La tristesse d’être séparé de
Dieu est donc à la mesure de cette charité et le désir de le posséder peut être
comparé à un feu tant son ardeur est intense. C’est en ce sens qu’on peut dire
que, au sens littéral, le feu du purgatoire signifie le désir de Dieu.
Vitalini
Sandro écrit : « On a imaginé le
purgatoire comme un châtiment infligé par Dieu au fils désobéissant. Mais la
souffrance dans cette rencontre ne vient pas de Celui qui est Amour, mais de
celui qui se voit avoir négligé l’empressement paternel. La souffrance de
l’enfant prodigue aurait été bien moins grande si le père lui avait infligé
quelques châtiments externes. Sa souffrance au contraire s’accroît à l’infini
parce qu’il voit que son père l’a toujours aimé et continue de l’aimer d’une
façon indéfectible. Le désir de conversion est alors total, mais la souffrance
nous apparaît aussi extrême. Loin d’imaginer un Dieu qui se refuserait
d’accueillir la personne avec ses limites, il faut dire que c’est cette même
personne qui se trouve effrayée par son indignité ».[1010]
Solutions :
1. En un second sens, on peut cependant
dire que le feu du purgatoire est une réalité matérielle dans la mesure où une
âme séparée du corps peut avoir quelque rapport avec la matière. Comme nous
l’avons vu concernant le feu de l’enfer, un feu matériel ne peut directement
brûler une âme séparée. Mais, puisque les morts gardent perpétuellement leur
psychisme, c’est-à-dire leur sensibilité, à travers un corps invisible qui est
de nature matérielle, ils peuvent être blessés par une véritable souffrance
sensible. L’intelligence de l’absence de Dieu se répercute dans la douleur des
passions de la sensibilité. On peut dire alors que l’âme est prisonnière des
flammes puisqu’elle vit d’une véritable et douloureuse passion sensible. Elle
accepte d’être prisonnière de cette séparation. Sa peine n’est donc pas
totalement étrangère à la notion de feu. Une telle interprétation n’est pas
contradictoire avec celle donnée plus haut à condition que l’on maintienne que
la peine principale dont souffre l’âme n’est pas cette sensation mais sa cause,
c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu et le désir brûlant de le voir.
2. Pris en un sens spirituel, le feu du
purgatoire ou celui de l’enfer est le même puisqu’il a son origine première dans
un désir naturel de la béatitude qui n’est pas satisfait puisque la source de
la béatitude éternelle Dieu, n’est pas présente. Mais ce feu est différent si
l’on considère sa cause et son effet : l’absence de Dieu est causée chez les
damnés par un refus volontaire et conscient de l’ordre de sa sagesse que ne
peut accepter l’orgueil ; chez les élus du purgatoire, par une charité qui ne
peut consentir à voir Dieu avant d’être totalement purifiée des restes du
péché. En conséquence, l’effet du feu chez les damnés est une souffrance qui
les fait blasphémer sans cesse Dieu ; chez les élus, il conduit à la
sanctification parfaite de l’âme.
Pris
en un sens matériel, le feu de l’enfer et du purgatoire n’est que l’instrument
de Dieu qui par sa contradiction avec la volonté punit ou purifie les âmes
selon leurs dispositions intérieures. En ce sens, on peut dire à la suite des
Pères que le feu de l’enfer et celui du purgatoire sont une seule réalité.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire regrettent leurs
péchés et ce sont les restes de ces péchés qui les maintiennent séparées de
Dieu, donc elles éprouvent de la rancoeur.
2. La rancoeur est l’acte par lequel une
âme regrette une faute morale. Or les âmes du purgatoire sont en état de péché
véniel. Elles éprouvent donc la rancoeur pour ces péchés.
Cependant :
Le
ver rongeur des damnés aboutit à la ruine. Au contraire, les âmes du purgatoire
s’élèvent vers la purification. Elles ne peuvent donc pas être rongées par la
rancoeur.
Conclusion :
La
notion de rancoeur possède deux sens :
1° Elle est le regret qui suit la
conscience d’avoir mal agi. Il est donc naturel chez toute âme qui pèche. L’âme
a été en effet créée par Dieu droite. Elle possède par nature une orientation
vers le bien à laquelle s’oppose le péché. C’est pourquoi les âmes de l’enfer
qui sont irrémédiablement fixées dans le péché sont rongées par la rancoeur
puisque l’orientation de leur volonté perverse s’oppose à l’ordre de leur
nature et cette souffrance augmente en elles la haine de Dieu qui leur paraît
être la cause de leurs tourments. Les âmes du purgatoire, quant à elles, ne
sont aucunement en état de péché mortel. Elles ont entièrement été pardonnées à
la suite d’une contrition parfaite qui précède la mort. Elles ne peuvent donc
éprouver de rancoeur actuelle puisque leur âme est totalement orientée dans la
recherche du bien véritable. C’est la charité qui est cause en elles d’un état permanent
de contrition dont la chaleur achève de purifier leur âme du péché véniel.
Cette contrition n’est donc pas comparable au ver de la rancoeur des damnés qui
reste stérile et les fait se replier sur leur malheur. Elle est plutôt
comparable à la chaleur du feu qui purifie l’âme comme l’or qui est passe au
creuset. De même en effet que la chaleur est un effet du feu, de même la
contrition est un effet de la charité.
2° La rancoeur peut venir du regret de
s’être fait punir à la suite d’un péché. Il règne largement en enfer. De même,
selon cette acception du terme, il ne règne pas de rancoeur au purgatoire
puisque, de volonté droite, par amour de Dieu et en vue de devenir digne de la
voir, elles ont voulu elles-mêmes la peine du purgatoire.
Solutions :
1. Le regret des âmes du purgatoire pour
leur péché n’est pas la simple douleur naturelle éprouvée par une âme
corrompue. Elle est une douleur voulue et consentie à cause du très grand amour
qu’elles éprouvent pour Dieu. Elle est une perpétuelle confession de leurs
fautes au Dieu qu’elles attendent, et une joie à satisfaire par la douleur pour
ces offenses.
2. Le péché véniel n’est pas une
orientation de la volonté vers une fin mauvaise mais simplement un lien qui
empêche l’orientation vers le vrai bien de s’exercer avec facilité et aisance.
Il ne s’oppose pas directement à l’ordre naturel vers le bien que Dieu infuse à
l’âme à sa création. Il ne peut donc être source d’un véritabla rancoeur mais
simplement d’un certain état de regret.
Objections :
1. D’après le Maître des Sentences, « les âmes ont pour bourreaux dans
l’autre monde ceux-là mêmes qui ont été ici-bas leurs mauvais conseillers », c’est-à-dire les démons qui poussent
au péché véniel qu’on expie en purgatoire, aussi bien qu’au péché mortel.
2. Les justes sont purifiés de leurs péchés
non seulement dans l’autre monde, mais dès cette vie. Or, ici-bas, les démons
sont les instruments de cette purification, comme nous le voyons par l’exemple
de Job ; Ils font donc de même en purgatoire.
Cependant :
Il
serait injuste que celui qui a triomphé d’un ennemi lui soit soumis après sa
victoire. Mais les âmes du purgatoire ont quitté cette vie en état de grâce,
après avoir triomphé du démon. Celui-ci a donc perdu tout pouvoir sur elles.
Conclusion :
L’éternel
châtiment des damnés sera le feu allumé par leur propre perversité si
contradictoire à la nature bonne de leur âme. Les démons n’auront qu’un rôle accidentel
en ce sens que leur présence orgueilleuse sera source de déplaisir pour tous
les damnés. De même, au purgatoire, jusque-là, c’est l’absence du Dieu désiré
et elle seule, qui purifie les élus. Elle ne requiert pour cela le ministère
des démons qui ont été vaincus par eux. Par contre, il est possible que les
bons anges soient chargés d’appliquer certaines dispositions particulières de
cette purification, en vue d’hâter le travail de la grâce. Ce sera par exemple
leur rôle que de rendre visible à l’âme en peine les mérites et indulgences
offerts par ceux qui prient pour elle depuis la terre. Le rôle de la vierge
Marie et ses saints dans ces purgatoires est évident : lorsque le
découragement et le désespoir se font sentir, ils peuvent visiter ces âmes
concentrées sur leur propre perfection et hâter leur purification par leur
manifestation bouleversante, qui manifeste clairement le peu d’utilité de tout
ce qui n’est pas l’amour de Dieu et du prochain.
Par
contre, en cette terre d’ici-bas, qui est un lieu de combat, les hommes sont
frappés par les mauvais anges, leurs ennemis, comme nous le voyons par
l’exemple de Job, et par les bons anges, comme Denys l’affirme en propres
termes, et comme nous le voyons en la personne de Jacob, dont l’ange toucha et
démit la hanche, au cours de la lutte qu’il soutint avec lui
Solutions :
Elles
viennent d’être données.
Objections :
1. Sainte Catherine de Gênes écrit[1012] : «
Le feu du purgatoire est différent du feu de l’enfer car, dans le
purgatoire la volonté demeure toujours bonne et soumise à Dieu ; Au lieu que
dans l’enfer les damnés étant toujours plongés dans le péché et n’étant plus
capables que Dieu verse en eux les influences de sa bonté, ils demeurent dans
le désespoir et dans une volonté mauvaise qui sera éternellement opposée à
celle de Dieu. »
2. La peine des damnés est pour toujours
puisqu’ils « iront au feu
éternel »[1013] ; le feu du purgatoire ne dure qu’un temps.
Ce n’est donc pas le même feu.
3. Même conclusion négative, du fait que le
supplice de l’enfer reçoit différents noms dans l’Écriture par exemple[1014] : «
le feu, le soufre, le vent des tempêtes etc. », tandis que celui du purgatoire, c’est uniquement le feu.
4. Selon certains auteurs, le feu de
l’enfer est la haine lancinante que les âmes éprouvent pour la Justice de Dieu
qui s’oppose à leur liberté ; le feu du purgatoire est au contraire le désir de
Dieu issu de la ferveur de la charité. Donc le feu de l’enfer et celui du
purgatoire ne sont pas les mêmes.
Cependant :
Saint
Grégoire écrit[1015] : «
Ainsi que dans le même feu l’or brille et la paille fume, ainsi par le même
feu le pécheur est brûlé et l’élu purifié.
»
Conclusion :
Comme
nous l’avons vu, le feu de l’enfer et celui du purgatoire peuvent être entendus
selon deux acceptions. En un premier sens, qui est le principal, il s’agit d’un
feu spirituel et intérieur provoqué par la séparation d’avec Dieu. La raison en
est que toute âme après la mort, par la libération du corps et la rencontre
avec Jésus, voit s’actuer le désir naturel de Dieu qui est en elle et qui avait
été étouffé par le poids de la chair et le péché. La séparation d’avec Dieu
contrarie donc cet instinct naturel de la béatitude. Cependant, elle n’est pas
voulue de la même façon par les damnés et par les âmes saintes du purgatoire.
Dans le premier cas, elle trouve son origine dans un amour déréglé de soi qui
est établi en absolu et qui les conduit à préférer se séparer de Dieu plutôt
que de se repentir. Dans le second cas, elle est voulue relativement à un
obstacle temporaire qui doit être purifié dans l’âme. Ainsi, la séparation des
damnés est causée par l’orgueil, celle des âmes du purgatoire par la charité.[1016]
De
tout cela, on doit conclure que le feu a la même origine en enfer et au
purgatoire mais n’agit pas de la même façon sur les âmes selon les paroles de
saint Grégoire : « par le même feu le
pécheur est brûlé et l’élu purifié. »
Si l’on considère en un second sens le feu du purgatoire de la même
manière que certains théologiens à savoir comme feu sensible, on est amené à la
même conclusion. La séparation de Dieu provoque dans la sensibilité une absence
de paix, des passions douloureuses. Elles sont toutefois très différentes en
enfer où sont surtout haine, fuite, tristesse, désespoir, crainte, et au
purgatoire où elles s’appellent amour, désir, tristesse, espoir, audace.
Solutions :
1. Sainte Catherine de Gênes regarde le feu
dans sa cause prise du côté de la volonté de l’homme et non dans sa nature qui
est un désir naturel de Dieu.
2. Le feu du purgatoire est éternel quant à
sa substance puisqu’il dure autant que la personne dont la vie n’a pas de fin.
Mais l’action purificatrice qu’il opère ne dure qu’un temps, jusqu’à ce que
Dieu paraisse.
3. Les peines de l’enfer n’ont aucune
finalité. Elles sont un simple effet d’une âme séparée de sa fin. On leur donne
les noms de toutes les choses qui nous font souffrir. Celles du purgatoire ont
pour but principal d’effacer les restes du péché : on leur donne le seul nom de
feu, parce que le feu purifie et consume.
4. Les damnés ne haïssent pas Dieu en
lui-même mais à cause d’un effet de sa providence qui nuit à leur volonté
orgueilleuse. En détournant leur volonté du Bien Incréé, les damnés ont laissé
pour toujours insatisfait leur désir naturel du bonheur que seul Dieu aurait pu
combler. Ils en subissent les conséquences dans leur nature par le feu. Cette
insatisfaction perpétuelle de leur âme provoque en eux la haine, de même
qu’elle provoque le désir brûlant de la charité chez les élus. La haine et le
désir sont donc des effets du feu. Cependant, si l’on insiste pour dire que ces
états de l’âme sont le feu de l’enfer et du purgatoire alors on doit admettre
que ces feux sont différents, selon l’autorité de sainte Catherine de Gênes.
Objections :
1. Plus un être est passif, plus la
souffrance est vive, s’il a le sentiment de son mal. Or, le corps est plus
passif que l’âme séparée : le feu lui est plus contraire et agit sur lui plus
fortement ; ses souffrances doivent donc aussi être plus grandes.
2. Les souffrances du purgatoire ont pour
objet direct les péchés véniels qui sont les péchés les plus légers et doivent
donc subir la peine la plus légère, s’il est vrai que le nombre des coups doit
être proportionné à la faute.
3. La dette, qui résulte de la faute, ne
peut s’intensifier qu’avec elle. Mais une faute pardonnée ne peut plus
augmenter. Donc, celui qui a reçu le pardon d’un péché mortel, pour lequel il
n’a pas pleinement satisfait, ne voit pas sa dette augmenter à la mort Or, en
cette vie il n’était pas passible de la peine la plus grave. Donc, la peine
qu’il subira dans l’autre vie ne sera pas supérieure à toutes les peines que
l’on peut endurer ici-bas.
Cependant :
1° « Le
feu du purgatoire, dit saint Augustin, fait plus souffrir que tout ce que nous
pouvons éprouver, voir ou imaginer en ce monde. »
2° C’est quand la souffrance atteint
l’être tout entier qu’elle est la plus grande. Or, l’âme séparée étant simple,
est atteinte dans sa totalité ; il n’en va pas de même pour l’homme tant qu’il
est uni à sa chair révoltée. Donc la souffrance de l’âme séparée est supérieure
ainsi à toute souffrance du corps.
Conclusion :
Il y
a deux peines en purgatoire : 1° la
peine du dam, l’ajournement de la vue de Dieu ; 2° La peine du sens, la souffrance qui en découle dans l’esprit
comme dans la sensibilité. Les théologiens anciens pensèrent que le moindre
degré de l’une comme de l’autre surpassait la peine la plus grande que l’on
puisse endurer ici-bas. Car, disaient-ils de la peine du dam, plus une chose
est désirée, plus son absence cruelle. Or, au sortir de ce monde, le souverain
bien excite dans les âmes justes le désir le plus intense, parce que le poids
du corps ne l’étouffe plus et qu’elle a vu l’espace de l’heure de la mort la
Lumière. De même pour eux, la peine du sens était la plus intense : ce
n’est pas la blessure mais le sentiment que l’on en a qui cause la souffrance,
celle-ci est en proportion de la sensibilité : c’est pour cette raison que les
parties du corps les plus sensibles éprouvent les souffrances les plus vives.
Cette
opinion reste vraie pour la majorité des gens que l’on observe sur terre et qui
arrivent, d’une manière ou d’une autre, à distraire le feu des angoisses et des
désespoirs.
Mais,
cette opinion ne peut plus être gardée lorsqu’il s’agit des désespérés. On ne
le voyait pas au Moyen-âge pour deux raisons :
1° La séparation d’avec Dieu (le dam)
était moins ressentie dans une époque ou la foi en la vie après la mort allait
de soi et motivait la vie des gens. Mais dans un monde où des foules humaines
croient sincèrement que la mort est le néant et que tout est finalement vain,
on voit clairement que, chez un petit nombre, le feu du dam est des plus vifs,
et est source d’un total désespoir, à l’image du Christ sur la croix lorsqu’il
crie : « Mon Dieu ! Mon
Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
2° De même, le sentiment de ce vide peut
se révéler pour certains à ce point douloureux qu’il ne peut y avoir pire dans
l’autre monde. C’est que, dans une époque de confort, où l’homme n’est plus
endurci par la dureté de la vie face aux souffrances, certains deviennent extrêmement
sensibles à l’impact de ce feu intérieur qu’est l’angoisse. On le voit de
manière claire chez ceux qui en viennent à vouloir détruire leur vie plutôt que
de la supporter. C’est aussi pour cette raison que la dernière génération qui
vivra cette terre, sous le règne brillant au plan matériel du dernier
Antéchrist, n’aura pas à passer par la mort physique, ayant subi du fait de
l’absence du vrai Dieu et de son extrême sensibilité à l’angoisse le plus
terrible et efficace des purgatoires, les laissant pour la plupart brisés donc
tout humbles.
Ceci
n’empêche pas que l’opinion des théologiens anciens reste vraie pour
l’universalité des hommes, puisque aucun homme ne pourra plus, dans les
purgatoires de l’autre monde, contourner d’une façon ou d’une autre le feu du
purgatoire déjà présent sur terre.
Solutions :
1. L’âme est moins passive que le corps,
mais elle a un sentiment plus vif de ce qui la fait pâtir, et c’est cela
surtout qui cause la souffrance.
Solutions 2 et 3 :
L’acuité
des peines du purgatoire vient moins de la quantité du péché qui est puni que
de la condition de celui qui est puni : ce qui fait que la punition du même
péché est plus ressentie pour la plupart dans l’autre vie ; de même que le
condamné dont la sensibilité est plus grande souffre plus qu’un autre, sans
cependant recevoir plus de coups, et cependant, sans manquer à la justice, le
juge infligera à tous deux le même nombre de coups pour les mêmes fautes.[1018]
Réponse aux objections en sens
contraire :
Saint
Augustin parle en général, la majorité des gens arrivant en ce monde à rendre
moins sensible le feu de l’absence de Dieu soit en se distrayant, soit en
endurcissant leur sensibilité. Mais, le purgatoire pouvant de fait se résumer à
l’expérience du désespoir sensible à l’image du Christ sur la croix, on ne peut
raisonner en parlant d’un plus ou moins grand désespoir, que ce soit en ce
monde ou dans l’autre. Le désespoir, par définition, atteint l’être tout entier
puisqu’il prive l’homme ou l’âme du sentiment d’avoir un sens à sa vie. Et c’est
lui seul qui, en fin de compte, crée en l’homme « un cœur tremblant, des yeux éteints, un souffle court.[1019] », c'est-à-dire cette kénose si
nécessaire pour voir Dieu.
Objections :
1. La peine est un mal. Dieu qui est la
bonté même ne saurait vouloir un mal pour sa créature. Donc la peine du
purgatoire n’est pas voulue par Dieu.
2. La peine du purgatoire a deux finalités
: purifier l’âme des restes du péché et satisfaire par une pénitence pour les
péchés passés. On voit mal pourquoi Dieu exige une telle satisfaction qui
relève plus d’une stricte justice vindicative que de sa bonté.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[1020] : «
les peines du purgatoire sont reçues par l’âme comme un témoignage de la
bonté de Dieu sur elle. » Or la
volonté des âmes du purgatoire est sainte et ne saurait qu’être conforme à la
volonté de Dieu. Donc les peines du purgatoire sont voulues par Dieu.
Conclusion :
La
volonté première de Dieu sur l’homme, celle qui l’a poussé à le créer, à
l’élever à la grâce, à le rétablir dans cette grâce après le péché en
s’incarnant, c’est la communication de sa bonté. Une telle communication se
réalise et s’achève par la vision de son essence. On peut donc dire que Dieu ne
veut pas, d’une manière absolue, tout mal qui s’oppose directement à son
projet, à savoir le péché contre l’Esprit Saint par lequel l’homme ou l’ange
méprisent l’amour de Dieu pour l’éternité. Si donc certains hommes se damnent à
cause de leur orgueil, Dieu ne peut vouloir directement et par soi leur
damnation. Il la permet à cause de son respect de la liberté de la créature
spirituelle qui constitue, même chez les damnés, une manifestation de sa
gloire. On peut même dire, que relativement à cette gloire, Dieu veut que le
méchant soit damné.
Quant
au mal de la peine qui, chez les élus, constitue un moyen de purification,
d’illumination et de sanctification, il peut être voulu par Dieu comme un moyen
au service du bien de l’âme elle-même, en tant qu’il la prépare à la
communication de la vie éternelle. Relativement à cette finalité, le mal de
peine constitue même un bien puisqu’il en est le moyen préparatoire à la
gloire. C’est pourquoi le prophète Osée peut écrire au nom de Dieu[1021] : «
Je la rendrai pareille au désert, je la réduirai en terre aride, Je la
ferai mourir de soif…pour qu’elle écarte de sa face ses prostitutions…puis je
la fiancerai à moi pour toujours. »
Solutions :
1. Dieu veut la peine du purgatoire, non en
elle-même, mais relativement au bien de l’âme. De même, une mère veut parfois
une peine pour son enfant, non à cause de la peine elle-même, mais à cause du
bien que constitue l’éducation de l’enfant.
2. Tout péché produit dans l’ordre de la
création un désordre dont les conséquences dérèglent les rapports de l’âme avec
le corps, les rapports des hommes entre eux et de l’homme avec Dieu. Il doit
être réparé par quelque chose qui rétablisse de quelque manière l’ordre. Il
convient que l’excès d’amour de soi soit compensé par l’excès d’amour pour
Dieu. C’est ce que peut réaliser la peine satisfactoire du purgatoire offerte
par charité. Mais une telle peine peut être accomplie par d’autres que l’âme, à
cause de la charité qui unit les fidèles entre eux. Nous le verrons dans la
question consacrée aux suffrages pour les défunts.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire sont séparées de
Dieu. Or nul ne peut l’être sans s’être d’abord détourné de lui selon cette
parole d’Isaïe[1022] : «
Malheur! Ils ont abandonné le Seigneur, ils se sont détournés de lui. » Or celui qui se détourne de Dieu ne
peut être saint.
2. À cause du péché véniel qui demeure en
elles, les âmes du purgatoire ne sont pas entièrement soumises à Dieu. Elles ne
peuvent donc être qualifiées de saintes puisqu’elles restent en quelque manière
attachées à elles-mêmes. Celui qui est saint, au contraire est totalement
séparé de lui-même pour Dieu et ses frères.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[1023] : «
la disposition des âmes du purgatoire leur vient de la grâce dont elles
sont pleines. » Donc elles sont
saintes.
Conclusion :
Comme
nous l’avons vu plus haut, les âmes de ces trois degrés du purgatoire sont
provisoirement séparées de Dieu à cause d’un reste du péché qui doit être
purifié et à cause d’une peine qui reste à accomplir. Mais, soit avant la mort
soit au moment de la mort, elles se sont repenties par une contrition parfaite
de leurs péchés mortels. Elles ont reçu de Dieu la grâce du pardon et de la
sanctification. À cause de leur état de séparation d’avec le corps, les âmes du
purgatoire voient s’épanouir en elles en plénitude les dons de la vie
surnaturelle, dans la mesure tout de même où cela est conciliable avec le fait qu’elles
sont séparées de Dieu. Ainsi, les effets de ces dons en tant qu’ils sont source
de plaisir n’existent pas, mais seulement en tant qu’ils sont source de désir
brûlant.
1° Elles ont la foi et une foi parfaite
quant à ses deux objets puisque l’exercice de cette vertu a été purifié et
illuminé par la révélation du Verbe fait chair au moment de la mort. Elles ont
connaissance de Dieu par la foi, sans erreur possible sur ce qu’il est et ce
qu’il propose ; elles croient en tant que c’est Dieu qui s’est révélé et non à
cause d’une parole humaine.
2° Elles espèrent avec certitude être
sauvées, sans aucune inquiétude à cause de la promesse du Seigneur faite lors
du jugement dernier et de leur absolue confiance en la fidélité au Seigneur.
3° Elles aiment Dieu plus que leur propre
bien-être et pour lui-même par la vertu de la charité et elles aiment le
prochain à cause de Dieu. L’exercice de cette charité est propre à leur état
d’âme séparée de la chair puisqu’elles peuvent perpétuellement maintenir en
acte leur attention fixée en Dieu, par une prière continuelle qui ne peut
exister sur terre à cause des multiples occupations auxquelles nous sommes
tenus et à cause des exigences du corps. D’autre part, la ferveur de cette
prière est incomparable à celle de la terre, non parce que la charité est plus
grande mais parce qu’aucun obstacle ne peut en appesantir l’exercice.
4° Les dons du Saint-Esprit qui disposent
l’âme à être mue directement et avec facilité par les influx divins sont
présents.
Cependant,
à cause des restes du péché, l’âme oppose une certaine résistance à leur
parfait exercice. Elle a tendance à ne pas suivre immuablement l’instinct divin
mais à se fier davantage à sa propre raison. Et c’est par rapport à cet
exercice parfait de la charité réalisé par les sept dons du Saint Esprit qu’il
est nécessaire que soit réalisée une purification. Mais une telle imperfection
ne s’oppose pas à la sainteté de l’âme puisqu’on la voit chez les saints. Elle
s’oppose à la sainteté parfaite qui est nécessaire[1024] pour être introduit dans la gloire où
Dieu prend entièrement possession de l’âme.
Solutions :
1. Les âmes du purgatoire ne sont pas
entièrement séparées de Dieu puisqu’elles lui sont unies par la charité et les
dons du Saint Esprit. Elles sont seulement séparées provisoirement de la vision
de son essence et de la possession de sa présence. De même qu’on ne peut pas
dire qu’un ami est séparé de celui qu’il aime parce qu’ils sont provisoirement
situés dans deux lieux différents, de même on ne peut pas dire que les âmes du
purgatoire sont totalement séparées de Dieu. L’objection ne s’applique pas à
ces âmes mais seulement aux damnés.
2. Un objet est qualifié de saint lorsqu’il
est député par une consécration au service exclusif de Dieu. Cependant, il n’a
pas besoin pour rester saint d’être actuellement et à chaque instant en acte de
service de Dieu. De même un homme sur la terre est qualifié de saint parce que
son intention est habituellement fixée sur Dieu, au point qu’il ne fera jamais
rien d’explicitement contraire à cette intention. Mais il n’a pas besoin d’être
à chaque instant dans la pensée de Dieu. Il lui suffit de l’être
habituellement. La sainteté des âmes du purgatoire est plus parfaite que celle
des hommes sur la terre puisqu’elles ne peuvent plus pécher et peuvent à chaque
instant demeurer dans la pensée de Dieu. Le fait qu’il leur demeure quelque
purification à apporter du côté de leur âme s’oppose seulement à la sainteté
absolue de la gloire et non à la sainteté en soi.
Objections :
1. Comme on vient de le montrer, les âmes
du purgatoire résistent à l’impulsion des dons du Saint-Esprit, à cause des
restes du péché qui les inclinent davantage à faire confiance à leur propre
raison qu’aux impulsions divines. Elles ne sont donc pas soumises à la volonté
de Dieu.
2. Les âmes du purgatoire ne veulent pas de
la souffrance du feu puisqu’elles demandent à en être délivrées. Or Dieu veut
pour elles cette peine comme nous l’avons montré. Elles ne sont donc pas
soumises à la volonté de Dieu.
Cependant :
Nul
ne peut être saint si sa volonté n’est soumise à celle de Dieu.
Conclusion :
Être
soumis à la volonté de Dieu peut signifier deux choses :
1° vouloir ce que Dieu veut d’une manière
habituelle, c’est-à-dire être prêt par l’intention à ne rien vouloir ni ne rien
faire en dehors de ce que Dieu demande. Les âmes du purgatoire, sous ce rapport
sont soumises à la volonté de Dieu puisqu’elles ont la charité qui est le
résumé de tous les commandements de Dieu selon saint Matthieu[1025].
2° Réaliser cette volonté de Dieu jusqu’à
devenir pour Dieu un instrument docile de sa volonté, parfaitement apte à être
mu par ses impulsions. Une telle soumission n’appartient pas aux âmes du
purgatoire à cause des restes du péché qui les attache encore à elles-mêmes.
Mais cette seconde soumission est acquise à travers les purifications du feu.
Solutions :
1. Ce qui est essentiel à la soumission
d’un serviteur, c’est que sa volonté soit disposée à se modeler sur la volonté
de son maître. La rapidité avec laquelle il exécute l’ordre reçu n’est que la
perfection secondaire de la soumission.
2. Les âmes du purgatoire ne veulent pas
des souffrances en tant qu’elles sont des maux ; mais elles les veulent
relativement au bien qui se réalise par elles. En ce sens, elles sont
parfaitement en conformité avec la volonté de Dieu qui ne veut le mal de peine
qu’à cause d’un bien qui lui est attaché. Et leur volonté est à ce point
conforme à celle de Dieu qu’elles désirent elles-mêmes se plonger dans la
solitude du purgatoire en même temps que Dieu le fait lui-même.
Objections :
1. Les âmes du purgatoire ont une volonté
droite. Or, la rectitude de la volonté consiste dans sa conformité à la volonté
divine. Dès lors, puisque Dieu veut qu’elles soient punies, elles le veulent
donc pareillement.
2. Tout homme sage veut le moyen nécessaire
de parvenir à la fin qu’il veut. Or, les âmes du purgatoire savent que leurs
souffrances sont le chemin de la gloire ; Elles veulent donc souffrir.
Cependant :
On
ne demande pas à être délivré d’une peine que l’on subit volontairement. Or,
les âmes du purgatoire demandent leur délivrance, comme saint Grégoire en cite
de nombreux exemples. Leurs souffrances ne sont donc pas volontaires.
Conclusion :
Une
chose peut être dite volontaire de deux manières. 1° D’une volonté absolue ; ainsi, aucune peine n’est volontaire,
puisqu’il est de sa raison même qu’elle soit contraire à la volonté. 2° D’une volonté conditionnelle, ainsi
une brûlure est volontaire en vue d’une plaie à guérir. Ici deux cas se
présentent. Dans le premier, la peine fait acquérir un bien, et, à cause de
cela, la volonté la recherche, comme dans la satisfaction ; ou encore,
l’accepte volontiers et ne voudrait pas en être privée, comme dans le martyre.
Dans le second, la peine ne mérite pas un bien, mais elle est le moyen d’y
parvenir : ainsi en est-il de la mort. Cette peine, la volonté ne la recherche
pas, elle voudrait en être délivrée, mais elle la supporte, et, pour autant,
cette souffrance est dite volontaire. C’est en ce sens que les souffrances du
purgatoire sont volontaires.
Certains
auteurs prétendent qu’elles ne le sont en aucune façon ; car, disent-ils, les
âmes du purgatoire sont tellement absorbées par elles qu’elles ignorent qu’il
s’agit d’une purification et se croient damnées. Cette opinion est erronée ;
car si ces âmes ne savaient pas qu’elles dussent être délivrées, elles ne
solliciteraient pas nos suffrages, comme il leur arrive souvent de le faire.
Solutions :
1. Elles viennent d’être données.
Objection l :
Les
âmes du purgatoire peuvent au moins commettre des péchés véniels puisqu’elles
doivent s’en purifier.
2. Au purgatoire, les âmes ne sont pas en
présence de l’essence divine. Elles ne sont donc pas comme les âmes du paradis
qui ne peuvent se détourner de Dieu à cause du fait qu’il est l’essence même de
la bonté. Au contraire, les âmes du purgatoire sont dans l’obscurité d’une
prison et elles sont soumises aux pires tourments. Elles peuvent, à cause de
ces tourments qui s’opposent à leur volonté, se détourner de Dieu qui en est la
cause. Elles peuvent donc pécher.
3. C’est une condition de la liberté de
pouvoir se détourner d’un bien pour en poursuivre un autre. Or les âmes du
purgatoire gardent leur libre arbitre. Elles peuvent donc se séparer de Dieu.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit[1027] : «
les âmes du purgatoire ne peuvent plus pécher. » De même Léon X condamne formellement la proposition suivante[1028] : «
les âmes du purgatoire ne cessent de pécher aussi longtemps qu’elles
cherchent le repos et ont horreur de peine.
»
Conclusion :
Que
les âmes du purgatoire ne puissent plus pécher, c’est à cause de l’état de leur
nature qui est séparée de la fragilité des conséquences du péché originel et de
la perfection du choix de l’heure de leur mort, comme nous l’avons vu. Que
l’homme puisse tant qu’il est sur la terre se convertir sans cesse vers des
biens opposés, cela tient à la condition de son intelligence qui, étant liée à
une sensibilité blessée, ne saisit qu’avec peine et par étape la bonté des
réalités ; cela tient aussi à la condition de la volonté qui peut se porter
vers un bien relatif en se laissant entraîner par les désirs du corps et cela
malgré l’intelligence qui peut savoir qu’il y a là un péché. On le voit chez
les alcooliques qui boivent bien qu’ils sachent que l’alcool est un mal pour
eux. Mais une fois libérée de ces peines dues au péché originel, une fois
restaurée dans la plénitude de ses moyens, toute ignorance de l’intelligence et
toute faiblesse de la sensibilité disparaît. Aussi, celui qui se porte une fois
vers la fin éternelle ne peut s’en détourner car c’est en pleine possession de
lui qu’il a choisi ce bien pour sa fin ultime.
Solutions :
1. Les âmes du purgatoire ne commettent
aucun péché véniel volontaire puisqu’elles haïssent ces péchés qui sont pour
elles la cause de leur séparation provisoire du Dieu qu’elles aiment. Mais
elles commettent des péchés véniels involontaires à cause des restes du péché
passé qui maintiennent leur volonté vicieusement et involontairement attachée à
elle-même. Ainsi, elles aiment mal. Elles n’aiment pas de manière humble
(kénose) et n’arrivent pas à dire : «
Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole
et je serai guéri. » Le temps seul peut,
dans l’attente laminante de la venue de Jésus, les délivrer de ce défaut.
2. Les tourments du purgatoire sont
eux-mêmes voulus et choisis par l’âme en tant qu’elle sait qu’ils la conduiront
à l’union à Dieu. Ils ne peuvent donc en aucune manière la détourner de Dieu.
3. La liberté est une propriété de l’esprit
quand il se porte vers un bien en pleine connaissance et sans que sa volonté y
soit poussée de l’extérieur. C’est de cette façon là que l’âme du purgatoire
reste immuablement fixée en Dieu, de même que l’âme du damné reste fixée en
elle-même. Que nos intentions de la terre puissent se porter successivement sur
diverses fins contradictoires, cela tient aux limites de la liberté
conditionnée par l’erreur, le poids du corps, du monde et l’influence du démon.
Objections :
1. Cela semble possible : le mérite se
prend de l’augmentation de la charité. Or l’âme, après la mort, peut aimer
davantage Dieu puisqu’elle progresse jusqu’à la disparition des péchés véniels.
Donc la charité peut augmenter au purgatoire.
2. Les âmes de ces purgatoires souffrent et
offrent à Dieu leur souffrance. Un tel acte est difficile et mérite donc une
récompense supplémentaire comme une augmentation de la charité.
3. Les âmes de ces purgatoires passent leur
temps à lutter contre les restes du péché qu’elles discernent en elles. Tout
combat mené par amour pour Dieu mérite de sa part une récompense, c’est-à-dire
une augmentation de la charité. Donc les âmes de ces purgatoires peuvent
mériter.
Cependant :
Jésus
dit dans la parabole des talents[1029] : «
Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses
comptes avec eux. » Or, avant
l’arrivée du maître, les serviteurs faisaient fructifier leurs talents. Il en
est de même pour le mérite. Après la venue du Seigneur, il n’est plus temps de
les augmenter mais seulement d’en recevoir la récompense.
Conclusion :
Comme
on l’a vu dans la deuxième partie, le mérite est proportionnel à la charité
puisque Dieu veut qu’une âme reçoive la proportion de gloire qui dépend de
l’amour qu’elle a pour lui. Ainsi, plus la charité augmente dans une âme, plus
elle reçoit de Dieu une claire vison de son essence.
Tant
qu’il est sur la terre, un homme peut progresser dans la charité comme on le
voit chez les païens de bonne volonté dont l’intention est de plus en plus
désireuse d’aimer (il s’agit d’une disposition à entrer dans la charité quand
elle leur sera proposée) ou chez les chrétiens qui aiment de plus en plus Dieu
et le prochain. Cette augmentation se réalise en eux essentiellement par le
fait que la vertu de charité prend de plus en plus possession de son sujet qui
est la volonté et non parce que cette vertu elle-même s’augmente par addition.
Une telle augmentation est d’abord réalisée par Dieu lui-même qui est l’auteur
de l’infusion dans l’âme de cette vertu surnaturelle. Du côté de l’homme sur la
terre, il peut y avoir disposition à l’accroissement de la charité en tant que,
par un acte de charité, l’homme se rend plus prompt à agir de nouveau sous
l’inspiration de cette vertu ; puis la facilité de renouveler cet acte venant à
s’accentuer, l’homme voit la vertu théologale prendre davantage possession de
ces actes et lui permettre de s’élancer vers un acte d’amour plus fervent. Cet
acte plus fervent mérite à la mort un don de gloire plus grand puisque chacun
méritera d’être comblé en proportion de sa charité.
Après
la mort, l’homme n’est plus en état de progresser dans la charité et cela pour
deux raisons :
1° Principalement à cause de son état
nouveau. Le temps de la faiblesse de la chair et de l’ignorance de
l’intelligence se termine. L’apparition glorieuse du Messie fait que l’âme se
porte vers sa fin tout entière et d’un seul coup, de toute la capacité dont
elle est capable. Elle aime donc Dieu avec toute la potentialité de la vertu de
charité préparée à titre de disposition durant sa vie terrestre et souvent
reçue à ce moment. Elle se porte vers Dieu de toutes ses forces car il n’y a de
mesure à cet acte que la dimension de sa capacité à désirer.
2° À cause de la volonté de Dieu qui a
fixé que l’homme entrerait en possession de sa fin au terme de la vie
terrestre. C’est pourquoi il appartient à la charité de la terre, celle qui est
en état de voie vers l’obtention de la béatitude finale de mériter ; quant à la
charité du terme de la vie, il lui appartient d’entrer en possession de cette
fin aussi elle ne mérite plus mais reçoit sa récompense.
Solutions :
1. Le purgatoire ne permet pas à l’âme
d’augmenter sa charité en ce sens qu’elle aimerait davantage Dieu au terme de
la purification qu’au début. En effet, dès l’entrée dans la mort, l’âme aime
Dieu selon la mesure parfaite de la charité atteinte durant sa vie terrestre
(parousie incluse). La purification détruit certains obstacles qui rendent peu
aisé l’exercice de cette charité. Ces obstacles sont les restes du péché déjà
pardonné dont nous avons parlé plus haut.
2. Le fait que les âmes du purgatoire
offrent leurs souffrances à Dieu ne prouve pas qu’elles puissent augmenter la
charité en elles mais seulement qu’elles aiment Dieu plus que leur propre
bonheur. Sur la terre et dans le passage de la mort, une telle offrande leur
vaudrait de la part de Dieu une augmentation de la charité car les âmes sont en
état de voie. À cause de la nuit où vit l’intelligence, du silence de Dieu, il
est possible à l’homme d’aimer plus que de raison, d’aimer jusqu’à donner sa
vie et au delà de la compréhension. Ce n’est pas le cas des âmes du purgatoire qui
ont vu la lumière et aiment de toute la mesure de ce qu’elles en ont compris et
désiré. Leur charité est ordonnée à recevoir immédiatement la gloire finale.
3. Il existe sur la terre deux manières de
travailler à la purification de son âme :
1° une manière active lorsque l’on prend
soi-même l’initiative de l’ascèse à travers des actes et des exercices
volontaires. Ainsi, l’homme qui s’astreint à la prière, à la pénitence et à
l’attention active à son prochain à cause de l’amour qu’il a pour Dieu se dispose
activement à la croissance de la charité.
2° une manière passive : l’Esprit Saint
prend lui-même l’initiative de nous purifier à travers les multiples épreuves
de notre vie. C’est uniquement de cette manière que l’âme du purgatoire est
purifiée. En effet, nous avons montré que pour ce qui est de son activité
propre, rien ne peut plus progresser en elle : elle aime Dieu de toute la force
de sa charité, à chaque instant et dès le premier moment de son entrée au
purgatoire. L’âme ne peut donc rien de plus que ce qu’elle a déjà pour hâter sa
purification. Celle-ci se réalise sans qu’elle n’y puisse rien, par l’action de
cette charité qui, dans la durée, s’insinue petit à petit et transforme
l’intelligence et la volonté. Il s’agit d’une purification passive.
Objections :
1. Nous avons montré que les âmes du
purgatoire sont dans une affliction extrême. Elles ne peuvent donc être en même
temps dans la joie, car la joie et la douleur sont opposées l’une à l’autre.
2. La souffrance des âmes du purgatoire
dépasse ce qui existe sur terre. Or il peut exister sur terre des souffrances
sans aucun mélange de joie et de paix comme on le voit chez les désespérés.
Donc l’âme du purgatoire ne peut être dans la joie et la paix.
3. Aristote dit que la tristesse violente
empêche non seulement la délectation qui lui est directement opposée, mais
encore n’importe quelle délectation ; et réciproquement la joie par rapport à
la tristesse. Or la douleur des âmes du purgatoire est la plus aiguë de toutes.
Elles ne peuvent donc être en même temps dans la joie.
Cependant :
Sainte
Catherine de Gênes écrit : « les âmes
du purgatoire ont un plaisir et une satisfaction qui se mêle parmi leur
souffrance. »
Conclusion :
C’est
par une même cause que les âmes du purgatoire sont dans la souffrance et la
joie. La cause en est la charité parfaite qui se trouve en elles : En tant que
leur volonté est conforme à celle de Dieu, elles sont dans la joie ; en tant
qu’il reste en elles un reste du péché, elles souffrent.
Le
lien de la charité qui les unit à Dieu est source en elles de paix car leurs
affections sont unies dans la recherche d’un seul bien. Elle est aussi source
de joie puisqu’elles sont déjà unies à lui dans l’espérance. Ainsi, se trouvant
exemptes de tout péché et unies à Dieu par la conformité de leur volonté à la
sienne, elles le contemplent de loin, selon le degré de connaissance qui leur
est donné et elles comprennent de quelle importance est la pleine et parfaite
jouissance qui leur a été promise et qui leur sera donnée au jour de leur
entrée dans la gloire. Cette certitude de voir un jour l’essence divine les
plonge dans une stabilité totale et supprime toute inquiétude par rapport à
leur salut.
C’est
aussi le lien de la charité qui est source en elles de souffrance mais pour un
autre motif, c’est-à-dire en tant que leur union définitive à Dieu n’est pas
encore réalisée.
Solutions :
1. La joie et la paix ne sont pas directement
contraires chez les âmes du purgatoire à la souffrance car l’une et l’autre
n’ont pas le même motif, même si elles procèdent du même amour de charité. Rien
n’empêche en effet que les contraires existent dans un même être quand ils ne
portent pas sur un même objet. Ainsi la joie et la paix existent en tant que
l’âme est déjà selon l’intention unie à Dieu par la charité, et la douleur en
tant qu’elle en est de fait séparée pour un temps et e souffre par la charité.
2. La souffrance des désespérés telle qu’on
la voit sur terre est plus forte que celle des âmes du purgatoire, car il y a
plus de souffrance dans le fait de ne plus avoir de finalité que dans celui
d’en avoir une et d’en être séparé pour un temps. La souffrance de ces
désespérés n’est pourtant pas comparable à celle des âmes de l’enfer dont la
désespérance est volontaire, tandis que leur désespoir vient d’une ignorance
non volontaire des volontés de Dieu sur elles qui, par son silence, prépare
efficacement leur âme en vue du salut à venir.
3. Aristote regarde la tristesse en tant
qu’elle est une passion de la sensibilité. Une passion trop forte peut
supprimer tout autre acte de l’âme car elle attire à elle toutes les énergies
vitales. Au purgatoire, les passions n’existent pas de manière incontrôlée
comme sur terre puisque l’âme a été délivrée du foyer du péché. La douleur du
purgatoire est donc un acte de la volonté qui est séparée de son bien. Rien
n’empêche qu’elle s’accompagne de la joie et de la paix à condition que ce soit
sous un autre rapport saisi par l’intelligence.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible. Nous avons
montré que les âmes de l’au-delà, avant leur entrée dans le Ciel, sont
incapables par nature de voir ce que nous faisons sur la terre[1030]. Elles ne peuvent donc connaître nos
désirs et nos soucis. En conséquence, elles ne peuvent prier pour nous.
2. Selon l’opinion commune, la souffrance
des âmes du purgatoire est la plus intense qu’on puisse imaginer à cause de
leur intense désir de voir Dieu que frustre leur isolement absolu. Or
l’expérience montre que celui qui souffre trop est incapable de s’occuper
d’autre chose que sa souffrance. Donc les âmes du purgatoire sont dans l’incapacité
de prier pour nous
Cependant :
Les
âmes du purgatoire sont emplies de charité. Or l’un des exercices essentiel de
la charité fraternelle consiste à prier pour ceux qui en ont besoin. Donc les
âmes du purgatoire peuvent prier pour nous. Nous en avons un exemple dans
l’histoire de l’homme riche rapportée par Jésus[1031] : dans le lieu de torture où il
séjourne, il supplie Abraham pour ses frères.
Conclusion :
Saint
Alphonse de Ligori résout ainsi cette question[1032] : «
On discute s’il est expédient de se recommander aux âmes du purgatoire.
D’aucuns soutiennent que les âmes en expiation ne peuvent prier pour nous. Ils
y sont amenés par l’autorité de saint Thomas d’Aquin qui enseigne que ces âmes,
étant là pour se purifier au sein des peines nous sont inférieures et,
pourtant, ne sont pas en situation de prier, mais plutôt de bénéficier de nos
prières. Mais de nombreux autres docteurs, comme saint Bellarmin, Silvius, le
cardinal Gotti, Lessius, Medina affirment avec beaucoup plus de probabilité :
on doit le croire pieusement, Dieu leur manifeste nos prières afin que ces
saintes âmes intercèdent pour nous et qu’ainsi entre elles et nous soit
conservé ce bel échange de charité ; Elles prient pour nous et nous prions pour
elles. »
Solutions :
1. Il est vrai qu’ordinairement, les âmes
du purgatoire ignorent nos prières. C’est pourquoi l’Église n’a pas coutume de
les invoquer et d’implorer leur intercession. Mais on croit pieusement, comme
nous avons dit, que Dieu leur manifeste souvent nos prières et que cela hâte
leur purification. Et alors elles, toutes remplies de charité, ne négligent
certainement pas de prier pour nous. Sainte Catherine de Bologne désirait-elle
quelque grâce, elle recourait aux âmes du purgatoire et, vite, se voyait
exaucée. Et même elle attestait que beaucoup de grâces obtenues par
l’intercession des saints, elles les avaient ensuite reçues par l’intermédiaire
des âmes du purgatoire.
2. Aux dires de Sylvius et de Gotti,
l’allégation de saint Thomas d’Aquin d’après laquelle les âmes en expiation ne
sont pas en état de prier, ne fait pas obstacle au fait qu’elles prient
réellement pour nous. Car autre chose est de ne pas se trouver en état de prier
et autre chose de ne pas pouvoir prier. C’est vrai, ces âmes saintes ne sont
pas en état de prier parce que, comme le dit saint Thomas, se trouvant là pour
souffrir, elles nous sont inférieures, ayant plutôt besoin de nos prières.
Néanmoins, en une telle situation, elles peuvent bien prier, étant des âmes
amies de Dieu. Si un père, malgré son tendre amour pour son fils, le tenait en
prison, en punition d’être tombé en quelque faute, le fils alors, ne serait
certes pas en situation de prier. Mais pourquoi serait-il incapable de prier
pour les autres, avec l’espoir d’obtenir ce qu’il demande, sachant l’affection
que lui porte son père ? Les âmes du purgatoire étant ainsi très aimées de Dieu
et confirmées en grâce, il n’existe aucun empêchement leur interdisant de prier
pour nous[1033].
A
propos des effets du purgatoire, quatre questions sont posées
1° Le péché véniel comme péché véniel
est-il expié par souffrances du purgatoire ?
2° Est-ce
principalement l’humilité qui est purifiée au purgatoire jusqu’à devenir une
kénose ?
3° Les flammes du purgatoire
libèrent-elles de la peine due au péché ?
4° Les âmes du purgatoire sont-elles
délivrées plus vite les unes que les autres ?
5° Les demeures du « Château intérieur »
de sainte Thérèse d’Avila permettent-elles de comprendre ces trois purgatoires ?
Objections :
1. La Glose semble le nier : « Ce qui n’a pas été amendé en cette
vie, c’est en vain qu’on en demande le pardon après la mort. »
2. Tomber dans le péché et en être délivré
sont corrélatifs. Or, l’âme, après la mort, ne peut plus commettre de péché
véniel. Elle ne peut donc pas davantage en être absoute.
3. Saint Grégoire dit que l’âme sera, au
jugement, telle qu’elle est sortie du corps, car l’arbre demeure où il est
tombé. Si donc elle avait le péché véniel, au sortir de ce monde, elle l’aura
encore au jugement, et le purgatoire ne l’aura point expié.
4. Le péché actuel n’est effacé que par la
contrition. Mais, après cette vie, il n’y a plus de contrition, qui est un acte
méritoire, puisque alors on ne peut plus ni mériter ni démériter, selon le
principe posé par saint Damascène : « La
mort est pour les hommes ce que fut la chute pour les anges. »
5. La cause du péché véniel, c’est le foyer
de convoitise ; aussi, dans l’état primitif, Adam n’aurait pu pécher
véniellement. Mais la convoitise, dont le foyer, justement appelé "la loi
de la chair », est détruit par la
mort, n’existe plus dans l’âme séparée. Le péché véniel n’y peut donc plus
être, ni non plus être expié par le feu du purgatoire.
6. D’après le Père Marie-Eugène de
l’enfant-Jésus[1034], le purgatoire est source de deux
effets : 1° une purification morale
qui amène la personne à se refuser à toute infidélité volontaire, vénielle ou
mortelle 2° un retournement
psychologique qui adapte les facultés aux emprises de plus en plus aisées de la
charité. Or ces deux effets ne concordent pas avec ceux énoncés dans la
réponse.
Cependant :
L’autorité
de l’Église enseigne à travers le pape Innocent IV[1035] : «
Les orthodoxes grecs eux-mêmes croient et affirment en toute vérité et
certitude que les âmes de ceux qui meurent après avoir reçu la pénitence, mais
sans l’avoir accomplie ou qui meurent exempts de péchés mortels, mais avec des
péchés véniels et minimes, sont purifiées après la mort et peuvent être aidées
par les prières de l’Église. » Donc
les péchés véniels sont remis au purgatoire.
Conclusion :
Certains
auteurs ont prétendu que, dans l’autre monde aucun péché, comme péché, n’était
remis. Nous avons montré que cette opinion ne peut convenir selon la lettre des
Écritures[1036] : «
Tout péché et blasphème sera remis aux hommes (...) dans ce monde et dans
l’autre sauf le blasphème contre le Saint Esprit. » Elle ne convient pas non plus selon son esprit : il serait
aberrant d’affirmer que celui qui s’endort le soir en ayant omis de demander
pardon pour un péché serait damné sans rémission possible s’il venait à mourir
dans son sommeil. Dieu nous a manifesté suffisamment à la croix que son amour
n’est pas un piège.
Nous
avons montré d’autre part qu’il est impossible qu’après la mort, lorsque le
pécheur repentant et sauvé s’est tourné vers Dieu, il subsiste en lui un seul
péché véniel volontaire. Le péché mortel a, quant à lui, disparu complètement.
C’est la conséquence première de toute conversion à la charité. L’âme est en
effet toute tournée vers Dieu et rien, aussi bien dans ses intentions que dans
ses actes intérieurs n’est fait en dehors de Dieu. Cette vie spirituelle s’accomplit
d’une manière nouvelle car, avec la dissolution du corps, le foyer du péché
conséquence du péché originel, a disparu. Il ne reste donc plus dans l’âme que
des vestiges de son ancienne vie de péché, à savoir des orientations vicieuses
de la volonté qui, ayant cherché pendant trop longtemps son propre bien, a du
mal à se livrer entièrement et simplement à l’amour de Dieu et du prochain. Ces
habitus vicieux de la volonté n’affectent pas ses intentions mais seulement la
qualité de l’exercice de ses actes. Il s’agit d’un désordre involontaire dans
l’âme. Celle-ci voudrait bien aimer d’une façon totalement spontanée mais elle
n’y peut rien changer. Seul le temps du purgatoire pourra, lentement et dans le
Saint Esprit, réaliser cette œuvre divine. Il s’agit donc d’un péché véniel
passif et non volontaire. C’est lui qui, comme tel, est détruit par les
souffrances du purgatoire.
Dans
le purgatoire, une autre purification doit être réalisée avec celle de la
volonté : l’intelligence aussi, marqué par la vie le péché, peut avoir du mal à
comprendre d’une manière pratique les exigences d’une vie tout orientée dans le
sens de la charité. Nous avons montré que, dans le moment de la mort,
l’intelligence perçoit dans l’apparition glorieuse du Christ, tout ce qui lui est
nécessaire pour l’orientation définitive qu’elle aura à effectuer vers le Bien
ou vers le mal. Cette connaissance est spéculative au sens littéral du mot
(speculum) puisqu’elle est vue comme dans un miroir dans le Christ. Il se peut
cependant qu’elle n’ait pas converti entièrement l’intelligence pratique.
Celle-ci, peu familiarisée avec les exigences d’un amour absolu, peut avoir des
difficultés à en percevoir toutes les implications délicates. Seul
l’apprentissage réalisé dans le temps du purgatoire, peut arriver à la faire
progresser de demeures en demeures, jusqu’à la rendre totalement et aisément
obéissante à Dieu.[1037]
Solutions :
1. Cette glose est à prendre avec prudence.
Elle tend à montrer qu’en enfer les âmes demandent pardon à Dieu mais que celui-ci
se montre sourd à leurs appels. Nous avons montré qu’aucune âme ne demande
jamais pardon à Dieu en enfer. Si, par hypothèse impossible, cela se
produisait, Dieu comblerait aussitôt cette âme de la grâce de son amitié. Tout
le mystère de la croix signifie et révèle cette disposition de Dieu qui
pardonne tout péché dès qu’il est regretté.
2. Il faut distinguer le péché véniel actif
qui est volontaire (comme lorsque par exemple, voulant aimer Dieu et le prier,
on se complaît malgré tout dans des distractions à l’oraison) du péché véniel
passif qui n’est pas volontaire mais peut-être constitué par n’importe quelle
imperfection des actes moraux. Si le foyer du péché disparaît avec la mort, les
habitus vicieux de l’intelligence et de la volonté peuvent demeurer, même après
la conversion.
3. Après la mort et la manifestation du
Christ, l’âme demeure pour toujours semblable quant à l’orientation de son
intention comme nous l’avons suffisamment montré. La disparition des péchés
véniels ne change pas l’état de l’âme, car ils n’enlèvent ni ne diminuent la
charité qui est la mesure de sa valeur surnaturelle. Donc, qu’ils soient remis
ou non, l’âme demeure la même.
4. Après la mort, l’âme ne peut plus
mériter quant à la récompense essentielle. Mais tant que l’homme n’est pas au
terme, il peut mériter par rapport à quelque chose d’accidentel ; c’est ainsi
que, au purgatoire, il peut y avoir des actes qui méritent la rémission du
péché véniel.
5. Le péché véniel a son principe dans le
foyer de convoitise mais il a sa consommation dans l’esprit. Il peut donc y
demeurer, même après que le foyer a été détruit.
6. Il s’agit ici des effets de la
purification telle qu’elle est accomplie ici sur la terre dans les sommets de
la vie mystique (sixième demeure). En effet, arrivé à ce degré d’union à Dieu,
le chrétien n’éprouve plus d’attraits pour le péché. Sa volonté est tournée
tout entière vers l’unique recherche de l’amour de charité. C’est le premier
effet cité par le père Marie-Eugène de l’Enfant Jésus. Quant au retournement psychologique,
il correspond à une modification de l’action de Dieu qui, compte tenu des
purifications précédentes, peut s’exercer selon un mode nouveau : Dieu, dans
cet état, commence à infuser ses lumières à l’esprit directement sans passer
par les sens qui, habituellement nourrissent l’intelligence par l’apport des
images.
A
l’heure de la mort et lorsque l’âme se tourne vers le bien, ces deux
purifications sont réalisées instantanément : 1° La conversion radicale qui accompagne la vision de la gloire du
Christ et de ses saints ne permet plus de croissance de l’amour tant l’esprit
se trouve aspiré selon toutes les forces dont il est capable et d’un seul coup
vers les biens éternels. C’est pourquoi il ne peut plus exister de péché
volontaire ni véniel ni mortel dans les trois purgatoires mystiques. 2° Quant au retournement psychologique,
il accompagne avec nécessité la mort du corps puisque l’âme se trouvant séparée
de son corps ne peut plus exercer ses activités spirituelles avec l’aide des
images qui ont disparues. Nous avons montré que l’intelligence s’exerce alors
selon le mode des anges. La seule purification possible ne concerne donc pas la
croissance de l’amour mais seulement la simplification de son élan.
Objections
:
1. On
ne peut pas dire que, parmi le péché véniel purifié dans ces purgatoires est
principalement l’humilité, qui est conduite à un degré qu’on appelle une kénose.
En effet, le fait d’être humble n’implique pas de péché, même véniel. C’est au
contraire une disposition positive de l’âme au salut. Donc l’humilité n’a pas à
être perfectionnée.
2. On prétend que cette
kénose est nécessaire à l’homme parce que Dieu est, dans sa vie Trinitaire,
kénose. Mais comment attribuer à la Trinité éternelle, dans sa perfection
infinie, une propriété immanente impliquant une "petitesse », à savoir une kénose intra
trinitaire ? C’est contradictoire.
3. Si Adam et Eve
n’avaient pas péché, ils seraient entrés dans la Vision béatifique sans
connaître de souffrance, et donc sans vivre le désespoir du Christ à la
croix : «
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Or ils seraient tout de même entrés dans la vision béatifique.
Donc la mort à soi-même n’est pas nécessaire à la béatitude et elle ne
nécessite pas un purgatoire spécial.
4. On peut faire
une objection semblable pour les anges, qui n’ont jamais connu de kénose et ont
vu Dieu.
5. Beaucoup
d’hommes sur terre connaissent le désespoir, même sans être chrétiens. Eux
aussi vivent donc une kénose, sans pourtant vivre de la charité. Or, s’ils
n’entrent pas dans la vie de charité à l’heure de leur mort, ils seront damnés.
Donc cette notion de kénose n’a pas de rapport avec le salut.
Cependant
:
Le livre de l’Exode 33, 20
explique : « Tu ne peux pas voir
ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. » Dieu qui est Esprit évoque une mort spirituelle à soi-même, à
toutes ses richesses et attaches. Or nous avons montré[1038] que,
au début de ces trois purgatoires, l’âme désire devenir digne de Dieu par
amour pour Dieu. A la fin de ces purgatoires, l’âme découragée par la durée de
ses efforts et par son impuissance, reconnaît qu’elle ne sera jamais digne
de recevoir un tel Sauveur[1039]. Or
il s’agit là d’un progrès dans l’humilité. De plus, cette conscience est vécue
dans la douleur et l’attente jusqu’au désespoir, c’est-à-dire jusqu’à la mort à
soi-même. C’est
donc bien une kénose que produit le dernier purgatoire avant l’entrée dans la
gloire.
Conclusion
:
La kénose est une
notion de théologie chrétienne exprimée par un passage de l'épître de saint
Paul aux Philippiens[1040] : « Lui,
de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant
semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus
encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! »
La kénose désigne le
mouvement d'abaissement par lequel Jésus Christ « se vida » de ses
attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu'à vivre l'obéissance de la
mort sur la croix. Ce mot théologique n'a pas d'usage dans le langage commun
car on n'observe pas habituellement, dans le comportement humain, un supérieur
qui s'abaisserait devant un inférieur de cette manière[1041] : « Jésus
se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il
s'en ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les
pieds des disciples. »
Si Jésus fait un tel
geste et l’achève à la croix, c’est non seulement pour nous indiquer notre
comportement, mais c’est aussi pour révéler quelque chose d’essentiel du
mystère de la vie trinitaire puisqu’il dit[1042] : « Qui
m’a vu a vu le Père. » Il révèle une propriété de sa divinité qui,
dans ses relations intra trinitaires, vit une "kénose" mutuelle et
éternelle, qui est jaillissement de connaissance et d'amour. Le Père n’existe
que par le Fils, de même qu’il n’y a jamais de père s’il n’a un fils. Dans la
Trinité, le Père n'est que relation subsistante au Fils (et réciproquement). Il
est dans une relation de don et d’oubli total de soi dans l’autre.
C'est cette propriété
immanente de la vie trinitaire qui explique pourquoi, pour voir Dieu face à
face, outre l'amour de charité, toute créature spirituelle doit mourir à
soi-même (kénose). C’est une condition sine qua non au point que Jésus
répond à Pierre qui, dans un premier temps, refuse de se faire laver les pieds
par lui : « Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi. » C’est
aussi la nécessité d’une identification par la kénose au Mystère trinitaire qui
explique le caractère rédempteur de la souffrance dans presque toute vie
humaine dès ici-bas. Il explique aussi pourquoi, si l’homme ne connaît pas une
kénose en cette vie, il doit la vivre dans la mort ou après la mort.
Solutions
:
1. L’humilité
n’est certes pas un péché. Elle est au contraire une vertu humaine qui consiste
à se poser soi-même à l’exacte place où l’on se situe par rapport à l’autre.
Mais, lorsque l’autre est Dieu, l’homme s’il est dans la vérité, doit se
considérer comme étant en quelques sorte, du néant puisque tout ce qu’il est,
est reçu de Dieu et créé à partir de rien. L’homme comprend cela dans son
intelligence lorsque, à l’heure de sa mort, il voit le Cœur sacré du Christ
glorieux.
A cause du Mystère trinitaire et en
préparation à la Vision béatifique, encore faut-il qu’il le vive jusqu’aux
tréfonds de son âme, ce qui n’arrive que le jour où il se considère comme
n’étant rien, où il n’aspire à rien pour lui-même. Avant cela, l’humilité de
l’homme est entachée de péché véniel puisque, justement, c’est son imperfection
qui rend encore impossible l’entrée dans la vision de Dieu. Il convient de
remarquer que le bouddhisme, s’il recherche quelque chose qui ressemble à cet
anéantissement pour vivre, ne connaît pas encore la Personne éternelle où
conduit ce chemin dispositif. Cette sagesse est bonne mais ne fait que disposer
au salut qui, lorsque le Christ paraît à l’heure de la mort, donne sens à leurs
efforts, les sanctifie, et les perfectionne.
2. Dans
la vie trinitaire, la kénose n’implique aucun abaissement puisque, en étant
extase vers l’autre Personne divine, la Personne engendre une Personne qui lui
est égale en essence, dignité et grandeur. Pourtant ceci fait de chaque
Personne divine une « relation
subsistante », ne vivant que par,
pour et en l’Autre. Ceci constitue un acte subsistant de perte de soi qui donne
vie. Nulle créature spirituelle ne peut voir la Trinité sans, à son niveau de
créature, l’imiter. C’est pourquoi Jésus dit, parlant de cette mort qui est
vie, en Dieu comme en l’homme[1043] :
« En vérité, en vérité, je vous le
dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il
meurt, il porte beaucoup de fruit. »
3. Avec l’entrée de
la souffrance dans le monde, Adam et Eve et leurs enfants après eux purent être
conduit par Dieu à la possibilité d’un niveau de kénose incomparablement plus
grand, et donc à une vision béatifique intensément plus lumineuse. Cependant,
même sans la faute, Adam et Eve vivaient une certaine kénose, leur intelligence
étant plongée par Dieu dans l’épreuve de la foi, et dans une obéissance qu’ils
finirent par prendre, sous l’influence du démon révolté, comme infantilisante.
C’est cette épreuve que, dans leur révolte, ils refusèrent.
4. En adhérant au
projet de Dieu au commencement, les anges bons ont connus une véritable kénose
dans leur vie spirituelle puisque, alors qu’ils étaient naturellement créés
pour se hiérarchiser en fonction de leur degré intellectuel, ils durent entrer
dans une sagesse nouvelle où le plus petit est le plus grand. Ceci dit, il est
clair que la kénose de l’homme et de la femme peut aller bien plus loin,
jusqu’à l’impression d’anéantissement lorsqu’un homme donne sa vie. C’est
pourquoi, du point de vue surnaturel, l’homme et la femme sont le chef d’œuvre
de Dieu.
5. La kénose n’est
pas une expérience exclusivement chrétienne, même si le Christ seul en a
expliqué le sens, selon l’Apocalypse 5, 5 : « L'un
des Vieillards me dit alors: « Ne pleure
pas. Le lion de Judas ouvrira le livre aux sept sceaux. » Tout homme passant sur terre peut connaître une
perte brutale de ce qui constitue son trésor et où est placé son cœur[1044]. Ceci provoque
aussi chez les non chrétiens un état de désespoir psychologique et spirituel (à
ne pas confondre avec la désespérance, qui est un blasphème contre l’esprit),
dont l’effet est une vraie kénose, quoique non finalisée par l’espérance et non
vitalisée par la charité. C’est ce que révèle au Golgotha, la présence des trois
crucifiés symbolisant l’humanité entière, les pécheurs, les justes et les
saints. A l’heure de la Venue du Christ dans sa gloire, l’homme qui arrive dans
de telles dispositions possède en lui une préparation immédiate à recevoir son
salut, non seulement parce que la vue du Christ attire puissamment
spirituellement son esprit mort à lui-même, mais aussi parce qu’en voyant le
Christ ayant connue une kénose semblable à la croix, il voit en lui un ami
comprenant sa souffrance. Cette disposition, si elle est parfaite, une fois
vitalisée par la charité dispense de tout autre purgatoire. C’est pourquoi
Jésus dit à propos des prostituées et des publicains, qui symbolisent les
personnes ayant été humiliés par cette vie[1045] : « Les
prostituées et les publicains vous précèdent dans le Royaume des Cieux. »
Objections :
1. On purifie ce qui est souillé. Mais la
pénitence n’est pas synonyme de souillure. Elle ne saurait donc être effacée
par le purgatoire.
2. Le contraire n’est purifié que par son
contraire. Comment la peine du purgatoire pourrait-elle donc purifier de la
peine due au péché ?
3. À propos du feu dont parle saint Paul,
et qui consume le bois, le foin, le chaume, symboles des péchés véniels, la
Glose dit : « Ce feu est celui de
l’épreuve et de la tribulation, dont il est écrit : La fournaise éprouve
les vases du potier. » L’expiation
consiste donc dans les peines de la vie, surtout dans la mort, la plus grande
de toutes, et non dans le feu du purgatoire.
4. Le fait de subir la peine due à son
péché ne semble pas obligatoire, à cause de la miséricorde de Dieu qui peut la
remettre en regard des souffrances du Christ qui ont amplement satisfait pour
le péché du monde entier. Donc les flammes du purgatoire ne sont pas
nécessaires pour délivrer de la peine due au péché.
5. L’homme qui a connu une kénose en cette
vie ou dans l’autre a souffert tout ce qu’il est possible de souffrir. Il
semble donc inutile d’ajouter une dette de peine pour ses péchés passés.
Cependant :
Matthieu
5, 25 : « Hâte-toi de t'accorder avec
ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que
l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en
prison. En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu
jusqu'au dernier sou. »
Conclusion :
Avoir
fait le mal, s’être comporté égoïstement, avoir nui à Dieu et au prochain, tels
sont les motifs essentiels de la contrition qui règne en purgatoire concernant
la considération de la vie passée. Mais il existe une circonstance particulière
de la souffrance, pour celui qui s’est converti au vrai Dieu. Il s’agit de
l’orgueil. Il augmente la durée et la souffrance de cette purification.
Lorsqu’un grand pécheur qui s’imaginait parfait devant Dieu et les autres
durant sa vie terrestre, découvre le véritable état de son âme dans la lumière
de la parousie du Christ, il n’en reste pas moins structurellement porté à la
fierté. Malgré sa conversion à l’humilité et à l’amour, il a tendance tant
qu’il n’a pas atteint la kénose de son âme, à s’imposer avec rigueur un
purgatoire douloureux. Par amour et droiture de cœur, il s’applique à lui-même
la dureté qu’il appliquait aux autres selon cette parole de Jésus[1047] : «
Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés ; car, du jugement dont vous jugez
on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous.
Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre
qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! »
C’est
pourquoi, parmi tous les purgatoires, le plus rigoureux n’est pas celui des
luxurieux mais celui que s’imposent volontairement les hommes qui ont manqué de
miséricorde envers le prochain. Le paiement de la dette de peine pour le péché
se fait pour ces hommes jusqu’au dernier denier, non à cause d’une rigueur
divine, mais à cause de la rigueur que s’applique le pécheur lui-même. Il ne
comprend qu’avec difficulté que la miséricorde le concerne aussi. Il trouve
juste de s’appliquer à lui-même la dureté qu’il appliquait aux autres jusqu’au
jour où, usé d’attendre, il appelle sur lui-même les indulgences du Messie.
Solutions :
1. La dette du péché ne comporte pas de
souillure par elle-même, mais par le péché qui en est la cause.
2. La peine n’est pas contraire à la peine
comme telle, mais comme dette, car, on reste débiteur tant qu’on n’a pas subi
la peine dont on est redevable.
3. Les mêmes expressions scripturaires
peuvent renfermer plusieurs sens. Le "feu" dont il s’agit ici peut
désigner les souffrances de ce monde ou celles de l’autre monde, qui, les unes
et les autres, purifient du péché véniel, tandis que la mort, comme simple
phénomène naturel, si elle n’est pas offerte comme une pénitence, peut tout de
même par le tremblement qu’elle inspire, conduire à plus d’humilité et disposer
l’âme au salut.
4. La peine due au péché peut être remise
par Dieu après la mort en ce sens que le défunt n’est pas obligé de l’accomplir
lui-même. Mais il est nécessaire, pour que l’homme n’abuse pas de la
miséricorde de Dieu, qu’elle le soit par un autre qui lui est uni dans la
charité et qui peut par ses sacrifices rétablir l’ordre qui a été brisé. Cet
autre peut être le Christ lui-même à cause des mérites de sa croix ou les
vivants par l’offrande de prières, d’aumônes ou de sacrifices. Le fait que Dieu
ne néglige pas cette dette tient à sa droiture qui ne néglige rien de la
vérité.[1048]
5. L’homme
droit qui vit dans ce purgatoire tient, dans l’honneur et par amour, à régler
toutes ses dettes. Il en attend un état de vérité qui le rendra digne de se
présenter de nouveau devant le Christ et les saints. Cet amour est donc motivé
par un reste de fierté, ce qui constitue justement le péché véniel. Mais
l’homme au cœur brisé n’a plus ces idées là. Il connaît dans les larmes son
indignité à jamais. C’est pourquoi le passage par la kénose absout toute dette
et permet l’entrée immédiate au paradis.
Objections :
l. Plus grave est la faute et grande la
dette, plus la peine infligée en purgatoire est sévère. Et cette proportion
exige que pour une faute plus légère l’âme reçoive une peine moins sévère. Il
semble que, dans ce cas, l’âme subira moins intensément la douleur due au feu.
Et c’est cette différence d’intensité dans la souffrance qui explique la
diversité proportionnelle des peines du purgatoire. Donc les âmes du purgatoire
n’en sont pas délivrées plus tôt les unes que les autres.
2. Au Ciel et en enfer, tous les mérites et
tous les démérites ne sont pas égaux ; cependant la durée est la même. Il doit
donc en être ainsi au purgatoire.
3. Au purgatoire, il n’y aura plus de temps
puisque le corps aura disparu. Parler d’une durée de la purification paraît
donc illusoire. Alexandre VI a condamné la proposition selon laquelle le
purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans[1050]. Nous connaissons la relativité de la
durée temporelle. Nous ne pouvons pas répondre par nos catégories
spatio-temporelles qui sont purement humaines. L’acte de la mort échappe à
toutes nos mesures ainsi que l’acte de purgation.
Cependant :
Saint
Paul compare les péchés véniels « au bois, au foin et au chaume ». Or
il est évident que le premier met plus longtemps à se consumer. Donc il y a des
péchés véniels qui seront punis plus longtemps que d’autres en purgatoire.
Conclusion :
Pour
comprendre la durée du purgatoire, trois choses sont à considérer :
1° la nature du péché véniel qui reste à
purifier ; 2° l’intensité du feu qui
purifie. 3° La dette des péchés
passés de la vie terrestre.
1° Pour le premier point, il faut dire
ceci : certains péchés véniels sont plus adhérents, selon que l’âme s’y porte
avec plus de penchant et s’y attache avec plus de force. Or ce qui imprègne
plus profondément exige aussi plus d’efforts pour être enlevé. C’est pourquoi
certaines âmes du purgatoire exigent de passer par une plus profonde
purification, dans la mesure où le péché véniel a pénétré davantage dans leurs
affections.
2° Pour le deuxième point, il faut dire ce
qui suit : l’intensité du feu qui purifie se mesure à l’intensité de la charité
qui porte l’âme à souffrir de l’absence provisoire de Dieu. Il est donc évident
que l’âme qui aura reçu de Dieu en cette vie et à l’heure de la mort la charité
à un degré de participation plus excellent souffrira davantage de l’absence de
Dieu et sera donc plus rapidement purifiée par le feu de ses restes
d’attachement à elle-même.
3° Pour le troisième point, il faut dire
ce qui suit : L’homme qui fut miséricordieux sur la terre a tendance à demander
miséricorde pour ces dettes et à l’obtenir des mérites de Jésus-Christ et des
saints. Au contraire, celui qui sur terre s’est montré dur avec les autres à
tendance à s’appliquer, dans le zèle nouveau de sa conversion, la même rigueur
qu’il appliquait aux autres. Sa purification est donc plus longue parce que sa
charité met plus de temps à devenir miséricordieuse.
De
tout cela on doit conclure qu’il est impossible de calculer la durée du
purgatoire. Trop de critères sont en jeu. "On voit que dans ce contexte,
tout le calcul fait sur une réduction de la durée n’a aucun sens. La conversion
est une réalité intérieure à la personne, et par conséquent, rien d’extérieur à
elle ne peut changer à sa situation".[1051]
La
seule chose certaine est qu’au terme, la charité de tout homme est devenue
toute humble (kénose), à l’image de celle du Christ.
Quelques
règles simples peuvent pourtant être établies. 1° Le purgatoire de ceux qui péchèrent par orgueil et dureté est
plus long que celui de tout autre péché. C’est pourquoi Jésus fut dur avec les
pharisiens et miséricordieux avec les prostituées. L’homme qui sur la terre fut
pécheur mais humble (kénose), c’est-à-dire confessant de ses péchés passe certes
par le purgatoire mais celui-ci est rapide, à l’image de celui du bon larron. 2° À degré égal de purification, les
âmes qui aimeront davantage Dieu souffriront d’un purgatoire plus court mais
plus douloureux que celles qui l’aiment moins. 3° De même, à degré égal de charité, les âmes qui seront davantage
attachées par les restes du péché souffriront plus longtemps que celles qui le
sont moins.
Solutions :
1. La grandeur de la peine correspond
proprement à la grandeur de la faute mais sa durée correspond à la profondeur
de la pénétration de celle-ci dans l’âme. De même qu’il est plus facile de
brûler du foin que du bois, de même il est plus facile de purifier un léger
attachement à soi. La durée de la peine correspond aussi à l’intensité du feu
appliqué à l’âme, car un feu plus brûlant détruit plus vite les impuretés qu’un
feu de faible chaleur.
2. Le péché mortel qui mérite l’enfer et la
charité qui mérite le Ciel sont, après la mort, enracinés dans l’âme à jamais.
C’est donc pour tous les damnés et tous les élus la même durée sans fin. Mais
il en va autrement du péché véniel qui est nettoyé en purgatoire d’une façon
temporaire.
3. Il n’y aura plus de temps au purgatoire
en ce sens qu’il ne sera plus mesuré par le mouvement régulier des corps
célestes. Mais il demeurera un temps intérieur, mesuré par de la durée des
opérations vitales. La durée intérieure existe déjà sur terre, comme on le voit
chez ceux qui s’ennuient et qui considèrent quelques minutes comme si c’était
des heures. De même, au purgatoire, le temps paraîtra plus long à ceux qui
désireront davantage Dieu puisque leur désir de le voir les tourmentera
davantage. Et comme dans l’au-delà, la durée intérieure est ce qui est
essentiel, on doit dire que le temps extérieur de leur peine leur sera indifférent
; pour un péché égal, que le purgatoire ait un temps terrestre qui dure
quelques minutes ou des années, il leur paraîtra avoir duré intérieurement très
longtemps, selon la mesure de ce qu’ils devaient souffrir. Un texte de
l’Évangile de saint Luc peut commenter la situation de la personne qui se
retrouve seule face à l’amour essentiel qui l’a passionnément recherchée[1052] : «
Comme il était encore loin de son père il l’aperçut et fut pris de pitié.
Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser ». (littéralement : pris aux entrailles).
Objections :
1. Les sept demeures de
sainte Thérèse d’Avila ne peuvent éclairer la théologie des purgatoires
mystiques qui suivent la Parousie du Christ. En effet, les trois premières
demeures, loin d’être mystiques, manifestent un exercice ascétique de la
charité.
2. Sainte Thérèse décrit les
Demeures pour manifester le cheminement intérieur des moniales contemplatives.
Cela semble sans rapport avec le purgatoire.
3. Cette description des
étapes de purification semble artificielle. Certaines âmes même fraîchement
converties à l’heure de leur mort, on déjà tant souffert sur terre qu’il leur
est inutile de connaître la nuit de l’esprit.
Cependant :
La découverte de la survie de notre vie sensible après la mort permet de
comprendre comment la grâce continue de s'exercer de manière humaine,
c'est-à-dire à travers l'outil de nos sens et selon des étapes de
progressivité.
Conclusion :
L'existence de la vie sensible dans les âmes des morts permet
d'expliquer comment, après la mort et dans les trois purgatoires mystiques qui
suivent l'apparition du Christ, l'âme va progresser d'une manière finalement
très proche de ce que décrit sainte Thérèse dans « Le château intérieur ».
Dans tout mouvement, y compris intérieur, on peut distinguer trois
étapes : 1° Un
commencement ; 2° une
progression ; et 3° une fin.
Ainsi en est-il pour l’état des âmes après la venue du Christ.
1° Au commencement,
l'apparition du Christ glorieux enflamme toutes les âmes sauvées et les fait
entrer directement dans les quatrièmes
demeures (amour sensible et passionné du Christ). Volontairement, ces âmes
veulent se séparer du Christ pour un temps car, pleines d’enthousiasme, elles
veulent devenir dignes de tout cet amour et cette humilité qui les a séduites.
Ce premier état de leur âme se caractérise par le plaisir de l’amour nouveau.
C’est le « purgatoire des fiers »,
celui où les âmes disent, pleines d’entrain : « Je serai un jour digne de
toi ».
2° Dans ce lieu du
purgatoire, séparées du Christ et des saints, seules, ces âmes vont vivre leur
progression avec plus ou moins de vitesse et selon les lois naturelles de leur
psychologie individuelle et l’intensité de leur amour. En effet, ce qui
caractérise cette deuxième étape, c’est la longueur d’un temps qui, par
lui-même, va produire patiemment ses effets, d’où le nom de ce « purgatoire du temps ».
Cependant, au-delà de ce qui est propre à chacun, on peut distinguer des phases
habituelles. Après un temps psychologique plus ou moins long dans la pure joie
de se savoir sauver, le sentiment de plaisir psychologique va peu à peu
s’atténuer. Les beautés elles-mêmes du lieu vont devenir habituelles jusqu’à en
éprouver de l’ennui. L’âme va entrer dans une forme de « nuit des sens[1053] » qui sera d’autant plus dure à vivre que l’intensité de la joie sensible
fut grande. Puis, comme pour toute douleur sensible, le temps finira par
atténuer les choses et l’âme relativisera les anciens plaisirs sensibles. Elle
entrera alors dans une quiétude que sainte Thérèse appelle les cinquièmes
demeures. Le temps se prolongeant loin du Christ, l’âme va commencer à éprouver
du doute. Le temps paraissant infini, et l’âme ne voyant en elle aucun progrès,
elle finira par ressentir du désespoir, selon cette parole de l’Ecriture[1054] : « J'ai ouvert à mon bien-aimé, mais tournant le dos,
il avait disparu ! Sa fuite m'a fait rendre l'âme. Je l'ai cherché, mais ne
l'ai point trouvé, je l'ai appelé, mais il n'a pas répondu ! ». Il s’agit d’une vraie « nuit
de l’esprit[1055] » que sainte Thérèse décrit
dans les sixièmes demeures.
3° Au terme de la
purification, usée par des souffrances inouïe, n’arrivant à rien, l’âme perd
toute illusion sur elle-même. Elle devient kénose et dit : « Je
ne serais jamais digne ». Elle
entre alors dans une paix profonde, n’espérant plus rien que de faire la
volonté de Dieu, quitte à rester à jamais dans ce lieu isolé. Ne pensant plus à
elle-même, elle tourne toute sa prière pour ses frères et sœurs encore en
chemin, selon cette parole de saint Paul[1056] : « Car je souhaiterais d'être moi-même anathème, séparé
du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair. » Ce dernier purgatoire, appelé « parvis du Ciel » correspond aux septièmes demeures de sainte Thérèse.
Etant morte à elle-même, tout obstacle ayant disparu, le Christ ne tarde pas à
lui apparaître, accompagné des saints et des anges, pour l’introduire dans la
Vision béatifique.
Solutions :
1. Les trois premières demeures ne sont pas
concernées ici puisque, lors de son apparition, la présence glorieuse du Christ
enflamme un amour passionnel de l’âme pour Dieu et la fait entrer directement
dans les quatrièmes demeures. Elles décrivent en effet une relation d’amour de raison entre Dieu et l’âme, comme on
le voit ici-bas chez ceux qui, chrétiens de naissance et portés par la foi et
la charité, s’efforcent d’aimer Dieu depuis leur jeunesse sans avoir reçu cette
grâce spéciale qui enflamme l’âme par sa Présence mystique. Dans cet état, les
âmes qui veulent progresser dans l’amour volontaire de Dieu, ne se contentent
pas d’une sorte de quotidien terne à son service (premières Demeures). Elles
s’efforcent de faire effort vers Dieu par toutes sortes d’exercices spirituels,
de le connaître, d'apprendre à l'apprécier (deuxièmes Demeures). Au terme de
cet effort, remplies de sécheresses mais aussi de consolations, ces âmes
peuvent arriver à une véritable unité paisible et quotidienne, comme on le voit
dans certains mariage de raison qui ont réussi (troisièmes Demeures).
2. La vie monastique contemplative possède
une dimension prophétique et eschatologique puisqu’elle manifeste ici-bas
l’entière consécration de l’âme à Dieu telle que les âmes la vivent dans ces
purgatoires. D’où l’intérêt d’observer le cheminement psychologique et
spirituel de ceux qui se consacrent à Dieu avec fidélité.
3. Nous accordons cette objection. D’où la
nécessité de ne pas prendre avec rigidité ce cheminement général qui dépend de
l’individu, de son passé, mais aussi de l’intensité de son amour.
Il
nous faut regarder la condition particulière des âmes de ceux qui meurent en
état de péché originel, c’est-à-dire essentiellement des enfants et de ceux qui
sont fous dès leur naissance, comme cela a été montré dans la seconde partie[1057]. À ce sujet, nous nous poserons quatre
questions :
1° Les personnes mortes en état de péché
originel mériteraient-elles en stricte justice d’aller dans les limbes éternels
?
2° Dieu donne-t-il aux innocents la
capacité de poser un acte libre ?
3° Dieu propose-t-il aux innocents sa
grâce et sa gloire ?
4° Certains enfants choisissent-ils
l’enfer ou sont-ils tous sauvés ?
5° L’avortement volontaire est-il source
de graves inconvénients pour l’enfant ?
Objections :
1. Dieu a confié aux parents la
responsabilité de leurs enfants. Il leur appartient de demander et d’obtenir
pour eux le pardon du péché originel et la grâce. S’ils ne le font pas et que
l’enfant meurt avant de la demander lui-même, il est séparé de Dieu pour
toujours.
2. Ce n’est pas à cause d’une faute
personnelle que les enfants morts sans baptême méritent la damnation éternelle
mais à cause de l’engagement pris pour eux par leurs premiers parents, Adam et
Eve. Cet engagement frappe en premier lieu leur nature humaine et demeure à
cause de leur état personnel puisque, étant trop jeunes, ils ont été incapables
d’expier ce péché en se tournant personnellement vers Dieu. Donc s’ils meurent
sans la grâce du baptême, il est juste que Dieu respecte le choix d’Adam et Eve
et reste séparé d’eux pour toujours.
3. D’après saint Thomas d’Aquin, la
séparation éternelle d’avec Dieu n’est pas pour les âmes des limbes source de
souffrance puisqu’elles ne peuvent désirer une telle béatitude dont elles ignorent
l’existence, n’ayant pas reçu sur terre la révélation de la foi. Elles
obtiennent une forme de contemplation du bien parfait, Dieu. Cette
contemplation n’est pas la vision béatifique ; elle se fait comme dans un
miroir des effets de sa providence sur elles.
4. Le Magistère de l’Eglise a plusieurs
fois défini la doctrine des limbes. Or ce qui est défini ainsi est marqué du
charisme de l’infaillibilité doctrinale.
* «
La peine du péché originel est la privation de la vision de Dieu, mais la peine
du péché actuel est le supplice de la géhenne éternelle. » Innocent III, lettre
« Maiores Ecclesiæ causas », Dz 780.
* «
Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché
originel, elles descendent immédiatement en Enfer, où elles reçoivent cependant
des peines inégales. » Concile Œcuménique de Lyon II, Profession de foi, Dz
858.
* «
Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché
originel descendent immédiatement en Enfer où elles reçoivent cependant des
peines différentes en des lieux différents. » Jean XXII, lettre « Nequaquam
sine dolore », Dz 926.
* «
Quant aux âmes de ceux qui disparaissent en état effectif de péché mortel ou
seulement originel, elles descendent aussitôt en Enfer, pour y être punies de
peines cependant inégales. » Concile Œcuménique de Florence, bulle « Lætentur
cæli », Dz 1306.
* «
La doctrine qui rejette comme étant une fable pélagienne ce lieu des Enfers -
que les théologiens appellent communément les Limbes des enfants - dans lequel
les âmes des enfants qui sont mort avec la seule faute originelle sont punies
de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux qui écartent la peine
du feu introduisaient par là ce lieu et cet état intermédiaire, sans faute et
sans peine, dont fabulaient les pélagiens, est fausse, téméraire, injurieuse
pour les écoles catholiques » Pie VI, constitution « Auctorem fidei », Dz 2626.
4. Des récits nombreux et documentés
attestent de la présence errante d’âmes d’enfants non baptisés sur le lieu de
leur mort. Ils sont donc dans les limbes, sans que personne au ciel ne soit
venu les baptiser.
Cependant :
Il y
a certes l’autorité de saint Augustin et, à sa suite, de saint Thomas d’Aquin.
Mais face à eux, il existe aujourd’hui un dogme de la foi qui montre que Dieu
propose son salut à tout homme :
« Si
quelqu’un dit que la grâce de la justification n’est accordée qu’aux
prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne
reçoivent pas cette grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance
divine, qu’il soit anathème. »[1058]
« Puisque
le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est
réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre
à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère
pascal. »[1059]
Or
si des enfants étaient damnés pour l’éternité sans faute de leur part, c’est
que le salut ne leur aurait pas été proposé, ce qui s’oppose à ce dogme. Donc
ces saints Docteurs ne peuvent être suivis sur ce thème.
Conclusion :
La
notion de « limbes éternels » est une doctrine de saint Augustin[1060]. Il l’a mise en place comme une
conséquence de deux données de foi et à travers un raisonnement théologique
qu’on peut établir en trois points :
1° Saint Augustin savait que l’entrée dans
la gloire n’est possible qu’à celui qui possède l’amour de charité, donc à
celui qui a reçu d’une manière ou d’une autre le baptême du pardon du péché
originel, de la foi et de la grâce. Car le péché originel ne permet pas aux enfants
d’avoir la charité. Pour le comprendre, il faut se souvenir de ce que nous
avons dit sur la nature du péché originel. Nos premiers parents, Adam et Ève,
ayant reçu leur rang de principe de l’humanité, furent rendus responsables par
Dieu de la nature humaine entière qu’ils devaient communiquer à leur
descendance. Par un seul péché d’orgueil, ils se révoltèrent contre Dieu,
engageant à leur suite l’humanité entière dont ils étaient responsables. C’est
pourquoi chaque enfant qui naît est, à cause de sa nature humaine qui le fait
fils d’Adam, séparé de l’amitié avec Dieu. Seul le baptême qui applique à
l’enfant la grâce du rachat opéré par le Christ peut rétablir dans cette
communion. Ainsi, si le baptême n’a été en aucune manière conféré, l’enfant
reste séparé de Dieu et mérite en stricte justice, selon la volonté perverse
d’Adam et Ève, d’en être séparé éternellement.
2° Cet amour de charité, source de mérite,
doit être reçu avant la mort. Benoît XII en fit un dogme solennel en 1336[1061]. Mais cette vérité était connue bien
avant. Pour les enfants, cette charité ne vient pas par une réponse active
mais, à travers le désir de leurs parents, par la venue du Saint Esprit qui les
lave du péché originel et vient habiter en eux.
3° Ainsi, selon saint Augustin, si un enfant
n’a en aucune manière reçu le baptême, au moins du désir de ses parents, il
meurt en état de péché originel donc de séparation d’avec Dieu. En stricte
justice, il est logiquement séparé de Dieu à jamais, dans un enfer. Ce n’est
pas à cause d’une faute personnelle qu’ils méritent la damnation éternelle mais
à cause de l’engagement pris pour eux par leurs premiers parents. Cet
engagement frappe en premier lieu leur nature humaine et demeure à cause de
leur état personnel puisque, étant trop jeunes, ils ont été incapables d’expier
ce péché en se tournant personnellement vers Dieu. Ainsi, la séparation
éternelle d’avec Dieu n’est pas pour eux source de souffrance puisqu’ils ne
peuvent désirer une telle béatitude dont ils ignorent l’existence, n’ayant pas reçu
sur terre la révélation de la foi. Ils vivent donc dans un bonheur naturel
qu’ils obtiennent par la contemplation philosophique du Bien parfait, Dieu.
Cette contemplation n’est pas face à face puisqu’ils ignorent la possibilité
d’un tel don ; elle se fait comme dans un miroir des effets de sa Providence
sur elles.
Mais
le raisonnement de saint Augustin est intenable et ce pour au moins trois
raisons décisives : 1- Si Dieu
appliquait une stricte justice, il est vrai que, selon le choix d’Adam et Ève,
tous les hommes morts en état de péché originel seraient damnés. Mais alors,
selon l’ordre de cette stricte justice, tout homme sans exception serait damné.
Il n’y aurait pas eu d’incarnation ni de rédemption. 2- L’opinion de saint Augustin néglige une vérité essentielle de la
foi, définie solennellement par l’Église (voir l’argument Cependant) et que
saint Paul enseigne explicitement[1062] : «
Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à
Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi
le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même s’est
livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués. » 3-
Il ne considère pas la nature humaine des enfants qui, étant créée pour voir
Dieu, ne saurait le contempler de loin sans souffrir du feu de leur désir de le
voir face à face. Des limbes éternelles sans souffrance sont donc impossibles.
L’Église,
confrontée aux thèses de Calvin qui disait que certains étaient prédestinés à
l’enfer, s’est prononcée solennellement pour réaffirmer la vérité inverse. Le
canon 17 du décret sur la justification, condamne la thèse des prédestinés au
mal. Puisque le salut est proposé à tout homme avant sa mort, c’est donc
que les enfants et les innocents aussi en reçoivent la révélation, d’une
manière inconnue de l’homme. Ainsi, il leur est possible à un moment ou à un
autre, par un moyen que Dieu connaît, de choisir Dieu. Il est donc impossible
qu’existent des limbes éternels pour les innocents.
Solutions :
1. Il aurait été possible à saint Augustin
de déduire le moyen utilisé par Dieu pour communiquer le baptême aux enfants
morts en état de péché originel. L’Église a en effet toujours considéré que le
baptême pouvait être obtenu par l’adoption d’une autre personne, en cas de
défaillance des vrais parents. C’est ainsi que l’Église du Ciel obtient
l’adoption de tous les enfants qui meurent en état de péché originel.
2. Les limbes furent une demeure provisoire
de toutes les âmes avant que Dieu, par le Christ, échange un nouveau « oui », avec l’humanité représentée par le « oui
» de la Vierge Immaculée présente à la croix. Ce « oui » est venu effacer
le « non » de nos premiers parents. Actuellement, la rédemption ayant été
opérée, les limbes ne subsistent pas, sauf pour l’âme qui s’y enferme
volontairement, comme nous l’avons dit[1063]. Mais cette demeure est toujours
provisoire car l’absence de Dieu et des autres finit toujours par peser sur la
nature de l’âme humaine et par réveiller son désir. Quant aux enfants et aux
innocents, ils reçoivent tout simplement à l’heure de leur mort la visite du
Christ accompagné des anges et des saints, et, par ce moyen, la proposition du
salut.
3. Les enfants ont reçu avec leur âme
humaine tout ce qui lui est naturel. Or l’intelligence est faite par nature
pour voir Dieu et la volonté pour s’y reposer comme nous l’avons montré[1064]. L’absence de la vision béatifique et
la connaissance philosophique de l’existence de Dieu ne peuvent coexister dans
l’autre monde sans un désir intense qui n’est pas une souffrance négligeable et
qu’aucune occupation ne peut venir atténuer. Dieu est amour et il a créé
l’homme pour la vision béatifique. Il ne peut donc refuser la proposition d’une
telle béatitude aux petits enfants dont la seule faute vient du péché d’un
autre, de leur premier père.
4. La foi ne change jamais. La vérité se
trouve dans le regard sur tous les repères dogmatiques. Pour comprendre ce qui
se passe pour les enfants, il faut donc garder tous les repères dogmatiques.
Lorsqu'ils entrent dans le passage de la mort, il faut qu'ils reçoivent le
baptême de la grâce. Cela se passe de manière universelle, par la simple
demande et l'adoption de parrains (ou de parents du Ciel qui viennent les
visiter s'ils sont complètement abandonnés par leurs parents de la terre).
Avant cette visite du Ciel, juste après l'arrêt du cœur de l'enfant, et avant
l’entrée dans l’autre monde, il y a un temps, un intervalle qu'on appelle les
Limbes, où l’enfant est en état de péché originel, privé de la grâce.
5. Ces phénomènes d’appels venant d’enfants
non-baptisés visent à rappeler aux vivants leur responsabilité dans la demande
et l’administration du baptême de désir. Les habitants du Ciel ne viennent qu’à
défaut et lorsque notre action sur ces enfants est trop longtemps négligée.
Objections :
1. Cela ne paraît pas possible. Les enfants
développent leurs facultés dans l’ordre suivant : d’abord leur vie végétative,
puis leur vie sensitive, jusqu’à l’apparition progressive des premiers actes
proprement spirituels d’intelligence et de volonté vers l’âge de deux ans. Les
enfants morts en état de péché originel n’avaient parfois qu’un début de vie
végétative, comme on le voit pour les embryons en début de grossesse. Ils ne
sont pas capables d’acte libre.
2. Par nature, l’homme développe par étape
son esprit en se servant des sens. Or les enfants morts prématurément ou les
handicapés profonds après leur mort n’ont plus de sens. Il leur est impossible
de développer leur vie spirituelle et de poser un choix.
3. Pour rendre les enfants capables de
choix après leur mort, il peut exister deux moyens : le premier pourrait
consister à développer progressivement leur intelligence dans un temps de
limbes. Maintenus provisoirement dans un lieu particulier et élevés par leur
ange ou par les saints, ils pourraient être rendus progressivement capables de
choix. Mais cela ne paraît pas possible à cause de l’absence de leur corps et
donc du moyen normal de leur apprentissage, leurs sens. La seconde pourrait
être réalisée par un don direct de Dieu et infusé dans leur intelligence. Cette
hypothèse ne convient pas davantage à cause de la nature intellectuelle de
l’enfant qui est la plus faible qu’on puisse imaginer. Il leur est impossible
de comprendre quoi que ce soit sans la longue préparation venant des sens.
4. La meilleure solution pour développer un
esprit enfant semble être de lui permettre de se réincarner dans un autre
corps. Il peut alors, à travers une vie terrestre normale, se développer et
accéder à la capacité du choix.
Cependant :
Nul
ne peut rentrer dans la grâce et dans la gloire ou même être conduit en enfer
sans un choix pleinement libre de son intelligence. Puisque les enfants « voient
le salut de Dieu »[1065], c’est qu’ils sont rendus capables de
le choisir ou de le refuser.
Conclusion :
Durant des siècles, suite à l’opinion de
saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin précédemment citée, les catholiques
crurent que les enfants morts sans baptême n’allaient jamais au paradis. Cette
doctrine n'a jamais été confirmée par le dogme de l'Église. Elle n’a jamais
enseigné dans son Magistère l’éternité des limbes, se contentant de parler sans
plus de précision sur sa durée d’un "limbe vécue dans des souffrances
diverses" des enfants.
Comment
se passe concrètement le salut des enfants ? Pour être introduit dans le salut
ou au contraire le rejeter, trois conditions sont nécessaires.
1° La première est de posséder la capacité
naturelle de se porter vers lui lorsqu’il est proposé.
2° La seconde consiste en la proposition
même de cette grâce par la prédication de l’Évangile et le don du Saint Esprit.
Nous étudierons cette deuxième condition dans l’article suivant.
3° La troisième est la réponse de l’âme
qui accueille cette grâce et se porte vers Dieu et vers son prochain dans un
acte de charité.
Nous traitons ici de la première
condition. Quant à la condition de leur personne, les âmes des enfants, qu’ils
soient baptisés ou non, reçoivent de la part de Dieu des connaissances qui
remplacent ce que l’éducation et l’enseignement auraient du accomplir durant la
vie terrestre. La raison en est qu’il leur appartient de recevoir la gloire
comme des êtres libres, c’est-à-dire de la choisir.
Il s’agit de savoir comment se réalise
ce développement de leur esprit.
Il semble tout d’abord que l’esprit des
enfants est créé par Dieu très tôt après que l’acte sexuel des parents ait
abouti à une fécondation. La conception est achevée par un acte créateur de
Dieu. S’il est impossible d’être sûr du moment de cette création au plan de
l’expérience philosophique à cause de l’absence de l’exercice spirituel, la foi
au contraire nous permet de parler de manière certaine. En effet, si la vierge
Marie qui est de notre espèce, fut immaculée dans sa conception, neuf mois
avant sa naissance, c’est qu’elle avait reçu son âme très tôt après le début de
sa vie cellulaire. De même pour Jésus au lendemain de l’annonciation et lors de
sa rencontre avec Jean-Baptiste. C’est donc que tous les enfants reçoivent de
la même manière leur âme spirituelle très tôt.
Or il est aisé de constater qu’au
départ, l’esprit sommeille et n’est capable d’aucun exercice libre. La raison
en est de l’absence de développement du psychisme. Ce n’est que provisoirement,
en passant par des étapes de progrès que l’enfant pourra poser son premier acte
libre. Auparavant, il aura appris à se servir de sa vie sensible, il touchera
puis entendra, avant de s’éveiller à quelques désirs. Il est naturel à l’esprit
humain de s’éveiller par ce genre de cheminement progressif. Ainsi, on doit
dire que la vierge Marie vivait de la présence de Dieu alors qu’elle était dans
le ventre de sa mère, sans qu’il y ait de sa part un choix libre. Elle était
plutôt baignée dans cette présence bienfaisante, de manière passive. Ce n’est
qu’après sa naissance que, provisoirement, elle apprit à le choisir et à
l’aimer librement. De la même façon, quoique moins intense, les enfants
baptisés apprennent à vivre de la grâce. Ils le font d’abord passivement, puis
à l’âge où la raison s’éveille, ils s’y portent librement.
Il
semble qu’il en est de même pour tous les enfants morts trop jeunes ou les
innocents, qu’ils soient baptisés ou non. Avant de leur proposer la gloire de
sa vision, Dieu leur laisse le temps de développer leur psychisme puis les
actes de leur vie spirituelle, de telle manière qu’ils puissent entrer dans la
gloire dès leur premier acte libre.
Deux
manières de procéder sont possibles : 1°
La première, et la plus probable, consiste à parler d’une éducation progressive
des innocents par les habitants du Ciel. Nous l’avons montré, les morts
conservent la partie psychique de leur être. Les enfants apprennent donc à la
développer, en voyant et écoutant les saints et les anges qui les ont adoptés
et les entourent sous forme sensible. 2°
L’autre façon est moins probable car plus adaptée aux anges qu’aux hommes.
Certains dont saint Thomas ont dit que leur éducation pouvait être réalisée en
une seule fois, pat une science infusée par Dieu.
Cependant,
puisque leur vie sensible existe, on doit dire que la beauté sensible de la
gloire des saints du Ciel a un pouvoir d’éveil sur les sens et l’esprit.
Ensuite, rien n’empêche que Dieu, de manière semblable à ce qu’il fit pour
les anges à l’heure de leur création, infuse dans leur intelligence les espèces
intelligibles nécessaires pour qu’ils aient une connaissance naturelle
suffisante d’eux-mêmes, de l’univers et de leur Créateur.
Quelque
soit le moyen utilisé par Dieu, cette première étape est nécessaire à tout
innocent, baptisé sur cette terre ou baptisé dans le passage de la mort, en vue
d’un choix qui précèdera leur entrée dans l’autre monde et leur jugement
individuel. En effet, nul homme, pas même un enfant, n’entre de force dans la
Vision de Dieu. Il n’y entre que librement.
Solutions :
1. Le psychisme se développe normalement en
s’appuyant sur le développement de l’organe du cerveau, et sur les expériences
sensibles. S’il survit à la mort du cerveau, comme nous sommes obligés de
l’affirmer à partir des expériences de mort approchée, cela ne signifie pas
qu’il est entré dans la plénitude de son développement. Mais, en s’appuyant sur
l’esprit qui le fait subsister, il est doté d’un nouveau mode d’exercice plus
léger et très efficace. Confronté à la présence glorifiée du corps sensibles
des saints et du corps que les anges se façonnent à destination de l’enfant,
ils sont rendus très vite capables d’un choix libre. Dès que les progrès sont
réalisés, baignés de la grâce, ils posent le choix de leur liberté vers Dieu ou
contre Dieu. Nous le montrerons dans l’article suivant.
2. Le développement de l’esprit par
l’intermédiaire des sens peut se faire après la dissolution du cerveau, comme
nous venons de le dire. Par contre, le corps psychique n’étant pas soumis aux
aléas de la fragilité du corps physique, à la souffrance et à la mort, les âmes
des enfants morts trop tôt échappent à un chemin très efficace dans le
développement de l’humilité (kénose) et de l’amour. Ils n’expérimentent pas
dans leur chair et jusqu’à la mort leur fragilité. Ils ne peuvent donner
physiquement leur vie pour leurs amis. C’est un inconvénient pour eux puisque
leur degré de charité en sera diminué. Donc la vie terrestre est très utile.
3. Nous avons dit que c’est par ces deux
moyens que l’Église du Ciel éduque et enseigne les enfants et les innocents.
Ils sont très efficaces au plan du développement de leur nature. Mais ils ne
peuvent remplacer entièrement l’étape du purgatoire de la terre liée à la croix
physique et au silence de Dieu
4. La réincarnation n’est pas possible.
L’être humain n’est pas une énergie indifférente au corps qui la reçoit mais un
être substantiellement réalisé autours de trois degrés de vie : physique,
psychique et spirituel. L’âme qui unifie ces facultés est faite pour son propre
corps, pas pour un autre. Elle est source de l’être d’une personne unique et
éternelle. La croyance en la réincarnation est le fait de civilisations qui ne
croient pas en l’existence des personnes mais de l’Univers comme énergie
universelle (panthéismes, hindouisme et bouddhisme). C’est pourquoi l’Église
croit au purgatoire des personnes et non en la réincarnation des énergies.
Objections :
1. Cela semble s’opposer à la foi. Dans
Certains conciles œcuméniques, la doctrine sur la destinée des enfants morts
sans baptême a été reprise. On peut citer la profession de foi de Michel
Paléologue, au Concile de Lyon, en 1274. Il est confessé que[1066] « Les âmes de ceux qui meurent avec le
seul péché originel, descendent aussitôt en enfer, mais cependant pour y être
punies par des peines diverses. »
Cette même formulation est répétée au Concile de Florence[1067]. Le pape Pie VI[1068] affirme que ces enfants sont privés de
la vision de Dieu (peine du dam) sans pourtant être soumis à la souffrance
(peine du feu).
2. Les enfants n’ayant pas eu l’usage de
leur libre arbitre ni l’aptitude à la vie éternelle sont dans une toute autre
condition que ceux qui ont eu par le baptême l’aptitude à la vie éternelle. Le
Magistère ordinaire, durant des siècles, a confirmé cet enseignement. En effet,
l’insistance de l’Église sur le devoir des parents de présenter le plus tôt
possible leurs enfants au baptême, le fait que le ministre extraordinaire du
sacrement puisse être, en cas de nécessité un laïc, et même un non baptisé,
montre suffisamment la nécessité du baptême. C’est pourquoi, c’est un dogme de
foi, que dans le plan divin, tel qu’il nous est révélé, le baptême est
nécessaire au salut pour la rémission du péché originel. Si le baptême d’eau ou
de désir ne servait à rien, on ne comprendrait pas cette insistance.
3. Le démérite d’Adam est pour les non
baptisés ce qu’est le mérite du Christ pour les baptisés, c’est-à-dire une
cause de souffrance d’avoir perdu la vie éternelle, au lieu d’être une cause de
joie de l’avoir obtenue. Être séparé d’un être aimé, c’est souffrir. Or, les
enfants ont une connaissance naturelle de Dieu qu’ils aiment par conséquent
d’un amour naturel. Comment pourraient-ils ne pas souffrir d’être séparés de
lui ? Ne pas avoir ce qu’on voudrait avoir ne va pas sans souffrance. Or, les
enfants voudraient voir Dieu, autrement leur volonté serait perverse, et ils ne
le peuvent pas.
4. Le péché originel ne peut être pardonné
chez les enfants qu’à raison du désir de leurs parents qui s’engagent en leur
nom dans l’amour de Dieu, effaçant la rupture originelle d’Adam et Ève. Donc
les enfants que leurs parents négligent et qui meurent sans même le baptême de
désir sont condamnés aux limbes éternels.
5. Tous les théologiens et les Docteurs de
l’Eglise depuis saint Augustin, en passant par saint Thomas d’Aquin (et jusqu’à
ce que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dise le contraire), enseignaient la
damnation éternelle pour les enfants morts sans baptême. Il serait aberrant de
croire qu’ils se sont tous trompés.
6. C’est l’Eglise de la terre, en Adam et
Eve, qui a voulu la séparation de ces enfants d’avec Dieu. Il est donc nécessaire
que ce soit un membre de l’Eglise de la terre qui annule ce choix, à savoir le
père ou la mère de l’enfant qui meurt. Il est donc vain de croire que des
parents adoptifs du ciel baptisent par leur prière les enfants abandonnés dans
le passage de la mort.
7. Le pape Benoît XII, dans sa
constitution « Benedictus
Deus » précise que tout homme qui arrive après la mort en état de mort
spirituelle est damné pour l’éternité. Or ces enfants sont morts. Il est donc
opposé à la foi de croire possible leur baptême après la mort.
Cependant :
Ce
que peut l’Église de la terre, l’Église du Ciel le peut a fortiori. Or
n’importe quel homme, même non baptisé, peut obtenir la grâce de Dieu pour un
enfant en le baptisant. De même, n’importe quel saint du Ciel le peut dans sa
communion avec Dieu. Donc tous les enfants reçoivent la grâce puis, lorsqu’ils
y sont prêts, la proposition de la gloire[1069]. C’est ce que confirme sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus dans une poésie[1070] :
« Oui,
je veux augmenter la candide phalange des Innocents
Mes
souffrances, mes joies, je les offre en échange d'âmes d'Enfants.
Parmi
ces Innocents, je réclame une place, Roi des Elus.
Comme
eux, je veux au Ciel, baiser ta Douce Face, O mon Jésus ! »
Conclusion :
La grâce de la présence de Dieu se
distingue de la grâce sanctifiante et de la gloire par la propriété suivante :
tout homme peut recevoir la grâce de cette présence active et attirante. Elle
peut exister, sans qu’il soit exigé de lui un acte libre. Elle se comporte à la
manière de l’amour non volontaire que peut éprouver un homme pour une femme
parce que cela s’impose à lui. Au contraire, nul n’entre dans la vie de la
charité ou dans la gloire sans un acte libre, de même qu’il est impossible de
se marier validement par surprise et sans un échange de consentement lucide et
volontaire. Dieu en a décidé ainsi, nul ne peut entrer au Ciel qu'en aimant.
Il
en est de même pour les petits enfants. La condition de leur nature est d’être
séparée de Dieu à cause du péché des premiers parents Adam et Ève. À leur
baptême, ils sont lavés du péché originel et reçoivent de manière réelle mais
non volontaire, la grâce de la présence de Dieu. Ils sont sanctifiés de manière
passive, sans volonté ni mérite de leur part, grâce au désir de leurs parents.
De
même que le péché originel qui marque la nature humaine peut être pardonné par
le baptême d’eau ou par le baptême désiré par les parents dès l’heure de la
conception ou quand ils s’aperçoivent que leur enfant est mort, de même, il
peut être remis par Dieu, à la demande de ses amis les saints du ciel ou de la
terre, au moment de la mort de l’enfant sans l’intervention des parents. Dieu
n’est pas esclave de la matérialité de ses sacrements et peut réaliser, sans
leur médiation, l’effet qu’on leur attribue, à savoir la communication de la
grâce. De même que Dieu remet aux parents la responsabilité du salut de leur
enfant, de même il peut la leur reprendre si, lorsque leur enfant meurt, les
parents manquent à leur devoir de prière. Il confiera habituellement cette
nouvelle responsabilité à la communion de saints, c’est-à-dire à un père et une
mère du Ciel.
Ces conditions étant résolues, rien
n’empêche que Dieu propose aux enfants ainsi disposés la béatitude de la Vision
de son essence, dès que l’obstacle lié à leur personne, c’est-à-dire leur
incapacité à choisir, disparaît.
Solutions :
1. La nature de cet enfer n’a jamais été
définie avec plus de précisions par le Magistère ordinaire ou solennel de
l’Église. De même, rien n’est dit sur sa durée de sorte que la liberté du théologien
existe pour en discuter l’éternité. Mon avis était jadis que les enfants morts
sans baptême ne demeuraient pas plus d’un instant séparés de la présence de
Dieu (ce qui correspond à ces limbes dont parle l’Église). Je pensais que dès
leur entrée dans le passage de la mort, après un temps bref, ils étaient
accueillis et baptisés par les habitants du Ciel avant d’entrer dans un temps
d’éducation de leur liberté par des parents célestes. Mon avis a changé à cause
de témoignages sûrs et concordants attestant de la présence malheureuse et
errante d’enfants entre ce monde et l’autre, des années après leur mort, et
dans l’attente du baptême. Et cette permission de Dieu, qui retarde leur entrée
dans l’autre monde trouve sa cohérence si l’on considère ce qui suit :
privés de la vie terrestre et des souffrances qui nous préparent « un cœur
brisé et un esprit humilié », il était évident que Dieu trouverait une
façon de ne pas priver ces enfants d’une telle grâce qui prépare leur éternité.
Cette
permission de Dieu, qui laisse ces enfants errer un temps, semble liée à cette
raison unique : Ces enfants souffrent et donc peuvent développer un grand
désir pour le salut et une grande humilité.
On
peut donc interpréter les imprécisions des textes du Magistère de la manière
suivante. Les enfants non baptisés sont dans un premier temps de limbes, privés
de toute présence de Dieu le temps qu’ils soient adoptés et baptisés. Leur
psychisme s’y développe, probablement à l’aide de Présences venant du Ciel.
Puis, une fois baptisés, tous les enfants, quel que soit le mode de leur
baptême, sont conduits dans un « enfer (lieu
inférieur au paradis céleste) »
provisoire tout à fait comparable au "sein d’Abraham" dont parlaient
les anciens Juifs[1071]. Il y règne la grâce de la présence de
Dieu, symbolisée par "l’eau" dont vivait le pauvre Lazare. Il
s’agit bien d’un enfer puisque ces innocents ne voient pas Dieu face à face.
Les enfants y souffrent bien d’un dam, puisqu’ils ne voient pas la gloire. Mais
ils ne souffrent pas de la peine du "feu ou du sens" puisque le désir
naturel de leur esprit est étanché par une présence réelle, quoique invisible
de Dieu, et par une présence visible de ses saints. Dès que l’obstacle
provisoire de leur nature, à savoir leur incapacité naturelle à choisir, disparaît,
ils sont confrontés à la parousie du Christ et à la présence du démon en vue du
choix de leur éternité.
2. Les enfants baptisés avant leur mort
reçoivent dès cet instant le pardon du péché originel qui les tenait séparés de
la présence attirante de Dieu. Les enfants morts sans baptême et abandonnés de
leurs parents (comme les enfants volontairement avortés) reçoivent la même
grâce un peu plus tard par la volonté des parents du Ciel, soit Jésus et Marie
directement, soit n’importe quel parent adoptif du Ciel ou de la terre. Mais
leurs parents biologiques sont privés, à cause de leur ignorance ou de leur
insouciance, d’une grande grâce : celle de leur autorité parentale. Ils sont
déchus de leurs droits et l’enfant est adopté par une autre personne qui sera
auprès d’eux, pour l’éternité, dans une relation unique. Il ne suffit pas en
effet pour être parent de donner physiquement la vie. Encore faut-il se montrer
digne au plan de l’éducation. Il en est de même pour la paternité et maternité
spirituelle.
3. Quoique les enfants ne soient pas unis à
Dieu dans la gloire, ils ne sont pas totalement séparés de lui ou très peu de
temps avant leur adoption. Et ce temps n’est pas pour eux source de souffrance
à cause de l’état de leur esprit qui s’éveille peu à peu, et est fait pour
recevoir de l’amour. A partir de leur baptême, les enfants sont unis à Dieu par
tous les bienfaits qu’ils tiennent de lui (la compagnie des anges et des saints
dont la gloire illumine leur sens et leur intelligence, toutes les sensations
qui se présentent à leurs sens et les éveillent). Ils reçoivent aussi de Dieu
des biens surnaturels comme la grâce de sa présence invisible, puis, dès qu’ils
en sont capables, la charité active. Et ainsi, ils sont dans la joie et dans
l’absence de la souffrance du feu. Ils vivent cependant du feu en tant qu’il
est un désir puisque leur esprit ne se repose pas encore dans la fin ultime (la
vision béatifique) pour laquelle il a été créé.
4. Dieu n’est pas tenu de manière mécanique
par les lois qu’il a établies en vue du développement de l’amour. Il pallie
donc aux manques chaque fois qu’il est possible, de même que les sociétés
humaines remplacent par l’adoption les parents défaillants.
5. Les
grands serviteurs de Jésus, théologiens et Docteurs ont réalisé sans le savoir
une prophétie de l’Ecriture [1072] : « On présentait à Jésus des petits
enfants pour qu'il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. »
La suite de ce texte précise : « Ce
que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits enfants venir à
moi ; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume
de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n'accueille pas le Royaume de
Dieu en petit enfant, n'y entrera pas." Puis il les embrassa et les bénit
en leur imposant les mains. »
6. La
communion des saints n’est pas liée à ces considérations. La charité du Christ
et de ses saints emplit tout, de telle manière que si le ministère ordinaire
dévolu aux parents charnels a défailli, d’autres personnes suppléent. C’est ce
qui se passe dans l’adoption naturelle en cas d’abandon d’un enfant. C’est ce
qui se passe aussi au plan surnaturel. Cependant, le Ciel semble préférer que
ce soit nous, habitants de la terre, qui les baptisions. On peut en donner
plusieurs raisons :
1° Rendre conscient le monde du crime
qu'est l'avortement.
2° Intensifier notre sens de
l’importance du baptême.
7. Ces
enfants sont baptisés dans le passage qu’est la mort et qui peut se prolonger
des années, comme il a été montré dans la question sur le shéol. Après la mort, c’est-à-dire après
l’apparition du Christ et leur choix final, s’ils demeurent en état de mort
spirituelle, c’est alors à travers un blasphème contre l’Esprit Saint.Dans ce
cas, ils sont damnés pour l’éternité.
Objections :
1. Les enfants reçoivent à travers
l’éducation du Ciel une perfection naturelle et une harmonie psychologique plus
grande que les enfants éduqués sur terre. Il leur est donc davantage possible
de s’enorgueillir de leur beauté et de se tourner vers la liberté de l’enfer.
Donc certains innocents, étant orgueilleux, seront damnés.
2. Pour que le choix des enfants soit
libre, il convient que le démon et ses propositions de liberté et d’amour de
soi participe à l’éducation des enfants, comme il le fait sur terre en se
cachant sous les voiles de la tentation. C’est ce que dit sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus[1073] : «
Puisqu'on dit que toutes les âmes sont
tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais
pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout petits, il ne peut pas. » Il
est évident que son action ne peut être totalement inefficace sans quoi il
renoncerait.
3. Si l’on admet que Dieu pardonne le péché
originel au moment de la mort et propose même aux enfants morts prématurément
le salut éternel, on doit admettre que certains d’entre eux peuvent le refuser
et donc se damner. Or il paraît absurde qu’un petit enfant aille en enfer.
Cependant :
Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus écrit[1074] : «
Un petit enfant, ça ne se damne
pas! »
Conclusion :
Comment
les petits enfants accèdent-ils à la vision béatifique ? Exactement de la même
manière que nous. Ils n'y entrent qu’à travers un choix libre. Puisqu’il manque
aux enfants trois choses, à savoir la capacité de choisir (ils sont trop
petits), la proposition de choisir Dieu (ils n’ont pas le baptême et la grâce),
et le choix effectif (ils ne peuvent encore exercer volontairement la charité
comme amour réciproque et actif), Dieu leur fait les deux premiers dons en vue
du troisième qui est l’acte méritoire de la vision béatifique.
1° Lorsqu’ils meurent, ils entrent dans le
passage de la mort, entre ce monde et l’autre. Ils y sont vivants et ils y
disposent de leur psychisme. Ils y reçoivent des sensations et des présences
affectueuses adaptées à leur sensibilité pour éveiller l’exercice naturel de
leur vie spirituelle. Cela se fait probablement, comme il convient à la nature
humaine et à son développement progressif, à travers une série d’étapes plus
rapides que l’apprentissage d’ici-bas où les visions sensibles ne dévoilent pas
mais plutôt cachent la quiddité des choses.
2° Dans ce passage de la mort (ces
limbes), avant l’entrée dans l’autre monde, des parents adoptifs terrestres ou,
à défaut, les saints demandent pour eux et obtiennent la grâce du baptême.
Leurs parrains célestes, ou en cas d’enfants totalement abandonnés, leurs
parents adoptifs du Ciel vont alors commencer leur éducation naturelle et
surnaturelle. Ils leur révèlent progressivement, au fur et à mesure de la
croissance psychique et spirituelle, la nature de leur être, l’Évangile, le
mystère de la charité et la gloire qui leur sera proposée. Il s’agit d’une
prédication de l’Évangile qui, dans un premier temps, éclaire leur intelligence
sans que leur choix libre puisse parfaitement s’y porter. Ils se familiarisent
avec cette révélation.
3° Enfin, à un moment que Dieu connaît,
ils deviennent, à cause de cette éducation, capables de choisir le bien ou le mal
de manière parfaitement libre. C’est alors que se produit pour eux la Parousie
du Christ dans sa gloire. Lucifer est aussi présent de droit, puisqu’il se doit
de présenter ses propositions d’orgueil, rendant ainsi le choix de l'enfant
parfaitement lucide. La tentative du démon est sans effet. Il n'y a pas
d'orgueil ni de recherche de pouvoir dans un innocent. Ils se portent tout
simplement là où les conduit leur cœur à savoir vers le bien et la lumière.
Dès
cet instant, ils sont introduits dans la vision de Dieu. Aucun délai n’est
convenable puisque, dès son premier instant, à cause de leur état séparé du
corps charnel, ils se portent tout entiers et sans erreur vers l’objet de leur
choix, sans qu’une nouvelle croissance soit possible.
Cette description simple du salut des
enfants ne manque pas de fondements expérimentaux. Nombres de mères peuvent
témoigner, suite à une grave maladie survenue à un enfant, que celui-ci se
disait visité par des anges.
Solutions :
1. Il est probable que tous les enfants seront
introduits dans la gloire à cause du peu de propension qu’ils ont à
s’enorgueillir des dons reçus de Dieu. C’est ce que veut signifier la fête des
saints Innocents qui sont ces enfants tués par Hérode dans la ville de
Bethléem. De même le pape Innocent IV écrit à propos des enfants morts après le
bain du baptême[1075] : «
Ils ne sont retenus par aucun obstacle
et passent immédiatement à la patrie éternelle. »
2. La présence du démon a peu d’effet sur
les enfants pour quatre raisons :
1°
La première leur vient de leur nature. Parmi les créatures spirituelles, ils
restent les plus faibles en intelligence et en volonté naturelle. Ils
constatent leur petitesse avec évidence en se comparant aux êtres spirituels
qui les entourent. Ils ont peu de motif d’orgueil.
2°
La seconde leur vient des temps de solitude et d’errance que Dieu semble leur
imposer dans ces limbes, afin de développer en eux, par cette croix, le désir
du salut.
3°
La troisième vient de la présence autour d’eux des âmes glorifiées et des anges
qui rayonnent. Ils correspondent avec harmonie à leur syndérèse, c’est-à-dire à
l’orientation innée de leur volonté. Ils les suivent tout naturellement et donc
surnaturellement.
4°
La quatrième leur vient du démon lui-même dont le motif de révolte leur paraît,
dans leur simplicité, peu attirant. Réclamer à Dieu une hiérarchie des êtres
fondée sur l’intelligence et la puissance naturelle leur paraît moins bien que
celle fondée sur l’humilité (kénose) et sur l’amour. De tout cela, on peut dire
qu’il n’y a pas d’innocent qui choisisse l’enfer.
3. Comme on l’a vu, le seul péché qui
conduit à la damnation éternelle sans que le pardon en soit possible est le
blasphème contre l’Esprit Saint. Un tel péché vient d’un amour de soi et de sa
propre excellence poussé jusqu’au mépris de Dieu. Il est peu probable qu’il
puisse exister chez un petit enfant. En effet, leur imperfection naturelle les
rend peu enclin à l’orgueil. Cependant, on doit admettre que, du point de vue
théorique, la possibilité d’un choix conduisant en enfer existe sans quoi il
n’y aurait pas de choix possible.
Objections :
1. «
Un petit enfant, cela ne se damne pas »[1076], dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
De plus, ils sont aussi parfaitement heureux que les adultes, de même
« qu’un petit vase est peut être complètement plein aussi bien qu’un
grand ».[1077] Donc la mort précoce des enfants n’est
pas, en ce qui concerne la vie éternelle, de grande conséquence.
2. Que les enfants morts prématurément
restent déficients dans leur perfection naturelle puisqu’ils n’ont pu se
développer normalement selon les conditions de leur intelligence, cela est
compensé par la communication d’une éducation au moment de leur mort. Donc les
enfants n’ont aucun inconvénient à leur mort précoce.
3. Nous avons vu que les enfants ne se
damnent pas. Certains d’entre eux, s’ils avaient vécu auraient certainement
choisi l’enfer. Il aurait mieux valu pour celui qui livre le fils de l’homme
qu’il ne naisse pas. Il est donc mieux pour eux qu’ils n’aient pas vécu.
4. Jésus dit[1078] : «
Laissez les petits enfants venir à moi
; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de
Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu
en petit enfant, n'y entrera pas. » C’est donc qu’il est
avantageux de mourir et de rencontrer Jésus en étant encore enfant.
Cependant :
La
fonction du théologien dans l’Église est comparable à celui des étoiles pour le
marin. Elles indiquent la direction. Si les étoiles tombent du Ciel sur la
terre, comme le dit l’Apocalypse de saint Jean, que reste-t-il de leur fonction
? Le code de droit Canonique de 1983 va jusqu’à faire de l’encouragement à
l’avortement (sauf si la survie de la mère est en jeu au plan thérapeutique) un
cas d’excommunication ipso facto. Le pape Jean-Paul II qualifiait cet
acte d’abominable[1079]. Il le comparait parfois par sa masse
aux grands génocides du XXe siècle. C’est une parole forte. Il est évident
qu’il ne s’agissait pas pour le Pape de comparer l’intention des nazis à celle
des mères en détresse. L’analogie porte sur un autre point, à savoir le nombre
des morts. Et c’est cet aspect oublié de manière quasi systématique par la
théologie, qu’il faut rappeler ici. Il s’agit d’un domaine essentiel de la foi
catholique, de la révélation d’en haut.
Conclusion :
Si
l’Église catholique dans son Magistère[1080] s’oppose avec tant de force à
l’avortement, c’est qu’elle croit que cet être qu’on fait disparaître, bien que
doté en apparence d’une seule vie biologique, a déjà certainement reçu son âme
spirituelle. Cette âme, siège de l’intelligence et de l’amour, n’est autre que
ce qui survit à la mort. Abraham, Adam et Ève existent actuellement, pensent et
aiment parce qu’ils ont une âme spirituelle immortelle. Son existence ne peut
être mise en doute au plan de la Révélation. Le Christ en a parlé explicitement
plusieurs fois, en particulier en disant à l’homme crucifié à sa droite : « aujourd’hui,
avec moi, tu seras dans le paradis. » (Sous-entendu : sans ton corps
charnel).
Un doute subsiste cependant dans l’enseignement de l’Église :
Quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à l’enfant ? Au XIIéme
siècle, saint Thomas d’Aquin penchait pour le sixième mois après la conception.
N’était-ce pas le moment où Jean Baptiste visité par Marie avait tressailli
dans le ventre de sa mère ? S’il en était ainsi, l’avortement jusqu’au sixième
mois ne serait pas « un crime abominable. » Il ne serait pas un crime au sens strict, un homicide, mais un
simple péché contre la vie à venir et non encore venue. Saint Thomas n’avait
pas à son époque tous les instruments de la foi dont nous disposons
aujourd’hui.
Pourtant,
il est étonnant de constater qu'il n'a pas vu ceci : Marie reçoit l'annonce de
l'ange. Elle dit « qu'il me soit fait selon ta parole. » Le lendemain
sans doute, elle se rend chez Elisabeth et, lorsqu'elle la rencontre, il se
produit une osmose, d'âme à âme, entre son enfant (Jésus) et l'enfant d'Elisabeth
(Jean) : « Mon fils a tressailli dans
mon sein », témoigne Elisabeth. Tout
ceci fait plus qu'indiquer, au plan théologique, une très rapide animation de
l'enfant Jésus, donc de nous-mêmes car le Verbe suit en tout la nature humaine
quand elle n'est pas liée au péché...
Autre
signe concordant : En 1854, le pape Pie IX proclamait comme une certitude
venant d’en haut l’Immaculée conception de la vierge Marie. Cette révélation
semble être sans rapport avec l’avortement. Il n’en est rien. Le fait que Marie
soit immaculée dans sa conception signifie qu’elle vivait, dès sa conception,
de la présence de Dieu, de la même manière qu’Ève en vivait au jardin d’Eden.
Si Dieu était là, c’est donc que Marie le recevait dans son âme. Le fait,
d’autre part, que la conception de Marie soit fêtée le 8 décembre, soit neuf
mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut entendre par
conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à naître. Tout
indique donc que, pour elle comme pour eux, âme est donnée par Dieu très tôt
après l’acte de procréation des parents.
Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère,
l’avortement quel qu’il soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une
dimension vertigineuse. Ce n’est pas qu’un morceau de chair qui disparaît mais
un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il n’y a aucune
différence de nature entre les saints innocents de l’Évangile (tués par Hérode)
et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas
qu’elles ont un vrai enfant en elles et sont donc non coupable d’homicide, de
fait, il s’agit d’un homicide objectif. Il n’y a pas de péché chez la mère si
elle ignore ce qu’elle fait, mais il y va de la mise à mort d’un homme.
Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison : « un
petit enfant, cela ne se damne pas »[1081]. Elle montrait que l’hypothèse des
limbes éternels émise par saint Augustin se méprend sur Dieu. Dieu n’a pas
besoin qu’un enfant soit baptisé avec de l’eau pour lui donner le baptême de sa
présence. Mais tout homme, quel qu’il soit (même un embryon), entre dans le
Royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de Dieu. Plus le cœur de
l’homme aime Dieu et désire le voir, plus il le voit. Or, il existe une voie
dont l’utilité est de creuser le désir du cœur de l’homme, c’est celle de la
vie terrestre. Par l’absence de Dieu, par son silence, par les diverses
épreuves qui l’émaillent, le cœur de l’homme s’approfondit. Si la vie terrestre
est voulue par Dieu, c’est qu’elle est utile. Elle est ainsi faite qu’il est
difficile d’en sortir sans une conscience profonde de sa petitesse. La mort se
charge de la rappeler. De plus, l’apparition du Christ à l’heure de la mort,
après un si long temps d’exil enflamme le désir de voir Dieu de manière
incroyable.
Quant au petit enfant mort avant d’avoir
vécu sur cette terre, lorsqu’il est accueilli par le monde des saints, il ne
rejette certes pas Dieu. Mais il s’y porte avec un petit désir d’innocent, avec
un cœur qui n’a pas été préparé aussi efficacement que dans les errances de
cette terre. Son éternité s’en trouve directement modifiée. D’où la gravité,
pour un croyant de l’acte d’avortement volontaire.
Solutions :
1. Il ne faut pas déduire de cela que
l'avortement des enfants n’est pas une chose en définitive si grave. La vie
terrestre est faite pour les enfants. Nul n'a le droit de la leur refuser car
elle est un cheminement de maturité dans l'humilité (kénose) et l'amour. La
vision béatifique n'est donnée qu'à la mesure de la taille du cœur,
c’est-à-dire de son désir d’aimer. Morts sans avoir vécu, ils parviennent
certes quasi infailliblement au Ciel. Mais leur désir de Dieu n’ayant pas été
approfondi par les diverses souffrances et manques d’ici-bas, ils sont
éternellement comme sous-développés du point de vue de l’amour et de la kénose.
Ils sont donc réellement défavorisés pour l’éternité. Mais Dieu, heureusement,
dispose pour eux de moyens ignorés de nous pour faire grandir en eux ce désir
unique, que seule la souffrance peut creuser. Des témoignages riches et concordants
montrent que ces enfants sont souvent soumis à un vrai temps d’errance entre ce
monde et l’autre. Le but ne peut qu’être unique : l’acquisition de cette
« kénose » si fondamentale pour le salut.
2. Ce n’est pas au plan naturel que leur
mort prématurée est une perte mais au plan surnaturel en ce sens qu’il seront
privés à jamais de certains moyens en vue de l’humilité (kénose) et de l’amour
que permettent "la grande épreuve"[1082] de la vie terrestre. Ce manque dans la
formation de leur cœur n’est pas source de regret pour eux, d’abord parce que
Dieu pourvoie par d’autres moyens comme la solitude d’un temps d’errance,
ensuite parce que, une fois au paradis, ils sont comblés de béatitude : « Bienheureux
es-tu père, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir
révélé aux tout petits. » Elle est source d’un grand regret pour
leurs parents, en cas d’avortement volontaire, quand ils sont présentés à leur
enfant à l’heure de la mort, même s’il est évident que la réconciliation entre
eux sera totale au paradis.
3. Le choix de l’enfer se fait par un acte libre. Il implique un orgueil
vertigineux et peut être le fait de toute créature spirituelle créée libre, y
compris, en soi, par les enfants. Quand on les considère, il vaut mieux
raisonner en sens inverse. S’ils avaient vécu, ils seraient peut-être devenus
de grands saints.
4. Ce que Jésus exalte dans l’esprit d’enfance, ce n’est pas l’absence de
jugement et la puérilité mais c’est la confiance et l’écoute que manifestent
les enfants. Or la vie terrestre et ses épreuves est efficace pour à la fois
faire disparaître la puérilité et pour faire grandir un désir d’amour très
profond et une humilité très grande. Par leur mort précoce, les enfants ne
reçoivent pas cette chance. Reste à espérer que Dieu, par un moyen connu de
lui, leur fait expérimenter une vraie kénose.
Objections :
1. La maxime dogmatique des Pères : « Hors
l’Église, pas de salut » montre qu’il n’en est rien.
2. Comment pourraient-ils être sauvés ?
Saint Paul l’affirme[1083] : «
Quiconque invoquera le nom du Seigneur
sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d'abord croire en lui ? Et comment
croire sans d'abord l'entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ? Et
comment prêcher sans être d'abord envoyé ? » Donc les païens, parce
qu’ils n’ont pas entendu la parole, ne peuvent être sauvés.
3. Si Dieu retarde pour eux la prédication
de son salut jusqu’à la onzième heure de leur vie (le passage de la mort), il
prend des risques inconsidérés pour leur salut, puisqu’il les laisse s’habituer
à une vie de péché. Ce qui n’est pas convenable.
Cependant :
Après le Concile Vatican II, la foi en
ces domaines peut se résumer ainsi[1084] : «
À toute époque et en toute nation Dieu a tenu pour agréable quiconque le
craint et pratique la justice (4122), (4892) ; Dans les hommes de bonne volonté
la grâce opère de manière invisible (4322) ; Le dessein de salut englobe aussi
ceux qui connaissent le Créateur, en particulier les musulmans (4140) Dieu
n’est pas loin non plus de ceux qui cherchent le Dieu inconnu dans les ombres
et sous des images (4140) ; Ceux qui, sans qu’il y ait de leur faute, ne
connaissent pas l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent Dieu d’un
cœur sincère et s’efforcent d’accomplir sa volonté, peuvent obtenir le salut
éternel (4140) ; La Providence divine ne refuse pas non plus les aides
nécessaires au salut à ceux qui de leur part ne sont pas encore parvenus à une
reconnaissance expresse de Dieu et qui travaillent, non sans l’aide divine, à
mener une vie droite (4140). » C’est
donc que les païens peuvent être sauvés.
Conclusion
:
Des centaines de millions d’hommes vivent loin de l’Évangile sur
des continents non encore visités par les missionnaires. La faute n’en est pas
seulement aux péchés des chrétiens car la foi est d’abord un don que Dieu peut
faire à qui il veut et quand il veut. Il existe aussi une volonté mystérieuse
de l’Esprit. Pourquoi l’évangélisation des peuples fut-elle si difficile et
incomplète ? Les Actes des apôtres montrent que l'Esprit Saint ne voulut pas
que l'Évangile soit annoncé tout de suite partout[1085] : « Paul voulut aller en Asie mais l'Esprit
Saint l'en empêcha. » Cela
peut paraître scandaleux mais c’est un fait qui explique aussi pourquoi Jésus a
tant tardé après le péché originel à s’incarner. L’Esprit n’a jamais voulu que
le monde d’ici-bas soit totalement chrétien, tant l’unité complète, en cette terre, est source d’orgueil comme à
Babel. De même, il
ne voudra jamais qu’il soit entièrement musulman[1086]. Le Christ ne désire qu’une chose, que tous soient sauvés, à l’heure dite
et quand la moisson est mûre, par l'amour de son Fils. Et puisqu'un
christianisme fort au plan social contient des chrétiens fiers politiquement et
des clercs sûrs d'eux, à tous points de vue, il préférera un christianisme
faible, divisé, frappé d'hérésies mais plus conscient de sa pauvreté. Le salut des
païens ne peut que l’inquiéter et augmenter en elle prière et zèle pour Dieu.
Quant
aux païens, s’ils ne sont pas encore dans la bergerie de Jésus, c’est qu’ils
ont leur propre chemin conduisant au salut qu’ils ignorent encore. Si ces
païens ne savent pas encore que Jésus est le Créateur fait homme, ils
l'apprennent au moment de leur mort, comme tout homme. Les chemins de la pire
des superstitions servent Dieu pour leur salut car lorsque des peuples écrasés
par la domination des sorciers dont la puissance vient du démon, découvrent à
l'heure de la mort la liberté de l’Évangile, ils se convertissent en masse.
Il en sera de même à la fin du monde
lorsque, face à une humanité donnée au projet desséchant pour l’âme du dernier
Antéchrist. C’est pour le salut des hommes aussi, à cause de l’humilité qui, par
la souffrance, fonde le désir d’un salut, que Dieu laissera à l’Antéchrist un
grand pouvoir jusqu’à la fin du monde : Comme dit saint Paul, en
comparaison de la douceur du Christ à l’heure de sa Venue, le pouvoir de
l’Antéchrist sera anéanti de la plupart des cœurs[1087].
Solutions :
1. Le pape Pie IX donne la manière dont
doit être interprétée cette maxime dogmatique[1088] : «
Il faut donc tenir, de foi, que personne ne peut être sauvé en dehors de
l’Eglise romaine apostolique, qu’elle est l’unique arche du salut celui qui n’y
est pas entré périra par le déluge ; mais cependant, il faut tenir également
pour certain que ceux qui souffrent de l’ignorance de la vraie religion,
ignorance invincible, n’en sont nullement rendus coupables aux yeux du
Seigneur. Qui serait assez présomptueux pour pouvoir marquer les limites de
cette ignorance, vu la nature et la variété des peuples, des régions, des
esprits et d’autres nombreux facteurs. Lorsque, dégagés des liens du corps,
nous verrons Dieu comme il est[1089], nous comprendrons le lien serré et
magnifique qui unit la miséricorde et la justice divines. Mais aussi longtemps
que nous sommes sur cette terre, accablés par cette masse mortelle qui
engourdit l’âme, tenons très fermement, d’après la doctrine catholique, qu’il y
a "un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême »[1090]. Il n’est pas permis à notre recherche
d’aller plus avant. »
Le
Saint Office commente cette position de l’Église[1091] : «
Par ces sages paroles, il condamne à
la fois ceux qui excluent du salut éternel tous les hommes qui ne sont unis à
l’Église que par un désir implicite et ceux qui affirment faussement que les
hommes peuvent également bien être sauvés dans toute religion. Il ne faut pas
penser non plus que n’importe quelle sorte de désir d’entrer dans l’Église suffise
pour être sauvé. Car il est nécessaire que le désir qui ordonne quelqu’un à
l’Église soit animé par la charité parfaite. Le désir implicite ne peut avoir
d’effet que si l’homme a la foi surnaturelle. Celui qui vient à Dieu doit
croire que Dieu existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent »[1092]. Le concile de Trente déclare "La
foi est le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute
justification, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu[1093] et de parvenir à partager le sort de
ses enfants. » Nous
avons montré de quelle manière se produit ce salut. À l’heure de leur mort,
donc durant leur vie terrestre, les païens reçoivent la révélation de
l’Évangile. La droiture de leur volonté les conduit à y adhérer sans retenue.
Ils sont donc, comme le dit l’Église, sauvés durant leur vie, par l’acte de
leur charité, au sein de l’Église.
2. Il n’y a pas de salut sans charité, de
charité sans foi et de foi sans prédicateur de l’Évangile. Dieu confie cette
prédication à son Église militante. Mais il le fait dans sa sagesse pour lui
permettre de participer au salut des hommes. Il serait aberrant de croire que
des hommes furent damnés parce que l’Église militante a sans cesse failli à
cette mission. Il prévient les apôtres[1094] : «
Quand vous aurez fait tout cela,
dites-vous que vous êtes des serviteurs inutiles », inutiles
c’est-à-dire remplaçables. C’est pourquoi, à l’heure de la mort, il accomplit
lui-même, avec l’Église glorieuse, la prédication parfaite. Les saints du Ciel
deviennent apôtres et prédicateurs, comme le disait sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Saint Thomas d’Aquin, confronté à cette certitude indique dans
un texte bref la manière dont ce salut pourrait être réalisé, sans aller plus
loin[1095] : «
A un homme qui, sans y mettre d’obstacle, suivrait la raison naturelle pour
chercher le bien et éviter le mal, on doit tenir pour très certain que Dieu
révélerait par une inspiration intérieure les choses qu’il est nécessaire de
croire ou lui enverrait quelque prédicateur de la foi, comme Pierre à Corneille. » Il faut corriger et élargir son
opinion en disant que tout homme sans exception, digne ou indigne, de bonne ou
de mauvaise volonté, reçoit dans le passage de la mort la proposition du salut.
3. Dieu a organisé les lois de ce
purgatoire qu’est la terre, ainsi que celles du passage de la mort de telle
manière que tout homme expérimente sa misère. Lorsqu’il laisse certains vivre
des péchés mortels liés à leur ignorance et à leurs passions, c’est pour qu’ils
s’y épuisent. A l’heure de sa Venue, il espère alors opérer un retournement
d’autant plus puissant que les hommes ont vécu dans une absence totale de la
vie de la grâce, selon cette réflexion[1096] : « A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés,
lui sont remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on
remet peu montre peu d'amour." Saint Paul met cependant en garde les
chrétiens contre l’abus qu’ils pourraient être tentés de faire de cette
pastorale du Christ envers les païens[1097] : « Que dire alors? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la
grâce se multiplie? Certes non! Si nous sommes morts au péché, comment
continuer de vivre en lui? »
Objections :
1. La pratique de l’Église a été jusqu’au
concile Vatican II de refuser les funérailles ecclésiastiques aux suicidés et
parfois leur enterrement en terre bénie. Cette réprobation de l’Église semble
être le signe de la réprobation de Dieu.
2. On se suicide par désespoir. Or, nous
l’avons dit[1098], le désespoir est un péché contre
l’Esprit Saint qui est impardonnable ni dans ce monde ni dans l’autre. Donc les
suicidés sont damnés.
3. Ceux qui se suicident à cause d’un
désespoir commettent un péché mortel au moins d’ignorance ou de faiblesse,
directement contre l’amour. On le constate facilement en regardant la
souffrance et la culpabilité de ceux qu’ils laissent sur terre. Or le Royaume
de Dieu est donné à l’amour. Donc il n’y a pas de salut pour eux.
Objection en sens contraire :
Il semble que le suicide conduit
directement au paradis puisqu’il peut être l’acte ultime d’un amour impossible.
Cependant :
À propos d’un suicidé, le curé d’Ars
disait : « Entre le pont et l’eau, elle s’est repentie. » Donc il
existe un salut pour les suicidés.
Conclusion :
De
nos jours, nul ne se permet plus d’affirmer avec certitude la damnation des
suicidés. Cependant outre ce regard plus vrai sur leur personne, il convient de
parler de l’acte du suicide. On peut le considérer de deux manières. 1° Objectivement, c’est-à-dire en tant
qu’il constitue un acte moral ; 2°
Subjectivement, c’est-à-dire en fonction de l’intention de celui qui se
suicide.
1° Puisque Dieu existe, puisque la vie
terrestre est une préparation à la vie éternelle, on doit en toute vérité
affirmer que le suicide est un acte qui déplaît à Dieu. Commis par désespoir,
il est en soi, un péché mortel. Le temps des larmes, donc de la terre, est
utile pour appauvrir le cœur. Il n’est que passager et prépare le temps où Dieu
essuiera toutes les larmes. Les mystères douloureux sont suivis par les
mystères glorieux. L'homme qui supprime sa vie, même pour des motifs bien
excusables comme l’ignorance involontaire du projet de Dieu ou une trop grande
souffrance, regrette son acte dans l'autre monde. Il se rend compte
objectivement que son cœur aurait pu être davantage purifié, appauvri et rendu
miséricordieux. Au purgatoire du Ciel, il y a certaines choses qu’on ne peut
plus acquérir. Seul le purgatoire de la terre permet, par exemple, d’approfondir
la soif d’aimer et d’être aimé. Arrivé dans l’autre monde, face à l’apparition
du Christ, l’homme tourne vers lui tout l’amour dont il est capable, d’où
l’impossibilité de grandir dans l’amour après la mort. Or c'est la mesure de ce
désir qui nous vaudra de voir Dieu, et ce désir est lié intimement à ce que
l’homme a touché de lui-même sur la terre.
2° Au plan subjectif de la culpabilité, le
suicide est un péché qui doit être compris comme tous les autres. Il est la
plupart du temps le fruit d’une faiblesse et d’une ignorance conjointes. Dans
cette lumière, il est possible de dire ce qui suit : parce qu’ils ont beaucoup
souffert et, par là, ont touché plus que tout autre leur petitesse, les
désespérés choisissent la plupart du temps la grâce et les conditions de la
vision béatifique. De plus, ayant été creusés par une grande souffrance, ils
s’y portent avec un grand désir. Ils reconnaissent le Christ qui leur apparaît
le bien qu’ils avaient toujours cherché, même dans les créatures.
Mais
le suicide peut être parfois l’acte ultime et choisi d’une perversion
volontaire poussée jusqu’au bout. Ceux qui se suicident pour un orgueil ou un
égoïsme poussés jusqu’au bout, comme on le voit d’Hitler qui voulait voir
disparaître avec lui son peuple, il faut parler autrement. Si l’orgueil est
maintenu obstinément face à la parousie du Christ, il devient un blasphème
contre l’Esprit et conduit immédiatement en enfer. Est-ce le cas
d’Hitler ? Il est impossible de le savoir de manière absolue.
Ce qui est sûr et universel c’est que,
quelle que soit la cause du suicide, les personnes sont accueillies dans le
passage de la mort – soit tout de suite, soit après un temps de shéol-, comme
tout homme, par le Christ, les anges et les saints, avec la présence de
Lucifer. Elles reçoivent la révélation de l’Évangile, de l’Église du Ciel, des
conditions présupposées. Il demande comme conditions de leur salut la
contrition des péchés et l'amour de charité.
Solutions :
1. Jadis, la sépulture chrétienne était
refusée aux suicidés. Mais il s’agissait d’une pratique pastorale visant à
éviter, surtout dans les périodes de peur, par une autre peur, des épidémies de
suicide. Elle était fondée sur une théologie. Pour le croyant en effet, la vie
appartient à Dieu. Il l’a donné en cadeau. La refuser, y mettre volontairement
fin est un acte contraire à la logique de la foi.
Même
si le fond de vérité théologique reste inchangé, les choix pastoraux de
l’Église se sont radicalement transformés. Les prêtres ne refusent plus les
prières aux suicidés – sauf dans le cas exceptionnel où une personne en fait un
acte revendiqué publiquement comme antichrétien- et, au contraire, l’Église,
soumise elle-même à des souffrances et à des pauvretés dans un monde de plus en
plus déchristianisé, a une meilleure compréhension de ce qui peut mener à un
tel acte. Par contre, au delà de ces deux pratiques, jamais l’Église dans son
Magistère officiel ne s’est prononcée sur le salut ou la damnation des suicidés
qu’elle considère comme le domaine du jugement de Dieu.
2. Il ne faut pas confondre le désespoir
qui est une notion psychologique et morale, avec le blasphème de désespérance
contre l’Esprit qui est une notion purement morale puisqu’il est une volonté
consciente, lucide, maîtresse d’elle-même face au Christ qui propose son
pardon, de ne pas estimer comme un acte digne cette proposition, vu la grandeur
du péché. Au contraire, la plupart de ceux qui se suicident le font parce
qu’ils estiment que la vie n’est plus un cadeau valable. Les limites qui les
enserrent leur deviennent insupportables. « On a beau dire, écrit une
jeune suicidée, que ce n’est pas si grave, que tout ira mieux demain, le bilan
est aujourd’hui négatif : plus moyen d’ouvrir un crédit à la vie ». Ce
grand désespoir vient toujours de l’absence de ce qui donne sens à la vie. « Là
où est ton trésor, là aussi est ton cœur », disait le Christ[1099]. Il peut s’agir d’une perte de son bien
ultime, parfois de manière brutale. Aussi divers que sont les biens qui peuvent
combler la vie d’un homme, qu’ils soient réels ou faussement séducteurs, aussi
divers sont les motifs du suicide. Il peut aussi s’agir de l’absence chronique
du sens de la vie, dans des sociétés sans espérance après la mort puisque
l’homme se nourrit de manière ultime de la certitude que Dieu existe et que la
vie a un sens.
Tout grand amour, même bon au plan
humain, même chrétien, mais devenu en apparence impossible, peut conduire à la
pensée du suicide. Qu’on se souvienne de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Sincèrement donnée à Dieu, elle éprouva de sa part la même épreuve que Jésus
sur la croix, l’impression d’être abandonnée par lui. Elle avoue elle-même,
dans ses souffrances physiques sans consolations spirituelles, avoir pensé
souvent au suicide. Ainsi en est-il pour les athées, elle le comprit pleinement,
et ne put jamais plus les condamner. L’homme sans espérance pour l’autre monde,
qui donne toute son amitié à une autre personne et se trouve séparé d’elle,
sans espoir possible de retour, sans même croire qu’elle peut survivre à la
mort, peut être amené à se donner la mort. Son acte prend souvent une dimension
double : prouver à l’ami qu'il l'aimait et faire disparaître la souffrance
d'une vie devenue inutile. Le désespoir peut être plus réfléchi et plus calme,
lorsque le malheur arrive lentement et inexorablement chez un homme préparé à
le recevoir. Ainsi voit-on des personnes atteintes de longues maladies ou par
la vieillesse demander l’euthanasie pour supprimer, après mûre réflexion, leur
vie condamnée. L'acte est parfois posé non à cause de la souffrance physique
mais "parce qu'il vaut mieux éteindre au plus vite ce qui, de toute façon,
s’achèvera dans le néant." Le désespoir de la non-croyance conduit à
l’euthanasie et c’est fort compréhensible : Seul le croyant peut imprégner de
sens son agonie puisqu’il croit que son cœur est préparé par ces souffrances
ultimes à une autre vie.
Dans des cas exceptionnels, le suicide
trouve un autre motif que le désespoir. Certains disciples de Sartre se
donnèrent la mort dans une optique d’exaltation de soi. Ils y voyaient un rêve
de toute puissance au moment même où l’on se sent impuissant, le rêve de
Prométhée chez les grecs ou d’Adam et Ève dans la Bible : « Vous serez comme des dieux
», avec droit de vie et de mort. Ils ne résistèrent pas au désir de
poser ultimement leur liberté. Ils constituaient par là un acte de péché
spirituel plus grave et sans commune mesure avec le désespoir dont nous parlons
ici.
Mais,
la plupart du temps, étant lié à une passion de désespoir et à une ignorance de
l’importance de vivre sa vie terrestre jusqu’au bout, le suicide constitue un
péché mortel certes, mais sans comparaison avec la mort du blasphème contre
l’Esprit. Il ne conduit donc pas en enfer.
3. Deux conditions morales sont nécessaires
pour entrer dans la gloire. 1° À titre
de fondement, l’humilité est requise puisqu’elle dispose l’esprit à
recevoir, donc à donner. Ceux qui se suicident le font presque tous à cause
d’une grande souffrance. De ce point de vue, ils sont disposés à l’humilité
parce que, ce qu’ils ont souffert constitue au minimum une humiliation. 2° L’autre condition, à titre de mérite
immédiat est l’amour. Que certains se suicident à cause du désir d’un
amour réel ou, au contraire, à cause de l’égoïsme, cela apparaît en pleine
lumière devant l’apparition du Christ qui sépare l’or de la paille. Les hommes
de bonne volonté se tournent vers Dieu avec d’autant plus de force qu’ils en
désiraient, sans le savoir, la révélation. Les égoïstes se tournent vers
l’enfer. La plupart des suicidés sont sauvés, puisque leur acte vient d’une
trop grande soif de l’amour.
4. Il existe effectivement des suicides
héroïques. Pour ne pas livrer sous la torture les noms de leurs camarades de
combat, bien des hommes agirent ainsi. Leur suicide ne constitue pas un péché,
bien au contraire. Il ne faut pas confondre cet acte ultime avec l’acte d’un
chantage à l’amour. Se suicider pour faire souffrir l’aimé considéré comme
indigne n’est pas exempt d’un calcul égoïste. L’imperfection dans l’humilité
(kénose) est comme le foin, la paille et les poutres. Ils seront purifiés au
purgatoire.
Quinze demandes[1101] :
1° Les
suffrages d’un fidèle peuvent-ils être utiles à un autre ?
2° Les
morts peuvent-ils être aidés par les œuvres des vivants ?
3° Les suffrages
des pécheurs peuvent-ils être utiles aux défunts ?
4° Les suffrages pour les défunts sont-ils
utiles à leurs auteurs ?
5° Sont-ils utiles aux damnés ?
6° À ceux qui sont à l’heure de leur mort
?
7° Aux âmes du purgatoire ?
8° Aux enfants morts sans baptême ?
9° Aux bienheureux ?
10° Les prières de l’Église, le saint
sacrifice et l’aumône sont-ils utiles aux défunts ?
11° Les indulgences accordées par l’Église
?
12° Les cérémonies des obsèques ?
13° Les suffrages spécialement destinés à
un défunt sont-ils plus utiles à lui qu’aux autres ?
14° Les suffrages destinés à plusieurs
sont-ils aussi utiles à chacun que s’ils lui étaient uniquement destinés ?
15° Les suffrages communs sont-ils aussi
utiles à ceux qui n’en ont pas d’autres que le sont les suffrages spéciaux et
les suffrages communs à ceux qui bénéficient des uns et des autres ?
Objections :
1. « Ce qu’on aura semé, dit saint Paul, on
le moissonnera. » Mais profiter des
suffrages d’un autre, c’est moissonner ce que l’on n’a pas semé. La réponse
semble donc négative.
2. La justice de Dieu a pour fonction de
rendre à chacun selon ses mérites. "Tu rends à chacun selon ses œuvres », dit le psalmiste. Mais cette justice
est indéfectible et empêche donc qu’on puisse se prévaloir des œuvres d’autrui.
3. Une œuvre est méritoire pour la même
raison qu’elle est louable, et qui est qu’elle soit volontaire. Or, une œuvre
étrangère ne nous attire aucune louange ; elle ne nous confère donc aussi aucun
mérite.
4. La justice divine récompense le bien
comme elle punit le mal. Or, personne n’est puni pour le mal commis par un
autre : « L’âme qui pèche, c’est elle
qui mourra. » Le bien n’est donc pas
davantage communicable.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « J’ai part avec tous ceux qui te craignent », etc.
2° Tous les fidèles unis par la charité ne
font qu’un seul corps, qui est l’Église. Mais, dans un même corps, les membres
s’aident les uns les autres.
Conclusion :
Nos
actes peuvent avoir un double effet : l’acquisition d’un état, par exemple la
béatitude par les œuvres méritoires ; l’acquisition de quelque chose
d’accessoire à cet état, par exemple, une récompense accidentelle ou la
rémission d’une dette. De plus, nos actes peuvent obtenir ce double effet d’une
double manière : par mode de mérite, par mode de prière ; et ces deux modes
diffèrent en ce que le premier repose sur la justice, le second, sur la seule
libéralité de celui que l’on prie.
Il
faut donc répondre que, s’il s’agit d’un état, personne ne peut l’obtenir pour
un autre par mode de mérite, en ce sens qu’il est impossible que, par mes
bonnes œuvres, un autre mérite la vie éternelle. En effet, l’état de gloire est
accordé à chacun selon sa capacité, selon les dispositions qui proviennent de
ses actes, de sa charité et non de celle d’autrui ; en notant bien qu’il s’agit
des dispositions qui rendent digne de la récompense.
Mais,
par mode de prière, on le peut, tant que le terme n’est pas atteint ; par
exemple, on peut obtenir pour un autre la proposition de la grâce. Puisque
l’efficacité de la prière dépend de la libéralité de Dieu que l’on prie, elle
peut donc s’étendre à tout ce que la toute-puissance divine peut réaliser, en
harmonie avec l’ordre providentiel.
S’il
s’agit de quelque chose d’accessoire à un état, on peut l’obtenir pour un autre
non seulement par mode de prière, mais encore par mode de mérite ; et cela, de
deux manières. 1° En vertu d’une
communication dans le principe radical de l’œuvre, qui est la charité pour les
œuvres méritoires. De là vient que chacun de ceux qui sont unis ensemble par la
charité bénéficie des bonnes œuvres de tous ; chacun cependant, selon l’état où
il est : c’est ainsi qu’au Ciel chacun des élus se réjouit du bonheur de tous
les autres. C’est ce qu’exprime l’article du Symbole de la foi sur la
communion des saints. 2° En vertu de
l’intention de celui qui fait de bonnes œuvres, et qui les fait spécialement
dans le but qu’elles soient utiles à celui-ci ou à celui-là. Dès lors, ces
œuvres appartiennent en quelque sorte à ceux pour qui elles ont été faites, par
une espèce de donation. Elles peuvent donc leur servir, soit pour satisfaire à
la justice de Dieu, soit pour toute autre chose qui les laisse dans l’état où
ils sont.
Solutions :
1. La moisson dont il s’agit ici, c’est la
vie éternelle : « Le moissonneur…
recueille du fruit pour la vie éternelle.
» Or, la vie éternelle n’est accordée qu’en récompense d’œuvres
personnelles. Si on l’obtient pour un autre, c’est toujours à la condition que
celui qui la reçoit la méritera –par sa propre charité- par ce qu’il fera
lui-même : les prières lui valent la grâce dont le bon usage, qui dépend de lui
seul, lui mérite la vie éternelle.
2. L’œuvre faite pour quelqu’un lui
appartient ; de même, l’œuvre faite par celui avec lequel je suis un, est en
quelque sorte mienne. Il n’est donc pas contraire à la justice de Dieu que
quelqu’un bénéficie des bonnes œuvres de ceux qui lui sont unis par la charité
ou des bonnes œuvres faites à son intention. La justice humaine elle-même
permet qu’un homme satisfasse à la place d’un autre.
3. La louange récompense la manière d’agir
: c’est cette relation de puissance à acte qu’elle vise. Or, l’œuvre d’autrui
ne met et ne montre en nous-mêmes aucune disposition à agir bien ou mal : c’est
pour cela qu’elle ne nous attire aucune louange, sinon indirectement, dans la
mesure où nous y avons contribué par nos conseils, notre assistance, nos
encouragements, etc. - Au contraire, une œuvre peut être méritoire pour
quelqu’un, non pas toujours en proportion de son état ou de ses dispositions,
mais par rapport à quelque chose d’accessoire.
4. Enlever à quelqu’un ce qui lui est dû
est directement contraire à la justice ; lui donner ce qui ne lui est pas du
n’est pas contraire, mais supérieur à la justice : c’est de la libéralité. Or,
nul ne peut être puni pour les fautes d’autrui qu`en perdant quelque chose de
son bien personnel, ce qui répugne tout autrement que de gagner quelque chose
par les bonnes œuvres d’autrui
Objections :
1. Saint Paul dit : « Nous tous, il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ,
afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps, selon ses
œuvres. » Il semble donc qu’aucune
œuvre ne puisse être utile à l’âme séparée de son corps par la mort.
2. Même conclusion négative suggérée par ce
texte de l’Apocalypse : « Heureux les
morts qui meurent dans le Seigneur! Car leurs œuvres les suivent. »
3. Une œuvre ne peut aider à avancer que si
l’on n’est pas encore au terme. Or, les morts ont atteint le terme ; car, on
peut mettre sur leurs lèvres ces paroles de Job "Il m’a barré le chemin et
je ne puis passer. »
4. La condition, pour aider quelqu’un,
c’est d’être en communication avec lui. Or, selon Aristote, toute communication
est coupée entre les morts et les vivants.
Cependant :
1° Dès l’Ancien Testament, la prière pour
les morts est attestée : « C’est
une sainte et salutaire pensée que de prier pour les morts, afin qu’ils soient
délivrés de leurs péchés ».[1102] Mais cette prière serait inutile, si
elle ne les aidait. Les suffrages des vivants sont donc utiles aux morts.
2° « Le
sentiment de l’Église universelle, dit saint Augustin, se manifeste avec une
grande autorité par la coutume qu’a le prêtre, lorsqu’il offre ses prières à
l’autel du Seigneur, de recommander les fidèles trépassés. » Cette coutume date des Apôtres qui, dit saint Damascène, « établirent la pratique de faire
mémoire, au cours des redoutables et vivifiants mystères, de ceux qui sont
morts dans la foi. » De son côté,
Denys signale la prière pour les défunts comme un rite pratiqué dans la
primitive Église, et affirme que les suffrages des vivants sont utiles aux
morts. C’est donc une vérité qu’il faut croire sans la moindre hésitation.
Conclusion :
Le
lien de la charité, qui unit entre eux les membres de l’Église, n’embrasse pas
seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de
charité car celle-ci ne cesse pas avec la vie, puisque saint Paul l’affirme : « La charité ne passera jamais. » De plus, les morts continuent de
vivre dans le souvenir des vivants, qui peuvent ainsi leur appliquer leurs
intentions. Dès lors, les suffrages des vivants peuvent être utiles aux fidèles
trépassés aussi bien qu’à ceux qui sont encore en ce monde, et d’après les
mêmes principes : l’union de charité, la direction d’intention.
Il
faut toutefois se garder de croire que les suffrages des vivants sont capables
de faire passer les défunts de l’état de damnation à l’état de béatitude ou
réciproquement. Ils peuvent seulement contribuer à deux choses :
1° A l’heure de la mort, alors que l’âme
n’est pas encore déterminée dans son destin éternel, ils peuvent peser dans le
sens de leur choix du salut.
2° Après la mort, dans le purgatoire, ils
peuvent en raccourcir et diminuer la peine ou à quelque autre chose d’analogue,
c’est-à-dire d’accessoire à l’état, qui est définitif.
Solutions :
1. L’âme mérite, étant dans le corps, que
les suffrages lui soient utiles après la mort. L’aide qu’elle en reçoit vient
donc de ce qu’elle a fait, étant dans le corps.
On
peut encore, avec saint Damascène, entendre cette parole de la sentence qui
sera rendue au jugement dernier, où l’âme sera condamnée ou glorifiée à jamais,
selon qu’elle l’aura mérité étant dans son corps. Jusque là les suffrages des
vivants peuvent être utiles aux morts
2. Il s’agit ici expressément de la
récompense éternelle, comme l’indiquent les premiers mots : « Bienheureux les morts », etc. - Sinon, on peut répondre que
les œuvres faites pour les défunts deviennent en quelque sorte leurs œuvres.
3. Avant la parousie du Christ et dans le
passage de la mort, les âmes ne sont pas encore au terme quant à leur
orientation définitive. La prière des vivants peut alors influencer leur choix
portant pour ou contre la charité.
Après
la parousie du Christ, il est des âmes qui sont au terme, sans cependant y être
tout à fait. Ce sont celles qui n’ont pas encore atteint la récompense
définitive (la vision béatifique) et en qui reste quelque chose à purifier. On
peut dire que, absolument parlant, leur chemin est "barré », en ce sens qu’aucune œuvre ne peut
désormais modifier l’état de damnation ou de salut. Mais le chemin reste
ouvert, en ce sens qu’elles n’ont pas encore atteint la plénitude du salut ;
elles peuvent donc être aidées car, à ce point de vue, elles ne sont pas encore
au terme dernier.
4. Aristote parle des relations de la vie
civile, à laquelle les morts sont morts, et qui sont par là même impossibles
entre eux et les vivants. Mais les relations de la vie spirituelle demeurent :
celle-ci est fondée sur la charité, l’amour de Dieu, « pour qui sont vivantes les âmes des fidèles trépassés. »
Objections :
1. « Dieu n’exauce point les pécheurs. » Leurs prières ne sont donc point
utiles aux défunts, puisque, s’il en était autrement, Dieu les exaucerait.
2. « Employer un intercesseur qui déplaît,
dit saint Grégoire, c’est redoubler la colère et la vengeance. » Donc, puisque tout pécheur déplaît à
Dieu, ses suffrages ne l’inclinent pas à la miséricorde.
3. Une œuvre est plus utile à celui qui la
fait qu’elle ne l’est à d’autres. Or, le pécheur ne peut rien mériter pour
lui-même. Donc, pour les autres, moins encore.
4. Une œuvre, pour être méritoire, doit
être vivante, c’est-à-dire, « informée
par la charité. » Or, toutes les
œuvres des pécheurs sont mortes, et donc, dépourvues de tout mérite.
Cependant :
1° On ignore qui est en état de péché, et
qui est en état de grâce. Si donc étaient utiles les suffrages de ceux-là
seulement qui sont en état de grâce, on ne saurait à qui s’adresser en faveur
des défunts, et les demandes de suffrages seraient diminuées d’autant.
2° Saint Augustin dit que les défunts sont
aidés par les suffrages, selon qu’ils l’ont mérité de leur vivant. La valeur
des suffrages dépend donc de la condition du défunt, peu importe leur
provenance.
Conclusion :
Par
rapport aux suffrages des pécheurs, il faut distinguer deux choses : 1° L’œuvre qui est opérée, par exemple,
le sacrifice de la messe : or, les sacrements de la religion chrétienne étant
efficaces par eux-mêmes indépendamment de celui qui opère, il s’ensuit que les
suffrages de ce genre sont utiles aux défunts, même s’ils viennent d’un pécheur
; 2° L’œuvre opérante, c’est-à-dire
l’opération d’où procède l’œuvre opérée, et ici il faut encore distinguer.
Si
le pécheur agit en son nom propre, son action ne peut être méritoire ni pour
lui-même ni pour autrui ; ses suffrages sont donc dénués de toute valeur. Mais
il peut agir au nom d’un autre, et cela, de deux manières. 1/ Il peut représenter l’Église universelle, par exemple, lorsqu’il
célèbre les cérémonies des obsèques. En ce cas, comme c’est celui au nom ou à
la plate duquel est faite une action qui est censé la faire, il en résulte que
les suffrages d’un prêtre, même s’il est un pécheur, sont utiles aux défunts. 2/ Il peut remplir le rôle d’instrument,
auquel l’œuvre appartient moins qu’elle n’appartient à l’agent principal. C’est
celui-ci qui peut donner à l’action d’être méritoire, même s’il se sert d’un
instrument incapable de mériter ; ainsi qu’il arrive dans le cas d’un
serviteur, qui est en état de péché, et qui fait une œuvre de miséricorde sur
l’ordre de son maître qui, lui, est en état de grâce. Dès lors, si quelqu’un,
mourant en état de grâce, demande des suffrages ou si quelque autre, également
en état de grâce, les demande pour lui, ces suffrages sont utiles à ce défunt,
même si ceux qui les acquittent sont en état de péché. S’ils étaient en état de
grâce, leurs suffrages n’en vaudraient que mieux puisque la valeur en serait
doublée
Solutions :
1. Le pécheur ne prie pas toujours en son
propre nom, mais au nom d’un autre, et ainsi, sa prière est digne d’être
exaucée. Les pécheurs eux-mêmes sont parfois exaucés, quand ils demandent
quelque chose d’agréable à Dieu. En effet, Dieu ne réserve pas sa bonté pour
les justes, mais il l’étend aux pécheurs ; non pas à cause de leurs mérites,
mais à cause de sa miséricorde. Aussi, la Glose dit que prétendre que Dieu
n’exauce pas les pécheurs, c’est parler « sans l’onction », et comme quelqu’un qui n’est pas
pleinement illuminé.
2. La prière du pécheur, en tant que faite
par lui, n’est pas agréable à Dieu, mais elle peut l’être, en tant qu’inspirée
par celui au nom ou par ordre de qui il prie.
3. Les suffrages du pécheur lui sont
inutiles parce qu’il y a en lui un empêchement ; mais ils peuvent être utiles à
d’autres qui ne sont pas dans le même mauvais cas.
4. L’œuvre du pécheur, morte en tant
qu’elle vient de lui, peut être vivante en tant qu’elle vient d’un autre.
Les deux arguments du Cependant : semblent exagérer en sens contraire et
demandent aussi une réponse.
1° On ne peut connaître avec certitude
l’état spirituel d’une autre personne ; on peut cependant en juger avec
probabilité sur ses actes extérieurs et visibles, d’après la parole du Maître :
« On reconnaît l’arbre à ses fruits. »
2° Pour être utile à un défunt, le
suffrage doit trouver en lui une capacité, et celle-ci est acquise par les
œuvres qu’il a faites en cette vie ; c’est ce que dit saint Augustin.
Cependant, il faut encore que l’œuvre elle-même ait une valeur, qui ne dépend plus
de celui pour qui elle est faite, mais de celui qui la fait ou qui la prescrit.
Objections :
1. Payer les dettes d’autrui, ce n’est pas
payer les siennes : la justice humaine le dit. Il en va donc de même pour les
suffrages par lesquels on paye la dette contractée par les défunts envers la
justice divine.
2. Ce que l’on fait, on doit le faire le
mieux possible. Or, aider deux personnes à la fois vaut mieux que d’en aider
une seule. Si donc les suffrages payaient à la fois les dettes du défunt et
celles du vivant, il semble que chacun dût faire toutes les œuvres
satisfactoires pour les défunts et aucune pour lui-même.
3. Si les mêmes suffrages suffisent à
satisfaire pour deux, pourquoi pas pour trois, pour quatre pour tous ? Ce qui
est absurde.
Cependant :
1° Le Psalmiste dit : « Ma prière retournait sur mon sein. » C’est, par retour analogue, que les suffrages pour les défunts
sont utiles à leurs auteurs.
2° « De même, dit saint Damascène,
que celui qui veut oindre un malade avec les saintes huiles, y touche le
premier avant d’en toucher le patient ; de même, quiconque travaille au salut
du prochain, est utile à lui-même d’abord, et ensuite au prochain. »
Conclusion :
Dans
l’œuvre de suffrage on peut considérer deux caractères :
1° Le caractère satisfactoire, en tant que
le suffrage expie la peine en offrant pour elle une espèce de compensation. À
ce point de vue, le suffrage devient la propriété du défunt qui en bénéficie,
et il sert à payer sa dette à lui, uniquement. En effet, il s’agit ici de
justice, et la justice exige l’égalité. Or, une œuvre satisfactoire peut être
suffisante à payer une dette et insuffisante à en payer une autre en même
temps, car il est clair que deux péchés exigent une satisfaction double.
2° Le caractère méritoire, par rapport à
la vie éternelle ; c’est la charité, son inspiratrice, qui le donne au
suffrage. Ainsi considéré, celui-ci est utile non seulement au défunt, mais
plus encore au vivant.
Solutions
:
Elles
viennent d’être données. Les trois premiers arguments visaient le caractère
satisfactoire du suffrage ; les deux autres, au Contraire, son caractère
méritoire.
Objections :
1. Il est raconté, au 2e livre
des Macchabées que "l’on trouva, sous les tuniques de chacun des morts,
des objets idolâtriques, que la loi interdit aux Juifs » ; et, nonobstant, « Judas
envoya à Jérusalem la somme de deux mille drachmes pour être employée à un
sacrifice expiatoire. » Or, ces juifs
avaient péché mortellement en transgressant la loi, ils étaient morts en cet
état, ils étaient damnés.
2. Saint Augustin dit que, « l’utilité des suffrages consiste soit
à obtenir pleine rémission pour les défunts, soit à rendre leur état de
damnation plus supportable. »
3. Si, dès cette vie, dit Denys, les
prières des justes ont une telle puissance, combien plus, après la mort, pour
ceux qui en sont dignes. » D’où l’on
peut conclure que les suffrages sont plus utiles aux morts qu’aux vivants. Mais
ils sont utiles à ces derniers, même en état de péché mortel, puisque l’Église
prie tous les jours pour la conversion des pécheurs. Pourquoi ne le seraient-ils
pas aux défunts qui sont dans le même état, c’est-à-dire aux damnés ?
4. On lit, dans les Vies des Pères, le fait
suivant que raconte aussi saint Damascène. Saint Macaire rencontra sur son
chemin une tête, et, après avoir fait une prière, il lui demanda à qui elle
avait appartenu ; cette tête répondit : à un prêtre païen qui était en enfer.
Et elle ajouta que, cependant, ce prêtre et d’autres damnés étaient assistés
par les prières de Macaire.
5. Dans le même sermon, saint Damascène
raconte que saint Grégoire, priant pour l’âme de Trajan, entendit une voix qui
venait du Ciel : « J’ai exaucé ta
prière et j’accorde à Trajan son pardon.
» « De ce fait, ajoute saint Damascène, tout l’Orient et tout
l’Occident peuvent témoigner. » Or,
Trajan était en enfer, « lui qui
avait infligé une mort cruelle à tant de martyrs. »
Cependant :
1° "Le souverain prêtre, dit Denys,
ne prie pas pour les immondes ; autrement, il s’écarterait de l’ordre
providentiel. » Un commentateur
ajoute : « Il ne demande pas la rémission
pour les pécheurs, car il ne serait pas exaucé. »
2° "C’est pour la même raison, dit
saint Grégoire que l’on ne priera pas alors (après le jugement) pour les
damnés, et que l’on ne prie pas aujourd’hui pour le démon et ses anges. C’est
encore pour cette raison qu’aujourd’hui les saints ne prient pas pour ceux qui
sont morts dans l’infidélité et l’impiété : c’est qu’ils ne veulent pas que
leur prière perde son mérite aux yeux du juge souverainement juste. »
3° Saint Augustin dit de même : « À ceux qui meurent sans la foi qui
opère par la charité, et sans ses sacrements, tous les devoirs religieux que
leur rendent leurs proches ne servent de rien. »
Conclusion :
Une
certaine opinion prétendait qu’il faut faire à ce sujet deux distinctions.
L’une, par rapport au temps : après le jugement, aucun suffrage ne sera plus
utile à aucun damné ; avant, certains damnés peuvent être aidés par les
suffrages de l’Église. L’autre, par rapport aux personnes : il y a des damnés
tout à fait mauvais, qui sont morts sans la foi et sans les sacrements de
l’Église, à laquelle ils n’ont appartenu "ni en fait ni en droit » ; Il en est d’autres, moins mauvais,
qui ont été membres de l’Église, qui ont eu la foi, reçu les sacrements, fait
quelques bonnes œuvres aux premiers les suffrages de l’Église ne peuvent être
d’aucune utilité, tandis qu’ils peuvent être utiles aux seconds.
Ainsi
Guillaume d’Auxerre expliqua que les suffrages sont utiles aux damnés, dit-il,
non pour diminuer ou interrompre leur peine, mais pour leur donner la force de
la supporter ; de même que baigner le visage d’un homme chargé d’un lourd
fardeau, ce n’est pas diminuer celui-ci, mais cependant le rendre plus facile à
porter.
Mais
il ne saurait en être ainsi. Le tourment infligé par le feu de l’enfer est en
proportion de la culpabilité, dit saint Grégoire. De là vient que les uns ou
les autres sont tourmentés plus ou moins cruellement à la mesure même de leur
propre volonté qui se porte vers le péché de manière obstinée, contre les
inclinations de leur nature.
Cette
opinion venait de l’ignorance de la nature du péché qui conduit en enfer. La
théologie n’avait pas encore pu prendre en compte la parole du seigneur qui dit
que ce n’est pas n’importe quel péché mortel qui conduit l’âme dans l’enfer
éternel mais seulement le blasphème contre l’Esprit Saint, d’après Matthieu 12,
31. Or ce péché est un acte entièrement volontaire, conscient et libre. À cette
époque, négligeant la parousie et prédication du Christ à l’heure de la mort,
les théologiens admettaient une damnation venant de Dieu lui-même pour tout
homme vivant loin de lui, même à cause d’une ignorance ou d’une faiblesse, ou
du péché originel. Nous savons maintenant que nul n’est en enfer qu’à cause de
lui-même. Si les prières pour les damnés sont inutiles, c’est parce que les
damnés s’en moquent, comme ils ont méprisé la supplication du Christ à l’heure
de leur mort. Si cette prière leur était présentée, elle serait même sans doute
cause d’un surcroît de souffrance, à cause de leur haine pour tout ce qui leur
rappelle l’amour rejeté. Une certaine jouissance perverse pourrait cependant en
sortir, à cause de l’orgueil de voir quelqu’un penser à eux.
Il
est donc nécessaire de dire sans restriction que les suffrages sont inutiles
aux damnés, que l’Église les exclut de ses prières, comme le déclarent les
autorités que nous avons alléguées.
Solutions :
1. Rien ne prouve que les soldats de Judas
Macchabée fussent en enfer. Leur péché, constitue un manque de foi et une
idolâtrie. Mais ils purent s’en repentir, soit au cours des combats, soit face
à l’apparition de l’ange de la mort selon la parole du Psalmiste : « Quand Dieu les frappait de mort, ils
le cherchaient. » C’est en tout cas
l’opinion des frères Maccabées puisqu’ils offrirent un sacrifice à leur
intention. Il leur fut utile à la fois avant leur choix dans le passage de la
mort, au moment de leur choix face à l’ange de Dieu, puisque la prière des
vivants leur fut rendue visible et les toucha, et après la mort dans les
purgatoires mystiques pour la même raison.
2. Il s’agit ici de damnation au sens
large, synonyme de condamnation à n’importe quelle peine, donc, aussi bien à
celle du purgatoire, que les suffrages tantôt ne font que diminuer, tantôt
enlèvent tout à fait.
3. Les suffrages sont plus utiles aux morts
qu’aux vivants, parce que les premiers en ont un plus grand besoin, étant
incapables de s’aider eux-mêmes comme le peuvent les vivants ; mais ceux-ci ont
cet avantage de pouvoir passer de l’état de péché mortel à l’état de grâce, ce
qui est impossible après l’entrée dans l’autre monde. La prière à l’intention
des uns et des autres s’inspire donc de motifs différents.
4. On entend ici "enfer" sous le
sens de "purgatoire", comme l’Écriture le fait pour le riche[1104]. Si l’on insiste pour dire qu'il s’agit
bien de l’enfer éternel des damnés, alors il faut dire que cette assistance ne
consistait pas en une diminution de peine, mais seulement, comme le récit en
fait foi, en ceci que la prière de saint Macaire obtenait qu’ils pussent se
voir, et cet accomplissement de leur désir leur causait une certaine joie, plus
imaginaire, que réelle. C’est ainsi que l’on dit que les démons se réjouissent
des péchés qu’ils font commettre, quoique cela ne diminue en rien leur peine,
pas plus que la joie des bons anges ne l’est par ce que nous appelons leur
compassion pour nos maux.
5. Le fait de Trajan prouve que celui-ci
n’était aucunement en enfer mais seulement au purgatoire. Il prouve aussi qu’on
ne doit jamais affirmer avec certitude la damnation de personne. Dieu seul
scrute le fond des âmes et sait qui se repend et qui ne se repend pas au moment
de la mort. Aussi doit-on prier pour le salut de tous, y compris pour celui des
pires tyrans.
Objections :
1. Il semble que cela soit inutile. Les
prières des vivants pour les morts ont principalement pour but la peine
satisfactoire due par les âmes du purgatoire pour leurs péchés passés. Or le
moment de la mort n’est pas le purgatoire.
2. La mort peut surprendre un homme de
telle manière qu’on n’ait pas le temps de prier pour lui. Il semble donc plus
sûr d’appliquer ses prières pour le cas où il en aurait besoin au purgatoire.
3. Nul ne peut obtenir pour un autre le
repentir et la justification. En effet, c’est Dieu seul qui donne la grâce et
c’est l’âme seule qui est apte à répondre à cette grâce. Donc la prière à
l’heure de la mort est inutile.
4. Il arrive que l’heure de la mort ne soit
pas un passage durant quelques heures, mais un véritable séjour d’errance qu’on
appelle le shéol. Il semble inutile de prier pour ces âmes du shéol puisque
c’est leur état de mort spirituelle qui les fait fuir la parousie du Christ ou
s’attacher à cette terre. Elles sont damnées pour toujours.
Cependant :
La
prière de l’Ave Maria, qui est la plus conseillée après celle du Pater se
termine ainsi "Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure
de notre mort. » Il est donc
particulièrement important de prier pour les défunts à l’heure de leur mort[1106].
Conclusion :
Nous
avons montré que le moment de la mort qui est le temps durant lequel l’âme
achève de se séparer de ce monde, est particulièrement important pour le défunt
puisque c’est l’heure où se détermine d’une façon ultime son destin éternel :
pour les pécheurs, après un temps entre ce monde et l’autre, l’ultime planche
du salut est donnée par la révélation glorieuse de l’humanité sainte de Jésus
venant accompagnée des saints et des anges et par la possibilité d’un acte de
conversion qui efface les péchés mortels. Au terme, l’âme est fixée pour
toujours dans l’amour de Dieu ou dans l’amour égoïste d’elle-même. Il est donc
particulièrement important de prier pour elle en cet instant. Cette prière est
rendue efficace auprès d’elle de trois manières :
1° Avant la parousie du Christ, si l’âme
est restée à demeure dans le shéol d’errance, la prière des habitants de cette
terre vient les visiter comme dans une prison et peut produire parfois, selon
le degré de leur évolution intérieure, une accélération de la prise de
conscience de leur état de mort spirituelle.
2° Au moment de la parousie du Christ, les
grâces de lumière et de tendresse données par Jésus peuvent être augmentées
pour rendre l’invitation à la conversion plus intense.
3° Les vivants qui prient peuvent être
rendus présents de manière visible et sensible au point de participer avec
Jésus et les saints du Ciel à la Révélation de la gloire de Dieu et de sa
tendresse.
Solutions :
1. Les suffrages des vivants pour les
défunts leur obtiennent par mode de mérite la remise des dettes de peines dues
pour les péchés accomplis durant la vie terrestre. Mais ils peuvent obtenir
pour eux bien d’autres choses, par mode de prière c’est-à-dire à cause de la
libéralité de Dieu qui s’étend au delà de la stricte justice. C’est de cette
façon là qu’il faut prier pour les défunts au moment de leur mort car cette
prière encourage leur âme à se tourner d’une manière définitive vers le salut
éternel. C’est pourquoi celui qui offre ses prières pour une âme avant qu’elle
ne soit jugée participe instrumentalement à sa glorification éternelle.
2. Dieu est au delà du temps. Ce qui est
accompli après la mort du défunt lui est présent à l’heure de cette mort. Il
peut donc se servir de cette prière malgré son caractère tardif. Il arrive donc
que, à l’heure de la mort, un grand-père puisse voir la prière future de sa
petite-fille non encore née.
3. Nul ne peut être cause directe de la
justification d’un autre. Cependant, il est possible d’en être cause
instrumentale aussi bien du côté de Dieu qui écoute la prière de ceux qui
l’aime que du coté de l’homme dont la volonté peut être favorablement disposée
au bien par l’exemple de la charité des disciples de Jésus.
4. Les âmes du shéol ne sont pas en état de
blasphème contre l’Esprit, à cause de l’ignorance et de la grande faiblesse de
leur condition qui prolonge cette terre. C’est pourquoi ce temps a une utilité
pour leur salut. Elles sont en quelque sorte en prison. La prière des vivants
constitue pour elles une visite qui est d’autant plus efficace pour les tourner
vers le salut, que leur souffrance est profonde et leur désir éveillé.
Objections :
1. Le purgatoire fait partie de l’enfer.
Or, en enfer il n’y a pas de rédemption. Le Psalmiste dit aussi : « Seigneur, qui vous louera en enfer ? » Les suffrages sont donc inutiles aux
âmes du purgatoire.
2. La peine du purgatoire est limitée. Si
les suffrages l’expient en partie, il pourrait donc se faire que leur
multiplication l’expiât en totalité. Le péché resterait donc totalement impuni,
ce qui semble contraire à la justice divine.
3. Les âmes sont retenues en purgatoire
afin d’y être purifiées et d’entrer ensuite dans le Royaume. Mais la
purification doit porter sur la chose même qui a besoin d’être purifiée. De ce
chef encore, les suffrages sont donc inutiles.
4. Si
les suffrages étaient utiles aux âmes du purgatoire, ils le seraient surtout à
celles qui, de leur vivant, ont donné des ordres à cet effet. Or, cela n’arrive
pas toujours. Supposons un défunt qui a demandé tels et tels suffrages dont
l’acquittement eût suffi à satisfaire pleinement pour ses péchés. Supposons
encore que ces suffrages soient différés jusqu’à ce qu’il ait subi toute sa
peine ces suffrages ne lui serviront de rien. On ne peut pas admettre qu’ils
lui ont servi avant d’être acquittés ; et, quand ils le sont enfin, lui-même
n’en a plus besoin. Les suffrages sont donc inutiles aux âmes du purgatoire.
Cependant :
Saint Augustin déclare que les suffrages sont utiles à ceux qui ne
sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Telles sont bien les âmes du
purgatoire. Denys dit aussi que « le
prêtre de Dieu quand il prie pour les défunts, prie pour ceux qui ont vécu
saintement, mais auxquels la fragilité humaine a fait contracter quelques
souillures. »
Conclusion :
Les
peines du purgatoire ont deux buts : 1°
faire disparaître les restes du péché qui sont des habitus vicieux de l’âme
encore fière et qui ralentissent le mouvement de la charité ; 2° payer la dette satisfactoire pour
les péchés qui ont été accomplis sur cette terre, selon cette parole de Jésus :
« Il ne sortira pas de prison avant
qu’il n’ait rendu jusqu’au dernier sou. »
En
ce qui concerne le premier, nul ne peut satisfaire pour un autre car il
appartient à chacun de détacher son âme de tout reste d’attachement à
elle-même. Les prières satisfactoires ne peuvent avoir pour les défunts qu’un
rôle dispositif, en tant qu’elles leur manifestent en acte la grandeur de la
vertu de charité.
En
ce qui concerne la dette qui doit être payée pour rétablir l’ordre détruit par
le péché, nous avons montré que les œuvres satisfactoires des uns peuvent
servir à d’autres, vivants ou morts à cause de la communion des saints par la
charité. Sans aucun doute, les suffrages des vivants peuvent être utiles aux
âmes du purgatoire à tel point qu’ils peuvent supprimer complètement cette
dette et hâter leur entrée au paradis.
Solutions :
1. Il est question ici de l’enfer des
damnés, où il n’y a "pas de rédemption" pour ceux qui y sont envoyés
définitivement.
On
peut encore, comme le fait saint Damascène, entendre ces textes par rapport aux
causes secondes, c’est-à-dire, ici, par rapport à ce qu’ont mérité ceux qui
sont ainsi punis. Mais, si l’on regarde plus haut, la divine miséricorde qui ne
s’arrête pas à ce que les hommes ont mérité, peut quelquefois en décider
autrement, par égard pour les prières des justes. « Dieu, dit saint Grégoire, ne modifie pas son dessein, mais
il peut modifier sa sentence. » Saint
Damascène en donne pour exemples les Ninivites, Achab et Ezéchias, où l’on voit
la sentence divine changée par la divine miséricorde.
2. On peut parfaitement admettre que la
multiplication des suffrages réduise à néant la peine du purgatoire en tant
qu’elle est satisfactoire pour les péchés antérieurement commis. Mais il ne
s’ensuit pas que le péché reste impuni, puisque les œuvres satisfactoires
faites à l’intention d’un défunt sont justement regardées comme faites par
lui-même. Cependant, il demeure à accomplir par le défunt lui-même la
purification des restes du péché dans son âme. Il lui faut donc passer par un
feu purificateur que nul autre ne peut prendre sur lui.
3. Le suffrage pour les âmes du purgatoire
porte sur le payement de la dette sans laquelle elles ne peuvent entrer au
Ciel. C’est ainsi que, si l’âme est par ailleurs déjà purifiée de ses péchés
véniels actuels et en état de kénose, elle peut, grâce aux œuvres
satisfactoires des vivants, entrer directement dans la gloire de Dieu.
4. Si quelqu’un n’exécutait pas les prières
et les œuvres selon les dernières volontés d’un mourant, il pourrait lui faire
tort. En effet, la dette de peine resterait à payer par le défunt lui-même ce
qui prolongerait son purgatoire. Il est donc nécessaire aux vivants de veiller
offrir les prières, les aumônes et les sacrifices pour les âmes des défunts au
temps voulu. Il faut cependant se rappeler que tout ce domaine des
satisfactions de la dette de peine n’est pas à prendre à la manière rigoureuse
d’une justice de comptabilité. Dieu est au delà de ces dettes dont l’obligation
est liée à l’éducation des pécheurs. Ainsi, le Christ a satisfait amplement
pour tous. De même les prières, même si elles sont offertes des années après
l’entrée au Ciel d’une âme, lui sont tout de même utiles puisque Dieu qui est
au delà du temps, lui en a appliqué le bénéfice au moment ou il en avait
besoin. Quant aux suffrages dont il n’avait pas besoin, ils sont offerts par
Dieu au bénéfice d’autres âmes, par exemple pour celles qui n’ont personne sur
terre qui prie pour elles.
Objections :
1. Les enfants morts sans baptême sont dans
un état qui les empêche d’entrer dans la gloire puisque, après cette vie, le
temps d’obtenir la grâce est passé. Il est donc inutile de prier pour eux.
2. Saint Augustin déclare que les suffrages
sont inutiles à ceux « qui ont
quitté ce monde sans avoir la foi qui opère par la charité. » Or les enfants morts sans baptême sont dans ce cas puisqu’ils
n’ont pas été justifiés par le don de la grâce. Donc les suffrages pour eux
sont inutiles.
Cependant :
C’est
une tradition de la part de l’Église d’admettre que les enfants morts nés, qui
n’ont pas reçu le baptême d’eau mais dont les parents auraient désiré si cela
avait été possible pour eux ce baptême, sont sauvés. Ce qui est possible pour
ces enfants-là, bien qu’ils n’aient pas été baptisés, l’est pour tous. Donc il
faut prier pour les enfants morts sans baptême.
Conclusion :
Nous
avons montré que, en stricte justice, les enfants morts sans baptême ne
méritent pas d’être introduits dans la gloire du Ciel puisque Adam et Ève ont
pris sur eux la responsabilité de les séparer de Dieu. Cependant, ce choix des
premiers parents peut être annulé par le choix des parents terrestres de
l’enfant, qui s’engagent en son nom dans la foi qui opère par la charité. Cela
peut être réalisé par le baptême de l’eau ou par le baptême de désir.
Cependant, si les parents terrestres viennent à manquer à leur devoir par
négligence ou par ignorance, un autre peut y remédier à cause de la communion
de la charité qui fait que chacun peut être pour un autre "une mère, un
frère"[1108]. Il est donc nécessaire de prier pour
les enfants morts sans baptême en désirant pour eux le pardon du péché
originel, la communication de la grâce et de la vie surnaturelle[1109]. Celui qui agit ainsi pour un enfant
abandonné de tous, devient d’ailleurs et pour toujours, son père ou sa mère
selon l’esprit puisqu’il lui a obtenu, dans le passage de la mort, le don de la
vie surnaturelle.
Solutions :
1. Après cette vie, c’est-à-dire une fois entré dans
l’autre monde, le temps d’obtenir la grâce est passé puisque les hommes ont vu
le Christ glorieux et ont posé leur choix définitif. Ils arrivent donc dans
l’autre monde en état de péché mortel parfait, c’est-à-dire de blasphème contre
l’Esprit Saint ou en état de grâce.
Il
en est de même pour les enfants pour qui la grâce du baptême est communiquée,
comme c’est le cas pour tous les hommes, en cette vie ou au moment de la
mort, comme nous l’avons dit.
La
prière de leurs parents leur est donc particulièrement utile car c’est elle
qui, habituellement et de droit, leur obtient la vie surnaturelle. S’il arrive
que sa mère ou son père ne demandent pour lui le baptême que bien longtemps
après sa mort, leur prière est tout de même efficace car Dieu, qui est au-delà
du temps, peut appliquer ses grâces en vertu d’un mérite à venir comme il l’a fait
pour les hommes d’une façon habituelle avant la venue du Christ lorsque l’ange
les visitait, et pour la vierge Marie dans sa conception immaculée.
2. Les enfants morts avec le baptême d’eau,
comme les enfants morts avec le baptême du désir des saints n’ont pas une foi
qui est par elle-même opérante puisque leur état d’enfance les empêche
d’exercer par un acte volontaire l’habitus de foi et de charité reçus avec le
baptême. Leur foi n’est donc opérante qu’à travers celle de leurs parents
spirituels, c’est-à-dire dans celle de ceux qui désirent pour eux le baptême.
En conséquence, les enfants ont à vivre un temps qui n’appartient ni tout à
fait à ce monde, ni tout à fait à l’autre et où ils sont progressivement
éduqués par les saints jusqu’à ce qu’ils soient capables d’un choix
véritablement libre. Il y a donc pour tous les enfants trois étapes : 1° celle de l’absence de grâce entre
leur conception et leur baptême ; 2°
celle de la grâce sanctifiante communiquée par le baptême ; 3° puis celle du choix de la gloire
proposée par la parousie du Christ.
Objections :
1. Nous lisons dans une oraison de la messe
de saint André : « De même que les
saints mystères servent à la gloire de vos saints, de même puissent-ils servir
à notre guérison. » Or, le mystère de
l’autel est le premier de tous les suffrages.
2. « Les sacrements réalisent ce qu’ils
symbolisent. » Or, la troisième
partie de l’hostie, qui est déposée dans le calice, symbolise les âmes
bienheureuses.
3. Les élus ne se réjouissent pas seulement
de leur propre bien, mais encore du bien des autres, ainsi qu’il est dit dans
saint Luc : « Il y a de la joie aux
anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence. » Les bonnes œuvres des vivants procurent donc un accroissement de
joie aux âmes qui sont au Ciel.
4. « Si les païens, dit saint Damascène,
brûlent avec les morts ce qui leur appartenait, combien plus, ô fidèle, dois-tu
faire suivre le fidèle défunt de ce qui était à lui, non pour réduire ces
objets en cendres mais pour les faire servir à une plus grande gloire : si
c’est un pécheur qui est mort, afin que la dette soit payée ; si c’est un
juste, afin que la récompense soit donnée.
»
Cependant :
1° Saint Augustin dit : « L’Église regarde comme une injustice
de prier pour un martyr, aux prières duquel nous devons nous recommander. »
2° On ne peut aider que celui qui est dans
le besoin. Mais les élus ne manquent absolument de rien. Les suffrages de l’Église
ne peuvent donc les aider.
Conclusion :
Par
sa nature même, le suffrage est une assistance, qui ne convient donc en aucune
façon à qui ne manque de rien : seul, l’indigent peut être assisté. Dès lors,
puisque les saints du Ciel ne connaissent plus aucune indigence, « enivrés qu’ils sont des délices de la
maison du Seigneur », ils n’ont que
faire des suffrages.
Solutions :
1. Ces expressions ne doivent pas
s’entendre d’un profit que retireraient les saints de la célébration de leurs
fêtes : le profit est pour nous qui célébrons plus solennellement leur gloire,
tout de même que, du fait que nous connaissons et louons Dieu et que, d’une
certaine manière, sa gloire augmente en nous, Dieu n’y gagne rien, c’est nous
qui y gagnons.
2. Sans doute, les sacrements
« réalisent ce qu’ils symbolisent »
; cependant ils ne réalisent pas tout ce qu’ils symbolisent : autrement, comme
ils symbolisent le Christ, il faudrait donc dire qu’ils réalisent quelque chose
en lui, ce qui est absurde. Mais, par la vertu du Christ, ils réalisent ce
qu’ils signifient dans celui qui les reçoit. Ainsi, le sacrifice offert pour
les fidèles défunts n’est pas utile aux saints, mais, par le mérite des saints
qui sont commémorés ou signifiés dans la célébration, il est utile à ceux pour
qui il est offert.
3. Les saints du Ciel se réjouissent de
tous nos biens. Cependant, la multiplication de nos joies n’augmente la leur
que matériellement. En effet l’augmentation essentielle ou formelle d’un
sentiment dépend de la nature même de son objet. Or, l’objet unique de la joie
universelle des saints, c’est Dieu lui-même, et cette joie est invariable :
car, si elle ne l’était pas, leur récompense, dans ce qu’elle a d’essentiel,
varierait, puisqu’elle consiste en cette joie même. Dès lors, la multiplication
des biens, dont Dieu est pour eux l’unique raison de se réjouir, ne leur donne
pas nécessairement une joie plus intense, mais seulement plus étendue. On ne
peut donc pas dire non plus que nos bonnes œuvres les aident.
4. Les suffrages obtiennent que la
récompense soit donnée non pas au juste lui-même, mais à celui qui les fait. À
moins de dire qu’ils contribuent à la récompense d’un fidèle défunt dans la
mesure où, de son vivant, il a fait l’acte méritoire de les solliciter.
Objections :
1. Une peine doit s’expier par une peine.
Or, le jeûne est plus pénible que l’aumône ou la prière. Il est donc aussi un
suffrage plus efficace.
2. Ces trois suffrages énumérés par saint
Augustin semblent insuffisants puisque saint Grégoire y ajoute un autre : « Les âmes des défunts, dit-il, sont
délivrées par les oblations des prêtres, les prières des saints, les aumônes de
leurs amis, le jeûne de leurs proches. »
3. Le baptême est le principal des
sacrements surtout par l’effet qu`il produit. Il devrait donc - et on en peut
dire autant des autres- être utile aux défunts autant ou même plus que le
sacrifice de l’autel.
4. La même conclusion, pour ce qui est du
baptême, n’est-elle pas suggérée par ce texte de Paul[1110] : «
Si les morts ne ressuscitent en aucune manière, pourquoi y en a-t-il qui se
font baptiser pour eux ? »
5. Quelle que soit la messe, c’est le même
sacrifice. Si l’on compte parmi les suffrages le sacrifice et non la messe, il
semble que n’importe quelle messe, de la Sainte Vierge, du Saint Esprit ou
toute autre, soit également utile aux défunts, ce qui est contraire aux
décisions de l’Église qui a institué une messe spéciale à leur intention.
6. Saint Damascène enseigne que « les cierges et l’huile », etc., sont offerts à l’intention des
défunts. Il faut donc ajouter ces oblations à celle du sacrifice de l’autel.
Conclusion :
La
condition de l’utilité des suffrages, c’est l’union de charité et la direction
d’intention entre les vivants et les défunts. Les œuvres les plus utiles sont
donc celles qui contiennent davantage de l’une ou de l’autre. À la charité se
rapporte principalement le sacrement de l’Eucharistie, qui est le sacrement de
l’unité entre les membres de l’Église, puisqu’il contient celui qui fait
l’unité et la solidité de l’Église tout entière, c’est-à-dire le Christ.
L’eucharistie est donc comme la source ou le lien de la charité. Quant aux effets
de celle-ci, le principal, c’est l’aumône. Si donc on envisage les suffrages au
point de vue de la charité, les deux qui ont le plus de valeur, c’est le
sacrifice eucharistique et l’aumône. D’autre part, si l’on regarde l’intention,
la première place revient à la prière car, par sa nature même, elle n’est pas
seulement en relation avec celui qui la fait, mais, encore plus directement que
tout autre suffrage, avec celui pour qui elle est faite. C’est pourquoi ces
trois suffrages sont les trois principaux moyens d’assister les défunts, sans
dénier pour autant leur utilité propre à toutes les autres bonnes œuvres
faites, en état de grâce, à l’intention des âmes du purgatoire. Car,
rappelons-le, c’est la charité et non les œuvres dans leur matérialité qui est
source de vie.
Solutions :
1. Dans l’œuvre satisfactoire faite pour un
défunt, et qui ne lui est utile que si elle lui devient en quelque sorte
personnelle, ce qui effectue cette transmission a plus d’importance que l’œuvre
elle-même ; Encore que celle-ci, dans la mesure où elle est afflictive et donc
médicinale, puisse expier davantage les péchés de celui-là même qui la fait.
Les trois suffrages que nous avons dits sont donc utiles aux défunts plus
encore que le jeûne.
2. Le jeûne peut être utile aux défunts par
la charité et la direction d’intention ; mais ces deux conditions lui sont,
pour ainsi dire, extérieures. C’est la raison pour laquelle saint Augustin ne
l’a pas compté parmi les principaux suffrages quoique saint Grégoire l’ait
fait.
3. Le baptême est une naissance, dans
l’ordre spirituel. Or, de même que c’est le seul nouveau-né qui vient au monde,
de même, c’est au seul baptisé que le baptême est utile, par l’œuvre opérée :
quoique, par l’œuvre opérante de celui qui donne ou de celui qui reçoit le
baptême, celui-ci, comme toute œuvre méritoire, puisse être utile à d’autres.
Mais l’eucharistie est le symbole de l’union entre tous les membres de
l’Église. Aussi, en vertu de l’œuvre opérée elle-même, son efficacité est
communicable. Ce qui n’a pas lieu pour les autres sacrements.
4. La Glose donne deux interprétations de
ce texte de saint Paul. » Si les
morts ne doivent pas ressusciter, le Christ n’est pas non plus ressuscité.
Pourquoi donc se font-ils baptiser pour eux ? » c’est-à-dire pour leurs péchés, puisque ceux-ci ne sont pas
remis si le Christ n’est pas ressuscité.
» En effet, la résurrection du Christ opère en même temps que sa passion,
puisqu’elle est, en quelque manière, la cause de notre résurrection
spirituelle.
La
seconde interprétation est celle-ci : « Il
y eut des ignorants qui se faisaient baptiser pour ceux qui étaient morts sans
baptême, croyant que cela leur serait utile.
» C’est simplement cette erreur que mentionne l’Apôtre.
5. Dans la messe il n’y a pas seulement le
sacrifice, mais encore des prières, c’est-à-dire deux des trois principaux
suffrages énumérés par saint Augustin. Au point de vue du sacrifice, qui est la
partie principale de la messe, celle-ci, quelle qu’elle soit par ailleurs, a
toujours la même valeur pour les défunts. Mais, au point de vue des prières,
plus utile est la messe qui contient des prières spéciales pour les défunts.
Cependant, l’infériorité d’une messe qui n’est pas celle des morts peut être
compensée par la dévotion plus grande de celui qui la célèbre ou la fait
célébrer, comme aussi par l’intercession du saint dont les suffrages y sont
plus spécialement sollicités.
6. Cette oblation de cierges ou d’huile
peut servir aux défunts à titre d’aumône : elle est, en effet, destinée au
culte ou encore à l’usage des fidèles.
Objections :
1. L’affirmative n’est-elle pas autorisée
par la coutume de l’Église de faire prêcher la croisade et d’accorder à celui
qui prend la croix l’indulgence pour lui-même et deux ou trois et même dix
personnes, vivantes ou défuntes.
2. Le mérite de l’Église tout entière a
plus de valeur que celui d’un seul fidèle. Or, un acte personnel méritoire, par
exemple, une aumône peut être utile aux défunts. Donc, a fortiori, les indulgences, qui représentent les actes méritoires
de l’Église, doivent l’être.
Objections :
1. Les indulgences sont utiles aux membres
de l’Église. Or, les âmes du purgatoire appartiennent à l’Église ; autrement,
aucun suffrage ne leur servirait.
Cependant :
Une
indulgence n’est efficace que si elle est accordée pour une cause juste et
spécialement pour une bonne œuvre utile à l’Église. Or, les défunts ne peuvent
plus rien faire et ne peuvent donc pas mériter d’indulgence.
2° La portée des indulgences dépend de
celui qui les accorde. Il pourrait donc, à supposer qu’elles soient utiles aux
défunts, accorder à un défunt une indulgence équivalente à une expiation
totale ; ce qui est absurde.
Conclusion :
Une
indulgence peut être utile de deux manières : Principalement et directement, à
celui qui la reçoit, c’est-à-dire qui accomplit l’œuvre pour laquelle elle est
accordée, par exemple, un pèlerinage au tombeau d’un saint. Cette manière est
évidemment incompatible avec la condition des défunts.
Une
indulgence peut être utile secondairement et indirectement à celui en faveur
duquel elle est gagnée par un fidèle qui accomplit l’œuvre prescrite. Mais
cette utilité dépend de la formule même de l’indulgence. Si la formule est
celle-ci : « Celui qui fera telle ou
telle chose gagnera tant d’indulgence »,
l’indulgence demeure strictement personnelle, car l’Église seule a le droit
d’attribuer les suffrages communs d’où les indulgences tirent leur valeur. Si,
au contraire, la formule est celle-ci : «
Si quelqu’un fait telle ou telle chose, quelconque de sa famille, détenu en
purgatoire, recevra tant d’indulgence »,
l’indulgence n’est plus réservée aux vivants, mais applicable aux défunts. En
effet, puisque l’Église a le pouvoir de faire participer, pendant leur vie, les
fidèles aux mérites communs, source des indulgences, il n’y a aucune raison de
lui refuser celui de les y faire participer, après leur mort. Il ne s’ensuit
pourtant pas que le supérieur ecclésiastique puisse délivrer à son gré les âmes
du purgatoire, puisque les indulgences ne sont efficaces que s’il existe une
raison légitime de les accorder.
Objections :
1. Saint Athanase dit : « Quoique l’âme de celui qui est mort
pieusement se soit envolée, ne laisse pas de faire brûler de l’huile et des
cierges à son tombeau ; car ces pratiques, accompagnées de prières, sont
agréables à Dieu et grandement récompensées par lui. »
2. Saint Augustin dit aussi : « Une piété respectueuse rendait les
derniers devoirs aux justes d’autrefois, célébrait leurs obsèques, leur préparait
un tombeau ; eux-mêmes, de leur vivant, exprimaient à leurs fils leur volonté à
cet égard. » C’est donc que toutes
ces choses ont leur importance et leur utilité pour les défunts.
3. Quiconque reçoit une aumône en profite.
Mais ensevelir les morts est regardé comme une espèce d’aumône. » Au témoignage de l’ange Raphaël,
Tobie, en donnant la sépulture aux morts, se concilia la faveur divine. »
4. On ne saurait dire que la dévotion des
fidèles soit vaine. Or, par dévotion, certains désirent être enterrés dans des
lieux saints.
5. Dieu est plus porté à pardonner qu’à
punir. Or, « les pécheurs, dit saint
Grégoire, en se faisant ensevelir dans les églises, ajoutent à leur condamnation
au lieu de contribuer à leur délivrance.
» Donc, au contraire et a fortiori,
le lieu et les circonstances de leur sépulture sont utiles aux justes.
Cependant :
Saint
Augustin déclare que « tout ce
que l’on fait pour le corps des défunts ne leur sert de rien pour la vie
éternelle, mais n’est qu’un devoir d’humanité. »
2° Saint Grégoire parle dans le même sens
: « La célébration des funérailles,
la condition de la sépulture, la pompe des obsèques, sont une consolation pour
les vivants plutôt qu’un secours pour les défunts. »
3. « Ne craignez pas, disait Jésus,
ceux qui tuent le corps, et qui après cela ne peuvent rien faire de plus. » Or, il arrive qu’ils refusent la sépulture
à leurs victimes, comme on le rapporte de certains martyrs de l’Église de Lyon.
L’absence de sépulture ne nuit donc pas aux défunts, et les cérémonies de la
sépulture ne leur servent pas davantage.
Conclusion :
La
pratique d’ensevelir les morts a été motivée par une double utilité. -L’une
pour les vivants : quant au corps, pour qu’il ne soit ni offensé ni incommodé
par la vue et l’odeur des cadavres ; Quant à l’âme, pour affirmer et confirmer
la foi au dogme de la résurrection. -L’autre pour les défunts : en même temps
que l’on voit leurs tombeaux, on évoque leur souvenir et l’on prie pour eux.
C’est même de là que vient le nom de « monument », d’après saint Augustin : monere avertir, mentem, l’esprit, faire penser à quelqu’un ou à quelque chose. Les
païens se trompaient en croyant que la sépulture était nécessaire pour assurer
aux âmes le repos qu’ils jugeaient impossible pour elles, jusqu’à ce que leur
corps ait été enseveli ; ce qui est le comble du ridicule et de l’absurde.
La
sépulture dans un lieu consacré à un saint peut être utile aux défunts, non par
l’œuvre opérée, mais par l’œuvre opérante, ce qui signifie que l’utilité ne
vient pas du fait même d’y être enseveli, mais du patronage et de
l’intercession du saint auquel les défunts, ensevelis chez lui, ont été comme
confiés ou encore des prières plus fréquentes et plus spéciales que les
personnes, chargées du soin de ce sanctuaire, font pour les âmes de ceux dont
les corps y reposent.
Ce
qui contribue à la richesse et à l’éclat d’une sépulture est utile aux vivants,
comme une espèce de "consolation »
; mais peut encore être utile aux morts, du moins indirectement, parce que les
spectateurs sont excités à la compassion et à la prière ou encore parce qu’une
partie des frais est consacrée à soulager les pauvres à orner l’église, la
sépulture devenant ainsi une espèce d’aumône.
Solutions :
1. L’huile et les cierges apportés aux
tombeaux peuvent être utiles aux défunts indirectement, s’ils sont donnés à
l’église ou aux pauvres ; ou encore si on les fait brûler comme un hommage à
Dieu, et s’ils méritent ainsi le nom d’ "holocauste" qui leur est
donné.
2. Les Patriarches s’occupaient de leur
sépulture, afin de montrer "que la Providence veille sur les corps des
défunts : non parce qu’ils conservent la moindre conscience, mais pour affirmer
la foi à la résurrection », comme le
dit saint Augustin. C’est aussi pourquoi ils voulurent être ensevelis dans la
Terre promise où ils croyaient que devait naître et mourir le Christ, dont la
résurrection est cause de la nôtre.
3. Le corps faisant partie de la nature
humaine, il est naturel à l’homme de l’aimer : « Jamais personne n’a haï sa propre chair. » Il lui est naturel aussi de s’inquiéter de ce que deviendra son
cadavre, et s’il prévoyait que celui-ci dût subir quelque indignité, il en
souffrirait. Ceux donc qui aiment quelqu’un, aiment aussi ce qu’il aime et
traitent son cadavre avec affection et respect. En effet, comme le dit saint
Augustin, « si le vêtement ou
l’anneau ou un objet quelconque dont s’est servi leur père est d’autant plus
cher à ses enfants que ceux-ci l’ont aimé lui-même davantage, il est donc
défendu de mépriser ce corps qui nous est plus étroitement uni que n’importe
quel vêtement. » Aussi, lorsque,
partageant les sentiments d’un défunt, on rend à son corps les derniers
devoirs, ce dont il est lui-même incapable, c’est vraiment une aumône qu’on lui
fait.
4. La dévotion qui pousse les fidèles à
faire ensevelir les corps de leurs chers défunts dans un sanctuaire n’est point
vaine, parce qu’elle procure à leurs âmes les suffrages du saint auquel ce
sanctuaire est dédié.
5. Etre enseveli dans un lieu saint ne nuit
à un défunt qui fut un impie que s’il a recherché par vaine gloire cette
sépulture dont il était indigne.
Objections :
1. On peut comparer les suffrages à des
lumières. Or, une lumière spirituelle est encore plus communicable qu’une
lumière corporelle ; et cependant celle-ci, un cierge, par exemple, quand elle
est allumée pour quelqu’un, éclaire également tous ceux qui sont avec lui,
quoiqu’elle n’ait pas été allumée pour eux.
2. Les suffrages « sont utiles aux défunts dans autre vie, dit saint Augustin,
autant qu’ils l’ont mérité, pendant qu’ils étaient en cette vie. » Or, il y en a qui l’ont mérité bien
plus que ceux-là mêmes auxquels les suffrages sont destinés. L’utilité des
suffrages est donc aussi pour eux.
3. Il y a une grande disproportion entre
les riches et les pauvres, par rapport aux suffrages. Si donc les nombreux
suffrages assurés aux premiers n’étaient pas en même temps utiles aux seconds,
ceux-ci seraient dans une condition d’infériorité qui semble incompatible avec
la promesse évangélique : « Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le
royaume des cieux est à vous! »
Cependant
:
1° La justice humaine se modèle sur la
justice divine. Or, chez les hommes, celui qui paye la dette de quelqu’un ne
libère que lui. Donc, comme les suffrages sont en quelque sorte le paiement
d’une dette, ils sont utiles aux défunts auxquel ils sont destinés.
2° Les suffrages sont une satisfaction
applicable aux vivants aussi bien qu’aux défunts. Mais dans le premier cas,
celui à qui ils sont destinés est le seul à en bénéficier. Il en va donc de
même quand il s’agit des défunts.
Conclusion :
Cette
question a reçu deux réponses. Les uns, parmi lesquels le Prévôtin, ont dit que
les suffrages destinés à un défunt ne lui sont pas plus utiles à lui-même, mais
à d’autres plus dignes. Et ils en donnaient deux exemples : celui d’un cierge
qu’on allume pour un riche, et qui n’éclaire pas moins ceux qui sont avec lui,
et même davantage ceux qui ont de meilleurs yeux ; celui d’une lecture faite
spécialement pour quelqu’un, et dont profitent tous les auditeurs autant et
même plus que lui, s’ils ont l’esprit plus ouvert. Et, si on leur objectait la
coutume approuvée par l’Église de prier spécialement pour tel ou tel défunt,
ils répondaient que cette manière d’agir avait pour but d’exciter la dévotion
des fidèles qui sont plus portés aux suffrages particuliers qu’aux suffrages
communs et prient avec plus de ferveur pour leurs parents que pour des
étrangers. – D’autres au contraire ont dit que les suffrages sont plus utiles aux
défunts pour qui ils sont destinés.
Chacune
des deux propositions contient une part de vérité. En effet, l’utilité des
suffrages dépend de deux choses. D’abord de l’union de charité qui fait que
tous les biens sont communs à tous. À ce point de vue, les suffrages destinés à
un défunt sont cependant plus utiles à un défunt dont la charité est plus
grande. Ainsi considérée, l’utilité des suffrages consiste moins en une
diminution de la peine qu’en une certaine consolation intérieure, qui vient de
la joie causée à celui qui a la charité par les bonnes œuvres du prochain.
Après la mort, en effet, celles-ci malgré l’union de charité ne peuvent plus
comme en cette vie, nous obtenir la grâce ou l’augmenter en nous.
Elle
dépend, en second lieu, de la direction d’intention, par laquelle les œuvres
satisfactoires passent d’un vivant à un défunt. À ce point de vue, il est hors
de doute que les suffrages destinés à un défunt lui sont non seulement plus
utiles qu’aux autres, mais ne le sont qu’à lui. La satisfaction, en effet, a
pour but direct et unique la remise de la peine. Ainsi considérés les suffrages
sont utiles à celui-là surtout auquel ils sont destinés. Sur ce point, la
seconde opinion est plus vraie que la première.
Solutions
:
1. Les suffrages agissent à la façon de la
lumière, lorsqu’ils parviennent aux défunts pour leur apporter une certaine
consolation d’autant plus grande que leur charité l’est aussi. Mais, comme
satisfaction transmise à un défunt par l’intention d’un vivant, ce n’est plus à
la lumière qu’il faut comparer les suffrages, mais au payement d’une dette. Or,
il n’y a aucune raison, si l’on paye les dettes de quelqu’un, pour que celles
d’autres personnes soient payées du même coup.
2. Ce mérite personnel est en même temps
conditionnel : ces défunts ont mérité que les suffrages leur soient utiles,
s’il en est qui leur soient destinés ; et en d’autres termes, ils n’ont fait
autre chose que de se disposer à les recevoir. Il est donc clair qu’ils n’ont
pas mérité directement d’être secourus par des suffrages, mais ils se sont
seulement, par les mérites acquis de leur vivant, préparés à et en recevoir le
fruit. Il ne s’ensuit donc pas que ce mérite soit nul et de nul effet.
3. Rien n’empêche que les riches soient
plus favorisés que les pauvres, à un certain point de vue, par exemple, celui
de l’expiation. Mais cela n’est rien ou presque rien en comparaison de la
possession du royaume des Cieux, par rapport à laquelle les pauvres sont les
favoris, d’après le texte évangélique lui-même.
Objections :
1. Celui pour qui est faite une lecture
n’en perd rien si un autre en profite. Il en va de même pour les suffrages ; et
ainsi, s’ils sont destinés à plusieurs défunts, chacun en bénéficie autant que
s’ils lui étaient uniquement destinés.
2. Selon l’usage commun de l’Église, nous
voyons que, dans une messe célébrée à l’intention particulière d’un défunt, on
ajoute des prières pour d’autres défunts. Cette pratique n’aurait pas lieu si
elle devait tourner au détriment de celui pour lequel la messe est célébrée. Il
faut donc conclure comme ci-dessus.
3. La valeur des suffrages, des prières
surtout, dépend de la puissance divine. Mais le nombre de ceux par lesquels il
accorde son secours est indifférent à Dieu, aussi bien que le nombre de ceux
auxquels il l’accorde. Donc, chacun des défunts pour lesquels une prière
commune est faite en bénéficie tout autant que celui à l’intention spéciale
duquel la même prière serait faite.
Cependant :
1° Mieux vaut secourir plusieurs personnes
qu’une seule. Si donc le suffrage destiné à plusieurs défunts était aussi
utile à chacun que s’il lui était uniquement destiné, il semble que l’Église
n’aurait pas dû instituer des messes ou des prières à l’intention spéciale d’un
défunt, mais que les unes et les autres dussent toujours être offertes pour
tous les défunts, ce qui est évidemment faux.
2° L’efficacité d’un suffrage est limitée.
Divisé entre plusieurs défunts, il est donc moins utile à chacun que s’il était
attribué en entier à un seul.
Conclusion :
Si
l’on considère dans les suffrages la valeur provenant de la vertu de charité
qui unit tous les membres de l’Église, la réponse est affirmative : Les
suffrages destinés à plusieurs défunts donnent à chacun autant que s’ils
étaient destinés à lui seul. Car la charité n’est pas diminuée, mais plutôt
augmentée, par la diffusion de ses bienfaits ; la joie, elle aussi, s’accroît
en se communiquant, comme le dit saint Augustin. Ainsi donc, la bonne œuvre
destinée à plusieurs défunts réjouit chacun d’eux tout autant que si elle était
faite pour lui seul.
Au
contraire, si l’on considère le suffrage comme une satisfaction dont la valeur
est transmise aux défunts par l’intention des vivants, il faut répondre que le
suffrage destiné à un seul défunt lui est plus utile que s’il lui était destiné
et même temps qu’à d’autres : car, en ce cas, la justice divine attribue à
chacun une part seulement de la valeur satisfactoire totale.
On
voit par là que cet article est un corollaire du précédent ; et l’on voit aussi
la raison des suffrages individuels dans l’Église.
Solutions :
1. Les suffrages, considérés comme
satisfaction, ne sont pas utiles en agissant, comme le serait un enseignement
dont l’efficacité, et il en est ainsi de toute action, est proportionnée aux
dispositions de celui qui le reçoit ; ils sont utiles en acquittant une dette,
comme on l’a expliqué. La comparaison est donc défectueuse.
2. On a dit que les suffrages destinés à un
défunt sont, d’une certaine manière, utiles à d’autres ; rien n’empêche donc
d’ajouter à une messe célébrée pour un défunt certaines prières pour d’autres
défunts ; car on ne prétend point par là détourner à leur profit la valeur
satisfactoire du sacrifice, mais seulement les secourir par ces prières faites
à leur intention.
3. Il faut considérer dans la prière celui
qui prie et celui qui est prié : l’effet dépend de tous les deux. Sans doute le
Dieu tout-puissant peut aussi facilement pardonner à plusieurs qu’à un seul ;
mais celui qui prie n’est pas capable, par une même prière, de satisfaire
autant pour plusieurs que pour un seul.
Objections :
1. Dans l’autre monde, chacun est traité
selon ses mérites. Mais, celui à qui aucun suffrage spécial n’est destiné peut
avoir mérité d’être secouru, après sa mort, autant qu’un autre qui bénéficie de
pareils suffrages : donc les suffrages communs lui sont tout aussi utiles.
2. De tous les suffrages de l’Église, le
principal, c’est l’Eucharistie. Mais celle-ci, du fait qu’elle contient le
Christ tout entier, a une efficacité en quelque sorte infinie. Une seule
oblation du sacrifice eucharistique, à l’intention de tous les défunts, suffit
donc à leur délivrance plénière, et au suffrage commun ne laisse à désirer le
secours d’aucun suffrage particulier.
Cependant :
Deux
biens sont meilleurs qu’un seul. Les suffrages spéciaux ajoutés aux suffrages
communs sont donc plus utiles à un défunt que ces derniers seuls.
Conclusion :
La
réponse dépend de celle qui a été donnée à l’article 14. Si les suffrages
destinés à un défunt en particulier sont utiles à tous sans distinction, tous
les suffrages sont communs ; dès lors, un défunt privé de tout suffrage spécial
est secouru, s’il en est également digne, tout autant que celui auquel des
suffrages sont spécialement destinés. Au contraire, si la valeur des suffrages
n’est pas attribuée indifféremment à tous les défunts, mais d’abord et surtout
à ceux qui en sont les destinataires, il n’est pas douteux que les suffrages
spéciaux ajoutés aux suffrages communs ne soient plus efficaces que ces
derniers seulement.
C’est
pourquoi le Maître des Sentences signalait deux opinions. La première soutient
que les suffrages communs omis pour le pauvre une valeur égale à celle qu’ont
pour le riche les suffrages communs et les suffrages particuliers : ce dernier
a des secours plus nombreux, mais qui ne sont pas plus efficaces. -La seconde
opinion admet que celui à qui sont destinés des suffrages particuliers reçoit
un pardon plus rapide, mais non pas plus entier, puisque riche et pauvre
seront, en fin de compte, entièrement délivrés.
Solutions :
1. Le secours apporté par les suffrages ne
dépend pas directement et absolument du seul mérite mais, pour ainsi dire, conditionnellement,
comme on l’a expliqué à la solution 2 de l’article 13.
2. La puissance du Christ contenu dans l’eucharistie
est infinie, mais son efficacité est orientée vers le défunt à l’intention
duquel le saint sacrifice est offert. Il ne s’ensuit donc pas nécessairement
qu’une seule oblation eucharistique expie toute la peine des âmes du
purgatoire, pas plus qu’elle n’opère, pour un vivant, la satisfaction totale
pour les péchés qu’il a commis la preuve en est que plusieurs messes sont
parfois imposées en réparation d’un seul péché.
On
peut croire cependant que, par un effet de la divine miséricorde, le surplus
des suffrages particuliers surabondants pour ceux auxquels ils sont destinés,
est appliqué à d’autres défunts qui sont privés de tels suffrages et qui ont
besoin de secours. » Parce que Dieu
est juste, dit saint Damascène, il n’exige de la faiblesse que ce qu’elle peut
donner ; parce qu’il est sage, il trouve le moyen de combler les indigences » ; et ce moyen, c’est de transférer ce
que les uns ont de trop à d’autres qui n’ont pas assez.
Dès
avant la résurrection des corps, les âmes en qui ne se trouve aucun obstacle dû
au péché sont introduites dans la vision de l’essence divine. Et c’est cette
vision qui est la substance même de la vie éternelle, selon saint Jean : « La vie éternelle, c’est qu’ils te
connaissent, toi le véritable Dieu. »
À propos du paradis, nous avons déjà étudié la Vision béatifique (Questions 1 à
7). Il nous reste à étudier la condition des âmes glorifiées par rapport à
elles-mêmes et par rapport aux autres.
D’abord
quelques noms attribués par l’Écriture au paradis :
Cinq
questions se posent :
1° Le
paradis céleste est-il la même chose que le paradis terrestre d’Adam et Ève ?
2° Est-il
le royaume de Dieu ?
3° La
terre promise aux Hébreux ?
4° La
Jérusalem céleste ?
5° Le
festin des noces de l’agneau ?
6° Serons-nous
prêtres ?
Objections :
1. Il semble que l’on doive répondre par
l’affirmative. Dans le paradis terrestre, l’homme voyait Dieu selon cette
parole de la Genèse[1115] : « Dieu se promenait dans le Jardin à la brise du jour. » Or il s’agit là de la récompense
essentielle du paradis céleste.
2. Après la résurrection des corps et la
glorification du monde, on doit, semble t-il affirmer que l’homme retrouvera le
paradis perdu par Adam et Ève. Isaïe décrit ainsi le monde renouvelé[1116] : «
le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau,
le nourrisson jouera sur le repère du serpent. » Or il en était ainsi dans le paradis terrestre. Donc le monde
renouvelé sera le paradis terrestre.
3. Genèse dit[1117] : « Dieu bannit l’homme et il posta devant le Jardin d’Eden les
chérubins et la flamme vive du glaive fulgurant pour garder l’arbre de vie. » Or dans le paradis céleste, l’homme
aura l’arbre de vie puisqu’il vivra éternellement. Il semble donc que l’Eden
n’est autre chose que le paradis céleste.
4. L’Apocalypse de saint Jean semble
l’enseigner puisqu’elle annonce le règne de mille ans du Christ sur la terre.[1118]
Cependant :
Saint
Paul écrit[1119] : «
Nous vous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, tout ce que Dieu a préparé
pour ceux qui l’aiment. » Or l’œil de
l’homme a vu le jardin d’Eden. Donc le paradis est autre chose.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré, ce qui est à considérer comme essentiel dans le paradis
céleste, c’est la vision de l’essence divine qui est communiquée aux élus dès
avant la résurrection de leur corps. C’est pourquoi, pris sous ce point de vue,
il n’y a pas de différence fondamentale entre le paradis céleste avant et après
la résurrection de la chair. Les textes de l’Écriture qui le décrivent peuvent
donc être appliqués aux deux états.
De
même, pour distinguer le paradis terrestre de celui qui nous est préparé par
Dieu, il faut regarder en premier lieu le rapport de l’âme à Dieu. Or, au
paradis terrestre, l’homme ne voyait pas Dieu face à face comme le prouve le
fait qu’il a pu se détourner de lui par la suite. Il ne le contemplait que de
loin selon deux modes complémentaires : une contemplation naturelle par
laquelle, en regardant les créatures, il reconnaissait la sagesse et la bonté
du Créateur ; une contemplation mystique appuyée sur la supériorité de la grâce
originelle qui l’établissait dans une amitié très proche avec Dieu. Sa
béatitude naturelle était parfaite mais pas sa béatitude surnaturelle qui
restait à espérer. Il n’en est pas de même dans le paradis céleste où la
béatitude finale sera atteinte en plénitude. Donc le paradis céleste est tout
autre chose que le paradis terrestre de nos premiers parents.
Solutions :
1. La Genèse ne veut pas parler ici de la
vision de l’essence divine mais seulement de la permanence de sa présence
spirituelle et ressentie, à cause de la grâce mystique reçue par Adam et Ève.
Le bonheur du paradis terrestre était donc inférieur à celui de la vision
béatifique.
2. Ces textes et ceux qui leur ressemblent
sont des manières de parler pour exprimer la paix totale qui règnera au paradis
céleste. Et, même lorsque ces textes se réaliseront au sens propre, il ne
s’ensuit pas que le paradis céleste soit semblable au paradis terrestre car,
dans le jardin d’Eden, le loup mangeait l’agneau et le serpent pouvait mordre.
Seule une disposition divine protégeait l’homme en l’harmonisant totalement
avec la nature.
3. Dans le paradis terrestre, l’homme était
immortel en ce sens que Dieu aurait devancé la faiblesse de sa nature et
l’aurait pris dans sa gloire avec son corps, sans qu’il ait à passer par la
mort. Mais, à cause du péché originel, cette assomption ne put être réalisée
sauf dans la vierge Marie qui fut exempte par une grâce toute particulière de
cette tâche originelle. Dans le paradis céleste, après la résurrection du
corps, l’immortalité sera due au rejaillissement perpétuel de la vision
béatifique qui transfigurera notre corps mortel en corps de lumière.
4. Ce texte de l’Apocalypse, interprété
littéralement, a été l’objet d’une longue controverse théologique. Pour finir,
son interprétation authentique a été établie par le Magistère romain de manière
définitive dans sa condamnation du Millénarisme : il s’agit de l’annonce
prophétique d’une réalité de la grâce qui, quelles que soient les épreuves
rencontrées par un homme ou une Église, demeure toujours présente au secours de
la fidélité. Les mille années symbolisent la stabilité du Seigneur qui
n’abandonne jamais ses amis. Il n’y a pas à voir dans ces mille ans un sens
littéral.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Jésus dit en effet[1121] : «
le Royaume de Dieu est au milieu de vous. » Or ses disciples n’étaient pas encore glorifiés. Donc le Royaume
des Cieux n’est pas le paradis.
2. Il ne semble pas que les hommes
règneront avec Dieu. "Le Christ remettra la royauté au Père"[1122]. Il n’y aura donc qu’un seul roi qui
sera Dieu lui-même.
3. Le Royaume de Dieu est présent partout
jusqu’en enfer puisque rien ne peut se faire dans le monde contre la volonté de
Dieu. Donc le paradis ne peut être appelé le Royaume de Dieu plus que l’enfer.
4. Dieu n’habite pas plus dans le Ciel que
sur la terre puisqu’il est omniprésent. Le paradis ne doit donc pas être appelé
Royaume des Cieux.
Cependant :
Jésus
appelle dans l’Évangile le paradis du nom de Royaume de Dieu, Royaume des Cieux
ou encore Royaume éternel.[1123]
Conclusion :
On
dit qu’un homme règne sur un pays quand sa volonté est maîtresse de l’ordre qui
y est établi. De même, l’homme règne sur lui-même quand il domine pleinement
l’empire de ses sens et dirige ses actions par le seul ordre imposé par son
intelligence. De ces deux manières, on doit dire que le paradis céleste sera le
Royaume de Dieu puisque la volonté de tous les hommes sera pleinement soumise à
la sienne au point que nul n’aura de volonté propre qu’en conformité à la
sienne. En un autre sens, le paradis peut être appelé Royaume en tant que
chacun y sera roi :
1° N’ayant qu’une seule volonté avec Dieu,
l’homme sera par participation source de l’ordre de l’univers. Il régnera donc
avec Dieu, selon le livre de l’Apocalypse.[1124]
2° Chaque homme étant unifié en Dieu, tous
auront la même volonté que lui. Ainsi chacun sera dit régner sur tous car tous
feront la volonté d’un seul.
3° Après la résurrection, l’homme sera
pleinement maître de son corps au point que le corps glorieux est appelé un
corps spirituel. Il règnera donc sur lui-même. De tout cela, on peut conclure
que le paradis sera véritablement une communauté de rois.
Solutions :
1. Dans la mesure où l’homme est uni à Dieu
par la charité, il commence à entrer en possession de la royauté. C’est en ce
sens que l’on peut dire que le royaume de Dieu est déjà commencé sur la terre.
Cependant, Dieu ne règnera pleinement sur nos âmes que lorsque tout péché aura
été détruit en nous.
2. Toute royauté trouve son origine
première en Dieu, donc dans le Christ. Ce n’est que par participation que
l’homme peut régner sur le monde. C’est pourquoi le dogme solennel de la foi
catholique enseigne, dans le Credo du pape Paul VI (1968) : « Nous croyons que la multitude [des
âmes] qui sont rassemblées autour de Jésus et de Marie au paradis forme
l'Église du ciel, où elles sont, à des degrés divers, associées avec les
saints anges au gouvernement divin exercé par le Christ en gloire, en
intercédant pour nous et aidant notre faiblesse par leur sollicitude
fraternelle. »
3. Rien ne peut se faire dans le monde qui
aille contre l’ordre général de la Providence divine. Ainsi, même le péché est
en un sens voulu par Dieu de même que Dieu veut pour l’homme la liberté de se
séparer de lui. Cependant, ce n’est pas ainsi que Dieu règne au Ciel mais par
l’union de la charité.
4. C’est en un sens métaphorique que le
paradis est appelé Ciel. Le Ciel évoque en effet plusieurs choses :
1° la clarté puisqu’il est libre de
l’opacité de l’atmosphère terrestre.
2° L’inaccessibilité puisque nul ne peut y
monter par ses propres forces. Il en est de même pour la vie surnaturelle.
3° La stabilité puisque l’ordre des astres
semble immuable. De même, la vision de Dieu qui est l’essence de la béatitude
du Ciel est claire puisque Dieu est lumière, inaccessible puisqu’il dépasse
tout ce que l’homme peut concevoir, stable puisque nul ne peut être déchu de la
possession de la gloire.
Objections :
1. La terre promise n’est autre que le pays
de Canaan. Il fut montré à Abraham puis promis à Moïse qui envoya des espions
s’assurer que le peuple était capable de le conquérir. Il ne s’agit en aucune
façon du royaume des Cieux.
2. C’est avec une extrême violence que les
Hébreux prirent possession de la Terre promise, comme on le voit dans le livre
de Josué : après avoir franchi le Jourdain, ils commencèrent par détruire la
ville de Jéricho, ne laissant subsister en elle ni femme, ni enfant, ni
vieillards. Ils détruisirent ensuite une à une les places fortes du pays. Au
contraire, le royaume de Dieu appartient aux doux et aux humbles (kénose). Il
se conquiert par la charité.
3. La terre promise fut enlevée aux Hébreux
par le roi de Babylone, puis par le général romain Titus. Il ne peut en être de
même pour le paradis céleste puisque l’âme, une fois établie dans la vision
béatifique, ne peut la perdre. Donc la Terre promise ne symbolise pas le
paradis céleste.
Cependant :
L’épître
aux Hébreux[1125] dit qu’ « Abraham vint séjourner dans la terre promise par la foi. » Or c’est par la foi que l’on rentre
au paradis ; d’autre part, le Seigneur dit en saint Matthieu[1126] : «
heureux les doux, ils possèderont la terre » ; La Terre promise est donc bien la préfiguration du paradis
céleste.
Conclusion :
Le
peuple Hébreu a été choisi par Dieu dès l’origine pour être signe aux yeux de
toutes les nations du projet de Dieu sur les hommes. C’est pourquoi ce n’est
pas seulement l’Écriture qui lui a été communiquée qui doit être regardée, mais
aussi toute l’histoire de cette nation. Cette histoire doit être prise selon un
sens spirituel. Ainsi, la Terre qui fut promise à Abraham, à Moïse puis à
toutes les générations juives par la suite et qui est matériellement la
Palestine, signifie en fait la promesse du paradis éternel où coulent le lait
et le miel, c’est-à-dire la plénitude de la béatitude divine. De même, l’histoire
de la conquête de cette terre a un sens moral qui expose la lutte que l’homme
doit mener contre le péché pour accéder à la gloire, selon Matthieu[1127] : «
le royaume des Cieux appartient aux violents et seuls les violents
l’emportent. »
Solutions :
1. Ce n’est pas au sens propre mais au sens
eschatologique que doit être compris dans le cadre de cet article ce texte
biblique.
2. Prise en un sens eschatologique et
moral, l’histoire de la conquête de la terre de Canaan signifie le combat
spirituel qui oppose l’homme à son péché en vue de la croissance du Royaume de
Dieu en lui. Ainsi, le peuple hébreu dût commencer par vivre en Egypte où il
s’installa tout en y vivant un dur esclavage. L’Egypte est le symbole de la vie
terrestre où l’homme s’installe souvent, bien qu’il y soit dans une perpétuelle
et aliénante course après sa nourriture et sa survie.
Puis
le peuple hébreu dût traverser le désert. Ce passage, qui aurait dû être
rapide, dura 40 ans du fait de son impréparation. Il y découvrit par une longue
errance la vanité de son ancien attachement à l’Egypte. Ainsi en est-il du
passage de la mort, entre ce monde et l’autre, qui est initié par le sacrement
des malades, et dure normalement peu de temps. Il ne se transforme en séjour,
le shéol, que lorsque l’âme n’est pas assez détachée de ce monde ou effrayée à
l’idée d’entrer dans la lumière de l’autre monde.
Puis
le peuple enfin purifié dût traverser le Jourdain, qui symbolise l’entrée dans
l’autre monde, la justification par la communication de la grâce et le bain du
baptême. Cela se produit au moment de l’apparition du Christ glorieux lorsqu’il
annonce son évangile.
Puis
le peuple détruisit la ville de Jéricho, cette ville forte entre toutes et plus
ancienne que les autres. Elle symbolise la tentation d’orgueil présentée par
Lucifer lors de sa venue. Nous devons rejeter ce projet en nous en premier lieu
si nous voulons construire une vie spirituelle avec Dieu. La manière dont
Jéricho fut détruite, à savoir après en avoir fait sept fois le tour et avoir
soufflé dans les trompettes, symbolise que seule la grâce de Dieu peut nous
faire franchir cet obstacle indestructible pour nos forces humaines. De même,
l’anathème réalisé sur tout ce qui était dans la ville signifie qu’il ne doit
rien rester dans le cœur de l’homme qui se rattache à l’amour désordonné de
soi. La ville de Jéricho ne fut jamais reconstruite car celui qui reconstruit
ce qui est orgueilleux, après l’avoir détruit par la conversion ne peut rester
dans la terre promise. Une telle œuvre de destruction du péché doit donc être
faite avec intransigeance, ce que symbolise la violence des conquêtes.
La
lente conquête du pays de Canaan symbolise le long chemin qui nous fait
détruire en nous les restes du péché, dans les purgatoires mystiques, jusqu’au
jour où, l’homme étant complètement purifié, il voit la gloire de Dieu emplir
le Temple de son âme.
3. La terre promise ne symbolise pas
seulement la possession parfaite de la béatitude qui est réalisée dans la
vision de l’essence divine. Elle signifie aussi sa possession imparfaite par la
grâce, qui est possible dès cette terre mais qui peut être perdue par n’importe
quel péché mortel.
Objections :
1. Cela ne semble pas. L’Écriture décrit
Jérusalem comme le lieu de l’infidélité, qui met à mort les prophètes au point
que Jésus a pu dire[1128] : «
Il ne convient pas qu’un prophète meurt hors de Jérusalem. »
2. Jésus fut crucifié hors de Jérusalem. Si
cette ville devait symboliser en premier lieu l’union à Dieu et le paradis
céleste, n’aurait-il pas fallu qu’il souffrît sa passion près du temple qui est
le lieu de la présence divine ?
3. Selon les prophéties de Jésus[1129], «
Jérusalem sera foulée par les païens.
» Une telle peine infligée à la ville sainte semble évoquer davantage
l’enfer ou le purgatoire que le paradis céleste.
Cependant :
Le
livre de l’Apocalypse dit à propos du paradis[1130] : «
Je vis la Cité Sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du Ciel, de
chez Dieu. J’entendis une voix clamer du trône : Voici la demeure de Dieu avec
les hommes. » Donc le paradis est la
Jérusalem céleste.
Conclusion :
La
ville de Jérusalem, regardée selon un sens spirituel, symbolise en premier lieu
le cœur de l’homme. Quand Jérusalem est sainte, le temple de Dieu est placé au
centre des honneurs et des attentions du peuple qui y offre les différents
sacrifices exigés par la loi. Quand Jérusalem oublie Dieu et néglige le temple,
elle tue les prophètes envoyés selon cette parole de Jésus [1131] : «
Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te
sont envoyés. » Elle est alors
soumise à la ruine physique par des armées étrangères qui détruisent le temple
et massacrent son peuple comme on le vit quarante ans après la passion de
Jésus. De même, le cœur de l’homme, lorsqu’il est soumis à Dieu au point que la
charité est au centre de son intention, s’épanouit dans de multiples grâces
spirituelles. Au contraire, s’il se sépare de Dieu par le péché mortel, il
détruit l’édifice de la grâce et mérite de subir les peines qui le ramènent
dans la voie du salut, selon Osée[1132] : «
Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » Ainsi, si l’on regarde l’histoire de Jérusalem, on voit sous
forme matérielle le récit des diverses joies et épreuves liées à la vie de la
grâce qui peuvent marquer la vie.
Après
l’entrée au Ciel, l’âme des élus se trouve parfaitement unifiée en Dieu au
point que nul péché ne peut plus subsister. La vision de l’essence divine est
source de la vie de l’âme et l’établit dans une stabilité et une béatitude
parfaite. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse décrit le paradis de la
manière suivante[1133] : «
la ville peut se passer de l’éclat du soleil car la gloire de Dieu l’a
illuminée et l’agneau lui tient lieu de flambeau ; elle est entourée d’un
rempart ; elle resplendit comme une pierre très précieuse. » Le paradis céleste est donc comparable à Jérusalem quand elle
est sainte.
En
un second sens, la Jérusalem terrestre peut symboliser la communauté des
croyants à savoir l’Église dans son chemin terrestre puis céleste. En cette
terre, l’Eglise vit des succès et subira des épreuves de plus en plus intenses
de la part des Antéchrists, jusqu’à connaître une destruction extérieure, une
kénose purifiante à l’image de Jérusalem. Après le jugement dernier, l’Église
symbolisée par la Jérusalem céleste sera sans mélange d’aucune corruption
puisque la charité y sera parfaite sans défaut.[1134]
Solutions :
1. En tant que corrompue, Jérusalem
symbolise le cœur de l’homme lorsqu’il s’éloigne de Dieu et la communauté
ecclésiale lorsqu’elle oublie de fonder son culte sur la charité. Mais le
paradis est décrit à travers la ville de Jérusalem considérée dans sa sainteté.
2. Il convenait que Jésus meure hors de
Jérusalem qui est la Ville Sainte, puisqu’il s’était fait pour nous péché,
selon le prophète Isaïe. Comme le bouc émissaire, il a pris sur lui dans sa
passion le péché de tous les hommes et l’a effacé par sa mort en dehors de la
Ville Sainte.
3. Les épreuves provisoires infligées à
Jérusalem manifestent le gouvernement de Dieu sur l’homme qui est frappé de
peines temporaires pour son péché. Mais ces peines doivent conduire l’homme à
s’humilier et à réformer sa vie. En ce sens Jérusalem est le symbole du
purgatoire de cette vie ou de celui qui est imposé après la mort. Ainsi,
Jérusalem foulée par les païens symbolise ce temps où l’Alliance leur est
donnée et enlevée au peuple juif qui l’a rejetée. Jérusalem rendue aux juifs
signifie ces derniers moments du monde où les nations apostasieront et où les
Juifs reprendront dans leur foi l’Alliance du Christ.
Objections :
1. On ne peut comparer le paradis céleste à
des noces. Le mariage implique le corps ; la vision béatifique est une joie
spirituelle.
2. De même, le plaisir qui accompagne le
festin est lié à la nourriture et à la boisson. Or, au paradis céleste, l’homme
n’aura plus besoin de manger puisque son corps sera devenu inaltérable.
3. Dans le paradis céleste, Dieu sera vu
face à face, dans son essence. Ce n’est donc pas en tant qu’il s’est fait chair
qu’il sera notre béatitude. On devrait donc parler plutôt des noces de la
Trinité avec notre âme.
4. Le jour des noces, s’il est le plus
émouvant, n’est pas toujours celui où l’amour des époux est le plus fort
puisqu’il n’est qu’un commencement. On aurait donc du comparer le paradis au
bonheur des époux qui sont restés fidèles et ont grandi dans l’amour toute une
vie.
5. Nous avons montré que la substance du
bonheur éternel serait la vision de Dieu. Or la vision est dans l’intelligence.
Elle ne doit pas être comparée à des noces dont la joie est dans l’affectivité.
Cependant :
Jésus
annonce à ses disciples à la cène[1135] : «
Je ne boirai plus de ce vin jusqu’au jour où je boirai le vin nouveau dans
le Royaume de Dieu. » De même, le
livre de l’Apocalypse dit[1136] : «
Heureux les gens invités au festin des noces de l’agneau. »
Conclusion :
Le
paradis céleste est comparable à des noces éternelles dont l’épouse serait l’âme
et l’époux Dieu lui-même et ceci pour plusieurs raisons :
1° À cause de l’amour fervent et englobant
tous les degrés de la vie affective (mystique, spirituel, sensible et physique)
qui unit souvent les jeunes époux et qui est comparable à la charité brûlante
qui unira l’âme à Dieu pour l’éternité, s’épanouissant dans une délectation
spirituelle parfaite.
2° À cause de la possession réciproque sur
leur corps que se donnent les époux le jour de leur mariage. Elle symbolise la
possession réciproque que l’âme aura de son Dieu au Ciel.
3° À cause de la joie des noces qui doit
être sans nuages comme le montre Jésus à Cana en apportant du vin nouveau avant
que les époux s’aperçoivent qu’il n’y a plus de vin. De même, au Ciel, la joie
et la paix seront sans mélange puisque les fruits du Saint Esprit seront donnés
en plénitude.
On
peut trouver une autre signification à ce mariage spirituel que représente le
paradis : l’épouse est la communauté des élus célébrant ses noces éternelles
avec Dieu. C’est pourquoi l’Église est souvent comparée par l’Écriture à une
épouse. Cette interprétation complète la première en manifestant qu’au Ciel,
les noces ne seront pas seulement entre l’âme et Dieu, mais aussi, à cause de
Dieu, celles de toutes les âmes entre elles. Ainsi seront réalisés en plénitude
les deux commandements qui n’en font qu’un : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et tu aimeras ton prochain comme
toi-même. »
Remarque
: Cette analogie des noces est la plus grande de toutes celles qui sont
utilisées dans l'Écriture car elle est celle qui parle le plus directement de
la cause de l'entrée dans la Vision de Dieu, à savoir l'amour de charité.
Solutions :
1. Dans le mariage, il y a deux choses à
considérer :
1° Ce qui est essentiel et qui donne au
mariage d’exister, à savoir une union indissoluble des esprits, union en vertu
de laquelle les époux sont tenus de se garder une fidélité inaltérable. En ce
sens, la vision béatifique est comparable au mariage comme une analogie propre
puisqu’elle implique une charité dont la stabilité est confirmée pour
l’éternité. Toutes les perfections de l’amitié consommée sont réalisées dans
ces noces, par la vision, la délectation et la fruition comme nous l’avons dit.
2° Ce qui est la perfection seconde du
mariage et qui permet à l’amour de prendre son extension jusque dans le corps
et dans une œuvre commune, à savoir l’union sexuelle des époux, le don de la
vie et l’éducation à des enfants. En ce sens, le mariage humain exprime d’une
manière métaphorique la joie et la fécondité spirituelle du Ciel. Cependant
après la résurrection des corps, le plaisir de la vision de Dieu s’étendra
jusque dans la chair puisque le corps participera à la gloire de l’âme. Il y
aura donc un réel plaisir physique. Dès maintenant, les élus étant liés à leur
vie psychique, ils vivent intensément dans leur sensibilité la joie de leur
union à Dieu.
2. De même que la nourriture soutient la
vie du corps, de même Dieu sera le seul soutien de la vie spirituelle de l’âme
; de même que le vin rend joyeux et ivre, de même la vision de Dieu réjouira
l’âme au delà de tout ce que l’on peut imaginer sur terre. Elle fera
disparaître dans le bonheur tous les anciens soucis.
3. On peut parler au sens propre des Noces
de l’agneau puisque c’est le Verbe incarné qui nous a obtenus d’entrer dans
cette béatitude, à cause de la constance de son amour qui nous a poursuivis
pour nous unir à lui "alors que nous étions encore pécheurs" selon
saint Paul[1137]. Le Verbe s’est fait chair "pour
venir parler à notre cœur, nous qui étions dans le désert"[1138]. Mais, en tant qu’il s’unira à nous
comme un époux à son épouse, on doit parler des Noces de la Sainte Trinité avec
notre âme.
4. L’amour des jeunes époux exprime mieux
le bonheur du paradis céleste car il apparaît extérieurement selon toute sa nouveauté
et sa ferveur. De même, l’amour du Ciel aura l’intensité perpétuelle
d’éternelles fiançailles ; mais l’amour des époux au terme d’une vie, quand il
a su vaincre les épreuves du temps, peut mieux exprimer la force indestructible
de l’union des âmes avec Dieu au Ciel, selon le cantique[1139] : «
l’amour est fort comme la mort. »
5. Il est vrai que la comparaison des noces
exprime davantage la charité qui est au commencement de la béatitude et qui y
introduit, ainsi que celle qui est au terme et qui s’épanouit dans la joie
spirituelle, que la substance de la béatitude elle-même qui est la vision de
Dieu. Cependant, dans les noces humaines, l’amour des époux est source pour eux
d’une véritable connaissance puisqu’elle permet d’atteindre ce qu’il y a de
plus profond en l’autre. Et cette connaissance affective peut exprimer d’une
manière lointaine la connaissance contemplative que nous aurons de Dieu dans la
vision.
Objections :
1. Cela semble insensé : Le sacerdoce
naturel de la créature humaine adorante, le sacerdoce lévitique, le sacerdoce
ministériel catholique et le sacerdoce de la charité sont les quatre formes de
sacerdoce données par Dieu sur la terre. Or aucun d’entre eux ne pourra subsister
: 1° Le sacerdoce naturel de Noé
sera transfiguré dans le face à face de la vision. Il n’existera plus comme ce
qui est provisoire s’efface devant le définitif ; 2° Le sacerdoce lévitique est déjà disparu, remplacé selon l’épître
aux Hébreux, par l’unique sacerdoce du Christ où l’on n’offre plus des animaux
mais le Christ et son âme conjointement ; 3°
Le sacerdoce ministériel n’aura plus lieu de s’exercer puisque d’une part, Dieu
sera vu face à face par tous ce qui rendra inutile la consécration eucharistique
et, d’autre part, les fidèles ne pècheront plus ce qui rendra superficiel le
sacrement de pénitence. De même, les autres sacrements seront inutiles ; 4° Enfin, le sacerdoce de la charité
disparaîtra selon ses trois fonctions : prophétique, puisque chacun sera
instruit par Dieu directement ; royale, puisque le Père sera le berger unique
et sans intermédiaire de chacun ; et sacerdotale, puisque nul n’aura plus à
intercéder pour autrui, chacun étant comblé de tous les biens en plénitude.
2. Le sacerdoce ordonné disparaîtra
nécessairement même dans son caractère : À l’heure de la mort, le corps
disparaît et enlève au prêtre la capacité de faire les gestes et de prononcer
les paroles sacramentelles.
Cependant :
Lorsqu’un
prêtre est ordonné, on lui redit les paroles de l’épître aux Hébreux[1141] : «
Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. » D’autre part, l’Apocalypse de saint Jean nous décrit le monde
nouveau comme "un Royaume de prêtres pour Dieu le Père"[1142]. Ailleurs[1143], ce livre dit que nous serons "prêtre
de Dieu et du Christ. »
Conclusion :
Tout homme qui exerce un ministère
d’intermédiaire entre Dieu et un homme ou entre un homme et Dieu, exerce une
forme de sacerdoce. C’est même là la définition du prêtre : il porte devant
Dieu les prières de ceux pour qui il est mandaté et, réciproquement, il
communique aux hommes les réponses de Dieu. 1° Ce
mandat peut lui venir de la nature, comme on le voit pour les parents
lorsqu’ils prient pour leurs enfants ou leur enseignent le Créateur. Ce
sacerdoce parental implique éducation, (dimension prophétique), autorité
(dimension royale) et intercession (dimension sacerdotale). Il implique aussi
des rites comme une forme de bénédiction, une adoration en famille etc. C'est le sacerdoce naturel, exercé jadis
par Noé. 2° et 3° Ce
mandat peut venir d’une parole de Dieu suivie d’une reconnaissance du peuple
comme on le voit dans les sacerdoces lévitiques et chrétiens. 4° Enfin,
il existe un sacerdoce dont la source vient du contact intime avec Dieu par la
charité : celui qui vit de son baptême parle à Dieu dans
un cœur à cœur qui le dispose surnaturellement à être intercesseur entre Dieu
et les hommes. Il prie pour eux et, à l’occasion en paroles
ou par le modèle de sa vie, il enseigne aux hommes qui est Dieu. Ce sacerdoce
est commun à tous les fidèles et il est le plus grand de tous puisque tout les
autres ne sont permis et voulus par Dieu que pour conduire les hommes à la
charité théologale.
Pour
savoir maintenant si ces sacerdoces demeureront dans le paradis, il suffit de
se demander si nous aurons encore, selon ses diverses formes, à exercer auprès
de nos frères un rôle d’intermédiaire avec Dieu. Au Ciel, nous le verrons face à face et nous
serons unis à lui comme une épouse dans l’amour de son époux ; De plus, nous
serons parfaitement comblés au point qu’il n’y aura plus ni péché ni
souffrance. Il est donc évident qu’il n’y aura plus la nécessité d’une
intercession. C’est ce qu’exprime l’Apocalypse [1144] : «
Ils se passeront d’une lampe pour
s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière. » Il
est évident que les parents n’auront plus à éduquer leurs enfants devenus
adultes dans la Vision béatifique communiquée après leur vie terrestre ; De
même, il sera inutile d’offrir à Dieu en sacrifice des animaux, chaque âme
s’offrant elle-même à chaque instant. Enfin, la présence réelle dans les voiles
de l’eucharistie sera remplacée par la présence sans voiles. Il est donc
évident que les sacerdoces passagers que nous aurons connus sur terre seront
devenus inutiles et n’existeront plus.
Par
contre, il restera une place pour le sacerdoce de la charité. Comme nous
l’avons montré, ce ne sera pas une place de nécessité comme sur la terre où
Dieu ne peut être connu qu’à travers des images humaines de sa présence. Ce
sera un sacerdoce de la gratuité du don mutuel. Etant unis à Dieu, chacun
parlera à Dieu et à son prochain. De même, chacun sera pour son prochain une
image unique de la beauté de Dieu, n’ajoutant que surabondance à l’unique
vision de face. Enfin, nous l’avons déjà montré, chacun obéira à son prochain,
réalisant ainsi dans sa perfection le vrai culte qu’attend le créateur. Ce sera
donc un Royaume d’intercesseurs, c’est-à-dire de prêtres, de rois et de
prophètes.
Solutions :
1. Nous l’avons montré, les différents sacerdoces
ministériels disparaîtront, n’ayant plus de matière où s’exercer, sauf pour
aider les créatures spirituelles en marche vers leur salut, sur terre et au
purgatoire. Par contre, le sacerdoce de la charité subsistera dans son rôle
spécifique d’intermédiaire entre Dieu et les hommes, non par nécessité mais
dans l’exercice perpétuel de la charité par la délicatesse des intentions
gratuites. Chacun au Ciel sera devenu comme Dieu pour son prochain, étant uni à
Dieu dans un amour exclusif.
2. Le sacerdoce ordonné est reçu à travers
un caractère sacramentel qui s’inscrit dans l’intelligence pratique du prêtre :
Celui-ci sait très concrètement qu’il a reçu mandat de Dieu d’exercer certaines
actions sanctificatrices. Dieu s’engage en réponse à réaliser ce pour quoi le
prêtre a été mandaté. Au Ciel, chaque prêtre saura qu’il est prêtre et que, si
Dieu le demandait, les paroles cultuelles prononcées seraient efficaces. Chaque
prêtre sera donc prêtre en la racine du sacerdoce qui se situe dans son
intelligence pratique mais non plus selon l’exercice de ce ministère devenu
inutile. De même, s’il arrive qu’il y ait un prêtre en enfer, il se saura tel
et le sera en effet. Cependant, s’il advenait qu’un prêtre de l’enfer prononce
les paroles consécratoires, elles ne seraient pas suivies d’effet, Dieu ne
répondant évidemment pas à une intention explicitement et nécessairement
blasphématoire. De plus, le temps de l’Église en voie étant passé, ces paroles
n’auront plus de la part du chef de l’Église, c’est-à-dire du Christ, d’autorité
sur l’Esprit Saint.
En
conclusion, on doit dire que le sacerdoce ministériel est éternel quant à son
caractère mais non quant à son effet cultuel.
Au
sujet de la condition des âmes glorifiées par rapport à elles-mêmes, nous
verrons :
1° La connaissance et l’amour naturels
demeurent-ils dans les âmes béatifiées ?
2° Peuvent-elles pécher ?
3° Peuvent-elles progresser en béatitude ?
4° Souffrent-elles de l’absence du corps ?
5° Le corps physique est-il requis pour la
béatitude ?
6° Les degrés de béatitude doivent-ils
être appelés demeures ?
7° Les demeures diverses se
distinguent-elles selon les degrés de charité ?
Objections :
1. Nous lisons dans la première épître aux
Corinthiens : « Quand viendra ce qui
est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » Mais la connaissance et l’amour naturels sont imparfaits par
rapport à la connaissance et à l’amour des bienheureux. Ils doivent donc
disparaître dans la béatitude.
2. Là où une seule chose suffit, le reste
est superflu. Or la connaissance et la dilection de la gloire suffisent aux
âmes bienheureuses. Connaissance et amour naturels sont donc superflus.
3. La même puissance ne peut produire en
même temps deux actes, pas plus qu’une ligne ne peut se terminer, à l’une de
ses extrémités, par deux points. Mais les anges au Ciel sont toujours en acte
de connaissance et d’amour béatifiques : Car la félicité n’est pas un habitus,
mais un acte. Il n’y a donc pas de possibilité pour eux de connaître et d’aimer
naturellement.
Cependant :
Tant
que demeure une nature, demeure aussi son opération. Or la béatitude ne détruit
pas la nature dont elle est la perfection. Elle n’enlève donc pas non plus la
connaissance et l’amour naturels.
Conclusion :
Les
rapports qui existent entre les principes d’opération, se retrouvent dans les
opérations elles-mêmes. Or il est manifeste que la nature est première par
rapport à la béatitude qui est seconde : car la béatitude ajoute à la nature.
D’autre part ce qui est premier doit toujours être sauf dans ce qui est second.
Il faut donc que la nature soit sauvegardée dans la béatitude. Et il en est de
même de l’acte naturel par rapport à l’acte béatifique.
Solutions :
1. La perfection que l’on acquiert enlève
l’imperfection qui lui est opposée. Mais l’imperfection de la nature n’est pas
opposée à la perfection de la béatitude ; elle lui est seulement sous-jacente.
Ainsi l’imperfection de la puissance est sous-jacente à la perfection de la
forme : en sorte que ce n’est pas la puissance qui est enlevée par la forme,
mais la privation, laquelle s’oppose à la forme. Semblablement l’imperfection
de la connaissance naturelle ne s’oppose pas à la perfection de la connaissance
de la gloire : rien n’empêche en effet de connaître quelque chose par divers
moyens de connaissance, les uns démonstratifs, les autres simplement probables.
Ainsi l’âme peut connaître Dieu par l’essence divine, ce qui relève de la
connaissance de la gloire ; et connaître Dieu par sa propre connaissance qui
appartient à sa connaissance naturelle.
2. Les conditions de la béatitude se
suffisent à elles-mêmes, mais, pour être, il leur faut les conditions
naturelles, car aucune béatitude ne subsiste par elle-même si ce n’est la
béatitude incréée.
3. Deux opérations d’une même puissance ne
peuvent exister en même temps qu’à la condition d’être ordonnées l’une à
l’autre. Or connaissance et amour naturels sont ordonnés à la connaissance et à
la dilection de la gloire.
Objections :
1. La béatitude n’enlève pas la nature, on
vient de le dire. Or il est de l’essence de la nature créée d’être déficiente.
L’âme bienheureuse peut donc pécher.
2. Les facultés rationnelles sont capables
de se porter sur des objets opposés l’un à l’autre. Or la volonté de l’âme ne
cesse pas d’être une faculté rationnelle. Elle peut donc se porter sur le mal
comme sur le bien.
3. Choisir entre le bien et le mal relève
du libre arbitre lequel n’est pas diminué dans l’âme du fait de la béatitude.
L’âme bienheureuse peut donc pécher.
Cependant :
D’après
saint Augustin, c’est dans les saints du Ciel que se trouve cette nature qui ne
peut pécher.
Conclusion :
La
béatitude consiste à voir Dieu dans son essence. Or l’essence de Dieu, c’est
l’essence même de la bonté. L’âme qui voit Dieu se trouve donc par rapport à
Dieu comme celui qui ne le voit pas par rapport à l’idée du bien comme tel. Or
personne ne peut vouloir ou agir qu’en vue du bien, et il lui est impossible de
se détourner du bien comme tel. L’âme bienheureuse ne peut donc vouloir ou agir
qu’en se référant à Dieu, et par le fait même ne peut pécher d’aucune manière.
Solutions :
1. Toute nature bonne créée, considérée en
elle-même, est déficiente. Mais, unie indéfectiblement au bien incréé, comme il
arrive dans la béatitude, elle ne peut plus pécher, comme nous venons de le
dire.
2. Les facultés rationnelles peuvent se
porter vers des objets opposés quand elles ne sont pas ordonnées naturellement
à ces objets ; si leur ordre aux objets est naturel, ceux-ci ne peuvent
s’opposer. L’intelligence en effet ne peut pas ne pas assentir aux principes
naturellement connus ; et de même la volonté ne peut pas ne pas adhérer au bien
en tant que tel, car elle est naturellement ordonnée au bien comme à son objet
propre. La volonté de l’ange peut donc se porter en beaucoup de cas vers des
déterminations opposées, faire ou ne pas faire ceci ou cela. Mais pour ce qui
est de Dieu, vu comme l’essence même de la bonté, il n’y a pas d’alternative
possible : Quelles que soient les déterminations opposées auxquelles l’âme se
résout. Elle les choisit toujours selon Dieu ; et par le fait même, il ne pèche
pas.
3. Le libre arbitre se trouve, en regard
des moyens qui mènent à la fin, dans le même rapport que l’intelligence en
regard des conclusions. Or l’intelligence peut, selon les principes donnés,
déduire diverses conclusions ; mais elle commet une faute lorsque, pour
parvenir à une conclusion, elle ne tient pas compte de l’ordre imposé par les
principes. De même le libre arbitre peut choisir divers moyens, du moment
qu’ils sont ordonnés à la fin ; et cela relève de la perfection de sa liberté ;
mais s’il opère un choix sans tenir compte de l’ordre de la fin, il pèche et
cela représente pour sa liberté un défaut. C’est pourquoi la liberté des âmes
qui ne peuvent pas pécher, est supérieure à la nôtre parce que nous, nous
sommes susceptibles de pécher.
Objections :
1. La charité est principe de mérite. Mais,
dans les âmes, la charité est parfaite. Les âmes bienheureuses peuvent donc
mériter, et à mesure que croît leur mérite, leur béatitude qui en est la
récompense grandit. Ils peuvent donc progresser en béatitude.
2. D’après saint Augustin, « Dieu se sert de nous à la fois pour
notre utilité et aux fins de sa bonté. »
Ainsi en est-il des âmes qu’il emploie dans divers ministères spirituels. Elles
prient pour nous et peuvent parfois utiliser la puissance divine dont elle
dispose pour nous aider. Or ces prières, n’auraient aucune utilité pour elles
si elles n’en retiraient du mérite et ne progressaient en béatitude.
3. C’est une imperfection pour celui qui
n’est pas au sommet, de ne pouvoir progresser. Or les âmes ne sont pas au
sommet de la béatitude. Il y aurait donc pour eux une imperfection à ne pouvoir
progresser en béatitude.
Cependant :
A l’heure de la mort, lorsque le Christ
paraît dans sa gloire, l’âme ne peut que l’aimer de tout son cœur, de toute son
âme, de toute sa force, ou au contraire le rejeter de la même façon. Or ce qui
est plénier ne peut progresser. Donc les âmes, au sortir de ce monde et après
la parousie sortent de l’état de voie. Elles ne peuvent donc ni mériter par un
plus grand amour, ni progresser en béatitude.
Conclusion :
Dans tout mouvement, l’intention de
l’agent moteur est de conduire le mobile à un point déterminé. L’intention se
porte en effet sur une fin et l’indéfini lui répugne. D’autre part, comme la
créature rationnelle ne peut atteindre par ses propres forces sa béatitude qui
consiste en la vision de Dieu, elle a besoin d’y être mue par Dieu lui-même. Il
faut donc que soit fixé un terme vers lequel elle se trouve conduite comme vers
sa fin ultime.
Ce terme de la vision divine ne peut être pris de l’objet lui-même
qui est vu, car la souveraine vérité est appréhendée par tous les bienheureux
selon les degrés divers. Il doit donc être pris du mode de vision et fixé
diversement d’après l’intention de celui qui conduit le bienheureux à sa fin.
Il n’est pas possible en effet qu’en étant élevée à la vision de la suprême
essence, la créature rationnelle parvienne au mode suprême de vision qui est la
compréhension. Ce mode ne peut appartenir qu’à Dieu, nous le savons. Mais,
puisqu’il faut une puissance d’une efficacité infinie pour comprendre Dieu et
que la créature ne dispose que d’une efficacité finie, il s’ensuit qu’il y aura
des degrés en nombre illimité entre un degré quelconque de vision et l’infinie
compréhension divine. La créature rationnelle peut donc saisir Dieu plus ou
moins clairement et selon des modes sans nombre. Et de même que la béatitude
consiste dans la vision, ainsi le degré de béatitude représente un certain mode
déterminé de vision.
En
définitive, toute créature rationnelle est conduite par Dieu à sa fin
bienheureuse et reçoit un degré de béatitude déterminé par la prédestination
divine.
Solutions :
1. C’est à celui qui est mû vers la fin,
qu’il appartient de mériter. Or la créature rationnelle n’est pas mue vers la
fin seulement d’une façon passive, elle l’est aussi en son activité. Quand donc
la fin se trouve à sa portée, c’est l’opération de la créature rationnelle qui
conquiert la fin : ainsi l’homme, par la méditation, acquiert la science.
Quand
la fin n’est pas en son pouvoir, mais doit être obtenue d’un autre, l’opération
est alors méritoire de la fin. De plus, quand on est parvenu au terme ultime,
il n’y a plus mouvement, le changement est acquis. C’est pourquoi il appartient
à la charité imparfaite, qui est celle de l’état de voie, de mériter. Quant à
la charité parfaite elle ne mérite plus, elle jouit de la récompense. Ainsi en
va-t-il des habitus acquis : l’activité qui les précède nous les fait acquérir
; une fois possédés, ils nous font agir avec perfection et joie. Semblablement
l’acte de la charité parfaite n’a pas raison de mérite, il relève plutôt de la
récompense et de son accomplissement.
2. Une chose peut être utile de deux
manières : d’abord comme un moyen pour parvenir à une fin ; c’est en ce sens
que le mérite de la béatitude nous est utile. Ensuite, comme une partie est
utile au tout, le mur à la maison : sous ce rapport la prière des âmes
bienheureuses leur sont utiles, car elles font d’une certaine manière partie de
leur béatitude : diffuser sa perfection sur autrui appartient en effet à l’être
parfait en tant qu’il est parfait.
3. Bien qu’absolument parlant l’âme
bienheureuse n’atteigne pas le degré suprême de la béatitude, cependant, pour
ce qui est d’elle et compte tenu de la prédestination divine, elle est parvenue
au terme ultime et au sommet de son bonheur. Néanmoins, peut croître chez les
âmes, la joie qu’elles éprouvent du salut de ceux pour qui elles prient
particulièrement, selon cette parole de l’Évangile : « Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur
qui se repent. » Mais cette joie
appartient à la récompense accidentelle, et elle peut augmenter jusqu’au jour
du jugement. D’où l’opinion de certains qui admettent qu’au sujet de cette
récompense les âmes peuvent mériter. Pourtant il vaut mieux reconnaître que
d’aucune façon un bienheureux ne peut mériter, à moins d’être à la fois dans
l’état de voie et dans l’état de béatitude, ce qui était le cas du Christ sur
la terre. La joie dont nous parlons en effet, les âmes l’obtiennent en vertu de
leur état bienheureux plutôt qu’ils ne la méritent.
Objections :
1. Il semble que le corps physique soit
requis nécessairement pour la béatitude de l’homme. En effet, la perfection de
la vertu et de la grâce présuppose la perfection de la nature. Et c’est la
béatitude qui est la perfection de la vertu et de la grâce. Mais une âme sans
corps ne possède point la perfection de sa nature, vu qu’elle est naturellement
une partie de la nature humaine, et qu’une partie hors de son tout est
imparfaite. Donc l’âme sans le corps ne peut pas être heureuse.
2. D’autre part, la béatitude est une
opération parfaite, ainsi que nous l’avons dit. Or l’opération parfaite suit à
l’être parfait, car rien n’opère que pour autant qu’il est un être en acte.
Ainsi donc, l’âme séparée du corps n’ayant pas son être parfait, non plus que
toute partie séparée de son tout, il semble qu’elle ne puisse ainsi être
heureuse.
3. D’autre part encore, la béatitude est la
perfection de l’homme. Or l’âme sans le corps, ce n’est pas l’homme.
4. En outre, selon le philosophe,
l’opération de la félicité, en quoi consiste la béatitude, n’a pas
d’empêchement. Or l’opération de l’âme séparée a un empêchement ; car, ainsi
que le dit Augustin, « l’âme a comme
un appétit naturel de régir le corps, et par cet appétit elle est arrêtée en
quelque sorte dans son élan vers le Ciel suprême », c’est-à-dire vers la vision de la divine essence. Donc l’âme
sans le corps ne saurait avoir la béatitude.
5. Au surplus, la béatitude est un bien qui
se suffit à lui-même et apaise tous les désirs. Or cela ne convient pas à l’âme
séparée, car elle désire toujours s’unir à son corps, comme Augustin le
rappelle.
6. Enfin, du fait de la béatitude, l’homme
est l’égal des anges : or, selon Augustin, l’âme séparée n’est pas l’égale des
anges : donc elle n’a pas la béatitude.
7. À propos de cela, on s’est demandé[1148] si on peut l’admettre, étant donné que
l’Écriture parle d’une résurrection finale ; d’autre part l’Écriture ne conçoit
pas la vie d’une âme séparée. On émet donc l’hypothèse (toujours le P. Benoît)
que l’homme qui meurt participe à la vie du Corps ressuscité du Christ. Cette
hypothèse du Père Benoît est profonde et tend à coïncider avec l’affirmation de
la résurrection immédiate. En effet, ce qui subsiste dans l’éternité c’est la
plénitude du Corps du Christ unifié par l’Esprit du Père. Dès que l’homme
communie à ce Corps, il vit par l’Esprit ; dès qu’il entre, par sa mort, en
communion plus plénière avec ce Corps, on peut dire qu’il est vraiment ressuscité,
participant de la vie pascale de Jésus. Dans cette perspective, le dogme de
l’assomption assume une signification typologique exceptionnelle : la vierge
Marie est le type de tous ceux qui se sont endormis dans le Christ pour vivre
aussitôt après dans la plénitude de sa vie[1149].
8. Le corps physique est le siège des
facultés de la vie végétative, respiration, nutrition, reproduction. Il est
pesant et sa disparition ne constitue pas un inconvénient pour notre mode
naturel de connaissance puisque, nous l’avons vu, les facultés sensibles
subsistent après la mort dans un corps psychique. Donc le corps physique et sa
résurrection ne sont pas requis pour la béatitude plénière de l’homme.
Cependant :
On
lit dans l’Apocalypse : « Heureux les
morts qui meurent dans le Seigneur. »
Donc ceux qui sont dans une totale charité purifiée sont heureux sans attendre,
avant la résurrection de la chair.
Conclusion :
Il y
a deux sortes de béatitudes : L’une imparfaite et telle que nous pouvons
l’avoir dans la vie présente, l’autre parfaite et qui consiste dans la vision
de Dieu. Il est bien manifeste que pour la béatitude de cette vie, le corps est
nécessaire. En effet, la béatitude de la vie présente est une opération de
l’intellect soit spéculatif, soit pratique. Or l’opération de l’intellect, en
cette vie, ne peut avoir lieu sans images, lesquelles ne naissent qu’en un
organe corporel, comme nous l’avons montré. Et ainsi la béatitude possible en
cette vie dépend en quelque manière du corps.
Quant
à la béatitude parfaite, qui consiste dans la vision de Dieu, quelques-uns ont
pensé qu’elle ne peut non plus être accordée à l’âme en dehors de sa jonction
avec le corps, et ils disent que les âmes des saints, étant séparées de leurs
corps, ne peuvent parvenir à la béatitude avant le jour du jugement, jour où
leurs corps physique leur feront retour.
Mais
cela est faux du point de vue de l’autorité comme du point de vue de la raison.
Au point de vue de l’autorité ; car l’Apôtre écrit : « Aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin
du Seigneur », et voulant montrer de
quelle nature est cet éloignement, il ajoute : « car nous marchons par la foi et non par la vue. » D’où il appert qu’aussi longtemps que
quelqu’un marche par la foi et non par la vue, n’ayant pas la vision de
l’essence divine, il n’est pas encore en la présence plénière de Dieu. Or les
âmes des saints qui sont séparées de leurs corps sont présentes à Dieu, ce qui
fait que l’Apôtre ajoute : « Dans
cette assurance, nous aimons mieux déloger de ce corps et habiter auprès du
Seigneur. » Il est donc évident que
les âmes des saints séparées de leurs corps "marchent par la vue », c’est-à-dire voient l’essence de
Dieu, ce qui constitue la vraie béatitude.
Par
raison aussi, notre conclusion s’impose car notre intellect n’a besoin du corps
pour son opération qu’en raison des images sensibles, en lesquelles il voit, en
même temps que ces images, la vérité intelligible qu’elles lui représentent. Or
il est évident que l’essence divine ne peut pas être contemplée au moyen
d’images, ainsi que nous l’avons démontré dans la première partie de cet
ouvrage. Donc, puisque la parfaite béatitude de l’homme consiste dans la vision
de l’essence divine, cette béatitude ne peut dépendre du corps, et ainsi, même
sans corps, l’âme peut être bienheureuse.
Toutefois,
il faut savoir qu’une chose peut appartenir à la perfection d’une autre de deux
manières : D’abord pour constituer son essence même : ainsi l’âme est
nécessaire à la pleine constitution de l’homme. Ou, d’une autre façon, pour
concourir à son meilleur être : ainsi la beauté corporelle ou la promptitude
d’esprit appartiennent à la perfection de l’homme. Dans le premier sens, nous
avons dit que le corps n’est pas nécessaire à la perfection de la béatitude
humaine ; mais il l’est dans le second. En effet, comme l’opération d’un être
est dans la dépendance de sa nature, plus la nature de l’âme sera parfaite,
plus parfaite sera aussi sa propre opération, en laquelle consiste sa
béatitude. C’est pourquoi saint Augustin s’étant demandé si les âmes des morts
peuvent sans leurs corps acquérir la suprême béatitude, il répond : « Elles ne peuvent voir la substance
immuable de la même manière que les saints anges la voient, soit pour une
raison plus cachée, soit parce qu’il y a en elles un désir de posséder et de
régir leur corps. »
Solutions :
1. On veut que la nature de l’âme soit
parfaite, afin que sa béatitude soit aussi parfaite. Mais la béatitude est la
perfection de l’âme quant à l’intellect, par où l’âme s’élève au-dessus des organes
corporels, et non pas selon que l’âme est la forme naturelle du corps. Il
s’ensuit que l’âme séparée garde la perfection de nature selon laquelle lui est
due la béatitude, bien qu’elle n’ait plus sa perfection de nature en tant que
forme du corps.
2. En ce qui concerne la perfection de
l’être, il faut savoir que l’âme n’est pas à cet égard dans le cas d’une partie
quelconque. Dans les cas ordinaires, l’être du tout n’appartient à aucune de
ses parties de là vient qu’à la destruction du tout, la partie cesse d’être,
comme les parties qui composent la plante à la destruction de la plante ; ou,
si les parties demeurent, elles ont un être actuel différent : ainsi une partie
de ligne a un être différent de celui de la ligne entière.
Mais
l’âme humaine, après la destruction du corps, conserve l’être même du composé,
et cela parce qu’il n’y a qu’un seul être de la matière et de la forme et que
cet être est celui du composé : or l’âme subsiste en raison de son être propre,
ainsi que nous l’avons démontré. Il reste donc qu’après sa séparation d’avec le
corps l’âme garde son être parfait, et qu’elle peut ainsi avoir une opération
parfaite, bien qu’elle n’ait plus la perfection de sa nature spécifique.
3. On insiste en disant que la béatitude
appartient à l’homme en son unité. Mais la béatitude appartient à l’homme
quant à son intelligence ; c’est pourquoi, tant que son intelligence demeure,
il est capable de béatitude, tout comme les dents de l’Ethiopien, selon
lesquelles il est appelé blanc, peuvent continuer d’être blanches même quand on
les arrache.
4. On craint que l’âme ne soit empêchée de
jouir de sa béatitude par l’absence du corps. Mais une chose peut être empêchée
par une autre de deux manières. D’abord par manière de contrariété, comme le
froid empêche l’action de la chaleur et un tel empêchement répugne à la
béatitude. En second lieu, du fait d’un certain manque, en ce sens que la chose
empêchée n’aura pas ce qui peut conférer à sa pleine et entière perfection et
un empêchement de ce genre ne répugne pas à la béatitude, mais seulement à sa
perfection pleine et entière. C’est ainsi que l’âme est dite retardée dans le
plein élan qui l’emporte vers la vision de la divine essence. En effet, elle
désire jouir de Dieu de telle manière, que sa jouissance dérive par une sorte
de reflux vers le corps lui-même, selon qu’il en est capable : C’est pourquoi,
tant qu’elle jouit de Dieu sans son corps, son appétit se repose en Dieu de
telle sorte qu’elle désire toujours voir son corps parvenir lui aussi à la
participation de ce bien.
5. Il ne résulte pas de là, comme on le
croit, que l’âme reste dans l’inquiétude et dans la recherche. Le désir de
l’âme séparée est totalement en repos en ce qui concerne l’objet désiré. Elle a
ce qui lui suffit. Mais elle n’est pas pleinement en repos en ce qui la
concerne elle-même ; car elle ne possède pas son bien de toutes les manières
dont elle voudrait le posséder. C’est pourquoi, son corps repris, sa béatitude
croît, non pas en intensité, mais en extension.
6. Quand donc Augustin dit que les âmes des
morts ne voient pas Dieu de la même manière que les anges, il ne faut pas
l’entendre dans le sens d’une inégalité quantitative ; car même maintenant
certaines âmes bienheureuses sont élevées aux ordres supérieurs du monde
angélique et voient donc Dieu plus clairement que les anges inférieurs. Il
faut comprendre qu’il y a ici une inégalité de proportion, en ce sens que les
anges, même inférieurs, ont toute la perfection de béatitude qu’ils doivent
avoir à jamais, ce qui n’est pas vrai des âmes des saints séparées de leur
corps.
7. Cette thèse peut être interprétée en
deux sens : Elle peut s’entendre d’une participation au corps du Christ par
mode mystique, c’est-à-dire à travers l’intense relation de charité qui unit
les élus au Christ. Dans ce cas, il est évident que plus cette charité est
intense, plus l’absence du corps est chose secondaire pour l’âme dont les
énergies sont happées en dehors d’elle-même. Ainsi, dans la vision béatifique,
l’absence du corps est si peu sensible que l’âme est parfaitement et
définitivement bienheureuse ; Ceci ne signifie pas que la résurrection du corps
sera inutile mais qu’elle constituera un cadeau de surabondance d’un amour déjà
comblé. Cependant cette thèse peut être soutenue dans un sens ontologique, comme
si le corps du Christ devenait notre propre corps. Cette interprétation n’est
pas raisonnable et profondément en désaccord avec la foi. Elle s’opposerait à
l’unité ontologique de la personne humaine, à l’attente de l’évènement futur
et historique de notre résurrection. Mais nous avons suffisamment démontré que
la vie de l’âme séparée est naturelle et que l’Écriture, loin de le nier, nous
invite à le croire. Cette thèse provient d’une phobie excessive du dualisme
platonicien âme-corps.
8. Le corps physique est substantiellement
partie de l’homme. L’âme est par nature faite pour s’unir non seulement à un
psychisme mais à un corps palpable doté du sens du toucher. C’est pourquoi, à
la résurrection, pour que l’homme redevienne lui-même, il sera rendu charnellement
à chacun, selon un mode de vie transfiguré car entièrement soumis aux
impulsions de l’esprit.
Objections :
1. Il semble que l’âme glorifiée souffre de
l’absence du corps. En effet le lien avec le corps est naturel. Car l’âme
possède un habitus entitatif[1150] à être unie à son corps. Etant séparée,
elle se trouve dans un état qui va contre sa nature donc elle souffre.
2. Si les âmes glorifiées ne souffrent pas
de l’absence du corps, on doit admettre que la résurrection finale est inutile.
Elle n’apporte rien de nouveau. Or ce n’est pas là la foi enseignée par notre
Seigneur. Donc l’âme souffre de l’absence du corps.
Cependant :
Le paradis est le lieu où Dieu essuiera toutes les larmes[1151]. Il ne peut donc y avoir de souffrance
dans la béatitude parfaite. Donc les âmes glorifiées ne souffriront pas de
l’absence du corps.
Conclusion :
La source de la béatitude essentielle du paradis est la vision de
l’essence divine. Elle béatifie l’âme en plénitude selon saint Augustin dans ses
confessions : « Te posséder,
c’est être riche de toutes les richesses.
» Il ne peut donc y avoir place pour aucune souffrance chez les élus, même
avant la résurrection de leur corps qui permettra à cette béatitude de prendre
son extension dans tout leur être.
Cependant on doit admettre que l’âme séparée du corps n’est pas
dans un état qui lui est naturel puisqu’elle est faite par nature pour lui être
uni.
Les disciples de Platon qui affirment le
contraire niaient la nécessité de la résurrection. La foi catholique affirme
qu’il demeure dans l’âme séparée un désir naturel qui appelle retour du corps.
Chez les élus, ce désir n’est pas source de souffrance car la béatitude essentielle
les comble totalement. S’il ne fait pas souffrir, ce désir demeure sous la
forme d’un habitus entitatif de l’âme dont l’acte est empêché par une
disposition de la providence divine. Les élus ne souffrent donc pas de
l’absence du corps.
Solutions :
1. L’habitus naturel qui pousse l’âme à
désirer son corps demeure puisqu’il fait partie essentiellement de la nature
humaine. Cependant le désir qu’il suscite peut être empêché. Dans le cas des
âmes glorifiées, la vision de l’essence divine aspire à elle les énergies de
l’âme au point de rendre inopérant tout autre appétit naturel.
2. La résurrection finale des corps qui précédera le jugement dernier
n’apportera pas aux élus un bonheur essentiellement nouveau. Le bonheur
essentiel qui provient de la vision de Dieu pourra seulement s’étendre jusque
dans la chair et les plaisirs physiques du toucher et du goût qui en seront
transfigurés. Il est juste en effet que le corps physique participe à la
gloire, de la même manière qu’il a participé aux souffrances lors de la vie
terrestre. Quant aux plaisirs de la sensibilité, ils ne sont aucunement enlevés
par la mort comme nous l’avons montré[1152]. Dès avant la résurrection, ils
s’exercent dans les âmes séparées de la chair d’une manière sublime et détachée
des limites terrestres.
L’esprit
est dans l’homme si totalement un avec le corps qu’on peut lui appliquer de
plein droit le terme de « forme ». Et inversement : la forme de ce
corps est telle qu’elle est esprit et fait donc de l’homme une personne. Le
cardinal Ratzinger écrit : « L’âme
n’est pas une substance qui serait, en outre, forme du corps, mais elle est
substance en tant que forme d’un corps et elle est forme du corps en
tant que substance. » « Une séparation de l’âme d’avec le
corps est contre sa nature et réduit sa similitude avec Dieu créateur. Le fait
d’être dans le corps n’est pas une activité, mais la perfection même de l’âme.
Le corps est ce qui rend l’âme visible car la réalité du corps c’est l’âme. » On touche là à l’apparence d’une
impossibilité philosophique, et les exigences, apparemment tout à fait
contradictoires, de la doctrine de la création, d’une part, et de la foi au
schéol dans son adaptation chrétienne, d’autre part, sont satisfaisantes :
l’âme fait partie du corps en tant que « forme », mais ce qui est « forme » du
corps est esprit et fait de l’homme une personne en lui ouvrant ainsi accès à
l’immortalité ».[1153]
Objections :
1. Il semble que non. Car la béatitude
contient l’idée de récompense, et la demeure ne signifie rien qui ait trait à
une récompense.
2. La demeure semble signifier un lieu.
Mais le lieu dans lequel les saints sont heureux n’est point corporel, mais
spirituel : c’est Dieu, indivisible. Il n’y a donc en lui qu’une demeure. Les
divers degrés de béatitude ne doivent donc pas être appelés demeures.
3. De même que dans le Ciel il y aura des
hommes de mérites inégaux, de même il en est ainsi actuellement dans le
purgatoire, et il en fut ainsi dans les limbes des Pères.
Cependant :
Nous lisons en saint Jean : «
Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. » Et saint Augustin l’explique par les
divers degrés de récompense.
En outre,
dans toute cité organisée, il y a des différences de demeures. Mais la patrie
céleste est comparée à une cité, comme on le voit dans l’Apocalypse. On doit
donc y distinguer diverses demeures selon les divers degrés de béatitude.
Conclusion
:
Le mouvement local est le premier de tous les mouvements. C’est
pourquoi, selon Aristote, les noms de mouvement, de distance et des autres
choses connexes sont dérivés du mouvement local pour tous les autres
mouvements. La fin du mouvement local est le lieu dans lequel la chose une fois
parvenue demeure en repos et s’y conserve. C’est pourquoi, à propos de tout
mouvement, le repos auquel a abouti finalement le mouvement se nomme situation
ou demeure. Et puisque le nom de mouvement est appliqué même aux actes de
l’appétit sensible et de la volonté, le fait d’atteindre la fin de ces
mouvements s’appelle demeure ou situation dans la fin. On donne donc le nom de
diverses demeures aux diverses manières d’atteindre sa fin ultime. L’unité de
la demeure correspond à l’unité de la béatitude considérée en son objet, et la
pluralité des demeures correspond aux différences qui se trouvent dans la
béatitude, considérée dans les bienheureux. Nous voyons aussi dans les choses
naturelles que le lieu élevé vers lequel tendent les corps légers est le même
pour tous, mais chacun d’entre eux en approche plus ou moins selon son degré de
légèreté : ils ont donc des demeures différentes selon leur différence de
légèreté.
Solutions :
1. La demeure inclut la notion de fin et
par conséquent celle de récompense qui est la fin du mérite.
2. Bien qu’il n’y ait qu’un seul lieu
spirituel, il y a divers degrés de rapprochement à son égard : cela constitue
les diverses demeures.
3. Ceux qui étaient dans les limbes ou sont
maintenant dans le purgatoire ne sont point parvenus à leur fin : il n’y a donc
pas de demeures mais plutôt un « passage » dans le purgatoire ou les limbes. Les
demeures sont seulement dans le paradis et l’enfer, où se trouve la fin
stabilisée (définitive) des bons et des méchants.
Solution
de l’argument cependant :
Les
demeures du paradis ne sont pas à prendre dans un sens matériel, comme si les
élus étaient séparés et vivaient dans plusieurs lieux. L’expression « demeure » a une signification spirituelle et indique un degré de vision
béatifique.
Objections :
1. Il semble que non, puisque nous lisons
en saint Matthieu : « Il a donné à
chacun selon sa propre vertu. » Or la
vertu de chaque chose est sa puissance naturelle. Les dons de la grâce et de la
gloire sont donc distribués selon les divers degrés de vertu naturelle.
2. Le Psalmiste dit : « Tu rendras à chacun selon ses œuvres. » Mais ce que Dieu rendra est la mesure de la béatitude. Les
degrés de celle-ci sont donc distingués selon la diversité des œuvres, et non
selon celle de la charité.
3. La récompense est due aux actes et non
aux dispositions : c’est pourquoi "ce ne sont pas les plus forts qui sont
couronnés, mais ceux qui luttent »,
comme dit Aristote dans les Ethiques, et saint Paul à Timothée[1156] : « Seul sera couronné celui qui aura combattu selon les règles. » La béatitude est une récompense. Ses
divers degrés correspondent donc à ceux des œuvres et non à ceux de la charité.
4. Si la récompense se prend du degré de
charité, certains seront plus heureux que d’autres ce qui n’est pas possible
puisque tous sont dans la béatitude, c’est-à-dire, heureux sans partage avec du
regret.
Cependant :
Plus
quelqu’un sera uni à Dieu, plus il le verra. Mais la manière d’adhérer à Dieu
dépendra du degré de charité. La diversité de la béatitude correspondra donc à
la différence de charité.
En outre, « le simple suit le simple et le plus suit le plus. » Posséder simplement la béatitude suit
la simple possession de la charité ; donc la possession d’une plus grande
béatitude suit celle d’une plus grande charité.
Conclusion :
Il y
a deux principes qui distinguent les demeures ou degrés de béatitude : l’un
proche, l’autre éloigné. Le proche est la disposition différente des
bienheureux, selon laquelle s’établit en eux une diversité de perfection dans
l’opération de la béatitude ; tandis que le principe éloigné est le mérite
grâce auquel ils ont obtenu cette béatitude.
Selon
la première manière, on distingue des demeures d’après la charité dans le Ciel,
qui plus elle est parfaite, plus elle rendra le bienheureux capable de
recevoir la divine clarté, dont l’augmentation accroît la perfection de la
vision de Dieu. Selon la seconde manière, on distingue des demeures d’après la
charité de la vie sur terre. Notre acte en effet n’est pas méritoire dans sa
substance même, mais à cause de la disposition de vertu qui le pénètre. Or la
puissance du mérite dans toutes les vertus provient de la charité qui a pour
objet notre fin même. C’est pourquoi la diversité de mérite revient tout
entière à la diversité de charité. Et ainsi notre charité d’ici-bas distingue
les demeures à la manière du mérite.
Solutions :
1. La vertu ne doit pas être prise ici
seulement en tant que capacité naturelle, mais en tant que capacité naturelle
à laquelle s’ajoute l’effort pour recevoir la grâce. Alors la vertu devient
comme une disposition matérielle à la mesure de la grâce et de la gloire
future. Mais la charité constitue formellement la mesure de la gloire. C’est
pourquoi la distinction du degré de gloire vient du degré de charité plutôt que
de celui de la vertu naturelle.
2. Les œuvres ne méritent une récompense de
gloire qu’en tant qu’elles sont pénétrées par la charité. Les divers degrés de
gloire correspondent donc à ceux de la charité.
3. Bien que la disposition de la charité ou
de toute vertu ne constitue pas le mérite auquel est due la récompense, elle
est cependant le principe et toute la raison du mérite de l’acte. Les
récompenses se distinguent donc selon sa diversité, bien que l’on puisse
attribuer un certain degré de mérite d’après le genre même de l’acte, non pas
pour la récompense essentielle, qui est la jouissance de Dieu, mais pour une
certaine récompense accidentelle.
4. Pauline, la sœur de sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus répond à cette objection[1157] : « Une fois je m'étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une
gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j'avais peur que tous ne soient
pas heureux, alors Pauline me dit d'aller chercher le grand verre à Papa et de
le mettre à côté de mon tout petit dé, puis de les remplir d'eau, ensuite elle
me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu'ils étaient aussi pleins
l'un que l'autre et qu'il était impossible de mettre plus d'eau qu'ils n'en
pouvaient contenir. Ma Mère chérie me fit alors comprendre qu'au Ciel le Bon
Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu'ils en pourraient contenir et
qu'ainsi le dernier n'aurait rien à envier au premier. »
Considérons
maintenant les dots des bienheureux. Cinq questions se posent à leur sujet :
1° Doit-on attribuer des dots aux bienheureux
?
2° La dot diffère-t-elle de la béatitude
?
3° Appartenait-il au Christ d’avoir des
dots ?
4° Et aux anges ?
5° Convient-il d’assigner trois dots à
l’âme ?
Objections :
1. Il semble que non. La dot, selon le
droit, est donnée à l’époux pour supporter les charges du mariage. Mais les
saints ne font pas figure d’époux, mais plutôt d’épouses, en tant qu’ils sont
membres de l’Église : ils ne doivent donc pas recevoir de dot.
2. Les dots, selon le droit, ne sont point
données par le père de l’époux, mais par celui de l’épouse. Or tous les dons de
la béatitude sont remis aux bienheureux par le père de l’Epoux, c’est-à-dire du
Christ. Nous voyons en saint Jacques : « Tout
don excellent et tout don parfait vient d’en-haut, descendant du Pète des
lumières. » Ces dons faits aux bienheureux
ne doivent donc pas être appelés des dots.
3. Dans le mariage charnel, on donne des
dots pour faciliter les charges du mariage. Dans le mariage spirituel, il n’y a
point de charges, surtout dans l’Église triomphante. Il n’y a donc pas à donner
de dots.
4. Les dots ne sont données qu’à cause du
mariage. Mais le mariage spirituel est contracté avec le Christ par la foi,
dans l’état de l’Église militante. Si donc à cause de ce mariage des dots
doivent être données aux bienheureux, elles devraient l’être aussi tandis
qu’ils sont sur terre. Mais cela ne leur convient pas ; donc pas non plus aux
bienheureux.
5. Les dots font partie de ces biens
extérieurs qu’on nomme biens de la fortune. Mais les récompenses des
bienheureux sont des biens d’ordre intérieur. On ne doit donc pas les appeler
dots.
Cependant :
Saint
Paul dit aux Ephésiens : « Ce
sacrement est grand ; je vous le dis dans le Christ et dans l’Église. » Cela montre que le mariage spirituel
est évoqué par le mariage charnel. Mais dans le mariage charnel, l’épouse est
dotée pour entrer dans la maison de l’époux. Donc, quand les saints pénètrent
dans la maison du Christ pour entrer dans la béatitude, il semble qu’ils
soient dotés de divers dons.
En outre, les dots dans le mariage corporel, sont données comme
agrément du mariage. Le mariage spirituel est plus délectable que le mariage
corporel. On doit donc lui joindre des agréments forts grands.
De plus, les parures des épouses font partie de la dot. Mais les
saints sont ornés pour entrer dans la gloire, comme dit Isaïe "Il m’a
revêtu des vêtements du salut, comme l’épouse ornée par ses servantes. » Les saints auront donc des dots dans
la patrie céleste.
Conclusion :
Il n’est pas douteux que les bienheureux, quand ils entrent dans
la gloire, reçoivent de Dieu des dons pour leur ornementation, et ces dons
honorifiques sont appelés dots par les maîtres spirituels. C’est pourquoi on
définit ainsi la dot dont nous parlons ici : « La dot est un ornement perpétuel de l’âme et du corps, s’ajoutant
à leur vie, et persévérant sans interruption dans la béatitude éternelle. » Et cette description est comparée à
la dot corporelle qui orne l’épouse et apporte au mari de quoi pouvoir nourrir
l’épouse et les enfants ; cependant la dot de l’épouse est conservée sans pouvoir
disparaître, afin que si le mariage fût dissous, elle revienne à l’épouse. Mais
dans l’interprétation de ce nom, nous trouvons diverses opinions.
Certains pensent que la dot ne doit pas être considérée en
comparaison avec le mariage corporel, mais que c’est là une manière de parler
par laquelle on désigne toute perfection ou ornement de n’importe quel homme
comme on dit de quelqu’un qu’il est doté de science parce qu’il brille par sa
science. Ovide s’est servi ainsi du mot dot, quand il dit : « Efforce-toi de plaire par toute dot
qui peut plaire. » Mais cela ne
semble aucunement convenir, car quand un nom est créé pour désigner
principalement une chose, il n’est pas d’usage de l’appliquer à autre chose qui
n’a pas avec elle quelque ressemblance. Puisque, dans son acception première
la dot est liée au mariage charnel, il est nécessaire que dans toutes ses
autres acceptions il y ait une ressemblance avec la première signification.
D’autres disent que cette similitude consiste en ce que la dot
signifie proprement le don qui, dans le mariage corporel, est donné à l’épouse
par l’époux quand elle pénètre en sa maison, don qui contribue à la parure de
l’épouse cela ressort de ce que Sichem dit à Jacob et à ses fils : « Augmentez la dot et demandez des présents » et « Si quelqu’un a séduit une vierge et a dormi avec elle, qu’il
la dote, et la prenne comme épouse. »
C’est pourquoi l’ornement que le Christ donne à ses saints en les introduisant
dans la demeure de gloire est appelé dot. Cependant, cela est manifestement
contraire à ce que disent les juristes, auxquels il appartient de traiter ces
choses. Ils déclarent que la dot est, à proprement parler, « une donation faite de la part de la femme à ceux qui sont du côté
de l’homme, à cause de la charge du mariage que l’homme doit supporter », tandis que ce que l’époux donne à
l’épouse est appelé "donation pour les noces. » C’est dans ce sens qu’il est parlé de dot au livre des Rois,
quand il est dit "Pharaon, roi d’Égypte, prit Gazer et la donna en dot à
sa fille, épouse de Salomon. » Les
auteurs cités ne s’opposent pas à cela. Car bien qu’il soit d’usage que des
dots soient données par les parents de la fille, cependant il arrive parfois
que l’époux ou son père donne des dots à la place du père de la fille. Cela se
produit de deux manières soit à cause d’un grand amour pour l’épouse, comme
cela eût lieu pour Hamor, père de Sichem, qui voulut donner la dot, qu’il
aurait dû recevoir, à cause de l’amour ardent de son fils pour la jeune fille ;
Ou bien cela a lieu comme une réparation de l’époux pour assigner une dot à la
vierge violée par lui, tandis que le père de cette vierge aurait dû la donner.
Et c’est de cela que parle Moïse dans le texte cité.
C’est pourquoi, selon une autre opinion, on doit dire que la dot
est proprement, dans le mariage corporel, ce qui est donné par ceux qui sont du
côté de la femme à ceux qui sont du côté de l’homme, pour supporter les charges
du mariage, comme nous l’avons dit. Mais alors il reste la difficulté d’adopter
cette signification au cas présent, puisque les ornements de la béatitude sont
donnés à l’épouse spirituelle par le père de l’époux. Cela sera éclairé par la
solution des objections.
Solutions :
1. Bien que des dots soient remises à
l’époux, dans le mariage charnel, pour son usage, cependant la propriété et le
domaine en demeurent à l’épouse, comme cela ressort du fait que, en cas de
dissolution du mariage, la dot demeure à l’épouse, selon le droit. Ainsi aussi
dans le mariage spirituel. Les ornements eux-mêmes qui sont donnés à l’épouse
spirituelle, à savoir l’Église dans ses membres, appartient à l’époux en tant
qu’ils tendent à sa gloire et à son honneur, et à l’épouse en tant qu’ils la
parent.
2. Le père de l’époux, Jésus-Christ, est la
personne même du Père. Or le père de l’épouse est toute la Trinité, les effets
produits dans les créatures remontent en effet à toute la Trinité. C’est
pourquoi les dots, dans le mariage spirituel, sont données à proprement parler
plus par le père de l’épouse que par celui de l’époux. Pourtant cette
attribution, bien que faite par les trois personnes, peut être appropriée à
chacune d’elles de quelque manière à la personne du Père, en tant qu’il donne,
puisqu’en lui est l’autorité la paternité lui est appropriée à l’égard des
créatures de telle sorte qu’il est à la fois père de l’épouse et de l’époux ;
elle est attribuée à la personne du Fils, en tant qu’elle est donnée à cause de
lui et par lui ; elle est attribuée au Saint-Esprit, en tant qu’elle est donnée
en lui et selon lui, car l’amour est la source de toute donation.
3. Ce qui est accompli par les dots,
c’est-à-dire l’allégement donné au poids du mariage, convient par soi aux dots,
tandis que lui convient seulement par accident ce qui est écarté par elles,
c’est-à-dire la charge du mariage qu’elles réduisent ; de même qu’il convient
par soi à la grâce de faire un être juste, tandis que c’est par accident
qu’elle transforme un impie en juste. Donc, bien que dans le mariage spirituel
il n’y ait point de charges, cependant il s’y trouve une grande jouissance. Et
les dots sont données à l’épouse pour perfectionner cette jouissance, afin que
par elles, elle soit unie plus agréablement à l’époux.
4. Les dots n’étaient pas données à
l’épouse à ses épousailles, mais quand elle était amenée à la maison de l’époux
pour y demeurer présente. Comme dit saint Paul : « Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes en marche vers le
Seigneur. » Les dons qui sont
conférés aux saints en cette vie ne s’appellent donc pas des dots, mais
seulement ceux qui leur sont conférés quand ils entrent dans la gloire où ils
jouissent de la présence de l’époux.
5. Dans le mariage spirituel, c’est
l’ornement intérieur qui est requis. Le Psalmiste dit : « La gloire de la fille du roi est au-dedans. » Mais dans le mariage corporel, c’est l’ornement extérieur qui
est requis. Il n’est donc pas nécessaire que ces dots extérieures soient
données dans le mariage spirituel comme dans le mariage corporel.
Objections :
1. Il semble que ce soit la même chose. La
définition de la dot est, avons-nous vu, «
un ornement du corps et de l’esprit qui persévère sans interruption dans la
béatitude éternelle. » Mais la
béatitude de l’âme est déjà son ornement : elle constitue donc elle-même la
dot.
2. La dot est quelque chose par quoi
l’épouse est unie à l’époux d’une manière agréable. Dans le mariage spirituel
la béatitude joue ce rôle : elle est donc elle-même une dot.
3. « La vision, selon saint Augustin, c’est
la substance de la béatitude. »
Mais la vision est une des dots. La béatitude est donc une dot.
4. La fruition rend heureux. Elle est une
des dots. La dot rend donc heureux : la béatitude est donc une dot.
5. Selon Boèce, « la béatitude est un état rendu parfait par l’accumulation de tous
les biens. » Mais l’état des
bienheureux est perfectionné par les dots : celles-ci sont donc une partie de
la béatitude.
Cependant :
La
dot se donne sans être méritée. La béatitude n’est pas donnée, mais elle est
accordée aux mérites. Elle n’est donc pas une dot.
En
outre, il n’y a qu’une béatitude, tandis qu’il y a plusieurs dots. Ce n’est
donc pas la même chose.
De
plus, la béatitude se trouve dans l’homme en ce qu’il y a de meilleur en lui,
comme dit Aristote. Mais la dot se trouve aussi dans le corps. Ce n’est donc
pas la même chose.
Conclusion :
À ce
sujet deux opinions sont émises : certains disent que la béatitude et la dot
sont la même chose en fait, mais diffèrent en leur notion, car la dot regarde
le mariage spirituel entre le Christ et l’âme, mais non la béatitude. Mais cela
n’est pas possible, car la béatitude consiste en une opération, tandis que la
dot n’est pas une opération mais plutôt une qualité ou une disposition. C’est
pourquoi d’autres disent que la béatitude et la dot diffèrent même dans la
réalité : la béatitude est l’opération parfaite grâce à laquelle l’âme
bienheureuse est unie à Dieu, tandis que les dots sont des manières d’être, des
dispositions ou d’autres qualités qui sont ordonnées à la perfection de cette
opération. De la sorte, les dots sont ordonnées à la béatitude, plutôt qu’elles
n’en sont des parties.
Solutions :
1. La béatitude proprement dite n’est pas
un ornement de l’âme, mais quelque chose qui provient de l’ornement de l’âme,
puisqu’elle est une opération, tandis que l’ornement est un embellissement du
bienheureux lui-même.
2. La béatitude n’est pas ordonnée à
l’union de l’âme avec le Christ : Elle est cette union elle-même qui consiste
en une opération, tandis que les dots sont des dons qui disposent à cette
union.
3. La vision peut être prise en deux sens.
Comme acte, c’est l’acte même de la vision, et ainsi elle n’est pas une dot,
mais la béatitude elle-même. Comme manière d’être, c’est-à-dire comme
disposition qui contribue à cette opération ou comme clarté de gloire par
laquelle l’âme est éclairée par Dieu pour le voir : ainsi elle est une dot, et
le principe de la béatitude, mais non la béatitude elle-même.
4. Cela vaut aussi pour la fruition.
5. La béatitude rassemble tous les biens
non comme parties de son essence, mais comme ordonnés de quelque manière à la
béatitude, comme il est dit plus haut.
Objections :
1. Il semble que cela convienne. En effet,
les saints dans la gloire sont conformes au Christ. Saint Paul dit aux
Philippiens : « Il restaurera notre
corps de faiblesse en le rendant conforme à son corps de lumière. » Le Christ a donc aussi des dots.
2. Dans le mariage spirituel, des dots sont
données par ressemblance avec le mariage corporel. Dans le Christ, nous
trouvons une sorte de mariage spirituel d’un type unique, c’est-à-dire l’union
des deux natures en une personne, de sorte qu’on dit qu’en lui la nature
humaine est épousée par le Verbe. Cela résulte de la Glose au sujet du Psaume
18 : « Il a posé sa tente dans le
soleil », et de l’Apocalypse : « Voici que la tente de Dieu est parmi
les hommes. » Il convient donc que le
Christ ait des dots.
3. Saint Augustin dit : « Le Christ, selon la règle de Ticonius,
à cause de l’unité du corps mystique entre la tête et les membres, se nomme
parfois époux et non seulement épouse »,
comme cela se voit dans Isaïe : « Comme
l’époux, orné d’une couronne, et comme l’épouse parée par ses servantes. » Puisqu’on doit des dots à
l’épouse, il faut en donner au Christ.
4. Une dot est due à tous les membres de
l’Église, puisqu’elle est épouse. Or le Christ est membre de l’Église, selon
saint Paul aux Corinthiens : « Vous
êtes le corps du Christ, membre de ce membre. » La Glose interlinéaire ajoute : « du Christ. » Des dots
sont donc dues au Christ.
5. Le Christ possède la vision parfaite, la
fruition et la délectation : or ce sont là des dots.
Cependant :
Entre
l’époux et l’épouse il y a nécessairement distinction de personnes. Mais dans
le Christ, il n’y a pas de distinction de personnes avec le Fils de Dieu, qui
est époux, comme cela se voit dans saint Jean : « Celui qui possède l’épouse est l’époux. » Donc, puisque les dots sont données à l’épouse ou pour elle, il
semble qu’il n’appartienne pas au Christ d’avoir des dots. En outre, la même
personne ne peut avoir des dots et en recevoir. Mais le Christ est le donateur
des dots spirituelles. Il ne lui convient donc pas d’en avoir.
Conclusion :
Deux
opinions se manifestent à ce sujet. Certains disent que dans le Christ il y a
une triple union : une, qui est appelée consentie, qui l’unit à Dieu par un
lien d’amour ; Une autre, de dignité, par laquelle la nature humaine est unie à
la nature divine ; La troisième par laquelle le Christ lui-même est uni à
l’Église. Ils disent que, selon les deux premières unions, il convient que le
Christ ait des dots, à titre de dot ; mais selon la troisième union il lui
convient d’avoir une dot tout à fait excellente, mais pas à titre de dot : car
dans cette union, le Christ est comme l’époux, et l’Église comme épouse. Or, la
dot est donnée à l’épouse en tant que propriété et possession. Dans l’union par
laquelle le Christ est uni au Père par consentement d’amour, mais en tant que
Dieu, on ne peut dire qu’il y ait mariage, car il n’y a pas là cette soumission
qui doit exister entre l’épouse et l’époux. De même : dans l’union de la nature
humaine avec la nature divine, en union personnelle ou même par conformité de
volonté, il ne peut pas y avoir une raison de dot. Pour trois motifs : d’abord
parce qu’il doit y avoir conformité de nature entre l’époux et l’épouse pour le
mariage dans lequel sont données des dots ; et cela n’est pas réalisé dans
l’union de la nature humaine avec la nature divine ;-secondement, parce que la
distinction des personnes est exigée, et que la nature humaine n’est pas
personnellement distincte du Verbe ; - troisièmement, parce que la dot est
donnée quand l’épouse entre pour la première fois dans la maison de l’époux, et
ainsi elle est attribuée à l’épouse, qui n’étant pas auparavant conjointe, le
devient : mais la nature humaine qui est assumée par le Verbe dans l’unité de
la personne, n’a jamais existé avant de lui être parfaitement unie. C’est
pourquoi, selon d’autres, on doit dire ou bien que la notion de dot ne convient
nullement au Christ ou bien qu’elle ne lui convient pas à proprement parler
comme elle convient aux saints ; mais ce qu’on appelle dots lui convient à un
degré éminent.
Solutions :
1. Cette conformité doit être entendue
d’après ce qui est la dot, et non d’après la notion même de dot qui serait dans
le Christ. Il n’est pas nécessaire que ce qui est dans le Christ, et à quoi
nous serons rendus conformes, soit de la même manière dans le Christ et en
nous.
2. La nature humaine n’est pas appelée
épouse dans cette union par laquelle elle est unie au Verbe, puisqu’il n’y a
point là cette distinction de personnes qui est requise entre l’époux et
l’épouse. Mais on dit parfois que la nature humaine est épousée par le Verbe
auquel elle est unie, dans ce sens qu’il y a en elle quelque chose qui rappelle
l’épouse puisqu’elle est unie inséparablement, et que dans cette union elle est
inférieure au Verbe, et est régie par lui, comme l’épouse par l’époux.
3. Si le Christ est parfois appelé épouse
ce n’est pas qu’il soit lui-même vraiment épouse, mais en tant qu’il assume la
personne de son épouse, l’Église, qui lui est spirituellement unie. C’est
pourquoi rien n’empêche qu’en cette manière de parler on dise qu’il a des dots,
bien qu’il ne les ait pas lui-même, mais parce que l’Église les a.
4. Le nom d’Église peut être pris en deux
sens : Quelquefois, il désigne seulement le corps, auquel le Christ est uni
comme tête, et alors l’Église réalise la notion d’épouse. Ainsi le Christ n’est
pas membre de l’Église, mais il est la tète qui exerce son influence sur tous
les membres de l’Église. En un autre sens, on considère l’Église en tant
qu’elle désigne avec la tête, les autres membres qui lui sont unis. Et ainsi le
Christ est dit membre de l’Église, en tant qu’il exerce ce rôle distinct, à
savoir de faire descendre la vie dans tous les membres. Cependant, ce n’est pas
très exact de l’appeler membre, parce que le membre signifie une partie
seulement, tandis que dans le Christ le bien spirituel n’est pas seulement
partiellement, mais se trouve tout entier intégralement. Il est lui-même tout
le bien contenu dans l’Église, et les membres qui s’y ajoutent ne le rendent
pas meilleur que quand il est seul. En parlant de l’Église en ce sens, on ne
doit pas l’appeler épouse, mais époux en tant que l’union spirituelle des
membres ne produit qu’un seul effet. C’est pourquoi, si le Christ peut être dit
de quelque manière membre de l’Église, on ne peut aucunement le dire membre de
l’épouse : et ainsi la notion de dot ne lui convient pas.
5. Dans cet argument, il y a une fausseté
de présentation, car ces trois opérations du Christ ne lui conviennent pas à
titre de dot.
Objections :
1. Ils semblent en avoir, puisque, au sujet
du Cantique des Cantiques : « Une
seule est ma colombe », la Glose dit
: « Il n’y a qu’une Église pour les
hommes et les anges. » Mais l’Église
est épouse ; il convient donc que ses membres aient des dots, y compris les
anges.
2. À propos de saint Luc : « Et vous êtes semblables à des hommes
qui attendent que leur maître reviennent des noces », la Glose ordinaire dit : «
Le Seigneur est allé aux noces quand, après la résurrection, homme nouveau,
il s’est uni à la multitude des anges. »
Cette multitude est donc épouse du Christ, et, ainsi, il convient que les anges
aient des dots.
3. Le mariage spirituel consiste en une
union spirituelle. Mais celle-ci n’est pas inférieure entre les anges et Dieu à
ce qu’elle est entre les hommes bienheureux et Dieu. Donc, puisque les dots
sont assignées en raison du mariage spirituel, il semble qu’elles conviennent
aux anges.
4. Le mariage spirituel requiert un époux
spirituel et une épouse spirituelle. Mais les anges sont par nature plus
conformes au Christ, esprit suprême, que les hommes. Le mariage spirituel est
donc davantage possible entre les anges et le Christ qu’entre les hommes et
lui.
5. Une plus grande connexion est exigée
entre la tête et les membres qu’entre l’époux et l’épouse. Mais la conformité
qui existe entre le Christ et les anges suffit pour qu’on dise que le Christ
est la tête des anges. Elle suffit donc plus encore pour qu’on l’appelle leur
époux.
Cependant :
Origène,
commentant le Cantique des Cantiques, au début du prologue distingue quatre
personnes, à savoir : « l’époux et
l’épouse, et les adolescentes et les compagnons de l’époux », et il dit que "les anges sont les compagnons de l’époux. » Puisque les dots ne sont dues qu’à
l’épouse, il semble que les anges n’en doivent pas avoir.
En outre, le
Christ a épousé l’Église par l’incarnation et la passion. C’est à lui qu’il est
fait allusion dans l’Exode : « Tu es
pour moi un époux sanglant. »
Mais dans son incarnation et sa passion, il ne fut pas uni aux anges autrement
qu’il ne l’était. Ceux-ci n’appartiennent donc pas à l’Église en tant
qu’épouse. Les dots ne leur conviennent donc pas.
Conclusion :
Il
n’est pas douteux que ce qui compose les dots de l’âme convient aux anges comme
aux hommes ; mais non en tant que dot, parce que la notion d’épouse
n’appartient pas aux anges comme aux hommes. Entre l’époux et l’épouse, il doit
y avoir conformité de nature, en tant qu’ils appartiennent à la même espèce. À
ce titre, les hommes sont en harmonie avec le Christ en tant qu’il a assumé la
nature humaine, et est par là devenu conforme à la nature de l’espèce humaine,
comme elle se trouve en tous les hommes. Il n’est pas conforme aux anges selon
l’unité de l’espèce, ni en sa nature divine, ni dans la nature humaine. C’est
pourquoi la notion de dot ne convient pas proprement aux anges comme aux
hommes.
Cependant,
dans les choses dites métaphoriquement, on n’exige pas une similitude sur tous
les points : on ne peut donc pas, à cause d’une dissemblance, conclure qu’il
n’est pas possible d’attribuer métaphoriquement une chose à une autre. On ne
peut donc pas dire, absolument, que les dots ne conviennent pas aux anges, mais
seulement qu’elles ne leur conviennent pas à proprement parler comme aux
hommes, à cause de la différence dite plus haut.
Solutions :
1. Bien que les anges appartiennent à
l’unité de l’Église, ils n’en sont pas les membres en tant que l’Église est
dite épouse par conformité de nature. Ainsi il ne leur convient pas à
proprement parler d’avoir des dots.
2. Ces épousailles sont prises largement
dans le sens d’une union qui ne renferme pas la conformité de nature en espèce.
Rien n’empêche donc, en prenant au sens large le mot dot, d’en attribuer aux
anges.
3. Bien que dans le mariage spirituel il
n’y ait qu’une union spirituelle, il convient que ceux qui sont unis selon la
notion parfaite du mariage appartiennent à la même espèce de nature.
4. Cette ressemblance par laquelle les
anges sont conformes au Christ en tant que Dieu n’est pas suffisante pour
réaliser la notion parfaite de manage : Car il n’y a pas de conformité
d’espèce, mais il demeure plutôt une infinie distance.
5. Le Christ ne peut être dit tête des
anges en tant que la tête exige une conformité de nature avec le membre.
Pourtant, on doit savoir que bien que la tête et les autres membres soient les
parties d’un individu d’une seule espèce, cependant, si on les considère en
eux-mêmes, ils ne sont pas de la même espèce, puisque la main est une autre
espèce de partie que la tête. Donc en parlant des membres en eux-mêmes, on ne
requiert qu’une convenance de proportion, de telle sorte qu’ils reçoivent
quelque chose l’un de l’autre et se servent l’un l’autre. Ainsi la convenance
qu’il y a entre Dieu et les anges suffit davantage pour réaliser la notion de
tête que pour celle d’époux.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’on doive attribuer à
l’âme les trois dots, qui seraient la vision, la délectation et la fruition.
Car l’âme est unie à Dieu selon son esprit, qui est l’image de la Trinité, en
tant qu’il est mémoire, intelligence et volonté. La délectation appartient à la
volonté et la vision à l’intelligence. On doit donc désigner quelque autre
chose qui appartienne à la mémoire. Or la fruition n’appartient pas à la
mémoire, mais à la volonté.
2. Les dots de la béatitude correspondent
aux vertus de la marche terrestre, par lesquelles nous sommes unis à Dieu : ce
sont la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu lui-même pour objet. La
dilection correspond à la charité et la vision à la foi. Il doit donc y avoir
autre chose qui correspond à l’espérance. Au contraire, la fruition correspond
à la charité.
3. Nous ne jouissons de Dieu que par la
dilection et la vision, comme dit saint Augustin : « On dit que nous jouissons des choses que nous aimons pour
elles-mêmes. » La fruition ne doit
donc pas être présentée comme une autre dot que la dilection.
4. Pour la perfection de la béatitude, la
prise de possession est requise. Saint Paul dit aux Corinthiens : « Courez de telle sorte que vous prenez
possession du but. » On doit donc
admettre une quatrième dot.
5. Saint Anselme dit que la béatitude
contient : « la sagesse, l’amitié, la
concorde, le pouvoir l’honneur, la sérénité, la joie. » Il semble donc qu’on doive substituer ces dots aux autres.
6. Saint Augustin dit que « Dieu dans la béatitude sera vu
sans fin, aimé sans lassitude, loué sans fatigue. » On doit donc ajouter la louange aux dots citées.
7. Boèce dit que cinq choses concourent à
la béatitude : la suffisance, qu’assurent les richesses, le plaisir, qu’assure
la volupté, la célébrité, qu’assure la renommée, la sécurité, qu’assure le
pouvoir, la vénération, qu’assure la renommée, la sécurité, qu’assure le
pouvoir ; la vénération, qu’assure la dignité. Il semble donc que ce sont
plutôt ces choses qui devraient être données comme dots.
Conclusion :
Tous
s’accordent à accorder à l’âme trois dots, mais diversement. Certains disent
que ces trois dots de l’âme sont la vision, la dilection et la fruition.
D’autres disent que ce sont la vision, la prise de possession et la fruition.
D’autres que ce sont la vision, la délectation et la prise de possession. Mais
tous réduisent en fait ces dots à la même chose, et en donnent le même nombre.
Nous avons vu plus haut que la dot est quelque chose qui est inhérent à l’âme,
et qui l’ordonne à cette opération en laquelle consiste la béatitude. Dans
cette opération, deux choses sont requises : la substance elle-même de l’opération
qui est la vision, et sa perfection, qui est la délectation. Car la béatitude
doit être une opération parfaite. La vision est délectable de deux manières :
de la part de l’objet, en tant que ce qui est vu est délectable, et de la part
de la vision, en tant qu’il est délectable de voir cet objet : comme nous nous
réjouissons de connaître les maux, bien que ceux-ci ne nous réjouissent pas.
Puisque l’opération en laquelle consiste la béatitude ultime doit être tout à
fait parfaite, il faut qu’elle soit délectable sous ces deux aspects. Pour que
cette vision soit délectable de la part de la vision, elle doit devenir
connaturelle à celui qui voit, grâce à quelque disposition. Mais pour qu’elle
soit délectable de la part de l’objet visible, il faut deux conditions : d’une
part que cet objet visible convienne, et d’autre part qu’il soit en fait en
contact avec celui qui voit. Donc, pour que la vision soit délectable en
elle-même, il faut une disposition qui la rende telle ; et c’est la première
dot que tous appellent vision. Mais de la part de l’objet visible, deux
conditions sont requises dans la vision : qu’elle convienne, et cela regarde
l’affectivité ; et c’est pour cela que certains appellent cette dot dilection.
Tandis que d’autres l’appellent fruition, parce que la fruition a trait à
l’affectivité, car ce que nous aimons le plus nous apparaît très digne
d’estime. De la part de l’objet visible, le contact est requis et c’est
pourquoi certains donnent comme dot la prise de possession, qui n’est pas autre
chose que de prendre conscience de la présence de Dieu et de le garder en soi.
Mais selon d’autres, il y a une fruition qui est non dans l’espérance, comme
dans la marche terrestre, mais déjà dans la possession comme dans la patrie. Et
ainsi, les trois dots répondraient aux trois vertus théologales. À la foi
correspond la vision ; à l’espérance, la prise de possession ou la fruition,
selon une manière de la concevoir ; à la charité, la fruition ou la
délectation, selon une autre conception. La fruition parfaite, comme elle sera
dans la patrie, inclut la délectation et la compréhension. C’est pourquoi
certains la confondent avec l’une, et d’autres avec l’autre.
Certains,
par contre, attribuent ces trois dots aux trois forces de l’âme, c’est-à-dire
la vision à la force rationnelle, la délectation au concupiscible, et la
fruition à l’irascible, en tant qu’elle est le fruit d’une certaine victoire.
Mais cela ne peut être admis à proprement parler, car l’irascible et le
concupiscible ne sont pas dans la partie intellective, mais dans la partie
sensitive, tandis que les dots de l’âme sont dans l’esprit lui-même.
Solutions :
1. La mémoire et l’intelligence n’ont
qu’une seule opération soit parce que l’intelligence est l’opération de la
mémoire soit, si on dit que l’intelligence est une puissance, parce que la
mémoire n’entre en action que par l’intelligence, puisque la mémoire ne fait
que garder la connaissance acquise. C’est pourquoi il n’y a qu’une seule
disposition de la mémoire et de l’intelligence, à savoir la connaissance. À
chacune de ces facultés correspond une seule dot, la vision.
2. La fruition correspond à l’espérance en
tant qu’elle inclut la prise de possession qui succède à l’espérance. Or ce
qu’on espère, on ne le possède pas encore ; donc l’espérance est de quelque
manière source de souffrance, à cause de la distance de ce qu’on aime. Elle ne
demeurera donc pas dans la patrie céleste, mais sera remplacée par la prise de
possession.
3. La fruition, en tant qu’elle inclut la
prise de possession, se distingue de la vision et de la dilection mais pas
comme la dilection se distingue de la vision. La dilection et la vision
désignent des dispositions différentes, dont l’une appartient à l’intelligence,
l’autre à l’affectivité. Mais la prise de possession ou la fruition entendue
dans le sens de la prise de possession n’inclut pas d’autre disposition que
celle-là, mais elle comporte l’éloignement des obstacles qui empêchaient
l’esprit d’être uni à Dieu présent. Et cela se réalise parce que la disposition
de la gloire libère l’âme de tout défaut. Elle rend aussi l’âme capable de
connaître sans images, et de maîtriser le corps, et d’accomplir d’autres choses
semblables, qui écartent les obstacles qui font que maintenant nous sommes seulement
en marche vers le Seigneur.
4. La réponse résulte de ce que nous avons
dit dans la conclusion.
5. Les dots sont proprement les principes
immédiats de cette opération en laquelle consiste la béatitude parfaite, par
laquelle l’âme est unie au Christ. Les choses que saint Anselme énumère ne sont
point de cette sorte, mais sont seulement des éléments qui accompagnent ou
suivent la béatitude, non seulement par comparaison avec l’époux, auquel seule
appartient la sagesse, parmi les choses énumérées par lui, mais par comparaison
avec diverses autres choses. Ce sont des éléments égaux, auxquels appartient
l’amitié quant à l’union des sentiments, et la concorde quant au consentement
dans les actes ; ou bien des éléments inférieurs, auxquels appartiennent le
pouvoir, en tant que les choses inférieures sont disposées par les choses
supérieures, et l’honneur, en tant qu’il est rendu aux supérieurs par les
inférieurs ; ou bien ce sont des éléments de comparaison avec soi-même, comme
la sécurité par l’éloignement du mal, et la joie par l’acquisition du bien.
6. La louange, que saint Augustin donne
comme le troisième des éléments qui seront dans la patrie, n’est pas une
disposition à la béatitude, mais plutôt une conséquence de la béatitude par le
fait même que l’âme est unie à Dieu en qui consiste la béatitude, il suit
qu’elle s’épanouit en louange. Celle-ci n’est donc pas une dot.
7. Ces cinq choses énumérées par Boèce sont
des conditions de béatitude, non des dispositions à la béatitude ou à l’acte de
béatitude, puisque celle-ci, à cause de sa perfection, possède elle-même, et
elle seule, tout ce que l’homme peut chercher dans les diverses choses, comme
dit Aristote. Boèce montre que ces cinq choses se trouvent dans la vraie
béatitude, parce que ce sont elles que les hommes cherchent pour leur bonheur
temporel elles appartiennent soit à l’exclusion de tout mal, comme la sécurité,
soit à l’acquisition du bien convenable, comme la joie ou du bien parfait,
comme la suffisance, soit à la manifestation du bien, comme la célébrité, en
tant que le bien de l’un est connu par beaucoup, et la révérence, en tant que
quelque signe manifeste cette connaissance, et ce bien de la révérence consiste
en effet à rendre honneur, ce qui est un témoignage de vertu. Il est donc
clair que ces cinq choses ne doivent pas être appelées dots, mais conditions de
béatitude.
Pour
étudier les auréoles, nous poserons douze questions :
1° L’auréole diffère-t-elle de la
récompense essentielle ?
2° Diffère-t-elle du fruit ?
3° Le fruit est-il dû à la seule vertu de
continence ?
4° Convient-il d’assigner trois fruits aux
trois parties de la continence ?
5° Une auréole est-elle due aux vierges ?
6° Et aux martyrs ?
7° Et aux docteurs ?
8° Une auréole est-elle due au Christ ?
9° Et aux anges ?
10° Convient-il de distinguer trois
auréoles ?
11° L’auréole des vierges est-elle la plus
appréciable ?
12° Un bienheureux possède-t-il la même
auréole plus intensément qu’un autre ?
Objections :
1. Il semble que non. La récompense
essentielle est la béatitude elle-même. Mais la béatitude, selon Boèce, « est un état rendu parfait par l’union
de tous les biens. » La récompense
essentielle inclut donc tous les biens que nous aurons dans la patrie.
L’auréole est donc comprise dans la couronne d’or.
2. Le plus et le moins ne modifient pas
l’espèce des choses. Ceux qui gardent les conseils et les préceptes, sont
davantage récompensés que ceux qui gardent seulement les préceptes. Et leur
récompense ne semble pas différer sauf parce que l’une est plus grande que
l’autre. Puisque l’auréole désigne une récompense qui est due aux œuvres de
perfection, il semble qu’elle ne signifie rien de distinct de la couronne
d’or.
3. La récompense répond au mérite. Mais la
source de tout mérite est la charité. Puisque la couronne d’or correspond à la
charité, il semble que dans la patrie il n’y aura pas de récompense distincte
de la couronne d’or.
4. « Tous les hommes bienheureux seront
analogues aux ordres des anges »,
comme dit saint Grégoire. Mais chez les anges « bien que certaines choses soient données davantage à
certains, cependant, rien n’est possédé seulement par certains ; toutes choses
se retrouvent chez tous, non certes également, parce que certains possèdent
d’une manière plus sublime ce que tous possèdent. » Chez les bienheureux, il n’y aura donc que des récompenses communes.
L’auréole n’est donc point distincte de la couronne d’or.
5. Une récompense supérieure est due au
mérite supérieur. Si donc la couronne d’or est due aux œuvres qui sont de
précepte, et l’auréole à celles qui sont de conseil, l’auréole est plus
parfaite que la couronne (en latin aurea),
et alors on ne devrait pas la désigner par un diminutif. Il semble donc que
l’auréole ne soit pas une récompense distincte de la couronne d’or.
Cependant :
À
propos de l’Exode "Tu feras une autre couronne, qui soit une auréole"
la Glose dit : « À cette couronne
appartient le cantique nouveau, que seules les vierges chantent devant
l’Agneau" Il en résulte que l’auréole est une couronne donnée, non à tous,
mais spécialement à certains. La couronne d’or est donnée à tous les
bienheureux. L’auréole est donc autre chose que la couronne d’or.
En outre, la couronne est due au combat
suivi de la victoire. Saint Paul dit à Timothée : « Il ne sera pas couronné
s’il n’a pas lutté selon les règles. » Donc, là où il y a une nature
spéciale de combat, il doit y avoir une couronne spéciale. Mais, dans certaines
œuvres, il y a une espèce particulière de combat. Elles doivent donc recevoir
une couronne spéciale. Et c’est ce que nous appelons l’auréole.
De
plus, l’Église militante est la partie inférieure de l’Église triomphante,
comme cela ressort de l’Apocalypse : « J’ai
vu la cité sainte, etc. » Mais dans
l’Église militante, des récompenses spéciales, comme la couronne des
vainqueurs, le prix des coureurs, sont accordées à ceux qui ont accompli
certaines œuvres. Il doit donc en être de même de l’Église triomphante.
Conclusion :
La
récompense essentielle de l’homme, qui est sa béatitude, consiste dans une
parfaite union de l’âme avec Dieu, en tant qu’elle jouit parfaitement de lui,
vu et aimé à la perfection. Cette récompense est appelée métaphoriquement
couronne ou couronne d’or, soit par considération du mérite qui est acquis par
une sorte de combat, puisque la vie de l’homme sur la terre est une bataille,
soit par considération de la récompense par laquelle l’homme devient de quelque
manière participant de la divinité, et donc du pouvoir royal ; l’Apocalypse dit
: « Vous nous avez faits rois pour
notre Dieu. » La couronne est le
signe propre du pouvoir royal ; et pour ce motif, la récompense accidentelle,
ajoutée à l’essentielle, prend aussi une forme de couronne. La couronne
signifie aussi une certaine perfection, à cause de sa forme de cercle, et à ce
titre convient à la perfection des bienheureux. Mais comme on ne peut rien
ajouter à la récompense essentielle, qui ne lui soit inférieur, cette récompense
ajoutée est appelée : auréole.
A
cette récompense essentielle, qu’on appelle couronne d’or (= aurea) une chose peut être ajoutée de
deux manières.
1° D’une première manière : à cause de la
condition de la nature de celui qui est récompensé : ainsi la gloire du corps
s’ajoute à la béatitude de l’âme ; cette gloire du corps est quelquefois nommée
auréole. Au sujet de l’Exode : « Tu
feras une autre couronne, l’auréole »,
la Glose dit : « À la fin, l’auréole
est surajoutée, puisque l’Écriture dit qu’ils recevront une gloire plus élevée
lors de la reprise des corps. » Mais
en ce moment, il ne s’agit pas de cette auréole.
2° D’une seconde manière : à cause d’une
œuvre méritoire ; et ce mérite peut provenir de deux causes, qui sont aussi
sources de bonté : c’est-à-dire de la racine de la charité, par laquelle l’acte
se rapporte à la fin ultime ; et ainsi lui est due la récompense essentielle,
à savoir d’atteindre sa fin, ce qui est la couronne d’or - ou bien d’un genre
spécial de l’action bonne elle-même, qui est particulièrement digne de louange
à cause des circonstances ou d’une disposition dont elle émane ou de sa fin
prochaine, et ainsi cette action mérite quelque récompense accidentelle, qu’on
appelle auréole. Et c’est de cette auréole-là que nous parlons présentement.
Ainsi,
on doit dire que l’auréole est quelque chose d’ajouté à la couronne,
c’est-à-dire une sorte de joie au sujet des œuvres accomplies qui incluent une
victoire plus grande ; et c’est là une autre joie que celle dont jouit
quelqu’un à cause de son union avec Dieu, et qui est appelée la couronne d’or.
Cependant,
certains disent que la récompense commune elle-même, qu’on nomme la couronne,
prend le nom d’auréole si elle est attribuée aux vierges, aux martyrs ou aux
docteurs, de même que le denier prend le nom de dette du fait qu’il est dû à
quelqu’un, bien que ce soit tout à fait la même chose qu’on appelle dette et
denier. La récompense essentielle ne serait pas plus grande quand on la nomme
auréole, mais elle correspondrait à un acte meilleur non selon l’intensité du
mérite, mais selon la manière de mériter. De la sorte, bien qu’en deux
bienheureux il y ait la même limpidité de vision de Dieu, cependant dans l’un
on l’appellerait auréole, parce que cela correspondrait à un mérite supérieur
dans la manière d’agir. Mais cela semble contraire à l’intention de la Glose du
texte de l’Exode. Si la couronne et l’auréole sont la même chose, on ne peut
dire que l’auréole est surajoutée à la couronne. En outre, puisque la
récompense correspond au mérite, il faut qu’à un mérite meilleur provenant de
la manière d’agir corresponde une supériorité de la récompense. Et c’est cette
supériorité que nous appelons auréole. Celle-ci doit donc différer de la
couronne.
Solutions :
1. La béatitude renferme tous les biens
nécessaires pour la vie parfaite de l’homme, qui consiste en son opération
parfaite. Mais des choses peuvent lui être ajoutées, qui ne sont point
nécessaires pour cette opération parfaite à ce point qu’elle ne pourrait pas
exister sans elles, mais qui, par leur addition, rendent la béatitude plus
éclatante ; elles appartiennent donc à une meilleure réalisation de la
béatitude, et à une sorte de décor de celle-ci ; de même que la félicité d’un
gouvernant reçoit un ornement de sa noblesse et de la beauté de son corps, et
d’autres facteurs analogues, sans lesquels elle existe quand même. L’auréole
joue un rôle analogue par rapport à la béatitude céleste.
2. Celui qui observe les conseils et les
préceptes mérite toujours plus que celui qui n’observe que les préceptes, si
nous considérons le motif du mérite dans les œuvres, selon leur espèce, mais
non selon le degré de charité. Quelquefois, quelqu’un observe seulement les
préceptes, mais avec une plus grande charité que celui qui observe à la fois
les préceptes et les conseils. Mais le plus souvent, c’est le contraire qui se
produit, parce que « la preuve
de l’amour se manifeste dans les œuvres »
comme dit saint Grégoire. Ce n’est donc pas la récompense essentielle plus
intense qui est appelée auréole, mais ce qui lui est ajouté, d’une manière
indifférente à l’égard du fait que quelqu’un mérite davantage de récompense
essentielle ou moins ou également.
3. La charité est le premier principe du
mérite, mais notre action est comme l’instrument par lequel nous méritons.
Pour obtenir un effet, il ne suffit pas qu’il y ait la disposition requise chez
le premier moteur, mais aussi une juste disposition de l’instrument. C’est
pourquoi, dans l’effet produit, il y a quelque chose qui provient du premier
principe, et c’est le principal, et quelque chose qui provient de l’instrument,
et qui est secondaire. C’est pourquoi, dans la récompense, il y a quelque
chose qui vient de la charité : c’est la couronne, et quelque chose qui vient
de la nature de l’opération : c’est l’auréole.
4. Les anges ont tous mérité leur béatitude
par le même genre d’acte, c’est-à-dire par leur conversion vers Dieu. Il n’y a
donc pas en eux une récompense individuelle qui serait chez l’un sans être de
quelque manière chez l’autre. Les hommes ont mérité leur béatitude par des
actes d’espèces différentes : ce n’est donc point la même chose. Cependant, ce
que l’un des hommes semble posséder individuellement, appartient de quelque
manière en commun à tous, en tant que par la charité parfaite chacun considère
comme sien le bien d’autrui. Mais cette joie par laquelle l’un se réjouit du
bonheur de l’autre ne peut être appelée auréole : Car elle n’est pas donnée
comme récompense d’une victoire propre, mais plutôt de la victoire d’un autre.
La couronne est décernée aux Victorieux eux-mêmes, non à ceux qui se
réjouissent de leur victoire.
5. L’excellence du mérite qui découle de la
charité est plus grande que celle qui vient du genre d’acte accompli, de même
que la fin de la charité est plus élevée que les choses ordonnées à cette fin,
comme sont nos actes. C’est pourquoi la récompense qui répond au mérite acquis
par la charité, si petite soit-elle est plus grande que toute récompense qui
correspond à un acte à cause de sa nature. L’auréole est donc désignée par un
diminutif de la couronne d’or.
Objections :
1. L’auréole ne paraît pas différente du
fruit. Il ne convient pas de donner plusieurs récompenses pour le même mérite.
Mais l’auréole et le fruit au centuple correspondent au même mérite,
c’est-à-dire la virginité, comme cela ressort de ce que dit la Glose au sujet
de saint Matthieu. L’auréole est donc la même chose que le fruit.
2. Saint Augustin dit que « le fruit au centuple est dû aux
martyrs et aux vierges. » Le fruit
est donc une récompense commune aux vierges et aux martyrs. Mais l’auréole leur
est due aussi à tous deux : c’est donc la même chose que le fruit.
3. Dans la béatitude on ne trouve que deux
récompenses : l’essentielle, et l’accidentelle qui lui est surajoutée. Mais
cette récompense surajoutée se nomme auréole, comme cela se voit dans l’Exode,
où l’on dit que l’auréole est placée au-dessus de la couronne d’or. Le fruit
n’est pas la récompense essentielle, sinon il serait dû à tous les bienheureux.
Il est donc la même chose que l’auréole.
Cependant :
Les
choses qui ne se divisent pas de la même manière ne sont pas de la même nature.
Mais le fruit et l’auréole ne se divisent pas de la même manière, car l’auréole
se divise en celle des vierges, des martyrs et des docteurs, tandis que le
fruit se divise en fruit des époux, des veuves et des vierges. Ce n’est donc
pas la même chose.
En
outre, si le fruit et l’auréole étaient la même chose, ceux à qui est dû le
fruit devraient aussi avoir l’auréole. Mais cela est faux, puisque le fruit est
dû au veuvage, mais non l’auréole.
Conclusion :
Les
choses dites métaphoriquement peuvent être prises de diverses façons, selon
les considérations des diverses propriétés de ce à quoi on les compare. Puisque
le fruit est, au sens propre, ce qui se trouve dans les choses corporelles nées
de la terre, on peut parler des fruits spirituels selon les diverses conditions
que nous trouvons dans les fruits corporels. Le fruit corporel possède la
douceur, par laquelle il nous restaure quand il est à l’usage de l’homme. C’est
aussi le dernier effet auquel parvient l’œuvre de la nature. C’est encore ce
que nous espérons grâce à l’agriculture, par l’ensemencement et tous les autres
travaux. Le fruit spirituel est donc lui aussi parfois considéré comme ce qui
nous restaure totalement, comme fin ultime. Dans ce sens, on dit que nous
puisons notre fruit en Dieu, parfaitement dans le Ciel, et imparfaitement sur
terre. C’est dans ce sens qu’on prend la fruition, qui est une dot. Mais ici
nous ne parlons pas de fruits en ce sens-là. D’autres fois, on désigne comme
fruit spirituel ce qui nous restaure, sans être notre fin dernière et ainsi on
dit des vertus du fruit « qu’elles
refont l’esprit par une vraie douceur »,
comme dit saint Ambroise. C’est dans ce sens que saint Paul dit aux Galates : « Les fruits de l’esprit sont la
charité, la joie, etc. » Nous ne
parlons pas ici de fruits dans ce sens ; nous en avons parlé ailleurs. On peut
prendre en un autre sens le fruit spirituel, par comparaison avec le corps, en
tant que le fruit corporel est quelque chose d’utile que l’on attend du travail
d’agriculture : alors le fruit est la récompense que l’homme obtient par le
travail accompli en cette vie ; et ainsi toute récompense que nous aurons dans
la vie future grâce à nos efforts, est appelée fruit. Et saint Paul parle en ce
sens aux Romains : « Vous possédez
votre fruit dans la sanctification, mais votre fin dans la vie éternelle. » Ce n’est pas non plus dans ce sens
que nous parlons maintenant de fruits, mais en tant que le fruit est ce qui
naît de la semence. Dans saint Matthieu, c’est ainsi que le Maître parle du
fruit, qu’il divise en trente pour un ou soixante pour un ou en centuple. Le
fruit ne peut sortir de la semence que parce que la force de la semence est
efficace pour transformer en sa nature les humeurs de la terre ; et, plus
cette force est efficace et la terre bien préparée, plus le fruit est abondant.
La semence spirituelle semée en nous est la parole de Dieu ; et plus quelqu’un
est converti en spiritualité par la libération de la chair, plus le fruit de
cette parole est abondant. Le fruit de la parole de Dieu diffère de la couronne
et de l’auréole, parce que la couronne consiste en la joie que quelqu’un a de
posséder Dieu, l’auréole en la joie qu’il a de la perfection de ses œuvres,
tandis que le fruit consiste dans la joie qu’il a de sa disposition à accomplir
ces œuvres selon son degré de spiritualité, grâce auquel il a fait valoir la
semence de la parole de Dieu.
Certains
distinguent entre l’auréole et le fruit en disant que l’auréole est due au
lutteur, selon ce mot de saint Paul à Timothée : « Il ne sera pas couronné s’il n’a pas lutté selon les règles », tandis que le fruit est dû au
travailleur, selon la Sagesse : « Le
fruit des bons travaux est glorieux. »
Mais d’autres disent que la couronne concerne la conversion vers Dieu, tandis
que l’auréole et le fruit consistent dans les choses qui sont ordonnées à cette
fin : Le fruit regarderait surtout la volonté, et l’auréole surtout le corps.
Mais comme le travail et la lutte sont dans le même homme et selon la même
chose, et que la récompense du corps dépend de celle de l’âme, selon l’opinion
citée, il n’y aurait qu’une différence de raison entre le fruit, la couronne et
l’auréole. Cela n’est pas possible, car le fruit est assigné à certains, à qui
n’est pas assignée l’auréole.
Solutions :
1. Il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’on
attribue diverses récompenses au même mérite, selon des éléments divers qui
sont en lui. Ainsi la couronne est donnée à la virginité en tant qu’elle est
gardée à cause de Dieu, par suite d’un vouloir de charité. Tandis que l’auréole
lui est ajoutée en tant qu’elle est une œuvre de perfection qui comporte une
forme de victoire supérieure, et que le fruit lui est accordé parce que par la
virginité l’homme se dégage du charnel et passe à un certain état spirituel.
2. Le fruit, en son acception propre, comme
nous en parlons ici, n’est pas une récompense commune au martyre et à la
virginité, mais qui correspond aux trois degrés de continence. Cette Glose qui
affirme que le fruit au centuple convient aux martyrs, prend ce mot au sens
large, en tant que toute rémunération est appelée fruit. De la sorte, le fruit
au centuple désigne la rémunération due à n’importe quelle œuvre de perfection.
3. Bien que l’auréole soit une récompense
accidentelle s’ajoutant à l’essentielle, cependant toute récompense
accidentelle n’est, pas une auréole, mais seulement la récompense d’œuvres de
perfection par lesquelles l’homme est tout à fait conforme au Christ grâce à
une victoire parfaite. Il n’y a donc pas d’inconvénient à ce que quelque
récompense accidentelle, appelée fruit, soit accordée à la libération de la vie
charnelle.
Objections :
1. Il semble que non, car au sujet de saint
Paul écrivant aux Corinthiens : « Autre
est l’éclat du soleil », la Glose dit
que : « On compare à la clarté du
soleil la dignité de ceux qui reçoivent du fruit au centuple, à celle de la
lune ceux qui reçoivent soixante pour un, à celle des étoiles ceux qui
reçoivent trente pour un. » Mais
cette diversité de clarté, dans l’intention de l’Apôtre, correspond à toute
différence de béatitude. Les divers fruits ne doivent donc pas correspondre à
la seule vertu de continence.
2. Les fruits sont ainsi nommes à cause de
la fruition. Mais celle-ci est liée à la récompense essentielle, qui correspond
à toutes les vertus. Donc…
3. Le fruit est dû au travail, selon la
Sagesse : « Le fruit des bons travaux
est glorieux. » Mais dans le travail,
le rôle de la force est plus grand que celui de la tempérance ou de la
continence. Le fruit ne correspond donc pas à la seule continence.
4. Il est plus difficile de ne pas dépasser
la mesure dans les aliments, nécessaires à la vie, que dans les plaisirs
sexuels, sans lesquels on peut conserver la vie. L’effort pour garder la
tempérance est donc plus grand que pour la continence. Le fruit correspond donc
plus à la tempérance qu’à la continence.
5. Le fruit apporte une restauration. Mais
celle-ci existe surtout dans la fin. Comme les vertus théologales ont comme
objet la fin, c’est-à-dire Dieu, il semble que le fruit leur corresponde
davantage.
Cependant :
Dans
la Glose au sujet de saint Matthieu, on assigne les fruits à la virginité, au
veuvage et à la continence conjugale, qui sont les parties de la continence.
Conclusion :
Le
fruit est une récompense due à l’homme parce qu’il est passé de la vie
charnelle à la vie spirituelle. Il correspond donc surtout à la vertu qui
libère l’homme de la domination de la chair. C’est ce qu’opère la continence,
parce que c’est surtout par les plaisirs sexuels que l’âme est soumise à la
chair. C’est à ce point que, selon saint Jérôme, dans l’acte charnel l’esprit
de prophétie ne touche plus le cœur des prophètes, et que, selon Aristote, « dans ce plaisir il n’est pas possible
à l’intelligence de connaître. » Le
fruit correspond donc mieux à la continence qu’à une autre vertu.
Solutions :
1. Cette glose prend le fruit au sens
large, selon lequel toute rémunération est appelée fruit.
2. La fruition ne tire pas son origine du
mot fruit dans le sens dans lequel nous parlons de fruit, comme cela est
évident.
3. Le fruit, dans le sens où nous en
parlons ici, ne correspond pas au travail à cause de la fatigue, mais en tant
que c’est par le travail que les semences donnent leur fruit. C’est pourquoi
les moissons elles-mêmes sont appelées travaux, parce que c’est à cause d’elles
qu’on travaille ou parce que c’est par le travail qu’on les acquiert. La
comparaison avec le fruit, en tant qu’il vient de la semence, est plus proche
de la continence que de la force, parce que l’homme n’est pas soumis à la chair
par les passions qui sont l’objet de la force comme par celles auxquelles
s’oppose la continence.
4. Bien que les plaisirs des aliments
soient plus nécessaires que ceux qui viennent des choses sexuelles, ils ne sont
pourtant pas aussi véhéments ; ils ne soumettent donc pas autant l’âme à la
chair.
5. Le fruit n’est pas pris ici pour
signifier le fruit que reçoit celui qui est restauré par la fin, mais dans un
autre sens. L’argument ne porte donc pas.
Objections :
1. Cela ne semble pas convenir, car saint
Paul s’adressant aux Galates énumère douze fruits de l’Esprit : la charité, la
joie, la paix, etc. Il semble donc qu’on ne doive pas les réduire à trois.
2. Le fruit indique une récompense
spéciale. Mais la récompense accordée aux vierges, aux veufs et aux époux,
n’est point spéciale, puisque tous les hommes sauvés appartiennent à l’une de
ces trois catégories. En effet, nul n’est sauvé s’il ne garde la continence ;
et celle-ci est divisée en ces trois catégories. Il ne convient donc pas
d’assigner les trois fruits à ces trois groupes.
3. De même que le veuvage dépasse la
continence conjugale, ainsi la virginité l’emporte sur le veuvage. Mais le
soixante pour un ne dépasse pas le trente pour un de la même manière que le
centuple dépasse le soixante pour un - ni selon la proportion arithmétique,
puisque soixante dépasse trente de trente, et cent dépasse soixante de quarante
- ni selon la proportion géométrique, puisque soixante est le double de trente,
tandis que cent est dépassé par le double de soixante, puisqu’il le contient
une fois entier, plus ses deux tiers. Il ne convient donc pas d’attribuer les
fruits aux trois degrés de continence.
4. Les choses dites par l’Écriture sont
immuables. Saint Luc dit : « Le Ciel
et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » Par contre, les choses d’institution humaine peuvent changer
chaque jour. On ne peut donc pas interpréter les choses de l’Écriture Sainte
d’après ce qui est d’institution humaine. Il ne convient donc pas d’accepter le
motif qu’apporte Bède pour assigner les trois fruits, quand il dit : « Le fruit à trente pour un, convient
aux époux, parce que dans la représentation des chiffres que l’on fait au jeu,
trente est signifié par le contact entre le pouce et l’index à leur sommet, de
telle sorte qu’ils semblent s’embrasser, et ainsi le chiffre trente évoque les
baisers des époux. Soixante est signifié par le contact de l’index avec le milieu
de l’articulation du pouce, et de la sorte, comme l’index repose sur le pouce
et le domine, il signifie l’oppression que les veuves supportent dans le monde.
Quand on parvient au nombre cent, on passe de la main gauche à la main droite
donc la centaine désigne la virginité, qui possède en partie la dignité des
anges, qui sont à droite, c’est-à-dire dans la gloire, tandis que nous sommes à
gauche, à cause de l’imperfection de la vie présente.
Conclusion :
La
continence, à laquelle correspond le fruit, introduit l’homme dans une sorte de
spiritualisation, en rejetant la vie charnelle. On distingue donc les divers
fruits selon les divers modes de spiritualisation que la continence constitue.
Il y a une spiritualité indispensable et une autre qui est une surabondance.
La spiritualité indispensable consiste en ce que la droiture de l’esprit ne
soit point pervertie par la délectation chamelle : cela se produit quand
quelqu’un jouit des plaisirs de la chair dans la conformité à l’ordre de la
raison telle est la spiritualité des époux. La spiritualité surabondante
consiste pour l’homme à se détacher totalement des délectations charnelles qui
oppriment l’esprit. Cela peut s’accomplir de deux manières : Soit à l’égard de
tout temps, passé, présent et futur : et c’est la spiritualité des vierges,
soit pour un temps limité : Et c’est la spiritualité des veufs. À ceux qui
gardent la continence conjugale est donné le fruit à trente pour un. À ceux qui
gardent la continence des veufs est donné soixante pour un, à ceux qui gardent
la continence virginale est donné le centuple ; selon le motif assigné plus
haut par Bède.
Cependant,
on pourrait donner à ces divisions un autre motif, selon la nature des nombres.
Le nombre trente vient de la multiplication de dix par trois ; trois est le
chiffre de toutes choses, comme dit Aristote, et il contient en soi la
perfection commune à tout : le commencement, le milieu et la fin. Il convient
donc que le nombre trente soit assigné aux époux chez eux, à l’observation du
Décalogue, qui est désigné par dix, ne s’ajoute que la perfection commune sans
laquelle n’y a pas de salut.
Le
nombre six, dont la multiplication par dix fait soixante, possède la perfection
en vertu de ses parties, puisqu’il résulte du groupement de toutes ses parties :
il convient donc qu’il corresponde au veuvage, dans lequel se trouve le parfait
éloignement des plaisirs charnels, dans toutes les circonstances, qui sont
comme les parties de l’acte vertueux : En effet, le veuf n’use des plaisirs
charnels avec personne, en aucun lieu et dans aucune circonstance, chose qui
n’existait pas dans la continence conjugale. Le centuple correspond
parfaitement à la virginité, parce que le nombre dix, dont la multiplication
par lui-même donne cent, est la limite des nombres. De même, la virginité
atteint la limite de la spiritualisation, puisqu’on ne peut rien lui ajouter
quant à la spiritualité. Le nombre cent, en tant que nombre carré, possède la
perfection en vertu de sa figure, en effet, la figure carrée est parfaite parce
qu’elle possède l’égalité de toutes ses parties, ayant des côtés égaux : elle
convient donc à la virginité, dans laquelle l’incorruptibilité est gardée en
tous les temps passé, présent et futur.
Solutions :
1. En cette difficulté, le mot fruit n’est
pas pris dans le sens où nous le prenons ici.
2. Rien n’oblige à tenir que le fruit soit
une récompense qui n’est pas donnée à tous ceux qui seront sauvés. La
récompense essentielle n’est pas seule commune à tous les hommes. Mais aussi
des choses accidentelles, comme la joie des œuvres accomplies, sans lesquelles
on ne serait pas sauvé. On peut dire cependant que les fruits ne conviennent
pas à tous ceux qui seront sauvés, comme cela est manifeste chez ceux qui se
convertissent à la fin de la vie, et n’ont pas vécu dans la continence : ils
ont droit à la récompense essentielle, mais non aux fruits.
3. La distinction des fruits est prise
davantage selon les espèces et les figures des nombres que selon les quantités
désignées. Cependant, on peut donner une justification même au sujet de la
quantité. L’homme marié s’abstient seulement de celle qui n’est pas sa femme,
tandis que la veuve s’abstient de son mari et de celui qui ne l’est pas. Et
ainsi ou trouve cette explication : comme soixante est le double de trente, cent
ajoute à soixante le nombre quarante, qui vient de la multiplication de dix par
quatre. Le nombre quatre est le premier nombre entier et cubique. Il convient
donc à la virginité, dans laquelle, à la perfection du veuvage s’ajoute
l’incorruption perpétuelle.
4. Bien que cette désignation des chiffres
pour le jeu soit d’institution humaine, cependant elle est fondée de quelque
manière sur la nature des choses, en tant que les chiffres sont désignés
graduellement selon l’ordre des articulations et des contacts des doigts.
Objections :
1. Il semble que non. Une plus grande
récompense est due quand une œuvre présente plus de difficulté. Mais les veuves
souffrent plus que les vierges de s’abstenir des jouissances charnelles. Saint
Jérôme dit eau effet que plus grande est la difficulté que certains rencontrent
pour s’abstenir des voluptés défendues, plus grande est leur récompense. Il
dit cela en faisant l’éloge des veuves. Aristote dit aussi que « les jeunes filles ayant perdu
leur virginité désirent davantage l’acte charnel, à cause du souvenir de leur
jouissance. » L’auréole, qui est la
plus grande récompense, est donc due davantage aux veuves qu’aux vierges.
2. Si l’auréole était due à la virginité,
elle devrait se trouver là où se rencontre la plus parfaite virginité. Mais
dans la Bienheureuse Vierge se trouve la plus parfaite virginité, d’où son
appellation de Vierge des vierges. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce
qu’elle n’a subi aucune lutte pour garder la continence, puisqu’elle ne fut pas
atteinte par les passions de la corruption. L’auréole n’est donc pas due à la
virginité.
3. On ne doit pas accorder une récompense
très élevée à ce qui n’est pas louable en tout temps. Mais il n’aurait pas été
louable de garder la virginité dans l’état d’innocence, puisque alors il avait
été prescrit : « Croissez
et multipliez-vous, et remplissez la terre
», ni même dans le temps de la loi mosaïque, puisque les stériles étaient
maudites. Une auréole n’est donc point due à la virginité.
4. On ne doit pas donner la même récompense
à la virginité gardée et à la virginité perdue. Mais l’auréole est due parfois
à la virginité perdue, si par exemple une femme est violée malgré elle par un
tyran parce quelle confesse la foi au Christ. L’auréole n’est donc point due à
la virginité.
5. Une récompense élevée ne doit pas être
attribuée à ce qui est en nous naturellement. Mais la virginité appartient de
naissance, à tout homme, bon et mauvais. L’auréole ne lui est donc pas due.
6. De même que le veuvage, dans la continence,
reçoit un fruit de soixante pour un, ainsi la virginité reçoit le centuple et
l’auréole. Mais ce fruit n’est pas dû à toute veuve, mais seulement à celle qui
demeure vouée au veuvage, comme on dit. Il semble donc que l’auréole ne soit
pas due à toute virginité, mais seulement à celle à laquelle on s’est voué.
7. On ne donne pas de récompense à ce qui
existe nécessairement, puisque tout mérite consiste en un acte de la volonté.
Or, il y a des vierges qui le sont par nécessité, comme les frigides et les
eunuques. L’auréole n’est donc pas toujours due à la virginité.
Cependant :
Dans
l’Exode nous lisons : « Tu feras une
autre couronne, l’auréole. » Et la
Glose ajoute : « À cette couronne-là
appartient le cantique nouveau, que les vierges chantent devant l’Agneau, ceux
qui suivent l’Agneau partout où il ira. »
La récompense due à la virginité se nomme donc auréole.
En
outre, Isaïe dit : « Le Seigneur Dieu
dit ceci aux eunuques : je leur donnerai le meilleur nom parmi les fils et les
filles. » Et la Glose ajoute : « Cela signifie une gloire spéciale et
élevée. » Or, par les eunuques
"qui se sont mutilés pour le royaume des cieux », on désigne les vierges. La virginité a donc droit à une
récompense supérieure, qui est l’auréole.
Conclusion :
Là
où est obtenue une forme supérieure de victoire, on a droit à une couronne
spéciale. Quand quelqu’un, en gardant la virginité, obtient une victoire
exceptionnelle sur la chair, contre laquelle il mène une lutte incessante,
comme dit saint Paul aux Galates : « L’esprit
lutte contre la chair », il a droit à
une couronne spéciale, qui est appelée auréole. Tous l’affirment communément ;
mais ils ne sont pas d’accord pour préciser à quelle virginité est due cette
auréole. Les uns disent qu’elle est due à un acte : elle sera donc donnée à
celle qui garde, en acte, la virginité, si elle est du nombre de ceux qui
seront sauvés. Mais cela ne semble pas convenir, car alors celles qui ont la
volonté de se marier, mais meurent auparavant, posséderaient l’auréole.
D’autres disent que l’auréole est due à un état et non à un acte : seules
mériteraient l’auréole celles qui se sont mises par un vœu dans l’état de
virginité perpétuelle. Mais cela non plus ne semble pas convenir, car quelqu’un
peut garder la virginité sans l’avoir vouée, avec une volonté égale à celle
d’un autre qui en a fait le vœu. C’est pourquoi on peut dire, autrement, que le
mérite est dû à tout acte de vertu impéré par la charité. La virginité est de
l’ordre de la vertu, en tant que l’incorruption perpétuelle de l’esprit et du
corps est l’effet d’un choix, comme cela découle de ce que nous avons dit.
L’auréole n’est donc due à proprement parler qu’à ceux qui ont décidé de garder
la virginité perpétuelle, qu’ils aient exprimé ou non cette décision. Et je dis
cela en tant que l’auréole est prise, à proprement parler, comme une récompense
donnée au mérite, bien que cette résolution ait été quelquefois interrompue,
tout en gardant l’intégrité de la chair : pourvu que celle-ci persévère jusqu’à
la fin de la vie, car la virginité de l’esprit peut être réparée, mais non
celle de la chair. Mais si nous prenons l’auréole au sens large, pour toute
joie qui s’ajoute dans le Ciel à la joie essentielle, alors l’auréole est
donnée à ceux qui sont demeurés incorrompus dans leur chair, même s’ils n’ont
pas eu la volonté de garder perpétuellement la virginité. Il n’est pas douteux
en effet qu’ils jouissent de l’incorruption du corps, commue les innocents qui
sont demeurés exempts du péché, bien qu’ils n’aient pas eu la possibilité de
pécher, comme les enfants baptisés. Ce n’est point l’acception propre de
l’auréole, mais elle est très commune.
Solutions :
1. Dans la garde de la continence, une
lutte plus forte est soutenue, à un certain point de vue, par les vierges, à un
autre point de vue, par les veuves. Les vierges sont enflammées par la
concupiscence et par le désir d’expérimenter, qui provient d’une certaine
curiosité, en vertu de laquelle l’homme voit plus volontiers ce qu’il n’a pas
encore vu. Et parfois cette concupiscence augmente l’appréciation du plaisir
au-delà de ce qu’il est dans la réalité. Il y a aussi une absence de
considération des inconvénients qui sont liés à un plaisir de ce genre. À ce
point de vue, les veuves obtiennent une lutte moindre, tandis que celle-ci est
accrue, au contraire, par le souvenir du plaisir éprouvé. Et en ces diverses
choses, les hommes diffèrent en leur jugement, selon leurs diverses conditions
et dispositions, car certains sont davantage mus par un point de vue, et les
autres par un autre. Quoi qu’il en soit de l’intensité de la lutte, il est
certain que la victoire des vierges est plus parfaite que celle des veuves :
car c’est une victoire plus parfaite et plus belle, de n’avoir jamais cédé à
l’ennemi. La couronne n’est pas due à la lutte, mais à la victoire dans la
lutte.
2. À ce sujet, deux opinions sont émises.
Certains disent que la Bienheureuse Vierge ne reçoit pas l’auréole comme
récompense de la virginité, si l’auréole est considérée comme récompensant la
lutte, mais qu’elle reçoit quelque chose de plus grand que l’auréole, à cause
de sa décision parfaite de garder la virginité. D’autres disent qu’elle possède
l’auréole, et même très supérieure, sous la raison propre d’auréole : car, bien
qu’elle n’ait pas éprouvé le combat, elle a quand même connu une certaine lutte
de la chair. Mais, à cause de la puissance de sa vertu, sa chair était
tellement soumise, que cette lutte la laissait insensible. Pourtant, cela ne
semble point convenir, car on croit que la Bienheureuse Vierge fut tout à fait
préservée de l’inclination sensuelle, à cause de sa parfaite sanctification. Il
n’est point respectueux de dire qu’il y eût en elle quelque lutte de la chair,
car celle-ci ne vient que d’une inclination dépravée. La tentation qui vient de
la chair ne peut pas exister sans le péché, comme dit la Glose, à propos de
saint Paul aux Corinthiens : « J’ai
reçu le stimulant de ma chair. » La
Vierge doit donc posséder à proprement parler l’auréole, pour que, en cela,
elle soit conforme aux autres membres de l’Église, qui possèdent la virginité.
Bien qu’elle ne connût pas la tentation qui vient de la chair, elle connut la
lutte qui vient de la tentation opérée par l’ennemi, qui n’a même pas respecté
le Christ lui-même, comme nous le voyons en saint Matthieu.
3. L’auréole n’est due à la virginité qu’en
tant qu’elle ajoute une certaine supériorité aux autres degrés de la
continence. Si Adam n’avait pas péché, la virginité ne posséderait pas une
perfection supérieure à la continence conjugale, car il y aurait eu alors des
noces honorables, et une union nuptiale immaculée, la perversion de la
concupiscence n’existant pas. La virginité n’aurait pas alors été gardée, et
n’aurait pas droit à une auréole. Mais la condition de la nature humaine étant
changée, la virginité revêt une beauté spéciale et mérite donc une récompense
particulière. Au temps de la Loi de Moïse, quand le culte de Dieu devait être
propagé par l’acte charnel, il n’était pas tout à fait louable de s’abstenir de
l’acte de la chair : on ne donnait donc pas une récompense spéciale à cette
décision, sauf si elle venait d’une inspiration divine : comme on le croit pour
Jérémie et Élie, dont on ne lit pas qu’ils aient été mariés.
4. Si une vierge a été violée par
contrainte, elle ne perd pas pour autant son auréole, dès lors qu’elle garde
inviolablement sa volonté de défendre à jamais sa virginité, en ne consentant
nullement à l’acte subi elle ne perd pas pour cela sa virginité ; et cela vaut
si elle a été violée à cause de sa foi, pour n’importe quelle autre cause. Mais
si elle souffre cela pour la foi, cela augmentera son mérite, et lui donnera le
mérite du martyre. C’est pourquoi sainte Lucie dit : « Si tu me fais violer contre ma volonté, ma couronne de chasteté
sera doublée ». Non qu’elle ait
deux auréoles de virginité, mais parce qu’elle recevra une double récompense,
une pour la garde de la virginité, l’autre à cause de l’injustice subie. En
supposant même qu’une vierge ainsi violentée conçoive, elle ne perd pas pour
autant le mérite de la virginité. Elle n’égalera cependant pas la Mère du
Christ, qui garda, avec l’intégrité de l’esprit, celle de la chair.
5. La virginité nous est donnée par la
nature quant à ce qui est physique en elle, mais la résolution de garder une
incorruption perpétuelle, qui donne le mérite de la virginité, n’est pas innée
; elle vient d’un don de la grâce.
6. Le fruit de soixante pour un n’est pas
dû à toute veuve, mais seulement à celle qui a résolu de garder le veuvage,
même si elle n’en a pas fait le vœu, comme nous l’avons dit pour la virginité.
7. Si les frigides et les eunuques sont
résolus à garder une incorruption perpétuelle, même s’ils recevaient la
possibilité d’accomplir l’acte de la chair, ils doivent être appelés vierges,
et méritent l’auréole : ils font en effet de nécessité vertu. Mais s’ils sont
décidés à se marier s’ils en deviennent capables, ils ne méritent pas
l’auréole. C’est pourquoi saint Augustin dit : « Pour ceux dont l’organe viril est malade, de sorte qu’ils ne
peuvent pas engendrer, comme sont les eunuques, s’ils deviennent chrétiens et
gardent les préceptes de Dieu, mais avec l’intention de se marier s’ils le
pouvaient, il suffit de les considérer comme semblables aux époux croyants. »
Objections :
1. Il semble que non, car l’auréole est une
récompense attribuée aux œuvres surérogatoires. Bède dit à propos de l’Exode : « Tu feras une autre couronne », «
Cette récompense vaut pour ceux qui dépassent les préceptes généraux, par
un choix spontané d’une vie plus parfaite.
» Or, mourir pour la confession de sa foi est quelquefois obligatoire et
non surérogatoire comme nous le voyons dans l’épître aux Romains : « Par le cœur nous croyons à la justice,
mais par la bouche nous confessons ce qui est requis pour le salut. » L’auréole n’est donc pas toujours due
au martyre.
2. Selon saint Grégoire et saint Augustin, « plus les services sont libres, plus ils
sont dignes de récompense. » Mais le
martyre n’est aucunement libre, puisqu’il est une peine imposée avec violence
par un autre. L’auréole n’est donc pas due au martyre, parce qu’elle correspond
à un mérite supérieur.
3. Le martyre ne consiste pas seulement
dans la souffrance de la mort, mais aussi dans la volonté intime. C’est
pourquoi saint Bernard distingue trois espèces de martyrs : par la volonté et
sans meurtre, comme saint Jean, par la volonté et le meurtre, comme saint
Etienne, par le meurtre sans la volonté, comme les Saints Innocents. Si donc
l’auréole était due au martyre, elle serait due davantage au martyre de la
volonté qu’au martyre extérieur, puisque le mérite procède de la volonté. Or,
ce n’est point ce que l’on dit. L’auréole n’est donc pas due au martyre.
4. La souffrance du corps est moindre que
celle de l’esprit provenant de douleurs intimes et des passions de l’âme. La
souffrance intérieure est une sorte de martyre ; saint Jérôme dans son sermon
sur l’assomption : « Je dirai à bon
droit que la Vierge Mère de Dieu fut aussi martyre, bien que sa vie se soit
achevée dans la paix. C’est pourquoi il est dit qu’un glaive transpercera ton
âme », à savoir « la douleur de la mort de son Fils. » Puisqu’il n’y a pas d’auréole pour la douleur intérieure, il ne
doit pas y en avoir pour la douleur extérieure.
5. La mortification elle-même est une sorte
de martyre ; Saint Grégoire dit : « Même
sans avoir l’occasion d’être persécutés, notre vie paisible connaît son martyre
: car bien que nous n’inclinions pas sous le fer notre cou de chair, nous
exterminons en esprit les désirs de la chair, avec le glaive spirituel. » L’auréole n’est point due à cette
pénitence, qui consiste en des œuvres extérieures. Elle n’est donc pas due non
plus au martyre extérieur.
6. L’auréole n’est pas due à une œuvre
défendue. Or il est interdit de se faire violence à soi-même, comme dit saint
Augustin, et cependant l’Église célèbre le martyre de certains qui se sont
fait violence pour échapper à la rage des tyrans, comme cela se voit dans
l’Histoire d’Eusèbe, à propos de certaines femmes d’Antioche. L’auréole n’est
donc pas toujours due au martyre.
7. Il arrive parfois que quelqu’un soit
blessé à cause de sa foi, et survit cependant quelque temps. Il est
manifestement martyr. Et pourtant l’auréole ne lui est pas due, parce qu’il n’a
pas souffert jusqu’à la mort. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.
8. Certains souffrent plus de la perte des
biens temporels que de la souffrance de leur propre corps : comme on le voit
puisqu’ils se donnent tant de mal pour acquérir des richesses. Si donc on leur
enlève, à cause du Christ, leurs biens temporels, il semble qu’ils soient des
martyrs. Et cependant on dit que l’auréole ne leur est pas due. Donc...
9. Il semble que le martyr soit seulement
celui qui est mis à mort pour la foi. C’est pourquoi Isidore dit : « On les appelle martyrs, selon le terme
grec, témoins en latin, parce qu’ils ont supporté leurs souffrances pour
apporter au Christ leur témoignage, et ont lutté jusqu’à la mort pour la
vérité. » Mais il y a des vertus
supérieures à la foi, comme la justice, la charité, etc., qui ne peuvent
exister sans la grâce ; et cependant l’auréole ne leur est point due. Il semble
donc qu’elle ne le soit pas non plus au martyre.
10. De même que les vérités de foi, toute
autre vérité vient de Dieu, comme dit saint Ambroise, parce que "toute
vérité, quel que soit celui qui l’exprime, vient du Saint-Esprit. » Si donc on doit l’auréole à celui qui
supporte la mort pour la vérité de foi, on la devrait aussi pour ceux qui
supportent la mort pour toute autre vérité : et cela n’est évidemment pas
exact.
11. Le bien commun l’emporte sur le bien
particulier. Si quelqu’un meurt, dans une guerre juste pour la défense de
l’Etat, on ne lui doit pas l’auréole. Donc pas non plus s’il est tué pour la
conservation en lui-même de la foi.
12. Tout mérite procède du libre arbitre.
Mais l’Église célèbre le martyre que certains qui n’eurent pas l’usage du libre
arbitre. Ils n’ont donc pas mérité l’auréole, et dès lors, celle-ci n’est pas
due à tous les martyrs.
Cependant :
Saint
Augustin dit : « Personne, je pense,
n’a osé mettre la virginité au-dessus du martyre. » Mais la virginité a droit à une auréole. Donc aussi le martyre.
En
outre, la couronne est due au lutteur. Dans le martyre, il y a une difficulté
spéciale dans le combat. On lui doit donc une auréole spéciale.
Conclusion :
De
même que l’esprit lutte contre les concupiscences intérieures, ainsi l’homme
lutte contre les passions qui viennent du dehors. De même que la victoire la
plus parfaite par laquelle l’homme triomphe des concupiscences de la chair,
c’est-à-dire la virginité, a droit à une couronne spéciale qui s’appelle
auréole, de même celui qui a remporté la plus parfaite victoire qui se conquiert
dans la lutte extérieure, a droit à une auréole. La victoire la plus parfaite
contre les passions extérieures peut être considérée sous deux aspects :
d’abord selon la grandeur de la passion vaincue ; parmi toutes les passions
provoquées du dehors, la peur de la mort tient le premier rang, de même que
dans les passions intérieures les principales sont les concupiscences
sexuelles. C’est pourquoi, quand quelqu’un parvient à la victoire sur la mort
et contre ce qui lui est rattaché, il est parfaitement vainqueur. La grandeur
de la victoire sur les passions peut aussi être considérée d’après la cause de
la lutte, quand par exemple on combat pour une cause très honorable, qui est le
Christ lui-même. Or ces deux choses sont contenues dans le martyre, qui est
l’acceptation de la mort à cause du Christ.
» Ce qui constitue le martyre, ce n’est pas la souffrance, mais sa
cause" dit saint Augustin. L’auréole est donc due au martyre comme à la
virginité.
Solutions
:
1. Supporter la mort à cause du Christ est
en soi une œuvre surérogatoire. Car tous ne sont pas mis dans l’obligation de
confesser leur foi devant un persécuteur. Mais en certaines occasions cela est
obligatoire pour se sauver : ainsi quand quelqu’un arrêté par un persécuteur
est interrogé sur sa foi, il est obligé de la confesser. Mais il ne s’ensuit
pas qu’il ne mérite pas l’auréole. Celle-ci en effet n’est pas due à l’œuvre
surérogatoire en tant que telle, mais en tant qu’elle contient une certaine
perfection. Donc, si cette perfection demeure, même sans qu’il y ait
surérogation, on mérite l’auréole.
2. La récompense est due au martyre non en
tant qu’il est infligé du dehors, mais en tant qu’il est supporté
volontairement, car nous ne méritons que par les choses qui sont en nous. Plus
ce que quelqu’un supporte volontairement est difficile et de nature à répugner
à la volonté, plus cette volonté qui le supporte à cause du Christ, se montre
fermement fixée dans le Christ. On lui doit donc une récompense supérieure.
3. Il y a des actes qui possèdent en
eux-mêmes une grande intensité de jouissance ou de difficulté. Dans ces actes
le fait de les accomplir augmente toujours le mérite ou le démérite, car en les
accomplissant la volonté, à cause de cette intensité, a dû modifier
profondément l’état dans lequel elle se trouvait auparavant. C’est pourquoi,
toutes choses restant les mêmes, celui qui accomplit un acte de luxure pèche
plus que celui qui ne fait que consentir à l’acte, parce qu’en accomplissant
l’acte, la volonté est intensifiée. De même, puisque l’acte du martyre comporte
une très grande difficulté, le vouloir du martyre n’atteint pas le mérite qui
est dû à l’acte même du martyre, à cause de cette difficulté. Cependant cette
volonté du martyre peut parvenir à une plus haute récompense, en raison de son
mérite, parce que quelqu’un peut vouloir supporter le martyre, sans le subir,
avec une plus grande charité que celui qui le subit en fait. C’est pourquoi le
martyr volontaire peut mériter, par sa volonté seule, une récompense
essentielle égale ou plus grande que celle qui est due au martyr réel. Mais
puisque l’auréole est due à la difficulté qui se rencontre dans la lutte même
du martyre, elle n’est pas due à ceux qui ne sont martyrs que dans leur
vouloir, mais non en fait.
4. De même que les plaisirs du toucher,
auxquels est ordonnée la tempérance, tiennent la première place parmi les
plaisirs intérieurs et extérieurs, de même les douleurs du toucher sont
au-dessus de toutes les autres douleurs. C’est pourquoi une auréole est due
davantage à la difficulté qui se manifeste dans le support des douleurs du
toucher par exemple celles des coups et autres choses semblables, qu’elle n’est
due à la difficulté de supporter les douleurs intérieures, à cause desquelles
quelqu’un n’est pas appelé à proprement parler martyr, sauf par comparaison ;
Et c’est dans ce sens que parle saint Jérôme.
5. Les souffrances de la mortification ne
sont pas à proprement parler un martyre, parce qu’elles ne consistent pas en
des choses ordonnées à causer la mort, mais seulement destinées à dominer la
chair. Si quelqu’un dépasse cette mesure, sa pénitence devient une faute.
Cependant, on peut, par comparaison, appeler la mortification un martyre, parce
qu’elle peut l’emporter en durée sur le martyre, tandis que celui-ci l’emporte en
intensité.
6. Selon saint Augustin, nul ne peut
attenter à sa vie pour aucune cause, à moins qu’il ne le fasse sous l’action
d’une inspiration divine, pour donner un exemple de courage en méprisant la
mort. On croit que ceux dont il est parlé dans cette difficulté se sont donné
la mort sous une inspiration divine : C’est pourquoi l’Église célèbre leur
martyre.
7. Si quelqu’un reçoit à cause de sa foi
une blessure mortelle, mais ne meurt pas aussitôt, il n’est point douteux qu’il
mérite l’auréole, comme cela est évident pour la bienheureuse Cécile, qui a
survécu trois jours, et pour de nombreux martyrs morts en prison. Même si
quelqu’un reçoit une blessure qui n’est pas mortelle, et qui est cependant
suivie de mort, on croit qu’il mérite l’auréole, bien que certains disent que
celui qui aboutit à la mort à cause de son insouciance ou de sa négligence, ne
mérite pas l’auréole. Cependant, cette négligence ne l’aurait pas conduit à la
mort sans la blessure antérieure, reçue pour la foi : Celle-ci est donc la
première occasion de sa mort ; il semble dès lors qu’il ne perde pas l’auréole,
à moins que sa négligence soit telle qu’elle comporte une faute mortelle, qui
lui enlève la couronne et l’auréole. Mais si quelqu’un ne meurt pas après avoir
reçu une blessure mortelle, à cause de quelque circonstance fortuite ou s’il
n’a pas reçu de blessure mortelle, mais qu’ensuite, étant en prison, il meurt,
il mérite encore l’auréole. C’est pourquoi l’Église célèbre de saints martyrs
qui sont morts en prison, longtemps après avoir subi des blessures, comme le
pape Marcel. Donc, toute souffrance infligée pour le Christ et s’achevant dans
la mort, que celle-ci suive immédiatement ou non, suffit à constituer le
martyre et à mériter l’auréole. Si elle ne va pas jusqu’à la mort, on ne
considère pas cet homme comme martyr : comme c’est le cas du bienheureux
Sylvestre, que l’Église ne fête pas comme martyr, parce qu’il a achevé sa vie
dans la paix, après avoir subi auparavant bien des tourments.
8. De même que la tempérance ne regarde pas
les plaisirs de l’argent ou des honneurs, mais seulement les jouissances du
toucher, parce qu’elles sont les principales, de même la force ne regarde que
les menaces de mort, parce qu’elles sont les plus graves, comme dit Aristote.
C’est pourquoi l’auréole n’est due qu’aux attaques qui menacent le propre
corps, capables d’engendrer la mort. Si donc quelqu’un, à cause du Christ, perd
les biens temporels ou sa réputation ou toute autre chose de ce genre, il n’est
pas martyr pour autant, et ne mérite pas l’auréole. On ne peut aimer d’une
manière normale les choses extérieures plus que le propre corps. Un attachement
déréglé ne peut concourir à faire mériter une auréole. La douleur de la perte
des biens matériels ne peut égaler celle de la mort du corps, ni d’autres
souffrances semblables.
9. La cause suffisante pour constituer le
martyre n’est pas seulement le fait de confesser la foi, mais aussi toute autre
vertu, non pas humaine, mais surnaturelle, qui a le Christ comme fin. Par tout
acte de vertu, on peut devenir témoin du Christ, en tant que les œuvres qu’il
opère en nous sont un témoignage de sa bonté. C’est ainsi que des vierges
furent tuées à cause de leur virginité qu’elles voulaient garder, comme la
bienheureuse Agnès et quelques autres, dont le martyre est célébré par
l’Église.
10. La vérité de foi a le Christ comme fin
et comme objet : c’est pourquoi sa confession mérite l’auréole, si une peine
lui est infligée, non seulement à cause de la fin poursuivie, mais aussi à
cause de cette souffrance. Mais la confession de toute autre vérité n’est pas
une cause suffisante pour constituer un martyre en raison d’une semblable
souffrance : elle ne le serait qu’à cause de la fin, si par exemple quelqu’un
préférait être mis à mort pour le Christ, plutôt que de dire n’importe quel
mensonge qui est un péché contre lui.
11. Le Bien incréé dépasse tout bien créé.
Dès lors, toute fin créée, qu’elle soit le bien commun ou un bien privé, ne
peut conférer à une action autant de bonté que le Bien incréé le fait quand
quelque chose est accompli à cause de Dieu. Donc, si quelqu’un subit la mort à
cause du bien commun, sans référence au Christ, il ne mérite pas l’auréole.
Mais s’il rapporte cela au Christ, il la mérite, et il est martyr s’il défend
l’État contre les attaques des ennemis qui veulent corrompre la foi au Christ,
et qu’il meurt dans cette lutte de défense.
12. Certains disent que chez les Innocents
morts pour le Christ l’usage de la raison fut anticipé par un miracle divin,
comme chez saint Jean Baptiste quand il était dans le sein maternel. Par là,
ils furent de vrais martyrs, en acte et en volonté ; Et ils possèdent
l’auréole. Mais d’autres disent qu’ils furent martyrs seulement en acte, mais
non en volonté : telle semble être la pensée de saint Bernard dans sa division
des trois sortes de martyrs. D’après cela, les Innocents, qui ne réalisèrent
pas la notion parfaite du martyre, mais y participèrent de quelque manière en
souffrant pour le Christ, ont aussi l’auréole, non dans sa parfaite définition,
mais en une certaine participation, en tant qu’ils se réjouissent d’avoir été
tués au service du Christ, comme nous l’avons vu au sujet des enfants baptisés
qui jouissent de leur innocence et de l’intégrité de leur chair.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Toute récompense
dans l’au-delà correspond à un acte de vertu. Prêcher ou enseigner n’en est pas
un. On ne doit donc point l’auréole à la prédication ou à l’enseignement.
2. Enseigner et prêcher sont le fruit de
l’étude et de l’enrichissement doctrinal. Les choses qui sont récompensées dans
l’au-delà ne s’acquièrent point par l’effort humain, car nous ne méritons pas
par les choses naturelles et acquises. Aucune auréole n’est donc promise pour
l’au-delà à l’enseignement et à la prédication.
3. L’exaltation dans le Ciel correspond à
l’humiliation ici-bas, car « celui
qui s’humilie sera exalté. »
Enseigner et prêcher n’humilient pas : ce sont plutôt des occasions d’orgueil.
La Glose dit, au sujet de saint Matthieu, que « le diable trompe beaucoup d’hommes enflés par les honneurs
du magistère ». Il semble donc
que la prédication et l’enseignement n’aient pas droit à l’auréole.
Cependant :
À
propos de saint Paul aux Ephésiens : « Pour
que vous sachiez quelle est l’éminence...
», la Glose dit : « Les
saints docteurs recevront une augmentation de gloire supérieure à celle que
tous auront communément. »
En
outre, la Glose ordinaire, commentant le Cantique des Cantiques, « Ma vigne est devant moi », dit : « Il montre quelle récompense particulière il prépare pour ses
docteurs. » Ils auront donc une
récompense spéciale, et c’est ce que nous nommons auréole.
Conclusion :
Par
le martyre et la virginité, l’homme remporte une très parfaite victoire contre
la chair et le monde. De même, il remporte une très parfaite victoire contre le
diable quand, non content de résister à ses assauts, il le chasse non seulement
de lui-même, mais aussi des autres. C’est ce qui se fait par la prédication et
l’enseignement. C’est pourquoi on leur doit une auréole, comme à la virginité
et au martyre. Qu’on ne dise pas, comme certains le font, qu’elle est due
seulement aux prélats, à qui il appartient, en vertu de leur charge, de prêcher
et d’enseigner : elle appartient à tous ceux qui exercent licitement cette
mission. Elle n’est due aux prélats, bien qu’ils aient la charge de prêcher,
que s’ils le font en fait, car la couronne n’est pas due à une disposition,
mais à une lutte en acte, selon ce mot de saint Paul à Timothée : « Il ne sera pas couronné s’il n’a pas
lutté selon les règles. »
Solutions :
1. Prêcher et enseigner sont les actes
d’une vertu : la miséricorde. On doit donc les ranger parmi les aumônes
spirituelles.
2. Bien que la faculté de prêcher et d’enseigner
vienne de l’étude, le fait d’enseigner vient de la volonté, qui est enrichie
par la charité infusée par Dieu. Son exercice peut donc être méritoire.
3. L’exaltation en cette vie ne diminue la
récompense de l’autre vie que si quelqu’un cherche, à travers cette exaltation,
sa propre gloire. Mais celui qui transforme cette exaltation en bénéfice pour
les autres, mérite une récompense. Quand on dit que l’enseignement a droit à
l’auréole, on doit l’entendre de l’enseignement des choses du salut, qui
chasse le diable du cœur des hommes, comme une arme spirituelle. Saint Paul dit
aux Corinthiens : « Les armes de
notre armée ne sont pas charnelles, mais spirituelles. »
Objections :
1. Il semble que oui. Une auréole est due à
la virginité, au martyre et à l’enseignement. Ces trois choses existèrent
excellemment dans le Christ. L’auréole lui convient donc excellemment.
2. Tout ce qui est très parfait dans les
choses humaines, doit être attribué, à un degré supérieur, au Christ. La
récompense de l’auréole est due aux mérites les plus élevés. Elle est donc due
au Christ.
3. Saint Cyprien dit que la virginité porte
l’image de Dieu à son type idéal. La virginité est donc en Dieu. Il semble donc
que l’auréole convienne au Christ même en tant qu’il est Dieu.
Cependant :
L’auréole,
avons-nous dit, est la joie de se sentir conforme au Christ. Nul ne se conforme
ni ne devient semblable à soi-même, comme dit Aristote. L’auréole n’est donc
pas due au Christ.
En
outre, la récompense du Christ n’augmente jamais. Or il ne posséda pas
l’auréole dès l’instant de sa conception, car alors il n’avait encore jamais
lutté. Il ne l’eût donc pas davantage ensuite.
Conclusion :
Deux
opinions se présentent à ce sujet. Certains auteurs disent que dans le Christ
il y a eu à proprement parler une auréole, parce qu’il a connu la lutte et la
victoire, et donc mérité la couronne proprement dite. Mais en y regardant de
près, s’il possède la couronne en sa notion propre, il ne possède pas celle de
l’auréole. Celle-ci en effet, par cela même qu’elle est un diminutif, indique
quelque chose qui est possédé seulement en participation et non en sa
plénitude. Elle ne convient donc qu’à ceux chez qui il n’y a qu’une
participation à la victoire parfaite, dans l’imitation de celui qui réalise
pleinement la notion de victoire parfaite. Dans le Christ au contraire nous
trouvons une réalisation parfaite de la notion de pleine victoire, tous les
autres vainqueurs ne font qu’y participer, comme nous le voyons en saint Jean « Ayez confiance, j’ai vaincu le
monde », et dans l’Apocalypse « Voici qu’a vaincu le lion de la
tribu de Juda. » Il ne convient donc
pas qu’il possède l’auréole, mais plutôt une chose de laquelle jailliront
toutes les auréoles. C’est pourquoi l’Apocalypse dit : « Je ferai asseoir sur mon trône celui qui aura vaincu, de même que
j’ai vaincu et je siège sur le trône de mon Père. » Aussi, d’autres estiment qu’on doit dire ceci : bien que ce
qui se trouve dans le Christ ne soit pas précisément une auréole, c’est mieux
que toute auréole.
Solutions :
1. Le Christ fut très véritablement
vierge, martyr et docteur. Mais en lui, la récompense accidentelle
correspondant à ces titres est très faible en comparaison de la grandeur de sa
récompense essentielle. Il ne possède donc pas l’auréole en sa notion précise.
2. Bien que l’auréole soit due à une œuvre
très parfaite, pourtant, en tant qu’elle est désignée par un diminutif, elle
signifie une participation seulement à la perfection qui se trouve pleinement
réalisée dans un autre. Par là, elle marque une certaine infériorité. Elle ne
se trouve donc pas dans le Christ, en qui toute perfection existe en sa
plénitude.
3. Bien que la virginité ait de quelque
manière son modèle parfait en Dieu, cependant ce modèle idéal n’est pas de la
même nature que chez l’homme. L’incorruption de Dieu, qu’imite la virginité,
n’est pas de même nature en Dieu et dans un homme vierge. Elle est pour eux de
nécessité de salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut suivre la
déchéance. Les actes par lesquels les anges nous instruisent appartiennent à
leur gloire et à leur état commun, ils ne méritent donc pas l’auréole pour
cela.
Objections :
1. Il semble que oui, d’après ce que dit
saint Jérôme au sujet de la virginité : « Vivre dans la chair en en étant dégagé, c’est plutôt une vie
angélique qu’une vie humaine », et la
Glose, à propos d’un passage de saint Paul, aux Corinthiens, dit que « la virginité est une part
angélique. » Puisque la virginité
reçoit l’auréole, elle semble due aux anges.
2. L’incorruption de l’esprit est
supérieure à celle de la chair. Dans les anges nous trouvons l’incorruption de
l’esprit, car ils n’ont jamais péché. L’auréole leur est donc due plus qu’aux
hommes qui seraient incorrompus dans leur chair, mais qui ont parfois péché.
3. L’auréole est due à ceux qui enseignent.
Les anges nous instruisent en nous purifiant, nous illuminant et nous
perfectionnant, comme dit Denys. Ils doivent donc avoir au moins l’auréole des
docteurs.
Cependant :
Saint
Paul dit à Timothée : « Il
ne sera pas couronné, s’il n’a pas combattu selon les règles. » Dans les anges, pas de combat, donc
pas d’auréole.
En
outre, l’auréole n’est pas due à un acte qui ne s’accomplit pas avec
coopération du corps. Pour ceux qui ont l’amour de la virginité, du martyre et
de l’enseignement, l’auréole ne leur sera pas donnée s’ils ne réalisent pas ces
choses extérieurement. Les anges étant incorporels, n’ont pas d’auréole.
Conclusion :
L’auréole
n’est pas due aux anges, car elle correspond à une forme supérieure de
perfection dans le mérite. Les choses qui chez l’homme contribuent à la
perfection de son mérite sont naturelles pour les anges ou appartiennent à leur
état commun ou font partie de leur récompense essentielle. Le motif même pour
lequel l’auréole est due aux hommes, fait que les anges n’en ont pas.
Solutions :
1. La virginité est appelée vie angélique
parce que les vierges imitent, par l’effet de la grâce, ce que les anges
possèdent par nature. Pour ceux-ci, ce n’est point de la vertu que de
s’abstenir complètement des plaisirs de la chair, puisque ceux-ci ne pourraient
pas exister chez eux.
2. L’incorruption perpétuelle de l’esprit
mérite aux anges leur récompense essentielle ; elle est pour eux essentielle au
salut, puisque pour eux aucune réparation ne peut suivre la déchéance.
3. Les actes par lesquels les anges nous
instruisent appartiennent à leur gloire et à leur état commun : ils ne méritent
donc pas l’auréole pour cela.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’on ne doive distinguer
que trois auréoles, pour les vierges, les martyrs et les prédicateurs. Car
l’auréole des martyrs correspond à la vertu de force, celle des vierges à la
vertu de tempérance et celle des docteurs à la vertu de prudence. Il semble
donc qu’il doit y avoir une quatrième auréole correspondant à la vertu de
justice.
2. À propos de l’Exode, la Glose dit que « la couronne est donnée quand
l’Évangile promet la vie éternelle à ceux qui gardent les commandements », et à propos de saint Matthieu : « Si tu veux entrer dans la vie, garde
les commandements », la Glose dit
"L’auréole lui est ajoutée quand il est dit : si tu veux être parfait, va,
vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres. » L’auréole est donc due à la pauvreté.
3. Par le vœu d’obéissance, l’homme se
soumet totalement à Dieu : c’est donc en ce vœu que consiste la plus grande
perfection ; dès lors, il semble que l’auréole lui soit due.
4. Il y a beaucoup d’autres œuvres surérogatoires,
à cause desquelles l’homme dans la vie future aura une joie spéciale. Il n’y a
donc beaucoup d’auréoles outre les trois citées plus haut.
5. De même que l’Apôtre répand la foi en
prêchant et en enseignant, de même il le fait en copiant des écrits. Une
quatrième auréole lui est donc due.
Conclusion :
L’auréole
est une récompense privilégiée correspondant à une victoire exceptionnelle.
C’est pourquoi on désigne trois auréoles en considérant les victoires exceptionnelles
dans les trois luttes qui menacent tout homme. Dans la lutte contre la chair,
celui qui remporte la plus grande victoire est celui qui s’abstient tout à fait
des délectations charnelles, qui sont les principales en ce domaine : c’est
l’homme vierge. Une auréole est donc due à la virginité. Dans la lutte contre
le monde, la victoire principale consiste à soutenir la persécution du monde
jusqu’à la mort : la seconde auréole est donc due aux martyrs, qui remportent
la victoire dans cette lutte. Dans la lutte contre le diable, la principale
victoire consiste à chasser le démon non seulement de soi-même, mais même du
cœur des autres : Ce qui s’opère par l’enseignement et la prédication : La
troisième auréole est donc due aux docteurs et aux prédicateurs.
Cependant,
certains distinguent trois auréoles selon les trois puissances de l’âme : les
trois auréoles correspondraient aux actes les meilleurs de ces trois
puissances. L’acte le meilleur de la puissance rationnelle est de diffuser la
vérité de foi chez les autres : à cet acte est due l’auréole des docteurs.
L’acte le meilleur de l’irascible est de supporter même la mort pour le Christ
: et cet acte a droit à l’auréole des martyrs. L’acte le meilleur du
concupiscible est de s’abstenir complètement des plus grandes délectations de
la chair : et cela donne droit à l’auréole de la virginité.
D’autres
distinguent trois auréoles selon les choses par lesquelles nous sommes rendus
conformes au Christ de la manière la plus élevée. Il fut médiateur entre le
Père et le monde : il fut donc docteur, en tant qu’il a manifesté au monde la
vérité qu’il avait reçue du Père. Il fut martyr, en supportant la persécution
du monde. Il fut vierge, en gardant en lui-même la pureté. Donc, les docteurs,
les martyrs et les vierges lui sont très parfaitement conformes : ils méritent
donc l’auréole.
Solutions :
1. Dans l’acte de la justice, il n’y a
point de lutte comme dans les actes des autres vertus. Il n’est point vrai
qu’enseigner soit un acte de prudence : C’est plutôt un acte de charité ou de
miséricorde, car c’est par ces vertus que nous sommes portés à l’exercice de
l’enseignement ou encore, c’est un acte de sagesse, en tant qu’on dirige les
autres. On pourrait dire, selon d’autres, que la justice englobe toutes les
vertus : On ne lui doit donc pas une auréole particulière.
2. Bien que la pauvreté soit une œuvre de
perfection, elle n’occupe pas la première place dans une lutte spirituelle, car
l’amour des biens temporels est moins agressif que la concupiscence de la chair
ou la persécution infligée à son propre corps. On ne doit donc pas donner
l’auréole à la pauvreté, mais le pouvoir judiciaire, à cause de l’humiliation
qui l’accompagne. La Glose citée prend l’auréole au sens large, pour toute
récompense accordée à un mérite supérieur.
De
même pour la troisième et la quatrième difficulté.
3. Une auréole est due à ceux qui écrivent
la doctrine sacrée, mais elle ne se distingue pas de celle des docteurs, car
rédiger un écrit est une manière d’enseignement.
Objections :
1. Il semble que oui, car l’Apocalypse dit
des vierges qu’ « elles
suivent l’Agneau partout où il ira »
et que « personne d’autre ne
pouvait chanter le cantique qu’elles chantaient. » Elles n’auront donc pas une auréole supérieure.
2. Saint Cyprien, dans un Traité Des vierges, dit qu’elles sont « la plus illustre portion du
troupeau du Christ. » Elles ont donc
droit à une auréole plus élevée.
3. Il semble que l’auréole la plus élevée
soit celle des martyrs, car, à propos de l’Apocalypse : « et personne ne pouvait dire le cantique », Haymon dit que "tous les vierges ne précèdent pas les
personnes mariées, mais spécialement les vierges qui dans le tourment de leur
passion sont rendus égaux aux martyrs mariés, en ayant gardé leur virginité. » Le martyre donne donc à la virginité
la prééminence sur tous les états. L’auréole serait donc plutôt due au
martyre.
4. Il semble que l’auréole la plus élevée
soit due aux docteurs, car l’Église militante modèle l’Église triomphante. Dans
l’Église militante, le plus grand honneur est dû aux docteurs. Saint Paul dit à
Timothée : « Les prêtres qui
gouvernent bien sont dignes d’un double honneur, surtout ceux qui s’appliquent
à la parole et à l’enseignement. »
Donc, dans l’Église triomphante, c’est à eux qu’est due davantage l’auréole.
Conclusion :
La
supériorité d’une auréole à l’égard d’une autre peut être appréciée de deux
manières. D’abord en considérant la lutte : l’auréole plus élevée est due à la
lutte la plus forte ; à ce point de vue, l’auréole des martyrs l’emporte de
quelque manière sur les autres, et celle de la virginité l’emporte d’une autre
manière. La lutte des martyrs est plus forte en elle-même, et afflige plus
violemment ; mais la lutte contre la chair est plus dangereuse, parce qu’elle
est plus durable et nous menace de plus près. Secondement, en considérant les
choses sur lesquelles porte la lutte : l’auréole des docteurs l’emporte sur
toutes, parce que leur lutte porte sur les biens intellectuels, tandis que les
autres luttes portent sur les passions sensibles. Mais cette supériorité qui
est considérée dans la lutte est plus essentielle à l’auréole, puisque celle-ci
regarde essentiellement la victoire et la lutte. La difficulté de la lutte
considérée en elle-même est supérieure à celle qui est considérée en nous, en
tant qu’elle est plus intime à nous. C’est pourquoi, à parler absolument,
l’auréole des martyrs est supérieure à toutes. Il nous est dit sur saint
Matthieu, dans la Glose ordinaire, que "dans la huitième béatitude, qui
concerne les martyrs, toutes les autres béatitudes se perfectionnent. » C’est pour cela que l’Église, quand
elle énumère les saints, fait passer les martyrs avant les docteurs et les
vierges. Mais à certains points de vue, rien n’empêche que les autres auréoles
soient plus parfaites.
D’où la solution des difficultés.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’un bienheureux
possède plus qu’un autre l’auréole de la virginité ou du martyre ou des
docteurs car les choses parvenues à leur achèvement ne connaissent plus
d’augmentation ni de diminution. Or l’auréole est due aux œuvres qui sont dans
l’achèvement de la perfection. L’auréole ne comporte donc pas de plus ou de
moins.
2. La virginité ne connaît pas de plus ou
de moins, puisqu’elle est une privation : les privations ne peuvent augmenter
ni diminuer. Donc la récompense de la virginité, l’auréole des vierges, ne peut
augmenter ni diminuer.
Cependant :
L’auréole
s’ajoute à la couronne, et celle-ci est plus riche pour l’un que pour l’autre.
Donc aussi l’auréole.
Conclusion :
Puisque
le mérite est de quelque manière la cause de la récompense, celle-ci doit
varier selon les degrés du mérite. Une chose augmente ou diminue selon l’augmentation
ou la diminution de sa cause. Le mérite de l’auréole peut être plus ou moins
grand. Cependant, on doit savoir que le mérite d’une auréole peut être
considéré de deux manières : d’une part en sa racine, d’autre part dans
l’œuvre accomplie. On peut rencontrer deux hommes dont l’un supporte le
tourment du martyre avec moins de charité ou se livre davantage à la
prédication ou s’écarte davantage des délectations de la chair. L’augmentation
du mérite qui vient de sa racine n’entraîne pas une augmentation de l’auréole,
mais de la couronne, tandis que l’augmentation du mérite qui vient de la nature
de l’acte entraîne l’augmentation de l’auréole. Il peut donc arriver que
quelqu’un qui mérite moins dans le martyre à l’égard de la récompense essentielle,
possède une auréole plus grande à cause de la nature de son martyre.
Solutions :
1. Les mérites qui comportent le droit à
l’auréole ne parviennent pas d’une manière absolue à l’achèvement de la
perfection, mais seulement selon leur nature, comme le feu est par nature le
plus subtil des corps. Rien n’empêche qu’une auréole soit plus élevée qu’une
autre, comme un feu peut être plus subtil qu’un autre.
2. Une virginité peut être plus grande
qu’une autre, par un plus grand éloignement de ce qui lui est contraire : comme
on dit que la virginité de quelqu’un est plus grande parce qu’il évite
davantage les occasions de corruption. On peut dire qu’une privation est plus
totale qu’une autre, par exemple si un homme est plus aveugle parce qu’il est
davantage privé de la vue.
A ce
sujet, dix questions :
1° Peuvent-elles voir les corps glorieux
de Jésus et Marie ?
2° Peuvent-elles en contact avec les
autres âmes glorifiées ?
3° Voient-elles les hommes qui sont sur la
terre ?
4° Connaissent-elles les prières que nous
leur adressons ?
5° Devons nous demander aux saints de
prier pour nous ?
6° Les prières des saints en notre faveur
sont-elles toujours exaucées ?
7° Les élus souffrent-ils en voyant les
péchés des hommes sur la terre ?
8° Voient-ils la souffrance des damnés ?
9° Ont-ils de la compassion pour la
souffrance des damnés ?
10° Se réjouissent-ils des peines des
impies ?
Objections :
1. Les corps de Jésus et de Marie restent
des corps matériels. Ils ne peuvent donc être vus que par un œil matériel. Donc
les âmes glorifiées séparées de leur corps ne verront pas les corps de Jésus et
de Marie, du moins avant leur résurrection corporelle.
2. Jésus dit en saint Jean : « Nul ne vient au Père que par moi. » Il est donc nécessaire que Dieu soit
vu par l’âme à travers l’humanité sainte de Jésus. Donc l’âme glorifiée voit le
corps glorieux du Christ.
Cependant :
Il
semble qu’elles doivent pouvoir les voir. En effet, les âmes voient l’humanité
sainte de Jésus et de Marie lors de leur jugement individuel, alors qu’elles
sont déjà séparées de leur corps. Elles doivent donc en être encore plus
capables après leur glorification
Conclusion :
La
vision peut s’entendre de deux manières : ou bien il s’agit de la vision
corporelle qui passe par l’intermédiaire d’un organe ou bien il s’agit de la
vision intellectuelle qui pénètre l’essence des réalités.
Si l’on veut parler de la vision corporelle, alors on doit admettre que
les âmes glorifiées verront les corps glorieux de Jésus et de Marie, comme
d’ailleurs tous les corps, y compris les corps psychiques des autres morts.
Elles pourront aussi voir le corps de ceux qui sont encore sur la terre. La
raison en est que, si elles n’ont plus de corps physique et donc plus d’organe
charnel capable de saisir la lumière matérielle, elles conservent ce qui est le
principal dans l’exercice de la vie sensible, à savoir l’organisme psychique
qui est le siège de toutes ses facultés. Nous l’avons montré[1174], contre toute logique et à cause des
témoignages contrôlables de ceux qui ont approché la mort, on peut prouver
qu’il existe un corps psychique que les hindouistes appellent le corps astral
et que les Égyptiens anciens qualifiaient de « baï. » L’exercice de ces sensations sera
plus performant puisqu’il ne s’arrêtera plus à la perception de ce qui est
palpable dans la matière, mais aussi de manière directe, il pourra voir ce qui
est impalpable et qui est le domaine du psychisme des hommes, des animaux et
des morts. La raison de cette nouvelle capacité tient à la fois de la
disparition du poids invalidant, compte tenu du péché originel, du corps
physique, que de la nature du corps psychique qui, étant fait de cette matière
psychique, perçoit tout ce qui a rapport avec elle.
Si l’on veut parler de la vision intellectuelle, alors les âmes
glorifiées comprendront l’humanité Sainte de Jésus et de Marie ainsi que tout
ce qui est matériel dans le monde. Elles les comprendront de deux manières :
1° Pour toutes les âmes, d’une manière
naturelle grâce à l’exercice nouveau de leur intelligence séparée de la chair et de ses lourdeurs qui, par la médiation des images des
corps glorifiés, pénètrera d’une manière intuitive l’essence des réalités.
2° Pour les âmes en état de béatitude, en
Dieu, c’est-à-dire à travers la vision de l’essence divine qui porte en elle
d’une manière simple la connaissance de tout ce qui existe.
Solutions :
1. Cela répond à la première objection.
2. Dans le paradis, Dieu ne sera pas vu à
travers une quelconque créature, même si c’est de l’humanité sainte de Jésus
que l’on parle. Dieu sera vu face à face, dans son essence. Ce sera plutôt
l’humanité sainte de Jésus qui sera rendue intelligible par la vision de
l’essence divine. Malgré cela, les âmes garderont la possibilité naturelle de
voir sensiblement les corps glorifiés. Ce surcroît de perfection ne s’opposera
pas mais viendra accomplir jusqu’aux sensations la vision béatifiante de Dieu.
Objections :
1. Cela ne semble pas possible. La vision
de l’essence divine sera à ce point béatifiante qu’elle absorbera en Dieu
toutes les activités de l’âme sans laisser aucune place à une vie en dehors du
Verbe. Il n’y aura donc pas de contact avec les autres âmes glorifiées, ni avec
rien en dehors de Dieu.
2. Lorsqu’une intelligence porte son activité
à la connaissance d’une chose, elle ne peut en même temps penser à une autre
chose. Si donc l’intelligence humaine contemple l’essence divine, elle ne peut
en même temps communiquer avec quelqu’un d’autre, sans quoi on devrait admettre
qu’elle sort de la vision de Dieu ce qui est absurde.
3. La communication des âmes glorifiées
entre elles semble inutile puisqu’elles sauront à l’avance toute chose dans la
vision de la Vérité éternelle.
Cependant :
L’Écriture
affirme[1176] : «
ceux qui ont triomphé de la Bête chantent le Cantique de l’Agneau,
s’accompagnant sur les harpes de Dieu. »
Or il est impossible à une communauté d’offrir à Dieu une véritable liturgie
s’il n’y a pas de contact entre les membres de l’assemblée. Donc les âmes
glorifiées peuvent entrer en contact les une avec les autres.
Conclusion :
Comme
nous l’avons vu, les âmes séparées possèdent par nature la capacité de
communiquer entre elles, en échangeant directement les concepts dont elles
veulent faire part aux autres. Elles se servent pour cela de l’image de leur
corps psychique qui, de par ses qualités intrinsèques n’est plus un obstacle à
la communication mais un parfait instrument dévoilant les sentiments et les
images accompagnant les pensées. L’intellect agent du récepteur de ces images
étant lui-même libéré dans son exercice de toute contrainte, il lui est
possible d’extraire sans difficulté de ces images la connaissance de la pensée
de l’autre. Ceci est non seulement vrai pour les damnés ou les âmes du
purgatoire, mais d’autant plus pour les âmes glorifiées dont l’intelligence est
surélevée par la puissance de Dieu jusqu’à la contemplation de l’essence
infinie. Vitalini Sandro écrit[1177] : «
La perfection de l’homme est atteinte dans la mesure où il se donne aux
autres. Loin de fermer l’individu dans un petit monde où il serait simplement
en contact privé avec Dieu, la vision l’associe à l’élan même de la vie
trinitaire. Et le bonheur ne résultera justement que du fait que l’homme sera
don-agapè pour les autres. »
Solutions
:
1. Chez nous, une opération extérieure
trouble la pureté de notre contemplation, parce que nous nous livrons à cette
action avec nos forces sensibles dont les actes, lorsque nous y prêtons
attention, paralysent les actes de notre puissance intellectuelle. Mais l’âme séparée
dirige ses opérations sensibles sans difficulté pour le service de son
opération intellectuelle. En outre, chez les âmes glorifiées, chaque action
sera réglée et causée par la contemplation de l’essence divine. Si une action
est la règle et la raison de l’autre, celle-ci n’empêche pas la première, mais
elle l’aide à se réaliser.
2. Comme nous venons de le dire, l’âme
glorifiée ne fera rien qui ne soit immédiatement réglé et finalisé par la
contemplation de l’essence divine. Ainsi, les actes qu’elle posera à
l’extérieur ne feront qu’un avec sa contemplation intérieure. En communiquant
avec les autres âmes ou avec les autres anges, elle ne sera donc pas privée des
joies de la contemplation intime. C’est ce qu’on voit déjà chez les anges qui,
étant envoyés en mission auprès des hommes, n’en restent pas moins dans le face
à face avec Dieu, puisqu’ils ne font rien qui ne soit en lien direct avec la
volonté de Dieu.
3. Dans la vision béatifique, la
communication sera inutile s’il s’agit d’apprendre quelque chose sur Dieu
puisque chacun sera immédiatement enseigné par Dieu. Cependant, elle pourra
être utile pour apprendre de l’âme elle-même certains détails de la vie passée
qui n’auront pas encore été manifestés par le jugement général, ou quelque
circonstance du présent. En définitive tout sera rapporté à la louange de Dieu
dont la gloire resplendira à travers chaque chose. C’est pourquoi les âmes, par
les échanges fraternels qu’elles auront, célèbreront éternellement un culte de
louange à Dieu.
Objections :
1. On a vu que les âmes séparées étaient
capables par nature de voir les hommes qui sont sur la terre. Mais on a vu
aussi que Dieu, dans sa sagesse, a séparé totalement notre monde du leur. Son
but est de maintenir provisoirement les hommes face à la solitude de leurs
actes. Donc les âmes glorifiées n’ont pas la possibilité de voir ce que font
les hommes sur terre.
2. Si les âmes glorifiées sont rendues
capables par la grâce de Dieu de voir ce que font les hommes sur la terre, on
ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même pour toutes les âmes qui sont
en état de grâce après la mort comme les âmes du purgatoire.
Cependant :
L’Église
recommande d’adresser nos prières aux saints. Ce serait vain s’ils ne pouvaient
en aucune manière nous entendre. Donc les âmes glorifiées voient ce que les
hommes font sur terre.
Conclusion :
Comme
on l’a vu, on peut parler de la vision en deux sens :
1° Il peut s’agir de la faculté sensible.
Dans ce cas, l’âme glorifiée est capable de voir ce que les hommes font sur
terre puisqu’elle est unie à son corps psychique, siège de toutes ses facultés
de vie sensible[1178]. Mais elle ne peut le faire que si elle
se rend sur le lieu où nous sommes, c’est-à-dire si elle confronte directement
ses sens à notre image. Or elle vit dans un autre monde, séparé du nôtre. Il
reste donc à étudier s’il lui est possible de se rendre sur terre. D’après la
majorité des Églises réformées, cela est impossible. Jésus étant le seul
médiateur entre Dieu et les hommes, cela ne leur paraît pas non plus
convenable. L’abîme que signale Jésus entre les diverses demeures du Ciel doit
être aussi appliqué entre le Ciel et la terre. Mais cette théologie n’est pas
celle de l’Église catholique. À ses yeux en effet, le Christ est bien le seul
médiateur mais sa médiation[1179], loin de nous rendre passif, fonde
l’acte de notre charité qu’il veut agissante et coopérante. Il nous invite donc
aux œuvres de la foi qu’informe la charité. Déjà ici-bas, il aime nous confier
des missions de médiation. À fortiori au Ciel, les âmes qui lui sont
parfaitement unies ont la liberté de s’occuper de nous. Leur volonté étant une
avec Dieu, il leur laisse une totale liberté de venir nous voir ou même d’agir
ou plutôt de faire agir les anges ou Dieu lui-même pour nous.
Si
les âmes glorifiées qui nous entourent semblent agir rarement de manière
visible, c’est qu’elles sont en parfaite harmonie avec le désir de Dieu qui
veut cette distance provisoire. Bien qu’elles cachent leur action jusqu’à
l’heure de notre mort, il est par contre essentiel à notre vie de charité de
les prier. Le Concile Vatican II[1180] rappelle à nouveau que la fréquentation
des habitants du Ciel (nostram cum caelitibus conversationem) « si elle est conçue selon la
pleine lumière de la foi, bien loin de diminuer le culte d’adoration rendu à
Dieu le Père par le Christ dans l’Esprit l’enrichit au contraire. »
2° Il peut s’agir de la vision
intellectuelle et dans ce cas, on doit dire que les âmes glorifiées voient ce
que font les hommes sur la terre et ceci d’une double manière : En premier
lieu, étant sans cesse en acte de vision de l’essence divine, elles voient en
Dieu tout ce qui les concerne, de la même manière que Dieu lui-même les voit.
Et cette science est simple à cause du médium de la connaissance qui est Dieu
lui-même. Elle est profonde à cause de la pénétration de la connaissance
divine.
En
second lieu, elles peuvent voir par elles-mêmes ce que les hommes font sur
terre. En effet, les âmes glorifiées étant surélevées par Dieu jusqu’à la
vision de l’Eternelle gloire, la puissance de leur intelligence s’en trouve
augmentée. Elle peut donc se porter par elle-même à la connaissance des
singuliers, d’une manière analogue aux anges pour qui cependant cette capacité
est naturelle et n’a pas besoin d’une aide surajoutée de la grâce de Dieu.
L’intelligence humaine, quand elle est fortifiée par la lumière de gloire, est
rendue capable de recevoir des espèces intelligibles suffisamment lumineuses
pour connaître les choses en leur nature universelle et aussi dans leur
singularité.
Solutions
:
1. Les âmes de l’autre monde ne doivent pas
intervenir de manière visible sur la terre, au moins dans les cas
généraux. Cela, les âmes non encore glorifiées donc purifiées dans leur regard
sur le projet de Dieu ne le comprennent pas. C’est pourquoi Dieu établit avec
puissance une séparation entre leur monde et le nôtre pour qu’elles ne se
manifestent pas. Les âmes glorifiées ne sont pas dans un état d’imperfection
par rapport aux volontés de Dieu. Elles font un avec lui. Dieu leur obéit parce
qu’elles lui obéissent. Aussi, il n’y a aucune raison pour qu’elles soient
éloignées de ce monde où elles viennent selon leur désir. Elles voient ce que
font les hommes, non seulement corporellement mais aussi, par la puissance
naturelle de leur psychisme, psychologiquement. Etant dans la vision de Dieu,
elles contemplent simultanément l’avancée de la grâce ou du péché en nous, avec
la même intention que Dieu, à savoir notre salut éternel.
2. Quant aux âmes du purgatoire, leur état
n’est pas assimilable à celui des âmes glorifiées. Si elles sont en état de
grâce, cette grâce surnaturelle est empêchée de réaliser son plein effet dans
l’intelligence et la volonté à cause des restes du péché. Seule la parfaite
union à Dieu permet une totale liberté d’action sur terre. Ainsi, tant qu’elles
ne sont pas glorifiées, les âmes du purgatoire n’ont pas la liberté de voir
quand elles veulent ce que font les hommes sur terre
Objections :
1. « Seigneur, vous êtes notre père, dit
Isaïe, car Abraham nous ignore et Israël ne nous connaît pas. » Ce qui fait dire à saint Augustin que
"les saints qui sont morts ignorent ce que font les vivants, ce que font
même leurs enfants. » Et il ajoute : « Si de tels Patriarches n’ont pas su ce
que faisait le peuple sorti d’eux, comment croire que les morts sont en
relation avec les vivants de façon à savoir ce qui leur arrive, ce qu’ils font,
et à les assister ? "Les saints ne peuvent donc connaître nos prières.
2. Dieu fit dire au roi Josias : « Parce que tu as pleuré devant
moi, voici que je te recueillerai auprès de tes pères, et tes yeux ne verront
pas tous les malheurs que je ferai venir sur ce lieu. » Mais la mort n’eût pas épargné à Josias ce douloureux spectacle,
s’il en avait eu la connaissance posthume. Les saints, après leur mort,
ignorent donc et nos actes et nos prières.
3. Plus la charité est parfaite, plus elle
s’empresse au secours du prochain. C’est ce que nous voyons que font les
saints, lorsqu’ils sont sur la terre. Mais, après leur mort, leur charité est
encore plus grande et, s’ils connaissaient ce qui se passe ici-bas, plus grand
aussi serait leur empressement à secourir ceux qui leur sont chers. Or, c’est
ce que nous ne voyons pas. C’est donc qu’ils ignorent et nos actes et nos
prières.
4. Les saints du Ciel contemplent le Verbe,
ainsi que les anges dont il est écrit "qu’ils voient sans cesse la face de
mon Père. » Or, cette vision ne fait
pas tout connaître aux anges, puisque l’une des fonctions des anges supérieurs
est d’apprendre aux anges inférieurs ce qu’ils ignorent. Les saints voient donc
le Verbe, mais ils ne voient en lui ni nos vies ni nos prières.
5. Dieu seul « voit les cœurs. »
Mais c’est dans le cœur surtout qu’est la prière. Dieu est donc seul capable de
la voir.
Cependant :
1° Ces paroles de Job : « Que ses enfants soient honorés,
il n’en sait rien ; qu’ils soient dans l’abaissement, il l’ignore », sont ainsi commentées par saint
Grégoire : « Il ne faut pas attribuer
cette ignorance aux âmes des saints. Elles dont la vue plonge dans les
profondeurs lumineuses du Dieu tout puissant, il ne faut absolument pas croire
que rien de ce qui est en dehors leur échappe. » Nos prières leur sont donc connues.
2° « Toute
créature se rapetisse devant l’âme qui voit le Créateur. À la lumière du
Créateur, tout le créé lui apparaît court.
» Or, c’est la distance qui semble devoir empêcher les saints de connaître
nos prières et nos vies. Mais cette distance n’est rien pour eux : saint
Grégoire vient de le dire. Elle n’est donc pas un obstacle.
3° Si les saints ne connaissaient pas ce
qui se passe ici-bas, ils ne prieraient pas pour nous, puisqu’ils ignoreraient
nos besoins. Or, c’est là l’erreur de Vigilantius, comme l’explique saint Jérôme
dans la lettre qu’il écrivit contre lui.
Conclusion :
L’essence
divine est un moyen suffisant pour connaître toute chose ; la preuve en est que
Dieu voit tout en se voyant lui-même. Il ne s’ensuit cependant pas que
quiconque voit l’essence divine y voit tout. Il faudrait pour cela la
comprendre, la voir dans sa totalité ; de même qu’il faut saisir toute la
virtualité d’un principe pour en apercevoir toutes les conséquences. Dès lors,
comme les âmes des saints n’épuisent pas la compréhension de l’essence divine,
il ne faut donc pas dire qu’ils connaissent tout ce qu’elle contient. C’est
pour la même raison que les anges inférieurs ignorent certaines choses dont les
instruisent les anges supérieurs, quoique tous jouissent de la vision de Dieu.
Mais il est nécessaire que chaque bienheureux voie en Dieu les choses de ce
monde dans la mesure requise à la parfaite béatitude. Or, celle-ci exige de
savoir tout ce que l’on veut, sans rien vouloir d’une volonté déréglée. Mais il
est d’une volonté bien réglée que chacun veuille connaître ce qui le concerne.
Les saints, dont la rectitude est parfaite, le veulent donc, et il faut donc
qu’ils le voient dans le Verbe. Or, c’est un élément de leur gloire que de
prêter leur assistance à ceux qui en ont besoin pour être sauvés ; ainsi
deviennent-ils « les coopérateurs
de Dieu, la plus divine chose qui soit »,
selon l’expression de Denys. Il est donc évident que les saints connaissent ce
qui est exigé pour cet office ; évident, par conséquent, qu’ils voient soit
dans le Verbe, soit par eux-mêmes les vœux, les prières, les pratiques pieuses
des humains qui implorent leur secours. Ils le voient aussi par eux-mêmes, en
se déplaçant sur la terre.[1182]
Solutions :
1. Saint Augustin parle ici de la
connaissance des âmes séparées telles qu’elles étaient avant la venue du
Christ. Il semble qu’à cette époque les limbes d’Abraham étaient un lieu
davantage séparé de la terre. Il ne parle donc pas de la connaissance et de la
possibilité de présence sur terre résultant de la glorification dans la vision
du Verbe, connaissance qu’Abraham, à l’époque où Isaïe parlait ainsi de lui, ne
pouvait avoir, puisque, avant la Rédemption, personne ne fut admis à voir Dieu.
2. Quoique les saints connaissent les
choses d’ici-bas et les épreuves de ceux qui leur furent chers, il ne faut
cependant pas croire qu’ils en souffrent, car la joie de la béatitude les
remplit tellement qu’elle les rend incapables de toute souffrance. Ils savent
d’autre part à quel point ces épreuves permises ou voulues par Dieu servent au
salut des hommes qui les rejoindront bientôt. Donc, même s’ils connaissent ces
épreuves survenues après leur mort, la mort elle-même, qui les a devancés, a
servi de remède à leur douleur. Mais il se pourrait que les âmes non glorifiées
fussent affligées de ces épreuves, si elles les connaissaient, l’âme de Josias,
par exemple, qui était dans le Limbe des Patriarches. C’est pour cette raison
que saint Augustin s’efforce de prouver que les âmes des saints ignorent ce qui
se passe chez les vivants.
3. Les saints ont une volonté totalement
conforme à celle de Dieu, même quant à l’objet voulu par Dieu. Dès lors, tout
en gardant leur affection pour leurs proches, ils ne veulent cependant pas
leur porter secours autrement que la justice divine n’en a disposé. Il faut
croire néanmoins que leur intercession auprès de Dieu est d’un grand secours
pour ceux auxquels ils s’intéressent.
4. Quoique ceux qui voient le Verbe ne
voient pas nécessairement toute chose en lui, ils y voient cependant tout ce
qu’exige la perfection de leur béatitude, ainsi qu’on l’a dit.
5. Dieu seul connaît par lui-même les
pensées des cœurs ; mais d’autres peuvent les connaître dans la mesure où elles
leur sont révélées, soit par la vision du Verbe, soit de toute autre manière.
Objections :
1. On s’adresse aux amis de quelqu’un pour
une faveur parce qu’on croit l’obtenir plus facilement qu’en s’adressant à lui-même.
Mais Dieu est infiniment plus miséricordieux que n’importe lequel de ses
saints. Il semble donc superflu de les prendre pour intermédiaires entre Dieu
et nous.
2. Nous demandons aux saints de prier pour
nous parce que nous savons leur prière agréable à Dieu. Mais plus ils sont près
de Dieu, plus leur prière lui est agréable. Il faudrait donc toujours prier les
plus grands saints et jamais les autres.
3. Le Christ, même en tant qu’homme, est
appelé « le Saint des saints », et son humanité lui permet la
prière. Néanmoins, nous ne lui demandons jamais de prier pour nous. Il ne faut
donc pas plus le demander aux autres saints.
4. En prenant les saints pour
intermédiaires auprès de Dieu, nous les chargeons de lui présenter nos
requêtes. Mais à quoi bon ? puisque toutes choses sont présentes à Dieu.
5. Il est inutile d’employer un moyen pour
atteindre une fin qui en est indépendante. Or, que nous les priions ou non, les
saints prieront ou ne prieront pas pour nous, selon que nous sommes dignes ou
indignes de leurs prières.
Cependant :
«
Appelle
donc! Y aura-t-il quelqu’un qui te réponde ? Vers lequel des saints te
tourneras-tu ? » "Notre appel,
dit saint Grégoire, c’est notre humble prière adressée à Dieu. » Quand donc nous voulons prier Dieu,
nous devons nous tourner vers les saints et leur demander de prier pour nous.
2° Les saints ont plus de crédit auprès de
Dieu après leur mort que pendant leur vie. Mais, de leur vivant, nous devons
les constituer nos intercesseurs, à l’exemple de saint Paul : « Je vous exhorte, mes frères, par Notre
Seigneur Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit, de m’aider par vos
prières auprès de Dieu. » À plus
forte raison devons-nous demander aux saints du Ciel le secours de leurs
prières.
3° C’est une coutume générale dans
l’Église, dès l’époque apostolique, que d’implorer les saints en récitant leurs
litanies.
Conclusion :
Au
Ciel, Dieu crée une Eglise, c’est-à-dire une communauté d’amis qui collaborent
et à qui il fait toute confiance, au point de leur confier la gestion de grands
biens. C’est une loi établie par Dieu que les êtres les plus éloignés de lui
soient ramenés à lui par les plus proches. Or, les saints du Ciel sont toujours
près de Dieu ; nous, au contraire, « aussi
longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur » ; ils doivent donc nous servir
d’intermédiaires. Ils le sont, lorsque la divine bonté se répand sur nous par
eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin. Ainsi donc, de même que
c’est par les suffrages des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur
nous, de même, c’est par eux que nous devons remonter à Dieu pour en recevoir
de nouveaux bienfaits. C’est pour cette raison que nous constituons les saints
nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos médiateurs, lorsque nous leur
demandons de prier pour nous.
Solutions :
1. Ce n’est point par impuissance que Dieu
se sert des causes secondes, mais pour une plus grande perfection de l’univers
et une communication plus variée du bien divin, du fait que certains êtres
reçoivent de Dieu non seulement d’être bons en eux-mêmes, mais d’être cause que
d’autres le soient. De même, le recours aux prières des saints ne suppose point
en Dieu un défaut de miséricorde ; c’est simplement une application
particulière de la loi universelle.
2. Les plus grands saints - ceux qui aiment
dans le plus grand oubli d’eux-mêmes - ont, auprès de Dieu, plus de crédit que
les autres ; il n’est cependant pas inutile de prier également ceux-ci pour
cinq raisons que cite saint Thomas d’Aquin : 1° Pour prier avec la
ferveur plus grande qu’excitent en nous certains saints moins hauts placés, et
un succès correspondant à cette ferveur. 2°
Pour remédier au dégoût qu’engendre la monotonie ; s’adresser à différents
saints, c’est comme un moyen de renouveler la ferveur. 3° Pour obtenir les secours particuliers dont certains saints
semblent avoir le monopole ; par exemple, la guérison de la maladie qu’on
appelle « le feu infernal », en s’adressant à saint Antoine ; 4° Pour qu’aucun saint ne soit frustré
de l’honneur qui lui est dû. 5° Pour
que nos prières soient plus sûrement exaucées, étant recommandées par de plus
nombreux intercesseurs.
3. La prière est un certain acte, qui, comme
tous les actes, appartient au suppôt, à l’individu. Dès lors, si nous disions :
« Christ, priez pour nous », sans addition ni explication, nous
semblerions attribuer cette prière à la personne du Christ, ce qui sentirait le
nestorianisme, qui distingue dans le Christ une personne humaine à côté de la
personne divine ou l’arianisme, qui déclare la personne du Fils inférieure à
celle du Père. Pour éviter ces erreurs, l’Église ne dit donc pas : « Christ, priez pour nous », mais « Christ, écoutez-nous »
ou « ayez pitié de nous. »
4. Les saints ne présentent pas à Dieu nos
prières comme pour lui manifester ce qu’il ignore, mais pour lui demander de
les exaucer ; ou encore, pour les confronter avec la vérité qui est en Dieu et
les décrets de la Providence.
5. On se rend digne de la prière d’un saint
par le fait de recourir à lui, en cas de besoin, avec pureté d’intention. Ce
recours n’est donc pas inutile.
Objections :
1. S’il en était ainsi, les prières qu’ils
adressent à Dieu pour eux-mêmes seraient, à plus forte raison toujours
exaucées. Or, elles ne le sont pas toujours ; d’après l’Apocalypse, aux martyrs
qui crient vengeance, il est répondu de se tenir en repos encore un peu de
temps jusqu’à ce que soit complet le nombre de leurs frères.
2. Même réponse négative suggérée par ce
texte de Jérémie : « Quand même
Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, mon âme ne se tournerait pas vers
ce peuple », dit le Seigneur.
3. Les saints sont "comme les anges de
Dieu dans le Ciel. » Mais la prière
des anges n’est pas toujours exaucée. L’ange dit à Daniel : « Je suis venu à cause de tes
paroles, mais le chef du royaume des Perses s’est opposé à moi pendant vingt et
un jours », c’est-à-dire à
l’effet de ma prière.
4. Obtenir quelque chose par la prière,
c’est en quelque façon le mériter. Or, dans le Ciel, les saints ne sont plus en
état de mériter.
5. La volonté des saints est en parfaite
conformité avec celle de Dieu. Ils ne veulent donc que ce qu’ils savent voulu
par Dieu et ils ne demandent donc que ce qu’ils veulent eux-mêmes et qui est
aussi ce qu’ils savent que Dieu veut. Mais ce que Dieu veut s’accomplirait tout
aussi bien sans leurs prières. Celles-ci sont donc de nul effet.
6. Les prières de toute la cour céleste, si
elles sont efficaces, le sont plus que tous les suffrages de l’Église de la
terre. Mais ceux-ci peuvent s’accroître jusqu’à la délivrance totale d’une âme
du purgatoire. Or, les saints prient non seulement pour les vivants, mais
encore pour les défunts et, si leurs prières étaient efficaces pour nous, elles
le seraient aussi pour les âmes du purgatoire, qu’elles délivreraient donc en
totalité, ce qui est faux, car, s’il en était ainsi, les suffrages de l’Église
pour les défunts seraient inutiles.
Cependant
: [1185]
1° Il est écrit au livre des
Macchabées : « Celui-ci est
l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte,
Jérémie, le prophète de Dieu. » Et
les paroles suivantes montrent l’efficacité de sa prière. « Jérémie, étendant la main droite, donna à Judas une épée
d’or, en disant Prends cette épée, c’est un don de Dieu, etc. »
2° Saint Jérôme interpelle ainsi
Vigilantius : « Tu prétends, dans ton
méchant petit livre, que c’est pendant notre vie que nous pouvons prier les uns
pour les autres. » Et il le réfute en
disant : « Si les Apôtres
et les martyrs peuvent prier pour les autres, quand ils sont encore mortels,
quand ils ont encore le souci, le prier pour eux-mêmes, combien plus le
peuvent-ils après leurs couronnes, leurs victoires, leurs triomphes ? »
3° C’est la coutume de l’Église de se
recommander fréquemment aux prières des Saints.
Conclusion :
On
peut dire que les saints prient pour nous de deux manières par des prières
proprement dites, des désirs qu’ils expriment à Dieu eu notre faveur ; par
leurs mérites que l’on peut regarder comme des prières et qui, devant Dieu, ne
sont pas seulement une gloire pour eux-mêmes, mais deviennent des suffrages et
comme des prières pour nous ; c’est en ce sens que le sang du Christ est dit
implorer notre pardon. Les prières des saints, en l’un et l’autre sens et à les
considérer en elles-mêmes, ont le pouvoir d’obtenir ce qu’elles demandent.
Mais, s’il s’agit des prières que sont leurs mérites, il peut y avoir en
nous-mêmes un empêchement à recevoir les grâces qu’elles obtiennent. S’il
s’agit de leurs prières proprement dites, elles sont toujours exaucées, car les
saints ne demandent que ce qu’ils veulent et ils ne veulent que ce que Dieu
veut. Or, ce que Dieu veut absolument s’accomplit toujours ; à moins qu’il ne
s’agisse de cette volonté que nous appelons antécédente, selon laquelle, par
exemple, « il veut le salut de tous
les hommes », et qui ne s’accomplit
pas toujours. Il n’est donc pas étonnant que ce que les saints veulent de cette
même espèce de volonté ne s’accomplisse pas non plus toujours
Solutions :
1. Cette prière des martyrs, comme le dit
la Glose, n’est pas autre chose que leur désir de voir leur corps glorifié, de
jouir de la société des futurs élus, et leur acquiescement à la justice divine
qui punira les méchants.
2. Dieu parle ici de Moïse et de Samuel
tels qu’ils étaient de leur vivant, « alors
que, par leurs prières, ils détournèrent de leur peuple la colère de Dieu. » S’ils avaient vécu au temps de
Jérémie, la malice des Juifs aurait réduit leurs prières à l’impuissance. Tel
est le sens littéral du texte.
3. Ce combat entre les bons anges ne vient
pas de ce qu’ils adressent à Dieu des prières opposées, mais de ce qu’ils
soumettent les mérites opposés des deux parties au jugement de Dieu dont ils
attendent la sentence. C’est le sens donné par saint Grégoire à ce texte de
Daniel : « Les esprits
angéliques préposés aux nations ne combattent jamais pour l’injustice, mais
examinent et apprécient les actes conformément à la justice. Quand une nation
est présentée au tribunal suprême comme ayant agi bien ou mal, c’est alors que
l’ange qui en est le chef est dit avoir gagné ou perdu la bataille. Mais la volonté
suprême du Créateur remporte toujours la victoire sur eux tous ; car ils la
contemplent toujours et ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent pas obtenir. » Ils ne le demandent jamais non plus ;
c’est pourquoi leurs prières sont toujours exaucées.
4. Les saints, lorsqu’ils sont au Ciel, ne
peuvent plus mériter pour eux-mêmes, mais ils le peuvent pour les autres ou
plutôt ils peuvent les aider par le mérite qu’ils ont acquis pendant leur vie,
à savoir, que leurs prières seraient agréées de Dieu après leur mort. On
pourrait dire encore que ce n’est point un seul et même principe qui donne à la
prière son mérite et son efficacité. Le mérite consiste en une certaine
proportion entre un acte et la fin qui lui correspond et qui en est comme le
salaire. L’efficacité de la prière dépend de la libéralité de celui à qui elle
est adressée et qui veut bien accorder parfois ce que l’on n’a pas mérité.
Ainsi, les saints peuvent n’être pas en état de mériter, mais être cependant en
état d’obtenir.
5. Les saints et les anges ne veulent que
ce qu’ils voient conforme à la volonté de Dieu, et ils ne demandent jamais que
cela. Il ne s’ensuit pas que leur prière soit inutile ; car, comme le remarque
saint Augustin, Dieu peut avoir décrété que les prédestinés lui devront leur
salut par les prières des saints, ceux-ci sachant clairement que ce salut des
prédestinés était voulu de Dieu.
6. Les suffrages de l’Église consistent en
certaines satisfactions accomplies par les vivants au nom et à la place des
défunts dont la dette est ainsi, en tout ou en partie, payée par d’autres que
par eux-mêmes. Mais les saints du Ciel ne sont plus en état de satisfaire. On
ne saurait donc mettre en parallèle leurs prières et les suffrages de l’Église
Objections :
1. D’après le Seigneur[1186] : « il y a plus de joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repend
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir. » Or, s’il y a de la joie, il peut
aussi y avoir de la tristesse. Donc les élus souffrent en voyant les péchés et
les malheurs des hommes qui sont sur la terre.
2. Saint Augustin dit que la tristesse naît
« des choses qui arrivent contre
notre volonté »[1187]. Or la perte de l’homme arrive contre
la volonté des élus, à cause de la charité fraternelle qui est en eux. Ils
s’attristent donc de la perte des hommes par le péché.
3. Dieu ne peut se réjouir du péché contre
l’Esprit Saint mortel qui est le mal absolu puisqu’il conduit au choix lucide
de la damnation éternelle. C’est pourquoi on dit qu’il ne veut pas du péché
mais seulement le permet. Donc...
4. Dans ses apparitions, la Vierge apparaît
en larmes, parfois en larmes de sang. Il y a donc en elle de la souffrance face
à nos péchés.
5. La peine des damnés, plus terrible que
tout ce qu’on peut voir ici-bas, ne sert en rien à leur guérison puisqu’ils
sont obstinés. De cela, les saints ne peuvent se réjouir.
Cependant :
Il
n’y a point de bonheur parfait là où l’on trouve de la tristesse et de la
douleur. L’Apocalypse[1188] dit du Ciel : « Il n’y aura plus de mort, ni d’affliction, ni d’appels, ni de
douleurs. » Les âmes glorifiées, qui
sont parfaitement bienheureuses ne souffrent donc plus de rien.
Conclusion :
Les
âmes glorifiées ne souffrent pas des péchés ni des peines des hommes. Car la
tristesse et la douleur, selon saint Augustin, ne proviennent que de ce qui est
contraire à la volonté des bienheureux ; or leur volonté adhère pleinement à
l’ordination de la justice divine et rien ne se produit dans le monde qui ne
soit accompli ou permis par la justice divine. Donc, absolument parlant, rien
n’arrive dans le monde contre la volonté des bienheureux. Selon Aristote, on
dit d’une chose qu’elle est volontaire "simpliciter"
en ce sens que quelqu’un la veut dans un cas particulier, telle qu’elle se
présente alors, en considérant toutes les circonstances, bien que, considérée
en elle-même d’une manière générale, il ne la voudrait pas : Par exemple, le
navigateur ne veut pas, s’il considère la chose en soi et d’une manière
générale, jeter ses marchandises à la mer ; mais sous la menace d’un danger de
se perdre, il le veut. Ce geste est donc plutôt volontaire qu’involontaire.
Ainsi donc les élus en parlant d’une manière générale et absolue ne veulent pas
les péchés et les peines des hommes. Mais ils veulent qu’à ce sujet soit
observé l’ordre de la justice divine, selon laquelle certains peuvent subir des
peines et peuvent pécher. Ainsi que la mère est émerveillée par tout le bien
qu’elle découvre chez son enfant, de même la pénétration opérée par la charité
fait vraiment découvrir l’action de Dieu dans chaque individu ; le concert de
la bonté et du bien est moins bruyant que celui du mal, mais il s’étend bien
au-delà de celui-ci.[1189]
Solutions :
1. Aussi bien dans la pénitence des hommes
que dans leur péché, il demeure pour les élus un motif de joie, à savoir
l’accomplissement de l’ordre de la divine providence. En effet, le fait qu’un
homme puisse pécher manifeste la libéralité de Dieu qui accepte que chacun se
détourne de lui ; le fait qu’un homme puisse souffrir sur terre manifeste
la charité de Dieu qui s’efforce de ramener vers le salut éternel tous les
hommes ; le fait qu’un homme puisse choisir la damnation éternelle en se
révoltant lucidement contre Dieu manifeste qu’il a créé des personnes libres.
2. Cette difficulté est résolue par ce que
nous avons dit dans la conclusion.
3. Le péché contre l’Esprit Saint, comme
tel n’est pas cause de joie chez les élus puisqu’il est un mal. Mais, regardé
avec la lumière de Dieu, il est cause de joie puisqu’il témoigne de la grandeur
de l’œuvre créatrice qui a donné à l’homme d’agir selon les choix de son libre
arbitre. C’est pourquoi le choix ultime qui conduit à l’enfer est regardé dans
la paix par les élus du Ciel.
4. Les habitants du Ciel, pour se faire
comprendre de ceux de la terre, sont obligés d’adapter leur langage au mode de
la connaissance humaine. En vérité, au Ciel, l’exercice de la vie avec Dieu se
fait sans aucun mélange de peine. Il s’agit de la béatitude de Dieu et des
saints. Pourtant, la Bible ne cesse de parler de la colère, du repentir, de la
douleur et de toutes sortes de passions en Dieu. Elle ne le fait pas pour dire
que Dieu souffre ou pleure mais pour signifier cette charité parfaite et
infinie qui le pousse à vouloir le salut des hommes. De même pour les saints,
il ne faut pas opposer ce langage analogique avec la paix et la joie qui
règnent en vérité dans le Ciel. Paix et joie réelles et langage terrestre de larmes
et douleur sont une seule réalité qui font comprendre la source de tout :
l’amour intense de Dieu et des saints.
5. Les damnés en se coupant de Dieu, en
connaissent parfaitement les conséquences spirituelles et psychologiques et
sont déterminés à chaque instant à maintenir leur choix. Les élus du Ciel
respectent leur volonté et n’ont aucune velléité de prosélytisme face à ces
adultes stabilisés dans un mode de vie qu’ils respectent.
Objections :
1. Il semble qu’ils ne les verront pas. La
distance entre les damnés et les bienheureux est plus grande que celle qui
sépare ceux-ci des hommes de la terre. Mais les bienheureux ne voient pas les
événements des hommes de la terre, puisque, à propos d’Isaïe : « Abraham nous a ignorés », la Glose dit : « Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants,
fussent-ils leurs propres fils. » Ils
voient donc moins encore les souffrances des damnés.
2. La perfection de la vision dépend de
l’objet à voir. Aristote dit que « la
plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le
mieux disposé à voir le plus bel objet visible. » Donc, au contraire, la laideur de l’objet à voir produit une
imperfection dans la vision. Il n’y aura aucune imperfection chez les
bienheureux : ils ne verront donc pas les misères des damnés, dans lesquelles
il y a une extrême laideur.
3. La vue des saints et des autres damnés
sera pénible aux damnés. En effet, la clarté du corps glorifié des saints les
horripilera en leur rappelant la vérité de ce qu’ils perdent ; l’aspect
repoussant des autres damnés ne leur apportera que des inconvénients. Si bien
que, pour fuir, ils s’éloigneront dans les endroits les plus déserts. Donc les
élus ne pourront les voir.
Cependant :
Isaïe
dit : « Ils sortiront et verront les
cadavres des hommes qui se sont révoltés contre moi. » Et la Glose ajoute : « Les
élus sortiront par leur intelligence ou par une vision directe, pour être davantage
enthousiasmés dans la louange de Dieu. »
Conclusion :
Le
choix des damnés est libre et obstiné. Le livre de Job le montre de manière
claire lorsqu’il présente Satan, digne dans son option, se présentant au
conseil de Dieu[1191]. Les bienheureux respectent leur choix
et le prennent comme ce qu’il est : une glorification du Créateur qui a fait
les hommes et les anges libres. Rien ne doit être enlevé aux bienheureux de ce
qui appartient à leur béatitude. L’expérience visible du respect de Dieu devant
le choix des damnés en fait partie. C’est pourquoi, il leur est donné de voir
parfaitement à la fois le choix et les conséquences de ce choix dans les
impies.
Solutions :
1. La Glose parle ici des saints qui
habitent encore dans le shéol ou dans les divers purgatoires, selon leur
possibilité naturelle. Par celle-ci, il n’est en effet pas nécessaire qu’ils
parviennent à la connaissance de tout ce qui se passe chez les vivants. Mais
les saints qui sont dans la vision béatifique connaissent clairement tout ce qui
arrive chez les hommes de la terre, dans les purgatoires et chez les damnés.
C’est pourquoi saint Grégoire dit : « À
propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job, à savoir : « que ses fils soient nobles ou
misérables, il ne connaîtra pas »,
parce que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune
manière croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent. »
2. Bien que la beauté de l’objet vu
contribue à la perfection de la vue, cependant la laideur de l’objet peut ne
pas entraîner d’imperfection de la vision. Les représentations des choses, par
lesquelles on connaît les contraires, ne sont pas contraires dans l’âme. C’est
pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des connaissances, voit toutes les choses,
belles comme laides.
3. Il est vrai que, après le jugement
général, les saints éviteront de fréquenter les mêmes lieux que les damnés, par
respect pour leur choix de solitude. Mais, s’il arrive que le gouvernement du
monde exige une rencontre, elle se fera comme on le voit avec Satan au début du
livre de job.
Objections :
1. Cela semble. La compassion procède de la
charité. Les bienheureux auront une très parfaite charité. Ils compatiront donc
pleinement aux souffrances des damnés.
2. Les bienheureux ne seront jamais aussi
éloignés de la compassion que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de quelque manière
de la compassion pour nos misères (d’où son titre de miséricordieux), et
aussi les anges. Les bienheureux ont donc de la compassion pour les souffrances
des damnés.
Cependant :
Toute
personne qui compatit devient de quelque manière participante à la souffrance
d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point participer à aucune souffrance.
Ils n’ont donc point de compassion pour les souffrances des damnés.
Conclusion :
La
miséricorde ou compassion peut se trouver en quelqu’un de deux manières, soit
par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les bienheureux il
n’y aura pas de passions dans la partie inférieure de leur nature, sauf à la
suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de compassion ou de
miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une telle élection de la
raison ne peut faire naître la miséricorde ou la compassion que si quelqu’un
veut que le mal d’autrui soit écarté. Tant que les pécheurs sont en ce monde,
ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être libérés de leur misère et
de leur péché sans préjudice pour la justice divine, et être introduits dans la
béatitude. La compassion est donc possible envers eux, par choix de la volonté
(comme Dieu, les anges et les saints compatissent en voulant leur salut) ou par
passion, comme les hommes bons compatissent aux pécheurs qui sont encore dans
la vie terrestre. Nous avons montré que cette compassion, fruit de la charité,
s’exerce sans aucune douleur au Ciel. Mais dans l’au-delà, les pécheurs ne
voudront plus, lucidement, sortir de leur misère. Il n’y aura donc plus de
possibilité d’une compassion, voulue avec rectitude, à l’égard de leurs
souffrances qui, rappelons le, procéderont toutes d’une seule racine, à savoir
leur blasphème actif et à chaque instant rechoisi, contre l’Esprit Saint. Les bienheureux
qui seront dans la gloire n’auront donc aucune compassion pour les damnés.
Solutions :
1. La charité est source de compassion
quand nous pouvons à cause d’elle vouloir l’éloignement de la souffrance
d’autrui. Mais les saints ne peuvent pas vouloir cela par charité à l’égard des
damnés, puisque ce serait contraire à la justice divine.
2. Dieu est miséricordieux en tant qu’Il va
au secours de ceux qui, selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, peuvent
être libérés légitimement. Il ne peut pas avoir pitié des damnés, sauf en
permettant qu’ils ressentent moins qu’ils ne le devraient, les souffrances de
la viduité de leur vie.
Objections :
1. Cela ne semble pas : se réjouir du mal
d’autrui se rattache à la haine. Dans les bienheureux, il n’y en aura pas. Ils
ne se réjouiront donc pas des souffrances des damnés.
2. Les bienheureux au Ciel seront tout à
fait conformes à Dieu. Mais « Dieu
ne se réjouit pas de nos peines. »
Donc pas davantage les bienheureux.
3. Ce qui est réprouvable chez l’homme de
la terre ne peut aucunement se trouver en celui du Ciel. Mais ici-bas il est
tout à fait condamnable de se réjouir des peines d’autrui, et très louable de
s’en affliger. Donc, les bienheureux ne se réjouiront aucunement des peines des
damnés.
Cependant :
Le
Psalmiste dit : « Le juste se
réjouira en voyant la vengeance. »
En
outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés « donneront une vision de satiété à toute chair. » Mais la satiété signifie l’assouvissement
de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des peines des impies.
Conclusion :
Une
chose peut être occasion de joie de deux manières : ou bien, par soi, quand on
se réjouit d’une chose pour elle-même ; et de cette manière les saints ne se
réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident, c’est-à-dire à
cause de quelque chose qui s’y ajoute ; et ainsi les saints se réjouiront des
peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine justice pour
ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la justice
divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes cause de joie,
tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident.[1193]
Solutions :
1. Se réjouir du mal d’autrui en soi,
appartient à la haine, mais non pas se réjouir de ce mal à cause d’une autre
circonstance qui s’y rattache. De cette manière, il arrive même que quelqu’un
se réjouisse de son propre mal si, par exemple, quelqu’un se réjouit de ses propres souffrances
en tant qu’elles lui procurent du mérite pour le Ciel. Saint Jacques dit :
« Frères, quand vous tombez en
diverses tentations, considérez-le comme une joie. »
2. Bien que Dieu ne se réjouisse pas des
peines en tant que telles, il s’en réjouit en tant qu’elles sont ordonnées à sa
justice.
3. Chez les élus du Ciel comme chez les
hommes qui vivent de la charité sur la terre, il n’est pas louable de se
réjouir des peines des autres en tant qu’elles font souffrir. Mais cela devient
louable s’il s’en réjouit en tant qu’elles sont liées à quelque bien. On le
voit aussi dans l’amour parental. On se réjouit d’une épreuve subie par un
enfant, non parce qu’elle l’a fait souffrir mais parce qu’elle l’a fait mûrir.
Ainsi, au Ciel, on se réjouit de la souffrance des damnés non parce qu’elle les
torture mais parce qu’elle est le signe de la liberté de leur choix et du
respect de Dieu pour ceux qui, pourtant créés pour l’amour, préfèrent subir le
feu de leur nature coupée de sa fin que de se repentir de l’orgueil. Cependant,
il y a cette différence entre l’homme de la terre et celui du Ciel : en celui
de la terre, les passions naissent fréquemment sans jugement de sa raison ; et
pourtant, elles sont parfois louables en tant qu’elles indiquent une bonne disposition
de l’esprit, comme les mouvements de la honte ou de miséricorde ou de regret du
mal. Chez les hommes du Ciel, il ne peut y avoir de passion qui ne suive pas un
mouvement de la raison.
Après
avoir vu le destin individuel de chaque homme avant la résurrection et le
jugement individuel de l’homme, il nous faut voir le destin de l’humanité dans
son ensemble. Un certain nombre d’évènements doivent précéder la fin du monde
et conduire, en vue du salut, les communautés humaines à l’humilité (kénose)
puis à la charité. Nous verrons donc : 1°
Le retour du Christ ; 2° les signes
précurseurs de la fin du monde ; 3°
La fin du monde ; 4° la
conflagration de l’univers.
À
partir de la question 27, nous allons essayer de comprendre, en suivant les
prophéties de l’Écriture Sainte, ce que Dieu a réservé à ses enfants
lorsqu’approchera la fin de ce monde terrestre (Question 34). Il prépare pour
la dernière manifestation de son amour un spectacle où son projet secret (nous
donner la vision béatifique) sera manifesté non plus à travers la douleur de la
crucifixion mais à travers la lumière douce et forte de son retour glorieux
(Question 27). Après avoir multiplié les signes pour que l’homme se convertisse
(Question 28 à 34), il permettra une victoire temporaire de l’esprit de
l’égoïsme. Les hommes se sépareront en grande majorité de lui et, à la suite de
l’Antéchrist, ne l’attendront plus. Quelques-uns seulement garderont la foi, à
l’image de Marie au pied de la croix. C’est alors qu’il apparaîtra,
accompagnant sa venue de la proposition de son pardon. Ce sera la dernière
manifestation de son amour, la preuve tangible qu’il nous aime puisqu’il se
manifestera à des hommes indifférents et centrés sur eux.[1195]
A
propos du retour du Christ tel qu’il se produira à la fin du monde pour la
dernière génération de l’humanité, nous nous poserons cinq questions :
1° Le Christ doit-il revenir dans la
gloire à la fin du monde ?
2° Prépare-t-il pour sa venue un spectacle
qui manifestera glorieusement à tous l’amour de Dieu ?
3° Pourquoi Dieu permettra-t-il des maux
dans l’humanité avant le retour du Christ ?
4° Reviendra-t-il comme un voleur alors
que le monde sera en paix ?
5° La date du retour du Christ est-elle
inconnue ?
Objections :
1. Cela semble inutile. La manifestation de
la croix glorieuse[1196] semble suffire puisqu’elle provoquera la
terreur des hommes pervertis et la conversion de ceux qui sont bien disposés.
2. La gloire du Christ est une vision
insoutenable pour l’homme. C’est ce que montre l’Apocalypse quand elle dit que
Jean tomba comme mort à la vision du fils de l’homme[1197]. Il est donc improbable que le Christ
apparaisse dans sa gloire.
3. D’après les anges qui parlèrent aux
disciples au jour de l’Ascension du Seigneur[1198] : «
Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela de la même
manière dont vous l’avez vu monte au Ciel.
» Or il n’est pas dit que le Christ est monté au Ciel avec son corps
transfiguré. Donc il semble que, à la fin du monde, le Christ reviendra en
descendant du Ciel au-dessus de Jérusalem, dans son aspect habituel et non
selon son aspect glorieux.
4. La parousie est moins le fait du retour
du Christ vers nous, que notre découverte de ce qu’il est en vérité. Le retour
du Christ en gloire n’est donc pas une apparition sensible mais plutôt une
découverte par l’intelligence de son mystère.
5. Le Christ revient pour chaque individu à
l’heure de sa mort. C’est ainsi que Jésus peut annoncer son retour à la
génération qui l’a connu, alors qu’il n’est pas revenu pour tous en même temps
mais pour tous après la mort de chacun. C’est donc ainsi qu’il faut entendre le
retour du Christ et non comme un événement historique datable.
Cependant :
Le Credo de la foi catholique enseigne que
Jésus reviendra "dans la gloire pour juger les vivants et les morts".[1199]
Conclusion :
Le
retour du Christ dans la gloire à la fin du monde est contenu dans la foi
catholique comme un élément essentiel. En effet, le fait que la rédemption
opérée par le Seigneur sur la croix a efficacement détruit le péché originel et
ses conséquences n’est pas évident car la résurrection du Seigneur par laquelle
"il a vaincu la mort" n’a pas été constatée par tous les hommes mais
seulement par quelques témoins. Dieu a retardé cette manifestation pour qu’à
travers ce délai, plusieurs générations de croyants puissent sanctifier leur
âme en vivant dans l’obscurité de la foi la certitude intérieure de ce salut
déjà réalisé. Cependant, il est nécessaire qu’au temps voulu, la rédemption
s’applique efficacement à chaque homme. Par sa venue, le Christ manifestera
donc puissamment sa victoire sur le péché.
Et ce retour glorieux se réalise au sens
littéral de trois manières, qui toutes forment un seul mystère.
1-
Lors de la mort des individus[1200].
2-
A la fin de chaque génération humaine (la fin d’un monde).
3-
A la fin du monde, (les évènements de la
dernière génération qui vivra sur terre).
On trouve une preuve de ces trois sens
dans un texte de l’évangile de Matthieu 24, 37-42. Il s’agit d’un passage où
Jésus parle de son retour dans la gloire, mystère habituellement réservé à la
fin du monde. Or il y décrit aussi dans le même passage, sans qu’il y ait
rupture du texte, la mort individuelle d’un homme, puis d’une femme : « Comme les jours de Noé, ainsi sera
l'avènement du Fils de l'homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on
mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu'au jour où Noé entra
dans l'arche, et les gens ne se doutèrent de rien jusqu'à l'arrivée du déluge,
qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme. Alors deux
hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé ; deux femmes en train
de moudre : l'une est prise, l'autre laissée. »
Il faut donc veiller à ne jamais interpréter les textes eschatologiques
comme s’ils annonçaient exclusivement la fin des fins. C’est ce sens qui fascine
le plus les croyants et théologiens débutants, sans doute à cause de sa
dimension sensationnelle, à la fois politique et théologique. Or il existe deux
autres sens concrets et éducatifs : « Prépare-toi à la venue de ton Juge. Ta mort
est proche. » « Ne mets pas trop ton espoir dans ton système politique.
Elle passe, la figure de ton monde. »
Le
retour du Christ dans la gloire, qui s’accomplit pour chaque homme
individuellement au moment de la mort, doit de la même manière sanctifier
chaque génération, lorsque son dernier membre meurt. Enfin, elle se produira
d’un seul coup pour la dernière génération humaine à la fin du monde. C’est
pourquoi tout ce que nous avons dit précédemment[1201] sur la mort de l’homme et sur la vision
du Seigneur accompagné des saints, des anges, des proches et du démon accusateur
est valable pour ce qui concerne la venue glorieuse dont nous parlons
maintenant. En conséquence, on peut dire que la fin du monde verra se réaliser
pour la dernière génération de l’humanité ce qui s’accomplit déjà aujourd’hui
pour chaque homme individuellement à sa mort.
Solutions :
1. L’apparition de la croix glorieuse,
c’est-à-dire du signe du Fils de l’homme selon Matthieu, doit d’abord être
comprise dans son sens spirituel, qui n’exclut pas d’ailleurs une certaine
réalisation littérale à la fin du monde. Le mot « croix »
signifie en théologie toute souffrance, celle que chaque homme – pervers, juste
ou saint- subit malgré lui durant la vie terrestre. Il en ignore souvent le
sens et c’est pourquoi la croix, en cette vie, n’est pas glorieuse. La croix
est vécue pour lui sans gloire. C’est
le Christ, lors de sa parousie, qui explique le sens de la souffrance. Elle
prend alors son sens glorieux. Il en
sera ainsi à la fin du monde. Avant la venue du Christ, les hommes vivront de
grandes souffrances qu’ils ne comprendront pas et qui auront pour finalité de
préparer leur cœur dans l’humiliation et l’humilité. Au moment de la Venue du
Christ, d’un seul coup, le sens de ces souffrances sera expliqué de manière
lumineuse et cette gloire aura pour but de provoquer la conversion de
l’humanité au Bien éternel, ou au contraire son rejet éternel de ce bien. C’est
pourquoi on dit que la croix glorieuse, le signe du Fils de l’homme apparaîtra
dans le ciel au moment du retour du Christ.
2. Comme nous l’avons montré à propos de la
révélation qui accompagne la mort de chaque homme, le Christ qui veut que tout
homme soit sauvé adapte la vision qu’il donne de son corps glorieux à la
sensibilité de chaque homme. Chacun reçoit cette vision accompagnée d’une
parole intérieure qui manifeste suffisamment l’amour et la vérité de Dieu pour
que toute ignorance disparaisse de l’intelligence. De même, les hommes qui
vivront le retour du Christ tomberont dans une sorte d’extase de leur sens de
telle manière qu’ils se sentiront libérés du poids de leur corps. Toute
faiblesse aura donc disparu, leur permettant un choix entièrement libre
concernant leur destin éternel.
3. Le Seigneur répond lui-même à cette
objection[1202] : «
Si donc on vous dit : "le voici au désert", n’y allez pas ; "le
voici dans les retraites", n’en croyez rien. Comme l’éclair en effet, part
du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera t-il à l’avènement du fils
de l’homme. » Il est donc évident que le Christ n’apparaîtra pas selon son
aspect terrestre mais avec son corps transfiguré et glorieux. Or, à cause de
ses propriétés liées à la puissance de Dieu, le corps glorieux du Christ peut
apparaître en plusieurs endroits à la fois. Ainsi chaque homme individuellement
le verra, comme si le Christ revenait pour lui seul. Et cette apparition sera
accompagnée d’une telle grâce de lumière que chacun saura avec certitude qu’il
s’agit du Dieu fait homme. En conséquence, on doit affirmer que si un homme
arrivait à descendre du Ciel aux yeux de tous comme s’il volait, de la même
manière que le fit, dit-on, Siméon le magicien[1203], ce ne peut être le Christ mais
seulement un faux prophète. Car les imitations de ce retour ne sont rien en
comparaison de la vision du Verbe fait chair devant qui tout genou fléchira.
4. Cette interprétation des Écritures est
vraie à condition que son niveau de sens portant sur le contenu de révélation
intellectuelle de toute venue du Christ ne soit pas enseigné par opposition au
sens, littéral celui-là, et qui annonce avec certitude l’événement futur et historique
du retour physique, visible,
sensible, glorieux, du Christ à la fin du monde. Il vaut mieux d’ailleurs, pour
éviter de réduire le retour en gloire à la venue quotidienne du Christ par la
grâce, illustrer la grâce par les textes nombreux qui en parlent au sens
littéral : « Si deux hommes sont réunis
en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » De même, ce retour final pour
tous à la fois doit être distingué de celui dont nous avons parlé à l’heure de
la mort, selon l’Église[1204] : «
L’Église, conformément à l’Écriture, attend la manifestation glorieuse de
Notre Seigneur Jésus-Christ et différée par rapport à la situation qui est
celle des hommes immédiatement après leur mort ».[1205]
5. Dans son discours eschatologique, Jésus
mêle volontairement quatre réalités : la destruction du temple de Jérusalem, la
mort individuelle, la fin de sa génération et son retour visible et
"politique" à la fin du monde. C’est que ces quatre réalités forment
un même mystère, la première étant le signe des trois autres, au plan de l’individu,
d’une génération et du monde entier. Il ne doit jamais y avoir d’opposition[1206] entre ces diverses interprétations mais
contemplation commune de ce qui n’est que l’application de la kénose (la
passion) du Christ à toutes les réalités de cette terre.
Objections
:
1. Pour prouver d’une manière définitive et
grandiose l’amour de Dieu, il semble que le meilleur scénario possible consiste
à multiplier à l’envie les miracles dans le temps qui précède le retour du
Christ : rien ne peut, semble-t-il, conduire davantage les hommes à reconnaître
la puissance suprême de Dieu et donc à se tourner vers lui qu’un impressionnant
spectacle céleste. C’est d’ailleurs ce qu’annonce l’Écriture sainte[1207] : «
Aussitôt après la tribulation, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera
plus sa lumière, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des cieux
seront ébranlées. Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du fils de l’homme
; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on
verra le Fils de l’homme venant sur les nuées avec puissance et grande gloire. »
2. En saint Matthieu[1208], nous lisons : « L’Évangile sera proclamé dans le monde entier en témoignage à la
face des nations, puis viendra la fin. »
Il semble donc que le Christ fera précéder son retour par une victoire
universelle et mondiale de l’Évangile : L’Église catholique qui en garde le
message en plénitude sera donc établie à la tête des nations. La Royauté
sociale du Christ étant partout reconnue, son retour sera le couronnement de
cette victoire mondiale.[1209]
3. Le meilleur scénario préparatoire du
retour du Christ semble être le suivant : Lorsque le monde aura atteint un haut
niveau de paix et de justice sociale, bannissant toute guerre et toute pauvreté
par l’attention au prochain, alors l’humanité sera prête à accueillir le Christ
à son retour : « À ceci on
reconnaîtra que vous êtes mes disciples, dit Jésus, si vous vous aimez les uns
les autres ».[1210]
4. Au contraire, si l’on suit la lettre des
Écritures saintes, il semble que Dieu préparera le retour du Christ de la
manière suivante : il laissera les hommes vivre dans leur péché et ceux-ci, loin
de produire la concorde, seront une source de multiplication des guerres et des
malheurs. Matthieu rapporte ainsi les paroles du Christ[1211] : «
Il y aura une grande tribulation telle qu’il n’y en a
pas eu depuis le commencement du monde. »
Ces catastrophes matérielles, en humiliant l’orgueil insensé des hommes, les
disposera à la conversion lors du retour du Christ et de la manifestation de
son pardon offert. [1212]
5. Comme l’annonce l’Apocalypse 2, le
Christ préparera sa venue en suscitant des apôtres brûlants de charité,
semblables à ceux des premiers temps de l’Église. Il leur donnera de grands
charismes comme ceux de faire des miracles capables de stupéfier le cœur des
hommes et de les disposer à recevoir l’Évangile. Ainsi, en quelques années, la
bonne nouvelle sera reçue par tous. Le Christ reviendra alors très vite pour ne
pas laisser cette sainteté universelle se corrompre.[1213]
Cependant :
Le Catéchisme de l’Église Catholique[1214] rappelle l’enseignement constant des
Écritures à ce sujet[1215] dans un paragraphe intitulé L’Épreuve
ultime de l’Église : « Avant l’avènement
du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de
nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre
dévoilera le "mystère d’iniquité" sous la forme d’une imposture
religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au
prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de
l’Antéchrist, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme où l’homme se glorifie
lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair. Cette
imposture Antéchristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend
accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever
qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique même sous sa forme
mitigée, l’Église a rejeté cette falsification du Royaume à venir sous le nom
de millénarisme, surtout sous la forme politique d’un messianisme sécularisé, «
intrinsèquement perverse. »
« L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers
cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection.
Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église
selon un progrès ascendant mais, par une victoire de Dieu sur le
déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Epouse. Le
triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier
après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe. »
Conclusion :
Nous
l’avons montré au long de la première question, Dieu a créé les êtres
spirituels en vue de communiquer à ceux qui l’aiment la vision de son essence.
Ceci ne peut se réaliser qu’à travers des épousailles spirituelles, selon le
choix mutuel d’une charité qui, plus elle est fervente, permet d’entrer avec
plus de profondeur dans la contemplation béatifique. Or la charité naît avec
puissance dans les cœurs lorsqu’ils sont bien disposés, selon cette parole des
anges[1216] : «
Paix sur la terre aux hommes de volonté droite. » Et la plus proche préparation dispositive à la charité est
l’humilité, comme l’humus est une disposition à la vie pour une plante. Toute
l’ampleur du gouvernement de Dieu sur les hommes doit se comprendre à cette
lumière du Magnificat de Marie : Il rend humble les orgueilleux à travers les
diverses épreuves de cette vie terrestre. Il est difficile de rester
orgueilleux face aux humiliations de la souffrance et de la mort. Il rend
assoiffés d’un salut futur les humbles à travers ces mêmes épreuves car celui
qui tel Job souffre injustement durant sa vie voit son désir d’une réponse
salvifique s’approfondir. Enfin, par cette même croix, il permet à ceux qui
l’aiment déjà d’approfondir leur charité à travers l’offrande de leur vie.
Ainsi disposés, il est certain que la majorité des hommes accueillent à l’heure
de leur mort la venue de Jésus et la vision de son Évangile car il faut un
orgueil et un égoïsme puissants pour résister à une telle Théophanie.
Ce
qui est vrai pour les hommes individuels n’est pas différent pour chaque
génération puis pour la dernière génération. En effet, la vie éternelle n’est
pas seulement l’union d’individus avec la Trinité mais aussi l’union d’une
communauté de saints, d’une "Eglise" avec la Trinité. C’est pourquoi,
de même que Dieu dispose les individus au salut, il dispose les communautés et
les générations humaines à ce même salut. Il le fera jusqu’à la dernière
génération, à la différence cependant que ce qui se voyait à travers l’histoire
individuelle et l’histoire de chaque génération prendra de plus en plus une
dimension universelle jusqu’à devenir à la fin un spectacle mondial.
Ainsi,
vers la fin du monde[1217], l’Esprit de Dieu qui conduisait Jésus
à travers sa vie terrestre conduira l’humanité, à travers les forces de ses
propres lois, sur le chemin de la Rédemption. Dans l’enfantement qui précèdera
le retour du Christ, il y aura dans l’humanité, comme jamais au cours de
l’histoire, un spectacle comparable à celui de la croix de Jésus.
Extérieurement, l’orgueil de l’Homme semblera vainqueur, à l’image de ces gens
qui ricanaient en disant au Christ [1218] : «
Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis, sauve-toi
toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix! » C’est ce que rappelle saint Paul en parlant dans sa deuxième
épître aux Thessaloniciens de la réussite quasi-universelle d’un antéchrist qui
ne sera même pas nécessairement violent puisqu’il établira "une fausse
paix selon le monde"[1219]. En même temps, l’humanité connaîtra au
plan intérieur une détresse et une angoisse comme jamais, à l’image de ce qui
est rapporté à la croix [1220] : «
A la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d'une grande
frayeur et dirent : Vraiment celui-ci était fils de Dieu! » L’union entre une victoire extérieure puissante de l’orgueil et
le mal-être intérieur des peuples sera une nouvelle forme de l’universelle
éducation de Dieu. Dans ce drame, Dieu donnera à son Église chrétienne et à
tout ce qui porte le nom de Dieu[1221] (à savoir les religions et, parmi
elles, de manière particulière, le judaïsme et l’islam, comme nous le
montrerons) un rôle analogue à celui du Christ lorsqu’il nous sauva. Il mènera
les religions et particulièrement son alliance sainte, l’Eglise[1222], étape par étape jusqu’à la passion.
En
résumé, pour la fin du monde, Dieu annonce en préparation du retour du Christ
une humanité confrontée à un nouveau Golgotha. Il sera cette fois de nature
politique et mondiale. Il est annoncé pour son peuple saint un scénario de
souffrance extérieure et d’humilité intérieure. Pour les autres, la disposition
au salut se fera à travers l’expérience d’une réussite mondaine brillante et
extérieure accompagnée d’une vraie famine intérieure. Il est clair que ce
succès extérieur et provisoire de ce qui s’oppose au Christ sera permis par
Dieu et entrera au centre même de son projet grandiose. S’il avait voulu autre
chose, il lui aurait suffit d’agir, lui qui « peut
faire naître à partir des pierres des fils à Abraham »[1223]. Tout cela ressemblera à s’y méprendre
à la croix de Jésus. Pour nous prouver son amour, il est mort pour nous alors
que nous ne l’aimions pas encore. À la fin du monde, il nous prouvera son amour
en revenant glorieux et disposé à nous pardonner alors que l’immense majorité
des hommes ne l’aimera plus. Il y aura certes un petit reste de croyants selon
saint Matthieu 24, 22 : « si ces
jours-là (ceux de l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie
(la foi) sauve. » Mais la majorité des
hommes auront, d’après les Écritures, suivi la voie de l’oubli de Dieu.
Solutions :
1. Le sens de ces textes est 1° spirituel
car "la venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas voir de
l’extérieur" [1224] ; 2° littéral et même matériel car Dieu
réalisera à la lettre tout ce qui est écrit.
1° Il est vrai qu’un tel spectacle, pris
au sens littéral, supprimerait l’athéisme mais qu’en serait-il de la charité,
la seule réalité importante avec l’humilité (kénose) pour la vie éternelle ?
Jésus, dans l’évangile de saint Jean[1225], nous montre les effets ambigus des
miracles sur les hommes. Il multiplie à l’intention d’une foule des pains ; les
gens croient et applaudissent puis décident de le couronner roi d’Israël pour
qu’il chasse les Romains. Jésus est obligé d’aller se cacher dans la montagne.
C’est pourquoi on doit affirmer que le sens premier et certain de ces textes
des évangiles comme de tous les textes apocalyptiques est spirituel, le soleil
obscure signifiant l’absence de Dieu et de toute sagesse du sens ultime de la
vie, la lune symbolisant la disparition de ce qui reflète la lumière de Dieu
pour les hommes sur la terre (l’humanité de Jésus, Marie et les saints,
l’Église et les religions qui portent le nom de Dieu et de la vie éternelle).
De même, le signe du Fils de l’homme n’est pas à prendre en premier lieu comme
une croix matérielle dans le Ciel mais comme un temps de crucifixion et de
sépulcre de l’Église. 2° Un deuxième
sens matériel n’est cependant pas à exclure, au contraire, car Dieu ne
négligera rien de ce qui a été écrit. Il donnera ses signes même aux hommes
charnels. Lorsque tous les évènements spirituels auront été accomplis, il est
certain que Dieu mettra fin au monde et que le Christ reviendra à travers un
spectacle cosmique comparable en grand à celui du Golgotha [1226] : «
Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la
terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent et de
nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux
après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien
des gens. » De même, juste avant le
retour du Christ, la dernière génération verra de grands et effrayants signes
dans la météorologie et dans la cosmologie, puis une profusion de miracles.
2. Le fait que l’Évangile sera proclamé
devant toutes les nations ne signifie pas qu’il sera reçu. C’est ce que nous
montre toute l’histoire de l’Église, même dans ses périodes de succès. L’idée
d’une Royauté sociale du Christ sur le monde par l’intermédiaire de l’Église
pose en effet un seul problème de taille : S’est-il trouvé une seule période de
l’histoire où l’on ait vu une religion à la fois puissante politiquement et
humble dans son cœur ? Dieu a permis que toutes les périodes de gloire humaine
de l’Église se terminent tragiquement. Cette gloire terrestre doit en effet
être très vite flagellée par les anges de Dieu, de peur que les chrétiens
devenus fiers ne se perdent.
3. Cette idée de concorde mondiale n’est
pas sans poser d’autres problèmes du côté de la charité cette fois : l’homme
manifeste à travers toute son histoire une immense capacité à s’installer
douillettement sur la terre dès que vient la prospérité matérielle. Il en vient
à oublier Dieu et la vie éternelle, se trouvant bien dans une routine
quotidienne. L’histoire de la tour de Babel[1227] est significative d’une humanité
devenue préoccupée de ses seuls conforts et réussites. On peut souvent
reprocher au catholicisme social d’être tourné vers les hommes au point d’en
oublier le cœur à cœur de la vie avec Dieu, jugé comme une perte de temps pour
l’action. L’Ecriture sainte donne la paix politique comme une marque de l’homme
sans Dieu si elle est fondée sur une concorde des égoïsmes fondés sur la
recherche des plaisirs et non sur la charité.
4. Nous accordons cette objection, avec
cette nuance cependant : il n’est pas du tout sûr que, vers la fin du
monde et dans les années qui précèderont le retour du Christ, il y ait encore
des guerres et de grands malheurs matériels.
En effet, le Seigneur présente sa venue comme suit : « lorsqu’on dira paix et sécurité »[1228]. Le règne de l’Antéchrist sera, comme
nous le verrons, une réussite mondiale grâce aux bienfaits matériels qu’il
accomplira. Par une gestion prudente, par les apports de la science et de la
politique mondialisée, il n’y aura plus de guerre, plus de famines, plus
d’épidémies et la mort viendra au terme d’une très longue vie. Vers la fin du
monde, il est probable que la guerre et les tremblements de terre seront avant
tout dans les cœurs, c’est-à-dire à travers les angoisses et les désespoirs
d’hommes vivants loin de Dieu qui seul donne un sens à la vie.
5. Dieu ne manquera pas d’utiliser tous les
moyens cités ici. Cependant, vers la fin, la prédication des apôtres évoluera
de la même manière que celle du Christ durant sa vie apostolique. De glorieuse
et puissante en signes jusqu’à sa triomphale entrée à Jérusalem, elle
deviendra, face aux luttes, plus brève mais intense, voire silencieuse et
réservée à l’amour intense de quelques uns, aux rires des autres, comme le
furent les sept paroles du Christ crucifié.
Objections :
1. Les prophéties concernant l’apostasie
généralisée de l’humanité, le règne de l’Antéchrist, le martyre de l’Église et
la disparition de ce qui porte le nom de Dieu sur la Terre semblent
contradictoires avec la Sagesse et l’Amour de Dieu. Comment parler autrement si
l’on considère l’histoire du monde, du peuple hébreu et de l’Église : Dieu n’a
jamais laissé à l’iniquité une telle victoire de peur que beaucoup, se
complaisant dans leur péché, ne se séparent de lui totalement et à jamais.
2. Un tel enseignement ne peut que conduire
au désespoir, à quoi bon évangéliser s’il est prévu à l’avance que les efforts
n’aboutiront à rien ? À quoi bon ordonner des prêtres si l’on sait que l’Église
sera détruite ?
3. Le fait que quelques contemplatifs
pourront vivre de l’intérieur les mystères de la fin de l’Église est de bien
peu de consolation si le reste du peuple se perd pour l’éternité.
Cependant :
«
Dieu
peut, s’il le veut, faire de ces pierres des enfants à Abraham »[1229]. Par la puissance de ses miracles, il
pourrait convaincre de l’Évangile tout homme dont la volonté n’est pas totalement
pervertie par le blasphème contre le Saint Esprit. S’il ne le fait pas, c’est
qu’il aura ses raisons. Or Dieu ne fait rien ou ne permet rien sur la terre
qu’en raison de son amour débordant qui veut sauver, si possible, tous les
hommes. C’est donc son amour qui permettra ces mystères douloureux de la fin du
monde.[1230]
Conclusion :
Pour
Dieu, la vie terrestre consiste en un purgatoire bien adapté au salut du plus
grand nombre des hommes. Toutes les créatures passagères qu’on y rencontre, -
les personnes, les biens matériels, les bonheurs et les malheurs, les péchés et
les bonnes actions, la vie et la mort -, y sont utilisées par Dieu en vue de la
croissance de l’humilité qui dispose à la naissance de la charité. A son terme,
cette vie atteint d’autant plus son but que, confronté à l’apparition glorieuse
du Messie, l’homme se tourne vers lui avec force. Or parmi tous les hommes, il
en est d’après Jésus deux catégories qui se tournent avec intensité vers le
salut lorsqu’il leur est présenté : 1°
Les pécheurs comme Marie-Madeleine[1231] parce qu’ « ils ont montré beaucoup d'amour, leurs nombreux péchés leur
ayant été remis. Mais celui à qui on remet peu montre peu d'amour. » 2°
Les saints comme la vierge Marie parce qu’ils suivent le Christ dans son
humilité (kénose) et amour jusqu’à sa passion.
Ce
qui est vrai pour les individus est vrai au plan des communautés politiques.
Toute génération humaine peut être divisée en plusieurs sphères d’influence
auxquelles les personnes sont plus ou moins soumises au long de leur existence
: 1° Une partie mondaine, souvent
dominante, faite des sages et des intelligents de l’époque. Sa sagesse est
celle du monde à savoir celle d’une gestion intelligente des plaisirs,
richesses et honneurs. 2° Une partie
sainte et toujours persécutée puisqu’elle vit essentiellement de la Sagesse
d’en haut qui, puisqu’elle porte sur l’abaissement de soi et la vie de
l’esprit, n’est jamais le fait du grand nombre. 3° La masse des hommes qui, tout en suivant l’idée dominante du
temps, est tantôt sensible à sa partie mondaine, tantôt à sa partie spirituelle
selon qu’elle est plus ou moins proche du malheur. Souvent, cette masse rejette
Dieu quand tout va bien et revient vers lui quand le malheur approche car elle
ne l’aime qu’en vue de biens qu’elle en attend. Cette distinction est valable
pour toutes les époques, même celles où la religion domine car la victoire
extérieure de l’Eglise comme sa défaite ne signifient que peu de chose quant à
l’état intérieur des âmes. Lorsque ces générations humaines sont confrontées, à
travers la mort successive des individus, à la parousie du Christ, elles vivent
en toute vérité des paroles prophétiques de Jésus. 1° La partie dominante et mondaine se trouve confrontée, face à la
lumière glorieuse du Christ, à sa vraie nature [1232] : «
Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les
sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, tout en disant : Si
nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux
pour verser le sang des prophètes. Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes,
vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes! Eh bien! Vous,
comblez la mesure de vos pères! Serpents, engeance de vipères! Comment
pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? » 2° Les saints,
toujours peu nombreux, entrent rapidement dans la Vision béatifique. 3° Quant à la majorité du peuple, elle
se reconnaît dans cette autre parole prophétique : « Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette
génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui,
quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. » La vérité de ce jugement est d’autant
plus tranchante qu’elle vient de la norme du Christ qui est celle de l’amour et
du pardon proposés. En conséquence, l’apparition glorieuse du Christ provoque
dans le grand nombre des pécheurs un grand repentir, donc un grand amour à la
mesure de l’immensité du pardon proposé. Elle provoque aussi chez les vrais
pervers un rejet définitif du pardon et une damnation éternelle. Mais, au plan
de la génération entière, la parousie du Christ provoque une véritable entrée
dans l’humilité (kénose) tant elle vit avec larmes, elle qui se croyait sage,
l’expérience de sa folie, selon saint Paul [1233] : «
Je détruirai la sagesse des sages, et l'intelligence des intelligents je la
rejetterai. Où est-il, le sage ? Où est-il, l'homme cultivé ? Où est-il, le
raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde
? »
A la
fin du monde, cette division de l’humanité en trois sphères d’influence sera
réalisée de manière ultime, mondiale et explicitement en rejet du mystère du
salut. Dieu saura utiliser la victoire de l’Antéchrist et la souffrance de ses
saints de telle manière qu’il en sorte des fruits de salut pour la majorité du
"troupeau sans berger"[1234]. En effet, à cette époque, Dieu s’étant
pourtant efforcé de ramener l’humanité à lui, multipliant la venue d’apôtres,
le don de miracles et de signes avertisseurs, permettra que l’iniquité s’installe,
jusqu’à laisser l’Antéchrist vaincre extérieurement les religions qui portent
extérieurement le nom de Dieu. 1° la
partie mondaine et dominante sera représentée par la puissance et l’idéologie
d’un Antéchrist inouï dont le combat mondial portera sur une nouvelle
conception du salut éternel fondé sur la liberté et l’amour de soi, par
opposition à l’humilité (kénose) et à l’amour. L’Eglise, les saints et toutes
les religions auront vécu une telle tribulation que leur parole paraîtra
éteinte. De fait, jamais la sainteté cachée n’aura été aussi grande, sauf à la
croix en Marie. 3° La masse des
hommes, confrontée à ce monde de l’Antéchrist vivra à la fois d’un bien-être
matériel unique et d’une détresse spirituelle totale.
Cette
permission ne sera pas vaine car Dieu saura, au moment choisi, en tirer un bien
supérieur qui tournera à la gloire pour la plupart et à la confusion pour les
artisans de ce mal. En effet, lors de son ultime révélation, de même qu’à la
croix il avait prouvé[1235] « qu’il
nous aime, en mourant pour nous alors que nous étions pécheurs », de même lors de sa parousie, il
prouvera qu’il nous aime en revenant alors que la majorité de l’humanité ne
l’attendra plus. En définitive, les circonstances tragiques de la fin du monde
démultiplieront la manifestation de l’amour de Dieu. Ce jour-là, « il dépouillera les Principautés et les
Puissances et les donnera en spectacle à la face du monde, en les traînant dans
son cortège triomphal ».[1236] Ce sera la dernière manifestation de ce
qui a été commencé à la croix.
Il
réalisera cela au moment connu de lui seul, lorsque la prière des saints des
derniers temps sera devenue si pressente par sa charité qu’il ne pourra plus
que l’exaucer sans retard. C’est donc le martyre de l’Église, vécu avec une
charité intense par le reste de ses membres, qui provoquera le retour du
Christ.
Solutions :
1. Au contraire, la Bible nous apprend que
bien des hommes moururent alors qu’ils étaient encore profondément plongés dans
leur iniquité : Ainsi, le déluge détruisit l’humanité pervertie ; Sodome et
Gomorrhe furent ravagées par le feu en un jour ; Le peuple hébreu conduit par
Moïse mourut tout entier au désert sans entrer dans la terre promise. De même,
Dieu attendit avant de laisser les armées de Josué envahir la Palestine "que
la mesure de leurs iniquités soit comble".[1237] Quelle est la raison de ces actes de
Dieu ? Faut-il affirmer que ces pécheurs furent tous damnés ? Bien au
contraire, par cette mort, Dieu les sauvait en masse de la mort éternelle. Car
la mort violente, en les frappant, leur manifestait la misère de leur condition
et la vanité de leur péché. Frappés, ils criaient de toute leur âme vers un
Sauveur. Ainsi, de l’humiliation naissait en eux l’humilité. L’apparition de
l’ange de Dieu qui les accueillait dans le passage entre ce monde et l’autre
monde en leur révélant la miséricorde infinie les amenait à la conversion avec
d’autant plus de force qu’ils avaient reçu davantage en pardon. Quant aux
obstinés, aux orgueilleux inconvertissables, ils se séparaient définitivement de
Dieu librement. En tout cela, l’amour de Dieu resplendit puissamment puisqu’il
n’aura rien négligé pour éviter à l’homme la mort éternelle.
A la
fin du monde, Dieu n’agira pas différemment hormis le fait qu’il délivrera la
dernière génération de la souffrance de la mort, la gravité de la douleur
spirituelle chez les hommes en sera augmentée tant l’apparition de la douceur
de Dieu manifestée en Jésus sera bouleversante. Chacun, voyant la gravité de
son péché et la grandeur de la miséricorde se frappera la poitrine.
2. Il faut distinguer l’espoir humain de
l’espérance qui est une vertu théologale. L’espoir est finalisé par un bien de
cette terre ; l’espérance ne désire que les biens éternels et elle les attend
avec certitude du seul secours divin. Ainsi, prises au plan de l’espoir, ces
révélations sur la fin du monde sont totalement désespérantes. Celui qui attend
un royaume de Dieu sur la terre, une Église triomphante ne peut qu’être
scandalisé, de la même manière que les Juifs à qui Jésus annonçait la ruine du
temple de Jérusalem. Cela paraît même blasphématoire puisque ce temple, étant
voulu par Dieu, semble nécessairement indestructible. Trop d’apôtres, vivant
d’espoir humain et déçus par le peu de résultat de leur moisson, se sont
découragés : c’est oublier que Dieu lui-même dirige toute chose en vue du salut
du monde, selon Luc 3, 8.
L’espérance
théologale attend quant à elle le Royaume de Dieu tel que Dieu le veut et quand
Dieu le veut. Elle sait que la glorification de l’Église se fera dans l’autre
monde et que Dieu, selon des voies mystérieuses mais pleinement efficaces,
conduira le plus grand nombre possible à la Vie, de telle façon que ne seront
damnés que ceux qui, résistant à tous ses moyens, l’auront voulu. Fondé sur une
telle certitude, l’effort apostolique, loin de se taire, doit reprendre avec
une totale liberté de cœur. L’apôtre, tel un serviteur quelconque, continue son
effort sans se soucier d’autre chose que Dieu seul, sûr de la victoire finale
de l’amour.
3. « Elle est certes large la voie qui mène à
la perdition et beaucoup s’y engagent »,
selon les paroles du Seigneur lui-même[1238]. Cependant il ne faut pas conclure que
tous ceux qui y sont engagés se perdent en définitive : Lorsqu’un peuple est
adonné au péché, il ne faut pas croire que tous le sont avec pleine conscience,
volonté et liberté. De même, lorsqu’une nation se dit chrétienne, cela ne
signifie pas que chacun de ses membres aime Dieu pour le seul motif qu’il est
Dieu. Bien d’autres motivations moins spirituelles animent beaucoup : conformisme,
peur de la mort, peur de l’enfer. Aristote manifeste cette vérité ainsi : « la plupart demeurent dans le sensible » ; Jésus regardait avec miséricorde
les foules égarées de son temps, « comme
un troupeau sans berger » [1239] ; Mais de toute cette ivraie que Dieu
laisse pousser, il sait au moment de la récolte retirer le bon grain. Chaque
génération a pu en faire l’expérience au moment de la mort ; il en sera de même
à la dernière génération. Cependant, la sainteté de ceux qui auront vécu
chrétiennement, donc de l’intérieur ces mystères sera la plus grande qu’ait
connue l’humanité, la plus proche de celle de Marie tant la foi nécessaire pour
rester fidèle devra être confiante.
Objections :
1. Nous avons montré que le sépulcre subi
par l’Église constituera un signe absolument certain de la proximité de la
venue du Christ. Donc le Christ ne viendra pas comme un voleur.
2. Le monde avant le retour du Christ ne
pourra être en paix puisqu’il sera dominé par la tyrannie matérielle et
idéologique de l’Antéchrist.
3. Que le Christ revienne comme un voleur,
cela paraît incompatible avec sa dignité et inconciliable avec la gloire qu’il
manifestera.
Cependant :
Saint
Paul dit[1240] : «
quand les hommes se diront paix et sécurité, c’est alors que tout d’un coup
fondra sur eux la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte et ils ne
pourront y échapper. »
Conclusion :
Comme
nous l’avons dit, la venue du Christ à la fin du monde est en tout semblable à
celle qui accompagne la mort individuelle de chaque homme. C’est pourquoi, dans
les prophéties du Seigneur, ces deux venues sont regardées comme une seule et
même chose. Dieu qui est au-dessus du temps, voit en un seul retard le retour
du Christ qui s’accomplit pour chacun au moment de la fin de sa vie terrestre.
C’est pourquoi en parlant de la fin du monde, le Seigneur dit[1241] : «
Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre sera laissé. »
Comme
pour la mort individuelle est pour la plupart des hommes précédées de signes
annonciateurs, de même, à la fin du monde, le retour du Christ sera précédé de
nombreuses alertes venant de catastrophes naturelles, de paroles prophétiques
proclamées par des témoins et d’autres signes suffisamment clairs pour ceux qui
seront attentifs. Il en sera donc de même pour le monde que pour un homme dont
la mort prochaine est annoncée par des malaises successifs et par les
diagnostics de médecins. Cependant, l’immense majorité de l’humanité aveuglée
par ses intérêts matériels et par le bonheur illusoire établi par le règne de
l’Antéchrist ne prendra pas garde à ces signes. Elle sera donc surprise par la
venue du Messie de la même manière qu’un homme l’est par la mort. C’est ce qui
ressort des nombreuses prophéties concernant au sens littéral cette fin du
monde[1242] : «
Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du fils de l’homme. En ces
jours précédant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari,
jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien
jusqu’à l’arrivée du déluge qui les emporta tous. »
Solutions :
1. Très peu d’hommes seront capables de
vivre d’une manière contemplative et prophétique le sépulcre où sera plongé
l’Église à la fin du monde, la plupart considérant ce fait comme la preuve
définitive du caractère purement humain de la religion chrétienne, de même qu’à
la croix les hommes crurent avoir la preuve de la présomption de Jésus Christ
par le fait qu’il ne pouvait se sauver lui-même. Mais pour les hommes qui
vivront de l’esprit de foi de la vierge Marie, qui attendait avec certitude la
résurrection du Christ, comme il l’avait annoncé, il n’y aura pas de surprise.
Ils feront partie de ceux qui auront veillé. Selon cette parole du Seigneur
"là où sera le cadavre, là seront les aigles"[1243], c’est à dire les contemplatifs.
2. Il s’agira d’une fausse paix, de cette
paix que donne le monde et qui est fondée sur l’équilibre des lois du commerce
et des plaisirs. C’est pourquoi le retour du Christ qui marquera le caractère
illusoire des richesses matérielles sera l’objet de lamentation chez les hommes
adonnés à la matière, selon l’Apocalypse[1244] : «
Ils pleurent et se désolent sur elle, les trafiquants de la terre ; les
cargaisons de leurs navires, nul désormais ne les achète! »
3. Le Christ ne reviendra pas comme un
voleur en ce sens qu’il s’introduira dans le monde par la ruse mais en ce sens
qu’il viendra au moment où le monde ne l’attendra plus.
Objections :
1. Cela ne paraît pas. De même que les
Pères saints attendaient le premier avènement du Christ, ainsi nous attendons
le second. Or ces Pères connurent la date du premier avènement ; ainsi que nous
le voyons grâce au nombre de semaines annoncé par Daniel. C’est à cause de cela
que le Christ reproche aux Juifs de n’avoir pas reconnu le temps de sa
venue : « Hypocrites, vous
voulez sonder le Ciel et la Terre ; comment n’avez-vous pas recherché le temps
de l’avènement du Messie ? » Il
semble donc que le temps du second avènement par lequel Dieu viendra juger nous
sera aussi indiqué.
2. À travers les signes, nous parvenons à
la connaissance de ce qu’ils signifient. L’Écriture nous propose de nombreux
signes de l’approche du jugement futur. Nous pouvons donc parvenir à la
connaissance de sa date.
3. Saint Paul dit : « C’est pour nous que viendra la
fin des siècles. » Et saint
Jean : « Mes petits
enfants, c’est la dernière heure. »
Puisqu’un long espace de temps s’est écoulé depuis lors, il semble que nous
pouvons maintenant savoir que le dernier jugement est proche.
4. Le temps du jugement ne doit être caché
que pour que chacun s’y prépare avec sollicitude, puisqu’il en ignore la date
fixe. Mais cette sollicitude demeurerait même si on connaissait cette date,
parce que pour chaque homme la date de sa mort personnelle est incertaine, « date, comme dit saint Augustin, à
laquelle chacun vit son dernier jour, qui est en fait pour lui le dernier jour
de ce monde. » Il n’est donc pas
nécessaire que la date du jugement soit cachée.
Cependant :
Il
est dit en saint Marc : « Ce
jour où cette heure nul ne le sait, ni les anges dans le Ciel, ni le Fils, sauf
le Père. » Le Christ ne le sait pas
en ce sens qu’il ne nous le fait pas savoir.
En
outre, saint Paul dit aux Thessaloniciens : «
Le jour du Seigneur viendra comme le voleur vient la nuit. » Il semble donc que, comme la venue du
voleur la nuit est tout à fait incertaine, ainsi le jour du jugement dernier
soit tout à fait incertain.[1245]
Conclusion :
La
fin du monde est un évènement futur. Comme tel, elle est comparable à la mort
individuelle d’un homme. Or, lorsqu’on veut connaître la date de la mort d’un
homme, on peut considérer deux choses :
1° La mort est annoncée par des signes
précurseurs. Ainsi, lorsqu’une tumeur maligne et incurable est décelée, un
médecin peut donner une approximation de la date de la mort de son patient. De
même, la vieillesse annonce la proximité de la mort. 2° Mais la mort peut aussi survenir n’importe quand, de manière
imprévisible. Certaines de ses causes sont absolument contingentes et connues
de Dieu seul pour qui le futur est présent. Ainsi, nul ne peut prévoir que, en
sortant du cabinet de son médecin, tel malade sera renversé et tué par une
voiture.
Il
en est de même pour la fin du monde : 1°
Il existe des éléments permettant de se faire une idée approximative du temps.
Certaines prophéties ont été données par les Ecritures. Elles devront être
accomplies avant le retour du Christ. Elles constituent des signes
annonciateurs de la fin. Elles permettent de savoir avec certitude que, tant
qu’elles ne seront pas toutes réalisées, la fin du monde ne pourra arriver,
selon ce que dit saint Paul à des chrétiens qui ne se mariaient plus[1246] : «
Nous vous le demandons, frères, à propos de la venue de notre Seigneur
Jésus Christ, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par
des manifestations qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà
là. Auparavant doit venir l'apostasie et l’homme impie (...) » 2°
Mais, lorsque tous ces signes seront réalisés, il ne faut pas en inférer que
les hommes qui vivront sur terre à cette époque pourront donner des dates
précises. En effet, la fin du monde deviendra un évènement dépendant de la
seule décision de Dieu si bien que, même à cette époque, il sera impossible de
savoir avec précision l’heure exacte de la fin. Dieu accomplit en effet
certaines choses sans aucune coopération de créatures, et il connaît aussi
certaines choses qu’il ne communique à aucune pure créature. Telle est la fin
du monde, avec le jour du jugement. Le monde en effet finira sans l’action
d’aucune cause créée, de même qu’il a été commencé par l’action immédiate de
Dieu. Il convient donc que la connaissance de la fin du monde soit réservée à
Dieu seul. C’est cette raison que le Seigneur lui-même semble apporter quand il
dit : "il ne vous appartient pas de connaître les temps et les
moments que le Père a placés en son pouvoir" comme pour signifier qu’ils
sont réservés à son seul pouvoir.
Solutions :
1. En son premier avènement, le Christ vint
caché, selon ce mot d’Isaïe : « Tu es
vraiment un Dieu caché, Dieu sauveur d’Israël. » Dans le second avènement, il viendra manifestement. Dans les
deux cas, Dieu voudra être attendu et reconnu par quelques-uns de ses amis,
selon cette parole de la Genèse[1247] : « Yahvé s'était dit: "Vais-je cacher à Abraham ce
que je vais faire, alors qu'Abraham deviendra une nation grande et puissante et
que par lui se béniront toutes les nations de la terre? » Ainsi, dans les deux avènements, il y eut et il y
aura quelques personnes lucides pour voir les signes des temps. Tels furent
jadis les prêtres Juifs qui lisaient avec assiduité les textes de Daniel. Tels
seront, à la fin du monde, les quelques fidèles qui auront gardé les prophéties
et les auront méditées. Dans le premier avènement, il y eut deux personnes pour
recevoir la révélation du moment précis de l’incarnation : ce furent
Marie, puis Joseph. Dans le second avènement, juste avant le Jour du Seigneur,
l’esprit contemplatif de la Vierge reviendra probablement sur quelques rares
amis de Dieu, dans le secret de leur dialogue avec Dieu.
2. On peut distinguer trois sortes de
signes des temps. 1° Parmi les
signes que Jésus énumère, certains concernent chaque époque depuis toujours
comme les tremblements de terre, les guerres, les persécutions, les faux
prophètes. Saint Augustin dit : « Les
signes précurseurs indiqués dans l’Évangile n’ont pas tous trait à la seconde
venue qui aura lieu à la fin du monde. Certains nombreux, ont trait à la venue
quotidienne du Christ dans l’Église, qu’il visite spirituellement en habitant
en nous par la foi et l’amour. Les signes qui sont dans les Evangiles,
concernant la dernière venue, ne suffisent pas pour permettre de reconnaître
d’une manière précise le temps du jugement. Les malheurs qui sont prédits comme
annonçant le proche avènement du Christ ont existé dès l’époque de l’Église
primitive, tantôt plus, tantôt moins. C’est pourquoi les jours des apôtres
furent déjà appelés les derniers jours, comme nous le voyons dans les Actes, là
où saint Pierre expose, en l’appliquant à son temps, le mot de Joël : Il y
aura dans les derniers temps. » Ces signes là sont donc tout à fait
inutiles pour discerner la fin des fins mais seulement pour rappeler le
caractère passager de chaque génération.
2° D’autres concernent directement la fin
des fins. Il s’agit de certains détails sur le dernier Antéchrist (mondial),
sur le destin d’Israël - destruction du Temple, dispersion, retour en
Palestine, destin de Jérusalem, conversion des Juifs au Messie -, sur l’Eglise
et sa passion finale. Saint Augustin en parle : « Certains signes se rapportent à l’époque de la destruction de
Jérusalem, qui a déjà eu lieu. Depuis
lors, beaucoup de temps s’est écoulé, et d’autres signes se sont réalisés. » En
ce qui concerne le calcul de la date de la fin du monde, deux choses doivent
être affirmées : - Tant que tous les signes annoncés ne seront pas réalisés, on
peut être sûr que la fin des fins n’est pas proche selon ce que nous avons
rappelé de saint Paul[1248]. - Même quand ces signes seront tous
réalisés, il sera impossible de conclure de manière certaine sur la date
précise car aucune révélation explicite, confirmée par le Magistère, ne donne
une indication sur la durée de son règne. On peut conjecturer que ce règne sera
court. Mais l’expérience montre que le "bientôt" de Dieu, s’il dure
au maximum 120 ans quand il s’agit d’un individu, peut durer un nombre
indéterminé de mois, d’années, de centaines ou de milliers d’années quand il
s’agit d’un évènement mondial, comme dit saint Augustin.
3. On ne peut pas tirer une période déterminée
de temps à partir d’expressions comme "Le dernier jour est venu" ou
d’autres semblables, qu’on lit dans l’Écriture. Elles n’ont point pour but de
signifier une période brève, mais d’indiquer la dernière phase du monde, qui
sera comme un âge nouveau. On ne précise pas la durée de cet espace de temps,
de même que la vieillesse, dernier âge de l’homme, n’est pas une période
nettement marquée, puisque parfois elle dure autant que tous les âges
précédents, et même plus, comme dit saint Augustin. C’est pourquoi, saint Paul
écarte cette idée fausse que quelques-uns ont tirée de ses paroles, croyant que
« le jour du Seigneur était déjà
tout proche. »
4. Même en reconnaissant l’incertitude de
la date de notre mort, l’incertitude de celle du jugement nous incite
doublement à la vigilance : d’abord parce que nous ne savons pas s’il tardera
jusqu’au delà de la fin de notre vie d’où une deuxième raison d’être vigilants.
Ensuite parce que l’homme n’a pas seulement le souci de sa personne, mais aussi
de sa famille, de sa cité, de son pays et de toute l’Église, qui durent au-delà
de la limite d’une vie humaine. Or il faut disposer chacune de ces
collectivités de sorte que le jour du Seigneur ne la trouve pas mal préparée.
La
fin du monde sera immédiatement précédée du retour du Christ dans sa gloire. Et
cette venue sera elle-même, semble-t-il, annoncée par des signes.
A
cet égard quatre questions se posent :
1° Y aura-t-il des signes précurseurs de
l’avènement du souverain Juge ?
2° Ces signes seront-ils donnés à tous les
hommes ou seulement aux croyants ?
3° Quels sont ces signes ?
4° Peut-on discerner un ordre
chronologique dans l’apparition de ces signes ?
Objections :
1. La réponse négative semble imposée par
cette parole de saint Paul : « quand
les hommes diront paix et sécurité! C’est alors qu’une ruine soudaine fondra
sur eux ».[1250] En effet cette paix et cette sécurité
n’existeraient pas, si des signes avant-coureurs venaient semer l’inquiétude.
2. Des signes sont nécessaires quand une
chose doit être rendue manifeste. Mais l’avènement du Seigneur doit être
caché : "le jour du Seigneur vient ainsi qu’un voleur dans la
nuit".[1251]
3. Le premier avènement du Seigneur fut
connu à l’avance par les prophètes, et cependant il ne fut précédé d’aucun
signe. À plus forte raison, ainsi en sera-t-il du second que personne ne
connaît.
Cependant :
Il
est dit en saint Luc[1252] : «
Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et les étoiles. » D’autre part, le Seigneur dit à
propos de sa venue[1253] : «
Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et
que ses feuilles poussent, vous comprenez que l’été est proche. Ainsi, lorsque
vous verrez tout cela, comprenez que le fils de l’homme est aux portes. » Donc il y aura des signes précédant
la fin du monde.
Conclusion :
Quand
le Christ viendra juger tous les hommes, il apparaîtra dans sa gloire, comme il
convient à la dignité de sa fonction. Mais ceci doit être précédé par certains
évènements qui viseront à deux finalités 1°
Ils disposeront le cœur du grand nombre à
l’humilité. En effet, Dieu n’a pas d’autre visée que le salut du plus grand
nombre. Avant sa venue, le Christ s’efforcera donc de préparer les hommes à
humilité, au repentir de telle façon que son apparition provoque dans le plus
possible un bon effet, à savoir une puissante inflammation de la charité et
l’entrée dans la béatitude. C’est ce qu’annonce Isaïe, la montagne symbolisant
l’orgueil[1254] : « Une voix crie :
"Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé ; dans la steppe, aplanissez
une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toute montagne et
toute colline abaissées. »
2° Ils
avertiront ceux qui vivent de la
charité. Ils permettront au petit nombre des saints de vivre de l’intérieur
et consciemment les évènements au nom du reste de l’humanité car le projet de
Dieu, loin d’être imposé de l’extérieur, est une alliance de deux charités,
celle de Dieu et la réponse de l’homme. Ils convient donc que, comme à la croix
de Jésus, certains comprennent et vivent du Mystère en train de s’accomplir.
L’avènement
du Sauveur sera donc précédé de signes multiples annoncés avec force par
l’Écriture. Cependant, on doit reconnaître qu’on ne peut préciser avec trop de
détails de quelle manière ils se produiront à la fin du monde et ce pour la
raison suivante : Le Christ a volontairement donné à ces signes plusieurs
niveaux de signification afin qu’ils concernent tous les hommes de tous les
temps. La plupart d’entre eux, qu’ils soient rapportés par le livre de
l’Apocalypse et les autres prophéties, ont sous la lettre d’un sens littéral,
plusieurs significations symboliques adaptées à la mort individuelle de chacun,
à la fin des générations et à la fin du monde. Par exemple, les combats, les
épouvantes etc. mentionnés dans l’évangile se rencontrent tout au long de
l’histoire, mais aussi dans nos vies personnelles et se multiplieront de
manière spirituelle au temps du dernier Antéchrist. Cette ambigüité n’est pas
toujours enlevée par le Magistère de manière aussi précise que pour la
condamnation du millénarisme[1255]. Cette imprécision est voulue par le
Seigneur afin que nous soyons chaque jour vigilants.
De tout ceci, on doit retenir la
nécessité d’une grande prudence dans l’interprétation des signes de l’avènement
du Sauveur. Un principe doit être retenu. Plus on s’approche du concret, plus
l’erreur est possible. Plus on reste dans des généralités, abordant par exemple
les questions du projet de Dieu, de la croix qu’il maintient dans l’histoire
pour sauver l’humanité, moins on est faillible.
Il
est à noter cependant que le Christ a voulu laisser une série de signe dont le
sens ne porte pas cette ambigüité et est littéral et historique. Ils concernent
le peuple Juif qui restera, jusqu’à la fin du monde et dans son histoire
politique, signe extérieur et visible de la Venue du Messie.
Solutions :
1. Il existe deux sortes de paix :
d’abord la paix extérieure que donne
le monde et qui implique une stabilité et un confort matériels. Ses conditions
sont politiques et sociales : prospérité, absence de guerre, civilité des
rapports humains. Il est annoncé que le gouvernement du dernier Antéchrist,
appuyé sur sa profonde connaissance des millénaires de l’histoire humaine,
réussira cela de manière mondiale. L’autre
paix est intérieure et elle porte sur le tréfonds de l’âme faite pour le
vrai Dieu. Elle aspire à vivre de sa présence qui lui correspond plus
profondément encore que l’homme est fait pour aimer la femme. Sous ce rapport,
le monde du dernier Antéchrist sera le pire que l’humanité ait jamais connu
selon Amos[1256] : « On ira titubant
d'une mer à l'autre mer, du nord au levant, on errera pour chercher la parole
de Yahvé et on ne la trouvera pas! »
Saint Augustin[1257] dit que, à la fin des temps, les
méchants persécuteront les bons ; ceux-ci craindront donc, tandis que ceux là
seront tranquilles. Ce sont donc les méchants qui diront "paix et
sûreté" parce qu’ils négligeront les signes annonciateurs du jugement.
Tandis que "les bons sècheront de frayeur etc." comme en parle saint
Luc. On peut dire encore que ces signes avant-coureurs sont compris dans le
temps et le jour du jugement. Avant leur apparition, les impies se croiront en
paix et sécurité, le monde étant plongé dans une tranquillité extérieure
rassurante.
2. Le jour du Seigneur viendra "comme
un voleur" parce que la date précise en est inconnue, les signes
précurseurs étant insuffisants à le manifester chez le grand nombre. Seule une
petite Eglise, inconnue du monde, imitatrice de la Vierge à la croix,
comprendra. Quant aux signes indubitables qui précèderont immédiatement le
jugement, on peut dire qu’ils font partie de ce jour même.
3. Quoique les prophètes connaissent
d’avance le premier avènement du Christ, cet avènement eut lieu en secret. Il
ne devait donc pas être annoncé par des signes grandioses, à la différence du
second, dont la date reste mystérieuse, mais où le Christ viendra dans sa
gloire. Il sera donc immédiatement précédé par des signes terrifiants. Mais
bien avant ce jour, il y aura d’autres signes plus mystérieux que seuls
quelques-uns sauront discerner[1258].
Objections :
1. Il semble que seuls les croyants
recevront de tels signes En effet, seuls les croyants pourront en découvrir la
signification prophétique. Il est inutile que les autres les reçoivent selon
cette parole du Seigneur "même si un mort ressuscitait, ils ne croiraient
pas".[1259]
2. Si tous les hommes reçoivent des signes
suffisamment explicites pour le retour du Christ, celui-ci ne surprendra
personne par sa venue ce qui semble contradictoire avec l’Écriture.
3. Il semble que seuls les païens recevront
des signes de la fin du monde. Les croyants n’en ont en effet pas besoin
puisque, par l’espérance et la charité, ils sont constamment dans l’attente du
retour du Christ.
Cependant :
Il y
aura des grands signes dans le soleil, dans la lune et les étoiles, selon saint
Luc[1260]. Or de tels signes pourront être vus
par tous. Donc ils seront donnés non seulement aux croyants mais aussi aux
païens.
Conclusion :
La
finalité des signes donnés avant la fin est de frapper la connaissance des
hommes de telle façon qu’amenés à réfléchir, ils changent leur cœur avant qu’il
ne soit trop tard. Or il est certain que Dieu désire proposer le salut à tous
les hommes sans exception, de telle manière que ne soit damné que celui qui
obstinément sera resté dans le péché. Nous avons suffisamment montré cela
précédemment. Nous pouvons en déduire qu’il donnera ses signes non seulement
aux croyants mais aussi à tous les hommes, non seulement pour les individus
mais aussi aux nations, avant comme après la première venue du Christ. Dans ce
but, il convient que Dieu adapte ses signes à la capacité de chacun. Le propre
de la connaissance humaine est de partir du sensible pour remonter à
l’intelligible. Dieu s’adapte à la manière humaine de connaître. Nous le voyons
dans les Écritures Saintes où Dieu révèle son mystère à travers des mots
humains, et davantage encore dans l’Incarnation du Verbe. De même, les signes
annonçant la fin seront fondamentalement sensibles, au point que tout homme
pourra les voir dans leur matérialité.
Cependant,
le signe ne consiste pas seulement dans un évènement matériel. Par définition,
il symbolise et révèle une réalité d’ordre intelligible. Or il est évident que
tous les hommes n’ont pas la même la capacité à comprendre les choses
spirituelles : tous n’ont pas une égale perspicacité intellectuelle ni même une
égale illumination du Saint Esprit. Les hommes charnels comprennent de façon
charnelle ; les hommes spirituels savent remonter, à partir des signes
sensibles à leur signification spirituelle. Il en est ainsi pour les signes
donnés par Dieu concernant la fin, quelque soit le sens où l’on entend ce mot :
1° Il peut s’agir, même dans la pensée de
Jésus[1261] de la fin de chaque homme à l’heure de
sa mort. Les signes qui précèdent et annoncent notre propre mort sont nombreux
: Mort d’un proche, atteinte de la maladie, vieillesse. Les hommes
excessivement adonnés aux choses de ce monde réagiront en s’efforçant de ne pas
y penser ou encore par la peur ; les hommes de bonne volonté s’interrogeront ;
ceux qui espèrent en Dieu penseront à la proximité de leur rencontre avec le
Christ et se "redresseront, plein de joie car leur délivrance est
proche".[1262]
2° Il peut s’agir de la proximité de la
fin de chaque génération humaine, selon cette parole de Jésus[1263] : «
En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout ne soit
arrivé. » Ainsi les guerres, les tremblements
de terre, les famines, tout ce qui rappelle à chaque époque la précarité de
tout sont des signes de la fin. De la même manière, chacun les interprète selon
le degré d’intelligence et de foi qui est le sien ; mais nul ne peut y rester
totalement indifférent.
3° Il en sera de même à la fin du monde
telle que nous la regardons dans ce traité. Dieu donnera des signes multiples
qui pourront être vus par tous car ils se réaliseront dans les réalités
visibles de cette époque : certains seront visibles dans le monde physique
(dans les astres par exemple), d’autres dans les réalités sociales (apostasie,
gouvernement de l’Antéchrist). Mais peu d’hommes comprendront dans toute son
intensité la signification spirituelle de ces signes. Il en ressortira cependant
du bien pour tous : les mauvais, saisis d’inquiétude, se rappelleront la
temporalité de leur vie selon la parole employée le mercredi des Cendres : « Souviens-toi que tu es poussière et
que tu retourneras à la poussière. »
S’ils ne sont pas totalement obstinés dans leur péché, à l’inverse de ces gens
que décrit l’Apocalypse[1264], ils seront quelque peu disposés au
salut, leur orgueil se trouvant humilié par la peur. De même, les hommes de
bonne volonté, ceux qui ne connaissent pas le Christ, seront amenés à l’exemple
de Job à s’interroger sur le sens de leur vie. Ils progresseront en humilité.
Lors du retour du Christ ils s’écrieront[1265] : «
Je ne te connaissais que de loin, mais maintenant mes yeux ont vu. » Quant aux saints, ils ne cesseront de
grandir dans la charité, à cause de leur espérance sans cesse plus sûre de la
proximité de la fin.
Solutions :
1. Même les païens peuvent être amenés par
des signes à penser au retour du Christ. Mais, chez eux, cette pensée ne peut
être explicite puisqu’ils n’ont pas entendu parler de ce retour. Elle est
suggérée de loin, par la pensée de la mort. Chaque homme est averti qu’il
mourra, soit en observant la mort des autres, soit en subissant les signes
avant-coureurs de sa propre mort, comme la maladie ou la vieillesse. Et cela
est valable universellement à chaque époque. Mais à la fin du monde, les signes
extérieurs de la vanité de ce monde se multiplieront de manière de plus en plus
spirituelle, tels les épidémies d’angoisse, les tremblements de terre (dans les
vies) et les guerres à l’intérieur des âmes. Par ces moyens, Dieu s’efforcera
de convertir tous les cœurs avant qu’il ne soit trop tard.
2. Le propre du signe n’est pas de
démontrer la vérité d’une chose mais de la suggérer de telle façon que
l’intelligence soit conduite à s’interroger. Il ne peut en être autrement quand
il s’agit des choses de Dieu sans quoi la foi disparaîtrait pour faire place à
la science. C’est pourquoi les plus grands signes et miracles n’obligent à la
conversion que ceux dont la volonté est disposée favorablement en vue du bien.
Quant aux autres ils s’aveuglent eux-mêmes par leur volonté de ne pas changer
leur vie.
3. Il convient que même les croyants
reçoivent des signes du retour du Christ. En effet, par la grâce qu’ils ont
reçue, ils sont collaborateurs de l’œuvre divine. Il convient donc qu’ils
associent leurs prières et leurs sacrifices au grand mystère de l’enfantement
que connaîtra le monde lors de sa fin.
Objections :
1. Il semble qu’on ne doive pas distinguer
des signes valables pour toutes les époques d’un côté et des signes valables
une seule fois de l’autre. En effet, tous les signes qui précèderont le retour
du Christ seront nécessairement valables pour toutes les générations, puisque
le propre du signe est de manifester sous un sens symbolique plusieurs niveaux
de réalisation.
2. Certains signes annonciateurs sont déjà
réalisés, comme par exemple la destruction du Temple de Jérusalem. Ils ne
doivent donc pas être comptés parmi les signes de la fin du monde.
3. Certains signes qui apparaissent au sens
propre comme matériels semblent devoir plutôt être interprétés dans un sens
spirituel. Ainsi, on sait qu’il est impossible que de vraies étoiles tombent
sur la terre. Il doit donc plutôt s’agir d’un symbole.
4. L’Antéchrist, quand il viendra,
apparaîtra comme un homme bien réel et prendra le pouvoir sur un grand empire.
Mais beaucoup d’Antéchrists ont déjà fait cela comme Hitler. On ne doit donc
pas le classer parmi les signes de la fin des fins mais plutôt parmi les signes
concernant toutes les générations.
Conclusion :
L’Écriture décrit une multitude de
signes qu’elle présente comme annonciateurs du retour du Christ. En y regardant
de plus près, on s’aperçoit qu’il est difficile de les classer de manière
satisfaisante. En effet, Dieu a voulu que leur sens soit multiple, littéral ou
métaphorique. On en a un exemple dans l’Ancien Testament [1267] : «
Voici que la vierge est enceinte. Elle donne naissance à un fils. » Les théologiens juifs ne se
trompèrent pas en annonçant, au sens premier et littéral, la grossesse future
de la mère du Messie. Mais ils ne se trompaient pas non plus en parlant de la
grossesse symbolique d’Israël, de l’humanité, de l’Univers selon saint Paul : « La création toute entière attend la
révélation des fils de Dieu. »
Malgré
cela, et sans se départir d’une certaine prudence, il est possible de classer
en deux catégories les signes donnés par Jésus :
1° Les
prophéties valables pour plusieurs générations. Le propre de ce type de
prophéties est qu’elles décrivent les épreuves vécues par toutes les
générations de tous les temps. Elles parlent non seulement de la fin du monde,
mais de la fin de chaque génération, de chaque humain individuel, de la fin des
cités, des entreprises humaines etc. Inutile donc de vouloir appliquer les
passages qui la composent à tel ou tel événement historiquement daté à
l’exclusion des autres.
- Leurs sens multiples sont parfois
donnés sous le langage d’analogies métaphoriques. Exemple : « Une Bête apparut. Elle avait sept
têtes et dix cornes »[1268]. La Bête signifie aussi bien l’Empereur
romain Néron, qu’Hitler, que l’idéologie marxiste, que nos propres péchés
capitaux etc. A travers l’Ecriture, l’utilisation de tels symboles est si
fréquente qu’il est difficile d’en faire la liste.
- D’autres sont écrites sous le langage
d’analogies propres. Exemple : « Il y
aura des guerres et des bruits de guerres.
» Les guerres furent réelles au sens militaire du terme. Mais ces textes
ont plusieurs autres sens comme la guerre entre individus, contre soi-même etc.
La
liste de ces prophéties est longue. Il s’agit essentiellement de l’annonce
générale de fléaux comme les tremblements de terre[1269], de guerres[1270], de fausses paix[1271], de famines[1272], de maladies[1273], de persécutions, de meurtres
d’innocents, de faux prophètes[1274], d’hérésies, d’Antéchrists, de passions
mauvaises, de vices, de matérialisme[1275], de mort et de signes cosmiques : « Le soleil s’obscurcira, la lune
deviendra comme du sang, les étoiles tomberont du Ciel"[1276].
2° Les
prophéties valables pour une seule époque[1277]. Pourtant, parmi tout ce qui est
annoncé, on doit maintenir que certains signes ont un sens premièrement
littéral et historique. Ils ne se réaliseront qu’une fois, en vue du scénario
qui aboutira à la fin des fins (ce qui n’exclut pas leur interprétation
métaphorique). Exemple : « De ce
temple, il ne restera pas pierre sur pierre. »[1278] Le Temple de Jérusalem fut physiquement
détruit en 70 après Jésus-Christ comme Jésus l’avait annoncé. C’est le premier
sens. Pourtant, ce sens historique n’exclut pas l’autre, Jésus lui-même en
informe ses disciples. "Le vrai temple était son corps qui devait mourir
et, trois jours plus tard, ressusciter"[1279]. Toutes les prophéties de Jésus
concernant le peuple juif sont de cette catégorie.
La
liste de ces prophéties peut être réalisée comme suit [1280] :
1° Avant la venue du Christ, il y aura une
apostasie générale[1281] dans l’humanité. Dieu sera rejeté des
cœurs.
2° Puis viendra un Antéchrist qui établira
son règne mondial contre la sagesse de Dieu. Il instaurera la paix et la
sécurité, imposant une religion de l’homme et se proclamant lui-même Dieu.
3° Il mettra fin aux religions qui portent
le nom de Dieu.
4° Une dernière prédication leur sera
accordée, sous la forme mystérieuse de deux témoins[1282]. La Vierge Marie qui aura un rôle
particulier[1283].
5° L’Eglise suivra le Messie dans son
anéantissement. Pierre subira le martyre[1284] tandis que Jean, l’Eglise priante,
subsistera jusqu’au retour du Messie[1285]. Ce martyre sera un acte de sainteté et
le signe de Jonas sera de nouveau donné à l’humanité[1286].
6° Le peuple juif perdra son Temple[1287], sera dispersé[1288], massacré[1289]. Puis il reviendra dans sa terre,
reprendra possession de Jérusalem[1290], retrouvera l’Arche d’Alliance[1291], rebâtira son Temple[1292] et, enfin, juste avant la fin ou
conjointement à la fin, reconnaîtra publiquement le Christ comme Messie[1293].
7° La fin du monde sera provoquée par le
retour glorieux du Christ[1294]. Il viendra accompagné des saints et
des anges.
Solutions :
1. Tous les signes ont effectivement un
sens allégorique valable pour chaque génération. Mais certains d’entre eux,
selon la lettre, annoncent un évènement précis qui ne peut se réaliser qu’une
fois comme la destruction du Temple de Jérusalem que Jésus annonça pour
l’époque de sa génération. Ceci n’empêche pas une signification plus profonde,
allégorique celle-là qui n’est comprise que par des hommes spirituels.
2. Si la destruction du Temple de Jérusalem
est déjà réalisée dans sa matérialité, elle n’en reste pas moins, en soi, un
signe puissant de la fin du monde. En effet, elle introduit une série de sept
prophéties concernant le peuple juif qui doivent se réaliser à la lettre. Ceci
n’empêche pas un autre niveau de sens, allégorique celui-là, comme une autre
destruction qui aura lieu à la fin des temps, à savoir celle du nouveau temple
qui est l’Église, comme la mort individuel de chaque corps humain, vrai temple
de Dieu.
3. La chute des étoiles sur la terre a
d’abord un sens spirituel puisqu’elle annonce la perversion de ceux qui sont
les étoiles pour le monde puisqu’ils l’éclairent de leur intelligence. Ainsi, à
la fin des temps, il semble que beaucoup d’intellectuels et de théologiens ne
seront plus pour les autres sources de vérité mais les entraîneront dans
l’erreur. Il n’en reste pas moins que, pour les gens plus simples, de réelles
chutes d’étoiles filantes pourront se produire avant l’avènement du Christ, ce
qui sera pour eux un signe adapté.
4. Il y aura un dernier Antéchrist qui
réalisera en plénitude l’iniquité déjà amorcée par les autres. Il sera
réellement un homme mais son mystère ne sera compris que par ceux qu’éclairera
l’Esprit Saint puisqu’il s’opposera à la charité du Christ, en trouvant son
inspiration auprès de Lucifer et présentant à l’humanité de la fin le même
mystère d’iniquité qu’il présenta au début, à Adam et Eve. Il sera donc un
signe spirituel.
Objections :
1. Il semble difficile sinon impossible de
discerner un ordre dans les signes qui précèderont la fin du monde. En effet,
la grande destruction subie par Jérusalem au temps du général Romain Titus qui
brûla le Temple et construisit à sa place un temple aux idoles a eu lieu au
tout début de l’Église. Or elle est présentée dans le discours eschatologique
comme un signe qui précèdera de peu la fin.
2. De tout temps, il y a eu des martyrs et
il y en aura toujours. Il semble donc inadapté de mettre le martyr comme signe
du début des douleurs de l’enfantement.
3. Le livre de l’Apocalypse donne un ordre
très différent concernant le déroulement de l’histoire du monde, jusqu’à la
venue glorieuse du Christ et le jugement des nations. Il est presque impossible
de faire concorder cet ordre avec celui du discours eschatologique donc…
4. S’il existe un ordre chronologique dans
l’apparition des signes annoncés, on devrait déjà le discerner à travers le
cours de l’histoire, depuis 2000 ans que dure l’Église.
Cependant :
Le
Seigneur compare la fin du monde à un enfantement[1295]. Or, dans un enfantement, on peut
discerner un ordre chronologique dans les signes qui l’annonce : d’abord les
douleurs des premières contractions, puis la douleur maximale qui précède la
naissance, et la naissance elle-même. Il doit en être de même pour l’humanité.
Conclusion :
Dans
son discours eschatologique[1296], le Seigneur propose un ordre génétique
par rapport aux signes de la fin du monde. Ces signes s’amplifient avec la
proximité de la fin. Et ceci est convenable pour plusieurs raisons.
-- À
cause de la haine du démon qui, sentant son temps compté, multipliera ses
attaques contre l’humanité, sa perversion allant jusqu’à espérer la séparer
complètement de Dieu par l’action de son serviteur, l’Antéchrist.
-- À
cause de la sagesse de Dieu qui gouverne l’homme de telle manière qu’il soit
disposé au mieux à l’obtention de la béatitude éternelle. Il convient donc
qu’il multiplie les signes de sa venue à mesure que le temps disponible pour se
convertir diminue.
-- À
cause de la condition de l’homme qui ne peut remonter à l’intelligible qu’en
s’appuyant sur le sensible. Il a donc besoin de recevoir des signes plus
explicites à mesure que la conscience de sa fin prochaine demande à être
amplifiée. Il en est ainsi dans l’ordre habituel de la vie humaine : l’enfant
qui a la vie devant lui ne pense pas à la mort car rien n’est là pour la lui
rappeler. Mais le vieillard dont le temps est compté reçoit dans sa chair des
stigmates qui la lui rappelle à chaque moment.
Dans
le discours eschatologique, on peut discerner quatre temps.
1° Le Seigneur parle d’abord du commencement des douleurs caractérisé
par la venue de nombreux faux prophètes qui produiront des hérésies ; par des
guerres et des rumeurs de guerre, de famines et des tremblements de terre. En
cette époque, il y aura beaucoup de persécutions contre l’Église et de nombreux
martyrs[1297], ce qui n’empêchera pas l’évangile
d’être proclamé par toute la terre.[1298] On peut comparer cela, dans
l’accouchement, aux premières contractions.
2° Dans un second temps, le Seigneur
annonce un chemin qui conduira l’humanité vers
l’apostasie. Il dit que la charité se refroidira chez le grand nombre. On
peut comparer cela, dans l’accouchement qui se prolonge, aux phases de
découragement de la femme.
3° Dans un troisième temps, viendront les signes de la fin[1299]. Le Seigneur dit que « l’abomination de la désolation
sera dans le lieu saint. » Ceci
semble se rapporter à une grande tribulation que devra subir l’Église
puisqu’elle est le Temple de Dieu, à la manière dont le Temple de Jérusalem devint
le Temple des idoles au temps du roi Antiochus[1300]. Le temps de la fin sera donc celui de
l’Antéchrist et de la lutte ultime contre les saints. Il y aura des signes dans
le soleil qui s’obscurcira, dans la lune qui ne donnera plus sa lumière, dans
les étoiles et les puissances des cieux. Ceci signifie un temps d’absence de
lumière céleste, l’humanité semblant adonnée dans sa totalité visible à une
finalité mondaine. On peut comparer cela, dans l’accouchement s’il dure trop, à
la phase de désespoir.
4° En dernier lieu viendra la fin elle-même[1301]. Ce sera au temps du dernier
Antéchrist. Alors seulement apparaîtra le signe du fils de l’homme qui
provoquera la terreur des méchants et sera suivi immédiatement par la glorieuse
apparition du Messie, sur les nuées du Ciel. "Quant à l’Antéchrist, le
Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa venue".[1302] Alors la fin du monde sera consommée et
le jugement général de l’humanité aura lieu[1303]. On peut comparer cela, dans
l’accouchement, à l’apparition de l’enfant dont la joie efface le souvenir de
tout le reste.
Solutions :
1. La destruction du Temple de Jérusalem
n’est elle-même que la préfiguration de la destruction du vrai Temple de Dieu
qui est l’Église et qui sera tentée à la fin du monde par l’Antéchrist. Cette lutte
du démon contre les saints de Dieu, si elle est commencée depuis la naissance
de l’Église, prendra une proportion inimaginable en ces jours là, selon le
Seigneur, « si ces jours n’avaient
pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve »[1304].
2. Les signes liés à la première phase ne
disparaîtront pas dans les suivantes mais au contraire s’amplifieront, de la
même manière que dans l’enfantement où les premières contractions ne
disparaissent pas tant que la naissance n’est pas complètement accomplie. Il en
sera de même pour les tremblements de terre, les épidémies, les famines.
3. Quant au livre de l’Apocalypse, il ne
donne pas en premier lieu aux hommes un regard chronologique sur l’histoire du
monde. Son but est de révéler les intentions et les modes d’action de Dieu par
rapport à la conduite qu’il exerce sur l’humanité[1305]. Il manifeste que Dieu est cause de
tout ce qui arrive ici-bas : « Du
trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres » [1306], que le Christ peut seul rendre le
monde intelligible à l’homme : « L’agneau
ouvrira les sept sceaux »[1307] ; que l’univers entier jusque dans la
souffrance qu’il cause à l’homme est utilisé par Dieu : « les sept trompettes »[1308] ; que le démon lui même est utile, sans
qu’il le veuille, au bien de l’homme selon son âme "le Dragon et la
bête" [1309] ; Et qu’en définitive tout se terminera
par « le triomphe de l’agneau », de la charité et la réprobation de
l’orgueil[1310]. S’il existe des prophéties applicables
à l’histoire dans ce livre, elles ne sont utilisables qu’en dernier recours,
dans la lumière du discours eschatologique de Jésus.
4. L’histoire de l’humanité est sainte,
dirigée de l’intérieur par Dieu. Son but unique et simple est, rappelons-le, de
rendre chaque âme tout humble (kénose) pour qu’elle puisse aimer et entrer dans
la salle des noces avec l’époux. Il dirige chaque personne individuellement par
le travail de son ange gardien. Mais il dirige aussi l’humanité dans son
ensemble à travers l’histoire des groupes humains. Pour cela, il dispose d’une
communauté d’anges appelés "Princes" qui connaissent parfaitement ce
qu’il faut faire pour diminuer l’orgueil des peuples. Cette histoire se déroule
en sept temps, « sept étapes » que l’Ecriture appelle « sept jours. »
Après
la chute d’Adam et Ève et avant la venue du Christ, l’humanité a connu trois
premiers temps :
1° Le temps où Dieu se taisait, d’Adam à
Abraham.
2° Le temps où, à partir d’Abraham, il
promit à quelques-uns un sauveur (d’Abraham à Jésus).
3° Celui enfin où il se fit chair et
annonça l’Évangile à ses disciples (de l’Annonciation à la Pentecôte). Chacune
de ces périodes était bonne et disposait les cœurs au salut. Mais, Jésus le
reconnaît, parmi les hommes qui vécurent les deux premières et ceux qui
aujourd’hui ignorent toujours le Christ, ils furent des milliers à désirer voir
un seul de ses jours et ne le virent pas.
Jésus
annonce à quatre nouveaux temps, quatre étapes de l’Histoire durant lesquelles
il préparera les nations à la Vision de Dieu. On peut les discerner à la
lecture de son discours eschatologique[1311] et des multiples prophéties dispersées
ici et là dans les lettres des apôtres. Ils peuvent être en partie datés, tout
autant que ceux qui précédèrent son incarnation.
4° Le premier de ces temps est celui de
l’extension de l’Evangile dans le monde. C’est une période accompagnée de
luttes et de souffrances nombreuses. Il se caractérise non seulement par
l’extension de la chrétienté à travers le monde mais aussi par des luttes que
le Seigneur appelle "des guerres et des rumeurs de guerre"[1312]. Ce temps commence avec le jour de la
Pentecôte et dure jusqu’à aujourd’hui.
5° Le second est celui du rejet de
l’évangile par le monde. Ce temps trouve ces racines dans des idées de la fin
du Moyen-âge et du siècle des Lumières. Mais il commence au plan politique avec
les soubresauts antichrétiens de la Révolution française. Il continue à
s’étendre jusqu’à aujourd’hui.
6° Le troisième est le temps de sa
disparition quasi complète du monde. Jésus conduit son Église de la même façon
qu’il le fit pour sa vie apostolique de trois années. D’abord écouté, il fut
ensuite rejeté puis mis à mort. Il s’agit du temps du règne mondial d’un
antéchrist, de la disparition politique de tout ce qui porte le nom de Dieu[1313]. En ce début de millénaire, ce temps
n’est pas encore commencé : L’Antéchrist n’est pas là même si divers courants
antichrétiens œuvrent.
7° Enfin, à la fin de ce troisième temps,
alors que l’Antéchrist sera au sommet de son règne et aura établi sur le monde
une paix extérieure, le Messie reviendra, faisant disparaître cette fausse paix
"par le souffle de sa venue"[1314]. Ainsi, la fin du dernier des temps,
c’est-à-dire la fin du temps de l’Antéchrist, coïncidera avec la fin du monde :
les morts ressusciteront et le monde nouveau sera formé par Dieu.
Ces
quatre temps ainsi que le règne de l’Antéchrist ne sont pas des évènements
symboliques. Chaque prophétie de Jésus a un sens symbolique[1315], c’est certain, mais aussi un sens
historique : « le Ciel et la Terre
passeront mais mes paroles ne passeront pas ».[1316]
A
propos de ces signes de la fin du monde, nous devons nous demander :
1° Y aura-t-il des signes dans le soleil,
la lune et les étoiles ?
2° Y aura-t-il des signes sur la terre,
tels des tremblements de terre et des catastrophes naturelles (maladie, famine)
?
3° Y aura-t-il des guerres et de fausses
paix ?
4° Y aura-t-il de faux prophètes ?
5° Y aura-t-il une grande apostasie ?
6° Le monde sombrera-t-il dans le péché ?
Objections :
1. Il semble qu’on ne puisse l’admettre
sans quoi la science des astrologues pourrait prévoir le retour du Christ ce
qui est contradictoire avec l’Écriture qui affirme que le Christ viendra comme
un voleur.
2. Il est impossible que le soleil perde de
son éclat sans quoi la vie serait immédiatement détruite sur la terre par le
froid.
3. Selon Apocalypse 6, 12, la lune
deviendra rouge comme du sang. Cela ne semble pas un signe convenable, ni au
sens propre ni au sens spirituel.
4. Selon l’Apocalypse, un tiers du soleil
s’obscurcira, un tiers de la lune s’éteindra et un tiers des étoiles tomberont
sur la terre. Le chiffre paraît hors de proportion.[1317]
5. D’après Isaïe[1318] : «
Ce jour là, le Seigneur interviendra : là haut contre l’armée d’en haut et
sur terre contre les rois de la terre. Ils seront entassés, captifs, dans la
fosse. La lune sera humiliée, le soleil sera confondu. Oui, le Seigneur, le
tout-puissant, est roi. » Or ce texte
semble suggérer un sens symbolique aux signes du Ciel qui précèderont le retour
du Christ.
Cependant :
L’Écriture
affirme que "Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus son éclat,
les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des Cieux seront
ébranlées".[1319]
Conclusion :
Dans
l’Écriture Sainte, Dieu utilise réellement les réalités sensibles de telle
façon qu’il ne s’arrête pas à leur matérialité mais leur assigne un sens
spirituel qu’il est nécessaire de découvrir. Ainsi, par exemple, quand il
demande aux Hébreux de manger un agneau et de mettre le sang sur les piliers de
la maison pour se protéger la mort, il le leur fait faire réellement mais il
veut surtout annoncer et préfigurer la véritable rédemption qui doit être
accomplie par son Fils, l’Agneau de Dieu, à la croix. Il en est de même pour
les signes qui précèderont la fin du monde. Ils ont d’abord une signification
spirituelle qui doit être perçue par l’inspiration du Saint Esprit. Ainsi, le
soleil symbolise la lumière éternelle de Dieu, que nul ne peut regarder en face,
la lune symbolise l’humanité Sainte de Jésus et la vierge Marie qui reflètent
pour nous l’image de Dieu au point de nous le rendre connaissable ; les étoiles
du ciel symbolisent les apôtres et les docteurs car il appartient à leur
ministère d’indiquer aux hommes la route qui mène vers la vérité. Ainsi, que le
soleil s’obscurcisse, que la lune cesse de briller, que les étoiles tombent du
Ciel, cela signifie en premier lieu, que, vers la fin des temps, les hommes
seront à ce point plongés dans le péché, que leur intelligence ne percevra plus
rien du Mystère divin. Les apôtres eux-mêmes, au lieu d’élever l’Homme vers le
Ciel, le conduiront à la terre, incapables de se souvenir qu’ils sont la
lumière du monde.
Cette
signification spirituelle ne signifie pourtant pas qu’il faille exclure une
réalisation matérielle de ces prophéties. Les symboles de Dieu ont ceci en
propre que, très souvent, ils se réalisent à la lettre. Un paléontologue
faisait remarquer que la parole de l’Ecriture adressée à Lucifer : "Tu
ramperas sur ton ventre tous les jours de ta vie"[1320], et dont la signification est évidement
purement spirituelle puisqu’elle s’adresse à un ange dépourvu de corps, s’était
aussi réalisée de manière matérielle, comme dans une image préfiguratrice
puisque, sans qu’on n’en trouve aucune raison, seuls les reptiles rampants
(symboles de Satan) avaient survécu à l’extinction du crétacé, éliminant les
dinosaures que la Bible considère comme l’image de Lucifer (le dragon). De
même, il est possible que la signification symbolique des étoiles qui tombent
sur la terre soit accompagnée à la fin du monde par la réalisation matérielle
de ces signes de telle manière que chacun comprenne la gravité de sa perversion
spirituelle. Peut-être la pollution produite par l’activité démesurée de
l’homme obscurcira-t-elle à ce point l’atmosphère qu’elle diminuera la lumière
du soleil et de la lune. Quant aux étoiles qui tomberont du Ciel, rien
n’empêche, par exemple, qu’elles soient produites par une quantité
impressionnante de météores qui s’abattront sur la terre, son orbite passant en
ces jours là dans un important champ de poussières cosmiques.
Solutions :
1. De tels phénomènes liés aux astres et
qui précèderont le retour du Christ ne seront pas prévisibles. Il est donc
impossible de prévoir à l’avance la date du retour du Christ. Ce retour
échappant aux lois de ce monde, il ne sera pas provoqué par l’ordre des astres,
de la même façon que la première venue de Jésus qui dut être rendue visible aux
astrologues par la création d’une nouvelle étoile qui se déplaçait dans le Ciel
et indiquait l’endroit où se tenait l’enfant Jésus.
2. Ce n’est pas le soleil lui-même qui
perdra son éclat mais c’est l’homme qui par les effets de son péché ou de son
imprudence, empêchera sa lumière de passer. Et cela convient même au sens
spirituel que devra signifier cette catastrophe extérieure car Dieu ne cesse de
briller pour l’âme des hommes mais c’est à cause de leur méchanceté qu’ils ne
reçoivent plus sa lumière.
3. Pris au sens spirituel, le fait que la lune
deviendra rouge comme le sang signifie que les méchants, à la fin du monde
seront incapables à cause de leur péché, de contempler les mystères de Jésus et
de Marie comme des lumières qui éclairent leur nuit, mais plutôt comme quelque
chose de nuisible qu’ils rejetteront. Rappelons que la lune symbolise
l’humanité de Jésus et la présence de tous les saints comme Marie, car ils
reflètent et tamisent la Lumière de Dieu comme la lune le fait pour le soleil.
Les bons, au contraire, vivront ces temps de la fin en s’unissant par leurs
souffrances au sang de Jésus versé pour eux sur la croix. Nous en avons l’image
dès maintenant, de manière cependant individuelle, alors qu’à cette époque, il
s’agira d’un phénomène mondial. Pour ceux qui aiment leur liberté et le plaisir
de jouir de leur vie plus que l’amour d’autrui, le message évangélique devient
insupportable. Pour ne pas avouer son propre égoïsme, on le qualifie lui-même
d’insupportable car liberticide.
4. Pris au sens spirituel, le chiffre d’un
tiers signifie que l’épreuve des derniers temps sera mesurée selon l’ordre de
la sagesse de Dieu "à cause des élus, qui auront la vie sauve".[1321] Mais le peuple Juif, qui est prophète
dans sa chair, a subi par trois fois, pour servir de signe face au monde entier
un génocide qui tua un tiers de ses membres – Nabuchodonosor, Titus et Hitler
–.
5. Si l’on suit le texte d’Isaïe, le
symbolisme présent dans le soleil et la lune ne concerne pas Dieu et le Christ
mais plutôt l’orgueil de l’homme qui s’exalte comme le soleil et à ses œuvres
qui reflètent cet orgueil comme leur manifestation. Et cela n’est pas étonnant
car les symboles de l’Écriture peuvent toujours être pris selon un double sens.
Ainsi, l’eau signifie à la fois la vie comme on le voit dans le baptême et la
mort dans le déluge. Mais ce sens symbolique ne s’oppose pas au fait que le
soleil et la lune perdront réellement leur éclat à la fin du monde.
Objections :
1. De tels phénomènes naturels ont toujours
existés et existeront toujours. Ils ne doivent donc pas être considérés comme
des signes de la fin du monde.
2. De tels malheurs, s’ils ont lieu,
frapperont indifféremment les méchants et les bons ce qui paraît inconvenant à
la sagesse de Dieu.
3. Certaines catastrophes naturelles
concernent parfois un seul individu, comme par exemple la maladie et la mort de
chacun. Elles ne doivent donc pas être regardées comme un signe de la fin du
monde en général.
4. La famine n’est pas toujours une
catastrophe d’origine naturelle. Elle peut parfois avoir son origine dans
l’incapacité des hommes à gérer les terres et à distribuer équitablement les
productions. Elle ne doit donc pas être regardée comme un signe de la fin du
monde, mais plutôt comme un effet du péché de l’homme.
5. Il semble que ces signes matériels ne
concernent pas la dernière génération qui vivra sur terre puisque, au temps de
l’Antéchrist, on dira : « Paix
et sécurité. »
Cependant :
Le
Seigneur affirme en saint Matthieu[1322] : «
Il y aura par endroit des famines et des tremblements de terre. Et tout
cela ne fera que commencer les douleurs de l’enfantement. »
Conclusion :
La
fin du monde sera précédée par des catastrophes naturelles. Les hommes subiront
diverses peines dont l’origine sera dans le désordre de la nature ou de la
société. Et cela est nécessaire pour mieux les disposer à la rencontre qui aura
lieu avec le Christ lors de son retour glorieux. Or, certaines conditions sont
présupposées pour cette fin dans la volonté, à savoir la pénitence qui fait
rejeter le mal et adhérer au bien, l’humilité qui dispose l’âme à l’action de
Dieu et la charité qui lui fait désirer Dieu. Les peines temporelles seront
donc infligées par Dieu à l’homme de telle manière que son âme soit ainsi
disposée « afin que le plus
possible soient sauvés. » Elles
seront utiles aux méchants, dont l’intention est finalisée par les biens de ce
monde. Par les peines naturelles, ils découvriront la vanité de ce qui est
passager selon la parole du Seigneur[1323] : (Le riche qui n’emporte rien dans la
tombe). « Insensé, cette nuit
même on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ? » Ils seront ainsi disposés à la
conversion vers le bien éternel qui demeure.
Elles
seront utiles aux hommes de bonne volonté qui en les subissant, grandiront dans
l’humilité selon cette parole de Job[1324] : «
Tu es tout puissant, Seigneur. Maintenant mes yeux t’ont vu, aussi je
m’afflige sur la poussière et sur la cendre.
»
Enfin
elles seront utiles aux saints dont elles purifieront la charité selon saint
Pierre[1325] : «
Il vous faut être quelque temps affligés par diverses épreuves, afin que,
bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable, devienne un sujet
de louange, lors de la révélation de Jésus Christ. »
Quant
à ceux qui ne sont pas inscrits sur le livre de vie, la perversité de leur cœur
sera dévoilée par le feu de la souffrance selon l’Apocalypse[1326] : «
Ils blasphémèrent Dieu, à cause de cette grêle désastreuse. » En résumé, les catastrophes
naturelles des derniers temps seront l’introduction au jugement dernier, quand
les anges sépareront les mauvais des bons, et ce pour chaque génération. [1327]
Dans
de très belles pages, où il a résumé pour le grand public ses travaux de
géologue, Pierre Termier présente l’univers comme un magnifique ensemble de
ruines géologiques. Ce qu’il y a de plus stable ici-bas, ce qui nous semble
presque éternel est rongé par le temps. Les chaînes de montagnes les plus
orgueilleuses, celles qui survivent aux civilisations sont lentement minées par
l’érosion ; ici, une pierre se détache, là, une paroi s’effrite. Ces blessures
multiples finissent par ravager la face de la terre. Le temps destructeur finit
par avoir raison des entreprises les plus audacieuses. "Praeterit figura hujus mundi"[1328]. La souffrance et la mort prennent du
même coup un visage nouveau. Elles ne cessent pas d’être pour nous un
châtiment, mais elles deviennent aussi un instrument de rédemption, un moyen de
divinisation. L’univers tout entier est ainsi tendu vers la glorification des
fils de Dieu, attendant lui aussi d’être arraché à sa misère congénitale.
"La création, dit saint Paul, gémit dans l’attente de sa rédemption"[1329].
La
mort indéfiniment répétée de millions d’êtres vivants dont Aristote disait
qu’ils se sacrifient à la perpétuité de l’espèce, prennent pour le chrétien une
valeur de symbole et de préfiguration. Elles sont comme l’aurore tragique de la
souffrance humaine, une image de la peine des hommes du martyre des saints, et
finalement elles culminent dans la passion et dans la mort du Fils de Dieu.
L’univers apparaît ainsi, non comme un universel massacre, mais comme un
sacrifice immense, une liturgie cosmique dont le sens nous est révélé par la
mort d’un Dieu".[1330]
Solutions :
1. Les malheurs dont nous parlons
s’appliquent aux trois niveaux de l’eschatologie. 1° Ils frappent effectivement les individus tous les temps et
lieux. Depuis le péché originel, tout homme est frappé dans sa chair par des
peines naturelles telles la maladie, la vieillesse, la fatigue, la mort. Mais
ces peines imposées par Dieu au corps de l’homme sont finalisées par le bien de
son âme selon le Seigneur[1331] : «
Mieux vaut entrer manchot dans le Royaume des Cieux que d’être précipité
avec tout son corps dans la géhenne. »
2° Ils frappent aussi les
communautés humaines, toutes sans exception, même le peuple de Dieu. 3° A la fin du monde, de même que pour
la plupart des individus de tels phénomènes se multiplient dans le temps qui
précède la mort, de même ils se feront plus nombreux. Ils sont donc pour tous
les temps signes de la proximité de la fin du monde puisqu’ils sont là pour la
préparer.
2. Par la souffrance, les bons sont
conduits à devenir meilleurs et les méchants pires puisque chacun fortifie sa
détermination dans la souffrance. Mais la majorité des hommes, ni tout à fait
bons ou mauvais, y apprend simplement l’humilité. Ce qui est vrai pour les
individus l’est aussi pour les communautés comme nous l’avons dit. Voici
quelques exemples historiques du tremblement de terre qui frappe l’orgueil des
générations :
Exemple
1 : A Babel[1332], l’humanité unie disait : « Allons! Bâtissons-nous une ville et
une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et devenons
comme un dieu! » Alors Dieu confondit
le langage des hommes pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres. Il
les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la
ville. » Dieu ne renverse pas les
systèmes politiques à chaque génération. Il ne le fait qu’à chaque fois que les
limites de l’orgueil mettent le salut en danger.
Exemple
2 : « Salomon[1333] devenu vieux s’enorgueillit tant qu’il
prit 700 épouses de rang princier et 300 concubines. Salomon adora d’autres
dieux que Dieu. Yahvé s'irrita contre lui parce, dans sa gloire, son cœur
s'était détourné du Dieu qui lui était apparu deux fois. Alors Yahvé dit à
Salomon : « parce que tu t'es
comporté ainsi et que tu n'as pas observé mon alliance, je vais sûrement
t'arracher le royaume et le donner à l'un de tes serviteurs. Yahvé suscita un
adversaire à Salomon : l'Edomite Hadad, de la race royale d'Edom. » Cette façon d’agir de Dieu n’est
nullement périmée avec la venue du Messie. Lorsque Dieu rencontre l’orgueil, il
continue de le frapper.
Exemple
3 : Au VIIème siècle, en Afrique du Nord et en Asie, le christianisme était
devenu la religion d’Etat. On discutait religion comme on discute politique et
la puissance des clercs était telle qu’il arrivait souvent qu’on assassine pour
une thèse théologique. Alors Dieu divisa la puissance de la sainte Eglise, sans
pourtant lui arracher tout. A Mohamed, il donna en quarante ans la moitié du
royaume chrétien d’Orient, puis l’islam s’étant lui-même exalté d’orgueil, Dieu
fit cesser son extension. Dès le début du christianisme, saint Jean Chrysostome
affirmait : « Donnez-moi deux attelages
pour une course de chars. Que les chevaux du premier s’appellent Vérité
(christianisme) et Orgueil, ceux du second s’appellent Hérésie et Humilité. Et
bien vous verrez le second attelage remporter la victoire, non à cause de
l’erreur mais à cause de la force du cheval Humilité. » Concrètement,
il importe moins pour Dieu qu’un homme soit chrétien si, parallèlement, il se
conduit comme un égoïste ou avec la morgue d’un pharisien. C’est, semble-t-il,
l’explication de la bénédiction de l’islam par Dieu.
La
même sagesse prévalut en Occident avec la Réforme protestante face à la
puissance de la catholicité romaine. Plus récemment, on peut citer l’orgueil de
la génération de la grande guerre (1914) qui apprit l’humilité dans le sang des
tranchées, puis dans la révolte de ses petits-enfants de mai 68. Il n’en sera
pas autrement pour l’orgueil de mai 68. Certaine d’avoir trouvé plus que ses
pères la vérité, à travers la liberté et la luxure, cette génération sera
disposée au salut en comprenant son échec, avant de passer dans l’autre monde.
3. La maladie d’un individu est pour lui
d’une manière personnelle, signe de la proximité de sa propre fin qui est d’une
certaine manière la fin du monde ; mais elle l’est aussi pour tous puisque
qu’elle rappelle à l’humanité qu’elle est elle-même passagère.[1334]
4. La famine peut être spirituelle chez
ceux qui oublient Dieu ou matérielle chez ceux qui sont dans la misère. En tant
qu’elle trouve son origine dans le péché de l’homme, elle est signe du désordre
qui règne dans le monde ; En elle-même, elle manifeste à l’homme la fragilité
de sa vie terrestre et annonce sa fin prochaine et la venue du jugement
dernier.
5. La dernière génération, efféminée par le
confort, vivra ces catastrophes de manière psychologique et spirituelle, la
famine –par exemple- concernant la recherche du sens à sa vie. Or la souffrance
psychologique et spirituelle est beaucoup plus douloureuse que la famine
matérielle accompagnée d’espérance. C’est pourquoi le cœur de ces gens sera
souvent errant et douloureux. Les drogues et le suicide, qui permettent de fuir
un présent insensé, seront l’une des marques du temps de la fin.
Objections :
1. Il semble qu’on ne doit pas compter les
guerres parmi les signes de la fin du monde mais plutôt parmi ceux qui
manifestent la dureté du cœur de l’homme dont elles sont l’effet.
2. La paix civile est un fruit de la
concorde des volontés. Elle est donc un bien tant par sa cause que par ses
effets puisqu’elle permet à chacun de vivre harmonieusement. Il n’est donc pas
juste de parler de fausse paix.
3. Une fausse paix ne doit pas être
considérée comme le signe du retour du Christ. Comme on l’a vu, les signes
seront donnés à l’homme principalement pour qu’il s’amende avant qu’il ne soit
trop tard. Or la paix du monde fait oublier aux hommes l’existence de Dieu,
puisqu’ils peuvent vivre heureux sur la terre en se passant de son aide.
Cependant :
Le
Seigneur dit en saint Matthieu[1335] : «
Vous aurez aussi à entendre parler de guerres et de rumeurs de guerres :
voyez, ne vous alarmez pas, il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore
la fin ».[1336]
Et
ailleurs[1337] : «
Lorsque l’on dira paix et sécurité, c’est alors que fondra sur eux tout
d’un coup la perdition, comme les douleurs de la femme enceinte, et ils ne
pourront y échapper. » Donc...
Conclusion :
Le
mot guerre peut prendre deux significations, selon qu’elle est extérieure ou
invisible.
1° Si l’on parle des guerres extérieures,
on peut dire ceci. Il y a toujours eu des guerres et il y en aura toujours
puisqu’elles trouvent leur origine dans la convoitise du cœur de l’homme par
rapport aux biens de ce monde[1338]. Dans l’histoire de l’humanité, il y
eut un seul moment d’accalmie provisoire, lors de la naissance du Christ ;
grâce à une paix imposée par la force des armes. Mais cette paix ne fut
qu’apparente et fondée sur la puissance de l’Empire romain. Si l’on en croit
les prophéties, la guerre ira en empirant jusqu’à la fin du monde, au point de
devenir mondiale, selon l’Apocalypse[1339] : «
Des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges iront rassembler les rois
du monde entier pour la guerre. » Il
y aura, vers la fin du monde, une dernière guerre plus terrible que les autres.
Elle sera terrible par son ampleur puisqu’il semble qu’elle doive opposer le
monde séparé en deux camps[1340]. Elle le sera aussi par ses motifs
puisque celui qui la déclenchera ne visera pas seulement à imposer au monde une
suprématie politique, mais aussi une suprématie idéologique. Ce sera donc la
guerre de l’Antéchrist, comme nous le verrons plus loin.[1341] Il semble que cette dernière lutte
orchestrée par le démon et dirigée par l’Antéchrist, réussira provisoirement,
au point de faire régner sur le monde un ordre nouveau où Dieu sera absent[1342] : «
Par ses manœuvres, tous, petits et grands se feront marquer sur la main
droite et sur le front, et nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est
marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. » Il y aura donc une fausse paix, fondée sur l’ordre des intérêts
communs et non sur l’ordre de la charité. Alors le Christ reviendra dans sa
gloire, surprenant les hommes qui l’auront oublié.
2° C’est pourquoi, il faut parler vers la
fin du monde d’une absence de guerre extérieure et d’une fausse paix qui sera
en fait une autre guerre. L’Antéchrist, pour imposer son monde parfait d’où
Dieu sera absent, fera une guerre "politique" efficace à ce qui porte
le nom de Dieu. Il devra pour cela commencer par étouffer l’instinct de Dieu
qui subsiste dans tous les cœurs. Dans un monde en apparence paisible, il
règnera donc la pire des guerres puisqu’elle sera déclarée contre Dieu et l’âme
humaine.
Solutions :
1. La guerre extérieure manifeste par soi
la proximité de la fin du monde, non seulement à chaque individu qui est amené
à penser à sa propre mort[1343] mais aussi pour les nations dont le
destin dépend du sort des armes. Mais la dernière de toutes les guerres, celle
qui sera conduite par l’Antéchrist sera signe de la fin du monde jusque dans le
péché qui en sera la cause puisqu’il désirera faire disparaître de la terre
entière les religions qui adorent Dieu, pour les remplacer par le culte de la
puissance de l’homme, de la matière et du démon[1344] : «
On lui donna de mener campagne contre les Saints et de les vaincre. On lui
donna pouvoir sur toute race, peuple ou nation. Et ils l’adoreront, tous les
habitants de la terre. » Il n’est
cependant absolument pas évident, à cause des paroles mêmes de Jésus, qu’il
faille interpréter cette dernière guerre comme une guerre extérieure et armée.
En cela, les témoins de Jéhovah et les protestants fondamentalistes oublient
que les paroles de Dieu, même si elles prennent la plupart du temps un sens
matériel, sont d’abord des paroles qui concernent la lutte de la damnation et
du salut.[1345]
2. La paix civile n’est pas toujours la
paix selon Dieu. Au plan politique, elle peut être une vraie paix comme on le
vit à Babel où les hommes s’entendaient, tout en constituant un danger au plan
du salut éternel. C’est le cas lorsque les hommes, se trouvant invulnérables
grâce à la paix, se mettent à se croire quelque chose. Dans ce cas, une
certaine concorde des volontés peut exister et conduire à une paix civile, sans
pour autant mener à la vraie paix qui est fondée sur la charité. Il en sera
ainsi, grâce à des accords mondiaux, vers la fin du monde. Mais une telle paix
est fausse aux yeux de Dieu si elle conduit une génération à sa perte.
3. La fausse paix peut conduire l’homme à
oublier provisoirement l’existence de Dieu, puisque, grâce à la prospérité
matérielle qu’elle amène, elle lui permet de se passer du secours de la
Providence en ce qui concerne son être charnel. Cependant, selon qu’il est un
être spirituel, l’abondance des biens de ce monde ne peut le rassasier. Il peut
donc être amené par le vide spirituel qu’il ressent en lui, à chercher Dieu.
Cependant, une telle recherche de Dieu dans la prospérité étant exceptionnelle,
à cause de la nature sensible de l’homme, la paix extérieure n’est jamais de
longue durée. Il en sera de même pour la dernière paix, celle qui précèdera
immédiatement la venue glorieuse du Christ. Elle sera brisée par l’apparition
de signes célestes puis du signe du Fils de l’homme, qui provoqueront l’effroi
chez beaucoup et les amèneront à se convertir de leurs péchés ou, au contraire,
à s’obstiner dans leur orgueil.
Objections :
1. Selon saint Jean[1346] : «
Beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. À ceci reconnaissez
l’Esprit de Dieu : Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est
de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu, c’est là
l’esprit de l’Antéchrist. » Il y a
toujours eu des faux prophètes. On ne doit donc pas les considérer comme un
signe de la fin du monde.
2. Il semble que seul l’Antéchrist sera
signe de la fin du monde à cause de la passion qu’il fera subir à l’Église de
Dieu. On ne doit pas en dire autant des autres faux prophètes.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1347] : «
Il surgira des faux Christ et des faux prophètes qui produiront de grands
signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible même les élus. »
Conclusion :
Tout
au long de l’histoire, le Seigneur donne la possibilité à de nombreux faux
prophètes de venir. Ils reçoivent un temps et un espace limité, sauf à la fin
du monde où le dernier convaincra presque tout l’espace de la terre, pour un
certain temps.
Cette
possibilité vient de Dieu selon cet enseignement de Jésus[1348] : « Tu n'aurais
aucun pouvoir sur moi, si cela ne t'avait été donné d'en haut. » Et ceci est bon pour le salut
des hommes.
1° Pour les pervers, le fait de vivre dans l’erreur
est source de beaucoup d’autres erreurs et de souffrances qui rongent leur vie
et, par la même occasion, leur orgueil : « Voilà pourquoi, dit saint
Paul[1349], Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui
les pousse à croire le mensonge, en sorte que soient condamnés tous ceux qui
auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal. »
2° Les justes, quant à eux, en suivant sans intention
de faire le mal ces fausses doctrines, voient grandir dans leur cœur, de façon
encore inconsciente, le désir du vrai salut. Voilà pourquoi Jésus dit[1350] : « En vérité je vous le dis, beaucoup de
prophètes et de justes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu,
entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu! »
3° Quant aux saints, c’est-à-dire à ceux qui aiment
Dieu, les faux prophètes sont nécessaires pour
approfondir la qualité de leur foi. Par les enseignements qu’ils donnent, les
faux prophètes obligent l’Église à préciser le contenu du message dont le dépôt
a été confié par le Seigneur ; par la séduction qu’ils opèrent sur les esprits,
ils manifestent la fidélité de ceux qui sont prêts à tout plutôt que d’adhérer
à un autre évangile que celui du Seigneur, selon saint Paul[1351] : «
Si un ange venu du Ciel vous annonçait un évangile différent de celui que
nous avons prêché, qu’il soit anathème. »
C’est
encore pour le salut éternel du plus grand nombre que, vers la fin du monde,
Dieu laissera les hérésies se multiplier. Cela sera possible à cause de
l’action cachée du démon qui aura auparavant refroidi la charité chez le grand
nombre, selon saint Matthieu[1352]. Par ce moyen, Dieu fera grandir dans
l’âme des hommes un vide spirituel que rien ne pourra combler, sauf la Parousie
du vrai Sauveur. Quant aux prodiges qui accompagneront la prédication des faux
prophètes, ils auront leur origine dans la technique humaine ou encore dans la puissance
des démons et non dans l’action de Dieu. Il sera donc possible, à ceux qui
auront la foi, d’en déjouer la séduction.
Solutions :
1. Il peut exister deux manières de ne pas
confesser Jésus venu dans la chair :
1° Par simple ignorance, parce qu’on n’en
a pas reçu la prédication ou qu’on ne l’a pas comprise et alors on n’est
coupable de rien.
2° Par un refus de la volonté, alors même
que le message du Christ a été parfaitement manifesté, comme on le voit chez
certains prêtres du Sanhédrin qui avaient vu la résurrection de Lazare. Alors
il s’agit bien de l’esprit de l’Antéchrist, c’est à dire de celui qui s’oppose
lucidement et volontairement au Christ et à la charité. Un tel faux prophète
est signe de la fin du monde car il manifeste l’imminence du combat final opéré
par le Christ lorsqu’il séparera le méchant des bons.
2. Le dernier Antéchrist réunira par sa
doctrine l’essence de toutes les hérésies. En ce sens, il sera le plus grand
des faux prophètes. Comme les autres faux prophètes, il sera signe de la fin du
monde puisqu’il manifestera à ceux qui croient la présence cachée mais
agissante du démon qui, sentant son temps compté, s’efforce de détourner les
hommes du salut par tous les moyens.
Objections :
1. L’apostasie peut atteindre divers degrés
de gravité : On peut se retirer de Dieu en perdant la charité mais en gardant
la foi ; on peut se retirer de lui en perdant à la fois la charité et la foi ce
qui semble être la pire des apostasies puisqu’il ne reste rien de l’union à
Dieu. Il ne peut donc y avoir d’apostasie plus grande que celle là.
2. Il semble qu’une apostasie générale à la
fin du monde est peu probable, Le Seigneur annonce en effet qu’au même moment
l’évangile sera prêché à toutes les nations.
3. L’apostasie consiste, alors qu’on a
adhéré à Dieu, à le rejeter. Elle ne semble donc pas être un signe du retour du
Christ qui devrait revenir au contraire au moment où tous les hommes seront
prêts à le recevoir.
Cependant :
L’apôtre
écrit dans l’épître à Timothée[1353] : «
L’Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains renieront
la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques,
séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience. »
Conclusion :
La
charité est le lien qui maintient solidement l’édifice de la vie chrétienne.
Or, elle est une vertu théologale dont l’exercice s’entretient par la ferveur
de la prière qui unit à Dieu et de l’attention aux frères qui unit au prochain.
Lorsque la charité est forte dans le peuple, la foi est inébranlable. Mais
lorsque la charité s’attiédit, c’est l’Église tout entière qui devient
vulnérable.
Or,
d’après le Seigneur, la charité se refroidira chez le grand nombre vers la fin
du monde. La perte du sens de Dieu et du prochain aimé comme enfant de Dieu
amènera donc la perte du sens de la foi et les faux prophètes en profiteront
pour introduire leurs doctrines nouvelles. Cependant, dans la première Epître à
Timothée, l’apôtre parle de doctrines diaboliques. On peut donc penser qu’il ne
s’agira pas seulement de nouvelles hérésies concernant la foi mais aussi des
doctrines de l’Antéchrist qui s’opposeront directement à la vie de la grâce
puisqu’elles proposeront à l’homme comme unique finalité le culte de soi-même.
L’histoire de l’Église nous montre que cela s’est réellement passé ainsi,
jusqu’à la disparition de certaines chrétientés. Le premier travail du démon
pour détruire une chrétienté consiste à remplacer la prééminence des deux
commandements de la charité par autre chose : Le zèle de la vérité, la vertu,
l’obéissance, le social, la mystique etc. tout sauf ces deux commandements qui
en font un.
Solutions :
1. L’apostasie qui consiste à rejeter de
son esprit toute union à Dieu, à la fois par la charité et la foi, est la pire
qui puisse exister. Cependant, une telle apostasie ne vient jamais seule. Elle
est motivée par un amour des biens de la terre qui mène d’abord à la négligence
par rapport aux devoirs de la prière, puis à la perte du goût de Dieu et de ses
commandements. Elle ne vient pas non plus d’un coup. Dans les chrétientés, la
dégradation commence toujours par un zèle de Dieu faussé de la manière suivante
: la charité des deux commandements, insensiblement, n’est plus la fin première
de la vie. On la remplace par quelque chose qui lui ressemble. On oppose par
exemple, les deux commandements, en donnant plus de place à l’un et en
négligeant l’autre. On assiste en général, au balancement d’hésitation entre la
recherche de l’ordre et celle de la liberté. Dans les deux cas, ce n’est plus
l’Évangile qui est servi, mais sa caricature à travers des valeurs évangéliques
certes, mais dont la vie venait de la charité théologale. Alors la voie est
ouverte à d’autres décadences bien plus graves et, surtout, au rejet opposé par
les générations suivantes, des excès faits dans un sens. Au terme de cette
évolution qui peut prendre plusieurs siècles, lorsque la conversion aux biens
de la Terre est parfaite, l’apostasie trouve son achèvement dans le mépris
volontaire de Dieu.
2. L’histoire de l’Église montre que
lorsque l’Évangile devient religion officielle d’un État, la qualité de la
charité a du mal à ne pas en être affectée. La raison en est que la plupart des
hommes vivent dans le sensible. En conséquence, le sel de l’évangile s’affadit.
L’apostasie des élites peut conduire rapidement à l’apostasie des masses,
surtout si le visage de la religion apparaît déformé à cause de la tiédeur de
ceux qui la pratiquent. Dans cette situation, la prédication des apôtres porte
peu de fruits, les gens étant comme immunisés à la nouveauté du message. Nous
en avons l’exemple dans l’Évangile[1354] : «
En ce lieu, Jésus ne pouvait faire aucun miracle. »
3. Il convient que le Christ revienne à un
moment où l’humanité l’aura en grande partie oublié. De cette façon, la
grandeur de la miséricorde de Dieu sera manifestée avec puissance puisqu’il
réalise ses promesses alors que l’homme ne le mérite pas. Dieu est fidèle à son
Alliance car il aime l’homme, selon saint Paul : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous
étions encore pécheurs, est mort pour nous.
» De même, alors que l’homme sera retombé dans son péché, il reviendra et
se révèlera à lui.
Objections :
1. Il ne semble pas que l’humanité à la fin
du monde sombrera dans le péché. Au contraire, il est dit que l’Évangile sera
prêché à toutes les nations.
2. Que l’homme puisse oublier sa foi
jusqu’à apostasier est une chose mais qu’il aille jusqu’à diriger son intention
vers le péché est pire et paraît improbable pour un peuple que le levain
chrétien a longuement mûri.
3. L’Église mûrit l’humanité au point de
l’amener à une morale de vie qui est surnaturelle. Si donc le monde doit
sombrer dans le péché, cela ne viendra pas des nations chrétiennes mais
d’ailleurs.
Cependant :
Saint
Paul affirme dans la seconde épître à Timothée[1355] : «
Les hommes seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs,
rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, sans cœur, sans pitié,
médisants, intempérants, intraitables, ennemis du bien, délateurs, effrontés,
aveuglés par l’orgueil, plus amis de la volupté que de Dieu, ayant les
apparences de la piété mais reniant ce qui en est la face ».[1356]
Conclusion :
Si
l’on en croit les prophéties, la fin du monde sera précédée par des moments
difficiles. L’humanité, entraînée par l’esprit de l’Antéchrist, sombrera dans
le péché. Or, auparavant, l’histoire nous enseigne que l’humanité a connu un
état de perfection spirituelle[1357]. Aucune communauté humaine passe d’un
état où la charité est le tien social à l’état inverse, cela ne peut se faire
que progressivement. Selon Origène[1358] : «
Celui qui atteint un état de perfection de la charité ne va pas abandonner
et tomber subitement ; mais il est nécessaire qu’il descende peu à peu et
graduellement. » On peut distinguer
quatre étapes, dont trois sont déjà réalisées :
1° Ce qui est atteint en premier lieu dans
une telle dégradation, c’est le lien qui donne cohésion au tout, c’est-à-dire
la charité. C’est ce que veut dire le Seigneur quand il annonce que la charité
du grand nombre se refroidira.
Cela
peut venir d’un excès de soucis pour les plaisirs et les activités du monde qui
amènent la communauté à négliger la prière et la pratique des sacrements. C’est
ce que la Bible rapporte du peuple d’Israël qui, lorsqu’il était dans la
prospérité, était amené insensiblement à négliger le Temple. Et la somme de ces
négligences qui sont des péchés véniels en arrive à atteindre la ferveur de
l’espérance car l’homme espère moins posséder ce qu’il aime moins. Ainsi, celui
qui est tout à fait heureux oublie l’au-delà puisque la béatitude du Ciel ne
lui paraît pas désirable comparée à celle qu’il a déjà. En troisième lieu,
c’est la foi qui se trouve fragilisée puisque celui qui néglige de fréquenter
Dieu par la prière perd la confiance absolue en celui qu’il aime moins. Ainsi,
le doute peut s’introduire et par le doute, la voix des faux prophètes peut progressivement
achever l’œuvre de destruction ainsi commencée.
Mais
cela peut venir aussi de l’orgueil et de la soif du pouvoir. On met son zèle
mauvais pour Dieu, mais on ne sert en fait que soi-même. La religion devient le
prétexte pour s’imposer aux nations ou au prochain. Dans ce cas, loin de
produire des fruits de paix, l’image de la charité devient celle d’un amour
pervers et la méfiance des peuples à l’égard de la religion devient naturelle[1359].
2° C`est ainsi que, parvenus à cette
étape, l’humanité se trouve préparée à subir des attaques plus directes de la
part de l’Esprit de l’Antéchrist. De même que, chez un individu, la somme des
péchés véniels dispose au péché mortel, de même, pour une société humaine, le
démon s’efforce de totalement couper ses liens qui la maintiennent unie aux
restes de la morale et de la foi enseignée par Dieu. C’est ainsi que le démon
qui inspire les faux prophètes, s’efforçant, en premier lieu de rendre
insupportables les jougs de Dieu : la charité est présentée sous l’image de ses
caricatures comme un lien insupportable pour la vie humaine ou sous sa vraie
image comme antihumaine puisqu’elle exige de chacun qu’il soit disposé à donner
sa vie pour son prochain ; de même, la foi est rejetée puisqu’elle est
présentée comme s’imposant de l’extérieur à l’intelligence sans qu’elle soit
capable par elle-même d’en démontrer le contenu. Quant à l’espérance, elle est
présentée comme un moyen habile de faire oublier à l’homme sa misère d’ici-bas
par la présentation d’un hypothétique mirage de l’au-delà. Quand les paroles
des faux prophètes sont écoutées et acceptées par les élites, le grand nombre
suit et c’est l’apostasie généralisée.
3° Dans cet état, l’humanité est
immédiatement disposée pour entendre la prédication de divers antichristianismes,
c’est-à-dire de nouveaux évangiles qui puissent remplacer l’ancien. Plusieurs
recettes du bonheur peuvent être proposées au plan politique, selon l’état des
sociétés. Que ce soit l’argent (capitalisme, marxisme), la gloire
(nationalismes, nazisme), le plaisir (hédonisme de la consommation ou du sexe),
le point commun à tous ces Évangiles est que l’amour de soi est présenté comme
le bien qui conduit au salut de l’homme[1360]. Il s’agit du message opposé à celui du
Christ qui disait[1361] : « qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. » Car en définitive l’œuvre du démon
dans sa destruction de l’humanité consiste à créer un monde où l’amour de soi
est exalté jusqu’au mépris de Dieu. C’est ce que veut dire l’Apôtre quand il
affirme que les hommes seront égoïstes. Leurs tentatives finissent par aboutir
à une meilleure compréhension de ce qu’il convient de faire pour réussir. Un
tel monde est montré par l’Écriture d’une manière préfigurative avec la tour de
Babel[1362], qui est la construction de l’homme qui
se fait Dieu. Cependant, un tel monde fondé sur l’équilibre des individualismes
ne peut connaître qu’une fausse paix. En effet, chacun cherchant son bien
propre, s’oppose à la propre recherche individualiste des autres. Comme nous
l’avons montré, les biens de la terre sont principalement les plaisirs, les
richesses et les honneurs. C’est ce que veut signifier l’apôtre à propos de la
fin du monde lorsqu’il dit que les hommes seront amis de la volupté, cupides,
vantards et orgueilleux. Tous les autres péchés décrits par l’apôtre ne sont
que les conséquences de ces péchés principaux, car celui qui recherche un bien
d’une manière égoïste est conduit insensiblement à utiliser des moyens mauvais
comme la diffamation, la rébellion à l’autorité des parents, l’ingratitude, le
sacrilège, la dureté du cœur, le mensonge, etc.
4° Enfin, les générations passant, si l’on
en suit l’Apôtre, une dernière étape peut venir, ultime celle-là, révélant de
manière explicite dans l’humanité devenue incapable de résister, le Mystère de
l’iniquité, c’est-à-dire la présence et le motif de la révolte de Lucifer lors
de la fondation du monde. Saint Paul semble affirmer que Dieu permettra, à la
fin du monde, la prédication d’un nouvel Evangile, celui de Lucifer, à travers
un ultime Antéchrist[1363] : «
Avant la venue du Christ doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme
impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui
porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne
dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Et vous savez ce
qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment. Alors
l'Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa
bouche, l'anéantira par la manifestation de sa venue. »
Solutions :
1. Que l’Évangile doive être prêché à
toutes les nations ne veut pas dire qu’il sera accepté. De même, s’il est
accepté cela ne signifie pas qu’il sera universellement gardé. C’est ce
qu’enseigne le Seigneur par la parabole du semeur[1364] : «
La semence qui est tombée dans les épines, ce sont ceux qui ont entendu,
mais en cours de route les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie les
étouffent et ils n’arrivent pas à maturité.
» Mais cette parole peut signifier que, pour en manifester la vérité, Dieu
permettra vers la fin du monde que tout homme ait physiquement entendu prêcher
l’Évangile, grâce au travail d’un ou plusieurs apôtres médiatiques.
2. Il est vrai que la foi et la morale
chrétienne mûrissent l’humanité à cause de leur perfection. Mais elles ne
peuvent être vécues que si la charité les vivifie de l’intérieur. Quand la
charité disparaît, et avec elle la grâce efficace de Dieu, l’homme ne peut plus
vivre des exigences du Christ. C’est ce qu’on voit lorsque les États chrétiens sont
conduits par une nécessité populaire à adopter des lois qui sont moins
évangéliques mais plus adaptées à la faiblesse humaine, comme la possibilité de
divorcer, de se remarier et d’autres choses du même genre. Cependant,
l’individualisme progressant, les États peuvent être conduits à sombrer dans
une morale qui n’est plus simplement humaine, mais proprement païenne : ainsi
voit-on parfois des nations légaliser à nouveau des pratiques depuis longtemps
disparues, poussée par la nécessité populaire (élimination, par exemple, des
individus gênants comme les enfants non désirés, les handicapés, les
improductifs). Mais une telle évolution se fait progressivement. Il faut en
effet une lente préparation des esprits pour passer d’une morale chrétienne
fondée sur la charité à une morale humaine réglée par les exigences de l’amitié
ou de la justice et enfin tomber dans les excès de l’individualisme païen.
Ainsi, concernant les enfants, la pratique de l’avortement précède celle de
"l’exposition" car il faut une plus grande insensibilité pour être
capable de supprimer un être qui est déjà né.
3. La maturation apportée par l’Évangile
n’est jamais achevée tant que l’homme est sur la terre. Elle a toujours à
lutter contre quelque reste du péché. Et c’est cette maturité elle-même qui
conduit l’homme à pécher plus gravement lorsqu’il détourne son cœur des
exigences de la charité. Il le fait en effet avec plus d’intelligence et de
maîtrise de soi. C’est pourquoi saint Jean écrit à propos des antéchrists[1365] : «
Ils sont sortis de chez nous. »
On doit conclure de tout cela que la perversion qui conduira le monde au péché
viendra en premier lieu des nations chrétiennes.[1366]
Il
nous faut maintenant voir en détail les signes de la fin des fins, c’est-à-dire
ceux annoncent non seulement la fin de chaque génération mais la fin de la
dernière génération. Ils concernent d’abord les diverses religions et en
particulier le judaïsme ; ils concernent aussi l’Église catholique et les
Églises chrétiennes séparées ; ils concernent enfin la vierge Marie,
l’Antéchrist et le signe du fils de l’homme.
A
propos des différentes religions, nous verrons neuf questions :
1° Les autres religions sont-elles bonnes
?
2° Viennent-elles de Dieu ?
3° À la fin du monde, y aura-t-il d’autres
religions que celle du Christ ?
4° Y aura-t-il des signes dans les
diverses religions ?
5° La religion islamique vient-elle de
Dieu ?
6° Y aura-t-il des signes concernant
l’islam ?
7° Fallait-il que le judaïsme subsiste
après la venue au Christ ?
8° À la fin du monde, y aura-t-il des
signes concernant le judaïsme ?
9° Peut-on savoir de quelle manière Israël
se convertira au Christ ?
Objections :
1. Cela ne semble pas d’après la sagesse[1367], «
les idolâtres vont jusqu’à adorer les bêtes les plus odieuses. » C’est pourquoi ils sont qualifiés
d’insensés. Or il ne peut y avoir aucun bien dans une
religion qui adore du bois, de la pierre ou même des démons.
2. Le Seigneur dit que celui qui ne croira
pas sera condamné[1368]. Or celui qui ne croit pas au Christ
peut appartenir à une autre religion. Il ne sera donc pas sauvé. Donc une
religion qui ne mène pas au salut ne peut être bonne.
3. Les religions comme l’Hindouisme ne
peuvent être bonnes puisqu’elles adorent de multiples dieux et non le Dieu
unique. D’autre part, elles enseignent de multiples hérésies comme la
réincarnation et la loi du Karma qui plongent les hommes dans un fatalisme et empêchent
les efforts contre la misère.
4. Les religions qui prétendent remonter à
Dieu par le seul effort de l’homme ne peuvent être bonnes puisqu’il appartient
à Dieu de se révéler à qui il veut, par le don de sa grâce et de sa gloire.
Elles conduisent l’homme à la présomption puisqu’il croit pouvoir atteindre par
lui-même ce qui est hors de sa portée.
5. Etablir une hiérarchie des religions
paraît bien présomptueux et loin du jugement de Jésus lui-même qui, face aux
Docteurs arrogants montrait une femme païenne en disant[1369] : «
En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une telle foi en
Israël. »
6. L’athéisme est parfois comme une forme
de religion. Des gens croient, comme mus par une foi, que Dieu ne peut exister
puisqu’il est caché et que la mort triomphe en fin de compte. Or ces gens sont
conduits soit à vivre au jour le jour dans un bonheur immédiat, soit à être
rongés d’angoisses sur leur sort final. Donc cette forme de religion là est
mauvaise.
7. Le dernier Antéchrist établira sur terre
le culte lucide de Lucifer, comme Dieu de la liberté et de la fierté solitaire.
C’est la religion de l’enfer. Quel bien peut-il y avoir en
elle puisqu’elle conduit en enfer ?
Cependant :
Le
Seigneur dit en saint Jean[1370] : «
J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos. » Il sous-entend donc qu’il existe
d’autres enclos où ses brebis sont gardées en attendant sa venue. Donc les
autres religions ont quelque chose de bon.
Conclusion :
D’après
le concile Vatican II[1371], il existe une bonté réelle dans les
autres religions puisque les hommes « en
attendent la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier
comme aujourd’hui troublent leur cœur. » On
peut établir d’une certaine manière une hiérarchie entre les religions en
fonction de ce qu’elles enseignent du mystère de Dieu, et de la proximité
qu’elles permettent avec Dieu. Ce sont ces deux critères, en effet, qui
rendent, en soi, une religion supérieure à une autre. Il convient de remarquer
que ce critère ne signifie pas que les membres de cette religion supérieure en
soi sont plus grands aux yeux de Dieu parce qu’ils appartiennent à cette
religion. Dieu juge le cœur des hommes et un païen humble est plus grand à ses
yeux qu’un chrétien pervers.
1° Le degré le plus bas des religions se
trouve dans les sectes, c’est-à-dire dans ces religions dont le chef se fait
Dieu, allant jusqu’à confisquer le libre arbitre de ses fidèles. Toutes les
religions, et même les sectes, ont en commun le sens de l’existence de quelque
chose qui dépasse l’homme et peut le sauver de la mort. En ce sens, toutes ont
un fondement qui est bon puisqu’il répond à la soif naturelle de l’homme vers
l’éternité.
2° Ce sens du sacré qui demeure à travers
toutes les religions peut être perverti et conduire à l’adoration de réalités
qui ne sont pas Dieu comme on le voit dans l’idolâtrie ou dans le culte des
esprits. Les anciennes religions liées à la sorcellerie et les sectes rendent
l’homme esclave. Mais elles gardent au plan du salut deux vestiges du bien : En
maintenant l’homme en esclavage, elles le disposent à se tourner avec joie vers
la liberté de l’Esprit quand elle sera révélée. D’autre part, elles lui
apprennent à se garder de l’orgueil face à la puissance de forces qui les
dépassent. C’est ainsi que Dieu permet l’existence provisoire de certaines
sectes idolâtres.
3° Bien au-dessus de ces idolâtries, on
peut classer les panthéismes. Le sens religieux de l’homme peut le conduire à
une recherche plus affinée, exprimée à travers un langage plus élaboré.
Certaines religions, sans comprendre l’existence d’un Dieu personnel, n’en ont
pas moins deviné la grandeur du transcendant. Ainsi, « dans l’Hindouisme, les
hommes scrutent le "mystère" et l’expriment par la fécondité
inépuisable des mythes et par les efforts pénétrants de la philosophie ; ils
cherchent la libération des angoisses de notre condition, soit par les formes
de la vie ascétique, soit par la méditation profane, soit par le refuge en Dieu
avec confiance et amour. Dans le Bouddhisme, selon ses formes variées, l’insuffisance
radicale de ce monde changeant est reconnue et on enseigne une voie par
laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir l’état
de libération parfaite ou encore atteindre l’illumination suprême par leurs
propres efforts ou par un secours venu d’en haut".[1372] Ces religions sont grandes et protégées
par Dieu car elles disposent leurs fidèles au salut en leur apprenant une
humilité et une droiture volontaire.
4° Elles ont le défaut de ne pas connaître
l’existence du Créateur et son salut. C’est pourquoi, leur est supérieure la
religion naturelle qui trouve son origine dans la découverte personnelle, à
partir de l’ordre étonnant de l’univers, de l’existence d’un Créateur. Ainsi
les philosophes Platon, Aristote, et même Albert Einstein furent-ils conduits à
contempler l’Être Premier dans sa simplicité, sa perfection et sa bonté.
5° Au-dessus, on trouve des religions qui,
ne s’appuyant pas sur la seule raison, dépassent certaines obscurités
inaccessibles. Elles cherchent et proposent quelque explication aux mystères
comme la souffrance et le silence de Dieu. Toutes ne sont pas révélées,
beaucoup sont un mixe d’inspirations divine et d’inventions imaginaires. La
religion de l’Égypte antique, par exemple, au moins dans sa conception sacerdotale
et avant sa décadence en superstition, allait jusqu’à comprendre l’existence
d’une rétribution après la mort pour les actes commis (paradis et enfer), d’un
jugement dernier à la mesure de la droiture du cœur (Maât). Parmi ses dieux multiples, l’imitation d’Osiris et d’Isis à
travers leur amour, la passion et la résurrection d’Osiris, n’était pas sans
rappeler certains aspects du mystère du Christ et de la Vierge. Elle n’est pas
la seule.
6° Au-dessus, enfin, on trouve les trois
religions issues d’Abraham, l’homme qui eut la première Révélation sur le
mystère de Dieu. Elles sont essentiellement le judaïsme qui adore Dieu comme
celui qui est, le Dieu transcendant et unique qui s’engage à conduire
l’humanité vers un salut éternel, grâce à la promesse d’un Messie ; l’islam qui
adore le Dieu unique et miséricordieux qui a parlé en dictant son message à un
prophète. Le Dieu d’Abraham est adoré comme le créateur et aimé comme le
miséricordieux. Mais aucune de ces deux religions n’ose parler de la possibilité
de devenir l’ami
De
manière personnelle et à travers sa fréquentation familière (Agape) de Dieu.
Elles arrêtent leur amour, par respect pour la transcendance, à la vénération
que peut avoir le serviteur devant son maître.
7° C’est pourquoi, au sommet de toutes les
religions de cette terre, le catholicisme et l’orthodoxie, et probablement la
Réforme telle que la pensa Luther[1373] confessent la possibilité d’un amour
réciproque, celui d’une créature libre et active qui peut répondre d’égalité à
l’amitié du Créateur, dans une intimité due à la communion de la grâce.
Catholicisme et orthodoxie ont gardé intact la finalité du salut, qui est l’amitié – au sens actif et concret- non
seulement avec Dieu, mais avec l’Eglise des saints du Ciel. Le catholicisme n’a
de supérieur aux autres chrétientés que le maintient de la totalité des moyens passagers du salut : 1° les sept aides sacramentelles, 2° le Magistère infaillible de Pierre
dans le domaine de la doctrine du salut, 3°
l’aide concrète et active des saints du Ciel, inaugurée à la croix par le « oui » de la vierge Marie – co-rédemption-, qui scella l’alliance
nouvelle.
On
doit donc s’efforcer de reconnaître ce qui est vrai et saint dans les
religions, même si les manières d’agir et de vivre, les règles et les doctrines
diffèrent beaucoup de ce que l’Église enseigne et propose. Cependant, malgré
ces rayons de la vérité qui sont présents dans les religions, l’Église croit
avec raison et est tenue d’annoncer sans cesse que c’est le Christ seul qui est
"le chemin, la vérité et la vie".[1374]
Solutions :
1. Les idolâtres font de statues de pierre
ou de bois, fabriquées par leurs soins, leurs dieux. Les adorateurs du démon
subissent la tyrannie des esprits mauvais qui les maintiennent sous l’esclavage
des superstitions. Ces religions sont donc mauvaises puisqu’elles soumettent
l’homme à quelque chose qui lui est inférieur. On doit donc s’efforcer d’en
libérer leurs adeptes par un enseignement qui manifeste la vanité de ces dieux
et par la prédication de la religion du vrai Dieu. Cependant en tant qu’il
demeure par elles une certaine sensibilité à cette force cachée qui est
présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, il existe
dans le paganisme une certaine bonté qui est un vestige du Verbe éternel
illuminant tous les hommes.
2. Les religions ne peuvent en elles-mêmes
apporter le salut aux hommes puisque seul Dieu fait homme peut introduire dans
la vie éternelle. Cependant, par la bonté qui est en elles, elles peuvent disposer favorablement le cœur de
l’homme à recevoir la prédication de l’Évangile du Christ, soit par la parole
des apôtres missionnaires, soit par Jésus lui-même au moment de la mort. C’est
de la même façon que le judaïsme, sans introduire dans le salut, disposait les
hommes à le recevoir. Quant aux hommes dont parle l’objection, ce sont ceux qui
méprisent la parole de Jésus alors même qu’ils savent qu’elle vient de Dieu, ce
qui est le péché contre le Saint Esprit dont nous avons parlé.
3. À travers les multiples dieux des
polythéismes peut demeurer quelque chose de l’essence de l’unique Dieu et de
ses attributs principaux. De même les erreurs théologiques présentes dans
l’hindouisme disposent malgré tout au développement d’un sens de l’humilité
(kénose) de la condition humaine pécheresse, ce qui est essentiel comme disposition au salut éternel.
4. Le désir qui fait chercher Dieu vient
lui-même de Dieu. Ainsi l’effort du philosophe qui établit l’existence d’un
Être Premier et celui de l’ascète qui essaie de s’unir à lui, est bon. La
présomption est autre chose : Elle consiste à mépriser toute aide surajoutée
par Dieu, même quand elle est proposée durant la vie ou à l’heure de la mort.
Au contraire, Dieu aime la bonne volonté des volontaristes. Il la taille en la
laissant s’user dans la faiblesse des résultats, jusqu’au jour où, quand il se
révèle, il sait être accueilli avec soulagement par le chercheur.
5. Une religion peut être regardée de deux
manières : en soi et à travers ses membres. En soi, une religion est d’autant
plus grande qu’elle s’approche du vrai Dieu, de son humilité (kénose) et de son
amour d’amitié (Agape). Selon ses membres, une religion sera d’autant plus
grande aux yeux de Dieu que ses membres seront humbles et assoiffés d’amour.
Face à la parousie du Messie, c’est cet ordre là qui plaît à Dieu. Dans sa vie
apostolique, Jésus ne cessait de distinguer ces deux niveaux puisqu’il disait à
la Samaritaine[1375] : «
Le salut vient des Juifs »,
montrant la supériorité du judaïsme, tout en disant à ses disciples[1376] : «
Méfiez-vous du levain des pharisiens
», manifestant l’infériorité personnelle de beaucoup des docteurs du
judaïsme de cette époque.
6. L’athéisme est en lui-même un mal
puisqu’il prive totalement l’homme de la connaissance de la cause et du
Principe qui pourrait donner sens à sa vie. Cependant et par accident, il n’est
permis voire voulu par Dieu que parce qu’il peut produire un bien plus grand :
en coupant l’homme de ses racines et de sa fin, il produit un feu, qui comme
dans un purgatoire de silence, creuse le désir inconscient d’un salut. Saint
Augustin exprime l’effet de cet amour de Dieu non encore conscient de lui-même
dans ses Confessions : « Avant de te connaître, je t’ai aimé. » Cet
amour vient de l’essence de l’âme humaine qui est, par nature, faite pour
recevoir la grâce sanctifiante puis la gloire. Lorsque le Seigneur paraît, le
manque spirituel trouve donc son explication lucide et ceux qui sont de bonne
volonté se mettent à aimer, tel des ouvriers de la onzième heure, Celui qu’ils
attendaient sans le deviner.
7. On peut raisonner de la même manière
pour la religion du dernier Antéchrist. Elle est mauvaise dans la proposition
du faux Dieu qu’elle donne. Mais elle ne pourra apparaître qu’à cause d’une
racine bonne dans l’âme humaine -la soif pour un salut-. Elle sera permise par
Dieu car elle produira accidentellement un effet positif : ne comblant pas
l’esprit humain qui est fait, par sa nature et l’orientation de la syndérèse,
pour le vrai Dieu, elle n’en manifestera que davantage la grandeur de
l’apparition glorieuse du Messie.
Objections :
1. Cela ne semble pas. La sagesse montre en
effet comment naît le paganisme[1377]. « Voici
un bûcheron : il prend un bois tordu et tout en nœuds. Il le prend et le
sculpte avec l’application des heures de loisir, il lui donne figure humaine.
Puis il lui fait une habitation convenable, le place dans un mur et l’assure
avec du fer pour qu’il ne tombe pas. Puis, s’il veut prier pour ses biens, son
mariage, ses enfants, il ne rougit pas d’adresser la parole à cet objet sans
vie. » Donc l’idolâtrie vient des
hommes.
2. Après le péché originel, l’homme a été
livré au pouvoir du démon. C’est pourquoi certains se sont mis à adorer des
idoles qui leur répondaient par l’action cachée des démons. Il semble donc que
les diverses religions viennent du démon.
3. D’après le philosophe Feuerbach le désir
naturel présent au fond du cœur de l’homme le pousse à inventer l’existence
d’un Dieu infini et immortel sur lequel il projette ses idéaux inconscients. Or
ce Dieu n’est autre que le Dieu des chrétiens. En effet, que désire plus
l’homme que l’idéal d’un paradis de Lumière et d’amour avec sa famille ? Donc
on ne doit pas dire que la religion du Christ vient de Dieu.
4. L’Écriture Sainte rapporte que bien des
révélations furent données par les bons anges aux nations païennes. Ainsi le
pharaon reçut-il l’annonce de la grande sécheresse qu’allait subir pendant sept
ans son pays[1378]. De même on rapporte que la Pythie de
Delphes reçut de nombreux oracles sur la venue prochaine du Christ. Donc les
diverses religions viennent des bons anges.
5. Le Seigneur dit à propos des brebis qui
ne sont pas dans l’enclos de l’Église[1379] et qui sont donc dans d’autres
religions : « Celles-là aussi il faut
que je les mène et elles écouteront ma voix, et il y aura un seul troupeau un
seul pasteur. » Le Seigneur ne veut
donc pas qu’il y ait d’autres religions que la sienne. Donc les autres
religions ne viennent pas de Dieu.
Cependant :
Dieu
est cause première des désirs de l’homme. Or l’homme est par nature un être
religieux. Donc les religions ont leur origine première en Dieu.
Conclusion :
Pour
discerner l’origine des multiples religions du monde, il faut considérer deux
choses :
1° Ce qu’elles ont de commun, et qui est
une recherche de ce qui est au-dessus de l’homme.
2° Ce qui les différencie et qui est la
forme particulière de chacune d’elles.
Si
l’on regarde ce qu’elles ont de commun, alors on doit dire que toutes les
religions ont leur origine première en Dieu. En effet, c’est Dieu qui a créé
l’homme et est cause première du désir naturel de son âme qui le pousse à le
rechercher. Et ce désir naturel de Dieu qui est fondé dans un habitus entitatif
de l’âme, fait que l’homme est par nature un animal religieux. Il ne trouve de
repos quant à son esprit que lorsque son intelligence connaît la Vérité
éternelle et lorsque sa volonté adhère au Bien absolu.
Si
l’on regarde maintenant les diverses manières par lesquelles l’homme s’efforce
de satisfaire son appétit religieux, alors on doit parler autrement. Si l’on en
croit les Écritures, l’homme et la femme reçurent au jour de leur création, la
révélation du Dieu unique dont ils connurent d’une manière contemplative les
attributs principaux. Cependant, après le péché originel, le sens de la
présence de Dieu disparut peu à peu, étouffé par les soucis du monde et par les
péchés actuels. L’humanité éprouva donc les tiraillements du désir spirituel.
L’intelligence des hommes ne trouva plus de réponses aux questions fondamentales
: - Qu’est ce que l’homme ? - Quel est le sens et le but de sa vie ? - Qu’est
ce que le bien, qu’est ce que le péché ? - Quels sont l’origine et le but de la
souffrance ? - Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? - Qu’est ce
que la mort et ce qui la suit ? L’intelligence de l’homme n’étant plus
éclairée, l’existence humaine fut soumise à l’angoisse qu’est la peur d’un mal
possible et futur dont on ne connaît pas la nature et qui s’incarne en premier
lieu dans la peur de la mort. C’est pourquoi, étant à la recherche d’un certain
repos, et pour se rassurer, l’homme se donna à lui-même divers dieux
immédiatement adaptés à sa sensibilité. C’est ce qui est signifié dans le livre
de l’exode[1380] : «
Aaron fit fondre l’or dans un moule et en fit une statue de veau. Alors ils
dirent : Voici ton Dieu, Israël, celui qui t’a fait sortir du pays d’Égypte. »
Dans
un second temps, parce qu’il s’affinait et se cultivait, l’homme ne put plus se
contenter de réponses aussi grossières. Cherchant une réponse plus
satisfaisante aux questions de l’existence, il fit des puissances de la nature
-comme les astres du ciel et les esprits angéliques- ses dieux, à cause de
l’efficacité qu’ils manifestaient sur sa vie.
Dans
un troisième temps, et pour expliquer l’origine de l’existence de ces divers
dieux qu’il s’était donné, l’homme construisit des explications en se servant
de son imagination ou encore des enseignements des esprits. C’est ainsi
qu’apparurent le foisonnement des mythologies, où les dieux sont présentés et
adorés comme des hommes supérieurs. Il y eut même quelques hommes pour inventer
l’existence d’un Dieu unique, créateur des autres dieux.
De
ce qui précède, on doit conclure que les religions qui adorent des idoles, des
puissances de la nature ou des dieux mythiques, ont leur origine dans l’homme,
à cause de son désir religieux naturel ou encore dans les démons qui s’appuient
sur ce désir pour se faire adorer eux-mêmes comme Dieu.
D’autres
hommes cependant, s’efforcèrent de chercher s’il existait réellement un absolu
capable de donner sens à la vie humaine, sans se laisser emporter par les
aveuglements de la passion. Par le raisonnement, ils remontèrent
progressivement à l’existence d’un Dieu unique, Créateur du Ciel et de la terre
et source de l’immortalité de l’âme. C’est ainsi qu’apparurent les religions
philosophiques. De telles religions ont leur origine à la fois dans l’homme
dont l’intelligence a la capacité naturelle de découvrir l’existence de Dieu
selon les paroles du Concile Vatican I, et de Dieu qui éclaire de sa lumière
toute recherche sincère.
Enfin,
il existe certaines religions dont l’origine est en Dieu seul, en tant qu’il
prend l’initiative de se révéler à l’homme. Telle est la religion d’Abraham qui
se soumit à la parole d’un Dieu encore inconnu ; Telle est aussi la religion
juive fondée sur la parole communiquée à Moïse et la religion chrétienne
révélée par Dieu en tant qu’il s’est fait homme.
Solutions :
1. Comme on l’a dit, l’idolâtrie a son
origine dans le désir de l’homme qui fuit le mal de la peur. Elle est une
perversion d’un désir religieux naturel qui vient de Dieu.
2. Il est vrai que le démon profita de la
faiblesse de l’homme pour lui révéler diverses religions dont il se faisait
lui-même Dieu, espérant ainsi conduire plus efficacement le plus grand nombre à
la perte. C’est ce que montre l’Écriture quand elle décrit les cultes dépravés
offerts par les Syriens aux dieux Baal ou Astarté. Cependant, on doit admettre
que cette faiblesse trouvait son origine première dans l’absence du vrai Dieu
qui, à l’époque, cachait sa présence et laissait vide le cœur de l’homme.
3. L’homme n’étant pas cause de lui-même,
il est impossible que le désir naturel qui le pousse vers le Dieu unique et
transcendant vienne de lui. Il vient donc de celui qui est cause de sa nature
et de l’existence de l’humanité tout entière, c’est-à-dire Dieu. Quant à
l’argument de Feuerbach, on peut le retourner de cette manière : comme
l’existence d’un appétit naturel n’est jamais vaine, on peut dire que le désir
naturel de Dieu est signe de l’existence de Dieu.
4. Parmi les mythes innombrables des
religions antiques, certains ont des fondements historiques. C’est ainsi que
presque toutes les traditions parlent du terrible déluge subi par l’humanité
dans le passé ; D’autres annoncent ou préfigurent les mystères divins. Ceux-là
peuvent être considérés comme en partie inspirés par les anges du Seigneur.
Cependant, il est difficile de les séparer des ajouts de l’imagination humaine.
5. Les autres religions, y compris le
judaïsme, ne sont que des dispositions qui doivent conduire les hommes à
recevoir ce qu’elles espèrent, c’est-à-dire le Salut de Dieu.
La
religion du Christ, bien qu’elle soit la seule à permettre dès cette terre un
cœur à cœur avec Dieu (ce qui est déjà le salut) disparaîtra aussi sous sa
forme passagère. Cela se produira en deux étapes : 1- d’abord, à l’heure de la
mort, parce que Dieu se montrera dans son humanité glorieuse. A cette heure-là,
il n’y aura plus qu’une seule religion, celle du Christ glorieux, parce que
chaque homme recevra ou rejettera son apparition dans les Nuées du Ciel ; 2-
Enfin, lorsque Dieu se montrera sans voile sous la forme de sa divinité. Alors
il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.
Objections :
1. Il semble que toutes les religions
auront disparues pour laisser place à l’unique religion du Christ, selon Jean[1381] : «
Il y aura un seul troupeau un seul pasteur. »
2. Selon l’Apocalypse[1382] : « On donna à la Bête le pouvoir de mener campagne contre les
saints et de les vaincre ; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue
ou nation. » Il semble donc, que vers
la fin des temps, le démon et l’Antéchrist s’attaqueront à tout ce qu’il y a de
saint dans les religions du monde et réussira. Donc il ne subsistera pas de
religion en dehors de celle du Christ qui résistera selon le Seigneur « les portes de l’enfer ne
l’emporteront pas contre elle »[1383].
3. Lorsque le Christ viendra dans sa
gloire, l’Évangile aura été prêché à toutes les nations, selon ce qui est écrit[1384]. Il n’y aura donc pas d’autres
religions que celle du Christ.
Cependant :
Le
Seigneur a dit à ses apôtres[1385] : «
En vérité, je vous le dis, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël
avant que le Fils de l’Homme ne vienne. »
Il semble donc qu’il restera encore des hommes qui pratiqueront d’autres
religions.
Conclusion :
Lorsque
le Christ reviendra, il semble qu’il subsistera encore d’autres religions que
celle qu’il révéla aux hommes. Et on peut en donner plusieurs arguments, bien
qu’il soit impossible de conclure d’une manière définitive en ces matières qui
relèvent essentiellement de l’ordination de Dieu.
1° La première raison est le cœur de
l’homme qui, tant qu’il vit sur terre, est incessamment tenté par l’orgueil.
Ainsi, un succès universel du catholicisme sur terre provoquerait très vite un
orgueil civilisationnel total chez les catholiques, avec toutes les
conséquences qu’on connaît : arrogance, violence, persécution de ceux qui
pensent autrement. C’est pourquoi le Seigneur ne promet le succès universel de
son message que dans l’autre monde, lorsque le cœur de l’homme aura été rendu
humble de manière stable.
2° Seconde raison : ici-bas, de même
que le levain de l’évangile ne finit jamais de transformer le cœur d’un homme,
mais garde toujours quelque chose à convertir en nous, de même il ne peut
jamais exister une communauté humaine pleinement gagnée au Christ. C’est ce que
montre le livre de l’Apocalypse, dans la lettre aux sept églises[1386] : Le Seigneur trouve à chacune un
reproche ou une recommandation. Et il est nécessaire qu’il en soit ainsi car
l’amour de la charité ne doit jamais s’arrêter dans sa lutte contre les restes
du péché sans quoi il court le risque de s’attiédir. De même, il est convenable
que le zèle apostolique des chrétiens soit sans cesse excité par l’existence
des non-chrétiens car l’Église, quand elle oublie les exigences missionnaires
données par le Seigneur, s’affadit dans son élan vers le Royaume des cieux. Il
demeurera donc toujours des religions différentes de celle du Christ.
3° Enfin, comme nous l’avons montré, il y
aura vers la fin du monde un attiédissement de la charité chez le grand nombre,
suivi d’une grande apostasie et d’un retour des péchés des nations antiques. Or
l’expérience montre que lorsque l’homme oublie le Dieu unique, il cherche à
combler son désir religieux naturel en se façonnant d’autres dieux. Ainsi le
peuple Hébreu retournait-il sans cesse "à ses prostitutions avec les
idoles" selon Ezéchiel[1387]. On peut donc penser que, vers la fin
du monde, les hommes ne se contenteront pas du monde individualiste et
matérialiste mais que l’Antéchrist leur proposera une nouvelle religion apte à
combler leur soif de survie après la mort, selon l’Apocalypse[1388] : «
Les hommes ne renoncèrent même pas aux œuvres de leurs mains : ils ne
cessèrent d’adorer les démons. Ces idoles d’or et d’argent, de bronze et de
bois. » Il se pourrait, si l’on suit
saint Paul[1389], que l’Antéchrist propose la vie éternelle
à travers la religion de Lucifer, l’ange qui exaltait la dignité et la liberté
plutôt que l’amour et l’humilité (kénose).
Solutions :
1. À la fin du monde, lorsque le Christ
reviendra dans sa gloire, il illuminera les hommes de la révélation de son salut
et tous les élus seront réunis dans la Cité Sainte, que la gloire de Dieu
illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière. Ainsi, il n’y aura
plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur. Mais, auparavant, il convient
qu’il demeure diverses religions comme on l’a montré.
2. La puissance de l’Antéchrist et de ses
armées peut vaincre les religions selon leurs institutions extérieures. Mais il
ne peut arracher totalement du cœur le désir intérieur infusé par Dieu et qui
pousse à adorer en secret ce qu’on ne peut adorer ouvertement. Et si l’on
objecte qu’il peut arriver par ses séductions à utiliser ce désir naturel en
faisant que l’homme adore les biens de ce monde ou encore les démons, on doit
répondre qu’un tel culte, à cause de son caractère insatisfaisant, ne peut
séduire tout le monde, selon Ezéchiel[1390] : «
Ainsi parle le Seigneur Yahvé : bien que j’envoie mes quatre fléaux
terribles, épée, famine, bêtes féroces et peste, vers Jérusalem pour en
retrancher bêtes et gens, voici qu’il s’y trouve un petit reste de survivants. »
3. Selon le Seigneur[1391]: « Les
apôtres seront haïs de toutes les nations à cause de son nom et beaucoup
succomberont. » Il semble donc que,
si l’évangile doit être prêché partout, il ne sera pas accepté partout.
Objections :
1. Cela semble improbable : ceux qui
ignorent complètement l’existence du Christ ne peuvent en aucune façon recevoir
des signes de son retour. Il ne convient donc pas qu’il y ait des signes dans
les religions païennes.
2. Le signe principal de la venue du Christ
sera apporté par les apôtres de l’Église qui prêcheront dans toutes les
nations. Il semble donc qu’il est inutile qu’il y ait des signes à l’intérieur
même des diverses traditions religieuses du monde.
Cependant :
Ninive
la païenne fut avertie de se convertir à la voix du prophète Jonas. Il semble
qu’il en sera de même pour toutes les races de la terre à la fin du monde.
Conclusion :
Comme
on l’a dit, il convient que tous les hommes soient avertis d’une manière ou
d’une autre de leur fin prochaine et de la nécessité qui leur incombe de se
convertir. Ainsi Dieu adapte-t-il ses signes à la façon de penser de chacun.
Aussi donna-t-il aux mages de Chaldée qui étaient habitués à scruter les
étoiles, un signe astral par la création d’une nouvelle étoile qui se déplaçait
pour les conduire vers le Messie.
De
même à la fin des temps, les adeptes des diverses religions seront avertis par
la réalisation de certaines prophéties contenues dans leurs traditions. Ces
prophéties et ces signes leur auront été préalablement donnés par
l’intermédiaire du ministère des anges dont le rôle est de veiller sur toutes
les nations de la terre.
Il
existe des exemples modernes de ce genre de prophéties. Ils se multiplieront au
temps de la fin. Les Incas du XVIème siècle reçurent semble-t-il
jadis une prophétie à la fois proche de la réalité et trompeuse[1392] : «
Des dieux portant la barbe, montés sur de grands cerfs viendront de
l’Orient et apporteront le salut. »
Lorsqu’une armée de 200 espagnols apparut, il semble qu’ils crurent un temps
être face à la réalisation de ce texte. Les Indiens d’Amérique du sud sont
heureux d’avoir reçu le christianisme. Ils ont été délivrés à la fois des
sacrifices humains et du culte des démons. Mais le dieu de Pissarro était l’or.
Caché dans ce sillage de sang, le Christ se donna aux indiens. La prophétie se
réalisa spirituellement à la lettre mais, politiquement, elle aboutit à la
ruine d’une nation, donc à son humiliation en vue de son salut.
Solutions :
1. Ce qui est commun à toutes les
religions, c’est selon l’épître aux Hébreux[1393] « que
Dieu existe et qu’il se fait rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Et cela peut être considéré comme une
foi implicite, dans ce sens que, lorsque la révélation leur sera donnée par le
Christ, ils y adhéreront explicitement. Il peut donc y avoir dans les religions
païennes des signes donnés par Dieu ou les anges, de la fin du monde et du
jugement.[1394]
2. La prédication des apôtres constituera
un grand signe pour les nations du monde entier. Cependant, elle ne sera pas
suffisante pour ceux qui ne recevront pas leurs paroles comme une parole de
Dieu. Il convient donc qu’ils soient avertis par des
moyens adaptés à leur sensibilité.
Objections :
1. Cela n’est pas possible. L’islam
enseigne en effet des hérésies concernant en particulier le mystère de
Jésus-Christ dont la divinité est niée explicitement. Or Dieu qui ne trompe
personne, ne peut avoir dicté dans le Coran quelque chose de faux.
2. L’islam s’est implanté dans des nations
qui avaient été originellement gagnées au Christ, supprimant les Églises
patriarcales en convertissant ses fidèles. Dieu ne peut avoir béni un tel
désastre pour son Évangile.
3. D’après saint Jean[1395], «
le voilà l’Antéchrist : il nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils ne
possède pas non plus le Père. » Or
l’islam nie que Dieu ait un Fils donc il vient de l’Antéchrist.
4. L’islam prêche la guerre sainte qui lui
permet d’implanter ses croyances par la force. Or Dieu ne convertit personne
par la force. C’est plutôt la méthode du démon selon l’Apocalypse[1396] : «
Nul ne pourra rien acheter ni vendre s’il n’est marqué du nom de la Bête. »
5. L’histoire de l’Église montre qu’il y a
toujours eu des rivalités et des luttes entre les chrétiens et les musulmans.
Ainsi les papes durent-ils lever de nombreuses croisades. Ce qui n’aurait pas
eu lieu si l’islam venait de Dieu.
6. Les musulmans refusent le mystère de la
charité qui fait de l’homme un ami et même un époux de Dieu. Or, celui qui
n’aime pas Dieu ne peut entrer dans la gloire. Donc l’islam est une religion
mauvaise.
Cependant
:
Le docteur de la loi Gamaliel, qui était un sage, disait
aux membres du Sanhédrin à propos de l’Église qui venait de naître : « Ne vous occupez pas de ces gens-là,
laissez-les. Car si leur propos ou leur œuvre vient des hommes, il se détruira
de lui-même. Mais si vraiment il vient de Dieu, vous n’arriverez pas à le détruire.
Ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » Attention
donc, dans ce débat théologique, aux passions politiques. Ce dont nous parlons
ici, c'est du salut éternel.
Conclusion :
À
propos de l’origine de l’islam, on serait, en tant que chrétien, tenté
de répondre de manière simple et définitive : « non. Il n’a pas de rapport avec Dieu. » Comment Dieu pourrait-il enseigner quelque chose de faux ? Dieu
pourrait-il livrer des pans entiers de la chrétienté à une telle chute de
civilisation ? Cependant, nous allons le voir, une réponse plus nuancée semble
s'imposer. Comme dit saint Paul (Romains
11, 33) : « Dieu est un abîme de richesse et nul n'a
saisi la profondeur de ses voies." Car son seul
but n'est pas la victoire, ici-bas, mais le salut très concret, dans
l'éternité, du plus grand nombre de ses enfants bien-aimés, quelque soit le
troupeau provisoire où il vit ici-bas.
Pour
répondre à la question de l’origine de l’islam, il est très difficile d’être
absolument concluant car l’Écriture Sainte et le Magistère de l’Église ne
donnent pas d’enseignements définitifs sur ce point. Cependant, depuis le
concile Vatican II, l’Église a reconnu la riche valeur de la foi et de la
morale musulmane. Donc, il convient d’avoir une attitude d’écoute humble et
d’ouverture.
Il faut donc s’efforcer de voir s’il
existe des prophéties bibliques à propos de cette religion et si l’islam se
reconnaît dans ces prophéties. Or il est remarquable de constater que la
référence première des musulmans est le patriarche Abraham, et ils désirent se
soumettre à Dieu comme lui-même s’est soumis. Ils se disent Fils d’Abraham en
Ismaël. C’est donc du côté des promesses faites à
Abraham qu’il faut chercher.
L’Écriture
Sainte nous rapporte qu’Abraham a eu deux fils et c’est par ces deux fils que
fut réalisée la promesse faite par Dieu de multiplier à l’extrême sa
descendance, au point de la rendre nombreuse comme les étoiles du Ciel[1397]. Le premier fut appelé Ismaël et fut
conçu sans que Dieu en prenne l’initiative, mais par la volonté d’Abraham et de
Sara qui pensaient ainsi faire sa volonté. Il fut donné à Abraham par
l’intermédiaire d’une servante égyptienne nommée Agar. Le second fils, appelé
Isaac, fut annoncé par Dieu lors de son apparition au chêne de Mambré sous la
forme de trois personnes. Il fut conçu par la femme libre d’Abraham,
c’est-à-dire par Sara. Et Dieu dit à propos d’Isaac et d’Ismaël[1398] : «
C’est par Isaac qu’une descendance perpétuera ton nom mais du fils de la
servante je ferai aussi une grande nation car il est de ta race. » Il y a là une allégorie qui concerne
les deux religions issues du Judaïsme, à savoir l’islam et le christianisme. En
effet, le christianisme fut créé immédiatement par Dieu et reçut la révélation
au Mystère de la Trinité symbolisé au chêne de Mambré par les trois personnes
qui étaient un seul Dieu. Les chrétiens sont appelés enfants de Dieu puisqu’ils
sont issus d’Abraham à travers son épouse sans passer par la servante. Quant à
l’islam, si on en croit cette prophétie il vient de l’initiative des hommes
mais Dieu le bénit après coup et le rendit extrêmement fécond à cause de la foi
que professait sa théologie, suivant en cela la conviction d’Abraham. Les
musulmans se nomment les serviteurs de Dieu, ce qui est symbolisé par leur mère
qui est l’esclave égyptienne Agar. Donc, d’après cette prophétie biblique,
l’islam, même s’il vient d’une initiative humaine, est béni après coup par
Dieu.
Solutions :
1. Il est vrai que l’islam enseigne des
choses parfois insuffisantes et souvent fausses sur le mystère du Christ, de la
Trinité et de la charité. On peut dire avec certitude que cette religion n’a pu
être directement dictée par Dieu, quoiqu’en dise Mohamed. Cependant, les
musulmans vénèrent Jésus comme prophète purement humain et ils pensent qu’il
est le Messie annoncé par Dieu. Ils honorent sa mère virginale, Marie, et
parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le retour du Christ
et le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Ils sont
donc disposés à accueillir favorablement la plénitude de la révélation
chrétienne, lorsqu’elle leur apparaîtra à fin du monde, leur proposant de ne
plus être de simples serviteurs, mais des amis.
Et
le fait que l’islam n’a pas son origine première en Dieu ne signifie pas qu’il
n’a pu être béni par la suite. Au contraire, comme le montre l’histoire
d’Ismaël, il est convenable de penser que cette religion a été bénie à cause
d’Abraham, c’est-à-dire à cause de sa foi très pure dans le Dieu un, vivant et
subsistant, miséricordieux et tout puissent, créateur du Ciel et de la terre,
qui a parlé aux hommes.
2. Dieu peut parfois bénir ce qui apparaît
à un regard superficiel comme un désastre, à cause d’un bien plus profond qu’il
en fait sortir et qui a rapport avec le salut éternel des hommes. Or, comme le
rapporte l’histoire, l’Église chrétienne, au moment de la naissance de l’Islam,
dans sa partie située en Orient, s’enlisait dans des discussions théologiques
sans fin qui avaient abouti à l’apparition de multiples hérésies et schismes.
De plus, étant la religion officielle de l’Empire Romain, elle attiédissait le
feu de la charité par un souci trop grand des choses de la politique. L’islam
eut donc peu de peine à amener à elle les foules, à cause de la ferveur de sa
jeunesse. Le monde fut donc divisé en deux religions qui, si elles voulaient
subsister, devaient sans cesse réformer leurs mœurs et convertir leurs regards
vers Dieu. C’est de cette façon là que la division peut être parfois voulue par
Dieu, comme on le voit pour la nation d’Israël après la mort de Salomon. Quant
à la genèse de l’Islam elle est la réalisation de la prophétie faite par Dieu à
propos d’Ismaël[1399] : «
Il s’établira à la face de tous ses frères. »
3. L’islam nie que Dieu ait un fils, non
par haine de Dieu mais à cause de leur zèle de Dieu : la raison en est qu’ils
n’ont pas compris l’essence du dogme de la Trinité. Selon eux, les chrétiens
croient en trois Dieux, dont le Fils est un fruit des amours entre le Père et
une femme, ce qui s’oppose à la foi au Dieu unique révélée en Abraham.
Cependant,
on doit admettre avec saint Jean que puisqu’ils n’ont pas compris le mystère du
Fils de Dieu fait homme, ils ne connaissent pas non plus le Père dont il est
l’image. Ils adorent donc un Dieu qu’ils ne connaissent pas, de la même manière
que les Juifs selon la parole de Jésus.
4. Selon le Coran, la guerre Sainte est
d’abord une guerre militaire[1400]. Mais comme les musulmans n’ont pas de
Magistère unifié, il semble difficile d’être totalement définitif sur son
interprétation et ses conditions. Le Djihad au sens strict du mot tend à
proscrire toute autre adoration que celle de Dieu, l’unique, à se dresser
contre la violence et le mal, à sauvegarder la vie, les biens et l’équité, à
généraliser le bien et à répandre la vertu. Dieu dit : « Combattez-les afin que plus aucun croyant ne soit tenté d’abjurer
et que le culte tout entier soit rendu à Dieu.[1401] »
Mais
cette guerre ne se pratique pas n’importe comment. Le djihad est soumis à des
règles venant de Dieu. 1° En premier
lieu, aucune guerre sainte n’est légitime si elle n’est pas commandée par
l’autorité du calife légitime. 2°
Ensuite, le combat ne se fait pas n’importe comment. Il ne ressemble en rien
aux guerres barbares et sans limites qui caractérisent la colère humaine. Il
est précédé par un avertissement chevaleresque : 1- Avant l’engagement, il faut
convier l’ennemi à la conversion à l’islam. Cette première étape se fait par la
discussion, l’exposition de la foi musulmane. 2- S’il refuse, on lui propose
une seconde solution : il lui est possible de se soumettre aux codes des lois
civiles musulmanes et de payer un tribut, sans qu’il ait besoin de devenir
musulman. 3- S’il le refuse encore, on recourt alors aux armes. On lui impose
par la force les lois civiles et morales justes, tout en le laissant libre de
garder sa propre conviction religieuse. 3°
Enfin, et c’est le plus important, le but du djihad n’est pas de convertir de
force à la religion. La foi ne s’impose jamais. Elle est affaire de conscience
et de don de Dieu. Il ne s’agit pas d’abord de s’enrichir ou de capturer des
esclaves. Il s’agit de tout autre chose. Deux buts sont visés : 1- Proposer la
vérité de la révélation de Mohamed. 2- Répandre et imposer la droiture et la
justice morales et civiles dans des nations soumises à la perversion, à
l’injustice, au meurtre.
Historiquement,
s’est très souvent ainsi que l’islam s’est répandu à travers le monde. Ils
réalisent aussi les prophéties données par Dieu sur Ismaël[1402] : «
Il portera un arc », c’est-à-dire
qu’elle sera une religion des armes. »
Il sera comme un âne sauvage et indomptable, sa main contre tous, la main de
tous contre lui », c’est-à-dire
qu’elle aura partout tendance, dès qu’elle est en position de force, à
s’imposer et à réduire les autres religions en soumission (dhimmitude).
5. Certaines croisades furent rendues
nécessaires à cause du massacre des chrétiens d’Orient perpétré par des
extrémistes islamiques et surtout par ce perpétuel danger militaire qu’a
constitué l’islam face au christianisme. Sans défense armée, il est certain que
la civilisation chrétienne aurait disparu tout entière. Cependant, comme dans
toute guerre, il y eut de nombreux excès du côté des nations chrétiennes
elles-mêmes. C’est ce qu’exprime le concile Vatican II[1403] : «
Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont
manifestées entre chrétiens et musulmans, le concile les exhorte tous à oublier
le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle. »
6. Ce n’est pas par haine de Dieu que les
musulmans refusent le mystère de la charité. C’est à cause de leur sens de la
grandeur et de la transcendance de Dieu et il leur semble blasphématoire de la
part de l’homme qu’il prétende parler à Dieu comme à quelqu’un qui lui est
égal. Selon eux, l’homme doit toujours approcher Dieu en l’adorant ce
qu’exprime leur façon de prier prosternés sur le sol.[1404]
Cependant,
les musulmans ne se contentent pas de se dire serviteurs de Dieu mais ils
mettent en lui leur confiance, ce qui constitue déjà pour eux une disposition à
l’entrée dans la gloire. Selon Notre Seigneur[1405] : «
En vérité, je vous le dis, quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en
petit enfant n’y entrera pas. »
Objections :
1. On ne voit pas quels signes pourraient
être donnés puisqu’il n’existe rien dans la révélation chrétienne à ce sujet.
2. Les musulmans sont par rapport aux
chrétiens comme les frères d’un même père, puisque les deux religions trouvent
leur origine commune dans le judaïsme. Il semble donc que les signes qui seront
donnés aux chrétiens seront donnés aussi aux adeptes de l’islam.
3. Pour savoir comment sera attaqué
l’islam, le plus simple consiste à regarder ses propres prophéties. Dieu ne
peut manquer d’avoir donné aux musulmans quelque révélation sur leur avenir, à
cause d’Abraham leur modèle et père.
Cependant :
Les
musulmans, qui sont fils d’Abraham attendent comme les chrétiens le retour du
Messie qui est Jésus Christ. De même que cette espérance ne sera pas déçue, de
même elle sera précédée de signes qui leur seront adaptés.
Conclusion :
L’Écriture
Sainte des juifs et des Chrétiens ne donne rien de significatif à propos des
signes qui seront visibles dans l’islam. On peut savoir cependant que cette
religion subira au cours de son histoire les attaques du démon. Vers la fin du
monde, l’Antéchrist la détruira puisqu’il s’attaquera avec succès, dit
l’Écriture[1406], «
à tout ce qui porte le nom de Dieu. »
Quant
à savoir comment il s’y prendra, on peut dire la chose suivante. Le démon s’en
prend toujours aux êtres et aux communautés par ce qui constitue leur
faiblesse. Par exemple, le christianisme étant une religion d’amour et de
liberté, il trouve dans sa force première sa première faiblesse. Il s’efforce
de caricaturer ce qui est le plus noble en ces deux valeurs. Il s’attaque à
l’amour. Sa plus grande réussite consiste à faire appeler "amour" par
les fidèles, ce qui n’est en fait que « l’amour
de soi. » Le jansénisme disait
qu’aimer son prochain consistait à être vertueux ; le progressisme dit qu’aimer
son prochain consiste d’abord et exclusivement dans son bien être matériel et
psychologique. De même, il pousse les chrétiens à abuser de la liberté qui leur
est laissée jusqu’à la revendiquer en elle-même, par opposition aux exigences
de l’amour qui se sacrifie pour le prochain.
On
peut faire le même type de raisonnement pour l’islam. D’après le livre de la
Genèse, Ismaël qui symbolise l’islam est caractérisé de la manière suivante : « Il vit dans les déserts. Il est tireur
d’arc. Il est un homme indomptable. Sa main est contre tous et la main de tous
contre lui ».[1407] L’observation de l’islam confirme ces
prophéties. Né dans les déserts d’Arabie d’un peuple sémitique primitif,
l’islam s’est structuré de manière militaire. Dès qu’il s’est senti
suffisamment fort pour le faire, il s’est imposé par la guerre face aux nations
qu’il a conquises. Les musulmans sont intransigeants sur leur foi. L’apostat
est mis à mort. Pour résumer, l’islam se structure autour de deux valeurs : la
foi intransigeante et le service efficace de Dieu. C’est grâce à ces propriétés
que l’islam s’est imposé. C’est sur ses propriétés qu’il sera attaqué vers la
fin du monde par le démon et son homme, l’Antéchrist. 1° La première tentation de l’islam lui viendra de l’orgueil (dû à
sa puissance) et du pouvoir. Cette religion diffère du christianisme par le
fait que des éléments politiques sont intimement et indissociablement mêlés à
l’aspect religieux. Née dans les tribus arabes du désert, son histoire est
emprunte des restes de sa mentalité sémitique, à des traditions antiques de la
guerre liées aux razzias, à l’esclavage telles qu’on les voit décrites dans la
Bible. De plus, à cause de ses conquêtes militaires, de son intransigeance,
toute l’histoire de l’islam est tâchée par des fautes contre la liberté humaine
et la paix. Certains crimes contre l’humanité ont été commis, particulièrement
en Inde où cette religion s’est fait un devoir d’exterminer les idolâtres en
même temps que les idoles. Vers la fin du monde, elle aura à subir directement
les attaques de l’esprit de l’Antéchrist particulièrement sur ce qui constitue
ses fautes[1408]. Ainsi, parce que des musulmans parmi
les plus zélés confondent religion et politique de conquête, ils saliront de
manière définitive et beaucoup plus forte encore que ne l’ont fait les
zélateurs chrétiens l’image de la religion. Ce reproche, qui fit la force de
l’islam, sera sa perte au temps de l’Antéchrist. Il lui sera reproché ses
crimes. Ces attaques lui viendront aussi bien de l’extérieur que de
l’intérieur, par ses propres fidèles. Ayant pris l’épée, il est probable que
selon la parole de Jésus[1409], l’islam périra par l’épée. Exaspérant
le monde par ses attaques et son intransigeance, il finira par être attaqué et
écrasé par des forces militaires supérieures. 2° L’islam étant une religion du service de Dieu, il sera aussi
attaqué par ses fidèles et par l’esprit de l’Antéchrist sur le point de son
manque de sens de la liberté par ses fidèles, lorsque le désir de vivre dans
l’instant les plaisirs de la vie terrestre sera plus fort. L’islam connaîtra un
refroidissement du zèle pour le service de Dieu. Cette dégradation ne peut
venir que d’un autre zèle qui la dominera et qui sera, comme toujours, lié aux
trois convoitises de l’homme : l’orgueil, le pouvoir et les plaisirs.
Fondé
sur ces deux attaques fondamentales, les autres prendront davantage de force.
Il y aura des attaques directes contre la foi et la morale musulmanes. La
croyance dans le fait que le Coran est dicté directement par Dieu sera la
première à subir les assauts puisqu’elle fonde toute cette religion. Cette
croyance sera facilement mise à mal par l’analyse des couches rédactionnelles
du Coran ; Puis les exigences morales du Coran et politiques de la loi seront
jugées insupportables et archaïques. Enfin, viendra la lutte finale qui
précédera le retour du Christ et qui sera menée par les armées de l’Antéchrist
lui-même.
Solutions :
1. Le Seigneur nous demande d’être
attentifs aux signes des temps afin que notre espérance portant sur le retour
du Christ ne diminue pas. C’est pourquoi, l’Église par le Concile Vatican II,
invite les chrétiens à être attentifs aux traditions musulmanes et à en scruter
la richesse. Les signes de la fin du monde que les musulmans attendent doivent
donc être objet d’un intérêt particulier. Ils sont au nombre de dix. Ils
présentent un intérêt particulier car ils semblent avoir exaspéré Mohamed,
comme s’ils contrariaient sa sensibilité, tout en s’imposant à lui :
1°
Le soleil se levant à l’Ouest[1410]. "Le jour où Nous plierons le ciel
comme on plie le rouleau des livres." Prise en son sens profond, cette
prophétie signifie probablement que, lors de ces événements, la puissance
mondiale appartiendra, à tous les plans, à l’Occident.
2° Un phénomène sismique en Occident, un autre
en Orient, un troisième en Arabie[1411]. La terre sera secouée par un grand
séisme, le ciel se fendra, les planètes se disperseront, les mers seront
projetées, les sépulcres bouleversés, les montagnes voleront comme des flocons
de laine cardée. Cette prophétie signifie probablement de grands
bouleversements dans les mentalités des peuples, des changements jamais vus
jusqu’ici.
3° L’apparition de la fumée qui restera 40 jours
sur terre[1412]. Le Coran en parle (sourate 44, La
Fumée) et raconte comment elle va s’étendre sur Terre. Selon certains exégètes
dont Abi Massoud, ce serait un temps terrible de faim, de misère –spirituelle-
semblable à ce qui est arrivé à la tribu de Quoraïch au temps de Mohamed.
4° La venue du Mahdi, le dernier grand imam (Docteur et chef politique) de l’islam.
Le temps de la fin commencera par la venue d’un grand imam
dont la mission consistera à préparer le peuple musulman à l’épreuve. Au
sens étymologique, le Mahdi signifie « celui qui est bien guidé. » Le prophète Mohamed s'est servi de ce
mot dans son sens littéral quand il dit : «
je vous recommande ma tradition et la tradition de mes califes orthodoxes et
bien guidés après moi. »
5° La venue de Dajjal, l’Antéchrist : C’est l’étape suivante, terrible. Un Hadith, rapporté par de nombreux
traditionalistes, nous informe que, avant la grande bataille de Gog et Magog et
le retour de Jésus, viendra le Dajjal,
l’Antéchrist. Le Prophète s’en préservait par un signe quand il en parlait. Il
disait : « Il se comparera à Dieu. Dans
son mensonge, il prétendra être Dieu. » Selon Mohamed, le Dajjal sera d’origine juive. Il sera
borgne. Il sera à l’image de Abd Al Ozza Ibnou Ouatane, un grand ennemi de
l’islam.
6° La sortie de la Bête qui écrira
"croyant" entre les yeux des croyants et "infidèle" entre
les yeux des infidèles[1413]. C’est une bête de taille gigantesque,
ayant une ressemblance avec beaucoup d’animaux, douée de parole, qui surgira de
la terre et s’adressera aux gens pour les blâmer d’être mécréants. Pour les
Musulmans, elle est décrite non comme une bête réelle mais comme l’image d’une
monstrueuse idéologie, d’une tyrannie politique, celle de l’Antéchrist.
7° La grande guerre contre l’islam, Gog et
Magog. Il s’agit de la grande guerre de la fin du monde, prophétisée par
Ezéchiel. Anas-ben-Mâlik rapporte que le Prophète a dit : « l’Antéchrist viendra et ira dans le voisinage de Médine. La ville
éprouvera trois secousses et, après cela, les infidèles et les hypocrites iront
trouver l’Antéchrist." Hadith
92, 26 (Point 2). Il viendra de la région du Khorassan, en Asie, et 70000 juifs
armés le suivront. Les diables que le Prophète Soulaïman a enchaînés dans les
mers le suivront. Il attirera beaucoup de monde à lui car il donnera à boire et
à manger. Les musulmans seront tentés de le suivre et d’apostasier
leur foi. Mais, selon le Prophète, les Musulmans fidèles mangeront (seront
nourri) par le dikrh, le Rappel
d’Allah, la prière récitée cinq fois par jour. (Soubhannallah ! Hamdoulillah ! Allahouakbar !).
Le
monde entier, accompagné des démons, se liguera contre le peuple musulman, mené
par l’Antéchrist. Le passage coranique parlant de la guerre se réfère à un
épisode biblique, lié à une prophétie d’Ezéchiel[1414]. L’Apocalypse 20, 7-9 en fait le
symbole de la guerre finale : « Les mille
ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations des
quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi
nombreux que le sable de la mer ; ils montèrent sur toute l'étendue du pays,
puis ils investirent le camp des saints, la Cité bien-aimée. Mais un feu
descendit du ciel et les dévora. Selon certains théologiens musulmans, dont
Acha’Raoui, ce malheur viendra du fait de la provocation d’une communauté de
musulmans malfaisants.
8° Un feu naissant à Aden (au Yémen), qui
chassera les habitants puis la destruction de la Kaaba par les Abyssins. Il s’agit de la destruction physique
de tous les lieux saints de l’islam, prophétie étonnante et pourtant
explicitement enseignée par Mohamed. Cette destruction finale de l’islam
visible par les armées du Dajjal fait explicitement partie de la foi
eschatologique des Musulmans.
9° L’apostasie : Après ces événements graves, le Coran
sera enlevé des lèvres et des cœurs, l’incroyance deviendra générale. Bismilahi Rahmani Rahimi l’explique : « Retenez chères sœurs et frères, que quatre femmes qui
fréquentaient le Messager d’Allah nous rapportent qu’il a dit : « Malheur aux arabes[1415] ! » Les compagnons questionnèrent alors : « Dieu nous détruira-t-il, alors que parmi
nous il y aura des bienfaisants ? » - Oui, c’est parce qu’en vous se
multiplieront les péchés (fornication et autres)". » Une dernière
prophétie, tirée des Hadith, est
importante à citer. Elle semble donner la clef des autres : « L’islam a commencé étranger et finira
étranger.” Le sens en paraît évident : il s’agit de l’annonce explicite
d’une diminution de puissance, d’un cheminement de la religion islamique vers
la pauvreté, la petitesse et la faiblesse. Cette prophétie ressemble fort à
celle qui s’applique au christianisme.
10° La descente de Issa (Jésus, fils de Marie).
Un Hadith de Muslim
rapporte que malgré ces épreuves, il subsistera toujours, jusqu’à la fin du
monde un petit reste de croyants. Ils seront de fidèles Musulmans comme au
temps béni de Médine. "Il y aura
toujours une partie de ma communauté qui combattra ouvertement dans la voie de
la vérité jusqu’à la fin des temps. Issa le fils Maryama (Jésus) descendra et
le Commandeur de ses croyants lui dira : vient diriger notre prière et Issa
répondra : non continue à diriger la prière car vous êtes de la communauté de
Mohamed chacun peut présider la prière de l’autre. »
Ces
prophéties annoncent visiblement une fin douloureuse de l’islam, puis une
victoire définitive sur les forces du mal, grâce à la sainteté des cœurs et par
le retour du Christ. Mais il convient de remarquer qu’une partie des docteurs
musulmans, comme les wahhabites d’Arabie, en lisent le dénouement d’une façon
toute autre : Selon eux, il n’y a rien de mystique dans les annonces de
Mohamed. Pour eux, alors que tout semblera perdu, Dieu donnera la victoire
militaire totale à la Communauté Sainte. Allah
va livrer ses ennemis à l’islam, dans un dernier combat. Les Juifs et leurs
allés impies seront exterminés de la surface de la terre. On mettra sept mois à
enterrer leurs cadavres[1416].
Allah remportera cette grande victoire par toutes sortes de fléaux : la guerre,
la peste, la grêle etc. La Palestine redeviendra la terre bénie de l’islam. Le
monde deviendra un seul Califat, soumis à la sainte loi d’Allah. Ceux qui
refuseront de se convertir disparaîtront. Alors Jésus reviendra et
balayera le reste des Chrétiens. Le monde entier sera, sous son commandement,
musulman. L’Antéchrist, qui est né en Occident, sera vaincu et la gloire
d’Allah sera exaltée pour toujours.
Les
islamistes Wahhabites appuient leur vision apocalyptique sur un texte du
prophète Ezéchiel qui est considéré comme un prophète d’Allah. Il parle de ce
combat de Gog et Magog contre le peuple saint. Il est étonnant de constater
cette ironie de l’histoire qui peut-être, se reproduira. C’est exactement le
même texte qui nourrissait l’endurance incroyable des zélotes Juifs, en 70 ap.
JC, les poussant à combattre jusqu’à la mort, alors que tout semblait perdu. Résultat : La guerre des Juifs
contre les Romains, fit un million cent mille morts, un tiers des Juifs de
l’époque, et aboutit à la ruine du Temple, à la dispersion du peuple et à un
judaïsme devenu humble (kénose), modeste et béni de Dieu. Il est possible que
la partie intransigeante et fanatique de l’islam provoque vers la fin du monde,
à partir des mêmes causes, les mêmes effets.
2. Les musulmans ne sont pas aussi bien
préparés par leur foi à comprendre les signes liés à l’anéantissement en vue de
l’humilité (kénose). Les chrétiens eux-mêmes, malgré le mystère de la
souffrance et de la mort du Christ, ont beaucoup de mal à comprendre que cela
sera appliqué à eux-mêmes et à l’Eglise. Pour les musulmans, le mystère de la
mort qui conduit à la résurrection est très étranger. Leur psychologie est
plutôt orientée vers la gloire militaire, du moins depuis la révélation à
Médine des versets de la guerre. Vers la fin du monde, il leur faut donc des
signes très forts où l’expérience du malheur les laissera dans
l’incompréhension totale des volontés de Dieu. Cela peut venir de la vierge
Marie qui est pour eux une des femmes saintes qu’ils vénèrent beaucoup.
Peut-être aura-t-elle la mission de les préparer à cela. Cela peut venir aussi
de leur patriarche principal, à savoir d’Ismaël le fils d’Abraham. En effet, un
point prophétique important doit être ici souligné. Il s’agit d’une ‘erreur’
apparente du Coran dont la signification est sans doute très profonde. Les
Juifs riaient souvent de Mohamed en lui disant : « Tu te trompes. Le livre de la Genèse est net sur ce point. Ce n’est
pas Ismaël qui faillit être immolé par Abraham à Yahvé. C’est Isaac. »
Alors le Prophète se mettait en colère. Il disait[1417] qu’Abraham avait des fils, dont le plus
connu était Ismaël, « l’égorgé », le fils aîné d’Abraham, qu’il eut de
Agar l’égyptienne copte. Mohamed
précise : « Qui dit que l’égorgé était
Isaac, doit avoir reçu cette prétention des fils d’Israël, qui ont altéré et
faussé la Torah et l’Evangile, et intentionnellement changé les informations
qu’ils possédaient. Car Abraham avait reçu l’ordre d’égorger son fils
aîné. »
Dieu
dit : « Nous annonçâmes à Abraham qu’il
aurait un fils d’une grande douceur de caractère. Lorsque son fils fut en âge
de se diriger, Abraham lui dit : "O mon fils, j’ai rêvé que je t’immolais
en sacrifice. Qu’en penses-tu ?" "O mon père, lui dit son fils,
exécute ce qui t’est ordonné. Je serai courageux s’il plaît à Dieu[1418]. » Il accepta l’ordre donné à son père et
lui promit de se résigner. Le couteau du père allait s’abattre mais Dieu
retint son bras. Alors Ismaël fut sauvé. La descendance d’Abraham ne périt pas.
Les musulmans fêtent depuis ce jour le salut d’Ismaël dans la grande fête du
Sacrifice. Dieu dit : « Mentionne Ismaël
dans le Livre. Il respectait la foi jurée. Ce fut un Prophète. Il recommandait
la prière et la charité aux siens. Il était l’élu de son Seigneur[1419]. »
En
quoi cette erreur coranique peut-elle avoir une quelconque importance ? C’est
que dans cette histoire, rien n’est laissé au hasard. Nous avons affaire à des
allégories inspirées par Dieu. Chaque détail est important car il signifie
quelque chose de l’avenir. Les Chrétiens pensent avec les Juifs que c’est Isaac
qui faillit être sacrifié[1420] par Abraham. Au dernier moment, Dieu
refusa qu’Abraham aille jusqu’au bout de son geste. L’enfant fut sauvé et remplacé
par un bélier[1421]. Ils y voient une allégorie portant sur
leur eschatologie[1422]. La conséquence est que les Chrétiens
croient que, vers la fin du monde, leur destin ressemblera à celui d’Isaac. Ils
subiront de la part d’un antéchrist un abaissement et un martyre. L’islam a
reçu la même prophétie sous les traits d’Ismaël, son archétype biblique. Ce fait semble indiquer que le destin de
cette religion est identique. Il semble qu’un musulman sincère peut donc
trouver dans sa propre révélation une compréhension de ce mystère. Quant à la
souffrance elle-même, qui les frappera avant le retour du Christ, elle leur
fera comprendre que l’humilité (kénose) et l’amour étaient plus grands que
l’islamisation du monde entier.
3. Mohamed n’aimait pas certaines des
prophéties indiquant une ruine finale de l’islam au plan politique. C’est un
signe que leur origine n’est pas son intelligence humaine mais d’une Cause
invisible et soucieuse de façonner dans l’humilité le cœur des musulmans.
Objections :
1. La religion juive n’avait de sens que
parce qu’elle préparait et annonçait la venue du Messie. Elle aurait donc dû
disparaître après sa venue, les prophéties n’ayant plus de raison d’être.
2. De même que le rideau du temple se
déchira en deux de bout en bout à l’heure de la mort du Christ, de même que le
temple fut détruit quelques années plus tard signifiant ainsi la fin de
l’ancienne alliance, de même le judaïsme dispersé à travers le monde aurait dû
disparaître et s’assimiler aux autres religions.
3. Que les Juifs se soient obstinés jusqu’à
maintenant à ne pas croire en Jésus, cela vient de leur certitude d’être le
peuple élu et cette certitude semble être liée à un grand orgueil selon l’Exode[1423] : «
Ce peuple à la nuque raide. » Mais
cela ne peut venir d’une volonté de Dieu.
4. Dieu a promis de donner à Israël un
Messie. Si donc Dieu est responsable de l’endurcissement du cœur d’Israël,
c’est que sa parole a failli sur ce point, ce qui est inacceptable.
5. Israël en rejetant le Messie, a trahi
son alliance avec Dieu. Il a donc été rejeté et maudit, d’où les persécutions
et massacres subis de la part des chrétiens comme des musulmans.
Cependant
:
Saint
Paul écrit dans l’épître aux Romains[1424] : «
Dieu fait miséricorde à qui il veut et
il endurcit qui il veut. » Il veut signifier par là que
l’aveuglement intellectuel d’Israël qui refuse la foi au Christ est voulu par
Dieu, à cause d’un plus grand bien qui doit en sortir. Il dit aussi en parlant
d’Israël qu’il est un[1425] : «
abîme de la richesse, de la sagesse et
de la science de Dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies
incompréhensibles! » C’est donc qu’en Israël, sous la forme
politique d’un peuple, se trouve symbolisée la totalité du mystère du
gouvernement de Dieu sur les hommes.
Conclusion :
D’après
l’enseignement de saint Paul aux Romains, le fait que le Peuple d’Israël n’ait
pas reçu le Messie qui lui avait été envoyé, malgré les nombreuses prophéties
qu’il avait reçues à ce sujet, tient à deux choses :
1° A la responsabilité des chefs du peuple
qui dirigeaient ses destinées à cette époque. Et la raison en est, selon lui,
qu’ils avaient un zèle mal éclairé pour Dieu. Car ils désiraient servir Dieu
selon la manière qui leur paraissait juste, selon leur compréhension de la Loi,
c’est-à-dire à travers la soumission aux préceptes matériels, comme
l’observation du sabbat et d’autres choses du même genre. Mais ils refusèrent
de servir Dieu selon la manière voulue par Jésus, c’est-à-dire à travers la
justice du cœur[1426] donnée par la foi, l’espérance et la
charité. Et ils préférèrent tuer le Messie malgré les signes évidents de son
identité, plutôt que de réformer leur cœur. Selon, Jésus, un autre motif plus
caché motiva leur action : l’amour du pouvoir. Cependant, après la résurrection
du Seigneur, une partie du peuple reconnut Jésus pour le Messie et c’est eux
qui devinrent le nouvel Israël de Dieu qui prêcha l’Évangile par le monde
entier, car les apôtres, fondement et colonnes de l’Église furent tous Juifs.
Ainsi furent réalisées dès cette époque les prophéties qui annonçaient qu’un
Messie douloureux serait donné à Israël et règnerait sur les nations du monde
entier.
2° Cela relève aussi et surtout, selon
saint Paul, d’une volonté mystérieuse de Dieu, selon l’Écriture sainte[1427] : «
Dieu leur a donné un esprit de torpeur
: ils n’ont pas d’yeux pour voir, pas d’oreilles pour entendre jusqu’à ce jour.
» Or Dieu ne peut vouloir directement et par soi un mal de peine tel
que celui-ci. Il est donc évident qu’il n’a pas voulu l’endurcissement de ce
peuple par vengeance à cause de la mort du Messie mais à cause d’un bien plus
grand qui devait en sortir par la suite. Et on ne peut en donner que
quelques-uns uns des motifs cachés : 1- Un
motif pratique : Par son endurcissement, le peuple juif a permis que l’Évangile
soit prêché à toutes les nations, selon saint Paul[1428] : «
Leur faux pas a fait la richesse du
monde. » En effet, les Juifs ayant refusé l’enseignement des
apôtres, ceux-ci furent conduits dès le début à adresser leur prédication aux
nations païennes. C’est ce qui est rapporté par les actes des apôtres. Et il
est probable que si les Juifs dans leur ensemble s’étaient convertis au
Seigneur, ils auraient été tentés de garder pour eux cette nouvelle alliance à
cause de leur sens trop aigu de leur préséance. De même, il semble que vers la
fin du monde, l’apostasie des nations permettra le retour de l’alliance
chrétienne en Israël.2- Un motif de
témoignage : il convenait qu’une partie du peuple d’Israël reste endurci dans
l’Ancienne Alliance afin de demeurer aux yeux du monde un témoignage vivant de
la lente maturation à la venue du Christ qui avait été commencée en Abraham et
continuée à travers Moïse et les prophètes de ce peuple. Et ils témoignèrent de
cette Ancienne Alliance sur la terre entière après leur dispersion opérée par
les Romains. Ils furent pour les chrétiens et les musulmans les témoins vivants
de l’Ancienne Alliance. 3- Une
mission allégorique : Israël devait demeurer pour les nations un signe
important du mode d’action de Dieu sur tous les hommes et toutes les nations.
Par toute son histoire faite d’exil, de dispersion et d’errance, cette nation
constituait une image du sort de chaque homme sur terre, qui erre loin de sa
patrie jusqu’à l’entrée dans la vie éternelle. Sans cesse attaquée par Satan,
jusqu’à l’extrémité, son âme est en danger perpétuel. Tel est en particulier le
signe d’Auschwitz.[1429] 4-
Une mission de révélateur : Ce petit peuple, peu nombreux et dispersé dans
le monde entier fut placé par Dieu devant les nations comme un révélateur de
l’orgueil. Il en fit une pierre d’achoppement pour les arrogants. En effet, à
chaque fois qu’une nation, une religion, un groupe humain fut saisi par la
certitude d’être la meilleure, elle persécuta infailliblement les Juifs. Sans
doute l’orgueil ne supporte-il pas celui qui, peu nombreux et faible dans son
sein, est différent. Infailliblement aussi, le peuple en question fut frappé
par la suite par le destin et ramené à plus d’humilité. 5- Une mission eschatologique : Enfin et surtout, Israël est un
signe grandiose gardé jusqu’à la fin pour annoncer le retour du Christ et la
fin du monde. C’est ce que veut signifier l’apôtre quand il dit que "la
conversion d’Israël sera une résurrection d’entre les morts".[1430] On peut même dire que le peuple d’Israël
sera l’un des signes les plus importants à la fin du monde, lorsque la
proximité du retour du Christ sera annoncée. En effet, les signes concernant
Israël sont explicitement annoncés dans l’Écriture et se réaliseront de manière
visible dans l’histoire[1431], et non seulement de manière
spirituelle pour les contemplatifs. Israël reste le peuple élu pour annoncer la
terre promise.
Solutions :
1. Les prophéties contenues dans le
Testament juif n’ont plus de raison d’être en tant qu’elles annoncent la venue
prochaine du Messie puisqu’elles sont réalisées. Il convient cependant qu’elles
demeurent vécues par un peuple qui sert aux autres de mémorial de l’état ancien
de l’humanité. Cependant, certaines prophéties de l’Ancien Testament demeurent
partiellement inaccomplies comme celles qui annoncent la venue du Messie
glorieux qui manifestera sa lumière à toutes les nations, selon Isaïe[1432]. "Alors la gloire de Yahvé se
révélera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a parlé. »
Cette prophétie doit se réaliser
dans la seconde venue du Christ, glorieuse cette fois.
2. Le judaïsme devait être dispersé à la
face des nations, jusqu’à la fin des temps, pour témoigner de la promesse de
Dieu faite à Abraham et dont toutes les nations bénéficiaient grâce à Jésus
Christ d’un côté, et à l’islam de l’autre. Mais cette dispersion cessera vers
la fin au monde pour que ce peuple témoigne du retour prochain du Messie, comme
nous le verrons.
3. Il est vrai que le peuple d’Israël est
un peuple entêté. Pourtant, cette force qui le caractérise n’aurait pas suffi
pour résister à plusieurs siècles d’exode parmi d’autres nations qui, sans
cesse, l’ont persécuté à cause de sa religion jusqu’à le massacrer. C’est ce qu’on
peut déduire du fait que certaines tribus d’Israël disparurent complètement, en
quelques siècles, en s’assimilant au peuple babylonien chez qui ils s’étaient
exilés avant la venue du Christ. Seules les tribus de Judas, de Benjamin et de
Lévi subsistent encore aujourd’hui. Cela ne peut s’expliquer sans un secours de
Dieu.
4. Saint Paul écrit aux Romains[1433] : «
La parole de Dieu n’a point failli.
Car tous les descendants d’Israël ne sont pas Israël. » Les
véritables fils d’Abraham sont ceux qui ont la foi comme lui et non ceux qui
descendent de lui selon la chair. C’est pourquoi on peut dire que le nouvel
Israël de Dieu est l’Église.
5. La révélation chrétienne tout entière
n’a qu’un but ultime : montrer que Dieu, lui, ne trahit jamais une Alliance
conclue. Affirmer qu’Israël aurait été rejeté par Dieu des suites de la passion
du Christ est donc la plus parfaite contradiction qu’on puisse imaginer avec le
contenu de la foi chrétienne. De même, les persécutions et massacres subis sont
loin d’être un signe de malédiction de la part de celui qui a dit [1434] : «
Venez à moi, vous tous qui peinez et
ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai, car je suis doux et humble
de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » Il est donc
essentiel de chercher ailleurs le sens des malheurs d’Israël.
Objections :
1. Il semble qu’il n’y aura pas de signes
concernant le Judaïsme à la fin des temps. En effet, en tuant le Christ, les
chefs de cette religion se sont séparés de Dieu. Ils sont rejetés pour toujours
de l’Alliance, selon cette parole de Jésus[1436] : «
Ils t’écraseront sur le sol, toi et
tes enfants au milieu de toi. Ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre,
parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visité. »
2. Le peuple d’Israël servit, avant la
venue du Christ, de signe pour les nations du monde entier auxquelles devait
être révélé le Messie douloureux et crucifié. Il convient que ce soit l’Église
qui soit, après sa venue, le nouvel Israël qui serve de signe pour le retour
glorieux du Christ.
3. La destruction du Temple de Jérusalem ne
peut être considérée comme un signe du retour du Christ puisqu’elle a eu lieu
il y a bien longtemps, sans que rien ne se soit passé.
4. De même, la dispersion est plus signe de
la punition du péché d’Israël que de la proximité de la venue du Christ. C’est
ce qu’affirme le Deutéronome[1437] : «
Puisque tu n’auras pas obéi à la voix
de Yahvé ton Dieu, vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer pour en
prendre possession. Yahvé te dispersera dans toutes peuples, d’un bout du monde
à l’autre. »
5. De même, les persécutions doivent être
considérées comme des peines justifiées par le grave péché commis contre Jésus.
6. Le retour au peuple juif dans sa terre
ne peut être considéré comme un signe donné par Dieu. En effet, il ne fut pas
produit en 1948 par la foi mais par la nécessité d’en finir avec les
persécutions et il fut conduit par des hommes qui ne croyaient pas en Dieu. Il
fut d’ailleurs porté par des idéologies politiques discutables comme le
marxisme et le sionisme.
7. N'y a-t-il pas une
huitième prophétie de Jésus sur le peuple juif ?[1438] : « Je
suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu ; un autre viendra en
son nom et vous le recevrez. » Autrement dit :
Jésus prophétise que les Juifs acclameront l'Antéchrist comme leur Messie...
Cependant :
L’Apocalypse
écrit[1439] : «
Un signe grandiose apparut au Ciel :
une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles
couronnent sa tête. Elle est enceinte et crie dons les douleurs et le travail
de l’enfantement. » Or Israël est semblable à une femme puisqu’elle
est l’épouse de Dieu qui est comme le soleil et qui l’entoure. Et les douze
étoiles sont les douze fils de Jacob qui l’ont fondé. Donc il y aura des signes
concernant le judaïsme à la fin du monde.[1440]
Conclusion :
À
cause de la mission unique qui fait du peuple d’Israël le peuple élu, celui qui
annonce et prépare la venue du Messie, on doit admettre qu’il sera pour le
monde entier un signe important de la venue du Christ à la fin du monde. Ce qui
est particulier dans ce peuple, c’est que Dieu a fait des évènements profanes
de son histoire politique une parabole du salut, quelles que soient ses
fidélités ou infidélités. Et le Seigneur, dans l’Ancien Testament, les
évangiles ou dans l’épître de saint Paul aux Romains, donne sept prophéties
concernant l’avenir de ce peuple et le retour du Christ :
1° Il annonce que le Temple de Jérusalem
sera détruit[1441] : «
En vérité, je vous le dis, il ne
restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit jetée bas. » Et le
temple sera remplacé par un temple consacré aux idoles[1442] : «
Vous verrez l’abomination de la
désolation installée dans le lieu saint. »
2° En second lieu, le Seigneur annonce que
le peuple juif sera déporté parmi toutes les nations[1443] : «
Il y aura grande détresse sur la terre
et colère contre ce peuple. Ils tomberont sur le tranchant du glaive et ils
seront emmenés captifs dans toutes les nations. »
3° En troisième lieu, il y aura des
malheurs et des massacres perpétrés contre ce peuple[1444] : «
Filles de Jérusalem, ne pleurez pas
sur moi! Pleurez plutôt sur vous-même et sur vos enfants! Car voici venir des
jours où l’on dira : heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont
pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri! Alors, on se mettra à dire aux
montagnes : Tombez sur nous! Et vous, collines, couvrez-nous. »
4° En quatrième lieu, ce peuple reviendra
dans la terre d’Israël et prendra à nouveau possession de la ville sainte[1445] : «
Jérusalem sera foulée par les païens
jusqu’à ce que soient accompli le temps des païens. » Le retour
d’Israël marquera donc la fin du temps accordé aux païens pour inaugurer un
temps de grâces accordées à Israël[1446].
5- En cinquième lieu, l’arche d’alliance construite par Moïse sera
retrouvée[1447] : « Ce
lieu où est caché l’arche sera inconnu, jusqu'à ce que Dieu ait opéré le
rassemblement de son peuple et lui ait fait miséricorde. »
6- En sixième lieu, le Temple de Jérusalem rebâti [1448]: « Alors le Seigneur manifestera de nouveau ces
objets, la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se
montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût
glorieusement consacré. »
7° Enfin Saint Paul annonce un dernier
signe qui précèdera immédiatement le retour du Christ dans sa gloire : Israël
se convertira et reconnaîtra Jésus comme étant le Messie[1449] : «
leur mise à l’écart de l’Alliance fut
une réconciliation pour le monde, que sera leur admission, sinon une
résurrection d’entre les morts. » De même Jésus annonce[1450] : «
Vous ne verrez plus jusqu’à ce
qu’arrive le jour où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.
» Ce qui signifie que, le jour où ils accepteront le Messie,
celui-ci se montrera a eux à nouveau.
Ces
sept prophéties seront d’une façon grandiose signe du retour du retour du
Christ car elles ne se réaliseront pas seulement d’une manière perpétuelle
comme on l’a dit pour les guerres et les tremblements de terre. Elles se
réaliseront d’une manière matérielle, à une date fixée par Dieu, de la même
manière que les premières qui sont déjà réalisées. 1° Ainsi, vit-on en 70 après Jésus Christ, le général romain Titus
raser complètement le Temple de Jérusalem. 2°
Puis en 135, à la suite d’une dernière révolte juive, le reste de la
population d’Israël fut déporté ; L’empereur Adrien fonda une nouvelle ville à
la place des ruines de Jérusalem : « Helia Capitolina. » Sur le lieu
du temple, un temple dédié à Jupiter est construit. Pour les Juifs, « l’abomination
de la désolation » dont parle le prophète Daniel 9, 27, est
dans le lieu saint. 3° Les malheurs
et les persécutions ne cessèrent de s’abattre sur les communautés juives
dispersées jusqu’à la persécution la plus récente et les massacres de millions
de juifs à Auschwitz[1451]. 4°
Enfin en 1948, la création du nouvel Etat d’Israël en Palestine marque une
nouvelle étape, non encore pleinement réalisée puisque Jérusalem n’est pas
entièrement redevenue une ville juive. Les prophéties se réalisant ici
matériellement, on peut savoir avec certitude que lorsque Jérusalem deviendra
la capitale du seul Etat juif, c’est que, de manière concomitante, le temps des
nations sera terminé pour laisser place à une autre organisation du monde,
mondialiste.
Ces
prophéties politiques, adaptées à la vision de tous les hommes, y compris des
hommes charnels, n’ont rien de superficiel. C’est toute l’économie du salut qui
est signifiée ici, avec la même force qu’elle l’était dans l’histoire sainte de
l’Ancien Testament.
Solutions :
1. Il est faux et gravement hérétique à
cause des conséquences qu’une telle affirmation a historiquement eues,
d’affirmer que le peuple d’Israël est maudit, car Dieu ne fait pas payer aux
enfants la faute de leur père. Saint Paul affirme en effet[1452] : «
Dieu aurait-il rejeté son peuple ?
Certes non. » Et selon lui, le gouvernement de Dieu sur Israël est
l’un des « abîmes de richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ».[1453] Il veut signifier qu’il s’agit d’un
mystère que l’homme ne peut qu’approcher et dont l’explication finale sera
donnée en plénitude après la venue du Christ, lors du jugement général de
l’humanité[1454].
2. Dieu ne se repent pas de ses choix.
Israël reste donc, même après la première venue du Christ, signe des temps pour
les nations. De même qu’actuellement l’Église révèle au monde le Messie
douloureux mort pour le salut de tous, de même Israël, coopère avec l’Église
pour révéler au monde l’espérance d’un Messie glorieux qui viendra régner sur
le monde et sauver son peuple des holocaustes successifs qu’il a subis. Et dans
cette espérance, le judaïsme rejoint le christianisme et l’islam, avec des
nuances cependant : Pour l’islam, le Messie Jésus n’est qu’un homme saint, pour
les chrétiens, il est le Verbe fait homme, pour les Juifs, son identité est
ignorée.
3. La destruction du Temple d’Israël marque
l’entrée dans un nouveau temps qui est celui de la nouvelle Alliance, où Dieu
ne sera plus adoré sur une montagne, mais au fond des cœurs, en esprit et en
vérité. Et ce temps est le dernier qui sera accordé à l’humanité sur cette
terre car il n’y aura pas d’autre alliance avant celle de la vision béatifique.
Cependant, prise en un sens symbolique, cette destruction préfigure celle que
devra subir le nouveau temple qui est l’Église dans un holocauste final qui
précèdera la glorification du monde.
Il faut ajouter que le sixième signe,
celui du Temple de Jérusalem rebâti, se réalisera matériellement avant la fin
du monde puisque, comme nous l’avons dit, le peuple Juif est à part : sa chair
elle-même (c'est-à-dire son histoire politique mais aussi son Temple de pierre)
est signe de Dieu, signe matériel du vrai Temple qui est spirituel. Au cours de
son histoire, ce peuple a eu deux Temples : 1° Le premier, qui était très petit et très peu élaboré fut
construit par le roi Salomon. Il serait décevant pour un regard contemporain.
Il symbolisait l'état préparatoire des âmes du néolithique jusqu'à l'âge du
fer. 2° Le second, bâti par Hérode
le Grand, était magnifique et impressionnant, mais fait de pierres obscures et
lourdes. Même aujourd'hui, si nous le voyions, nous l'admirerions car il était
imposant comme les temples Égyptiens de l'antiquité. Il symbolise l'état des
âmes mûries sur cette terre par la civilisation et par le Christianisme. Les
hommes restent terrestres et pécheurs mais le levain du Christ mûrit
profondément l’âme. 3° Mais il y
aura un troisième Temple sur cette terre, dit le livre d'Ézéchiel. Il sera plus
grandiose encore, une source d’eau vive jaillissant en son centre. Et ce prophète
en donne le plan[1455]. Ce troisième temple sera construit
vers la fin du monde. On le verra un jour et on peut imaginer qu'il sera fait
en matériaux modernes, légers et transparents. Il symbolisera le dernier état
de l'humanité, celle qu'elle aura à l’heure de la mort et à la fin du monde,
lors de l’apparition du Christ glorieux, quand les corps seront comme lumineux,
laissant transparaître sans obstacle les pensées de l'âme et la présence de
Dieu. 4° Enfin, le livre de
l’Apocalypse donne le plan du Temple définitif, entouré d’une ville en pierres
précieuses si grandes qu’on n’en trouve pas sur cette terre[1456] : « De temple, je
n'en vis point en elle; c'est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son
temple, ainsi que l'Agneau. » Cette cité ne sera jamais construite
sur terre. Elle symbolise l’état définitif et éternel de l’humanité, dans la
vision béatifique, qui sera donnée face à face, sans l’intermédiaire créé de
l’humanité du Christ.
4. La dispersion du peuple d’Israël ne doit
pas être considérée comme une punition pour l’acte commis par ceux qui ont tué
Jésus car ce péché leur a été imputé personnellement lors de leur jugement
particulier. Cette dispersion est donnée aux nations comme un signe prophétique
qui manifeste les conséquences auxquelles aboutit tout péché. C’est donc un
signe apocalyptique de la dispersion que connaîtront les pécheurs à la fin du
monde lorsqu’ils passeront en jugement. En subissant une telle épreuve, le
peuple d’Israël réalise pour Dieu son rôle de peuple de prophètes donnés à toute
la terre.
5. Le Christ n’a pas été tué par les seuls
Juifs ou par quelques soldats romains. Il l’a été par chacun de nous, dans la
mesure où il est mort pour le péché de nous tous. Aussi il serait vain
d’affirmer que les persécutions que subissent les Juifs sont des punitions du
meurtre de Jésus. Il faut plutôt affirmer qu’Israël est donné aux nations comme
un témoignage prophétique des conséquences terribles auxquelles aboutissent les
péchés puisqu’ils tuent la vie de l’âme, d’une manière analogue à la barbarie
des persécuteurs lorsqu’ils massacrent un peuple innocent. Le peuple d’Israël
persécuté est donc signe de la fin du monde où se manifestera la haine
implacable du démon contre les enfants de Dieu.[1457]
6. Le peuple juif n’est pas signe des temps
par sa volonté propre mais par la volonté de Dieu qui fait de son histoire une
histoire sainte dont le sens symbolique témoigne des mystères présents dans
toute l’humanité et dans l’âme de chacun. C’est pourquoi, le retour dans la
terre d’Israël doit être considéré comme un signe des temps en soi, même si les
circonstances politiques sont humaines.
Il
en est de même pour les sept prophéties rappelées dans la conclusion. Leur
signification spirituelle apparaît avec évidence à celui qui est habitué à lire
de l’intérieur le reste de l’Histoire Sainte rapporté par la Bible : On y voit
symboliquement manifestées une multitude de choses spirituelles, depuis le sens
de la mort jusqu’à la parousie du Christ à cette heure. Toute l’histoire du
Salut y est inscrite à travers des allégories proches de celles du livre de
l’exode. Comme aux temps anciens, ce peuple est et demeure un signe grandiose
établi par Dieu à la face des nations.[1458]
7. Dans ce texte, Jésus
s'adresse non au peuple juif dans son ensemble mais au deuxième sens de ce mot
dans les évangiles : à savoir aux autorités Juives (pharisien, lévites etc.)
qui le rejetaient. Le peuple Juif dans son ensemble est à l'image de tous les
peuples. Jamais il ne trahit entièrement. Certains Juifs choisissent les
Antéchrists de chaque époque, d'autres les refusent. Et l'antisémitisme est
juste la généralisation que font les non-juifs, dans un mécanisme de bouc
émissaire décrit par René Girard : chacun est tenté d'identifier le tempérament
ou l'action de tel Juif qu'il n'aime pas, à la totalité des Juifs. C'est une
attitude liée à l’orgueil.
Pour en revenir à cette prophétie, elle s'est donc réalisée une
première fois en 70 ap. JC : Un tiers du peuple juif a suivi la folle révolte
militaire des prêtres et des zélotes, précipitant la nation entière dans la
ruine. Ils ont suivi « un autre. » Au cours des temps,
de même, des parties du peuple Juif ont suivi divers Antéchrist (capitalisme
pur, puis Marx, Lénine, etc.) A la fin du monde, il est certain qu'une partie
du peuple Juif, imitant le monde entier, suivra avec enthousiasme le dernier
Antéchrist. Mais attention : Les autorités Juives d’Israël, à cette époque là,
se comporteront héroïquement et pour le vrai Dieu, comme le firent les frères
de Joseph lors de la terrible épreuve de la coupe volée (livre de la Genèse).
Comment cela se réalisera-t-il dans les détails ? On l'ignore. Mais c'est une
certitude théologique rapportée par saint Paul.
Objections :
1. Il semble difficile d’affirmer que
l’histoire de Joseph, rapportée par la genèse 37, est une allégorie annonçant
la manière dont le Christ se révélera aux Juifs à la fin du monde. En effet
l’Écriture rapporte que Joseph mit ses frères à l’épreuve avant de leur
manifester son identité. Il fit accuser le plus jeune frère Benjamin d’un vol
qu’il n’avait pas commis. On ne voit pas à quoi peut correspondre une telle
épreuve si elle doit être appliquée au peuple Juif à la fin du monde.
2. L’histoire d’Israël montre que les
conversions qui eurent lieu furent provoquées par la vision de miracles
incontestables tels ceux opérés par saint Vincent Ferrier ou par des
apparitions comme celle que reçu le Père Ratisbonne. Il semble donc qu’il en
sera de même à la fin du monde.
3. Lorsque le Christ apparaîtra dans le
Ciel, entouré de lumière et de gloire, les Juifs reconnaîtront le Messie
douloureux. En effet, ils le refusent à cause de sa douleur et ne veulent
espérer qu’un Messie glorieux. Ils seront donc convaincus par un miracle de ce
genre et non par autre chose. C’est d’ailleurs de cette manière que les Juifs
reconnaissent le Messie à l’heure de leur mort depuis la résurrection du
Christ.
4. Il semble qu’on doive plutôt admettre
que le peuple d’Israël, à force de lire les prophéties explicites de la Bible,
parlant du serviteur douloureux seront convaincus de la réalité de la mission
messianique de Jésus crucifié.
Cependant :
Au
sens littéral, l’Écriture ne dit rien sur la manière dont Israël sera réintégré
dans l’Alliance divine. On ne peut rien affirmer de définitivement concluant en
ce domaine mais il est possible, de plusieurs manières, connaissant la manière
divine d’agir, d’inférer les grandes lignes de cette histoire.
Conclusion
:
À propos de la manière dont Israël découvrira
le Christ, il n’y a rien de pleinement certain si ce n’est ceci : la conversion
d’Israël en tant que peuple aura lieu. Elle sera un signe de la résurrection
des morts. Elle
sera opérée par Dieu, à l’heure de sa sagesse, puisqu’il est seul capable
d’ouvrir le cœur par sa grâce[1460].
Quant au mode de ce changement, rien n’est pleinement certain car on ne peut fonder
une théologie que sur des textes de l’Écriture ou du Magistère qui parlent
d’une manière littérale de ces choses.
Lorsqu’on se
trouve devant une telle question, il faut chercher s’il n’existe pas une
allégorie biblique où Dieu manifeste comment il se réconcilie un ancien ami[1461]. Or il en
existe deux au moins dont le récit peut éclairer ce mystère[1462]. Le premier
est une parabole de Jésus racontant l’histoire d'un homme qui avait deux fils[1463]. Le deuxième
concerne ce chapitre puisqu’il raconte la manière dont Dieu peut préparer
longtemps à l’avance une réconciliation. Il s’agit de l'histoire de Joseph[1464] et chacune des
péripéties de cette histoire semble constituer une annonce du Christ face à ses
frères Juifs. Il était le fils préféré de son père Jacob car il était le seul
enfant de l’épouse qu’il aimait, Rachel. Pour le lui prouver, il lui avait fait
faire une tunique bariolée, signe extérieur de sa préférence. Or ses dix frères
se mirent à le jalouser. Ils ne cessaient de l'importuner, se moquant des rêves
prémonitoires qu’il faisait et leur racontait. Un jour, son père l’envoya
porter de la nourriture aux champs pour ses frères qui y gardaient les
troupeaux. Ceux-ci le virent venir de loin et décidèrent de le tuer. Ils se
saisirent de lui, le jetèrent dans un puits et, avisant une caravane de
marchands qui passait, le vendirent pour la somme de 20 pièces d'argent. Ils
égorgèrent un agneau, mirent le sang sur sa tunique, et la montrèrent au père
en disant : « certainement, un fauve l'aura dévoré”. Jacob fut
inconsolable. Il reporta son affection sur un second fils de Rachel, né
pendant sa vieillesse. Benjamin naquit et sa mère mourut en le mettant au
monde. Joseph fut vendu comme esclave en Égypte. Le roi du pays remarqua ses
talents. Il l’éleva et en fit le premier de ses serviteurs. Il lui confia la
responsabilité de nourrir le pays tout entier.
Cette
histoire, pourtant réelle, est aussi une allégorie. Joseph vendu par ses frères
puis établi comme maître du pain de toute la terre d'Égypte n’est autre que la
figure de Jésus qui, après sa mort douloureuse, put donner le pain du Ciel à
toutes les nations païennes. Rachel sa mère, préférée de Jacob et morte en
mettant au monde le petit Benjamin symbolise et annonce Marie, la mère de
Jésus, morte dans son cœur de mère au pied de la croix en mettant au monde
l'Église. Il suffit de lire le texte pour s'apercevoir des correspondances
étonnantes.
En gardant la
même méthode et en remplaçant le personnage de Joseph par Jésus, celui de
Pharaon par Dieu, de l’Égypte par les nations chrétiennes, de Rachel par Marie,
de Benjamin par l’Église, des dix frères pécheurs par le peuple juif, on
assiste comme dans une prophétie à la suite des temps. En effet, le récit
raconte ensuite comment Joseph, devenu maître du pays d'Égypte, se réconcilia
avec ses dix frères criminels. "Puis il advint une grande famine sur toute
la terre. L'Égypte (symbole des peuples chrétiens), gardée par l'intelligence
de Joseph, ne manquait de rien. Jacob et ses fils (Israël) n’eurent bientôt
plus rien et, apprenant que l'Égypte vivait dans l'abondance, ils décidèrent de
s’y rendre et d'acheter à prix d'or du pain. Mais Jacob ne voulut pas que son
fils Benjamin accompagne les dix autres frères, redoutant quelque chose pour sa
vie. Arrivés en Égypte, ils furent reçus par Joseph qui les reconnut. Mais eux
ne le reconnurent pas car il était vêtu en Égyptien. Alors, volontairement,
Joseph leur parla mal et dit les soupçonner d'être des espions venus observer
la faiblesse du pays. Eux nièrent et se proclamèrent onze frères fils d'un même
père et poussés par la famine vers l'Égypte pour y acheter du pain. Joseph fit
semblant de ne pas les croire. Il garda Siméon en otage exigeant d'eux qu’ils
reviennent avec leur plus jeune frère Benjamin pour prouver leur bonne foi. Ils
partirent donc, inquiets et mortifiés, se demandant si Dieu ne leur faisait pas
ainsi payer leurs crimes envers Joseph. Arrivés devant Jacob, il leur raconta
les exigences du maître de l'Égypte mais lui ne voulut pas laisser partir
Benjamin, effrayé pour sa vie. La famine se fit plus dure sur le pays. Il
fallut, sous peine de mort, retourner en Égypte. Alors Jacob (que Dieu appelle
aussi Israël) laissa partir son fils Benjamin avec eux. Les fils d’Israël
arrivèrent donc devant Joseph qui les reçut bien, fit libérer Siméon et les
invita à sa table. Ils ne le reconnurent toujours pas. Alors qu'ils
s’apprêtaient à partir, Joseph dit à son intendant : « Tu cacheras la coupe en
argent, celle dont je me sers pour lire l’avenir, dans le sac du plus jeune. » Les
fils d’Israël étaient partis depuis peu, lorsque Joseph dit à son intendant : « Rattrape-les,
reproche-leur le vol. » L'intendant le fit. Mais eux nièrent en
disant : « fouille nos sacs. Celui chez qui on trouvera la coupe, mourra et nous,
nous serons tes esclaves. » « Soit, répondit l'intendant, celui chez
qui on trouvera la coupe sera mon esclave et les autres seront libres de
partir. » On fouilla les sacs et on trouva la coupe chez Benjamin.
Alors les fils d’Israël déchirèrent leurs vêtements et revinrent vers la ville.
Ils entrèrent dans la maison de Joseph et Judas, celui-là même qui avait pris
la décision de le vendre aux marchands[1465] lui dit en
substance : « Benjamin est le seul fils qui reste à notre père depuis que Joseph a
disparu. S'il ne revient pas, notre père mourra et je porterai la culpabilité
de sa mort. Alors laissez partir l’enfant et prends-moi comme esclave à sa
place. » Devant cette attitude de ses frères, Joseph ne put se
contenir plus longtemps. Il fit sortir tous les Égyptiens présents et éclata en
sanglots. Il leur dit : « Je suis Joseph, mon père vit-il encore ? » et
ses frères ne purent lui répondre car ils étaient bouleversés de le voir. Alors
Joseph dit à ses frères : « approchez-vous de moi. Ne soyez pas triste de
m’avoir vendu ici en Égypte car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a
envoyé devant vous. »
Tel est le
résumé des épreuves que Joseph imposa à ses frères avant de se révéler à eux.
Il voulut voir de ses yeux s'ils avaient changé, s'ils se comporteraient avec
Benjamin comme ils s’étaient comportés avec lui. Or ils ne voulurent pas le
livrer. Au contraire, Judas le plus coupable de tous se proposa pour être
esclave à sa place.
Il s’agit
aussi d'une allégorie nous racontant la manière dont Jésus procédera
probablement vers la fin du monde avec le peuple juif. Elle indique de quelle
manière Jésus mettra à l’épreuve ses frères juifs. Benjamin semble symboliser
l'Église, du moins ses restes à la fin du monde. Sera-t-elle protégée un temps
par les chefs du peuple d’Israël ? Prendront-ils la décision d'empêcher sa
destruction totale par les forces de l’Antéchrist ? Il semble en tout cas, si
l’on suit cette allégorie prophétique, qu’ils ne se comporteront plus de la
même manière qu’au temps de Jésus. Certains théologiens de jadis affirmèrent
que le dernier pape reviendrait mourir à Jérusalem : « Il ne convient pas qu’un prophète meure en dehors de Jérusalem », disait
Jésus[1466]. Dieu se
plaît en effet à réaliser de manière historique ce qu’il veut signifier au sens
le plus spirituel. Alors, bouleversé par le changement des Juifs, Jésus se
révélera à eux dans toute sa gloire de Roi de la Terre. Ainsi se réalisera la
parole donnée au Sanhédrin par le Christ douloureux : « Vous verrez le Fils de
l’homme siégeant à la droite de la puissance et venant avec les nuées du
Ciel ».[1467]
Solutions :
1. D’après certains auteurs[1468], Benjamin symbolise l’Église. En effet,
de même que Rachel a eu deux fils, Joseph et Benjamin et qu’elle est morte en
mettant au monde Benjamin, de même la vierge Marie a deux fils, Jésus et
l’Église. Elle mit au monde l’Église à la croix en mourant dans son cœur avec
son fils aîné. Selon eux, l’allégorie de Joseph doit donc être interprétée
comme il suit : Vers la fin du monde, Dieu permettra que l’Église soit
persécutée de telle façon que son petit reste sera obligée de s’exiler vers
Jérusalem. Sa survie sera donc dépendante du peuple juif qui acceptera de la
protéger, effaçant du même coup l’acte par lequel ses ancêtres avaient éliminé
le Christ qui venait les sauver. Alors la grâce de la conversion leur sera
accordée par Dieu.[1469]
2. Il dépend de Dieu seul de convertir les
cœurs. Il peut le faire en disposant l’âme à la réception de la grâce par les
signes ou par des miracles ou encore par l’infusion sensible du Saint Esprit.
Il peut aussi le faire par la seule prédication de ses apôtres, qu’il rend
efficace avec les charismes. C’est ce que veut exprimer cette parole du
Seigneur : « Dieu peut de ces pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham.
» Seules les âmes définitivement perverties dans le péché peuvent
résister à la manifestation du seigneur et à la conversion. Ainsi, s’il ne le
fait pas, c’est qu’il ne le veut pas. C’est pourquoi on doit dire que Dieu se
réserve la conversion d’Israël pour la fin du monde.
3. Il est vrai que l’apparition glorieuse
du Messie à la fin du monde réalisera la conversion de la totalité d’Israël,
parce qu’elle prouvera à toutes les intelligences la vérité de sa mission.
Cependant, on peut se demander si cette conversion se fera juste avant cette
parousie ou en même temps qu’elle. Les deux opinions sont soutenables car
toutes deux auront un sens très profond. Je penche pour ma part pour la
première opinion pour la raison suivante : c’est en ce monde, dans la nuit de
l’errance et non dans la pleine lumière que la totalité des Écritures sera
accomplie.
4. L’expérience montre que la lecture des
Écritures ne suffit pas à convaincre les Juifs de la nature de Jésus Christ si
elle n’est pas accompagnée de la grâce de Dieu qui seule peut ouvrir le sens
caché des Écritures selon Luc[1470]. De tout cela, on doit conclure que la
conversion d’Israël est repoussée jusqu’à la fin du monde à cause de la volonté
de Dieu qui veut inscrire son salut jusque dans l’aventure de l’histoire des
nations.
A
propos de l’Église, nous nous poserons huit questions :
1° Y aura-t-il des martyrs ?
2° L’évangile doit-il être prêché à toutes
les nations ?
3° L’Église doit-elle subir un martyre vers
la fin du monde ?
4° Peut-on savoir comment se produira ce
martyre ?
5° L’heure de l’Église sera-t-elle annoncée
par la papauté ?
6° Sera-t-elle annoncée par la liturgie ?
7° L’Abomination de la désolation
doit-elle s’installer dans le siège Apostolique ?
8° Le Christ, lorsqu’il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ?
9° Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal
avant le retour du Christ ?
Objections :
1. Il ne convient pas qu’il y ait des
martyrs sanglants. En effet, le Seigneur a donné à ses apôtres le pouvoir de
chasser les démons, d’accomplir des miracles. Ils doivent donc pouvoir se
défendre, selon ce texte de l’Apocalypse[1471] : «
Si l’on s’avisait de les malmener, un
feu sortirait de leur bouche pour dévorer leurs ennemis. »
2. Le Christ a donné par son martyr un
témoignage suffisant aux nations. Il paraît donc inutile que d’autres donnent
leur vie à sa suite.
Cependant :
«
Avant tout cela, on portera la
main sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux
prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon
Nom, et cela aboutira pour vous ou martyre ».[1472]
Conclusion :
Les
martyrs sont pour le monde signes de sa fin prochaine puisqu’ils manifestent
par le don de leur vie le peu de prix qu’ils accordent aux choses de la terre
en comparaison de la gloire spirituelle qui est préparée aux hommes pour
l’au-delà. C’est pourquoi il convient que chaque génération ait des martyrs.
Vers la fin du monde, les martyrs seront plus nombreux à cause de la
persécution du démon qui, sentant son temps compté, suscitera un homme perverti
qui luttera contre les saints. C’est pourquoi les martyrs des derniers temps
seront encore plus immédiatement signes de la fin du monde.
Il
se peut cependant qu’ils ne soient pas tous des martyres sanglants. Les
méthodes de l’Antéchrist seront plus efficaces et plus subtiles. L’Apocalypse
en donne une idée[1473] : «
Nul ne pouvait plus ni acheter ni
vendre s’il n’était marqué du signe de la Bête. » Ce martyr, s’il ne
va pas jusqu’au don de la vie, peut nécessiter une plus grande force car il est
donné goutte à goutte, jour après jour. L’ennemi est plus difficile à
identifier et s’insinue plus dangereusement dans les pensées qu’un tyran bien
repéré. S’il en est ainsi, l’Église réalisera à la fin de son histoire l’image
première de son martyre : Jésus fut crucifié et Marie, reine des martyres, ne
le fut que dans son âme.
Solutions :
1. Le pouvoir donné par le Seigneur à ses
apôtres et à son Église tout entière, rend invincible face aux attaques de ceux
qui veulent contredire la parole de Dieu, selon le Seigneur[1474] : « Mettez-vous dans
l’esprit que vous n’aurez pas à préparer d’avance votre défense : Car moi je
vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne
pourra résister ni contredire. » Et le martyr sanglant lui-même
parachève cette victoire. C’est pourquoi le Seigneur disait à sainte Jeanne
d’Arc, pour lui annoncer son martyr : « Tu seras délivrée de tes agresseurs par
grande victoire. »
2. Par leur martyr, les saints rendent
visible à travers la durée de tous les temps l’unique martyr accompli par le
Christ. D’autre part, ils appliquent à leur génération d’une manière efficace
les grâces obtenues par la passion du Seigneur. En ce sens, ils peuvent être
nommés co-rédempteurs. C’est ce que veut exprimer saint Paul[1475] : «
Je complète dans ma chair par les
souffrances que j’endure pour vous ce qui manque aux épreuves du Christ. » Par
son efficacité, le sang des martyrs est semence de chrétiens.
Objections :
1. Il semble que l’Évangile ne sera pas
prêché à toutes les nations puisque le Seigneur dit à ses apôtres[1476] : «
qu’ils n’achèveront pas le tour des
villes d’Israël avant que ne vienne le fils de l’homme. »
2. Le Seigneur lui-même ne semble pas
vouloir que toutes les nations entendent l’annonce de l’Évangile, selon les
Actes des apôtres[1477] : «
Le Saint Esprit les empêcha d’annoncer
la Parole en Asie. Ils tentèrent d’entrer en Bithynie, mois l’Esprit de Jésus,
ne le leur permis pas. »
3. Il semble que la prédication de
l’Évangile à toutes les nations ne soit pas un signe de la fin du monde. En
effet, dès les temps apostoliques, cette prophétie fut réalisée selon saint
Paul[1478] : «
l’Évangile que vous avez entendu a été
prêché à toutes les créatures sous le Ciel. »
4. La réflexion théologique a désormais
donné à ce signe sa vraie dimension : on admet en effet que l’annonce du Christ
intéresse chaque individu qui est appelé à s’ouvrir à lui, même si c’est
seulement d’une manière implicite. Depuis toujours, le drame de l’accueil ou du
refus de la Vérité est universel, et ce signe, loin d’être interprété d’une
façon purement géographique, doit être conçu comme l’affirmation que tout
homme, lors de la venue du Christ, sera jugé selon ses œuvres d’adhésion ou de
rejet de la vérité ; il n’y a pas de possibilité de rester neutre.[1479]
Cependant :
Le
Seigneur annonce[1480] : «
Il faut d’abord que l’Évangile soit
proclamé à toutes les nations. »
Conclusion :
Il
est nécessaire que la bonne nouvelle du salut proposé par Dieu soit prêchée à
toutes les créatures spirituelles. En effet, comme on l’a vu, Dieu a créé les
anges et les hommes en vue de communiquer sa gloire à ceux qui l’aiment. Or nul
ne peut être introduit dans la gloire s’il ne la veut et nul ne peut la vouloir
comme sa fin dernière s’il n’en connaît l’existence. C’est pourquoi, tous les
hommes de tous les temps, les anges eux-mêmes et, s’il existe d’autres formes
de vie spirituelle, tous ces êtres reçoivent l’annonce de l’Évangile, chacun
cependant selon le mode de sa nature.
C’est
pourquoi les anges reçurent au jour de leur création la prédication de
l’Évangile, selon le mode qui leur est connaturel, c’est-à-dire par l’infusion
dans leur âme du contenu intelligible de cette parole de Dieu.
Quant
à l’homme, pour la même raison, il reçoit depuis toujours la prédication
explicite de la venue du Messie de la charité pendant sa vie terrestre. Nous
avons montré que cette prédication était la plupart du temps réalisée à l’heure
de la mort soit par l’ange soit par le Seigneur lui-même. Mais il existe bien
d’autres modes, selon l’époque où il vit.
Les
premiers humains reçurent la prédication de l’Évangile à travers le premier
père et la première mère Adam et Ève, qui le tenaient eux-mêmes de la
grâce originelle. Ceux-ci
devaient transmettre l’amour du salut éternel à leurs enfants. Mais, par leur
péché, ils se révoltèrent contre l’humilité de leur condition et séparèrent de
l’évangile l’humanité qui devait sortir d’eux. Ainsi, le contenu de l’Évangile
fût-il perdu par l’homme. Il n’en demeura plus qu’un vestige à travers la
promesse du Seigneur d’une rédemption future, selon la Genèse[1481] : «
Ta descendance écrasera la tête du
serpent. » Et, jusqu’à la venue du Christ, les hommes furent
disposés à recevoir le salut par la foi en la promesse d’une rédemption future.
Une telle promesse qu’ils recevaient dès cette terre ou au moment de la mort ne
pouvait, si elle était reçue par une âme favorablement disposée, les introduire
immédiatement dans la gloire éternelle. Les morts devaient attendre dans les
limbes la venue du Nouvel Adam et de la nouvelle Ève qui annuleraient la
révolte des premiers parents et effacerait la dette des péchés commis par le
monde entier. C’est ce qui fut accompli à l’heure de la mort du Christ. C’est
pourquoi le rideau du Temple se déchira et le cœur du Christ fut ouvert, ce qui
symbolise que désormais, l’entrée dans la vision béatifique qui est le Saint
des saints était possible à tout homme aimant Dieu. Selon saint Pierre, durant
les trois jours du sépulcre, le Christ descendit aux enfers[1482] : «
Il s’en alla prêcher aux esprits en
prison, à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque temporisait la
longanimité de Dieu, aux jours où Noé construisait l’Arche. » C’est
donc à cette heure que l’humanité qui avait vécu avant le Christ reçut la
plénitude de la révélation. Déjà ces générations avaient été jugées et les
méchants ne firent que s’obstiner dans leur perversité, recevant la
confirmation de leur condamnation à l’enfer éternel. Les âmes de bonne volonté
adhérèrent à la personne du Christ enfin présente devant eux. Ils furent
introduits dans la vision béatifique.
Quant
aux hommes qui vivent encore sur la Terre après la passion du Christ, ils
continuent de recevoir tous sans exception la prédication de l’Évangile. Pour
tous, la prédication est donnée par le Christ lui-même, accompagné des saints
et des anges lors de son apparition au moment de la mort. Et cette prédication
est par elle-même signe invisible pour nous mais réel du retour du Christ et de
la fin de ce monde puisque son objet propre est d’annoncer la vie éternelle.
C’est
pourquoi, on doit dire que cette prophétie de Jésus sur l’annonce de l’Évangile
à toutes les nations s’est toujours réalisée. Mais, pour le signifier de
manière visible, Dieu n’hésite pas à la rendre visible à travers le monde
politique et médiatique. Ainsi, les douze apôtres allèrent dès les premiers
temps de l’Église prêcher par toute le terre, depuis l’Inde jusqu’à l’Égypte,
aidés des divers charismes divins qui rendaient leur parole efficace. Vers la
fin du monde, il en sera de même. La parole du Christ sera de nouveau
matériellement réalisée par une prédication visible à chacun des pays de
la terre[1483]. Ce signe médiatique sera donné pour
les hommes et ceux qui savent lire les signes des temps comprendront sa
signification apocalyptique. Cela ne veut pas dire que l’Évangile sera accepté
par toutes les nations.
Solutions :
1. Il est vrai que les apôtres envoyés par
Dieu à chaque génération n’ont jamais eu le temps de faire entendre leur parole
à tous les hommes sans exception. Cependant, ils ont pu annoncer l’Évangile à
toutes les nations du monde connu. De cette manière, ils ont réalisé
symboliquement le commandement du Seigneur leur enjoignant d’aller par toutes
les nations. Ils ont donné à l’humanité un signe suffisant de l’imminence du
retour du Christ.
2. Saint Paul montre que la conduite de
l’Esprit Saint sur l’humanité dépasse les pensées limitées des hommes. Ainsi,
que Jésus lui-même empêche ses apôtres d’évangéliser certaines nations, ce ne
peut être qu’à cause d’un bien supérieur, en rapport avec le salut éternel de
toute l’humanité. C’est de cette façon que l’on doit expliquer les échecs
successifs des apôtres pour évangéliser la Chine. Selon le Psaume[1484] : «
Si le Seigneur ne bâtit la maison, en
vain peinent les maçons. » Selon certains, de tels échecs
s’expliquent par le péché des nations à convertir ou encore par celui des
apôtres. Mais de tels arguments ne suffisent pas car l’évangile est fait pour
les pécheurs. On doit donc parler autrement : 1° Il convient que certaines nations restent païennes afin que le
zèle de l’Église à les convertir ne s’arrête jamais et qu’elle ne soit pas
tentée de s’assoupir dans son attente du retour du Sauveur. 2° Les nations païennes témoignent pour
celles qui sont chrétiennes de l’état de l’homme quand il ne reçoit pas la
liberté de l’Évangile.
3. Nous avons suffisamment répondu à cette
objection dans la conclusion.
4. L’accueil implicite du Christ par la
bonne volonté des actes humains réalisés au quotidien par les païens ne saurait
en aucun cas être identifié au signe dont nous parlons ici. L’Écriture sainte
et l’Église ont suffisamment manifesté la place de ces actes bons[1485] : Ils disposent au salut, c’est-à-dire
à l’accueil amoureux de la vie surnaturelle mais ils ne sont pas le salut.
Jésus lui-même, face à Nicodème venu le voir[1486] avec toute la volonté droite, la foi et
l’espérance d’Israël lui signale qu’il ne peut entrer dans le Royaume « sans renaître d’en haut »[1487]. Cette naissance est réalisée par la venue
du Saint Esprit dans le cœur à cœur explicite que permet la grâce
sanctifiante. La présence d’une grâce actuelle dans tout acte bon même chez les
païens est sans comparaison avec cette amitié. C’est pourquoi on doit affirmer
que l’Évangile sera réellement prêché à toutes les nations, c’est-à-dire à
chaque homme avant la fin. Ce signe se réalise de trois manières principales : 1° Au cours de l’histoire par les
apôtres et les autres moyens de l’Église terrestre ; 2° À l’heure de la mort par le Christ glorieux ; 3° À la fin du monde pour la dernière
génération face au Christ glorieux.
Objections :
1. L’Église ne doit pas être détruite à la
fin du monde. Notre Seigneur affirme en effet : « que les portes de l’enfer ne
l’emporteront pas sur elle"[1489].
2. Le Seigneur dit à Pierre à propos de
Jean[1490] : «
S’il me plaît qu’il demeure sur la
terre jusqu’à ce que je vienne, que t’importe. » Or Jean symbolise
les disciples que Jésus aime particulièrement à cause de la pureté de leur foi.
Donc l’Église subsistera au moins dans ces disciples lors au retour du Christ.
3. L’Église est appelée par l’Apocalypse[1491] « l’épouse du Christ. » Or le
Christ est mort pour son épouse, afin de la rendre immaculée. Il est donc
inconvenant que cette épouse subisse à son tour la mort.
4. On a montré précédemment qu’Isaac était
un symbole de l’Église. Or le sacrifice d’Isaac ne fut pas consommé jusqu’au
bout. Un ange arrêta le bras sacrificateur. Il doit donc en être de même à la
fin du monde pour l’Église.
Cependant :
L’Apocalypse
affirme[1492] : «
On donna à la Bête de mener campagne
contre les saints et de les vaincre » ; De même, le Seigneur
regardant la beauté du Temple de Jérusalem annonce sa destruction et en fait un
signe de la fin du monde. Or le véritable temple, c’était son corps qui devait
être broyé sur la croix et ressusciter trois jours plus tard. C’est aussi
l’Église qui est le corps mystique du Christ.
Conclusion :
L’Église
qui est née après la mort de Jésus sur la croix et le don du Saint Esprit, n’a
d’autre mission que de rendre présent pour tous les lieux et tous les temps la
rédemption des péchés opérée par Jésus Christ, sa parole et l’espérance de la
gloire promise. Elle a donc la même mission que Jésus lui-même.
D’autre
part, c’est par le même Esprit Saint qu’elle est conduite invisiblement à
travers les temps pour accomplir cette fin. Ainsi, ce que fit le Christ poussé
par l’Esprit, c’est ce que fera l’Église poussée par le même Esprit. Ce
principe doit être constamment à l’esprit pour comprendre les évènements de la
fin du monde. Les évangiles montrent que Jésus fut conduit par l’Esprit Saint
durant sa vie terrestre de telle façon que sa mission ne s’arrête pas par la
seule prédication mais aille jusqu’au don personnel et volontaire de sa vie sur
la croix. De même, l’Église qui est le Christ continué sur la terre, après
avoir prêché l’Évangile à toutes les nations, sera conduite de l’intérieur pour
se préparer à un martyre sanglant, à un temps de sépulcre puis à une
résurrection qui sera appliquée glorieusement à tous les hommes selon cette
parole de Jésus[1493] : «
Si le grain tombé en terre accepte de
mourir, il porte beaucoup de fruits. »
C’est
ce qu’exprime le Magistère ordinaire et sûr du Catéchisme de l’Église
catholique[1494] : «
Avant l`avènement du Christ, L’Église
doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants.
La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre dévoilera le
"mystère d’iniquité" sous la forme d’une imposture religieuse
apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de
l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de
l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo messianisme où l’homme se
glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair.
L’Église n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où
elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le Royaume ne
s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église selon un progrès
ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal, qui
fera descendre du Ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal
prendra la forme du jugement dernier, après l’ultime ébranlement cosmique de ce
monde qui passe. »
Solutions :
1. Il faut se garder d’interpréter de
telles paroles de Jésus de manière extérieure et politique. Elles sont avant
tout spirituelles et concernent la victoire de la vie éternelle. Il ne faut pas
se tromper sur le sens réel des paroles de Dieu. Qu’on se souvienne du trouble
analogue qui saisit
la réflexion juive de l’Ancien Testament dans la tension d’une foi enseignant
sans ambiguïté que "Dieu comble de
biens les hommes droits et renvoie les riches les mains vides" et la constatation
quotidienne de l’inverse. Cette dramatique expérience fut source d’une mutation
spirituelle majeure depuis le livre de Job vers celui de la Sagesse, en
préparation de la venue de Jésus. Au temps de leur gloire, les Juifs tuaient
comme hérétiques les prophètes qui osaient annoncer, chose impossible en raison
de la présence réelle de Dieu, la destruction du Temple. Il fallut plusieurs
ruines et déportations d’Israël pour que certains comprennent que ce qui
importait à Dieu, c’était le temple spirituel du cœur de chaque homme. Il est à
remarquer que Dieu se plaît dans d’apparentes contradictions. Nous en sommes
frappés à l’évocation des nombreux exemples qui jalonnent l’Écriture ou la vie
des saints : Jeanne d’Arc, demandant à ses voix si elle serait sauvée
s’entendit répondre : « Oui, par grande victoire! » Deux jours plus tard, elle était
brûlée vive. Pour le théologien, l’opposition apparente entre foi et réalité,
loin d’être une torture, constitue le lieu théologique par excellence, le lieu
des découvertes. Deux vérités apparemment contradictoires, dont l’une procède
de la foi (les portes de l’enfer ne
l’emporteront pas sur l’Église) et l’autre de l’expérience (l’Église disparaîtra de façon visible de la
surface du monde) et qui sont comparables à deux silex durs qu’on frotte :
la lumière en jaillit. Quand nous voyons horreur, martyre sanglant ou échec
politique, Dieu voit victoire, règne éternel et gloire. Pour lui, la victoire
réelle est celle qui se termine en Vie éternelle (donc, encore et toujours
humilité (kénose) et charité). Elles le seront de fait car le pape et le clergé
de cette époque seront disposés à faire de leur sacerdoce et de leur vie une
offrande d'amour, une dernière messe unie à la Messe éternelle de Jésus. Le
Ciel entier sera ébranlé devant leur sainteté et le retour du Christ ne sera
plus lointain.
Ainsi,
de même que, à la croix, les portes de l’enfer n’ont pas vaincu Jésus malgré ce
qui apparaissait extérieurement, mais ont au contraire été détruites par le
Messie, de même, à la fin du monde, le martyre sanglant et volontaire de
l’Église à travers ses saints marquera la victoire définitive et sera suivi,
après un temps que Dieu connaît, par le retour du Christ et la résurrection des
morts.
2. Par une partie d’elle-même, qui sera la
partie visible symbolisée par Pierre[1495], l’Église imitera la passion du Christ
jusque dans le sacrifice total. Cependant, par une autre partie symbolisée par
Jean, l’Église imitera la compassion vécue par la vierge Marie au pied de la
croix. C’est pourquoi, vers la fin des temps, la vierge Marie préparera
elle-même une partie de l’Église en vue de la rendre capable d’assister au
martyre de l’Église hiérarchique et visible sans perdre la foi ou sombrer dans
le désespoir.[1496]
3. Même l’analogie de l’épouse quand elle
est appliquée à l’Église peut permettre de comprendre les convenances de ce
martyre annoncé par Dieu pour la fin des temps. En effet, une épouse, lorsque
l’amour de son époux a pleinement pris sa vie suit son époux partout où il va.
S’il est condamné à mort, elle est prête à l’assister dans son martyr et à
s’unir à lui par la volonté ce qui est la compassion. Mais si elle est
condamnée à mort avec son époux, elle le suit et l’imite jusque dans sa passion.
C’est ainsi que, à la fin des temps, l’Église dans sa partie visible s’offrira
elle-même pour le salut du monde, unie par la charité de façon unique et jamais
vue au sacrifice du Messie. Ce sera la dernière Messe d’une rédemption et de la
coopération de l’humanité.
4. À la fin du monde, une partie de
l’Église subira réellement le martyre sanglant et en particulier sa partie
visible qui est essentiellement représentée par la hiérarchie. C’est ce
qu’annonce Jésus à Pierre qui symbolise cette Église hiérarchique[1497] : «
Il signifiait, en parlant ainsi, par
quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. » Cependant, le
sacrifice de l’Église ne sera pas consommé au point de faire disparaître du
monde tous les chrétiens. C’est ce que le Seigneur annonce en saint Matthieu[1498] : «
Il y aura alors une grande
tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde
jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais plus. Et si ces jours là n’avaient
pas été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve. Mais à cause des élus, ils
seront abrégés ces jours-là. »
Objections :
1. Il semble que la passion de Jésus ne
doive pas être considérée comme une allégorie préfigurant la manière dont
l’Église sera conduite au martyre. En effet, le Christ est mort crucifié. Il
est impossible que les chrétiens le soient à la fin du monde.
2. Ce qui est exprimé par mode d’allégorie
ne peut suffire à fonder une véritable théologie. Mais seuls les textes qui
expriment au sens littéral les mystères divins peuvent faire autorité. Si l’on
sort de cette règle, on risque de sombrer dans l’imaginaire. Donc on ne peut
savoir comment se fera le martyre de l’Église.
3. Dans les Actes des apôtres, le Seigneur
dit[1499] : «
Il ne vous appartient pas de connaître
les temps et les moments que le Père a fixé de sa propre autorité. » De
même, ne doit-on pas dire qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître comment
se produira la fin.
4. La destruction du Temple de Jérusalem ne
peut être une allégorie de celle de l’Eglise à la fin du monde. Le Temple fut
détruit car périmé. L’Église le sera comme martyre sainte, à l’image du Christ.
Cependant :
Le
Seigneur ne fait rien sans en parler d’abord à ses prophètes. En outre, il a laissé
à l’Église certaines prophéties contenues dans les évangiles, les épîtres et
l’Apocalypse. Il est donc possible de savoir comment se fera le martyre de
l’Église.
Conclusion :
Comme
on l’a dit, l’Église devra subir le martyre à la fin des temps parce qu’elle
est une avec le Christ. Cependant, s’il s’agit de savoir comment se produira ce
martyre, il faut reconnaître qu’on ne peut rien dire de définitif. En effet,
les prophéties de l’Écriture à ce propos s’appliquent aussi à d’autres
événements comme la ruine de Jérusalem et la destruction du temple. De même
l’Apocalypse révélée à saint Jean a une signification universellement valable à
toutes les époques du monde puisqu’elle explique à la fois la conduite de Dieu
sur notre âme, sur l’humanité et sur l’Église.
Il
reste cependant des textes dont la signification allégorique ne fait pas de
doute par rapport à la fin de l’Église. Ils peuvent donner une certaine idée
des événements qui se produiront :
1° Et le premier d’entre eux est le récit
de la passion rapporté par les évangiles. Comme nous l’avons montré, l’Église
est invisiblement menée dans son pèlerinage terrestre par le même Esprit que
celui de Jésus. La vie de Jésus est donc l’image préfiguratrice de celle de
l’Église en tant qu’elle est sainte. C’est ce que Jésus veut signifier à saint
Pierre quand il lui dit : « Suis-moi », après lui avoir
annoncé la manière dont il mourrait[1500]. La fin de l’évangile de Jean est à cet
égard, le texte allégorique le plus explicite sur le rapport entre la passion
de Jésus, celle de Pierre et celle de Jean imitant la vierge Marie qui lui
avait été donnée pour mère à la croix.
2° En
second lieu, l’annonce
de la ruine du temple de Jérusalem signifie prophétiquement celle du nouveau
temple qu’est l’Église. Il faut remarquer que les récits concernant Jérusalem
sont présents non seulement dans le discours eschatologique de Jésus[1501] mais aussi dans le livre du prophète
Daniel qui reçut la révélation des événements tragiques qui se préparaient.[1502]
3° En troisième lieu, le livre de l’Apocalypse
peut être éclairant puisqu’il révèle ce qui est caché dans cette lutte à savoir
la présence du démon qui, tel un dragon, poursuit la femme et sa descendance
sur la terre, et la présence de Dieu qui conduit par ces épreuves les hommes
vers la Jérusalem céleste.
Solutions :
1. La passion du Christ ne doit pas être
vécue par l’Église d’une manière matérielle. Mais elle est une analogie dont le
sens allégorique annonce et préfigure dans quel esprit se fera cette passion.
Ainsi, la mort sur la croix ne sera pas appliquée matériellement à l’Église
comme si les clercs devaient être crucifiés à la fin du monde. Mais elle le
sera réellement d’une manière que Dieu connaît puisque l’Antéchrist fera
disparaître dans l’infamie d’une mise à mort méprisante les serviteurs de Dieu.
C’est ce qu’exprime symboliquement l’Apocalypse[1503] : «
Quand ils auront fini leur témoignage,
la Bête qui surgit de l’abîme viendra guerroyer contre eux, les vaincre et les
tuer. Et leurs cadavres, sur la place de la grande cité, Sodome ou Égypte comme
on l’appelle symboliquement, Leurs cadavres demeurent exposés au regard des
peuples, sans qu’il soit permis de les mettre au tombeau. Les habitants de la
terre s’en réjouissent et s’en félicitent. » C’est ce que semble
aussi annoncer le troisième secret de Fatima qu’il convient de citer et de
regarder avec attention. Car ce genre de révélation privée, dont Dieu manifeste
l’authenticité à l’Eglise par des miracles indubitables, si elle n’apporte rien
de nouveau au contenu du dogme de la foi, est importante pour ce qui est de
l’espérance théologale puisqu’elle donne à chaque génération des indications
importantes concernant le mode de réalisation de cette foi et la proximité du
retour du Christ : « Et nous vîmes, dans une lumière immense qui
est Dieu quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes
dans un miroir, un évêque vêtu de blanc, nous avons eu le pressentiment
que c’était le Saint-Père. Nous vîmes divers autres évêques, prêtres, religieux
et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y
avait une grande croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne liège avec
leur écorce. Avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à
moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de
souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur
son chemin. Parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la
grande croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups
avec une arme à feu et des flèches. Et de la même manière moururent les uns
après les autres les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses et
divers laïcs, hommes et femmes de classe et de catégories sociales différentes.
Sous les deux bras de la croix, il y avait deux anges, chacun avec un arrosoir
de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs et avec
lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »
2. Il convient que les mystères du futur
soient en partie cachés sous les voiles de l’allégorie. En effet, si les hommes
connaissaient avec certitude tous les détails accompagnant la fin au monde, ils
risqueraient de s’appesantir dans leur espérance, se tenant l’un à l’autre ce
langage : « la fin du monde n’est pas
pour notre temps. » Par contre, il
est essentiel que certains hommes connaissent d’une manière générale les
raisons et les causes de la tribulation qu’ils vivent : de cette manière, ils
peuvent s’unir spirituellement au mystère dont ils pénètrent en partie
l’essence. C’est pourquoi le livre de l’Apocalypse, dont le style est
allégorique, a été donné aux hommes. Il permet de fonder une théologie de
l’espérance puisqu’il annonce la fin du monde et la Jérusalem céleste. D’autre
part, il invite l’homme à scruter les signes des temps qui annoncent le retour
du Christ. Cependant, on doit admettre que les textes symboliques de
l’Apocalypse doivent être éclairés par d’autres textes tirés des évangiles, des
épîtres, de la Tradition sainte et de la confirmation du Magistère.
3. Et cela répond à la troisième objection.
Mais on doit admettre que nul ne peut connaître l’heure de l’Église,
c’est-à-dire le moment où son martyre sera consommé. Il est possible, avec
beaucoup de prudence, d’en donner un scénario général. L’Antéchrist final
installera dans les cœurs humains et sur les nations son royaume de l’homme
sans Dieu par des méthodes qui ne laisseront place à aucune ambiguïté. Au
contraire, le vrai pape et la vraie Église de cette époque auront à subir un
martyre, très souvent annoncé par l'Écriture. "Quand tu étais jeune, dit Jésus au pape Pierre[1504], tu
mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu seras devenu
vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne
voudras pas. Il indiquait ainsi, commente saint Jean, par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela,
il lui dit : « suis-moi. » Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur
suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas, s’était
penché sur sa poitrine et avait dit : « Seigneur, qui est-ce qui te livre ? Le
voyant donc, Pierre dit à Jésus : Seigneur, et lui ? Jésus lui dit : « S'il me
plaît qu’il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. »
Le bruit se répandit parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus
avait dit à Pierre : « Si Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne. » Et
non : il ne mourra pas. »
Ce
texte est bien évidemment adressé non seulement à Pierre et à Jean
individuellement mais à toutes les Églises de tous les temps. Il s’agit d'un
exemple typique du style des prophéties de Jésus : Pierre est vraiment mort
martyrisé et Jean de vieillesse, le jour où le Seigneur est venu le chercher
par son apparition à l'heure de sa mort. Mais il s’agit aussi d'une allégorie
racontant la fin de l'Église. Ainsi, le texte de saint Jean nous apprend
comment se produira le martyre final de l’Église. Appuyé sur ses succès
antérieurs, l’Antéchrist rendra illégales dans le monde entier les religions.
Il fera adopter par toutes les nations une interdiction définitive de prêcher
ou de rendre un culte public à Dieu ou à n’importe quelle divinité inventée par
le passé. Chacun sera invité à consacrer son temps à la construction du monde
d’ici-bas, au-delà des superstitions que la peur suscite. Le culte du
vrai Dieu ne sera autorisé qu’au fond de sa conscience individuelle, domaine
incontrôlable par définition aux autorités politiques. L'Écriture est nette sur
ce point[1505] : «
La corne (la puissance de l’Antéchrist)
grandit et s'étendit en direction du pays de la Splendeur (le pays où l’on adore Dieu, à savoir
les religions et en premier celle du Christ). Elle grandit jusqu’aux
armées du Ciel (ceux qui servent Dieu), précipita
à terre des armées (les apôtres qui luttent pour l’Évangile) et des étoiles (des docteurs qui
enseignent la bonne direction à suivre)
et les foula aux pieds. Elle s’exalta même contre le Prince de l'armée (le
Christ), elle abolit le sacrifice
perpétuel (pour les Juifs, il s’agit de l’holocauste du Temple et, pour les
chrétiens, la messe et tous les sacrements de l’Église), et renversa le fondement de son autel (le pape, pierre sur qui
l'Église est bâtie) et l'armée. Sur le
sacrifice elle posa l'iniquité (c’est-à-dire qu’elle déclara mauvais tout
culte divin) et renversa à terre la
vérité ; Elle agit et elle réussit. » Ce texte comme tous les autres du
même sujet ne laisse aucun doute sur l'ampleur de la destruction opérée par
l’Antéchrist. Hormis les anciens bâtiments que l’Apocalypse nomme « leur cadavres », il ne laissera rien subsister de l'Église visible, surtout
pas le sacerdoce. Rien ne nous permet d'être définitif sur les méthodes qu'il
emploiera. Beaucoup de théologiens du passé affirmèrent à partir de ces textes
et de la vie de saint Pierre qu’il s’agirait d'un martyre sanglant : une mise à
mort physique des quelques milliers d’hommes que sont dans le monde le pape,
les évêques et les prêtres. C'est une chose en définitive assez facile à
réaliser dans un monde confiant devant sa liberté. Mais ce sens littéral du
martyre n'est pas une certitude. Pour faire disparaître le sacerdoce de la vie
des peuples, il suffit, après l’avoir vu s’affaiblir durant des siècles, de
l’empêcher de s’exercer : surveillance, emprisonnement, déportation, toutes
méthodes policières dans un monde où rien n’est laissé au hasard[1506]. Nous ne pouvons affirmer qu’une chose
de manière certaine : vers la fin du monde, de par l'action de l’Antéchrist, le
dernier pape vivra un sacrifice total dans son ministère désormais banni de la
terre. Il sera crucifié comme saint Pierre dans son âme de pasteur (et
peut-être aussi dans son corps). Afin que le caractère qui fait le prêtre ne
subsiste en personne, il est possible que son martyre s’accompagne de celui des
prêtres.
4. Il n’y a pas à opposer le Temple de
Jérusalem et l’Eglise mais au contraire à les comparer. Ainsi, il est vrai que
le Temple était périmé ; de même, à la fin du monde, l’Eglise sous sa forme
terrestre devra disparaître pour être glorifiée. Il est vrai que le Temple fut
détruit à cause des nombreux péchés qui y furent commis ; de même l’Eglise,
faite d’hommes pécheurs, sera martyrisée en vue de la correction de ses péchés.
De plus, vers la fin du monde, il semble que le Temple sera rebâti par les
Juifs à sa place ancienne ; de même, l’Eglise ressuscitera sainte et
définitive, ici-bas lors du retour du Christ et pour l’éternité dans l’autre
monde.
Objections :
1. L’heure de l’Église ne pourra pas être
annoncée par le pape puisqu’il ne la connaîtra pas lui-même : « Il
ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments », dit
le Seigneur à ses apôtres.
2. Il semble incroyable que la papauté
elle-même puisse subir le martyre jusqu’à disparaître. Le Seigneur dit en effet
: « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Et les portes
de l’Hadès ne l’emporteront pas sur elle ».[1507]
3. La papauté ne peut disparaître
définitivement sans présupposer la disparition de l’Église hiérarchique toute
entière sans quoi les prêtres survivants n’auraient qu’à élire un autre pape.
4. D’après l’évangile, la papauté ne peut
être atteinte par le démon dans sa fidélité à la foi apostolique selon cette
parole de Jésus : « J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas. »
Donc, il est impossible qu’elle soit vaincue par le démon dans
l’essence même de son ministère.
Cependant :
Il
appartient au pape de conduire l’Église dans son pèlerinage terrestre selon
cette parole du Seigneur à Pierre : « Sois le berger de mes brebis »[1508]. Il lui appartient donc en premier lieu
d’annoncer prophétiquement l’approche de l’heure de l’Église.
Conclusion :
C’est
sur Pierre et ses successeurs qu’a été fondée l’Église terrestre du Christ. Et
le Seigneur a remis au pape la responsabilité du ministère prophétique, royal
et sacerdotal. À cause de la charge prophétique
qui lui incombe, le successeur de Pierre reçoit personnellement un charisme
d’infaillibilité qu’il exerce d’une manière habituelle lorsqu’il exprime de sa
chaire apostolique les doctrines universelles concernant ce qu’on doit croire
et la manière dont on doit vivre, c’est-à-dire la foi et la morale[1509]. De par sa charge sacerdotale, le pape reçoit la responsabilité de veiller au
sacrifice de la messe et aux autres sacrements qui lui sont ordonnés, ainsi
qu’à la liturgie qui entoure ces sacrements. Enfin, la charge royale fait du pape celui qui veille sur
l’Église toute entière et la mène vers son destin éternel qui est l’entrée dans
la béatitude éternelle.
A
propos du martyre de l’Église, on doit donc dire trois choses :
1° Le fait que l’Église doive subir un martyre relève en tant qu’il
s’agit d’une doctrine théologique, du ministère prophétique et du charisme de
l’enseignement de la foi. Il est donc probable que vers la fin des temps, les
papes annonceront ce martyre futur ou sa possibilité, de la même façon que
Jésus l’a annoncé plusieurs fois à ses disciples. L’Eglise fit d’ailleurs cette
annonce pour la première fois dans son magistère, par la voix de Jean-Paul II
en 2002 dans le Catéchisme de l’Eglise
Catholique n° 675-676.
Cependant,
il faut remarquer qu’une telle annonce est difficilement compréhensible pour
ceux qui n’ont pas le sens de la manière dont Dieu conduit ses fidèles. Elle provoque
le scandale et aucun de ceux qui suivaient Jésus quand il parlait ainsi ne
compris vraiment, excepté bien sûr la vierge Marie. De la même façon, vers la
fin des temps, il est probable que seules quelques âmes contemplatives, vivant
de l’esprit de la Vierge Immaculée, comprendront le contenu prophétique des
avertissements des papes.
2° Le martyre de l’Église, en tant qu’il
sera un événement historique, et qu’il se réalisera à une heure voulue par
Dieu, concerne plutôt le ministère royal du pape, c’est-à-dire celui par lequel
il conduit le troupeau de Dieu vers son sacrifice et sa glorification. Si l’on
suit les Écritures, il semble que la papauté sera signe de la proximité de
cette heure sans le vouloir et qu’elle essayera d’y échapper. C’est ce que signifie
ce texte de l’évangile qui exprime allégoriquement les dernières heures du pape
: « En vérité, en vérité je te le dis. Quand tu étais jeune, tu mettais
toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu
étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras
pas ».[1510] Il signifiait en parlant ainsi, Le
genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Et nous avons dans
l’histoire de la papauté une illustration de ce texte. Il est clair que pendant
des siècles, la papauté fut maîtresse du monde au point de pouvoir déposer les
rois. Elle allait donc où elle voulait. Puis, depuis quelques siècles, son
pouvoir fut contesté et diminué sans qu’elle puisse s’y opposer, étant conduite
malgré elle jusqu’au dépouillement des Etats pontificaux. Les papes se firent
alors prisonniers volontaires au Vatican, refusant ce qui leur paraissait être
une injustice. Saint Jean Bosco n’était pas entendu, lui qui
avertissait en disant : « Ceci
vient de Dieu. » Cette histoire préfigure
un autre dépouillement qui ira jusqu’à la mort. Mais ce dépouillement final
sera difficilement accepté par le pape. On peut en avoir un signe de cette
réticence au martyre dans le document qui accompagne la publication de la
troisième prophétie de Fatima citée plus haut : « ce texte est déjà réalisé dans l’attentat de 1981 contre
Jean-Paul II », dit le Cardinal
Ratzinger.
3° Le martyre de l’Église, en tant qu’il
influencera la liturgie de l’Eglise sera certainement annoncée par le pape en
tant que prêtre suprême. Comme nous le verrons[1511], de même que la liturgie qui entourait
le Christ changea depuis celle de la crèche jusqu’à celle de son sépulcre puis
de sa résurrection, de même l’Eglise modifiera sa liturgie qui deviendra de
plus en plus humble, jusqu’à son entrée dans la pleine gloire.
Solutions :
1. Il peut arriver qu’un homme soit
prophète sans le vouloir. Ainsi Caïphe qui était alors grand prêtre dit-il à
ses confrères : « Vous ne voyez même pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme
meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière ».[1512] Et l’évangéliste commente cette parole
en disant : « il ne dit pas ceci de lui-même mais, étant grand prêtre cette année là,
il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. » De même, à la
fin des temps, la papauté sera conduite par le Saint Esprit à prononcer des
paroles et à subir des événements qui seront signe de la fin prochaine. Et
qu’elle le veuille ou non, elle imitera Jésus qui eut un comportement
significatif vers sa dernière heure : Il accepta de parler aux grecs, alors
qu’il réservait jusqu’ici son ministère aux seuls Juifs[1513] ; il fut acclamé une dernière fois par
les foules enthousiastes lors de son entrée à Jérusalem[1514], il s’humilia jusqu’à laver les pieds
de ses disciples[1515] et fit bien d’autres choses
surprenantes pour ses disciples. De même, vers la fin de l’Église, la
hiérarchie ecclésiale aura un comportement qui tranchera avec ce qui se faisait
précédemment ou point d’en scandaliser quelques-uns uns qui imiteront en cela
le comportement généreux mais mal éclairé de Pierre lorsqu’il refusa de se
faire laver les pieds par le maître[1516].
2. Comme nous l’avons montré, de telles
paroles de Jésus ont d’abord une signification spirituelle : elles montrent que
jamais le démon ne pourra faire dériver la foi du Magistère de Pierre ou faire
que les papes dirigent l’Église vers une autre fin que l’unique possession de
Dieu. Elles ne signifient pas que la papauté ne puisse pécher ou subir des
échecs extérieurs et des persécutions. L’histoire montre que bien des papes
sont morts martyrs. Et qu’à la fin du monde la papauté soit attaquée par
l’Antéchrist au point de disparaître, ce ne sera pas un échec mais la victoire
définitive qui précèdera le retour du Christ.
3. La fin de l’Église vécue par la papauté
sera comparable à celle du Christ qu’elle doit imiter et achever. Or on voit
que parmi les disciples, la plupart eurent peur et s’enfuirent tandis que
quelques uns trahirent comme Judas ou renièrent comme Pierre. Dans la dernière
lutte de l’Église, l’Antéchrist fera régner une telle terreur qu’il en sera
ainsi parmi les prêtres. Ceux qui seront fidèles seront mis à mort, les autres
abandonneront leur sacerdoce. C’est pourquoi Daniel prophétise[1517] : « Des forces viendront de
sa part profaner le sanctuaire-citadelle, ils aboliront le sacrifice-perpétuel,
et y mettront l’Abomination de la désolation. » Ce sera pour
l’Église, à travers les générations qui vivront cela, une époque de sépulcre et
pour les chrétiens un moment de tentation spirituelle intense que seules une
foi et une espérance comparables à celles de la Vierge au samedi saint pourra
vaincre.
4. Le successeur de saint Pierre reçoit de
la part de l’Esprit Saint un charisme personnel d’infaillibilité lorsqu’il
enseigne, en tant que Prince des apôtres, une doctrine concernant la foi ou la
morale. Il est donc impossible, à cause de la puissance du Saint Esprit, que le
pape soit vaincu sous ce rapport. C’est pourquoi toutes les pseudo-prophéties
qui annoncent que l’Antéchrist sera un successeur de Pierre ne viennent pas de
Dieu.
Objections :
1. On ne voit pas comment la liturgie
sacramentelle pourrait être signe de la proximité du martyre de l’Église et du
retour du Christ puisqu’elle demeure inchangeable, étant instituée par le
Christ.
2. Lorsque les papes changent la manière
dont est célébré le rite préparatoire au sacrement, ils ne veulent pas annoncer
le retour du Christ mais seulement adapter à la sensibilité du peuple la
manière de célébrer Dieu.
3. Le peuple des fidèles par la manière
dont il préfère vivre la liturgie ne peut être considéré comme un signe des
temps. Car la sensibilité dépend plus de la culture ambiante et de la mode que
de l’Esprit Saint.
Cependant :
L’Apocalypse
écrit[1518] : «
La femme criait dans les douleurs de
l’enfantement. » Or cette femme symbolise l’Église dans son
cheminement vers la gloire. Et le cri de l’Église, c’est la liturgie. Donc il y
aura des signes dans la liturgie.
Conclusion :
La
liturgie est la prière par laquelle l’Église rend un culte à Dieu.
1° Or parmi les actes liturgiques, il en
est qui sont institués par le Seigneur lui-même. Ceux-là ne peuvent en aucune
façon évoluer ou être changés puisqu’ils dépendent de la volonté de Dieu et non
de celle de l’Église. Par exemple, les paroles et les gestes consécratoires de
l’eucharistie sont essentiels au sacrement au point qu’ils ne peuvent être
changés.
2° D’autres actes liturgiques sont
entièrement dépendants de la volonté de l’Église puisque le Seigneur n’a rien
fixé les concernant. Il dépend donc du pape et des évêques unis au pape d’en
déterminer les règles. Ainsi, la forme des vêtements liturgiques, les prières
préparatoires à la consécration eucharistique, la forme de l’autel ou de la
table du sacrifice et d’autres choses du même genre fixées par les rituels.
3° Enfin, certains aspects de la liturgie
sont laissés à la libre initiative des prêtres et des fidèles : la manière de
chanter et le contenu des psaumes de libre louange, les offrandes données à
l’Église lors de l’offertoire.
Et,
selon ces trois aspects, la liturgie est signe de la fin au monde.
1° Ce qui est institué par le Seigneur est
par essence signe du retour du Christ puisque, à chaque fois qu’un sacrement
est conféré, le Christ vient dans l’âme et préfigure par là sa venue définitive
accomplie à la mort de chacun.
2° Ce qui dépend de l’Église et de la
papauté peut être plus particulièrement encore signe de la proximité du retour
du Christ tel qu’il se produira à la fin au monde. En effet à chaque fois qu’un
pape change la liturgie de l’Église, il est mu invisiblement par le Saint
Esprit qui donne à sa réforme une signification prophétique. De la même manière
que le Christ a été honoré diversement par les hommes selon qu’il était plus ou
moins proche de l’heure de sa passion, de même l’Église offrira à Dieu le
sacrifice eucharistique selon des modes différents jusqu’à la fin.
3° Ce qui dans la liturgie dépend du peuple
de Dieu peut aussi être signe des temps car les fidèles sont invisiblement mus
par un sens prophétique qui vient du Saint Esprit.
Solutions :
1. On a vu de quelle manière la liturgie
sacramentelle, en tant qu’elle est instituée par le Christ, est pour chaque
homme signe de la fin du monde. Cependant, vers la fin du monde, cette liturgie
sera plus particulièrement encore signe de son retour selon Daniel[1519] : «
Ils aboliront le sacrifice perpétuel.
» Il est en effet probable que les armées de l’Antéchrist feront
disparaître la célébration de l’eucharistie. Et cette terreur qui semblera
marquer la victoire définitive du démon sera pour l’Église un temps de sépulcre
qui précédera une résurrection glorieuse et définitive dans la gloire du retour
du Christ.
2. De même que le peuple d’Israël était un
signe prophétique à travers chacun des événements de son histoire, de même
l’Église qui est le nouvel Israël. On doit donc apprendre à lire avec le regard
de l’Esprit Saint l’histoire de l’Église selon sa signification eschatologique.
Et cette histoire peut être comparée à celle de Jésus lors de son pèlerinage
terrestre. Ainsi, on peut lire dans les évangiles que Jésus fut honoré
diversement au cours de sa vie apostolique : il y eut un moment plus caché
lorsque les Juifs commencèrent à entendre parler de lui, il y eut ensuite un
moment de gloire extrême où il fut honoré par la majorité du peuple ; il y eut
enfin un moment douloureux, accompagné de luttes qui aboutirent à la dernière
liturgie, celle au sépulcre, accomplie par des laïcs qui n’étaient même pas ses
compagnons de route. De même, la liturgie de l’Église connut des phases
analogues depuis les premières maisons de prière dans l’Empire romain. Elle ne
cessera d’être signe des temps jusqu’à la dernière liturgie. Lorsque le
sacerdoce sera effacé de la terre, alors viendra
la liturgie du silence, jusqu’au retour du Christ.
3. Les fidèles sont mus intérieurement par
l’Esprit Saint qui oriente leur cœur en y inspirant ses volontés. Et plus les
fidèles sont proches de Dieu, plus cette motion est accomplie facilement, selon
le livre des Proverbes[1520] :
« Le cœur du roi est aux mains du
Seigneur comme l’eau courante qu‘on oriente partout à son gré. » Ainsi,
on doit être attentif à la spiritualité des fidèles, selon ce qu’il y a de
saint en eux. L'art a de tout temps été signe de la mentalité des époques.
Ainsi, le XIIIème siècle, époque de la civilisation chrétienne où
tout s'unifie autour du Christ, brille par l'harmonie des cathédrales gothiques
qui ressemblent à des vaisseaux en marche vers la lumière. La Renaissance qui
est le siècle de la redécouverte de valeurs humaines autonomes du christianisme
et trop oubliées se caractérise par ses œuvres profanes aux lignes classiques ;
l'époque moderne et contemporaine qui se caractérise par l’oubli progressif de
Dieu a été source d'un art de plus en plus profane et aujourd’hui torturé, non
figuratif et parfois même sans vie apparente, marqué du même désespoir que le
monde qui ne croit plus devoir espérer un salut après la mort. L’art est donc
un signe philosophique de chaque époque. Il en est de même au plan théologique
mais l’art s’appelle liturgie, et le
temps se déroule vers le retour du Christ. Durant sa vie terrestre, Jésus reçut
de la part de ceux qui l’entouraient des marques qui étaient des signes de leur
attachement à son égard. Il fut honoré diversement au cours de sa vie
apostolique. Il y eut un temps plus caché au moment où les Juifs commencèrent à
entendre parler de lui. De même, l'Église à ses débuts dans l'Empire romain,
encore soupçonnée et objet de méfiance, se réunissait dans des maisons
individuelles et, comme aux noces de Cana, ne donnait qu'en privé le vin de la
Parole. Au cours de sa vie, Jésus connut ensuite un moment de gloire
extérieure. Les gens venaient de tout Israël pour écouter sa parole et voir ses
miracles. On voulait le toucher, le faire roi. De même, l'Église connut une
époque de gloire. Elle dominait le monde, pouvant excommunier les rois et leur
enlever leur trône. Sa liturgie réformée par le pape Grégoire, devint
somptueuse, riche et solennelle, à l'image du pouvoir spirituel (et matériel)
qu’elle possédait. Dans une troisième phase de sa vie apostolique, Jésus connut
la lutte et les abandons. On vint moins l'écouter. Il fut souvent seul. Il en
est de même pour l'Église depuis le siècle des Lumières et de plus en plus
actuellement. Alors, poussée par l'Esprit saint, elle changea de liturgie.
Après le Concile Vatican II, elle l'appauvrit, la rendit plus familiale en
insistant davantage durant la Messe sur l'aspect "repas intime" de la
Cène de Jésus et moins sur la gloire du Sacrifice universel de la croix.
L'Église avait bien sûr le droit d'agir ainsi, puisant dans l'immense richesse
des trésors de l'Évangile. Mais elle fut contestée. Pourtant, elle donnait aux
chrétiens l'un des plus grands signes des temps de la fin. Nous pouvons être
sûrs que d'autres signes seront donnés par la liturgie dans le futur, à mesure
que s’approchera l'Heure de l'Église. Les chrétiens de ces époques futures
devront y être attentifs et, chaque fois que les signes de petitesse s'approfondiront,
se réjouir « et redresser la tête
car leur Rédemption s'approche »[1521]. Cette liturgie de pauvreté sera
poussée très loin, à l'image de Jésus. Sa dernière liturgie, celle de son
sépulcre, fut accomplie par des laïcs qui n’étaient même pas ses compagnons de
route mais de simples admirateurs[1522]. Il en sera donc de même pour l’Église.
Objections :
1. Judas trahit
Jésus par convoitise. L’attitude de cet apôtre ne peut être le type du
comportement de certains clercs vers la fin du monde. En effet, s’il s’agit de
s’enrichir, les hommes n’ont pas intérêt à entrer dans les ordres.
2. De même,
l’attitude de Pierre fut toute de générosité proclamée puis de lâcheté devant
la réalité. Il s’agit d’une psychologie très particulière et non le prototype
d’une tendance ecclésiale vers la fin du monde.
3. Jean fut le
seul apôtre au pied de la croix. Mais il fut présent plus par amitié humaine
que par foi puisque l’Écriture nous dit qu’il crut quand il vit le tombeau
vide, ce qui sous-entend qu’il ne croyait plus avant.
4. La plupart des
autres apôtres s’enfuirent, dont certains "tout nus"[1523]. Il est
inimaginable que, face aux évènements de la fin, il y ait une telle lâcheté.
L’Esprit de force n’a-t-il pas été donné ?
Cependant :
La vie et la
mort de Jésus sont l’archétype de la vie et la mort de l’Église. Les tentations
connues par ses apôtres se retrouveront à la fin de l’Église chez les clercs.
Conclusion :
En contemplant
la vie de Jésus, on s’aperçoit que, plus encore que des luttes extérieures, il
eut à souffrir d'oppositions sourdes à l'intérieur du cercle de ses amis. La
plus terrible d'entre elle fut le fait de son apôtre Judas. Sa révolte éclate en
saint Jean, après qu'une femme pleurant ses péchés et pleine de reconnaissance
pour la douceur de Jésus à son égard eût versé sur ses pieds un parfum de grand
prix[1524] : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu
trois cents deniers qu’on aurait donnés à des pauvres ? Jésus lui répondit :
Laissez-la : c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce
parfum. Les pauvres en effet, vous les aurez toujours avec vous ; mais moi,
vous ne m'aurez pas toujours. » L'attitude de Judas est compréhensible
: trois cents deniers représentent un salaire ouvrier d'une année. Le geste
d'amour gratuit de la femme lui parut une perte considérable par rapport à
l'annonce de l’Évangile, qui est un message d'attention aux plus pauvres et par
rapport à sa propre bourse puisqu’il "volait"[1525]. Il oppose
donc de fait l'amour de Jésus et l'amour des pauvres, deux commandements
pourtant unis par Dieu en un seul. Il s’agit là sans aucun doute d'un signe des
temps qui apparaîtra dans l'Église vers la fin du monde. Nous montrerons que le
dernier antichristianisme séduira le monde entier en raison des riches valeurs
d’humanisme sans le vrai Dieu qu'il intégrera. S'il y eut jadis des chrétiens
généreux mais peu clairvoyants pour se laisser séduire au nom de l'amour de
Dieu, par le fanatisme religieux ou encore par le nationalisme et le marxisme,
comment pourrait-il en être autrement de l'Humanisme qui ressemble beaucoup
plus à l’Évangile du Christ ? L'humanisme fait même partie du christianisme
mais celui-ci sait le consacrer au Dieu aimé.
Solutions :
1. De nos jours,
nous avons vu apparaître dans l'Église un courant de pensée très puissant qui
réduit l’Évangile à la lutte pour le bien social. Ses membres sont
familièrement qualifiés sous l’étiquette de progressistes
parce qu’ils semblent en harmonie avec le progrès du monde. Ils se
caractérisent par une sourde opposition aux décisions des papes jugées en
décalage par rapport à notre temps. Ils critiquent en particulier ses positions
en matière de comportement sexuel. La liberté, telle est sans doute aux yeux de
ce courant le qualificatif le mieux choisi pour résumer l’Évangile. « Il est l’Évangile de la liberté ».Il est surprenant comme une
petite variation d’interprétation peut avoir de conséquences. Nous disions
précédemment que l’Évangile se spécifie d’abord dans l’amour de Dieu et du
prochain... L’amour de Dieu et du prochain est premier, la liberté conséquence.
Ainsi, pour le courant progressiste, l’encouragement de l’Église pour la vie
consacrée à la prière paraît être une perte de temps et d'énergie pour l'action
sociale. L'amour gratuit de Jésus servi comme un époux au jour le jour paraît
n’être le fruit que d'une fuite du monde. Ce courant de pensée ne se séparera
jamais de l'Église par un schisme bien qu'il le soit par le cœur. Ne
constitue-t-il pas un signe des temps très significatif car analogue à ce qu'on
voit dans la vie de Jésus ? Vers la fin du monde, il est probable que le
progressisme humaniste ira en s'approfondissant. Il supportera de moins en
moins l'infaillible fidélité des papes à l'Évangile. À l’image de Judas au
moment de sa tentation, il aura sans doute un rôle de coopération dans l’œuvre
qui aboutira à la fin de l'Église visible.
2. Un autre signe
des temps, tout aussi significatif, mérite d'être rapporté. Quelques jours
avant sa mort, Jésus voulut se comporter avec eux comme s'il était leur
esclave. Il se mit à laver les pieds de ceux qui étaient à table. Mais Pierre
ne voulut pas se laisser faire : «
Seigneur toi, me laver les pieds ? Jésus lui répondit : Ce que je fais, tu ne
le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras. Pierre lui dit : Non, tu
ne me laveras pas les pieds, jamais! Jésus lui répondit : Si je ne te lave pas,
tu n'as pas de part avec moi »[1526]. Pierre
n'agit ainsi qu'à cause de son amour pour Jésus, du sens de sa dignité de
Maître et Seigneur. Son cœur était généreux mais absolument incapable de
pensées divines. Pour lui, un Messie est fait pour devenir un roi triomphant.
Un maître de vérité est fait pour avoir raison. Mais pour Jésus, un Messie est
fait pour être le serviteur de tous jusqu'à en mourir. Là encore il convient
d'être attentif car l'Église, conduite sur le même chemin d'abaissement que
Jésus, connaîtra nécessairement de la part de certains de ses membres la même
réaction. Il existe d'ailleurs depuis le Concile Vatican II un courant de
pensée qui ressemble à s'y méprendre à saint Pierre le jour du lavement des
pieds. Familièrement, il est qualifié de mouvement intégriste car il rêve de voir l'Église avec l’intégrité des
traditions qui firent sa force au temps passé. Ils rêvent d'une Église sûre de
sa Vérité, ne s’abaissant pas à s'adresser aux autres religions en courant le
risque qu'ils considèrent comme actuel, d'être mis au même niveau qu'elles. Ils
voudraient une liturgie de gloire, comme au temps des fastes, et non celle
instaurée par les papes après le Concile. La défense de la liberté religieuse,
selon la conscience de chacun, leur paraît s'opposer aux décrets faisant du
christianisme la religion des Etats du temps où ceux-ci étaient catholiques.
Alors, tel saint Pierre devant Jésus ceint d'un tablier, ils ne reconnaissent
plus leur Église en tenue de servante. Ils vont jusqu'à enseigner : « Les papes depuis Jean XXIII et le
Concile sont peut-être des antipapes. L'abomination
de la désolation[1527] est dans le
Temple Saint, c'est-à-dire aux sommets de l'Église atteints par l'apostasie. » Ils oublient qu'il est impossible que
ce texte des Evangiles se réalise de cette manière à cause de la promesse
solennelle de Jésus faite aux papes : «
J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas. » Ils interprètent mal des
textes qu'ils savent pourtant adressés à tous les papes légitimement élus.
Cette contradiction torture leur esprit. Mais, si l’on compare leurs
agissements au comportement de saint Pierre qui les prophétise, on ne peut nier
que leur révolte soit liée à leur bonne volonté et à leur amour (mal éclairé)
du Seigneur. Saint Pierre se laissa finalement laver les pieds mais sa foi, sa
confiance ne fut pas assez forte pour tenir face à la croix. Il en sera de même
à la fin du monde pour ceux parmi les chrétiens qui rêveront encore d'une
Église intègre et glorieuse. Ils ne tiendront pas. Ils s’enfuiront à la vue de
la destruction spirituelle à venir. Ils n'auront pas comme ceux parmi les chrétiens
qui se seront laissés formés par Marie, la capacité d'avoir part à la victoire
finale de l'Église enfin devenue grande aux yeux de Dieu. Ils se diront plutôt,
relisant fiévreusement les promesses de Jésus : « les portes de l’enfer ne l'emporteront pas sur elle! »[1528] que tout cela
n’était peut-être que vanité... Ils passeront par les mêmes doutes que Pierre
après l'arrestation et la mort de Jésus, doutes qui l'amenèrent à renier trois
fois. Il y aura dans leur souffrance un signe des temps important.
3. Au pied de la croix, seule Marie croyait
et vivait de l'intérieur, debout, la mort de Dieu. Elle ne douta pas un seul
instant que Dieu transformerait cela en salut pour toutes les nations. Cette
confiance unique ne se retrouve pas chez saint Jean pourtant présent à la croix
et appelé « le disciple que Jésus aimait. » Il en sera de même à la fin
du monde lorsque l’Antéchrist triomphera : l'Église sera petite, réduite aux
seuls domaines des cœurs et sans vie extérieure et politique. On la croira
morte pour toujours, en reprenant la promesse visiblement manquée de Jésus. Qui
pourra songer qu'au moment même où les portes de l’enfer sembleront avoir
extérieurement tout détruit, comme à trois heures le jour de la mort de Jésus,
que c'est absolument l'inverse aux yeux de Dieu, que tout est accompli et que
le retour glorieux du Christ sera aussi rapide que les trois jours de son
sépulcre. Personne ne pourra imaginer cela sauf ceux qui auront la même foi que
Marie. Seule une foi invincible, digne de la mère de Dieu, tiendra en ces
heures dernières. Tous les autres faibliront aussi sûrement que Jean face à ce
qu'il ne comprit pas.
4. L’espérance théologale ne doit pas être
confondue avec l’espoir qui attend un bien terrestre d’une puissance terrestre.
À la fin du monde, seule l’espérance qui attend avec certitude la victoire de
Dieu, qui est un bien de la vie éternelle, de la puissance divine, pourra vivre
dans la joie les évènements selon cette parole[1529] : «
Quand vous verrez tout cela,
redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption est proche. »
Objections :
1. Cela semble impossible. À la différence
du Temple de Jérusalem qui était un lieu précis et pouvait facilement être
transformé en temple de la violence (ainsi devint-il juste avant sa
destruction, de la faute des zélotes en 70 après JC) ou des idoles, le Siège
apostolique peut changer de lieu puisqu’il est là où est le Pape. C’est ce que nous
apprend l’histoire : le Siège apostolique fut souvent déplacé en Avignon.
2. Le Siège Apostolique est un lieu
matériel. Il ne peut donc être profané puisque le culte du Nouveau Testament
est spirituel, selon cette parole du Seigneur[1530] : «
L’heure vient où ce n’est ni sur cette
montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. »
3. Ce texte doit, semble-t-il, être
interprété de toute autre façon : l’abomination de la désolation dans le temple
saint signifiait et annonçait la venue d’un grand prêtre perverti qui
collaborerait avec les Grecs pour installer une autre religion que celle du
Dieu unique. Il s’agit du grand prêtre Jason[1531] et de ses successeurs. De même, à la
fin du monde, il semble que l’on assistera à la venue d’un antipape sur le
siège de Pierre. Il prêchera un antichristianisme et entraînera un grand nombre
à sa suite.[1532]
Cependant :
Le
Seigneur annonce en saint Matthieu[1533] : «
Lors donc que vous verrez
l’Abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel installée dans
le Saint lieu (que le lecteur comprenne) alors que ceux qui seront en Judée
s’enfuient dans les montagnes que celui qui sera sur la terrasse ne descende
pas dans sa maison pour prendre ses affaires, et que celui qui sera aux champs
ne retourne Pas en arrière Pour prendre son manteau! Malheur à celles qui
seront enceintes et à celles qui allaiteront en ce jour là. »
Conclusion :
Comme
on l’a montré, la ruine de Jérusalem et la destruction du temple perpétrée par
les Romains sont des signes prophétiques de ce que subira le nouveau temple qui
est l’Église à la fin des temps. Or d’après le Seigneur le signe symbolisé par "l’abomination
de la désolation dans le lieu saint" sera ensuite donné.
Historiquement, il s’agit d’une prophétie du prophète Daniel. Elle fut réalisée
une première fois par le roi Antiochos Epiphane qui enjoint aux Juifs des
pratiques païennes. La fidélité à la loi de Moïse devint un acte de rébellion
politique. Et ce roi alla jusqu’à construire l’autel du Baal Shamem ou
Zeus Olympien sur le grand autel des holocaustes au Temple de Jérusalem. Elle
fut réalisée une deuxième fois par les Romains qui incendièrent le Temple et
construisirent à la place un Temple consacré à leur Panthéon. La résistance
juive qui se dressa alors ne réussit pas et fut définitivement anéantie en 135
après J. C.
De
même, vers la fin du monde, l’Église subira une grande tribulation menée par
l’Antéchrist. Elle aboutira, comme on l’a vu, à la destruction de l’Église
visible et à l’arrêt du sacrifice eucharistique et il est certain que l’Antéchrist,
pour manifester en plénitude sa victoire sur le culte divin, établira une
nouvelle Église consacrée au culte du Dieu de la liberté égoïste, Lucifer et à
l’exaltation de l’homme. Tout au long de l’histoire, nous avons eu des
préfigurations de ces antichristianismes. Mais le dernier aura la particularité
d’être mondial et pacifiant au point de "séduire les saints eux-mêmes".[1534]
Quant
à l’hypothèse de l’installation du Siège de cette nouvelle Église
antichrétienne sur le lieu même où gouvernait auparavant l’Église romaine,
c’est-à-dire dans la cité du Vatican où fut crucifié Pierre, il est possible
qu’elle se réalise matériellement. Cependant d’autres estiment que le siège de
l’Antéchrist sera la Ville Sainte, c’est-à-dire Jérusalem puisque l’Église de la
fin des temps avant son martyre, aura un rapport avec le peuple d’Israël. Il
est impossible d’être définitif sur de tels signes, au moins en ce qui concerne
la matérialité de leur réalisation puisque leur signification est d’abord celle
de la réalité spirituelle.
Solutions :
1. Le symbolisme du Temple a plusieurs sens
dont le profond se rapporte au corps de l’homme, temple de son esprit que Dieu
veut habiter. Comme on l’a montré, vers la fin du monde, la papauté sera
détruite par l’Antéchrist. Celui-ci établira pour le monde entier un culte
qu’il qualifiera d’universel, c’est-à-dire de catholique et il se proclamera
seul sauveur du monde. Beaucoup d’hommes adhèreront à cette nouvelle religion,
séduits par cette perspective d’unité mondiale à travers un seul culte. En ce
sens, on peut dire que l’Antéchrist établira son temple au fond des cœurs
qui sont le véritable temple de Dieu.
En
un second sens, la présence de l’abomination dans le Temple saint peut
signifier matériellement que les églises, les mosquées et tous les lieux où
l’on adore le Dieu unique seront transformés en temple du démon. De même il est
permis de penser que le lieu antique et matériel du Siège Apostolique, Rome,
deviendra celui du nouveau culte. La limite du dogme permet de bannir une seule
hypothèse : celle d’un pape antichrétien. En effet, jamais un successeur
légitimement élu de Pierre ne sera l’Antéchrist, parce que Jésus a prié pour
que la foi de Pierre ne défaille jamais.
2. Comme tous les lieux saints, le Siège
apostolique est consacré à Dieu et rien de profane ne peut s y installer sans
que cette consécration en soit souillée. C’est pourquoi, on avait l’habitude de
purifier les églises où un crime avait été commis. De même, Judas Maccabées fit
purifier le Temple de Jérusalem après sa profanation par les idoles grecques[1535]. De ce fait, l’installation de
l’abomination du culte des idoles dans le lieu matériel du Siège Apostolique
constituera, s’il a lieu, un suprême blasphème et un défi à Dieu. Et il y aura
grande désolation et douleur chez les croyants à cette époque.
3. Quoiqu’il arrive dans le futur, il est
impossible qu’un pape légitimement élu se mette à enseigner en tant
qu’il est pape autre chose que l’Évangile de Jésus. Toute l’histoire de
l’Église le montre : nous avons eu des papes assassins, adultères ou polygames
mais jamais de pape hérétique. La seule exception à ce fait, Honorius I qui
enseigna un temps le monothélisme (Jésus n’aurait eu qu’une volonté divine, pas
de volonté humaine) n’est pas significative puisque son affirmation dont il se
rétracta par la suite, relève du domaine privé de ses opinions. La raison de ce
fait est simple : en tant qu’homme, les papes ne sont pas impeccable
(incapables de péchés) ni infaillible (incapables d’enseigner une erreur
théologique) mais en tant que successeurs de Pierre, ils sont infaillibles au
plan doctrinal non de leur propre force mais parce que Jésus a promis[1536] : «
J’ai prié pour que ta foi ne défaille
pas. » Il est donc certain que, quelles que soient les décisions des
papes du futur, non seulement en tant qu’ils exercent leur fonction de
Magistère mais aussi, à un autre degré, en tant qu’ils sont Pasteur suprême,
elles seront de Dieu. Pour illustrer ce fait, saint Jean Bosco fit un rêve
concernant les épreuves de la fin du monde : Il voyait l’Église comme un navire
secoué par la tempête. Mais seuls survivaient au naufrage ceux qui s’appuyaient
sur trois blancheurs : la vierge Marie pour son espérance inébranlable à la
croix, Jésus pour son eucharistie et son inhabitation dans l’oraison, le pape
enfin pour sa foi toujours vraie. Ceci dit, nous avons vu (article 5) en quel sens la papauté sera signe de
la fin du monde.
Objections
:
1. Cela
semble impossible. Jésus a institué l’eucharistie jusqu’à son retour afin de ne
pas nous laisser orphelin selon saint Luc[1537] :
« faites cela en
mémoire de moi. »
2. Les
anciens missionnaires disaient qu’il ne peut y avoir Église sans la présence
réelle de Jésus dans l’eucharistie. Or nous avons montré que, jusqu’à la fin du
monde, il restera un petit nombre de croyants. Donc il y aura toujours pour eux
l’eucharistie.
3. La
vie spirituelle se nourrit de l’eucharistie, présence réelle du Seigneur sur
terre. Or nous avons dit que, à l’époque de l’Antéchrist, des saints comme
jamais l’histoire de l’Eglise n’en aura connu depuis l’époque apostolique
vivront sur terre. Donc ils seront nourris de l’eucharistie.
Cependant
:
Le Seigneur fait référence en saint
Matthieu[1538] au
prophète Daniel[1539] qui
annonce par trois fois la fin du sacrifice perpétuel sous l’action de
l’Antéchrist : « Sa puissance s'exalta même contre le Prince de l'armée, abolit le
sacrifice perpétuel et renversa le fondement de son sanctuaire et l'armée; sur
le sacrifice elle posa l'iniquité et renversa à terre la vérité ; elle agit et
réussit. » Daniel parlait
au sens littéral de la fin du sacrifice Juif, au Temple de Jérusalem. Mais cet
évènement passé est l’image, sous forme charnelle, du sacrifice perpétuel de
l’eucharistie. De même l’eucharistie disparaîtra avant la fin du monde.
Conclusion
:
Vers la fin du monde, des événements
semblables à ceux vécus par l’Église russe au temps des soviétiques se
produiront. Privés de prêtres et de messe, les fidèles apprendront à vivre du
Christ comme Marie au temps du sépulcre, par la seule prière du cœur à cœur, et
dans la privation de tout support concret, le Magistère et les prêtres ayant
eux aussi disparu. Des trois blancheurs, il ne restera plus que la Vierge et
son exemple intérieur. Et, en cette époque, l’Église catholique sera bien
vivante, plus que jamais, mais de telle manière que le monde ne le verra pas
selon cette parole du Seigneur[1540] :
« La venue du
Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l'on ne dira pas: Voici : il est
ici ! Ou bien: il est là ! Car voici que le Royaume de Dieu est au-dedans de
vous. »
Solutions
:
1. Le
Seigneur ne laissera pas orphelin la dernière génération des chrétiens séparée
par violence de l’eucharistie. Pour le comprendre, on doit intégrer que la
présence du Christ, Verbe fait chair, à savoir métaphysique, selon l'être, a
essentiellement cinq modes dont le troisième ne disparaît jamais :
1°
Dans sa chair, durant les 33 ans de sa présence sur terre. Marie en fut privée
brutalement le vendredi saint. Son cœur en fut transpercé mais, sous l’impact
de cette souffrance, sa charité déjà parfaite et pure ne cessa de grandir de
perfections en perfections. Cette croissance de la charité est la raison et le
but de cette privation.
2°
Dans son eucharistie : il y est réellement présent tant que les espèces du pain
et du vin sont là. Mais dès qu'elles disparaissent, si le chrétien vit de la
grâce, une autre présence demeure, mystique. Marie vécut environ douze année de
l’eucharistie avant sa mort et son assomption et cette présence cachée, sans
combler sa soif de le revoir en face, la plongea dans ce qui est le but de
l’eucharistie : l’oraison du cœur, et une soif sans cesse grandissante.
3°
Dans sa présence mystique : Elle est dans le cœur et chez ceux qui prient ou se
réunissent pour prier selon cette parole[1541] :
« Si quelqu'un
m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons vers lui
et nous nous ferons une demeure chez lui. »
et celle-là[1542] : « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je
suis là au milieu d'eux. ». Sur
cette terre, cette présence là est le but de toute la vie sacramentelle ou de
son absence, puisque c’est de cette présence que sont invités à vivre les divorcés
remariés en se rendant assidument à la messe alors qu’ils ne peuvent plus
recevoir la communion eucharistique.
4°
Dans sa présence de gloire : lors de sa transfiguration, et certaines des
apparitions qui ont suivi sa résurrection. Il s'est montré de cette manière à
saint Paul sur le chemin de Damas, à Etienne juste avant sa mort. C'est ainsi
qu'il se rend présent à l'heure de notre mort. Il viendra ainsi aussi à la fin
du monde. Et c’est dans le but d’intensifier le désir de sa venue dans la
gloire que Dieu permettra, vers la fin du monde, la disparition de
l’eucharistie. On peut même dire que c’est le désir intense de cette dernière
génération de chrétiens qui provoquera le retour du Christ, celui-ci ne pouvant
résister plus longtemps à l’appel de cette prière.
5°
Enfin, il y aura sa présence dans la Vision béatifique. Mais, à ce moment là,
l'humanité du Verbe Incarné ne sera plus un intermédiaire nécessaire pour
connaître sa divinité[1543] : « Nous serons semblables à lui car
nous le verrons tel qu'il est ».
2. La
liturgie du samedi saint en est le signe ; Les églises sont vides, les
tabernacles béants et l’Eglise subsiste, jusqu’au matin de Pâque où
l’eucharistie est de nouveau consacrée. De même, le moment le plus vivant de
l’histoire de l’Eglise fut le samedi saint même si la totalité de la charité
était concentrée dans le cœur de la vierge Marie et de ses compagnes.
L’expérience montre d’autre part que la soif de Jésus, si elle se traduit par
le désir intense de sa venue dans l’eucharistie ou de toute autre manière, dans
sa gloire par exemple, augmente la présence réelle –mystique- de Jésus dans le
cœur.
3. Depuis
le Concile de Trente et l’amélioration de la formation des prêtres dans
l’Église catholique, la spiritualité sacerdotale a eu tendance à identifier le
chemin de la grâce de Dieu à la seule pratique des sacrements, dont le
principal d’entre eux, l’eucharistie. Cette spiritualité est excellente pour
les prêtres qui, par vocation, ont pour fonction principale de donner la vie
sacramentelle. Mais le fait qu’elle ait souvent remplacé auprès des fidèles les grandes théologies
mystiques canonisées par l’Église fut une erreur. Les Docteurs
mystiques comme sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, saint Thomas
d’Aquin montrent que l’eucharistie est le mode le plus inouï, le plus
extraordinaire, par lequel Dieu a inventé de se donner en vue de la fréquentation de la Trinité dans le cœur à cœur de
l’oraison. Jésus s’y fait donc moyen
de la grâce, en vue d’une finalité
qui dépasse largement le mode sacramentel, et qui est son inhabitation
perpétuelle dans l’âme. Marthe Robin disait à propos de l’Eucharistie : « Dans la
communion eucharistique, Dieu se donne dans un acte extérieur qui est en
lui-même un plaisir, une consolation, une joie pour l’âme... La communion ne
suppose pas toujours la vertu. On peut communier et se rendre coupable du corps
et du sang du Christ. Quelqu’un a dit : ‘on trouve des chrétiens qui
communient tous les jours et sont en état de péché mortel... Mais, on ne
trouvera jamais une âme qui fasse oraison tous les jours et demeure dans le
péché’. Si on me proposait de choisir la rencontre avec le Christ dans
l’eucharistie ou dans l’oraison, je choisirais sans hésiter l’oraison car c’est
elle qui donne tout son sens à la communion. L’adoration est le but de la
communion et c’est elle qui lui donne sa valeur. »
[1544] Une
ermite commentait : « Jésus
eucharistie ne vient sous les espèces du pain que dans le but de nous mendier
quelques secondes de présence et de les transformer, dès que nous le comprenons,
en une perpétuelle présence que nous ne quittons jamais, qui demeure
indépendamment des espèces du pain et du vin et que nous pouvons retrouver à
chaque moment, à volonté, en nous tournant vers notre intériorité. »[1545]
C’est ainsi que, vers la fin du monde, malgré la disparition de l’eucharistie
et soutenue par le désir de voir Jésus, la vie mystique de la dernière
génération des croyants pourra être profonde et riche de manière inouie.
Objections :
1. Le Christ ne trouvera pas la foi sur
terre. En effet, l’Écriture affirme que la Bête aura le pouvoir de vaincre les
saints. Or sa victoire ne serait pas totale s’il restait la foi sur la terre.
2. À la mort de Jésus, qui est la
préfiguration de celle de l’Église à la fin du monde, il ne resta personne pour
croire excepté la vierge Marie. Or la vierge Marie était immaculée dans sa
conception ce qui la rend différente du reste de l’humanité. Donc à la fin du
monde, il n’y aura personne pour croire alors que tout semblera perdu.
3. Une foi comme celle de Marie est
réservée aux contemplatifs mais ne peut appartenir à la masse des chrétiens.
Or, les ordres contemplatifs seront détruits Par l’Antéchrist à la fin des
temps. Donc la foi ne subsistera pas sur la Terre.
Cependant :
Le
Seigneur dit à propos de saint Jean[1546] : «
S’il me plaît qu’il demeure jusqu’à ce
que je vienne ? » Et l’évangéliste commente ainsi cette parole
mystérieuse : « le bruit se répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait
pas. » Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : « Il ne mourra pas » mais
: « si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne. » Donc,
lors du retour du Christ, il restera sur la terre des croyants dont la foi est
symbolisée d’une manière allégorique par celle de saint Jean, le disciple
bien-aimé.
Conclusion :
De
même qu’à la croix subie par Jésus, il est resté quelques personnes (surtout
des femmes) qui ont cru et n’ont jamais douté, de même lors de la passion que
subira l’Église, et pendant le temps de sépulcre qui s’en suivra et qui
précèdera immédiatement le retour du Christ, la foi demeurera sur la terre.
Or
il est remarquable de voir que la seule personne à avoir infailliblement cru,
d’une foi divine appuyée sur la seule confiance en la parole de Dieu, est la
vierge Marie. En effet, l’apôtre saint Jean lui-même fut davantage présent à la
croix par amitié envers Jésus que par véritable foi divine comme le prouve le
fait qu’il retrouva une foi plus assurée en voyant le sépulcre vide et le
linceul posé à sa place[1547]. Quant à Marie-Madeleine, sa fidélité
n’était pas exempte d’un motif humain comme l’indique la passion qu’elle
éprouvait pour Jésus ; Joseph d’Arimathie et Nicodème exprimèrent leur respect
à un homme qu’ils admirèrent et non à un Dieu.
De
même, à la fin du monde, seuls les croyants ayant une foi à l’image de celle de
Marie pourront rester fidèlement dans l’attente de la résurrection finale. Et
si l’on en croit les paroles de Jésus, une telle foi existera. C’est ce qu’il
indique dans le texte cité à propos de saint Jean : ce disciple en effet,
symbolise celui qui croit comme la vierge Marie puisqu’il la prit chez lui à
l’heure de la passion[1548]. Mais il existera d’autres hommes à
pleurer le grand malheur subi par l’Église, à l’image de Joseph d’Arimathie.
Ceux-là, bien que non chrétiens, mais par leur simple regard sur la grandeur
immense d’une civilisation unique qui passe, auront le courage d’exprimer face
à l’Antéchrist leur tristesse.
Solutions :
1. Cette victoire de l’Antéchrist ne sera
pas totale puisque les temps de se lutte seront limités "à cause des
élus qui devront avoir la vie sauve".[1549] Quant à la victoire de l’Antéchrist,
elle ne sera qu’apparente. Par ses manœuvres et la séduction appuyée sur
l’efficacité des résultats dont il pourra se valoir, il fera disparaître toute
apparence de culte extérieur et les remplacera par le culte d’un nouveau Dieu,
prêchant un nouvel Evangile de la liberté et de la fierté. Mais il ne pourra
jamais arracher de la nature humaine son orientation faite pour le vrai Dieu de
la toute-humilité (kénose) et de l’amour, ni la foi et la charité de ceux qui
prient dans le secret. Le monde qu’il créera sera donc en apparence en paix
sans Dieu et en réalité en état d’inanition spirituelle. Nous en avons une
image dans le martyre subi par l’Église de Russie sous la violence de Staline.
2. La vierge Marie n’était pas seule à
croire. D’autres femmes restèrent fidèles, en s’appuyant sur elle. Mais la
pureté de la foi de Marie, pour laquelle elle fut proclamée bienheureuse[1550], fut unique. Elle n’est pas hors de
portée du reste des chrétiens. Cependant, elle ne peut être acquise que par une
patiente éducation réalisée par la mère de Dieu. C’est pourquoi Jésus a confié
sa mère à son disciple bien-aimé, invitant par la même occasion les autres à
l’imiter. De même, la prière du Rosaire qui est une contemplation accompagnée
de Marie de la vie de Jésus est une pratique essentielle pour l’acquisition de
l’esprit de Marie[1551]. C’est pourquoi aussi, nous le verrons,
Marie recevra de Jésus vers la fin du monde une concrète mission apostolique
pour l’Eglise de la terre.
3. La vie contemplative n’est pas réservée
aux ordres contemplatifs mais elle est donnée à tous les chrétiens selon cette
parole du Christ : « Tu as caché cela aux sages et aux savants
mais tu l’as révélé aux tout-petits ».[1552] Vers la fin du monde, la Vierge aura
d’après saint Louis-Marie Grignon de Montfort[1553] un rôle particulier puisqu’elle
préparera en vue du martyre de l’Église une Église qui lui sera consacrée et
qui sera rendue prête à vivre du mystère de sa compassion.
A
propos de la vierge Marie, qui est appelée Reine de l’Église, nous nous
demanderons :
1° La Vierge doit-elle avoir un rôle,
particulier à la fin du monde ?
2° Apparaîtra-t-elle aux hommes ?
3° Y aura-t-il des apparitions d’anges ?
4° Deux témoins doivent-ils venir vers la
fin du monde ?
Objections :
1. Le culte de la vierge Marie ne peut être
particulier à la fin du monde au point de devenir indispensable pour garder la
foi. En effet, la foi des chrétiens s’appuie en premier lieu sur le Seigneur
Jésus, qui est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes.
2. La vierge Marie s’est toujours effacée
derrière le Seigneur Jésus. On ne voit pas pourquoi elle devrait agir autrement
à la fin du monde.
Cependant :
Saint
Bernard écrit : « De même que le Christ nous a été donné par la vierge Marie une première
fois, de même à la fin du monde il nous sera donné par elle une deuxième fois.
» Donc la vierge Marie aura un rôle particulier à la fin du monde.
Conclusion :
D’après
saint Louis-Marie Grignon, la Vierge prendra une importance de plus en plus
essentielle vers la fin du monde[1554]. Et il est facile d’en trouver la
raison d’après ce que nous avons dit : lorsque l’Esprit de l’Antéchrist
commencera à répandre sa séduction sur le monde, il deviendra très difficile de
rester fidèle à son baptême car les attaques du démon porteront sur la
légitimité même de la foi en Dieu qui est le fondement de tout l’édifice
chrétien. Viendra donc un temps où seule une foi fondée sur le Roc qui est
Jésus Christ lui-même pourra tenir. Et une telle foi n’est autre que celle de
Marie. Il est donc probable que vers la fin des temps, elle sera expressément
et de plus en plus recommandée aux chrétiens comme le modèle et l’éducatrice
indispensable. Elle sera recommandée à la fin par la papauté dont le rôle est
d’orienter la piété des fidèles, et par les saints qui seront intimement mus
par l’Esprit Saint à proclamer l’urgence d’une telle dévotion.
Lorsque
viendra l’Antéchrist, il détruira la papauté et empêchera la célébration de
l’eucharistie. Alors la Vierge restera le seul support intérieur des fidèles
dans leur désir de rester fidèles au Seigneur Jésus. Elle aura donc un rôle
indispensable dans ces moments difficiles. C’est ce qu’exprime le verso de la
médaille donnée par la Vierge à sainte Catherine Labouré lors de son apparition
à la rue du Bac (1830) : Elle représente une croix qui est portée par un M
symbolisant que vers la fin du monde, la foi dans la rédemption de la croix ne
tiendra que chez ceux qui auront la Vierge au centre de leur vie de prière.
Solutions :
1. Une chose peut être indispensable de
deux manières : 1. D’une manière absolue au point qu’on ne peut rester croyant
sans l’avoir. En ce sens, la vierge Marie ne sera pas indispensable à la fin du
monde mais seulement l’esprit intérieur dont elle a vécu jusque dans l’attente
du sépulcre où tout semblait perdu. 2. D’une manière relative, en tant qu’elle
permet de mieux réaliser la fin désirée. De cette manière, on peut dire que des
ailes sont utiles pour monter vite. Pris en ce sens, la vierge Marie sera
indispensable puisqu’elle enseignera aux chrétiens à vivre de cet esprit de foi
dont elle a elle-même vécu. Elle représentera un moyen surajouté par la
miséricorde de Jésus pour ceux qu’il a choisis pour vivre dans la compassion
ces dernières heures du monde.
2. Vers la fin du monde, lorsque le temps
sera compté, le Seigneur demandera à la Vierge de préparer une Église sainte et
immaculée à son image. Quant à la Vierge, elle ne recevra pas un culte de dulie
finalisé par elle-même mais elle n’aura pas d’autre but que de conduire les
hommes vers Jésus. C’est ce qu’exprime saint Louis-Marie : « Lorsque l’on crie Marie, elle répond Jésus ».[1555]
Objections :
1. Cela ne semble pas. Si elle apparaît aux
hommes, elle supprimera la foi puisque tous auront vu la vérité du message
évangélique. Or la vertu de foi est nécessaire au salut à cause de l’humilité
qu’elle entretient dans le cœur de l’homme.
2. Le signe donné par l’Apocalypse au
chapitre 12 doit être pris au sens symbolique puisqu’il peut signifier
plusieurs choses comme l’Église, Israël, et l’âme des saints. Donc il ne
signifie pas que la Vierge apparaîtra réellement.
3. D’après l’Apocalypse, la femme est
enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. Or la vierge Marie est
déjà glorifiée. Elle ne peut donc souffrir, donc cette parole de l’Apocalypse
ne parle pas d’elle.
Cependant :
L’Apocalypse
12 annonce : « un signe grandiose apparut dans le Ciel :
une femme! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles
couronnent sa tête. Elle est enceinte et crie dans les douleurs de
l’enfantement. » Et d’après les saints, ce signe est celui de
l’Église, d’Israël et de la vierge Marie. Donc la Vierge se rendra visible à la
fin du monde.[1556]
Conclusion :
La
Vierge a reçu au pied de la croix Jean pour fils. Et cette nouvelle maternité
signifie qu’elle est rendue responsable de mener le disciple bien aimé par un
enseignement intérieur vers le Christ et son apparition glorieuse. Saint Luc
confirme cette profondeur de la Vierge puisqu’elle "gardait tous les
enseignements de son fils dans son cœur".[1557] C’est pourquoi on doit affirmer que la
mission de Marie est d’abord intérieure.
Cependant,
les attaques du démon sur la foi surabondant, les grâces de Dieu surabonderont
de la même façon. Et comme l’homme est un être sensible, il convient qu’il
reçoive par des signes sensibles extérieurs, certaines révélations selon
l’urgence des temps qu’il vit. C’est pourquoi il convient que la Vierge
apparaisse vers la fin du monde, attirant ainsi l’attention des hommes vers la
nécessité d’une conversion avant qu’il ne soit trop tard et que l’Antéchrist
paraisse.
Cependant
le signe de la femme revêtue du soleil, c’est-à-dire de l’amour de Dieu, quant
à la lune sous ses pieds (ce qui signifie la pureté de son âme immaculée) et
douze étoiles (ce qui signifie sa maternité sur l’Église), ne sera donné d’une
façon glorieuse qu’au moment du retour du Christ dont il accompagnera
l’apparition.
Solutions :
1. Dans les temps qui précéderont la fin du
monde, la Vierge n’apparaîtra pas à tous les hommes mais seulement à
quelques-uns qui recevront la mission de proclamer au monde le contenu de ses
paroles. Et elle accompagnera ses apparitions de certains signes et miracles
suffisants pour manifester aux fidèles et à la hiérarchie ecclésiale la vérité
de sa venue. Cependant, même chez ceux qui l’auront vue, la foi ne disparaîtra
pas tout à fait puisqu’elles n’auront pas en même temps la vision de l’Essence
divine qui seule peut supprimer toute obscurité dans l’intelligence.
2. Il est vrai que les signes annoncés par
l’Apocalypse ont un sens symbolique. Cependant, rien n’empêche que Dieu les
donne matériellement aux hommes vers la fin du monde afin de marquer leur
imagination et de mieux les convaincre de la proximité de l’épreuve. C’est ce
qu’on voit dans l’apparition de la rue du Bac à sainte Catherine en 1830 et où
la Vierge donna sur une médaille le signe annoncé par l’Apocalypse.
3. Les douleurs de l’enfantement ne
signifient pas que la Vierge souffre mais qu’elle a reçu mission de conduire
l’Église dans l’enfantement qui l’introduira tout entière dans la gloire de
l’autre monde.
Objections :
1. L’ange de l’Apocalypse est présenté
comme "debout sur le soleil"[1558] ou encore "avec le pied droit
sur la mer, le gauche sur la terre".[1559] Et il est évident que ces textes ont un
sens symbolique. Ils veulent simplement montrer que les décisions viennent de
Dieu qui est comme le soleil et qu’elles concernent le monde entier symbolisé
par la terre et la mer. Donc il n’y aura donc pas d’apparitions d’anges.
2. L’ange est une créature spirituelle.
S’il apparaît, ce ne peut être qu’en se façonnant une apparence de corps. Or ce
qui est une apparence n’est pas la vérité. Il ne convient donc pas que des
anges apparaissent à la fin du monde.
Cependant :
L’Apocalypse
annonce[1560] : «
L’ange que j’avais vu, debout sur la
mer et sur la terre, leva la main droite au Ciel et jura par celui qui vit dans
les siècles des siècles » « Plus de délai! Mais aux jours où l’on
entendra le septième ange, quand il sonnera de la trompette alors sera consommé
le mystère de Dieu. » Donc il y aura des apparitions d’anges.
Conclusion :
Si
l’on regarde attentivement les textes de l’Apocalypse, on doit admettre que
leur sens est d’abord symbolique. Ils signifient sous un mode allégorique
l’ordre des décisions de Dieu concernant l’humanité. Cependant, comme on l’a
vu, Dieu rend parfois visible d’une façon matérielle de telles décisions. Ainsi
il n’est pas impossible qu’avant la fin du monde il y ait de réelles
apparitions d’anges. Car ces anges, dont le nom signifie
"missionnaires" peuvent signifier l’envoi de prophètes humains dont
la parole puissante rappellera à l’humanité la proximité de la fin du monde,
puisque, au sens étymologique, le mot ange signifie envoyé de Dieu.[1561]
Solutions :
1. Et cela répond à la première objection.
Cependant on doit dire que l’ange de l’Apocalypse est déjà venu sur la terre et
a parlé par la bouche d’un grand prophète du XV° siècle canonisé par l’Église,
saint Vincent Ferrier. Ce dernier annonça qu’il était cet ange que saint Jean
vit voler par le milieu du Ciel, criant à haute voix "peuples, craignez
le Seigneur et rendez-lui gloire, parce que le jour du jugement approche. » Et
ce saint confirma la vérité de ses paroles en ressuscitant un mort et en
faisant bien d’autres miracles. C’est pourquoi l’Église en le canonisant, lui a
donné le titre d’ « ange de
Dieu. » Saint Vincent Ferrier annonça
la venue après lui d’autres envoyés qui parleront de la fin du monde.
2. Lorsque les anges se rendent visibles,
ils ne veulent pas faire croire aux hommes qu’ils ont un corps qui leur est personnel
mais ils veulent adapter leur langage à l’homme en manifestant par des signes
sensibles le contenu de leur message. C’est pourquoi l’Écriture montre de
nombreuses apparitions d’anges. Ainsi le deuxième livre des Macchabées[1562] raconte qu’au cours d’un combat « les ennemis virent apparaître cinq hommes magnifiques qui se mirent à
la tête des Juifs et les adversaires, bouleversés par l’éblouissement se
dispersèrent dans le plus grand désordre. » De même, avant la fin du
monde, il pourra y avoir des signes semblables. Mais de tels miracles, s’ils
ont lieu, ne suffiront pas à retourner le cœur des incrédules qui sauront
trouver des explications naturelles au phénomène. Par contre, si l’on regarde
l’apparition des anges selon le premier sens que prennent tous les textes
eschatologiques, c’est-à-dire l’heure de la mort individuelle, alors on doit
dire que tous les hommes auront une apparition d’ange. En effet, dans la mort,
le Christ est précédé ou suivi par l’ange de l’heure de la mort comme nous
l’avons montré (question 8).
Objections :
1. Il semble difficile d’affirmer que deux
témoins viendront à la fin du monde. En effet, le texte de l’Apocalypse dont on
parle est allégorique. On doit donc dire qu’il s’agit d’une image représentant
un témoignage spirituel de l’Église.
2. Les deux témoins ne peuvent signifier le
christianisme et l’islam puisque ces deux religions sont par essence en
opposition à cause de leur foi différente sur le mystère du Christ.
3. Les deux témoins semblent être l’Église
et Israël et non l’Église et l’islam. C’est ce que suggère le texte de saint
Paul qui parle de l’olivier franc et de l’olivier sauvage[1564].
4. Les deux oliviers, les deux témoins
dont parle l'Apocalypse, il semble qu’il s'agit plutôt du Christianisme et du
Judaïsme comme le dit Saint Paul ci-dessous :
Saint
Paul dans Romains chapitre 11 a écrit: |
24 Si
toi, tu as été coupé de l’olivier naturellement sauvage, et enté
contrairement à ta nature sur l’olivier
franc, à plus forte raison eux seront-ils entés selon leur nature sur
leur propre olivier. Car je ne veux
pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous regardiez
point comme sages, c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans
l’endurcissement, jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée. Et ainsi
tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit: Le libérateur viendra de Sion,
Et il détournera de Jacob les impiétés; Et ce sera mon alliance avec
eux, Lorsque j’ôterai leurs péchés. |
Cependant :
L’Apocalypse[1565] annonce la venue de deux témoins qui
prophétiseront avant d’être mis à mort puis de ressusciter. La tradition les
considère comme étant les deux personnes qui ne moururent pas selon l’Ecriture,
à savoir Énoch et Élie.
Conclusion :
Traditionnellement,
on considère que les deux témoins qui doivent venir à la fin des temps sont
Énoch et Élie, les deux hommes justes dont l’Écriture raconte qu’ils ne
moururent pas mais furent enlevés au Ciel. Énoch fut le septième patriarche
après Adam[1566] : « Énoch marcha avec Dieu, puis il
disparut car Dieu l’enleva. » Quant à Élie, il disparut dans un char
de feu sous les yeux du prophète Elisée[1567]. Certains théologiens juifs et
chrétiens pensèrent donc que ces deux prophètes attendaient dans le paradis
terrestre et devaient revenir à la fin du monde annoncer la venue ou le retour
du Christ. Cependant, si l’on regarde les Écritures, on doit parler autrement.
En effet, le Seigneur affirme que le prophète Élie qui devait revenir n’était
autre que Jean-Baptiste, le fils d’Élisabeth[1568] : « Jésus répondit : "Oui, Elie doit venir et tout
remettre en ordre; or, je vous le dis, Elie est déjà venu, et ils ne l'ont pas
reconnu, mais l'ont traité à leur guise. De même le Fils de l'homme aura lui
aussi à souffrir d'eux." Alors les disciples comprirent que ses paroles
visaient Jean le Baptiste. » Il ne peut donc s’agir matériellement de
cet Élie qui a vécu au temps de la reine Jézabel, mais il s’agit plutôt d’un
homme revêtu de l’esprit d’Élie, c’est-à-dire de sa spiritualité.
Il
en sera donc de même à la fin du monde. Et pour connaître ce que peuvent
représenter les spiritualités d’Énoch et d’Élie, il suffit de regarder leur
vie. Ainsi Énoch représente la fidélité intérieure puisqu’il marcha avec Dieu. Il est l’esprit de l’amour de Dieu.
Quant à Élie, il est remarquable par le zèle qui le brûlait à l’égard du
Seigneur. Il n’hésita pas à faire cesser toute pluie durant son ministère pour
conduire les hommes à la conversion. De même, il leur prouva la vanité du Dieu
Baal en ridiculisant ses prophètes par un défi où le vrai Dieu devait répondre.
Il fit mettre à mort les serviteurs de Baal. L’esprit d’Élie est donc celui de l’intransigeance de la foi, celui de la
fidélité intérieure et extérieure au Seigneur. Et Jean-Baptiste, qui n’hésita
pas à reprocher au roi Hérode son péché avec la femme de son frère jusqu’à en
perdre la vie fut réellement rempli de ce zèle de l’honneur de Dieu.[1569]
Il
reste à chercher comment se réaliseront la venue d’Énoch et d’Élie vers la fin
du monde. Comme toujours et pour toutes les prophéties de ce genre, deux sens
se réaliseront conjointement ou successivement.
1° D’abord, cette prophétie a un sens
spirituel. Ainsi, les deux témoins qui doivent venir à la fin du monde pour
témoigner de Dieu peuvent représenter la vie contemplative qui est l’esprit
d’Énoch et la vie apostolique qui vit du zèle d’Élie. Jésus, dans l’Écriture
distingue explicitement ces deux esprits sous la figure de Marthe et de sa sœur
Marie[1570] : « Mais le Seigneur lui répondit: "Marthe, Marthe,
tu te soucies et t'agites pour beaucoup de choses; pourtant il en faut peu, une
seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure part; elle ne lui sera pas
enlevée. » Pris en ce sens, Énoch et Élie doivent être considérés comme
présents à chaque époque à travers les moines contemplatifs et les apôtres.
2° Ensuite, cette prophétie se réalisera
en un sens historique et matériel. Selon cette autre interprétation, si l’on
suit le texte de l’Apocalypse, ils sont d’abord les deux oliviers, c’est-à-dire
selon saint Paul, ce qui est sorti de la descendance du peuple juif (Israël est
pour saint Paul[1571] l’olivier sauvage, source de toutes les
religions du Dieu unique). Il s’agit donc, on le voit aujourd’hui, des deux
religions sorties d’Abraham à savoir le christianisme d’un côté, qui vit
explicitement de l’esprit d’Énoch, et de l’islam de l’autre, dont le
tempérament et les pratiques ressemblent trait pour trait à celui d’Élie.
Ainsi, vers la fin du monde, l’Église du Christ sera aux yeux du monde témoin
de l’amour de Dieu tandis que l’islam proclamera avec l’intransigeance de sa
foi le Dieu unique et leur témoignage uni sera pour le monde insupportable.
C’est pourquoi l’Apocalypse parle de la guerre que leur fera le démon, jusqu’à
les détruire.
Une
autre réalisation historique et visible est à attendre : Celle qui pense que
les deux témoins seront deux prophètes suscités par Dieu à la fin du monde et
dont l’efficacité apostolique sera immense à cause des nombreux charismes dont
ils seront revêtus. Ces deux personnes, revêtues avec puissance de la confiance
d’Énoch et du zèle d’Élie, ramèneront à Dieu de nombreux hommes[1572]. Cette interprétation est confirmée par
sa réalisation en Jean-Baptiste lors de la première venue du Seigneur.
Solutions :
1. Le texte de l’Apocalypse n’est
effectivement pas d’abord à prendre au sens matériel. Ainsi, que la
mission des deux témoins doive durer 1260 jours, c’est-à-dire trois ans et
demi, cela signifie qu’ils auront la même mission que le Christ dont la prédication
a duré trois ans et demi ; De même, que leurs cadavres doivent rester sans vie
trois jours et demi signifie qu’ils vivront la même passion que le Christ puis
ressusciteront comme lui. Cependant, le sens spirituel de ces textes n’exclut
pas une certaine littéralité. Il est donc possible que les deux témoins
représentent l’Église et Israël ou encore l’Église et l’islam qui subiront
comme nous l’avons dit, les attaques de l’Antéchrist à la fin au monde. Ils
peuvent aussi représenter deux hommes aussi réels que Jean Baptiste lors de la
première venue du Christ. Et la raison de cette multiplicité des sens de ces
textes vient de Dieu qui veut manifester aux hommes le même mystère de ces
multiples manières.
2. Vers la fin du monde, lorsque
l’Antéchrist commencera ses attaques contre Dieu, et que les fidèles
apostasieront de toute part, les divisions et les oppositions entre le
christianisme et l’islam paraîtront moins importantes devant la gravité du
danger et la souffrance de voir les jeunes se désintéresser de Dieu. Aussi, il
est probable qu’il y aura un rapprochement entre tous les adorateurs de Dieu
qui donneront ainsi un témoignage complémentaire.
3. En un certain sens, les deux témoins
peuvent représenter l’Église et Israël[1573]. C’est ainsi que durant des siècles,
dans les nations chrétiennes où habitait une partie du peuple d’Israël en exil,
Dieu fut adoré par ces deux religions. Cependant, vers la fin du monde, lorsqu’Israël
adhérera à la foi
au Christ, il ne fera qu’un avec l’Église. Le monde n’aura donc plus que deux
religions issues d’Abraham et ces deux religions témoigneront devant
l’Antéchrist.
4. Cette interprétation est très vraie.
Mais sous ces symboles se cachent plus encore que cela : sous ce symbole se
cache la perpétuelle complémentarité que Dieu a voulu dans l'humanité et qui
est à son image, unissant force et douceur, vérité et amour. Qui témoigne en
effet de Dieu ?
1°
D'abord l'homme et la femme que Dieu dès le début de la Genèse fait à son image
et, parmi les hommes et les femmes, au dessus de tout, les deux témoins sont
Jésus et Marie qui ont pleinement réalisé dans leurs personnes unies, l'image
du Dieu unique.
2°
Ensuite et, comme par glissement, ces deux témoins sont Elie et son zèle
farouche pour Dieu et Henoch qui aima Dieu.
3°
Ainsi, à l'époque de saint Paul, c'étaient une religion de type masculin
(Judaïsme) et la religion de type féminin (christianisme), avec ses valeurs de
douceur, d'amour.
4°
Tout au long de l'histoire de l'Eglise, ces deux témoins ont été la vie
apostolique et la vie contemplative.
5°
Et vers la fin du monde, cette prophétie se réalisera de manière forte par les
deux religions sorties du judaïsme (islam « masculin » et
christianisme « féminin »).
Selon
saint Paul, il faut tenir comme une certitude que le retour du Christ sera
précédé par la venue de l’Antéchrist[1574] : «
Je vous en supplie, mes frères, que
personne ne se laisse troubler comme si le jour du Seigneur était près
d’arriver. Car le Fils de Dieu ne descendra pas une seconde fois qu’on n’ait vu
paraître l’Homme de péché, le fils de perdition, celui qui doit se déclarer
l’adversaire, s’élever au-dessus de tout ce qui est appeler Dieu ou qui est
adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, s’y montrant comme s’il était
Dieu. »
A
propos de l’Antéchrist, il faut étudier :
1 : Pourquoi Dieu permettra-t-il ce mal avant
le retour du Christ ?
2 : Qu’est-ce que l’esprit de
l’Antéchrist dont parle saint Jean ?
3 :
L’Antéchrist sera-t-il un homme ou un démon fait homme ?
4 :
Qu’est ce que le chiffre de la Bête ?
5 :
Peut-on savoir quelle sera l’idéologie de l’Antéchrist ?
6 : Peut-on savoir quelle sera l’œuvre de
l’Antéchrist ?
Voir
la Question 27, article 3
Objections :
1. Il semble que l’esprit de l’Antéchrist
n’est pas l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu. En effet, saint Jean
montre qu’il est un esprit qui s’oppose à la foi dans l’incarnation du Christ[1575].
2. D’après saint Jean, l’Antéchrist est un
homme qui doit venir[1576]. Il semble qu’il sera animé par un
démon qui inspirera tous ses actes. Donc l’esprit de l’Antéchrist est Lucifer
lui-même.
3. Dans l’ordre, la hiérarchie des valeurs
morales du christianisme sont 1° la
charité (α et Ω de la loi), 2° l’humilité (kénose) (préparation et
effet de la charité), 3° la vertu
(observation des commandements). Donc, au sens moral, l’esprit de l’Antéchrist
n’est pas réductible à l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu.
Cependant :
Saint
Jean écrit : « À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse
Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas
Jésus n’est pas de Dieu. C’est là l’esprit de l’Antéchrist. »
Conclusion :
Comme
son nom l’indique, l’esprit de l’Antéchrist est l’inverse de l’esprit du
Christ. Comme le Christ est l’image de la sagesse de Dieu, on peut déduire que
l’esprit de l’Antéchrist s’oppose directement à la sagesse de Dieu dans ce
qu’elle a d’essentiel.
Il
faut donc chercher quelle est la valeur première de la sagesse de Dieu. Comme
nous l’avons montré, Dieu a créé les êtres spirituels en vue de les introduire
dans la vision de son essence. Mais cette béatitude suprême ne peut être
communiquée qu’à ceux qui l’aiment. Parce que Dieu est amour, sans aucun
mélange d’égoïsme, il désire créer un monde où, unis à lui par l’amour
d’amitié, tous les hommes s’aiment au point de former une communion de saints.
C’est pourquoi la sagesse de Dieu considère la charité et ses deux commandements,
comme la plus haute vertu. C’est ce qu’exprime saint Augustin lorsqu’il dit
qu’être dans la cité de Dieu, c’est aimer Dieu jusqu’au mépris de soi.
En
conséquence, on peut dire que l’esprit de l’Antéchrist consiste dans l’opposé
de cet amour oblatif : c’est "l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de
Dieu et du prochain".[1577] Il s’agit de l’égoïsme. Comme il
produit une révolte contre l’ordre de Dieu, son premier effet s’appelle
l’orgueil (l’exaltation de sa propre volonté comme source du bien et du mal) de
même que la disposition comme le premier effet de la charité est son contraire,
l’humilité (kénose). Cet esprit de révolte s’est manifesté dès le commencement
de la création, quand une partie des esprits angéliques se détourna de Dieu,
refusant de servir comme le Seigneur le leur avait demandé, et s’exaltant en
eux-mêmes à cause de l’amour excessif de leur dignité. C’est pourquoi l’on peut
dire que l’esprit de l’Antéchrist trouve son origine première dans l’égoïsme
(amour volontaire de soi) et son effet premier dans l’orgueil luciférien,
symbolisé dans l’Apocalypse par le dragon[1578].
Dans
l’humanité, l’esprit de l’Antéchrist qui s’oppose à la charité est symbolisé la
première fois par l’arbre de la connaissance du bien et du mal parce qu’Adam et
Ève, à cause d’un amour désordonné d’eux-mêmes, refusèrent de se soumettre aux
commandements de Dieu mais se donnèrent à eux-mêmes une morale d’où la charité
était exclue. L’orgueil humain est symbolisé dans l’Apocalypse[1579] par la bête de la mer avec sept
têtes et dix cornes. L’une des têtes, blessée à mort, et qui avait été guérie,
symbolise cet orgueil qui est vaincu sans cesse par la faiblesse de la
condition humaine mais renaît malgré tout sans cesse. Les autres têtes sont les
six autres péchés capitaux par lesquelles les hommes cherchent leur bien
individuel : la gourmandise (au sens d’une convoitise pour sa survie
individuelle), l’avarice, la luxure, l’envie, la paresse, la colère. Ainsi, on
peut dire que l’esprit de l’Antéchrist qui est l’amour égoïste de soi est source
de tous les péchés intérieurs qui sont dans le monde (les sept têtes), et de
tous les actes extérieurs mauvais (les dix cornes).
Solutions :
1. Puisque l’esprit de l’Antéchrist est
l’opposé de la charité, il lutte contre tout ce qui conduit à la charité et il
essaye de construire tout ce qui va dans le sens de l’amour de soi et de
l’orgueil. C’est pourquoi les orgueilleux rejettent le Christ et sont prêts à
nier sa mission, même si elle leur est démontrée par les miracles les plus
éclatants. Lors du jugement dernier, l’esprit de l’Antéchrist sera donc
manifesté à tous par ce péché dont parle saint Jean ou par tout autre blasphème
contre le Saint Esprit.
2. Au sens moral, on peut dire que l’esprit
de l’Antéchrist est Lucifer. En effet, comme nous l’avons montré, l’Ange
révolté est celui qui inspire à tout homme la révolte contre Dieu et l’amour de
soi. Cependant, au sens ontologique, Lucifer ne peut être l’esprit de
l’Antéchrist puisque il est, quant à son être, créé car Dieu et bon. Seul son
choix a fait de lui un ange révolté. Il est donc plus correct de parler de la
spiritualité de l’Antéchrist. En ce sens, elle vient de Lucifer et lui est
commune avec les hommes pervertis.[1580]
3. Ces trois valeurs morales sont résumées
dans une seule : la charité. De même, l’esprit de l’Antéchrist qui au cours des
temps s’est incarné dans des milliers de nuances, depuis les simples
convoitises aux idéologies les plus sophistiquées comme celle de Freud, Sartre,
etc. peut se résumer en son fondement selon Augustin : l’amour de soi poussé
jusqu’au mépris de Dieu et des autres.
A l’argument Cependant :
On
peut répondre : le vrai Dieu, celui de Jésus Christ est, au plan de ses
attributs intérieurs, amour, humilité (kénose) et perfection. Celui donc qui
rejette Jésus Christ, en sachant pleinement cela, ne peut le faire qu’à
cause d’une contradiction interne qu’il trouve en lui. Mais attention : le
rejet de Jésus Christ connu superficiellement ou à travers les péchés des
chrétiens peut être un signe que la personne est disposée à vivre du véritable
esprit du Christ. On raconte qu’avant d’être exécuté, l’empereur inca Atahualpa
se vit proposer le baptême par l’aumônier. Il le refusa en disant que si le
paradis était dirigé par Jésus Christ, dieu de ces guerriers adorateurs de l’or,
il préférait aller en enfer avec ses idoles[1581]. Donc, au moins avant l’apparition
glorieuse du Christ qui supprimera l’erreur, ce texte doit être interprété non
selon la lettre mais selon l’esprit.
Objections :
1. Il semble que l’Antéchrist sera plutôt
un homme qu’un démon. La Vierge annonce dans son apparition de la Salette qu’il
naîtra de l’union d’une fausse religieuse juive et d’un évêque.
2. Saint Jean affirme[1582] : «
C’est que beaucoup de séducteurs se
sont rependus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus venu dans la chair.
Voilà bien le séducteur, l’Antéchrist. » Il semble que l’Antéchrist
sera une secte et non un homme.
3. Les textes qui parlent de l’Antéchrist
semblent être des mythes signifiant par allégorie l’universalité des tyrans et
des persécuteurs qui viendront dans le monde. Il s’agit donc non d’un homme
mais de l’image collective de tous les impies et les hérésiarques qui
combattent Dieu. [1583]
Cependant :
Saint
Paul écrit aux Thessaloniciens[1584] : «
Auparavant doit venir l’apostasie et
se révéler l’homme impie, l’Être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève
au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant
jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant
lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
En
suivant les textes prophétiques de l’Écriture sur l’Antéchrist, on doit
admettre qu’il ne s’agit pas seulement d’une spiritualité, ni de l’Ange révolté
lui-même bien que l’apôtre montre que l’impiété est déjà à l’œuvre ; il ne
s’agit pas seulement des nombreux faux prophètes qui sont venus[1585] ; il s’agit en définitive d’un homme
qui viendra à la fin du monde et résumera en lui avec perfection tout le
mystère du péché : il prêchera une idéologie bien adaptée à l’orgueil humain
dont l’inspiration viendra du démon et séduira des foules de ses serviteurs.
1° Quant à son intelligence, il adoptera
l’esprit de l’opposition au Christ d’une manière parfaite et il saura enseigner
cette doctrine avec logique et persuasion. Il s’opposera par son enseignement à
tout ce qui est respectable et sacré[1586]. « Il s’exaltera avec audace contre le Dieu des
dieux et réputera comme néant le Dieu de ses pères. »
2° Quant à l’efficacité, il recevra en don
de la part du démon le pouvoir d’accomplir toute sorte de prodiges séducteurs
qui sembleront confirmer la vérité de ses dires. Certains Pères, s’appuyant sur
le livre de l’Apocalypse au chapitre 13 n’hésitent pas à affirmer qu’il ira
jusqu’à s’élever dans les airs comme Siméon le Magicien et qu’il opérera une
résurrection apparente. Il sera donc pour le monde d’une grande séduction, plus
que tous les autres antéchrists venus précédemment. Saint Thomas affirme que,
de même que la plénitude de la divinité habite corporellement dans le Verbe
Incarné, ainsi la plénitude de tout mal habitera dans l’Antéchrist dont la
mission et les œuvres seront une copie inversée de la mission et des œuvres de
Jésus Christ.
La
raison qui explique l’humanité charnelle de l’Antéchrist tient à ceci : la
connaissance et l’action de l’homme étant liées au corps, il ne convient pas
que ce qui le conduit à la connaissance et à l’action reste purement spirituel
ou abstrait. C’est pourquoi le Verbe éternel de Dieu, voulant s’adresser
parfaitement aux hommes, s’est fait chair. C’est pourquoi, à l’heure de la
mort, la parole de Dieu et celle du démon seront données à travers des
apparitions sensibles. C’est pourquoi aussi les antichristianismes, lorsqu’ils
réussissent, s’incarnent toujours dans la personne d’un leader politique qui
les prêche. Aussi en fut-il pour le racisme avec Hitler, le meurtre des riches
pour Staline, Pol Pot.
Ceux
qui tiennent l’opinion selon laquelle l’Antéchrist sera un démon fait homme ne
doivent pas être suivis. En effet, Le démon n’a pas le pouvoir d’assumer une
nature humaine au point de former un seul être avec elle, tel que le fit le
Verbe de Dieu dans l’humanité du Christ. En effet, la puissance naturelle du
démon n’est autre que celle de la nature angélique. Elle est donc limitée à
certains effets secondaires mais ne peut atteindre la substance des réalités.
Un tel pouvoir sur l’être des choses appartient par essence à Dieu qui est
cause de l’être. En conséquence, le démon ne peut s’unir à un homme que de deux
manières : 1- En assumant son corps à la manière d’un moteur extérieur, comme
on le voit dans certaines possessions démoniaques. Mais dans ce cas, ce n’est
pas vraiment l’homme qui agit. C’est le démon qui agit par l’intermédiaire des
actes corporels du possédé. Il ne semble pas que cela puisse correspondre à
l’Antéchrist qui agira de lui-même puisqu’il sera l’homme impie, selon saint
Paul. 2- En coopérant avec l’homme par une union morale en vue d’une œuvre
commune. Et une telle unité qui est celle que l’on trouve dans les contrats de
sorcellerie semble davantage convenir à la perversité de l’Antéchrist. Il
semble donc qu’il sera un sorcier.
Solutions :
1. Cette parole de l’apparition de la
Salette peut être prise en divers sens selon que l’on regarde l’Antéchrist
comme une spiritualité ou comme un homme : en tant que spiritualité, l’esprit
de l’Antéchrist naîtra du judéo-christianisme. C’est ce que saint Jean signifie[1587] : «
il est sorti de chez nous. » Et
la raison en est que la foi et la charité, qui mûrissent à l’extrême
l’intelligence et le cœur de l’homme jusqu’à l’absolu du don de soi et de la
vraie liberté adulte, s’ils sont rejetés, conduisent à l’inverse qui est
l’absolu de l’amour de soi choisi librement. Et nous avons une image de cela
dans le fait que tous les prophètes des athéismes contemporains étaient soit
chrétiens soit juifs d’origine et étaient tous de culture occidentale
judéo-chrétienne.
Cependant,
si l’on regarde l’Antéchrist en tant qu’il sera un homme, on peut présumer
qu’il singera jusque dans son origine la naissance du Christ qui a eu pour mère
la Vierge immaculée. Ainsi on peut supposer par analogie que son adversaire
déclaré, suscité par le démon, naîtra d’une union impure et sera le fruit d’une
femme d’impudicité. « Il sera fils
de la fornication », dit saint
Jean Damascène[1588].
2. Comme nous l’avons montré, il viendra
avant le dernier Antéchrist, d’autres antéchrists qui en seront les
préfigurations. Mais, au fur et à mesure que l’humanité progresse, on constate
que leur influence sur les hommes se fait de plus en plus profonde. Au
commencement, tous les antéchrists ne visaient qu’une convoitise matérielle :
plaisirs, conquêtes et richesses. Ils imposaient leur pouvoir aux corps
; puis ils devinrent des messianismes politiques c’est-à-dire que leur conquête
visait à imposer le bonheur par une idéologie et une transformation de la
nature humaine. Ils prétendaient s’imposer aux intelligences (voir les
sept confessions politiques successivement mises en place à l’époque moderne).
Vers la fin du monde, le dernier Antéchrist sera une religion, c’est-à-dire
qu’il imposera jusqu’au fond des consciences l’adoration d’un nouveau
dieu et d’une nouvelle espérance après la mort.
3. Il est permis de lire dans un sens
allégorique les textes concernant l’Antéchrist puisqu’ils sont universellement
donnés pour les hommes de tous les temps qui auront à subir la violence injuste
des tyrans. Cependant, le sens allégorique ne s’oppose pas à une lecture
littérale du texte.[1589]
Objections :
1. Dans diverses langues, les chiffres
peuvent se traduire en caractères alphabétiques, et réciproquement les lettres
alphabétiques en caractères chiffrés. Il semble donc que le chiffre 666
signifie le nom de l’Antéchrist, dans une langue inconnue qu’on ne pourra
discerner qu’au jour de sa venue.
Objections :
1. On a pu calculer que ce chiffre se
rapporte au nom de l’empéreur romain de l’époque où fut écrit l’Apocalypse.
Donc 666 signifie Néron qui est le symbole des persécuteurs impies.
Cependant :
L’Apocalypse
écrit[1590] : «
Tous, petits et grands, se feront
marquer sur la main droite et sur le front du nom de la Bête ou au chiffre de
son nom. C’est ici qu’il faut avoir de la finesse! Que l’homme doué d’esprit
calcule le chiffre de la Bête, c’est un chiffre d’homme : son chiffre, c’est
666. »
Conclusion :
La
parole de Dieu est donnée à tous les hommes, de telle façon que son sens
n’échappe pas complètement à ceux qui la lisent et s’en imprègnent. Il est donc
impossible que son premier sens appartienne aux savants calculateurs. Il doit
exister une signification plus simple et plus proche du commun des fidèles.
Dans
l’Écriture, on voit que certains chiffres sont donnés avec une signification symbolique
qui revient toujours. Ainsi, le chiffre trois signifie la plénitude de la
divinité puisque Dieu est en trois personnes ; de même, le chiffre sept
signifie la perfection de la création puisque le monde fut achevé le septième
jour par le repos de Dieu qui dit que tout était très bon. C’est de cette
manière qu’il faut regarder le chiffre de la Bête. Et plusieurs interprétations
peuvent être données qui se rejoignent en une seule :
1° Dans l’Écriture Sainte, Dieu affirme
sans cesse à l’homme qu’il lui a donné six jours pour travailler[1591] : «
Pendant six jours tu travailleras et
feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. » Ainsi, si l’homme oublie le septième
jour qui est consacré à Dieu, il se marque lui-même de la marque du chiffre six
qui signifie qu’il vit sans Dieu.
2° Dans la loi[1592], Dieu commande aux maîtres qui
s’achètent la main d’œuvre d’un esclave Hébreu, de le garder six années puis de
le laisser aller libre la septième année sans qu’il doive rien payer. Si le
maître n’agit pas ainsi la septième année, n’obéissant pas à la loi de Dieu, il
se marque lui-même du chiffre six qui signifie l’homme sans Dieu.
3° Selon le philosophe Aristote, il existe
sept axes par lesquels l’homme peut être étudié selon tout ce qu’il est. En
effet, on peut connaître l’homme en tant 1- qu’il existe, par la métaphysique ;
2- qu’il possède une nature humaine et c’est la philosophie de la nature et de
la vie ; 3- qu’il est capable de transformer l’univers et c’est la philosophie
du travail ; 4- qu’il est capable de connaître ce qui existe et c’est la
philosophie critique ; 5- qu’il peut être en rapport avec un autre homme et
c’est la philosophie morale ; 6- qu’il vit en communauté et c’est la
philosophie politique ; 7- qu’il dépend de l’Être Premier et c’est la théologie
naturelle. Ainsi, celui qui supprime de la connaissance humaine le rapport avec
Dieu, ne voulant étudier l’homme qu’en tant qu’il se possède lui-même, se
marque du chiffre de la Bête qui est six.
4° Autre exemple philosophique, plus
complexe : Les philosophes trouvent six transcendantaux, c’est-à-dire six
notions très générales qui dépassent toutes les catégories descriptives, qui
expriment une propriété commune à tout ce qui est, et qui se convertissent
entre elles. Ainsi, tout ce qui est un être est 1° une « réalité
individuelle » (res), est 2°
« un » (unum), est 3° une
chose différente des autres (aliquid),
est 4° vrai, c’est-à-dire capable d’illuminer l’intelligence (verum), 5° est « bon »,
c’est-à-dire capable d’attirer (bonum),
et est 6° « beau, c’est-à-dire splendide dans sa forme (pulchrum).
Or,
tous ces transcendantaux sont identiques à l’Essence même de Dieu. Ainsi, celui
qui supprime le Dieu unique de sa contemplation du réel, ne voulant étudier que
les réalités limitées, se marque du chiffre de la Bête qui est six.
En
conclusion, on peut dire que le chiffre de la Bête signifie l’acte par lequel
l’homme s’exalte contre Dieu. C’est pourquoi l’Apocalypse l’appelle un chiffre
d’homme. Et si le chiffre six est répété trois fois pour ce qui concerne le
dernier Antéchrist avant la fin du monde, c’est parce qu’il réalisera un monde
où l’homme vivra parfaitement, quoique séparé de Dieu. Il pensera avoir établi
un ordre divin dans une humanité coupée du vrai Dieu. Adolf Hitler ou
Staline ne réalisèrent qu’un antéchristianisme primitif, tuant les corps. Le
dernier Antéchrist au contraire, réalisera le monde le plus parfait possible au
plan des corps (paix et sécurité) mais beaucoup plus dangereux que tout ce qui
aura existé avant au plan du risque pour les âmes : il présentera au monde
le projet de Lucifer, celui d’une vie éternelle en ce monde puis dans l’autre,
selon les règles de liberté d’un dieu opposé à la dépendance de l’amour humble.
Solutions :
1. Cette interprétation n’exclut pas
d’autres lectures plus savantes du chiffre de la Bête. Il n’est donc pas exclu
que la Bible qui est l’œuvre parfaite de la révélation de Dieu renferme d’une
manière codée le nom des tyrans qui opprimeront le monde et principalement du
dernier d’entre eux qui détruira provisoirement sur la terre le règne de Dieu.
2. L’Empereur Néron est une image
prophétique quoique imparfaite de l’Antéchrist qui viendra à la fin du monde.
Il n’est donc pas exclu que son nom soit présent sous le chiffre de la Bête, de
la même façon que la Bible a coutume de symboliser le monde en tant qu’il
dépend du péché par des noms de lieux comme Babylone ou l’Égypte.
Solution à l’argument en sens contraire
:
Beaucoup
de chrétiens ont cru que matériellement, cette prophétie du chiffre 666 serait
réalisée par une marque sur le front ou sur la main. Or les règles
d’interprétation de l’Apocalypse doivent être ici rappelées encore une fois.
Ces paroles sont d’abord esprit et, seulement en second lieu, réalisation
matérielle. Ainsi, un homme est marqué de la marque de la bête lorsqu’il adhère
par sa volonté et son action, à l’idéologie antichristique du temps. Le pape
Benoît XVI, par exemple, s’il fut forcé de porter la croix gammée au bras comme
tout adolescent allemand, n’adhéra jamais à l’idéologie Nazie. Il ne fut donc
pas marqué de la marque de la Bête de son temps. De même, si, à la fin du
monde, nul ne peut vendre ou acheter sans porter une puce informatique venant
du gouvernement du dernier Antéchrist, rien n’empêchera la conscience
intérieure de chacun de se garder unie au vrai Dieu et d’échapper ainsi à la
marque de la bête.
Objections :
1. Il ne se peut pas que l’Antéchrist
conduise l’humanité non seulement à une apostasie des religions révélées mais
aussi à un culte explicite de Lucifer. Aussitôt l’Eglise et les religions
dénonceraient cette grossière falsification.
2. Il n’est pas possible que l’Antéchrist
réussisse dans ses œuvres et consacre le monde à l’Ange révolté, selon la
signification de son chiffre. En effet, un tel monde est impossible à cause du
cœur de l’homme qui est fait pour le vrai Dieu.
3. Il est hors de sens d’imaginer, vers la
fin du monde, une humanité unifiée autour du culte religieux de Lucifer. Le
texte de saint Paul parle de l’esprit caché sous le dernier antichristianisme
et non d’une adoration explicite. Ce serait un blasphème contre l’Esprit, et
Dieu ne pourrait tolérer qu’une génération entière se damne.
Cependant :
Les
Écritures donnent certaines prophéties générales suffisantes pour avoir une
idée de l’idéologie de l’Antéchrist. Saint Paul écrit aux Thessaloniciens[1594] : «
Il s’élève au-dessus de tout ce qui
porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne
sur le trône de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. »
Conclusion :
Si
l’on suit l’Écriture, on doit affirmer que le dernier Antéchrist, à la fin du
monde établira sur terre le projet insensé que Lucifer avait posé au début de
sa révolte et que Jésus appelle « Le
mystère de l’iniquité ». Son
idéologie sera donc une religion et non un athéisme. Pour le comprendre, on
doit considérer deux choses :
1° la finalité que visent Lucifer et ses
anges, à savoir la damnation du plus grand nombre d’hommes. ; 2° la manière dont ils s’efforceront
d’atteindre ce but à la fin du monde (voir article suivant).
Dès
l’origine, la révolte des démons consista dans le rejet du projet que Dieu
avait fondé sur l’humilité et l’amour : « nul ne peut voir Dieu face à face sans devenir tout humble et
sans aimer. Le plus petit d’entre vous sera le plus grand. ». Les
anges révoltés prétendirent mériter voir Dieu face à face du seul fait de leur
nature, parce qu’ils sont intelligents donc faits pour cela. Dieu ne pouvant se
donner qu’aux humbles, ils se révoltèrent, estimèrent pouvoir le faire changer
d’idée, et voulurent dès lors organiser un monde selon leur idée, où le premier
est le plus intelligent de tous, à savoir Lucifer. Ils furent menteurs dès
l’origine puisqu’ils prétendirent n’agir ainsi que pour l’honneur du Créateur
et pour éviter son abaissement.
C’est
en comprenant cette cause originelle que l’on peut comprendre ce que sera
l’idéologie du dernier Antéchrist, celui qui réalisera sur terre ce grand
projet des démons. Concrètement, le dernier antichristianisme sera une
religion, avec un dieu et une promesse de vie éternelle. Il instaurera sur
terre le « mystère de l’iniquité », c’est-à-dire le motif premier et
initial de la révolte de Lucifer. On peut, en suivant les textes, décrire la
prédication mensongère du dernier Antéchrist ainsi : « Arrivée à la plénitude du
savoir et de l’expérience, l’heure est venue pour l’humanité d’adhérer à la
sagesse qui peut la combler tout entière. Après des siècles d’errance, le monde
est mûr pour se donner à la vraie religion, l’Évangile éternel voulu par le
Créateur, celui qui libère l’homme de toutes ses peurs.
L’humanisme sans Dieu disait que la vie s’arrête
avec la mort, plongeant l’humanité dans l’exclusive recherche du bonheur
immédiat et dans la désespérance. Les faux Évangiles affirmaient que l’homme
devait être un serviteur, humble et soumis aux autres. Le vrai affirme qu’il a
été créé pour être un dieu. Il a été fait pour la liberté et la puissance, pas
pour la dépendance. Il le peut dès ici-bas.
Cette vie n’est qu’un commencement. Après la mort,
l’homme vit[1595]. De l’autre côté du voile, il lui est proposé, pour
l’éternité, liberté et dignité. Cela se réalise très concrètement par l’apparition
du dieu suprême, « celui qui porte toute vraie lumière », Lucifer[1596]. L’homme qui choisit la liberté, qui refuse
librement la dépendance que lui propose le faux dieu[1597], prolongera sa puissance dans l’autre monde pour
l’éternité, dans la communion intellectuelle avec le projet grandiose de l’Ange
de Lumière.
Ainsi pacifiée et maîtresse d’elle-même, l’humanité
va enfin s’appartenir. Elle va se mettre debout. Libérée de l’angoisse du
néant, en contact spirite avec l’autre monde, elle va connaître la pleine possession
d’elle-même[1598]. Rien ne lui sera plus impossible. L’humanité
deviendra maîtresse de son destin, décidant elle-même ce qui est bien ou mal. »
Ce discours
ressemble superficiellement à l’Évangile du Christ. On y parle même d’un Dieu,
d’une vie après la mort. Il n’y a plus d’athéisme. Il est aisé de se laisser
abuser, même en étant chrétien. Pourtant, le vrai créateur est humble (kénose)
et aimant, jusqu’à la mort et la mort sur une croix.
Il
semble que c’est par des discours semblables que parlera le dernier Antéchrist
à la fin du monde, conduisant l’humanité à certains comportements ultimes et
limites. Ces événements, terribles au plan spirituel, ressembleront fortement
au blasphème contre l’Esprit Saint tel que nous l’avons défini. Pourtant, il ne
faut pas confondre. Une apparence de blasphème contre l’Esprit n’est pas
nécessairement sa réalité. Il peut arriver qu’un groupe d’homme se mette à
rejeter Dieu tout en sachant qu’il existe, mais sans savoir ce qu’il fait
vraiment, à cause de l’entraînement d’une folie collective [1599] : «
Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », disait Jésus à
propos de ce peuple qui avait vu ses miracles, l’acclamait quelques jours plus
tôt avant de rire devant sa mort. C’est pourquoi, même lorsque ces événements
arriveront, il ne faudra pas douter de la puissance de Dieu qui ne permet le
mal que pour un bien supérieur, lié au salut éternel du plus grand nombre.
Il
convient de remarquer que c’est aussi de cette manière que, à l’heure de sa
mort individuelle, chaque homme reçoit de manière objective et face à sa
liberté, la prédication par Lucifer du bien qu’il prétend se trouver en enfer[1600]. C’est qu’il s’agit du même mystère,
Dieu ne permettant cette approche ultime de l’ange révolté que pour que la
liberté de l’homme soit parfaite.
Solutions :
1. La lettre des Ecritures oblige à
affirmer que Dieu permettra cela. Il est bien évident que cela ne pourra
arriver qu’à une époque où les religions, à commencer par la sainte alliance du
Christ, auront disparu du monde visible. C’est pourquoi saint Paul dit dans sa
deuxième épître au Thessaloniciens[1601] : « Et vous savez ce
qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment. Dès
maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'œuvre. Mais que seulement
celui qui le retient soit d'abord écarté. Alors l'Impie se révélera. » C’est pourquoi on doit affirmer
que ce dernier Antéchrist n’arrivera pas tant que les religions qui portent le
nom de Dieu, c’est-à-dire qui enseignent d’une manière ou d’une autre la valeur
de l’humilité et du don de soi, subsisteront.
2. Un tel monde, celui que connaîtra la
génération du dernier Antéchrist, sera brillant et paisible au plan extérieur
puisque tous les fléaux auront été vaincus. Mais, au plan intérieur, ce monde
sera marqué par l’angoisse, qui est ce feu mystérieux vécu par toute âme coupée
du vraie Dieu, celui qui seul peut combler le cœur de l’homme. Ainsi, le
dernier Antéchrist réussira tout, sauf l’essentiel. Il est probable que son
monde sera en conséquence marqué de deux fléaux étranges : la drogue et le
suicide qui permettent de fuir artificiellement ce qui n’a pas de sens. Mais
Dieu ne permettra cela que parce qu’il saura en faire sortir un salut plus
grand et pour le plus grand nombre.
Selon
saint Paul[1602], la persécution ultime perpétrée par
l’Antéchrist sera permise par Dieu "parce que les hommes n’ont pas reçu
l’amour de la vérité pour être sauvés. En punition, Dieu leur enverra un esprit
qui donnera l’efficacité à l’erreur, en sorte qu’ils croiront à l’erreur, afin
que tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais qui se sont plus dans
l’injustice, soient condamnés. » Ce texte doit être interprété comme suit :
« en punition », c’est-à-dire par mode d’éducation. « Il leur enverra un
esprit de sorte qu’ils croiront à l’erreur », en ce sens qu’ils
vivront jusqu’à l’absurde de la logique de leur péché, collés au temps présent,
incapables de discerner la destruction à long terme qui sort toujours de
l’amour égoïste. Ils recevront dès cette terre le salaire de leur péché sous la
forme des diverses angoisses qui en sont le salaire naturel. Ils vivront
l’absence de Dieu dans les misères spirituelles, jusqu’au le retour du Christ
qui révélera sa vérité et son amour et leur proposera son pardon. Alors
beaucoup se tourneront vers lui, dans la confusion, mais avec beaucoup d’amour
puisqu’ils auront été beaucoup pardonnés.
En
outre ce dernier Antéchrist est destiné à faire ressortir et à manifester avec
éclat la fidélité et la constance de ceux dont les noms sont écrits dans le
livre de vie et que toutes ses violences et ses artifices n’auront pu parvenir
à ébranler. En tout cela, l’homme ne sera pas tenté plus qu’il ne peut en
supporter car la grâce de Dieu sera donnée en abondance à cette époque. On doit
aussi affirmer que tout cela aboutira en une victoire finale, jusque dans la
politique, de Dieu grâce à la parousie du Christ.
3. Tout cela ne peut se faire que par
étape, au fur et à mesure du renouvellement des générations. L’histoire moderne
révèle d’ailleurs sans cesse de nouveaux antichristianismes que la génération
précédente ne pouvait pas imaginer. Ainsi, les soldats de la grande guerre de
1914 auraient-ils imaginé que leurs petits enfants avorteraient, au nom du
bonheur adulte, un enfant à naître sur quatre ? En y regardant de plus près, on
remarque que l’histoire des antichristianismes, commencée avec l’orgueil de la
chrétienté du XIIIème siècle, suit une certaine logique de
progressivité. Ils ont d’abord corrompu la place de la charité et de l’humilité
(kénose) comme fondement de la vie chrétienne (hérésies rigoristes ou
piétistes, culte de la puissance des Eglises etc.). Une fois le vrai évangile
dénaturé ou discrédité par ses guerres, les antichristianismes devinrent des
évangiles politiques (capitalisme, marxisme, nationalisme, nazisme,
consumérisme, hédonisme, société des loisirs). Rien n’empêche donc que dans les
générations à venir, « ce qui le retient ayant été enlevé [1603] », la place laissée vide par les anciennes
religions laisse un vide que viendra remplir la religion de l’Antéchrist.
Objections :
1. Au cours de l’histoire, les divers
antéchrists ont eu en commun de manifester un grand mépris pour la vie humaine.
Ils tuèrent des hommes par tous les moyens possibles, depuis la guerre
jusqu’aux actes qualifiés de libératoires de la souffrance comme l’avortement,
l’euthanasie ou le suicide. Il semble donc que l’Antéchrist final, pour montrer
à Dieu le peu de valeur de l’humanité, la conduira à s’autodétruire dans une
dernière guerre mondiale.
2. Jésus dit, à propos du diable : « Il est homicide dès l’origine ». Son action sur les hommes se
réalisera donc perpétuellement à travers des meurtres matériels et de la
barbarie et non à travers un monde pacifié sans Dieu.
3. L’étape essentielle et préparatoire à la
venue du dernier Antéchrist semble être la disparition des religions prônant le
bien – l’humilité et le don de soi –. Mais cela semble être impossible tant
elles sont inscrites dans le cœur de l’homme.
4. L’athéisme semble être le sommet de ce
que l’Ange révolté peut établir sur terre. Ne dit-on pas que sa plus grande
ruse est de faire croire qu’il n’existe pas ?
Cependant :
L’Antéchrist réussira en faisant mûrir
peu à peu l’humanité vers un mal de plus en plus lucide et volontaire, étape
après étape. Pour comprendre son œuvre, Jésus invite à se référer aux
prophéties de Daniel[1604] qui effectivement, se réalisent sur de
nombreuses générations. Voici les trois principales :
«
Quatre royaumes viendront qui n'auront pas la force du précédent. Et, au terme
de leur règne, au temps de la plénitude de leurs péchés, se lèvera un roi au
visage fier, sachant pénétrer les énigmes. Sa puissance croîtra en force (non
en raison de sa propre puissance), il tramera des choses inouïes, il prospérera
dans ses entreprises, il détruira des puissants et le peuple des saints. Et,
par son intelligence, la trahison réussira entre ses mains. Il s'exaltera en
son cœur et détruira un grand nombre par surprise. Il s'opposera au Prince des
princes (le Christ) mais, sans acte de main, il sera brisé. Elle est vraie la
vision qui a été dite. »[1605]
« (...). Et après soixante-deux semaines, un messie sera supprimé, et il n’y a
plus pour lui (de place). La ville et le sanctuaire seront détruits par un
prince qui viendra. Sa fin sera dans le cataclysme et, jusqu'à la fin, la
guerre et les désastres décrétés. Et il consolidera une alliance avec un grand
nombre. Le temps d'une semaine ; Et le temps d'une demi-semaine, il fera cesser
le sacrifice perpétuel et l'oblation et sur l'aile du temple sera l'abomination
de la désolation jusqu’à la fin, jusqu’au terme assigné pour le désolateur. »[1606]
« Je
regardais, moi Daniel, et voici : deux anges se tenaient debout, de part et
d'autre du fleuve. L'un dit à l’homme vêtu de lin (le Christ) qui était en
amont du fleuve : quand se produiront ces choses inouïes ? J'entendis l'homme
vêtu de lin, qui se tenait en amont du fleuve : il leva la main droite et la
main gauche vers le Ciel et attesta par l'Eternel Vivant : « pour un temps, des
temps et un demi-temps, et toutes ces choses s'achèveront quand sera achevé
l’écrasement de la force du Peuple Saint." J'écoutais sans comprendre ;
puis je dis : Mon Seigneur, quel sera cet achèvement ? Il dit : Va, Daniel ;
ces paroles sont écrites et scellées jusqu'au temps de la Fin ; Beaucoup seront
lavés, blanchis et purifiés ; les méchants feront le mal, les méchants ne
comprendront point ; les savants comprendront. À compter du moment où sera
aboli le sacrifice perpétuel et posée l'abomination de la désolation : 1290
jours. Heureux qui tiendra et atteindra 1335 jours. Pour toi, va, prend ton
repos ; et tu lèveras pour ta part à la fin des jours. »[1607]
Donc le dernier Antéchrist viendra après
une longue préparation et maturation de l’humanité.
Conclusion :
Les
textes de l’Écriture révèlent que l’Antéchrist, par des manœuvres diverses,
sera efficace. À la fin du monde, il établira son projet insensé d’humanité
séparée du vrai Dieu humble (kénose) et amour et debout face au faux dieu libre
et orgueilleux. Il pourra être reconnu comme le dernier Antéchrist par le
fait qu’il réalisera de manière mondiale ce projet désiré par nombres
d’hommes avant lui.
Voulant
établir la puissance de l’égoïsme et de l’orgueil, ces deux valeurs
essentielles dans le service de la révolte du démon caché sous cette lutte, il
saura agir pour proposer aux hommes la réalisation concrète d’une l’humanité
libre et individualiste. Pour comprendre son œuvre, il faut se demander
jusqu’où il est possible de réaliser un monde sans le vrai Dieu et sans
véritable amour, de telle manière que les hommes s’y complaisent au moins dans
la partie sensible de leur être.
En
regardant l’histoire de l’humanité, on peut discerner diverses étapes dans la
réalisation de l’œuvre des antéchrists. De même que l’égoïsme et l’orgueil d’un
enfant ne sont pas les mêmes que celui d’un homme libre arrivé à la plénitude
de la maîtrise de soi, de même l’antichristianisme du début portant sur les plaisirs
charnels et les guerres de domination paraîtra enfantin par rapport à celui de
l’humanité lorsqu’elle aura mûri. Quand on regarde l’histoire de l’humanité, on
constate que les antichristianismes ont empiré par étapes, de manière analogue
à ce qui est visible dans la vie d’un individu quand il mûrit dans le péché.
Ainsi, les péchés peuvent, chez celui qui se damne, empirer en trois étapes
selon que l’égoïsme est dû à la faiblesse de leur chair, à l’ignorance de
l’amour de Dieu ou au contraire à la lucidité d’une volonté obstinée dans le
mal. De même, on peut discerner trois étapes du péché dans l’histoire de
l’humanité :
1° Le péché contre le Père (faiblesse) : Les tyrans du commencement de
l’humanité sont, à l’image de Néron, des hommes exaltés dans leur pouvoir ou
par leur plaisir. Ils suivent leurs convoitises. Ils sont souvent les esclaves
de leurs passions qu’ils appliquent à la politique, pour le malheur de leur
peuple. Leur motivation n’est pas l’ignorance de l’existence de Dieu mais le
plus souvent, le péché contre le Père, c’est-à-dire une certaine faiblesse due
à l’emprise des trois convoitises (plaisirs, argent, pouvoir). Puisque c’est au
Père éternel qu’on attribue la force, ces antéchrists s’opposent au Père. C’est
aussi à ce genre de péché que se rendirent coupable bien des chrétiens lors des
guerres de religion, salissant l’Église d’une tâche définitive.
2° Le péché contre le Fils (ignorance) : Après la révolution française,
l’humanité entra dans une nouvelle étape puisqu’il ne s’agit plus seulement de
convoitise mais, pour la première fois, de la conviction que le christianisme
et les religions révélées ne sont que des inventions de la superstition. Il y
eut chez ces hommes, à partir de cette époque, une véritable ignorance de
l’existence de Dieu. On l’appelle péché contre le Verbe puisque c’est au Verbe
qu’est attribué par appropriation, la connaissance en Dieu pour le bien des
hommes. Les antichristianismes de cette époque s’efforcèrent donc de construire
un système nouveau, une idéologie capable de donner à l’humanité le bonheur
"sans référence à Dieu. » On
tâtonna tragiquement. Mais les diverses tentatives d’humanisme sans Dieu, -le
nationalisme (exaltation du pouvoir), le capitalisme et son opposé le marxisme
(exaltation de l’argent), l’hédonisme (exaltation des plaisirs)-, ont tous en
commun la croyance, souvent sincère, que Dieu n’existe pas et qu’une nouvelle
humanité doit naître. Le XXème siècle est à cet égard significatif
de la manipulation du démon caché sous l’histoire puisqu’il inspira à l’homme
des idéologies effrayantes aboutissant aux massacres de masse, d’Auschwitz à
l’avortement[1608].
3° Le péché
contre l’Esprit Saint (lucidité, maîtrise de soi, face à
Dieu) : Arrivé à ce point, il y aura une dernière étape pour que la
plénitude du mystère de l’iniquité soit révélée. Il est déjà venu beaucoup d’Antéchrist, mais ils n’ont jamais été
que des préfigurations du dernier puisqu’ils n’ont jamais osé ou pu proclamer
de manière explicite sur la terre la grandeur du blasphème contre l’Esprit
Saint. Cela leur était impossible car, tant que subsistaient des religions
prônant le bien, l’humanité ne l’aurait pas reçu. Mais, vers la fin du monde,
une troisième étape doit être franchie, si l’on en croit la lettre des
Écritures. L’existence de Dieu étant reconnue, il est
probable qu’on verra l’humanité lutter explicitement contre lui et se donner au
faux dieu de la liberté égoïste, Lucifer. Il semble donc que les hommes se révolteront contre un Dieu dont ils connaissent l’existence.
Solutions :
1. Au cours de l’histoire de l’humanité, le
démon qui est un être intelligent adapte son action au niveau de maturité qu’il
y trouve. Ainsi, dans les âges barbares, il inspire aux hommes de tuer les
corps parce que l’homicide est l’un des péchés les plus mortels pour l’amour.
Mais il ne le fait que dans un seul but : qu’à l’heure de sa mort le criminel
choisisse dans sa perversion de le suivre dans la révolte de l’enfer. C’est
pourquoi, plutôt que de tuer les corps, profondément, il cherche en fait à tuer
les âmes selon la parole de Jésus[1609] : « Je vous le dis à vous, mes amis : Ne craignez rien
de ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais
vous montrer qui vous devez craindre: craignez Celui qui, après avoir tué, a le
pouvoir de jeter dans la géhenne; oui, je vous le dis, Celui-là,
craignez-le. » C’est pourquoi, à la fin du monde, Lucifer réussira à établir son
vrai projet sur terre et ne cherchera plus à détruire l’humanité matériellement
mais à la convaincre de se révolter contre Dieu lucidement dans un blasphème
contre le Saint Esprit.
2. Le meurtre matériel n’est pour le démon,
agissant sous la forme de Satan, qu’une action dispositive à son vrai projet,
qu’il révèle en apparaissant à la fin sous sa forme réelle d’Ange de lumière –
Lucifer - et qui vise à ce que des hommes libres choisissent en toute lucidité
l’enfer, qu’il revendique comme le paradis de l’homme libre selon cette parole[1610] : « Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le
jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux,
qui connaissent le bien et le mal. » C’est pourquoi, dans la vie
individuelle comme dans l’histoire humaine, le démon adapte son action pour
qu’elle ne se révèle qu’en son temps. Il est dit dans le livre de la Genèse[1611] que Satan "rampe sur son
ventre" en ce sens qu’il passe aujourd’hui son temps, aidé de l’armée
des anges déchus, à tenter l’homme et la femme sur des péchés matériels. C’est
un travail étrange pour des créatures purement spirituelles. Mais c’est aussi
une œuvre très intelligente car très adaptée à l’homme. Il éduque l’homme par
où il est le plus accessible à l’apprentissage de l’amour égoïste de soi. Il
s’efforce de l’entraîner là où il peut le mieux le saisir. Mais tout cela ne
constitue qu’une première étape. Il espère qu’à l’heure de la mort et à la fin
du monde, devenu individualiste, chaque homme le suivra dans le péché qui
motive son action et qui n’a plus de rapport avec la chair, si ce n’est sa
racine d’égoïsme et d‘orgueil exalté. La vraie révolte de Lucifer n’est pas le
péché de la chair, la convoitise de l’argent ou de la vanité. Elle est un refus
total, face à la parole de Dieu suffisamment manifestée, de son projet
d’établir l’univers selon l’ordre de l’amour et de l’humilité (kénose). Lucifer
désire un autre ordre, celui que donnent l’intelligence et la puissance
naturelle.
3. L’observation de l’Europe occidentale au
XX° siècle et de sa marche vers l’apostasie montre qu’il n’est pas impossible
de retirer du cœur de l’homme la religion du vrai Dieu. Il suffit d’allier une
habile propagande rendant responsables de tous les malheurs de l’histoire la
religion en insistant sur ses erreurs historiques (inquisition, atteintes aux
libertés etc.) et en réduisant son histoire à ces erreurs ; L’augmentation
du niveau de vie, des loisirs, peuvent ensuite efficacement et durant la plus
grande partie de la vie, étouffer la soif du sens de la vie chez le grand
nombre, au point que, de l’extérieur, un monde équilibré sans religion semble
possible. Ce sera vrai bien avant la venue du dernier Antéchrist.
1° Dans une étape qui précèdera la
naissance de l’Antéchrist, il apparaître une génération qui rejettera
violemment toute référence à toute religion. Les péchés passés des religions
(peut-être la grande guerre annoncée dans l’islam) et le confort matériel
provoqueront ce rejet. Les générations suivantes, privées de toute religion,
vivront donc dans un grand vide spirituel (le
soleil s'obscurcira etc.). Peu d’hommes penseront encore à la possibilité
d'une vie après la mort. Le monde dans son ensemble, c’est-à-dire la très
grande majorité des hommes, se retrouvera sur une terre habitable et
correctement gérée. On n'y manquera de rien au plan matériel mais il n’y aura
plus de nourriture pour les âmes. Ainsi, simultanément, il y aura une grande
paix extérieure et sociale (quand on dira
paix et sécurité) ainsi qu’une grande souffrance intérieure à cause de la
disparition de l’espérance (les nations
de la terre seront dans l'angoisse).
2° Comme "l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de
la bouche de Dieu”[1612], à l’époque du dernier Antéchrist, il y aura sa
nouvelle religion. Pourtant,
rien n’y fera, elle n’aura pas le pouvoir de supprimer le feu dans le cœur de
l’homme. Fait pour le vrai Dieu qui est amour, le cœur de l’homme ne peut se
satisfaire, même dans l’espoir de vivre éternellement, d’un dieu de l’égoïsme.
Devant cette soif, la majorité des hommes ne comprendront pas que c’est
l'absence du vrai Dieu qui les consume. Comment pourra-t-il en être autrement
puisque nul prophète ne sera là pour le leur révéler. Il y aura en ce temps une
multiplication des angoisses, des névroses et des suicides. On cherchera la
lumière mais on ne la trouvera pas car, ajoute saint Matthieu[1613] : «
Aussitôt après la tribulation, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus
sa lumière, les étoiles tomberont du Ciel et les puissances des cieux seront
ébranlées."
3. L’humanisme athée n’est qu’une étape qui
ne saurait suffire à Lucifer. En effet, la négation de l’existence du Créateur
présente à ses yeux plusieurs inconvénients : D’abord, c’est une
philosophie insensée tant il est évident que l’immense complexité de l’univers
et de la vie ne peut venir du hasard. Ainsi, une telle métaphysique ne résiste
guère aux progrès des sciences. Ensuite l’athéisme, loin de rendre l’homme
libre dans son choix de l’enfer, le plonge dans l’angoisse sur le sens de sa
vie. Or, nous l’avons montré, le projet ultime du démon n’est pas que l’homme
vive dans la barbarie comme aux époques antiques, ou dans le mensonge comme
dans les périodes athées. Son but est que le plus grand nombre le choisisse lui
et son projet, en toute lucidité, et en sachant que le Créateur existe, afin
que la création entière exige et obtienne du Créateur qu’il renonce à son
Evangile d’amour et de kénose au profit d’un évangile de liberté et de dignité.
Il
s’agit de regarder maintenant non plus l’esprit de l’Antéchrist, mais les
œuvres de puissance qu’il réalisera.
Objections :
1. Il ne semble pas qu’il fera disparaître
les guerres, les famines et les maladies. Le livre de l’Apocalypse montre que
ces fléaux sont envoyés par Dieu pour éviter à l’homme un mal pire : l’orgueil
et sa conséquence, la damnation éternelle. Dieu qui veut le salut de tous ne
pourra permettre que de tels remèdes disparaissent.
2. De même, il ne pourra réaliser
l’unification de l’humanité, la disparition des nations, des langues. Cette
division vient de Dieu et date du début de l’humanité, à la tour de Babel[1614] : «
Allons! Descendons et confondons leur
langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » Il
empêcha ainsi que l’humanité ne se prenne pour Dieu, dans sa puissance.
Puisqu’il s’agit du salut éternel, Dieu divisera de nouveau les hommes et ne
laissera pas l’Antéchrist réussir.
3. Dieu ne permettra pas qu’il fasse
disparaître toutes les religions.
4. C’est a fortiori vrai pour la
maîtrise de l’arbre de vie : « Dieu posta devant le jardin d’Eden les
chérubins et la flamme de leur glaive fulgurant pour garder le chemin de
l’arbre de vie. » Si l’homme trouvait le moyen de rendre éternelle
sa vie sur la terre, loin de Dieu, une telle permission de Dieu dépasserait
l’entendement théologique car elle conduirait les masses à la damnation.
5. Il n’est pas crédible qu’à la fin, le
dernier Antéchrist révèle de manière explicite l‘existence de Lucifer et le
projet de révolte universelle de l’humanité à sa suite contre Dieu et le
mystère de la charité. Il sera un homme intelligent. Il comprendra que les
hommes, une fois éclairés, rejetteront une telle révolte comme suicidaire.
6. Selon l’Apocalypse[1615], l’Antéchrist ne réussira pas dans ses
œuvres : « Les rois de la terre se mettront tous d’accord pour remettre à la Bête
leur puissance et leur pouvoir. Ils mèneront campagne contre l’Agneau mais
l’Agneau les vaincra. »
7. Il ne semble pas que l’Antéchrist sera
détruit par le retour du Christ. En effet, l’Apocalypse parle d’un temps de
mille années pendant lequel l’humanité vivra en paix avec Dieu tandis que le
démon sera provisoirement enchaîné en enfer, au point qu’il ne pourra plus
fourvoyer les nations[1616]. Le retour du Christ aura donc lieu
ultérieurement, après ces milles années et non au temps de l’Antéchrist.
8. L’Ecriture annonce d’autres signes
mineurs du temps de l’Antéchrist comme celui-ci[1617] : « On
lui donna même d'animer l'image de la Bête pour la faire parler, et de faire en
sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n'adoreraient pas l'image de la
Bête. » On ne voit pas de quoi
il peut s’agir.
Cependant :
Le
texte de saint Paul aux Théssaloniciens[1618] manifeste avec d’autres la réussite de
l’Antéchrist, mais sa réussite éphémère : «
Alors l’Impie se révèlera. Le Seigneur
le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par la
manifestation de sa venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée par
l’influence de Satan, de toute espèce d’œuvres de puissances, de signes et de
prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal. »
Conclusion :
On peut distinguer dans l’œuvre de l’Antéchrist son
but et ses moyens.
1° A propos
de son but : Nous avons vu qu’il sera d’établir sur terre l’enfer,
ce mot n’ayant pour lui aucune connotation autre que l’exaltation d’une
humanité lucidement libre et séparée du Dieu de l’humilité et de l’amour.
S’agira-t-il d’un péché contre l’Esprit Saint, devenu la manière de vivre de
l’humanité entière ? Nous avons vu dans la première partie qu’un individu peut aller
très loin dans le péché. Il peut aller jusqu’au refus libre et conscient de
tout amour oblatif, quitte à se séparer pour l’éternité de Dieu en enfer. Il
n’existe pas de plus grand péché. Mais l’humanité dans son ensemble ne peut aller jusque là parce que le blasphème
contre l’Esprit Saint est le fait d’un individu libre et non d’une communauté
dont la plupart des membres, selon Aristote, vivent plutôt dans le sensible que
dans le spirituel. Chaque être humain est unique et il n’existe pas sur terre
d’unanimité totale ni pour le mal ni pour le bien. Il est inimaginable que
l’humanité choisisse comme un seul homme de lutter contre Dieu de manière libre
et consciente, c’est-à-dire en sachant qu’il existe et ce qu’il veut.
Il
est cependant possible à l’humanité de commettre un tel péché, en tant que ses
autorités politiques la structurent autour de lui. L’humanité dans son ensemble constitue une
structure où chaque individu peut être conditionné et entraîné vers des actions
qu’il ne ferait pas seul. Dans certaines conditions, une communauté, ses
dirigeants et ses médias peuvent prendre un tel ascendant sur les individus,
qu’ils semblent unanimement d’accord avec la direction de l’ensemble. Jean-Paul
II appelait ce mécanisme « une
structure du péché. » Il
employait cette expression dans l’analyse sociologique du nazisme en Allemagne.
Chaque allemand, pris individuellement se serait sans doute révolté à l’idée de
l’extermination par la guerre de millions d’hommes innocents. Pourtant, le
peuple tout entier, entraîné dans un enthousiasme communicatif (désir de revanche
nationale, misère matérielle et morale, charisme de son guide), applaudit
l’idée d’une guerre. Il en sera ainsi à la fin du monde. Mais, de même que le
nazisme des allemands pris individuellement ne résista pas à la manifestation
de sa vraie nature, de même, il ne faut pas croire que chacun de ceux qui
soutiendra avec enthousiasme l’Antéchrist à la fin du monde se damnera à
l’heure de la fin, quand le Christ dévoilera la vérité.
La
victoire de l’Antéchrist sera de courte durée. D’après l’Apocalypse[1619], elle durera trois jours et demi,
c’est-à-dire le temps d’un sépulcre, le temps que les fidèles qui resteront en
vie à cette époque puissent être l’image de la vierge Marie après la mort de
son Fils, vivre de l’attente de la résurrection finale de l’Église. Selon saint
Paul, l’Impie sera anéanti d’un seul coup par la manifestation de la venue du
Seigneur, par le souffle de sa bouche[1620].
2° A
propos des moyens utilisés : L’Antéchrist réussira à créer le monde le
plus réussi qu’il soit possible sans le vrai Dieu. On peut les distinguer en
quatre groupes selon qu’ils combleront le corps, les désirs psychologiques, la
vie morale ou les aspirations mystiques.
- Au
plan du corps, le dernier Antéchrist et les générations qui précéderont sa
venue réaliseront tout ce qu’il est possible. Les maladies, les guerres, les
famines etc. seront vaincues par les progrès de la science et une organisation
politique et policière habile. Une chose seulement ne pourra jamais être
vaincue, compte tenu de la nature biologique du corps humain : il s’agit
de la nécessité de mourir tôt ou tard, après des siècles peut-être, mais de
mourir tout de même.
- Au
plan psychologique, l’expérience du passé et l’analyse de ses erreurs permettra
de donner aux enfants de solides bases humaines à travers l’usage équilibré et
complémentaire, dès la petite enfance, de l’amour doux, de l’amour d’autorité
et d’un sain et intelligent enseignement de l’ordre des valeurs.
- Au
plan moral, ces valeurs seront humanistes, l’homme étant le plus important,
l’argent, la gloire et les plaisirs étant situés à leur juste place, comme des
moyens.
- Au
plan mystique enfin, le dernier Antéchrist essayera de donner un sens profond à
cette vie, promettant et démontrant l’existence d’une vie éternelle après la
mort. Mais il ne réussira pas à combler le tréfonds de l’âme humaine, celle-ci
étant par essence faite pour s’unir au vrai Dieu, dans ses qualités d’amour et
d’humilité.
Solutions :
1. La victoire de l’Antéchrist final sera
extérieure, c’est-à-dire médiatique et politique. Mais elle ne pourra jamais
atteindre le fond même de la nature humaine, faite par essence pour l’infini du
vrai Dieu. C’est pourquoi, s’il lui est possible avec un minimum d’organisation
et d’intelligence politique de faire disparaître les fléaux cités en ce qui
concerne leur signification matérielle, il lui est impossible de le faire au
plan de leur signification spirituelle, et donc par somatisation,
psychologiques. C’est pourquoi, malgré tous ses efforts, il ne réussira pas à
supprimer les fléaux intérieurs, voulus par Dieu et qui continueront à façonner
l’humilité (kénose) de l’humanité.
2. En sens contraire, la lettre de
l’Ecriture dit que l’Antéchrist réussira à créer une paix mondiale. De fait, il
est probable que l’Antéchrist ne triomphera que par des armes intellectuelles,
celles de ses idées, de sa connaissance de la nature humaine, de son habileté
politique[1621]. L’une d’elle sera la création d’un
gouvernement mondial qui se réalisera au moment où les Juifs referont de
Jérusalem leur ville selon ce texte[1622] : « Jérusalem sera
foulée aux pieds par des nations jusqu'à ce que soient accomplis les temps des
nations. » C'est ainsi : plus l’humanité approchera de son terme et se
spiritualisera, plus ses guerres seront celles de l'Homme sans Dieu contre
l'Homme au service du vrai Dieu. Ce sont deux conceptions du monde opposées et
qui l'emportent plus par la parole que par les armes. L’Antéchrist l'aura
compris, lui qui connaît l'Histoire.
Très
vite, porté par l'enthousiasme des nations devant son projet politique et
religieux, l’Antéchrist étendra son pouvoir sur le monde entier : « Il consolidera une alliance avec le grand
nombre »[1623]. Intelligemment et avec respect des
différentes mentalités humaines, il centralisera le gouvernement du monde et
saura mettre les sciences et les techniques au service de tous. Il supprimera
définitivement la famine. De même, la médecine fera reculer la maladie dans les
nations les plus reculées. Il multipliera les lois de ce genre et il réussira.
Il établira pour la première fois dans toute l'histoire de l'humanité une paix
universelle. Chacun pourra le constater. À cause des forces armées
intelligemment utilisées au service de la paix, il saura séparer et pacifier
les ennemis d'hier. « Quand les
hommes diront paix et sécurité (...) », commente saint Paul[1624].
3. L’Antéchrist saura discerner le risque considérable que représentent les restes des
religions pour la durée de son œuvre. Il sera intelligent et ne négligera pas
la puissance des idées. A l’image du philosophe Feuerbach, il connaîtra la
faille de son système d'humanité sans Dieu : cette soif insatiable du cœur de
l'homme vers l'absolu, le tout-autre, l’Amour, la Lumière, en un mot vers le
vrai Dieu. Sans doute ce danger lui paraîtra-t-il d’autant plus réel que
l’Église, dans un dernier sursaut, aura su prêcher avec un certain succès les
failles présentes dans l’humanisme sans Dieu puis dans la nouvelle religion
fondée sur l’adoration du Dieu de la liberté et de l’amour de soi. C’est ce que
l’Ecriture semble annoncer sous la prophétie des deux témoins[1625]. L’Antéchrist
entreprendra donc une lutte contre le peuple de Dieu et réussira. Il le fera
de deux manières :
1° pour ceux qui
ne seront pas assez fixés sur le Christ, il séduira. Plus encore que les autres, une partie
des chrétiens de cette époque se mettra au service de ce grand projet. Leur
sens de l'amour du prochain les poussera à cela. « C’est l'Évangile de Jésus »,
les entendra-t-on proclamer partout. Le texte de Daniel décrit cette séduction
exercée sur le peuple de Dieu en ces termes : « Il détruira des puissants et le peuple des saints. Et, par son
intelligence, la trahison réussira entre ses mains »[1626]. Sûr de sa force, « l’Antéchrist
s'exaltera dans son cœur et détruira un grand nombre par surprise »[1627].
2° Pour ceux qui
seront lucides et distingueront bien le vrai Dieu de l’humilité (kénose) et de
l’amour du faux Dieu de la liberté et de l’égoïsme, l’Antéchrist interdira ou
détruira. C'est même, si l'on suit saint Paul et Daniel, le signe majeur qui
devra précéder le retour du Christ : «
Toutes ces choses s'achèveront quand sera achevé l’écrasement du Peuple Saint
»[1628]. Pourtant,
nous l’avons dit, il subsistera toujours, en secret, des fidèles de toutes les
religions et ce jusqu’au retour du Christ. Ils seront même devant Dieu d’une
telle qualité qu’on n’aura rien vu de tel, sauf en Marie à la croix.
4. Le jardin d’Eden et l’arbre de vie sont
le symbole du rêve ultime de l’homme. Puisqu’il désire vivre éternellement,
dans la maîtrise de sa liberté, il ne cesse d’en rechercher le moyen. Ainsi
vit-on l’empereur chinois Chin, avant Jésus Christ et Staline plus récemment
expérimenter des recettes de vie éternelle. On voit des hommes faire congeler
leur corps dans l’espoir d’être ramenés à la vie un jour. Vers la fin du monde,
l’homme percera certains secrets génétiques de la programmation de la vie
humaine à ne jamais dépasser 120 ans, selon la lettre de la Genèse[1629] : «
Puisque l’homme n’est que chair, sa
vie ne sera que de 120 ans. » Il ne résistera pas à la tentation de
modifier cela.
Si
l’on suit la lettre du livre de la Genèse, avant cette décision divine due à
l’abus du péché, les hommes vivaient sept cent, huit cents ans[1630]. Il n’est pas aberrant de croire que
ces chiffres ont une valeur réelle. Vers la fin du monde, il est probable que
l’Antéchrist réalisera cela, revenant ainsi aux sources de l’humanité.
L’Apocalypse rejoindra la Genèse, de même que le péché premier d’Adam et Ève[1631] : «
Vous serez comme des dieux, maître du
bien et du mal », sera celui de la fin de manière explicite. Mais
cette œuvre butera sur une limite infranchissable : celle de la mortalité de
toute chair. Il sera impossible à l’Antéchrist, malgré toute sa science, de
rendre immortels les individus. Il ne pourra que les faire paraître
immortels en allongeant leur vie. En effet, si Dieu ne réalise pas l’assomption
de l’homme dans l’éternité, son corps est finalement toujours détruit car
l’état de sa matière n’est pas entièrement soumis à son esprit.
5. Nous l’avons montré dans l’article
précédent, l’humanité ne se comprend pas seulement comme la somme des libertés
individuelles. Elle est aussi une structure sociologique parce que la plupart
des hommes suivent le courant qui domine. En ce sens, il peut y avoir un acte
politique et mondial de défi à Dieu, qui est le fait de la grande majorité,
quoique très peu en saisissent la profondeur. Lors de la passion de Jésus, le
peuple entier, c’est-à-dire sa partie bruyante, visible dans la rue, réclama sa
mort, allant jusqu’à dire[1632] : «
Son sang, qu’il retombe sur nous et sur
nos enfants. » De même, à la fin du monde, il y aura une révolte
explicite, politique et médiatique contre Dieu qui ressemblera, extérieurement,
à un blasphème contre l’Esprit. Mais, intérieurement, il ne sera que
médiatisation et phénomène sociologique.
En agissant ainsi, l’Antéchrist réalisera en
plénitude les nombreuses prophéties de l’Écriture : « Il s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu, il s'assoit
en personne dans le sanctuaire de Dieu, il se produit lui-même comme
Dieu »[1633] puisqu'il se
juge digne d'établir sur l'univers les lois décidant de toutes choses, le bien
et le mal, l’origine de la vie, son but et la manière de la vivre. Lorsque
l'Écriture affirme qu’il établira son siège dans le sanctuaire de Dieu, elle ne
veut pas signifier autre chose. Il se produira comme le Maître suprême de la
vérité (Magister), comme le berger de
tous (Pastor Oves) et même comme
l’organisateur de toutes les fêtes et réjouissance de l'humanité nouvelle (Pontifex maximus). Ces trois titres,
attribués traditionnellement aux papes de l'Église catholique, sont une
délégation des titres de Dieu. En ce sens là, l’Antéchrist sera l’Antivicaire du Christ. On voit que celui
qui, à cette époque, vivra profondément de sa foi chrétienne n'aura aucun
risque de le confondre avec le vrai pape, successeur de Pierre, et dont la foi
aura été fidèle jusqu’à la fin de son ministère. C'est aussi en ce sens qu’il
faut interpréter les prophéties de Jésus annonçant "l'Abomination de la désolation dans le temple saint".[1634]
6. La victoire de l’Antéchrist ne sera
qu’apparente et provisoire (un temps dont, nous le verrons, il est impossible
de calculer la durée réelle). Elle sera anéantie en un instant par la Vérité
glorieuse de l’apparition du Christ que saint Paul appelle le souffle de la
bouche du Seigneur. Cela se passera soit par la mort individuelle des hommes
soit, plus probablement, par le retour définitif et final du Messie, la fin des
fins. Et cette victoire finale sera inaugurée par divers signes cosmiques
effrayant, peut-être même par l’apparition visible dans le Ciel du signe de la
croix sur lequel l’Agneau fut immolé[1635]. Les hommes auront soif, ils brûleront
sans aucune possibilité d’identifier qu’il s’agit de l’absence du vrai Dieu.
7. Selon saint Augustin, les mille années
ont un sens symbolique et ne doivent pas être prises au sens matériel comme un
temps qui suivrait la venue de l’Antéchrist. Elles signifient que, quoiqu’il
arrive dans le monde par la faute du démon, il s’agit avant tout d’une volonté
de Dieu qui prépare ainsi dans l’épreuve la charité des fidèles, en vue de leur
bonheur éternel. Cela est important pour l’espérance des fidèles qui vivront
ces moments difficiles. Comme la vierge Marie, ils devront vivre de l’espérance
certaine de la résurrection finale.
8. Jésus avertit[1636] : « Car je vous le
dis, en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un
point sur l'i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » Chacune des prophéties sera donc
réalisée, d’abord dans un sens spirituel, mais aussi, afin que les hommes
charnels y trouvent un signe avertisseur, de matière matérielle. Ainsi, le
retour de l’image de la Bête fait-elle référence au retour avant la fin du
monde de la parole explicite de Lucifer, avec le même message qu’il s’adressa à
Adam et Eve. Mais, de manière matérielle, ce signe sera probablement réalisé
lorsque des dinosaures, ces reptiles dressés dont la Bible fait l’image de
Lucifer[1637], seront génétiquement réintroduits sur terre. Un
des principes de la connaissance eschatologique des signes de la fin du monde
est que ce qui était dans les douze premiers chapitres de la Genèse revient
vers la fin. Ainsi, on verra probablement apparaître des signes mineurs mais
étonnants comme le refus de la consommation des animaux[1638], la construction de tours gigantesques[1639], mais aussi la recherche de la vie éternelle sur
terre[1640] et, par défaut, l’augmentation de la durée de la
vie humaine[1641], etc.
A l’argument du cependant :
Il
faut répondre : la réussite de l’Antéchrist sera certes éphémère. Mais il
faut se garder d’être trop affirmatif pour l’interprétation de ce mot. Certains
disent que (et je l’ai enseigné aussi longtemps), lorsque le dernier
antichristianisme mondial paraîtra, alors le retour du Christ sera
nécessairement réalisé dans les quelques années qui suivront, puisque toutes
les prophéties auront été réalisées. Mais tout cela n’est pas certain, au moins
si l’on parle de ce retour dans le sens de la fin des fins (fin des
générations, fin de cette terre). De même, Jésus annonça son retour "avant
que cette génération ne passe".[1642] Les chrétiens crurent interpréter à bon
droit sa parole comme l’annonce du retour visible et général, avant la mort du
dernier de ceux qui l’avaient connu. Or il revint effectivement avec puissance
pendant cette génération. Mais cela se produisit de manière invisible pour les
habitants de la terre, à la mort de chacun et non pour tous en même temps. De
même, il se peut que Dieu laisse l’humanité vivre des siècles ou des
millénaires dans son antichristianisme. Dans cette hypothèse, il laissera
l’homme construire dans sa liberté le monde qu’il souhaite et sauvera le plus
grand nombre en réalisant la Parousie du vrai Messie, Jésus le Christ, à
l’heure de la mort individuelle de chacun. Il reste que, si on suit la lettre de
l’Ecriture, cette interprétation de la durée du monde de l’Antéchrist est moins
probable que celle qui affirme son caractère éphémère, sa venue étant le signe
de la dernière génération.
Dans
l’hypothèse inverse, tout ce que permet l’état périssable de la matière sera
alors réalisable par l’Antéchrist et ses successeurs, au plan des réussites
techniques de l’humanité, aussi bien dans le domaine de la maîtrise de la vie
et de sa transformation que de la colonisation de l’univers, selon cette parole
de la Genèse[1643] : «
Maintenant, aucun dessein ne leur sera
impossible. » Une seule
limite restera par décret divin infranchissable : celle de l’immortalité car
améliorer la longévité humaine ne signifie pas le rendre immortel. Il y aura
une grande gloire matérielle et une grande misère spirituelle qui préparera
efficacement la venue du Messie.
Quatre questions :
1 :
Le signe du fils de l’homme est-il le signe de la croix ?
2 :
Est-il le signe de Jonas ?
3 :
La croix apparaîtra-t-elle réellement dans le ciel à la fin du monde ?
4 :
Les hommes seront-ils terrorisés par l’apparition du signe du Fils de l’homme ?
Objections :
1. Il ne semble pas : Lorsque Jean demande
à Jésus s’il est le Messie attendu, celui-ci lui fait répondre[1644] : «
Allez rapporter à Jean ce que vous
avez vu et entendu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux
sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne
nouvelle est annoncée aux pauvres. » Il semble donc que le signe du
Fils de l’homme consiste avant tout en la puissance des miracles opérés par
Dieu.
2. Lors de sa passion, le Christ donna des
signes de sa mission : la terre trembla, les rochers se fendirent, des morts
ressuscitèrent et se montrèrent à beaucoup de gens. Il semble donc que le signe
du fils de l’homme ne consiste pas dans la croix mais dans des phénomènes
effrayants comme ceux-là.
3. Au début de l’Église, les chrétiens se
donnaient comme signe de reconnaissance de leur foi un poisson. Il semble qu’il
s’agit donc ici du signe du fils de l’homme.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1645] : «
Lorsque vous aurez élevé le fils de
l’homme, alors vous saurez que Je Suis. » Or le Christ qui est Dieu
fut élevé sur la Croix. Donc la croix est le signe de l’homme fait Dieu ; de
même, à la fin du monde, il convient que le signe qui manifestera la prochaine
élévation de l’homme à la vision de Dieu soit la croix.
Conclusion :
La
mission du Christ sur la terre consiste essentiellement dans la manifestation
de l’amour qui se communique en profusion à ceux qui l’aiment. C’est en mourant
pour nous que Jésus a manifesté avec puissance son amour pour les hommes. Il a
montré que pour accéder à la vie éternelle et aux qualités intérieures qui lui
sont présupposées, il n’y a pas de meilleur moyen que la souffrance de la vie
terrestre. Et cet amour est l’article de foi le plus important, selon la parole
de saint Jean : « Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y
avons cru »[1646]. C’est pourquoi les chrétiens se sont
donnés pour signe de reconnaissance la croix dont ils tracent le signe sur leur
corps, manifestant ainsi leur foi dans le salut opéré par le Christ à la croix.
C’est pourquoi l’Église chante à Pâques : «
Bénie sois-tu, Croix! C’est par toi
que le salut est entré dans le monde. » Le terme ultime de la croix,
c’est-à-dire de l’humilité (kénose) du Christ fut son séjour au tombeau. C’est
pourquoi le Christ dit aux Lévites qui demandent un signe de sa puissance[1647] : «
Vous n’aurez pas d’autre signe que
celui de Jonas. De même que Jonas est resté dans le ventre du poisson pendant
trois jours, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant
trois jours et trois nuits. »
C’est
pourquoi on doit dire que, avant le retour glorieux du Christ, aussi bien à
l’heure de la mort qu’à la fin du monde, les hommes voient apparaître, au sens
spirituel du terme, le signe de la croix dans le ciel (de leur intelligence),
ce qui signifie en clair qu’ils prennent conscience qu’ils sont en train
d’approcher la mort. Au plan individuel, cela se caractérise soit par les
signes de la vieillesse ou de la maladie, soit si on est mort brutalement, par
le fait de se retrouver hors de son corps, entre ce monde et l’autre, dans le
passage de la mort. A la fin du monde, juste avant le retour du Christ, la
dernière génération sera témoin de phénomènes célestes si effrayants qu’elle sera
persuadée de ne pas y survivre. Ceci la plongera dans de grandes souffrances et
un grand désespoir et achèvera d’affiner son âme dans l’humilité, en
préparation de cette rencontre lumineuse qu’elle n’attendra plus.
Si
ce signe est appelé par Jésus « le
signe du fils de l’homme »,
c’est parce que la condition mortelle est la caractéristique universelle et
égalitaire de tous les hommes, sans aucune exception.
Solutions :
1. Les miracles et la prédication de
l’Évangile ne seront pas le signe qui précèdera
la venue du Christ dans sa gloire. Ce sont plutôt des signes qui seront donnés en même temps que son
apparition lorsqu’il effacera toutes les terreurs et témoignera aux yeux des
hommes de la mission divine. Ainsi dans la mort individuelle : l’homme
meurt d’abord, comme abandonné de Dieu et souvent dans une grande détresse. Ce
n’est qu’ensuite que le Christ lui apparaît dans sa gloire accompagné des
saints et des anges.
2. Les phénomènes effrayants précéderont
l’apparition du Messie. Ils seront très efficaces pour façonner dans les hommes
un cœur brisé car ils bouleverseront une génération peu habituée à souffrir,
vivant dans un monde matériellement en paix et confortable. Par contre, les
phénomènes glorieux, les miracles, les résurrections des morts accompagneront
la Parousie du Christ elle-même, lorsqu’il essuiera toutes larmes des yeux.
3. Le signe du poisson permettait aux
chrétiens de se reconnaître entre eux alors que les persécutions sévissaient.
En effet, ils ne pouvaient arborer extérieurement le signe de la croix qui les
aurait trop facilement fait repérer par les persécuteurs romains. Quant au
signe du poisson, il convenait car son orthographe grecque (ICHTUS) donne en
grec les initiales du nom de Jésus-Christ, fils de Dieu. Un tel signe disparut de
la tradition chrétienne à la fin des persécutions. Il ne s’agit donc pas là du
signe du fils de l’homme mais simplement d’un signe provisoire adopté par les
chrétiens à une certaine époque de leur histoire.
Objections :
1. Le propre d’un signe est de manifester
ce qui est signifié. Or le signe de Jonas, qui est le sépulcre, manifeste
plutôt l’échec de la condition humaine que la victoire du ressuscité. Donc il
ne peut être le signe du Fils de l’homme.
Cependant :
Le
Seigneur dit aux Juifs incrédules[1648] : «
Cette génération réclame un signe, et
de signe il ne lui sera donné que celui de Jonas. De même en effet que Jonas
fut dans le ventre du monstre marin trois fours et trois nuits, de même le Fils
de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. » Le
signe de Jonas signifie donc le mystère du sépulcre.
Conclusion :
Le
signe de Jonas symbolise et annonce dans l’Évangile la future passion du
Seigneur : Il a pris sa croix en vérité, subissant jusqu’à la mort les
souffrances. La baleine qui engloutit Jonas signifie la mort que le Christ a
endurée ; le salut de Jonas qui fut rejeté sur le rivage vivant signifie la
résurrection du Sauveur. Le signe de Jonas rappelle donc aux croyants la
prophétie d’Isaïe sur le Christ[1649] : «
Homme de douleur, familier de la
souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n’en
faisions aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs
dont il était chargé. » Le sépulcre est avec la croix le plus grand
signe de l’amour de Dieu. Il peut être considéré avec elle comme le signe du
Fils de l’homme. Il marque tout ce qui est fait ici-bas par les fils des hommes
puisque la finalité de la vie terrestre, loin d’être en elle-même, consiste à
s’achever dans la mort. L’homme doit découvrir alors sa limite et sa misère et,
par là même, se tourner vers Dieu et son salut.
Solutions :
1. Le sépulcre vécu par le Christ n’était
pas la fin de sa mission puisqu’il est ressuscité d’entre les morts. Mais ce
temps de sépulcre manifeste aux hommes l’intensité de son amour qui, pour nous
sauver, ne nous impose pas d’en haut une vie de purification, mais la vit
lui-même alors qu’il n’en a pas besoin.
Pendant
que son corps reposait au tombeau, son âme descendait dans le séjour des morts.
Comme l’enseigne Urs von Balthazar[1650], il est certain que le Christ accepta
de vivre pendant ce séjour dans l’Hadès notre condition humaine. Il sauva tout
l’homme en vivant tout de la vie de l’homme excepté le péché. Nous comprenons
ainsi que le signe de Jonas, c’est-à-dire le sépulcre, manifeste conjointement
à la croix l’amour excessif de Dieu.
Objections :
1. Il semble que la croix n’apparaîtra pas
comme un signe glorieux du retour du Christ à la fin du monde. En effet, une
telle apparition supprimerait le mérite de la foi ce qui ne convient pas à la
sagesse de Dieu.
2. On voit mal pourquoi la croix devrait
apparaître avant celui qui fut crucifié. En effet, elle est le signe du
supplice et n’a de valeur qu’à cause de la charité du Sauveur.
3. La croix ne signifie pas pour tous les
hommes le salut : pour les musulmans par exemple, il est plutôt signifié par le
croissant. Or on a dit que le Seigneur adapte ses signes à la sensibilité de
chacun. Donc elle ne doit pas apparaître à la fin du monde.
4. La fin du monde est semblable, comme
nous l’avons montré, à la fin de chaque individu en particulier. Or la croix
glorieuse n’apparaît pas à la mort de chacun.
Cependant :
Matthieu écrit [1651] :
« Et alors apparaîtra dans le Ciel le signe du Fils de l’homme ; et alors
toutes les races de la terre se frapperont la poitrine et l’on verra le Fils de
l’homme venant sur les nuées du Ciel avec puissance et grande gloire. »
Conclusion :
L’apparition
du signe du Fils de l’homme, à la fin des temps peut être prise en deux sens.
1° Le premier sens est le plus certain car
il touche l’aspect spirituel, quoique réel du mystère. Il s’agit de la passion
et du sépulcre que devra subir l’Église à l’image de son Seigneur, l’Oumma
(l’islam) à l’image du sacrifice d’Ismaël, et toutes les religions. Dans ce
sens, le signe du Fils de l’homme est la croix douloureuse ou encore le signe
de Jonas. L’Église, en vivant du même mystère que le Christ manifestera
profondément aux yeux du monde le mystère de la charité quand elle pousse
l’homme à donner sa vie pour son frère. Seuls quelques-uns comprendront en ces
heures douloureuses le signe de Jonas ainsi donné, à l’image de la vierge Marie
durant les trois jours du sépulcre. Et ce signe de Jonas sera pour les croyants
qui resteront le signe certain et définitif sur lequel ils pourront fonder leur
foi en l’imminence du retour du Christ[1652] : «
Relevez-vous et redressez la tête car
votre Rédemption est proche. » Tout sera accompli.
2° En un second sens qui complète et
manifeste sensiblement le premier pour les hommes plus charnels, il s’agit de
l’apparition de la croix glorieuse qui précédera le retour du Christ et
marquera la fin du sépulcre de l’Église. Cette apparition manifestera au monde
entier la victoire du Christ et celle de l’Église à sa suite. Devant la lumière
de la croix, l’humanité sera obligée de reconnaître la valeur salvatrice de la
passion du Christ et de l’Église à sa suite, d’une manière analogue au
centurion romain à la croix[1653] : «
Vraiment, celui-ci était le fils de
Dieu. »
Solutions :
1. Comme nous l’avons dit, l’apparition de
la croix glorieuse, ni même celle du Christ ne suppriment totalement la foi.
Certes les hommes seront obligés de reconnaître l’existence de Dieu et de son
Messie, à cause de l’évidence de ces signes. Cependant, ils seront amenés à
adhérer par la foi en la possibilité de la gloire qui est la vision de
l’essence divine. Et il est probable que certains, à cause de la perversité de
leur cœur, refuseront volontairement de croire à cette promesse, se plongeant
ainsi dans la damnation éternelle. D’autres se contenteront de noter le
phénomène, sans en tirer les conséquences, mais comme on prend un miracle quand
on ne s’attache qu’à son caractère merveilleux. Ainsi furent dans le passé les
réactions humaines face au miracle de Fatima (1917). Seuls quelques-uns
ressentiront en profondeur la gravité des événements de cette époque et le
drame profond qu’aura été l’éradication des religions et de l’Église.
2. Il convient que la croix apparaisse dans
la lumière véritable de son mystère. En effet, c’est par elle que le Sauveur a
effacé la cédule de notre péché et a ouvert pour nous la porte du Ciel. De
même, c’est par elle que l’Église unie à la passion du Christ a mérité pour
l’humanité tout entière la manifestation glorieuse et définitive de ce salut ;
enfin, c’est par elle que tout homme est introduit dans la gloire puisque tous
doivent mourir à eux-mêmes pour renaître à la vie éternelle.
3. Comme nous l’avons dit, à la fin du
monde, l’Évangile aura jadis été prêché partout, de telle façon que nul
n’ignorera complètement, au moins dans un fond culturel lointain, la
signification de la croix. Cependant, même si certains l’oublient complètement,
ils comprendront à ce moment sa signification puisque l’apparition de la croix
glorieuse sera accompagnée par une intuition intérieure infusée par Dieu qui
enlèvera dans l’intelligence de chacun l’ignorance quant à ce mystère. C’est
pourquoi « toutes les races de la terre se frapperont la poitrine. »
4. Chaque individu, à l’heure de sa mort,
s’il ne voit pas sensiblement apparaître la croix glorieuse, n’est pas moins
conduit de deux manières à vivre de ce signe : 1° Physiquement puisqu’il meurt ; 2° Intérieurement par la grâce du Seigneur puisqu’il reçoit la
révélation de l’amour qui est allé jusqu’à s’offrir en sacrifice pour le
sauver. D’autre part, il comprend qu’il lui faut lui-même renoncer à l’amour
égoïste de soi-même, à la manière du grain de blé qui meurt, s’il veut entrer
dans la béatitude éternelle.
Objections :
1. On ne peut craindre ce qui est un bien.
Or la venue du Seigneur sera un bien puisqu’elle manifestera la victoire sur le
péché et sur la mort qui sont les deux maux principaux.
2. Le Seigneur dit que tous les hommes se
frapperont la poitrine. Un tel geste semble figurer davantage le repentir que
la peur. Donc les hommes ne seront pas terrorisés par l’apparition du signe du
signe du Fils de l’homme.
3. Le signe de la croix précèdera de peu
l’apparition glorieuse de Christ lui-même. Or nul ne peut avoir peur du Christ
qui est l’essence même de la bonté.
Cependant :
Isaïe,
en parlant de la manifestation de Dieu dit aux hommes[1654] : «
Va dans le rocher, terre-toi dans la
poussière devant la terreur de Dieu, devant l’éclat de sa majesté, quand il se
lèvera pour faire trembler la terre. L’orgueil humain baissera les yeux. »
Conclusion :
La
crainte est une passion qui a pour objet un mal que l’homme fuit. Or, que la
venue du Christ manifestée par la croix puisse être vécue par l’homme comme un
certain mal, cela ne peut tenir à la personne du Christ lui-même puisque, étant
l’image de Dieu, il n’y aura rien en lui qui ne soit bonté. Or nul ne peut haïr
la bonté en tant que telle. Il la fuit à cause d’autre chose qui l’accompagne.
Ainsi, les pécheurs dont l’intention de vie se porte vers les biens de ce
monde, seront terrorisés à l’idée de perdre leurs richesses. Et cette crainte
mondaine les conduira à rejeter la venue du Christ comme un mal. C’est ce qu’on
voit très concrètement à la mort des mondains. L’apparition pour eux de la
proximité de cet événement est source des plus grandes terreurs.
Ceux
qui serviront Dieu sans toutefois l’aimer avec l’amour de charité éprouveront
devant la croix du Seigneur de la peur à cause des peines qu’ils sauront devoir
subir pour leurs fautes. Il s’agit d’une crainte servile. Ainsi, certains
hommes se convertissent-ils vers Dieu à l’approche de leur fin par peur du
jugement.
Ceux
enfin qui aimeront Dieu éprouveront lors de sa venue de la crainte à cause des
péchés qui resteront en eux. Leur amour du Seigneur provoquera la crainte de ne
pas paraître purs en sa présence. Il s’agit d’une crainte filiale ou encore,
pour ceux dont la charité sera parfaite, d’une crainte chaste semblable à celle
qu’éprouvent les époux entre eux lorsque leur amour réciproque atteint une
grande délicatesse dans sa forme.
Ainsi,
on doit dire que tous les hommes éprouveront une grande crainte lors de la
manifestation glorieuse du Seigneur par la croix, même si la crainte des bons
sera d’une autre nature que celle qu’éprouveront les méchants.
Solutions :
1. La victoire sur le péché n’est pas un
bien pour ceux qui vivent dans le péché. Elle représente plutôt la ruine de
leurs espérances puisque personne n’emporte dans l’au-delà le fruit de ses
rapines. De même, en tant qu’il reste dans le cœur de tout homme vivant sur la
terre des restes du péché, les saints eux-mêmes craindront la venue du
Seigneur. Toutefois, cette crainte ne portera pas sur la victoire du Christ elle-même
mais plutôt sur le fait que cette victoire n’a pas encore tout pris dans leur
âme.
2. Le geste qui consiste à se frapper la
poitrine représente simplement le regret. Or il est possible que l’homme
regrette plusieurs choses : la perte de ses biens, l’obligation de subir une
peine ou encore le fait de ne pas avoir assez aimé.
3. L’apparition du Christ qui suivra celle
de la croix manifestera pleinement la bonté de Dieu qui est miséricordieux et
lent à la colère. Elle fera disparaître toute crainte servile chez les bons
puisqu’ils aimeront Dieu et désireront subir les peines du purgatoire avec joie
pour se rendre conforme à leur Sauveur. Cependant, cette apparition glorieuse
ne supprimera en rien la crainte mondaine chez ceux qui seront donnés au péché
et perdront tout. De même elle ne supprimera pas la crainte filiale mais aura
tendance à la transformer en une crainte chaste à cause de la grandeur de
l’amour que les saints éprouveront pour Dieu.
La
fin du monde sera provoquée par l’apparition du Christ glorieux. Nous avons
déjà étudié le mystère du retour du Christ à propos de la mort individuelle
(Question 8). Comme nous l’avons dit au début de cette section, ce sera le même
mystère sauf que tous les hommes le verront en même temps. Il nous reste à
étudier la fin du monde qui suivra immédiatement le retour du Christ, nous nous
poserons six questions :
1° Dieu mettra-t-il fin au monde tel qu’il
est ici-bas ?
2° La fin des temps se distingue-t-elle de
la fin du monde ?
3° Peut-on distinguer sept temps dans
l’histoire de l’humanité ?
4° Connaît-on la date de la fin du monde ?
5° Peut-on dire au moins que nous sommes
dans les derniers temps ?
6° La fin du monde consiste-t-elle dans le
retour glorieux du Christ ?
7° Tous les hommes mourront-ils ?
8° La fin du monde sera-t-elle une
destruction ou une transformation dans un autre monde ?
Objections :
1. Cela ne semble pas. Dans le livre de la
Genèse, après avoir détruit le monde par le déluge, Dieu dit [1655] : «
plus jamais je ne frapperai tous les
vivants comme je l’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et moissons,
froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus. » Donc
Dieu ne mettra pas fin à l’ordre du monde tel qu’il est ici-bas.
2. Dieu fait tout avec ordre, poids et
mesure. Il a donc créé l’univers parfait. Il n’y a donc pas de raison à ce
qu’il lui donne un terme.
3. Par la faculté de génération, les espèces
vivantes sont ordonnées par Dieu à durer sans fin, puisque les parents
engendrent un être semblable à eux-mêmes, que lui-même donne la vie à un
semblable. Or ce que Dieu a ordonné à la durée ne peut manquer à sa finalité.
Donc l’ordre du monde ne cessera jamais.
4. Le monde matériel a été créé par Dieu
pour que l’homme se prépare à entrer en possession de la gloire éternelle. Une
telle œuvre divine a son origine dans son infinie bonté qui veut se
communiquer. Or il ne convient pas que cette bonté trouve une limite en
s’arrêtant à un nombre fini d’élus. Il convient donc que la terre dure toujours
pour que, éternellement, des hommes nouvellement créés se préparent à entrer
dans la gloire.
Cependant :
Le
Seigneur annonce en saint Matthieu[1656] : «
Ainsi en sera-t-il à la fin du monde :
Les anges se présenteront et sépareront les méchants d’avec les justes. » Or
actuellement, la méchanceté est unie à la justice donc l’ordre du monde tel
qu’il est ici-bas ne durera pas toujours.
Conclusion :
Le
monde d’ici-bas doit avoir une fin. Et cela peut être prouvé aussi bien par la
raison naturelle que par la foi.
1° Par la raison naturelle, l’homme peut se
rendre compte que les éléments du monde courent à leur destruction. C’est ce
que démontrent les scientifiques à propos de toutes les réalités matérielles,
depuis les atomes, les astres, jusqu’aux vivants individuels et aux espèces.
Tout est soumis à la loi de l’entropie. Tout se dégrade. Ainsi, le soleil qui
est un corps d’énergie limitée, doit cesser son rayonnement par épuisement de
sa capacité réactive ; de même le mouvement atomique des éléments qui composent
la matière tend à se dégrader insensiblement. En conséquence, on doit dire que
l’univers matériel qui est notre milieu vital finira nécessairement, s’il reste
soumis aux seules lois naturelles qui le dirigent, par devenir impropre à la
vie. Seul Dieu est capable de le rendre éternel, à condition qu’il lui infuse à
partir de sa propre puissance, une énergie capable de renouveler son activité.
Saint Paul le confirme[1657] : «
Elle passe la figure de ce monde. »
2° Par la foi, il est évident que l’ordre
du monde tel qu’il est ici-bas ne durera pas, puisque la terre n’est pour
l’homme qu’un séjour temporaire où il subit l’épreuve et est éduqué en vue
d’entrer en possession de la béatitude éternelle qui consiste en la vision de
Dieu. Ainsi, lorsque tous les hommes dont Dieu a décidé la naissance, auront
terminé leur vie terrestre, le monde tel qu’il est ici-bas n’aura plus aucune
utilité. C’est ainsi que, dès maintenant, la mort de chaque individu est
comparable pour lui à la fin du monde puisqu’il entre dans une autre dimension
de l’univers créé par Dieu. Le Christ reviendra et son apparition, comme
l’éclair de l’Orient à l’Occident, mettra fin au cycle des générations et à la
nécessité du purgatoire de cette terre.
Le
cardinal Ratzinger commente[1658] : «
Le monde qu’elles observent est caractérisé par un antagonisme qui lui est
propre : d’une part, c’est un monde qui s’use, en vertu du principe de
l’entropie, qui par conséquent est engagé dans un mouvement vers un néant
insipide ; d’autre part, c’est un monde qui apparaît emporté dans un devenir
vers des unités de plus en plus complexes et donc dans un mouvement
ascensionnel. La question de savoir où s’achèvera ce mouvement, pris au dilemme
du déclin et de l’épanouissement, ne reçoit pas de réponse évidente, même si
elle penche davantage dans le sens du déclin que de l’épanouissement. Seul un
principe qui viendrait de l’extérieur peut permettre ici une affirmation
nouvelle. Le message chrétien attend à la fois l’un et l’autre : le déclin par
le déroulement du cours normal du monde, et l’épanouissement par cette
puissance nouvelle, venue de l’extérieur, qui s’appelle le Christ. D`ailleurs,
la foi ne voit pas dans le Christ une réalité vraiment extérieure, mais le
point de départ véritable de tout l’être créé qui, par suite, venant de
l’extérieur, peut épanouir ce qu’il y a de plus intime dans le cosmos. »
Solutions :
1. Dans ce passage de la Genèse, Dieu
s’engage à ne plus soumettre le monde à une destruction massive comme celle qui
frappa les hommes lors du déluge. Mais il ne prétend pas que le monde n’aura
pas de fin. Cette fin est au contraire suggérée par le texte : « Tant
que durera la terre. » C’est donc que la fin du monde ne sera pas
provoquée par une catastrophe de la nature mais par la venue glorieuse de Dieu
qui mettra un terme au cycle des générations.
2. L’univers a été crée parfait, selon le
livre de la Genèse. Cela était « très
bon. » Cependant, lorsque ce texte
est appliqué au monde d’ici-bas, qui n’est qu’une partie du tout, il s’agit
d’une perfection relative et provisoire et non de la perfection plénière de la
fin qui sera atteinte lorsque l’univers sera glorifié. Ainsi, on dit qu’un
enfant est parfait relativement à son âge et non selon la perfection
essentielle de la nature humaine qui n’est atteinte qu’à l’âge adulte.
3. Tout ce qui est dans cet univers, les
astres et la matière atomique eux-mêmes est soumis à une loi de corruption, une
forme d’entropie. Les espèces vivantes ne durent en moyenne que 4 millions
d’années et, même si elles portent en elles-mêmes par la génération une
apparente capacité de durer toujours, cela ne signifie pas qu’il doit en être
ainsi. Soumises aux lois de la génération, elles perdent la détermination de
leur richesse génétique. Elles finissent par se dégrader et disparaître. Une
telle corruptibilité de ce monde est voulue par Dieu comme un moyen en vue du
bien de l’homme qui trouve dans la constatation de sa propre corruptibilité un
motif de ne pas s’enorgueillir. Dans l’au-delà aucun homme, élu ou damné n’aura
plus besoin de l’expérience de la vanité des choses puisque chacun sera à
jamais déterminé. La corruptibilité des choses telles qu’elles sont ici-bas
sera donc inutile.
4. Le nombre des hommes a été fixé par Dieu
et c’est un nombre fini. La raison en est qu’une société dont les membres
seraient infinis en nombre ne peut être ordonnée et est ingouvernable. Or
l’univers recréé pour les élus proclamera la gloire de Dieu par l’ordre qui y
règnera selon la hiérarchie de la charité. C’est pourquoi l’Écriture affirme[1659] : «
le temps viendra où seront au complet
leurs compagnons de service. »
Objections :
1. Il semble que ce soit la même chose. Le
prophète Daniel[1661] parle « du temps de la
fin » ce qui paraît être synonyme de la « fin des temps. »
2. Quand les temps seront accomplis, il n’y
aura plus de délai avant la venue du Christ ; Il en a été déjà ainsi lors de sa
première venue selon Jean-Baptiste[1662] :
« le temps est accompli et le royaume des cieux est proche : repentez vous
et croyez à l’Évangile ». Il est donc inutile de distinguer la
fin des temps et la fin du monde.
Cependant :
Dans
l’Évangile, Jésus parle de la fin du temps des nations. Mais il ne dit pas que
la fin du monde viendra immédiatement, donc il y a une différence entre les
deux.
Conclusion :
Chaque
individu, chaque communauté humaine ainsi que le monde dans son ensemble, a reçu
de la part de Dieu un certain délai de vie, et une série de périodes pour
accomplir son pèlerinage terrestre. Toute chose est mortelle. Et c’est la
comparaison entre la vie de l’individu humain et la vie de l’humanité dans son
ensemble qui permet de comprendre de la manière la plus simple les expressions derniers
temps, temps de la fin, fin des temps, fin du monde.
1° Ainsi, pour chaque individu, la mort
représente la fin du monde. Mais auparavant, Dieu dans sa providence,
assigne à l’homme une durée de vie faite de plusieurs étapes, plusieurs temps,
selon la parole de Qohelet[1663] : «
Il y a un temps pour toutes choses sur
la terre : un temps pour enfanter et un temps pour arracher le plant. » Le
premier de ces temps est vécu par chacun dans le sein de sa mère puisqu’il suit
la conception. Il est suivi normalement par le temps de l’enfance (temps du
commencement), puis par d’autres périodes comme l’adolescence, l’âge adulte.
Pour ceux qui y parviennent, la vieillesse représente toujours le dernier
temps, qu’on peut appeler le temps de la fin. La vieillesse dure
souvent très longtemps. Certains y entrent à 60 ans et en sortent par la mort à
90 ans. Les quelques mois qui précèdent la mort pourraient être qualifiés de fin
des temps puisqu’ils précèdent la mort, la fin des fins.
2° Ce qui est vrai des individus l’est
aussi pour les diverses sociétés humaines. Chaque civilisation reçoit un temps
pour durer avant de sombrer dans la décadence. Ainsi, la civilisation romaine
vécut le premier temps de sa petite enfance avec Romulus et Remus ; le temps de
sa vie adulte avec ses conquêtes ; elle entra dans le temps de la fin
quand ses citoyens furent plus adonnés aux plaisirs qu’au sens civique ; la fin
des fins, la fin du monde fut accomplie en Occident par la mort du dernier
empereur, Romulus Augustule.
3° De même, l’humanité dans son ensemble
connaîtra un jour un terme définitif dans son pèlerinage terrestre. Mais
auparavant, Dieu lui accorde des temps : A un certain moment, après l’épisode
court de la grâce originelle, aucun homme (sauf les exceptions d’Énoch,
Abraham, Moïse et Élie) ne s’approchait intimement de Dieu. Cette première
période est le temps du silence de Dieu. Puis vint, à partir de la
Pentecôte, la dernière, le temps de la grâce. Il correspond à l’entrée
dans la vieillesse puisque, nous le savons avec certitude dans la foi, il n’y
aura pas d’autre Alliance de Dieu avec l’homme avant la fin du monde. Il dure
pourtant depuis de nombreux siècles, de la même manière que la vieillesse d’un
homme peut durer de longues années. Jésus divise ce dernier temps en trois
distincts : le temps de l’annonce de l’Evangile, suivi du temps de sa
contestation, suivi du temps de son rejet définitif (l’apostasie généralisée).
Ainsi, depuis la résurrection du Christ, nous sommes dans le dernier temps.
Lorsque certains signes précis annoncés par Jésus seront accomplis, nous
saurons que la fin de cette période sera arrivée. Ce sera donc la fin du
monde ou la fin des fins puisqu’il n’y aura pas d’autre période de
délai terrestre. La fin du monde est donc le "terminus ad quem" du
dernier temps. Le Christ reviendra dans sa Gloire suivi immédiatement par la
destruction du cosmos et par sa transfiguration.
Solutions :
1. Immédiatement avant la fin du monde, il
y aura un temps particulièrement difficile pour l’humanité puisqu’il sera lié à
des guerres "entre le roi du nord et du midi" selon Daniel[1664], à des tremblements de terre et à
beaucoup d’autres malheurs. Ce temps de la fin précèdera de peu la fin du monde
mais n’est pas identifiable à la fin du monde elle-même, de même que la
dernière phase d’un mouvement n’est pas identifiable à son terme final.
2. Si l’on regarde la fin des temps comme
le moment où les prophéties de l’Écriture seront toutes accomplies, alors nous
pouvons dire que nous sommes déjà dans la fin des temps, de la même manière que
saint Paul[1665] : «
Nous touchons à la fin des temps. » En
effet, le Christ a accompli l’Écriture en plénitude par sa venue, sa
prédication, sa mort et sa résurrection. Toutes les prophéties furent réalisées
d’une manière ou d’une autre puisque les premiers apôtres, après avoir prêché
dans le mode connu de leur époque, furent mis à mort. Cependant, l’expérience
nous montre qu’après la venue du Christ qui était le dernier des temps de
l’humanité, Dieu a laissé à l’humanité un autre temps pour se convertir. C’est
pourquoi la fin des temps ne doit pas être confondue avec la fin du monde, même
si elle annonce l’imminence de cette fin ultime, selon l’Apocalypse[1666] : «
Il n’y aura plus de délai! »
« Jérusalem
sera foulée par les nations jusqu’à ce que soit terminé le temps des nations. »[1667] La fin du temps des nations a deux sens
possibles :
1° La fin du temps où les non-juifs porteront
le flambeau de la foi au Christ selon ce texte des Actes des Apôtres[1668] : « S'enhardissant alors, Paul et Barnabé
déclarèrent : « C'était à vous les Juifs d'abord qu'il fallait annoncer la
parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie
éternelle, eh bien! Nous nous tournons vers les païens. Car ainsi nous l'a
ordonné le Seigneur : Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu portes le
salut jusqu'aux extrémités de la terre. » Il est donc probable que,
vers la fin du monde, les non-juifs ayant rejeté le Christianisme, le flambeau
serait pris par les Juifs.
2° Mais il signifie aussi un sens plus
politique : la fin du temps des nations est la fin du temps des gouvernements
nationaux (France, Allemagne) et le début d’un gouvernement mondial. Ce
deuxième sens est tout à fait complémentaire. En effet, habituellement, toutes
les prophéties concernant Israël sont charnelles. En effet, tout ce que vit ce
peuple dans sa vie politique est établi par Dieu signe des choses spirituelles.
Il leur est promis par exemple une terre (une vraie terre, la Palestine), et
c’est pour signifier le paradis céleste...
Ainsi,
il est probable que, avant la fin du monde, seront donnés quatre signes : -
apostasie des païens ; fin des gouvernements nationaux ; Jérusalem Juive ;
reprise du flambeau de la foi par les Juifs. Ils seront concomitants, à savoir
sur deux ou trois générations.
Objections :
1. Le chiffre sept semble davantage lié à
une volonté de concorder avec les sept jours de la création qu’à une véritable
nécessité liée à la révélation. On aurait pu diviser tout autrement les phases
de l’histoire, comme on le voit chez Joachim de Flore.
2. Pour parler de sept temps, il faut
pouvoir dater. C’est possible pour les trois premières phases. Mais la phase
d’évangélisation, celle du rejet de l’Évangile et de l’apostasie sont des
phases vécues en permanence dans l’Église et non des événements datables comme
la révélation faite à Moïse ou l’incarnation du Verbe.
3. Il ne semble pas qu’on doive compter
sept "jours" après la venue du Christ. En effet, encore aujourd’hui,
chacune de ces sept phases est vécue par une ou plusieurs parties de
l’humanité. Ainsi, certaines tribus reculées vivent séparées de toute révélation
comme au temps du silence de Dieu. Elles adorent encore des idoles et des
démons ; les juifs, quant à eux, vivent de la deuxième phase puisqu’ils
attendent le Messie ; certaines chrétientés ont déjà apostasié et bien des
antéchrists sont déjà venus. D’autre part, des civilisations entières ont déjà
vécu le retour du Christ puisque tous leurs membres sont morts.
Cependant :
Jésus
parle dans le discours eschatologique[1669] de trois temps qui sont comparables aux
trois phases de l’accouchement.
Conclusion :
L’histoire
de l’humanité peut être regardée selon plusieurs points de vue. Les
paléontologues l’observent à travers les vestiges matériels comme les tombes,
l’art et les outils. Ils distinguent sous ce rapport divers temps qu’ils
divisent habituellement en deux périodes selon l’existence ou non de documents
écrits. La préhistoire leur paraît divisible en quatre temps comme l’âge de la
pierre taillée (paléolithique), l’âge de la pierre polie (néolithique), l’âge
du bronze, l’âge du fer. Mais lorsqu’il s’agit de l’histoire documentée, la
division des périodes est beaucoup plus complexe et discutée tant les critères
possibles sont divers : armes, taille des cités, structures sociologiques etc.
On constate que, ici où là sur terre, quels que soient les critères retenus,
tous les âges de l’humanité subsistent de quelque manière. On trouve encore des
tribus vivant comme au néolithique.
Dans
le domaine de la théologie, les divisions se prennent du rapport de l’humanité
avec la grâce. En effet, il n’a pas toujours été possible à la foule des hommes
d’approcher Dieu. En fonction de ce critère, on peut discerner sept étapes de
l’histoire sainte, sept temps de l’humanité qui subsistent encore ici ou
là dans certaines parties de l’humanité :
Les trois premiers temps de l’humanité qui suivirent la chute
d'Adam et Ève.
1° Le temps où Dieu se taisait,
2° le temps où il promit à quelques-uns un
sauveur,
3° celui enfin où il se fit chair et
annonça l'Évangile. Chacune de ces périodes dispose les cœurs au salut. Ces trois
temps, commencés après le péché originel, sont toujours d’actualité. Ils sont
vécus de nos jours par des milliers d’hommes qui n’ont jamais entendu parler du
Christ.
Après
son ascension, Jésus annonce de nouveau trois temps, trois étapes de l'histoire
durant lesquelles il préparera les nations à son retour glorieux. On peut les
discerner à la lecture de son discours eschatologique[1670] et des multiples prophéties dispersées
ici et là dans les lettres des apôtres.
4° Le
premier de ces temps est celui de l'extension de l'Évangile dans le monde. C'est une période accompagnée de luttes
et de souffrances nombreuses.
5° Le
second est celui du rejet de l'Évangile par le monde.
6° Le
troisième est le temps de sa disparition quasi complète du monde. C’est le
temps de l’Antéchrist.
7° Enfin, le
septième temps est le retour du Christ lui-même.
Solutions :
1. Nous accordons cette objection. On
pourrait par exemple mettre l’époque qui précède le péché originel sous un jour
et unifier le temps qui précède la venue du Christ en un seul puisque l’annonce
d’un salut fut donnée dès le départ, quoique de manière imprécise[1671] : «
Ta descendance écrasera la tête du
serpent. » De même, les temps qui suivent la venue du Christ
pourraient être divisés autrement, par exemple comme le fait Jésus quand il les
décrit à la manière d’un accouchement avec ses premiers signes, les douleurs et
l’accouchement lui-même.
2. Ces trois temps ainsi que le règne de
l’Antéchrist ne sont pas uniquement des événements symboliques ou spirituels.
Leur réalisation est aussi certaine que l'étaient pour les Juifs les prophéties
de l'Ancien Testament. Quand un prophète annonçait qu'une jeune fille vierge
serait enceinte, les Juifs n'y voyaient pas seulement un symbole, une image
d'Israël en attente de la manifestation de Dieu. Il en est de même pour les
événements de la fin du monde. Chaque prophétie de Jésus a un sens symbolique,
c'est certain, mais aussi un sens historique : « Le Ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. »[1672]. La raison en est que
l’homme n’est pas fait que d’esprit, mais que ce qui est spirituel en lui se
réalise toujours de quelque manière dans son corps, sa psychologie et dans le
monde qui l’entoure. C’est ce que l'Esprit saint veut, et cela sera.
Toute la difficulté consiste à démêler leur écheveau. Les trois temps qui
précéderont le retour du Christ peuvent déjà être en partie datés. Le premier,
celui de l'annonce de l’Évangile, commence avec le jour de la Pentecôte et dure
jusqu’à aujourd'hui. Il se caractérise par l'extension de la chrétienté à
travers le monde et par des luttes que le Seigneur appelle « des guerres et des rumeurs de guerre »[1673]. Le second, le temps de l'apostasie qui
se généralise, trouve des racines dans les idées de la fin du Moyen Age et de
l’excès de la domination du pouvoir chrétien (guerres de religion en
particulier) et de son rejet au siècle des Lumières. En effet, nul ne peut
apostasier ce qu’il n’a d’abord reçu[1674]. Mais il commence au plan politique
avec les soubresauts antichrétiens de la Révolution française. Il continue à
s'étendre jusqu'à aujourd'hui. Quant au troisième temps, celui du règne mondial
d'un antéchrist, de la disparition politique de tout ce qui porte le nom de
Dieu[1675], il n'est pas encore commencé. Nous
pouvons l'affirmer avec certitude en ce début de millénaire. L’Antéchrist n’est
pas là même si divers courants antichrétiens œuvrent puissamment, même si de
nombreux antéchrist sont déjà venus. On constate la proximité de sa réalisation
à travers les courants humanistes qui rêvent de plus en plus, depuis les deux
guerres mondiales, d’un monde unifié en une seule nation et langue. Pour saint
Paul, c'est la preuve que le retour glorieux du Christ n'est pas imminent[1676]. Il ne reviendra pas se montrer à
l’humanité tant que les dernières prophéties n'auront pas été réalisées.
3. La signification historique de ces trois
temps ne s’oppose pas aux autres sens. Il faut se rappeler que les paroles
prophétiques de Dieu ne parlent jamais en premier lieu de l’histoire ou de la
politique mais d’abord de ce qui concerne le salut des âmes dans leur rapport
personnel avec Dieu. Cependant, appliquées à l’histoire, les trois temps qui
précéderont le retour du Christ peuvent être datés comme nous l’avons vu. Dieu
maintient à chaque époque un témoignage vivant de ces phases afin que chacun
comprenne que chacune lui sert pour le salut. Le règne de l’Antéchrist, quoique
maintenant les hommes séparés de Dieu, n’en disposera pas moins au salut que la
phase primitive où l’humanité vivait de sauvagerie. En effet, par la souffrance
et la mort qui de toute façon révèlent à l’homme ce qu’il est, chacun est
éduqué dans la voie de l’humilité (kénose) et de l’appel du salut. C’est ce que
signifie cette parole de l’Opéra Starmania : « Y a-t-il quelqu’un dans l’univers, qui puisse entendre nos appels
? »
Objections :
1[1677]. Si le commencement d’une chose est connu
avec précision, sa fin peut l’être aussi, «
puisque toute chose a sa mesure temporelle. » Or, il en est ainsi du commencement de l’univers, il en sera de
même par conséquent de sa fin, de la résurrection et du jugement qui doivent
l’accompagner.
2. Il est dit, dans l’Apocalypse, de « la femme », symbole de l’Église, que « Dieu
lui avait préparé une retraite, afin qu’elle y fût nourrie pendant 1260 jours. » Daniel, lui aussi, assigne un nombre
déterminé de jours qui semblent bien être des années, comme dans
Ezéchiel : « Je t’ai compté
un jour pour un an. » L’Écriture nous
fait donc connaître exactement l’époque de la fin du monde et de la
résurrection.
3. L’Ancien Testament est la figure du
Nouveau, et nous en connaissons exactement la durée. Nous connaissons donc, par
là même, celle du Nouveau Testament et, de même pour l’époque de la fin du
monde et de la résurrection, puisqu’il doit durer jusque-là : « Voici,
je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »
4. L’Écriture affirme que Dieu ne fait rien
sans en parler à ses serviteurs les prophètes. Il semble donc que certains
connaissent la date de la fin du monde, au moins les prophètes.
5. Il en est de la date de la fin du monde
comme de celle de la mort de chaque homme en particulier, puisque les
prophéties de l’Écriture unissent dans un seul regard ces deux évènements. Or
il peut arriver qu’un homme connaisse l’heure de sa mort, soit parce que Dieu
lui a dit, comme on le voit pour certains saints, soit parce qu’il la
conjecture avec l’art médical ; soit qu’il la provoque par le suicide. Donc il
doit être possible de connaître la date de la fin du monde.
6. Il semble que le Christ au moins
connaisse la date de la fin du monde puisque tout jugement lui a été remis[1678].
7. Que la fin du monde doive avoir lieu,
c’est une certitude de foi puisque c’est une prophétie de prédestination. Il
doit en être de même pour la date de cet évènement. Elle doit donc être
connaissable par certains et annoncée d’une manière cachée par les Écritures.
8. Il semble que la fin du monde ne se
produira pas aussitôt après le retour du Christ mais après 1000 années de règne
qu’il aura passé en paix sur la terre d’après le livre de l’Apocalypse 20.
Cependant :
Jésus
affirme[1679] : «
Quant à la date de ce jour, et à
l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le fils, personne
que le Père seul. » C’est pourquoi tout prophète qui prétend
annoncer une date ou une année fait œuvre de présomption et ne doit pas être
suivi. Il ne peut dire qu’une chose, c’est que la fin est pour « bientôt
»[1680], puisque, chacun le sait, la mort
individuelle ne tarde jamais à arriver, et toujours moins d’un siècle après le
moment où un adulte parle.
Conclusion :
Si
la fin du monde n’a pas eu lieu juste après la première venue du Christ, c’est
que des enfants sont nés depuis 2000
ans et ces enfants existeront pour toujours dans l’autre monde. Dieu voulait
qu’ils existent. Autre raison importante : Dieu a décidé de laisser
un temps à l’homme pour qu’il puisse se convertir, selon saint Pierre[1681] : «
Le Seigneur ne retarde pas
l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard,
mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que
tous arrivent au repentir. » Il en sera peut-être de même lorsque
l’Antéchrist sera là et que les derniers chrétiens observeront un nouveau
retard. C’est pour cette raison que la date de la fin du monde est absolument
inconnaissable par personne. Dieu peut la retarder comme il le veut, dans sa
sagesse qui prévoit le salut du plus grand nombre. Pour mieux le comprendre, il
faut se souvenir qu’il existe deux sortes de prophéties :
1° Les prophéties de prédestinations qui
sont données lorsque Dieu annonce un événement qui est fixé d’une façon
immuable par sa providence. Ainsi, qu’une Vierge doive enfanter, que le Messie
doive souffrir, que la fin du monde doive avoir lieu précédée par la venue d’un
dernier Antéchrist, voici des prophéties qui se réalisent infailliblement,
selon cette parole de Jésus[1682] : «
Pas un iota de la loi ne sera enlevée
sans qu’elle soit accomplie. »
2° Les prophéties de menaces ou de
promesses. Elles ne se réalisent que sous condition. Ainsi, lorsque le prophète
Jonas annonçait la destruction de la ville de Ninive, il était sous-entendu
qu’elle n’aurait lieu que si le peuple restait dans son péché. La ville s’étant
convertie, la destruction n’eut pas lieu. Il en est de même de la date de la
fin du monde : étant dépendante d’une condition à savoir le temps que Dieu
laisse à l’homme pour se convertir, elle peut être reculée ou avancée selon sa
miséricorde et à la prière de ceux qui sont proches de lui par la charité.
Ainsi, nul ne peut connaître à l’avance une telle date car elle est, en ce qui
concerne l’homme inconnaissable. On le voit parfois dans la vie des saints pour
la fin des individus. Ainsi, le Padre Pio provoqua à sa prière de nombreuses
fois la mort de ses pénitents juste après leur confession.
Solutions :
1. Pour connaître la fin des choses dont
nous connaissons le commencement, il est nécessaire d’en connaître aussi la
mesure. C’est pourquoi, si nous connaissons le commencement d’une chose dont la
durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons en connaître la fin,
parce que le mouvement du ciel nous est connu. La durée physique du mouvement
du ciel est connaissable par la science positive à travers de simples calculs.
On sait que le soleil aura brûlé la totalité de son énergie dans quatre à cinq
milliards d’années. Par contre, la durée théologique de ce monde a pour unique
mesure la volonté divine qui nous est cachée. Dès lors, nous avons beau
connaître le commencement, il nous est impossible d’en connaître la fin.
2. Les 1260 jours dont parle l’Apocalypse
représentent la vie de l’Église dans sa totalité plutôt qu’un nombre déterminé
d’années. La raison en est que la prédication du Christ, sur laquelle est
fondée l’Église, a duré trois ans et demi, c’est-à-dire, un nombre de jours
sensiblement égal au précédent. Le nombre cité par Daniel ne se rapporte pas
aux années qui doivent s’écouler jusqu’à la fin du monde ou à la prédication
de l’Antéchrist, mais à la durée de sa prédication même et de sa persécution.
3. L’Ancien Testament est la figure du
Nouveau, d’une manière générale et sans correspondance nécessaire des détails,
d’autant plus que le Christ en a réalisé tous les symboles. C’est pourquoi
saint Augustin répond à ceux qui voulaient compter les persécutions de l’Église
en se basant sur les plaies d’Égypte : « À
mon avis, ce qui se passe en Égypte ne figurait point prophétiquement ces
persécutions. Il est vrai que les partisans de cette opinion font à ce sujet
des rapprochements d’une ingénieuse habileté, mais ils ne sont point appuyés
sur l’esprit prophétique, et, si l’esprit de l’homme parvient quelquefois à la
vérité, quelquefois aussi il se trompe. »
Ce mélange de vérités et d’erreurs se retrouve dans les prophéties de l’abbé
Joachim. Nul ne connaîtra la date de la venue du Christ. C’est pourquoi le
Seigneur met en garde contre les faux prophètes, à la fin des temps[1683] : «
Prenez garde de vous laisser abuser,
car il en viendra beaucoup sous mon nom qui diront "c’est moi" et
"le temps est tout proche" N’allez pas à leur suite. » À
la fin du monde, certains pourront cependant conjecturer la proximité du retour
du Christ s’appuyant sur la réalisation des signes annoncés par l’Écriture
sainte. Il reste que très peu seront capables de les interpréter selon leur
vrai sens qui est d’abord esprit.
4. S’il arrive que certains saints
reçoivent avec joie la révélation de la date de leur mort, comme sainte Thérèse
de l’Enfant Jésus lors de son premier crachat de sang, c’est parce qu’ils
espèrent voir Dieu et le rapprochement du temps excite leur désir d’être
bientôt en présence de la Sainte Trinité. Dieu sait, à travers une telle
révélation, augmenter leur charité. Pour d’autres, la peur de la mort est
utilisée pour l’augmentation de leur humilité et pour les inciter à se repentir
de leurs péchés. Dans tous les cas, ces révélations ont pour finalité le salut
éternel de chacun. Une telle révélation les concerne donc personnellement. Il
n’en est pas de même pour la fin de l’humanité en général dont la date précise
ne concerne que Dieu seul, et dont l’approche en tant qu’elle est un événement
général valable à chaque époque de l’univers suffit à effrayer les méchants et
à provoquer l’espérance des saints.
5. Par contre, il est vrai qu’à la fin des
temps, certaines personnes éclairées par le Saint Esprit conjectureront la
proximité de l’évènement, en s’appuyant sur des signes décrits par l’Écriture.
Mais là encore, leur raisonnement pourra être mis en défaut par Dieu s’il
estime nécessaire de laisser un délai au monde de l’Antéchrist afin qu’il aille
jusqu’au bout de sa perversité et de l’apprentissage spirituel des âmes privées
de l’espérance. Quant au suicide, qui permet à l’homme de décider lui-même de
la date de sa mort, il ne peut être comparé à la fin du monde dont l’initiative
viendra de Dieu. Il est probable que le dernier Antéchrist n’aura pas intérêt à
provoquer l’autodestruction de l’humanité puisque la durée de cet enfer sur
terre servira les intérêts de son maître, Lucifer, détruisant les vie spirituelle
selon ce texte[1684] : «
Par son intelligence l’Antéchrist
réussira dans la trahison. Il s’exaltera dans son cœur et détruira un grand
nombre par surprise. Il s’opposera au Prince des Princes, mais, sans acte de
main, il sera détruit. »
6. Saint
Grégoire le Grand écrit, en réponse à une question d’Euloge d’Alexandrie sur le passage de l’Écriture selon lequel
« ni le Fils ni les anges ne connaissent le jour et l’heure »[1685] : « Votre Sainteté pense très justement
qu’il n’est pas à rapporter au Fils, considère comme tel, mais considéré comme
corps, ce que nous sommes. Augustin dit aussi qu’on peut l’entendre du Fils en
personne, parce que le Dieu tout-puissant parle parfois comme un homme, par
exemple lorsqu’il dit à Abraham : « Maintenant, je sais que tu crains Dieu »[1686]. Non que Dieu ait alors appris qu’il
était craint, mais parce que, par lui Abraham a reconnu alors qu’il craignait
Dieu comme nous parlons d’un jour heureux, non parce que le jour lui-même est
heureux, mais parce qu’il nous rend heureux, de même le Fils tout-puissant dit
qu’il ignore le jour que lui-même fait ignorer, non qu’il l’ignore, mais parce
qu’il ne permet absolument pas qu’on le connaisse. »
7. Il peut y avoir des évènements qui, pour
une part sont annoncés par une prophétie de prédestination et pour une autre
par une prophétie conditionnelle. Ainsi, le fait qu’une Vierge devait enfanter
était connu par la foi juive d’une façon certaine à cause de la parole de Dieu
en Isaïe[1687]. Mais la date de cet évènement n’était
connue de personne sinon Dieu puisqu’elle était liée à certaines conditions. Il
en est de même pour la fin du monde qui aura lieu avec certitude mais à une
date que Dieu seul connaît. Quant à ceux qui s’efforcent de la calculer en
s’appuyant sur des savantes combinaisons des Écritures, ils font fausse route.
Dieu peut en effet avancer ou reculer la date de la fin du monde en fonction de
la prière des saints, de l’humilité (kénose) des religions.
8. Le IVe Livre d’Esdras[1688] imaginait que les élus de la dernière
génération mèneraient sur terre avec le Messie une vie bienheureuse de quatre
cents ans. Cette idée était dans l’air, seule la durée du règne messianique
variait selon les fantaisies de l’imagination. Elle subsistera longtemps dans
la pensée juive. Le Millénarisme chrétien se rattache à une interprétation
littérale du chapitre 20 de l’Apocalypse. Il a revêtu plusieurs formes.
Cérinthe, que le disciple bien-aimé avait en particulière horreur, promettait
aux justes des derniers temps des jouissances toutes charnelles. Chez Papias,
dont Bossuet a dit qu’il fut un très vieil auteur mais un très petit esprit, le
rêve millénaire s’exprime avec une naïveté déconcertante. Rapportant les dires
des presbytres, il imagine une terre nouvelle où l’on verra des vignes porter
dix mille ceps, chaque cep ayant dix mille sarments, chaque sarment dix mille
rameaux, chaque rameau dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains de
raisin dont chacun se disputera l’honneur de devenir la nourriture d’un élu. De
nos jours, les Témoins de Jéhovah sont les plus célèbres des Millénaristes. Les
textes cités de l’Apocalypse doivent être confrontés à tous les autres
annonçant le retour du Christ. De cette confrontation, il ressort que sa
signification n’est pas celle d’un texte de type historique mais symbolique. De
fait, il annonce la possibilité pour l’homme ou l’Église fidèle d’un règne de
paix permanent au fond de l’âme par la présence fidèle du Messie quelles que
soient les épreuves vécues extérieurement. C’est ce qu’expérimentait Sainte
Thérèse de l’Enfant Jésus qui, soumise à l’agonie d’une maladie incurable
disait[1689] : «
Je ne regrette pas de m’être livré à
l’amour. »
Objections :
1. Si l’homme ne peut en aucune manière
connaître la date de la fin du monde, il semble présomptueux de sa part de dire
que les derniers temps sont arrivés.
2. Saint Paul met en garde les fidèles
contre ceux qui les effraient par l’annonce de l’imminence du retour du Christ
et qui les poussent à tout vendre et à ne plus se marier pour être bien prêts
selon cette parole du Seigneur[1690] : «
Malheur à celle qui sera enceinte ce
jour-là. »
3. Il semble que nul ne puisse dire si nous
sommes dans les derniers temps selon cette parole du Seigneur[1691] : «
comprenez-le bien : si le maître de la
maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir, il aurait
veillé et n’aurait pas permis qu’on perçât le mur de sa demeure. Ainsi donc,
vous aussi, tenez-vous prêt car c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le
fils de l’homme va venir. »
4. Saint Paul lui-même, ainsi que saint
Jean se sont trompés sur la date du retour du Christ puisqu’ils écrivent qu’« il revient bientôt »[1692]. Or, voici des siècles que nous
attendons. Donc nul ne doit dire que nous sommes dans les derniers temps.
Cependant :
L’épître
aux Hébreux dit[1693] : «
Encore un peu, bien peu de temps et
celui qui vient arrivera et il ne tardera pas. » De même, le livre
de l’Apocalypse[1694] : «
Ne tiens pas secrète les paroles prophétiques
de ce livre car le temps est proche. » Donc nous sommes dans les
derniers temps.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré précédemment, dire que nous sommes dans les derniers temps
avant la fin du monde peut avoir plusieurs sens.
1° En un premier sens, l’Écriture peut
entendre la dernière phase de l’humanité dans son pèlerinage terrestre avant le
jugement général du monde. En ce sens, nous pouvons dire que nous sommes dans
le dernier temps depuis que le Christ est mort et ressuscité pour nous. En effet,
le temps de la grâce sanctifiante est le dernier de la terre puisqu’il ne peut
être suivi, selon le critère du rapport à Dieu, que par des états supérieurs
qui ne sont pas de ce monde, comme la gloire.
2° En un second sens, l’Écriture peut
entendre par derniers temps les derniers moments de cette quatrième phase de
l’humanité, ceux que vivra la génération qui connaîtra le retour du Christ dans
sa gloire. Là encore, deux interprétations sont possibles. La première consiste
à dire que chaque génération de l’humanité est dans ce moment ultime puisque
chaque homme de cette génération connaît à l’heure de sa mort le retour du
Christ dans sa gloire. C’est pourquoi Jésus pouvait dire en vérité aux Juifs de
sa génération[1695] : «
En vérité, en vérité, je vous le dis,
cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. » De
même, saint Vincent Ferrier et d’autres saints pouvaient en vérité proclamer le
retour du Christ dans sa gloire comme imminent.
La
seconde interprétation consiste à regarder le retour du Christ glorieux que
connaîtra la dernière génération de la terre au sens universel du terme, quand
selon Saint Paul[1696] : « la trompette finale
sonnera et que ceux qui sont encore en vie sur la terre seront transformés sans
passer par la mort. » En ce sens, on peut dire avec certitude que
nous serons à la fin des temps quand tous les signes donnés de manière
explicite par l’Écriture, confirmés par la Tradition et le Magistère
de l’Église seront réalisés. Or ceux qui concernent Israël dans son histoire
visible, jusqu’à sa conversion au Christ, ceux qui concernent l’Église et son
martyre finale, la politique et le gouvernement mondial de l’Antéchrist[1697] ne sont pas accomplis. Donc, au moment
où j’écris, nous ne sommes pas dans la fin des fins mais seulement dans le
dernier temps.
De
plus, quand l’Écriture sera entièrement accomplie, il restera encore une
incertitude : celle du délai que Dieu laissera à l’Antéchrist avant de le faire
disparaître par le souffle de sa venue. De ce délai, nous ne savons rien. Il
peut durer trois ans et demi ou trois millénaires, comme nous l’avons dit.
Solutions :
1. Comme nous l’avons montré, il est
impossible de dire avec certitude que nous sommes dans les derniers temps selon
la dernière interprétation. Mais selon les deux premières, cela peut être
proclamé sans qu’il y ait de présomption.
2. Les faux prophètes dont parle saint Paul
accompagnaient leurs annonces de dates précises, comme on le voit encore
aujourd’hui dans certaines sectes religieuses. En cela, ils faisaient œuvre de
présomption. Ils poussaient leurs fidèles à attendre le retour du Christ d’une
manière fiévreuse en leur faisant davantage vivre du merveilleux de l’évènement
que de la charité et de l’espérance qui lui donnent sens. De plus, ils
parlaient ainsi dans leur orgueil mégalomaniaque de se faire passer pour des
intimes de Dieu. C’est ce à quoi voulait s’opposer saint Louis de France quand
on lui demandait « ce qu’il
ferait si on lui annonçait pendant la messe que le Christ était en train
d’apparaître dehors. » Il répondait :
« Je resterais à prier, là où je
suis. » Saint Vincent Ferrier est
cependant à mettre à part. Il annonça certes la fin du monde pour sa génération
au XV° siècle. Mais il faut entendre sa prédication, qu’il accompagna et prouva
par des miracles venant de Dieu, comme celle du Christ lorsqu’il dit[1698] que « cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli ». En effet, on peut annoncer sans
se tromper la fin du monde à chaque instant en ce sens que, moins de 100 ans
après sa proclamation, tous ceux qui l’ont entendue, ont vu le retour du Christ
à l’heure de leur mort individuelle.
Quant
aux femmes enceintes, elles seront malheureuses au jour du retour du Christ non
à cause de leur état mais à cause de l’attachement aux biens de la terre que symbolise
ici la grossesse. De même, ceux qui possèdent quelque bien et s’y attachent en
souffriront puisqu’ils n’emporteront rien dans l’autre monde.
3. De même que la mort peut frapper chaque
individu n’importe quand, à la manière d’un voleur dans la nuit, de même le
retour du Christ se fera sans prévenir.
4. Quand le Christ annonce qu’il revient
bientôt ou quand les saints proclament la même chose, ils ne se trompent pas
puisque chaque homme ne dispose que de quelques années avant la mort qui
correspond pour lui au retour du Christ dont l’apparition le surprend à ce
moment.
Mais
si l’on entend ces prophéties par rapport au retour ultime de Jésus, selon le
troisième sens alors il faut répondre comme saint Pierre[1699] : «
Devant le Seigneur, un jour est comme
mille ans et mille ans sont comme un jour. » Le bientôt de Dieu
n’est donc pas comme notre bientôt.
Enfin
lorsque le Seigneur annonce à ses disciples[1700] : «
En vérité je vous le dis, il en est
ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le fils de l’homme
venant avec son royaume », il ne parle visiblement pas de sa venue
définitive mais à la fois des signes glorieux de sa venue (comme
le don de l’Esprit Saint fait à la Pentecôte, la prédication opérée par les
apôtres jusque dans la capitale du monde qui était Rome et la ruine de
Jérusalem qui scelle la fin de l’Ancienne Alliance)
et à l’apparition glorieuse qu’il a effectivement donnés à tous lorsqu’ils sont
morts.
Objections :
1. La fin
du monde ne peut consister dans le retour du Christ. Selon les témoins de
Jéhovah, qui lisent l’Écriture Sainte dans sa lettre : c’est par la
guerre, les catastrophes de toutes sortes que se terminera le monde.
2. Le
retour du Christ pourra être daté à partir du moment où l’Antéchrist paraîtra
avec son gouvernement mondial humaniste et adonné à l’ange révolté. En effet,
le délai entre la réalisation de ces deux prophéties sera de trois ans et demi,
d’après Daniel. Ceci semble confirmé par saint Matthieu[1702] : «
si ces jours-là (ceux de
l’Antéchrist) n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie (la foi)
sauve. »
Cependant :
« Alors, le
Christ reviendra dans sa gloire accompagné des saints et des anges. Et il
enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des
quatre vents, des extrémités des cieux à leur extrémité. »[1703] La preuve suprême que Dieu nous aime
sera donnée puisque le Christ reviendra alors que nous ne l’attendrons plus.
Conclusion :
Après
le retour du Christ, le temps sera comme suspendu dans une autre dimension,
liée à la vie psychologique, qu’on appelle « la
durée intérieure ». Ceux qui
auront choisi de l’aimer vivront ces heures en sa présence dans une extase
perpétuelle qui leur semblera courte. Ils ne pourront détacher leur âme de sa
vue. Ils ne verront pas seulement sa beauté physique mais aussi celle de son
cœur : tous les symboles utilisés jadis par le Seigneur auprès de sainte
Marguerite-Marie prendront sens. Au même moment, ceux parmi les sauvés qui
auront à purifier quelque chose seront éloignés pendant un moment de sa vue. Ce
purgatoire, mesuré en temps cosmique, ne durera peut-être que quelques instants
mais, en tant que durée intérieure, il pourra leur paraître des heures tant ils
aimeront et ne supporteront pas son absence. Le purgatoire est fait ainsi : sa
durée intérieure peut sembler aussi longue que des siècles[1704] : «
Avez vous vu mon Bien-aimé ? », son but étant de créer dans l’homme un
cœur brisé en vue de son entrée dans la gloire. Ceux qui auront refusé
le Christ seront aussi sur la terre en ces instants mais ils fuiront. Ils ne se
sauveront pas dans d’autres lieux, le Christ étant présent partout à la fois.
Ils fuiront en eux-mêmes, essayant de détourner leurs pensées de son regard
insupportable. Ils crieront : « Va-t-en!
Ne vois tu pas que nous ne voulons pas de toi ni d’aucun de ceux qui sont avec
toi. Pourquoi restes-tu ainsi à nous regarder. Veux-tu donc nous torturer ? » Leur choix de solitude sera, on le
voit à travers ces mots, définitif.
Lorsque
la dernière âme du purgatoire sera sortie de sa solitude entrant avec tous les
autres élus dans la vision de la Splendeur, alors tout sera accompli sur la
terre et la fin du monde d’ici-bas sera proclamée, ainsi que la fin des autres
purgatoires. La terre telle qu’elle est n’aura plus de sens ni d’utilité, les
hommes ayant tous sans exception fait leur choix pour l’éternité.
Solutions :
1. Les
malheurs précéderont la fin du monde mais ne seront pas par eux-mêmes la cause
de la fin. Ils seront plutôt une préparation de l’esprit des hommes pour qu’ils
désirent la venue du Sauveur. D’autre part, l’interprétation des malheurs est
trop littérale chez les témoins de Jéhovah comme chez beaucoup de confessions
millénaristes. Le sens des textes de l’Apocalypse est symbolique, ce qui ne
veut pas dire qu’il n’ait pas une réalisation littérale, mais que sa
signification est bien plus universelle et multiple. Le premier des sens est
spirituel. Cela signifie que Dieu peut très signifier par le symbolisme des
monstres grouillants un temps de paix civile et de concorde sociale, accompagné
de l’individualisme, donc du danger le plus grave pour le salut des âmes.
2. Trois
ans et demi ne symbolisent pas autre chose que le temps de la prédication du
Christ. Cela signifie que l’Antéchrist singera le Messie pour réaliser, comme
lui, la prédication et la réalisation d’une humanité renouvelée.
Quant à l’interprétation de la durée réelle
de ce temps, il est impossible de la faire. Si telle est la volonté de Dieu, le
monde de l’Antéchrist durera des siècles. Ceci est peu probable à cause de la
nature humaine dont la fragilité est telle que, séparée de Dieu, elle finit par
se détruire elle-même. Mais ce n’est pas impossible tant l’intelligence
politique de l’Antéchrist et de ses successeurs peut réussir à structurer dans
un équilibre fragile entre loi et liberté, une vie où la recherche du bonheur
individuel est l’unique valeur. Un tel monde, spirituellement vide, pourra tout
de même disposer les hommes au salut. En effet, les souffrances spirituelles et
psychologiques seront telles que jamais on aura vu un désir plus grand d’un
salut.
La foi demeurera, même si ce n’est que
d’une manière privée et chez un petit nombre dispersé. En effet, l’Antéchrist
n’aura pas accès au domaine secret de la conscience où l’appel de Dieu seul
peut entrer.
Objections :
1. Il semble que tous les hommes doivent
mourir après la venue du Christ et avant de sa résurrection. En effet la
justice de Dieu a condamné la nature humaine toute entière, en punition du
péché d’Adam dont tous les descendants contractent la souillure du péché
originel. Or la punition du péché originel, c’est la mort.
2. La sainte Écriture enseigne la
résurrection universelle. Or ressusciter ne se dit proprement que d’un corps
tombé en dissolution, comme le déclare saint Damascène.
3. Les lois naturelles montrent que les
choses viciées et corrompues ne peuvent être régénérées qu’en passant par la
mort : le vinaigre ne peut devenir vin qu’en cessant d’être pour se retrouver
liqueur de la vigne. Dès lors, puisque la nature humaine a subi une altération
entraînant la nécessité de mourir, la mort est pour elle le moyen nécessaire pour
parvenir à l’immortalité.
4. « Nul
ne peut voir Dieu sans connaître la mort », dit le livre de l’Exode[1705]. Donc la dernière génération passera
par la mort.
Cependant :
Le
texte du credo dit que le Seigneur
viendra juger « les vivants et les
morts ». Donc il y aura des hommes encore vivants lors de son retour.
En outre, saint Paul[1706] dit explicitement : « Je
vais vous dire un mystère : nous ne mourrons pas tous mais nous serons tous
transformés, au son de la trompette finale, car elle sonnera la trompette, et
les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Donc
ceux qui seront encore vivants lors du retour du Christ ne mourront pas.
Conclusion :
Les
Pères se sont partagés sur cette question. Mais l’opinion la plus sûre, si l’on
s’en tient à l’Écriture selon son texte grec, c’est que les hommes de la
dernière génération, ceux qui verront le retour du Seigneur ne mourront pas.
Ils seront « revêtus d’immortalité comme d’un vêtement surajouté »
et cela est conforme à la sagesse de Dieu :
1° par sa passion, le Christ a opéré une
rédemption totale du péché originel. Il a pris sur lui le péché des hommes, se
faisant péché pour nous. Il a payé dans sa chair la totalité de la dette de
peine due pour ce péché. Il a donc libéré l’homme de la mort selon cette parole
du Seigneur[1707] : «
Celui qui vit et croit en moi ne
mourra jamais. » Et s’il s’avère qu’après la rédemption opérée par
le Christ, les hommes régénérés par le baptême meurent tout de même, c’est à
cause d’un bien supérieur qui en sort. Il s’agit d’un bien de l’âme puisque
celui qui meurt découvre l’humilité de sa condition et peut offrir sa mort en
union de charité avec celle du Christ. À la fin du monde, lorsque la puissance
de la rédemption opérée par le Seigneur sera manifestée en plénitude, il
convient que la peine de la mort disparaisse aussi. C’est pourquoi la dernière
génération ne mourra pas.
2° Et on peut donner une deuxième raison à
cela ; un désir naturel et universel doit être réalisé en quelques individus.
Or ce que nous voulons tous, « c’est de n’être pas dépouillés mais revêtus.
» Quelques hommes au moins seront donc revêtus de l’immortalité,
sans que la mort les ait dépouillés de leur corps, à l’image de la vierge
Marie.
Solutions :
1. Les quatre dernières demandes de l’oraison
dominicale se rapportent à la vie présente et, par l’une d’elle, l’Église
demande pour cette vie la remise de toutes les dettes. Cette prière ne saurait
être vaine[1708] : «
tout ce que vous demanderez au Père en
mon non, il vous l’accordera. » Or une de ces dettes, contractée par
le péché d’Adam, c’est de naître avec le péché originel. Dieu a remis cette
dette à la vierge Marie en prévision de sa maternité divine ; de même il
remettra la mort qui est la peine du péché originel à quelques-uns à la fin du
monde.
2. Lorsque Jésus dit que[1709] « tous ceux qui sont dans les tombeaux
entendront la voix du fils de Dieu et ressusciteront », il ne
l’entend pas que tous les hommes sans exception seront dans les tombeaux. Il
exclut en particulier Enoch et Elie qui n’ont pas connu la mort, le Christ et
la vierge Marie qui ne sont pas restés au tombeau et la dernière génération
humaine lors de la fin du monde.
3. La résurrection ne suit pas les lois
naturelles. Elle est une œuvre de la puissance divine qui peut réaliser la même
chose à partir de plusieurs points de départ. Ainsi, les morts ressusciteront à
partir d’une matière décomposée ; les vivants seront transformés dans leur
corps, qui sera revêtu d’un nouveau mode d’être.
4. Ce texte vise la mort intérieure, qui
correspond à la toute humilité. La mort biologique, quoique utile à
l’acquisition de ce cœur brisé, n’est cependant que l’un des moyens. La
dernière génération vivra cette kénose à travers les angoisses de sa vie sans
Dieu, et les dernières frayeurs dues aux signes de la fin.
Objections :
1. Il en est de la glorification du monde
dans son ensemble comme de celle du corps de l’homme pris en particulier. Or
Dieu utilisera deux manières pour élever le corps à la gloire : en le
transfigurant immédiatement dans une forme supérieure, comme on le voit pour le
corps de Marie ; en le détruisant par la mort puis en le ressuscitant, comme
c’est le cas pour le reste de l’humanité soumise au péché originel. Or le monde
matériel n’a pas commis le péché originel puisqu’il en est incapable. Il est
donc inutile qu’il soit d’abord détruit par le feu.
2. Dieu dit à Noé[1710] : «
Plus jamais je ne frapperai les vivants
comme je l’ai fait. » Si donc Dieu détruit le monde avant de le
transformer, il fera mentir sa parole.
3. Certaines parties de l’univers matériel
sont trop éloignées de la terre pour avoir pu être rendues impures par le péché
de l’homme. Il semble que celles-là au moins seront glorifiées dans un autre
monde sans passer par la destruction.
Cependant :
Saint
Pierre écrit[1711] : «
Il viendra le jour du Seigneur, comme
un voleur ; en ce jour-là, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments
embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu’elle renferme seront
consumées. Ce sont des nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons
selon sa promesse, où la justice habitera. »
Conclusion :
Pour
répondre à cette question, il faut considérer la fin du monde à la manière d’un
mouvement. Dans tout mouvement, il y a un terme de départ, un terme final et,
entre les deux, un devenir. À la fin du monde, le point de départ sera le monde
terrestre tel qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un monde adapté à l’état de
l’homme, corruptible et soumis au changement ; le terme final sera un monde
nouveau adapté au corps de l’homme après sa résurrection, c’est-à-dire un monde
glorifié, incorruptible et immuable. Il y aura donc entre ces deux mondes une
différence radicale de nature. La matière devra être transformée par Dieu au
point d’assumer une nouvelle forme sans commune mesure avec l’ancienne, selon
saint Paul[1712]:
« Ce qui est corruptible revêtira
l’incorruptibilité », afin de devenir un monde adapté au nouvel état
de l’homme.
Or,
qu’une matière assume une autre forme, cela peut se faire de deux manières :
1° par destruction de la forme antérieure.
Ainsi, l’artiste qui veut à partir du jade d’une statue faire une autre statue
différente est obligé de resculpter la première et donc d’en détruire la forme.
2° En surélevant la forme antérieure à une
autre forme supérieure. Ainsi l’artiste qui intègre un processus pour éclairer
de l’intérieur sa statue de jade modifie la forme sans la détruire. Il la revêt
de lumière
En
ce qui concerne la fin de notre univers corruptible, elle se produira selon ces
deux manières :
1° De la première manière pour les parties
de l’univers physique qui auront été souillées par les péchés de l’homme. C’est
ce que nous enseigne saint Pierre. Et cela est convenable à cause du désordre
lié au péché dont la marque est visible sur la terre entière. De même que,
après le péché originel, le corps de l’homme est soumis à la mort, de même il
convient que notre monde soit détruit par le feu avant d’être renouvelé. Le feu
purificateur doit effacer toute trace des œuvres de péché, aussi bien dans
l’univers que, analogiquement, dans le corps humain par la mort et dans son âme
que purifie le feu du purgatoire. C’est donc à partir d’une matière revenue à son
état virginal que Dieu façonnera un monde nouveau.
2° De la seconde manière pour les parties
de l’univers qui, étant trop éloignées de l’homme, n’ont pas subi les
influences négatives de sa présence. Cette partie du monde sera simplement
revêtue d’incorruptibilité, sans subir auparavant la nécessité d’une
purification par le feu. Ce sera le cas des astres que nous pouvons observer,
bien qu’ils soient situés à des distances considérables.
Solutions :
1. Le monde doit être transfiguré pour deux
raisons :
1° La première, et la plus fondamentale est
qu’il a été créé dans une structure d’entropie. La loi de dégradation de la
matière n’a pas pour cause le péché originel mais quelque chose de plus radical
: c’était un séjour provisoire pour Adam et Ève et leurs enfants, péché ou non.
Cette corruptibilité n’aura plus d’utilité dans l’éternité.
2° La seconde raison concerne non l’univers
dans son ensemble mais notre terre. Ce monde matériel n’a pas commis le péché
originel mais a été marqué par ses conséquences. Ce monde avait en effet été
créé pour l’homme et en dépendance harmonieuse de sa sainteté. Par le péché
originel, cet ordre a été détruit et les éléments se sont désorganisés : le
vice a corrompu les choses bonnes et, partout où est passé l’homme, il reste les
vestiges de quelques cadavres de son impureté. Même les plus belles œuvres de
l’homme, parfois faites pour Dieu comme le Temple de Jérusalem et les
cathédrales, ne sont pas exemptes de ce nouvel ordre fondé sur les vanités. Il
convient donc que ces œuvres soient détruites par un feu, de la même manière
que la mort détruit le corps des pécheurs.
2. Cette destruction du monde et son
renouvellement auront lieu après le retour glorieux du Christ sur la terre,
lorsque tous les hommes auront été jugés et de manière concomitante à la
résurrection ou à la transfiguration de leur corps. Ce n’était pas le cas pour
le déluge. Pour chaque homme, la fin du monde aura donc déjà eu lieu.
3. Comme on l’a montré, le feu ne purifiera
la terre et les lieux touchés par l’homme qu’à cause de l’influence de son
péché qui doit être purifié. Il n’est donc pas nécessaire que le reste de
l’univers soit détruit avant d’être transformé.
Nous
avons à considérer maintenant la résurrection et les circonstances qui doivent
l’accompagner. Il nous faudra étudier la résurrection du corps des hommes et la
transformation de l’univers qui l’accompagne pour aboutir à un monde matériel
nouveau.
A
partir de cette question 36, nous abordons les grâces supplémentaires que Dieu
nous a préparées en plus de l’unique grâce, celle qui seule nous rendra
heureux, la vision béatifique. Dieu (question 37) a préparé pour nous des
bienfaits inimaginables, jusque dans notre sensibilité et notre corps, jusque
dans le monde physique qu’il transformera (questions 49, 50) pour que nous
puissions l’admirer éternellement dans sa richesse et sa beauté. Quant à ceux
qui auront choisi de se séparer de Dieu, Dieu qui respecte leur liberté leur
rendra aussi l’intégrité de leur corps. Pourtant, la perversité de leur choix
égoïste ne sera pas sans conséquences, par somatisation, au point que tous les
textes de l’Ecriture décrivant leurs souffrances seront réalisés (question 48).
A
propos de la résurrection du corps de l’homme, il nous faut voir son fait, sa
cause, son temps et sa manière, son point de départ et l’état des ressuscités[1713].
La
première question suggère les demandes suivantes :
1° La résurrection des corps doit-elle
avoir lieu ?
2° Sera-t-elle universelle ?
3° Sera-t-elle naturelle ou miraculeuse ?
Objections :
1. Elle est inutile. Nous avons vu que les
morts gardent la partie essentielle de leur corps, à savoir leur psychisme. La
chair en elle-même ne peut apporter qu’un poids supplémentaire, donc un moins,
à l’âme. Donc il n’y aura pas de résurrection de la chair.
2. Job déclare : « L’homme se couche et ne se
réveillera pas tant que subsistera le ciel. » Mais le ciel
subsistera toujours puisque la terre elle-même, au dire de l’Ecclésiaste, « subsiste
toujours. » Il n’y a donc pas de résurrection après la mort.
3. Notre Seigneur prouve la résurrection
par ces paroles de Dieu même : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac
et le Dieu de Jacob », et ajoute : « Or Dieu n’est pas le Dieu
des morts, mais des vivants. » Mais, lorsqu’il parlait ainsi
Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient plus que par leurs âmes. Ce ne sont donc pas
les corps, qui ressusciteront, mais seulement les âmes.
4. Saint Paul semble prouver la
résurrection par la récompense due aux saints pour leurs labeurs d’ici-bas : « Si
nous n’avons d’espérance que pour cette vie seulement, nous sommes les plus
malheureux de tous les hommes. » Mais une récompense accordée à
l’âme seule peut suffire, le corps n’est que son instrument, et l’instrument ne
doit pas être récompensé comme celui qui s’en est servi. La preuve en est que
l’âme seule est punie en purgatoire où pourtant chacune reçoit « ce
qu’elle a mérité étant dans son corps. » Il n’est donc pas nécessaire
d’admettre une résurrection des corps, mais seulement des âmes ce qui veut dire
leur passage de la mort du péché et de la souffrance à la vie de la grâce et de
la gloire.
5. Le terme dernier d’un être marque son
apogée ; c’est alors qu’il atteint sa fin. Mais l’état le plus parfait pour
l’âme, c’est d’être séparée du corps : elle est plus semblable à Dieu et aux
anges ; plus pure aussi, étant dégagée de tout ce qui n’est pas elle-même.
L’état de séparation d’avec le corps est donc dernier pour l’âme. Elle ne
reprendra donc pas son corps, pas plus que l’homme fait ne redevient enfant.
6. La mort corporelle est le châtiment du
péché originel, de même que la mort spirituelle, séparation de l’âme d’avec
Dieu, est le châtiment du péché contre l’Esprit Saint. Mais, après la sentence
de damnation, le retour à la vie spirituelle est impossible. Il n’y a donc pas
non plus de retour à la vie corporelle, de résurrection.
7. L’apôtre écrit[1715] : «
Le corps semé animal ressuscitera
spirituel. » Puis il dit : « La chair et le sang n’entreront pas en
possession du royaume de cieux. » Donc il semble que la matière
n’aura aucun rôle dans la résurrection.
Cependant
:
1° L’Ecriture : « Je sais, dit Job[1716], que mon Rédempteur est vivant et
qu’au dernier jour, je me relèverai de la terre et de nouveau je serai
recouvert de ma peau. » En 2 Tm 2, 8, on lit : « [Les faux docteurs] se sont
écartés de la vérité en prétendant que la résurrection avait déjà eu lieu,
renversant ainsi la foi de plusieurs ». Il y aura donc une
résurrection des corps.
2° Ce que l’Église enseigne par son
Magistère[1717] : «
Il faut d’abord que tous ceux qui ont à enseigner discernent bien ce que
l’Église considère comme appartenant à l’essence de sa foi, la recherche
théologique ne peut avoir d’autres vues que de l’approfondir et de le
développer. Cette sainte Congrégation, qui a la responsabilité de promouvoir et
de protéger la doctrine de la foi, veut ici rappeler l’enseignement que donne
l’Église au nom du Christ, spécialement sur ce qui advient entre la mort du
chrétien et la résurrection générale. »
1° L’Église croit (cf. Credo) à une résurrection des morts.
2° L’Église entend cette résurrection de
l’homme tout entier ; celle-ci n’est pour les élus rien d’autre que l’extension
aux hommes de la résurrection même du Christ.
3° L’Église affirme la survivance et la
subsistance après la mort d’un élément spirituel qui est doué de conscience et
de volonté en sorte que le "moi" humain subsiste. Pour désigner cet
élément, l’Église emploie le mot « âme », consacré par l’usage de l’Écriture
et de la Tradition. Sans ignorer que ce terme prend dans la Bible plusieurs
sens, elle estime néanmoins qu’il n’existe aucune raison sérieuse de le rejeter
et considère même qu’un outil verbal est absolument indispensable pour soutenir
la foi des chrétiens.
4° L’Église exclut toute forme de pensée ou
d’expression qui rendrait absurdes ou inintelligibles sa prière, ses rites
funèbres, son culte des morts, lesquels constituent, dans leur substance, des
lieux théologiques.
Conclusion[1718] :
On
affirme ou l’on nie la résurrection selon que l’on définit différemment la fin
dernière de l’homme. Cette fin dernière, que tous désirent naturellement, c’est
le bonheur parfait (la béatitude). Certains ont pensé qu’il était possible d’en
jouir en cette vie ; dès lors, point n’était besoin pour eux d’en admettre une
autre dans laquelle l’homme atteindrait sa perfection dernière ils niaient donc
la résurrection.
Mais
cette opinion ne tient guère devant la variété des conditions humaines, la
fragilité de notre organisme, l’imperfection et l’instabilité de la science et
de la vertu... toutes choses qui empêchent le bonheur d’être parfait, comme
saint Augustin le développe aux
derniers chapitres de la Cité de Dieu.
Une
seconde opinion admet donc une survie, mais pour l’âme seule, ce qui semble
suffisant à satisfaire le désir du bonheur naturel à l’homme. Saint Augustin
cite cette parole de Porphyre : « L’âme
ne peut être heureuse qu’en fuyant toute espèce de corps. » Donc il n’y aura pas de résurrection. Cette opinion n’était pas,
chez tous ses tenants, conclusion des mêmes principes. Certains hérétiques
prétendaient que tous les êtres corporels venaient d’un principe mauvais, tous
les êtres spirituels, d’un principe bon. Le seul moyen, pour l’âme, d’atteindre
sa perfection suprême, c’était donc de quitter définitivement son corps, afin
de pouvoir s’unir à son principe et y trouver sa béatitude. C’est pourquoi
toutes les sectes manichéennes qui professent que c’est le diable qui a créé ou
formé les êtres corporels nient la résurrection des corps. La fausseté de cette
doctrine des deux principes a été établie au commencement du second livre des Sentences. D’autres ont
prétendu que l’âme, elle seule, constitue toute la nature humaine, et qu’elle
se sert du corps comme d’un instrument ou qu’elle est en lui comme le pilote
dans le navire. Ainsi du moment que l’âme seule est béatifiée, le désir du
bonheur, naturel à l'homme, est satisfait, sans qu’il soit besoin d’admettre la
résurrection des corps. Aristote a suffisamment réfuté cette théorie de Platon
en démontrant que l’âme est unie au corps comme la forme l’est à la matière.
L’âme, privée de son corps charnel, est en état d’imperfection naturelle. Sa
puissance vitale aspire à retrouver la perfection de l’être. Il est donc de
toute évidence que, puisque l’homme ne peut trouver le bonheur en cette vie, il
est nécessaire d’affirmer la résurrection de sa chair.
Solutions :
1. Saint
Thomas d’Aquin pensait que l’âme subsistait en se séparant de tout ce qui a un
rapport quelconque avec la matière. Mais le fait que le mort conserve son
psychisme à travers un corps subtil dont nous avons établi l’existence[1719], ne change rien à la question de la
résurrection de la chair. Nous en avons la preuve dans les évangiles. En voyant
Jésus ressuscité, les disciples crurent voir un fantôme[1720], c’est-à-dire justement un corps
psychique séparé de sa chair. Pour démentir, Jésus se fit toucher d’eux et
mangea avec eux du poisson, ce que ne peut pas faire un fantôme. Quant au fait
de retrouver son corps physique, il est loin d’être inutile pour l’homme
ressuscité, tant au plan de sa perfection naturelle que surnaturelle. Il lui
rend la plénitude de son être et le sens du toucher et du goût adapté aux
choses matérielles faites d’atomes et de molécules. Il permet donc que les élus
reçoivent des joies et des plaisirs jusque dans leur chair. Il leur permet un
contact avec les différents niveaux de l’univers, y compris celui qui est
composé de matière atomique. Pour les damnés, il leur rend la liberté de jouir
physiquement de leur choix, bien que cette liberté ne puisse pas produire en
eux de vrais plaisirs physiques, leur âme et leur esprit étant perpétuellement
dans le malheur.
2. Le ciel ne cessera jamais de subsister
quant à sa substance. Il cessera seulement d’exister quant à sa forme et aux
lois de la corruption qui s’exercent sur les transformations des êtres
terrestres ; c’est ce sens qu’il faut donner à la parole de saint Paul : « La figure de ce monde passe. »
3. À proprement parler, l’âme spirituelle
d’Abraham, même unie à son psychisme mais privée de sa chair n’est pas Abraham,
mais seulement une partie de lui-même ; et ainsi des autres. La vie de son âme
ne suffirait donc pas pour qu’Abraham soit vivant en perfection ou pour que le
Dieu d’Abraham soit le Dieu d’un vivant parfait, c’est-à-dire pleinement
lui-même ; il y faut la vie du composé tout entier, de l’âme et du corps. Cette
vie n’existait pas, à l’état de réalisation, au moment où Jésus prononçait ces
paroles ; elle existait cependant potentiellement dans la réunion à venir de
l’âme et du corps par la résurrection. Ces paroles de Notre Seigneur sont donc
un argument très ingénieux, non moins qu’efficace en faveur de la résurrection.
4. L’âme est unie au corps, non seulement
comme l’agent à l’instrument, mais comme la forme à la matière ; c’est pourquoi
l’opération est du composé, et non de l’âme seule. Or, comme la récompense de
l’œuvre est due à l’ouvrier, c’est l’homme lui-même, composé d’âme et de corps,
qui doit recevoir la récompense de ce qu’il a fait. Les péchés véniels sont
appelés péchés, moins parce qu’ils ont absolument la nature du péché que parce
qu’ils y prédisposent ; de même, les peines du purgatoire sont moins une
punition qu’une purification ; le corps et l’âme sont purifiés séparément le
corps par la mort et la dissolution, l’âme par le feu, l’esprit par l’absence
de Dieu, le psychisme par le désir et la tristesse.
5. Toutes choses égales d’ailleurs, l’état
de l’âme unie au corps est plus parfait, parce qu’elle est une partie d’un tout
et qu’une partie intégrale est faite pour le tout. Ce qui ne l’empêche pas
d’être plus semblable à Dieu, à un certain point de vue. En effet, absolument
parlant, un être ressemble le plus à Dieu, quand il a tout ce qu’exige sa
nature, parce qu’alors il reflète le mieux la divine perfection. L’organe,
qu’on appelle le cœur, est plus semblable à Dieu, qui est immuable, quand il
est en mouvement que lorsqu’il s’arrête, car son mouvement, c’est sa
perfection, son arrêt, c’est sa mort.
6. La mort corporelle est la conséquence du
péché d’Adam qui fut effacé par la mort du Christ elle doit donc disparaître,
elle aussi ; tandis que la mort spirituelle est la conséquence d’un péché dont
on ne s’est pas repenti, et dont on ne pourra plus jamais se repentir, elle est
donc éternelle.
7. Il est parfaitement impossible de
supposer que le corps se transformera en esprit. Il n’y a de passage réciproque
qu’entre des êtres qui sont unis dans la matière. Or il ne peut y avoir
participation commune à la matière entre êtres spirituels et êtres corporels,
les substances spirituelles étant totalement immatérielles. Il est donc
impossible que le corps se transforme en substance spirituelle.
Et
la fausseté de ces opinions est évidente. Notre résurrection est en effet
semblable à la résurrection du Christ, comme l’écrit Paul[1721] : «
Il restaurera notre corps misérable à
la ressemblance de son corps glorieux. » Mais le Christ après sa résurrection
a eu un corps qu’on pouvait toucher, fait de chair et d’os. Au témoignage de
saint Luc[1722], il dit à ses disciples, après sa
résurrection : « Touchez et voyez, un esprit n’a ni chair ni
os comme vous voyez que j’en ai. » Les autres hommes, quand ils
ressusciteront, auront donc des corps que l’on pourra toucher faits de chairs
et d’os. L’âme est unie au corps comme la forme à la matière. Or toute forme
possède une matière déterminée ; il doit y avoir proportion en effet entre
l’acte et la puissance. Mais l’âme étant spécifiquement identique, il semble
qu’elle doive y avoir une matière spécifiquement identique. Le corps sera donc
après la résurrection spécifiquement le même qu’avant. Il devra donc être fait
de chairs, d’os et d’autres éléments semblables.
Objections :
1. La résurrection n’aura lieu qu’à l’heure
du jugement. Mais il est dit dans les Psaumes : « Les impies ne
ressusciteront pas au jugement. » Tous les hommes ne ressusciteront
donc pas.
2. La même conclusion négative semble ressortir
de ce texte de Daniel qui contient une certaine restriction : « Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront. »
3. La résurrection rendra les hommes semblables
au Christ ressuscité ; c’est pourquoi l’Apôtre conclut que, puisque le Christ
est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons. Mais ceux-là seulement doivent
devenir semblables au Christ ressuscité, qui ont porté son image, c’est-à-dire
les bons.
4. La remise de la peine exige la
disparition de la faute. Or, la mort corporelle est la peine du péché originel,
qui n’est pas effacé chez tous les hommes. Tous ne ressusciteront donc pas.
5. C’est par la grâce du Christ que nous
renaissons, et par elle aussi que nous ressusciterons. Mais les enfants qui
meurent dans le sein maternel sont incapables de renaître, donc de ressusciter.
Cependant :
1° Saint Jean écrit : « Tous ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix du Fils de Dieu,
et ceux qui l’auront entendue vivront. »
2° De même, saint Paul : « Nous
ressusciterons tous, etc. »
3° La résurrection est nécessaire pour que les
ressuscités reçoivent la peine ou la récompense qu’ils ont méritée. Or tous en
sont là. Tous doivent donc ressusciter.
Conclusion :
Ce
qui a sa raison d’être dans la nature même d’une espèce doit se retrouver
également en tous ceux qui en font partie. Telle est la raison d’être de la
résurrection, c’est que l’âme séparée du corps est incapable de réaliser la
perfection dernière de l’espèce humaine. Aucune âme ne restera donc
éternellement séparée de son corps. Il est donc nécessaire que tous les hommes
ressuscitent, aussi bien qu’un seul.
Solutions :
1. Il s’agit ici de la résurrection
spirituelle, qui ne sera pas le partage des impies, lorsque les consciences
seront examinées au jugement. On pourrait dire encore qu’il s’agit des impies
tout à fait infidèles, qui ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ « ils sont déjà jugés. »
2. « Beaucoup,
c’est-à-dire, tous », comme l’explique saint Augustin. Cette
manière de parler se rencontre souvent dans l’Écriture.
3. En cette vie, les méchants comme les
bons sont conformes au Christ par l’humanité, mais non par la grâce. Tous aussi
lui seront conformés par la vie naturelle qui sera rendue à tous. Mais les bons
seuls lui ressembleront par la gloire.
4. Ceux qui sont morts avec le péché
originel en ont subi la peine en mourant. Quant à
ce péché lui-même, il leur est remis par la miséricorde de Dieu et à la prière
d’adoption des parents du Ciel qui les accueille. Leur cas n’est donc pas
différent des autres hommes.
5. Nous renaissons par la grâce du Christ
qui nous est donnée ; nous ressuscitons par la grâce qui lui a fait prendre
notre nature et notre ressemblance. Ceux qui meurent dans le sein maternel,
quoique la grâce du Christ ne leur ait pas infusé la vie surnaturelle, du moins
en ce monde, peuvent la recevoir au moment de leur entrée dans l’autre. Et,
puisqu’ils ont la même nature humaine que le Christ, du fait qu’ils possèdent
tous les éléments essentiels de cette nature, ils ressuscitent comme lui.
Objections :
1. « L’universalité, dit saint Damascène,
est le caractère de ce qui est naturel dans les individus qui ont la même
nature. » Or, la résurrection doit
être universelle ; elle est donc naturelle.
2. « Ceux qui ne veulent pas croire
docilement à la résurrection, dit saint Grégoire, devraient en être convaincus
par leur raison. L’univers ne nous montre-t-il pas partout et tous les jours
des images de notre résurrection ? »
Et il cite la lumière, dont la disparition est comme l’impie mort, et le
retour, comme une résurrection ; les arbres, qui ne perdent leur verdure que
pour la voir renaître ; les graines qui pourrissent et meurent, mais ensuite
germent et revivent. Or, la raison ne peut apprendre des phénomènes naturels
rien que de naturel. La résurrection l’est donc aussi.
3. Ce qui n’est pas naturel est l’effet
d’une certaine violence, et ne dure pas. Or, ce que la résurrection aura refait
durera éternellement. Elle est donc naturelle.
4. L’unique fin à laquelle tend la nature
est ce qu’il y a de plus naturel. Mais cette fin, c’est la résurrection et la
glorification des saints, comme le dit saint Paul.
5. La résurrection est un mouvement dont le
terme est la perpétuelle union de l’âme et du corps, et un mouvement est
naturel, quand son terme l’est aussi. Or, la perpétuelle union de l’âme et du
corps est naturelle : l’âme étant faite pour le corps, il est naturel à
celui-ci (l’être toujours vivant par l’âme, comme à l’âme de vivre toujours en
lui). La résurrection sera donc naturelle.
Cependant :
«
De
la privation à la possession, il n’y a pas de retour naturel. » Or, la mort est la privation de la
vie. Donc, la résurrection ou retour à la vie, n’est pas naturelle. D’autre
part, le mode naturel à l’homme, c’est d’être engendré par un autre homme. La
résurrection ne sera donc point naturelle, puisque le procédé sera tout
différent.
Conclusion :
On
peut considérer trois espèces de mouvement ou action dans un être par rapport à
sa nature. 1° Le mouvement ou action
dont la nature n’est ni le principe ni le terme, et qui peut provenir soit d’un
principe surnaturel, comme dans la glorification du corps, soit d’un principe
quelconque, comme dans la pierre lancée en l’air par un mouvement violent et
ayant pour terme un repos qui ne l’est pas moins. 2° Le mouvement dont le principe et le terme sont tous les deux
naturels, telle la pierre qui descend de son propre poids. 3° Le mouvement, dont le terme est naturel, quoique le principe ne
le soit pas ; ce principe est tantôt supérieur à la nature : par exemple, dans
la vue miraculeusement recouvrée, le terme est naturel, mais le miracle ne
l’est pas ; tantôt simplement extérieur, comme dans le forçage des fleurs et
des fruits. En aucun cas, le principe ne saurait être naturel sans que le terme
le soit aussi, parce que les principes naturels sont déterminés à certains
effets, au delà desquels ils sont inopérants.
- Le
mouvement ou action de la première espèce ne peut en aucune façon être dit
naturel, mais miraculeux ou violent. - Celui de la seconde est absolument
naturel. - Celui de la troisième ne l’est que relativement au terme naturel
auquel il aboutit ; par ailleurs, il est miraculeux, artificiel ou violent. Est
« naturel », à proprement parler que "ce qui est selon la nature », c’est-à-dire ce qui possède cette
nature et les propriétés qui en découlent. Donc, à moins d’une restriction, un
mouvement ne peut être dit naturel, s’il n’a pas la nature pour principe.
Quoique
le terme de la résurrection soit naturel, il est impossible que son principe le
soit. La nature, en effet, est « principe de mouvement dans l’être où elle
est » ; principe actif, comme dans le déplacement des corps lourds ou légers,
les changements naturels des corps vivants ; principe passif, comme dans la
génération des corps simples. Le principe passif d’une génération naturelle est
une puissance passive naturelle, à laquelle correspond toujours une puissance
active naturelle aussi, peu importe d’ailleurs, quant à la question présente,
que ce principe actif ait pour objet la perfection dernière, ou seulement une
prédisposition nécessaire, comme pour l’âme humaine, selon la doctrine
catholique ou même pour toutes les formes, selon l’opinion de Platon et
d’Averroès.
Or,
il n’existe aucun principe actif naturel de la résurrection, ni pour unir le
corps et l’âme, ni pour préparer cette union, puisque la seule prédisposition
qui soit naturelle, c’est l’évolution du germe humain. Donc, même en admettant
qu’il y ait dans le corps une certaine puissance passive, une inclination
quelconque à sa réunion avec l’âme, elle serait hors de toute proportion avec
ce qu’exige un mouvement pour être naturel. Dès lors, absolument parlant, la
résurrection est un miracle ; on ne peut l’appeler naturelle que relativement
à son terme, ainsi qu’on l’a expliqué.
Solutions :
1. Saint Damascène parle des caractères
communs à tous les individus et qui ont leur nature pour principe. En effet,
si, par miracle, tous les hommes devenaient blancs ou se trouvaient réunis dans
le même lieu comme au temps du déluge, cela ne ferait ni de la blancheur, ni de
cette localisation, des caractères naturels de l’homme
2. Les phénomènes naturels ne peuvent aller
jusqu’à démontrer ce qui n’est pas naturel, mais ils peuvent servir à en
persuader ; car la nature est comme un symbole du surnaturel, par exemple,
l’union du corps avec l’âme représente l’union de l’âme béatifiée avec Dieu. De
même, les exemples allégués par saint Paul et saint Grégoire servent à nous
persuader de la résurrection qui est un article de foi.
3. Il s’agit ici d’un mouvement dont le
terme est contraire à la nature. Or, il n’en sera point ainsi dans la
résurrection. L’argument ne porte donc pas.
4. L’action de la nature tout entière est
subordonnée à celle de Dieu. Or, de même qu’un art inférieur tend toujours à
une fin que peut seul réaliser l’art supérieur qui achève l’œuvre ou se sert de
l’œuvre déjà achevée, de même, la nature, à elle seule, est impuissante à
réaliser la fin dernière à laquelle elle aspire. La réalisation de cette fin ne
peut donc pas être naturelle.
5. S’il ne peut y avoir de mouvement
naturel qui ait pour terme un repos violent, il peut cependant y avoir un mouvement
qui ne soit pas naturel et qui ait pour terme un repos naturel.
Trois
demandes[1725] :
1° La résurrection du Christ est-elle la
cause de la nôtre ?
2° La voix de la trompette ?
3° Les anges ?
Objections :
1. « Poser la cause, c’est poser l’effet. » Mais la résurrection du Christ n’a
pas été aussitôt suivie de celle des autres hommes. Elle n’est donc pas la cause
de notre résurrection.
2. Un effet exige la préexistence de sa
cause. Or, la résurrection aurait eu lieu même si le Christ n’était pas
ressuscité, car Dieu aurait pu sauver les hommes d’une autre manière. La
résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la nôtre.
3. Un même phénomène, commun à tous les
êtres d’une même espèce, a une seule et même cause. Or, la résurrection est
commune à tous les hommes. Donc, comme celle du Christ n’est pas la cause
d’elle-même, elle ne l’est pas non plus de la résurrection des autres hommes.
4. L’effet doit avoir une certaine
ressemblance avec sa cause. Mais la résurrection des méchants ne ressemblera en
rien à celle du Christ. Elle ne l’aura donc point pour cause.
Cependant :
1° « Dans un genre quelconque, ce qui est
premier est cause de tout le reste. »
Or, la résurrection corporelle du Christ le fait appeler « les prémices
de ceux qui dorment » ; « le
premier-né d’entre les morts. » Sa
résurrection sera donc la cause de celle des autres hommes.
2° La résurrection du Christ a plus de rapport avec notre
résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle ou
justification. Or, la résurrection du Christ est la cause de celle-ci. « Il est ressuscité pour notre justification. » Donc elle est
la cause de celle-là.
Conclusion :
Le
Christ est appelé le Médiateur entre Dieu et les hommes, en vertu de sa nature
humaine ; aussi est-ce par l’entremise de celle-ci que les dons de Dieu
parviennent aux hommes. L’unique remède à la mort spirituelle, c’est la grâce
donnée par Dieu ; l’unique remède à la mort corporelle, c’est la résurrection
opérée par Dieu. Ainsi, de même que le Christ a reçu de Dieu les prémices de la
grâce, et que sa grâce est cause de la nôtre : « C’est de sa plénitude que
nous avons tous reçu, et grâce sur grâce » ; de même, le Christ est
le premier ressuscité et sa résurrection est cause de la nôtre. Comme Dieu, il
en est la cause, pour ainsi dire, équivoque ; comme Dieu-homme ressuscité, il
en est la cause prochaine et, en quelque sorte, univoque.
La cause efficiente univoque produit un
effet dont la forme est semblable à la sienne. Mais il faut distinguer. En
certains cas, la forme même, par laquelle l’effet ressemble à sa cause, est le
principe direct de l’action productrice de l’effet telle la chaleur du feu. En
d’autres, ce n’est pas cette forme elle-même, mais les principes dont elle est
issue : par exemple, si un homme blanc engendre un homme blanc, la blancheur
n’est pas le principe actif, mais on peut dire néanmoins qu’elle est la cause
de ce caractère, parce que c’est en vertu des principes par lesquels il est
blanc que le père engendre un fils qui l’est aussi.
C’est
de cette manière que la résurrection du Christ est cause de la nôtre. Ce qui a
ressuscité le Christ, cause efficiente univoque de notre résurrection, nous
ressuscitera également, et c’est la puissance divine qu’il partage avec son
Père : « Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre
les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels. »
La résurrection même du Christ, Homme-Dieu,
est pour ainsi dire, la cause instrumentale de la nôtre. En effet, le Christ
agissait divinement en usant de son corps comme d’un instrument : saint
Damascène en donne comme exemple le lépreux que Jésus guérit en le touchant.
Solutions :
1. Une
cause suffisante produit aussitôt son effet direct et immédiat ; mais il en va
autrement de l’effet dont un intermédiaire la sépare : par exemple, la chaleur,
si intense soit-elle, ne se communique pas tout d’un coup, mais peu à peu, en
faisant passer l’objet du froid au chaud, parce que son moyen d’action, c’est
le mouvement. La résurrection du Christ ne cause pas la nôtre directement, mais
moyennant le principe qui l’a causée elle-même, c’est-à-dire, la puissance
divine, qui nous ressuscitera comme elle a ressuscité le Christ. La puissance
divine elle-même agit toujours par le moyen de la volonté divine, qui est en
rapport immédiat avec l’effet à produire. La résurrection des hommes ne devait
donc pas suivre sans délai celle du Christ, mais elle la suivra à l’heure
marquée par la volonté de Dieu
2. La puissance divine ne dépend pas de
telles ou telles causes secondes au point de ne pouvoir produire leurs effets
sans elles ou au moyen d’autres causes. Elle pourrait, par exemple, entretenir
la vie sur la terre indépendamment des influences célestes, qui, cependant,
selon l’ordre providentiel, en sont la cause normale. De même, la divine
Providence a voulu que, dans le plan choisi par elle pour l’humanité, la
résurrection du Christ fût la cause de la nôtre. Elle aurait pu choisir un
autre plan, et alors, la cause de notre résurrection eût été celle que Dieu lui
aurait assignée.
3. Cet argument suppose des êtres de même
espèce, ayant tous le même rapport avec la cause première de tel effet auquel
l’espèce tout entière doit participer. Il n’en est pas de même ici. L’humanité
du Christ est plus proche que la nôtre de la divinité dont la puissance est la
cause première de la vie. La résurrection du Christ a donc pour cause immédiate
la divinité, qui n’est cause de la nôtre que par l’intermédiaire du Christ
ressuscité.
4. La résurrection de tous les hommes aura
une certaine ressemblance avec celle du Christ par la vie naturelle, que tous
partagèrent avec lui et que tous retrouveront pour ne plus la perdre. Mais les
saints, qui ressemblèrent au Christ par la grâce, lui ressembleront aussi par
la gloire
Objections :
1. « Croyez, dit saint Damascène, que la
résurrection aura pour causes la volonté, la puissance, l’intelligence divines. » Ces causes étant suffisantes, il n’y
a pas lieu d’en ajouter une autre.
2. À quoi bon la voix de la trompette,
puisque les morts sont incapables de l’entendre ?
3. Si une voix est cause de la
résurrection, cela ne peut être qu’en raison d’une puissance qu’elle a reçue de
Dieu : « Il donnera à sa voix la puissance », dit le Psaume ; et la
Glose ajoute : « de ressusciter les morts. » Mais lorsqu’une puissance est
donnée à un être, même par miracle, l’acte qui s’ensuit n’en est pas moins
naturel ; par exemple, la vision de l’aveugle-né est naturelle, quoiqu’il ait
recouvré la vue par un miracle. La résurrection serait donc naturelle ; ce qui
est faux.
Cependant :
1° « Au son de la trompette divine, écrit saint Paul, le Seigneur
lui-même descendra du Ciel, et ceux qui sont morts clans le Christ
ressusciteront d’abord. »
2° « Ceux qui sont dans les tombeaux, dit saint Jean, entendront la voix
du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. » Or, cette voix,
le Maître des Sentences l’appelle une trompette.
Conclusion :
La
cause doit être, d’une manière ou d’une autre, jointe à son effet : le moteur
et le mobile, l’ouvrier et l’œuvre, sont ensemble, dit Aristote. Or, le Christ
ressuscité est la cause univoque de notre résurrection. Il faut donc qu’il
l’opère par quelque signe sensible.
Certains
disent que ce signe sera la voix même du Christ commandant la résurrection,
comme « il commanda à la mer et calma la tempête. »
D’autres
disent que ce sera l’apparition du Fils de Dieu dans le monde : « Comme
l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en sera-t-il de
l’avènement du Fils de l’homme. » Ils s’appuient sur l’autorité de
saint Grégoire, d’après lequel le son de la trompette signifie simplement la
manifestation du Fils de Dieu comme juge. Cette apparition est appelée sa
"voix" en tant qu’elle aura la puissance d’un commandement ; car
aussitôt la nature entière s’empressera de refaire les corps des hommes. Aussi l’Apôtre,
quand il décrit l’avènement du Christ, parle-t-il d’un « ordre donné. »
Cette
voix, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est appelée parfois « un cri », comme
celui du héraut qui cite à comparaître. - Ailleurs elle est appelée le son de « la trompette », soit à cause de son éclat, soit par comparaison avec ce qui se
passait sous l’Ancien Testament : la trompette annonçait l’assemblée, excitait
au combat, conviait aux fêtes ; de même, les réssuscités seront convoqués au
grand conseil du jugement, au combat que "l’univers livrera aux insensés », à la célébration de la fête
éternelle.
Solutions :
1. Saint Damascène mentionne trois choses :
la volonté divine qui commande, la puissance qui exécute, la facilité de
l’exécution qu’il exprime par le mot « signe », par une comparaison
empruntée aux actions humaines. Une chose semble facile, quand une parole
suffit pour qu’elle soit faite ; mais, combien plus, lorsque, sans même ouvrir
la bouche, au premier signe de notre volonté, celle-ci est exécutée par ceux
qui eu sont chargés. Le signe fait par nous est cause de l’exécution, parce que
c’est l’expression de notre volonté. Le signe fait par Dieu, dont l’exécution
sera la résurrection, sera le signal donné par lui, auquel toute la nature
obéira eu réssuscitant les morts. Ce signal est identique à « la voix de
la trompette », comme on le voit par ce qui a été dit.
2. Il en sera de cette voix, quelle qu’elle
soit, comme des paroles qui sont la forme des sacrements et qui ont le pouvoir
de sanctifier, non parce qu’elles sont entendues, mais parce qu’elles sont
proférées ; De même encore, la voix réveille le dormeur par le mouvement de
l’air dont elle frappe son oreille et non par la connaissance qu’il en a,
puisque celle-ci suit le réveil et n’en est donc pas la cause.
3. Cet argument porterait si la puissance
donnée à cette voix était venait de son propre être achevé, car alors ce qui
viendrait d’elle aurait pour principe une puissance devenue naturelle. Mais il
n’en sera pas ainsi, et la puissance qu’elle aura sera semblable à celle des
paroles sacramentelles.
Objections :
1. La résurrection est l’œuvre d’une
puissance plus grande que la génération. Or, en celle-ci, l’âme est unie au
corps sans le ministère des anges. Il en sera donc de même pour la
résurrection.
2. Si certains anges devaient y coopérer,
ce seraient les Vertus, qui ont pour fonction d’opérer les miracles. Or,
mention est faite des Archanges. C’est donc qu’aucune coopération ne sera
requise.
Cependant :
«
Le Seigneur descendra du Ciel à la
voix de l’Archange, et les morts ressusciteront. »
Conclusion :
«
De
même, dit saint Augustin, que les corps plus grossiers et inférieurs sont
régis, d’après certaines lois, par ceux qui sont plus subtils et plus
puissants, de même Dieu gouverne tous les corps par les esprits cloués de la
vie raisonnable. » Saint Grégoire dit
aussi quelque chose de semblable. D’où il suit que Dieu se sert du ministère
des anges pour tout ce qui regarde le monde matériel. Or, la résurrection
comporte quelque chose de matériel, à savoir, la préparation de la matière
destinée à la reconstruction des corps humains. Dieu en chargera ses anges.
Mais c’est sans leur ministère qu’il réunira à leurs corps les âmes que lui
seul aussi a créées, et qu’il glorifiera les corps comme lui seul glorifie les
âmes. C’est à ce ministère angélique que certains appliquent le mot « voix », d’après le Maître des Sentences.
Solutions :
1. Elle vient d’être donnée.
2. C’est
surtout l’archange saint Michel qui remplira ce ministère, lui qui est le
prince de l’Église ; après l’avoir été de la synagogue, comme le dit Daniel.
Mais il agira sous l’influence des Vertus et des Ordres angéliques supérieurs.
De même, les anges gardiens coopéreront à la résurrection de ceux qui leur
étaient confiés. Cette voix peut donc être dite celle d’un ange ou de
plusieurs.
Il
s’agit maintenant du temps et du mode de la résurrection.
Trois
demandes[1726] :
1° La résurrection doit-elle être différée
jusqu’à la fin du monde ?
2° Doit-elle avoir lieu immédiatement après
le retour du Christ ?
3° En un instant ?
Objections :
1. Il y a une plus grande harmonie entre la
cause et les effets qu’entre les effets eux-mêmes, comme aussi entre la tête et
les membres qu’entre les membres eux-mêmes. Or, le Christ, tête de l’humanité,
n’a pas différé sa résurrection jusqu’à la fin du monde. Donc les saints qui
meurent avant cette date doivent faire de même.
2. La résurrection du Christ est la cause
de la nôtre. Or, certains membres, plus unis au chef, sont ressuscités sans
délai ; on croit que ce privilège fut accordé à la Sainte Vierge. On peut donc
croire aussi que la promptitude de la résurrection dépend de la conformité au
Christ par la grâce et le mérite.
3. L’état du Nouveau Testament est plus
parfait, représente mieux l’image du Christ, que celui de l’Ancien Testament.
Or, plusieurs saints, morts avant le Christ, sont ressuscités en même temps que
lui : « Plusieurs saints, qui dormaient dans leurs tombeaux, ressuscitèrent. » À plus forte raison, les saints du
Nouveau Testament doivent donc ressusciter sans attendre la fin du monde.
4. Après la fin du monde, il n’y aura plus
d’années. Mais il doit y en avoir un grand nombre entre la résurrection des
premiers ressuscités et celle des autres : «
Je vis les âmes de ceux qui avaient
été décapités à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu... Ils
eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans ; mais les autres
morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans furent écoulés. » Tous
les morts n’attendront donc pas la fin du monde pour ressusciter ensemble.
5. « À propos de cette résurrection immédiate
on s’est demandé[1727] si on peut l’admettre, étant donné que
l’Écriture parle d’une résurrection finale ; d’autre part l’Écriture ne conçoit
pas la vie d’une âme séparée. On émet donc l’hypothèse que l’homme qui meurt
participe à la vie du corps ressuscité du Christ. Cette hypothèse du Père
Benoît est profonde et tend à coïncider avec l’affirmation de la résurrection
immédiate. En effet, ce qui subsiste dans l’éternité c’est la plénitude du
corps du Christ unifié par l’Esprit du Père. Dès que l’homme communie à ce
corps, il vit par l’Esprit ; dès qu’il entre, par sa mort, en communion plus
plénière avec ce corps, on peut dire qu’il est vraiment ressuscité, participant
de la vie pascale de Jésus. Dans cette perspective, le dogme de l’assomption
assume une signification typologique exceptionnelle : la vierge Marie est le
type de tous ceux qui se sont endormis dans le Christ pour vivre aussitôt après
dans la plénitude de sa vie. L’attente ne se porterait donc pas sur la
résurrection du corps, mais sur le renouvellement cosmique, achèvement de
l’œuvre du Père par son Fils dans l’Esprit. Mais si cette thèse, que l’on
reprendra à propos de la résurrection de la chair (c. 7), reste au niveau de la
recherche, elle peut néanmoins corriger ce qui est trop humain dans la position
qu’affirme l’immortalité naturelle. Dans celle-ci, la créature paraît atteindre
la vie d’une façon presque autonome. Il faudra alors rappeler que même
l’immortalité n’est qu’un don purement gratuit de la part de Dieu. Si Dieu nous
a voulus capables de vaincre la mort, c’est justement parce qu’il nous a crées
pour nous associer a sa vie à jamais. »[1728]
Cependant :
1° « L’homme, dit Job, ne se réveillera pas tant
que subsistera le Ciel, on ne le fera pas sortir de son sommeil. » Or, le Ciel doit subsister jusqu’à la
fin du monde.
2° « Tous les saints que leur foi a rendus
recommandables n’ont pas obtenu l’objet de la promesse », c’est-à-dire, la béatitude complète de
l’âme et du corps, « parce que Dieu nous a fait une condition
meilleure pour qu’ils n’obtinssent pas sans nous la perfection du bonheur », qui
consistera, ajoute la Glose, « dans
l’accroissement de la joie de chacun des élus par celle de tous les autres. » Mais la glorification du corps aura
lieu en même temps que leur résurrection : c’est alors que « le Christ
transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux
» ; c’est alors que « les fils de la résurrection seront comme les
anges de Dieu dans le Ciel. » Tous les hommes doivent donc
ressusciter ensemble, à la fin du monde.
Conclusion :
Lors
de sa passion, le Christ a sauvé l’homme tout entier, selon qu’il est corps et
âme. Et l’on peut distinguer deux manières dont cette rédemption est appliquée
à l’homme :
1° Selon qu’il participe à la nature
humaine, en le libérant de la faute originelle et de ses conséquences comme la
maladie et la mort.
2° Selon qu’il est une personne
individuellement appelée au salut, en ouvrant à chacun les portes du Ciel.
Il
convenait sous ces deux aspects que la pleine réalisation de ce salut soit
différée et ne soit pas communiquée à l’homme aussitôt après la résurrection du
Christ. En ce qui concerne chaque personne humaine prise en particulier, la
vision de l’essence divine n’est communiquée qu’au terme d’une vie terrestre
éprouvante et d’un purgatoire dont la finalité est de libérer l’âme de ses
péchés. Et ce gouvernement de Dieu sur l’homme est convenable puisqu’il permet
à beaucoup d’être sauvés. En ce qui concerne la nature humaine le péché
originel a été effacé dès l’achèvement de la passion du Christ dont les fruits
sont communiqués à chacun par le bain du baptême mais les conséquences de ce
péché ne devaient pas disparaître avant la fin du monde. Ces conséquences sont
principalement le désordre qui règne dans la nature humaine et dans l’univers
matériel qui, originellement, étaient parfaitement en harmonie. Ce désordre qui
manifeste à l’homme son impuissance et sa condition de créature, évite à
beaucoup le péché de l’orgueil et dispose à l’humilité et au désir de Dieu.
Il
convient que la dernière conséquence du péché originel, à savoir la mort, soit
détruite d’un seul coup, au dernier jour, lorsque Dieu ressuscitera nos corps
et transformera l’univers en un monde nouveau et cela pour trois raisons :
1° Parce que le monde passager et son
désordre n’auront plus aucune utilité au bien de l’homme après le retour du
Christ.
2° Parce que la gloire de Dieu et son salut
en seront manifestés d’une façon digne du rédempteur qui sera exalté dans la
mesure même ou il a été abaissé lors de sa passion. Selon Isaïe[1729] : «
Les lieux accidentés se changent en
plaine et les escarpements en large vallée. Alors la gloire de Yahvé se
révèlera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a parlé. »
Selon saint Augustin, la gloire de Dieu consiste dans le salut de
l’homme.
3° Parce que la puissance du démon sur la
nature humaine sera elle-même devenue inutile. Dieu la permettait pour le bien
de l’âme dont la droiture en était éprouvée dans le temps de la vie terrestre.
En conséquence cette puissance du mal, devra être détruite complètement selon
Isaïe[1730] : «
Comment a fini le tyran, a fini son
arrogance lui qui frappait de coups les peuples avec emportement et sans
relâche ? Il s’est couché, on ne monte plus pour nous abattre. »
Solutions :
1. Entre la tête et les membres, une plus
grande harmonie qu’entre les membres eux-mêmes est nécessaire pour qu’elle
agisse sur eux, par contre, la causalité quelle exerce sur les membres, qui ne
l’exercent pas les uns sur les autres, rend ceux-ci différents de la tête et
ressemblants entre eux ; d’où il suit que la résurrection du Christ, et on ne
peut le dire d’aucune autre, est comme le type de notre résurrection ; Et la
foi au Christ ressuscité nous donne l’espoir de ressusciter nous-mêmes. Sa
résurrection devait donc précéder celle des autres hommes, qui ressusciteront
ensemble à la fin du monde.
2. Certains membres du Christ peuvent être
plus dignes, plus conformes à celui qui est la tête, mais sans partager ni son
titre ni son influence. Leur conformité au Christ ne leur donne donc aucun
droit à une résurrection anticipée et typique. Si ce privilège a été accordé à
quelques-uns, c’est seulement par une grâce toute spéciale.
3. Saint Jérôme hésite, à ce sujet, entre
une résurrection temporaire, comme celle de Lazare destinée simplement à leur
permettre de rendre témoignage au Christ ressuscité, et une résurrection
définitive, suivie d’une « ascension
en corps et en âme à la suite du Christ montant aux cieux. » Cette seconde alternative paraît plus probable. Une vraie
résurrection semble mieux en harmonie avec un vrai témoignage au Christ
vraiment ressuscité. D’ailleurs, ce n’est point à cause d’eux-mêmes que leur
résurrection fut aussi prompte, mais afin de témoigner de celle du Christ et
fonder ainsi la foi du Nouveau Testament. Il convenait donc mieux aussi que ces
ressuscités fussent des justes de l’Ancien Testament. Il faut ajouter que si
l’Évangile mentionne leur résurrection avant celle du Christ, c’est par une
anticipation dont les historiens sont coutumiers. De fait, personne n’est
définitivement ressuscité avant le Christ, «
prémices de ceux qui dorment du
dernier sommeil » ; quoiqu’il y ait eu des résurrections temporaires
comme celle de Lazare.
4. Comme saint Augustin le rapporte,
certains hérétiques prirent occasion de ces paroles pour admettre que certains
doivent ressusciter avant les autres et régner mille ans sur la terre avec le
Christ : de là, leur nom de Chiliastes ou de Millénaristes. Il montre donc
qu’il faut les interpréter autrement et les entendre de la résurrection
spirituelle par laquelle les pécheurs recouvrent la vie de la grâce. La seconde
résurrection sera celle des corps. « Le
royaume du Christ », c’est l’Église,
dans laquelle règnent avec lui non seulement les martyrs, mais tous les élus, « une partie étant prise ici pour le
tout. » - Ou encore, s’il s’agit du
royaume glorieux du Christ, les martyrs sont spécialement nommés, « parce que ceux-là surtout règnent
après leur mort qui ont combattu jusqu’a la mort pour la vérité. » Le mot "millénaire" ne
signifie point un nombre déterminé, mais désigne tout le temps qui s’écoule
maintenant, et pendant lequel, maintenant, les saints règnent avec le Christ.
Le nombre mille désigne l’universalité mieux que le nombre cent : cent, c’est
le carré de dix ; mais mille, c’est un nombre achevé, le produit de dix
multiplié deux fois par lui-même, dix fois dix dizaines. Les Psaumes emploient
ce mot dans le même sens : « La parole que Dieu a affirmée pour mille
générations », c’est-à-dire, pour toutes.
5. Cette hypothèse méconnaît la différence
entre l’être et l’amour. Notre union au Christ après notre mort sera une union
d’amour. Dès cette terre, pour signifier ce que réalise la charité, le Christ
nous compare à son corps dont nous ne faisons, par analogie avec l’unité vitale
qui est celle du corps, partie à titre de membres. Mais cette analogie ne
prétend pas dire autre chose que cette profondeur mystique de la grâce. Nous
expérimentons qu’au plan de notre être, nous sommes créés par Dieu de telle
façon que nous continuons d’exister avec ou sans la charité. Notre existence
est naturelle, même si elle est déjà un don gratuit de Dieu. De même, après la
mort, la survie et l’exercice des activités spirituelles de notre âme seront
naturels. Il est inutile de poser une quelconque intervention supplémentaire du
Christ pour expliquer la survie des âmes, voulue par Dieu de par la nature de
sa création. Les objections modernes à cette survie viennent d’une phobie du
risque de dualisme âme-corps, phobie démontée largement par le Cardinal
Ratzinger[1731]. C’est pourquoi les âmes de l’enfer,
pourtant séparées tant au plan de l’amour que de la présence du corps physique
du Christ, survivent et choisissent à chaque instant leur destin sans amour.
Cette
hypothèse n’est pas raisonnable au plan métaphysique puisqu’elle donne au corps
du Christ un rôle qui n’est pas le sien, à travers une compénétration des
essences très opposée à l’autonomie ontologique voulue par Dieu pour chacune de
ses créatures spirituelles ; D’autre part, elle rend inutile la résurrection
finale et son caractère très concret, démontré par Jésus lors de ses
apparitions au lac de Tibériade. Elle en arrive en fait à confondre fusion
(donc au plan de l’être) et union (d’amour). Par contre, si elle est
réinterprétée pour les âmes des élus comme une participation d’ordre amoureuse
comparable à l’unité harmonieuse du corps et de ses membres, elle retrouve un
sens acceptable : acceptable seulement car ce n’est pas au corps du Christ que
nous participerons mais à la Trinité tout entière, Père, Verbe fait chair et
Saint Esprit.
Objections :
1. Cela ne semble pas. Après le retour du
Christ certains seront encore au purgatoire où ils n’auront pas fini leur
temps. Il est nécessaire que la résurrection soit différée jusqu’à ce qu’ils
soient complètement purifiés.
2. Ce qui est ignoré des anges l’est aussi,
et à plus forte raison, des hommes ; car ce que ceux-ci peuvent découvrir par
leur raison, les anges en ont une connaissance naturelle beaucoup plus nette et
certaine. D’autre part, s’il s’agit de révélations, elles sont faites aux
hommes par le ministère des anges. Or, « quant au jour et à l’heure, nul ne les
connaît, pas même les anges du Ciel. »
3. Plus que tous les autres, les apôtres
furent mis dans les secrets de Dieu, eux qui, selon saint Paul, « eurent
les prémices de l’Esprit », c’est-à-dire, explique la Glose, qu’ils
l’eurent « avant les autres et
en plus grande abondance. » Cependant
à leur question Jésus fit cette réponse : «
Ce n’est pas à vous de connaître les
temps et les moments que le l’ère a fixés de sa propre autorité. »
4. Si déjà la philosophie et la médecine
nous montrent la difficulté d’admettre que l’activité de l’âme puisse se
poursuivre après la mort sans le corps physique, nous ne voyons pas de raison
pour penser, d’un point de vue théologique, à un retard jusqu’à la fin de ce
monde, avant que la personne puisse se réaliser dans la vie du Christ. Rien
n’empêche la Toute Puissance divine d’opérer la résurrection au moment même de
la mort. Nous arrivons alors à cette analogie : de même que le Christ-Tête
ressuscite pleinement dans sa personne, ainsi l’âme de chaque individu au
moment de sa mort communie à la Tête, recevant d’elle sa corporéité, se relie
comme membre d’une façon nouvelle à l’humanité de Jésus, médiation
irremplaçable pour le contact plénier avec Dieu ; cette insertion implique donc
la reconstitution immédiate de la corporéité personnelle qui met à la personne
d’épanouir sa vie dans le pneuma du Ressuscité.[1732]
Cependant :
Saint
Paul dit[1733] : «
Le Seigneur descendra du Ciel et les
morts qui sont dans le Christ ressusciteront en premier lieu ; après quoi nous
les vivants, nous qui serons encore là, nous serons réunis à eux et emportés
sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs. » Donc la
résurrection suivra immédiatement le retour du Christ.
Conclusion :
Comme
nous l’avons montré, la résurrection des corps est différée chez les élus comme
chez les damnés pour que la gloire de Dieu soit manifestée d’un seul coup dans
l’humanité à la fin du monde. Or cette fin du monde terrestre sera inaugurée
par le retour du Christ. Après cette venue, quand tous les hommes auront été
jugés individuellement, il n’y aura plus à attendre aucun évènement dans le
monde terrestre qui sera devenu inutile. Tous les hommes dont Dieu avait prévu la
naissance seront arrivés au terme de leur épreuve. Il n’y aura donc plus aucun
obstacle à ce que la résurrection soit réalisée immédiatement. En conséquence,
on doit dire que cet évènement suivra immédiatement le retour du Christ.
Solutions :
1. Le purgatoire n’est pas un temps
extérieur comparable à celui de la terre. Il est plutôt une souffrance dont la
durée intérieure, subjective, est liée à une impression de longueur, jusqu’au
désespoir. Ce temps paraît à l’âme d’autant plus long qu’elle désire Dieu. Dieu
peut donc faire subir à une âme toute sa purification en quelques instants
terrestres, qui paraîtront avoir duré à l’âme plusieurs siècles tant elle aura
souffert de l’absence de Dieu.
2. Cette objection s’applique à la date du
retour du Christ que personne ne connaît. En effet, selon saint Augustin : « Le dernier âge de l’humanité qui
s’étend de l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde, comprendra un
nombre de générations qu’on ne saurait déterminer » ; de même que le dernier âge de l’homme, la vieillesse, n’a
point de limites aussi fixes que les autres, mais parfois, à lui seul, « dure autant que tous les autres
ensemble. » Il n’y a, en effet, que
deux moyens de connaître l’avenir : la raison ou la Révélation. Or, la raison
est impuissante à supputer le temps qui doit s’écouler jusqu’à la résurrection,
celle-ci devant coïncider avec l’arrêt du mouvement du ciel par l’action
volontaire de Dieu. C’est par le mouvement que la raison peut calculer et aussi
prévoir, pour un temps déterminé, ce qui doit arriver. Or, le mouvement du
ciel, pris en lui-même, ne permet pas d’en connaître le terme, qui dépend de
Dieu seul ; car ce mouvement est circulaire, et donc de telle nature qu’il
puisse durer plusieurs milliards d’années. Tandis que l’action de Dieu vise le
bien de l’homme et est libre.
D’autre
part, aucune révélation n’est faite à ce sujet, afin que tous les hommes se
tiennent toujours prêts à paraître devant le Souverain Juge. Aux apôtres qui
l’interrogeaient Jésus répondit : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps
et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. » « Par
cette parole, dit saint Augustin, il coupe, pour ainsi dire, les doigts à tous
1es calculateurs et leur ordonne de se tenir tranquilles. Ce qu’il a refusé de révéler à ses apôtres qui le lui demandaient,
il ne le révélera à personne. »
C’est
pourquoi tous ceux qui jusqu’ici ont voulu calculer se sont trompés. « Les
uns, dit saint Augustin, parlent de quatre cents, d’autres de cinq cents, et
même de mille ans, à partir de l’ascension du Seigneur jusqu’à son dernier
avènement. » Leur erreur est
flagrante, telle sera toujours celle de leurs imitateurs.
Mais,
si l’on ne connaît pas la date de la fin du monde qui sera marquée par le
retour du Christ, on sait par contre que cette venue sera suivie immédiatement
par deux évènements : 1° La
résurrection des corps et la transformation du monde ; 2° le jugement général de l’humanité.
3. Lorsque le Christ sera revenu dans sa
gloire accompagné des saints et des anges, chacun saura avec certitude que la
résurrection est imminente. Ainsi, ce ne seront pas seulement les apôtres qui
seront dans le secret de Dieu mais tous les hommes.
4. Nous avons déjà répondu à cette
hypothèse[1734]. Rappelons seulement que l’humanité du
Christ est médiatrice irremplaçable pour le cœur à cœur avec Dieu tel que nous
pouvons le réaliser ici-bas. En
effet, il n’existe pas d’autre Médiateur de la grâce si ce n’est à travers lui.
Cependant, dans la vision béatifique,
nous verrons cette fois sa divinité face à face, sans l’intermédiaire de son
humanité qui nous sera plutôt rendue visible par sa divinité[1735]. C’est pourquoi, dit saint Paul, le
Christ remettra toute Royauté à son Père, c’est-à-dire à la Sainte Trinité tout
entière. Cette objection confond donc la vie surnaturelle du cheminement
d’ici-bas avec celle du Ciel.
Objections :
1. Le prophète
Ezéchiel la décrit
ainsi : « Les os se rapprochèrent les uns des autres ; et je vis : voici que des
muscles et de la chair avaient crû au-dessus d’eux, et qu’une peau les
recouvrait, mais il n’y avait point d’esprit en eux. » La
résurrection ne sera donc point instantanée, puisque les corps devront être
refaits avant que les âmes leur soient réunies.
2. Ce qui exige plusieurs actions
successives ne peut être instantané. Or, la résurrection en exige trois : la
collection de la matière, la reconstruction du corps, l’infusion de l’âme.
3. Le son est toujours mesuré par le temps.
Or, le son de la trompette sera cause de la résurrection.
4. Aucun mouvement local n’est instantané.
La préparation de la matière ne peut donc pas l’être, et pas davantage la
résurrection :
Cependant
:
1° « Nous ressusciterons tous, écrit saint Paul, en un instant, en un clin
d’œil. »
2° L’action d’une
puissance infinie est instantanée. Or, «
croyez, dit saint Damascène, que la résurrection sera l’œuvre de la
puissance divine », qui est infinie.
Conclusion
:
Dans la résurrection, certaines choses
–la réunion matérielle des éléments du corps charnel- seront confiées au
ministère des anges ; d’autres –la résurrection elle-même- seront réservées à
la toute-puissance divine. Les premières ne seront pas faites en un instant, au
sens philosophique du mot, à savoir en un temps indivisible, mais en un temps imperceptible. La seconde chose
–c’est-à-dire la réunion entre l’âme et son corps- sera instantanée. Cela
signifie qu’elle sera accomplie par Dieu à l’instant même où les anges auront
achevé leur œuvre préparatoire. L’activité inférieure reçoit, en effet, de
l’activité supérieure sa dernière perfection.
Solutions
:
1. Ezéchiel s’adressait à un peuple
grossier ; aussi a-t-il décrit l’une après l’autre les phases de la
résurrection, quoique tout doive être fait en un temps imperceptible. C’est la
même façon de parler que Moïse qui, pour se rendre intelligible au même peuple,
avait divisé en six jours la création du monde, alors qu’il a de fait été fait
en plusieurs ères géologiques.
2. Ces opérations sont successives, si l’on
regarde leur nature, mais elles ne le sont pas au point de vue du temps soit
qu’elles aient lieu au même instant, soit que, à l’instant même où l’une
s’achève, l’autre soit faite.
3. Il en est ici comme des paroles sacramentelles
: c’est au dernier instant que l’effet se produit.
4. La collection de la matière qui exige le
mouvement local, sera faite par les anges, mais en un temps imperceptible, à
cause de la facilité d’action qui est leur privilège.
Deux
demandes[1737] :
1° Certains hommes n’auront-ils pas à
ressusciter parce qu’ils ne mourront pas ?
2° L’homme doit-il nécessairement
ressusciter à partir de ses cendres ou n’importe quelle autre matière peut-elle
convenir ?
Objections :
1. C’est contre tous ceux qui naissent avec
le péché originel qu’a été portée la sentence : « Tu es poussière et tu
retourneras en poussière. » Or, tous ceux qui doivent ressusciter au
dernier jour, sont nés, nés vivants ou mort-nés, avec le péché originel. Tous
doivent donc ressusciter après être morts.
2. Le corps humain contient de nombreux
éléments étrangers à la vraie nature humaine. Or, tous ces éléments doivent
disparaître. Il faudra donc que tous les corps soient réduits en cendres.
3. La sainte Écriture, qui enseigne la
résurrection des corps, enseigne aussi « leur reformation. » Or, de même que tous les hommes
doivent mourir afin de pouvoir vraiment ressusciter, de même tous les corps
doivent être dissous afin de pouvoir être refaits. De plus, la justice divine
n’a pas seulement infligé à l’homme la peine de mort, mais encore la
dissolution de son corps : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière.
» De son coté, l’ordre naturel exige non seulement la séparation de
l’âme et du corps mais encore la dissociation des éléments dont celui-ci est
composé : le vinaigre ne peut redevenir vin qu’après une décomposition
radicale.
Cependant :
À la
fin du monde, certains seront trouvés vivants et ne mourront pas d’après saint
Paul[1738] : «
Nous ne mourrons pas tous. » Donc
ceux là ne ressusciteront pas de leurs cendres.
Conclusion :
Les
mêmes raisons qui démontrent que certains hommes ne doivent pas mourir avant de
ressusciter, démontrent aussi que certains ne ressusciteront pas mais seront
simplement transformés dans leur manière d’être. Cependant, pour ceux qui
seront morts lors du retour du Christ, on doit affirmer qu’ils ressusciteront à
partir de la matière de la terre.
Solutions :
1. Par exception, la dernière génération de
l’humanité échappera à la mort, manifestant par là la victoire totale réalisée
par le Christ à la croix et qui a détruit non seulement le péché mais aussi ses
conséquences.
2. Un effet peut être obtenu par des
actions différentes. Ainsi peut-on aller à Rome en passant par plusieurs
routes. De même, la transformation du corps de l’homme en un corps impassible
peut provenir de la résurrection des corps à partir d’une matière minérale, pourquoi
pas à partir des cendres du cadavre comme semble l’indiquer la tradition
antique du culte des reliques ou de la transformation qualitative pour ceux qui
seront trouvés en vie.
3. En stricte justice, l’homme qui naît en
état de péché originel mérite non seulement la mort pour son corps mais aussi
la séparation éternelle d’avec Dieu puisqu’il s’en est sépare en Adam. Mais la
justice de Dieu est finalisée par un plus grand salut pour tous. C’est pourquoi
il libère chaque homme du péché originel par le baptême issu de la rédemption
de son fils. De même, il libérera certains hommes de l’exigence de la mort, à
la fin du monde, en l’honneur de la victoire opérée par le Christ et manifestée
par son retour.
Objections :
1. La pratique liturgique de l’Église a
été, dès les temps apostoliques, de conserver pieusement les reliques en vue de
leur résurrection future. Si ces restes du corps des saints ne devaient pas
ressusciter, ce serait toute la tradition la plus profonde de l’Église qui
aurait failli.
2. Si Dieu n’utilise pas les cendres du
corps décomposé, l’homme ne retrouvera pas à la résurrection son propre corps,
mais un autre, ce qui s’oppose à la foi.
3. Le Christ est le modèle de notre
résurrection. Or c’est la matière de son cadavre qui a été utilisée pour
ressusciter. Donc il en sera de même pour nous.
Cependant :
Il
est facile, à partir d’arguments de la simple raison, de prouver que Dieu
n’utilise pas nécessairement les cendres du cadavre.
1° Au cours de sa vie, le corps humain
renouvelle sans cesse sa matière. Si toute cette matière devait ressusciter,
les corps pèseraient plusieurs tonnes.
2° Le corps humain peut être décomposé en
ses éléments ou devenir la chair d’autres animaux. Or les éléments sont
homogènes. La chair du lion ou de tout autre animal l’est aussi. Puisque, ni
dans celle-ci, ni dans ceux-là, il n’y a d’inclination naturelle à une âme
déterminée, il n’y en a donc pas non plus dans le corps après sa dissolution.
3° À toute inclination naturelle correspond
un agent naturel, autrement, « la
nature ferait défaut dans une chose nécessaire. » Or, il n’existe aucune puissance naturelle capable de réunir des
cendres à l’âme qui les animait. Donc il n’y a pas en elles d’inclination
naturelle pour cette âme.
Conclusion :
Le
terme de cendres est employé dans la tradition chrétienne en référence à des
pratiques plus anciennes. On donne le nom de cendres à tout ce qui reste du
corps humain après sa dissolution pour deux raisons :
1° C’était une coutume générale, chez
certains peuples de l’Antiquité, de brûler les cadavres et d’en conserver les
cendres. D’où l’emploi de ce mot pour désigner les restes des mortels.
2° Ce qui rend nécessaire cette
dissolution, c’est le foyer
de convoitise dont le corps humain est infecté tout entier et qui exige une
purification non moins radicale, puisque celle-ci est due à un foyer, le nom de
cendres convient donc bien à son résidu, à ce qui reste du corps humain après
sa décomposition.
Les
anciens des diverses civilisations ont eu trois opinions au sujet du rapport
entre l’âme et les cendres de la décomposition de son cadavre.
1° Pour les Égyptiens anciens, le corps
humain ne devait jamais être réduit à ses premiers éléments car il restait
toujours dans les momies une certaine force de cohésion qui leur donnait non
seulement une inclination naturelle pour l’âme qui fut la leur –ils croyaient
comme les chrétiens à la résurrection de la chair-, mais qui en outre
permettait par sa force à l’âme de ne pas se décomposer elle-même. De là venait
leur volonté de conserver intacte la forme des cadavres et la pire des
vengeances consistait à détruire une momie. Cette opinion, comme d’ailleurs
celle des témoins de Jéhovah qui disent que l’âme est le sang de l’homme, est
facilement battue en brèche par la simple étude philosophique de la nature de
l’âme humaine. L’âme ne peut dépendre dans sa survie de l’état du corps car
elle est d’une nature différente. « Etant
douée d’actes qui dépassent la matière, elle est nécessairement au delà de
toute matière », dit Aristote. De
même, si l’on objecte que c’est la partie psychique –le Kâ des anciens
égyptiens- que l’âme spirituelle emmène avec elle qui ne peut subsister qu’en
s’appuyant sur la matière du corps, il faut répondre que c’est impossible. Si
le psychisme est capable de survivre et de s’exercer avec une nouvelle
plénitude dans les heures qui suivent la mort alors que l’organe du cerveau est
déjà irrémédiablement détruit, c’est qu’il trouve sa force ailleurs,
c’est-à-dire dans l’âme elle-même.
2° La seconde opinion prétend que les
éléments résultant de la décomposition du corps humain, ayant été unis à une
âme humaine, en gardent plus d’énergie et, par conséquent une certaine
inclination à lui être réunis. C’est une opinion de nouveau mise à la mode dans
les courants du Nouvel Age. On en retrouve les principes dans l’homéopathie qui
attribue à la matière minérale une "mémoire" de son passé. Cette
théorie est loin d’être démontrée. En tout état de cause, si une telle
inclination existe, elle ne peut être que très faible. Elle ne peut pas
justifier la nécessité pour Dieu d’utiliser pour la résurrection exclusivement
les cendres du cadavre. On peut le découvrir à la simple observation de la
puissance de l’âme humaine telle que nous l’observons ici-bas. Au cours de la
vie, elle est capable d’unir dans un seul être une matière, puis une autre et
de renouveler sans cesse sa matière.
3° La troisième opinion n’admet dans les
cendres humaines, aucune inclination naturelle à ressusciter, mais seulement
une loi providentielle en vertu de laquelle elles seront réunies à l’âme de
préférence aux autres éléments. C’est cette opinion qui est la vraie. C’est
pourquoi on doit dire qu’à la résurrection, Dieu utilisera indifféremment telle
ou telle matière pour rendre à l’homme son vrai corps, car ce qui fait que tel
corps est le sien, ce n’est pas l’identité des atomes, mais leur organisation vitale
par l’âme.
Solutions :
1. Il est convenable que certains restes
qui ont été matière du corps humain soient plus particulièrement utilisés par
Dieu lors de la résurrection. C’est en effet cette matière qui a été
instrumentalement utilisée pour la vie humaine terrestre. Elle a été utile à
l’homme dans l’épreuve. Il convient qu’elle lui soit utile dans l’obtention de
sa fin. C’est pourquoi la coutume générale de l’Église vénère les reliques des
saints qu’elle considère comme des signes de leur future résurrection. Mais il
ne s’agit pas d’une nécessité venant de la matière elle-même, mais d’un acte
volontaire de Dieu qui, parfois, se plaît à honorer matériellement la chair de
ses amis. Ainsi permet-il aussi de manière exceptionnelle, à titre de
témoignage d’une particulière pureté du corps, la conservation miraculeuse du
cadavre de certains saints.
2. De même que le corps enfant et le corps
devenu adulte sont parfaitement le corps de tel homme alors qu’ils ne possèdent
parfois plus un seul atome en commun, de même pour la résurrection. En effet,
l’identité du corps vient de deux choses : 1°
De l’âme qui est sa forme et qui lui donne d’être ; 2° Du chiffre biologique transmis par les parents et qui détermine
la matière. Ainsi, pour ressusciter identique, le corps n’a pas besoin
d’assumer les atomes lui ayant un jour appartenu, ce qui serait impossible vu
la quantité de matière que nous assimilons au cours d’une vie et ce qui élimine
définitivement toute question comme celle du cannibalisme etc.
3. Le Christ est ressuscité de son propre
cadavre. Cela n’était pas nécessaire pour qu’il soit vraiment ressuscité mais
pour que nous croyions en sa résurrection.
A l’argument cependant :
Dieu
ne se sert pas nécessairement des cendres. Cela ne signifie pas qu’il les méprises
toutes. Ce n’est pas par nécessité mais par respect pour le corps que Dieu
utilise une certaine partie de la matière qui, jadis, a composé le corps.
Il
s’agit maintenant de l’état des ressuscités : tous les hommes ressusciteront,
qu’ils soient bons ou mauvais. Tous les caractères corporels seront communs aux
bons et aux mauvais, à commencer par l’identité, l’intégrité, la qualité. C’est
ce que nous considérerons dans un premier temps.
Mais
certains caractères s’exerceront de manière différente dans le corps des élus :
l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté. Nous les verrons dans un
deuxième temps, comparant leur exercice dans le corps ressuscité des élus et
dans celui des damnés.
Au
sujet du premier, on demande[1740] :
1° L’âme reprendra-t-elle le même corps ?
2° L’homme ressuscité sera t-il le même
avant et après la résurrection ?
Objections :
1. Saint Paul semble nier cette identité
dans la comparaison qu’il emploie à ce sujet : « Ce que tu sèmes, ce n’est
pas le corps qui sera un jour, c’est un simple grain. »
2. Toute forme exige une matière, et tout
agent, un instrument, en harmonie avec leur commune condition ; le corps est,
par rapport à l’âme, matière et instrument. Or, après la résurrection, l’âme ne
sera plus la même, mais ou toute céleste ou toute animale, selon la vie qu’elle
aura menée ici-bas. Elle devra donc reprendre un corps, qui, comme elle, ne
soit plus le même.
3. La mort résout le corps humain en ses
éléments, qui, dès lors, n’ont plus rien de commun avec lui que leur caractère
de matière première, caractère qu’ils partagent avec tous les autres principes
matériels. Le corps humain refait avec les éléments qui lui ont appartenu n’est
donc pas plus identique à lui-même que s’il était refait avec des éléments
quelconques.
4. Il est impossible qu’une chose soit la
même quand ses parties essentielles ne sont plus les mêmes. Or, la forme du
composé humain ne peut pas se retrouver la même. Donc le corps humain ne sera
plus le même. –La mineure se prouve ainsi : Ce qui tombe dans le néant ne peut
en sortir identique à lui-même ; en effet, il en va de l’existence, qui est
l’acte de l’être, comme de tout autre acte : s’il est interrompu, c’est un acte
nouveau et différent qui lui succède. Or la forme du composé humain, étant
corporelle, est réduite à néant par la mort, comme aussi les qualités
contraires qui entrent en composition. La forme qui réparait n’est donc pas
identique à la première.
5. L’opinion du Cardinal Gouyon est la
suivante[1742] : «
Le comment de cette résurrection que l’Église a dès les premiers temps
intégré à son Credo reste un mystère. On peut penser toutefois à en
approcher. Au cours de notre vie, ce qui fait le caractère personnel de notre
corps, ce ne sont ni ses tissus ni ses cellules qui sont en perpétuel
renouvellement, mais sa relation à son histoire et ses relations au monde
inscrites au plus profond de la partie spirituelle de notre être. Notre corps
ressuscité devra se trouver ajusté à ces empreintes en même temps qu’au monde
des hommes et des choses que nous retrouverons lui-même transformé. » Donc pour ressusciter semblable, il
suffit de retrouver ses souvenirs et relations, pas l’identité de sa chair.
Cependant :
1° « Dans ma chair je verrai Dieu, mon Sauveur. » Ainsi s’exprime Job[1743] ; et il parle de la vision qui suivra
la résurrection[1744] : «
Au dernier jour, je me relèverai de
terre. » C’est donc bien le même corps qui ressuscitera.
2° « La résurrection, c’est le relèvement de
ce qui est tombé » dit saint
Damascène. Or, ce qui tombe par la mort, c’est le corps que nous avons
maintenant. C’est donc bien lui aussi, le même, qui ressuscitera.
Conclusion :
Certains
philosophes admettaient la réunion de l’âme et du corps, mais ils commettaient
deux erreurs. La première portait sur le mode de réunion qui, d’après
quelques-uns, n’était autre que la voie ordinaire de génération. La seconde
portait sur le corps repris par l’âme qu’ils prétendaient n’être pas le même,
mais un autre : soit d’une espèce différente (hindouisme), corps de l’animal,
chien, lion, etc., auquel l’âme avait ressemblé par ses mœurs bestiales ; soit
de la même espèce (bouddhisme), un corps humain auquel, après avoir vécu
moralement ici-bas et après des siècles de félicité posthume, l’âme désirerait
être réunie et le serait.
Cette
opinion suppose deux principes également faux. 1° Dans ces hypothèses, l’âme n’est pas unie au corps
essentiellement, comme la forme l’est à la matière, mais accidentellement comme
le moteur l’est au mobile ou l’homme au vêtement Dès lors, on peut regarder
l’âme comme préexistant au corps, avant que la génération ait rendu possible
son union avec lui ; comme capable aussi de s’unir à différents corps. 2° Dans ces hypothèses, il n’y a entre
l’intelligence et la sensibilité qu’une différence de degré : le privilège de
l’intelligence attribué à l’homme signifie simplement une sensibilité plus
excellente résultant d’un organisme parfait. Une âme humaine pourrait donc
passer dans le corps d’un animal, surtout si elle en a vécu la vie (opinion
évolutionniste moderne). - Mais Aristote, dans son Traité de l’âme, a montré la fausseté de ces deux principes, et,
par conséquent, de l’opinion qui repose sur eux.
Certains
hérétiques ont partagé les mêmes erreurs philosophiques et sont donc réfutés,
eux aussi. -D’autres, parmi lesquels un évêque de Constantinople cité par saint
Grégoire, ont prétendu que les âmes seraient unies à des corps célestes ou à
des corps subtils comme l’air. - D’ailleurs, toutes les affirmations de ces
hérétiques sont erronées parce qu’elles sont incompatibles avec une vraie
résurrection telle que l’Écriture l’enseigne. Il ne peut y avoir résurrection
que si l’âme reprend le même corps : ressusciter, c’est se relever ; c’est
celui-là même qui est tombé qui doit se relever. La résurrection concerne donc
le corps qui tombe par la mort plutôt que l’âme qui continue de vivre. Dès
lors, si l’âme ne reprend pas le même corps, il ne s’agit plus de résurrection,
mais de son union avec un nouveau corps.
Solutions :
1. Une comparaison est toujours imparfaite.
Le grain qui sort de terre n’est pas le même que celui qui y fut jeté : il ne
lui est pas non plus semblable, puisqu'il a des feuilles que l’autre n’avait
point. Le corps ressuscité sera bien le même corps, mais transformé ; non plus
mortel, mais devenu immortel.
2. Après la résurrection, l’âme ne sera pas
essentiellement différente de ce qu’elle était ici-bas ; elle sera glorieuse ou
malheureuse, ce qui ne constitue qu’une différence accidentelle. Il n’est donc
pas nécessaire qu’elle soit unie à un corps nouveau ; il suffit qu’elle soit
réunie au même corps, mais transformé, de façon qu’il s’harmonise avec l’âme.
3. Ce qui est essentiel pour que le corps
de l’homme soit le même après la résurrection, ce n’est pas que la matière qui
le compose soit matériellement la même. Cela est d’ailleurs impossible car, au
cours de la vie humaine, la matière qui compose le corps humain se renouvelle
sans cesse, au point que si le corps glorieux devait assumer tous les éléments
matériels qui ont à un moment donné fait partie du corps humain, ses dimensions
seraient énormes. Ainsi, l’identité du corps humain se prend non de la matière
mais de la forme. Et cette forme est substantiellement l’âme elle-même ;
en second lieu elle est la forme du corps, c’est-à-dire l’organisation intime
que l’âme assume au moment de la conception par les parents. Cette forme
organique ne subsiste dans son organisation que par la vertu de l’âme. À la
mort, elle se décompose avec le corps.
Ceci
posé, pour comprendre de quelle manière la résurrection permet à l’âme
d’assumer le vrai corps de l’homme, il suffit d’affirmer deux choses : 1° Il faut que la forme substantielle
soit la même. Il faut donc que ce soit la même âme. D’ailleurs, l’âme ne peut
en aucune manière assumer un autre corps que le sien puisqu’elle est créée par
Dieu en vue de tel corps préparé par les parents dans l’acte de génération. 2° Il faut en outre que l’âme soit unie
au même corps. C’est pourquoi, puisque ce qui commande au plan physique tout
l’ordre de cette structure organique est le programme génétique, c’est que
celui-ci est reconstitué par Dieu et ses serviteurs les anges. Celle-ci est
source de la même structure organique : deux bras, deux jambes etc.
4. De même que la qualité simple n’est pas
la forme substantielle de l’élément ou corps simple, mais sa propriété et la
disposition qui rend la matière apte à telle forme, de même la forme qui
résulte de l’équilibre des qualités simples n’est pas la forme substantielle du
corps composé, mais une propriété et une disposition à la forme substantielle.
Celle-ci, pour le corps humain, est l’âme raisonnable elle-même. En effet, si
l’on admettait une forme substantielle préalable, elle donnerait au corps
humain son être substantiel, en ferait une substance ; et l’âme ne jouerait
plus vis-à-vis de lui que le rôle d’une forme artificielle et son union avec
lui ne serait plus qu’accidentelle, ce qui est l`erreur des anciens philosophes
réfutée par Aristote, dans son Traité de
l’âme. Il s’ensuivrait aussi que les termes qui désignent le corps et ses
divers organes pendant et après leur union avec l’âme, ne seraient plus de purs
homonymes, comme le dit cependant Aristote. Donc, du moment que l’âme
raisonnable subsiste, aucune forme substantielle du corps humain ne tombe dans
le néant. Quant aux formes accidentelles, elles peuvent varier dans une
certaine mesure sans compromettre l’identité foncière. Ainsi, s’il est nécessaire
pour que le corps ressuscité soit le même, que sa racine qui est son
organisation biologique profonde soit la même, il n’est pas nécessaire qu’il
existe sous le mode biologique actuel.
5. Notre âme, notre esprit et les acquis de
notre histoire qui sont gardés dans notre mémoire sensible font notre personne
dans sa partie la plus essentielle puisqu’elle choisit notre destin éternel.
C’est pourquoi, tout cela est conservé et non détruit avec la mort. Nous avons
montré que Dieu a créé l’âme de telle manière qu’elle permette la survie non
seulement de l’esprit mais de la vie sensible, malgré la mort du corps et de
l’organe du cerveau. C’est pourquoi il n’y a pas de résurrection du psychisme
mais seulement de la chair[1745], c’est-à-dire de la partie végétative
de notre être, qui cependant ne gardera plus dans l’autre monde un mode de vie
végétative. C’est donc le corps, dans son identité et non dans son mode
d’exercice qui doit ressusciter. L’identité de notre corps vient de l’âme, mais
d’une manière cependant insuffisante : il existe un support fondamental qui
demeure toujours, depuis notre conception à notre mort et dont certains
éléments essentiels constituent notre individualité. C’est pourquoi, selon mon
opinion, ce qui dans notre chiffre biologique est essentiel à notre individuel
ressuscitera, doté cependant d’un nouveau mode de stabilité qui ne sera plus
biologique mais porté par l’âme spirituelle.
Objections :
1. « Dans une nature incorruptible sujette au
changement, ce n’est jamais le même individu qui reparaît », dit Aristote. Or, telle est la condition présente de l’homme.
Donc, après le changement apporté par la mort, ce n’est pas le même homme qui
revivra.
2. Avec deux humanités différentes, il est
impossible d’avoir le même homme. Socrate et Platon ne sont pas un seul et même
homme mais deux hommes, parce que leur humanité est différente. Or, l’humanité
de l’homme vivant et celle de l’homme ressuscité sont différentes. Donc ce
n’est pas le même homme. - Deux arguments prouvent la mineure. 1° l’humanité, forme du composé humain,
n’est pas, comme l’âme, une forme substantielle ; elle tombe donc dans le
néant, et c’est une autre qui lui succédera. 2° L’humanité résulte de l’union des parties qui composent l’homme.
Or, cette union sera nouvelle, ce sera une seconde union, donc pas la même, ni
la même humanité, ni le même homme.
3. Pour que l’homme soit le même, il faut
que l’animal, en lui, soit le même, et, pour cela, il faut que la sensibilité
soit la même, puisque l’animal se définit par la sensibilité tactile. Or, les
sens ne demeurant pas dans l’âme séparée, ce ne sera donc pas la même
sensibilité qui reparaîtra ni le même animal, ni le même homme.
4. La matière de la statue est plus
importante dans la statue que celle de l’homme dans l’homme puisque les êtres
artificiels sont substance par leur matière, tandis que les êtres naturels le
sont par leur forme. Mais, si une statue est refaite avec le même airain, ce n’est
plus la même statue. Donc, à plus forte raison, même si l’homme est refait avec
les mêmes cendres, ce ne sera plus le même homme.
Cependant :
1° Job, parlant de la vision qui suivra la
résurrection, dit[1747]: «
Moi-même je le verrai, moi-même et non un autre. » L’homme ressuscité sera
donc bien le même.
2° « Ressusciter, dit saint Augustin, ce
n’est pas autre chose que revivre. »
Mais, si ce n’était pas le même homme qui était mort et qui revient à la vie,
on ne pourrait pas dire qu’il revit. Il n’y aurait donc pas de résurrection :
ce qui est contraire à la foi.
Conclusion :
La
résurrection est nécessaire pour que l’homme atteigne sa fin dernière, qu’il ne peut
atteindre ni en cette vie ni par la survivance de l’âme et du psychisme seuls.
En effet, l’homme aurait été créé avec un corps charnel en vain, s’il lui était
impossible d’atteindre la fin pour laquelle il a été créé. La même raison exige
que ce soit le même homme qui atteigne la fin pour laquelle il a été fait. Il
faut donc que l’homme ressuscité soit le même, et il sera le même par la
réunion de la même âme au même corps. Il n’y aurait pas vraiment résurrection,
si l’homme qui revit n’était pas le même. Nier cette identité est donc
hérétique, parce que contraire à la vérité de l’Écriture qui enseigne la
résurrection.
Solutions
:
1. Aristote
parle de la réapparition causée par un mouvement ou changement naturel. En
effet, il montre la différence qui existe entre le mouvement de translation qui
ramène le ciel, identique à son point de départ, et le mouvement de génération
qui, dans les êtres corruptibles, ramène la même espèce, mais dans des
individus différents l’homme, par exemple, engendre un homme, mais différent
de lui-même ; ou encore, le feu engendre l’air, qui devient eau, qui devient
terre, qui devient feu, mais un feu différent du premier. Cet argument est donc
étranger à la question.
On pourrait dire encore que, parmi toutes les
formes des êtres corruptibles, l’âme raisonnable seule subsiste par soi :
l’être qu’elle avait inauguré dans le corps charnel, elle le conserve après sa
séparation d’avec le corps charnel, et y fera participer le corps charnel à la
résurrection ; puisque, dans l’homme, l’âme et le corps n’ont qu’un seul être,
autrement, leur union serait accidentelle. L’être substantiel de l’homme ne
subit donc jamais cette interruption qui empêcherait l’identité humaine avant
et après elle ; tandis que l’interruption de l’être est complète dans les
autres choses, dont la forme est abolie et dont la matière passe à un autre
être.
Ajoutons que la génération humaine ne saurait
aboutir à l’identité numérique. Le père, en effet, contribue seulement à former
un nouveau corps, qui possède sa matière à lui, son âme à lui, et constitue
donc un autre homme.
2. Au
sujet de l’humanité, forme du composé humain, et de toute forme d’un composé
quelconque, il y a deux opinions. Les uns disent que la même réalité est forme
de la partie, en achevant sa matière, et forme du tout, en lui donnant sa
nature spécifique. D’après cette opinion, la réalité qui correspond à
l’humanité, c’est l’âme raisonnable elle-même ; et comme l’homme ressuscité
aura la même âme, il aura donc aussi la même humanité. - L’opinion d’Avicenne
est différente et semble plus vraie. D’après lui, la forme du composé ne peut
être ni celle d’une seule partie, ni une forme qui ne soit pas celle d’une
partie ; mais c’est un tout, résultant de l’union de la forme avec la matière
et comprenant l’une et l’autre. Dès lors, puisque le ressuscité aura la même
âme et le même corps, il aura donc la même humanité. - L’argument supposait
que l’humanité était une forme nouvelle, surajoutée à la forme et à la matière
: ce qui est faux.
La seconde preuve de la mineure n’est pas
plus concluante. L’union (de l’âme et du corps) désigne une action ou passion ;
mais le fait que celle-ci n’est pas la même n’empêche pas que l’humanité ne le
soit. En effet, cette action ou passion ne fait pas partie de l’essence de
l’humanité qui résulte d’elle. La génération et la résurrection ne sont
évidemment pas un seul et même mouvement, ce qui n’empêche pas le ressuscité
d’être le même. Verra-t-on dans l’union la relation même entre le corps et
l’âme ? Mais cette relation ne constitue pas l’humanité, elle l’accompagne.
L’humanité, en effet, n’est pas la forme d’un être artificiel, qui consiste
simplement dans l’assemblage et l’ordonnance, lesquels, en se renouvelant, font
un être nouveau, par exemple, une nouvelle maison.
3. Nous
avons vu que les puissances et les actes des puissances sensibles demeurent
dans l’âme séparée. Mais même s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de
difficulté pour dire que l’homme ressuscité serait le même. En effet, dans
l’homme, l’âme sensitive et l’âme raisonnable ne sont pas deux âmes distinctes
mais deux effets de la seule âme. Après la mort, l’âme sensitive humaine
demeure substantiellement, comme l’âme raisonnable elle-même. Certains
n’admettent pas que les puissances sensitives demeurent. Mais, puisqu’elles ne
sont que des propriétés accidentelles, leur défaut d’identité ne porte aucun
préjudice à l’identité de l’animal considéré dans son ensemble ni même à celle
de ses parties organiques les puissances, en effet, ne sont des perfections ou
actes des organes que comme principes d’action, comme la chaleur dans le feu.
4. Tout au
long de la vie terrestre, la matière qui compose le corps de l’homme ne cesse
de changer et d’être remplacée par une autre matière assimilée par nutrition.
Or c’est le même homme qui vit lorsqu’il a cinq ans ou lorsqu’il a trente ans.
Ceci manifeste que même si, lors de la résurrection, Dieu utilise une autre
matière que les cendres issues de la décomposition, il peut donner à l’homme
un corps substantiellement identique. C’est pourquoi l’on doit concéder avec
l’objection, que les êtres naturels sont substantiellement les mêmes par leur
forme.
L’identité du corps se prend davantage de
la forme que de la matière. Il n’est pas requis pour que le corps soit le même,
qu’il reprenne exactement les mêmes éléments matériels qui ont jadis servi. Si
Dieu se sert de certains éléments recueillis parmi les cendres du corps
décomposé, c’est uniquement pour une raison de convenance afin que l’identité
du corps ressuscité soit clairement manifestée à tous. Par contre,
l’utilisation d’une matière préexistante pour façonner le corps ressuscité est
absolument nécessaire puisqu’il s’agit d’un corps matériel et non d’un corps
spirituel ou même psychique comme le pensaient certains qui interprétaient mal
les écrits de saint Paul. C’est pour nous éviter cette erreur que Jésus s’est
non seulement laissé voir par ses disciples mais aussi toucher par Thomas ; il
a mangé avec eux pour leur montrer que son corps quoique doué de nouvelles
propriétés mystérieuses était un véritable corps matériel.
Nous avons à étudier maintenant l’intégrité
du corps ressuscité. On se demande[1749] :
1° Tous
les membres du corps humain ressusciteront-ils ?
2° Tout ce qui, dans le corps de l’homme
fut vraiment humain ressuscitera-t-il ?
Objections :
1. La
disparition de la fin entraîne celle du moyen. Or, la fin des membres, c’est
leur acte. Dès
lors, certains actes n’ayant plus à être produits, les membres qui leur
correspondent ne ressusciteront donc pas, puisque la providence ne fait rien
d’inutile. Ainsi doit-il en être des organes de la vie végétative, reproduction
et nutrition.
2. Le corps doit ressusciter afin d’être
récompensé ou puni pour le bien ou le mal que l’âme accomplit par lui. Mais, la
main coupée à un voleur, repentant ensuite et sauvé, ne peut être ni
récompensée du bien auquel elle n’a pas coopéré, ni punie du mal qu’elle a fait
et dont la punition atteindrait l’homme lui-même. Tous les membres ne
ressusciteront donc pas.
Cependant :
«
Les œuvres de Dieu sont parfaites.
» Or
la résurrection sera l’œuvre de Dieu. L’homme en sortira donc parfait en tous
ses membres.
Conclusion :
L’âme
dans ses relations avec le corps, n’est pas seulement cause formelle et finale,
mais encore cause efficiente. Il y a donc entre elle et lui les mêmes rapports
qu’entre l’art et l’œuvre d’art : tout ce que celle-ci manifeste et développe,
celui-là le contient en germe et en est le principe. De même, tout ce qui se révèle
dans les parties du corps a son origine dans l’âme, qui le possède, pour ainsi
dire, implicitement. L’œuvre d’art serait imparfaite, s’il lui manquait quelque
détail que l’art avait prévu ; L’homme, lui aussi ne saurait être parfait si
toute la virtualité de l’âme ne s’épanouissait pas dans le corps, s’il n’y
avait pas pleine correspondance entre l’un et l’autre. Dès lors, comme la
résurrection doit établir ce parfait accord, le corps ne devant ressusciter que
parce qu’il est fait pour l’âme raisonnable, il faut donc que rien ne manque à
l’homme ressuscité et qui ressuscite pour atteindre sa perfection suprême ; il
faut donc que tous les membres qu’il possède actuellement ressuscitent avec
lui.
Solutions :
1. Les membres peuvent être considérés
comme la matière dont l’âme est la forme ou comme l’instrument dont elle se
sert ; la comparaison est, en effet, la même entre le corps tout entier et
l’âme tout entière qu’entre les parties de l’un et celles de l’autre. Considéré
comme matière, la fin d’un membre n’est pas l’opération, mais plutôt la
perfection spécifique, que la résurrection doit respecter. Considéré comme
instrument, sa fin, c’est l’opération. Mais, même alors, quand l’opération
cesse, il ne s’ensuit pas que l’instrument perde toute utilité, car il peut
servir à manifester, sinon l’activité, du moins la puissance d’agir. Ainsi, les
puissances de l’âme dont l’énergie, sinon l’activité, se manifestera par les
organes corporels, comme une louange à la Sagesse du Créateur.
2. À proprement parler, les actes
méritoires n’appartiennent ni à la main ni au pied mais à l’homme tout entier ;
de même que l’œuvre d’art n’est pas attribuée à la scie mais à l’ouvrier, comme
à son principe. C’est donc l’homme tout entier qui ressuscite, tel qu’il est
dans sa nature spirituelle, psychique et corporelle.
Objections :
1. Les aliments, par l’assimilation,
deviennent quelque chose de vraiment humain. Or, la chair du bœuf sert
d’alimentation. Elle devrait donc ressusciter.
2. Les mêmes éléments peuvent avoir
vraiment appartenu à différents corps humains, par exemple, dans le cas
d’anthropophagie. Il est cependant impossible qu’ils se retrouvent en chacun
d’eux, après la résurrection.
3. Comment résoudre les deux cas vraiment
étranges, et d’ailleurs purement hypothétiques, de l’enfant dont le père se
serait nourri exclusivement de chair humaine ou, qui pis est d’embryons humains
?
4. Le corps humain n’est pas le fruit de
son seul patrimoine génétique. Il est aussi le fruit d’une histoire, d’une
éducation et d’actes libres posés au cours d’une vie. C’est pourquoi des
jumeaux homozygotes peuvent devenir physiquement très différents.
Cependant :
S’il
manquait au corps quelque chose, qui, en lui, appartient vraiment à la nature
humaine, il serait imparfait. Or, la résurrection doit, au contraire, remédier
à toutes les imperfections, surtout dans les élus : « Pas un cheveu de votre tête
ne se perdra », dit Jésus.
Conclusion :
Toute
chose est vraie dans la mesure où elle est être. En effet, une chose est vraie
quand elle est en elle-même, en acte, telle qu’elle est en celui qui la
connaît. Ce qui fait dire à Avicenne : « La
vérité de toute chose est une propriété de son être, tel qu’il lui a été fixé. » Dès lors, une chose est vraiment
humaine, appartient à la vérité de la nature humaine, quand elle appartient
proprement à l’être de la nature humaine, quand elle participe à la forme de la
nature humaine : de l’or vrai, c’est celui qui possède la vraie forme de l’or,
qui lui donne de posséder l’être propre à l’or.
La
question reste de savoir ce qui appartient vraiment à la nature du corps
humain. La science montre que dès le premier instant de la conception, tout ce
qui appartient vraiment et essentiellement au corps de l’enfant est communiqué
par les parents. Ainsi, le chiffre biologique du nouvel homme conçu, porté dans
ses gènes, contient en germe tout ce que sera son corps par la suite. Ce
principe matériel se multiplie par lui-même, par division cellulaire pour
aboutir, par étapes, à l’être humain adulte. En conséquence, la matière
apportée par la nutrition et qui sert à la croissance et à la conservation du
corps ajoute quelque chose qui n’est pas premièrement humain, (et qui consiste
dans le chiffre biologique de chacun) mais quelque chose de secondairement
humain. Cette matière surajoutée ne demeure pas identique à elle-même durant
toute la vie mais elle est soumise à un flux constant quant à ce qu’elle a de matériel.
En conséquence, on doit dire ceci à propos de la résurrection qui doit rétablir
le corps humain selon ce qu’il est substantiellement :
1° Il est essentiel que le principe
constitutif de l’individu corporel, communiqué par les parents et qui amène
par multiplication le corps à sa perfection, ressuscite. C’est pourquoi on doit
affirmer que l’homme retrouvera son corps selon son chiffre biologique
individuel. Il faut cependant remarquer que tout, dans le domaine génétique n’a
pas le même rapport à l’essence du corps humain réalisée dans un être
individuel. On doit trouver une distinction dans les gènes.
Certains
gènes déterminent des fonctions essentielles, communes à tous les hommes, donc
liés à la définition même de l’homme, comme par exemple le développement d’un
organe ou d’un membre. Ces gènes là demeurent.
D’autres
sont communs à tous les hommes mais uniquement de manière provisoire, compte
tenu de l’étape terrestre de la purification. Ainsi, la nécessité de mourir est
programmée d’après l’Écriture à 120 ans. Le renouvellement des cellules est
déterminé à se ralentir en proportion de l’âge. De tels gènes ne seront plus
actifs. Leur utilité ne sera plus.
D’autres
gènes déterminent la qualité propre à tel individu, ce qui le distingue des
autres hommes qui portent la même nature. Par exemple, la couleur des yeux, la
forme du visage, les racines de son tempérament et toutes ces qualités
accidentelles qui font une personne unique. Ceux-là aussi doivent être
refaçonnés puisqu’ils appartiennent en propre à l’individu.
D’autres
enfin sont liés à des erreurs et des dégradations de la nature humaine au cours
des générations. Il s’agit des mutations génétiques dues au hasard de la
division cellulaire et qui affectent le patrimoine héréditaire transmis aux enfants.
Elles ne demeureront pas. Il leur sera apporté remède par Dieu lors de la
résurrection de telle façon qu’il ne subsiste dans l’au-delà aucune tare
génétique. Tous les handicaps génétiques disparaîtront.
2° Le corps humain se développe et se
renouvelle grâce à la nutrition qui lui apporte chaque jour une certaine
quantité de matière. Ces éléments qu’il doit à la
nutrition ne ressusciteront pas en totalité, étant
secondaires, mais dans la mesure nécessaire à la quantité qu’il doit avoir.
Ils ressusciteront pour former toutes les parties de l’individu, la chair, les
os et tous les autres tissus propres au corps humain, dont le Seigneur a
clairement montré la présence à ses disciples après sa propre résurrection. Car
la chair et les os appartiennent vraiment et également à la nature humaine,
quant à leur forme spécifique, car, à ce point de vue, elles demeurent, mais
non quant à leur matière, car, à ce point de vue, elles sont soumises au changement.
Il en est du corps humain comme d’une cité. Certains citoyens, enlevés par la
mort, sont remplacés par d’autres, de telle sorte que les individus changent
individuellement, mais demeurent formellement, en ce sens que les mêmes fonctions
et les mêmes places, laissées vides par les uns, sont occupées par d’autres, et
la société conserve son unité et son identité. De même, des parties semblables
se substituent à d’autres dans le corps humain. Les éléments matériels
changent, mais la forme spécifique demeure et l’on a donc toujours
identiquement le même homme.
Solutions
:
1. Les êtres sont ce qu’ils sont par leur
forme et non par leur matière. Quand les éléments matériels, qui furent d’abord
dans le bœuf et ensuite dans l’homme, ressusciteront en celui-ci, ce ne sera
pas de la chair bovine mais de la chair humaine qui ressuscitera. On pourrait
tout aussi bien conclure à la résurrection du limon, c’est-à-dire sans doute de
la nature animal préexistante, dont fut formé le corps d’Adam.
2. La matérialité de l’élément n’est pas
essentielle pour que ressuscite le vrai corps de chacun. Ce qui est essentiel,
c’est que la forme génétique de chacun soit rendue dans ses aspects
fondamentaux. La question est donc sans objet.
3. Le premier et deuxième cas ont été
résolus par ce qui a été dit. Quant au cas de l’enfant atteint de mongolisme ou
de toute autre tare génétique aussi grave, il semble que l’on doive dire ceci :
ou bien le chromosome supplémentaire ne fait pas partie essentiellement de sa
nature corporelle et dans ce cas il ne ressuscitera pas. Ou bien -et cela
paraît théologiquement plus probable- il en fait partie et, dans ce cas, il
ressuscitera ; Mais ce caractère anormal ne nuira en aucune manière à son
bonheur puisque la vision de Dieu est donnée à l’âme et non au corps. Quant à
la présence au Ciel de ces êtres qui si souvent ont été méprisés et rejetés sur
la terre, elle manifestera à quel point est vraie cette parole de l’Écriture[1751] : «
Béni sois-tu, Père, Seigneur du Ciel
et de la terre, d’avoir caché ceci aux sages et aux savants et de l’avoir
révélé aux tout-petits. »
C’est
ce que Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus exprimait par ces mots[1752] : «
Longtemps, je me suis demandé pourquoi
le Bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas
un égal degré de grâce. Je m’étonnais en le voyant prodiguer des faveurs
extraordinaires aux saints qui l’avaient offensé comme saint Paul, saint
Augustin (…) Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple,
mouraient en grand nombre avant d’avoir même entendu prononcer le nom de Dieu.
Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de
la nature et j’ai compris que toute les fleurs qu’il a créées sont belles, que
l’éclat de la rose et la blancheur du lys n’enlèvent pas le parfum de la petite
violette ; (…) J’ai compris que l’amour de Notre Seigneur se révèle aussi bien
dans l’âme la plus simple qui ne résiste en rien à sa grâce que dans l’âme la
plus sublime. En descendant ainsi, le Seigneur montre sa grandeur infinie. »
4. Nous traitons dans cette question du
retour de la chair, c’est-à-dire de la partie végétative de l’homme, celle qui
a subi la mort. Les autres choses citées façonnent certes l’individualité du
corps humain. Mais ils n’ont pas à ressusciter puisqu’ils sont conservés
intacts après la mort par l’âme. Nous avons montré que l’esprit et le corps
psychique ne disparaissaient pas avec le corps charnel[1753]. À la résurrection, ils assumeront
naturellement le corps rendu parfait et lui donneront cette individualité dont
parle l’objection. C’est ainsi que, dans l’hypothèse, de deux jumeaux
homozygotes, dont l’un aurait choisi l’enfer et l’autre la vision de Dieu, le
corps prendra une individualité très différente. Il sera rendu aussi parfait à
l’un qu’à l’autre. Mais chez le premier, il sera immédiatement contaminé par la
lourdeur et la difformité de l’âme, par un phénomène de somatisation venant des
passions mauvaises. Chez le second, il sera assumé par l’âme glorifiée et
transfiguré jusqu’à des propriétés qui dépasseront sa nature.
Nous
avons à considérer maintenant les qualités naturelles des corps après la
résurrection, qualités qui seront communes aux damnés comme aux élus.
On
se demande[1754] :
1° Les ressuscités seront-ils immortels ?
2° Le corps ressuscité aura t-il besoin de
se nourrir ?
3° Le corps des ressuscités sera t-il sexué
?
4° Les ressuscités auront-ils entre eux des
actes sexuels ?
5° Tous les ressuscités auront-ils le même
âge, celui de la pleine jeunesse ?
Objections :
1. Cela ne semble pas. Le corps humain est
par nature mortel puisqu’il porte en lui, dans son chiffre biologique, sa
durée, selon la parole de la Genèse[1755] : «
L’homme n’est que chair, sa vie ne
sera que de 120 ans. » Or c’est le même corps qui doit ressusciter.
Donc il portera aussi en lui la capacité de mourir.
2. Dans le paradis terrestre, l’immortalité
du corps venait d’une grâce de Dieu qu’on appelle grâce originelle et surtout
de la promesse d’une assomption. Or les damnés ne participeront à aucune grâce
divine. Il semble que ceux là au moins doivent mourir.
3. La fin de la génération, telle que
l’expose le Philosophe est de faire participer les êtres au divin. Si
l’immortalité est une propriété de l’espèce, il n’est pas nécessaire que les
individus de cette espèce ressuscitent et demeurent éternellement.
Cependant[1756] :
L’effet
prend la ressemblance de sa cause. Or la résurrection du Christ est cause de la
résurrection à venir. Si donc le Christ est ressuscité de telle manière qu’il
ne doit plus mourir, -le Christ ressuscité des morts ne meurt plus[1757]-, les hommes ressusciteront tels qu’ils
ne mourront plus.
Conclusion :
À la résurrection, les hommes
ressusciteront tels qu’ils n’auront plus de nouveau à mourir. La nécessité de
mourir est une déficience qui affecte la nature humaine comme conséquence du
péché. Or le Christ, par le mérite de sa passion a réparé les déficiences que
cette nature avait contractées en fonction du péché. C’est ce que dit l’Apôtre
dans l’épître aux Romains : « Il n’en va pas du don comme de la faute ; si
par la faute d’un seul, beaucoup sont morts, bien plus la grâce de Dieu, dans
la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, a-t-elle abondé en beaucoup. » Autrement
dit, le mérite du Christ peut abolir plus efficacement la mort que le péché
d’Adam ne pouvait y entraîner. Ceux donc qui par le mérite du Christ
ressusciteront libérés de la mort, n’en seront jamais plus victimes.
En
outre, ce qui doit durer pour toujours n’est pas sujet à destruction. Si donc
les hommes en ressuscitant avaient encore à mourir, de telle sorte que la mort
durerait toujours, celle-ci ne serait aucunement détruite par la mort du
Christ. Or elle a été détruite, dans sa cause au moins pour le moment, selon la
parole du Seigneur rapportée par Osée : «
O mort, je serai ta mort. » Détruite,
elle le sera finalement en fait, selon cette autre parole de la première Epître
aux Corinthiens : « En dernier lieu, la mort sera détruite. » Il
faut donc tenir, avec la foi de l’Église, que les ressuscités ne mourront plus.
Quant
à la cause de cette immortalité des corps ressuscités, qui sera commune aux
élus comme aux damnés, elle viendra en premier lieu de Dieu puisque Dieu seul
peut communiquer aux êtres la perpétuité. Et son action rendra l’âme humaine
apte à assumer le corps en plénitude de telle manière qu’elle lui communique un
nouveau mode d’exercice. Surélevée par Dieu dans sa puissance naturelle, l’âme
deviendra forme parfaite du corps et elle assumera toutes les virtualités de la
matière à tel point qu’aucune corruption ne pourra s’introduire dans l’ordre de
sa constitution. En ce sens, on peut dire que le corps des ressuscités est
absolument impassible.
L’âme
deviendra parfaitement acte du corps de telle manière qu’il ne sera plus
nécessaire que celui-ci reçoive un complément de nourriture extérieure pour se
maintenir dans sa vitalité. Toute cause de corruption ou d’usure sera supprimée
par l’âme, à cause de sa seule vitalité. Le corps participera à l’immortalité
de l’âme qui est source de sa vie. L’homme ressuscité ne sera donc pas immortel
pour la raison qu’il aura repris un autre corps incorruptible, mais parce que
ce corps, qui est maintenant corruptible, deviendra incorruptible. Quant à la
convenance de cette immortalité, chez les bons comme chez les mauvais, on peut
en donner trois raisons :
1° La première vient de la fin même de la
résurrection. Les bons comme les mauvais ressusciteront pour recevoir dans leur
propre corps la récompense ou le châtiment de ce qu’ils auront fait durant leur
vie terrestre. La récompense des bons, la béatitude, sera éternelle ; éternelle
également la peine due au péché mortel. Il faut donc que les corps des uns et
des autres soient incorruptibles.
2° Une deuxième raison peut se tirer de la
cause formelle de la résurrection. On l’a dit déjà, c’est pour ne point
demeurer éternellement séparée que l’âme reprendra un corps à la résurrection.
Aussi bien, puisque c’est en vue de la perfection de l’âme que celle-ci
recouvre un corps, convient-il que ce corps connaisse la condition qui est
propre à l’âme. Or l’âme est incorruptible. On doit en conclure qu’il lui sera
rendu un corps incorruptible.
3° La troisième raison est à prendre du
côté de la cause efficiente. Dieu qui restaurera pour la vie les corps déjà
corrompus, pourra à plus forte raison donner à ces corps de conserver pour
toujours la vie qui leur sera rendue. C’est ainsi, à titre de figure, qu’il a
conservé intacts, quand il l’a voulu, des corps pourtant corruptibles, tels
ceux des trois enfants dans la fournaise[1758].
Solutions :
1. Ici bas, le corps humain est disposé de
l’intérieur par Dieu pour qu’il devienne au terme d’un certain nombre d’année
inadapté à l’action de l’âme qui l’informe. Ainsi voit-on la division
cellulaire se ralentir avec l’âge jusqu’à devenir incapable de rétablir ce qui
est usé dans le corps. Mais une telle déficience ne fait pas partie de la
substance du corps humain. Elle est une condition de son mode d’exercice qui
est temporaire et ne demeurera pas après la résurrection. Dans l’au-delà, le
corps subsistera semblable à lui-même et échappera au devenir permanent lié aux
divisions cellulaires et à la nutrition. Il trouvera sa vitalité dans l’âme
seule. Ce sera pourtant le même corps qu’ici-bas, selon ce qui lui est
essentiel. Mais on devine la radicale différence de l’exercice de la vie
végétative.
2. Certaines grâces divines ont pour objet
direct la vie surnaturelle : telles la grâce habituelle, la grâce actuelle ou,
dans l’au-delà, la lumière de gloire. Les damnés n’auront aucune part à ce type
de grâces puisqu’ils les rejetteront éternellement. D’autres grâces divines
sont données pour le maintien de la vie naturelle. Elles le sont à tout homme,
les bons comme les mauvais selon cette parole[1759] : «
Dieu fait briller son soleil pour
tous, les bons comme les méchants. » La grâce de l’immortalité qui
accompagnera les corps ressuscités sera de celles là.
3. La résurrection n’a pas pour fin la
perpétuité de l’espèce. Celle-ci peut-être assurée par la génération. Il faut
donc qu’elle ait pour fin la perpétuité de l’individu, perpétuité qui n’est pas
à concevoir du côté de l’âme, puisque l’âme l’avait déjà avant la résurrection,
perpétuité qui est donc à concevoir du côté du composé. L’homme ressuscité
vivra donc perpétuellement.
Objections :
1. Adam, qui était en possession d’une vie
immortelle avant son péché, eut, en cet état, besoin de se nourrir et
d’entretenir des rapports charnels ; c’est avant le péché qu’il lui a été dit :
Croissez et multipliez-vous, et encore : Mangez de tout arbre qui est
dans le jardin.
2. Le Christ lui-même a mangé et bu après
sa résurrection. Lorsqu’il eut mangé, devant ses disciples, nous dit saint Luc,
« prenant
ce qui restait, il le leur donna. » Saint Pierre dit également, dans
les Actes : « Ce Jésus Dieu l’a ressuscité le troisième jour et lui a donné de se
faire voir, non à tout le peuple mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, à
nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »
3. Il existe encore certains textes qui
semblent promettre à l’homme, pour cet état futur, l’usage des aliments. « Le Seigneur des armées, lit-on en Isaïe, préparera pour
tous les peuples sur la montagne un festin de viandes grasses et de vin pris
sur la lie. » Qu’il faille entendre ce passage de l’état des ressuscités,
la suite le montre clairement : « Il détruira la mort pour toujours et le
Seigneur essuiera toutes les larmes de tous les visages. » On lit
encore en Isaïe : « Voici que mes serviteurs mangeront et vous,
vous aurez faim ; voici que mes serviteurs boiront et vous, vous aurez soif. » Que
ceci se rapporte à l’état de la vie future, ce qui suit le montre clairement
: « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle. » Le
Seigneur dira aussi, au chapitre 24 de saint Matthieu : « Je ne boirai plus désormais
de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans
le royaume de mon Père » ; et encore, en saint Luc : « Et
moi, je vous prépare un royaume, comme mon Père me l’a préparé, afin que vous
mangiez et buviez à ma table dans mon royaume. » L’Apocalypse nous
dit encore que de chaque coté du fleuve, dans la cité des Bienheureux, il y
aura des arbres de vie qui donneront douze fois leurs fruits et aussi : « Je
vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus ;
ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. Les autres
morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. » Tout
ceci semble bien confirmer l’opinion dont nous avons parlé.
4. L’homme ressuscitera avec tous ses
organes : il exercera donc les fonctions auxquelles ils sont destinés.
5. L’homme tout entier doit être béatifié,
dans son âme et dans son corps. Or, la béatitude consiste en une action
parfaite. Chez les bienheureux, les puissances de l’âme et les organes du corps
ne seront donc pas inactifs.
6. La béatitude est un état rendu parfait
par la somme totale de tous les biens ; Parfait, c’est-à-dire que « rien n’y manque. » Les plaisirs du corps n’y feront donc
pas défaut.
Cependant :
Les
fonctions végétatives de la nutrition et de la respiration ont pour but la
conservation de l’individu. Or, après la résurrection, l’âme sera par sa propre
puissance cause de la conservation du corps. Donc ces fonctions seront
inutiles.
Conclusion :
Ce
qu’on vient de dire montre comment les ressuscités n’auront plus besoin de se
nourrir et de respirer, c’est-à-dire d’assimiler un élément extérieur qui vient
remédier à la perte d’énergie de tout corps tel qu’il fonctionne ici-bas. La
vie corruptible évacuée, ce qui est au service de cette vie devra être
nécessairement évacué. Or il est évident que l’usage de la nourriture et de
l’air sont au service de la vie corruptible ; si nous prenons de la nourriture
en effet, c’est pour éviter la corruption que pourrait entraîner l’épuisement
et pour assurer la croissance ; ce qui n’aura plus de raison d’être, après la
résurrection, puisque tous les hommes ressusciteront avec la quantité qui leur
est due.
Solutions :
1. La première objection, à propos d’Adam,
n’a aucune portée. Adam en effet a joui d’une certaine perfection personnelle.
Mais la nature humaine n’était pas arrivée à une totale perfection, le genre
humain ne s’étant pas encore multiplié. Adam fut donc établi dans le degré de
perfection qui convenait au chef du genre humain. Aussi bien fallait-il, pour
la multiplication du genre humain, qu’il engendrât, et pour cela qu’il se
nourrît. La perfection des ressuscités, elle, ne sera acquise qu’une fois la
nature humaine parvenue à sa totale perfection, le nombre des élus étant
désormais complet. Aussi il n’y aura place ni pour la génération, ni pour
l’usage d’aliments. C’est pourquoi l’immortalité et l’incorruptibilité des
ressuscités seront telles qu’ils ne pourront plus mourir et que rien ne pourra
plus se désagréger de leur corps. Adam, lui, était immortel de telle manière
qu’il pouvait ne pas mourir s’il ne péchait pas, qu’il pouvait au contraire mourir
s’il péchait. Son immortalité était capable de se conserver, non point en ce
sens que rien ne se désagrégerait de son corps, mais en ce sens qu’il pouvait
compenser la décomposition de l’humeur naturelle par l’absorption de
nourriture, et qu’ainsi son corps ne put se corrompre peu à peu.
2. Quant au Christ, il faut dire qu’après
sa résurrection il mangea non point par nécessité, mais pour prouver la vérité
de cette résurrection. La nourriture ne fut pas alors convertie en sa chair,
mais réduite en la matière préjacente. La résurrection commune ne connaîtra pas
cette raison de manger.
3. Les textes de l’Écriture qui paraissent
promettre l’usage des aliments après la résurrection doivent être interprétés
dans un sens spirituel. La Sainte Écriture nous propose en effet les réalités
intelligibles sous des comparaisons sensibles pour que notre esprit, selon le
mot de saint Grégoire le Grand, apprenne à aimer ce qu’il ne connaît pas à
partir de ce qu’il connaît. De cette manière, la joie que donne la contemplation
de la sagesse, et l’assimilation de la vérité par notre intelligence sont
d’ordinaire décrites par la sainte Écriture sous le symbolisme de la
nourriture. Au Livre des Proverbes, il est dit de la Sagesse : « Elle
a mêlé son vin et dressé la table. Elle a dit à ceux qui sont dépourvus de sens
: venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j’ai mêlé pour vous. » Il
est dit aussi dans l’Ecclésiastique : « Elle le nourrira du pain de la vie et de
l’intelligence, elle l’abreuvera de l’eau de la sagesse salutaire. » De cette même sagesse, les Proverbes
nous disent encore : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui
l’auront saisie ; qui s’y sera attaché, est heureux. » Les textes
allégués n’obligent donc pas à dire que les ressuscités auront à se nourrir.
Les
paroles du Seigneur, citées au chapitre 24 de saint Matthieu peuvent aussi
s’entendre autrement, en référence au repas pris par le Christ avec ses
disciples après la résurrection : le Christ boit le vin nouveau, c’est-à-dire
d’une nouvelle manière, non point par nécessité, mais comme preuve de sa
résurrection. Et il dit : « Dans le royaume de mon Père », parce
qu’à la résurrection du Christ, le royaume de l’immortalité a commencé de se
manifester.
Quant
aux paroles de l’Apocalypse sur les mille ans et sur la première résurrection
des martyrs, il faut comprendre cette résurrection de la résurrection des âmes
ressuscitées du péché. C’est le sens de la parole de saint Paul aux Ephésiens :
« Lève-toi
d’entre les morts et le Christ t’illuminera. » Les mille ans signifient le temps de l’Église, au cours duquel
les martyrs, ainsi que les autres saints, règnent avec le Christ, tant dans
l’Église d’ici-bas, appelée le royaume de Dieu, que dans la patrie céleste en
ce qui concerne les âmes. Le nombre de mille a le sens de perfection parce que
c’est un nombre cubique, et que le nombre dix, qui en est la racine, est
également, d’ordinaire, symbole de perfection. C’est donc une évidence que les
ressuscités ne s’adonneront ni à la nourriture et à la boisson, ni aux
activités charnelles.
4. Il ne faut pas considérer seulement les
fonctions auxquelles sont destinés les organes, mais encore l’élément de
perfection que leur variété apporte à la nature humaine, tant spécifique
qu’individuelle.
5. Cette activité n’est pas humaine au sens
propre et distinctif de ce mot. Ce n’est donc point par elle que le corps sera
béatifié ; il le sera par son union à l’âme bienheureuse à laquelle il sera
parfaitement soumis.
6. L’état de vie meilleure étant une
perfection immuable, il n’y aura plus besoin de la nutrition. Si ces fonctions
demeureront en puissance dans le corps des ressuscités, leur exercice deviendra
inutile. La vie des ressuscités ne sera pas moins ordonnée que la vie présente
: elle le sera même davantage, puisqu’à l’une l’homme parvient par la seule
action de Dieu et qu’il acquiert l’autre avec la collaboration de la nature.
Quant aux élus, ils n’auront plus besoin du plaisir lié à la nutrition, qui
ici-bas constitue un sain remède à la tristesse selon le philosophe. L’attrait
de ces plaisirs disparaîtra pour eux dans l’intensité des joies de l’esprit,
selon la parole du Christ[1761] : «
Ils seront comme des anges dans le
Ciel. »
Objections :
1. D’après le Seigneur : « les
élus dans le Ciel seront comme des anges. »[1762] Or les anges n’ont pas de sexe. Donc il
en sera de même pour les corps ressuscités.
2. Dans l’autre monde, « il n’y aura plus de supériorité », dit la glose ; La femme ne sera donc plus soumise à l’homme, et
n’aura donc plus le sexe qui rend la soumission naturelle.
3. L’existence d’organes sexuels n’a de
sens que s’ils peuvent s’exercer. Or, dans l’au-delà, il n’y aura plus de vie
sexuelle. Donc il n’y aura pas non plus de sexe.
4. L’apôtre dit[1763] : «
Nous constituerons cet homme parfait,
dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. » Donc
tous les êtres humains ressusciteront avec le sexe masculin.
Cependant :
Après
la résurrection, le Christ est resté un homme : de même, après son assomption
la vierge Marie est demeurée une femme. Et leur état nouveau est le modèle de
ce que nous serons nous-mêmes à la fin du monde. Donc on doit admettre que le
corps ressuscité sera sexué.
Conclusion :
Les
sexes féminin et masculin font partis du corps humain et ils donnent une
qualité essentielle à la personnalité profonde. Il ne s’agit pas d’un accident
provisoire comme le fait que ce même corps est corruptible. L’humanité est
créée homme et femme de manière complémentaire, de telle façon qu’elle révèle
en deux sujets les deux pôles de l’amour : sa force et sa douceur. C’est dans
l’union de ces deux orientations de l’amour que peut naître la vie, l’éducation
des enfants et l’équilibre humain tout entier. Dieu lui-même se structure dans
l’harmonie de ces deux puissances complémentaires. Si donc le corps ressuscité
doit être essentiellement le même dans l’au-delà, il est nécessaire qu’il soit
sexué de la même façon qu’il l’a été sur la terre.
Solutions :
1. Les anges n’ont pas de sexe parce qu’ils
n’ont pas de corps. Le fait d’être asexué est donc essentiel à leur nature
spirituelle. Cela ne veut pas dire qu’ils soient incapables de vivre des
valeurs féminines et masculines. Mais ils agissent avec force ou avec douceur
de leur propre intelligence et non dans la confrontation avec un autre ange
complémentaire. Lorsque le Seigneur dit que les hommes seront comme des anges
dans le Ciel, il ne veut pas entendre que la nature de leur être sera changée
au point qu’ils deviennent ontologiquement des anges. Il veut manifester que la
vie des élus sera semblable à celle des anges puisqu’elle sera contemplative.
Ils n’auront plus besoin d’exercer entre eux une vie sexuelle puisque Dieu sera
l’objet de toute leur joie.
2. La femme n’est pas inférieure à l’homme
par nature mais à cause du péché originel qui a développé dans le sexe masculin
un instinct de domination, selon la Genèse[1764] : «
ton mari dominera sur toi », et
chez la femme un besoin excessif de sécurité et de tendresse : « Ton
désir se portera sur ton mari. » Au commencement, il n’en était pas
ainsi. La femme et l’homme furent créés complémentaires. La femme fut
symboliquement faite de la côte d’Adam ce qui signifie qu’elle devait lui
apporter un achèvement pour son cœur qui est situé tout contre les côtes.
Le
Christ par sa grâce, a supprimé l’infériorité de la femme[1765] : «
Il n’y a plus ni homme ni femme »
sans pourtant faire disparaître leur complémentarité naturelle que
saint Paul exprime en donnant à l’homme l’autorité par rapport à tout ce qui
concerne la direction générale du couple et à la femme une vocation de
vitalisation intérieure du foyer.
Après
la résurrection, cette complémentarité des hommes et des femmes n’aura plus
d’utilité en ce qui concerne la vie pratique ou sexuelle des couples puisqu’il
n’y aura plus de mariage. Mais elle demeurera dans l’ordre général du monde
nouveau dont les différences constitueront une perfection.
3. L’existence d’un sexe féminin et
masculin n’est pas seulement ordonnée chez l’être humain à la reproduction,
mais est finalisée aussi par la vie de l’esprit dont l’exercice est modifié par
la psychologie différente des hommes et des femmes. De même, après la
résurrection, même s’il n’existe plus d’exercice végétatif de la sexualité, les
hommes et les femmes exerceront leur activité spirituelle selon les nuances
psychologiques de leur féminité ou de leur masculinité.
4. Quant à la parole de l’apôtre dans
l’Epître aux Ephésiens[1766] : «
jusqu’à ce que nous parvenions tous à
ne plus faire qu’un dans la foi et dans la connaissance du fils de Dieu, et à
constituer cet homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalisera la
plénitude du Christ », elle
n’oblige pas davantage à conclure dans ce sens. Elle ne veut pas dire
que tous les ressuscités qui s’en iront à la rencontre du Christ dans les airs
possèderont le sexe viril ; elle veut indiquer la perfection et la puissance de
l’Église, c’est-à-dire de l’humanité renouvelée. C’est l’Église tout entière
qui sera comme un homme parfait, allant à la rencontre du Christ, ainsi qu’il ressort
du contexte.
Objections :
1. Les relations sexuelles sont source de
plaisir. Or il ne doit rien manquer au bonheur des élus, que ce soit pour leur
corps ou pour leur âme. Donc il semble que les élus au moins pourront avoir des
relations sexuelles.
2. Le mariage n’est pas seulement ordonné à
la génération et à l’éducation des enfants mais aussi au bien des époux et à la
croissance de leur amour. De même, les relations sexuelles manifestent avec
force dans les corps l’union des âmes réalisée par l’amour. Or, dans le Ciel,
les élus s’aimeront. Il semble donc qu’ils pourront exprimer leur amour par des
relations sexuelles.
3. Même chez les damnés, il semble qu’on
doit admettre la possibilité de relations charnelles. En effet, ils
ressusciteront avec ces organes comme nous l’avons montré et ils seront séparés
de Dieu à cause de l’amour excessif d’eux-mêmes, qui peut être incarné dans un
amour désordonné du plaisir sexuel. Donc, il semble qu’ils rechercheront en
enfer ce plaisir sexuel.
4. La gloire de Dieu se manifeste par
l’apparition de nouveaux êtres humains. Or la sexualité est ordonnée à la
génération. Il semble donc que, dans l’au-delà, les hommes continueront à
exercer la sexualité qui permettra l’apparition de nouveaux enfants pour Dieu.
Cependant :
Le
Seigneur dit[1767] : «
Vous êtes dans l’erreur, en ne
connaissant ni l’Écriture, ni la puissance de Dieu. À la résurrection, il n’y
aura plus ni mari ni femme. On est comme les anges dans le Ciel. »
Conclusion :
Le
fait que le corps ressuscité sera sexué n’implique pas qu’il doive exercer une
sexualité active. Et l’on peut comprendre cela à la fois chez les élus et les
damnés, à cause de l’état nouveau du corps ressuscité.
La
sexualité sur la terre possède deux finalités qui se réunissent dans le
plaisir.
1° D’abord, elle exprime l’amour des époux.
L’union charnelle est comme un sacrement, c’est-à-dire comme le signe sensible
extérieur qui symbolise et peut même aider à réaliser l’amour intérieur. 2° Ensuite, il est source de vie. Cette
seconde finalité est naturellement faite pour être le fruit de la première.
L’homme possède la liberté de dévoyer le plaisir des deux finalités auquel il
est ordonné. Devenu égoïste, il peut aller jusqu’à rechercher le plaisir de
manière indépendante de tout amour ou de toute ouverture à la vie qui se
communique.
Pour
savoir si les relations sexuelles demeurent au Ciel, il faut se demander si
cette forme d’expression de l’amour sera encore utile. Or, nous l’avons montré,
les élus du Ciel possèdent un corps glorifié dont l’une des propriétés les plus
importantes, la « lumière », est de ne plus constituer un obstacle
avec l’esprit. Au contraire, par ce corps, les pensées intérieures sont
parfaitement exprimées, sans erreur possible, bien qu’elles soient perçues par
l’autre à travers l’organe de ses sens. En conséquence, l’amour de l’un peut
être exprimé et communiqué, avec un plaisir plénier (spirituel, psychologique
et même, tout à la fois, physique), sans autre effort. Ce sera un mode inouï de
communication amoureuse, d’où l’aspect sexué ne sera pas sans importance,
puisque, nous l’avons dit, les hommes et les femmes garderont la grâce
spirituelle et psychologique, ainsi que la beauté physique liée à leur sexe.
Mais ce qui sera premier et essentiel dans cette communication d’amour, ce sera
d’abord la vision de Dieu qui transfigurera tout. Face à ce degré suprême de
communication de l’amour, il est certain que le mode sexuel paraîtra très terne
et périmé. C’est pourquoi, sous ce rapport, il n’y aura plus d’actes sexuels
tels que nous les voyons sur terre.
Il
reste maintenant l’autre finalité de la sexualité qui est la communication de
la vie. Sous ce rapport non plus, elle sera devenue inutile puisque tous les
hommes voulus par Dieu seront nés. La droiture de la volonté des élus
communiera entièrement à cette volonté de Dieu, et trouvera à exercer la
maternité et paternité spirituelles ailleurs, surtout si, comme c’est probable,
Dieu continue la préparation d’autres créatures spirituelles à son don.
Du
côté des damnés, il faut parler autrement. Certains d’entre eux chercheront
sans doute leur plaisir dans des activités sexuelles. Mais ce sera toujours à
travers des actes de luxure, c’est-à-dire dans une recherche de la seule
jouissance égoïste, à l’exclusion de l’amour et de la communication de la vie.
Mais il leur sera impossible de trouver le plaisir. Séparé de la fin pour
laquelle il est fait, leur être tout entier est en feu, c’est-à-dire qu’il
brûle de toute sorte de volontés et de passions mauvaises (vengeance, envie,
haine, tristesse etc.). Il en sera de même chez le partenaire sexuel, lui aussi
damné, dont le corps « lumineux » rayonnera sans obstacle une âme
répugnante par ses vices. En conséquence, s’ils recherchent le plaisir, ils ne
le trouveront pas. L’exotisme et la nouveauté qui parfois sur terre donnent un
printemps provisoire à la luxure ne peuvent exister dans l’enfer de personnes
totalement et froidement égoïstes et dont tout contact physique est source de
répulsion.
Solutions[1768] :
1. Si l’on prétend que les ressuscités
auront encore à entretenir des relations charnelles, non point en vue
d’exprimer l’amour ou pour assurer la conservation de l’espèce ou la
multiplication des hommes, mais pour le seul plaisir qui réside en ces actes,
et pour qu’il ne manque aucun plaisir à la récompense dernière, l’inconvenance
d’une telle affirmation éclate de bien des manières.
En
premier lieu, la vie des ressuscités, nous l’avons vu, sera plus
harmonieusement ordonnée que la vie d’ici-bas. Or en cette vie, il est
contraire à l’ordre, il est vicieux que l’homme entretienne des rapports
charnels pour le seul plaisir, et non point pour une autre finalité qui est
soit charnelle (comme le fait d’engendrer une descendance) ou spirituelle
(comme le fait d’exprimer son amour et son unité avec celle qu’il a épousé). La
raison le veut ainsi ; les plaisirs qui résident dans les actions dont nous
venons de parler ne sont pas en effet la fin de ces actes. Bien au contraire,
la fin de ces plaisirs naturels, c’est que les êtres animés ne s’abstiennent
pas, par fatigue, d’actes qui sont nécessaires à la nature, ce qui se
produirait s’ils n’y étaient attirés par le plaisir. C’est donc renverser
indûment l’ordre que d’accomplir ces actes pour le seul plaisir. Ce qui ne peut
d’aucune manière être le fait des élus dont la vie, par hypothèse, sera la
mieux ordonnée qui soit.
En
second lieu, les actes des vertus sont ordonnés à la béatitude comme à leur
fin. Si donc dans l’état de la béatitude à venir, ces plaisirs de la nourriture
et de la chair constituaient pour ainsi dire des éléments de la béatitude, il
en résulte que ceux qui agissent vertueusement auraient en vue, d’une certaine
manière, ces plaisirs dont on vient de parler. C’est nier l’idée même de
tempérance. Il est en effet contraire à l’idée de tempérance que quelqu’un
s’abstienne de certains plaisirs pour pouvoir en jouir davantage par la suite.
Toute chasteté deviendrait ainsi impudique, et toute abstinence gourmande. Si
donc ces plaisirs existent (dans la vie ressuscitée), ils n’existeront pas
comme élément de béatitude, de telle manière que ceux qui agissent
vertueusement les aient en vue.
Ainsi,
se trouve réfutée l’erreur de certains musulmans qui veulent que les hommes, à
la résurrection, aient encore, comme maintenant, à se nourrir et à entretenir
des rapports charnels. Certains chrétiens hérétiques ont même emboîté le pas en
annonçant un règne terrestre du Christ d’une durée de mille ans pendant lesquels,
disaient-ils, les ressuscités d’alors s’adonneraient sans mesure à des
banquets charnels où il y aurait tant de vivres et de boissons que non
seulement aucune pudeur ne serait plus gardée mais que les mœurs des païens
eux-mêmes seraient dépassées. À croire de telles choses, il n’y a que des
êtres charnels que les chrétiens spirituels appellent « millénaristes »,
ainsi que l’écrit saint Augustin au XXème livre de la cité de Dieu.
2. Les élus dans le Ciel s’aimeront. Mais
ils n’auront plus le désir d’exprimer leur amour par des relations charnelles
et ceci pour plusieurs raisons :
1° L’union des corps ne sera plus un
symbole de l’union des âmes puisque les corps glorifiés seront lumineux de la
lumière même de l’âme. Ainsi, l’amour sera exprimé par le seul échange des
regards et en plénitude.
2° Le plaisir qui sortira de cette parfaite
communion fraternelle comblera tous les désirs de l’âme et du corps, avec une
délicatesse et une intensité qui dépassera la jouissance sexuelle telle qu’elle
est ici-bas.
3° Les élus ne feront rien qui ne soit
immédiatement spécifié par leur contemplation de Dieu. Tous les actes de leur
vie, y compris les relations qu’ils auront entre eux, auront un mode
contemplatif. Aussi est-il dit de Marie en contemplation « qu’elle a choisi la
meilleure part qui ne lui sera pas enlevée. » C’est encore la raison
qui fait dire, au Livre de Job : « Celui qui descend aux enfers n’en remontera
plus ; il ne retournera plus dans sa maison et le lieu qu’il habitait ne le
reconnaîtra plus. » Par ces paroles, Job refusait cette résurrection
proposée par certains selon qui, après la résurrection, l’homme retournerait à
des occupations semblables à celles qu’il a maintenant, comme la construction
de maisons et l’exercice d’autres métiers de ce genre.
C’est
pourquoi l’expression charnelle de leur âme n’aura plus lieu d’exister.
3. Les damnés rechercheront le plaisir
charnel mais ils ne le trouveront jamais. Et pour s’en rendre compte, on peut
considérer par analogie ce qui apparaît déjà sur cette terre, chez ceux qui
n’attendent de la vie que la seule jouissance égoïste du plaisir. Lorsqu’ils
finalisent leur intention de vie par cette seule recherche, ils ne sont jamais
satisfaits. Ils recherchent sans cesse de nouvelles expériences ; d’autre part
la jouissance devient pour eux à long terme source d’amertume puisqu’elle est
incapable de combler en plénitude les désirs de leur âme. En enfer, ce qui
apparaît en germe chez ceux dont l’âme est pervertie sur cette terre, se
réalisera en plénitude. Les corps des damnés, animés par une âme entièrement
centrée sur l’amour égoïste d’elle-même, sera incapable d’éprouver du plaisir.
Et leur désir d’un plaisir inaccessible causera en eux l’augmentation d’une
amertume qui les rongera intérieurement.
4. De même l’union charnelle de l’homme et
de la femme est au service de la vie corruptible ordonnée qu’elle est à la
génération, celle-ci sauvegardant du moins au plan de l’espèce la vie qui ne
peut se conserver pour toujours au plan des individus. Or la vie des ressuscités,
nous l’avons vu, sera incorruptible. Les ressuscités n’auront plus à exercer
des relations charnelles. En outre, dans l’autre monde, le nombre des élus sera
parfait. La gloire de Dieu sera manifestée par un monde définitif qui
manifestera extérieurement l’immutabilité divine. Il n’y aura donc plus à
engendrer d’autres enfants.
Objections :
1. Dieu n’enlèvera aux ressuscités, surtout
aux élus, aucun élément de la perfection humaine. Or, telle est la vieillesse,
qui rend l’homme vénérable.
2. L’âge se mesure au temps passé. Or, il
est impossible que le temps passé ne le soit pas. Il est donc impossible que
ceux qui ont atteint un âge avancé redeviennent jeunes.
3. La nature humaine semble avoir toute son
activité dans l’enfant, tandis qu’elle se débilite avec l’âge, comme le vin
étendu d’eau. Si donc tous les ressuscités doivent avoir le même âge, ils
seront tous des enfants.
Cependant :
Saint
Paul écrit : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’état d’homme fait à la
mesure de l’âge parfait du Christ. » Or le Christ est ressuscité en
pleine jeunesse, qui commence, dit saint Augustin, vers la trentième année.
Mais l’Apocalypse le représente avec des cheveux blancs[1770], ce qui symbolise la maturité de la
vieillesse. C’est donc que jeunesse et vieillesse prendront un autre sens dans
l’Au-delà.
Conclusion :
Jeunesse
et vieillesse peuvent se prendre en deux sens :
1° Au sens physique, comme on en parle habituellement sur terre.
La nature doit ressusciter sans défaut : telle Dieu l’a faite, telle Dieu la
refera. Or, la nature est sujette à un double défaut : soit qu’elle n’a pas
encore atteint son plus haut degré de perfection comme chez les enfants, soit
qu’elle l’ait dépassé, comme chez les vieillards. La résurrection ramènera donc
tous les hommes à la pleine jeunesse, à l’âge où la maîtrise des potentialités
physiques est la plus grande, quand se termine la croissance et où le déclin
n’est pas encore commencé.
2° Au sens spirituel qui est le plus important dans l’autre
monde puisque le corps est entièrement soumis à l’esprit, d’où son nom de
"corps spirituel" d’après saint Paul[1771]. Au Ciel, le corps aura d’abord
l’apparence de l’âme, puisque, nous le montrerons, il sera entièrement lumineux
et soumis à son influence. Les corps ressuscités étant soutenus dans leur
incorruptibilité par l’âme, ils apparaîtront extérieurement lumineux de la
clarté même de l’âme. Il ne s’agit pas seulement d'une clarté extérieure comme
celle du corps de Moïse après sa rencontre avec Dieu. Il s’agit d'une clarté
qui vient de l'intérieur de l'âme, rayonne sur la sensibilité et donne au corps
la jeunesse de sa sainteté. Il reste à savoir si les élus du Ciel paraîtront
vieux ou jeunes. Ces deux âges de la vie présentent des avantages : l’enfant
symbolise la vie sans souci. L’âge avancé symbolise la plénitude de
l’expérience, le détachement de ce qui est secondaire. Pris en ce sens,
jeunesse et vieillesse ont une signification spirituelle. Les élus auront donc
l’"âge" de l’âme ce qui signifie que plus une âme sera unie à Dieu,
plus son corps paraîtra resplendissant de jeunesse et, en même temps,
profondément mûre comme une personne avancée en âge.
Solutions :
1. Ce qui rend la vieillesse digne de
respect, ce n’est pas l’état du corps, qui a perdu sa perfection mais la
sagesse de l’âme, qui est sensée grandir avec les ans. Les élus auront droit à
ce respect à cause de la sagesse divine dont ils seront pleins, mais sans qu’il
y ait en eux rien de sénile.
2. L’âge de l’au-delà ne signifiera pas le
nombre des années, mais l’intensité de l’humilité (kénose) et de l’amour. C’est
ainsi que la vierge Marie, partie de la terre à plus de soixante ans d’après
saint Polycarpe, paraît incomparablement plus jeune que tous les autres et en
même temps plus mûre. Au contraire, les damnés paraîtront vieux et immatures à
la fois.
3. La nature humaine peut être dite plus
parfaite dans l’enfant, parce qu’elle possède en lui une plus grande puissance
d’assimilation mais, dans l’homme jeune, elle a atteint son plein
épanouissement. Ainsi, si la jeunesse sera l’état des ressuscités, au plan de
la perfection physique du corps, tel élu pourra paraître dans la plénitude de
l’enfance à cause de certaines qualités particulières de son âme, tel que nous
les avons décrites dans la question traitant des couronnes d’or. Ainsi, plus
une âme sera unie à Dieu, plus elle nous paraîtra jeune et belle. Tout le
monde, certes, aura la pleine vitalité de la jeunesse, mais avec ce je ne sais
quoi qui peut rendre un vieillard plus jeune qu’un adolescent. Au sommet de
tout, conjointement à Jésus, le corps glorieux de Marie attirera tous les
regards. « Sa beauté inégalée ne
rivalisera pas avec les beautés uniques de ses enfants », dit sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus. Chacun de nos frères constituera un temple du Dieu
unique, mais non bâti de main d’homme où la Trinité séjournera sans jamais s’en
aller. Un seul élu contemplé ici-bas surpassera tout ce qui a été fait de beau
par les artistes depuis que le monde existe. Contemplée une vie entière, la
beauté et la gloire du plus petit dans le Royaume de Dieu ne lassera pas.
A partir de cette question, nous allons étudier de manière plus
détaillée et à la suite de saint Thomas d’Aquin, la manière d’être des corps ressuscités. Rappelons qu’il ne s’agit
que de spéculations dont la valeur est relative à ce que nous connaissons
actuellement de la matière. Or la matière, nous pouvons le pressentir à travers
les avancées des sciences positives, a une ouverture sur des potentialités
immenses.
La foi nous enseigne (voir les questions précédentes) que les
corps des ressuscités seront immortels, intègres et qu’ils seront le véritable
corps de chacun. Cependant, nous savons qu’il y aura une manière d’être très
différente à ce que nous voyons ici-bas. Grâce aux apparitions de Jésus, nous
pouvons supposer quelques-unes de ces propriétés, sans toutefois être
absolument certain de la manière dont chacune d’elle se manifestera. En effet,
Jésus n’apparut à ses apôtres que sous une forme adaptée à leurs capacités
terrestre et non dans toute la gloire de sa splendeur. Il est pourtant notre
seule source de connaissance des corps glorifiés.
Il reste donc une méthode pour les connaître.
Elle consiste à étudier les limites de la matière telle que nous la connaissons
actuellement. Par exemple, nous connaissons mieux son rapport avec la lumière,
sa vitesse et le temps.
Mais même cela reste hypothétique. Que le
lecteur se réfère au Supplément de
saint Thomas d’Aquin dans sa Somme de
Théologie. Il y découvrira à quel point tout cela est aléatoire. Il faut
donc lire les questions suivantes avec un esprit sainement critique, et faire
progresser les réponses au fur et à mesure des progrès de la science.
Les théologiens modernes, devant l’ampleur de
ces interrogations en suspend, préfèrent avouer loyalement leur ignorance et
s’en tenir à la connaissance des "pourquoi" (les "comment"
appartiennent à Dieu). Saint Thomas est plus audacieux. Il va même trop loin
dans le détail sur les ongles, les dents etc. Nous essaierons de prendre une
attitude intermédiaire.
Nous
avons à étudier maintenant la qualité des corps des élus dans ce qui le
distingue du corps des damnés. Nous nous demanderons[1772] :
1° L’état du corps des élus diffère-t-il
de celui des damnés ?
2° Le corps ressuscité est-il la même
chose que le corps astral dont parle la philosophie orientale
?
Objections :
1. Il semble que l’état des damnés ne
diffère pas essentiellement de celui des élus. Nous avons montré que leur corps
était doté d’incorruptibilité. Or ce qui est incorruptible ne peut pâtir d’une
agression extérieure. Donc, un tel corps est impassible ce qui est une
propriété commune avec le corps glorifié.
2. Il semble que les damnés ne
retrouveront pas leur intégrité physique mais que Dieu, qui est juste, leur
fera payer leur péché par quelque infirmité.
3. Il est impossible que les corps des
méchants soient sujets à la souffrance sans l’être à la corruption, puisque
toute passion trop forte altère la substance. Nous voyons en effet qu’un corps,
s’il demeure longtemps dans le feu, finit par se consumer, qu’une douleur trop
intense va jusqu’à séparer l’âme du corps.
4. De même que le corps des élus sera
lumineux en ce sens qu’il manifestera extérieurement la pureté de leur âme ; de
même celui des damnés manifestera leur perversion. Il n’y a pas de différence
essentielle à formuler entre la lumière des corps glorieux et l’opacité des
corps damnés car les contraires sont dans le même genre.
5. Le corps des damnés aura une perfection
naturelle absolue puisque Dieu les ressuscitera incorruptibles. Or il est
naturel au corps humain en bonne santé d’être agile. Donc cette propriété ne
doit pas être distinguée chez les élus.
Conclusion :
On
peut distinguer deux sources de la vitalité du corps dans l’autre monde. 1° La première est naturelle et elle vient de l’énergie que l’âme imprime au corps
ressuscité, l’âme humaine étant la forme du corps et lui donnant la vie. Sous
ce rapport, tous les ressuscités, qu’ils soient élus ou damnés, seront revêtus
de perfection car Dieu respectera le choix de vie de chacun, n’exerçant aucune
vengeance sur ceux qui auront choisi de mépriser son Evangile. Ainsi, par la
résurrection, Dieu supprimera d’une façon générale, chez tous, bons et mauvais,
tant le défaut de nature que les limites liées à la matière d’ici-bas. Mais les
mauvais ne bénéficieront que de l’ordre de leur nature. 2° La seconde source de vitalité est d’origine surnaturelle et ne concerne que les saints car elle vient de la
répercussion jusque dans leur corps de la vision béatifique et la grâce créée
qui l’accompagne et surélève leur âme –la Lumière de gloire-. Et c’est sous ce
rapport qu’il y aura une différence entre les bons et les mauvais, Dieu faisant
bénéficier ses amis de potentialités absolument impossibles à la nature seule.
Ainsi, le corps des amis de Dieu, porté par la puissance de Dieu, pourra
exercer à volonté des choses dépassant largement toute possibilité de la nature
corporelle : être en plusieurs lieux à la fois, se déplacer instantanément
et d’autres choses du même genre.
Solutions :
1. Incorruptibilité : Nous accordons cette objection. Le
corps des damnés comme celui des élus sera doté d’une incorruptibilité
parfaite, puisque leur vie ne s’arrêtera jamais. C’est pourquoi l’Apôtre dans
la première épître aux Corinthiens, écrit des morts qu’ils « ressusciteront incorruptibles »
ce qui doit s’entendre de tous, bons et mauvais, comme le veut le
contexte. Il en ira donc, en général, du corps de tous selon qu’il convient à
l’âme forme incorruptible, celle-ci donnera au corps d’être incorruptible, au
dessus de la composition des contraires, la matière du corps de l’homme étant
en cela, de par la puissance de l’âme, totalement indestructible. Mais de la
lumière et de la force de l’âme élevée à la vision de Dieu, le corps qui lui
sera uni recevra quelque chose de plus. Il sera totalement soumis à l’âme, de
par la puissance divine, non seulement quant à l’être, mais aussi quant aux
actions et passions, mouvements et qualités corporelles.
2. Intégrité : Les corps des damnés comme celui des
élus, en ce qui regarde la nature, retrouveront leur intégrité : ils ressusciteront à l’âge parfait, sans aucune
atrophie des membres, sans ces défauts ou ces infirmités qu’a pu provoquer une
erreur de la nature. Car Dieu donnera à chacun sa perfection pour qu’il vive sa
vie selon son orientation, dans les fruits de l’égoïsme pour les damnés, et
dans ceux du Saint Esprit pour les sauvés. Cependant, il y a un rapport d’unité
substantielle entre l’esprit et le corps. Ainsi, il est naturel que les choix
de l’esprit aient des conséquences jusque dans l’état du corps. C’est ce que
les médecins appellent le psycho-somatisme. Ainsi voit-on parfois des hommes
dont le handicap physique n’a pas d’autre cause que le péché qui a pris, en
eux, des proportions excessives. De même, en enfer, les damnés dont l’âme sera
pervertie, en subiront les conséquences dans leur corps qui s’en trouvera
profondément transformé.
3. Impassibilité : Il peut exister deux manières d’être
passible : 1° l’une d’elle aboutit à
une corruption du corps. Ainsi lorsque l’œil est aveuglé par une lumière trop
vive, il peut être brûlé au point qu’il s’en retrouve détruit. Le corps des
damnés sera incapable de subir une telle destruction à cause de son
incorruptibilité. 2° L’autre
signifie le fait de souffrir d’une impression sensible, sans en être pourtant
altéré dans sa substance. Ainsi, lorsqu’un homme perçoit une odeur désagréable.
Les damnés subiront une telle passibilité puisque leur âme n’aura pas atteint
la béatitude de la vision de l’essence divine qui seule libère des désirs
intérieurs et extérieurs. Ils demeureront sujets à la souffrance, comme
maintenant, et plus encore que maintenant, de telle manière cependant qu’ils
éprouveront du côté des réalités sensibles douleur mais non corruption, de même
que l’âme sera torturée par la totale frustration du désir naturel qu’elle a de
la béatitude.
Les
élus, quant à eux, ne pourront souffrir d’aucune manière possible. De même que
l’âme qui jouit de Dieu verra son désir comblé en ce qui concerne l’obtention
de tout bien, de même verra-t-elle son désir comblé en ce qui regarde à
l’éloignement de tout mal : il n’y a pas de place pour le mal dans la compagnie
du souverain bien. Le corps amené par l’âme à son point de perfection, et
proportionnellement à l’âme, sera immunisé contre tout mal, aussi bien en acte
qu’en puissance, en acte d’abord, puisqu’il n’y aura dans les corps ressuscités
ni corruption ni difformité ni défaut quelconque ; en puissance aussi, car ils
ne pourront souffrir rien qui leur soit dommageable. Aussi bien seront-ils impassibles, sans pourtant que cette
impassibilité leur enlève rien de la passion qui fait partie de la nature
sensible : ils useront en effet de leurs sens pour leur plaisir, en tout ce qui
est compatible avec l’état d’incorruption. C’est pour exprimer cette impassibilité
des corps ressuscités que l’Apôtre dit : «
Semé dans la corruption, il
ressuscitera dans l’incorruption. »
4.
Clarté : Il
est vrai que le corps des damnés comme celui des élus aura la propriété de
révéler l’orientation profonde de leur âme, ce qui relève de la même propriété,
celle de la clarté. Ainsi, le corps des damnés ne cachera rien de l’intention
de leur volonté qui est la cause de leur damnation. Et il apparaîtra clairement
à tous ceux qui les verront que leur âme privée de la lumière de la connaissance
de Dieu, est ténèbres.
Cependant,
il faut ajouter que la clarté des élus aura quelque chose de plus que celle des
damnés. Ces deux apparences extérieures n’ayant pas la même cause, elles
doivent être distinguées. En effet, elle ne laissera pas seulement transfigurer
leur beauté spirituelle naturelle,
mais aussi la présence surnaturelle
de Dieu qui habitera leur esprit par la vision béatifique. Elle est donc un
effet de la grâce et non de la nature. C’est le sens de la parole de l’Apôtre :
« Tous
ressusciteront, mais tous ne seront pas changés ». Seuls les bons
seront transformés pour la gloire ; les corps des méchants ressusciteront
privés de gloire mais "lumineux" de leurs ténèbres intérieures
naturels. De même donc que l’âme qui jouit de la vision de Dieu sera inondée
d’une certaine lumière spirituelle, de même par rejaillissement de l’âme sur le
corps celui-ci, à sa manière, sera revêtu de la lumière de gloire. D’où la
parole de l’Apôtre dans la première épître aux Corinthiens : « Semé
dans l’ignominie, le corps ressuscitera dans la gloire. » Notre
corps, maintenant opaque, sera alors lumineux
comme dit saint Matthieu : « Les justes resplendiront comme le soleil,
dans le royaume de leur Père. »
5. Agilité : Les hommes damnés seront certes dotés d’agilité, de manière incomptable au poids de cette
terre. Mais ils ne seront mus que par la puissance naturelle de leur âme, sans l’aide surajoutée de la puissance
infinie de Dieu. Si bien que, vu la taille immense de l’univers nouveau,
lorsqu’ils voudront changer de lieu, ils paraîtront lourds et pesants, ne
dépassant pas les propriétés de la lumière matérielle. Au contraire, uni à sa
fin suprême, l’homme qui jouira de la vision de Dieu, verra tous ses désirs
comblés. Et parce que c’est le désir de l’âme qui meut le corps, il en
résultera que, comme porté sur les ailes de Dieu, le corps obéira totalement à
l’empire de l’esprit et pourra se déplacer instantanément d’un bout à l’autre
du monde. Les corps des bienheureux seront donc doués d’une agilité surnaturelle, pouvant se déplacer à
volonté bien au-delà de ce qui est possible à la nature corporelle seule. C’est
bien ce que dit l’Apôtre au même endroit : «
Il est semé dans la faiblesse, il
ressuscitera dans la force. » Voilà pourquoi la Sagesse dit des justes
qu’ils courront comme des étincelles à travers le chaume ; non pas que
le mouvement ait en eux pour fin de répondre à quelque nécessité, -ceux qui
possèdent Dieu n’ont besoin de rien-, il sera simplement une preuve de force.
Objections :
1. Il
semble que le corps des ressuscités, aussi bien au Ciel qu’en enfer, est la
même chose que le corps astral. D’après la philosophie chinoise le corps astral
possède le pouvoir de traverser les murs, ce qui semble être lié à la
subtilité. Il peut se déplacer à grande vitesse dans l’espace ce qui est
l’agilité. Il est libéré de tout défaut physique ce qui se rapporte à 1’intégrité
etc. Or toutes ces propriétés sont caractéristiques du corps des ressuscités.
2. Le
corps astral est affranchi de toute vie végétative : il n’a pas besoin de se
nourrir ou de respirer. Il est le siège d’une vie sensible dont l’exercice est
très aisé lorsqu’il est séparé du corps physique. Or tout cela semble commun
avec les propriétés du corps des ressuscités.
3. Si l’on
admet que le corps astral n’est pas autre chose que le corps des ressuscités,
on peut être amené à comprendre d’une manière nouvelle et intéressante le
mystère de la résurrection. Celle-ci ne serait que la reprise par l’âme d’un
corps psychique (qui n’est autre que le corps astral) où l’absence de vie
végétative s’explique par l’absence du corps physique et de son inertie
matérielle.
Cependant
:
À la résurrection, les hommes retrouveront
leur corps au complet. C’est pourquoi ce corps renouvelé sera composé de chair
et d’os. Au contraire le corps astral est un corps vaporeux et impalpable et il
se distingue du corps physique. Donc, il ne peut y avoir identité entre le
corps glorieux et le corps astral.
Conclusion
:
Selon certaines traditions philosophiques
chinoises et indiennes, on peut discerner dans l’être humain trois degrés de
vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés l’un à l’autre pour
former une seule personne : le corps
physique, le corps astral et le corps mental.
Le corps
physique est le siège des facultés végétatives comme la nutrition, la
reproduction, la croissance. Il est aussi le siège d’un autre corps appelé corps
astral. C’est le corps physique qui est source de l’existence du corps
astral. Mais, après la mort du corps physique, le corps astral s’en sépare et
subsiste en se nourrissant de l’énergie de l’âme elle-même. Ainsi, les morts
emportent avec eux leur psychisme, d’où l’expérience de la décorporation que
rapportent de nombreuses personnes passées près de la mort. Le corps astral
est, avec le corps physique, siège des facultés psychiques comme les
sensations, les passions, l’imagination et la mémoire. Le corps mental n’est autre que ce que nous appelons l’esprit, siège
de l’intelligence et de la volonté. Ils ne lui donnent le nom de corps que par
métaphore car, selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement
spirituel. Le corps mental est immortel et indestructible. C’est lui qui, dans
la sagesse hindouiste, se réincarne à travers les âges.
Aristote distingue de la même façon trois
degrés de vie mais son analyse s’attache moins à la cause matérielle, pour
regarder la cause efficiente.
Ceci posé et dans l’hypothèse où le corps
astral n’est pas une fiction, on doit admettre qu’il ne peut être identique au
corps ressuscité tel que nous l’avons décrit et tel que la foi catholique en
parle. En effet, ce qui ressuscite, ce n’est pas une partie du corps mais le
corps humain tout entier avec sa chair et ses os. C’est ce que voulait
signifier Jésus lorsque ses disciples le prirent pour un fantôme[1775], c’est
à dire pour une apparition vaporeuse semblable au corps astral. Il leur fit
toucher son corps et Thomas mit la main dans son côté. Au contraire si Jésus
était ressuscité en ce sens qu’il aurait retrouvé son seul corps psychique ou
astral, il aurait ressemblé à un spectre impalpable et son corps serait resté
au tombeau.
Solutions
:
1. Il est
vrai que les récits rapportant des expériences de décorporation manifestent que
les handicaps du corps physique ne sont pas présents dans le corps astral.
Celui-ci est décrit comme un double du corps physique composé d’une matière qui
n’est pas corpusculaire. On pourrait appeler une telle matière une
« matière psychique ». Cependant, l’intégrité de ce corps double
n’est pas totale puisqu’il lui manque le corps physique qui fait
essentiellement partie de la nature humaine. Il n’est donc pas identique au
corps ressuscité.
Quant aux propriétés telles que l’agilité et
la subtilité qui semblent appartenir au corps astral, elles sont une première
participation de celles qui appartiendront au corps des élus lorsque la gloire
de Dieu les aura transformés.
2. Que les
propriétés du corps astral soient communes avec celles du corps des
ressuscités, cela ne prouve pas qu’il lui soit identique. Il lui manque en
effet la capacité de se rendre visible et palpable à volonté, tel que le Christ
le pouvait. De même, il lui est impossible de toucher la matière atomique, de
la goûter. Au contraire, le Christ manifesta à ses disciples qu’il pouvait
manger puisqu’il prit du pain et du poisson avec eux. De fait, les morts avant
leur résurrection ne sont pas en possession de la troisième partie du
microcosme humain, à savoir le corps physique palpable. Le corps astral n’est
pas le corps humain mais seulement une partie de ce corps. Il n’est donc pas
identique au corps des ressuscités qui sera parfait.
3. La
résurrection du Christ est modèle de la nôtre. Or, on doit admettre, avec la
foi catholique, qu’il est vraiment mort et que son âme s’est séparée
complètement de son corps. Lorsqu’il est ressuscité, il a retrouvé ce corps
dans toute son intégrité. Il a pris de nouveau possession de sa chair qui
reposait au tombeau et non seulement de son corps psychique ou corps astral.
L’hypothèse contenue dans l’objection doit donc être rejetée comme opposée à la
foi catholique. En premier lieu, elle méconnaît la perfection supérieure du
corps des ressuscités en les réduisant à des corps fantomatiques. En second
lieu, elle aboutit à réduire la résurrection du Christ et celle qui aura lieu à
la fin des temps à un simple symbole. La raison de cette méfiance vis-à-vis du
corps physique vient principalement de l’expérience terrestre de sa misère.
Elle confond un mode provisoire lié à une purification avec la gloire que Dieu
prépare pour ceux qui l’aiment.
Douze
demandes :
1° Y aura-t-il de nouvelles sensations ?
2° La subtilité permet-elle au corps glorieux d’être
dans un lieu déjà occupé par un corps non glorieux ?
3° La subtilité permet-elle à deux corps glorieux
peuvent-ils occuper le même lieu ?
4° La subtilité rend-elle impalpable le corps glorieux
?
5° Le corps des élus est-il doué d’agilité ?
6° Les élus feront-ils usage de leur agilité ?
7° Leur mouvement sera-t-il instantané ?
8° La clarté sera-t-elle une prérogative du corps des
élus ?
9° Le corps aussi a-t-il droit à une auréole ?
10° La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par
un œil non glorifié ?
11° Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un
œil non glorifié ?
12° Le corps glorieux peut-il se trouver dans plusieurs
lieux à la fois ?
Objections :
1. Cela semble nécessaire : la beauté des
corps glorieux ne peut être vue par un œil non glorifié puisqu’il resplendit de
couleurs et de lumières autres que celles d’ici-bas. On doit admettre que l’œil
des saints au Ciel, puisqu’il verra le corps glorifiés des autres saints, aura
de nouvelles sensations.
2. Saint Paul écrit[1777] : «
Nous vous annonçons ce que l’œil n’a
pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu. » Or, s’il existe des
choses que nul œil n’a vues et nulle oreille entendues, ce ne peut être que des
réalités appartenant à un domaine sensible nouveau. Il faudra donc de nouvelles
facultés sensibles pour les saisir.
3. Adam et Ève, dans le paradis terrestre,
possédaient des dons préternaturels par lesquels ils pouvaient percevoir des
réalités de l’univers qui actuellement nous échappent. Dans le paradis céleste,
qui est supérieur au paradis terrestre, l’homme aura donc de nouvelles facultés
qui n’existent pas aujourd’hui.
Cependant :
L’homme
ressuscitera avec son propre corps et non avec un corps substantiellement
différent. Il n’y aura donc pas de faculté nouvelle, mais seulement l’exercice
total des facultés déjà présentes mais que la lourdeur de l’état du corps
physique entrave.
Conclusion
:
Par la
résurrection, Dieu rendra aux élus le même corps qu’ici-bas. Il est donc
impossible qu’il puisse exister dans ce corps nouveau d’autres facultés
sensibles que celles qui sont déjà présentes en lui sans quoi, on devrait
admettre que le corps ressuscité est essentiellement différent.
Cependant,
chez les élus, l’âme prendra possession de son corps de telle façon que
celui-ci pourra exercer ses facultés en plénitude. Nous savons que le corps
possède des capacités inutilisées. Le témoignage de ceux qui approchent la mort
et qui connaissent une expérience de décorporation de leur corps psychique,
confirme l’existence d’une acuité nouvelle du sens de la vue. Il se caractérise
par la vision de couleurs jusqu’ici invisibles, par la capacité à voir les très
petites choses ou les très lointaines. De même, ceux qui sont aveugles
retrouvent en plénitude la faculté de voir. S’il existe actuellement des
facultés naturelles dont l’exercice est empêché à cause d’un obstacle lié à la
chair terrestre, on doit admettre qu’elles s’exerceront dans la gloire. C’est
ce que certains rapportent des facultés sensibles comme la télépathie qui
consiste à capter certaines ondes émises par le cerveau d’un autre homme. De
même, le phénomène du sourcier qui peut sentir la présence de l’eau
s’expliquerait d’une manière analogue par une capacité de saisir des ondes
émises par les corps physiques. De telles facultés, étant naturelles dans leur
origine, s’exerceront chez les ressuscités.
Solutions :
1. L’œil non glorifié ne peut percevoir que
certaines qualités de couleur, celles qui sont contenues entre l’infrarouge et
l’ultraviolet. Le fait qu’après la résurrection l’œil puisse saisir un éventail
beaucoup plus large de couleurs n’implique pas qu’il faille poser dans le corps
humain une nouvelle faculté sensible car l’objet d’une telle vision renouvelée
reste la couleur et la lumière. Il faut donc dire que l’œil glorifié s’exercera
avec une plus grande plénitude qualitative, sans pourtant changer de nature.
2. Ce texte de saint Paul signifie en
premier lieu la vision intellectuelle de l’essence divine qui dépasse par sa
hauteur tout ce que l’intelligence peut concevoir. Cependant, pris au sens
propre, il annonce l’apparition de nouvelles réalités sensibles, dont la beauté
est inimaginable, comme le corps glorieux du Christ, celui de Marie et des
saints, le monde nouveau que Dieu créera à la fin.
Cependant,
l’existence de nouvelles réalités sensibles communes aux facultés de l’homme
n’oblige pas à poser l’apparition d’une nouvelle espèce de sensation ; il
suffit d’admettre, comme nous l’avons dit, que les cinq sens prendront après la
glorification du corps une plénitude d’exercice capable de rendre présent la
totalité du domaine sensible qui est leur objet propre. Ainsi, si l’oreille ne
peut pas actuellement capter certains sons à cause de la faiblesse de l’organe,
elle le pourra dans la gloire ; Et l’on doit dire la même chose pour l’œil par
rapport au large éventail des ondes lumineuses qui existe dans la nature ; Pour
le toucher qui pourra saisir des qualités tactiles nouvelles, comme celles qui
actuellement lui sont inadaptées à cause de leur trop grande chaleur ou de leur
trop grand froid.
3. Les dons préternaturels d’Adam et Ève
étaient des facultés de leur nature qui ne pouvaient s’exercer sans l’aide de
la grâce originelle qui les unissait à Dieu. Ces dons permettaient à leur
esprit de vivre dans une harmonie totale avec leur corps qui lui était soumis
en plénitude et avec l’univers entier. Après le péché originel, l’exercice de
ces dons fut en partie empêché ce qui explique la lutte actuelle de la volonté
humaine et des facultés sensibles du corps et la disharmonie de l’homme avec la
nature. Cependant, ces facultés demeurent à l’état de puissance dans la nature
humaine. Après la résurrection, elles s’exerceront à nouveau en plénitude. Il
n’est donc pas nécessaire de poser l’apparition de nouvelles facultés
puisqu’elles n’ont jamais disparu.
Objections :
1. Le fait qu’un corps solide ne puisse
occuper un lieu en même temps qu’un autre corps tient à sa corpulence. Or la
subtilité ne fera pas disparaître la corpulence des corps glorieux qui sera un
corps sensible, et même palpable ; ni la matière ni la forme ni les accidents
naturels, le chaud, le froid, etc. ne lui feront donc défaut. Sa subtilité ne
l’empêchera donc pas d’occuper un lieu car, ce serait folie d’affirmer que le
lieu occupé par un corps glorieux est vide.
2. Ce qui fait que deux corps doivent
chacun avoir leur lieu, c’est la nature de la quantité étendue, qui se définit
précisément par la propriété d’occuper un lieu. Ce n’est pas une qualité mais
la nature même de la matière corpusculaire. Or le corps glorieux sera fait de
matière corpusculaire et non d’ondes comme certains l’ont prétendu puisqu’il
sera palpable donc il ne pourra être dans un lieu déjà occupé.
3. Ce qui dépasse les lois de la nature ne
peut exister sans un miracle de la puissance divine qui est au-dessus de toute
nature créée. Ainsi, qu’un corps occupe le lieu d’un autre peut être un
privilège divin pour le surcroît de gloire des élus, de même que Dieu accorde à
saint Pierre le privilège de guérir les malades par sa seule présence, en
confirmation de la foi au Christ. Mais cela ne peut être une propriété
naturelle du corps glorieux.
4. Si cette propriété existe, alors deux
élus pourront occuper le même lieu, ce qui est inconvenant.
Cependant :
1. Le Christ transformera notre corps
misérable en le rendant semblable à son corps glorieux. Or le corps du Christ
fut dans un lieu occupé déjà par un corps ordinaire lorsque, les portes étant
fermées, il entra dans l’appartement où les disciples étaient réunis.
2° Ce que peuvent les rayons solaires, être
dans un lieu déjà occupé par un autre corps comme le verre, les corps glorieux,
dont l’excellence est suprême, le pourront aussi.
Conclusion :
Ce
qui empêche aujourd’hui le corps humain de traverser un autre corps solide,
c’est la cohésion des molécules qui le composent et que la volonté n’a aucun
pouvoir de modifier. Aussi qu’un corps étranger vienne à pénétrer le corps
humain, cela ne peut être que par violence et conduire à une destruction, à une
blessure de sa cohésion organique. Cependant, le corps glorifié sera, comme on
l’a montré, soumis en plénitude à la volonté de l’âme au point qu’il lui obéira
dans chacune de ses parties. Il ne pourra donc subir aucune atteinte de par un
corps extérieur. Il sera invulnérable.
Il
reste maintenant à se demander s’il est possible qu’un corps glorifié se trouve
dans le même lieu qu’un autre corps physique cohérent. Pour répondre à cette
question, il est nécessaire de connaître la nature des réalités matérielles.
Lorsqu’on l’étudie au niveau microscopique, on s’aperçoit que la matière n’est
pas une réalité continue. Elle est composée de l’agencement de multiples atomes
qui laissent entre eux des espaces vides immenses en comparaison de ce qui est
réellement occupé par les corpuscules élémentaires qu’on appelle protons,
électrons et neutrons. Le niveau microscopique est comparable d’une certaine
manière au niveau macroscopique c’est-à-dire aux étoiles autours desquelles
gravitent les planètes, laissant d’immenses espaces vides. Ainsi, lorsqu’on dit
qu’un corps en traverse un autre, on n’est pas obligé d’admettre qu’il se
trouve obligatoirement dans le même lieu qu’un autre corps. Il peut emprunter
les vides inter-atomiques. C’est de cette manière que la lumière et les ondes
électromagnétiques, qui sont des réalités matérielles peuvent passer à travers
certains corps comme le verre ou l’eau. De même, le corps glorieux, à cause de
sa très grande soumission à l’âme, peut adapter la cohésion de ses parties
microscopiques de telle manière qu’elles puissent passer à travers la matière.
C’est la meilleure explication qu’on puisse donner pour le moment pour rendre
fait que le corps de Jésus qui était palpable, a pu entrer dans une pièce alors
que toutes les portes étaient fermées. De cette manière, il est possible
d’éviter de faire appel à la puissance miraculeuse de Dieu pour rendre compte
de certaines propriétés surprenantes du corps glorieux. Il ne s’agit bien sûr
que d’hypothèses adaptées à notre connaissance actuelle et limitée des
propriétés de la matière.
Solutions :
1. Les corps glorieux garderont leur
corpulence mais cette corpulence sera soumise à la puissance de l’âme au point
qu’elle pourra être rendue à volonté impalpable à celui qui s’approche. Cette
propriété tient à la puissance de l’âme qui informera chaque partie du corps
jusque dans ses aspects microscopiques. De même que l’âme de l’élu sera
entièrement soumise à Dieu, de même le corps lui sera soumis en plénitude.
2. La matière palpable paraît continue à un
regard extérieur. Mais si on analyse sa structure au plan microscopique, on
s’aperçoit que ce n’est pas qu’une apparence. Il existe en effet davantage de
parties vides que de parties pleines. C’est pourquoi les astronomes enseignent
que si l’on arrivait à contracter la terre de telle manière que les vides
interatomiques disparaissent, elle tiendrait dans le lieu occupé par une orange.
3. Nous avons montré qu’il n’est pas
nécessaire de poser l’existence d’un miracle divin pour expliquer la subtilité
des corps glorieux puisque, en traversant la matière, ils n’en occupent pas
réellement le même lieu.
4. Loin d’être inconvenant, cette propriété
des corps glorieux permettra peut-être une forme de communion inconnue sur
terre des esprits et des corps.
Objections :
1. L’ordre normal des êtres matériels exige
qu’ils se distinguent par leur lieu. Si deux corps glorieux peuvent occuper un
même lieu, on ne pourra plus les distinguer et il semblera qu’on a affaire à un
seul homme. Cela est incroyable.
2. Le lieu est une propriété essentielle du
corps quantifié. Il permet l’individuation des êtres. Si deux corps glorieux
occupent un seul lieu, non seulement on ne les distinguera plus dans leur individualité
mais ils risquent de perdre leur spécification individuelle en mélangeant la
matière qui les compose.
Cependant :
Si
un corps peut se trouver dans le même lieu qu’un corps non glorieux, ce qui
permet de traverser les murs, il peut à plus forte raison occuper le même lieu
qu’un autre corps glorieux dont la subtilité est supérieure.
Conclusion :
Qu’un
corps glorieux puisse occuper avec un autre corps le même lieu, cela est
possible pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées dans l’article
précédent. Cependant, cela ne peut se réaliser sans que les deux volontés liées
aux deux corps soient consentantes. En effet, de même qu’un élu peut contrôler
la matière de son corps au point de la rendre subtile et de lui faire traverser
la matière de même il peut à volonté la rendre impénétrable.
Solutions :
1. Rien ne se fera au Ciel qui ne soit dans
l’ordre de la volonté divine. Aussi qu’un élu s’unisse à un autre au point de
paraître faire un seul corps, cela ne peut venir d’une volonté ordonnée, à
moins qu’on admette qu’il pourra exister par là une forme de manifestation de
la charité qui unira les élus entre eux. Il est impossible d’entrer avec
certitude dans de telles spéculations.
2. La matière de chaque corps glorieux est
soumise à son âme d’une manière parfaite. Elle ne risque pas de perdre son
individualité en traversant un autre corps.
Objections :
1. « Ce qui est palpable est nécessairement corruptible », dit saint Grégoire. Or, le corps
glorieux est incorruptible.
2. Être palpable, c’est opposer une
certaine résistance qui semble faire défaut au corps glorieux, puisque celui-ci
peut être avec un autre corps dans le même lieu.
3. Être palpable, c’est être tangible, ce
qui suppose des qualités capables d’impressionner le sens du toucher, donc en
excès par rapport à lui. Or, dans le corps glorieux, toutes les qualités seront
ramenées à la plus parfaite égalité.
Cependant :
1° Le corps du Christ ressuscité était
glorieux et en même temps palpable, comme il le disait à ses disciples, pour
les convaincre qu’il n’était pas « un fantôme qui n’a ni chair ni os. »
2° Eutychès, évêque de Constantinople, se
rendit coupable d’hérésie en affirmant, comme le rapporte saint Grégoire, que, « après la résurrection, le corps des
élus sera impalpable. »
Conclusion :
Tout
corps palpable est tangible ; mais la réciproque n’est pas vraie. Un corps
tangible est celui qui possède des qualités capables d’impressionner le sens du
toucher, tels l’air, le feu, etc. Un corps palpable est celui qui résiste au
toucher : l’air, qui n’oppose aucune résistance, mais se laisse traverser avec
la plus grande facilité, est tangible mais non palpable. Pour être palpable, un
corps doit donc réunir ces deux conditions : qualités sensibles et résistance.
Les premières, le chaud, le froid, etc. ne se rencontrent que dans les corps
lourds et légers, contraires les uns aux autres, et donc corruptibles ; Le
corps glorieux est naturellement doué des qualités propres à impressionner le
toucher ; mais, parfaitement soumis à l’âme, il peut, au gré de celle-ci, agir
ou ne pas agir sur ce sens. Il possède encore, et naturellement, la faculté de
résister au corps qui voudrait le traverser, et donc de ne pas occuper le même
lieu ; comme aussi, il peut n’offrir aucune résistance et donc occuper le même
lieu. Il est donc tout à la fois palpable par nature et impalpable par volonté. » Le Seigneur, dit saint Grégoire, se
fit toucher par ses disciples lorsqu’il fut au milieu d’eux, les portes étant
fermées, afin de leur montrer que, après sa résurrection, son corps était le
même par la nature mais autre par la gloire.
Solutions :
1. L’incorruptibilité du corps glorieux
venait de la nature de ses éléments, il serait corruptible du fait qu’il est
palpable ; mais elle vient d’ailleurs.
2. Le corps glorieux peut occuper le même
lieu qu’un autre corps ; mais il peut aussi lui résister, au gré de la volonté.
3. Les qualités tangibles, dans le corps
glorieux, ne seront pas réduites à une moyenne matérielle mais proportionnelle,
c’est-à-dire, à la plus grande perfection convenable à chaque partie ; ce qui
rendra ce corps très agréable au toucher qui, comme toute puissance, éprouve du
plaisir en ce qui lui est exactement proportionné, tandis que tout excès lui
cause une souffrance.
Objections :
1. S’il en
était ainsi, les corps glorifiés n’auraient pas besoin « d’être portés sur les nuées
à la rencontre du Seigneur », dit saint Paul ; et portés « par les anges », ajoute la Glose.
2. L’agilité exclut l’effort. Mais l’âme imprimera au corps glorieux
des mouvements contraires à celui qui lui est naturel, donc des mouvements qui
exigeront un certain effort.
3. La
sensibilité est plus noble et plus voisine de l’âme que le mouvement ;
cependant, on n’attribue au corps glorieux aucune propriété spéciale destinée à
la rendre plus parfaite.
4. Dieu,
par la nature ou par lui-même, donne à chaque être les organes adaptés à son
mouvement, lent ou rapide. Or, les membres du corps glorieux seront semblables
à ce qu’ils sont aujourd’hui. Son agilité sera donc aussi la même.
Cependant
:
1° Saint
Paul dit du corps des élus : « Semé dans la faiblesse, il ressuscite plein
de force » ; ce que la Glose interprète « plein d’agilité et de vitalité. »
2° La
lenteur est tout à fait opposée à la "spiritualité" que saint Paul
attribue au corps glorieux.
Conclusion
:
Le corps glorieux sera absolument soumis à l’âme
glorifiée, non seulement en ce sens qu’il n’opposera aucune résistance à sa
volonté, car Adam innocent jouissait de ce privilège, mais parce que l’âme lui
communiquera une certaine perfection ou « prérogative », qui le rendra capable de cette
soumission totale. Or, l’âme est unie au corps pour lui donner l’être et le
mouvement. À ce double point de vue, le corps glorieux lui sera parfaitement
soumis. Par la subtilité, il le sera comme à la forme dont il reçoit son être
spécifique ; par l’agilité, comme au principe de son mouvement par lequel il
obéira docilement et promptement à toutes les impulsions et actions de l’âme.
Solutions
:
1. S’il en
est ainsi, ce ne sera pas par impuissance, mais comme un témoignage de respect
rendu au corps des élus par les anges et toutes les créatures.
2. Plus
l’âme est maîtresse du corps, moins elle a de peine à lui imprimer un mouvement
contraire à sa nature. C’est un fait d’expérience chez ceux dont la vigueur est
plus grande ou le corps plus exercé. Ces deux conditions, d’âme et de corps,
seront réalisées au plus haut degré chez les élus : le mouvement ne leur
coûtera donc aucun effort ; c’est ce qu’on appelle l’agilité.
3. Cette
prérogative ne rend pas le corps apte seulement à se mouvoir, mais à sentir et,
en général à servir parfaitement l’âme dans toutes ses opérations.
4. De même
que la nature donne à certains animaux des organes adaptés à un mouvement plus
rapide ; de même, Dieu donnera au corps des élus non pas d’autres organes de
locomotion, mais cette prérogative qui s’appelle l’agilité, au sens que nous
avons dit.
Objections :
1. Le
mouvement, qu’Aristote définit : « l’acte
d’un être imparfait », ne convient
donc pas à la perfection du corps glorieux.
2. Le
mouvement ou recherche d’une fin, suppose donc une certaine indigence. Mais le
Ciel, dit saint Augustin, « c’est la
présence de tous les biens et l’absence de tous les maux. »
3. Il est
plus excellent de participer à la perfection divine sans mouvement qu’avec
mouvement.
4. « L’âme
affermie en Dieu, dit saint Augustin, affermira par là même son propre corps. » Or, l’âme sera affermie en Dieu
jusqu’à l’immobilité absolue.
5. L’excellence
du lieu correspondra à celle du corps glorieux. Le Christ « a été élevé au-dessus
des cieux », dit saint Paul : il est le premier "par le rang et
par la dignité », ajoute la Glose. De
même, chacun des élus occupera la place dont il est digne et qui sera un des
éléments de sa gloire. Donc puisque, après la résurrection, les élus auront
atteint le terme et que leur gloire demeurera invariable, chacun gardera, sans
changement, la place qu’il aura méritée.
Cependant
:
« Ils
courront, dit Isaïe, et ne se fatigueront point ;
ils marcheront et ne se lasseront point. » Ils seront, dit la Sagesse, « comme
des étincelles qui courent à travers le chaume. »
Conclusion
:
Il faut nécessairement un certain mouvement
dans le corps glorieux. Celui du Christ est monté au Ciel ; ceux des élus y
monteront aussi après la résurrection. Mais, alors qu’ils y seront, il est
vraisemblable qu’ils se mouvront au gré de la volonté, aussi bien pour
glorifier Dieu par l’exercice des facultés qu’ils posséderont, que pour charmer
leurs regards par les magnificences de la création, miroir éclatant des
perfections divines : les sens, en effet, même chez les élus, exigent la
présence de leur objet. Cependant, ce mouvement ne diminuera en rien leur
béatitude qui consiste dans la vision de Dieu, dont ils jouiront partout où ils
seront ; il en sera d’eux comme des anges dont saint Grégoire dit : « Où qu’ils soient envoyés, c’est en
Dieu qu’ils courent. » Quant à la
beauté de créatures diverses, ils seront comme la nourriture pour la vue des
êtres glorifiés. Il les conduira à admirer la sagesse divine.
Solutions
:
1. Le
mouvement local ne comporte qu’un changement extérieur, mais n’affecte en rien
la constitution même d’un être. Celui-ci peut donc être parfait en lui-même ;
il n’est imparfait que par rapport au lieu ; en ce sens que, étant dans un
lieu, il est en puissance à un autre, puisqu’il ne peut être en plusieurs
lieux à la fois, privilège réservé à Dieu. Ce défaut ne répugne donc pas à
l’état de gloire, pas plus que d’être une créature tirée du néant.
2. Il y a
deux espèces d’indigence, une indigence absolue et une indigence relative. La
première a pour objet ce sans quoi l’on ne peut conserver son être ou sa
perfection ; elle ne s’applique donc pas au mouvement du corps glorieux ; la
béatitude lui suffit. La seconde a pour objet ce sans quoi l’on ne peut
atteindre une fin aussi bien ou de la manière que l’on veut ; elle s’applique
au mouvement du corps glorieux dont les élus ont évidemment besoin pour
manifester au dehors la force motrice qui est en eux. Il n’y a aucune difficulté
à admettre de pareilles indigences dans le corps glorieux.
3. L’objection
porterait si le mouvement était nécessaire au corps glorieux à cause d’une
indigence absolue, comme s’ils avaient besoin de se déplacer pour être heureux.
Nous avons montré que cette opinion est fausse. Le mouvement sert aux élus
comme un surcroît de vie et de plaisir donné par Dieu jusque dans leur corps.
4. Le
mouvement local, étant extérieur à l’être, ne diminue en rien la stabilité de
l’âme établie en Dieu.
5. Le lieu
plus ou moins élevé assigné aux élus est une récompense accidentelle. Cette
récompense ne consiste pas à occuper ce lieu, qui n’exerce sur eux aucune
influence mais à en être dignes. Ils peuvent donc le quitter sans perdre pour
cela leur bonheur.
Objections :
1. Le
mouvement de la volonté est instantané. Or, saint Augustin dit : « L’âme n’aura qu’à vouloir être quelque
part, et aussitôt le corps y sera. »
2. D’après
Aristote, si un mouvement se produisait dans le vide, il serait instantané,
puisqu’il n’éprouverait aucune résistance. Or, ainsi que nous l’avons dit, le
corps glorieux n’en éprouvera aucune ; son mouvement sera donc instantané.
3. L’énergie
de l’âme glorifiée dépassera infiniment, peut-on dire, celle de l’âme non
glorifiée. Le mouvement qu’elle imprimera à son corps devra donc échapper au
temps et être instantané.
4. Le
mouvement qui parcourt avec la même célérité, une petite ou une grande
distance, est instantané. Or, tel sera celui du corps glorieux, au dire de
saint Augustin, qui compare sa vélocité à celle du rayon lumineux.
5. Après
la résurrection, « il n’y aura plus
de temps. » Le mouvement du corps
glorieux ne sera donc plus dans le temps, mais instantané.
Cependant
:
1° Dans le
mouvement local, l’espace, le mouvement et le temps ont la même divisibilité.
Or, l’espace parcouru par le corps glorieux est divisible ; donc, son mouvement
l’est aussi et se mesure par un certain temps. Il ne peut donc pas être instantané,
puisque l’instant est indivisible.
2° Il est
impossible qu’une chose soit, en même temps, tout entière dans un lieu et
partiellement dans un lieu et dans un autre ; car il s’ensuivrait que l’une de
ses parties occupe deux lieux à la fois, ce qui est impossible. Or, une chose
qui se meut est partiellement au point de départ et partiellement au point
d’arrivée, où elle est tout entière, quand le mouvement est achevé. Elle ne
saurait donc être à la fois en train de se mouvoir et au terme de son mouvement.
Mais il en serait ainsi, dans l’hypothèse du mouvement instantané, qu’il faut
donc refuser au corps glorieux.
Conclusion
:
Le mouvement local du corps des élus doit
être considéré sous deux aspects : 1° Selon
qu’il est naturel, c'est-à-dire causé par la seule puissance de l’âme. 2° Selon qu’il vient de Dieu qui est
cause de la gloire.
1° Selon qu’elle est naturelle,
l’agilité des élus ressemble à celle des damnés qui participent à toutes les
perfections naturelles du corps ressuscité. Peut-il y avoir mouvement
instantané ? Ce problème a reçu diverses solutions. Certains prétendent que,
semblable à la volonté, le corps glorieux passe d’un lieu à un autre sans
franchir le milieu qui les sépare ; son mouvement est donc instantané comme
celui de la volonté. - C’est impossible. Le corps glorieux sera toujours un
corps, sans jamais acquérir une nature purement spirituelle. De plus, c’est
métaphoriquement que la volonté est dite se transporter d’un lieu à un autre,
puisqu’elle n’y est pas contenue elle-même ; cela signifie simplement que son
intention se porte vers un lieu après s’être portée vers un autre.
D’autres admettent bien que le corps
glorieux, parce qu’il est corps, doit franchir le milieu et se mouvoir dans le
temps : mais, ajoutent-ils, parce qu’il est glorieux, il peut s’en dispenser et
se transporter instantanément. - Cette opinion ne saurait être admise, parce
qu’elle implique contradiction. Supposons un corps qui se meut de A à B. Quand
il est tout entier en A, le mouvement n’est pas commencé ; tout entier en B, le
mouvement est terminé. Quand il se meut, puisqu’il faut bien qu’il soit quelque
part, il est ou tout entier dans un lieu intermédiaire ou partiellement dans ce
lieu et l’un ou l’autre des deux extrêmes. A étant distant de B, ce corps ne
peut être en partie dans A et en partie dans B, sans être dans le milieu, ce
qui détruirait la continuité entre les deux parties de lui-même.
Il faut donc, s’il se meut entre A et B
distants l’un de l’autre, qu’il soit successivement dans tous les lieux qui
séparent A de B. Autrement, il faudrait admettre qu’il est passé de A à B sans
se mouvoir, ce qui implique contradiction, puisque le mouvement local, c’est
précisément le passage par tous les lieux qui séparent deux termes. Telle est
la loi pour tout mouvement entre deux termes positifs. Il en va autrement, si
l’un des termes est une simple privation, parce que, entre une affirmation et
une négation, il n’y a pas de distance déterminée, mais celle-ci peut être plus
ou moins grande selon ce qui prépare ou cause le changement ; c’est pourquoi,
même en ce cas, une action exercée précède le mouvement réalisé. Quant au
mouvement des anges, il est étranger à la question car ce n’est pas de la même
manière qu’un ange et un corps sont dits être dans un lieu. En définitive, il
faut conclure qu’il est absolument impossible qu’un corps se transporte d’un
lieu dans un autre sans passer par tous les intermédiaires. Cette conclusion
est admise par d’autres qui n’en maintiennent pas moins le mouvement instantané
du corps glorieux. Ils voient bien la difficulté, à savoir, que ce corps serait
dans le même instant en plusieurs lieux, celui d’arrivée et tous les
intermédiaires ; mais ils croient pouvoir greffer sur l’identité réelle de
l’instant une distinction de raison, comme pour le même point qui termine
plusieurs lignes. - Cette distinction est factice. L’instant est la mesure
réelle, et non logique, de son contenu. Une distinction logique ou de pure
raison, ne peut donc en faire la commune mesure de plusieurs choses qui ne sont
pas simultanées ; pas plus que, appliquée au point, elle ne peut y réduire des
éléments éloignés les uns des autres.
L’opinion la plus probable, c’est donc que le
corps glorieux se meut dans le temps. Et la rapidité de son mouvement est
dépendante de l’énergie de l’âme et des capacités naturelles de la matière. Du
côté de l’âme, l’énergie ne peut être que finie puisqu’elle est une réalité
créée ; du côté du corps, la vitesse ne peut devenir infinie, comme le montrent
les lois de la relativité. Le monde physique est ainsi fait que la vitesse de
la lumière est toujours constante, aussi bien en avant qu’en arrière, quelle
que soit la vitesse du mobile. Les corps glorieux seront soumis à cette loi de
la matière car ils resteront de réels corps matériels. Si un élu veut donc se
déplacer d’un point à l’autre de l’univers à grande vitesse au point
d’approcher celle de la lumière, il expérimentera les propriétés décrites par
Albert Einstein à propos de l’espace-temps : les distances, relativement à sa
grande vitesse raccourciront pour lui ; le temps s’allongera. Il ne s’agira pas
d’une simple impression subjective mais d’un véritable phénomène physique.
L’âme n’en sera bien sûr pas affectée, étant perpétuellement plongée dans
l’éternité de Dieu
2° Selon qu’elle sera causée par Dieu, à
travers sa puissance infinie qui crée et dépasse les lois de la nature, donc
surnaturelle, l’agilité des élus sera parfaite. Leur corps, revêtu de la
puissance de Dieu, peut se déplacer instantanément d’un lieu à un autre et même
être en deux lieux à la fois, comme on le voit dans le miracle de la
bilocation. Tout cela se fera à volonté puisque Dieu qui fait un au plan de
l’union de l’intelligence et volonté avec les élus, obéira au moindre de leurs
désirs selon le psaume 139, 9 : « Je prends les ailes de l'aurore, je me
loge au plus loin de la mer, même là, ta main me conduit, ta droite me saisit.
» Mais, comme nous l’avons dit, cette propriété ne
sera donnée qu’aux saints dans la vision béatifique, les damnés étant
volontairement indépendants de Dieu.
Solutions
:
1. « Quand
il manque un rien, c’est comme si rien ne manquait », dit Aristote. Nous disons : « Je le fais tout de
suite », de ce que nous faisons avec
un délai minime. C’est ce sens qu’il faut donner au texte de saint Augustin.
2. Cette
assertion d’Aristote est fausse. La vitesse n’est pas seulement proportionnée à
la résistance extérieure rencontrée dans l’espace mais aussi à l’inertie du
mobile. Et cette résistance du mobile à l’accélération est d’autant plus grande
qu’on approche de la vitesse de la lumière. Mais alors, les propriétés
relatives du temps apparaissent ce qui donne une voie intéressante à la
compréhension de la vitesse possible au corps glorifié lorsqu’il est mu sans
résistance par l’énergie de son âme. Cependant, l’agilité des corps glorieux
reste celle de corps physiques.
3. Quoique
l’énergie de l’âme glorifiée soit incomparablement supérieure à celle de l’âme
non glorifiée, elle n’est cependant pas infinie et ne saurait donc causer un
mouvement instantané. Elle ne le pourrait pas non plus, alors même que son
énergie serait infinie, à moins de supprimer radicalement toute résistance
opposée par le mobile, ce qui est impossible. Car il existe une résistance qui
vient de l’espace il faudrait soustraire le mobile corporel à la nécessité
d’occuper un lieu et une position déterminés. En effet, de même que le blanc
résiste au noir, et d’autant plus qu’il en est plus éloigné, de même, le corps
résiste à un lieu du fait qu’il occupe un lieu opposé, et sa résistance est en
proportion de la distance. Or, il est impossible de soustraire un corps à la
nécessité d’occuper un lieu ou une position déterminée, à moins de lui enlever
sa nature corporelle dont elle est la conséquence. Donc, aussi longtemps qu’il
garde cette nature, son mouvement ne peut pas être instantané, quelle que soit
l’énergie de son moteur ; conclusion qui s’applique au corps glorieux,
puisqu’il ne cessera jamais d’être un corps.
4. Saint
Augustin parle d’une égale célérité, parce que la différence sera
imperceptible, comme le temps même nécessaire à ce mouvement.
5. Après
la résurrection, il n’y aura plus le temps qui est le nombre du mouvement
sidéral ; Mais il y aura toujours celui qui est le nombre de la succession
essentielle à tout mouvement.
Objections :
1. « Tout
corps lumineux est composé de parties transparentes », dit Avicenne. Or, beaucoup de parties du corps glorieux, la
chair, les os, etc., ne sont pas transparentes, ni, par conséquent, lumineuses.
2. Un
corps lumineux fait écran un astre en éclipse un autre ; la flamme empêche de
voir ce qui est derrière elle. Or, saint Grégoire dit que, « au Ciel, l’épaisseur corporelle ne fera pas obstacle aux regards
des élus ils pourront voir de leurs yeux la merveilleuse harmonie intérieure du
corps humain. »
3. Selon
Aristote, « la lumière est dans le
diaphane indéterminé, tandis que la couleur est à la limite des corps. » Or, « la beauté, dont la proportion et le coloris sont les éléments », dit saint Augustin, ne saurait faire
défaut au corps glorieux, qui ne peut donc pas être lumineux.
4. La
clarté devrait être égale dans toutes les parties du corps glorieux, de même
que toutes sont également impassibles, subtiles et agiles. Mais il semble bien
que, au contraire, certaines devraient être plus éclatantes que d’autres les
yeux plus que les mains, les humeurs plus que la chair et les tendons.
Cependant
:
1. « Les justes resplendiront comme le soleil
dans le royaume de leur Père. » – « Ils brilleront, et, semblables à des
étincelles, etc. »
2° Le
corps des élus, « semé dans l’ignominie, ressuscitera glorieux », dit
saint Paul ; ce qui signifie la clarté, puisqu’il vient de parler de celle des
étoiles.
Conclusion
:
Il faut attribuer cette prérogative au corps
des élus, puisque l’Écriture l’affirme, ainsi que nous venons de le dire. On
peut l’expliquer de la manière suivante : de même qu’à l’heure de la mort, le
corps psychique devient transparent en ce sens qu’il ne constitue plus un
obstacle aux pensées, de même, après l’entrée dans la vision de Dieu
transparaît dans le corps ressuscité. Ainsi, la clarté aura pour cause le
rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps. Ce qu’un être reçoit, il le
reçoit selon sa nature à lui, et non pas selon la nature de l’être qui le lui
communique. La clarté, spirituelle dans l’âme, sera donc corporelle dans le
corps, et, en lui comme en elle, proportionnée au mérite. La clarté du corps
manifestera donc la gloire de l’âme, comme un vase de cristal reflète la
couleur de l’objet qu’il renferme, dit saint Grégoire.
Solutions
:
1. Avicenne
parle du corps dont la clarté dépend des éléments dont il est formé. Celle du
corps glorieux dépend du mérite et de la vertu. Il ne faut donc pas confondre
la clarté du corps glorieux avec une simple luminescence. Ici, la lumière
physique qui éclate a la propriété de révéler la présence de Dieu qui est vu.
2. Saint
Grégoire, commentant Job, compare le corps glorieux à l’or, à cause de son
éclat, et au cristal, à cause de sa transparence. Il semble donc bien qu’il
aura ces deux qualités à la fois. C’est la densité des éléments qui fait que
leur éclat s’oppose à la transparence. Mais la clarté du corps glorieux n’aura
pas sa cause en lui-même : il pourra donc, comme le cristal, posséder tout
ensemble densité et transparence. Certains veulent qu’il y ait ici une simple
comparaison le corps glorieux laisse voir la gloire de l’âme, comme un vase de
cristal laisse voir l’objet qu’il renferme. Mais la première explication
convient mieux à la dignité du corps glorieux, et elle est plus conforme à ce
que dit saint Grégoire.
3. La
gloire du corps ne détruira pas sa nature, mais la perfectionnera. La couleur
qui lui est naturelle demeurera donc, mais la gloire de l’âme y ajoutera un
nouvel éclat ; de même qu’on voit ici-bas la splendeur du soleil ou toute autre
cause interne ou externe, faire briller davantage les objets naturellement
colorés.
4. La
gloire de l’âme rejaillira sur chaque partie du corps de la manière convenable
à celle-ci. Il est donc raisonnable d’admettre que chacune aura une clarté plus
ou moins grande selon ses prédispositions naturelles. Il n’en va pas de même
pour les autres prérogatives, car les différentes parties du corps s’y prêtent
également.
Objections :
1. Cela
semble, car la récompense essentielle l’emporte sur l’accidentelle. Mais la
dot, qui appartient à la récompense essentielle, n’est point seulement dans
l’âme, elle est aussi dans le corps. Donc également l’auréole, qui appartient à
la récompense accidentelle.
2. Le
péché accompli avec le corps reçoit un châtiment dans l’âme et dans le corps.
Donc, l’acte méritoire accompli avec le corps mérite une récompense dans l’âme
et dans le corps. Or, les actes qui méritent l’auréole s’accomplissent avec le
corps. Celle-ci lui est donc due aussi.
3. Dans
les corps des martyrs, on verra, à travers leurs cicatrices, une sorte de rayonnement
de la plénitude de leur vertu, saint Augustin dit : « Je ne sais comment nous sommes pénétrés par l’amour des
bienheureux martyrs, au point de vouloir voir, au royaume des cieux, jusque
dans leurs corps, les cicatrices des blessures qu’ils ont supportées pour le
nom du Christ. Peut-être les verrons-nous ce ne sera pas chez eux une
difformité, mais une sorte d’honneur ; une splendeur brillera en eux, qui, bien
qu’elle soit dans leur corps, ne sera pas du corps, mais de leur vertu. » Il semble donc que l’auréole des
martyrs sera même dans leur corps, ainsi que les autres auréoles, pour le même
motif.
Cependant
:
Les âmes qui sont maintenant au paradis ont
des auréoles, sans avoir de corps physique. Le sujet propre de l’auréole n’est
donc pas le corps, mais l’âme.
En outre, tout mérite vient de l’âme : toute
la récompense doit donc être en elle.
Conclusion
:
L’auréole est à proprement parler dans
l’esprit car elle est la joie d’avoir accompli les œuvres auxquelles est due
l’auréole. Mais de même que de la joie de la récompense essentielle, qui est
la couronne, rejaillit une sorte de beauté dans le corps, qui le glorifie, de
même, de la joie de l’auréole rejaillit une certaine beauté du corps ; de sorte
que l’auréole est principalement dans l’esprit, mais qu’elle resplendit aussi
dans le corps par une sorte de reflet.
Solutions
:
1. De là
découlent les réponses aux difficultés. Pourtant, on doit savoir que l’ornement
des cicatrices, qui apparaîtront dans le corps des martyrs, ne peut s’appeler
auréole. Car certains martyrs auront l’auréole sans avoir de cicatrices, parce
qu’ils ont été noyés ou sont morts de faim ou des suites des tourments de leur
prison.
Objections :
1. Il faut
une proportion entre le sens de la vue et son objet. Or, il n’y en a pas entre
l’œil humain non glorifié et la clarté de la gloire qui est d’une autre espèce
que celle de la nature.
2. Le
corps glorieux sera plus brillant que le soleil, qui brillera lui-même encore
d’avantage qu’aujourd’hui. Or, l’œil humain n’est pas capable de contempler le
soleil dans tout son éclat.
3. Un
objet visible, placé devant un œil sain, est nécessairement vu par lui. Or, les
disciples virent le corps du Sauveur ressuscité sans en voir la clarté. C’est
donc que la clarté du corps glorieux n’est pas visible pour l’œil humain.
Cependant
:
1° « Le Sauveur transformera notre corps
misérable en le rendant semblable à son corps glorieux », dit saint
Paul ; et la Glose ajoute : « Nous
aurons une clarté semblable à celle qu’il eut lui-même lors de sa transfiguration,
clarté que ses disciples purent voir de leurs yeux. »
2° Au
jugement, les impies seront torturés en voyant la gloire des justes, dont la
clarté est un élément.
Conclusion
:
Certains ont nié la possibilité de cette
vision à moins d’un miracle. Mais, pour admettre cette opinion, il faudrait,
quand on parle du corps glorieux, donner au mot clarté un sens tout
différent de celui auquel nous sommes habitués. En effet, la lumière est par
elle-même, de nature à impressionner la vue, comme la vue est, par elle-même,
de nature à percevoir la lumière ; les mêmes rapports existent aussi entre le
vrai et l’intelligence, le bien et la volonté. Pour dire que la vue est
absolument incapable de percevoir la lumière, il faudrait donc prendre le mot
"vue" ou le mot lumière dans un sens tout nouveau. Il ne saurait en
être ainsi quant à la question présente ; car alors, nous dire que la clarté est
une prérogative du corps glorieux ne nous apprendrait rien, pas plus que si
l’on disait qu’il y a un chien dans le Ciel, (en désignant la constellation
ainsi nommée), à quelqu’un qui ne connaîtrait que le chien animal. Il faut donc
conclure que la clarté du corps glorieux peut être vue par un œil non glorifié.
Solutions
:
1. La
clarté de la gloire a une autre cause que celle de la nature, mais elle n’est
pas d’une autre espèce, ni donc sans proportion avec la vue.
2. Le
corps glorieux ne peut agir ou pâtir que sous l’influence de l’âme. Une clarté
intense qui émane de l’âme n’offense pas la vue, mais la délecte ; au
contraire, celle qui provient d’une cause naturelle brûle et désagrège l’organe
visuel. Ainsi, la clarté du corps glorieux, quoiqu’elle dépasse celle du
soleil, n’est donc pas de nature à blesser le regard, mais plutôt à le réjouir.
C’est pourquoi l’Apocalypse la compare à l’éclat du jaspe.
3. C’est
la volonté qui a mérité la clarté du corps. Celle-ci lui sera donc soumise,
visible ou invisible à son gré : le corps glorieux pourra donc ou manifester ou
dissimuler son éclat. Telle est l’opinion du Prévôtin.
Objections :
1. Le
corps glorieux sera lumineux. Or, il est de la nature de la lumière d’être vue
et de faire voir.
2. Un
corps qui empêche de voir ce qui est derrière lui est vu nécessairement et par
le fait même. Or, il en est ainsi du corps glorieux, puisqu’il est coloré.
3. Comme
la quantité, la visibilité est inhérente au corps. Donc celle-ci, pas plus que
celle-là, ne dépend de la volonté.
Cependant
:
1° Le
corps des élus ressemblera à celui du Christ ressuscité, qui n’était pas nécessairement
vu, puisque tout d’un coup, les disciples d’Emmaüs ne le virent plus.
2° Le
corps glorieux obéira parfaitement à l’âme : il sera donc visible ou invisible
au gré de celle-ci.
Conclusion
:
Un objet visible est vu par l’action qu’il
exerce sur la vue. Mais cette action sur quelque chose d’extérieur à lui ne le
change pas lui-même. Donc, sans perdre aucun des éléments de sa perfection, le
corps glorieux peut être vu ou ne l’être pas. Donc, l’âme glorifiée a le
pouvoir de rendre son corps visible ou invisible : cette action, comme les
autres, dépend d’elle. Autrement, le corps glorieux ne serait pas, vis-à-vis
d’elle, l’instrument tout à fait obéissant qu’il doit être.
Solutions
:
1. Le
corps glorieux sera maître de manifester ou dissimuler sa clarté.
2. La
couleur d’un corps n’empêche sa transparence que si elle agit sur la vue, qui
peut difficilement être impressionnée par deux couleurs à la fois de façon à
voir parfaitement l’une et l’autre. Mais la couleur du corps glorieux agira ou
n’agira pas sur la vue, ait gré de l’âme, et pourra donc de même être opaque ou
transparente
3. La quantité est inhérente au corps
glorieux, de telle sorte qu’elle ne puisse varier au gré de l’âme, sans un
changement intrinsèque qui serait en contradiction avec l’impassibilité de ce
corps. Il n’en va pas de même pour la visibilité. Sans doute, il ne dépend pas
de l’âme que la qualité, qui en est le principe, soit ou ne soit pas ; mais
l’action de cette qualité, et donc le fait d’être visible ou de ne l’être pas,
dépend de l’âme.
Objections :
1. Le phénomène de bilocation est attesté
chez des saints comme Martin de Porres. Mais les théologiens l’ont toujours regardé
comme un charisme miraculeux venant de Dieu. Donc, si les saints peuvent
occuper plusieurs lieux à la fois, ce sera par miracle et non à travers une
propriété naturelle du corps glorieux.
2. Si le corps des élus peut se déplacer
instantanément et occuper plusieurs lieux à la fois, c’est qu’il n’est plus un
corps mais un pur esprit. En effet, ces propriétés sont contradictoires avec la
nature des corps mais exercées par les anges. Or, nous avons montré que le
corps des élus sera un vrai corps. Donc il ne pourra occuper plusieurs lieux à
la fois.
Cependant :
Le
Christ et la Vierge Marie, au Ciel, ne cessent d’accueillir les mourants à
l’heure de leur passage de ce monde à l’autre. Or des milliers d’hommes meurent
chaque seconde. Donc Jésus et Marie, peuvent être dans plusieurs lieux à la foi
et ce habituellement, depuis près de 2000 ans. Il en sera donc de même pour
tous les saints, avant comme après la résurrection de la chair.
Conclusion :
Une
propriété exercée par un corps glorifié peut avoir deux causes : 1° Parfois, elle est naturelle quand elle n’est pas
contradictoire avec les propriétés de la matière mais nécessite simplement une
énergie supérieure. Ainsi en sera-t-il du mouvement extrêmement rapide des élus
comme des damnés. 2° Parfois,
lorsqu’elle dépasse toute la capacité de la matière, elle est d’origine divine à travers un charisme
surajouté. Ainsi en sera-t-il du mouvement instantané que seuls les saints du
Ciel pratiqueront, portés par la puissance surnaturelle de Dieu. La bilocation
et la multilocation font partie de cette deuxième catégorie de phénomènes. En
effet, un corps ne peut en aucune façon occuper deux lieux à la fois. Dieu
revêtira donc les élus de cette capacité afin qu’ils puissent, à volonté comme
il convient à des amis libres, exercer les apostolats et ministères qu’il leur
confiera dans l’éternité.
Solutions :
1. Cette objection est vraie. Il faut ajouter
que ce charisme sera fréquemment exercé au Ciel, les saints exerçant un
apostolat dans les purgatoires mais aussi une communauté de vie entre eux,
malgré l’immensité du monde nouveau, beaucoup plus riches qu’ici-bas.
2. Le
corps du ressuscité sera spirituel, selon la parole de
l’Apôtre[1783] : « Semé
animal, il ressuscitera corps spirituel. », non qu’il sera esprit
comme certains l’entendent abusivement, -qu’on entende esprit au sens de
substance spirituelle ou qu’on l’entende au sens d’air ou de vent- ; mais pour
deux raisons : 1° parce qu’il
sera totalement soumis à l’esprit. Ainsi maintenant est-il appelé corps animal,
non qu’il soit âme, mais parce qu’il est soumis aux passions de l’âme et qu’il
a besoin d’être nourri. 2° Parce que
Dieu revêtira miraculeusement ses amis de propriétés qui relèvent
habituellement des purs esprits, comme le mouvement instantané, à la vitesse de
la pensée, et la multilocation.
Il s’agit maintenant de l’état corporel des
damnés. On demande[1784] :
1° Ressusciteront-ils
avec leurs difformités corporelles ?
2° Leur
corps sera-t-il corruptible ?
3° Sera-t-il
impassible ?
Objections :
1. La
peine du péché ne peut cesser qu’avec sa rémission. Or, la mutilation est
parfois un châtiment du péché, et on pourrait en dire autant de toutes les
difformités corporelles. La résurrection ne les fera donc pas disparaître du
corps des damnés, dont les péchés ne seront jamais remis.
2. De même
que les élus auront tout ce qui peut rendre leur félicité parfaite ; de même
les damnés devront avoir tout ce qui peut porter leur malheur à son comble.
3. La
résurrection ne remédiera pas au défaut d’agilité chez les damnés ; donc, pas
davantage, à leurs difformités.
Cependant
:
« Les
morts ressusciteront incorruptibles », dit
saint Paul ; et la Glose ajoute « tous
les morts sans distinction, même les pécheurs, ressusciteront avec leurs
membres au complet. »
Conclusion
:
On peut distinguer deux espèces de
difformités corporelles. 1° L’une
résulte de l’absence d’un membre, d’une mutilation, qui détruit l’harmonie et
la beauté du corps. Tout le monde affirme que le corps des damnés ne sera pas
difforme de cette manière, puisque le corps humain, chez les méchants comme
chez les bons, doit ressusciter tout entier. 2° L’autre résulte d’un désordre, ayant pour objet la quantité, la
qualité, la disposition des membres et, en tout cas, nuisible à l’équilibre et
à l’harmonie du corps tout entier. Sur cette espèce de difformités, comme les
infirmités, fièvres, maladies, etc., qui en sont parfois la cause, saint
Augustin n’a pas voulu se prononcer.
Certains ont été plus hardis et ont déclaré que les damnés
ressusciteront avec elles, pour que rien ne manque au malheur suprême qu’ils
ont mérité. Cette opinion ne semble pas raisonnable. La réparation du corps
humain vise sa perfection naturelle plus encore que son état antérieur ; c’est
pourquoi les enfants ressusciteront à l’âge de la pleine jeunesse. Dès lors,
tout défaut corporel et toute difformité conséquente devraient disparaître à la
résurrection, à moins, prétend-on, que le péché ne s’y oppose et en impose la
réviviscence comme un châtiment. Mais « la
peine doit correspondre à la faute »
; et il pourrait donc arriver qu’un pécheur moins coupable souffrît de ces
infirmités dont un autre plus coupable serait exempt dès lors la mesure de son
châtiment serait disproportionnée à celle de sa faute, et il semblerait plutôt
qu’il fût puni pour des peines qu’il a déjà endurées en cette vie, ce qui est
absurde.
Il est donc plus raisonnable de dire que le
Créateur de la nature humaine la refera dans son intégrité. C’est-à-dire tous
les défauts et difformités corporels, fièvre, mal d’yeux, etc., ayant pour
principe une corruption ou une débilité de la nature ou des principes naturels,
seront éliminés par la résurrection ; par contre, les imperfections inhérentes
au corps humain de par sa nature même, pesanteur, passibilité, etc., dont
l’état de gloire délivrera le corps des élus, se retrouveront dans le corps des
damnés.
Solutions
:
1. Un
tribunal ne peut infliger une peine que dans les limites de sa juridiction ;
c’est pourquoi les peines infligées au péché en cette vie sont temporelles
comme elle et finissent avec elle. Ainsi donc, quoique le péché des damnés ne
soit pas remis, il ne s’ensuit point qu’ils doivent subir les mêmes peines
qu’ici-bas. D’autres sortes de peines corporelles viendront, par un effet de
somatisation de leur esprit perpétuellement en révolte.
2. Il n’y
a point parité entre les bons et les méchants ; car quelque chose peut être
absolument bon, mais rien ne peut être absolument mauvais. Le bonheur des élus
exige l’absence de tout mal ; mais le malheur des damnés se saurait exiger
celle de tout bien, car « le
mal, s’il n’était que mal, se détruirait lui-même », comme le dit Aristote. Le malheur des damnés exige donc la
présence d’un certain bien naturel, à savoir, la nature humaine, œuvre du
Créateur parfait, qui la leur rendra dans toute sa perfection spécifique.
3. L’absence
d’agilité est une imperfection naturelle au corps humain ; il n’en est pas
ainsi d’une difformité.
Objections :
1. C’est
impossible, puisqu’il sera composé d’éléments contraires, comme aujourd’hui ;
autrement, il ne serait plus le même, ni comme espèce, ni comme individu.
2. Son
incorruptibilité viendrait ou de la nature ou de la grâce et de la gloire. Mais
la première sera et en eux la même qu’aujourd’hui, et les deux autres leur
feront défaut.
3. Il ne
semble pas raisonnable de soustraire ceux qui ont mérité le malheur suprême à
la mort, qui est le plus grand des châtiments.
Cependant
:
1° Il est
dit dans l’Apocalypse : « En ces jours-là, les hommes chercheront la
mort et ils ne la trouveront pas ; ils souhaiteront la mort, et la mort fuira
loin d’eux. »
2° Et dans
saint Matthieu : « Ceux-ci iront au supplice éternel » ;
ce qui suppose l’incorruptibilité corporelle de ceux qui y sont condamnés.
Conclusion
:
Comme tout mouvement exige une cause, un
mouvement ou changement peut être supprimé si la cause fait défaut ou si
quelque chose met obstacle à son action. Or, la corruption est une espèce de
changement, et peut donc aussi être empêchée des deux manières qui viennent
d’être dites. 1° En supprimant totalement
sa cause ; c’est ainsi que le corps des damnés sera incorruptible. Dieu
supprimera toute cause extérieure de corruption comme les maladies, les
blessures etc. Après la résurrection, le corps humain ne subira donc plus
aucune influence capable de l’altérer et finalement de le corrompre. Cette
incorruptibilité corporelle des damnés servira l’amour de Dieu qui respecte le
choix éternel des damnés. 2° En
mettant obstacle à son action. C’est ainsi que le corps d’Adam était
incorruptible la grâce d’innocence empêchait eu lui la lutte des éléments
contraires et la dissolution qui en aurait été la conséquence. C’est ainsi que
le sera, et mieux encore, le corps des élus, pleinement soumis à leur âme, et
dans lequel se trouveront donc à la fois les deux modes d’incorruptibilité.
Solutions
:
1. Les
éléments contraires dont le corps humain est formé conduisent à la destruction
de la vie biologique pour deux raisons : 1°
Une cause interne au corps qui porte en lui-même la nécessité de mourir
puisqu’il est programmé génétiquement de telle manière qu’il perde sa vitalité
avec l’âge. Le corps ne se renouvelant pas assez rapidement, l’usure des
organes cause la vieillesse et le rend de moins en moins apte à être informé
par l’âme. Lorsqu’un homme meurt de vieillesse, c’est parce que son âme est
devenue incapable d’assumer un corps trop usé. 2° Une cause externe peut venir apporter la destruction du corps :
il s’agit des diverses maladies dont l’origine peut être d’ailleurs très
diverse : parfois physique (blessure, microbes, refroidissements,
empoisonnements), parfois psychologique (à cause d’un excès de tristesse ou
d’angoisse), parfois spirituelle (état de péché), parfois paranormale
(influence du monde angélique). De telles maladies peuvent aboutir à la mort
puisque l’âme n’a ni une puissance infinie sur le corps ni une assistance divine
infaillible pour le maintient de la vie biologique.
Après la résurrection, les causes internes de
la destruction du corps disparaîtront puisqu’il sera éternellement renouvelé
par la gloire de Dieu. D’autre part, l’âme, à cause de l’aide divine, exercera
en plénitude sa puissance vitalisante au point que nulle maladie ne pourra en
aucune manière frapper l’homme.
2.
L’incorruptibilité des damnés vient de leur nature. Leur corps sera fait de la
même matière qu’ici-bas mais celle-ci aura été surélevée par le Créateur à un
état nouveau délivré de l’entropie.
3. Dieu
ne saurait punir celui qui le refuse en le privant de son être puisque,
justement, c’est Dieu qui a voulu qu’ultimement, au terme d’un temps de
formation, un homme puisse refuser librement son amour.
Objections :
1. « Toute
passion (modification) qui s’accentue tend à détruire la nature », dit Aristote. De plus, « une destruction partielle, mais
continue, d’un être fini, aboutit à sa totale corruption. » Or, on vient de prouver que le corps des damnés est
incorruptible ; il doit donc aussi être impassible.
2. Même
conclusion tirée de la loi d’après laquelle l’agent tend à s’assimiler le
patient. Si le feu fait pâtir le corps des damnés, il finira par le consumer.
3. Le
corps des damnés était passible, leurs souffrances surpasseraient toutes celles
d’ici- bas, de même que la félicité des élus est incomparable. Mais nous
voyons l’intensité de la douleur causer parfois la mort. À plus forte raison,
le corps des damnés ne peut pas être à la fois passible et incorruptible.
Cependant
:
1° À ces
paroles, de saint Paul : « Nous serons transformés », la
Glose ajoute : « Nous seuls, les bons, serons transformés par la gloire
et deviendrons immuables et impassibles.
»
2° Le
corps est l’auxiliaire de l’âme pour le mal comme pour le bien. Or, le corps
partagera la récompense de l’âme ; il doit donc partager aussi son châtiment,
et, pour cela, être passible.
Conclusion
:
Pâtir signifie une modification éprouvée par
le patient ce qui peut avoir lieu de deux manières. 1° Le patient peut recevoir de l’agent une forme, selon l’être
matériel de celle-ci telle, la chaleur que l’air reçoit du feu on appelle cette
manière passion naturelle. 2° Il
peut la recevoir immatériellement, selon son être intentionnel : telle une
couleur, la blancheur, par exemple, reçue dans l’air et dans l’œil ; c’est de
cette manière que l’âme reçoit les similitudes des réalités, aussi
l’appelle-t-on passion de l’âme. -Après la résurrection, il n’y aura plus
d’altération ni donc de passion naturelle, et, en ce sens, le corps des damnés
sera impassible aussi bien qu’incorruptible. Mais l’autre mode de passion
demeurera : l’air sera illuminé par le soleil, et, par lui, la vue recevra
l’impression des objets colorés. Le corps des damnés sera passible de cette
manière : leur sensibilité s’exercera donc ressentira la souffrance, sans
pourtant que l’état naturel de leur corps soit modifié. Quant au corps des
élus, quoiqu’il soit passif, en un certain sens, puisque leur sensibilité
s’exercera, on ne doit cependant pas le dire passible, parce que jamais leur
sensibilité n’aura pour objet quelque chose qui puisse les affliger ou les
faire souffrir.
Les damnés pourront souffrir physiquement
car, n’étant pas unis à Dieu par la charité, ils ne recevront pas la grâce qui
seule aurait pu les établir dans la béatitude. Leur corps étant celui d’une
âme malheureuse, il participera à ce malheur.
Solutions
:
1. Aristote
parle ici de la passion qui modifie l’état naturel du patient ; le corps des
damnés en sera indemne.
2. Le feu,
c’est-à-dire la souffrance physique qui consumera le corps des damnés aura sa
source dans leur propre péché comme nous l’avons montré. En tant qu’elle s’est
détournée de Dieu, leur âme répandra son amertume jusque dans leur corps ;
cependant, en tant qu’elle est source de leur vie, elle recevra de Dieu la
puissance de les maintenir toujours en vie. Dieu dans sa justice respectera
ainsi leur liberté, puisque c’est ainsi que veulent vivre les damnés, loin de
celui qui aurait pu les rendre heureux.
3. La
douleur ne sépare pas l’âme du corps, tant qu’elle reste dans la puissance de
l’âme qui en est le sujet, mais seulement lorsqu’elle se communique au corps
pour le modifier, comme nous voyons la colère l’échauffer ou la peur le glacer.
Mais, après la résurrection, le corps ne sera plus soumis à des modifications
de ce genre ; et ainsi, quelque grande que soit la douleur, jamais elle ne
séparera l’âme de son corps.
Il
nous faut maintenant étudier la transformation du monde qui accompagnera la
résurrection des corps. Elle sera précédée par une purification des éléments
qui s’accomplira par le feu. A propos de la conflagration du monde, nous nous
poserons huit questions :
1° Le monde doit-il être purifié ?
2° Cette purification se fera-t-elle par le
feu ?
3° Ce feu purifiera-t-il les cieux
supérieurs ou seulement la terre ?
4° Tous les éléments seront-ils purifiés
par le feu ?
5° La dernière conflagration du monde
précédera-t-elle la résurrection des corps ?
6° La dernière conflagration suivra-t-elle
le jugement ?
7° Le feu produira-t-il sur les choses les
effets indiqués par le maître des Sentences ?
8° Ce feu engloutira-t-il les réprouvés ?
Objections :
1. Seul ce
qui est impur a besoin d’être purifié. Mais les créatures de Dieu ne le sont
point[1786] : « Ce
que Dieu a déclaré pur, ne le déclare pas impur. »
2. La
purification opérée par la justice divine a pour objet le péché, par exemple,
en purgatoire. Mais il ne saurait rien y avoir de pareil dans les éléments de
l’univers.
3. Purifier
une chose, c’est séparer d’elle ce qui lui est étranger et la diminue. Lui
enlever ce qui l’ennoblit, ce n’est plus la purifier, mais l’amoindrir. Or leur
combinaison rend les éléments cosmiques plus parfaits et plus nobles, puisque
la forme du corps composé est supérieure à celle du corps simple. La purification de l’univers semble donc
inadmissible.
Cependant :
1° Tout renouvellement exige une certaine
purification. Or, les éléments seront renouvelés[1787] : «
Je vis un nouveau Ciel et une nouvelle
terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu. »
2° « La figure de ce monde passe », dit
saint Paul[1788] et la Glose ajoute : « La beauté de ce monde périra dans la
conflagration universelle. »
Conclusion :
Dieu commencera l’œuvre de renouvellement du
monde en détruisant. Saint Pierre nous décrit son action[1789] : « Il viendra, le jour du Seigneur, comme un
voleur. En ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés
se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme sera consumée ».
Comme tous les textes apocalyptiques, ce texte parle en premier lieu de notre
mort individuelle. La
glorification du corps humain exige la disparition des trois choses qui, à
savoir, 1° la corruptibilité
naturelle liées aux propriétés provisoires de toute la matière de ce monde ; 2° La souillure du péché : « La
corruption ne possédera point l’incorruptibilité », tous les
immondes seront "exclus" de la cité glorieuse ; 3° Ce qui étant saint mais provisoire, sera périmé. Mais ce texte décrit aussi la fin de notre
planète. Il y aura aussi trois motifs :
1° La
corruptibilité naturelle des choses : Ainsi faut-il que les éléments
cosmiques soient débarrassés des dispositions contraires à l’incorruptibilité
(l’entropie) avant d’être renouvelés et glorifiés. Puisque le monde a été fait
à certains égards pour l’homme, il faut que lorsque l’homme sera glorifié dans
son corps, les autres êtres corporels soient améliorés, afin que l’univers
devienne un séjour à la fois plus convenable et plus agréable.
2° Les
vestiges des péchés : Dans les parties où l’homme a vécu, il faut aussi que
disparaissent les vestiges archéologiques marqués par son péché. Sans doute, le
péché ne peut pas, à proprement parler, souiller les choses corporelles. Il met
cependant en elles une espèce de répugnance à un enrichissement spirituel. Les
lieux profanés par certains crimes sont jugés impropres aux cérémonies
religieuses, tant qu’ils n’ont pas été purifiés. D’après ce principe, la partie
de l’univers où vivent les hommes a contracté, à cause de leurs péchés, une certaine
inaptitude à être glorifiée, et donc un besoin de purification. De même, les
éléments de la partie intermédiaire, de par leur contact avec les nôtres,
subissent des influences : corruption, génération, altération, qui les
dégradent et exigent qu’ils soient purifiés, eux aussi, avant d’être renouvelés
et glorifiés.
3° Ce
qui, pourtant saint, sera périmé : Personne
ne regrettera les cathédrales gothiques, où l’on priait si mal au temps où Dieu
se cachait dans son eucharistie, puisque le même Dieu sera vu face à face dans
le temple nouveau de l’univers. Personne ne voudra garder les immenses
bibliothèques puisqu’on lira les sciences à livre ouvert sur le visage de Dieu.
Il ne devra rien subsister du monde ancien, pas pierre sur pierre, car le monde
nouveau le remplacera. Même les œuvres faites par Dieu pour cette terre
disparaîtront. Les textes des Evangiles seront brûlés par le feu dont parle
saint Pierre[1790] : nous aurons
le Christ lui-même qui est l’Évangile incarné, présent devant nos yeux.
Après la destruction de la terre, Dieu commencera à
façonner un nouvel univers. Il s’agira d'un univers physique, tout autant que
notre corps, mais adapté à sa nouvelle vie. Il sera donc comme lui éternel,
délivré de toute corruption et génération, dispensé de cette loi de
désagrégation (l'entropie) qui nous tient actuellement. C'est Dieu lui-même
qui, en le soutenant comme il soutiendra notre corps et le dispensera de se
nourrir, le rendra incorruptible.
Solutions :
1. Quand on dit que toute créature de Dieu
est pure, il faut entendre que sa substance ne contient aucun mélange de mal,
au sens des Manichéens qui prétendaient que le bien et le mal sont deux
substances, tantôt séparées, tantôt mêlées. Mais cela n’exclut pas la
possibilité d’un alliage par lequel une chose, bonne en elle-même, déprécie
cependant celle à laquelle elle s’allie. Cela n’exclut pas non plus la
possibilité du mal pour une créature, mais toujours comme un accident, et
jamais comme une partie essentielle.
2. Quoique les éléments corporels ne
puissent être le sujet du péché, celui-ci leur fait cependant contracter une
certaine inaptitude à recevoir leur glorification.
3. Le fait que les corps soient composés
d’une structure complexe ne les rend corruptibles qu’ici-bas, non à cause de
cette complexité elle-même mais à cause de la faiblesse de leur cause d’unité (physis
pour les corps minéraux et psyche pour les vivants) trop faible à les
garder incorrompus. Dans l’au-delà, les corps composés seront revêtus de la
force incorruptible de leur cause d’unité transfigurée par Dieu. Ils resteront
donc composés mais ils seront, grâce à cette puissance venant de Dieu, l’Acte
pur, débarrassés pour toujours des effets de la loi de l’entropie.
Objections :
1. Le feu, étant une partie de l’univers, a
besoin, autant que les autres, d’être purifié ; mais il ne peut pas l’être par
lui-même.
2. Aussi bien que le feu, l’eau sert à
purifier, et certaines purifications lui étaient réservées dans l’ancienne Loi.
La purification de l’univers, du moins dans sa totalité, ne se fera donc pas
par le feu mais par l’eau.
3. Elle semble devoir consister à
désagréger les parties qui composent l’univers afin de les rendre plus pures.
Mais « cette œuvre de
distinction », à l’origine du monde,
eut pour cause la seule puissance divine ; Anaxagore dit qu’elle est un acte de
l’intelligence qui meut toutes choses. La purification finale sera donc faite
par Dieu lui-même, et non par le feu.
Cependant :
1° La réponse affirmative est suggérée par
un texte des Psaumes qui parle en ces termes de la fin du monde et du jugement[1792]. « Devant lui est un feu dévorant, autour de
lui se déchaîne la tempête. Il appelle les cieux en haut, et la terre, pour
juger son peuple. »
2° Saint Pierre dit aussi[1793] : «
Les cieux enflammés se dissoudront, et
les éléments embrasés se fondront. »
Conclusion :
La
purification de l’univers est destinée non seulement à enlever la souillure
résultant du péché, l’impureté consécutive au mélange des éléments, mais aussi
à préparer l’état glorieux. Le feu convient très parfaitement à ce triple effet
: 1° Il est le plus noble des
éléments, celui dont les propriétés naturelles, par exemple et surtout la
lumière, ressemblent le plus à celles de la gloire. 2° L’énergie de son activité rend un alliage avec lui plus
difficile qu’avec tout autre élément. 3°
La sphère ignée est éloignée du globe terrestre, demeure des hommes, et
ceux-ci emploient le feu moins communément que la terre, l’eau ou l’air ; il
est donc par là même moins contaminé. Pour ces motifs, il possède une grande
efficacité pour purifier et diviser jusqu’aux parties les plus subtiles.
Cependant,
la science moderne permet peut-être d’aller plus loin dans la recherche de la
nature de ce feu. Puisqu’il renouvellera de manière fondamentale l’état de la
matière atomique, l’entropie n’étant pas supprimée en elle-même (sans quoi la
matière ne serait plus de la matière) mais empêchée d’agir par une action de
Dieu, on peut penser que ce feu agira au moins au niveau atomique si ce n’est
plus profondément, au niveau des particules qui forment les atomes ou encore au
niveau plus radical de la lumière première qui compose l’univers.
Solutions :
1. C’est uni à une matière étrangère que le
feu est employé par l’homme ; mais, considéré comme l’énergie matérielle
fondamentale, il n’est pas susceptible d’être souillé par l’homme et c’est en
cet état de pureté originelle qu’il pourra purifier et comme raffiner le feu
que nous employons.
2. Le déluge purifia le monde de la
souillure du péché, et surtout du péché de convoitise auquel l’eau convenait
bien comme élément purificateur. La purification finale ayant pour objet et la
souillure du péché et la corruptibilité du monde, le feu paraît lui convenir
mieux que l’eau. Celle-ci est plus apte à amalgamer qu’à désagréger, et donc
moins capable de séparer les éléments pour les purifier. D’autre part, à la fin
du monde, devenu vieux, pour ainsi dire, le grand péché, ce sera la tiédeur[1794] : «
La charité d’un grand nombre se
refroidira. » Il convient donc qu’il soit purifié par le feu. Il n’y
a rien qui ne puisse être purifié par le feu. Cependant, certaines choses ne
peuvent l’être sans être consumées, par exemple, les linges, les ustensiles en
bois, etc., dont l’ancienne Loi ordonnait la purification par l’eau. Mais, à la
fin du monde, toutes ces choses doivent être détruites par le feu.
3. Par l’œuvre de distinction, les choses
ont reçu à l’origine les formes diverses qui les distinguent les unes des
autres. Cette action fut opérée par Dieu comme cause première et, comme cause
seconde, par l’action des anges sur les lois de la matière. Dieu ne fut à
l’origine, par sa Toute-puissance, que de l’œuvre de la création à partir de
rien (la matière première et les esprits). La purification finale doit ramener
les choses à la pureté de leur création ; et, en cela, une créature peut servir
d’instrument au Créateur. Il est plus facile en effet de détruire que de
construire.
Objections :
1. Les cieux supérieurs sont les parties du
cosmos qui ne font pas partie de l’environnement immédiat de la terre. Ils font
partie de la création : Le psalmiste dit[1795] : «
les cieux sont l’ouvrage de tes mains.
Ils périront, mais toi, tu demeures. » Ils doivent donc être
atteints par la conflagration universelle.
2. « Les
cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront », dit saint Pierre[1796]. Donc l’univers entier et les galaxies
seront purifiés par le feu.
3. Le feu doit purifier chez les êtres
corporels tout obstacle à leur glorification. Or, dans le ciel supérieur se
rencontre un double obstacle : l’un vient du péché, puisque c’est là que le
démon a péché. L’autre vient de leur nature-même ; ces paroles de saint Paul[1797] : «
Nous savons que, jusqu’à ce jour, la
création tout entière gémit et souffre dans les douleurs de l’enfantement
», sont ainsi commentées par la glose : «
Tous les éléments remplissent leur fonction avec effort ; ce n’est pas sans
effort que le soleil et la lune agissent dans les espaces qui leur sont
assignés. » Leur purification
s’impose donc.
Cependant :
«
Ce qui est pur n’a pas besoin
d’être purifié », dit le Seigneur[1798]. Or le cosmos est resté vierge de toute
influence du au péché de l’homme. Donc il ne sera pas purifié par le feu.
Conclusion :
La
purification finale doit éliminer des êtres corporels ce qui y est contraire à
l’état glorieux, qui sera comme l’apothéose de l’univers. Or, seules les traces
laissées par le péché de l’homme constituent une réelle souillure. En effet, la
matière en elle-même, n’est pas capable de péché. Elle ne peut être en rapport
avec le péché que dans la mesure où elle en a été par quelque manière
l’instrument. Il en est ainsi pour notre corps qui ne se structure pas
seulement dans l’influence des actes bons mais aussi par l’influence de toutes
les pensées, de tous les actes mauvais. Il en est de même pour la terre qui est
marquée par les œuvres de l’homme. Ainsi convient-il que l’or dans lequel l’homme
a mis son cœur, les maisons dans lesquelles il a péché, la terre où le sang des
innocents a été versé soient purifiés par le feu et réduits à leurs éléments
avant d’être transformés en un monde nouveau. Mais les cieux supérieurs que
l’homme ne peut atteindre ne peuvent en aucune manière avoir été souillés par
son péché. Ils seront donc transformés, sans passer par la dissolution, d’une
façon analogue au corps immaculé de la Vierge qui fut transfiguré sans passer
par la mort.
Solutions :
1. Saint Augustin remarque qu’il s’agit ici
des cieux aériens, c’est-à-dire de l’atmosphère de la terre qui sera purifiée à
cause des pollutions opérées par le péché de l’homme. Si on veut appliquer ce
texte aux cieux supérieurs c’est-à-dire au cosmos où sont les étoiles, il faut
répondre qu’ils auraient péri par arrêt de leur mouvement et par extinction
finale de leur rayonnement si Dieu n’était intervenu pour renouveler leur
énergie limitée.
2. Saint Pierre parle comme il s’en
explique lui-même[1799] « des cieux et de la terre qui furent atteints
par le déluge, et que la même parole de Dieu tient en réserve et garde pour le
feu, au jour du jugement. » Il s’agit donc seulement de l’atmosphère
terrestre, c’est à dire des cieux aériens.
3. Cet effort, cette contrainte, que saint
Ambroise attribue aux corps célestes, n’est autre chose que leur inertie
naturelle qui les conduit insensiblement à ralentir leur mouvement. Quant au
péché des mauvais anges, ce n’est que par métaphore qu’on le dit avoir lieu
dans les cieux. Ils n’ont pas de corps donc pas de lieu.
Objections :
1. Certaines parties de la terre n’ont pas
été atteintes par le péché de l’homme comme les profondeurs des abîmes marins
ou le centre de la planète qui est déjà un feu.
2. Certaines œuvres de l’homme sont le
fruit de la charité : telles par exemple les cathédrales et les hauts lieux
consacrés au culte de Dieu. D’autres manifestaient la profondeur du cœur humain
comme les œuvres d’art ; d’autres enfin contiennent ce que l’intelligence à
découvert à force de recherche, comme les livres. Il semble donc qu’ils ne
doivent pas être purifiés par le feu, c’est-à-dire détruits.
3. Les animaux, les plantes furent crées
par Dieu qui les fit bons. Il ne convient donc pas que ces merveilles de la
nature soient détruites par le feu.
4. La matière minérale est organisée selon
des structures simples qui sont les atomes. Il semble que ceux là au moins ne
doivent pas être détruits par le feu.
Cependant :
Saint
Pierre dit[1800] : «
Les éléments embrasés se dissoudront.
»
Conclusion :
La
terre, dans son ensemble, est le lieu où les hommes ont vécu. Elle a donc été
atteinte par son activité selon tout ce qu’elle est. Et cela peut être démontré
en comparant l’état du monde actuel avec celui que nous décrit l’Écriture
Sainte avant le péché originel. Dans cet état, l’homme vivait en harmonie
totale avec la nature. Les animaux venaient librement vers l’homme, sachant
intuitivement qu’ils n’avaient rien à en craindre. Il convient donc que la
planète dans son ensemble soit purifiée par le feu.
Cependant,
tout ce qui est bon et beau renaîtra dans l’autre monde : la matière
minérale par sa transfiguration, la vie animale et végétale par résurrection,
les œuvres d’art par la survie et l’activité de leurs auteurs humains.
Solutions :
1. Le désordre de l’âme de l’homme a une
influence mystérieuse sur l’ordre même du monde minéral. Et on en a des signes
dans le comportement craintif –à juste raison- des animaux vis-à-vis de
l’homme. Ce désordre est certes naturel. Mais le silence et la passivité de
Dieu et des anges qui ne protègent pas l’humanité des catastrophes qui les
frappent tient au fait que l’homme a voulu après le péché originel en faire un
lieu définitif, quitte à se séparer de Dieu. L’harmonie du matériel provisoire
vers le spirituel a été détruite par le péché originel. L’univers et ses
colères sont devenus un signe pour l’homme de son erreur.
2. Il n’est pas d’œuvre humaine où le péché
n’ait, par quelque manière, mis sa tâche. Ainsi, la construction des
cathédrales s’accompagna bien souvent de calculs financiers indignes de Dieu,
de vanité dans le travail et de tous les péchés de l’homme. C’est pourquoi le
Seigneur, montrant la beauté du temple de Jérusalem qui était la huitième
merveille du monde, affirma qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre. En
outre, on doit dire que les cathédrales chrétiennes sont des lieux de culte
provisoires puisque, dans la gloire, il y aura un temple nouveau, non construit
de main d’homme et qui sera l’esprit de chacun où Dieu habitera. De même, la
connaissance humaine limitée ne servira plus et sera remplacée par la science
même de Dieu.
3. Au cours des générations, les vivants
ont connu dans leur structure essentielle, c’est-à-dire dans leur patrimoine
génétique, des déviations et des corruptions qui aboutirent à la dégradation
des espèces. L’homme lui-même n’hésite pas à intervenir directement sur le
chiffre des vivants. Ces dégradations doivent disparaître. C’est pourquoi le
feu fera disparaître toute vie à la fin du monde.
4. En temps qu’il purifie les traces
physiques du péché passé, le feu a pour effet de réduire les corps composés à
leurs éléments atomiques. Il n’est pas nécessaire que la purification aille
plus loin. Ainsi, lorsque l’on veut faire disparaître un objet de culte
profane, se contente-t-on de le réduire en poussière. Mais en tant qu’il
prépare un nouvel état de la structure de la matière, il se peut qu’il soit
plus radical et qu’il touche à la matière première.
Objections :
1. Le monde nouveau sera créé par Dieu afin
que les élus puissent contempler avec leurs yeux de chair l’éclatante merveille
de la sagesse de Dieu qui transparaîtra dans la création renouvelée. Il est
donc convenable que cette transformation du monde se produise au même moment
que la résurrection. Donc le feu purificateur doit intervenir auparavant.
2. Si la résurrection des corps doit avoir
lieu avant la transformation de l’univers, les élus n’auront pas de lieu
convenable où vivre avant que cette œuvre soit réalisée. Cela paraît
inconvenant.
Cependant :
Lors
du retour du Christ, certains hommes seront trouvés encore vivants et ne
mourront pas. Il n’est donc pas possible que le feu intervienne avant leur
transformation sans quoi ils seraient réduits en cendre par le feu.
Conclusion :
La
conflagration du monde qui précédera sa transformation dans un monde nouveau
est comparable à la mort qui aboutit à la destruction du corps et précède la
résurrection. Ainsi, de la même façon que la mort précède la résurrection, la
conflagration du monde précèdera sa transformation. Concernant l’ordre entre la
conflagration du monde et la résurrection des corps, il y a plusieurs opinions.
Certains, pensant que tous les hommes mourraient, y compris ceux de la dernière
génération, affirmèrent que le feu précéderait la résurrection puisque ce
serait lui qui conduirait à la mort les derniers hommes. Mais on a vu que cette
opinion s’oppose à l’autorité de saint Paul[1801]. Aussi il vaut mieux parler autrement :
Après le retour du Christ, tous les morts ressusciteront, tous les vivants
seront transformés et seront rendus impassibles. Ensuite se produira la
destruction de la terre et la création à partir de la matière préexistante du
monde nouveau. Il semble donc que l’humanité entière assistera au spectacle de
cette transformation qui manifestera avec puissance la gloire de Dieu.
Solutions :
1. Les élus pourront éternellement louer
Dieu dans leur corps dont les sens seront comblés par les bienfaits préparés à
travers tout l’univers. Et cette joie commencera dès l’heure de la résurrection
par le spectacle grandiose de la métamorphose de l’univers.
2. Le corps glorifié des élus peut vivre
indifféremment dans n’importe quel lieu puisqu’il est impassible et non soumis
aux conditions habituelles de la vie terrestre. Ainsi, dès aujourd’hui, les
corps de Jésus et Marie peuvent être présents partout où leur volonté le
désire. Il en sera ainsi après la résurrection.
Objections :
1. Saint Augustin le dit : « Quels sont les signes qui doivent
arriver à ce jugement ou non loin de là ? Les voici : l’arrivée d’Élie de
Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l’Antéchrist, le jugement du
Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants,
l’embrasement du monde et son renouvellement. »
2. Il le répète : « Après que les impies auront été jugés et jetés au feu éternel,
alors la figure de ce monde périra dans une conflagration universelle. »
3. Quand le Seigneur viendra pour juger, il
y aura encore des vivants, auquel saint Paul fait dire[1803] : «
Alors, nous, laissés pour l’avènement
du Seigneur, etc. » Mais cela suppose que le feu n’a pas encore
passé, car tous auraient péri.
Cependant :
1° Le Psalmiste a dit[1804] : «
Le feu le précèdera. »
2° « Tout l’œil verra » le Christ-Juge[1805]. La résurrection doit donc précéder le
jugement. Mais elle-même doit être précédée par le feu. En effet, après la
résurrection, les corps des saints seront spirituels et impassibles, incapables
donc d’être purifiés par le feu, qui cependant, saint Augustin le dit, doit
purifier tout ce qui doit l’être.
Conclusion :
La
conflagration du monde quant à son premier effet, précédera certainement le
jugement. La résurrection doit elle-même le précéder, puisque même[1806] « les fidèles qui sont morts
seront emportés sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs. » Or,
c’est en même temps que tous les hommes ressusciteront, que les saints seront
glorifiés dans leur corps[1807] « semé dans l’ignominie et qui ressuscite
glorieux », et que la création tout entière sera renouvelée, « affranchie
de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des
enfants de Dieu. » La conflagration, qui doit préparer cette
rénovation aura donc son premier effet, la purification de l’univers, avant le
jugement. C’est ensuite seulement qu’elle aura son second effet,
l’engloutissement des méchants dans l’enfer.
Solutions :
1. Saint Augustin ne prétend donner ici que
son opinion personnelle. Il ajoute, en effet : « Croyons que tout cela doit arriver ; mais comment ? Dans quel
ordre ? C’est ce qu’apprendra l’expérience mieux que la raison humaine, je
pense cependant que tous ces événements arriveront dans l’ordre que j’ai
exposé. »
2. Même réponse.
3. Tous les hommes mourront et
ressusciteront. Saint Paul appelle vivants ceux qui le seront à l’époque de la
dernière conflagration.
Objections :
1. D’après le Maître des sentences, le feu
consumera les méchants, purifiera les imparfaits, épargnera les parfaits. Cela
ne semble pas juste. En effet, après le retour du Christ, nul ne mourra mais
tous seront transformés et revêtus d’immortalité. Donc le corps des méchants ne
doit pas être consumé.
2. La souillure du péché imprègne les
éléments qui font partie du corps humain, même chez les bons, héritiers comme
les autres, du péché originel. Il convient donc que les bons eux-mêmes soient
consumés.
3. Tant que dure cette vie, les éléments
agissent indifféremment sur les hommes, qu’ils soient bons ou méchants. Donc,
la fin du monde, le feu agira sur tous les vivants, sans distinction.
4. Cette conflagration sera l’œuvre d’un
instant. Il semble que beaucoup d’hommes auront besoin de passer par un
purgatoire prolongé.
Conclusion :
Nous
avons montré que le feu qui viendra détruire la terre vise à préparer sa
transformation conjointement au reste de l’univers, en un monde grandiose pour
tous les hommes, quel que soit leur destin éternel. Il s’agira d’un spectacle à
la dimension de la puissance de Dieu et tous les bons anges s’activeront pour
coopérer à cette œuvre.
Or
il convient que tous les hommes ressuscités, les bons comme les mauvais,
assistent à ce spectacle qui manifestera, dans la ligne des évènements qui
l’auront précédé, la victoire totale de l’amour de Dieu. Chacun verra avec ses
yeux de chair la gloire de Dieu s’étendre visiblement sur le monde sensible
d’où jaillira quantité de merveilles. Il est clair que chacun réagira alors
selon les dispositions de son cœur. C’est ce que veut signifier le maître des
Sentences sous la lettre de son langage symbolique. Les damnés, obstinément
attachés à leur volonté propre, se consumeront de rage en voyant disparaître la
totalité des œuvres humaines terrestres auxquelles ils sont attachés. Ce sera
ressenti par eux comme un échec d’autant plus terrible qu’ils seront davantage
révoltés contre Dieu. Quant aux élus, cette vue ne provoquera aucune tristesse
mais au contraire une grande allégresse qu’on ne peut imaginer. C’est ce que
veut signifier Pierre Lombard en disant que le feu les épargnera. Le cas des
âmes du purgatoire est à mettre à traiter à part car il semble qu’à ce moment,
il n’y aura plus personne dans cet état. Le feu spirituel qui les aura purifiés
aura déjà agi. Ce ne sera donc pas le feu matériel de la transfiguration du
monde.
Solutions :
1. Il ne faut pas prendre dans un sens
premièrement matériel à ces paroles du Maître des Sentences. Certes, le feu qui
détruira la terre sera un feu matériel puisqu’il devra agir sur un monde
matériel. Cependant il faut absolument exclure l’idée que Dieu pourrait, pour
une imaginaire raison de vengeance brûler physiquement le corps des damnés.
Cela ne convient pas à sa sagesse ; c’est en outre inutile à sa justice car la souffrance
physique torturera réellement les damnés non à cause d’une action de Dieu mais
comme une conséquence logique de la perversion de leur âme jusque dans leur
corps. En effet, en assistant au spectacle de la destruction des œuvres
terrestres, les damnés seront frappés au cœur même de leur intention mauvaise.
Ils comprendront la victoire totale de l’amour de Dieu et l’échec de la
révolte. Leur volonté étant contredite, cela se répercutera nécessairement dans
le reste de leur être, à commencer par leur sensibilité envahie de passions
négatives incontrôlables : haine, tristesse, peur et surtout désespoir
puisqu’ils auront mis tout leur espoir dans ces biens qu’ils verront
disparaître devant eux. Ces passions ne seront pas sans effet sur leur corps,
d’une façon analogue à ce qu’on voit sur la terre chez les gens profondément
marqués par trop de pensées négatives : pleurs et grincements de dents,
tremblement de rage, difformités du visage et du corps. En ce sens-là, on peut
parler pour les damnés d’un feu matériel. Ce feu est d’ailleurs le plus
terrible qu’on puisse imaginer car il vient de l’intérieur du pécheur, de sa
seule responsabilité.
2. Le corps des bons sera purifié sans
passer par la mort, mais par une transformation qui les revêtira d’immortalité,
comme nous l’avons dit.
3. Le feu purificateur n’interviendra
qu’après la résurrection, comme on l’a montré. Le corps humain n’aura donc pas
par rapport au feu la même passibilité qu’ici-bas. Il ne pourra plus être
consumé chez les méchants comme chez les bons. Cependant, chez les premiers, la
puissance de la gloire de Dieu n’aura pas supprimé la capacité de souffrir
puisqu’ils sont séparés de la vision de l’essence divine.
4. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles
les hommes que le feu trouvera vivants pourront être purifiés en un instant. 1° La dernière génération sera affinée
par l’accumulation de la culture accumulée dans l’histoire de l’humanité et
efféminée par la paix qui règnera. Son orgueil sera donc plus facilement
purifiable par la moindre souffrance ou peur. 2° Les terreurs et les persécutions des derniers temps auront
effacé déjà en grande partie leurs souillures. 3° Face à l’apparition glorieuse du Christ, convertis, ils subiront
leur peine volontairement en ce monde où la douleur acceptée est beaucoup plus
efficace que les châtiments d’outre-tombe. Comme saint Augustin le dit des
martyrs[1808], chez qui « le tranchant de leur
supplices a enlevé ce qu’il y avait à émonder. » 4° Enfin cette
souffrance gagnera en intensité ce qu’il perdra en durée.
Objections :
1. La Glose dit : « Il est écrit qu’il y aura deux feux : l’un qui purifiera les élus
et précédera le jugement ; l’autre qui tourmentera les réprouvés. » Le premier, le feu de la
conflagration universelle, n’est donc pas le même que le second, qui est celui
de l’enfer, et ce n’est pas lui qui engloutira les réprouvés.
2. Ce feu sera l’instrument de Dieu pour
purifier le monde. Il doit donc avoir part à la même récompense que les autres
éléments, d’autant plus qu’il est le plus excellent de tous et ne pas être
enfoui dans l’enfer pour y faire souffrir les damnés.
3. Le feu qui doit engloutir les méchants,
c’est le feu de l’enfer. Mais ce feu leur a été préparé dès l’origine du monde[1809] : «
Allez, maudits, au feu éternel, qui a
été préparé pour le diable. » Ces paroles d’Isaïe : « Dès
hier, Tophet a été préparé, préparé par le Roi », sont ainsi
interprétées par la Glose : Dès hier, c’est-à-dire, depuis le
commencement ; Tophet, c’est-à-dire, la vallée de la Géhenne. Au
contraire le feu de la dernière conflagration s’allumera par le concours de
tous les feux de l’univers. Ce n’est donc pas le même.
Cependant[1810] :
1° Il est écrit au livre des Psaumes[1811] : «
Le feu s’avance devant lui, et il
dévore à l’entour ses adversaires. »
2° À ces paroles de Daniel[1812] : «
Un fleuve de feu coulait, sortait de
devant lui », la Glose ajoute : «
afin d’engloutir les pécheurs dans l’enfer. »
Il
s’agit bien du feu dont nous parlons, car il doit « purifier les bons et punir les méchants. »
Conclusion :
Dans
tout ce que dit l’Écriture Sainte concernant les peines des damnés, il faut
rechercher en premier lieu la signification spirituelle car Dieu répond avant
tout par une punition spirituelle à un péché spirituel. En second lieu et comme
une conséquence dérivée de la première, il faut s’attacher à chercher quelle
sera la répercussion de cette peine après la résurrection des corps. Trois
questions se posent : 1° La
souffrance corporelle est-elle une suite naturelle par dérivation
psychosomatique ? 2° Y aura-t-il,
ajouté à cette souffrance une autre peine liée au corps et pour quelle raison ?
3° Une prison physique ?
Lorsque
viendra le feu dont nous parlons, il y aura une augmentation de peine pour les démons,
l’Antéchrist et les hommes orgueilleux. En effet, avant le retour du Christ,
ils garderont un espoir qui soutiendra d’une certaine manière leur activité :
ils croiront pouvoir imposer à Dieu leur conception du monde en détournant de
lui le plus grand nombre qu’il leur sera possible. Ils espéreront établir un
monde hiérarchisé en fonction de la noblesse spirituelle et la puissance plutôt
que sur l’amour et la dépendance. Lorsque viendra le feu et surtout ce qui le
suivra à savoir un monde nouveau inimaginable en beauté, immensité et
perfection, ils sauront avec évidence à quel point est totale la victoire du
Christ. Rien ne restera de leur empire à la la fois
dans les âmes de bonne volonté conquises par le retour du Christ et dans
l’univers matériel remis tout entier au pouvoir de Dieu. Cela suscitera en eux
un désespoir définitif qui, telle une fournaise, les engloutira.
2° Ce
désespoir spirituel aura des effets jusque dans la sensibilité et le corps. Il
sera source d’une souffrance physique d’autant plus intense qu’elle aura sa
cause dans une souffrance spirituelle sans remède. Cette peine, on le voit, n’a
pas sa source première en Dieu mais dans la propre faute du réprouvé. Mais il
en existera une autre imposée par Dieu, comme nous l’avons déjà montré[1813]. En
effet, pour que la présence négative des damnés ressuscités ne vienne pas
troubler l’ordre du monde nouveau, il leur imposera un lieu dont ils ne
pourront sortir, et où ils seront laissés ensemble pour l’éternité.
3° De
plus, il est probable que les damnés vaincus, anges et hommes, plutôt que de
risquer dans cet univers la rencontre avec un saint de Dieu, préfèreront se
réfugier dans les lieux les plus isolés. Le cœur des astres, à la fois sombre
et brûlant, sera peut-être réellement leur refuge, comme l’affirmaient les
anciens Pères.
Solutions
:
1. Nous
avons montré qu’on peut parler en deux sens d’un feu de l’enfer avant la
résurrection des corps : En un premier sens, il s’agit du feu spirituel de
l’âme qui, malgré son ordination naturelle pour Dieu, s’obstine dans sa révolte
contre sa volonté. En un second sens, il s’agit de la prison spirituelle
qu’impose Dieu aux damnés pour qu’ils ne viennent pas nuire aux vivants. Après
la résurrection, ces deux acceptions du feu demeureront mais s’étendront par
extension jusque dans le corps : souffrance physique par répercussion du péché
de l’âme ; emprisonnement dans un lieu limité qui, bloquant leur désir naturel
de liberté, sera source d’un surcroît de blasphème. Quant à savoir si ce lieu
sera matériellement "un étang de feu", il est difficile de se
prononcer.
2. Le feu
matériel dont nous parlons n’est pas autre chose que la matière sous sa forme
énergétique. Il n’a donc pas â être distingué comme s’il ne faisait pas partie
du monde
3. Les
progrès de la science solutionnent cette objection ; le monde physique tout
entier est homogène. Les corps célestes n’ont pas des propriétés différentes
des corps terrestres, quoiqu’en ait pensé la cosmologie du Moyen-âge.
A
propos du monde transformé, nous tous poserons six questions :
1° La béatitude des élus exige-t-elle
quelques biens extérieurs ?
2° Une société d’amis est-elle nécessaire à
la béatitude ?
3° Le monde sera-t-il renouvelé ?
4° La clarté des corps célestes sera-t-elle
augmentée en cette rénovation ?
5° Les éléments seront-ils renouvelés par
la réception d’une clarté ?
6° Y aura-t-il des plantes et des animaux
dans le monde nouveau ?
7° Les œuvres artistiques précédemment
détruites reparaîtront-elles dans le monde nouveau ?
Objections :
1. Ce qui est promis en récompense aux élus
appartient sans doute à la béatitude. Or on promet aux saints des biens
extérieurs, comme la nourriture et la boisson, la richesse et le règne.
N’est-il pas dit en saint Luc[1816] : «
Pour que vous mangiez et buviez à ma
table, dans mon Royaume », et en saint Matthieu[1817] : «
Amassez-vous des trésors dans le Ciel
», et encore[1818] : «
Venez, les bénis de mon Père, prenez
possession du royaume. »
2. Au surplus, selon Boèce, la béatitude
est « l’état que rend parfait le cumul de tous les Biens. » Or les choses extérieures comptent
parmi les biens de l’homme, quoiqu’elles en soient les moindres, ainsi que l’observe
saint Augustin.
3. Et puis enfin le Seigneur ne dit-il pas
en saint Matthieu[1819] : «
Votre récompense est grande dans les
cieux » ? Ce qui veut dire qu’on est alors dans un lieu : à
tout le moins, un lieu extérieur est donc requis à la béatitude.
4. Aristote définit la béatitude dans deux
finalités : la contemplation et l’amitié. Il semble donc que, dans l’autre
monde, la vision béatifique ne soit pas suffisante mais aussi la présence de
ses frères.
Cependant :
On
lit dans le psaume 72 : « Qu’y a-t-il pour moi dans le Ciel, et
qu’ai-je voulu sur la terre ? » comme s’il disait : « Je ne veux rien, si ce n’est ce qui
suit : pour moi, adhérer à Dieu, voilà mon bien. » Donc aucun autre bien que Dieu n’est requis pour la béatitude.
Conclusion :
Pour
la béatitude imparfaite, telle qu’on peut la posséder dans la vie présente, des
biens extérieurs sont requis, non comme faisant partie de l’essence de la
béatitude, mais comme des instruments au service de cette béatitude, qui
consiste dans l’opération de la vertu, selon la doctrine du Philosophe. En
effet, l’homme, en cette vie, a besoin de ce qui est nécessaire au corps, tant
pour l’opération de la vertu contemplative que pour celle de la vertu active,
laquelle, d’ailleurs, exige encore plusieurs autres choses, qui serviront à ses
opérations.
Pour
la béatitude parfaite, au contraire, celle qui consiste dans la vision de Dieu,
les biens de cette nature ne sont nullement requis. La raison en est que tous
ces biens ne servent qu’à la sustentation de la vie animale ou à certaines
opérations convenant à la vie humaine et s’exerçant par le moyen du corps. Mais
la parfaite béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu ou bien est le fait
d’une âme unie à un corps non plus animal, mais psychique avant la résurrection,
ou bien d’une âme unie à sa chair glorifiée après la résurrection : d’où il
suit que les biens extérieurs, ne sont en aucune façon requis pour cette
béatitude qui est une vision béatifiante purement spirituelle. Et comme, dans
le cours même de la vie terrestre, le bonheur de la contemplation a plus de
ressemblance que celui de l’action avec cette béatitude parfaite, étant aussi
plus semblable à Dieu, ainsi qu’on le conclut de ce qui a été dit, pour cette
raison la vie contemplative a besoin moins que toute autre de ces sortes de
biens, ainsi que le relève le Philosophe.
Solutions :
1. Toutes les promesses de biens corporels
renfermées dans les saintes Écritures doivent d’abord être entendues d’une
manière métaphorique, l’Écriture ayant coutume de nous représenter les choses
spirituelles sous l’image des corporelles, afin, comme le dit saint Grégoire
qu’ « au moyen de ce qui
nous est connu, nous nous élevions au désir de ce qui nous est inconnu. » Ainsi, par la
nourriture et la boisson, il faut entendre la délectation qui accompagne la
béatitude ; par les richesses, la surabondance où vit l’homme à qui Dieu suffit
; par le règne, l’exaltation de l’homme jusqu’au commerce de la Divinité. Mais
dans un second sens, ces biens matériels doivent être pris au sens littéral.
Leur présence dans le monde nouveau ne sera pas liée à une nécessité mais à un
surplus selon cette parole de l’Écriture adressée à Salomon[1820] : « Parce que tu as demandé la Sagesse,
parce que tu n'as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la
vie de tes ennemis, je te le donne aussi tout : une richesse et une gloire
comme à personne parmi les rois. » Dieu
donnera réellement aux élus tous les biens sensibles et corporels, en
profusion, de manière sensible avant la résurrection et physique après.
2. On ne nie pas que les objets extérieurs soient des biens ; mais
ces biens-là, qui servent à la vie animale, ne sont pas donnés à la vie
spirituelle, dans laquelle consiste la béatitude parfaite de manière nécessaire
mais pas de manière surajoutée. En effet, dans cette même béatitude se trouve
la réunion de tous les biens : car tout ce qui en eux se trouve de bon sera
possédé dans la source suprême de tous les biens.
3. Quant au lieu de la béatitude, saint Augustin
observe que « la récompense des
saints n’est pas dite située dans des cieux corporels, mais que par les cieux
il faut entendre l’élévation des biens spirituels. » Toutefois, un lieu corporel, à savoir l’univers glorifié, sera
le séjour des bienheureux et la prison des damnés, non que ce lieu soit
nécessaire à la béatitude ou au malheur, mais par un simple rapport de
convenance et de beauté.
4. saint
Augustin répond[1821] :
« Te posséder c’est être riche de tous les biens, toi le seul Seigneur.
Mais avoir tout et ne pas t’avoir, c’est être indigent. » Dans la Vision
béatifique, l’Essence de dieu est vue face à face. Or, elle contient en elle
tous les biens, à tel point que, à elle seule, elle comble tous les désirs.
Cependant, c’est parce que Dieu est tel qu’il est que, dans la gloire, il fera
de la compagnie des saints une Église, une communion, et non un simple bien
surajouté, bien que Dieu suffise en lui-même au bonheur.
Objections :
1. Il semble
bien que des amis soient requis de nécessité pour la béatitude. En effet, le
bonheur est souvent représenté par les Écritures sous le nom de gloire. Or la
gloire consiste en ce que le bien de l’homme arrive à la connaissance de
beaucoup, ce qui ne se peut en dehors d’une société d’amis.
2. Boèce
ne dit-il pas que la possession d’un bien est sans joie, si elle n’est partagée
? Or nous avons reconnu que la délectation est nécessaire à la béatitude donc
aussi la société de nos amis.
3. Et
puis, la charité, qui trouve sa perfection dans la béatitude, embrasse l’amour
de Dieu et celui du prochain il nous faut donc un prochain amical dans la
béatitude.
Cependant
:
On lit au livre de la Sagesse 7, 11 : « Tous
les biens à la fois me sont venus avec elle », c’est-à-dire avec la
divine sagesse qui consiste en la contemplation divine. Et ainsi, rien d’autre
n’est requis pour la béatitude.
Conclusion
:
S’il s’agit de la félicité dans la vie
présente, il faut dire avec le Philosophe que « l’homme heureux a besoin d’amis », non pour son utilité, car il se
suffit à lui-même ; ni pour sa délectation, puisqu’il possède en soi, du fait
de l’opération vertueuse, la délectation parfaite ; mais pour le bien de son
action, c’est-à-dire pour avoir la possibilité de leur faire du bien, pour
trouver du plaisir dans le bien qu’ils accomplissent et un concours dans le
bien que lui-même accomplit. L’homme en effet a besoin, pour agir vertueusement
du concours des amis, tant dans les œuvres de la vie active que dans celles de
la vie contemplative.
Mais si nous parlons de la parfaite béatitude
que nous devons posséder dans la patrie, la société des amis n’y est pas
nécessairement requise ; car l’homme trouve en Dieu seul la plénitude de sa
perfection. Toutefois, cette société amicale n’est pas aussi secondaire que les
biens sensibles dont nous parlions précédemment. En effet, si Dieu suffit en
lui-même à combler tous les désirs, parce qu’il est par nature amour, c’est par
une conséquence directe de sa nature qu’il unifie les deux commandements de la
charité, celui de Dieu et celui du prochain. Ainsi, la présence d’amis fait
plus que concourir de manière surajoutée à l’heureux épanouissement de la
béatitude. Tout en n’en étant pas l’essence, elle lui est conjointe, ce qui
fait dire à saint Augustin : « La
créature spirituelle ne trouve intérieurement de secours que dans l’éternité,
la vérité et la charité de son Dieu. »
Mais ce n’est pas par accident que les élus, formant une seule Église, tous
époux du même Dieu, se voient les uns les autres et se réjouissent de leur
commune société.
Solutions
:
1. La
béatitude est en effet une gloire ; mais nous savons que la gloire essentielle
à la béatitude n’est pas celle dont jouit l’homme auprès de l’homme, mais celle
qu’il trouve auprès de Dieu.
2. La
parole qu’on nous cite doit s’entendre des biens qui n’ont pas en eux-mêmes une
pleine suffisance, ce qui ne s’applique point à l’objet présent, puisque
l’homme trouve en Dieu l’abondance de tous les biens.
3. Quant à
la perfection de la charité, elle est essentielle à la béatitude en ce qui
concerne l’amour de Dieu, non quant à l’amour du prochain. De sorte que, n’y
eût-il qu’une seule âme jouissant de la possession de Dieu, elle serait encore
heureuse, bien qu’elle n’eût pas de prochain à aimer. Mais le prochain supposé,
l’amour qu’on lui porte découle du parfait amour qui s’adresse à Dieu. Ainsi,
c’est par une sorte de concomitance que l’amitié intervient dans le parfait
bonheur.
Objections :
1. Nous
avons montré que l’homme n’a besoin d’aucun bien extérieur pour sa béatitude
parfaite. Or Dieu ne fait rien d’inutile donc il n’y aura pas de monde matériel
glorifié.
2. Il
semble qu’il ne le sera jamais. Rien n’arrivera que ce qui a déjà existé de
quelque manière dans la même espèce de choses. L’Ecclésiaste dit[1823] :
« Qu’est-ce qui a été ? Sinon ce qui arrivera. » Or le monde
n’a jamais eu d’autre état que celui dans lequel il est, quant à ses parties
essentielles, ses genres et ses espèces. Il ne sera donc jamais renouvelé.
3. Une
innovation est une altération. Mais l’univers ne peut être altéré car tout ce
qui est altéré l’est en vertu d’une cause qui l’altère sans se modifier
elle-même, tout en ayant un mouvement local ; or on ne peut poser un tel être
en dehors de l’univers. Il n’est donc pas possible que le monde soit renouvelé.
4. La
Genèse[1824] dit
que « Dieu se reposa le septième jour de toute l’œuvre qu’il avait
accomplie » et de saints auteurs commentent « qu’il se reposa de la production de nouvelles créatures. » Mais dans cette première manière
d’être les choses ne reçurent pas d’autre disposition que celle dans laquelle
elles se trouvent maintenant en leur ordre naturel. Elles n’en auront donc
jamais d’autre.
5. La
disposition dans laquelle se trouvent maintenant les choses est naturelle. Si
donc elles étaient changées en une autre, cette autre disposition ne leur
serait pas naturelle. Or ce qui n’est pas naturel et est accidentel ne peut
durer perpétuellement. La disposition nouvelle supposée devrait donc être
ensuite enlevée au monde il y aurait une sorte d’évolution circulaire du monde,
comme Empédocle et Origène le disaient ; après ce monde, il y en aurait un
autre, et puis de nouveau un autre.
6. La
rénovation dans la gloire est la récompense donnée à la créature raisonnable.
Là où il n’y a point de mérite, il ne peut y avoir de récompense. Les créatures
insensibles n’ayant rien mérité, il semble qu’elles ne seront pas renouvelées.
Cependant
:
Isaïe dit[1825] : « Voici
que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra
plus des précédents. » Et l’Apocalypse[1826] :
« J’ai vu un nouveau Ciel et une nouvelle terre le premier ciel et la
première terre avaient disparu. » En outre, l’habitation doit
convenir à l’habitant. Le monde a été fait pour être l’habitation de l’homme.
Il doit donc lui convenir. L’homme étant renouvelé, le monde doit l’être aussi.
De plus, «
tout animal aime le semblable à lui-même
», il en ressort que la similitude est la raison de l’amour. L’homme a une
certaine similitude avec l’univers : on dit qu’il est le monde en petit. Il
aime donc naturellement le monde entier, et désire son bien. Pour satisfaire
ce désir de l’homme, l’univers doit être amélioré.
Conclusion
:
On pense généralement que toutes les
créatures corporelles ont été faites pour l’homme. C’est pourquoi on dit que
toutes lui sont soumises. Il y a deux manières de servir l’homme d’une part en
soutenant sa vie corporelle, d’autre part en facilitant son progrès dans la
connaissance de Dieu, en tant que l’homme « à travers les choses créées découvre les
choses invisibles de Dieu », comme dit saint Paul aux Romains[1827].
L’homme glorifié n’aura plus aucun besoin d’être servi de la première manière
par les créatures puisque son corps sera tout à fait incorruptible, grâce à la
puissance divine, qui opérera cela à travers l’âme, glorifiée immédiatement par
Dieu. L’homme n’aura pas besoin d’être servi de la deuxième manière, dans sa
connaissance intellectuelle, car les saints verront Dieu immédiatement dans son
essence. Mais l’œil de chair ne pourra point parvenir à cette vision de
l’essence divine. Pour lui accorder une récompense juste dans la vision de la
divinité, cet œil pourra la considérer dans ses effets corporels, dans lesquels
apparaîtront des signes manifestes de la majesté divine, surtout dans la chair
du Christ, puis dans le corps des bienheureux, et enfin dans tous les autres
corps. C’est pourquoi il faudra que même ces corps reçoivent une plus grande
communication de la bonté divine que maintenant ; celle-ci ne changera pas
leur espèce, mais leur ajoutera une perfection glorieuse telle sera la
rénovation du monde. Donc, en même temps, le monde sera renouvelé, et l’homme
glorifié.
Solutions
:
1. La
glorification du monde ne servira pas aux élus comme un bien essentiel à
l’essence de leur bonheur éternel qui trouvera sa source en Dieu seul.
Cependant, il concourra par surcroît à la récompense des élus puisqu’il
réjouira les facultés sensibles de leur corps. Ainsi, en glorifiant le monde,
Dieu ne fera pas une œuvre inutile.
2. Salomon
parle ici du cours naturel des choses, comme cela ressort de ce qui suit[1828] : « Rien de nouveau sous le soleil. » Puisque le soleil se meut
en cercle, les choses qui sont soumises à sa puissance doivent subir une sorte
d’évolution circulaire, qui consiste en ce que les choses qui ont été
auparavant reviennent de nouveau « dans
la même espèce, mais en nombre différent
», comme dit Aristote. Mais ce qui appartient à l’état de gloire ne dépend
plus du soleil.
3. Cet
argument est tiré de l’altération naturelle qui vient d’un agent naturel, qui
agit par nécessité de nature. Cet agent en effet ne peut produire une
disposition différente sans se comporter lui-même de telle ou telle manière.
Mais les choses qui s’accomplissent par l’action de Dieu procèdent de la
liberté de sa volonté c’est pourquoi sans changement de la volonté de Dieu, il
peut exister dans l’univers telle, puis telle autre disposition venant de lui.
Ainsi ce renouvellement ne remonte pas à un principe mû, mais au principe
immobile, qui est Dieu.
4. On dit
que Dieu a cessé le septième jour de produire de nouvelles créatures, parce que
rien n’a été produit ensuite, qui n’ait pas préexisté auparavant de quelque
manière dans son genre ou son espèce ou au moins dans son principe séminal ou
dans une puissance obédientielle. La nouveauté future du monde a précédé dans
les œuvres des six jours, dans une similitude éloignée, à savoir la gloire et
la grâce des anges ; elle a précédé aussi dans la puissance obédientielle, qui
fut alors déposée dans la créature, pour qu’elle puisse recevoir plus tard de
Dieu cette nouvelle manière d’être.
5. Cette
disposition qui renouvellera les choses ne sera ni naturelle, ni contre nature
elle sera au-dessus de la nature (comme la grâce et la gloire sont au-dessus de
la nature de l’âme), et elle sera l’œuvre de cet agent perpétuel qui la
conservera à jamais.
6. Les
corps insensibles ne mériteront pas à proprement parler cette gloire. Mais
l’homme aura mérité que cette gloire soit conférée à tout l’univers, parce
qu’elle tendra à l’augmentation de la gloire de l’homme : de même qu’un homme
mérite d’être revêtu de plus riches vêtements, sans que cette richesse soit
aucunement méritée par le vêtement lui-même.
Objections :
1. Cela ne
semble pas. Cette rénovation s’accomplira dans les corps inférieurs par la
purification du feu. Mais le feu purifiant n’atteint pas les astres du ciel.
Ils ne seront donc pas renouvelés par la réception d’une plus grande clarté.
2. Les
corps célestes sont par leur lumière des signes pour les fêtes et pour le
devenir des jours et des années selon la Genèse[1830]. Or,
dans la vie éternelle, il n’y aura plus de temps ni de fêtes successives
puisque les noces de l’agneau seront éternelles. Donc la lumière des astres
cessera de briller plutôt que d’être intensifiée.
3. La
clarté des corps célestes a pour but de servir les hommes, ainsi que les autres
créatures. Mais, après la résurrection, la clarté du soleil ne servira plus aux
hommes. Isaïe dit[1831] : « Tu
n’auras plus de soleil pour briller le jour, ni la splendeur de la lune pour
t’illuminer. » Et l’Apocalypse[1832] : « Cette
cité n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer »
leur clarté ne sera donc pas accrue.
4. Il ne
serait pas sage pour un artisan de fabriquer de très grands instruments pour
construire un petit objet fabriqué. L’homme est très petit en face des corps
célestes qui par leur énorme grandeur dépassent incomparablement ses
dimensions. Bien plus, toute la masse de la terre est, en face du système
solaire, comme un point par rapport à une sphère. Dieu qui est infiniment sage,
ne semble pas avoir assigné à l’homme comme fin de la création du Ciel. Il ne
semble donc pas qu’à cause de son péché le Ciel doivent être détérioré, ni qu’à
cause de sa gloire il soit amélioré.
Cependant :
Isaïe
affirme[1833] : «
La lumière de la lune sera comme celle
du soleil et la lumière du soleil sera septuplée. » En outre, le
monde entier sera transformé en mieux. Cela ne peut être qu’en resplendissant
d’une nouvelle clarté.
Conclusion :
La
rénovation du monde a pour but de nous donner des signes manifestes grâce
auxquels l’homme verra Dieu pour ainsi dire sensiblement. La créature conduit à
la connaissance de Dieu surtout par sa beauté et son ordre, qui manifestent la
sagesse de celui qui la fait et la gouverne. La sagesse dit[1834] : «
Le Créateur pourra être vu grâce à la
grandeur de la beauté de sa créature. » Cette connaissance sensible
sera donnée à l’homme comme une récompense surajoutée au bonheur de son âme car
il convient que son corps participe à travers l’exercice de ses facultés à la
béatitude, de même qu’il a participé durant la vie terrestre à l’acquisition de
la grâce.
La
beauté des corps célestes réside surtout en leur lumière. L’ecclésiastique dit[1835] : « La splendeur du ciel,
c’est la gloire des étoiles, le Seigneur illuminant le monde dans les hauteurs.
» Les corps célestes seront donc surtout améliorés par leur clarté. Quant
au sens qu’on doit donner à cette augmentation de clarté, il peut être pris
selon deux aspects :
1° une augmentation de clarté pour
l’intelligence humaine, ce qui peut signifier que la matière perdra son opacité
naturelle. La complexité et l’ordre de sa structure ne seront plus cachés mais
pleinement révélés à l’intelligence.
2° Une augmentation de clarté pour le sens
de la vue. Comme nous l’avons montré, les sensations du corps glorieux seront
augmentées en ce sens qu’elles seront aptes à saisir des rayonnements dont la
beauté est actuellement invisible à l’œil humain. Ainsi, les corps glorifiés
auront de nouvelles sensations qui provoqueront l’admiration quand elles se
porteront vers les astres.
3° Une augmentation de l’intensité du
rayonnement des astres en eux-mêmes puisque leur lumière sera augmentée par
leur transformation.
Solutions :
1. Le feu purificateur réalisera à la fois
une rénovation de la forme des choses et une purification de la corruption du
péché et de la pénétration des impuretés. Sous le premier rapport, elle
atteindra aussi les corps célestes. Ceux-ci n’ont pas besoin d’être purifiés
par le feu ; mais ils doivent être rénovés divinement.
2. La lumière contribue à la perfection du
corps lumineux, même considéré en sa substance. En outre, elle manifeste jusque
dans les sensations humaines la lumière éternelle de Dieu que seule
l’intelligence peut connaître. Il convient donc que dans la gloire, le monde
des astres rayonne d’une beauté parfaite qui signifiera pour le corps, la
perfection de Dieu.
3. Une chose peut être mise au service de
l’homme de deux manières : d’une première manière, parce qu’elle lui serait
absolument nécessaire pour sa survie. Après la résurrection aucune créature ne
sera plus nécessaire de cette manière à l’usage de l’homme, parce que son corps
aura été rendu autonome aussi bien pour les damnés que pour les élus.
L’Apocalypse[1836] le signifie en disant que « cette cité n’a besoin ni de soleil ni de lune. » D’une autre
manière, une chose peut être utile à l’homme pour sa plus grande perfection :
et ainsi l’homme se servira d’autres créatures non en tant que nécessaires pour
parvenir à sa fin, mais comme une surabondance de gloire.
4. Cet argument vient de Rabbi Moïse, qui
s’efforce de rejeter tout à fait la thèse que le monde a été créé pour l’homme.
Il déclare donc que ce qui est dit dans l’Ancien Testament de la rénovation du
monde, par exemple dans les textes d’Isaïe, n’est qu’une métaphore. Selon lui,
quand il est dit à une personne que le soleil s’obscurcit, cela signifie
qu’elle tombe dans une grande tristesse et ne sait plus que faire (selon une
manière de parler fréquente dans l’Écriture) tandis que si on dit au contraire
que le soleil brille davantage pour une personne et que tout le monde se
renouvelle, c’est parce que cette personne passe de l’état de tristesse à une
très grande joie. Mais cela est en désaccord avec les textes faisant autorité
et les exposés des saints. On doit donc répondre à ce raisonnement que, bien
que les corps célestes soient très au-dessus du corps humain, cependant l’âme
raisonnable dépasse beaucoup plus les corps célestes que ceux-ci ne dépassent
le corps humain. Il n’y a donc pas de difficulté à admettre que les corps
célestes ont été créés pour l’homme, mais non comme fin principale, puisque la
fin principale de toute chose est Dieu.
Objections :
1. Il semble qu’on doive le nier. La qualité
propre des éléments n’est pas la lumière mais plutôt le chaud et le froid,
l’humidité et le sec. De même que les astres du Ciel seront renouvelés par une
augmentation de clarté, ainsi les éléments de la planète et des autres planètes
doivent l’être par l’accroissement des qualités actives et passives.
2. La clarté des corps matériels vient de
leur chaleur. Ainsi le fer devient rouge si on le chauffe puis blanc si on
augmente cette chaleur. Il en est de même pour tous les autres éléments. Ainsi,
l’addition d’une clarté ne peut être faite que par un réchauffement extrême du
monde ce qui paraît improbable.
3. Les damnés seront dans les ténèbres
intérieures. Mais il semble qu’ils seront aussi dans les ténèbres extérieures
selon saint Luc. Il ne convient donc pas que leur lieu soit doté de clarté.
4. Le bien de l’univers, qui consiste dans
l’ordre et l’harmonie de ses parties, est plus appréciable que le bien d’une
nature particulière. Si une créature devenait meilleure, le bien de l’univers
disparaîtrait puisque son harmonie serait troublée. Si donc les éléments
matériels qui, selon leur état naturel dans l’univers doivent être privés de
clarté, recevaient de la clarté, la perfection de l’univers périrait plutôt que
d’en être accrue.
Cependant :
L’Apocalypse
dit[1838] : «
J’ai vu un nouveau Ciel et une
nouvelle terre. » Le Ciel sera renouvelé par une plus grande clarté
; donc aussi la terre et les éléments opaques de la matière.
Conclusion :
Puisque
la créature corporelle a été faite pour les créatures spirituelles, la
disposition des choses corporelles doit être adaptée au bien des êtres
spirituels. À la fin du monde, les esprits inférieurs recevront les propriétés
des esprits supérieurs : les hommes seront comme les anges du Ciel, selon saint
Matthieu[1839]. L’esprit humain parviendra à la plus
haute perfection par laquelle il sera élevé aux rangs angéliques. De même, il
faut que les corps matériels soient surélevés d’une manière analogue pour
recevoir des propriétés nouvelles adaptées à l’état nouveau des créatures
spirituelles. Et la propriété des corps matériels, quand ils sont adaptés à
l’esprit, c’est leur lumière qui les rend à la fois intelligibles et beaux. En
conséquence, on doit affirmer que tous les éléments revêtiront une sorte de
clarté, mais chacun à sa manière.
Solutions :
1. Nous l’avons vu, la rénovation du monde
tend à ce que l’homme puisse voir la divinité, même sensiblement, à travers les
corps, par des signes manifestes. Parmi nos sens, le plus spirituel et le plus
subtil est la vue. C’est donc surtout par leurs qualités visuelles, dont le
principe est la lumière, que les corps opaques seront améliorés. Mais les
qualités élémentaires seront soumises au toucher, qui est le plus matériel des
sens. L’excès de ses sensations est plus pénible que délectable. Par contre
l’excès de la lumière sera délectable, parce qu’elle n’est pénible qu’à cause
de la débilité de l’organe visuel, laquelle n’existera plus dans la vie
nouvelle.
2. Il peut y avoir clarté sans chaleur
excessive comme on le voit dans les corps phosphorescents dont la lumière vient
de l’intérieur. C’est d’une façon analogue que le corps des élus sera lumineux
de l’intérieur, ne laissant pas cachée la bonté de leur âme.
3. Pour les damnés dont l’âme est pervertie
par le péché, tous les biens de la création seront source de souffrance
intérieure puisqu’ils les regarderont comme des obstacles à leur volonté. Ils
ne pourront rien posséder selon leur désir, ni en jouir puisque, plutôt que de
rencontrer les élus objet de leur envie, ils se seront emprisonnés dans un lieu
sans pouvoir aller où ils veulent.
4. L’ordre de l’univers ne sera pas
supprimé pas l’amélioration des éléments, puisque toutes les autres parties de
l’univers seront elles-mêmes améliorées : la même harmonie demeurera donc.
Objections :
1. Il ne
semble pas. Les animaux et les plantes ont été créés pour soutenir la vie
animale de l’homme. La Genèse dit[1841] : « Je
vous donne toute chair en nourriture. » Avec la cessation de la vie
animale de l’homme, les animaux et les plantes doivent donc cesser d’exister,
ce qui sera le cas après la résurrection.
2. Les
plantes et les animaux servent sur la terre à connaître comme dans un miroir les
perfections de Dieu dont ils sortent des vestiges. Or, après la résurrection,
Dieu sera connu face à face. Donc le monde animal et végétal sera devenu
inutile.
3. La vie
végétale et animale est liée à la corruptibilité ; Il est en effet essentiel
pour cette vie d’assimiler des éléments extérieurs pour qu’elle cuisse se
maintenir et de rejeter ce qui est inutile. Or, dans le monde renouvelé, il n’y
aura plus de place à la corruption selon saint Paul[1842] : « Il
faut que ce corps corruptible revêtu d’incorruptibilité et que ce corps mortel
revêtu d’immortalité. »
4. Si les
plantes et les animaux demeurent, cela vaudra pour tous ou seulement pour
quelques-uns. Si c’est pour tous, il faut que les animaux privés de raison,
morts avant la fin du monde, ressuscitent comme les hommes. Cela ne peut être
car leur forme disparaît à leur mort et ne peut être ressuscitée la même
individuellement. Si ce n’est pas pour tous mais seulement quelques-uns, on ne
voit pas le motif pour que l’un demeure plutôt que l’autre. Il semble donc
qu’aucun ne demeurera perpétuellement.
5. S’il
doit exister des animaux glorifiés, c’est qu’ils verront l’essence divine qui
seule peut rendre glorieux. Or les animaux sont incapables par nature de la
vision béatifique. Donc ils n’ont pas de place dans le monde nouveau.
Cependant
:
Dieu dit à Noé[1843] : « Voici
que j’établis mon Alliance avec vous et avec vos descendants après vous et avec
tous les êtres animés qui sont avec vous oiseaux, bestiaux, toutes bêtes
sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de l’arche, tous les animaux de
la terre. » Or l’Arche de Noé symbolise l’efficacité de la
rédemption opérée par le Christ. Donc, les êtres animés ne seront pas exclus du
monde nouveau.
Conclusion
:
Il n’y a pas d’arguments définitifs sur ce
point. Cependant, l’opinion la plus traditionnelle des Pères consistait à
affirmer qu’il n’y aurait ni animaux, ni plantes dans le monde nouveau. Leurs
arguments consistaient à montrer que ne demeureraient que les êtres possédant
en eux un élément d’incorruptibilité tels leur paraissaient être les corps
célestes que la cosmologie ancienne croyait incorruptibles car d’une nature
supérieure, les hommes à cause de leur âme immortelle, et les éléments minéraux
puisqu’on ne pouvait jamais les réduire au néant. Au contraire, les animaux et
les plantes qu’on peut tuer, les corps mixtes comme les molécules qu’on peut
détruire étaient considérées comme n’ayant aucune disposition à
l’incorruptibilité. Ils ne devaient donc pas subsister dans le monde nouveau.
Mais on ne peut plus parler ainsi. On sait
aujourd’hui que tous les éléments matériels du monde y compris les corps
célestes sont de même nature et corruptibles. Ainsi, les astres courent
insensiblement à leur extinction et les atomes se dégradent dans leur
structure. Pourtant, il est certain qu’ils demeureront dans l’au-delà puisque
Dieu préparera en eux un monde adapté à la nouvelle manière d’être des hommes.
De même, il convient que les créatures
matérielles comme les animaux et les plantes demeurent afin qu’il ne manque
rien à la perfection de l’au-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque
chose atteindre sa fin qui est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de
chacun. L’ordre sera fondé sur la charité. Dieu, qui est l’essence de la
charité incréée, est au sommet. Puis viennent les créatures spirituelles qui
participent à la charité, c’est-à-dire les élus. Et le plus élevé d’entre eux,
dans cette hiérarchie nouvelle de la Jérusalem céleste, c’est Jésus qui dans
son humanité ne fait qu’un avec Dieu. Vient ensuite la vierge Marie dont
l’amour de charité et l’abaissement par amour dépasse celui des anges. Elle a
donc reçu une plus grande participation à la gloire. L’ordre des créatures
spirituelles, c’est-à-dire des anges et des hommes s’en suit et n’est pas
mesuré par la perfection naturelle de chacun mais par sa perfection
surnaturelle.
Viennent ensuite les êtres qui ne participent
pas à la vision de l’essence divine. Certains en sont exclus par nature, comme
les animaux, les plantes et le monde minéral puisque ces réalités sont
dépourvues de facultés spirituelles. Ces êtres peuvent faire partie du monde
nouveau deux causes : 1° Leur propre
bien qui aspire, soit par nature, soit par sensibilité à durer toujours selon
saint Paul[1844] : « La
création toute entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu.
» La vie végétale et animale fait partie de la création, d’une
manière intermédiaire entre les minéraux et les hommes. Donc ils seront
présents dans le monde nouveau. 2° Pour
le bien de l’homme qui peut par ses sensations contempler leur beauté et leur
ordre qui témoigne de Dieu comme dans un miroir.
D’autres réalités sont exclues de la vision
béatifique à cause d’un choix de leur volonté. Les damnés constituent les êtres
les plus bas, non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde matériel
mais à cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens qu’ils
choisissent. Ainsi voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se comporter
d’une manière inférieure aux animaux. Et, par leur existence, ils proclament
comme le reste de la création la gloire de Dieu qui laisse chacun libre de se
séparer de lui. En conséquence, dans le monde nouveau, aucun des éléments
essentiels à sa perfection générale ne manquera.
Solutions
:
1. Dans le
monde de l’au-delà, il n’y aura plus de nutrition puisque chacun sera revêtu
d’une immortalité qui fera disparaître toute possibilité de corruption. Aussi,
les animaux et les plantes ne subsisteront pas pour que l’homme s’en nourrisse.
2. La
contemplation de la beauté du monde nouveau ne sera pas pour l’homme l’essence
de sa connaissance de Dieu mais une connaissance surajoutée et pour ainsi dire
accidentelle. Elle sera ordonnée au bien de son corps qui doit participer selon
qu’il en est capable à la béatitude. Or la vie sensible est incapable par
nature de contempler l’essence divine qui est d’ordre spirituel. Elle trouvera
dans la beauté du monde nouveau et dans la vision de son ornement végétal et
animal une participation sensible à cette contemplation[1845].
3. De même
que le monde minéral qui est pourtant lié à des formes moins nobles que le
monde des vivants, peut être revêtu par la puissance divine d’incorruptibilité
et de clarté, de même la vie animale et végétale peut être élevée à un mode
d’exercice qui exclut toute corruptibilité. Ainsi qu’un animal soit glorifié
signifie que son corps est revêtu d’incorruptibilité et de clarté par la
puissance divine. En conséquence, la recherche de la nourriture est supprimée
ce qui exclut du monde nouveau les lois naturelles où le plus fort mange le
plus faible. De même, la génération n’est plus possible. Les animaux et les
plantes seront donc présents à cause de leur beauté et vivront une vie commune
paisible. Selon la capacité de chacun, ils vivront d’une certaine béatitude
sensible puisque leur appétit naturel sera comblé. Ainsi se réalisera
matériellement ce texte[1846] :
« Le loup habitera
avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau
et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon. La vache et l'ourse
paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. »
4. Il ne
convient pas qu’un appétit naturel soit frustré. Selon leur appétit naturel,
les animaux et les plantes désirent exister perpétuellement, sinon comme
individus, du moins en tant qu’espèce. C’est à cela qu’est ordonnée leur
génération naturelle, comme dit Aristote. Et c’est aussi à cela que sera
ordonnée la restauration des espèces à la résurrection.
Quant
à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera, plusieurs opinions
existent. Selon certains, il suffit que les animaux reviennent selon leurs
espèces, car, de cette manière, l’aspiration générale qui est en eux et qui
porte avant tout sur la survie de l’espèce, est satisfaite. Selon d’autres, il
convient que Dieu crée à nouveau chaque individu qui doit être récompensé du
service accompli pour nous par son passage sur la terre, et en compensation des
multiples souffrances sensibles subies. Une telle restauration est bien
évidement possible à la puissance de Dieu pour qui[1847] « pas un passereau
ne tombe au sol à son insu !
» Cela
semble mieux convenir à la bonté de Dieu. Là encore, nous pouvons en avoir un
signe philosophique dans l’expérience de ceux qui approchent la mort et qui
témoignent que le corps psychique n’est pas seulement conservé pour les
individus humains mais qu’il subsiste aussi chez les animaux, individuellement,
dans l’autre monde.
Mon
opinion est qu’il faut distinguer avec le récit de la Genèse deux sortes
d’animaux. Certains « grouillent »[1848] et sont plus proches des plantes ;
d’autres sont cités par le texte le sixième jour[1849]. Ce sont les animaux supérieurs. Il se
pourrait que les premiers soient présents dans le monde nouveau selon leur
espèce, tandis que les seconds, ayant davantage une individualité, pourrait
être présent en tant qu’individus. Quant à distinguer précisément la limite de
ces deux groupes, c’est très difficile. Quoiqu’il en soit, la quantité
gigantesque des animaux ayant transité par cette terre donne une idée de
l’immensité du monde nouveau préparé par Dieu.
En
ce qui concerne les plantes, les témoins des Near Death experiences témoignent de la présence à la frontière de
l’autre monde d’espèces magnifiques et inconnues, aux couleurs sublimes. Ces
témoignages sont importants.
5. Les
animaux sont incapables d’être glorifiés en ce sens qu’ils puissent voir
l’essence divine car les facultés de connaissance qui sont en eux sont d’ordre
sensible ce qui exclut une quelconque possibilité d’élévation à un objet
spirituel. Cependant, ils peuvent être rendus immortels dans leur être par Dieu
et obtenir une béatitude qui leur est adaptée. Elle consiste essentiellement
dans un état permanent de joie et de paix sensible, adapté selon leurs espèces,
au degré du psychisme qui leur est attribué par nature. Et ce bonheur sensible
leur sera communiqué par la fréquentation des hommes glorifiés dont la joie et
la paix spirituelles rejaillira jusque dans la sensibilité animale d’une façon
analogue mais bien supérieure à l’harmonie primitive qui existait dans le
paradis terrestre entre Adam et la nature entière[1850].
Objections :
1. Il ne
semble pas. Les œuvres ont été détruites car leur création artistique n’était
jamais exempte de péché, comme tout ce que fait l’homme ici-bas. Elles ne
doivent pas reparaître sans quoi on ne voit pas à quoi sert leur destruction.
2. Les plus belles œuvres de la terre sont
ternes en comparaison de ce qui paraîtra dans le monde nouveau, transfiguré par
une lumière nouvelle. Elles n’y auront pas leur place.
3. Isaïe 65,
17 affirme : « Voici
que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra
plus du passé, il ne reviendra plus à l'esprit. » Si
les œuvres anciennes doivent reparaître, ce texte sera contredit.
4. Les
œuvres utilitaires comme les maisons, les moyens de transport etc. ne
reparaîtront pas puisque le corps humain, libéré de toute contrainte n’en aura
plus l’usage.
Cependant
:
Le prophète Osée écrit[1851] : « C'est
pourquoi je parlerai à son cœur. Là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai
du val d'Akor une porte d'espérance. Là, elle répondra comme aux jours de sa
jeunesse, comme au jour où elle montait du pays d'Egypte. » C’est
donc que les richesses et les œuvres des hommes leur seront rendues par la
résurrection, après leur avoir été enlevées par la mort.
Conclusion
:
Dans l’œuvre artistique, on peut
distinguer 1° ce qui est matériel et
individué. Il s’agit de l’œuvre elle-même, statue, musique, livre écrit ou
cathédrale. 2° Ce qui est formel. Il
s’agit du projet porté par l’artiste. La forme (l’idea) de l’œuvre naît
dans l’esprit et l’imagination. Ce n’est qu’après, porté par cette inspiration,
qu’il l’incarne par son travail et l’imprime à la matière.
Cette distinction permet de comprendre
ce qui se passera après la fin du monde. 1°
La matérialité de toutes les œuvres humaines sera détruite dans la dernière
conflagration, comme on l’a dit. 2° Mais
ce qui est formel dans l’œuvre n’est jamais détruit, non seulement parce
l’intelligence humaine avec ses souvenirs subsistent mais aussi parce que les
facultés du psychisme (imagination, sensations, mémoire des images etc.) dont
le rôle est partie intégrante de l’idea, loin d’être détruites par la
mort, sont au contraire libérées du poids de l’exercice organique. Ainsi, c’est
l’artiste qui survit à la mort et avec lui, dans sa mémoire, toutes ses œuvres
du passé. Comme il est la cause de l’œuvre, on peut dire qu’en lui subsiste ce
qui est indestructible dans l’œuvre.
Il reste à considérer si les hommes
ressuscités exerceront des activités artistiques. La réponse est oui,
absolument. Dieu ne rend à l’homme la plénitude de ses facultés que pour qu’il
les exerce. Or, tout ce qui est nécessaire à la réalisation de l’œuvre est
présent dans l’au-delà, l’intelligence et le psychisme dès avant la
résurrection, puis après la résurrection, le corps de chair et l’univers
matériel dans son immensité. L’homme exercera un art incomparablement plus beau
qu’ici-bas pour trois raisons :
1° Ses
facultés seront délivrées du poids de la chair dans son mode biologique. Elles
s’exerceront avec une parfaite facilité. L’inspiration sera donc plus riche et
lumineuse.
2° La
matière transfigurée obéira pour ainsi dire au travail de l’homme, sans
résistance. Sa lumière la rendra beaucoup plus capable d’exprimer l’idea
sans la rendre terne, comme ici-bas. C’est une propriété de la lumière de la
matière. Il est probable que l’homme pourra y imprimer la mémoire de son idea de telle manière qu’en contemplant
l’œuvre, il soit possible aux autres de remonter sans effort à l’inspiration
même de son auteur.
3° Les
élus voyant Dieu face à face, ils n’auront plus à exprimer l’inconnu. Ici-bas,
les plus grands artistes sont souvent les plus déséquilibrés des hommes car ils
expriment sans le savoir ce qu’ils souffrent de ne pas posséder. D’où le
caractère transcendant des beaux arts. Dans la Vision de Dieu, ils exprimeront
au contraire en pleine lumière les merveilles innombrables de Celui qui sera vu
par eux face à face. L’art n’aura donc plus cette obscurité d’ici-bas.
Enfin, le plaisir de la beauté étant la
vibration entre une subjectivité et une réalité splendide, de ces deux points
de vue, les élus éprouveront de la contemplation des œuvres de Dieu et de leurs
frères un plaisir incomparable à celui d’ici-bas.
Solutions
:
1. La
matérialité des œuvres humaines sera détruite, sans qu’il subsiste rien. Mais
leur forme se trouvera simplement purifiée dans les facultés des élus, de telle
manière que rien ne sera en définitive perdu de ce qui fut beau ici-bas.
2. Il
est vrai que la terne matérialité de l’art d’ici-bas n’aura pas sa place dans
le monde des élus car tous les arts, toutes les beautés de la terre sembleront
fades en comparaison de la beauté de l’Au-delà. Puisque la beauté est la
rencontre vibrante d’un objet et d’une intelligence sensible, puisque tout sera
plus lumineux et que la sensibilité sera elle-même surélevée, les musiques du
paradis rendront grises toutes les anciennes musiques de la terre. Que sera
donc l’art des plus grands musiciens ressuscités ? Impossible d’en imaginer la
qualité, même en écoutant la musique terrestre. Mais la musique sera bien là.
3. Ce
texte parle de ce qui était déficient dans l’art d’ici-bas, à savoir des
ténèbres de l’absence de Dieu, de l’opacité de la matière, de la lourdeur du
psychisme humain et du péché qui contaminait toute réalisation. Tout cela ne
s’applique qu’au monde des élus. Au contraire, en enfer, la disparition de la
lourdeur du psychisme et de la matière ne suffiront pas à compenser les deux
autres inconvénients. Leur expression extérieure sera faite de laideur.
4. Nous
accordons cette objection. L’impassibilité, la subtilité, l’agilité, la
mobilité, l’immortalité des corps ressuscités rend inutile tout autre art que
le beau. Sa lumière rend inutile l’intimité des demeures privées. La soumission
de la matière à l’homme supprime tout autre travail que celui qui s’accompagne
de plaisir.
A
l’argument cependant :
Il faut répondre que tout sera rendu
mais transfiguré. Ainsi en sera-t-il pour l’art du service de Dieu.
L’eucharistie, œuvre de Dieu, disparaîtra au profit de la présence physique et
amoureuse du Christ glorieux homme et Dieu. Le livre des évangiles aura disparu
au profit de la vision face à face de l’Evangile subsistant, Dieu. Les
cathédrales seront remplacées par un Temple infini en taille et en splendeur,
l’univers recréé et transformé par les élus. Mais ce seront aussi des beautés
profanes qui, transfigurées, seront mis au service de la Famille éternelle.
Il
nous faut maintenant considérer ce qui suit la résurrection. Il nous faudra
voir deux choses :
1° Le jugement général.
2° L’état du monde après le jugement
général.
Lorsque
tout aura été achevé, lorsque chacun aura été établi dans la demeure éternelle
auprès de Dieu ou dans l’enfer de son choix, le Christ remettra au Père toute
chose.
Mais
auparavant, il faudra que soit manifesté à tous la justice de ce jugement.
Le
jugement général sera la palpable démonstration aux yeux de tous de l’amour de
Dieu ayant agi dans l’Histoire Sainte de chaque individu, de chaque groupe
humain, de l’humanité entière. Alors se réalisera la prophétie[1852] : «
Heureux les assoiffés de justice, ils
seront rassasiés. »
Considérons
le jugement général, en posant trois questions :
1° Doit-il avoir lieu ?
2° Aura-t-il lieu oralement ?
3° Aura-t-il lieu dans la vallée de
Josaphat ?
Objections :
1. Il semble que non. Nahum[1854] déclare, selon la version des Septante
: « Dieu ne jugera pas deux fois la même chose. » Or, Dieu juge
chacune des actions des hommes, et aussitôt après la mort il attribue à chacun
des châtiments ou des récompenses selon ses mérites ; même en cette vie, il
récompense ou punit certains hommes selon leurs œuvres bonnes ou mauvaises. Il
semble donc qu’il ne doive plus y avoir d’autre jugement.
2. Aucun jugement n’est précédé de
l’exécution de sa sentence. Or la sentence du jugement divin au sujet des
hommes, c’est l’admission dans le Royaume ou l’exclusion, comme dit saint
Matthieu. Donc, puisque dès maintenant il y a des hommes qui entrent dans le
royaume éternel tandis que d’autres en sont exclus pour toujours, il ne semble
pas qu’il y aura un autre jugement.
3. La raison d’être d’un jugement c’est le
doute au sujet de ce qui doit y être décidé. Mais la sentence de damnation pour
les pécheurs ou de béatitude pour les saints est fixée avant la fin du monde.
Cependant :
Nous
lisons en saint Matthieu[1855] : «
Les hommes de Ninive se dresseront au
jour du jugement contre cette génération, et la condamneront. » Il y
aura donc un jugement après la résurrection.
Conclusion :
De
même que l’opération se rattache au principe des choses qui leur donne
l’existence, de même le jugement se rattache au terme, par lequel les choses
atteignent leur fin. Or on distingue deux sortes d’opérations de Dieu : la
création, par laquelle Dieu a structuré l’univers comme un tout harmonieux où
tout influence tout. Après cette opération, on dit que Dieu se reposa. Il est
une autre opération de Dieu par laquelle il gouverne chacune des créatures
individuellement pour les mener à leur fin. Jésus dit en saint Jean[1856] : «
Mon Père a travaillé jusqu’à
maintenant et moi aussi, je travaille. »
De
même, on peut aussi distinguer deux jugements de Dieu, mais dans un ordre
inverse. Le premier concerne d’abord les individus, le second l’univers dans
son ensemble. 1° Le jugement
particulier correspond à l’œuvre du gouvernement des individus. Chacun y reçoit
individuellement, en conséquence de ses actes, la sentence de son destin
éternel. Mais cela concerne chacun selon ses œuvres, et seulement selon ce
point de vue propre. Ce jugement ne s’étend pas à la connaissance de tous les
méandres de l’œuvre de Dieu. 2° Le
jugement général concerne la relation du salut ou de la damnation de chacun
avec l’univers dans son ensemble. Il faut que les méandres et les influences de
toutes les réalités soient révélés à la conscience de tous sous le rapport
particulier du salut ou de la damnation. Parmi ces influences, la plus
importante est la conscience de chacun. Comme le dit l’épître aux Hébreux, la
raison de la récompense ou du châtiment de tous apparaîtra en pleine lumière à
tous les autres.
On
le voit, ce deuxième jugement n’a pas le même objet que le premier. Le premier
aboutit à un choix, lui-même sanctionné par une sentence ; le second est une
simple mise en lumière de ce choix et de cette sentence, universellement à
tous. Afin que toute justice soit manifestée, il est donc nécessaire qu’il y
ait ce deuxième jugement.
Tous,
élus et damnés verront en acte ce qui n’était pas évident sur terre : la
justice de Dieu. Lors de la fondation du monde, toutes les créatures
procédèrent immédiatement de Dieu ; au jour du jugement général, l’achèvement
suprême du monde s’accomplira quand chacun posera son jugement sur tout. C’est
pourquoi au jugement général, la justice divine apparaîtra manifestement au
sujet de toutes les choses qui actuellement sont cachées : car parfois Dieu
dispose maintenant d’un homme pour l’utilité des autres d’une manière qui
diffère de ce que sembleraient exiger les œuvres que nous le voyons accomplir.
Solutions :
1. Tout homme est à la fois un individu et
une partie de tout le genre humain : il doit donc être l’objet de deux
jugements. L’un, individuel, a lieu après la mort, quand on est traité selon ce
qu’on a fait en sa vie corporelle et face à l’apparition du Christ glorieux.
L’autre porte sur l’homme en tant qu’il fait partie de tout le genre humain. Le
jugement universel de tout le genre humain ne séparera pas les bons et les
méchants car cela aura été fait lors du jugement particulier. Mais il révèlera
à tous la raison de cette séparation ou de ce salut. Il révèlera tous les
secrets de l’univers à tous : les secrets des consciences, les secrets des
apparents abandons de Dieu durant les divers purgatoires, les raisons du
scandale de la croix, l’influence des lois matérielles sur l’homme, la place du
démon et des anges, la mort des innocents etc. Rien ne sera caché dans ce
jugement de discernement. Chacun pourra comprendre la parole du Messie en Matthieu[1857] : « Heureux
les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. »
2. La conséquence ultime du jugement
général sera de ruiner tout espoir dans les méchants et d’exalter la victoire
des humbles. Il y aura un accroissement de la peine des damnés puisque, ce
jour-là, tout l’espoir qu’ils avaient d’imposer à Dieu leur présomption
s’écroulera. Si Lucifer agit contre l’homme, c’est qu’il garde un certain
espoir de vaincre le projet de Dieu. Dans le jugement général, il perdra tout
espoir. Il constatera la victoire des humbles et verra avec rage que lui-même,
par son action, ne fit que contribuer bien involontairement à cette victoire.
Or, l’espoir de manifester à Dieu l’inanité de son projet d’amour étant
l’ultime stimulation des damnés, leur désespoir les plongera dans un dernier et
éternel abattement. De même, le bonheur des élus sera augmenté, au moins
accidentellement puisqu’ils verront d’expérience ce qu’ils savaient déjà en
voyant Dieu.
3. Le jugement universel regarde plus
directement la totalité des hommes que chacun de ceux qui sont jugés. Avant ce
jugement, chaque homme aura individuellement et pour ce qui le concerne une
connaissance parfaite de ce qui a rapport avec sa propre damnation ou de sa
récompense. Il connaîtra aussi le salut ou la damnation des autres. Cependant,
il ne connaîtra pas les circonstances précises et les interactions de tous ces
destins individuels, les détails de leur rapport à l’action de Dieu, aux anges
etc. Le jugement universel, qui est plus un jugement de discernement qu’un
jugement judiciaire est donc nécessaire.
Objections :
1. Il semble que les révélations du
jugement général doivent être faites par oral, puisque saint Augustin dit : « Combien durera ce jugement, c’est
chose incertaine. » Ce ne serait pas
incertain si les choses qui doivent être dites en ce jugement l’étaient
seulement mentalement. C’est donc que ce jugement aura lieu oralement et non
seulement mentalement.
2. Saint Grégoire dit : « Ceux-là entendront les paroles du
juge, qui auront gardé foi en sa parole.
» Il ne peut pas s’agir là de paroles intérieures, car au jugement tous
entendront les paroles du juge, puisque les actes accomplis seront connus de
tous, bons et mauvais. Il semble donc que ce jugement aura lieu oralement.
3. Le Christ jugera sous la forme humaine,
pour qu’il puisse être vu corporellement par tous. Il semble donc qu’il parlera
par la voix du corps, afin d’être entendu de tous.
Cependant :
Saint
Paul dit aux Romains[1858] : «
Leur conscience leur rendra
témoignage, et leurs pensées s’accuseront et se défendront l’une l’autre, en ce
jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes. » Il semble
donc que la sentence et tout le jugement s’accompliront seulement mentalement.
Conclusion :
On
est certain que ce jugement de discernement tout entier sera seulement mental.
Si chacun des faits devait être narré oralement, cela exigerait une durée
inestimable. Saint Augustin dit aussi : «
Si on conçoit comme matériel le livre selon lequel tous seront jugés, qui
pourrait en imaginer la hauteur ou la longueur ou dire en combien de temps on
pourrait lire un livre dans lequel seraient inscrites toutes les vies de tous. » Or il faudrait autant de temps pour
raconter verbalement les faits de chacun que pour les lire s’ils étaient
matériellement inscrits dans un livre. Il est donc sûr que ce dont parle saint
Matthieu s’accomplira, non pas oralement, mais mentalement.
Saint
Augustin dit à propos du livre de Vie dont parle l’Apocalypse[1859] : «
Ce sera une certaine force divine qui fera que chacun retrouvera en sa
mémoire toutes ses œuvres bonnes et mauvaises, et les verra par une intuition
rapide de l’esprit de sorte que cette connaissance, révélée à tous les autres,
accusera ou excusera la conscience de chacun : c’est ainsi que tous et chacun
seront jugés ensemble. »
Solutions :
1. Si saint Augustin dit « qu’on ignore combien de jours durera
ce jugement », c’est parce qu’il ne
sait pas s’il aura lieu mentalement ou oralement. En ce cas en effet, il
exigerait un temps prolongé. Mentalement, il pourrait se faire en un instant.
2. Même si le jugement est seulement
mental, ce texte de saint Grégoire peut se défendre. En supposant que tous
connaissent leurs propres actions et celles d’autrui, grâce à une action
divine, que l’Évangile nomme « parole ». Cependant, ceux qui auront
eu la foi, conformément aux paroles de Dieu, seront jugés selon ces paroles.
Car saint Paul dit aux Romains[1860] : «
Quiconque a péché sous la loi, sera
jugé selon la loi. » En effet, ce jugement se fera en toute vérité.
Puisqu’un homme n’agit qu’en fonction de ce qu’il a reçu, chacun jugera
différemment les actes passés selon que la personne était croyante ou
incroyante, forte ou faible, etc.
3. Le Christ apparaîtra dans son corps afin
d’être reconnu par tous comme juge corporellement : cela peut se faire en un
instant. Au contraire, la parole, qui est mesurée par le temps, exigerait une
immense durée de temps si le jugement avait lieu oralement.
Objections :
1. Il ne semble pas que le jugement doive
avoir lieu dans la, vallée de Josaphat ou dans ses environs : toute la Terre
promise ne pourrait pas contenir la multitude de ceux qui doivent être jugés.
Le futur jugement ne pourra donc pas avoir lieu dans cette vallée
2. Le Christ en tant qu’homme jugera dans
la justice, lui qui a été injustement condamné dans le prétoire de Pilate, et
qui a été victime de cette sentence sur le Golgotha. Ce sont donc ces lieux-là
qui devraient être désignés pour le jugement.
3. Les nuées proviennent de la condensation
des vapeurs. Mais à la fin du monde il n’y aura plus d’évaporation ou de
condensation. Il ne sera donc pas possible que[1861] « les
justes soient enlevés sur les nuées au devant du Christ dans l’air. » Bons et mauvais devront donc être sur
terre, ce qui requiert un lieu beaucoup plus étendu que cette vallée.
Cependant :
Joël
dit[1862] : «
Je rassemblerai toutes les nations, et
je les conduirai dans vallée de Josaphat : là, je discuterai avec elles. »
En
outre, les Actes[1863] disent : « Comme vous l’avez vu monter
au Ciel, vous l’en verrez descendre. » Or le Christ s’est élevé vers
les cieux à partir du Mont des Oliviers, qui domine la vallée de Josaphat.
C’est donc près de ces lieux qu’il viendra juger.
Conclusion :
On
ne peut pas savoir grand-chose de certain au sujet des modalités du jugement et
de la façon dont les hommes s’assembleront. Il est pourtant probable que le
lieu désigné par la vallée de Josaphat a d’abord un sens symbolique. En effet,
le nom de Josaphat signifie : « Yahvé
juge. » C’est pourquoi le livre de
Joël appelle le lieu où se tiendra le jugement général la « vallée de
la décision »[1864]. Si on suit le texte, cette vallée est
située près de Jérusalem[1865] : «
Yahvé fait entendre sa voix de
Jérusalem ; les cieux et la terre tremblent. » Cela signifie que le
jugement des nations concernera le bien et le péché puisque Jérusalem symbolise
la sainteté de ceux qui cherchent Dieu.
Ce
sens est le premier et le plus important. Ces textes ont pourtant un sens
littéral. Il y aura en effet un lieu matériel et un temps pour le jugement
général puisque celui-ci arrivera après la résurrection des corps charnels.
Plusieurs
possibilités ont été soutenues depuis les plus terrestres au plus spirituelles.
Certains ont dit que l’humanité entière serait rassemblée en un seul lieu. Pour
eux, d’après les Écritures, que le Christ descendra près du Mont des Oliviers,
comme il s’est élevé, afin de montrer que c’est lui-même qui est descendu après
être monté.
D’autres
pensent, et c’est mon opinion, que le jugement général aura lieu toute
l’éternité partout où les hommes seront car la durée des temps ne suffira pas
pour révéler à chacun la plénitude de toute l’action de Dieu et des anges,
d’autant plus que l’on découvrira que la création des hommes et des anges ne
dit pas tout de ce que Dieu a fait dans l’immensité de l’univers. Ce dernier
sens n’est pas contradictoire avec le précédent. Il est très conforme à ce
qu’est la vie éternelle et la damnation éternelle.
Solutions :
1. Une grande multitude peut être contenue
en un lieu restreint : il suffit d’occuper autour de ce lieu autant d’espace
qu’il en faut pour recevoir la multitude de ceux qui doivent être jugés. En un
autre sens, plus probable, il faut dire que chacun voyant le Christ d’où il
est, verra en lui et dans la vision de son prochain qu’il ne cessera de
rencontrer dans l’univers la totalité de ce qu’il lui faut connaître pour juger
de toutes choses.
2. Bien que le Christ, ayant été condamné injustement,
mérite le pouvoir judiciaire, il ne l’exercera cependant pas sous son apparence
de faiblesse, en laquelle il fut jugé, mais sous la forme glorieuse dans
laquelle il est monté vers le Père, de la même façon que nous l’avons décrit à
l’heure de la mort. En effet, sa vision devra révéler sans voile son mystère,
ce qui n’était pas le cas quand il est venu sur terre sous le voile qui cache
l’âme et le mystère de tous les fils d’homme. C’est pourquoi le lieu de
l’Ascension convient mieux pour le jugement que celui de sa condamnation.
3. Les nuées dont on parle ici sont
l’intense lumière qui resplendit des corps glorieux des saints, et non des
évaporations dégagées de la terre et de l’eau. Leur gloire révèlera à tous leur
vie et leurs actions, ainsi que l’action de Dieu sur eux, de même que les
ténèbres physiques des damnés. On pourrait dire aussi que ces nuées seront
engendrées par le nouvel état du corps de l’homme et montrera une certaine
conformité avec le corps du Christ. Ainsi rien ne sera caché, d’où le nom de
jugement général. Celui qui est monté sur la nuée revient pour juger sur la
nuée. Les nuées, à cause de leur fraîcheur peuvent indiquer aussi la
miséricorde du juge.
Trois
questions :
1° Chaque homme connaîtra-t-il, au
jugement, tous ses péchés ?
2° Chacun pourra-t-il lire dans la
conscience d’autrui tout ce qu’elle renferme ?
3° Chacun pourra-t-il voir d’un seul regard
tous les mérites et démérites ?
Objections :
1. Il semble que, après la résurrection,
personne ne se souviendra de tous les péchés qu’il aura commis. Car tout ce que
nous connaissons est soit appréhendé nouvellement par un sens, soit provient du
trésor de la mémoire. Mais les hommes, après la résurrection, ne pourront plus
percevoir sensiblement leurs péchés, puisque ceux-ci seront du passé, alors que
le sens ne saisit que le présent. D’autre part, beaucoup de péchés auront
disparu de la mémoire du pécheur. Le ressuscité n’aura donc pas la connaissance
de tous ses péchés.
2. Il est dit dans les Sentences : « Il y a des livres de la conscience
dans lesquels on lit les mérites de chacun.
» Mais on ne peut lire une chose dans un livre que si elle y est inscrite.
Or il y a des inscriptions de péché dans la conscience qui semblent consister
seulement dans une culpabilité ou une tache, comme cela ressort d’un texte
d’Origène sur ce passage de l’épître aux Romains : « Le témoignage étant rendu. »
Puisque la tache et la culpabilité de beaucoup de péchés auront été
effacées par la grâce, il ne semble pas que quelqu’un puisse lire dans sa
conscience tous les péchés qu’il a accomplis.
3. « L’effet croit avec sa cause. » La cause de la douleur des péchés
dont le souvenir nous revient, c’est la charité. Puisque les saints qui
ressuscitent possèdent une charité parfaite, ils devraient avoir une très vive
douleur de leurs péchés s’ils s’en souvenaient : or cela ne peut être,
puisqu’ils ne connaîtront plus ni douleur ni gémissement. Ils ne retrouveront
donc plus le souvenir de leurs propres péchés.
4. Les ressuscités bienheureux se
comporteront à l’égard des péchés commis autrefois comme les ressuscités damnés
à l’égard du bien qu’ils auront fait. Or les ressuscités damnés ne semblent pas
devoir connaître le bien qu’ils ont accompli autrefois, car cela allégerait
beaucoup leur peine. Donc les bienheureux ne connaîtront pas non plus les
péchés qu’ils auront commis.
Cependant :
Saint
Augustin dit qu’ « une force divine interviendra, qui rappellera à la
mémoire tous les péchés. »
En
outre, de même que le jugement humain s’appuie sur le témoignage extérieur, de
même le jugement divin porte sur le témoignage de la conscience, selon ce
verset du premier livre de Samuel[1866] : «
L’homme voit les choses qui paraissent
au dehors, tandis que Dieu voit l’intérieur du cœur. » Mais on ne
peut porter un jugement parfait sur quelqu’un que si les témoins ont déposé au
sujet de tous les faits qui doivent être jugés. Dès lors, puisque le jugement
divin est absolument parfait, il faut que la conscience garde toutes les choses
sur lesquelles il doit porter. Ce jugement doit s’étendre à toutes les œuvres,
bonnes et mauvaises. » Saint Paul
déclare[1867] : «
Nous devons tous apparaître devant le
tribunal du Christ, afin que chacun apporte toutes ses actions de la vis
corporelle, bonnes ou mauvaises. » Il est donc indispensable que la
conscience de chacun garde toutes les œuvres qu’il a accomplies, bonnes ou
mauvaises.
Conclusion
:
Saint
Paul dit[1868] : «
Au jour du jugement du Seigneur, la
conscience de chacun lui rendra témoignage : ses pensées l’accuseront et le
défendront. » Cette parole s’applique à la fois au jugement
particulier où le témoignage de la conscience provoque le choix éternel qu’au
jugement général où ce même témoignage est manifesté à tous. Ainsi, dans ce
jugement commun où seront appréciées toutes les œuvres des hommes, la conscience
de chacun sera comme un livre contenant tous ses actes, desquels résultera le
jugement, de même que dans les jugements humains nous nous servons de
registres. Tels sont les livres dont parle l’Apocalypse[1869] : «
Les livres furent ouverts, ainsi qu’un
autre livre, le Livre de Vie : et les morts furent jugés selon ce qui était
écrit dans les livres conformément à leurs actes. » Par les livres
ainsi ouverts, on désigne la norme de tout bien, à savoir la sainteté du Christ
auprès de qui tout sera étalonné. On désigne aussi la sainteté des saints qui,
étant proportionnée à celle du Christ, participe à sa puissance normative. Le
livre de Vie est, par contre, la conscience de chacun, livre unique puisque la
force divine fait que les actions de chacun sont rappelées à sa mémoire. On
pourrait dire aussi que les premiers livres dont parle l’Apocalypse sont les
consciences, tandis que le second serait la sentence du juge décrétée en sa
sagesse.
Solutions :
1. Bien que les mérites et démérites
s’effacent de la mémoire consciente telle que nous l’expérimentons ici-bas, ils
restent cependant tous conservés dans une mémoire plus profonde qui reparaît
dans sa force à l’heure de la mort quand l’organe charnel du cerveau disparaît.
C’est alors que, délivré du poids de l’usure du corps, les deux mémoires
réapparaissent - celle de l’esprit
qui garde les intentions spirituelles et celle
de la sensibilité qui garde les circonstances sensibles des choses et qui
est liée au corps psychique -. La personne reste donc éternellement dans la
pleine possession de tous ses souvenirs. Ils peuvent être rendus visibles à
tous, sans qu’une aide de Dieu ait à s’ajouter, quoiqu’en pensait saint
Augustin.
2. Les souvenirs demeurent inscrits dans la
conscience de chacun au sujet des actions accomplies. Il n’importe pas que ces
souvenirs soient seulement ceux des actions coupables, comme nous l’avons dit
plus haut. De même, les souvenirs des péchés pardonnés soit par le sacrement de
pénitence, soit par l’action directe de Dieu reviendront car pardonner ne
signifie pas oublier.
3. Bien que la charité soit ici-bas une
cause de regret du péché, cependant les saints dans la patrie seront tellement
pénétrés de joie que la douleur n’aura plus de place en eux. Leurs péchés
passés, loin d’être source de douleur, les feront se réjouir de la miséricorde
divine qui les a pardonnés. Ils n’auront aucune honte à paraître devant
l’univers entier dans la nudité de leur conscience car leur humilité (kénose),
c’est-à-dire la vérité par rapport à eux-mêmes sera totale.
4. Les méchants connaîtront tout le bien
qu’ils ont fait. Mais loin d’atténuer leur douleur, cela l’augmentera plutôt,
car on souffre d’autant plus qu’on a perdu plus de biens. Boèce dit que « la pire des infortunes est
d’avoir été heureux. »
Objections :
1. Cela ne semble pas. La connaissance des
ressuscités ne sera pas plus complète que celle des anges qu’il leur est promis
d’égaler. Mais les anges ne peuvent pas découvrir dans l’esprit l’un de l’autre
ce qui dépend du libre arbitre : ils ne le connaissent que par une
communication verbale entre eux. Les ressuscités ne pourront donc pas
apercevoir ce qui est contenu dans la conscience des autres.
2. Tout ce qui est connu l’est en soi ou en
sa cause ou en ses effets. Les mérites ou démérites contenus dans la conscience
de quelqu’un ne peuvent être connus : ni en eux-mêmes parce que Dieu seul
pénètre les cœurs et aperçoit leurs secrets ; ni en leur cause, parce que tous
ne verront pas Dieu qui seul peut agir sur le cœur, duquel procèdent les actes
méritoires ou déméritoires ; ni dans leurs effets, parce qu’il y a beaucoup de
fautes dont ne demeurera aucun effet, ceux-ci étant supprimés par la pénitence.
Donc tout ce qui est contenu dans la conscience de quelqu’un ne pourra pas être
connu par un autre.
3. Saint Jean Chrysostome dit : « Maintenant tu te souviens de tes
péchés et les rappelles souvent en face de Dieu et pries à cause d’eux, ils
seront vite effacés. Mais si tu les oublies, alors tu t’en souviendras malgré
toi quand ils seront rendus publics et révélés en présence de tous, amis,
ennemis et saints anges. » Il en
résulte que cette publication est le châtiment de la négligence par laquelle
l’homme omet de se confesser. C’est donc que les péchés confessés ne seront pas
publiés.
4. C’est un réconfort pour un pécheur que
de savoir qu’il a beaucoup de semblables dans son péché, et il en a moins de
honte. Si donc chacun connaissait les péchés des autres, la honte de chaque
pécheur en serait très diminuée, ce qui ne convient pas. Tous les hommes ne
connaissent donc pas les péchés de tous les autres.
Cependant :
Au
sujet de l’épître aux Corinthiens, la Glose dit : « Les choses accomplies et les pensées bonnes et mauvaises seront
alors révélées à tous et connues. »
En
outre, les péchés passés de tous les justes seront effacés également pour tous.
Or nous connaîtrons les péchés de certains saints, de Marie-Madeleine, de
Pierre et de David. Nous devons donc connaître également les péchés des autres
élus et plus encore des damnés.
Conclusion :
Au
jugement dernier et universel, la justice divine doit apparaît à tous avec
évidence, tandis que maintenant elle échappe à beaucoup. Or, la sentence qui condamne
ou récompense ne peut paraître juste que si elle est portée selon les mérites
ou les fautes. Dès lors, de même que le juge et son assesseur doivent connaître
les mérites de la personne jugée pour pouvoir prononcer une juste sentence, de
même pour qu’une sentence se montre juste, il faut que les mérites de la
personne jugée apparaissent à tous ceux qui connaissent la sentence. C’est
pourquoi, puisque la récompense ou la condamnation est connue de chacun et
aussi de tous les autres, il est nécessaire que celui qui est jugé ne retrouve
pas seulement le souvenir de ses mérites et démérites, mais qu’il connaisse
aussi ceux des autres.
Telle
est l’opinion plus probable et la plus commune. Pourtant le Maître des
Sentences pense le contraire. C’est-à-dire que les péchés effacés par la
pénitence n’apparaîtront pas aux autres hommes lors du jugement. Mais il en
résulterait que les autres ne connaîtraient pas parfaitement la réparation
accomplie pour ces péchés : et cela réduirait beaucoup la gloire des saints, et
la louange de Dieu qui a si miséricordieusement libéré les saints.
Solutions :
1. Tous les mérites et démérites de la vie
terrestre composent une certaine somme pour la gloire ou l’humiliation de
l’homme qui ressuscite. C’est pourquoi, en apercevant le corps ressuscité des
élus comme des damnés, il sera possible de découvrir comme dans un miroir la
totalité de sa conscience passée et présente. Cela sera possible grâce à
l’action de la puissance divine, de telle sorte que la sentence du juge se
révélera juste pour tous.
2. Les mérites ou démérites pourront être
manifestés aux autres grâce à la clarté ou à l’obscurité des corps des
ressuscités, comme nous l’avons vu ou aussi en eux-mêmes grâce à leur éternelle
subsistance dans la mémoire.
3. La publication des péchés pour
l’humiliation du pécheur est l’effet de la négligence commise par l’omission de
leur confession. Mais la révélation des péchés des saints ne pourra pas être
pour eux une source d’humiliation ou de honte : ce n’est pas pour Marie-Madeleine
une source de confusion que de voir ses péchés racontés publiquement à
l’Église, car la honte est « la
crainte de la diminution de sa renommée »,
chose qui, comme dit saint Jean Damascène, est impossible pour les bienheureux.
Cette publication augmentera la gloire des élus à cause de la pénitence qu’ils
ont faite pour leurs péchés : c’est ainsi que le confesseur approuve celui qui
confesse avec courage les grands crimes qu’il a accomplis. On dit que les
péchés sont effacés en ce sens que Dieu ne les regarde plus pour les punir.
4. Quand le pécheur considérera les péchés
des autres, cela ne diminuera en rien sa confusion, mais l’accroîtra plutôt,
car il aura encore plus de honte de ses péchés en voyant la honte que les
autres en ont. Si ici-bas la vue des péchés des autres diminue notre honte,
c’est parce que nous les considérons selon le jugement des autres, que
l’habitude rend plus large. Dans l’au-delà au contraire nous aurons la
confusion de voir le jugement porté par Dieu, pleinement vrai pour tout péché,
de nous ou de beaucoup d’autres.
Objections :
1. Il semble que non. Les particuliers
étant multiples ne peuvent être vus en un seul regard. Or les damnés
considéreront leurs péchés un à un et les pleureront : la Sagesse leur fait
dire par exemple[1870] : «
À quoi nous a servi notre orgueil ? » Ils
ne verront donc pas tous leurs péchés d’un seul regard.
2. Aristote dit : « Il n’est pas possible de saisir par l’intelligence plusieurs
choses en même temps. » Or c’est par
l’intelligence que nous connaîtrons les mérites et démérites de nous-mêmes et
d’autrui. On ne pourra donc pas les connaître tous ensemble.
3. L’intelligence des damnés ne sera pas,
après la résurrection, plus puissante que celle que possèdent maintenant les
bienheureux et les anges, selon le mode naturel par lequel ils connaissent les
choses par des espèces intelligibles innées. Mais dans cette connaissance, les
anges ne voient pas plusieurs choses en même temps. Les damnés ne pourront donc
pas, après la résurrection, voir en même temps toutes les actions passées.
Cependant :
À
propos de ce texte de Job[1871] : «
Ils seront couverts de confusion », la
glose dit : « En apercevant le juge,
tous leurs péchés apparaîtront au regard de leur esprit. » Or, le juge, ils le verront en un instant. Ils verront donc de
même tous les péchés qu’ils ont commis, ainsi que toutes les autres actions
accomplies.
En
outre, saint Augustin montre l’inconvénient qu’il y aurait à ce que, lors du
jugement général, on doive lire un livre matériel dans lequel seraient
inscrites les actions de chacun : nul ne pourrait concevoir la grandeur d’un
pareil livre, ni le temps qu’il faudrait pour le lire. De même il serait
impossible d’évaluer le temps requis pour qu’un homme considère tous ses
mérites et démérites, ainsi que ceux des autres, s’il devait les voir
successivement. On doit donc dire que chacun voit toutes ces choses en
même temps.
Conclusion :
À ce
sujet, nous nous trouvons en face de deux opinions : certains disent que tous
les mérites et démérites, personnels et d’autrui, seront vus par chacun en un
seul instant. Pour les bienheureux, il est facile de l’admettre puisqu’ils
verront tout dans le Verbe : de cette manière, il n’y a pas de difficulté à ce
que plusieurs choses soient vues en même temps. Par contre, cela est plus
difficile pour les damnés, puisque leur intelligence n’est pas élevée au point
de pouvoir voir Dieu, et toutes choses en Lui.
C’est
pourquoi, d’autres disent que les méchants verront en même temps, d’une manière
globale, tous leurs péchés et ceux des autres. Et cela suffit pour constituer
l’accusation nécessaire pour la condamnation ou l’absolution. Mais ils ne
verront pas tous ces péchés en même temps d’une manière individuelle. Pourtant
cela ne semble pas conforme à la pensée de saint Augustin, qui dit que toutes
les actions seront énumérées dans un seul regard de l’esprit : ce qui est connu
globalement n’est pas énuméré.
On
peut donc adopter une solution intermédiaire : chacune des actions sera vue,
non pas en un seul instant, mais en un temps fort bref, grâce à l’action
divine. C’est ce que dit saint Augustin : «
Elles seront vues avec une étonnante rapidité. » Cela n’est pas impossible, car dans le plus petit espace de
temps il y a une infinité d’instants possibles. C’est d’ailleurs confirmé, pour
ce qui concerne le jugement individuel, par les témoins d’une Expérience de Mort Imminente (N.D.E.).
Il faut ajouter que ce jugement général de tous sur tout ne cessera jamais.
Cela
résout les objections posées.
Traitons
maintenant de ceux qui jugeront et de ceux qui seront jugés au jugement général
:
1° Y aura-t-il des hommes qui jugeront avec
le Christ ?
2° Le pouvoir judiciaire correspond-il à la
pauvreté volontaire ?
3° Les anges jugeront-ils ?
4° Tous les hommes comparaîtront-ils au
jugement ?
5° Y a-t-il des hommes bons qui seront
jugés ?
6° Et des hommes mauvais ?
7° Les anges seront-ils aussi jugés ?
Objections :
1. Il semble qu’il n’y en ait aucun. Dans
saint Jean, nous lisons[1874] : «
Le Père a donné tout jugement au Fils,
afin que tous l’honorent. » Cet honneur n’est dû à aucun autre que
le Christ.
2. Celui qui juge a autorité sur ce qu’il
juge. Or l’objet du jugement final, c’est-à-dire les mérites et démérites des
hommes, n’est soumis qu’à l’autorité divine. Il n’appartient donc à personne de
juger de ces choses.
3. Ce jugement n’aura pas lieu oralement,
mais mentalement, selon l’opinion plus probable. Mais la révélation faite aux
cœurs des hommes, de leurs mérites et démérites, constituera en quelque sorte
l’accusation ou la recommandation ou même l’attribution de la peine ou de la
récompense, ce qui équivaut à l’énoncé de la sentence. Or cela ne peut être
accompli que par la puissance divine. Nul ne jugera donc que le Christ qui est
Dieu.
Cependant :
Nous
lisons en saint Matthieu[1875] : «
Vous siégerez vous aussi sur douze
sièges, jugeant les douze tribus d’Israël. »
En
outre, nous voyons dans Isaïe[1876] : «
Dieu viendra juger avec les anciens de son peuple. » Il semble donc que
d’autres jugeront avec le Christ.
Conclusion :
Juger
peut s’entendre de diverses manières : 1°
D’abord causalement : on dit qu’une chose juge quand elle montre que
quelqu’un doit être jugé de telle manière. C’est ainsi qu’on dit que certains
sont jugés par une comparaison, en tant que par comparaison avec les autres, on
voit comment ils doivent être jugés. Dans Matthieu, nous lisons[1877] : «
Les hommes de Ninive se dresseront en
jugement contre cette génération et la condamneront. » Cette manière
de juger vaut aussi bien pour les bons que pour les méchants.
2° On juge aussi interprétativement
: nous considérons comme faisant une chose ceux qui consentent à ce qu’elle se
fasse. Ainsi ceux qui acceptent le jugement du Christ en approuvant sa sentence
sont regardés comme jugeant avec lui. Ce sera le cas de tous les élus. C’est
pourquoi la Sagesse dit[1878] : «
Les justes jugeront les nations. » Ce
ne sera pas le cas des damnés qui refuseront de toute leur volonté la règle de
ce jugement, à savoir l’amour et l’humilité (kénose) du Christ.
3° En un troisième sens, on dit que
quelqu’un juge en tant qu’assesseur : parce qu’il a un comportement
semblable à celui du juge, par exemple en siégeant en un lieu élevé comme lui ;
c’est ainsi qu’on dit que les assesseurs jugent. Selon cette manière de parler,
ce ne seront pas seulement les grands saints mais tous les élus du Ciel,
jusqu’au plus petit, qui jugeront puisque tous auront été élevés par Dieu à la
dignité d’ami de Dieu.
4° « La
loi juge. » Il
est un autre mode de jugement qui convient aux saints. En effet, s’étant conformés
au Christ, ils possèdent en eux les décrets de la justice divine, en vertu
desquels les hommes seront jugés. Chaque élu est en quelque sorte une loi
vivante qui révèle la règle du jugement. L’Apocalypse dit[1879] : «
Le jugement débute et les livres sont ouverts.
» C’est de cette manière que Richard de Saint-Victor explique le
jugement : « Ceux qui prennent part à
la contemplation divine, qui lisent chaque jour dans le livre de la sagesse,
écrivent pour ainsi dire dans les volumes de leur cœur tout ce qu’ils
saisissent par leur pénétrante intelligence de la vérité. » Il ajoute : « Que sont
les cœurs de ceux qui jugent, instruits divinement de toute vérité, sinon les
décrets des canons ? »
5° Juger peut s’entendre par porter une
sentence au sujet d’un autre. Cela peut s’accomplir de deux manières. D’une
part en vertu de sa propre autorité, et cela appartient à celui qui jouit d’une
autorité et d’un pouvoir sur les autres qui lui sont soumis : il possède le
droit de les juger ; Dieu seul possède ce droit. D’autre part, juger peut
consister à rendre publique une sentence portée par une autre autorité c’est
seulement l’énonciation d’une sentence déjà fixée. De cette manière les hommes
justes jugeront parce qu’ils révéleront aux autres la sentence de la justice divine,
afin qu’ils sachent ce qui est dû en justice à leurs mérites. Cette divulgation
de la justice peut s’appeler jugement. C’est pourquoi Richard de Saint-Victor
dit : « Les juges ouvrent les livres
de leurs décrets devant ceux qui sont jugés, ils admettent les inférieurs à
inspecter leur propre cœur, en leur révélant leur manière d’apprécier les
choses soumises au jugement. »
Solutions :
1. Cette objection vaut pour le jugement
d’autorité qui n’appartient qu’au Christ seul.
2. Celle-ci aussi.
3. Il n’est pas exclu que certains saints
révèlent des choses aux autres, soit par manière d’illumination, comme les
anges supérieurs éclairent les inférieurs, soit par manière de conversation,
comme les inférieurs parlent aux supérieurs.
Objections :
1. Il semble que non. Le pouvoir de juger
appartient à celui qui plaît à Dieu. Or, plutôt que l’humilité, c’est la
charité qui résume la loi. Donc le pouvoir de juger appartiendra à la charité.
2. Le pouvoir de juger est promis seulement
aux douze apôtres[1881] : «
Vous siégerez sur douze sièges, en jugeant. » Puisqu’il y a des pauvres
volontaires en dehors des apôtres, il semble que le pouvoir judiciaire ne leur
soit pas accordé à tous.
3. Il est plus grand de sacrifier à Dieu
son propre corps que les biens matériels. Or les martyrs et les vierges offrent
à Dieu le sacrifice de leur propre corps, tandis que les pauvres volontaires ne
sacrifient que les biens matériels. Le privilège du pouvoir judiciaire semble
donc convenir davantage aux martyrs et aux vierges.
4. À ce texte de saint Jean[1882] : «
Moïse en qui vous espérez vous accuse
», la Glose ajoute : « parce
que vous n’avez pas cru à sa voix. »
Saint Jean dit plus loin[1883] : «
Le discours que je vous ai fait jugera
l’homme au dernier jour. » C’est donc que celui qui expose la loi ou
exhorte en vue d’une instruction morale jugera ceux qui les méprisent. Or cette
mission est celle des docteurs. Il convient donc qu’ils jugent plutôt que les
pauvres volontaires.
5. Le Christ, parce qu’il a été jugé
injustement en tant qu’homme, a mérité d’être juge de tous les hommes dans sa
nature humaine. Saint Jean[1884] : «
Dieu lui a donné le pouvoir de juger
parce qu’il est le Fils de l’homme. » Ceux qui souffrent persécution
pour la justice sont, eux aussi, jugés injustement. Le pouvoir judiciaire leur
convient donc mieux qu’aux pauvres.
6. Le supérieur n’est pas jugé par
l’inférieur. Mais beaucoup de ceux qui usent licitement des richesses auront
plus de mérites que bien des pauvres volontaires. Ceux-ci ne les jugeront donc
pas.
Cependant :
Nous
lisons dans Job[1885] : «
Il ne sauve pas les impies, et donne
aux pauvres le pouvoir de juger. » Juger appartient donc aux
pauvres.
En
outre, à propos de saint Matthieu[1886] : « Vous qui avez tout
quitté, etc. », la Glose dit « Ceux
qui auront tout quitté et auront suivi Dieu seront juges ; ceux qui auront bien
usé des biens légitimement possédés, seront juges. »
Conclusion :
La
question peut être formulée de la manière suivante : Lors du jugement général,
qui sera le plus apte à éclairer le jugement sur tout ? Sera-ce le plus
intelligent comme le souhaite Lucifer ? Sera-ce le plus humble ? Pour
répondre, il faut discerner la vertu qui plaît à Dieu.
La
pauvreté volontaire n’est pas la simple pauvreté matérielle. C’est plutôt la
pauvreté du cœur, autrement dit l’humilité (kénose). Nous avons vu qu’elle est
dans l’édifice spirituel, le fondement où vient s’enraciner la charité. En
effet, l’homme humble s’oublie et devient capable d’aimer en vérité,
c’est-à-dire d’aimer sans motif égoïste.
Le
pouvoir judiciaire est donc du spécialement à cette pauvreté, c’est-à-dire aux
humbles (kénose), pour trois motifs :
1° Premièrement, par raison de convenance,
car la pauvreté volontaire est la vertu de ceux qui, méprisant toutes les
choses du monde, adhèrent au Christ seul. Il n’y a rien en eux qui fasse dévier
de la justice leur propre jugement. Ils sont donc pour tous les autres une
norme supérieure de jugement puisqu’ils approchent davantage la vraie justice.
2° Secondairement, par raison de mérite.
Car l’humilité (kénose) appelle l’exaltation des mérites selon les paroles de
Marie[1887] : «
Il a renversé les potentats de leurs
trônes et élevé les humbles. » Or, parmi les choses qui ici-bas
provoquent le mépris des hommes, la principale est la pauvreté. L’excellence du
pouvoir judiciaire est donc promise aux pauvres, pour que celui qui s’est
humilié pour le Christ soit exalté.
3° Troisièmement, parce que la pauvreté
dispose à juger dans la vérité. On dit en effet d’un saint qu’il juge, dans le
sens que nous avons dit, parce que leur cœur est rempli de la vérité divine :
il sera donc capable de la manifester aux autres, sans arrogance d’une manière
proche de celle du Christ.
Dans
la marche progressive vers la perfection, la première chose qu’on doit
abandonner, ce sont les vanités intérieures : car ce sont les premiers
obstacles à l’amour. C’est pourquoi parmi les béatitudes qui nous font
progresser vers la perfection, la pauvreté est placée la première. De la sorte
la pauvreté correspond au pouvoir judiciaire en tant qu’elle est la première
disposition pour la perfection. Ce pouvoir est promis à tous les humbles qui,
ayant tout quitté, suivent le Christ dans son total anéantissement. C’est le
cas de tous les saints du Ciel, même de ceux qui n’ont suivi le Christ qu’à la
onzième heure c’est-à-dire face à sa révélation de l’heure de la mort.
Solutions :
1. La pauvreté ne suffit pas, à elle seule,
à mériter le pouvoir judiciaire. C’est parce qu’elle a permis la naissance de
la charité qu’elle le mérite. C’est en effet dans le cœur des humbles que la
charité s’enflamme avec le plus de force. En fin de compte, on peut dire que le
pouvoir judiciaire appartient à ceux qui ont le plus aimé.
2. Saint Augustin écrit : « Nous ne devons pas penser, parce qu’il
est dit que les juges siégeront sur douze sièges, qu’ils ne seront pas plus de
douze. Sinon, puisque nous lisons que Matthias fut nommé apôtre à la place de
Judas le traître, nous devrions croire que Paul qui a travaillé plus que les
autres, ne siégerait pas pour juger. »
« Ce nombre de douze signifie toute la multitude des juges, car les deux
parties du chiffre sept, c’est-à-dire trois et quatre, si nous les multiplions
font douze. Or, douze est un nombre parfait puisqu’il consiste en l’addition de
deux six, qui est un nombre parfait. »
On
peut dire aussi que littéralement le Christ donne le chiffre des douze apôtres
en désignant par eux tous leurs successeurs.
3. La virginité et le martyre ne disposent
pas autant que l’humilité (kénose) à la sainteté que donne la charité. En
effet, les vanités intérieures, par le lien qu’elles imposent, étouffent plus
que tout autre chose la parole de Dieu et la croissance de la charité, comme il
est dit en saint Luc.
Les
autres vertus comme une virginité totale du cœur (à savoir l’absence de mélange
avec le péché mortel) et le martyre (la constance à souffrir pour l’amour), et
toutes les œuvres de perfection, brilleront d’une spéciale auréole lors du
jugement général et seront motifs de jugement pour les autres. Elles ne seront
pourtant pas aussi importantes que la pauvreté parce que le début d’une chose
en est la partie principale.
4. Celui qui a enseigné la loi ou exhorté
au bien jugera, causalement, en ce sens que les autres seront jugés en se
comparant aux paroles qu’il a exposées. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire ne
vient pas de la prédication ou de l’enseignement. On peut aussi dire, selon
certains, que le pouvoir judiciaire requiert trois choses : d’abord, le
dépouillement de soi pour que l’esprit ne soit pas empêché de recevoir la
sagesse ; ensuite l’amour de charité qui consiste à connaître et à observer la
justice divine ; enfin le fait d’avoir enseigné aux autres cette justice. Ainsi
l’enseignement est une perfection qui achève de mériter le pouvoir judiciaire.
5. Le Christ, en tant que jugé injustement,
s’est humilié lui-même. « Il a été offert, parce qu’il l’a voulu. » Cette
humilité (kénose) mérite l’élévation au titre de juge, par lequel tout lui est
soumis, comme dit saint Paul. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire est
davantage dû à ceux qui s’humilient volontairement, en rejetant les vanités de
ce monde, à cause desquels les hommes sont honorés par les mondains, qu’à ceux
qui ne sont humiliés que par les autres.
6. Un inférieur ne peut pas juger son
supérieur en vertu de son autorité propre, mais il le peut en vertu de
l’autorité d’un être supérieur à tous deux, comme nous le voyons chez les juges
délégués. Il n’y a donc pas d’inconvénients, si les pauvres reçoivent cette
récompense, en quelque sorte accidentelle, à ce qu’ils jugent ceux-là mêmes qui
possèdent un mérite supérieur à l’égard de la récompense essentielle.
Objections :
1. Il semble que oui : Matthieu dit[1889] : «
Quand le Fils de l’homme viendra en sa
majesté, avec tous les anges. » Or, il s’agit là de la venue pour le
jugement. Les anges aussi jugeront donc.
2. Les ordres des anges tirent leur nom de
la charge qu’ils remplissent. Parmi eux se trouve l’ordre des Trônes, qui
semble se rapporter au pouvoir judiciaire. Le trône est en effet le siège du
juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Il y aura donc des anges qui
jugeront.
3. Il est promis aux saints qu’après cette
vie ils seront égaux aux anges. S’il y a même des hommes qui auront le pouvoir
de juger, à plus forte raison les anges l’auront-ils aussi.
Cependant :
Saint
Jean dit[1890] : «
Dieu a donné au Christ le pouvoir de
juger parce qu’il est le Fils de l’homme. » Or les anges ne
participent pas à la nature humaine. Donc pas non plus au pouvoir judiciaire.
En
outre, le juge et son ministre sont deux êtres distincts. Les anges, lors du
jugement seront les ministres du juge, selon saint Matthieu[1891] : «
Le Fils de l’homme enverra ses anges,
et ils recueilleront dans son royaume tous les scandales. » Ils ne
jugeront donc pas.
Conclusion :
Les
anges seront jugés, comme toutes les réalités de l’univers qui ont eu à choisir
Dieu ou qui ont participé à titre de moyen à ce choix. Le jugement général est
d’abord un discernement universel sur l’ordre total du monde. Il manifeste
principalement ce qui concerne l’entrée dans la gloire ou le refus de la
gloire. Or les anges ont leur place dans ce discernement puisque certains ont
choisi Dieu ; d’autres l’ont rejeté. Certains ont aidé les hommes à entrer dans
la gloire, d’autres ont participé à leur damnation. Sous le rapport de ce
jugement de discernement, les anges jugeront et seront jugés. Chacun comprendra
le rôle de Lucifer et de ses anges dans le mystère de l’iniquité et le malheur
du monde. Chacun verra la place importante des bons anges dans l’économie du
salut.
Mais
les anges ne jugeront pas les hommes sous un autre rapport. Le jugement général
porte aussi sur les mérites respectifs de ceux qui, dans la chair, se sont
comportés avec plus ou moins de courage et dignité. Sous ce rapport, les anges
ne jugeront pas les hommes. Ils n’ont pas connu les tribulations de la chair.
Le droit de juger est attribué en premier à Jésus, le Fils de l’homme, qui plus
que tout autre a aimé dans sa chair. Il sera la norme du bien et du mal pour
les hommes. Il apparaîtra en sa nature humaine aux bons comme aux méchants.
Pour la même raison, ses assesseurs seront les autres hommes, bons et mauvais.
Il n’appartient donc pas aux anges de juger les hommes sous ce rapport, bien
qu’on puisse dire que de quelque manière ils jugent aussi, en tant qu’ils
approuvent la sentence. Mais les anges jugeront les autres anges.
Solutions :
1. La Glose ordinaire dit que les anges
viendront avec le Christ lors du jugement, non comme juges, mais « pour être les témoins des actes
humains, que les hommes ont accomplis, bons ou mauvais, tandis qu’ils étaient
sous leur garde. »
2. Le nom de Trônes est attribué aux anges
en raison de ce jugement que Dieu ne cesse d’exercer en gouvernant toutes les
créatures avec une parfaite justice : les anges sont de quelque manière les
exécuteurs et les promulgateurs de ce jugement. Par contre, le jugement que le
Christ en tant qu’homme tiendra au sujet des hommes, requiert des assesseurs
qui soient hommes.
3. L’égalité avec les anges est promise aux
hommes quant à la récompense essentielle. Rien n’empêche par contre que les
hommes puissent recevoir une récompense accidentelle qui ne sera pas donnée aux
anges, par exemple l’auréole des vierges et des martyrs : de même pour le
pouvoir judiciaire.
Objections :
1. Il semble que les hommes ne
comparaîtront pas tous en jugement. Nous lisons en effet dans saint Luc[1893] : «
Vous siègerez sur douze sièges pour
juger les douze tribus d’Israël. » Tous les hommes n’appartiennent
pas à ces douze tribus. Il semble qu’ils ne viendront pas tous en jugement.
2. Le Psalmiste dit[1894] : «
Les impies ne ressusciteront pas pour
le jugement. » Or, il y en a beaucoup. Tous les hommes ne
comparaîtront donc pas.
3. Si quelqu’un est amené au jugement,
c’est pour qu’on discute ses mérites. Mais il y a des hommes qui n’ont eu aucun
mérite, par exemple les enfants morts en bas âge. Il ne sera donc pas un
jugement universel.
Cependant :
Les
Actes[1895] disent que « le Christ a été
institué par Dieu juge des vivants et des morts. » Ces deux
catégories englobent tous les hommes, quelle que soit la manière
de distinguer les morts des vivants. Tons les hommes viendront donc au
jugement.
En outre, nous lisons dans l’Apocalypse[1896] : « Voici qu’il vient sur les nuées, et tout œil le verra. » Ce
qui ne serait pas si tous n’étaient pas présents.
Conclusion
:
Dans ce jugement de discernement, il est
certain que tout ce qui a eu un rapport avec le salut paraîtra au jugement. 1° En premier lieu, le Christ sera jugé
et il deviendra pour tous la norme du jugement. Chacun verra une nouvelle fois
que le pouvoir judiciaire lui a été conféré en tant qu’homme en récompense de
l’humilité (kénose) manifestée dans sa passion. Il y a répandu son sang d’une
manière suffisante pour tous les hommes, bien qu’il n’ait pas réalisé en tous
le salut, à cause des obstacles trouvés en certains. Il convient donc que tous
les hommes soient assemblés face à lui, afin de contempler son exaltation dans
sa nature humaine, en laquelle il a été constitué par Dieu juge des vivants et
des morts. 2° Puis, à sa lumière, tous
les hommes et tous les anges seront jugés. Chacun comprendra le choix et les
circonstances qui ont conduit au salut ou à la damnation. Dans le même acte,
les hommes deviendront juges pour tous les autres de telle manière que chacun
se jugera en fonction des mérites ou démérite des autres. 3° Mais aussi, non à titre de prévenu mais à titre de pièce à
conviction, les créatures non spirituelles seront jugées puisque tout, dans
l’univers aura participé d’une manière ou d’une autre au chemin qui mène à
Dieu. Les créatures seront rappelées à la mémoire de tous, comme les évènements
du passé afin que rien ne soit caché.
Solutions
:
1. Nous
devons dire avec saint Augustin : « Ce n’est point parce qu’il est
dit jugeant les douze tribus d’Israël, que la tribu de Lévi, qui est la
treizième, ne devrait pas être jugée ou que le Maître jugerait seulement ce
peuple et non pas les autres nations. »
Par cette expression les douze tribus, toutes les nations sont désignées, parce
qu’elles ont été appelées par le Christ au même sort que les douze tribus.
2. Cette
proposition : « Les impies ne ressusciteront pas pour le
jugement », si on l’applique à tous les pécheurs, doit être prise en
ce sens qu’ils ne ressusciteront pas en vue d’être jugés digne de la gloire. Si
on l’applique aux infidèles, elle signifie qu’ils ne ressusciteront pas pour
être jugés en tant qu’infidèles puisqu’ils ne le seront plus, mais en tant
qu’ancien infidèle ayant été sauvé ou damné.
3. Même
les enfants morts avant l’âge du discernement paraîtront au jugement pour être
jugés aussi, puisqu’ils n’entreront pas dans la vision de Dieu sans un choix
d’amour.
Objections :
1. Il
semble qu’aucun des hommes bons ne sera jugé, car il est dit en saint Jean[1898] :
« Celui qui croit en moi n’est pas jugé », et tous les bons
croient au Christ.
2. Point
de bonheur pour ceux qui sont incertains de leur béatitude. Saint Augustin
prouve par là que les démons n’ont jamais été bienheureux. Or tous les saints
sont bienheureux ; ils ont donc la certitude de leur béatitude. Puisqu’on
ne juge pas ce qui est déjà certain, les bons ne seront pas jugés.
3. La
crainte est incompatible avec la béatitude. Le jugement dernier, qui est dit
très redoutable, ne pourrait avoir lieu sans provoquer la crainte de ceux qui
doivent être jugés.
4. Saint
Grégoire dit, à propos de ce texte de Job[1899] : « Quand
il aura été enlevé, les anges craindront » : « Pensons au
trouble de la conscience des méchants, alors que même la vie des bons sera
bouleversée. » Les bienheureux ne
seront donc pas jugés.
Cependant
:
Il semble que tous les bons seront jugés, car
saint Paul dit aux Corinthiens[1900] : « Il
faut que nous soyons tous présentés au tribunal du Christ, pour que chacun
rapporte ce qu’il a fait de son propre corps, en bien et en mal. » Il
s’agit bien là du jugement tous les bons seront donc jugés.
En outre, qui dit universel, dit toutes choses. Or ce dernier
jugement s’appelle universel. Donc tous seront donc jugés.
Conclusion
:
Dans un jugement de discernement, il y a deux
éléments : les débats sur les mérites, et l’attribution des récompenses ou des
sanctions. Sous ces deux rapports, les bons comme les méchants seront jugés.
Pour l’attribution des récompenses ou des sanctions, tous seront jugés, même
les bons, puisque chacun devra comprendre la sentence divine qui attribua lors
du jugement particulier le prix correspondant à son mérite. En ce qui concerne
les débats sur les mérites, pour la même raison, ils auront lieu pour tous,
même pour le Christ et la vierge Marie en qui on ne trouvera aucun péché. Il
faut en effet que le détail de l’héroïsme intérieur et extérieur de leur vie
soit connu de tous. De même pour les autres en qui on discernera un passé fait d’un
mélange de bonnes et de mauvaises actions, rien ne devra être ignoré de ce qui
fut bâti avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en se livrant
totalement au service de Dieu, et de ce qui fut bâti sur la base de la foi,
mais avec du bois, du foin et de la paille, c’est-à-dire de ce qui en nous
jadis aimait encore les choses du siècle, et se livrent à des affaires
terrestres, tout en ne faisant rien lasser avant le Christ, et en s’efforçant
de réparer leurs péchés par des aumônes. De même pour les damnés.
En résumé, on doit dire que tout sera porté
au jugement de discernement de tous.
Solutions
:
1. La
punition est l’effet de la justice, tandis que la récompense est celui de la
miséricorde. C’est pourquoi on attache de préférence l’idée de punition au
jugement, qui est un acte de justice; on en vient donc à parler de jugement
pour dire condamnation. C’est en ce sens qu’on doit prendre le texte cité. Du
reste la Glose le montre bien.
2. La
discussion au sujet des mérites des élus n’est point pour enlever de leur cœur
la certitude de la béatitude. Elle montre à tous d’une manière évidente la
prééminence de leurs bonnes œuvres sur leurs fautes ; la justice divine en est
mieux démontrée.
3. Le
jugement général n’aura lui rien de terrible pour les élus car l’amour n’a rien
à craindre. La lumière du Christ ne les écrasera pas comme au jour du jugement
individuel avant que le purgatoire ait achevé de les purifier. En effet,
devenus conforme à lui, son humilité (kénose) les élèvera plutôt. Les damnés, par
contre, subiront l’obligation du jugement général comme la pire des épreuves
et, ce jour-là, se réalisera de manière ultime et visible la parole de la
Genèse parlant de l’orgueil de Lucifer[1901] : « Je mettrai une hostilité entre toi et la
femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras
au talon. »
4. Saint
Grégoire parle des justes qui sont encore dans leur chair mortelle. Il avait
dit plus haut : « Ceux qui
auront été surpris dans leurs corps (par la fin du monde), bien que déjà forts
et parfaits, cependant, parce qu’ils sont encore dans leurs corps, ne pourront
pas, au milieu d’une telle vague de terreur, éviter toute épouvante. » Il est clair que cette terreur se
rapporte au temps qui précédera immédiatement le jugement. Il sera absolument
terrible pour les méchants, mais non pour les bons, qui ne se sentiront pas
soupçonnés de mal.
Objections :
1. Aucun
des méchants, semble-t-il, ne sera jugé. La damnation est certaine pour ceux
qui meurent dans le péché mortel, comme pour ceux qui refusent de croire. Or
nous voyons, en saint Jean[1903], que,
à cause de cette certitude de damnation, «
celui qui ne croit pas est déjà jugé.
» Pour ce même motif, aucun pécheur ne sera jugé.
2. La voix
du juge est terrible pour ceux qu’il condamne. Mais nous lisons dans les
Sentences, d’après saint Grégoire : « La
parole du juge ne s’adressera pas aux incrédules. » Si donc elle s’adresse au contraire aux croyants condamnés, les
incrédules tireraient avantage de leur incrédulité c’est absurde.
Cependant
:
Tous les méchants doivent être jugés, parce
que le châtiment est infligé à chaque faute selon sa gravité : cela n’est pas
possible sans la détermination du jugement. Tous les méchants seront donc
jugés.
Conclusion
:
Le jugement en tant que détermination des
peines pour les péchés concerne tous les méchants. En tant qu’appréciation des
mérites, il concerne seulement les élus. Pour ce qui concerne les damnés, ange
ou homme, il ne faut pas croire que tout dans leur être et dans les actes qui
précédèrent leur libre orientation vers l’amour d’eux-mêmes fut mauvais.
Lucifer fut un ange de Dieu avant de se révolter contre son projet d’humilité
(kénose). De même, chez les humains damnés, leur vie passée ne fut pas qu’une
somme d’actes mauvais. Ils firent parfois du bien pour un motif humain ou même
surnaturel pour ceux qui eurent la foi et la charité. Mais tous, confrontés à
la révélation du projet de Dieu, aboutirent pour une raison ou une autre à se
déterminer en opposition définitive. Afin que la justice et les circonstances
de la damnation soient connues de tous, il y aura donc nécessairement pour eux
un jugement général et nul ne devra rien ignorer des circonstances de leur
réprobation.
Solutions
:
1. Ceux
qui meurent en état de péché mortel contre l’Esprit Saint, doivent
manifestement être damnés. Mais ils ont peut-être commis des actions
secondaires auxquelles serait attaché un certain mérite. Pour manifester la
justice divine, il faut qu’une délibération ait lieu au sujet de leurs mérites,
afin de montrer qu’ils sont justement exclus de la cité des saints, dont ils
paraissent extérieurement être du nombre des citoyens.
2. Le
discours du juge sera vrai. Or, celui qui durant sa vie reçut la grâce d’avoir
la foi et malgré tout se livra aux mêmes péchés que celui à qui fut refusée
cette lumière est plus coupable. Face à la lumière du Christ, cette
circonstance sera donc manifestée à tous selon la parole de Jésus[1904] : « La reine du Midi se lèvera lors du
Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des
extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus
que Salomon ! » Mais,
alors que la vérité de ce jugement fut ressentie
comme dure par les repentants au moment du jugement particulier au point qu’ils
se mirent eux-mêmes au purgatoire, le jugement ne sera
pas ressenti comme tel au jugement général. Car, à ce moment, il n’y aura plus
en eux aucun reste de fierté. Ils prendront donc la manifestation de cette
vérité à l’univers entier de manière simple et ils s’en réjouiront même, comme
on se réjouit quand on aime Dieu de la manifestation de sa miséricorde.
Objections :
1. Nahum[1906] déclare, selon la version des
Septante : « Dieu ne juge pas deux fois le même objet. » Les
mauvais anges ont déjà été jugés, selon ce mot de saint Jean[1907] :
« Le prince de ce monde a déjà été jugé. » Les anges ne seront
donc plus jugés.
2. En
outre, la bonté ou la malice des anges est plus parfaite que celle des hommes
sur la terre. Mais certains hommes, bons et mauvais, ne seront pas jugés, comme
il est dit dans les Sentences. Les anges bons et mauvais ne seront donc pas jugés.
Cependant
:
Tout sera révélé à tous. Donc les anges
seront jugés. Saint Paul aux Corinthiens le confirme[1908] : « Ignorez-vous
que nous jugerons les anges ? » Saint Pierre le confirme[1909] : « Dieu
n’a pas pardonné aux anges qui péchaient. Il les a réservés pour être jugés et
livrés aux êtres hurlants de l’enfer et tourmentés dans le Tartare. » Dans
Job[1910], nous
voyons au sujet de Béhémoth ou Léviathan, c’est-à-dire du diable : « Il
sera précipité à la vue de tous » ; et dans saint Marc[1911], le
démon interpelle le Christ : « Pourquoi es-tu venu nous perdre avant le
temps ? » Et la Glose d’ajouter : « Les démons apercevant le Seigneur sur la terre, croyaient qu’ils
seraient aussitôt jugés. »
Conclusion
:
En tant qu’il est un discernement, le
jugement général aura lieu pour les anges, mais il sera différent de celui des
hommes car ils n’ont pas la même nature. Chacun verra que leur choix, effectué
lors de la fondation du monde fut un acte simple et sans mélange car on ne
pourrait trouver rien de mal chez les bons ni de bon dans l’intention les
mauvais. De plus, leur rôle dans le drame du salut des hommes ayant été
essentiel, il sera manifesté.
Si nous parlons du jugement en tant que
rétribution, nous devons distinguer deux sortes de rétributions : 1° L’une répond aux mérites personnels
des anges. Elle fut accomplie dès le début, quand les uns furent élevés jusqu’à
la béatitude, et les autres noyés dans la misère. Les anges ne seront donc pas
principalement jugés sous ce rapport au jugement général. 2° Il y a une autre rétribution qui correspond aux œuvres bonnes
ou mauvaises accomplies grâce à l’intervention des anges. Celle-là aura lieu au
jugement dernier : les bons anges se réjouiront davantage du salut de ceux
qu’ils auront portés aux actions méritoires, tandis que les mauvais anges
seront incomparablement plus tourmentés. Le salut des bons, la victoire de Dieu
leur enlèvera tout espoir d’une victoire selon la lettre des Écritures[1912] : « Il a dépouillé les Principautés et les
Puissances et les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant
dans son cortège triomphal. » D’autre part, ils seront davantage
tourmentés par la chute des hommes méchants, qu’ils auront poussés au mal.
Solutions
:
1. Le
jugement général n’a pas comme but, comme le jugement particulier d’émettre et
d’appliquer la sentence de damnation ou d’élection. Il a pour but d’en révéler
la cause et la circonstance à tous.
2. Les
anges bons ou mauvais se sont tournés vers Dieu ou l’ont rejeté à travers un
seul acte parfait de leur esprit. Ils ne seront pas jugés en ce sens qu’il
faudrait pour comprendre leur acte, considérer la durée et les circonstances de
longues hésitations. Leur jugement sera donc simple comme l’est leur nature
spirituelle dépourvue de corps. Il est possible que certains hommes
particulièrement déterminés au mal leur ressemblent, n’ayant jamais au cours de
leur vie dévié du seul amour d’eux-mêmes.
Recherchons sous quelle forme le juge viendra
juger :
1° Le
Christ nous jugera-t-il sous la forme de son humanité ?
2° Apparaîtra-t-il
dans son humanité glorieuse ?
3° Peut-on
voir la divinité sans en être réjoui ?
Objections :
1. En
saint Jean, il est dit[1915] : « Le
Père a donné au Fils tout jugement, afin que tous honorent le Fils comme ils
honorent le Père. » Mais un honneur égal à celui du Père n’est pas
dû au Fils selon sa nature humaine. Il ne jugera donc pas sous la forme
humaine.
2. En
Daniel, nous voyons ceci[1916] : « Je
regardais jusqu’à ce que les sièges fussent disposés et que l’Ancien siégeât. »
Les trônes désignent le pouvoir judiciaire. L’ancienneté est
attribuée à Dieu, à cause de son éternité, selon Denys. Juger convient donc au
Fils en tant qu’éternel, non en tant qu’homme.
3. Saint
Augustin affirme : « Par le Verbe
Fils de Dieu s’accomplit la résurrection des âmes. Par le Verbe devenu dans
l’incarnation Fils de l’homme, se fera la résurrection des corps. » Le jugement final concerne plutôt
l’âme que la chair. Il convient donc mieux au Christ de juger en tant que Dieu
qu’en tant qu’homme.
Cependant
:
Saint Jean dit[1917] : « Il
lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le fils de l’homme. »
En outre, nous voyons dans Job : « Ta cause a été jugée comme celle d’un impie. » La Glose
ajoute : « par Pilate ; c’est pourquoi tu recevras le jugement et la
cause. » Et la Glose reprend : « pour juger justement. » Mais le Christ a été jugé par Pilate
selon sa nature humaine : c’est donc en elle qu’il jugera.
De même, juger appartient à qui a le droit de
poser des lois. Or, c’est en apparaissant dans sa nature humaine que le Christ
nous a donné la loi de l’Évangile. C’est donc en elle qu’il jugera.
Conclusion
:
Pour juger, on doit avoir autorité. Saint
Paul dit aux Romains[1918]: « Qui
es-tu donc pour juger le serviteur d’un autre ? » Le Christ a le
pouvoir de juger en tant qu’il possède autorité sur les hommes, au sujet
desquels aura lieu principalement le jugement final. Il est notre maître, non
seulement en vertu de la création, parce que « le Seigneur lui-même est Dieu, lui-même nous a faits ; Nous
ne nous sommes pas faits nous-mêmes »,
mais aussi en vertu de la rédemption qu’il a réalisée en sa nature humaine.
Saint Paul dit aux Romains[1919] : « Le
Christ est mort et est ressuscité pour dominer les morts et les vivants. » Pour
obtenir la récompense de la vie éternelle, les biens de la création ne nous
suffiraient pas sans le bienfait de la rédemption, à cause de l’empêchement que
le péché de nos premiers parents a inséré dans notre nature. C’est pourquoi,
puisque le jugement final a pour but d’admettre certains hommes dans le
royaume, tandis que d’autres en sont exclus, il convient que ce soit le Christ
lui-même en sa nature humaine, grâce à laquelle l’homme est admis dans le
royaume, qui préside ce jugement. C’est ce que signifient les Actes[1920] : « Lui-même
a été institué par Dieu juge des vivants et des morts. »
En outre, grâce à la rédemption du genre
humain, il n’a pas restauré seulement l’humanité, mais par cette restauration
de l’homme, il a amélioré aussi toute la créature, universellement. Saint Paul
dit aux Colossiens[1921] : « Pacifiant
par son sang répandu sur la croix, tout ce qui est sur terre et dans les cieux.
» C’est pourquoi, par sa passion, le Christ a mérité la domination
et le pouvoir judiciaire, non seulement sur les hommes, mais sur toute
créature. Saint Matthieu[1922] : « Tout
pouvoir m’a été donné dans le Ciel et sur la terre. »
Solutions :
1. Le
Christ n’aurait pas suffi à racheter le genre humain s’il avait été seulement
homme. S’il a pu racheter le genre humain selon sa nature humaine et obtenir
par là le pouvoir judiciaire, cela manifeste qu’il est Dieu lui-même et doit
être honoré autant que le Père, non pas comme homme, mais comme Dieu.
2. Dans
cette vision de Daniel, il s’agit manifestement de la plénitude de l’ordre du
pouvoir judiciaire. Elle réside d’abord, comme en sa source première, en Dieu
lui-même, et plus spécialement dans le Père, qui est le principe de toute
déité. C’est pour cela que le texte dit d’abord : « L’Ancien siège. » Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par
le Père au Fils, non seulement éternellement en vertu de sa nature divine, mais
même dans le temps, selon sa nature humaine, qui l’a méritée. C’est pourquoi la
vision prophétique se poursuit[1923] : « Et
voici que sur les nuées du Ciel il semblait que le Fils de l’homme venait, et
parvenait jusqu’à l’Ancien, qui lui donna pouvoir, honneur et royaume. »
3. Saint
Augustin parle en vertu d’une certaine appropriation : il ramène les effets que
le Christ a opérés dans la nature humaine, à des causes qui sont semblables de
quelque manière. Par notre âme, nous sommes faits à l’image et la similitude de
Dieu, tandis que par notre chair nous sommes de la même espèce que le Christ
homme. C’est pourquoi il attribue à la divinité ce que le Christ a fait dans
nos âmes, tandis qu’il attribue à sa chair ce qu’il a fait ou fera dans notre
chair. Cependant sa chair, en tant qu’organe de sa divinité, selon l’expression
de saint Damascène, produit aussi des effets dans nos âmes comme dit saint Paul
aux Hébreux : « Son sang a purifié nos consciences de nos œuvres de mort. » Ainsi
le Verbe fait chair est cause de la résurrection de nos âmes. Dès lors, même en
sa nature humaine, il convient que le Christ soit le juge, non seulement des
valeurs corporelles mais des valeurs spirituelles.
Objections :
1. Au
jugement, il ne semble pas que le Christ apparaîtra sous la forme de son
humanité glorieuse. À propos de saint Jean[1925] : « Ils
verront celui qu’ils ont transpercé », la Glose dit : « Car il viendra en cette même chair
dans laquelle il fut crucifié. » Or
il a été crucifié en une forme de faiblesse corporelle. C’est donc dans cette
forme qu’il apparaîtra non sous une forme glorieuse.
2. Saint
Matthieu dit[1926] : « Le
signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel » : il s’agit
du signe de la croix. Saint Jean Chrysostome ajoute : « Le Christ viendra juger en montrant non seulement les cicatrices
de ses blessures, mais même la forme très ignominieuse de sa mort. » Il ne sera donc pas sous une forme
glorieuse.
3. Le
Christ se présentera au jugement sous une forme qui puisse être vue par tous.
Sous la forme de son humanité glorieuse, il ne pourrait pas être vu par tous,
bons et méchants, car l’œil non glorifié ne semble pas être adapté pour voir
l’éclat d’un corps glorieux. Il ne se présentera donc pas sous cette forme.
4. Ce qui
est promis aux justes à titre de récompense ne peut pas être accordé à ceux qui
ne sont pas justes. Voir la gloire de l’humanité du Christ est promis aux
justes comme récompense, selon saint Jean[1927] : « Il entrera et sortira et trouvera des
pâturages. » Saint Augustin
l’interprète : « Ce sera la communion
à la Divinité et à l’humanité. » Et
Isaïe dit[1928] : « Ils
verront le Roi dans sa splendeur. » Tous ne pourront donc pas voir
au jugement la forme glorieuse du Christ.
5. Le
Christ jugera dans la forme où il a été jugé. À propos de saint Jean[1929] : « Ainsi
le Fils vivifie qui il veut », la Glose dit : « Dans la forme où il a été jugé injustement, il jugera justement,
pour pouvoir être vu par les impies. Puisqu’il a été jugé sous sa forme de faiblesse,
c’est en celle-là qu’il apparaîtra au jugement.
Cependant
:
Nous lisons en saint Matthieu[1930] : « Ils
verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, avec grande puissance et
majesté. » Majesté et puissance appartiennent à la gloire. C’est
donc en sa forme glorieuse qu’il apparaîtra.
En outre, le juge doit manifester en plénitude la norme du droit
divin qui est l’humilité (kénose) et l’amour. Cela, son humanité glorieuse,
marquée des stigmates de sa passion, peut le faire plus parfaitement que son
humanité douloureuse.
De plus, être jugé est un signe de faiblesse
tandis que juger marque l’autorité et la gloire. En son premier avènement,
quand le Christ est venu pour être jugé, il apparut sous une forme de
faiblesse. Au second avènement, quand il viendra pour juger, il apparaîtra sous
sa forme glorieuse.
Conclusion
:
Le Christ est appelé « médiateur de Dieu et des hommes »[1931], parce
qu’il répare pour les hommes et implore le Père, tandis qu’il communique aux
hommes ce qui tient du Père : Saint Jean[1932] dit : « Je
leur ai donné la lumière que tu m’as donnée. » Il lui convient donc
de communiquer avec chacun des termes qu’il unit : communiquant avec les
hommes, il représente les hommes auprès du Père ; communiquant avec le Père, il
transmet ses dons aux hommes. Dans le premier avènement, il était venu pour
réparer pour nous auprès du Père. Il apparaissait donc sous notre forme
d’infirmité. Dans le second avènement, il viendra pour accomplir la justice du
Père parmi les hommes. Il devra alors manifester la gloire qui lui vient de la
communion avec le Père ; il se montrera donc sous la forme glorieuse.
Solutions
:
1. Il se
montrera dans la même chair, mais dans une autre manière d’être.
2. Le
signe de la croix apparaîtra au jugement pour manifester une infirmité passée,
mais non plus actuelle. Par là il montrera la justice de la condamnation de
ceux qui ont repoussé tant de miséricorde, et surtout de ceux qui ont
injustement persécuté le Christ. Les cicatrices qui apparaîtront sur son corps
ne seront pas un signe d’infirmité : elles seront les marques de la très grande
force par laquelle le Christ dans sa passion et sa souffrance a triomphé de ses
ennemis. Il manifestera aussi sa mort très humiliante, non pas en la présentant
aux regards comme s’il la subissait maintenant, mais en portant les hommes à se
souvenir de cette mort passée, par la présentation des traces de cette passion
d’autrefois.
3. Le
corps glorieux possède le pouvoir de se manifester ou non comme tel à un œil
non glorifié, comme nous l’avons vu. C’est pourquoi le Christ pourra être vu
par tous en sa forme glorieuse.
4. La
gloire d’un ami nous réjouit. Par contre la gloire et la puissance de celui que
l’ont hait est une grande source de tristesse. C’est pourquoi, tandis que la
vision de la gloire de l’humanité du Christ sera une récompense pour les
justes, elle sera un supplice pour ses ennemis. Isaïe[1933] : « Qu’ils
le voient et soient confondus les dirigeants du peuple, et que le feu
(c’est-à-dire l’envie) dévore tes ennemis. »
5. La
forme signifie ici la nature humaine, en laquelle le Christ a été jugé et
jugera. Elle ne vise pas la qualité de cette nature, qui ne sera pas infirme
dans le juge comme elle l’était quand il fut jugé.
Objections :
1. Il
semble que la divinité puisse être vue par les méchants sans en éprouver de
joie. Il est un effet certain que les impies savent manifestement que le Christ
est Dieu. Ils verront donc sa divinité. Et pourtant ils n’en jouiront pas. Il
pourra donc être vu sans joie.
2. La
volonté perverse des impies n’est pas plus contraire à l’humanité du Christ
qu’à sa divinité. Mais le fait de voir la gloire de son humanité sera pour eux
une peine. À bien plus forte raison, s’ils voyaient sa divinité, ils en
seraient plus attristés que réjouis.
3. L’affectivité
ne suit pas nécessairement l’intelligence. Saint Augustin dit : « L’intelligence précède, et le
sentiment suit plus tard ou pas du tout.
» La vision appartient à l’intelligence et la joie à l’affectivité. Il
pourra donc y avoir vision de la divinité sans joie.
4. « Tout ce
qui est reçu en quelqu’un est reçu selon le mode de celui qui reçoit, et non
selon le mode de ce qui est reçu. »
Tout ce qui est vu est reçu de quelque manière dans celui qui le voit. C’est
pourquoi bien que la divinité soit elle-même source de très grande joie,
cependant, si elle est vue par ceux qui sont accablés de tristesse, elle ne les
réjouira pas, mais les contristera davantage.
5. L’intelligence
est à l’égard de l’intelligible comme le sens à l’égard du sensible. Nous
voyons dans l’ordre sensible que « pour
un palais malade le pain devient désagréable, alors qu’il est agréable pour un
palais sain. » Comme dit saint Augustin, il en va de même pour nos autres
sens. Dès lors, puisque les damnés ont l’intelligence désordonnée, il semble
que la vision de la lumière incréée leur apportera plus de souffrance que de
joie.
Cependant
:
Nous lisons en saint Jean[1935] : « La
vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le vrai Dieu. » L’essence
de la béatitude consiste donc en la vision de Dieu. Mais la notion même de
béatitude inclut la joie. On ne peut donc voir la divinité sans en jouir.
En outre, l’essence même de la divinité est l’essence même de la
vérité. Voir le vrai est pour tous une source de délectation ; « Tous par nature désirent savoir », comme dit Aristote dans les Métaphysiques. La divinité ne peut
donc pas être vue sans joie.
De plus, si une vision n’était pas toujours
source de joie, ce serait que parfois elle engendre la tristesse. Mais la
vision intellectuelle n’est jamais attristante. Parce que, comme dit Aristote,
il n’y a pas de tristesse opposée à la délectation que l’on a en comprenant.
Puisque la divinité ne peut être vue que par l’intelligence, il semble qu’elle
ne puisse pas être vue sans joie.
Conclusion
:
En toute chose désirable ou délectable, on
peut considérer deux aspects : 1° ce
qui est désirable ou délectable. Les choses qui sont délectables seulement par
participation à une bonté qui est la raison pour laquelle elles sont désirables
et délectables, peuvent, si on les perçoit, ne pas apporter de jouissance ;
mais ce qui est bon en vertu de sa propre nature, il est impossible qu’en
percevant son essence on n’en jouisse pas. Dès lors, puisque Dieu est
essentiellement la Bonté en elle-même, il n’est pas possible de voir la
divinité sans en jouir.
2° Ce qui
est le motif de ce désir et de cette délectation. Boèce dit : « Ce qui est, peut contenir quelque
chose d’autre que son être ; mais le fait d’être ne peut rien contenir d’autre
que lui-même. » De même, ce qui est
désirable ou délectable peut contenir quelque chose qui ne soit ni délectable
ni désirable ; mais ce qui est le motif même de cette détectabilité ne peut
rien contenir, en soi-même, à cause de quoi il ne serait ni délectable ni
désirable. Ainsi en est-il de Dieu : délectable et désirable en lui-même, il
peut être haï à cause des conditions qu’il met à l’entrée dans sa Vision. Il
s’agit essentiellement de l’humilité (kénose) et de l’amour que les damnés
refusent obstinément.
Solutions
:
1. Les
impies sauront manifestement que le Christ est Dieu, non en voyant sa
divinité, mais grâce à des signes très manifestes de sa divinité.
2. On ne
peut pas davantage avoir de la haine pour la divinité telle qu’elle est en
elle-même, qu’on ne pourrait haïr la bonté elle-même ; mais la divinité peut
devenir objet de haine pour certains à cause d’effets particuliers qu’elle
produit, parce qu’elle agit ou qu’elle ordonne contrairement à leur propre
volonté. Il est donc impossible que la vision de la divinité ne soit pas
délectable pour quelqu’un.
3. Ce
texte de saint Augustin doit s’appliquer quand ce que l’intelligence perçoit
est bon par participation seulement, et non par essence, comme sont toutes les
créatures : en elles il peut y avoir quelque chose qui n’émeut point l’affectivité.
Ici-bas, Dieu même n’est connu que par ses œuvres, et l’intelligence ne
parvient pas à la connaissance de l’essence elle-même de sa bonté. L’affectivité
ne suit donc pas nécessairement la connaissance, comme elle le devrait si
celle-ci pénétrait l’essence de Dieu, qui est la bonté même.
4. La
tristesse n’est pas une disposition, mais plutôt une passion. Toute passion est
supprimée par une cause plus puissante qui survient ; elle ne peut chasser
cette cause. C’est pourquoi, la tristesse des damnés disparaîtrait, si, par
impossible, ils voyaient Dieu en son essence.
5. Si un
organe est indisposé, sa conformité naturelle avec l’objet qui devrait normalement
le faire jouir, disparaît, et la jouissance est empêchée. Mais la mauvaise
disposition des damnés ne peut supprimer la disposition naturelle foncière qui
les orientait vers la bonté divine, dont l’image demeure toujours en eux. Le
cas est donc différent.
A
cet égard, cinq questions se posent :
1° Après le jugement général, doit-on
compter deux demeures des hommes et pas une de plus ?
2° Ces demeures seront-elles localisées ?
3° La béatitude des saints sera-t-elle plus
grande ?
4° Le châtiment des damnés s’étendra t-il
jusque dans leur corps ?
5° Le monde durera-t-il ainsi éternellement
?
Objections :
1. Il semble qu’on ne doive pas compter
deux demeures seulement, à savoir l’enfer et le paradis. Les enfants morts sans
baptême seront éternellement dans les limbes puisqu’ils sont entachés du péché
originel qui les sépare de Dieu.
2. Après le jugement général, certaines
âmes n’auront pas achevé de satisfaire pour les peines du purgatoire. Il y aura
donc une troisième demeure.
3. Le Seigneur dit[1937] : «
Dans la maison de mon Père, il y a de
nombreuses demeures. » Il semble qu’on doive compter plus de deux
demeures au paradis.
4. Il faut aussi compter parmi les demeures
le shéol, encore appelé sein d’Abraham, où étaient conduites les âmes de ceux
qui sont morts avant la venue du Christ. Il s’agit d’un état où la vision de
Dieu n’est pas possible. C’est la demeure des ombres, c’est-à-dire des âmes
errantes. Les âmes sont parfois punies au lieu même où elles ont péché,
c’est-à-dire ici bas, ce qui fait encore une demeure d’autant plus que les
pécheurs sont parfois punis dès cette vie en ce monde.
5. Il faudrait distinguer d’autres demeures
encore, par exemple, l’air ténébreux qui est représenté comme la prison des
démons.
6. Ou encore, le paradis terrestre dans
lequel Énoch et Élie ont été transportés.
7. L’âme qui sort de ce monde avec le péché
originel et n’ayant commis que des péchés véniels doit avoir une demeure à
part. En effet, elle ne peut aller ni au Ciel, puisqu’elle n’a pas la grâce, ni
en enfer puisque seul le péché mortel y condamne.
8. Aux âmes en état de grâce mais avec des fautes
vénielles à expier, est assignée une demeure spéciale, le purgatoire. Aux âmes
en état de péché mortel, mais ayant fait quelques bonnes œuvres, devrait donc
être assigné une demeure spéciale, distincte de l’enfer.
9. Rien n'empêche que Dieu, dont la
puissance et l'amour sont sans limites, crée une autre humanité en état de voie
ailleurs, ou même des mondes différents peuplés d’autres genres de créatures
rationnelles pour les conduire à la vision béatifique. Donc il peut apparaître
d'autres demeures après le jugement général.
Cependant :
Lors
du jugement général, le Seigneur triera les brebis et les boucs en disant[1938] : «
Venez les bénis de mon Père » aux
élus et « allez-vous en loin de moi, maudits » aux damnés. Il
n’y aura donc que deux demeures après le jugement général.
Conclusion :
Des
demeures distinctes sont assignées aux âmes selon leurs divers états ou
conditions. L’âme unie au corps est ici-bas en état de mériter ; face à
l’apparition du Messie et séparée du foyer de péché qui, provisoirement la
maintenait en liberté diminuée, elle est devenue en état de choisir son destin
de manière définitive. Elle reçoit en conséquence la récompense du bien qu’elle
a fait et c’est le paradis ; la punition du péché actuel et mortel qu’elle
maintient et c’est l’enfer des damnés.
Quant
aux empêchements provisoires qui peuvent différer l’obtention immédiate de la
gloire, ils sont supprimés. S’il est un empêchement qui vient de la personne,
il est enlevé par le purgatoire dans lequel les âmes sont retenues jusqu’à
expiation du péché commis. S’il est un empêchement de la nature, à savoir le
péché originel, il est enlevé par le Christ et ses saints qui désirent et
obtienne pour lui le baptême à l’heure de la mort, à cause des mérites de sa
rédemption accomplie sur la croix. Donc, lors du jugement général, il ne
restera que deux demeures : l’enfer et le paradis.
Solutions :
1. Les
limbes des enfants ne sont pas une demeure éternelle mais seulement provisoire
car eux-mêmes doivent recevoir la prédication du Seigneur, dans le passage de
la mort selon cette parole du Seigneur[1939] : « Tout
homme verra le salut de Dieu et devant lui tout genoux fléchira. » Si
tout homme doit voir le salut de Dieu, c’est qu’il doit être proposé à tous, ce
qui ne peut se faire que par la remise du péché originel. En fin de compte,
tout genou fléchira devant Dieu, ceux des méchants par peur, ceux des bons par
amour. Il n’y a donc que deux demeures éternelles, l’enfer et le paradis.
2. La
providence divine permettra que toute âme ait achevé son purgatoire lorsque
viendra le jugement dernier, même les plus grands pécheurs selon cette parole
de Marie à Fatima à propos d’une jeune fille décédée : « Elle est en purgatoire jusqu’à la fin
du monde. » Ce sera possible même
pour ceux qui seront encore vivants lors du retour du Christ sur la terre. Il
faut en effet se souvenir que la souffrance purificatrice n’est pas mesurable
selon le temps extérieur mais seulement selon la durée intérieure de celui qui
souffre quelques minutes et qui peuvent paraître des années. Ainsi chaque âme
paraîtra lors du jugement général de l’humanité selon la bonté ou la perversité
qui doit être sienne pour l’éternité.
3. Comme
nous l’avons montré, les demeures dont le Seigneur parle ici sont les divers
degrés et les divers modes de béatitude des âmes. Les degrés se prennent de
l’intensité de la charité ; les modes de la grâce particulière dont chaque âme
a vécu durant son pèlerinage terrestre et qui sont signifiés par les auréoles.
Il s’agit donc plutôt de divers états que de diverses demeures[1940].
4. Comme
les limbes des enfants, les limbes des âmes errantes appelés par l’Écriture "Shéol"[1941] ou "Hadès"[1942] sont
une demeure provisoire des âmes trop attachées à la terre pour accepter de
passer dans l’autre monde où les attend l’annonciateur du salut, à savoir le
Christ ou son Messager. Dieu permet cette errance comme une prolongation de la
vie terrestre en vue de leur salut puisque, isolées dans leur névrose pendant
des années, elles finissent par comprendre la vanité de leur attachement. Elles
appellent le Messie qui les fait passer dans l’autre monde. À la fin du monde,
il n’y aura plus d’âmes dans cet état à cause de la souffrance qui purifiera
les derniers habitants de la terre au point de leur faire désirer le salut et
grâce au retour du Christ. Le démon perdra ce jour-là son pouvoir sur les
morts, selon saint Paul[1943] : « Le
Christ a supprimé la cédule de notre dette en la clouant sur la croix. Il a
dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle à
la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal. »
5. L’air
ténébreux n’est pas le lieu où les démons reçoivent leur punition, mais celui
qui semble leur convenir dans la guerre qu’ils font aux hommes. Lors du
jugement général, il n’y aura plus d’homme à tenter sur la terre. Leur demeure
sera donc l’enfer.
6. Saint
Augustin écrit : « Le paradis
terrestre se rapporte à la vie présente et non à la vie future. Énoch et Élie y
furent conduits avec leur corps provisoirement afin qu’ils puissent revenir
prêcher à la fin des temps sur la terre mais cette demeure est exceptionnelle
et elle disparaîtra avec la glorification du corps de ces saints. » Mais nous avons montré que cette
tradition est à interpréter dans un sens métaphorique[1944].
7. C’est
là une hypothèse impossible. L’enfant sans libre arbitre ne peut pécher
mortellement ; à plus forte raison il ne peut pécher véniellement. À l’éveil de
la raison, il choisira absolument le bien ou le mal c’est-à-dire ou bien il
fera un acte de charité qui le justifiera ou bien il commettra un acte mauvais
qui le mettra en inimitié personnelle avec Dieu.
8. Les
lieux terrestres où il arrive que des âmes séparées expient leurs fautes, ne
sont cependant pas le vrai lieu de leur punition. L’apparition de certaines
âmes de l’enfer est permise par Dieu pour instruire les hommes et leur inspirer
une crainte salutaire du péché. Mais, à la fin du monde une telle pédagogie
sera devenue inutile puisqu’il n’y aura plus d’hommes en état de voie sur la
terre. Le lieu de la damnation sera donc l’enfer.
8. Le mal ne se présente jamais à l’état
pur et sans mélange de bien, de la façon dont le souverain bien existe sans
mélange de mal. C’est pourquoi pour atteindre la béatitude, qui est le
souverain bien, il faut être purifié de tout mal, soit avant de quitter ce
monde, soit après, dans un lieu spécial qui est le purgatoire. Mais, en enfer,
il ne saurait y avoir une absolue privation de bien. Les deux cas sont donc
dissemblables, même si les bonnes œuvres qu’ils ont faites sur la terre peuvent
valoir aux damnés un certain adoucissement de leur punition.
9. C'est vrai. Mais ce ne seront pas des
Fils d'Adam. Et, une fois leur chemin accompli, ces créatures là seront aussi
introduites dans la vision de Dieu (paradis), ou dans l’enfer.
Objections :
1. Il semble que le lieu de l’enfer et
celui du paradis sera le même. En effet, l’Écriture montre que les démons
peuvent entrer en contact avec les bons anges[1945] : «
Le jour où les anges venaient se
présenter devant Yahvé, le Satan s’avançait parmi eux ». Or les
élus sont avec les damnés dans le même rapport que les saints anges avec les
démons. Donc ils ne seront pas séparés à la fin du monde.
2. Il ne semble pas que le feu de l’enfer
soit sous terre car Job, parlant de l’homme damné, dit : « Et Dieu l’enlèvera du monde.
» Le feu qui châtiera les damnés n’est donc pas sous terre, mais
hors du monde.
3. La Sagesse dit : « Chacun est torturé par les choses par lesquelles il a
péché ». Mais les méchants ont péché à la surface de la terre. Le feu qui
les punit ne doit donc pas être au-dessous de la terre.
4. Le lieu du paradis semble être la terre
et non l’univers entier. En effet, les hommes sauvés formeront une société. Il
ne convient donc pas qu’ils soient dispersés dans les lieux immenses.
Cependant :
Isaïe
dit[1946] : «
L’enfer souterrain a été à l’approche de ton avènement ». De même,
l’Apocalypse[1947] : «
La bête fut capturée avec le faux
prophète. On les jeta tous deux, vivants, dans l’étang de feu, de soufre
embrasé. » Donc l’enfer est un lieu. De même, à propos du paradis,
l’Apocalypse dit qu’il s’agit d’un lieu où habitent les hommes ressuscités.
Conclusion :
1° Dès
avant la résurrection des corps, l’enfer et le paradis ne doivent pas
être appelés des lieux au sens métaphorique puisque, nous l’avons vu, les âmes
humaines ne sont jamais de purs esprits. Elles sont donc toujours localisées,
même si le corps qui leur reste est fait de matière psychique. Certes, enfer et
paradis sont en premier lieu un état de l’âme selon qu’elle voit Dieu ou le
rejette. Cependant, en conséquence, elles se réunissent entre elles en deux
lieux bien séparés, puisque les âmes de l’enfer ne supportent pas la présence
et la vue de ceux qui sont saints.
Nous
avons vu que les âmes de l’enfer sont emprisonnées par elles-mêmes, par
l’obsession de la recherche de leur propre bonheur et par le feu que cela
produit en elles. Quant à savoir où elles cachent leur misère, il est difficile
de se prononcer. Certains pensent, et c’est probable, qu’elles s’isolent dans
l’immensité de l’univers, d’où ce texte de Job[1948] : « Les rois et les grands ministres de la terre ont bâti
leurs demeures dans des lieux désolés. » D’autres, pensent qu’elles se réunissent
parfois entre elles autour de leur commun projet de révolte contre Dieu et ses
saints. De toute façon, ce n’est que par exception que les humains damnés sont
autorisés par Dieu à troubler de leur présence les hommes qui vivent sur la
terre. En ce qui concerne les hommes damnés, l’emprisonnement est réalisé dès
avant la résurrection, juste après leur jugement individuel, car ils ne peuvent
être d’aucune utilité pour le bien des hommes qui sont sur la terre, n’ayant
pas la capacité naturelle d’intervenir par eux-mêmes dans le monde visible,
comme le font les démons.
Quant
aux âmes du paradis, dès avant la résurrection, il semble d’après le témoignage
de ceux qui ont approché la mort suite à un accident non volontaire, qu’elles
vivent dans des lieux paradisiaques, situés dans une dimension parallèle, celle
du monde composé de cette matière psychique qui compose leur corps. Il ne
s’agit pas d’un monde de l’imaginaire mais d’un autre état de la matière qui
permet la réalisation de réalités invisibles pour nous.
2° Après
la résurrection,
les hommes ressuscités étant de nouveau unis à leur corps charnel, ils seront
par nature a fortiori localisés. Il est donc convenable que, selon la
récompense ou la punition qu’ils méritent, ils soient introduits dans un lieu
proportionné. Ce lieu n’est pas seulement une métaphore mais une réalité. En
conséquence, les élus étant glorifiés dans leur âme et dans leur corps, à cause
du mérite de leur grande charité, ils vivront éternellement dans un monde
d’harmonie et de beauté que les saints appellent le paradis par analogie avec
le jardin que Dieu avait originellement préparé pour Adam et
Ève. L’Écriture
l’appelle aussi « le plus haut des
cieux »[1949], par analogie avec l’incorruptibilité de
leur vie qui ressemblera par sa stabilité à celle des astres du ciel. Le monde
nouveau préparé par Dieu sera beaucoup plus vaste que la terre qui n’était
qu’un lieu provisoire d’épreuve. Les élus pourront exercer l’agilité de leur
corps, sans jamais quitter la contemplation de l’essence divine, à travers un
univers de beauté et d’harmonie. Le
retour du Christ, la résurrection des morts et la transformation des vivants,
sont déjà une œuvre gigantesque, à la mesure de la puissance de Dieu. Mais si
l’on ajoute à cela, immédiatement après, la transformation du monde, nous
pouvons nous faire une idée de l’énergie qu’il déploiera pour nous combler.
Dieu ressemblera à un fiancé enfin réuni à sa bien-aimée. Il ne sait que faire
pour la combler. Il se donne à elle et cela suffit. Pourtant, il ajoute toutes
les folies que l'amour peut imaginer : des parures somptueuses, des royaumes,
des amis, des fleurs, des animaux... Dieu se comportera de la même façon,
comme un prince, à la mesure de sa toute puissance. Il créera un univers grandiose
de telle façon que l’éternité ne nous suffira pas pour le visiter. À vie
éternelle de bonheur, Dieu fait correspondre un univers immense de beautés.
Nous comprendrons à cette heure l’utilité des milliards de mondes dont nous
apercevons la lumière.
En
ce qui concerne les damnés, on doit parler autrement. Respectant leur choix,
Dieu ne leur imposera pas d’autre punition directe que la privation de la
vision de son essence. Il leur donnera ensuite les conditions du bonheur de
leur choix, à savoir un corps ressuscité et immortel, et le même séjour
paradisiaque que les élus. Ils pourront donc théoriquement profiter de ce
nouvel univers, à leur convenance. Mais, à cause de la méchanceté de leur cœur,
ils se sépareront du monde des élus et s’enfermeront dans un lieu où ils ne
souhaiteront ne jamais rencontrer personne. Après le jugement général, aucun
damné, démon ou homme ne voudra rencontrer de sa propre initiative les élus
pour plusieurs raisons. Dieu le permettra par miséricorde pour eux, afin que la
joie des élus et la gloire du Christ ne soient pas perpétuellement devant leurs
yeux.
Il est très probable que Dieu n’aura pas
à instaurer une prison autre que celle qu’ils se créent eux-mêmes. Partout où
ils sentiront la présence d’un élu, ils fuiront son humilité (kénose) et son
amour, source pour eux de la rage la plus forte, au point qu’on ne les
rencontrera jamais[1950]. Le seul souvenir de ce bonheur qu’ils
ont méprisé par orgueil et qu’ils jalousent sera suffisamment douloureux pour
eux. Il est donc probable que leur refuge sera matériellement les lieux les
plus hostiles de l’univers, peut-être même le cœur sombre et brûlant des
astres. Si c’est le cas, la lettre même des Écritures, jusqu’au plus petit
détail sera réalisée[1951] : « Mais la Bête fut capturée, avec le faux prophète. On
les jeta tous deux, vivants, dans l'étang de feu, de soufre embrasé. »
Solutions :
1. Tant qu’il restera des hommes sur la
terre, les démons ne seront pas tous enfermés dans l’abîme. Ils profiteront de
la permission de Dieu qui les autorise à tenter les hommes. Tant qu’il y a un
homme sur terre, ils s’y trouvent car ils y trouvent un double avantage : ils
agissent dans le sens de leur conviction et ils s’occupent ce qui les soulage
de l’obsédante pensée de leur malheur. Après le jugement général, Lucifer et
ses anges n’auront plus aucune utilité : ils seront donc définitivement
enfermés dans le feu de l’enfer, selon l’autorité de l’Apocalypse. Cependant,
n’étant pas unis naturellement à un corps, ils seront localisés à la manière des
purs esprits ce que signifie que l’exercice de leur jugement et de leur
puissance sera à tel point centré sur eux-mêmes qu’ils seront localisés en
eux-mêmes, dans le propre feu de leur être. Fuyant comme avec la plus grande
répulsion la victoire de l’humilité (kénose) chez les élus, n’ayant plus aucun
motif de venir auprès de Dieu réclamer un homme ou une âme, ils ne voudront
plus rien savoir de ce qui se passe dans le monde des élus.
2. Ce mot de Job : « Dieu l’enlèvera du globe », doit
s’entendre du globe de la terre, c’est-à-dire de ce monde. Saint Grégoire
l’explique ainsi : « Quelqu’un est
enlevé de ce monde, quand à l’apparition du juge d’en haut, il est ôté de ce
monde dans lequel il est injustement glorifié. » Le globe n’est point ici celui de l’univers, comme si le lieu
des peines se trouvait en dehors de tout l’univers.
3. L’affirmation « chacun est torturé par
ce par quoi il a péché »,
ne vaut que pour les principaux instruments du péché : puisque
l’homme pèche par l’âme et par le corps, il sera puni en chacun d’eux. Mais il
n’est pas exigé que l’homme soit puni en chaque lieu où il a péché, car le lieu
de la vie terrestre est autre que celui des damnés. On peut dire ainsi que
cette affirmation vaut pour les peines par lesquelles l’homme est puni dès
cette vie, en tant que chaque faute entraîne sa peine, car tout esprit qui est
sorti de l’ordre est son propre bourreau.
4. Le centre du paradis céleste ne sera ni
la terre ni une quelconque planète mais le corps du Christ qui, par sa beauté
supérieure et sa personnalité divine attirera tous les regards. C’est pourquoi
saint Luc écrit[1952] : «
Là où sera le corps, là seront les
aigles », c’est-à-dire les contemplatifs. Quant au reste de
l’univers, dont la beauté et la variété réjouiront le regard des saints, il
sera à la taille de leur vie éternelle, c’est-à-dire qu’il sera grandiose. Et
sa taille immense ne supprimera pas la vie commune des élus puisqu’ils seront à
chaque instant présents aux autres à travers leur contemplation de Dieu.
Objections :
1. Il semble que non. Plus une chose
parvient à la ressemblance avec Dieu plus elle participe parfaitement à sa
béatitude. L’âme séparée du corps est plus semblable à Dieu que quand elle est
unie au corps. La béatitude est donc plus grande avant qu’elle reprenne son
corps physique.
2. Une force unifiée est plus puissante que
si elle est divisée. Mais l’âme hors du corps est plus unifiée que dans le
corps. Sa puissance d’action est donc plus grande, et ainsi elle participe plus
parfaitement à la béatitude qui consiste en un acte.
3. La béatitude consiste en un acte de
l’intelligence spéculative. Mais l’intelligence dans son acte n’implique pas un
organe corporel. La reprise du corps ne donnera donc pas à l’âme la possibilité
de comprendre plus parfaitement. La béatitude de l’âme ne sera donc pas plus
grande après sa résurrection.
4. Rien de plus grand que l’infini : un
être fini ajouté à l’infini ne le grandit pas. Mais l’âme bienheureuse avant la
résurrection du corps charnel possède la béatitude puisqu’elle jouit d’un bien
infini, Dieu. Après la résurrection du corps, elle ne jouira pas d’autre chose,
sauf peut-être de la gloire de la chair, des plaisirs du toucher, qui sont des
biens finis. La joie qui suivra la reprise du corps ne sera donc pas plus
grande qu’auparavant.
Cependant :
À
propos de l’Apocalypse 6, 9, la Glose ordinaire dit : « Actuellement, les âmes des saints se trouvent sous les autels,
c’est-à-dire dans une moindre dignité que plus tard. » Leur béatitude sera donc plus grande après la résurrection
qu’après leur mort.
En
outre, la béatitude est accordée aux bons comme récompense, comme la souffrance
est infligée aux méchants. Mais la souffrance des méchants sera plus grande
après la reprise de leur corps, car ils seront punis non seulement dans l’âme
et le psychisme mais dans la chair. La béatitude des saints sera donc plus
grande après la résurrection des corps.
Conclusion :
La
béatitude peut être augmentée de deux manière : en intensité et en
extension. 1° Il est manifeste que
la béatitude des saints ne sera pas augmentée en intensité –Dieu, qui est la cause de sa béatitude essentielle,
étant déjà vu face à face avant la résurrection et le jugement général-, 2° mais le sera en extension après la résurrection, car elle ne sera plus seulement
de l’esprit et dans la sensibilité, mais aussi du corps de chair et dans ses
facultés. La béatitude de l’esprit elle-même sera accrue en extension
puisqu’elle ne jouira pas seulement de son propre bien, mais aussi du bien du
corps.
On
peut cependant dire que la béatitude de l’esprit sera accrue en intensité sous un certain rapport, à
cause de cette plus grande extension. Le corps de l’homme peut, en effet être
considéré de deux manières : d’une part, en tant qu’il peut être perfectionné
par l’âme ; d’autre part, selon qu’il y a en lui quelque chose qui gène l’âme
dans ses opérations, parce qu’elle ne parvient pas à le perfectionner
totalement. Selon la première manière de considérer le corps, son union avec
l’esprit ajoute à celle-ci quelque perfection, puisque toute partie est
imparfaite et se complète dans son tout : le tout se comporte à l’égard de la
partie comme la forme à l’égard de la matière. L’esprit est donc plus parfait
dans son existence naturelle quand elle est dans le tout, c’est-à-dire dans
l’homme composé de l’esprit et du corps, que quand elle est une partie séparée.
Mais
l’union avec le corps, dans la seconde manière de considérer, empêche la
perfection de l’âme : c’est pourquoi la Sagesse dit[1954] que « le
corps qui se corrompt, appesantit l’âme. » Si donc on enlève du corps tout
ce par quoi il résiste à l’action de l’esprit, celle-ci sera absolument parlant
plus parfaite dans ce corps que séparée de lui. Plus une chose est parfaite en
son être, plus elle peut agir parfaitement. L’opération de l’âme spirituelle
unie à un tel corps sera donc plus parfaite que celle de l’âme séparée. Tel
sera le corps glorieux, entièrement soumis à l’esprit. Puisque la béatitude
consiste en une opération, celle de l’âme sera plus parfaite après la reprise
du corps qu’auparavant. Tout être imparfait tend à sa perfection. L’âme séparée
tend naturellement vers son union avec le corps ; et à cause de cette tendance,
qui vient d’une imperfection, l’opération par laquelle elle tend vers Dieu est
moins intense. C’est ce que dit saint Augustin : « Par le désir du corps, l’âme est retardée dans sa tendance totale
vers ce bien suprême. »
Solutions :
1. L’âme unie au corps glorieux est plus
semblable à Dieu que quand elle en est séparée, parce que, en lui étant unie,
elle possède plus parfaitement l’existence. En effet, plus une chose existe
parfaitement, plus elle est semblable à Dieu : ainsi le cœur, dont la
perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus semblable à Dieu quand
il se meut que quand il se repose, bien que Dieu ne se meuve jamais.
2. La puissance qui par nature doit être
dans la matière est plus puissante quand elle se trouve dans la matière que
quand elle en est séparée, bien que, absolument parlant, la puissance soit
supérieure quand elle est séparée de la matière.
3. Bien que l’esprit ne se serve pas du
psychisme et des images qu’il apporte dans l’acte de connaissance qu’est la
vision béatifique, il s’en sert pour toutes les autres opérations comme celles
de ses rapports aux autres âmes, aux anges et à l’univers. C’est pourquoi l’âme
doit garder son psychisme après la mort. Le retour du corps charnel a une autre
finalité. Faisant partie de l’être de l’homme, la présence du corps contribue
de quelque manière à la perfection de l’être tout entier. L’homme, par l’union
avec son corps glorieux, sera plus parfait en sa nature, et donc plus efficace
dans son opération. C’est pourquoi le bien du corps lui-même coopérera, pour
ainsi dire instrumentalement, à l’opération en laquelle consiste la béatitude.
Aristote dit que les biens extérieurs coopèrent instrumentalement à la félicité
de la vie.
4. Bien que le fini ajouté à l’infini ne le
grandisse pas, il lui ajoute quand même quelque chose, parce que fini et infini
sont deux choses, tandis que l’infini en lui-même n’en est qu’une. L’extension
de la joie ne la rend pas plus grande mais plus intense. C’est pourquoi la joie
augmente en étendue quand elle porte sur Dieu et sur la gloire du corps, et non
seulement sur Dieu. La gloire du corps coopérera à l’intensification de la joie
au sujet de Dieu, en tant qu’elle perfectionnera l’opération par laquelle l’âme
adhère à Dieu. En effet, plus une opération est parfaite, plus la puissance est
grande, comme cela ressort de ce que nous avons dit.
Objections :
1. Cela ne semble pas. La miséricorde de
Dieu ne saurait appliquer une peine physique extérieure aux damnés. Ils seront
suffisamment punis par leur séparation d’avec Dieu et par la solitude de leur
âme.
2. Il ne peut exister de pleurs chez les
damnés puisque les pleurs impliquent l’écoulement des larmes ce qui est une
certaine sécrétion et donc une corruption. Or le corps des damnés sera par
nature incorruptible.
3. Un feu qui ne consume pas le corps, qui
est ténébreux et dont l’effet est proportionnel à la faute de chacun ne peut
être un feu réel mais seulement une métaphore qui symbolise la douleur physique
qui rejaillit d’une manière naturelle de l’âme sur le corps des damnés. C’est
pourquoi saint Jean Damascène écrit[1955] : «
Le diable et les démons et leur homme, l’Antéchrist, seront livrés avec les
impies et les pécheurs au feu éternel, non pas matériel comme celui qui est
ici, parmi nous, mais tel que Dieu connaît.
»
4. Les damnés passeront d’une chaleur très
ardente à un froid très violent sans que cela les rafraîchisse[1956]. Or la chaleur du feu ne peut exister
en même temps que le froid. Donc le feu de l’enfer n’est pas extérieur, il
signifie une passion intérieure de l’âme rejaillissant dans le corps.
5. Le ver rongeur de la rancoeur ne peut
être un ver matériel, une sorte de cancer qui ronge de l’intérieur le corps des
damnés puisque ce corps sera absolument incorruptible.
Cependant :
L’Apocalypse
parle « d’un étang de feu »[1957]. Or la nature du feu, c’est de faire
souffrir ce qui ne lui est pas adapté. Le corps des damnés sera fait de chair.
Il ne sera pas adapte au feu. Il y aura donc une peine physique en enfer. En
outre, dit le Psalmiste[1958] : «
le feu et le soufre, et le souffle des
tempêtes seront la part de leur calice. » Job écrit[1959] : «
De l’eau des neiges, ils passent à
l’extrême chaleur. »
Conclusion :
À
propos des peines physiques dues pour le péché on voit qu’il en existe de deux
sortes sur la terre :
1° Certaines ont pour origine directe des
lois internes à la nature humaine : les souffrances de l’âme rejaillissent
nécessairement sur la sensibilité et, par conséquent, sur le corps puisque le
corps est dépendant du psychisme. Ainsi, celui dont l’âme est séparée de Dieu
par le péché, n’ayant plus de finalité spirituelle, ressent des angoisses
psychologiques, ce qui signifie que ses passions et son imagination ne
connaissent plus de paix. Lorsque ces angoisses sont très fortes, elles peuvent
avoir des effets jusque dans la vie végétative, comme on le voit chez ceux qui
souffrent d’ulcères de l’estomac ou de dépressions nerveuses.
Avant
la résurrection de la chair, les âmes séparées de Dieu subiront déjà les
passions mauvaises dans leur psychisme. Ainsi, la rancoeur de leur volonté
rejaillira dans leur imagination à travers des cauchemars, dans leurs passions
par un perpétuel état d’insatisfaction, d’angoisse, de désespoir et de
tristesse.
Après
la résurrection des corps, les damnés subiront dans leur corps de chair des
souffrances physiques : un feu intérieur les brûlera organiquement, ayant son
origine dans le feu de leur âme tel que nous l’avons décrit précédemment. Ils
vivront dans leur corps une agitation incessante, un inconfort physique et des
difformités. Cependant, ces défauts ne toucheront pas la substance de leur
corps qui sera par nature parfait et incorruptible. D’après le Seigneur, il y
aura des pleurs et des grincements de dents. Après la résurrection, il n’est
plus possible de prendre métaphoriquement de telles réalités car celui qui
possède son corps manifeste extérieurement les passions de son âme par des
actions de son corps. Les damnés éprouveront du regret, non à cause de leur
péché mais à cause de leur solitude et de leur malheur. Ils pleureront donc ;
d’autre part, ils éprouveront de la haine pour la justice de Dieu qui les punit
ainsi et de la jalousie pour le bonheur des élus. Leur colère intérieure se
manifestera extérieurement par des blasphèmes proférés et des grincements de
dents.
2° Certaines peines physiques qui frappent
les hommes sur la terre ont directement Dieu pour origine. C’est pourquoi le
Deutéronome annonce[1960] : «
puisque tu n’auras pas servi Yahvé ton
Dieu dans la joie et le bonheur, Yahvé enverra contre toi la faim, la soif, la
nudité, privation totale. » Lorsque Dieu envoie activement de telles
peines sur l’homme qui est sur terre, ce peut être dans un but pédagogique,
afin qu’il s’amende de son péché, s’humilie et revienne dans la voie du salut
éternel. Ce peut être aussi dans le but d’un rétablissement de la justice afin
que le méchant reçoive le salaire de sa méchanceté. Mais dans tous les cas, ces
peines visent le salut de ceux qui les reçoivent.
Après
la résurrection, les damnés seront irrémédiablement fixés dans leur péché. Dieu
ne leur enverra pas de peine dans un but pédagogique puisqu’il n’y aura plus
chez eux d’espoir de conversion. Restera-t-il donc un motif de justice ? Il
convient dit saint Bonaventure que « ceux qui ont péché par la matière
soient punis par la matière. » Selon
l’opinion de certains théologiens, il faut donc poser l’existence d’un réel feu
matériel surajouté par Dieu comme un bourreau ajoute une souffrance au
criminel. En y réfléchissant, il paraît que ce feu surajouté est bien inutile
puisqu’il ne peut provoquer aucune conversion des damnés et pire, non conforme
au respect de Dieu pour leur choix. Ainsi, s’il existe un feu matériel
surajouté pour les damnés, il ne viendra pas de Dieu comme cause directe mais
il sera un effet logique de plus, de la perversion des damnés. Quant à la
nature de cette prison de feu, il est aisé de la préciser. Les exorcismes
pratiqués sur terre manifestent avec suffisamment de force l’horreur qu’ont les
démons pour tout ce qui est humble et aimant. La simple évocation du nom de la
sainte Vierge est pour eux source de torture. Il est certain que, après la
résurrection, ils préfèreront se cacher au plus profond des ténèbres plutôt que
de se risquer à la confrontation avec le plus petit des habitants du Royaume de
Dieu. S’ils se réfugient au cœur de la matière, le feu aura sur leur corps un
pouvoir de souffrance mais pas de destruction, puisque leur corps sera
incorruptible.
Plusieurs
opinions existent : certains pensent qu’il s’agit seulement d’un emprisonnement
matériel, s’appuyant sur la parole du Seigneur qui dit[1961] : «
Après lui avoir lié les mains et les
pieds, jetez le dans les ténèbres extérieures. » Il est vrai que ce
qui est ténébreux n’est pas un feu puisque la nature du feu est d’éclairer.
D’après eux, le feu de l’enfer serait donc cette souffrance intérieure du corps
due à la perversité de l’âme et que nous avons décrit plus haut. Il leur paraît
inutile de poser l’existence d’un feu extérieur surajouté par Dieu et qui
ressemblerait à une prison capable d’isoler les pécheurs des justes qu’ils ne
doivent aucunement venir troubler. Un tel emprisonnement leur paraît être une
peine suffisante pour que justice soit faite. Car l’orgueil des damnés ne
supportera pas d’être ainsi enfermé.
Solutions :
1. Il convient que celui qui a péché soit
puni par où il a péché. La sagesse dit[1962] : «
Chacun sera torturé par ce en quoi il
pèche. » Les hommes pèchent par les choses sensibles de ce monde. Il
est donc juste qu’ils soient punis par elles. Ce sera le rôle du feu matériel.
Mais cette justice ne sera pas causée par une volonté de Dieu, si ce n’est
comme cause première puisque c’est lui qui a créé la nature qui fait des damnés
des hommes. Ce feu emprisonnera le corps des damnés en ce sens qu’ils ne
voudront pas en sortir. En cela, il sera une punition contre le péché d’orgueil
car les damnés seront extérieurement contrariés de ne plus pouvoir aller
librement où ils veulent.
2. Dans les pleurs corporels, nous
distinguons deux choses : d’abord l’écoulement des larmes ; et quant à cela les
pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les damnés car, après le jour du
jugement, il n’y aura plus de génération, ni de corruption, ni d’altération
corporelle. Dans l’écoulement des larmes, il doit y avoir sécrétion du liquide
qui passe dans les larmes. À ce point de vue, il ne pourra pas y avoir de
pleurs corporels chez les damnés. Mais dans les pleurs corporels, il y a aussi
une certaine commotion et un certain trouble de la tête et des yeux : Sous cet
aspect, les pleurs pourront exister chez les damnés après la résurrection de la
chair : les corps des damnés, en effet, ne sont pas seulement affligés de
l’extérieur mais même de l’intérieur, en tant que le corps est poussé par la
passion de l’âme vers un état bon ou mauvais. À ce point de vue, les pleurs
prouvent la résurrection de la chair.
3. Saint Damascène ne nie pas absolument
que ce feu soit matériel, mais il affirme qu’il ne l’est pas à la manière d’un
feu terrestre, comme un feu de cheminée. Il agit d’une manière subjective
c’est-à-dire en fonction de celui qu’il éprouve. Il semble donc qu’il s’agit là
une fois de plus de cette souffrance physique qui atteint de l’intérieur le
corps par répercussion de la perversité de l’âme. Quant au lieu où demeureront
les damnés, il est inutile de l’imaginer comme le plus laid des endroits,
quoique la présence des mauvais enlaidira ce lieu, comme on le voit dans les
quartiers où s’établissent le vice et la délinquance. Ils rendront laid ce
qu’ils côtoieront.
4. Comme nous l’avons montré, la plus
grande souffrance des damnés ne sera pas due au feu extérieur qui les
emprisonnera mais au feu intérieur de leur âme malheureuse. Ainsi voit-on sur
terre qu’il est plus douloureux d’être plongé dans un total désespoir que de
souffrir d’une douleur physique. Ainsi, le froid dont parle l’objection
signifie la conscience effrayante que les damnés auront de l’éternité de leur
malheur.
5. Le ver qui sera infligé aux damnés ne
doit pas être considéré comme corporel, mais comme spirituel : c’est la
rancoeur de la conscience qui est ainsi appelée, parce qu’il naît de la
pourriture du péché, et fait souffrir l’âme, comme le ver corporel, né de la
pourriture, fait souffrir en mordant. On pourrait dire aussi que la chair est
torturée par le ver spirituel, parce que les souffrances de l’âme rejaillissent
sur le corps, ici-bas et dans l’au-delà.
Objections :
1. Dieu qui est infiniment bon, se
communique à des créatures sans qu’il puisse y avoir de limites. Or, si les
œuvres de Dieu s’arrêtent après le jugement général, le nombre de ceux qui
jouiront de son bonheur sera limité. Il convient donc que Dieu crée à nouveau
d’autres mondes et ceci pour l’éternité, afin que le nombre des élus soit
infini.
2. Un nombre où une partie de ses membres
sont dans le malheur ne saurait durer éternellement semblable à lui-même. Or,
il y aura des anges et des hommes emprisonnés en enfer. Il semble donc que Dieu
les délivrera un jour.
3. De même que les anges après leur
création et leur glorification ont eu une mission auprès d’autres créatures, de
même il convient que les hommes glorifiés puissent exercer une providence
envers d’autres. Donc Dieu créera d’autres mondes.
4. L’univers est immense. Il est à la
taille de Dieu. Il est donc improbable que Dieu ait résumé sa création aux
seuls anges et aux hommes qui ont vécu sur la planète Terre. Il y aura donc
d’autres mondes à conduire à leur fin dernière après le jugement dernier des
hommes.
Cependant :
Saint
Pierre écrit[1964] : «
La fin de toutes choses est proche. » De
même, la Genèse dit[1965] que « Dieu se repose le septième jour » ce
qui signifie qu’il y a un terme aux œuvres de Dieu. Donc, après le jugement
dernier, le monde sera stabilisé pour l’éternité.
Conclusion :
Après
le jugement dernier, la nature humaine, en son entier c’est-à-dire à travers
tous ses membres, sera fixée dans sa fin. Et comme tous les êtres corporels
sont d’une certaine manière ordonnés à l’homme, c’est la condition de toute la
création corporelle qui sera, à juste titre, transformée et adaptée à l’état de
l’homme d’alors. Parce que les hommes seront alors dans un état
d’incorruptibilité, la création corporelle qui fut leur univers, n’aura plus
lieu d’être maintenue dans l’état de génération et de corruption. C’est ce que
dit l’apôtre dans l’Epître aux Romains[1966] : «
La création elle-même sera libérée de
la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des
enfants de Dieu. »
Et
parce que la condition de la création corporelle sera mise finalement en accord
avec l’état de l’homme, et que les hommes ne seront pas seulement libérés de la
corruption mais encore revêtus de la gloire, la création corporelle devra elle
aussi avoir part, à sa manière, à cette gloire lumineuse. Telle est la raison
de cette parole de l’Apocalypse[1967] : «
Je vis un Ciel nouveau et une terre
nouvelle. » Le monde sera donc rendu participant par sa stabilité
éternelle de l’immuabilité du Dieu qui révéla à Moïse son nom [1968] : «
Je suis celui qui est. »
Il
reste à savoir maintenant si, par l’expression « monde », ce livre
entend l’immensité de l’univers tout entier ou simplement notre monde à nous.
La réponse à cette question dépend de la suivante : Existe-t-il ailleurs
d’autres planètes où se préparent d’autres créatures faites d’esprit et de
corps à la vision béatifique ? Deux hypothèses sont soutenues, avec des
arguments très convaincants de chaque côté.
Certains
pensent que l’existence de cette vie extraterrestre est théologiquement
improbable pour plusieurs raisons :
1° à cause de la hiérarchie des créatures.
Dieu a créé le monde de telle manière qu’il existe toute sorte de créatures :
les esprits supérieurs comme les Chérubins, les Séraphins et les Trônes ; les
esprits inférieurs comme les archanges et les anges ; les esprits inférieurs
liés à la matière, comme les hommes ; les vivants matériels avec leurs degrés
de perfection comme les animaux et les plantes et les corps minéraux. Il ne
manque donc rien à cette création, dans son ensemble hiérarchisée et ordonnée
au spirituel et à Dieu.
2° À cause de la rédemption opérée par le
Christ pour les hommes. On voit mal comment Dieu pourrait subir en divers lieux
plusieurs passions.
En
tout état de cause, s’il existe dans l’univers d’autres créatures spirituelles,
elles seront conduites par Dieu à la vision de son essence. Et la vie errante
loin de Dieu s’achèvera selon cette parole d’Isaïe[1969] : « Car voici que je
vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus
du passé, il ne reviendra plus à l'esprit. »
D’autres
pensent l’inverse :
1° L’amour de Dieu est folie puisqu’il a
inventé l’Incarnation et la croix. Il ne saurait être réduit à la béatitude des
anges, des esprits liés à un psychisme et des hommes.
2° L’univers est immense. Le nombre des
galaxies et des planètes incalculable. Une telle profusion ne saurait être
réduite à n’être qu’un parc de loisir pour l’éternité des élus.
Il
est impossible de trancher entre ces deux opinions parce qu’il n’a pas été
donné à l’homme par Dieu de le faire : «
Dieu est le plus mystérieux. »
Solutions :
1. Pour ce qui concerne le nombre des anges
et des hommes, on doit dire ceci : les œuvres de Dieu ont un ordre, une mesure
et un poids. Or pour qu’il y ait un ordre, il faut une limite car une foule
infinie ne peut être ordonnée. C’est pourquoi l’Apocalypse parle d’un nombre de
144000 élus, ce qui symbolise que la création des hommes et des anges sera
limitée en nombre. Quant à l’infini de l’amour de Dieu, il est suffisamment
communiqué aux créatures par la vision béatifique.
2. Les damnés se sont séparés de Dieu
librement et ont préféré subir les peines de l’enfer dont ils avaient reçu la
révélation plutôt que de convertir leur cœur. Ils ne seront jamais délivrés car
ils ne voudront jamais se séparer du péché.
3. Les anges ont exercé leur providence sur
les hommes en les protégeant et en les induisant à bien agir ; de même les
hommes ont pu faire en éduquant d’autres hommes, grâce à leur paternité et à
leur maternité physique ou spirituelle. Après le jugement général, le temps de
la recherche de Dieu sera terminé pour toutes les créatures spirituelles. Le
temps de la possession de sa fin sera arrivé. Cependant, rien n’empêche que
Dieu donne une nouvelle paternité et maternité aux habitants du Ciel et
prolonge son œuvre de création.
4. L’Écriture ne nous donne aucun élément
capable de résoudre l’hypothèse de l’existence de mondes extraterrestres sur
d’autres planètes de l’univers. De même, la foi catholique laisse chacun libre
de croire ce qu’il veut sur ce sujet. Nous l’avons montré, les arguments dans
les deux sens se tiennent. Pour ma part, je penche plutôt pour l’hypothèse
d’autres mondes habités car l’amour de Dieu qui amena son Verbe à la passion,
ne peut être contraint dans aucune limite. Les modes et les chemins qu’il peut
imaginer pour conduire à la Vision béatifique peuvent être infinis.
Et
l’argument le plus grand vers cette thèse, tient dans la considération de
l’Alpha de la création, la Trinité. La mesure de sa création passée fut son
amour qui se diffuse. Si l’homme relit cette phrase de
l’Evangile : « Mon Père et moi sommes toujours à l'œuvre », s’il centre son regard sur la Trinité, il
voit autrement les choses. Il est certain que ces merveilles que sont la
création des anges, la rédemption de l'humanité et de ses milliards d'êtres, le
Christ Verbe fait chair, et la Vierge immaculée, n’épuisent pas l'immense potentialité de manifestation
et de diffusion de l'amour et donc de création de la Trinité, qui vit et règne
pour les siècles des siècles. Amen.
Voici,
Je vais créer des cieux nouveaux et une
terre nouvelle
Et on ne se souviendra plus du passé qui
ne montera plus au cœur :
Qu’on soit dans la jubilation et qu’on
se réjouisse pour l’éternité!
Amen
* *
*
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JUSTIFICATION. A. Numéros : - B. Articles : André Manaranche, « Justification divine et justice
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l’Esprit : un aspect de la pensée de Luther » (VII, 4, p. 45-46). C.
Passages : I, S, p. L9 ; I, 6, p. 20 ; III, 2, p 29 ; III, 3, p. 43, 44-46 ;
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funérailles" (VI, 1, p 72-77° ; Hans-Urs von Balthasar, « La mort engloutie par la vie »
(VII, 1, p. 10-14) ; Philippe Cormier, «
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Passages : I, 3, p. 39, 42-43 ; I, 5, p. 17-18 ; 11, 3, p. 25, 53, S9 ; III, 1,
p. 51-53 ; IV, 5, p. 19-21 ; V, 1, p. 34-35, 69 ; VI, 1, p. 23, 22- 23, 57-58,
61, 64-65 ; VII, 1, p. 6-7, 29 ; VIII, 6, p. 14-18 ; IX, 3, p. 7, l09-l l0 ;
IX, 4, p. 34-36 ; IX, 5, p. 7, 41, 44-45 ; X, 1, p. 27, 50-51 ; X, 3, p.
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32, 161
-
PAROUSIE. A. Numéros : —. B. Articles : Claude Bruaire, « II reviendra dans la gloire » (X, 1, p. 405) ; Walter
Kasper, « L’espérance du retour
glorieux » (X, 1, p. 17-33) ; Ysabel de Andia, « Les deux parousies du Transpercé » (X, 1, p. 34-47). C.
Passages : l 6 p. 68-69 ; I, 7, p. 23-25 ; II, 6 p. 60-62 ; III, 5, p. 22-23,
IV, 3, p. 26-27 ; IV, 6 p. 10-11 ; V, 2, p. 31 ; VIII, 3, p. 15-16 ; X, 1, p
23, 25-26, 28.
-
RÉSURRECTION. A. Numéros : « Après la
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ressuscité" (VII, 1°. B. Articles : Paul Toinet, « Résurrection et immortalité de l’âme » (I, 2, p. 22-23) ;
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p. 90 ; II, 6 p. 15-19, 26-27 ; III, 4, p. 3 • III, 5, p. 89-90 ; III 6 p.
38-39 ; IV, 3, p. 6 ; IV, 5, p. 19-21, 64-65, IV, 6 p. 22-23, 71-72 ; V, 4, p.
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-
Lettre du 7 septembre 1994.
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après la mort de saint Thomas à partir de son Commentaire des Sentences. Frère Réginald de Piperno en fut
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Suisse, 1980.
Adam et Ève :
Alliance :
Âme :
Amour naturel :
antéchrist :
Apocalypse :
Apostasie :
Apparition :
Baptême :
Béatitude :
Blasphème contre l’Esprit :
Charité :
Communion des saints :
Conversion :
Corps astral - corps psychique :
Corps glorieux :
Corps :
Création :
Critique des systèmes théologiques :
Damnés :
Démon :
Démonstration théologique :
Dualisme :
Église :
Égoïsme-Orgueil :
Enfants (salut des) :
Enfer :
Espérance :
Éternité :
Eucharistie, sacrements :
Faiblesse :
Feu :
Fin du monde :
Foi :
Foyer du péché :
Grâce :
Humilité (kénose) :
Ignorance :
Incarnation :
Infaillibilité :
Intelligence, connaissance :
Islam :
Judaïsme :
Jugement individuel :
Justification :
Liberté :
Limbes :
Lumière de gloire :
Mariage, Noces :
Mérite :
Mort :
Nature (actes naturels) :
Near Death Expérience :
Obéissance :
Obstination :
Papauté :
parousie :
Péché mortel :
Péché originel :
Péché véniel :
Prédication de l’Évangile :
Présomption :
purgatoire :
Rédemption :
Résurrection :
Révélation (origine) :
Révélation du salut avant la venue du Christ :
Satan : (voir démon).
Shéol :
Signes de la fin :
Souffrance :
Temps intermédiaire :
Trinité :
Vie terrestre (utilité) :
vierge Marie :
Vision béatifique :
Volonté :
Le mystère suprême de notre vie
terrestre, c’est celui de la souffrance et de la mort. Le christianisme est,
avec l’hindouisme et le bouddhisme, une des religions qui donnent une
explication théologique à la souffrance : «
la vie terrestre est marquée par la
croix en vue de préparer, comme à travers un feu, le cœur de l’homme à l’entrée
dans la vision de Dieu. Nul ne peut s’unir à Dieu sans devenir semblable à Lui
dans l’humilité (kénose) et l’amour. Dieu conduit chaque homme à toucher ses
limites dès cette vie. Son but est, in fine, l’amour. La vie terrestre est une
étape préparatoire. »
Mais cette explication s’est trouvée
confrontée à une contradiction interne, celle de deux dogmes que l’Église a
solennellement confirmés :
- « Nul ne peut voir Dieu s’il ne l’aime pas
explicitement d’un amour de charité. Par charité, on n’entend pas un amour
implicite. Elle est une amitié réciproque. Elle présuppose la foi qui est une
connaissance et une confiance en la parole de Dieu. »
- « Après la mort, il n’est plus
temps d’aimer mais de recevoir ce qui est du à l’amour. Celui qui, après la
mort, n’aime pas Dieu de charité est conduit dans l’enfer éternel. » Appuyé sur cela et sur la constatation
que peu d’hommes aiment Dieu de cet amour-là, les anciens (saint Augustin,
saint Thomas d’Aquin), ne pouvaient que conclure à la damnation des masses
humaines, des pécheurs, des infidèles et même des enfants morts sans baptême.
Un troisième dogme vint mettre à mal
une partie de leurs positions, en particulier pour les infidèles et les enfants
: « Dieu qui veut le salut de tous, propose à tous son salut. » Nul
ne peut donc être damné parce qu’il ne savait pas qu’il y avait ce salut.
C’est ainsi que des théologiens
modernes purent donner une nouvelle explication du salut des hommes de bonne
volonté. Malheureusement, toutes les théories trouvées jusqu’ici mettent à mal
l’une ou l’autre des vérités dogmatiques. Ladislas Boros parle d’un salut « après la mort » ; Le cardinal Journet parle d’une charité implicite
qui permet aux païens d’être sauvés bien qu’ils n’aient pas la foi.
Or, il est important en théologie
catholique de garder chacune des pierres données par Dieu à travers Pierre (le
Magistère de l’Eglise). C’est de leur confrontation, malgré l’apparente
contradiction, que sort toujours la vérité. Nous pensons que c’est possible.
Tel est le but de cette thèse.
Nous pensons que Dieu propose à Dieu
son salut, que ce salut est bien lié à une charité qui n’a rien d’implicite,
que cela se passe en cette vie. Nous essayons d’établir que tout cela se passe,
pour ceux qui n’ont pas pu aimer ici-bas, à la « 11ème
heure » de la vie, c’est-à-dire à l’heure de la mort. Le Christ vient se
montrer dans sa gloire, accompagné des saints et des anges. Il est possible
alors de le rejeter et de mourir sans la charité. Mais il n’y a pas d’autre manière
que cette liberté préparée par la vie terrestre pour se perdre en enfer!
Nous pensons que cette explication
rend simple les questions les plus difficiles de la théologie, comme celle de
la vie terrestre et de son utilité, celle du silence de Dieu qui laisse chacun
mourir et le monde sombrer dans l’apostasie. Nous pensons pouvoir expliquer
cette parole de Jésus quand il prophétise ces catastrophes : « Quand
vous verrez tout cela, redressez-vous et relevez la tête parce
que votre Rédemption est proche. »
[1] 1 Corinthiens 15, 32 ;
[2] Le mot vient du Livre de la Sagesse, 2 ;
[3] DELOOZ P. Qui croit à
l’au-delà ?, in mort et présence,
Bruxelles, 1971, 17-38, 38.
[4] POHIER J. M. Un cas de
foi post-freudienne, en Concilium,
105, 1975, 115-130, 128.
[5] Romains 10, 15 ;
[6] Lettre 164 à Evodius, n° 8, in Œuvres
complètes de Saint Augustin, t. v,
Paris, 1870, p.438.
[7] “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation
dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir
que l'Esprit Saint offre à tous, d'une
façon que Dieu seul connaît, la possibilité d'être associé au mystère
pascal” (GS n° 22,5 / trad.
officielle).
“Dieu, selon des voies
connues de lui, peut conduire à la foi sans laquelle on ne peut être
agréable à Dieu, des hommes qui, sans faute de leur part, ne connaissent pas
l'Evangile” (AM = Ad Gentes, n°7 / trad. officielle).
[8] SANDRO Vitalini Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg,
1980, p. 6 ;
[9] Mathieu 5, 47 ;
[10] Luc 7, 9 ;
[11] Jean 3, 5 ;
[12] Théologies de type catholiques et orthodoxes.
[13] Théologies marquées par la Réforme de Luther.
[14] Théologies de type libéral.
[15] Voir Prolégomènes ;
[16] Métaphysique 1 ;
[17] Vitalini Sandro, Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 6 ;
[18] Somme de théologie,
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
IIIa pars, la purification de Marie ;
[19] Ce sera l’objet de notre troisième partie.
[20] Ce que j’ai dit auparavant sur ma méthode théologique me
caractérise assez bien aux yeux du lecteur. Je ne peux être taxé de relativisme
vis-à-vis de l’Écriture Sainte, des écrits des saints ou du Magistère. Or ils
n’ont pris dans leur ensemble un sens harmonieux pour ma foi qu’à la lumière de
cette conclusion. Ils ont perdu tout aspect scandaleux, surtout en ce qui
concerne les vérités « noires » comme l’enfer et la souffrance. A mes yeux,
cette harmonie est le critère le plus important de la probable vérité de la
parousie de l’heure de la mort. De plus, certains aspects théologiques nouveaux
s’ouvrent, fondés sur cette parousie. N’a-t-on pas ici le signe de la
probabilité la plus grande du vrai en théologie ? « Tout ce qui vient de Dieu est, dit saint Paul, paix, joie dans le Saint Esprit. » Romains 14, 17 ;
[21] Pour
consulter les références des textes dogmatiques, voir la première partie.
[22] BOROS Ladislas Mysterium Mortis, der Mensch in der letzen Entscheidung,
Olten-Fribourg, 1971, 9
ème édition.
[23] Avec Mgr Glorieux, Ladislas BOROS est particulièrement
intéressant car il développe une thèse sur le choix à l’heure de la mort très
proche de la nôtre à cette nuance près qu’il situe cet événement après la séparation de l’âme et du corps.
Mais l’homme est-il encore homme quand il agit comme une âme séparée ?
[24] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question 1, article 4, ad primum ;
[25] Nous entendrons par expérience mystique tout au long de ce
travail la rencontre personnelle avec la vie de la grâce ou de la gloire.
[26] Des prolégomènes ne constituent pas le cœur d’une oeuvre écrite
mais une préparation du lecteur en vue d’aiguiser son intérêt.
[27] Profession de foi d’un
vicaire savoyard, Jean-Jacques ROUSSEAU, La pléiade, 1985, p. 207 ;
[28] Voir l’étude plus approfondie de la notion de charité en 1-1 ;
[29] La foi est différente de la charité, 2-1 ;
[30] Pour la théologie du Concile de Trente, la liberté humaine est
seulement blessée. Ayant reçu la grâce de la foi, l’homme est rendu capable par
Dieu de se tourner vers lui librement, de l’aimer activement dans une
réciprocité que Dieu lui reconnaît comme mérite.
[31] Hébreux 11, 6 ;
[32] Certes l’attitude d’un enfant confiant vis-à-vis de son père
est un amour. Mais est-ce une amitié si cet enfant s’estime incapable de toute
réponse autre qu’une confiance totale et passive. Ainsi, en théorie, Luther nie
la possibilité de la charité agissante (les œuvres). En pratique, les réformés
fervents osent aimer Dieu dans une relation d’amitié.
[33] Jean 15, 15 ;
[34] …Statut que la foi musulmane revendique. Les musulmans mettent
aussi leur confiance en Dieu mais ils rejettent, à cause de leur très grand
sens de sa transcendance, la possibilité d’être « enfants de Dieu. »
[35] Luther, Commentaire de l’épître aux Romains 1, 17 ;
[36] Concile de Trente, sixième session ;
[37] La bonne volonté, 3-1 ;
[38] Mathieu 5, 47 ;
[39] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, la grâce ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, foi, charité ;
[40] Dans le cadre de ces prolégomènes, nous aurions pu choisir de
présenter les théologies du salut d’une autre manière que par cette
classification. Nous aurions pu par exemple présenter selon un ordre
chronologique saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Luther, Calvin, Glorieux,
Boros, Balthasar, Ratzinger et d’autres. Cependant, l’exposé en eût été
d’autant alourdi et la suite de notre recherche eût été rendue moins claire.
Aristote disait que le propre du sage est d’ordonner. Nous avons choisi
délibérément cet ordre là qui, s’il n’est pas historique, est conforme au
contenu doctrinal des luttes historiques des tenants de la grâce et de la
nature, la foi ayant été successivement attribuée à la grâce et à la nature
selon qu’elle était vive ou morte.
[41] SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme
théologique, Revue des jeunes, traduction ;
[42] Balthasar H. U. L’amour seul est digne de foi,
Paris, Aubier, 1966.
JOURNET C. Entretiens sur
la grâce, Saint Augustin-Saint Maurice, 1985, 10-35.
Père MARIE-EUGENE DE L’ENFANT-JESUS Je veux Voir Dieu, Carmel, 1957.
[43] Voir bibliographie générale ;
[44] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 109, article 1 ;
[45] Références multiples ;
[46] Donc s’il est en « état de grâce » ;
[47] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 27.
[48] Dès que cette amitié se trouve parfaitement purifiée, ajoutera
le dogme catholique, c’est-à-dire séparée des reste d’égoïsme et d’orgueil qui
la motive.
[49] 1 Jean 3, 2
[50] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 23, article 1.
[51] Jean 3, 3 ;
[52] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 77, article 8 ; Question 70 bis, article 2 ;
[53] BENOIT XII Constitution
apostolique « Benedictus Deus », 29 janvier 1336, Dumeige 511.
[54] Il s’agit donc d’une notion qui n’est pas morale mais plus
profonde, religieuse, spécifiquement juive et chrétienne. Elle est liée à la
notion même du plan mystérieux de Dieu dans son œuvre de salut, à l’histoire du
péché originel auquel les descendants d’Adam furent liés sans volonté de leur
part.
[55] Le Concile Vatican II, pour éviter les confusions de sens dans
une chrétienté moins bien formée, a redéfini le péché mortel. Il l’a identifié
au seul péché contre l’Esprit Saint (péché parfaitement libre, conscient et
volontaire), afin de montrer que la damnation éternelle ne frappe que ceux qui
le veulent.
[56] Nous montrerons dans le traité des fins dernières », que ce feu
n’est pas l’enfer éternel. Le blasphème contre l’Esprit Saint n’est pas
l’attitude d’âme de ce riche. Or seul un tel rejet conscient de Dieu est
passible de la damnation éternelle.
[57] GLORIEUX P. In hora
mortis, en Mélanges de sciences
religieuses, Lille, 1946, 10 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Question 77, article 8 ; Question 70
bis, article 2.
[58] GLORIEUX P. In hora
mortis, en Mélanges de sciences
religieuses, Lille, 1946, 185-216.
[59] Romains 9, 18.
[60] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 76, 77, 78.
[61] SAINT THOMAS D’AQUIN, De
Veritate, 14, 11, article 1.
[62] JOURNET C. Entretiens sur
la grâce, Op. cit. 150-153.
[63] Hébreux 11, 6 ;
[64] Op. cit. 159-160.
[65] Mathieu 25,34
[66] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 102
[67] GLORIEUX p. In hora Mortis, Op. cit. 187.
[68] On peut se référer, en annexe 3, au texte complet de sa
recherche. Il s’intitule : Endurcissement
final et grâces dernières. Il est tiré de la Nouvelle Revue Théologique,
1932, Tome 59, n°10, p. 865 et ss.
[69] Ibidem p. 866 ;
[70] Ibidem p. 871 ;
[71] Ibidem p. 871 ;
[72] Op. cit. 199.
[73] BOROS Ladislas Mysterium Mortis, Op. cit. 203.
[74] Le texte complet
de cette recherche de Boros est rapporté dans l’annexe 3. Il est tiré de son
ouvrage intitulé : A nous l’avenir,
méditations sur l’espérance.[74]
[75] Actes 23, 6 ;
[76] Mathieu 25, 31 ss ;
[77] RATZINGER J. La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, 215.
[78] Op. cit. 215.
[79] Voir la Confession d’Augsbourg, en annexe 2 ;
[80] Cf. Jean 2, 19 ;
[81] Hébreux 11, 1 ;
[82] AUGUSTIN, Tract. In Éphésiens Joh. ad
Parth. 10, 2 (dans MIGNE, Patrol. lat. 34, 2055)
[83] Somme théologique,
IIa IIae Question 2, article 2
[84] Hébreux 11, 6 ;
[85] Jacques 2, 19 ;
[86] Genèse 15, 6 ;
[87] Somme théologique,
IIa IIae Question 4, article 4 ;
[88] Jacques 2, 20 ;
[89] Galates 5, 22 ;
[90] 1 Corinthiens 12, 8 ;
[91] Romains 1, 17 ;
[92] C’est d’ailleurs dans l’explication des conséquences du péché
originel que tout cela trouve son explication ultime. Pour Luther, à la suite
du péché originel, la liberté humaine a été totalement détruite au point
que l’homme est incapable à jamais de poser un seul acte bon pour son salut. Il
ne le peut ni à titre de disposition (les actes humains bons ne valent rien,
ils ne disposent en rien au salut), ni avec l’aide de la grâce de Dieu. L’homme
a été réduit à l’état d’un enfant et sa seule participation au salut consiste à
se laisser emmener au ciel en abandonnant le poids mort de son âme, avec
confiance, dans les mains de Dieu qui le prend. Pour les catholiques et les
orthodoxes, la liberté est seulement blessée. Certes, la grâce est première.
C’est Dieu qui vient en premier chercher l’homme. Mais, en lui communiquant sa
grâce, Dieu remet l’homme debout. Il lui demande de répondre activement par un
acte de charité en retour.
[93] Romains 1, 17 ;
[94] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, q. 114, 1 ;
[95] Voir Jacques 2, 19 ;
[96] Jean 15, 5 ;
[97] LUTHER Commentaire de
l’épitre aux Galates 3, 6 ème
édition de Weimar, XL, 358-372.
[98] CALVIN Institutions
chrétiennes, édition Budé, 3, 57, 62, 73. CALVIN Traité des scandales, édition Budé, 212 s Question
[99] CONCILE VATICAN II, décret sur les religions non chrétiennes.
[100] Lettre à Démétriade 6 ;
[101] Philémon 2, 13 ;
[102] L’orthodoxie seule semble bien résister. Le fort
courant libéral qu’elle constate dans le catholicisme est sans doute pour elle
le plus grand obstacle à l’unité, la question du pape étant mise au second plan
devant la constatation de sa force de fidélité à la foi commune aux deux
Eglises.
[103] Saint Thomas More par exemple.
[104] VANDEVELDE G. Op. cit. 120.
[105] Op. cit. 120-121.
[106] Mathieu 25, 31-45.
[107] Mathieu 25, 37 et ss. ;
[108] Mathieu 5, 47 ;
[109]Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia, Question 1, 1 ;
[110] Sic, jeudi 16 novembre 1995 ;
[111] jeudi 25 janvier 1996 ;
[112] Voir TOINET p. Le
problème de la vérité dogmatique, Orthodoxie et hétérodoxie, Paris, Téqui,
1975.
[113] Elle est même devenue depuis 1998 canonique : Voir le document
« Ad Tuendam Fidem » du 30 juin 1998. Mais cette mise dans le droit canon n’est
qu’une conséquence de Vatican II.
[114] Voir le traité de « L’analogie de la foi chez saint Thomas
d’Aquin, Somme e théologie, Ia pars.
[115] Jean 14, 16 ;
[116] Jean 4, 22 ;
[117] I Pierre 1, 9 ;
[118] CONCILE VATICAN 2, Lumen
Gentium, 21-25.
[119] TOINET p. Le problème de
la vérité dogmatique, Orthodoxie et hétérodoxie, Paris, Téqui, 1975.
[120] Cf. Luc 22, 32 ;
[121] Lumen Gentium. 25 ;
[122] BENOIT XII Op. cit. Dumeige 961.
[123] 24 novembre 1995 ;
[124] Remarque : Lorsque la vérité révélée est par ailleurs objet de
la science philosophique, des problèmes d’harmonisation ne doivent théoriquement jamais se poser car il ne
saurait y avoir contradiction dans la vérité, toute la réalité (qu’elle soit
objet de foi ou d’expérience) étant créée par le même Dieu. S’il existe parfois
des contradictions (l’affaire Galilée par exemple), la faute en est à l’homme
qui connaît parfois mal la révélation ou fait d’autres fois une mauvaise
philosophie. Cette remarque nous sera utile lorsque nous serons amenés à
confronter deux faits apparemment contradictoires, l’assentiment de foi dans le fait que Dieu propose son
salut sur la terre à tous les hommes et la constatation expérimentale, apparente, de l’inverse.
[125] Jean-Paul II, Discours à la Congrégation de la Doctrine de la
foi, 24 nov. 1995 ;
[126] Lettre sur quelques
questions concernant l’eschatologie, Congrégation de la doctrine de la foi,
17 mai 1979 ;
[127] Voir numéros I-2-1 à I-2-5.
[128] Saint Jean, 17, 3 ;
[129] CONCILE DE TRENTE sixième session, 13 janvier 1347, décret sur la justification, chapitres
4-7,
[130] Dumeige p. 347-349
; Texte complet : Ch. 1 : Impuissance de
la nature et de la Loi pour justifier les hommes
En premier lieu, le
saint concile déclare que, pour avoir de la doctrine de la justification une
intelligence exacte et authentique, il faut que chacun reconnaisse et confesse
que, tous les hommes ayant perdu l’innocence dans la prévarication d’Adam [Ro
5,12 ; 1 Co 15, 22] [PC 271], « devenus impurs » [Is. 64, 6] et, comme dit
l’Apôtre, « enfants de colère par nature » [Ep 2, 3], selon l’exposé du décret
sur le péché originel, ils étaient à ce point « esclaves du péché » [Ro 6, 20],
assujettis au diable et à la mort, que non seulement les païens par les forces
de la nature [FC 583], mais encore les juifs eux-mêmes par la lettre de la Loi
mosaïque ne pouvaient se libérer ou se relever de cet état, bien que le libre
arbitre ne fût nullement éteint en eux [PC 587] mais seulement affaibli et
dévié en sa force.
Ainsi arriva-t-il
que le Père céleste, le Père des miséricordes et Dieu de toute consolation » [2
Co 1, 3], après l’avoir annoncé et promis, avant la Loi et du temps de la Loi,
à beaucoup de saints Pères [Gn. 49, 10. 18], envoya aux hommes, quand vint la
bienheureuse « plénitude des temps » [Ep 1, 10 Ca 4,4], le Christ Jésus, son
Fils, pour racheter les Juifs sujets de la Loi, pour « faire aussi atteindre la
justice aux païens qui ne la cherchaient pas » [Ro 9, 30] et pour que tous «
reçussent la qualité de fils adoptifs » [Ga 4, 5]. C’est lui que « Dieu a
établi victime propitiatoire en son sang, moyennant la foi, pour nos péchés »
[Ro 3, 25], « non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier »
(I Jn 2, 2].
Ch.
3 Ceux qui sont justifiés par le Christ
Mais, bien que lui
« soit mort pour tous » [2 Co 5, 15] tous cependant n’éprouvent pas le bienfait
de sa mort mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est
communiqué. Car de même que les hommes ne naîtraient pas dans l’injustice s’ils
ne naissaient de la descendance corporelle d’Adam, descendance qui leur fait
contracter, par lui, lorsqu’ils sont conçus, l’injustice personnelle, de môme
ils ne seraient jamais justifiés s’ils ne naissaient pas dans le Christ d’une
naissance nouvelle [FC 584, 592] où leur est accordée, par le mérite de sa
Passion, la grâce qui les fait justes. Pour ce bienfait l’Apôtre nous exhorte à
« rendre grâces continuellement au Père qui nous a rendus dignes d’avoir part à
l’héritage des saints dans la lumière » [Col 1, 12] et « qui nous a arrachés à
la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé,
et « qui nous avons la rédemption et la rémission des péchés » [Col 1, 13-14].
Ch. 4 Esquisse d’une description de la
justification de l’impie. Son mode dans l’état de grâce
Ces mots
esquissent une description de la justification de l’impie, comme un transfert
de l’état dans lequel l’homme naît fils du premier Adam, à l’état de grâce et «
d’adoption des fils>) de Dieu [Ro 8,15], par le second Adam, Jésus-Christ
notre Sauveur. Ce transfert, depuis la promulgation de l’Évangile, ne peut
s’accomplir sans le bain de la régénération ni sans le désir de le recevoir, suivant
ce qui est écrit « Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de
l’eau et de l’Esprit Saint » [Jn 3, 5].
Le concile déclare
en outre que le commencement de la justification chez les adultes doit être
cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ [FC 585],
c’est-à-dire par un appel de lui, qui leur est adressé sans aucun mérite
préalable en eux. De la sorte, ceux que leurs péchés avaient détournés de Dieu
se disposent, poussés et aidés par sa grâce, à se tourner vers leur
justification, en acquiesçant et en coopérant librement à cette grâce [FC
586-587]. Ainsi Dieu touche le cœur de l’homme par l’illumination du Saint
Esprit, mais l’homme lui-même n’est nullement inactif en recevant cette
inspiration, qu’il pourrait tout aussi bien rejeter, et cependant, sans la
grâce divine, il demeure incapable de se porter par sa libre volonté vers cet
état de justice devant Dieu [FC 585]. C’est pourquoi, quand il est dit dans la
sainte Écriture : « Tournez-vous vers moi et, moi, je me tournerai vers vous
» [Za 1, 3], notre liberté nous est rappelée ; quand nous répondons : « Tournez-nous
vers vous, Seigneur, et nous nous convertirons » [Lm 5,21], nous confessons
que la grâce de Dieu nous prévient.
Les hommes sont
disposés à la justice elle-même [FC 589, 591]
quand, poussés et aidés par la grâce divine, la foi « qu’ils entendent prêcher
» se formant en eux (Ro 10, 17], ils se tournent librement vers Dieu, croyant à
la vérité de la révélation et des promesses divines [FC 594-596], à celle-ci
notamment, que Dieu justifie l’impie par sa grâce, « au moyen de la rédemption
qui est dans le Christ Jésus » [Ro 3, 24] ; quand, comprenant qu’ils sont
pécheurs, en passant de la crainte de la justice divine, qui les ébranle
salutairement [FC 590], à la considération de la miséricorde de Dieu, ils
s’élèvent à l’espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera
favorable, quand ils commencent à l’aimer comme la source de toute justice et,
pour cette raison, se retournent contre leurs péchés dans une sorte de haine et
de détestation [PC 591], c’est-à-dire par cette pénitence que l’on doit faire
avant le baptême [Ac 2,38] ; quand, enfin, ils se proposent de recevoir le
baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.
De cette préparation il est écrit : « Celui qui approche de Dieu doit croire
qu’il est et qu’il récompense ceux qui le cherchent » [He 1l, 6), et : « Aie
confiance, mon fils, tes péchés te sont remis » [Mt 9,2 ; Mc 2, 5] et : « La crainte du Seigneur chasse les péchés
» [Si 1, 27], et « Faits pénitence et que chacun de vous soit baptisé au
nom de Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don
de l’Esprit Saint » [Ac 2, 38], et : « Allez donc, enseignez toutes les
nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur
apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé » [Mt 28, 19 sv], et : «
Préparez vos cœurs pour le Seigneur » [1 Sm 7, 3].
Cette disposition
ou préparation est suivie de la justification elle-même qui n’est pas simple
rémission des péchés [FC 5931, mais aussi sanctification et rénovation de
l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. Par là,
l’homme d’injuste devient juste, d’ennemi ami, pour être « héritier, en
espérance, de la vie éternelle » [Tt 3,7]. De cette justification, voici les
causes : cause finale, la gloire de Dieu et du Christ, et la vie éternelle ;
cause efficiente, Dieu, qui, dans sa miséricorde, purifie et sanctifie
gratuitement [I Co 6, Il] par le sceau et l’onction de l’Esprit Saint promis,
qui est le gage de notre héritage [cf. Ep 1, 13 sv.] cause méritoire, le Fils
unique bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, qui, « alors que nous
étions ennemis » [Ro 5, 10], à cause de l’extrême amour dont il nous a aimés
[Ep 2,4], a mérité notre justification [FC 592] par sa très sainte Passion sur
le bois de la Croix et a satisfait pour nous à Dieu son Père cause
instrumentale, le sacrement de baptême, le « sacrement de la foi »‘, sans
laquelle il n’est jamais arrivé à personne d’être justifié. Enfin, l’unique
cause formelle est la justice de Dieu, « non celle par laquelle il est juste
lui-même, mais celle par laquelle il nous fait justes [FC 592-593], celle reçue
de lui en don qui nous renouvelle au plus intime de l’âme, par qui non
seulement nous sommes réputés justes, mais vraiment justes et nommés tels,
recevant en nous la justice, dans la mesure où « l’Esprit Saint distribue à
chacun à son gré » [I Co 12,11] et selon la disposition et la coopération
personnelles de chacun. En effet, bien que personne ne puisse être juste que
par la communication des mérites de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ,
cette communication s’accomplit dans la justification de l’impie, quand, par le
mérite de cette Passion très sainte, la charité de Dieu est répandue par le
Saint Esprit dans les cœurs de ceux qui sont justifiés [cf. Ro 5, 5] et y
demeure inhérente [PC 593]. Aussi, dans la justification même, avec la
rémission des péchés l’homme reçoit-il à la fois, par Jésus-Christ en qui il
est inséré, tous ces dons infus : la foi, l’espérance et la charité. Car si
l’espérance et la charité ne se joignent pas à la foi, la foi n’unit pas
parfaitement au Christ et ne rend pas membre vivant de son corps.
C’est la raison pour laquelle il est dit en toute vérité que «
la foi sans les oeuvres est morte » [Jc 2, 17 sv.] et inutile [FC 601], et «
Dans le Christ Jésus ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur,
mais la foi qui opère par la charité » [cf 5, 6 ; 6, 15]. C’est elle que, selon
la tradition - des Apôtres, les catéchumènes demandent à l’Église avant le sacrement
du baptême, quand ils demandent « la foi qui procure la vie éternelle » que,
sans l’espérance et la charité, la foi ne saurait procurer. Aussi entendent-ils
immédiatement la parole du Christ : « Si tu veux entrer dans la vie, observe
les commandements » [Mt 19, 17] [FC 600-602] C’est pourquoi, en recevant la
justice chrétienne véritable, cette première robe [cf. Le 15, 22] qui leur est
donnée par Jésus-Christ à la place de oeil qu’Adam perdit, pour lui et pour
nous, par sa désobéissance, ils se voient ordonner, dès leur renaissance, de la
conserver blanche et sans tache pour l’apporter devant le tribunal de notre
Seigneur Jésus-Christ et avoir la vie éternelle.
Quand donc l’Apôtre dit que l’homme
est justifié « par la foi » [FC 59] et « gratuitement » [Ro 3, 22.24], ces mots
sont à prendre dans le sens que l’Église catholique a toujours et unanimement
tenu et exprimé, à savoir que nous sommes dits justifiés par la foi parce que «
la foi est le commencement du salut de l’homme »‘, le fondement et la racine de
toute justification, « sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu » [He
1l, 6] et de parvenir à partager le sort de ses enfants nous sommes dits
justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, foi
ou oeuvres, ne mérite cette grâce de la justification. « Car, si c’est une grâce, elle ne vient pas des
oeuvres ; autrement (comme le dit le même Apôtre) la grâce ne serait plus la
grâce » [Ro 11, 6].
[131] Jean 3, 5 ;
[132] CONCILE D’ORANGE 3 juillet 529, canon 4, Dumeige 340.
Dumeige 347-349.
[133] Romains 10, 14-15 ;
[134] Romains 3, 24 ;
[135] Jean 15, 15.
[136] Jean 3.
[137] CONCILE VATICAN II Les
religions non chrétiennes.
[138] Cf. Romains 5, 5 ;
[139] Jacques 2, 17 ;
[140] Galates 5, 6 ; 6, 15 ;
[141] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 23, 1.
[142] Ce qui est une valeur réelle. Le juste est disposé au salut. Il
l’acceptera sûrement lorsqu’il lui sera proposé.
[143] Traité des fins dernières, Question 7 ;
[144] Concile de trente, sixième session, Canons sur la
justification, n° 1 ;
[145] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 110, article 1.
[146] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 110, article 1.
[147] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 110, article 2.
[148] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 114.
[149] DUMOUCH A. Traité des
fins dernières, édition auteur, 1991, Le feu de l’enfer, Question 12, 1.
[150] Concile de Trente, sixième session sur la justification, canon
12 ;
[151] CONCILE DE TRENTE, sixième session, chap. 8, Dumeige 349.
[152] Romains 3, 22, 24 ;
[153] Hébreux 11, 6 ;
[154] Mathieu 8, 10 ;
[155] Luc 7, 28 ;
[156] HUGUET M. T. Israël et
son destin, en Nova et Vetera,
1985/2, 109.
[157] Galates 4, 4 ;
[158] Luc 23, 42 ;
[159] Dumeige p. 343 ;
[160] 1 Timothée 2, 1 ;
[161] Dumeige p. 343 ;
[162] Galates 5, 6 ;
[163] Luc 3, 1 ;
[164] Romains 14, 11 ;
[165] 1 Timothée 2, 3-4 ;
[166] CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige 358.
[167] CONCILE DU QUIERZY Erreur ! Signet non défini.853, Dumeige 358.
[168] 1 Timothée 2, 4 ;
[169] Concile de Trente, Dumeige p. 358 ;
[170] SAINT THOMAS D’AQUIN, De
Veritate, 14, 11, 1.
[171] Mathieu 12, 32 ;
[172] INNOCENT IV Lettre à
l’évêque de Tusculum, 6 mars 1254, Dumeige 513.
[173] Mathieu 12, 31 ;
[174] 1 Corinthiens 3, 13-15 ;
[175] Constitution Benedictus
Deus du 29 janvier 1336 ; Dumeige p. 510.
[176] BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », Op.
cit. Dumeige 510.
[177] BOROS L. Mysterium Mortis. Der Mensch in der letzen Enscheidung, 9 Aufl.
Olten-Freiburg 1962, 19/1.
[178] GLORIEUX P. Mysterium Mortis, Ibidem 9.
[179] Balthasar H. U. Theodramatick 4, 268-270.
[180]Voir notre thèse, II. 2. 1.
;
[181] 53- OTT L. Grundriss
der Katholischen Dogmatik, Freiburg, Herder, 1981 : « les âmes de ceux qui
meurent en état de péché mortel vont en enfer » De fide.
[182] Voir Romains 10, 15 ;
[183] Mathieu 24, 14 ;
[184] Mathieu 24, 29-31 ;
[185] Luc 17, 22 ;
[186] Proverbe 16, 32 ;
[187] Galates 5, 17 ;
[188] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 87, article 3, article 11.
[189] Apocalypse 8, 1 ;
[190] Romains 10, 14 ;
[191] Métaphysique 1 ;
[192] Mathieu 7, 13 ;
[193] Luc 3, 8 ;
[194] Jean 12, 40 ;
[195] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 76, 77, 78.
[196] Marc 3, 29 ;
[197] Père MARIE EUGENE DE L’ENFANT-JESUS, Je veux Voir Dieu, Op. cit.
[198] NICOLAS J. H. Synthèse dogmatique, Fribourg, Suisse,
602.
[199] RATZINGER J. La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, 215.
[200] Voir « fondements empiriques », II-3 ;
[201]Voir Fondements empiriques, II-3-2 ;
[202] Question 8, Articles 1 et 2
[203] Aristote, Physique 1
[204] Genève, Labor et Fides, 1975
[205] ARISTOTE De l’âme, la
vie sensible.
[206] Cette question ne peut que surprendre un esprit teinté de
protestantisme. Comment est-il possible de se demander si une autre personne
que le Christ peut se substituer à lui pour accomplir une prédication de l’Evangile
total à l’heure de la mort. La théologie catholique de la communion des
saints n’exclut pourtant pas une telle question. Les amis de Dieu n’y sont
jamais opposés au Christ. Ils font avec lui une seule Eglise céleste. Ceux qui
voient Dieu sont aussi image de Dieu. Ainsi, nous le verrons, il est probable
qu ‘avant l’incarnation du Verbe, les mourants recevaient déjà l’annonce
de l’Evangile. Cela ne se faisait pas par le Christ… mais cela se faisait si
parfaitement que certains déjà se damnaient.
[207] 1 Corinthiens 2, 9 ;
[208] Pas seulement la Vierge Marie, comme une certaine tradition
populaire tend de plus en plus à le dire, s’appuyant sur une méditation du
verso de la médaille de la rue du Bac, mais aussi tous les saints, tous ceux
qui aiment Dieu ici-bas ou au purgatoire et ceux qui le voient face à face dans
l’autre monde.
[209] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa, Question 1
[210] 1 Timothée 2, 5 ;
[211] Jean 15, 13 ;
[212] Genèse 2, 23
[213] DUMOUCH A. Traité des
fins dernières, Op. cit. 24, 6.
[214] Jean 8, 53
[215] Remarque : La prédication de l’Évangile à l’heure de la mort
pourrait-elle être réalisée par Dieu lui-même, à travers la révélation directe
de la vision béatifique ? Non car celui qui voit Dieu, étant en face de
l’essence incréée du bonheur, ne peut qu’être happé par sa présence. Nul ne
peut refuser le bonheur. La liberté de choix, dans cette hypothèse, serait
détruite et l’homme serait introduit dans la gloire non à la suite d’un choix
libre de son amour mais à cause d’une nécessité substantielle de sa nature
faite pour la béatitude.
[216] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia
Question 89.
[217] Jean 14, 9
[218] Voir le Supplementum
de la Somme de saint Thomas d’Aquin
[219] Quant au contenu
des NDE, l’approche analytique avait
permis de fonder une image de la mort comme passage et rencontre. Il semble
même – les auteurs en évoquaient l’hypothèse – que "l’au-delà" vienne
à la rencontre du mourant et s’adapte à lui en quelque sorte, en se laissant
reconnaître doucement, quelquefois par l’intermédiaires de proches décédés, et
en prenant celui-ci tel qu’il est à ce moment précis de son cheminement
psychologique et spirituel. C’est ainsi que la confrontation avec la lumière
prend parfois le clair visage de Jésus... ou même parfois moins clair. Voici le
curieux témoignage d’un ingénieur dans la cinquantaine, rapporté par son
médecin : “Il vit un “ homme barbu ” qui se tenait à l’entrée d’un
couloir doré. Il hochait la tête et lui faisait signe de retourner d’où il
venait. Il disait : “ Pas maintenant, plus tard !. » L’expérience
rendit le patient très heureux. Il me déclara qu’il n’avait plus besoin de
médicaments : “ On ne veut pas de moi là-haut. » Il avait raison car,
après son hallucination, son état de santé s’est rapidement amélioré”[219].
Ce récit, théologiquement vexant, paraît authentique a priori : on se serait
attendu à lire autre chose. Et l’on se demande pourquoi l’identification est
restée aussi vague (par méconnaissance totale du Christ, inhibition, ou
enfouissement dans le subconscient ?). Il
faut évoquer ici une des conclusions du Dr Maurice S. Rawlings, qui rappelle opportunément au
théologien que le passage de la mort n’est pas simplement une rencontre ; il
est tout autant un "jugement" : “Les malades qui font l’expérience de
l’au-delà ne voient pas le paradis ou
l’enfer tels qu’ils les avaient imaginés jusque là. En général, ce qu’ils
découvrent les surprend”[219].
Ce sera sa tâche à lui de voir comment les deux dimensions de
"rencontre" et de "jugement" se compénètrent, et quel est
leur rapport avec le "Purgatoire" et "l’Enfer".
[220] Concile Vatican II, Dei Verbum, 1, 4
[221] Voir Ratzinger et J. M. Nicolas déjà cités
[222] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 82.
[223] Romains 7, 22 ;
[224] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 91 article 6.
[225] Actes 9, 1-12.
[226] 2 Corinthiens 12, 1-9.
[227] SAINT CESAIRE D’ARLES, Commentaire
de l’Apocalypse, Les Pères dans la foi, Desclée de Brouwer 1980 ;
[228] Voir par exemple Mathieu 24 ;
[229] Le jugement dernier dans
l’évangile de Mathieu, Le monde de la Bible n°6, p. 522 ;
[230] Arnaud DUMOUCH, Traité des fins dernières, 1991, 26 et ss. ;
[231] Mathieu 24, 42-51 ;
[232] 2 Théssaloniciens 2
;
[233] 2 Pierre 3, 3-4 ;
[234] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Question 1 article 9-10.
[235] Actes 20, 9
[236] 1Pierre 1, 5 ;
[237] Remarque de Jean-Yves Tarrade, octobre 2006,
http://docteurangelique.forumactif.com/viewtopic.forum ?p=70497#70497
[239] Source : Les évangiles
apocryphes, Textes choisis et présentés par Pierre CREPON, Ed Retz Poche
(1989).
[240] Œuvres complètes
de saint Augustin, volume 22.
Le Livre de l'esprit et de l'âme (à l'attribution
incertaine) commence page 412, et les deux extraits ci-dessous sont à la page
427, au chapitre 15.
[241] BEDE LE VENERABLE A
history of the english Chuch and people, traduction anglaise Leo
Sherley-Price, Harmondsworth, MOODY R. Lumières nouvelles sur la vie après la vie, Paris, Laffont, 1978. Erreur ! Signet non défini.
Voir aussi ROCHCAU V. Essai
d’une lecture chrétienne de « la vie après la vie », en Nova et Vetera, 1980/2, 134-153.
England, Penguin books, 289-293.
[242] Vie de saint Malachie.
[243] Voir l’’ami du clergé, 1932, page 133.
[244] Thomas de Celano (v. 1190-v. 1260), biographe de St François et de Ste
Claire. Vie de sainte Claire, §25-28 (trad. Vorreux, Documents, Éds. Franciscaines
1983, p. 615 rev.)
[245] Actes 10 ;
[246] Faciendi quod est in se, Deus non denegat gratiam ;
[247] SAINT THOMAS D’AQUIN, De
Veritate, 14, 11, 1.
[248] In De Veritate, Ia
IIae, qu. sur la Grâce et le libre-arbitre.
[249] 2 Corinthiens 12, 3.
[250] Lecture de l'évangile de Matthieu,
st Thomas d'Aquin, chapitre 24, traduction Jacques Ménard, éditions du Cerf
2005, Paris.
[251] Recueil d'apparitions de JESUS aux
Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[252] Bienheureux Jan van Ruusbroec (1293-1381), chanoine régulier,
Les Noces spirituelles, 1 (trad. Louf, Bellefontaine 1993, p. 49).
[253] Recueil d'apparitions de JESUS aux
Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[254] LES
DIALOGUES DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE, CHAPITRE VII, 37 De la seconde
accusation, où l'homme est convaincu d'injustice et de faux jugement, en
général et en particulier.
[255] D'après
St Alphonse de Liguori - Les Gloires de Marie - St Paul 1997 - p.60. St Jean de
Dieu, dans "Revue du Rosaire", mars 1981.
[257] Jovanovic Pierre,
Enquête sur l'existence des anges
gardiens, Paris, Filipacchi, 1993, p.116 ; cas tiré des témoignages
rapportés par le Dr William Serdahely
dans le Journal of Near Death Studies,
10/3, Human Sciences Press, London /New York, spring 1992, p.171-182
[258] Recueil d'apparitions de JESUS aux
Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[259] Recueil d'apparitions de JESUS aux
Saints et aux mystiques. Livre édité en 1882 sous le titre : « Divines Paroles ou ce que le Seigneur
a dit à ses disciples dans le cours des siècles chrétiens ».
[260] SAINTE FAUSTINE Journal
de soeur Faustine, édition J. Hovine, 1992, 542.
[261] Petit Journal de Soeur Faustine, Éditions Hovine, 1985, pages 5
à 7, Préface.
[262] Journal de sainte
Faustine, suite.
[263] Mgr D’HULST Lettres de
direction, Paris, 1906, 40-41.
[264] Ibidem 41.
[265] Ibidem 51-52.
[266] Référence non retrouvée ;
[267] Père F.-W. FABER, Extrait ''LE MYSTÈRE DE L'AMOUR
CRÉATEUR'', ÉTABLISSEMENTS CASTERMAN, S. A., ÉDITEURS PONTIFICAUX, PARIS (VIe)
- TOURNAI 1923.
[268] DURWELL F. X. Le Christ, l’homme et la mort,
Médiapaul, 1991, 3ème édition en 1993.
DURWELL F. X. Regards chrétiens sur l’au-delà, Médiapaul,
1994. Voir aussi les articles : Le Père,
Dieu en son mystère, Paris, Cerf, 1987, 238-249.
Une réflexion sur la mort
chrétienne, en Vie
Thérésienne, 1976, nème 64, 252-258.
Le mystère pascal source
de l’apostolat, Paris, édition ouvrières, 1970, chap. 13 :
Le dernier apostolat, 297-320.
La résurrection de Jésus,
mystère du salut, 1ème édition 1950, Cerf, Paris, 248-250.
La
mort vécue, Der Mensch in seinem Tod, Theologie der Gegenwart, 27, 1984, 170-175.
[269] Lettre du 7 septembre 1994.
[270] "Doctrine et vie chrétiennes", de Jean Daujat, Téqui,
Paris, 2003, p 512.
[272] Les trois
sagesses, Ed. Aletheia / Sarment
editions du Jubilé, 1994, p. 281, Nihil
obstat.
[273] RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard 1994.
[274] Lumière du monde ; le pape, l'Eglise et les signes des temps, Entretien
Avec Peter Seewald, Bayard,
26/11/2010, Page 238.
[275] http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/ceremonie-a-rome-intervention-de-benoit-xvi-a-la-television-italienne/00059302
Intervention de Benoit XVI à la télévision italienne, Diffusé le
22/04/2011 / Durée 26 mn
[276] http://lemessieetsonprophete.com/annexes/theologie%20de%20l%27histoire%20et%20augustinisme.pdf
[278]
C. G. Jung, « Ma vie », pages 331 à 337.
[279] MOODY R. La vie après la
vie, Paris, Laffont 1977.
[280] Pommaret
Françoise, Les revenants de l'au-delà
dans le monde tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris,
Editions du CNRS, 1998.
[281] Pommaret
Françoise, Les revenants de l'au-delà
dans le monde tibétain. Sources littéraires et tradition vivante, Paris,
Editions du CNRS, 1998.
[282] HAJA FDAL La mort selon
les enseignements de l’Islam, Rayane édition, Paris 1991, 63.
[283] Coran 4, 159 ;
[284] HUGO Victor Les
contemplations, Paris, Nelson éditeurs, 1856. p. 412.
[285] NICOLAS J. H. Synthèse dogmatique, Op. cit. 600-602.
[286] MOODY R. La vie après la vie, Paris, Laffont,
1977.
[287] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 120 ;
[288] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 161
[289] CHATILLON R. Bulletin de
la société de Thanatologie, Paris, nème41, 1978, 36.
[290] « La vie après la vie
» p. 62 et seq. ;
[291] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 51-59 ;
[292] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 81-82 ;
[293] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[294] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 75-76 ;
[295] « La vie après
la vie » p. 78-79 ;
[296] « La vie après la vie
» pp. 122 à 127 ;
[297] « La vie après la vie
» pp. 8O à 82, 94 et 113 ;
[298] « La vie après la vie
» p. 87 ;
[299] « La vie après la vie
» p. 83 ;
[300] La vie après la vie,
Reportage, Antenne 2, 12 octobre 1988 ;
[301] Op. cit. 750-751 ;
[303], Corinthiens 12, 1-7 ;
[304] RUSSO F. La décorporation,
journal La Vie, nème1798, 23.
[305] Marc 5, 39 ;
[306] Jean 11, 4 et 11 ;
[307] Actes 20, 10 ;
[308] « La vie après la vie », Reportage,
Antenne 2, 12 octobre 1988 ;
[309] Timothée 3, 13 ;
[310] Thèse III-3-2, l’heure de la mort, Question 8, article 7 ;
[311] Saint Thomas d’Aquin,
somme de Théologie Ia, Question 1, article 1 ;
[312] Voir MARITAIN J, La philosophie bergsonienne, Paris, Téqui,
1948 ;
[313] Voir BENOIT 14 De
servorum Dei beatificatione et canonisatione, Prati, 1840 ;
[314] Documentation Catholique, novembre 1995 ;
[315] Voir le Cardinal Journet, Qui
est membre de l’Église ? Nova
et Vetera 36, 193-203. Repris et amélioré dans l’Église du Verbe incarné, tome 2, 2ème édition, 1304-1314 ;
[316] Jérémie 31, 34-35 ;
[317] Jean 20, 29 ;
[318] Voir par exemples les développements magistraux sur ce thème du
Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je
veux Voir Dieu, édition du carmel.
[319] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 94-95 ;
[320] « La vie après la vie
» p. 110 ;
[321] « La vie après la vie
» p. 113 ;
[322] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 60 ;
[323] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[324] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », pp.
132-133 ;
[325] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p.
133 ;
[326] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », pp.
45-46 ;
[327] « La vie après
la vie » p. 113 ;
[328] « La vie après
la vie » p. 106 ;
[329] SAINTE THERESE DE L’ENFANT-JESUS, Derniers entretien, Desclée de Brouwer, 11.
[330] Lumières Nouvelles sur la vie après la vie, « réflexions ».
[331] « La vie après la vie
» p. 81 ;
[332] « La vie après la vie
» p. 110 ;
[333] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 70 ;
[334] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 73 ;
[335] Édition du Scoutisme, Paris, 1946.
[336] « La vie après la vie
» p. 87.
[337] « Lumières Nouvelles dur la vie après la vie », p. 137-138.
[338] Mort et résurrection aux
approches de l’an 2000, Revue de l’Université Catholique de Louvain,
novembre 95, n°63, p. 31.
[339]https://www.facebook.com/messages/1130266895
[340] Les trois sens de l'expression « le
jour du Seigneur » chez saint Thomas d'Aquin, commentaire de I
Corinthiens III, 15 : « Mais on appelle jour du Seigneur le temps où la volonté du
Seigneur s’accomplira à l’égard des hommes, qui seront alors, selon les règles
de la justice de Dieu, récompensés ou punis, suivant cette parole du Psalmiste
(LXXIV, 3) : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices. Donc,
comme il y a un triple jugement de Dieu, on peut distinguer un triple jour du
Seigneur. a) En effet, il y aura un jugement général pour tous (Matthieu XII,
41) : « Les hommes de Ninive s’élèveront au jour du jugement ;"
dans ce sens, le jour du Seigneur est le dernier jour du jugement, dont S. Paul
dit (II Thess., II, 2) : « Ne vous laissez pas effrayer, comme si le jour du
Seigneur était près d’arriver. » Ainsi entendues, ces paroles : « Le
jour du Seigneur le fera con naître, » s’expliquent de cette manière :
au jour du jugement sera manifestée la différence des mérites humains (Rom.,
II, 16) : « En ce jour où Dieu jugera ce qui est caché dans le coeur des
hommes. » b) Il y a un autre jugement particulier qui a lieu pour
chacun au moment de la mort. Luc dit de ce jugement (X, 22) : « Le riche
mourut, et il fut enseveli dans les enfers ; le pauvre mourut aussi, et il fut
porté par les anges dans le sein d’Abraham." Dans ce sens, on peut
entendre par "jour du Seigneur" le jour de la mort, selon
cette parole de la première épître aux Thessaloniciens (V, 2) : « Le jour du
Seigneur viendra comme un voleur au milieu de la nuit." Ainsi donc, « Le
jour du Seigneur le fera connaître," parce que c’est à la mort que
sont manifestés les mérites de chacun. C’est de là qu’il est dit (Prov., XI,
17) : « la mort du méchant, il ne restera plus d’espérance ;" et au
même livre (XIV, 32) : « Mais le juste espère même dans la mort. »
c) Enfin il y a pendant la vie un troisième jugement : il a lieu quand Dieu
éprouve les hommes par les tribulations de la vie. C’est ainsi qu’on lit
(ci-après, XI, 32) : « Lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous
reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. » Dans
ce sens, on appelle jour du Seigneur le jour passager de la tribulation, dont
il est dit (Soph., I, 14) : « Voix amère du jour du Seigneur, tribulation
pour les forts. » – "Le jour du Seigneur le fera donc
connaître, » parce que le coeur de l’homme est éprouvé dans le temps
de la tribulation (Ecclésiastique XXVI, 6) : « La fournaise éprouve les vases
du potier, et la tribulation les hommes justes. »
[343] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 3, art. 8 objection 1.
[344] Exode 33, 20.
[345] Job 34, 26.
[346] 1 Jean 3, 2.
[347] Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier 1336) « La foi catholique », page 511.
Le discours après la Cène nous éclaire sur la nature de cette
vie. « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent toi. Le seul véritable Dieu
et ton envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17, 3). Qu’ils te connaissent. Le sens
biblique de ~ connaître « est beaucoup plus fort que celui du langage courant.
II ne s’agit plus d’une simple connaissance intellectuelle, il s’agit d’une
connaissance par expérience de vie et de vie commune.
[348] Livre de l’exode 34, 18
[349] Psaume 79 verset 20.
[350] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae q. 3 article 8.
[351] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae Q3 article 8.
[352] Isaïe, chapitre 56, verset 7
[353] Urs von Balthazar montre que la personne humaine n’a de sens au
plan théologique que par sa mission qui n’est pas naturelle mais surnaturelle,
marqué par ce qui l’oriente vers la vision de Dieu. Dramatique, 2, 2. C’est
l’objet de la totalité de ce livre.
[354] Voir notre traité, Question 11.
[355] Colossiens I, 16.
[356] Jean 17, 24.
[357] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia q. 8, Q. 1, Article 3.
[358] Luc 18, 17.
[359] Luc 2, 52.
[360] Psaume 91, 11, 12. Ia q 44 article 4.
[361]Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia pars q 62 article 5.
[362] Matthieu 18, 10.
[363] Voir aussi CH. JOURNET « L’aventure des anges », p. 127 NOVA ET VETERA s 58 / 2.
[364] Judith 16, 14.
[365] La théologie du Père Teillard de Chardin veut expliquer le sens
de la création par l’ordre et l’harmonie évolutifs qui y règnent et qui
trouvent leur achèvement dans l’homme devenu Dieu, le Verbe Incarné. Le
principe d’une telle théologie, si on la regarde d’une manière abstraite des
éléments scientifiques discutables qu’elle assume, est valable mais
insuffisant. L’ordre de la création trouve sa pleine justification dans la
tension vers l’amour et la contemplation de Dieu.
[366] Romains 8, 19.
[367] Romains 5, 12.
[368] Cet argument est de saint Thomas lui-même.
[369] Voir la pars Question 90 à 102 : les origines de l’homme.
I Constitution apostolique « Munificentis Deus », Pie
XII, 1950. 1. Voir aussi « Mortalité ou immortalité du premier homme créé par
Dieu ? » Nouvelle Revue Théologique 1
p. 1043ss.
[371] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIIa Question l00 article 2, Respondeo.
[372] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIa pars Question 1 article 3.
[373] Voir « L’oeuvre des six jours », Ia pars Question 73 art 2.
[374] Genèse 6 et 7.
[375] Voir par exemple Josué 7.
[376] Voir ce traité, Question 7.
[377] Job 38, 12.
[378] article 7
[379] Osée 2, 16.
[380] Exode 19, 21.
[381] Voir ce traité, Question 8.
[382] Gérard CHOLVY : Du Dieu
terrible au Dieu d’amour : une évolution de la mentalité religieuse,
Communio, tome XI 3-mai-juin l986.
[383] Traité du Verbe incarné, saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa pars Question 1
article 4.
[384] Épître aux Colossiens I, 15.
[385] 1 Jean 3, 1.
[386] Traité de la Trinité chapitre 13.
[387] Sermons sur la nativité du Seigneur n° 371.
[388] Rudiments de Catéchisme, Chap. 4.
[389] Véritable, c’est-à-dire pleinement conforme à son objet.
[390] Actes 3, 1
[391] Concile Vatican II, Lumen Gentium, 485.
[392] QUEL AVENIR POUR L’HOMME
? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint.
[393] Saint Jean 14, 9.
[394] Éphésiens I, 4.
[395] Éphésiens I, 7. Et, dans la liturgie de Pâques : « bienheureuse
faute qui nous valut un tel Sauveur. »
[396] Genèse. 2, 8.
[397] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Traité des Anges, Ia Question s 54 et 55.
[398] Jacques 4, 6.
[399] Matthieu 11, 29.
[400] Saint Paul.
[401] Jean 15, 13.
[402] Paris, 1972.
[403] Voir aussi de MADELEINE DELBREL • Dieu est mort Vive la mort, p. 226.
[404] Vision ? Amour ? Union amoureuse dans la vision ? Il sera donné
ultérieurement explication à notre utilisation du mot « vision » plutôt que
celui d’amour. (Question 5, article 10). A propos du terme « Vision », certains
lecteurs pourraient être provisoirement choqués en pensant que le paradis
consiste à « aimer » Dieu plutôt qu’à le voir. Nous verrons que cette remarque
est sans fondement (Question 5, article 105. Balthasar résout cette controverse
ainsi : « En fait, la béatitude éternelle ne peut consister que dans la vision
aimante de l’amour, car qu’y aurait il d’autre à Voir en Dieu, et comment
l’amour pourrait-il être contemplé autrement que dans la communion d’amour ? »
(L’amour seul est digne de foi », Aubier-fontaigne 1966, p. 178).
[405] Jean I, 18.
[406] Homélie 14 sur saint Jean.
[407] Matthieu 22 30.
[408] Théologie Mystique, Chap. 1.
[409] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Voir Supplementum de
la Somme, Question 92, article 1.
[410] Psaume 35, 10.
[411] 1 Corinthiens 13, 12.
[412] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[413] La contemplation philosophique ou théologique peut au contraire
subsister sans la présence de cette grâce d’amour comme on le voit chez
certains savants spéculatifs mais éloignés de l’oraison.
[414] Psaume 34, 89.
[415] La contemplation mystique est pourtant déjà une grâce
entièrement surnaturelle. Comparée à la vision béatifique elle est comme une
pâle lueur dans la nuit, sans commune mesure avec l’éclat du plein soleil.
[416] 1 Corinthiens 2, 9.
[417] Voir l’article 5.
[418] Jean 14, 6.
[419] Jean 14, 8.
[420] Jean 3, 35.
[421] Colossiens I, 16.
[422] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[423] Apocalypse 4. Ou, d’après Saint Thomas, celle qu’eût Saint Paul
sur le chemin de Damas. Il vit des choses qu’il n’est pas donné à l’homme de
connaître.
[424] 2 Corinthiens 12, 4.
[425] 1 Corinthiens 15, 24-28.
[426] Apocalypse 12, 23.
[427] Job 19, 26.
[428] Jean I, 17.
[429] Voir l’essence de Dieu face à face : voici un abîme qui n’a pas
manqué d’enflammer la conscience des grands théologiens chrétiens. Le Fini
peut-il Voir l’infini ? Ce même paradoxe se reflète, au cours de l’histoire de
la théologie, dans les positions contraires de Grégoire Palamas et du Pape
Benoît XII. D’un côté, chez Palamas, la distinction entre l’essence (ousia)
divine, inconnaissable en soi, et ses rayonnements incréés (energiai) apportera
une solution au problème. Il écrira que « l’illumination ainsi que la grâce
divine et déifiante ne sont pas l’essence, mais seulement l’énergie de Dieu »
et que « Dieu n’est pas appelé lumière d’après son essence, mais d’après son
énergie » Palanas s’appuie sur une longue préhistoire, qui débute avec la
violente réaction des Cappadociens et de Jean Chrysost. contre le rationalisme
vulgaire d’Eunome, affirmant que nous connaissons Dieu aussi bien qu’il se
connaît lui-même, et se poursuit dans les formules de la théologie négative de
Diadoque de Photicé, Denys et Maxime le Confesseur. De l’autre côté, il y a, à
la suite aussi d’une longue préhistoire (d’Origène à Jean XXII en passant par
saint Bernard) du rejet de l’idée de la vision béatifique avant la résurrection
à la fin de monde, la position affinée par la définition de Benoît XII (DS
1000) d’après laquelle, depuis l’Ascension du Christ, les âmes des justes (une
fois accomplie la purification éventuellement nécessaire) « voient l’essence
(essentia) divine dans une vision intuitive et face à face.
[430] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
Question 92, article 1.
[431] Epitre à Dorothée.
[432] Constitution dogmatique « Benedictus Deus », La foi
Catholique, G. Dumeige, p. 511.
[433] Cette conclusion est reprise en grande partie de la question
92, article 1.
[434] On peut consulter avec fruit pour cette question Balthasar H.
U., La dramatique divine IV « le
dénouement » Culture et Vérité, Namur, 1993p. 389 à 428. « Il ne suffit donc
pas de décrire la vie de grâce sous forme de « présence » et « habitation »
particulière des Personnes du Fils et de l’Esprit envoyés par le Père dans les
âmes des justes ; cette habitation a pour but de faire participer l’homme aux
relations des Personnes et l’on sait que celles-ci n’existent qu’en tant que
relations subsistantes. »
CHEVALIER I., Saint
Augustin et la pensée grecque. Les relations trinitaires, Fribourg, 1940.
RUELLO F « Une source probable de la théologie trinitaire de
saint Thomas » RSR 43 (1955), 104-128.
[435] « Il ne s’agit pas d’une plénitude arrêtée, mais d’une
plénitude qui progresse à l’infini dans l’inépuisable merveille de l’Être qui
est Dieu et qui se révèle dans toute créature devenue transparente au Créateur.
Comme celui qui a acquis l’habitus d’une science déterminée peut toujours
élargir les horizons de son savoir grâce à cet habitus, ainsi la Lumière de la
gloire, nous permettant de connaître comme Dieu connaît, nous ouvre
progressivement à l’infini. Si déjà la connaissance des créatures se révèle dès
maintenant inépuisable, tels les mystères du monde infra-atomique ou de
l’espace incommensurable, combien plus la vision plénière des créatures dans le
Créateur sera nouvelle et surprenante dans toute l’éternité. » Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 50.
[436] Aristote, De Anima, 3.
[437] Apocalypse 22 5.
[438] 1 Jean 3, 2.
[439] 1 Corinthiens 2, 9.
[440] Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 5 article 6.
[441] Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 5 article 7.
[442] Jean I, 17.
[443] Psaume 83, 12.
[444] De la foi orthodoxe,
livre 3, chapitre 19.
[445] Q. 1, Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 3 article 4.
[446] Q. 1, Article de saint Thomas, Somme théologique, Supplementum,
Question 92, article 2, avec quelques ajouts.
[447] Notre traité, Question 8, l’heure de la mort.
[448] Pour que ce traité soit complet et parfaitement structuré, nous
reproduisons, parfois in extenso, des questions et des articles que saint
Thomas a pu traiter de manière mature avant sa mort. Ici, il s’agit de la
question 67 de la Somme de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae.
[449] Ecclésiaste 1, 2.
[450] Luc 6, 38.
[451] Matthieu 22, 30.
[452] Sagesse 1, 15.
[453] 1 Corinthiens 13, 8. 9.
[454] Luc 16, 25.
[455] 1 Corinthiens 3, 11.
[456] 2 Corinthiens 5, 6.
[457] Hébreux 11, 1.
[458] Ecclésiastique 24, 21.
[459] 1 Pierre 1, 12.
[460] Romains 8, 24.
[461] Proverbes 1, 33 Vg.
[462] Éphésiens 1, 18.
[463] Psaume 36, 10.
[464] 1 Corinthiens 13, 10.
[465] 1 Corinthiens 13, 8.
[466] Q. 1, Article de saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 68,
article 6.
[467] Isaïe 11, 9.
[468] 1 Corinthiens 15, 28.
[469] Jérémie 31, 34.
[470] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, IIa Question 69 article 2.
[471] Apocalypse 12, 3
[472] Marc 10, 30.
[473] Confession 12,
[474] Voir Question 50.
[475] Saint Paul aux Galates 5, 22.
[476] Apocalypse 22, 1 et 2.
[477] Non seulement l’homme aspire au bonheur infini, mais encore il
communie actuellement à une joie qui s’accroît indéfiniment en proportion de
son amour. La joie est une valeur qui dépasse les limites de la matière, de
l’espace et du temps. Le chrétien est justement appelé à se rendre compte de ce
jaillissement qui est déjà annonce de la vie éternelle. « Le chrétien
devra fouiller tout son être et ses expériences accumulées pour y trouver la
présence du Ciel. ce doit être là l’exercice principal de toute vie
spirituelle. » Ladislas BOROS, le
paradoxe Chrétien, O. C. p. 148.
[478] Q. 1, Article de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Question 4, article 2.
[479] 1 Corinthiens 13, 13.
[480] Voir à ce sujet, BALTHASAR H. U., « L’amour seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, p. 178 : « Ainsi
s’apaise tout simplement la controverse autour de la question suivante : la
béatitude consiste-t-elle dans la vision ou dans l’amour. En fait, elle ne peut
consister que dans la « vision aimante de l’amour, car qu’y aurait-il d’autre à
voir en Dieu, et comment l’amour pourrait il être contemplé autrement que dans
la communion d’amour ? »
[481] Saint Paul dira que cette participation à la vie divine est
purement et simplement le « mystère » C’est une « sagesse cachée » « qu’aucun
des princes de ce monde n’a connue. » elle est « ce que l’œil n’a point vu, ce
que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme mais
que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment », c’est-à-dire le don de cet Esprit
« qui scrute tout jusqu’aux profondeurs divines », parce qu’il « vient de Dieu
» Et la prédication de Paul est elle-même, en que telle « un langage enseigné
par l’Esprit, exprimant en termes d’esprit des réalités d’esprit. » Balthasar H. U., La
dramatique divine 4, p. 387.
[482] Matthieu 25, 46.
[483] Sagesse 8, 16.
[484] interminabilis vitae tota
et simul et perfecta possessio, De consolatione philosophiae, 5, 6.
[485] A propos de la lumière de gloire, consulter Balthasar H.
U., La dramatique divine, 4, « le
dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p. 361 :
« Mais, cette transparence divine étant celle de l’Être
infini qui se trouve être aussi une liberté infinie, on ne saurait la concevoir
autrement que comme l’ouverture d’espaces sans limites. Parler ici de « visio
Dei », alors que Dieu n’est jamais un objet saisissable en sa plénitude, c’est,
en toute hypothèse, une description insuffisante et unilatérale. Si l’on veut
garder cette catégorie de « vision », on doit alors parler dialectiquement de
présence suprême de ce qui dépasse toute compréhension. On conclura donc que,
même si Dieu se donne à contempler par sa propre species dans le « lumen
gioriae » en tant que « medium deducens », il ne peut, même au Ciel, être
contemplé pleinement et en saisie totale, c’est-à-dire comprehensive. Les Pères
grecs insistaient volontiers sur cette impossibilité de connaître l’essence
divine même au Ciel, et la position de Scot Érigène, selon laquelle Dieu ne
peut être vu qu’à travers des théophanies est une exception dans la scolastique
qui, depuis Augustin, admettait une vision immédiate et totale. C’est saint
Albert le Grand qui trouva, dans une « géniale interprétation », la synthèse de
l’Orient et de l’Occident en faisant de la théophanie grecque la lumière de foi
entendue dans le sens d’un « medium confortans videntem »
[486] Voir aussi : « Dieu lui-même sera notre joie. Dans sa lumière
inaccessible, il nous donnera accès à la vue de sa gloire. Alors, nous boirons
la Vie à sa source même, dans la Trinité, auprès du Père, par le Fils, dans
l’Esprit-Saint. » Proposition de foi des
évêques de France, 1978, Documentation Catholique n° 1073.
[487] Psaume 35, 10.
[488] Deutéronome 30, 20
[489] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae Question 110, article 1 objection 2.
[490] Apocalypse 12, 23.
[491] Baruch 5, 9
[492] 1 Jean I, 5.
[493] Psaume 19, 9.
[494] Saint Thomas, Somme
théologique, Supplementum
Question 92 article 1 objection 8.
[495] Théologie Mystique, I.
[496] Saint Thomas, Somme
théologique, Supplementum
Question 92 article 1 objection 15.
[497]… et non seulement une union affective et lointaine comme
ici-bas.
[498] Concile de Vienne Constitution « Ad nostri qui » du
06/05/1312.
[499] Voir Ia IIae, Question 113, a. 3.
[500] Jean 6, 45.
[501] Jean 6, 45.
[502] Voir la question 18 qui leur est entièrement consacrée.
[503] Matthieu 5, 8.
[504] Voir dans le livre de la Sagesse au chapitre 2.
[505] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae, Question 5, a. 7.
[506] Romains 4, 6.
[507] Jean 13, 7.
[508] De Caelo 12, 3 (292
a22).
[509] Matthieu 13, 52.
[510] Matthieu 11, 29.
[511] Matthieu 5, 3.
[512] 1 Pierre 5, 5.
[513] Concile Vatican II, les
religions non chrétiennes.
[514] Livre de la pénitence.
[515] Voir dans la Somme
théologique, humilité, IIa IIae, Question 161, 1.
[516] Tout au long de ce traité, il faudra
distinguer l’humilité-vérité sur soi-même et les autres, de l’humilité-anéantissement
de soi, kénose.
[517] 1 Corinthiens 1, 25.
[518] Jean 13, 15.
[519] Philippiens 2, 6.
[520] Matthieu 6, 21.
[521] Hébreux 5, 8.
[522] Dernier article de cette question.
[523] Le purgatoire des âmes errantes (rarement), le purgatoire du
jour du Seigneur (la parousie du Christ), les trois purgatoires mystiques
décrits par sainte Catherine de Gênes. Tous sont marqués par une propriété
commune : la souffrance.
[524] Méditation sur la
souffrance, 11 février 1984. Seul le pape Jean-Paul II, suite aux
souffrances terribles après l’attentat de 1981, s’estima en droit d’en parler.
[525] Matthieu 21, 31.
[526] Cela ne veut pas dire qu’il faut devenir prostituée !
[527] Matthieu 19, 30.
[528] Matthieu 19, 24.
[529] Au XIXème siècle, au nom de cette théologie,
certains patrons se servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en
esclavage des ouvriers. On voit à quel point le message évangélique porte en
lui du scandale pour la sagesse naturelle de chacun.
[530] Voir dans la Somme
théologique, humilité, IIa IIae, Question 114, 2.
[531] Romains 4, 23.
[532] Tel est l’intitulé de saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique pour cette question
très discutée dans l’histoire de l’Église. Sa réponse est non, l’argumentation
étant appuyée sur un texte de l’épître aux Romains 6, 23 : « La grâce de Dieu,
c’est la vie éternelle. » La réponse ne fait que développer cet enseignement :
Pour obtenir un bien, il faut être proportionné à ce bien. Or le bien de la vie
éternelle étant surnaturel, seule une grâce d’ordre surnaturel peut la mériter.
Ceci est valable pour toute créature spirituelle, ange ou homme, d’une
nécessité de nature. Saint Thomas d’Aquin précise dans d’autres parties de sa
Somme (Ia IIae Question 109ss) ce qu’il entend par grâce surnaturelle : il
s’agit selon lui de la grâce sanctifiante qui surélève l’âme pour la rendre
capable des actes de foi, d’espérance et de charité.
[533] Romains. 6, 23.
[534] Psaume XXXVI, 39.
[535] Romains 1, 20.
[536] Romains 10, 14 et 15.
[537] Hébreux 11, 6.
[538] Marc 14, 16.
[539] Ecclésiastique 3, 25.
[540] Psaume 98, 3b.
[541] Hébreux 11, 6.
[542] Voir « La foi Catholique », G. Dumeige, pages 9 et 10 ; Il est
aisé de deviner où peut conduire une interprétation rigide d’un tel texte qui
fait pourtant partie du Magistère de l’Église par reconnaissance unanime des
Pères. Faut-il admettre la damnation de tous les incroyants et de tous les
mal-croyants ? Avant de se pencher sur ce problème, il convient de montrer
pourquoi une telle foi explicite est, de fait, nécessaire au salut.
[543] « Je suis le chemin, la vérité, la vie », Jean 14, 6.
[544] 1 Pierre 3, 19.
[545] Le péché contre l’Esprit Saint : le refus de croire malgré
l’évidence.
[546] Bibliographie pour cet
article : Somme théologique,
Crainte. De la crainte considérée en elle-même : Ia IIae Question 41. L’objet
de la crainte : Ia IIae Question 42 De sa cause : Ia IIae Question 45 ; De
ses effets. Ia IIae Question 44 ; Du don de crainte qui répond a l’espérance.
IIa IIae Question 19 ; Du vice de la crainte IIa IIae L’espérance : De
l’espérance considérée en elle-même : IIa IIae Question 17 ; Du sujet de
l’espérance : IIa IIae Question 18 ; De l’espérance et du désespoir considérés
comme des passions de l’irascible : Ia IIae Question 40 ; Toutes les formes de
l’espérance chrétienne sont longuement étudiées et non seulement comme ici,
l’espérance théologale informe.
BALTHASAR H. U. La
dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité 1993, p. 122-159.
[547] 1 Corinthiens 2, 9.
[548] Le caractère proprement théologal de l’espérance apparaît
pleinement à la considération de sa dimension subjective. On doit parler de la
folie de l’espérance, au sens où Paul parle de la folie du message (cf. I
Corinthiens I, 22). Car espérer, au sens chrétien, c’est attendre Dieu de Dieu.
Celui qui espère, espère pour soi la béatitude parce qu’il s’appuie sur l’aide
de Dieu. Car ce qui permet la folle audace de l’espérance : compter participer
à la fruition de Dieu lui-même, c’est la certitude de l’appui de Dieu
Tout-Puissant. Georges COTTIER, o. p. Communio, ni. 9, 4, juillet-août 198, page 4 : « J’attends la
résurrection des morts et la vie du monde à venir.
[549] Hébreux 6, 19 ;
[550] Voir dans ce traité la Question 8.
[551] Voir la question 11 a. 5 du présent traité.
[552] Voir à cet égard le livre très important de Hans Urs von
Balthasar : « L’amour seul est digne de foi », Aubier-Montaigne 1966, en particulier
le chap. 7 : l’amour comme justification. Tout l’esprit de notre propre étude
se trouve résumé dans ce livre.
Bibliographie : relire à ce sujet l’entretien avec Nicodème N.
R. T, 195fi n°4, p. 13ss.
Voir dans la Somme
théologique :
Charité. IIa IIae Question 25 à 51.
Grâce. Ia IIae Question 109 ss.
La justification. Ia IIae Question 114-115.
Dans la revue Communio :
JUSTIFICATION. Articles : André Manaranche « Justification
divine et justice politique » (III 2 p 13-30). Carlo Cattarra, Distinguer pour
justifier). (VI 2 p. 26-34) ; Georges Chantereine : La femme privée do l’Esprit
: un aspect de la pensée de Luther (VII 4 p. 45-46). Passages : 1, 5, p. 19 ;
1, 6, p. 20 ; 3, 2 p. 29 ; 3, 3 p. 43, 44-46 ; 3, 4 p. 13 ; 5, 3 p. 27 ; 9, 2
p. 105-108 ; 10, 2 p. 23-24.
[553] Exode 3, 8 ;
[554] Jean 14, 23.
[555] Jean 14, 23.
[556] 1 Pierre 3, 19.
[557] Matthieu 10, 35.
[558] Luc 9, 24.
[559] Voir, dans ce traité, les questions sur le purgatoire.
[560] Marc 15, 16.
[561] Jean 7, 51.
[562] Luc 22, 43.
[563] Voir l’article de Charles Journet « Hors l’Église, pas de salut
» Nova et Vetera, 1949/1, p. 63. On y trouvera une bibliographie
Voir aussi « Lettre du Saint Office à Mgr Cushing, Archevêque de
Boston, 8 août 1949 : Hors l’Église, pas de salut »
Dans la Somme théologique,
le baptême :
Du baptême du Christ, Du sacrement de Baptême, Supplementum-
Sacrements. En quoi consistent les Sacrements, Supplementum, De leur nécessité-De leur
effet principal-De leur caractère.
[564] Matthieu 14, 17.
[565] Question 4.
[566] Luc 20, 36.
[567] Matthieu 5, 45.
[568] cf. I Jean 3, 2.
[569] Cette deuxième partie a pour but d’établir le plus précisément
possible ce que nous vivrons au terme de notre pèlerinage sur la terre. La mort
(1) qui vient séparer notre âme de notre corps, nous laisse démunis et
fragiles. C’est le moment que choisit le Christ pour nous montrer sa gloire.
Nous voyons son Sacré Cœur (2), nous comprenons son amour et le pourquoi de
notre vie terrestre. Nous sommes invités alors à choisir de l’aimer en retour
et de renoncer pour toujours à toute forme d’égoïsme. Notre choix est libre et
Jésus le respectera toujours (3). Celui qui choisit, dans la logique de sa vie
passée, de rejeter son Dieu (4), s’établit lui-même (5) en enfer (6) ; celui
qui se tourne vers son Sauveur reçoit la promesse d’entrer dans la Vision
béatifique (7). S’il lui reste quelque attachement à lui-même, in s’en libèrera
par l’amour assoiffé qui règne au purgatoire(8).
(1) question 8 ; (2) question 8 ; (3) question 10 ; (4) question
11 ; (5) question 13 (6) Question 12 (7) questions 1 et ss ; 20, 2I, 22, 23,
24. (8) questions 15, 16, 17.
[570] Jean 5, 29.
[571] Voir les questions sur la fin du monde, à la fin de ce traité.
[572] Le Nouveau Testament laisse une place importante à une
eschatologie politique mais nul ne peut la comprendre qu’en discernant qu’elle
est entièrement assumée, portée, finalisée par l’eschatologie de chaque
personne. Notre plan montre que nous maintenons un passé, présent et futur
dépendant du Christ déjà venu, qui se racontent comme un gigantesque drame
centré sur l’évènement glorieux final qui révèlera à tous le sens du premier
avènement douloureux.
[573] Apocalypse 3, 12.
[574] Le mot « âme », en
tant que porteur d’un aspect fondamental de l’espérance chrétienne, est donc
considéré comme faisant partie du langage fondamental de la foi, ancré dans la
prière de l’Église, et indispensable à une vraie communion dans la réalité de
cette foi. Aussi les théologiens ne peuvent-ils pas en disposer à leur gré.
[575] Dans la Somme théologique,
voir : âme. De l’âme en général. Ia Question 87 à 90.
[576] Voir Ecclésiastique, 3, 16-22. 10, 4-10.
[577] Genèse 3, 19.
[578] Voir aussi Job 14, 1-22.
[579] Bulle « Apostolici Reginimus » de Léon X, 1513.
[580] Voir Somme théologique,
Ia Question 75, a. 2.
[581] Voir notre traité, Question 9 article 4.
[582] Commentaire littéral du livre de la Genèse, Chap. 32.
[583] La vie après la vie,
docteur Moody, Robert Laffont, 1977 page 35.
[584] Voir docteur Kenneth King.
[585] Voir l’étude du bouddhisme tibétain.
[586] Luc 10, 27.
[587] 2 Corinthiens 12, 1-4.
[588] La Recherche, juin
1989, n° 21, p. 800-802.
[589] Psaume 103.
[590] Genèse 3, 19.
[591] Josué 23, 14.
[592] Psaume 48, 7-15.
[593] Psaume 88, 49.
[594] Qohélet 1, 2 et 6, 6.
[595] Romains 7, 24.
[596] Romains 5, 12.
[597] Genèse 2, 17.
[598]Question 1, article 6.
[599] Questions 39, 40.
[600] Luc 17, 22.
[601] Genèse 4, 22.
[602] Luc 16, 24
[603] 2 Corinthiens 12, 7.
[604] 1 Corinthiens 15, 51.
[605] Théologie de l’au-delà,
Fribourg Université, Suisse, 1980, p. 13.
[606] Jean 11, 25.
[607] Luc 12, 39.
[608] Du même coup, le problème de la mort apparente et de la mort
réelle s’est posé.
[609] Bien que celle-ci ne puisse plus manifester l’exercice de ses
capacités spirituelles au moyen du corps. Il faut aussi distinguer le cas de
ces personnes avec d’autres dont on peut maintenir indéfiniment une apparence
de vie qui, en fait, n’est plus qu’un fonctionnement mécanique des organes
alimentés en oxygène et nourris par transfusion. Ils ne présentent plus d’unité
vitale mais une simple juxtaposition de fonctions végétatives plus ou moins
concordantes. Ce signe indique l’absence du principe vital unificateur.
[610] Voir Docteur Raymond MOODY, La
vie après la vie, Paris, 1980. Voir aussi les études du Docteur Kübler-Ross
sur les expériences de mort approchée (N. D. E. Near Death Experience).
Ces considérations peuvent nous paraître assez étranges dans une
analyse théologique, mais il n’est pas superflu d’en tirer une conclusion
importante pour notre étude : le processus qui amène à la situation
irréversible de la mort ne semble pas s’opérer instantanément. Son déroulement
complexe et en partie mystérieux semble s’étendre sur une longueur de temps
considérable, même s’il n’est plus mesurable selon nos catégories.
Si l’on veut concevoir la mort comme la situation qui se
détermine là où la vie se retire de l’organisme humain, on devra admettre que
cela se fait, normalement, avec une certaine lenteur. Ces cas de réanimation,
et peut-être un jour les cas des hibernés réveillés, montrent que celui qui
revient à la vie a parcouru seulement une partie du tunnel qui est le processus
de la mort, une partie qui paraît déjà coïncider avec la mort, mais qui n’est
pas la mort, puisque l’on peut justement en revenir. Ceci nous montre la
complexité du phénomène et le mystère qui l’entoure encore et qui ne sera pas
dévoilé sur terre d’un point de vue médical, car on ne peut pas avoir une expérience
scientifique d’une situation dont on ne revient pas.
[611] En 1966, l’Académie de Médecine a donné une nouvelle définition
des signes de la mort certaine : si la trace électro-encéphalographique est
rectiligne, ce qui manifeste la disparition de tout courant électrique, dans
l’état actuel de la science, on peut affirmer au bout de 48 heures que le sujet
est mort.
[612] Nous employons l’expression « l’homme » et non « l’âme » pour
signifier que la séparation d’avec le corps n’est pas faite. C’est l’homme tout
entier-corps et âme-qui vit ces évènements.
Dans une série d’études très remarquées et très discutées sur
cette question, le cardinal Billot a donné au passage un très bel exposé de la
théologie thomiste de l’Enfer. Prenant son point d’appui sur cette étude, Mgr
Glorieux a soulevé un autre problème. Lorsqu’un pécheur paraît obstiné, si loin
de Dieu qu’il semble comme virtuellement damné, ne doit-on pas penser qu’il y a
encore pour lui la possibilité d’accueillir certaines grâces au moment de la
mort ? Du même coup, le problème de la mort apparente et de la mort réelle
s’est posé. L’influence de la philosophie existentialiste a fait mieux
comprendre comment l’homme, qui est esprit, se construit lui-même en ce sens
que les options particulières qui jalonnent sa vie donne à celle-ci une
orientation sans que pour autant celle-ci, surtout dans le mal, soit
définitive. Finalement, le problème de l’éternité des peines a conduit à cet
autre : peut-on être damné pour un péché mortel ? La théologie du péché, la distinction
entre les péchés, la purification du péché en cette vie ou dans l’autre vie
sont aujourd’hui un problème théologique plus actuel que celui du feu de
l’enfer ou de l’éternité des peines. L’homme, image de Dieu, est paru à la
découverte de son âme, et de sa relation avec le créateur par la médiation de
Jésus-Christ et de l’Église. L’eschatologie n’est pas un domaine séparé, on ne
peut en traiter sans toucher à mille autres choses.
[613] Lettre à l’évêque de
Tuscullum, 06 mars 1254 ;
[614] Luc 16, 31.
[615] Marc
16, 16.
[616] H-U von Balthasar, Théodramatik 4, ibid. 268-270. Les
citations de ce texte sont tirées du commentaire de la première lettre de saint
Jean par Adrienne von Speyr, alors que la note en bas de la page fait référence
à Mechtilde de Magdehourg. La mystique du Moyen Age y décrit comment le Père
céleste s`approche d’une âme chargée de péchés et lui dit : « Ai-je seulement
trouvé quelque chose de bien en toi ? »
[617] Isaïe 52, 10.
[618] Matthieu 24, 14.
[619] Journal de sœur Faustine,
édition J. Hovine, p. 542.
[620] Concile de Trente,
Décret sur La justification, Ch. 5.
[621] Idem Chapitre 6, « La foi
catholique », p. 347.
[622] Voir par exemple : la constitution Benedictus Deus de
Benoît XII, FC page 511
[623] Voir ce qu’en dit saint Paul aux
Romains.
[624] Voir la lettre d’Innocent IV à l’évêque de Tusculum (6 mars
1254), « La foi catholique » page
608. La solution de saint Augustin qui consiste à admettre la damnation
éternelle des païens qui, sans faute de leur part, meurent sans la grâce, des
enfants morts sans baptême etc. ne peut être retenue car, tout en tenant compte
de 1 et 2, elle ne tient pas compte de 3. De même, la solution de Luther qui
prétend que la foi seule suffit pour le salut ne peut être retenue car elle ne
tient pas compte de la solution 6. Quant à la thèse de Calvin qui enseigne que
Dieu prédestine certains à l’enfer, elle est indigne.
[625] L’OPTION
AU MOMENT DE LA MORT. Diverses thèses concernant l’heure de la mort et
l’orientation qui l’accompagne vers l’enfer ou le paradis ont été soutenues.
Lorsqu’on parlera du jugement particulier, on reviendra sur la thèse de
l’option définitive dans la mort qui a été émise par plusieurs théologiens
(Glorieux, Boros). Nous situons dans ce tableau les différentes possibilités
que présentent les thèses suivantes à la question de l’option avant et après la
mort :
LA
THESE CLASSIQUE
Elle affirme que l’homme peut opter et toujours changer
d’orientation pendant sa vie terrestre car ses choix restent toujours
imparfaits, vu son inaptitude à saisir la plénitude du bien. Lorsque par la
mort l’âme se sépare du corps, celle-ci reste fixée dans le dernier choix
accompli pendant la vie terrestre et ne peut plus s’en séparer.
Difficultés de cette
thèse : la doctrine classique peut nous laisser
déconcertés lorsqu’elle affirme que l’âme est fixée dans le dernier choix
accompli par l’homme pendant sa vie. Ce choix entraîne en effet des
conséquences éternelles ; il devrait donc être parfaitement lucide, ce qui
n’est pas le cas sur terre. L’âme subirait donc un choix qu’elle n’aurait pas
pleinement voulu ? Cette thèse s’oppose aussi à la foi qui dit que le salut est
explicitement proposé à tout homme durant sa vie.
LA THESE DE BOROS
Elle tâche donc d’éliminer cette
contradiction en affirmant que le choix de l’homme, pour entraîner des
conséquences éternelles, doit être parfaitement lucide, comme celui de l’ange.
On cite saint Jean Damascène : « La mort est pour les hommes ce
que la chute est pour les anges » (De Fide orthodoxa, 2, 4). Selon Boros, c’est
seulement dans la mort que l’âme humaine, délivrée de tout attachement
secondaire et de toute distraction, peut accomplir l’option plénière pour ou
contre l’Être et la Vérité. Cette thèse a été critiquée dans ce sens qu’elle
réduirait l’importance des options terrestres pour privilégier une option dans
la mort, dont l’Ecriture ne parle pas.
Difficultés de cette
thèse : négation de l’utilité de la vie terrestre,
du corps ; contradiction avec la foi qui enseigne que le choix est définitif
avant la mort.
THESE DE VITALINI
Elle veut à la fois tenir compte de la
contradiction qui apparaît dans la thèse classique (choix imparfait pour une
fixation éternelle) et des critiques contre la thèse plus moderne (minimisation
des choix terrestres) pour soutenir que la personne humaine, c’est-à-dire son
moi essentiel, débouchant par la mort sur l’Être qui est l’amour, ne se trouve
pas par cette rencontre paralysée, mais qu’elle est encore en mesure de
ratifier librement ses choix terrestres. Ceux-ci gardent donc tout leur sérieux
et vont orienter la personne dans cette suprême ratification qui implique
l’accueil ou le refus de l’amour.
Difficultés de cette
thèse : contradiction avec la foi qui enseigne que
le choix est définitif avant la mort.
NOTRE THESE
Elle affirme que Dieu, après une phase de la vie terrestre ou le
choix est imparfait tant à cause du manque de connaissance plénière que de
l’état de faiblesse de la volonté, rend l’homme tout entier (et non seulement
l’âme après la mort) capable d’une option libre absolument par la manifestation
de l’Evangile et la libération du foyer du péché (Fomes peccati) au moment de la mort. Dans ce moment, l’homme est
encore lié à son corps, il est donc capable de connaissance et de choix selon
le mode humain lié au sensible, la connaissance de l’Evangile étant à la fois
sensible et spirituelle dans la vision du Christ glorieux. D’autre part,
l’homme opte librement et non nécessairement dans le sens des options de sa vie
terrestre. Ceux-ci jouent le rôle d’un conditionnement de la liberté d’où le
sérieux du rôle du passé dans l’orientation de la vie éternelle.
Difficultés de cette
thèse : aucune contradiction avec la foi mais un
grave problème philosophique : comment un choix aussi lucide est-il possible à
l’heure de la mort, c’est-à-dire alors que le coma réduit le cerveau à
l’impuissance ?
[626] Matthieu 12. 31.
[627] Attention, il s’agit ici de la définition de l’école thomiste,
telle qu’elle était utilisée par l’Église jusqu’au Concile de Vatican II.
Actuellement, l’Église préfère appeler péché mortel le seul péché contre le
Saint-Esprit. Il faut donc toujours vérifier son vocabulaire dans les
discussions.
[628] 1 Corinthiens 15, 32.
[629] Romains 7, 5.
[630]Saint Thomas, Somme
théologique, IIa IIae, Question 14, 1.
[631] Benoît XII, Constitution « Benedictus Deus » (29 janvier
1336) « La foi catholique », page 511.
[632] Saint Thomas, Somme
théologique, Ia IIae Question 76, 77 et 78.
[633] Jean 15, 22.
[634] Voir article suivant.
[635] Matthieu 12, 31.
[636] op. cit. Innocent IV.
[637] Voir question 11, article 4.
[638] Romains 10, 14,
[639] Dentzinger-Schönmetzer, 1002.
[640] Luc 21, 36.
[641] De telles épreuves, comme toutes les souffrances de la vie
terrestre ont pour unique finalité de disposer le cœur de l’homme à l’humilité
de sa condition et, ce faisant, de l’orienter au désir d’un salut qu’il reçoit
en la personne de Jésus- Christ. Une méditation de Pascal sur l’agonie nous
manifeste cette disposition que la mort vécue dans la lumière du sacrement des
malades peut réaliser. Ces souffrances dispositrices de l’agonie n’étant plus
utiles lorsqu’il s’agit de choisir pour l’éternité, elles disparaissent
aussitôt que la mort commence son œuvre de séparation de l’âme et du corps.
« Oui, au moment de la mort, je serai seul! Les vanités ne
m’accompagneront pas, ni l’argent, ni les souvenirs qui me seront inutiles,
sauf pour me convaincre de mes péchés et me combler de remords. J’aurai vécu
seul mais je ne sentirai ma solitude que devant le problème du posthume.
J’aurai passé ma vie à interroger les livres, les prêtres, je n’aurai rencontré
que Dieu, Jésus. Voici donc la vérité, je suis seul avec Dieu. Dès lors,
aujourd’hui, il n’y a que Dieu qui compte, Dieu, c’est-à-dire ma conscience,
l’opinion que j’ai de moi-même, la route de mon devoir. II ne s’agit pas de ce
que l’on pense de moi, mais de ce que Dieu pense. » Je mourrai seul, Blaise PASCAL
[642] I Corinthiens 3, 15.
[643]Voir dans ce traité, Question 11.
[644] Cette question est d’une extrême importance face à
l’imprécision de certains traité de théologiens (par exemple le Docteur
Chevrier au XIX° s. cité par l’Ami du Clergé, 1932, p. 133) qui parlent
abusivement de vision de face à face avec Dieu pour des gens qui sont
confrontés à une apparition de Jésus dans son humanité. Jésus est Dieu mais on
ne voit pas l’essence de Dieu face à face quand on voit son humanité.
[645] « Le don de cette vision suppose une préparation pour laquelle
personne ne peut être contraint » Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà ; Université de Fribourg-Suisse, 1980, p.
27.
[646] Matthieu, 25, 41.
[647] « Conformément à l’Ecriture, l’Église attend la
manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus Christ (Dei Verbum 1, 4),
considérée cependant comme distincte et différée par rapport à la situation qui
est celle des hommes immédiatement après leur mort. » Congrégation pour la
doctrine de la foi, Lettre sur quelques
questions concernant l’eschatologie, 17 mai 1979 ; En effet, à la fin du
monde, le retour du Christ en gloire sera manifesté à toute la dernière
génération, d’un seul coup. (Voir Question 25).
[648] Apocalypse 22, 18.
[649] Zacharie 12, 10.
[650] Luc 21, 27.
[651] Marc 14, 62.
[652] Jean I, 14.
[653] Actes 4, 17.
[654] Apocalypse I, 12-17.
[655] « Pour condamner purement et simplement, il faudrait que le
Juge divin ne rencontre pas le moindre élément positif capable de relativiser
le refus du pécheur. Ce serait, dans le « conditionnel » johannique (« si
quelqu’un ne demeure pas en moi »), le côté négatif réalisé de manière
radicale. Une simple remise extrinsèque du péché, sans effet intérieur sur le
coupable, ne suffirait pas pour une absolution. Pareil acquittement ne pourrait
le béatifier intérieurement ; ce serait pour lui une contradiction
insurmontable, une humiliation permanente, et même une incitation à la révolte
contre une contrainte extérieure ; « Le pardon, pour être total, n’est pas
seulement à offrir, il doit se recevoir » (E. saint Lewis) Voilà ce qu’il est
permis de dire avec assurance si l’on maintient comme vérité chrétienne que
celui qui nous juge est le même qui est venu non pour juger, mais pour sauver
(Jn 12, 47). Aussi cherchera-t-il tous les détours possibles pour ramener à lui
un homme égaré dont il a porté la faute ; et s’il n’y arrive pas, son dernier
geste ne sera quand même pas le rejet (qu’on se rappelle les protestations de
Nédoncelle, Martelet, Ratzinger rapportées ci-dessus). II ne pourra agir que
passivement en abandonnant le coupable à sa volonté aveuglée. Une fois de plus,
dans cette éventualité, vient à l’esprit l’idée de tragédie, non seulement pour
l’homme mais pour Dieu lui-même.
Serait-il possible de s’avancer encore plus loin ? Non pas en
posant des principes, mais, au meilleur cas, en formulant des hypothèses ? On
le peut, car la question de l’enfer, replacée dans la perspective de «
l’auto-jugement », n’est envisageable sérieusement que comme question
personnelle et existentielle. » Garder une conception naïve de la double issue
de l’histoire de l’humanité, tout autant que s’ériger en contradicteur absolu
de cette représentation, exposent au danger de penser l’eschatologie à partir
du spectateur externe et non pas selon l’angle de vue de l’individu concerné...
L’appréciation de l’endurcissement effectif d’un homme, sa résistance au Christ
n’entre pas, en dépit de tous les signes extérieurs contraires, dans nos
attributions, elle dépasse notre compétence
. BALTHASAR H. U, La dramatique
divine 4, « le dénouement », Culture et Vérité Namur, 1993, p. 272-273 ;
[656] Revoir à ce sujet la question 7, article 7.
[657] Voir question 7, article 10 ; Voir Balthasar « L’amour seul est digne de foi », Aubier 1966, chap. 6 « l’amour comme
révélation dans le Christ »
[658] « Je suis le maître et le Seigneur, dit
Jésus à Pierre (Jean 13, 15). Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le
Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux
autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous
aussi, comme moi j’ai fait pour vous. » Ce jour-là, au grand scandale de
Pierre, Jésus révéla aux hommes l’autre mystère scandaleux du cœur de Dieu,
outre son amour infini, son humilité. « Lui, de condition divine, ne retint
pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même,
prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté
comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la
mort sur une croix! » Philippiens 2, 6.
[659] Voir à cet égard dans la Somme
théologique : « Intellect. De la manière dont notre intellect comprend les
choses corporelles » Ia. q. 89.
[660] Q. 1, Article 2.
[661] Matthieu 24, 37 à 41.
[662] Matthieu 24, 34-35.
[663] SAINT THOMAS D’AQUIN, De
Veritate, 14, 11, article 1.
[664] Mgr d’Hulst, Lettres de
direction, 1906, p. 40-41.
[665] Voir aussi, Ibidem p. 51-52
[666] « Jérôme In Joelem, c. II ; p. L. p. 965 B. La formule est très
remarquable pour cette époque.
[667] Commençons par un simple constat : le
nombre des chrétiens vivant actuellement sur terre est incomparablement plus
faible que le nombre de ceux qui, dans le Christ, ont quitté cette vie. Si être
un membre vivant de l’Église consiste à appartenir au Christ, la mort, qui
n’est certes pas la fin de la communauté dans le Christ, ne peut pas non plus
briser la communauté de l’Église. D’où il suit que la partie de loin la plus
grande de l’Église vit par-delà le seuil de la mort terrestre. Ce fait
incontestable est-il aussi une évidence pour la conscience ecclésiale
d’aujourd’hui ?
SCHONBORN, (C) op : l’état de pèlerin, de purification et de
gloire (La communion des saints selon Vatican II) Communio n° XIII 1 ;
janvier-février 1988, p. 7 ;
[668] I Thessaloniciens 3, 13.
[669] Lumen Gentium 49
[670] I Corinthiens 12, 12-27
[671] 2 Corinthiens 5, 8.
[672] cf I Timothée II, 5.
[673] cf. Colossiens I, 24.
[674] « Tout homme qui porte son regard sur la norme absolue, sur le
Fils de l’Homme transpercé qui est présent en vérité à l’état caché dans tous
ses frères, sur « l’agneau égorgé », « sans défaut et sans tâche », «
prédestiné avant la fondation du monde » (1 Pierre I, 19-20, Apocalypse 13, 8),
sera tellement accablé par la grandeur de l’Unique et par sa propre bassesse
méprisable qu’il n’aura aucunement le temps de réfléchir à la situation
d’autres hommes. Le simple aspect de cette nonne lui dit qu’il n’y correspond
et ne subsiste en aucune manière, et qu’il reste définitivement au-dessous du
seuil de ce qui est exigé. » BALTHASAR H. U, Jugement, Communio, 1980, n°3, p. 27.
[675] « En ce qui concerne les objections de type protestant contre
le culte des saints et le commerce avec eux, il faut d’abord dire que
l’amputation chirurgicale d’une partie aussi essentielle de l’organisme
spirituellement vivant de l’humanité chrétienne signifie une mutilation et une
atrophie tout à fait déplorables de cet organisme. Mais c’est aussi le plus
parfait malentendu que de comprendre le culte des saints comme une sorte de
déviation du rapport immédiat à Dieu. En effet de même que l’amour du prochain
n’est pas une déviation de l’amour de Dieu, de même le culte des saints qui
sont bien nos prochains n’est pas non plus une déviation. C’est à cela que l’on
croit lorsque l’on fait appel à l’amour du prochain d’un homme défunt. Car les
saints ne sont pas des dieux mais des hommes d’un grand amour plus fort que la
mort et qui leur donne donc le pouvoir d’agir ici même de là-bas. » Lazarus, komm heraus, quatre écrits de Valentin TOMBERG, avec
une introduction de Robert Spaemann, Bâle, 1985, p. 65 s. Voir aussi « La
Vierge Marie dans la communion des saints », G. CHANTEREINE, Communio 1989/t,
p. 28.
[676] On pourrait introduire ici une foule de témoignages
patristiques, théologiques, liturgiques et hagiographiques. Qu’on se rappelle
seulement les promesses d’un saint Dominique, disant qu’il serait plus utile à
ses frères au Ciel que sur la terre ou bien d’une sainte Thérèse de l’Enfant
Jésus : « Je passerai mon Ciel à faire du bien sur la terre. » Saint
Cyprien peut être cité comme représentant d’une « nuée de témoins » : « Nous
considérons le paradis comme notre patrie (…) : Pourquoi alors ne pas nous
hâter de courir Voir notre patrie (…) ? Un grand nombre d’êtres chers nous
attend là-bas une foule imposante de parents de frères et sœurs d’enfants se
languit de nous, et déjà délivrée du souci de son propre rachat ne se préoccupe
plus que de notre salut. Nous hâter sous leurs yeux et nous jeter dans leurs
bras quelle grande joie pour eux et pour nous à la fois! » (De Mort. 26. PL
4, 601).
[677] Voir Question 9, a. 8.
[678] Voir à ce sujet RIVIERE J. «
Le rôle du démon au jugement particulier chez les Pères » Rev SR, t. 4,
1924, p. 43-64 ; DICTIONNAIRE DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE, t. 8, col. 1788-1789 et 1803 ; Nous ne parlons
pas ici du jugement particulier mais l’analogie est à remarquer.
[679] I Jean, II, 13.
[680] Derniers entretiens, 18 août, éditions du Cerf, Paris.
[681] Apocalypse 12, 13.
[682] « Les deux cités »
[683] Apocalypse 12, 9.
[684] Apocalypse 12, 10.
[685] Voir la révélation de Jésus à sainte Faustina Kowalska : « Je
promets que l’âme qui vénérera ma miséricorde ne périra pas. Je lui promets
également la victoire sur ses ennemis, particulièrement à l’heure de sa mort.
Je la défendrai moi-même comme ma gloire. » (22 février 1932).
[686] Marc 13, 11
[687] 1 Corinthiens 15, 26.
[688] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[689] 2 Théssaloniciens 2, 11.
[690] Matthieu 24, 22
[691] Vatican II, Lumen
Gentium 49.
[692] Ephésiens 4, 16
[693] Par exemple à Pontmain où les enfants, tout en voyant la Vierge
leur apparaître dans le Ciel, ne perdaient pas contact avec les personnes qui
les entouraient.
[694] SCHONBORN (C) op. : « L’état de pèlerin de purification et de
gloire » (La communion des saints selon Vatican II), Communio, n° 13, 1,
janvier-février 1988.
[695] I Corinthiens 13, 11.
[696] Job 4, 18.
[697] « C’est donc l’homme finalement qui se juge lui-même : le
Christ ne prononce aucune condamnation, seul l’homme peut mettre une limite au
salut. Il faut enfin nous rappeler que le Christ n’est pas là tout seul : tout
le sens de sa vie terrestre a été de se construire un corps, de se créer sa plénitude :
« Son corps, c’est lui. C’est pourquoi la rencontre avec le Christ s’opère dans
la rencontre avec les siens, dans la rencontre avec son corps. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 214.
[698] 2 Corinthiens 5, 10.
[699] Quel avenir pour le monde
? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint D. C n°
1706, octobre 1996.
[700] Martelet, op. cité, p. 4I.
[701] Matthieu 24, 27.
[702] Matthieu 11, 5
[703] Matthieu 12, 32.
[704] Question 11. Pour illustrer la possibilité de cette conversion
au moment de la mort, nous pouvons citer ce texte saisissant de la mystique
allemande Adrienne von Speyr. Dans une vision prophétique, elle voit des âmes
hésitantes, entre conversion et damnation. Elle décrit par mode symbolique
l’état de leur choix ; Communio, n°VII, 1 – Janvier-février 1981 « L’expérience
du samedi saint »
[705] Cet État d’opposition lucide, même s’il peut paraître rare,
reste en tout cas possible et se prolonge, par un choix définitif et libre,
après la mort : Comme l’affirme Boros : « Quiconque, au jour le jour, toute
une vie durant, fait l’expérience de sa vanité, peut se dire qu’il pourrait
bien aboutir à l’enfer. J’aboutirai là quand je suffoquerai de ma médiocrité
personnelle, quand je me serai totalement identifié à mon néant essentiel.
C’est alors que je serai perdu. » BOROS, L. : De l’esprit propre à inspirer
une nouvelle définition des fins dernières, en Concilium, 32, 1968, 67-76, 75.
[706] Jean 7, 39.
[707] Voir Symbole Quicumque
sur l’obligation de croire explicitement au Christ pour être sauvé, la Constitution Benedictus Deus pour
l’obligation d’avoir la grâce avant la mort, 6° session du Concile de Trente qui montre que la charité seule justifie l’impie,
bonne volonté et foi n’étant que des préparations.
[708] Gaudium et Spes 22, 5.
[709] Quelques hommes
furent cependant amis de Dieu, dit l’Ecriture (Abraham, Moïse). Même le roi
David qui voulut aimer Dieu comme un ami (charité) se vit refuser cette
grâce : « 2 Samuel 6, 5 David
et toute la maison d'Israël dansaient devant Yahvé de toutes leurs forces.
Comme on arrivait à l'aire de Nakôn, Uzza étendit la main vers l'arche de Dieu
et la retint, car les boeufs la faisaient verser. Alors la colère de Yahvé
s'enflamma contre Uzza : sur place, Dieu le frappa pour cette faute, et il
mourut, là, à côté de l'arche de Dieu. Ce jour-là, David eut peur de Yahvé et
dit : "Comment l'arche de Yahvé entrerait-elle chez moi?"
[710] Job 10, 21.
[711] Question 17, article 5.
[712] Voir 2 Macchabées 12, 46.
[713] Luc 16, 23.
[714] L’Anubis des Egyptiens antiques, le messager de la mort des
bouddhistes. On pourrait citer dans toute l’ancienne religion le nom du
messager chargé d’accueillir les morts dans l’au-delà.
[715] Voir notre traité, Question 18, article 5.
[716] 2 Corinthiens 5, 21.
[717] 2 Corinthiens 5, 21.
[718] Constitution « Benedictus
Deus ».
[719] 1 Corinthiens 15, 29.
[720] Luc 12, 39.
[721] Matthieu 25, 10.
[722] Matthieu 18, 22.
[723] Matthieu 4, 16.
[724] Luc 21, 28.
[725] Saint Augustin, « les deux cités »
[726] Jean 13, 18.
[727] Rappel de la polémique
moderne sur la notion d’âme :
L’idée que parler de l’âme n’est pas conforme à la Bible s’est
imposée à tel point que le nouveau Missale
romanum de 1970 lui-même bannit de la liturgie des morts le mot « anima »,
qui a également disparu du rituel des funérailles.
Qu’est-ce qui a bien pu ruiner aussi rapidement une tradition
aussi solidement implantée depuis l’époque de l’Église primitive et toujours
tenue pour capitale ? L’apparente évidence des textes bibliques, à elle seule,
n’y aurait certainement pas suffi. La force d’impact des nouvelles réflexions
vint sûrement, pour une bonne part, de ce que la conception dite biblique d’une
absolue indivisibilité de l’homme rejoignait l’anthropologie moderne, de
caractère scientifique, qui situe l’homme tout entier dans son corps et ne peut
rien savoir d’une âme qui pourrait en être séparée.
Fort heureusement, le Magistère de l’Église n’a pas manqué de
rappeler l’absolue valeur du concept d’âme séparée, survivant après la mort. Le
Cardinal Ratzinger écrit par exemple : « En ce qui concerne l’état
intermédiaire entre la mort et la résurrection, ce qui est important, c’est que
l’Église maintienne fermement la continuité et l’existence autonome de
l’élément spirituel dans l’homme, après sa mort, élément doué de conscience et
de volonté, de telle sorte que le « moi » de l’homme continue à exister. Pour
désigner cet élément, l’Église se sert du terme « âme. » Les rédacteurs du
texte romain savent bien que ce mot « âme » se rencontre dans la Bible avec des
sens multiples, mais ils constatent qu’ « il n’y a pas de raison sérieuse de
rejeter ce terme et y voient même l’outil linguistique nécessaire au maintien
de la foi de l’Église » Cardinal Ratzinger, Communio, mai 1980, p. 5.
« La notion de l’âme telle que l’ont utilisée la liturgie et la
théologie jusqu’à Vatican II n’a pas plus à voir avec l’Antiquité que l’idée de
résurrection. C’est une notion strictement chrétienne ; elle n’a donc pu être
formulée que sur la base de la foi chrétienne dont elle exprime, en
anthropologie, la conception de Dieu, du monde et de l’homme. C’est pourquoi le
concile de Vienne en sa troisième session, le 6 mai 1312, a du défendre à juste
titre cette définition de l’âme considérée comme une notion adéquate à la foi :
« De plus nous réprouvons [...] comme erronée [...] toute doctrine qui met en
doute inconsidérément que la substance de l’âme raisonnable [...] soit en
vérité et par elle-même la forme du corps humain » ! La bulle Benedictus Deus
(DS 109) citée plus haut, suppose cette explication anthropologique dans sa
doctrine de la vision définitive de Dieu. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 156.
[728] Commentaire de Qohelet, chap. 19.
[729] Métaphysique, chap. 3
n° 5.
[730] De anima, chap. 2.
[731] De l’esprit et de l’âme,
Chap. 15.
[732] Commentaire du livre de
Qohelet, Chap. 16.
[733] Pour les anciens Egyptiens, la survie du
Bâ (esprit) et du Kha (corps double psychique) est dépendante de la survie de
la momie du corps physique.
[734] De anima, Chap. 4.
[735] De anima, chap. 4.
[736] De l’esprit et de l’âme,
Chap. 15.
[737] Commentaire de la Genèse,
Chap. 24.
[738] 1 Romains 16, 7.
[739] Voir la question précédente, article 8 où la parousie du corps
glorieux du Christ est décrite.
[740] Question 2, article 1.
[741] Marc 12, 25.
[742] Job 14, 21.
[743] Question 8, a. 2.
[744] I Samuel 28, 27.
[745] Luc 20, 36.
[746] Tobie 12, 19.
[747] Luc 16, 26 ; Ce texte de saint Luc s’applique en fait à décrire
la distance qui existe entre deux demeures de l’au-delà. On peut cependant en étendre la portée jusqu’à la terre
où le riche aurait bien aimé se rendre pour alerter ses frères.
[748] Question s diverses, Livre II, chapitre 3.
[749] Lévitique 20, 6.
[750] Du point de vue œcuménique, l’expression peut susciter quelques
difficultés car le jugement dont parle l’Ecriture est unique, à la fin du
monde. Il serait donc souhaitable de trouver un terme nouveau pour spécifier
cette autre réalité qu’est le jugement particulier. Mais en vérité, les deux
jugements ne font qu’un ou mieux encore, le second n’est que la somme et la
manifestation de tous les jugements particuliers. Ceux-ci gardent par conséquent
une importance capitale dans l’étude de l’eschatologie, parce que c’est l’homme
qui se juge lui-même dans la rencontre qu’il fait avec l’Être transcendant.
Deux questions surgissent à ce propos. Quand a lieu le jugement particulier ?
Comment ce jugement est-il rendu ?
[751] BALTHASAR H. U, La
dramatique divine, 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p.
174-182 ;
Dans la Somme théologique
voir : Jugement. Du jugement considéré comme l’acte de la justice humaine. Ia
IIae, q. 60 ;-Du jugement général ; en quel temps et en quel lieu il se fera ;
sup. q. 88.-De la forme du juge qui doit venir pour le jugement. sup. q. 90.
[752] Enchiridion 109, «
Abditis receptaculis »
[753] 2 Corinthiens 5, 1.
[754] Les païens eux-mêmes crurent souvent, poussés par la nécessité d’une
justice, au jugement individuel après la mort. Voir, par exemple, La religion
de l’Egypte antique ; Platon, Gorgias, 522 c-527 e, Traduction d’Alfred
Croiset, Les Belles lettres, Paris, 1923. Chez les Pères de l’Église, cette
vérité est universellement enseignée. Voir saint Augustin, Sur le psaume 37,
n°3 ; p. L, 36, 394. Newman montre l’urgence de se préparer en veillant et
priant à ce jugement. (Parochial and Plain Sermons, n°22, Paris, Lethielleux,
1906, p. 133-152)
[755] Actes 17.
[756] Ainsi, des trois cités dont parle Charles Journet sur la terre,
il ne reste plus dans l’autre monde que les deux cités de saint Augustin.
Charles JOURNET. Les trois cités : celle de Dieu, celle de l’homme, celle du
diable : La pensée de saint Augustin-La définition des trois cités-Les sens du
mot « monde », Nova et Vetera, 1958, 1, p. 25.
[757] I Pierre 3, 19.
[758] Genèse 42, 38.
[759] Isaïe 53, 5.
[760] 2 Macchabées 12, 45.
[761] Luc 16.
[762] Le fait que toutes les âmes passent au jugement pourrait amener
à identifier totalement jugement particulier et jugement général. Nous
montrerons qu’il existe à la fois une différence et un lien intime (Question
52). Citons Balthasar : « De l’ensemble du donné biblique, on retiendra comme
le plus important le fait suivant : l’unique jugement, sur tous et sur chacun,
ne peut s’instaurer « qu’à la fin. » Telle est, après des déclarations
primitivement vagues sur le moment du « Jour du Seigneur », la manière de
parler, déjà au tournant de l’Ancien Testament, et expressément dans le
Nouveau. Mais s’agit-il de la fin de l’individu ou de la fin de l’histoire ?
Cette question n’est pas examinée ; ce qui compte davantage et reste tout à
fait essentiel, c’est que le contenu du jugement sur chaque individu (le
jugement appelé particulier ou mieux personnel) s’inscrit dans l’acte du
jugement général.
BALTHASAR H. U, La
dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, p. 349.
[763] Jean 5, 24.
[764] Jean 3, 18.
[765] Op. Cit. Constitution Benedictus Deus.
[766] Breviloquium n°7, le jugement dernier chapitre 1.
[767] Luc 6, 37.
[768] Apocalypse 2, 23.
[769] Matthieu 25, 21.
[770] Hébreux 4, 12.
[771] Hans-Urs von BALTHASAR, Traduit de l’allemand par Robert Givord
titre original : « Die gottlichen Gechichte in der Apocalypse » Communio, n° X,
I-janvier-février 1985 / p. 13-14 : « On ne doit pas, concernant les pécheurs,
perdre l’espoir, comme de nombreux passages de Paul et de Jean l’autorisent et
même le recommandent. Ce n’est pas pour les Puissances du Mal que le Christ est
mort mais bien pour tous les hommes. Mais il n’appartient à personne de bâtir
des théories quant aux décisions que prendra le Souverain Juge à l’égard des
vivants et des morts, de tous et de chacun en particulier. Lorsque le Ciel et
la terre (auront disparu), l’Agneau ouvrira les livres tandis que « tous les
morts, grands et petits, se tiendront debout devant le trône et qu’ils seront
jugés, chacun selon ses œuvres » (20, 13). »
[772] Sir. 7, 6.
[773] Jean 5, 22.
[774] Jean 5, 22.
[775] Saint Bonaventure : Breviloquium, livre 7, 1.
[776] Voir Question 51.
[777] Les textes de l’Ecriture annonçant « le jour du Seigneur »,
c’est-à-dire le jugement général de l’humanité, celui qui aura lieu à la fin du
monde, sont applicables au jugement particulier de l’individu dont nous
traitons à présent. Pour approfondir le sujet, on peut donc se reporter aux
articles consacrés à la forme sous laquelle le juge viendra (questions 50 et
51). Pour les objections 2 et 3, Voir Supplementum,
quest. 90, art. 1.
[778] Jean 5, 22.
[779] Matthieu 12, 41.
[780] 1 Corinthiens 6, 3.
[781] Matthieu 23, 9.
[782] Le jugement « Tout comme le retour du Christ, le jugement
échappe à nos efforts d’imagination. L’essentiel de ce que veut dire ce mot
apparaît au mieux quand nous nous demandons qui est sujet du jugement selon la
tradition biblique. Au premier regard, la réponse semble incohérente. C’est
Dieu d’abord qui est qualifié de juge (2 Thessaloniciens 1, 5 ; 1 Corinthiens
5, 13 ; Romains 2, 3 sq. ; 3, 6 ; 14, 10 ; cf. aussi Matthieu 10, 28 et par ;
Matthieu 6, 4-6-15-18) ; puis vient le Christ (Matthieu 25, 31-46 ; 7, 22 sq. ;
13, 36-43 ; Luc 13, 25-27 ; 1 Thessaloniciens 4, 6 ; 1 Corinthiens4, 4 sq. ;
11, 32 ; 2 Corinthiens 5, 10) ; enfin, en Matthieu 19, 28, il est dit aux Douze
que lorsque le monde sera « restauré », ce sont eux qui siégeront sur douze
trônes et jugeront les douze tribus d’Israël. Cette formule est encore étendue
en 1 Corinthiens 6, 2 sq. : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le
monde ? [1 Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? A plus forte raison,
les affaires de cette vie! « (Voir en outre Daniel 7, 22 ; Sg 3, 8 ;
Apocalypse 3, 21). Chez Jean, enfin, le jugement est ramené au présent de cette
vie, de notre histoire présente ; la décision intervient dès maintenant entre
foi et incroyance (3, 17 sq. ; 9, 39 ; 12, 47 sq.). Certes, le jugement final
n’est pas pour autant supprimé, mais un nouveau rapport s’établit entre
jugement et christologie. Du Christ, il est dit que « Dieu n’a pas envoyé
son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé
par lui » (3, 17). « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour
le sauver « (12, 47). « Qui me méprise et n’accepte pas mes paroles a
son juge ; la parole que j’ai dite le jugera au dernier jour » (12,
48). La distinction faite entre l’action personnelle du Christ et l’effet de sa
parole autorise ici une ultime purification de la christologie et de la notion
de Dieu. Le Christ ne condamne personne ; il est, lui, pur salut, et celui qui
se tient à son côté se trouve dans le lieu du salut. La damnation ne dépend pas
du Christ ; mais elle est le fait de l’homme resté loin de lui ; elle consiste
en ce que l’homme s’isole en lui-même. La parole du Christ, en tant qu’offre de
salut, devient alors manifeste : l’homme qui va à sa perte a lui-même tracé la
ligne de séparation et s’est retranché du salut.
Par-delà la diversité apparente des représentations, un examen
patient reconnaît très bien l’unité de l’idée fondamentale. En mourant, l’homme
s’en va vers la réalité et la vérité sans voile. Il prend dès lors la place qui
lui revient selon la vérité. RATZINGER J, La
mort et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 212
[783] Jean 12, 47 ;
[784] « Dieu en Jésus ne juge pas, mais c’est l’homme qui se juge
lui-même quand il refuse le pur salut apparu en Jésus et ne devient pas
clairvoyant par sa lumière, mais prétend être capable de voir et de juger
d’après sa propre lumière. Un tel jugement de soi-même n’était déjà pas inconnu
à l’Ancienne Alliance et s’y manifestait : la justice immanente prenait soin
que dans la mauvaise action se trouve déjà sa propre punition. Là où le
coupable pensait tenir son méfait en son pouvoir, c’est le méfait qui entraîne
le malfaiteur dans le domaine de son pouvoir. Paul dit brièvement « Ce que
l’homme sème, il le récoltera » (Galates 6, 7).
Hans-Urs von BALTHASAR jugement, Communio, 1980, n°3 p. 29
(traduit de l’allemand par Jacques Keller).
[785] On peut donc affirmer que l’enfer n’est pas une création de
Dieu. C’est l’homme qui se châtie lui-même et ainsi c’est lui qui se fait
l’enfer, cette anti-création qui vient du non-amour.
cf. RUIZ DE LA PENA, J. L. La otra
dimensión, escatología cristiana, o. c. 280.
BALTHASAR H. U, La
dramatique divine 4, « le dénouement », Culture et Vérité, Namur, 1993, p.
265ss.
[786] Hans-Urs von BALTHASAR : communio, n° x, I-janvier-février
1985.
On pourrait (en jetant un premier coup d’œil pour scruter le
sens de l’Apocalypse) en donner l’interprétation suivante : celui qui me
rejette (moi qui suis le Verbe mais qui ne veux pas juger) refuse d’être jugé
par moi, le Sauveur ; il se juge lui-même. Jésus, le Sauveur Verbe de Dieu, est
un glaive à deux tranchants (cf. Apocalypse 1, 16) qui dans l’homme met « tout
à nu et à découvert » (Hébreux V 4, 12 s) et qui de cette façon dévoile si
quelqu’un veut ou ne veut pas être sauvé, autrement dit : s’il veut épouser ou
non les vues de Celui qui sauve et pardonne. De cette manière nous avons une
clé non seulement pour l’ensemble de l’Apocalypse mais pour le Nouveau
Testament dans sa totalité.
[787] Cet article est repris dans le « Contre gentiles », saint
Thomas d’Aquin, Livre 4, chap. 91 (respondeo et objections 1 à 4).
[788] Justin, Dialogue avec Tryphon, LXXX, 3-5 éd. Archambault, t. II, p. 32-34.
[789] AMBROISE, saint : De bono mortis, 10, 47.
[790] pape Jean XXII.
[791] Justin, Dialogue, V. 3. XLV, 4, Ed. Archambault t. I p. 30
et t. II p. 202.
[792] Job 36, 2.
[793] Luc 16, 22.
[794] Luc 23, 43.
[795] Apocalypse 2, 7.
[796] Un texte de l’Apocalypse déjà signalé semblait prouver qu’en
attendant la résurrection, les âmes dépouillées du corps et promises à la
béatitude étaient gardées « sous l’autel », avec le Christ. Or, au début du
XIVe siècle, en Avignon, prêchant un jour de Toussaint, le pape Jean XXII se
mit à développer la thèse bernardine. Vigoureusement, il expliqua qu’en
attendant la résurrection, les âmes des justes n’étaient pas encore au terme,
mais « sous l’autel », au-dessous de l’humanité du Christ, attendant le retour
du Sauveur pour entrer avec lui dans la gloire définitive. En 1331, cette thèse
était certainement un anachronisme ; elle était même en recul sur la théologie
admise par le cardinal Jacques Duèse avant son élévation au Pontificat. D’autre
part, le Pape avait des ennemis, princes temporels ou religieux (spirituels)
condamnés précédemment. On n’attendait qu’un faux pas pour s’en prendre à sa
doctrine. Le sermon de la Toussaint fit scandale. Mais le Pape s’obstina sans
engager d’ailleurs son magistère comme tel. Après s’être réclamé de saint
Bernard, il cita des textes d’Augustin encore plus anachroniques. L’université
de Paris intervint alors, les princes s’en mêlèrent et finalement, Jean XXII
dut céder. A son lit de mort, dans une déclaration qui honore ce vieillard
nonagénaire, il fit lire une profession de foi affirmant que les âmes
purifiées, séparées de leur corps, sont au Ciel dans le royaume des cieux, dans
le paradis, qu’elles sont réunies au Christ dans la société des anges et qu’en
vertu d’une commune loi elles voient Dieu et la divine essence, face à face et
clairement, autant que s’y prêtent l’état et la condition d’une âme séparée.
Comprenant la gravité du problème et désirant mettre un terme à
une agitation qui n’avait pas uniquement pour cause des motifs théologiques, le
successeur de Jean XXII, Benoît XII, ex-cardinal Fournier, étudia
personnellement la question ; il la fit discuter par des théologiens compétents
et enfin, le 29 janvier 1336, promulgua la célèbre constitution qui porte son
nom. Cette définition, dont on trouvera le texte plus loin, tranchait une
question fondamentale, mais laissait encore en suspens d’autres problèmes.
Désormais pour être catholique, il faudrait tenir ce qui suit :
1° Depuis la mort et l’Ascension de Jésus-Christ Notre Seigneur,
les âmes des justes n’attendent pas la résurrection et le jugement général pour
voir Dieu face à face.
2° Cette vision de Dieu constitue pour elles la béatitude, la vie
et le repos éternels.
3° II n’y a donc plus lieu pour elles de faire des actes de foi et
d’espérance.
4° Cette vision ne disparaîtra pas à la fin des temps pour faire
place à une vision supérieure.
5° Quant aux damnés, ils vont en enfer sans attendre le jugement
dernier et ils subissent les tourments de l’enfer proprement dit.
[797] Job 7, 1.
[798] Lévitique 19, 13.
[799] Joël 4, 4.
[800] Sagesse, 7, 25.
[801] Matthieu 5, 12.
[802] Genèse 2, 8.
[803] 2 Corinthiens 4, 17.
[804] 2 Corinthiens 5, 1.
[805] Romains 8, 24.
[806] Romains 7, 24.
[807] « Mon Dieu, parmi tous les mystères auxquels nous devons
croire, il n’en est sans doute pas un seul qui heurte davantage nos vues
humaines que celui de la damnation. Et, plus nous devenons hommes, c’est-à-dire
conscients des trésors cachés dans le moindre des êtres et de la valeur que
représente le plus humble atome pour l’unité finale, plus nous nous sentons
perdus à l’idée de l’enfer. » TEILHARD DE CHARDIN : Le milieu divin, seuil,
1957, 187 ;
[808] A la fin de ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, Ernest
Renan écrit : « Je reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant
ces mots toujours de la même écriture : si pourtant il y avait un enfer !
Sûrement la personne pieuse qui m’écrit cela veut le salut de mon âme, et je la
remercie ; mais l’enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous
savons par ailleurs de la bonté divine. » Et il continue sur le même ton
amusé : « l’infinie bonté que j’ai rencontrée en ce monde m’inspire
la conviction que l’éternité est remplie par une bonté non moindre, en qui j’ai
une confiance absolue. »
[809] La masse des textes qui nous parlent de la perdition peut nous
aider à saisir l’importance capitale de cette notion : Tb 13, 2 ; Ps 91, 8 ; Es
66, 24 ; Jr 7, 15 ; 29, 16-19 ; Lm 4, 16 ; Matthieu 8, 12, 10, 28 ; 10, 39 ;
12, J2 ; 25, 30. 45s ; Marc 3, 29 ; Luc 12, 5 ; 12, 10 ; 13, 28 ; 15, 4 ; 19,
10 ; Jean 5, 29 ; 6, 39 ; 8, 21 ; 18, 9 ; 3, 16 ; 10, 28 ; Romains 2, 12 ; 1
Corinthiens 1, 18 ; 15, 17s ; 2 Corinthiens 2, 15 ; 4, 3 ; Sagesse 5, 5 ; 2
Théssaloniciens 2, 10 ; Hébreux 6, 6, 1 Jean 3, 14-15 ; Jude 5 ; Apocalypse 22,
15.
THOMAS D’AQUIN : Voir dans la Somme théologique les multiples références où saint Thomas aborde
la question de l’enfer ; elles seraient trop longues à citer ici.
[810] Bulle « Laetensus Caeli », Eugène 4, 6 juillet 1439 ;
[811] Luc 23, 34.
[812] Romains 7, 5. Rappelons que nous traitons ici de la notion
thomiste du péché mortel, péchés contre le Père, le Fils et le Saint Esprit.
[813] Jean 15, 22.
[814] C’est-à-dire qu’il aboutit à la damnation éternelle.
[815] Galates 5, 17.
[816] S’ils ont maltraité les fils des hommes, ne maltraiteront-ils
pas de la même façon le Fils de l’Homme ?
[817] Nous n’insistons pas sur l’éternité de l’enfer dont la réalité
est suffisamment prouvée par la nature du blasphème contre le Saint Esprit.
[818] Jean 15, 22.
[819] L’homme ne va pas en enfer : il y reste. Pour cette raison, on
comprend l’affirmation des scolastiques selon lesquels l’enfer est aussi un
indice de l’amour de Dieu. La bienveillance divine tolère que sa créature se
refuse, même définitivement, à son
amour. Personne n’est forcé d’accepter les dons de Dieu et chacun est libre de
les refuser ; dans cette extrême garantie de la liberté se trouve le signe de
la patience, du respect et de l’amour du Créateur pour sa créature. Vitalini
Sandro, Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse. 1980.
[820] Proposition de foi des
évêques de France, 1978, Documentation catholique, n° 1073.
[821] (Balthasar H. U, La
dramatique divine 4, Culture et vérité, Namur 1993, p. 293 :
[822] L’enfer est choisi par le damné pour un « bien »
qu’il y trouve : « Peut on
assumer les horreurs de certains pouvoirs ?
Même en Enfer, régner est
digne d’ambition : mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis
L'esprit est à
lui-même sa propre demeure :
il peut faire en lui
d'un Ciel un Enfer et d'un Enfer un Ciel. (livre I p 7))
Règne dans l'Enfer si tu
veux, c'est ton royaume ;
mais laisse moi servir
dans le Ciel et obéir
au commandement qui
mérite le plus d’être obéi.
Dans l’Enfer, attends non
des royaumes, mais des chaînes.(livre VI, p 106)
Les honteuses idolâtries
ajoutées à la somme des iniquités irritent nos sensibilités (livre XII, p
231). »
(John Milton, Le paradis perdu ; traduction
Chateaubriand, classiques Garnier)
[823] Marc 1é, 31.
[824] C’est tout l’objet de son ouvrage : « Les deux cités. »
[825] Matthieu 10, 39.
[826] Marc 10, 30.
[827] 1 Jean 2, 16.
[828] Luc 21, 12.
[829] Apocalypse 16, 9.
[830] La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 22.
[831] « La Foi Catholique », chap. VI, p. 195.
[832] Nous abordons maintenant les six péchés contre l’Esprit,
c’est-à-dire les six manières dont vont se concrétiser à l’heure de la mort les
égoïsmes dont nous parlions. Le blasphème contre la personne de l’Esprit Saint
ou son attribution chez saint Thomas d’Aquin. On trouve son étude dans Ia IIa
IIae, Question s 14. 15, 40, 41, 44,
[833] Quel avenir pour l’homme ? Lettre pastorale du cardinal Gouyon
à l’occasion de la Toussaint, Documentation catholique. n°1706, Octobre 1976.
[834] cf. Luc 16, 31.
[835] Matthieu 12. 31.
[836] II Sentences, distinction 43, Q. 1, Article 3.
[837] Jean 4, 11.
[838] Plusieurs textes semblent manifester la gravité extrême du
péché de ces prêtres : Matthieu 12, 32, Jean 11, 45-53 ; On retrouve ce même
genre de péché lié au désir du pouvoir dans l’évêque Mgr. Cauchon face à Jeanne
d’Arc.
[839] Jean 9, 32.
[840] Il va de soi que, si les paroles parfois extrêmement dures et
prophétiques de Jésus sur ces hommes peuvent nous suggérer une telle
conclusion, nous n’avons pas à juger nous-mêmes les cœurs que seul Dieu sonde.
En conséquence, il est impossible d’affirmer avec certitude qu’ils se sont
damnés.
[841] Jérémie 2, 20 ; La possibilité du blasphème contre le
Saint-Esprit est prise très au sérieux par Balthasar : « Parler d’une «
sorte de salut global et vague est en tout cas exclu » ; « ce ne serait pas une
manière de traiter le pécheur selon la dignité humaine » « Si nous interdisons
au Christ de nous relever, nous restons dans notre péché, et la dissociation
(entre nous et nos fautes) qui ne s’accomplit qu’en lui, demeure impossible »
Il est du pouvoir de l’homme de se retrancher du Ciel et, jusque « dans la
mort, il peut tourner le dos à la lumière de la vie éternelle. » Ici encore
joue la dynamique du refus toujours plus obstiné : « plus l’intimité d’un homme
avec le Seigneur est grande, plus grandit aussi le risque de s’en éloigner »
Mais quiconque se soustrait au jugement d’amour du Fils forcera alors « le Père
à substituer à l’amour le jugement et la condamnation. Or malheureusement, nous
pensons toujours à « un jugement, une rétribution », plutôt que de tendre à
l’amour! « Nous préférons être jugés, comme nous voulons juger les autres. »
Il serait bon que l’homme considère alors son refus à la lumière
du Seigneur. Mais « s’il se contentait de se tourner vers lui en masquant son
péché, le Seigneur ne serait d’aucun secours pour lui. »
Dans cette hypothèse, le Sauveur, le bon pasteur, se trouve
alors lui-même dans une impasse, « car les brebis sont toujours libres de le
suivre ou non .» Insatisfaites du don que le berger fait de sa vie, « elles
attendent de lui qu’il les sauve malgré qu’elles s’en défendent. A la croix, le
Seigneur s’est vidé de tout son amour, mais voilà que les hommes pèchent en
dépit de tout : c’est comme si on lui faisait grief de ne pas les avoir sauvés
complètement. » BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur
1993, p. 263-264.
[842] Matthieu 8, 12.
[843] Jean 13, 26.
[844] Matthieu 26, 24.
[845] Amos 8, 4.
[846] Matthieu 26, 42.
[847] Jean 19, 37.
[848] Ce péché contre l’Esprit fut sans doute la plus grande
tentation d’Hitler à l’heure de sa mort, lorsque, accueilli par les Juifs qui
étaient prêts à lui offrir leur pardon, il comprit qu’il pouvait être au
paradis avec eux mais plus petit qu’eux, chacun servant tout le monde.
[849] Ce terme est précis. Le pardon est proposé. Il n’est pas donné
car il est aberrant de pardonner tant que la contrition n’est pas là. L’amour
n’est pas une vertu molle mais emplie de la droiture de la vérité.
[850] Siracide 3, 26.
[851] Romains 6, 29.
[852] Osée 4, 18.
[853] BALTHASAR H. U, La
dramatique divine, 4, « le dénouement », culture et Vérité, Namur 1993,
p-262ss. « Il s’agit du cas très sérieux de l’homme qui résiste en se dressant
contre la grâce de la nouvelle Alliance, achetée « à grand prix » par la Croix
et « s’obstine toujours plus dans le refus. » Or Jésus « ne veut pas accomplir
son œuvre sans la participation des croyants. Ceux-ci ne bénéficient pas de la
rédemption contre leur gré. » « Car la décision de croire n’est pas seulement
un don de Dieu, elle est en outre un acte personnel » qui doit être constamment
renouvelé ; Il arrive peut-être que l’on soit frustré de son mérite (Colossiens
2, 18). Mais, en dernière analyse, « l’individu est responsable de son oui ou
de son non. » Il lui est possible de « s’endurcir dans sa liberté, jusqu’à
suivre sans s’arrêter le chemin qu’il a choisi et qui le sépare de Dieu sans
esprit de retour » Le jugement, dit l’épître de Jacques (2, 13), n’exerce pour
nous aucune miséricorde si nous sommes nous-mêmes sans miséricorde, « parce que
la justice, afin de s’exercer, doit rencontrer la miséricorde. Dans le
jugement, le Seigneur cherche ce qu’il a mis en nous, et s’il ne rencontre pas
la miséricorde dont il nous a gratifiés, il ne lui reste plus alors que de
laisser fondre sur nous un jugement de justice stricte, tel que nous-mêmes nous
l’exigeons. »
[854] Romains 2, 15.
[855] Luc 11, 32.
[856] Voir aussi : Les peines de l’enfer, Nouv. Rev. Théol », 1940,
p. 397.
R. Bernard, Enfer, Dictionnaire
de Théologie Catholique, t. IV, col. I00.
Catharin, De bonorum praemio et supplicio aeterno malorum, 1542.
Sur l’auteur, cf. M, M. Gorce, Politi, Dictionnaire de Théologie Catholique, t. XII 2418-2434.
[857] Romains 9, 3.
[858] Matthieu 25, 41.
[859] Voir Traité de la vision béatifique, question 1, a. 1.
[860] Les damnés fuient par toutes les activités extérieures qu’ils
peuvent trouver, le silence qui les obligeraient à méditer sur leur malheur.
Charles Journet commente (Nova et Vetera, 1968/l, p. 282) : «
Une perpétuelle agitation, une prodigieuse activité, une formidable dépense
d’énergie, telle est la condition des damnés. Ni les démons ne perdent la
richesse et les ressources originelles de leur nature angélique, ni les
réprouvés la dignité de leur âme immortelle créée à l’image de Dieu. En même
temps que leur nature, l’élan premier qui les porte à désirer et à chercher le
bonheur ne saurait ni leur être ôté ni péricliter en eux. Ce sont des dons
irrévocables et indestructibles de la Bonté créatrice. Ils peuvent en abuser,
ils ne peuvent, sans se nier eux-mêmes, les récuser.
Sans doute, leur volonté est fixée immuablement dans le mal,
comme celle des élus dans le bien. Mais sous la décision fatale qui les rive à
leur propre gloire comme à leur fin dernière, leur libre arbitre demeure intact
car le libre arbitre concerne l’élection et porte sur le choix des moyens en
vue d’une fin. Il va de soi que si la fin ultimement visée est mauvaise, toute
l’activité qu’elle commande sera déviée.
Saint Thomas distingue donc chez les damnés une volonté de
nature et une volonté délibérative. La volonté de nature, qui persiste en eux,
vient de Dieu même elle est bonne et tend à l’être et au bonheur. Mais la
volonté délibérative, en vertu de laquelle ils se sont détournés définitivement
de Dieu, est en eux irrémédiablement pervertie en sorte que le bien qu’ils
peuvent vouloir, ils ne le veulent pas de la bonne manière et pour les borines
raisons, et que, même alors, leur volonté n’est pas bonne
De qu’elle nature peut être l’extraordinaire explosion
d’activité dans laquelle sont engagés les damnés ? Comment ne serait-elle pas
anarchique, puisque chacun d’eux cherche, en dernière instance, à tourner
toutes choses à sa propre gloire ? Une seule fin sera capable de la coordonner
: la haine commune qu’ils ont contre Dieu et contre l’ordre universel de la
création. Elle échoue sans cesse, mais renaît sans cesse. Elle leur est
nécessaire : elle trompe leur désespoir foncier par des tentatives toujours
différentes. L’espérance théologale brisée à jamais en eux, cèderont effet la
place à une pullulation de vains espoirs. Plutôt qu’au Sisyphe de l’Odyssée,
qui recommence le même effort de pousser son rocher jusqu’au faîte d’une
montagne et défaille au dernier instant, il faudrait penser à une activité
intelligente, inventive, fertile en trouvailles, en initiatives, en imprévus,
et s’exerçant dans des conditions et d’une manière chaque fois renouvelées ;
songeons à ces entreprises insensées dont Milton voudrait nous donner l’idée
quand, au début de son Paradis perdu il essaie, sans guère y réussir, de nous
décrire le complot des anges rebelles. L’enfer est une « histoire », non un
recommencement cyclique des mêmes événements. Le mythe antique de l’éternel
retour, qui enivre le Nietzsche de Zarathousstra,
et d’après lequel le nombre des échanges possibles entre les êtres étant
épuisé, tout recommencerait identiquement, est une absurdité. Des agents
libres introduisent, en effet, continuellement de nouveaux effets dans la trame
de la durée, on sorte que jamais les circonstances ne se reproduiront
inchangées. L’activité de l’enfer n’est pas comparable au fonctionnement d’une
machine : c’est une histoire qui s’invente et se déroule. »
[861] Origène, Des principes, II, 10, 4-5.
[862] « Se perdre, comprend-on la force de ce mot ? Se perdre, sans
s’échapper à soi-même. Etre dans l’Etre, avoir son centre hors de soi, sentir
que toutes les puissances de l’homme, se retournant contre l’homme, lui
deviennent hostiles sans lui être étrangères, n’est-ce point la conséquence et
la peine de l’orgueil, leur suffisance d’une volonté solitaire qui a place son
tout là où il n’y a rien pour la combler ? C’est une juste nécessite que
l’homme dont l’égoïsme a rompu avec la vie universelle et avec son principe
soit arraché du tronc commun. Et, jusqu’aux racines de sa substance, il périra
sans fin, parce que tout ce qu’il avait aimé sera en quelque sorte dévoré et
anéanti par la grandeur de son désir. Qui a voulu le néant l’aura ; mais qui
l’a voulu ne sera pas détruit pour cela. Et pourquoi pas l’anéantissement total
de ceux qui se sont séparés de la vie ? Mais non. Ils ont vu la lumière de la
raison, ils gardent leur volonté indélébile, ils ne sont l’homme qu’en étant
inexterminables. Ils ont circulé dans la vie et agi dans l’être. C’est à
jamais! Rien, en leur état, qui résulte d’une contrainte extérieure, ils
persévèrent dans la volonté propre qui est à la fois crime et châtiment. Ils ne
sont pas changés. Ils sont morts, et ce qu’ils ont d’être est éternel. Comme un
vivant lié des deux bras à un cadavre, qu’ils restent Leur idole morte!
Refuser son concours, livrer nos cœurs et nos œuvres à
l’embrassement des faux biens, c’est un adultère. Cette union qui nous
constitue, ce lien que nous voulons de nous à lui, comme il l’a voulu de lui à
nous, nous pouvons le violer sans le briser jamais. Grandeur redoutable de
l’homme. II veut que Dieu ne soit plus pour lui, et Dieu n’est plus pour lui.
Mais gardant toujours en son fond la volonté créatrice, il y adhère si
fermement qu’elle devient toute sienne. Son être reste dans l’Etre. Et quand
Dieu ratifie cette volonté solitaire, c’est le dam.
M. Blondel, l’action, 1893, p. 372-373
[863] Psaume 10, 7.
[864] Job 24, 19.
[865] Constitution « Benedictus Deus. »
[866] JEAN DE LA CROIX : Les avis, sentences et maximes, textes
présentes par Dom Chevallier, DdB, Paris, 1933, 206-208 (150).
Nous trouvons dans le prophète Isaïe que chaque pécheur a son
propre feu qui le châtie : « Marchez, dit-il, à la lumière de la flamme que
vous vous êtes allumée vous-mêmes » (Isaïe 50, 11). Ces paroles semblent indiquer
que chaque pécheur allume pour lui-même la flamme de son propre feu, et qu’il
n’est pas plongé dans quelque feu qui aurait été auparavant allumé par un autre
et qui aurait existé avant lui. De ce feu, l’aliment ce sont nos péchés.
Origène, des Principes II, 10, 4-5.
[867] A une époque où nombre de points restaient obscurs, Origène,
génialement du reste, avait parlé du feu de l’Enfer. Pour lui, ce feu désignait
le tourment intérieur d’une âme devenue pleinement consciente de son péché Sauf
quelques rares exceptions, la tradition ne l’avait pas suivi, insistant sur la
réalité, voire sur la matérialité du feu de l’enfer. Au XVIe siècle, un
dominicain, qui en prenait souvent à son aise avec les traditions théologiques
de son ordre, prétendit revenir purement et simplement à Origène. Dans un petit
livre sur la récompense des bons et le châtiment éternel des méchants, Catharin
entend prendre position dans une question libre et invite ses lecteurs à ne pas
le traiter immédiatement d’hérétique. Dans la récompense des élus, dit-il,
l’essentiel est la vision de Dieu, le reste même le rejaillissement de la
béatitude sur les corps glorifiés « dans le Ciel empyrée » est accidentel. De
même, quelles que soient la multitude et l’ampleur des tourments des damnés,
l’essentiel de leur châtiment est la privation de la vision de Dieu, privation
qui aura ses degrés comme au Ciel la gloire des élus. Mais qu’en est-il du feu
? Ceux qui croient à un feu matériel invoquent l’Ecriture, mais ils s’engagent
dans des difficultés inextricables. Comment un feu matériel peut-il tourmenter
des esprits ? On dira qu’ils portent ce feu partout avec eux, mais a-t-on songé
aux cas de possession ? Le Seigneur, certes, a parlé du feu, mais il a parlé
aussi d’un ver rongeur ; dans la parabole du mauvais riche, le sens
métaphorique s’impose pour la plupart des détails. Compte tenu de la difficulté
de répondre aux objections de la raison, notre théologien conclut : Le feu de
l’enfer est un feu métaphorique. Catharin fut aussitôt combattu, mais comme toujours,
la réaction dépassa la mesure.
[868] Dialogue 29.
[869] Ces objections (1 à 8) sont tirées de saint Thomas d’Aquin, Supplementum Question 70, article 3.
[870] Commentaire de la Genèse
33.
[871] Dialogue 4, 43.
[872] A. Michel, le feu de l’enfer, Dictionnaire de Théologie Catholique Tome 4, Colossiens. 2218.
[873] Question 52, a. 4.
[874] Tobie, 8, 3.
[875] Luc 8.
[876] L’enfer a été parfois présenté comme un immense camp de
concentration où les tortures les plus raffinées sont appliquées aux damnés
selon la loi du talion. Il y aurait alors bien plus de souffrances, de tortures
et de mal dans l’au-delà que sur
n’est certes pas une perspective encourageante sur la création de Dieu et sa
bonté. Il est dans ce cas bien évident que des gens se révoltent, ne pouvant
concilier la bonté divine à la cruauté de ces souffrances éternelles.
Vitalini Sandro, Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 7.
[877] « En ce qui concerne les conditions de l’homme après la mort,
le danger de représentations imaginatives et arbitraires est particulièrement à
redouter, car leurs excès entrent pour une grande part dans les difficultés que
rencontre souvent la foi chrétienne. Les images employées dans l’Ecriture
méritent cependant le respect. II faut en saisir le sens profond, en évitant le
risque de trop les atténuer, ce qui équivaut souvent à vider de leur substance
les réalités qu’elles désignent. » Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie
[878] La volonté du damné est divisée, déchirée. Il souffre une peine
afflictive qu’il ne veut pas, dont il a horreur : en effet, il tend
naturellement à Dieu en vertu de la structure de son être ; et du fait même
qu’il a été ordonné à la vision surnaturelle de Dieu ; du fait même que la vie
éternelle qu’il refuse lui a été offerte ; bref, du fait même qu’un bonheur qui
comble à l’infini sa capacité de désir lui a été montré possible dans l’instant
même qu’il le refuse, et a éveillé la faim de tout son être, la béatitude
surnaturelle est devenue pour lui l’unique terme dans lequel son ordination
naturelle peut être satisfaite ; elle est devenue pour lui un bien réclamé par
son être, un bien dont l’absence est une privation et la pire de toutes.
Jacques Maritain, « neuf leçons sur les notions premières de la
philosophie morale », Paris, Téqui, 1951, pp. 189-190.
[879] Marc 9, 48.
[880] Sagesse 17, 4.
[881] Jean 19, 37.
[882] Six fois en Matthieu, une fois en Luc ; ex : Matthieu 8, 12.
[883] Luc 16, 23.
[884] Job 1, 6.
[885] Matthieu 22, 13.
[886] Sagesse 5, 2.
[887] Apocalypse 19, 10.
[888] Deutéronome 29, 12.
[889] Isaïe 34, 9.
[890] Apocalypse 2, 11.
[891] Jean-Paul Sartre.
[892] Sagesse 5, 21.
[893] FRANCOIS DE SALES, saint : Traité
de l’amour de Dieu, 9, 1.
[894] Cet article est celui de saint Thomas, Supplementum Question 89, a. 1.
[895] « Nous venons de lire que le réprouvé continue de vouloir la
révolte qui fait son malheur. Est-il possible qu’on veuille le malheur ? Non ;
c’est toujours un bien que cherche la créature libre ; mais ce bien peut être
lié à quelque grand désordre qui fera son malheur. Saint Thomas cite l’exemple
d’un homme emprisonné, qui pour assouvir sa vengeance ne songe qu’à tuer son
ennemi, et se repaît de la haine même qui le ravage et le désespère. A la forme
commune et banale du désespoir, celle de l’homme qui ne veut pas être lui-même
et fuit dans les compensations du rêve, Kierkegaard oppose une forme suprême du
désespoir, qu’il appelle démoniaque, où l’homme, au contraire, se dresse contre
tout ce qui n’est pas lui, où il veut être lui-même contre tout l’univers et
jusque contre Dieu, cherchant à s’enfoncer comme une écharde dans le cœur de
Dieu ; ou, selon une autre comparaison, s’efforçant d’être dans l’œuvre divine
comme la coquille fatale, cent fois corrigée par l’auteur, mais obstinée à
renaître afin de détruire tout le sens d’un beau poème »
[896] Matthieu 22, 14.
[897] Apocalypse 7, 4.
[898] Apocalypse 9, 18.
[899] cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia 63, 9, ad l.
[900] Par exemple pendant les apparitions de la Vierge à Fatima.
[901] Matthieu 8, 12.
[902] Métaphysique 1.
[903] C’est le cas des témoins de Jéhovah.
[904] Jean 17, 12.
[905] 1 Corinthiens 3, 15.
[906] Hans-Urs von BALTHASAR, Jugement Communio (traduit de
l’allemand par Jacques Keller).
[907] Matthieu 12, 32.
[908] ibidem 25, 42 s.
[909] „Kleine
Diskur. »
[910] Genèse, 3, 5.
[911] Le milieu divin, Paris, édit. Le Seuil, 1957, p. 189.
[912] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 1.
[913] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 2.
[914] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 3.
[915] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 4.
[916] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 5.
[917] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 6.
[918] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 7.
[919] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 8.
[920] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 98, a. 9.
[921] Depuis les Pères jusqu’à l’âge moderne (Péguy, Papini et même
Barth), on a voulu mitiger cette vérité en imaginant soit une réduction
progressive des peines, soit leur fin. Mais ces théories se heurtent à
l’affirmation de la Foi Catholique qu’il n’y a repentir là où le choix a été
parfaitement lucide et définitif. Dans leur refus, l’ange et l’homme ont voulu,
ils l’ont obtenu : ils ont affirmé leur personnalité en opposition à Dieu. Ce
n’est pas Dieu qui ne veut pas pardonner, c’est le pécheur qui ne veut pas
l’être.
Pour Origène, les peines de l’enfer ne sont pas éternelles, à
moins qu’on n’admette que la succession indéfinie des mondes ne soit comme la
transposition chrétienne du mythe de Sisyphe, les damnés impuissants
recommençant perpétuellement leur existence manquée. Mais on interprète
habituellement ici la pensée origénienne en la qualifiant de restitutionnisme
intégral. » Quelles qu’aient été leurs aventures, leur histoire, toutes les
créatures raisonnables seront finalement sauvées et jouiront de la béatitude
éternelle. Toutes, même le démon, la logique l’exige, puisque au départ il n’y
a pas de différence de nature entre les esprits également intelligents et
libres. »
[922] Les objections viennent de saint Thomas, Supplementum, Question 99, a. 2.
[923] Le mystère de l’enfer,
Nova et Vetera, 265 ; Charles JOURNET. Dieu est-il responsable du péché ? p. 206-Nova et Vetera, 1959, 3.
[924] Jean, 1, 9.
[926] VITALINI, Sandro : La predicazione del mistero dell’inferno, en La Scola, Catholica,
1971, 3, 194-209.
[927] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 99, a. 2.
[928] Voir Supplementum,
Question 99, a ; 3 ; Traités par saint Thomas dans sa jeunesse, ces articles
revêtent parfois une marque littéraire farouche comme l’Ancien Testament.
Rappelons-le : Nous avons vu que ce n’est pas pour n’importe quel péché mortel
que l’homme est damné mais seulement pour celui qui est pleinement conscient et
volontaire, à savoir le péché contre l’Esprit Saint. Dieu n’applique donc pas à
l’homme une stricte justice et sa miséricorde est toujours prête à pardonner.
La cause première de la damnation éternelle n’est pas en Dieu mais en l’âme elle-même.
Elle tient en deux choses :
1) à la nature du péché commis qui est par soi irrémissible
selon la parole du Seigneur : « Celui qui blasphème contre le Saint Esprit
ne sera pardonne ni en ce monde ni dans l’autre » La raison en est que
celui qui commet un tel péché le fait de telle manière qu’il n’a que faire du
pardon de Dieu et se complet librement et obstinément dans sa perversion.
2) à l’état de la nature humaine après la mort qui ne peut en
aucune manière revenir sur ses actes ni dans le sens du bien ni dans le sens du
mal : l’intelligence libérée du conditionnement des sens connaît d’une manière
intuitive la nature des réalités et ne peut plus errer. La volonté qui suit
l’intelligence demeure donc irrémédiablement fixée sur ce qui lui apparaît une
fois pour tout le bien absolu. Ainsi, la justice divine, en appliquant à l’âme
la peine de l’éternelle damnation ne fait que lui attribuer ce qu’elle mérite
elle-même. C’est en premier lieu l’homme et non Dieu qui est cause de
l’éternité de l’enfer.
[929] GREGOIRE DE NYSSE, saint : Or. Cath. 26, 7-9 ; 35, 14-15.
[930] Concile Vatican II, Lumen Gentium 48.
[931] Hébreux 9, 27.
[932] cf. Matthieu 25, 31-46.
[933] cf. Matthieu 25, 41.
[934] cf. Matthieu 25, 41.
[935] Matthieu 22, 13 et 25, 30.
[936] Voir dans la Somme
théologique, Supplementum
Question 99, a. 5.
[937] Matthieu 25, 40.
[938] Pour conclure cette question 14, citons Urs von Balthasar[938]
: « Si l’on admet que rien dans le monde n’est créé sans le Verbe-Parole ni
en dehors de lui[938],
alors « l’essence la plus intime » du monde repose « sur le Verbe de Dieu et
n’est intelligible que par lui. De ce point de vue, même la tentative faite par
un homme de s’exclure de la vie trinitaire de rédemption du monde dans le
Christ et de créer en soi l’enfer, demeure inscrite dans la mouvance du Christ
; à ce titre, elle est déterminée par son essence et sa direction, qui consiste
à communiquer au monde la liberté du bien absolu. Seule la liberté du Christ
est assez puissante pour briser nos esclavages et réduire leur désordre à une
unité ordonnée. Il est vrai que cette union nous conduit, au terme, à un
jugement où toute la diversité de notre vie et de notre action se trouve
condensée en une parole unique, celle-là même que nous avons toujours perçu,
dès le début de notre entrée dans la foi, et dans laquelle toute parole et tout
acte de notre part se trouve inscrit. Ce qui, vu du dehors, apparaît comme
soumission terrestre au Christ, est, considéré de l’intérieur, libération pour
l’éternel. Le concept de liberté lui-même subit, dans la soumission au Christ,
un tel élargissement que toutes les libertés terrestres en apparaissent
limitées et insignifiantes, du fait qu’elles se heurtent toujours à des
frontières. Au contraire, l’espace ouvert par le Christ est traversé « par le
souffle de l’Esprit qui procède du Père et du Fils », il est trinitaire. La
soumission au Christ, et elle seule, introduit dans « la loi parfaite de
liberté », de même que la soumission suprême de Jésus à la Croix signifie tout
autant l’actualisation suprême de sa liberté. Notre soumission représente donc
la confirmation de notre liberté. C’est à l’intérieur de l’obéissance que Dieu
accorde la liberté. Plus un homme se décide pour Dieu et s’attache à lui, plus
sa liberté se constitue en liberté. »
[939]La Tradition chrétienne parle encore du feu du purgatoire, de
l’endroit où il serait situé, et de la durée des peines que les âmes justes y
endurent. Rien cependant n’a été défini par l’Église à propos de ces divers
points. Bien plus, on peut affirmer que ces termes, selon le sentiment commun
des théologiens, ne doivent pas être entendus ici comme désignant ce qui y
correspond dans notre expérience humaine actuelle. Le Concile de Trente, d’ailleurs, a condamné avec une particulière
rigueur toute curiosité indiscrète concernant ces questions difficiles. La
prudence demande donc qu’en matières on n’accepte qu’avec réserves des récits
ou des spéculations où l’imagination aurait plus de part que la raison, et qui,
peut-être, seraient inspirés par des préoccupations peu conformes à l’esprit chrétien.
L’intention de l’Église cependant n’est pas d’interdire aux
théologiens de scruter par la raison certains aspects de ce point de notre foi.
C’est ce que nous voudrions faire dans cette note à propos de la durée des
peines du purgatoire, et de son rapport aux suffrages offerts par les fidèles
pour le soulagement des âmes qui y souffrent. RATZINGER J, La mort et l’au-delà, p.
228.
Voir dans la Somme
théologique : Satisfaction. En quoi consiste la satisfaction. sup. q.
12.-De sa possibilité. sup. q. 13.-De sa qualité. sup. q. 14.-Des choses par
lesquelles on satisfait. sup. q. 15-Des suffrages. Des suffrages des morts.
sup. q. 74, purgatoire. Les âmes des fidèles qui n’ont pas été purifiées
ici-bas sont purifiées par le feu du purgatoire. sup. q. 69, 2. c. et 7. c. et
q. 100. 1, c et ad 2.-Si le feu du purgatoire est localement séparé de celui de
l’enfer. sup. q. 100. 5. La moindre peine du feu du purgatoire surpasse toutes
les peines de cette vie. Sup. q. 100, 5. o.-Les âmes supportent les peines du feu
du purgatoire d’une volonté conditionnelle selon qu’elles n’arriveront pas à la
béatitude sans passer par ces souffrances. sup. q.-100. 4. o ;-La justice
divine purifie les âmes des fidèles par le seul feu du purgatoire sans le
ministère des démons.
[940] Apocalypse 14, 13.
[941] Lettre à Mekhitar
d’Arménie, 29 septembre 1351 (DS 854), Voir aussi DS 1304, DS 1820.
Concile de Trente, Session 25, D. B, Enchiridion,
983, Trad. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire
de Théologie Catholique 1278-1279.
[942] 2 Macchabées. 12, 46.
[943] 1 Corinthiens 3, 15.
[944] Luc 12, 59.
[945] Lumen Gentium, 49.
[946] 1 Rois 19, 13.
[947] Matthieu 19, 25 :
« Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits : Qui donc peut
être sauvé ? Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit : « Pour les
hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »
[948] Autant que faire se peut pour une créature limitée
[949] Ce que l’Écriture appelle « le baptême d’eau et d’esprit. » Jean
3, 5 Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître
d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » De même,
l’eau et le sang qui sortit du côté du Christ symbolisaient ces deux qualités.
Il s’agit donc d’un mystère central de la Révélation.
[950] Voir principalement le célèbre Traité du purgatoire de sainte Catherine de Gênes. A propos des
trois degrés du purgatoire, dont on peut aussi en extraire la doctrine des
traités de théologie mystique (Voir par exemple la structure générale du château intérieur de sainte Thérèse
d’Avila.
[951] Traité du purgatoire.
[952] Voir Apocalypse 8, 1 : « Il se fit un silence dans le Ciel,
environ une demi-heure. », c’est-à-dire le temps d’une vie terrestre.
[953] Jean 20, 29. Parfois, en vue de l’humiliation et de l’humilité,
la possibilité de croire lui est refusée par Dieu. La foi étant un don de Dieu,
Dieu peut, provisoirement, ne pas en proposer la possibilité à un homme en vue
d’une plus grande préparation de son esprit à cette proposition à l’heure de la
mort.
[954] Extrait de Starmania,
Michel Berger. Cette sagesse de Dieu sur les hommes de bonne
volonté n’a pas disparu aujourd’hui. Il existe des justes au sens biblique du
terme, des hommes droits qui n’ont pas reçu la grâce de la foi.
[955] Job 26, 5 : « Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et
leurs habitants sont dans l’effroi. »
[956] Voir par exemple Genèse 42, 38 : « S’il lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre,
vous feriez descendre dans l’affliction mes cheveux blancs au shéol. »
[957] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue
par l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire
d’un degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de
l’Église (voir en fin d’ouvrage).
[958] Genèse 28, 11.
[959] Mgr d’Hulst, dans ses Lettres
de direction, (1906, p. 154-156), décrit de la façon suivante les trois
degrés du purgatoire. Nous ne pouvons malheureusement souscrire à ce texte
puisqu’il y voit l’augmentation de l’amour. Il s’agit plutôt d’une description
de la manière dont pourrait s’effectuer une purification active ici-bas : « Je
voudrais vous dire comment j’ai vu cette année le purgatoire. Au sortir de
cette vie, beaucoup d’âmes, sauvées par miséricorde, sont par rapport au Ciel
de véritables étrangères, elles n’en savent pas la langue, elles ne sont pas
vêtues comme il faut pour y entrer ; elles ne sauraient pas y trouver leur
place. Alors, la miséricorde les envoie se purifier. Cette purification a trois
phases.
La première, c’est l’humiliation. Dieu leur envoie sa lumière et
elles se voient telles qu’elles sont ; la confusion qui naît de là est une
agonie comparable à celle de Jésus au jardin, quand il s’est vu couvert des
péchés du monde. Sur la terre, ces pauvres âmes buvaient le péché comme de
l’eau ; maintenant elles en ont horreur et s’en voient chargées. Ce tourment
dure longtemps à moins qu’il ne soit abrégé par les prières et les sacrifices
qui montent de la terre.
Quand ces âmes ont acquis, à leurs dépens, la vraie notion et la
haine du péché, Dieu, par une seconde illumination, se montre à elles de loin
dans sa beauté, et enflamme des désirs qu’elles ne se connaissaient pas. Alors
elles se souviennent du temps où Dieu était tout près, où il frappait à leur
porte, et où elles ne l’ouvraient pas, aimant mieux un plaisir, un hochet, un
écu. Maintenant elles brûlent du désir d’aller à Lui, et c’est Lui qui
s’éloigne. Ces désirs sont un supplice, mais un supplice qui purifie et prépare
à l’amour.
Quand la seconde œuvre est faite, l’amour entre en scène, il
pénètre ces âmes et les fait fondre sous son feu. Alors, elles se souviennent
de leurs mépris, (les rebuts qu’elles lui ont infligés) et la contrition
parfaite, celle des grands pénitents, celle dont elles étaient incapables à
l’heure du pardon reçu ici-bas, cette contrition d’amour les envahit, les
purifie et les introduit au Ciel.
Voilà le purgatoire avec ses trois heures d’agonie. Qui nous
empêche de l’anticiper, de commencer par l’humiliation, de continuer par le
désir ; de finir par l’amour ? »
[960] Jérémie 4, 10. Presque la totalité des textes de l’Ecriture,
ancien et nouveau Testament, qui parlent de « ce jour-là » ou du «
jour du Seigneur » expriment sous forme métaphorique la parousie du Christ
et ses effets.
[961] Galates 5, 11.
[962] Luc 18, 26.
[963] Voir Question 8, article 2.
[964] Matthieu 17, 12.
[965] Origène semble bien avoir accepté l’idée d’une succession
indéfinie des mondes. L’univers serait alors un chantier d’âmes, mais où l’on
reprendrait sans cesse des constructions jamais achevées. G. Bardy [Origène, Dictionnaire de Théologie Catholique, t.
11, 1549-1550] suit ici la reconstruction de Denis, qui cherche à concilier la
succession indéfinie des mondes avec l’idée de finalité.
[966] L’allusion à l’unicité de la vie terrestre a été introduite
dans Lumen Gentium 48 à la demande de
nombreux évêques brésiliens pour s’opposer à l’idée de réincarnation
[967] Ici aussi vaut le principe selon lequel l’amour franchit le
seuil de la mort. Le sensus fidei a vécu dès le début dans la certitude
que nous pouvons aider de notre prière nos frères et sœurs trépassés, même
lorsque leur « unique vie terrestre » est terminée car la communauté de l’amour
ne cesse pas, allusion au caractère unique de notre vie terrestre.
[968] Jean 9, 3.
[969] « Il nous faut jeter, ne serait-ce qu’un rapide coup d’œil,
sur les motifs historiques des stratégies actuelles de l’espérance. Car
l’attente d’un monde tout à fait juste n’est pas le fruit d’une pensée
technologique, mais elle a ses racines dans la mentalité judéo-chrétienne
L’idée d’un cycle éternel ou d’une libération par l’entrée au nirvana a armé
d’autres cultures contre le désespoir que devrait déclencher à toutes les
époques le simple présent avec son cortège de souffrances et d’injustices.
L’idée d’un salut définitif à venir n’est sans doute pas exclusive au monde judéo-chrétien,
mais c’est clans ce milieu qu’elle a été formulée avec le plus de vigueur et
d’insistance Le poids des inclinations terrestres héritées de l’Ancien
Testament a entraîné la chrétienté primitive à compléter l’espérance
transcendante du royaume de Dieu par l’idée d’un règne millénaire du Christ sur
terre avec les premiers ressuscités. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà,
Communio-Fayard, 1994, p. 218
[970] 1 Théssaloniciens 5, 2
[971] Vie de saint Malachie.
[972] Proverbes 9, 17. De nombreux textes de l’Ancien testament à
propos du shéol pourraient être interprétés dans le sens de Job 26, 20 : « Les
Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans l'effroi.
Devant lui, le Shéol est à nu, la Perdition à découvert. »
[973] Sagesse 17, 14.
[974] Quelques témoignages actuels : Clémence Ledoux, fondatrice de
la Fraternité de Marie-Reine Immaculée et ses visions lors d’une visite du
château de Versailles, vit nettement des âmes habillées en costume de l’époque
du Grand siècle.
[975] Dans l’Egypte
pharaonique, on parle du corps physique, du Kâ
(le double) et du Baï représenté sous
la forme d’un oiseau portant la tête du mort (l’esprit). Le grand et ultime
voyage commence par la séparation du Kâ
spirituel du corps matériel. Le Kâ est
le corps double du défunt, qui sort de son cadavre. Avec lui, le Baï, âme de l’homme, est détaché de la
vie terrestre et tourne désorienté autour du cadavre. La compatissante Isis
(épouse aimante du dieu de la mort Osiris) l’accueille sous ses grandes ailes
affectueuses et le confie au savant dieu Anubis (représenté avec une tête de
chacal) afin qu’il le réconforte et lui serve de guide et de soutien jusqu’au
jugement divin. Sous forme imagée, il s’agit de la même réalité.
[976] Constitution dogmatique « Benedictus
Deus. »
[977] Gaudium et Spes 22,
5.
[978] Nombres 14, 1.
[979] Nombres 14, 33.
[980] Luc 12, 19.
[981] Luc 5, 8.
[982] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[983] Marc 6, 49.
[984] Genèse 6, 5.
[985] Matthieu 19, 23.
[986] Apocalypse 1, 18
[987] Job 17, 13.
[988] 2 Samuel 22, 5.
[989] Deutéronome 8, 3.
[990] BENOIT XII Constitution apostolique « Benedictus Deus », 29 janvier 1336, Dumeige 511.
[991] Sainte Catherine de Gènes, Traité
du purgatoire chapitre III.
[992] … qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue
par l’Église comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire
d’un degré bien sûr inférieur à celui de l’Écriture Sainte ou du Magistère de
l’Église (voir en fin d’ouvrage).
[993] Vie de Sainte Brigitte, tome II ch XXXI.
[994] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[995] Matthieu 20, 6.
[996] Saint Alphonse de Ligori : le
grand moyen de la prière.
[997] 2 Samuel 22, 5.
[998] 2 Théssaloniciens 2, 2-5.
[999] Matthieu 28, 7.
[1000] Matthieu 4, 15.
[1001] 2 Pierre 3, 9.
[1002] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1003] Sainte Faustine, Petit journal, (no. 1486)
[1004] Traité du purgatoire
III.
[1005] Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 34-35.
[1006] Sacré Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques notions d’eschatologie,
17 mai 1979.
[1007] Apocalypse 19, 7.
[1008] Cantique des cantiques 5, 6-7.
[1009] 1 Corinthiens 3, 15.
[1010] Vitalini Sandro, Traité
de l’au-delà, Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 35.
[1011] Cet article est de saint Thomas d’Aquin, Supplementum Question 70 ter, article 5.
[1012] Sainte Catherine de Gènes, Traité
du purgatoire chapitre III.
[1013] Matthieu 25, 46.
[1014] Psaume 10, 7.
[1015] Dialogue livre 4, 43.
[1016] Seule sa grâce peut nous purifier, à présent dans la mort et
au-delà même de la mort, si en cette vie nous acceptons au moins de ne pas nous
fermer à sa pitié. Morts dans le Seigneur, les défunts sont en sa main, et là, au
terme de leur route terrestre, ils connaissent sa joie, sa vie pour nous
mystérieuse. Le Seigneur parfait son œuvre et marque de l’empreinte définitive
de sa beauté l’ouvrage de ses mains.
Proposition de foi des
évêques français, 1978, Documentation catholique, n°1073.
[1017] Saint Thomas d’Aquin, Supplementum
Question 70, article 3.
[1018] Le cardinal Joseph Ratzinger écrit : La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 226 : « Ainsi,
dans l’histoire des saints, surtout de ces derniers siècles, chez Jean de la
Croix, dans la spiritualité du Carmel et avant tout chez Thérèse de Lisieux, le
mot « enfer » a pris une signification toute nouvelle et une toute nouvelle
forme. Pour eux, l’enfer est moins une menace qu’ils brandissent contre les
autres, qu’un appel à souffrir dans la nuit obscure de la foi la communion avec
le Christ en tant que communion aux ténèbres de sa descente dans la nuit ; à
approcher la lumière du Seigneur parce qu’ils partagent ses ténèbres et servent
le salut du monde en oubliant leur propre salut au profit des autres. Dans une
telle spiritualité, rien n’est édulcoré de la terrible réalité de l’enfer ; il
est si réel qu’il pénètre dans leur propre existence. Une espérance ne peut lui
être opposée que si l’on partage la souffrance et la nuit de Celui qui est venu
transformer toute notre nuit par ses souffrances. L’espérance ne naît pas de la
froide logique d’un système, de l’appauvrissement de l’homme, mais du sacrifice
de l’innocent et de l’affrontement de la réalité au côté de Jésus-Christ. Une
telle espérance ne devient pas affirmation arbitraire ; elle remet sa supplique
dans les mains du Seigneur et l’y abandonne. Le dogme trouve sa vraie dimension
; l’idée de la miséricorde qui, sous une forme ou sous une autre, l’a
accompagné tout au long de l’histoire ne devient pas théorie, mais prière d’une
foi qui souffre et qui espère. »
[1019] Deutéronome 28, 65.
[1020] Traité du purgatoire,
chapitre VIII.
[1021] Osée II ;
[1022] Isaïe 1, 4 ;
[1023] Traité du purgatoire
VIII.
[1024] Voir Question 7 article 9.
[1025] Matthieu 22, 40.
[1026] Voir saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
question 70, article 4.
[1027] Sainte Catherine de Gènes, Traité
du purgatoire, III.
[1028] Bulle « Exurge domine », 5 juin 1520.
[1029] Matthieu 25.
[1030] Voir ce traité, question 9, article 7.
[1031] Luc 16, 27.
[1032] Saint Alphonse de Ligori : Le
grand moyen de la prière.
[1033] Ibidem.
[1034] « Je veux voir Dieu ».
[1035] Lettre à l’évêque de
Tusculum, 6 mars 1254, p. 509.
[1036] Matthieu 12, 32.
[1037] L’interprétation chrétienne du purgatoire s’est donc clarifiée
à nos yeux en ce qu’elle a d’essentiel. Ce n’est pas une sorte de camp de
concentration dans l’au-delà (comme
chez Tertullien°, où l’homme devrait subir des châtiments qui lui seraient
imposés d’une manière plus ou moins positiviste. C’est plutôt le processus
interne et nécessaire de transformation de l’homme, par lequel ce dernier
devient capable du Christ, capable de Dieu et par suite capable de s’unir à
toute la communio sanctorum. Celui-là seul, qui considère l’homme de
faon en quelque manière réaliste, comprendra la nécessité de cette opération
qui, loin de substituer les œuvres à la grâce, assure au contraire la totale
victoire de cette dernière. L’assentiment capital de la foi sauve, mais cette
décision essentielle est chez la plupart d’entre nous recouverte très
réellement de beaucoup de foin, de bois et de paille. Ce n’est qu`à grand peine
qu’elle perce le treillis de l’égoïsme dont l’homme n’a pu se débarrasser. Il
bénéficie de la miséricorde, mais il doit être transformé. La rencontre avec le
Seigneur constitue cette transformation, ce feu qui, en brûlant, le
métamorphose en cet être sans scorie qui peut devenir le vaisseau d’une joie
éternelle. Une telle conception ne serait en opposition avec la doctrine de la
grâce que si la pénitence était opposée à la grâce, alors qu’elle en est la
forme : possibilité offerte qui naît de cette grâce. Ce qui est important dans
l’équivalence faite par Cyprien et Clément entre le purgatoire et la pénitence
ecclésiale, c’est que la doctrine chrétienne du purgatoire, qui tient sa
dimension propre de la christologie, a son fondement dans la grâce
christologique de la pénitence et qu’elle est une conséquence intrinsèquement
nécessaire de l’idée de pénitence, c’est-à-dire de cette idée que le pardon
dispose à la conversion.
RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 239.
[1038] Question 15, article 2.
[1039] Matthieu 8, 8.
[1040] Philippiens 2,7.
[1041] Jean 13, 4-16.
[1042] Jean 14, 9.
[1043] Jean 12, 24.
[1044] Luc 12, 34.
[1045] Matthieu 21, 31.
[1046] Voir chez saint Thomas d’Aquin, Supplementum Question 70 ter, article 7.
[1047] Matthieu 7, 1.
[1048] Le cardinal Ratzinger écrit à propos de la dette de peine : « Mais,
une fois de plus, se pose ici une question d’importance. Comme nous l’avons vu,
la prière pour les défunts, sous ses multiples formes, appartient aux tous
premiers temps de la tradition judéo-chrétienne. Or cette prière ne
présuppose-t-elle pas que le purgatoire est une sorte de châtiment externe dont
on serait exempté en empruntant la voie de la grâce ou que d’autres pourraient
subir par une sorte de substitution spirituelle ? Quelqu’un peut-il donc entrer
autrement dans le processus hautement personnel de rencontre avec le Christ, de
transformation de son moi par le feu de son approche ? N’est-ce pas un
événement propre à tel homme, qui ne laisse place à aucune substitution, à
aucun remplacement ? Toute la spiritualité des « pauvres âmes » ne
repose-t-elle pas sur le fait que la souffrance de ces âmes est traitée à la
manière d’un « avoir «, tandis que, d’après ce qu’on vient de dire, il s’agit
de leur « être », de quelque chose d’irremplaçable ? Il faut à cela objecter
que l’être de l’homme n’est pas, lui non plus, une monade close, mais, par
l’amour et par la haine, il est relié aux autres en qui il est présent. L’être
personnel est présent dans les autres comme faute et comme grâce. L’homme n’est
jamais uniquement lui-même ou plus exactement il est lui-même dans les autres,
avec les autres, par les autres. Que les autres le maudissent ou le bénissent,
qu’ils lui pardonnent et transforment sa faute par amour, c’est une part de son
propre destin. Que les saints « jugent », cela veut dire que rencontrer le
Christ, c’est être mis en présence de tout son corps, de ma faute contre les
membres souffrants de ce corps et de son amour pardonnant qui émane du Christ.
» L’intercession des saints auprès du juge n’est pas [...] une prière purement
externe, dont la portée reste douteuse selon l’insondable volonté du juge ;
Elle est avant tout un poids interne qui, placé sur le plateau de la balance,
peut la faire pencher. » Cette intercession est le seul aspect fondamental de
leur « jugement » ; c’est même justement par leur jugement et leur prière
salvatrice qu’ils ont place dans la doctrine du purgatoire et dans la vie
chrétienne correspondante. » J’espère en toi pour moi, RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard
1994, p. 240
[1049] RATZINCER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 190 : « L’homme n’a pas seulement
un temps physique, mais aussi un temps anthropologique. Nous référant à
Augustin, appelons « temps mémoire » ce « temps humain. »
Ajoutons que ce temps-mémoire est caractérisé par la relation de l’homme au
monde corporel, sans être complètement lié à ce monde et sans non plus qu’on
puisse totalement l’en détacher. Ce qui veut dire que lorsque l’homme sort du
monde biologique, le temps-mémoire se dissocie du temps physique et subsiste
comme temps-mémoire pur, sans pour autant devenir « éternité ». Là se
trouve la raison du caractère définitif de ce qui s’est accompli en cette vie
et de la possibilité d’une purification comme d’un ultime destin à courir dans
une nouvelle relation à la matière. C’est la seule explication qui permette de
considérer la résurrection comme une possibilité nouvelle offerte à l’homme,
voire comme une nécessité à laquelle il lui faut s’attendre ».
[1050] D. S. 2063.
[1051] Vitalini Sandro, Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 38.
[1052] Luc 15, 20.
[1053] Voir saint Jean de la Croix.
[1054] Cantique 5, 6.
[1055] Voir saint Jean de la Croix.
[1056] Romains 9, 3.
[1057]Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Ia IIae question 89 article 6.
[1058] CONCILE DE TRENTE, Op. cit. Dumeige 358.
[1059] Vatican II, Gaudium et
Spes n° 22, 5, trad. Officielle.
[1060] Voir l’article « Misère
des enfants et péché originel d’après saint Augustin », F. Refoule, Revue
Thomiste, juillet 1963, p. 341.
[1061] Constitution Benedictus Deus, Dumeige p. 510.
[1062] 1 Timothée 2, 3-4.
[1063] Voir dans ce traité, Question 16.
[1064] Voir dans ce traité, Question 1, article 2 ; Question 1
bis.
[1065] Luc 3, 1.
[1066] Denzinger Schön. 858. C. JOURNET, La volonté divine salvifique sur les petits enfants.
[1067] Ibidem 1306 (1438-1445). Le Décret Pro jacobitis du
même concile précise qu’il n’est possible de venir en aide aux petits enfants «
par un autre remède que le sacrement de baptême », Ibidem 1349.
[1068] Décret sur le baptême, Denzinger, 2626.
[1069] La thèse que nous proposons doit bien sûr subir la critique des
théologiens. Mais elle a l’avantage de s’inscrire dans le cadre d’une doctrine
traditionnelle, celle du baptême de désir. On pourrait nous objecter cette
Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Tirée de
l’instruction sur le baptême des petits enfants (DC, 1997, n° 1980, p.
1109) : « Par sa doctrine et sa pratique, l’Église a montré qu`elle ne
connaît pas d’autre moyen que le baptême pour assurer aux petits enfants
l’entrée dans la béatitude éternelle. C’est pourquoi, elle se garde de négliger
la mission qu’elle a reçu de baptiser les petits enfants. Quant aux petits
enfants décédés sans avoir reçu le baptême, l’Église ne peut que les confier à
la miséricorde de Dieu comme elle le fait dans le rite des funérailles qu’elle
a créé pour eux. »
[1070] « A mes Petits Frères du Ciel, les innocents. »
[1071] Luc 16, 22.
[1072] Marc 10, 13.
[1073] Derniers entretiens, 16 août 1897, éditions du Cerf, Paris.
[1074] « J’entre dans la vie
», Cerf-Desclée de Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée le 10 juillet 1897 (83
jours avant sa mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès
Martin) sous le titre : « Paroles recueillies les derniers mois de notre
Thérèse. »
[1075] Lettre d’Innocent IV à
l’évêque de Tusculum (06/03/1224)
[1076] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de
Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa
mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le
titre : « Paroles recueillies les derniers mois de notre Thérèse. »
[1077] Manuscrits autobiographiques de sainte Thérèse de
Lisieux, l’enfance.
[1078] Marc 10, 13.
[1079] 4 octobre 1997.
[1080] Voir la lettre apostolique Ad Tuendam Fidem, 30 juin
1999, et le commentaire du Cardinal préfet de la Congrégation pour la foi qui
montre que la condamnation de l’avortement relève bien du Magistère solennel.
[1081] « J’entre dans la vie », cerf-Desclée de
Brouwer, 1977, p. 66. Parole relevée par le 10 juillet 1897 (83 jours avant sa
mort) sur le petit carnet jaune par mère Agnès de Jésus (Agnès Martin) sous le
titre : « Paroles recueillies les derniers mois de notre Thérèse"
[1082] Apocalypse 7, 13.
[1083] Romains 10, 14.
[1084] Voir chacune des références dans le Dentzinger, Cerf, Paris,
1997.
[1085] Actes 16, 6.
[1086] S'il l'avait voulu, ce serait fait depuis longtemps en raison
de la puissance de l'Esprit et seuls résisteraient aujourd’hui ceux qui en
auraient fait lucidement ce choix.
[1087] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1088] Allocution SINGULARI QUADAM de Pie IX (9 décembre
1854).
[1089] 1 Jn 3, 2.
[1090] Ep 4, 51.
[1091] Lettre du Saint Office à
Mgr Cushing, Archevêque de Boston, 8 août 1949.
[1092] Hébreux 11, 6.
[1093] Hébreux 11, 6.
[1094] Luc 17, 10.
[1095] De Veritate, 14, 11,
1.
[1096] Luc 7, 47.
[1097] Romains 6, 1.
[1098] Voir notre traité, question 11, article 5.
[1099] Luc 12, 34.
[1100] La question 71 du Supplementum
à la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin est ici reprise, avec des
modifications.
[1101] « Reconnaissant
dès l’abord cette communion qui existe à l’intérieur de tout le corps mystique
de Jésus Christ, l’Église en ses membres qui cheminent sur terre a entouré de
beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps du christianisme
en offrant aussi pour eux ses suffrages, car « la pensée de prier pour les
morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, est une pensée sainte et
pieuse. »
2 Macchabées 12, 45
(Lumen Gentium 50).
[1102] 2 Macchabées 12, 45.
[1103] L’article du Supplementum
de la Somme théologique n’est plus
utilisable dans l’état ou le jeune saint Thomas l’avait écrit.
[1104] Luc 16.
[1105] Cet article est, en conséquence de la thèse sur la venue du
Christ à l’heure de la mort, rajouté à la question de saint Thomas d’Aquin.
[1106] Affirmer la
communion des saints, c’est déjà, d’une manière très générale, prendre le contre-pied
d’une certaine compréhension de la vie chrétienne : celle qui la voit comme une
grandeur isolée comme si, plus l’unique (Kierkegaard) était isolé et solitaire
dans sa recherche de Dieu, plus il était un chrétien authentique, existentiel.
Pour la Bible celui qui croit ne peut que « demeurer dans la communauté de ceux
qui rompent le pain » (Actes 2, 42), qu’être appelé dans la « communauté du
Fils (de Dieu) » I Corinthiens 1, 9), et ce par la « communion au sang du
Christ » bu à la même coupe, et par la communion à son corps mangé dans le même
pain (10, 16). Tout ceci se replaçant dans la « communion de l’Esprit Saint »
(2 Corinthiens 13, 13), qui est communion avec le Christ et communion les uns
avec les autres par lui (cf. Philippiens, 2, 1). Mais la communion dans le
Christ représente en même temps une garantie de « communion dans la consolation
» par Dieu (2 Corinthiens 1, 7), et même une « communion dans la gloire à venir
» (I Pierre 5, 1). Toute la doctrine de Paul sur l’Église comme corps du Christ,
dans laquelle les croyants existent comme membres, pour le bien de l’ensemble,
mais aussi pour celui des autres membres, marque du sceau du définitif la
signification centrale de l’idée chrétienne de communion.
Christoph SCHÖNBORN, o p : L’état de pèlerin, de purification et de
gloire (La communion des saints selon Vatican II).
[1107] La discipline
pénitentielle primitive connaissait de longues et laborieuses satisfactions
pour les péchés. Les évêques, cependant, tel saint Cyprien, prirent la coutume
de diminuer le poids de ces satisfactions. Les tarifs pénitentiels des
pénitents publics furent de plus en plus réduits et remplacés par d’autres
pratiques ; ainsi on pouvait faire un pèlerinage au lieu d’un jeune de sept ans
; on recevait donc une indulgence de sept ans. On accepta aussi que la pratique
réduisant la peine pouvait être accomplie par un ami du pécheur et même par un
vivant à la place d’un défunt. En 1457, pour la première fois dans un document
pontifical, Callixte III concéda des indulgences applicables aux âmes du
purgatoire.
Cette doctrine doit être revue
aujourd’hui. Elle avait été présentée au Concile, mais les Pères furent
empêchés de l’approfondir. La Constitution apostolique Indulgentiarum
Doctrina du 1er janvier 1967 a déjà simplifié la discipline des
indulgences et montré l’universalité du trésor de l’Amour que le Christ nous a
mérité. Tout ce qui nous associe à la charité du Christ, qui incarne
l’initiative salvifique de Dieu, nous fait coopérer au salut du monde.
[1108] Saint Luc 8, 21.
[1109] C’est ce que réalisent sacramentellement toutes ces infirmières
qui n’hésitent pas à baptiser les nouveau-nés en danger de mort.
[1110] 1 Corinthiens 15, 29.
[1111] Supplementum à la Somme théologique, Question 71 ; L’Église exclut toute forme de
pensée ou d’expression qui rendrait absurdes ou inintelligibles sa prière, ses
rites funèbres, son culte des morts, lesquels constituent, dans leur substance,
des lieux théologiques. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre
sur quelques questions concernant l’eschatologie, 17 mai 1979.
[1112] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1113] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1114] Supplementum à la Somme théologique, Question 71.
[1115] Genèse 3, 8.
[1116] Isaïe 11, 6.
[1117] Genèse 3, 24.
[1118] Apocalypse 20.
[1119] 1 Corinthiens 2, 9.
[1120] L’expression «
royaume de Dieu » ou « royaume des cieux » (basileia tou théou, basileia ton
ouranon°, dans les textes du Nouveau Testament, nous apparaît comme le
véritable mot clé de la prédication de Jésus. Sur ce point, les statistiques
sont nettes : sur 122 occurrences de cette expression dans le Nouveau
Testament, 99 se trouvent dans les synoptiques, dont 90 dans les propos
attribués à Jésus. Il est donc évident que cette expression revêt dans la
tradition sur Jésus une importance majeure.
[1121] Luc 17, 21.
[1122] 1 Corinthiens 15, 24.
[1123] « Quel sera
donc le Ciel ? La possession de Dieu, la joie d’une merveilleuse découverte de
sa beauté, de sa grandeur, de sa vérité, de son amour infiniment prévenant et
miséricordieux. En présence de l’être aimé, on ne s’aperçoit pas que le temps
passe. Il n’est alors plus question de compter le temps. L’éternité ? Instant
unique sans doute, exceptionnel, extraordinaire, qui ne fait pas nombre avec
les années. Puisque plus rien ne nous séparera de Dieu. » QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Lettre
pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de ta Toussaint, Documentation
Catholique, n° 1706, octobre 1976.
[1124] Apocalypse 22, 15.
[1125] Hébreux 11, 9.
[1126] Matthieu 5, 4.
[1127] Matthieu 11, 12.
[1128] Luc 13, 33.
[1129] Luc 21, 14.
[1130] Apocalypse 21, 3.
[1131] Luc 13, 33.
[1132] Osée 2, 16.
[1133] Apocalypse 21, 9 à 27.
[1134]« Nous entendrons
une dernière fois l’appel familier : « Heureux les invités au repas du
Seigneur! » Dans la jubilation, nous saurons que l’heure du banquet a sonné.
Nous verrons la Jérusalem céleste, belle comme une mariée descendre du Ciel, et
tous les invités accourir des quatre coins de l’horizon. Nous les reconnaîtrons
sans peine : nous-mêmes, parmi les pauvres, les estropiés, les aveugles, les
boiteux. Tous, pressés d’entrer dans l’Église éternelle, emportés vers leur
Seigneur avec la fougue d’un amour impétueux, s’élançant comme le torrent qui
bondit sur les pentes de la montagne de Dieu. » (Proposition
de foi des évêques de France, 1978, Documentation catholique. n° l073).
[1135] Marc 24, 25.
[1136] Apocalypse 19, 9.
[1137] Romains 5, 8.
[1138] Osée 2, 16.
[1139] Cantique des Cantiques 8, 6.
[1140] Voir dans la Somme théologique, le sacerdoce du
Christ, IIIa, Question 22 ; Question 82 ; Supplementum
Question 34-40 ; Ia IIae Question 102-105 ; et bien d’autres lieux
théologiques.
[1141] Hébreux 5, 6 ; 7, 17.
[1142] Apocalypse 1, 6.
[1143] Apocalypse 20, 6.
[1144] Apocalypse 22, 15.
[1145] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62,
a. 7.
[1146] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Ia pars, Question 62,
a. 8.
[1147] Cet article, tiré de la Somme
théologique, Ia IIae, Question 4, article 5, reste valable malgré notre
thèse de la subsistance du corps psychique. Le corps physique, siège des
facultés végétatives a bien disparu et c’est une partie de notre être qui nous
manque. Il nous sera rendu lors de la résurrection de la chair.
[1148] « La Foi Catholique », conférence du p. Pierre Benoît à
Fribourg.
[1149] Cf. FLANAGAN D, L’eschatologie
et l’Assomption, en Concilium, 41, 1969, 121-130, 129.
[1150] L’âme est par nature la forme du corps qui lui est uni. Elle
possède une orientation radicale qui l’oriente à désirer ce corps lorsqu’elle
en a été séparée par la mort. C’est ce qu’on appelle un habitus « de l’être. »
[1151] Apocalypse 7, 1.
[1152] Notre traité, Question 8, article 2.
[1153] RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard,
1994, p. 156.
[1154] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum Question 93, article 2.
[1155] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum Question 93, article 3.
[1156] 2 Timothée 2, 5.
[1157] Manuscrit autobiographique, manuscrit A, p. 13.
[1158] Toute cette question est reprise sans modification dans le Supplementum de la Somme théologique, Question 95.
[1159] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, le dénouement,
Culture et Vérité, Namur 1993, p. 373 ss.
[1160] Cette question,
comme la précédente mériterait d’être récrite en élargissant ces lumières de
l’âme à toutes les formes de la vie humaine. Nous les reproduisons telles
qu’elles sont dans la Somme, en laissant au lecteur le soin de le faire. Voir
dans la Somme :
Auréole. L’auréole
des martyrs est absolument supérieure aux autres, celle des vierges a eu plus
de durée, celle des confesseurs plus de périls. IIa IIae q. 452. 5. — C’est une récompense accidentelle qui est due en, raison
d’une œuvre méritoire. Sup. q. 79. 4. o. — Elle consiste dans la joie de la
perfection des œuvres, et elle n’est pas la même chose que le fruit. Sup. q. 76
; BALTHASAR H. U, La dramatique divine,
4, dénouement, Culture et vérité, Namur 1993, p. 377-379.
[1161] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 1.
[1162] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 2.
[1163] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 3.
[1164] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 4.
[1165] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 5.
[1166] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 6.
[1167] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 7.
[1168] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 8.
[1169] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 9.
[1170] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 10.
[1171] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 11.
[1172] Somme théologique, Supplementum Question 96 article 12.
[1173] Une formule
d’Abélard est caractéristique : la communion des saints est « cette communion
par laquelle les saints deviennent des saints et sont consumés dans leur
sainteté par la participation au sacrement divin... Mais nous pouvons aussi
comprendre sanctorum comme un neutre à savoir comme le sacrement de
l’autel du pain et du vin consacrés. » Thomas d’Aquin semble avoir associé les
deux significations de l’intérieur, quand il dit dans son explication du Credo
: « Puisque tous les croyants forment un seul corps, le bien des uns est
communiqué aux autres. Il faut de la sorte croire qu’il existe une communion
des biens (ou des gens de bien° (bonorum) dans l’Église. Mais le membre
le plus important est le Christ puisqu’il est la tête. Ainsi le bien du Christ
est communiqué à tous les membres et cette communication se fait par les
sacrements de l’Église dans lesquels la puissance de la passion du Christ agit
efficacement. » « Bonorum » peut aussi être masculin, ce qui convient mieux à
la comparaison du corps, qui précède immédiatement.
[1174] Notre traité, Question 8, article 2.
[1175] JACQUES MARITAIN. A propos de l’Église du Ciel. Nova et Vetera, 1964, 4.
[1176] Apocalypse 15, 3.
[1177] Théologie de l’au-delà,
Université de Fribourg-Suisse, 1980, p. 51.
[1178] Voir notre traité, Question 8, article 2.
[1179] Saint François de
Sales conçoit le sens du culte des saints : « C’est pourquoi nous
reconnaissons les saints non pas proprement pour médiateurs au sens où ils se
tiendraient entre Dieu et nous, comme le Christ qui est vraiment le centre
puisqu’il possède les deux natures divine et humaine étant donné qu’il est
aussi bien le Fils de Dieu que le fils d’un être humain. Mais nous faisons
appel aux saints pour qu’ils nous accompagnent dans notre prière à travers
l’unique Seigneur Jésus-Christ » Controverses II.
[1180] Lumen Gentium 51.
[1181] Nous reproduisons, avec quelques modifications l’article de
saint Thomas, Supplementum Question
72, article 1.
[1182] « Rassemblés
dans l’éternel présent de sa charité, nous pressentons qu’il y a, entre les
hommes, une solidarité plus forte que la mort. La « communion des saints «
permet à ceux qui se sont aimés sur terre dans le Christ, même sans le
reconnaître, de se rencontrer mystérieusement encore par-dessus l’abîme de la
mort, en se rejoignant dans le cœur de Dieu, par la médiation du Christ.
Toujours vivant, il intercède sans relâche en notre faveur. Et nous aussi nous
intercédons avec lui. » Proposition
de foi des évêques de France, 1978, Documentation catholique, n° 1073.
[1183] Il s’agit de
l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 72, article 2 ; On ne peut pas retracer ici en détail l’approfondissement
progressif de l’idée de communion, qui n’est plus seulement une existence avec
les autres dans l’amour réciproque, mais un engagement actif pour les autres,
et donc « à la place » des autres. On
se contentera pour finir de deux noms : Dietrich Bonhoeffer, qui fit sa thèse
de doctorat sur l’idée de communion des saints (s), et Georges Bernanos, dont
l’œuvre a pour centre l’interprétation catholique de la communion des saints,
par exemple dans Le dialogue des carmélites.
[1184] Il s’agit de
l’article de saint Thomas, Supplementum
Question 72, article 3 ; Le Concile Vatican II, Lumen Gentium 49, écrit : « parce qu’ils sont intimement unis au
Christ, les saints du Ciel affermissent plus solidement l’Église dans la
sainteté (…) et l’aident de multiple façon à se construire plus largement. »
[1185] Nulle part cela ne
devient aussi clair que dans l’action de Marie, Mère de Jésus, en laquelle
l’Église peut se considérer elle-même comme en un miroir. Deux sections du
chapitre VIII de Lumen Gentium (60)
éclairent particulièrement la question de la communio sanctorum « La
mission maternelle de Marie à l’égard des hommes n’offusque en rien cette
unique médiation du Christ, mais elle en montre au contraire la puissance.
Toute influence salutaire (salutaris influxus) de la Bienheureuse Vierge sur
les hommes ne vient donc pas d’une quelconque nécessité factuelle, mais d’une
disposition gratuite de Dieu et procède de la surabondance des mérites du
Christ, s’appuie sur sa médiation, dépend en tout (omnino) d’elle et en lire
toute sa vertu (totam virtutem). L’union immédiate (unionem immediatam) des
croyants au christ, n’est toutefois aucunement empêchée par là, elle est au
contraire favorisée. » Si une telle médiation dans le Christ n’était pas
possible, l’Église elle-même serait un empêchement, un obstacle entre le Christ
et les hommes.
[1186] Luc 15, 47.
[1187] La cité de Dieu, Livre 14, 15.
[1188] Apocalypse 21, 4.
[1189] cf. 1 Rois 2, 18 ;
Actes1, 10.
[1190] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplementum Question 94, article 1.
[1191] Job 1.
[1192] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, culture et Vérité,
Namur 1993, p. 252-253.
[1193] Les saints ont eu
parfois sur le mystère de l’enfer des mots qui donnent le vertige. Reprenant
l’invocation des Litanies : « Par tes saints jugements, délivre-moi,
Seigneur », Angèle de Foligno disait : « Je ne vois pas plus la Bonté de
Dieu dans un homme bon et saint, et dans plusieurs hommes bons et saints, que
dans un damné ou dans la multitude des damnés. Cette profondeur ne m’a été
montrée qu’une fois, mais jamais je n’en perds le souvenir ni la joie. Et si
tout ce qui tient à la foi venait à me manquer, il me resterait encore pourtant
cette unique certitude au sujet de Dieu, celle de ses jugements, de la justice
de ses jugements. Mais, oh! Quelle grande profondeur est ici! Mais tout ceci va
à l’utilité des bons : car toute âme qui aurait ou qui aura la connaissance de
ces jugements et de cet abîme, tirera fruit de tout, par cette connaissance du
nom de Dieu. » Livre de sainte
Angèle de Foligno, fin de la 1ère partie, vers le milieu du 7ème
passage.
[1194] Paul VI, Audience générale du 8 septembre 1974, Documentation catholique, n° 1594. «
Comment répondre à ceux qui disent que le christianisme concerne le présent et
non l’avenir : « Nous savons donc
comment répondre à ceux qui, dans l’interprétation qu’ils donnent des écrits du
Nouveau Testament où il est question des événements eschatologiques,
soutiennent que ceux-ci ont déjà été réalisés avec la venue du Messie et qu’il
n’y aurait donc rien d’autre à attendre. Le christianisme, disent-ils, concerne
le présent et non l’avenir. Pour nous, nous nous en tenons aux paroles du
Seigneur qui nous assurent qu’avec sa venue dans le monde, déjà « le Royaume de
Dieu est parmi nous (cf. Luc 17, 21) ; dans I’Église animée par l’Esprit Saint,
nous possédons dès maintenant d’immenses richesses de vie nouvelle mais de
plus, avec un souffle prophétique qui imprègne tout l’Evangile, le Christ nous
avertit que sa venue historique, telle que nous la connaissons par l’Evangile,
n’est pas la dernière. La dernière, la venue eschatologique, à laquelle on
donne un nom spécial la « parousie » (qui veut dire présence, avènement,
apparition), sera « le jour du Seigneur (cf. Isaïe 2, 12 ; 13, 6. etc.), où le
Christ reviendra « pour juger les vivants et les morts et pour inaugurer la
théophanie finale, la vision béatifique de l’éternité. »
REMARQUE SUR L’HISTOIRE
DES PEURS DE LA FIN DU MONDE :
Périodiquement d’ailleurs, la pensée de la fin du monde et du
jugement dernier hantait les esprits. Dès l’âge patristique, le problème
s’était déjà posé. Au IVe siècle, les invasions barbares, et très particulièrement
la prise de Rome, avaient effrayé les âmes. Saint Jérôme lui-même en était
épouvanté, encore qu’il ait cédé à la tentation de faire de la littérature.
Plus détaché et plus lucide, Augustin tirait de ces catastrophes des leçons de
vie spirituelle. Pourquoi s’étonner, disait-il, que périssent des royaumes
périssables ? Les malheurs de Rome, que les païens imputaient à la religion
nouvelle, furent l’occasion d’un grand ouvrage qui allait fournir aux siècles à
venir une théologie chrétienne de l’histoire. En 418, le saint évêque répondit
à un évêque dalmate, Héchius, qui, ayant scruté les l’Ecritures pour y trouver
les signes précurseurs de la fin du monde, croyait percevoir que ceux-ci
étaient actuellement manifestes. Augustin calma ses angoisses par une lettre
qui est un véritable petit traité sur la question. Il serait intéressant de
Voir dans quelle mesure cette mise en ordre a influencé la théologie scolastique.
Au VIe siècle, saint Grégoire, comparant la Rome de son temps à un
vieil aigle déplumé, voyait aussi l’humanité vieillie, proche de la mort, et
soulignait les cataclysmes naturels de son époque. Au VIIIe siècle, dans
l’Espagne envahie par l’Islam, Beatus compose son commentaire de l’Apocalypse.
Les terreurs de l’an mille, qu’on a beaucoup exagérées, sont une expression de
cette crise cyclique qui secoua les populations chrétiennes. Notre Dies irae,
évocation du jour de la colère, fut composé en Italie vers le XIIe ou
le XIIIe siècle. Au milieu du XIIe siècle, Joachim de Flore oriente
la pensée apocalyptique dans une autre direction, annonçant un Evangile éternel
qui sera comme un nouvel âge de l’Église, le règne de l’Esprit succédant alors
à celui du Fils, qui avait pris lui-même la suite du règne du Père. Ces
rêveries auront un écho dans le mouvement des spirituels condamnés en 1311 au
Concile de Vienne et cet écho se prolongera longtemps, certains ordres
nouveaux estimant qu’ils accomplissent les « prophéties » de l’abbé calabrais.
Mais la crainte du jugement dernier, l’angoisse à la pensée de la fin des
temps, a la vie encore plus dure. Au XIVe siècle, saint Bernardin de Sienne
note que, dans son enfance, on estimait déjà que l’Antéchrist était né ; le
saint dut combattre cette erreur chez un certain Manfred qui en tirait des
conclusions absurdes, invitant les époux à se séparer pour vaquer à la prière.
Pendant ce temps, la théologie continue à s’intéresser à la fin
du monde, mais celle-ci est devenue pour elle un objet de spéculation, non un
problème vital. On s’efforce de mettre en ordre les indications de l’Écriture
et de cataloguer les signes précurseurs de la fin du monde. La Glose ordinaire,
dans laquelle puisaient les théologiens du XIIIe siècle, en distinguait quinze.
Les théologiens de l’âge postérieur furent plus modérés, et leurs épigones les
ramèneront à six l’Évangile enfin universellement prêché, la venue de
l’Antéchrist, la grande apostasie prédite par l’Apocalypse, la conversion des
juifs annoncée par saint Paul, le retour d’Énoch et d’Elie, les deux « témoins
« de l’Apocalypse, enfin des signes et des prodiges de caractères divers.
La Révolution française ne manqua pas d’impressionner certains
esprits. Détenu en prison sous le consulat et l’empire, le p. de Clorivière
occupa ses loisirs à commenter l’Apocalypse. En sens inverse, tourné vers un
avenir que, malgré les persécutions, il estimait radieux, le p. Ramière
écrivit un livre sur « les Espérances de l’Église » ouvrage légèrement teinté
de millénarisme. La guerre mondiale de 1914, puis celle de 1939 furent un
terrain favorable à l’éclosion ou au réveil de vieilles « prophéties. » Au XXe
siècle, qui succédait au rationalisme philosophique et théologique de l’âge
précédent, la question de la fin des temps entra dans une phase nouvelle. A la
théologie scolastique, qui avait juxtaposé les textes bibliques, succéda une
théologie biblique qui, appuyée sur une meilleure connaissance de la mentalité
orientale, et sur la théorie des genres littéraires, se mît à étudier
séparément, mais dans leur contexte immédiat et lointain, les affirmations des
livres du Nouveau Testament. Les discours eschatologiques de Jésus, où il est
difficile de démêler ce qui concerne la fin du monde, la ruine de Jérusalem et
d’autres aspects de l’eschatologie individuelle et collective, furent étudiés
par de nombreux chercheurs. Des travaux authentiquement catholiques révisèrent
ce qu’on disait communément de l’Antéchrist, et finirent par conclure que
cette personnification désigne moins un individu déterminé que tous ceux qui
ont lutté au cours de l’histoire contre l’avènement du Fils de Dieu et la vie
de son Église. Bellarmin et Suarez avaient donné comme de foi la venue finale
d’Énoch et Élie enlevés au Ciel avec leur corps de chair. Mais jamais l’Église
ne s’était prononcée sur ce point particulier ; on aurait dû depuis longtemps
comprendre que, selon Notre-Seigneur lui-même (Matthieu, 2, 14), Jean-Baptiste
avait été cet Élie prédit par les Prophètes, mais saint Augustin et d’autres
Pères avaient paralysé la recherche en affirmant que, bien qu’Élie ait pu
revivre symboliquement dans le Précurseur, il n’était pas moins vrai qu’il
reviendrait au dernier jour. Le contact de l’exégèse avec les sciences multiples
qui peuvent l’éclairer a obligé à réviser soigneusement les assertions
courantes d’une théologie pour laquelle les problèmes de la fin des temps
n’étaient plus qu’un exercice d’école.
Mais en même temps, d’autres théologiens continuaient à
s‘intéresser à ces problèmes pour eux-mêmes ils regardaient du côté des
sciences de la nature. La révolution de Copernic avait eu ses répercussions sur
la théologie des fins dernières. Elle eut encore d’autres effets le feu du
jugement, dont la place était si grande dans l’Ancien Testament, la
conflagration finale dont avait parlé l’Épître de Pierre, devinrent l’occasion
d’une vision d’avenir. Les savants imaginaient que la terre finirait dans
l’embrasement effroyable d’une rencontre avec quelque planète détournée de son
orbite. Le concordisme qui avait marqué la seconde moitié du XIXe siècle
trouva là sa pâture, et un théologien aussi grave que le cardinal Billot
n’hésita pas à citer dans son traité de Novissimis, cependant assez bref, de
larges tranches d’un pseudo-savant philosophe. Outre-Rhin, des théologiens
sérieux l’imitaient en se référant à d’autres auteurs. Au XXe siècle, le p.
Teilhard de Chardin, dans une synthèse grandiose, entrevoit la fin du monde et
de l’histoire d’une tout autre façon. L’humanité grandie, vieillie et cependant
restée jeune, sera mise un jour en face d’une option qui engagera son éternité.
Avant qu’on puisse envisager une rencontre catastrophique de la planète avec
une planète rivale ou avant que la terre meure par suite du refroidissement
inéluctable du soleil, elle sera comme engloutie spirituellement par un libre
engagement de ses habitants mis en demeure de choisir entre le Ciel et l’enfer.
Il est curieux de constater qu’on retrouve au XXe siècle, mais
rejetée à la fin des temps, l’option que les scolastiques avaient mise au
paradis terrestre.
[1195] Ce traité sera vu selon une méthode théologique, c’est-à-dire à
l’écoute de la foi de l’Église : Voir pour comprendre notre perspective les
remarques de la Congrégation de la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant l’eschatologie. (1979)
[1196] Matthieu 24, 30.
[1197] Apocalypse 1, 17.
[1198] Actes 1, 9.
[1199] L’islam aussi professe le retour du Christ à la fin du monde.
C’est la même théologie, sauf que Jésus n’y est qu’un homme et prêche l’islam.
Eux aussi voient ce retour non seulement à la fin du monde mais aussi sur le
lit de mort de chacun. Voir : « La mort et le jugement dernier selon les
enseignements de l’islam », Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 62ss.
« Les musulmans, du nord au sud de la terre, croient que Jésus,
fils de Marie, est un messager et un serviteur de Dieu. Sa naissance et son
Ascension sont des signes célestes, destinés aux serviteurs de Dieu. Parmi ces
derniers il y a ceux qui se sont réaffirmés et qui ont reconnu la vérité, il y
a aussi ceux qui se sont écartés et qui se sont perdus. Le Saint Coran, révélé
à Muhammad, nous a enseigné que les Juifs n’ont pas tué l’Envoyé de Dieu, Jésus
fils de Marie, même s’ils ont prétendu l’avoir fait, et que les chrétiens les
ont crus. La vérité est qu’ils ne l’ont jamais tué. Dieu dit : « Pour avoir affirmé. » Nous avons tué
Jésus, le Messie, fils de Marie, le messager de Dieu ». Ils ne l’ont pas tué,
ils ne l’ont pas crucifié, mais l’illusion les en a possédés. Ceux qui là-dessus
controversent ne font qu’en douter, sans avoir en la matière d’autre science
que de suivre la conjecture. Ils ne l’ont certainement pas tué. Mais Dieu l’a
élevé vers lui. Et Dieu est tout puissant, sage » (4 :157-158). Dieu dit
encore : « Lorsque Dieu dit : Jésus! Je
vais t’achever et t’élever vers Moi, et te purifier de ceux qui ont mécrus, et
mettre ceux qui t’ont suivi au-dessus de ceux qui t’ont renié, et cela jusqu’au
Jour de la Résurrection. Après quoi vers Moi est votre retour et je trancherai
entre vous l’objet de votre différent » (3 :55).
Jésus apparaîtra au moment où l’Antéchrist tourmentera les
hommes. Il est dit qu’il sera en Syrie. Il est écrit dans « al-Jarali as-Saghir
» qu’il apparaîtra au Nord de Damas. Seul Dieu le sait. L’Imam Ibn Kahtir a
souligné à propos de l’exégèse de la sourate an-Nisa (les femmes, verset 159)
et des hadiths du prophète concernant l’apparition de Jésus : « Ce sont des
dires fréquents de l’Envoyé de Dieu qui indiquent la façon et le lieu de son
apparition, qui sera en Syrie, à Damas et plus précisément à la borne Nord, au
moment de la prière de l’aube. Il tuera le cochon, brisera la croix... Il
n’acceptera que l’islam (comme religion), et alors les doutes des chrétiens se
dissiperont. Ils embrasseront l’islam, suivant en cela Jésus »
Dieu dit : « Il n’est est pas un seul parmi les gens du Livre à
ne pas croire à lui avant sa mort, et le Jour de la Résurrection Jésus sera
témoin contre eux » (4 :159). II est dit dans ce verset que tout homme verra la
vérité dévoilée sur son lit de mort, et pas un seul être humain ne mourra sans
avoir reconnu auparavant le vrai du faux. C’est ainsi que les gens du Livre
sauront toute la vérité sur Jésus. La foi n’a de valeur que si on l’accorde à
l’inconnu, car une fois qu’on a vu les preuves de ses propres yeux, on n’a plus
aucun mérite d’y croire. Alors la religion deviendra une, la religion
d’Abraham, le musulman, le fervent. Jésus tuera l’Antéchrist sur ordre de Dieu.
Dieu ressuscitera Ya’jouj et Ma’jouj qu’Il anéantira en réponse aux invocations
de Jésus ainsi qu’à celles des Compagnons.
D’après Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui), l’Envoyé
de Dieu a dit : « Comment serez-vous, quand apparaîtra parmi vous le fils de
Marie alors que votre imam (guide) est l’un des vôtres ? » (Rapporté par
al-Bukhari et Muslim).
Jabir Ibn’Abdallah (Que Dieu soit satisfait de lui) a entendu
l’Envoyé de Dieu dire : « Un groupe de ma communauté combattra ostensiblement
pour la vérité jusqu’au Jour de la Résurrection. » Il a ajouté : « Alors Jésus
fils de Marie (Salut sur lui) apparaîtra et leur chef lui dira : « Venez! Priez
pour nous. » Il répondra : « Non! Car vous êtes les princes les uns des autres,
témoignage d’honneur accordé par Dieu à cette communauté » (Rapporté par
Muslim).
Parmi ses caractéristiques mentionnées dans les sunan
d’Abu Dawud, Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) a rapporté que
l’Envoyé de dieu a dit : « Il n’y a pas entre moi et lui de prophète
(intermédiaire). Il apparaîtra (certainement). Quand vous le verrez,
reconnaissez-le : (c’est) un homme de, taille moyenne, (d’une teinte) qui n’est
ni rougeâtre, ni blanchâtre, (il portera) deux tissus jaunâtres. Des gouttes
couleront de sa tête alors qu’elle n’a pas été mouillée. Il combattra pour
l’islam, brisera la croix, proscrira la consommation du porc, abolira la jizia.
A son époque Dieu annulera toutes les religions sauf l’islam. II anéantira
l’Antéchrist. Il restera sur terre quarante ans, il mourra, et les musulmans
prieront pour lui » (Rapporté par Muslim, livre Al Iman).
Dans un autre hadith, il est dit quarante sans préciser si c’est
quarante jours, mois ou années. Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait de lui) a
rapporté que l’Envoyé de Dieu a dit : « Je jure par Celui qui détient mon âme
entre Ses mains, qu’il (Jésus) est sur le point d’apparaître parmi vous, Jésus
fils de Marie, le dirigeant juste qui brisera la croix, interdira la
consommation du porc, mettra fin à la guerre. L’argent sera en abondance à tel
point qu’on le refusera ; et, qu’une seule prosternation sera préférable à ce
monde et à tout ce qu’il contient. »
[1200] Voir Question 15, L’heure de la mort.
[1201] Voir notre traité, la question 8 sur la mort.
[1202] Matthieu 24, 26.
[1203] Actes 8, 9.
[1204] Concile Vatican II, Dei Verbum 1, 4.
[1205] Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre sur quelques questions concernant
l’eschatologie, 17 mai 1979.
[1206] L’opposition entre le sens historique réalisé lors de la
destruction de Jérusalem en 70 et les trois sens que ce fait ancien illustrait
consitue l’erreur des « Préteristes ». L'approche
"Préteriste" croit que la plupart, voire la totalité des prophéties,
et en particulier celle de l'Apocalypse, se sont déjà réalisées depuis 70 et
n’avait pas d’autre sens que la guerre des Juifs contre les Romains.
[1207] Matthieu 24, 29-30.
[1208] Matthieu 24, 14.
[1209] L. Beirnaert, Pour un
christianisme de choc, « construire », III° série, (« Etudes, 1943).
[1210] « Les doctrines évolutionnistes, christianisées, ne font-elles
pas augurer que l’Orient et l’Occident, dont Kipling disait qu’ils ne se
rencontreront jamais, sont en train de revenir à leurs lointaines origines pour
se lancer en avant, dans une rivalité qui pourrait être sanglante, mais qui
peut être aussi une profitable émulation ? Dans les dernières pages du Phénomène
humain, par une de ces extrapolations qu’on ne saurait reprocher à un
savant philosophe, le p. Teilhard voit les peuples en marche, tels des phylums
qui se séparent et restent cependant unis et qui vivent une commune angoisse,
envers d’une espérance commune qui, consciemment ou non, les dirige vers le
fameux point Oméga, c’est-à-dire vers Dieu, et vers Jésus-Christ. » p. Teilhard
de Chardin, Le phénomène humain, Œuvres, I, 1955, p. 232-235.
[1211] Matthieu 24, 21.
[1212] Cf. La lettre de Paul Rivet, fondateur du Musée de l’homme,
publiée dans « Esprit », juin 1955.
[1213] Daniel-Rops, « Un monde sans âme. » On peut lire aussi à cet
égard les prophéties de saint Louis-Marie Grignon de Montfort sur les apôtres
des derniers temps, Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie, Chap. 5 et
9.
[1214] Catéchisme de l’Eglise
Catholique, Mame, 1992, n° 675-676.
[1215] 2 Théssaloniciens 2 ; l ; Timothée 4, 1 ; 2 Timothée 3, 1-5 ;
Matthieu. 24, 12-15 ; Daniel 8, 22-26 ; Daniel 9, 26-27 ; 12, 5-13 ;...
[1216] Luc 2, 14 Vulg.
[1217] Le premier théologien à avoir eu
l’intuition de ce parallèle entre la vie du Christ et la vie de l’Eglise est,
au début du XX° siècle, Mgr Robert Hugh Benson (évêque catholique venant de
l’Anglicanisme). Il écrit en 1926 : « Ce
que j’ai écrit jusqu’ici sur ce sujet n’a été pour moi qu’une préparation à le
traiter à fond. Les Pères de l’Église respirent et vivent dans la pensée que
l’Église est la continuelle présence du Christ. Mon idée, qui est celle des
apôtres et des premiers chrétiens, est que Jésus-Christ n’est pas mort, n’a pas
quitté la terre. Il a un corps grâce auquel il poursuit sa vie ici-bas et la
poursuivra jusqu’à la fin des temps. L’Église est un corps, non un système, sa
voix est la voix du Christ, sa puissance la puissance du Christ. C’est pourquoi
elle pardonne aux pécheurs, guérit les malades et accomplit toutes les actions
du Christ.
« C’est aussi pourquoi l’histoire de l’Église est identique ou,
tout au moins, parallèle à l’histoire du Christ. Elle a eu son adoration des
bergers et des rois mages, son massacre des Innocents, ses calmes et heureux
jours à Nazareth. Elle a eu sa période de prédication quand elle s’est répandue
à travers l’Europe et a annoncé la bonne nouvelle jusqu’à l’Ultima Thule. Elle
a eu son entrée à Jérusalem, et, immédiatement après, le coup de poing dans la
figure, les persécutions, la dérision sur elle, le couronnement d’épines.
Maintenant nous atteignons à la dernière période de la Passion, peut-être que
la mort et l’enterrement de l’Église sont prochaines, et il y a encore
du temps jusqu’au matin de la Résurrection, jusqu’au royaume millénaire de
quarante jours et à la grande fête de la Pentecôte où le bruit du vent et les
langues de feu descendront de nouveau des profondeurs de l’Éternité... » Or ce qu'il écrit là est une idée rare. Jusqu'ici, je ne l'avais
entendue que chez le Père Marie-Dominique Philippe op. Peut-être celui-ci la tient-il de Benson? Le passage qui fait le
parallèle entre la vie du Christ / la vie de l'Eglise est central dans
l'eschatologie générale. Ce qui est intéressant, c'est que Mgr Benson aussi
croyait l'Eglise rendue à l'heure de sa passion il y a un siècle. Or c'était
faux. C'est que les choses se passent sur plusieurs siècles. Ainsi,
l'eschatologie de la fin des fins et la passion de l'Eglise mettra encore
quelques temps à venir. L'Eglise est forte (sauf en Europe), et il y aura sans
doute encore d'autres mouvements d'évangélisation (la Chine ?).
[1218] Matthieu 27, 40.
[1219] Voir 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1220] Matthieu 27, 54.
[1221] Voir 2 Théssaloniciens 2, 2 ss.
[1222] Genèse 17, 21. Isaac, figure du christianisme et Ismaël de
l’islam.
[1223] Luc 3, 3.
[1224] Luc 17, 20.
[1225] Jean 6, 15.
[1226] Matthieu 27, 51.
[1227] Genèse 11.
[1228] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1229] Luc 3, 8.
[1230] « Et je vis, et voici qu’au milieu du trône et des quatre
animaux et au milieu des vieillards se tenait un agneau comme égorgé. » Les
trônes, les animaux, les vieillards, c’est l’Église : L’agneau comme égorgé,
c’est l’Église avec sa tête, qui meurt pour le Christ afin de vivre avec lui.
Saint Césaire d’Arles, Commentaire de
l’apocalypse, Desclée de Brouwer p. 58.
[1231] Luc 7, 47.
[1232] Matthieu 23, 29.
[1233] 1 Corinthiens 1, 19.
[1234] Luc 12, 32.
[1235] Romains 5, 8.
[1236] Colossiens. 2, 15.
[1237] Genèse 15, 16.
[1238] Matthieu 7, 13.
[1239] Marc 6, 34.
[1240] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1241] Matthieu 24, 40.
[1242] Matthieu 24, 37.
[1243] Matthieu 24, 28.
[1244] Apocalypse 18, 11.
[1245] La théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne
pour reconnaître que la date de la fin du monde est inconnue mais sera annoncée
par certains signes dont on ne peut faire autrement que remarquer la proximité
de ceux indiqués dans les évangiles : (La mort et le jugement dernier dans la
théologie musulmane, Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55) : « Ils t’interrogeront sur l’Heure (en disant) :
Quand sonnera-t-elle ? Réponds-leur “Mon
Seigneur sait cela! Lui seul en dévoilera le terme. (Sa connaissance) pèse aux
habitants des cieux et de la terre. Elle vous surprendra â l’improviste”. Ils
t’interrogeront ô son sujet, comme si tu en étais informé! Réponds “Seul Dieu
en a connaissance! » Mais la plupart
des hommes ne savent pas » (7 :187).
L’Ange Gabriel a demandé à l’Envoyé de Dieu : « Informe-moi au
sujet de l’Heure. » Le Prophète répondit « L’interrogé n’en sait pas plus que
celui qui l’interroge. » (Extrait d’un long Hadith rapporté par al-Bukhari,
Muslim et Abu Dawud).
L’Ange Gabriel qui est proche de Dieu et ne sait pas lui-même
quand sera l’Heure. Il en est de même du Prophète Muhamhad qu’Il a honoré lors
de son voyage nocturne (à Jérusalem et aux cieux). Dieu leur a conseillé de ne
pas se focaliser sur sa réalisation et son terme, mais plutôt de s’intéresser à
sa nature, à sa réalité et à la terrible sensation de terreur et de gravité
qu’elle provoquera. Par sa surprise, elle sera insupportable aussi bien pour
les êtres vivants que pour les cieux et la terre.
[1246] 2 Théssaloniciens 2, 1.
[1247] Genèse 18, 17.
[1248] 2 Théssaloniciens 2, 1.
[1249] L’opinion du Cardinal
Ratzinger concernant des signes du retour du Christ. : (La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 202) ; « La question du rapport
entre la venue du Christ et notre temps se reflète dans la question des signes
de la fin du monde, qui, née des interrogations analogues de l’apocalyptique
juive, ne cesse de ressurgir dans la chrétienté depuis l’époque des disciples
de Jésus. Une première lecture du Nouveau Testament donne forcément
l’impression que des positions différentes s’y affrontent. D’un côté, on
refuse catégoriquement de poser la question des signes : la venue du Christ
est tout à fait incompatible avec le temps de l’histoire, avec les lois de sa
durée, on ne peut donc jamais la calculer en fonction de l’histoire de quelques
manières que ce soit. Toutes les fois qu’il se livre à un tel calcul, l’homme
exerce la logique propre de l’histoire, et son opération passe donc justement
à côté du Christ qui n’est pas le produit de l’évolution ni un moment
dialectique dans le processus de la raison, mais l’Autre, celui qui, de l’extérieur
ouvre les portes du temps et de la mort ; en elle-même, sa parousie ne peut
donc pas être datée. La seule réponse à la question des « signes « et à toute
tentative pour décrire la venue du Christ ne peut donc consister qu’à refuser
cette question et à lui substituer l’appel suivant : « Ce que je vous dis, je
le dis à tous Veillez! » (Marc 13, 37). Le correspondant humain au rapport
particulier du Ressuscité avec le temps du monde n’est ni la philosophie ni la
théologie de l’histoire, mais « vigilance. »
A cette position semble pourtant s’opposer, de l’autre côté, un
assez vaste courant de la tradition qui lui, parle des signes avant-coureurs de
la venue du Christ. Dans cette position, Jean Daniélou voit la permanence de
deux espérances différentes de l’Ancien Testament, qui, d’une part, regarde
vers un Messie humain, et, de l’autre, connaît l’attente d’un bouleversement de
l’histoire par l’intervention directe et personnelle de Dieu. Seul le mystère
humano-divin du Christ Jésus, tel que l’a cerné le concile de Chalcédoine,
permettrait de comprendre l’unité intrinsèque de ces deux courants et de
justifier pleinement chacun d’eux. En Jésus-Christ, Dieu agit comme Dieu,
divinement, sans intermédiaire, et, en lui, Dieu agit comme homme par la
médiation de l’histoire. C’est pourquoi le Christ serait en même temps Telos et Peras de l’histoire, comme dit Daniélou, usant de termes grecs dont
il est bien difficile de rendre exactement en français ce qui les différencie
réellement. Il veut dire que le Christ est aussi bien l’accomplissement (telos) de tout le réel-accomplissement
incompatible avec le cours temporel du monde et de l’histoire-que la fin chronologique (peras) de ce temps.
[1250] l Théssaloniciens 5, 3.
[1251] 1 Théssaloniciens 5, 2.
[1252] Luc 21, 27.
[1253] Matthieu 24, 32.
[1254] Isaïe 40, 3.
[1255] Comme si le Christ
devait régner physiquement 1000 ans sur terre. L’Église a sans cesse rappelé
que ces 1000 ans (Ap. 20, 2) étaient le symbole de sa présence cachée
jusqu’au cœur des plus grands malheurs.
[1256] Amos 8, 12.
[1257] Livre des prédictions d’Esychus, chap. 11.
[1258] Pour comprendre avec précision la portée des textes de
l’Apocalypse de saint Jean, on peut se reporter aux excellentes études du
cardinal Balthasar, La dramatique divine,
3, Culture et vérité, Namur 1992, p. 19 ss). Pour les discours eschatologiques,
Voir surtout La dramatique divine 4,
p. 36 ss (Le dénouement).
[1259] Luc 16, 31.
[1260] Luc 21, 25.
[1261] Voir par exemple Matthieu 24, 40 : « L’un sera pris, l’autre
laissé. »
[1262] Luc 21, 28.
[1263] Luc 21, 32.
[1264] Apocalypse 16, 11.
[1265] Job 42, 5.
[1266] A propos de ces signes et de leur nombre, il existe une
importante bibliographie. Voir Saint Thomas, Suppl, q. 73, art. 1.
[1267] Isaïe 7, 14.
[1268] Apocalypse 13, 1.
[1269] Luc 21, 11.
[1270] Luc 21, 9.
[1271] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1272] Apocalypse 6, 5.
[1273] Apocalypse 16.
[1274] Matthieu. 24, 24.
[1275] 2 Timothée 3, 1.
[1276] Matthieu. 24, 29 ; Act. 2, 20.
[1277] De type « Témoin de Jéhovah », car leur sens fondamental est
effectivement littéral.
[1278] Matthieu 24, 2.
[1279] Jean 2, 19.
[1280] La théologie musulmane s’accorde avec la théologie chrétienne
pour reconnaître qu’il y aura des signes précurseurs de la fin du monde. Mais
leur liste en est différente : (La mort et le jugement dernier dans la
théologie musulmane, Rayhane éditions, Paris 1991, Fdal HAJA, p. 54-55)
Hudayfa Ibn Asyada a rapporté : « Nous avons été surpris
par la visite du Prophète alors qu’on était en pleine discussion sur (les signes)
de l’Heure. Il nous a demandé : “De quoi discutez-vous ?” On lui a répondu : «
On évoque l’Heure. » Il a dit : “Elle ne sera effective qu’une fois que vous
aurez vu les dix signes. » Il a évoqué la fumée, l’imposteur, la bête, le lever
du soleil du côté de l’occident, le Mahdi, la descente de Jésus fils de Marie,
Gog et Magog et trois phénomènes sismiques : Le premier au Machrek (orient), le
second au Maghreb et le dernier dans la péninsule arabique. En dernier lieu, un
feu surgira du Yémen et chassera les gens vers le lieu de la résurrection”
(Rapporté par Muslim, T 8, p. 198 et Ahmad T4, p716).
‘Ah Ibn Abi Talib a rapporté que le Mohamed a dit : “Quand
quinze penchants se concrétiseront dans le comportement de ma communauté, le
malheur l’atteindra. » On a demandé : “Lesquels, O Envoyé de Dieu ? » Il
répondit : “Quand l’état vivra du butin, quand les objets confiés en dépôt
seront confisqués et la zakat (aumône
légale) imposée comme impôt. Quand l’homme obéira à sa femme et désobéira à sa
mère, qu’il sera bon avec son ami et rejettera sou père. Quand les voix
s’élèveront au sein des mosquées ; quand le plus vil des hommes deviendra leur
chef. Quand on honorera l’homme pour sa méchanceté. Quand on boira de l’alcool,
qu’on portera des habits de soie, qu’on fera des femmes des musiciennes et des
chanteuses. Quand les derniers de cette communauté maudiront leurs ancêtres.
Alors, qu’ils s’attendent à un vent rouge, un séisme et une défiguration”
(Rapporté par at-tirmidhi).
Dieu dit : “Oui, sans
aucun doute l’Heure approche, mais la plupart des hommes sont incrédules” (40
:59).
Le Compagnon du Prophète, Sahl lbn Sa’d as-Sa’idi a rapporté que
l’Envoyé de Dieu a dit : “J’ai été envoyé moi et l’Heure comme ceci”, et il a
joint l’index et le majeur (Rapporté par al-Bukhari).
Dieu a gardé l’Heure secrète pour que l’humanité, toute entière
et en tout temps, cherche à en savoir un maximum sur sa nature, la craigne et
se prépare avec acharnement à sa rencontre, ceci dans le cas des croyants.
Quand aux incrédules, elle les surprendra sans qu’ils s’en rendent compte. Dieu
dit : “L’Heure est proche, en vérité, et
je tiens (son arrivée) absolument secrète, afin que chaque âme puisse être
rétribuée selon ses œuvres. Que celui qui ne croit pas (à son arrivée) et qui
suit sa passion ne te détourne pas (de cette certitude), sinon ru périras » (20
:15-16).
“Que l’Heure viendra -nul doute à cet égard- et que Dieu
ressuscitera ceux qui sont dans les tombes” (22 :7).
[1281] 1 Timothée 4, 1.
[1282] Apocalypse 11, 3.
[1283] Apocalypse 12, 1.
[1284] Jean 21, 19.
[1285] Jean 21, 22.
[1286] Matthieu 24, 30.
[1287] Matthieu 24, 15.
[1288] Luc 21, 24.
[1289] Luc 23, 28.
[1290] Luc 21, 24.
[1291] 2 Maccabées 2, 4-7.
[1292] 2 Maccabées 2, 8.
[1293] Romains 11, 15.
[1294] Luc 13, 35.
[1295] Matthieu 24, 8.
[1296] Matthieu 24, 25.
[1297] L’histoire nous montre que ce temps est commencé depuis le jour
de la Pentecôte. En effet, depuis 2000 ans, le Seigneur ne cesse d’enfanter
chaque génération chrétienne à la Vie par la croix.
[1298] On ne peut manquer de penser au monde contemporain, façonné par
l’athéisme et la sécularisation depuis plus de deux siècles. C’est pourtant le
siècle par excellence des missions.
[1299] Matthieu. 24, 14.
[1300] 1 Macchabées 1, 54.
[1301] Matthieu 24, 29.
[1302] 1 Théssaloniciens 2, 8.
[1303] Matthieu. 25, 31.
[1304] Matthieu 24, 22.
[1305] Saint Césaire d’Arles, D. D. B. Paris, 1989, p. 15, commente :
« Au sujet des révélations de l’Apocalypse de saint Jean, quelques-uns des
anciens Pères ont pensé qu’elles se rapportaient en totalité ou au moins en
très grande partie au jour du jugement et à l’avènement de I Antéchrist. En revanche,
ceux qui ont attentivement analysé ce livre ont estimé que les révélations qui
y sont contenues ont commencé à s’accomplir aussitôt après la passion de notre
Seigneur et sauveur et doivent continuer à s’accomplir jusqu’au jour du
jugement… »
[1306] Apocalypse 4, 5.
[1307] Apocalypse 5, 5.
[1308] Apocalypse 8, 9.
[1309] Apocalypse 12, 13.
[1310] Apocalypse 21.
[1311] Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1312] Matthieu 24, 4-11.
[1313] 2 Théssaloniciens 2.
[1314] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1315] Voir à ce sujet les magistrales fresques historiques dans les
œuvres de Balthasar. Ex : « L’amour seul est digne de foi », Aubier p. 11ss.
[1316] Matthieu 24, 34.
[1317] Apocalypse 8, 12.
[1318] Isaïe 24, 20.
[1319] Matthieu 24, 29.
[1320] Genèse 3, 15.
[1321] Matthieu 24, 22.
[1322] Matthieu 24, 7.
[1323] Luc 12, 20.
[1324] Job 42, 5 et 6.
[1325] 1 Pierre 1, 7.
[1326] Apocalypse 16, 21.
[1327] Le cardinal Ratzinger écrit (La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 206) « Un texte de
l’Evangile de Luc, de ton très archaïsant, s’exprime de même : « Et comme il
advint aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l’Homme. On
mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans
l’arche ; et vint le déluge qui les fit tous périr. Il en sera tout comme aux
jours de Lot : on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on
bâtissait ; mais ce jour où Lot sortit de Sodome, Dieu fit pleuvoir du Ciel du
feu et du souffre, et il les fit tous périr. De même en sera-t-il le jour où le
Fils de l’Homme doit se révéler. » (Luc
17, 26-30 ; cf. Matthieu 24, 37-39). Ces signes, du
moins dans la mesure où nous avons pu le constater jusqu’à présent, ne
permettent pas de pronostiquer la date de la fin. Ils la mettent évidemment en
relation avec l’histoire, mais de telle manière qu’ils obligent toute époque à
la vigilance. Grâce à eux justement, c’est toujours le temps de la fin, le
monde est toujours au contact du « Tout-Autre » qui y mettra fin un jour, et
totalement, en tant que « temps chronologique. »
[1328] « Elle passe la figure de ce monde », 1 Corinthiens 7, 31.
[1329] Romains. 8, 22.
[1330] Job 42, 5 et 6 ; Voir à ce sujet Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, Paris, n° 194.
[1331] Matthieu 18, 8.
[1332] Genèse 11, 4.
[1333] 1 Rois 11, 6.
[1334] Voir à ce sujet Psaume 49, 13-20. Psaume 73, 3-5 ; 15-24.
[1335] Matthieu 24, 6.
[1336] Grégoire le Grand (Homélie sur l’Evangile, p. PL. 76, p. 1078)
a pu parler d’un monde vieillissant, « car, que s’élève peuple contre peuple,
et que leur calamité s’étende sur le pays, cela nous le constatons dans notre
époque plus que nous ne le lisons dans les livres. Vous savez aussi combien de
fois nous avons ouï dire, que, dans d’autres parties du monde, des tremblements
de terre ont dévasté d’innombrables cités. Sans cesse nous souffrons de
pestes. Et si nous ne constatons pas encore visiblement des signes dans le
soleil, la lune et les étoiles, nous pouvons du moins conjecturer qu’ils ne
sont pas éloignés, puisque déjà le climat subit des modifications sensibles «
C’est pourquoi on peut dire inversement « Quand les hommes se disent « Paix et
sécurité », c’est alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition comme
les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. » (1
Théssaloniciens 5, 3).
[1337] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1338] L’opinion du Cardinal Ratzinger : « D’abord, ce n’est pas
quelque suprême maturation de l’histoire qui prépare le passage à la fin ; au
contraire, c’est justement la déliquescence interne de l’histoire, son
incapacité en face du divin, son opposition, qui, paradoxalement, renvoient à
l’assentiment de Dieu. Deuxièmement, un coup d’œil même superficiel montre,
dans la réalité de tous les siècles, que ces « signes « renvoient à la
constante disposition de ce monde ; car ce monde a été continuellement déchiré
par des guerres et des catastrophes, et rien ne laisse espérer que quelque «
effort de paix « pourrait modifier radicalement cette signature de tout ce qui
est humain. »
RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p.
205.
[1339] Apocalypse 16, 14.
[1340] Daniel 11, 11 ; Puisque nous parlons de guerres extérieures, il
est à espérer qu’il s’agit des guerres mondiales de la première moitié du XXème
siècle.
[1341] Question 32, l’Antéchrist.
[1342] Apocalypse 13, 16 ;
[1343] La religion enseignée aux fidèles, particulièrement entre 1800
et 1840 met l’accent sur un Dieu terrible aux méchants, le vengeur de tous les
crimes. Livres de prière, cantiques, prédication, entretiennent dans une
religion sévère qui détourne de la fréquentation des sacrements. Lors des
missions-ou des campagnes d’évangélisation chez les protestants-le prédicateur
veut attirer la foule à l’église ou au temple et utilise pour cela des moyens
qui s’apparentent à la provocation. Il faut commencer par frapper de grands
coups en annonçant des « vérités terribles » Sur les 25 à 30 sermons d’une
mission de trois semaines, une moitié leur est consacrée. Puis viennent les «
vérités consolantes » et les « devoirs du chrétien. » Le Salut, le péché, la
mort, l’existence de l’enfer, le petit nombre des élus, le jugement dernier,
des prédicateurs, tels Jean-Marie Vianney, en font leurs armes de prédilection.
Mais en cela, rien d’original. Si les consciences sont bousculées, c’est
davantage par la conviction qui anime le missionnaire que par l’originalité des
propos. C’est la tradition des siècles précédents qui est reprise. Celle de
Vincent de Paul « Je n’avais partout qu’une seule prédication que je tournais
en mille manières c’était la crainte de Dieu » Du Dieu terrible au Dieu
d’amour, Gérard CHOUVY, Communio, n° 11, 3, mai-juin 1986, p. 119.
[1344] Apocalypse 13, 8.
[1345] Les textes de l’Ecriture, pris dans leur sens littéral, ont
signifié la réalité de toutes les époques jusqu’ici. Mais, vers la fin du
monde, la guerre prendra un sens tout à fait particulier.
[1346] 1 Jean 4, 1.
[1347] Matthieu 24, 24.
[1348] Jean 19, 11.
[1349] 2 Théssaloniciens 2, 11.
[1350] Matthieu 13, 17.
[1351] Galates 1, 8.
[1352] Matthieu 24, 12.
[1353] 1 Timothée 4, 1.
[1354] Marc 6, 5.
[1355] 2 Timothée 3, 1.
[1356] L’islam parle de
la même façon et annonce pour la fin du monde certains
signes parmi lesquels on trouve « la perte des objets confiés en dépôt,
la rivalité dans la direction des mosquées, la multiplication des constructions
plus hautes les unes que les autres (signe d’orgueil), la fréquence de la
fornication, la consommation de l’alcool, prendre des filles comme chanteuses
et danseuses dans les réunions et les fêtes, le bâtard qui devient maître et
gouverneur, accorder des responsabilités à ceux qui ne le méritent pas, la
multiplication des nouveautés blâmables, le manque de pudeur des femmes qui
découvrent les parties intimes de leur corps, le juge qui n’applique pas la
justice, la rareté des savants qui dénoncent les nouveautés blâmables, la
décadence morale et d’autres actes illicites encore. »
[1357] Dans la chrétienté d’occident, il s’agit des XII et XIIIèmes
siècles.
[1358] 1 Périarchion, Chap.
3.
[1359] Au nom de l’amour de Dieu, l’Église d’Espagne du XVIème siècle
est à cet égard significative. Durcie dans sa guerre contre l’islam, elle
appliqua la force à son propre peuple et aux peuples conquis d’Amérique du Sud.
[1360] L’histoire de l’Occident chrétien est là encore intéressante.
Son apostasie en marche l’amena tour à tour des guerres sauvages au nom de la
nation et du sacrifice à son idéal, aux meurtres de l’avortement et de
l’euthanasie au nom du plaisir et de la liberté individuelle.
[1361] Matthieu 10, 39.
[1362] Genèse 11.
[1363] 2 Théssaloniciens 2.
[1364] Luc 8, 14.
[1365] 1 Jean 2, 19.
[1366] Ou même du judéo-christianisme. Qui peut aujourd’hui faire
autre chose que le constater. Marx, Freud, Sartre, Nietzsche etc. pour les
théoriciens, Hitler, Staline et même en un certain sens Mao pour les praticiens
ont tous tiré leur enseignement d’un judéo-christianisme dénaturé.
[1367] Sagesse 15, 18.
[1368] Marc 16, 16.
[1369] Matthieu 8, 10.
[1370] Jean 10, 16.
[1371] Concile Vatican II, Décret
sur les diverses religions.
[1372] Ibidem.
[1373] La Réforme, en ne croyant pas à cette dignité de la nature
humaine, va moins loin. Pour elle, la confiance en Dieu suffit. La foi seule
sauve, et non la charité et sa coopération active de réciprocité. Pour elle,
l’homme détruit par le péché originel est bien incapable d’une telle audace.
Cependant, une fois la grâce reçue, le Protestantisme croit possible la charité
ce qui, en définitive relativise beaucoup ce qui sépare les chrétiens entre
eux.
[1374] Jean 14, 6.
[1375] Jean 4, 22.
[1376] Matthieu 16, 6.
[1377] Sagesse 13, 11.
[1378] Genèse 41.
[1379] Jean 10, 16.
[1380] Exode 32, 4.
[1381] Jean 10, 16.
[1382] Apocalypse 13, 7.
[1383] Matthieu 16, 18.
[1384] Luc 24, 46.
[1385] Matthieu 10, 23.
[1386] Apocalypse 2.
[1387] Ezéchiel 16, 22.
[1388] Apocalypse 9, 20.
[1389] 2 Thess 2.
[1390] Ezéchiel 14, 21.
[1391] Matthieu 24 9.
[1392] « Trompeuse » ou plutôt ambiguë car lorsque Dieu parle de « gloire, de victoire, de salut », il
entend souvent « vie éternelle, donc humilité et son chemin, crucifixion et
humiliation. » Mais l’homme y voit ce qui lui plaît à savoir « succès mondain,
gloire terrestre. »
[1393] Hébreux 11, 6.
[1394] Une étude sérieuse des religions et de leurs prophéties
eschatologiques devra être faite.
[1395] 1 Jean 2, 22.
[1396] Apocalypse 13, 17.
[1397] Genèse 15, 5.
[1398] Genèse 21, 11.
[1399] Genèse 16, 12.
[1400] Certains musulmans
mystiques, peu nombreux affirment que le « grand jihad » est celle que l’homme
doit mener contre le péché qui est en lui. La lettre des textes du Coran et des
Hadiths dit l’inverse.
[1401] Coran 8, Le Butin 39.
[1402] Genèse 16, 12.
[1403] L’Église et les religions non Chrétiennes.
[1404] Voir à cet égard dans la revue Thomiste avril-juin 1957,
l’excellent article de L. Gardet sur les
fins dernières selon la théologie musulmane.
[1405] Luc 18, 17.
[1406] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1407] Genèse 21, 20.
[1408] Il en sera de même pour la chrétienté qui subira un martyre,
comme nous le montrerons.
[1409] Matthieu 26, 52.
[1410] Sourate 21, Les Prophètes, verset 104.
[1411] Coran 99, 1-2. Coran 82, 1-4 ; 81, 1-14 ; 56, 1-6 ; 101, 5.
[1412] Sourate 44, La Fumée ; Sourate 41, verset 11.
[1413] cf. Apocalypse de saint Jean 7, 3-4.
[1414] Ezéchiel 39, 9-11. Il s’agit de l’annonce d’une grande guerre
qui verra la défaite des impies.
[1415] Il s’agit des habitants musulmans de l’Arabie vers la fin du
monde.
[1416] Ezéchiel 39, 12 : « On les
enterrera afin de purifier le pays pendant sept mois. »
[1417] Extrait de l’ouvrage Les histoires
des prophètes, par l’Imam Aboul-Fida Ismaël Ben Kathir, Editions Dar el
Hker, Beyrouth, Liban, p.262.
[1418] Coran, Sourate des rangs, versets 101-102.
[1419] Coran, Sourate de Marie, versets 54-55.
[1420] Genèse 22, 2 et ss.
[1421] « Le vrai bélier sera Jésus Christ, Fils de Dieu car, quand
Dieu veut qu’on lui sacrifie un enfant, c’est le sien qu’il donne. » Saint
Vincent de Paul.
[1422] La connaissance de la fin du christianisme.
[1423] Exode 33, 5.
[1424] Romains. 5, 18.
[1425] Romains 11, 33.
[1426] Romains. 10, 2.
[1427] Isaïe 29, 10.
[1428] Romains. 11, 12.
[1429] Pour Pie XI, dans l’encyclique antinazie, « Mit brennender
Sorge » du 14 mars 1937, AAS 29 (1937) 150-151, les livres sacrés de
l’Ancien Testament sont entièrement Parole de Dieu et forment une partie
substantielle de la Révélation confirmée par la Parole unique qu’est le Christ,
cette Parole vétéro-testamentaire de Dieu, pourrait-on ajouter, est toujours
adressée par Dieu à l’humanité entière Pie XII précise : « Pour les yeux qui
ne se sont pas aveuglés par le préjugé ou par la passion, resplendit la lumière
divine du plan sauveur qui triomphe finalement de toutes les fautes et de tous
les péchés. »
Après Auschwitz, cette déclaration prend un sens nouveau : la
pédagogie divine, manifestée notamment dans le Serviteur souffrant triomphe du
crime collectif qui y a été accompli et de toutes les révoltes individuelles
qu’il a occasionnées. Pie XI ajoute : « Sur ce fond souvent obscur ressort
dans de plus frappantes perspectives la pédagogie de salut de l’Eternel, tour à
tour, avertissant admonestant, frappant, relevant et béatifiant ses élus. »
C’est à cette pédagogie de salut que rendaient héroïquement
hommage toutes les victimes d’Auschwitz en chantant, au seuil de la mort, le Shema
Israël. Elles croyaient que les coups mortels des hommes étaient au
service, malgré eux, de la volonté salvifique et béatifiante du Père
tout-puissant et miséricordieux.
Pie XI était ainsi amené à dire : « seuls l’aveuglement et
l’orgueil peuvent fermer les yeux devant les trésors d’enseignement salvateur
de l’Ancien Testament »
On souhaiterait qu’à l’avenir, plus que dans le passé, la
catéchèse chrétienne déverse ces trésors en proposant aux hommes l’intégrale
Révélation post-exilique de l’unique Alliance éternelle, toujours ancienne et
toujours nouvelle.
[1430] Romains 11, 15.
[1431] Voir l’article suivant.
[1432] Isaïe 40, 5.
[1433] Romains 9, 6.
[1434] Matthieu 11, 28.
[1435] Voir JEAN-PAUL II, Discours
aux juifs des États-Unis à Miami DC, 1987, 938.
[1436] Luc 19, 24.
[1437] Deutéronome 28, 63.
[1438] Jean 5, 43
[1439] Apocalypse 12.
[1440] Nous verrons que ce texte possède d’autres sens symboliques
(l’Église, Marie, l’âme etc.).
[1441] Matthieu 24, 2.
[1442] Matthieu 24, 15.
[1443] Luc 21, 24.
[1444] Luc 23, 28.
[1445] Luc 21, 24.
[1446] Romains 11, 25.
[1447] 2 Maccabées 2, 4-7.
[1448] 2 Maccabées 2, 8.
[1449] Romains 11, 15.
[1450] Luc 16, 35.
[1451] En effet, observait en 1989 le cardinal J.-M. Lustiger au cours
d’un entretien télévisé avec E. Wiesel. « Le juif est le témoin d’un au-delà de
l’homme : à travers le juif, Hitler a voulu tuer Dieu, ce Dieu qui, en
choisissant Israël, manifestait son intention de sauver le monde : « Par toi
(Abraham) se béniront tous les clans de la terre » Genèse 18, 18. 22, 18.
26, 4).
[1452] Romains 11, 1.
[1453] Romains 11, 33.
[1454] c. f. André Neher dans un livre au titre significatif : «
L’exil de la Parole, du silence biblique au silence d’Auschwitz » Paris, 1970.
[1455] Ezéchiel 40 à 48.
[1456] Apocalypse 21, 22.
[1457] JEAN-PAUL II : Lettre du 8 août 1987 à Mgr J. May, président de
la conférence des évêques des États-Unis. Doc. Cath. 84, (1987) 890.
[1458] Au delà de ces interprétations traditionnelles, il est possible
de découvrir en Israël, de par la méditation constante de son histoire
tourmentée à la lumière du Serviteur souffrant et sous l’influence du
christianisme, une interprétation étonnamment mystique de l’histoire : Voici,
au travers de quelques textes et témoignages, quelques aspects de cette
spiritualité quasi-chrétienne : Voir Eliezer Berkovits comprend ainsi la portée
permanente du sacrifice d’Isaac dans l’histoire du judaïsme, Nova et Vetera,
1973, 123-125.
[1459] Quant à l’époque de cette conversion, les opinions divergent :
Le cardinal Journet (Nova et Vetera, 1989/2, p. 149) et Lagrange pensent
qu’elle interviendra avant la fin du monde, sera suivie par une prédication
efficace des juifs libérés ainsi de leur messianisme temporel, provoquant une
grande croissance de l’Église, qu’elle sera suivie par l’apostasie généralisée
puis par le retour du Christ. Cela est soutenable. Mais une autre opinion est
tout aussi vraisemblable. Elle présente l’inconvénient d’être moins visible au plan
de l’histoire. L’apostasie généralisée est déjà en marche et la conversion
d’Israël serait réservée pour le jour même du retour du Christ, dans la
confrontation de son apparition. Mais, auparavant, ils auront mérité par une
épreuve particulière cette manifestation finale.
[1460] Voir la fin de l’épître aux Romains.
[1461] Il ne convient pas de parler du
peuple juif comme de « l'ennemi de Dieu. » Ce serait négliger l'Alliance. Mais,
au plan du symbole néo-testamentaire, l'Israël séparé du Christ représente tout
ce qui dans l'homme doit retrouver le chemin perdu de Dieu.
[1462] Charles Journet, durant les années les plus sombres de la
seconde guerre mondiale, a vécu intensément le drame du peuple juif. Destinées
d’Israël, écrit à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution,
en 1892, du Salut par les Juifs de Léon Bloy, est un livre bouleversant
y vibre la charité intense d’un cœur catholique qui, au nom de ce qu’il a de
plus cher, sa foi, entend rendre hommage à Israël « au temps de ses outrages. »
Protester de toute sa force était la raison première de l’ouvrage. Mais en
l’écrivant, le théologien ressentait l’attrait grandissant d’une « séduction »,
car les destinées d’Israël lui « apparaissaient étroitement et éternellement
enlacées aux destinées de l’Église. » Une « indéniable parenté » et une « dure
antinomie » caractérisaient ce lien. S’efforcer de scruter les signes des
temps-et certains de ces signes manifestent le mystère d’iniquité-entre dans la
tâche du théologien.
[1463] Luc 11, 32.
[1464] Genèse 37, 45.
[1465] Genèse 37, 26.
[1466] Luc 13, 33.
[1467] Marc 14, 62.
[1468] Marie Dominique Philippe op., commentaire de la Genèse, Rimont,
1984.
[1469] Marie-Thérèse HUGUET, Nova et Vetera, 1985/2 : « Comment oser
écrire cela après vingt siècles d’égarements de tant de fils de l’Église à
l’encontre des fils de la Maison d’Israël, alors que le peuple juif était
confié à l’amour de l`Église, égarements tels qu’on a peine à les croire
possibles, tant sur le plan de l’enseignement que sur le plan des actes (cf. F.
Lovsky, Antisémitisme et mystère d’Israël, Albin Michel, 1955 ; L’antisémitisme
chrétien, Cerf, 1970 ; Let déchirure de l’absence, Calmann-Lévy, 1971). La
première démarche qui nous incombe est bien celle de l’humble confession de ces
péchés qui atteignent Dieu lui-même dans son dessein de salut, confession
inséparable de toute la réparation possible. Mais que depuis vingt siècles
cette tâche de consolation ait été non perçue ou défigurée en prosélytisme, que
loin de l’honorer nous l’ayons trahie en en prenant le contre-pied, cela ne
change rien au fait que nous l’ayons reçue (et cela aggrave nos torts
d’autant). Et l’appel du prophète Isaïe : « consolez mon peuple » ne
devrait-il pas s’opérer également par la reconnaissance (au sens de
reconnaissance d’identité et au sens de gratitude), la solidarité, le partage
de l’espérance, l’humble témoignage, sans parler de la prière. Ce serait aimer
la maison d’Israël en vérité. Ce serait l’aimer de la tendresse que le Père
porte à celui qui, à l’image de l’Unique, est le « premier-né » de son amour
(Si 36, 11).
[1470] Luc 24, 31.
[1471] Apocalypse 11, 5.
[1472] Luc 21, 12.
[1473] Apocalypse 13, 17.
[1474] Luc 21, 14.
[1475] Colossiens. 1, 24.
[1476] Matthieu 10, 23.
[1477] Actes 16, 6.
[1478] Colossiens 1, 23.
[1479] Vitalini Sandro, Théologie de l’au-delà, Université de Fribourg, 1980, p. 76.
[1480] Marc 13, 10.
[1481] Genèse 3, 15.
[1482] 1 Pierre 3, 19.
[1483] Jean-Paul II est-t-il celui qui a réalisé cette prophétie ?
[1484] Psaume 127, 1.
[1485] Voir Question 8, article 3.
[1486] Jean 3.
[1487] Jean 3, 7.
[1488] Voir Y. Congar, Le mystère du temple, Cerf, 1957, 1ère
Partie, Paris.
[1489] Matthieu 16, 18.
[1490] Jean 21.
[1491] Apocalypse 19, 7.
[1492] Apocalypse 13, 7.
[1493] Jean 12, 24.
[1494] Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1997, 675 à 677.
[1495] Jean 21, 18 à 23.
[1496] Voir article 4.
[1497] Jean 21, 19.
[1498] Matthieu 24, 21.
[1499] Actes 1, 7.
[1500] Jean 21, 19.
[1501] Matthieu 24.
[1502] Daniel 9.
[1503] Apocalypse 11, 7.
[1504] Jean 21, 18-23.
[1505] Voir Daniel 8, 9.
[1506] Voir L’Anneau du Pécheur de Jean Raspail, qui
raconte la manière dont disparut du monde visible la papauté d’Avignon.
[1507] Matthieu 16, 18.
[1508] Jean 21, 17.
[1509] Voir « Ad tuendan Fidem », lettre apostolique sur le
Magistère de l’Église, Documentation Catholique 1998, n°2186.
[1510] Jean 21, 18.
[1511] Q. 1, Article suivant.
[1512] Jean 11, 49.
[1513] Jean 12, 20.
[1514] Luc 19, 28.
[1515] Jean 13.
[1516] Depuis Vatican II, l’Eglise semble
réaliser ce chemin de kénose à la lettre.
[1517] Daniel 1, 31.
[1518] Apocalypse 12, 8.
[1519] Daniel 11, 31.
[1520] Proverbes 21, 1.
[1521] Luc 21, 28.
[1522] Jean 19.
[1523] Marc 14, 52.
[1524] Jean 12, 4.
[1525] Jean 12, 6.
[1526] Jean 13, 6.
[1527] Matthieu 24, 15.
[1528] Matthieu 16, 18.
[1529] Luc 21, 28.
[1530] Jean 4, 21.
[1531] 2 Macchabées 4, 5.
[1532] Donatienne de Lacheisserie, objection, Bois-le-Roi, septembre
1994.
[1533] Matthieu 24, 15.
[1534] Apocalypse 20, 8.
[1535] 2 Macchabées 10.
[1536] Luc 22, 32.
[1537]. Luc 22, 19.
[1538] Matthieu 24, 15.
[1539] Daniel 8, 12 ; Daniel 11, 31 et Daniel 12, 11.
[1540] Luc 17, 20.
[1541] Jean 14, 23.
[1542] Matthieu 18, 20.
[1543] 1 Jean 3, 2.
[1544]. … qui n’est pas encore une sainte canonisée. Ses écrits sont
cités à titre de témoignage. Ce texte a été composé par elle le 4 avril 1931.
[1545]. À cause de cette réduction de la vie chrétienne à la
spiritualité eucharistique, les divorcés remariés, qui n’ont plus accès à la
communion eucharistique, ne pouvaient plus comprendre ce que leur demandait
l'Église. Il sont appelés à la spiritualité du publicain décrite en Luc 10, 18 :
« Deux
hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était Pharisien et l’autre
publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : ‘Mon Dieu, je
te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes. Je suis un
homme vertueux.’ Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les
yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, aie
pitié du pécheur que je suis !’ Je vous le dis, ce dernier descendit chez
lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui
qui s’abaisse sera élevé. »
Tout est dit ici de la communion de celui qui ne peut plus communier.
[1546] Jean 21, 23.
[1547] Jean 20, 28.
[1548] Jean 19, 26.
[1549] Matthieu 24, 22.
[1550] Luc 1, 45.
[1551] L’Église a fait de saint Louis-Marie Grignon de Montfort un
Docteur de l’Église pour ses deux écrits sur Marie : « Le secret de Marie », « Le
traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge. »
[1552] Luc 10, 21.
[1553] Op. cit.
[1554] Traité de la vraie
dévotion à la sainte Vierge, éd. Du seuil, Paris, 1966, p. 55.
[1555] Citation de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus.
[1556] A. Feuillet, La femme
vêtue du soleil (Apocalypse 12), et la glorification de l’épouse du Cantique
des cantiques (6, 10), Nova et Vetera, 1984, 1.
[1557] Luc 2, 51.
[1558] Apocalypse 19, 17.
[1559] Apocalypse 10, 2.
[1560] Apocalypse 10, 6.
[1561] Dans son Traité de la
vraie dévotion à Marie, (lire plus
loin), saint Louis-Marie Grignon de Montfort annonce explicitement la venue
de tels témoins. Cette interprétation là est même, si l'on considère la façon
dont Dieu nous sauve, aussi certaine que les autres. Dieu ne peut laisser les
hommes affronter l'époque de l’Antéchrist sans proposer à ceux qui seront
attentifs, toutes les armes de la survie spirituelle. S'il envoie sa mère dans
de nombreuses apparitions, c’est qu’elle est la plus capable de former des âmes
contemplatives. Mais il lui adjoint de nombreux témoins afin que toutes les
sensibilités entendent le message. Certains sont déjà venus et, unique parmi
tous les autres, sainte Thérèse brille au cœur de l'apostasie en marche. Son
témoignage est le même que celui d’Énoch : « Elle marcha avec Dieu, puis elle disparut car Dieu l’enleva! ”
A la fin du monde, lorsque l'Antéchrist viendra, les hommes croyants n’auront
qu’à l'imiter : marcher avec Dieu dans le secret de la charité. Alors Jésus
reviendra et les enlèvera.
Vers la fin du monde, avant que le règne de l’Antéchrist ne
rende toute prédication impossible, il est probable que le Seigneur suscitera
des nouveaux Elie qui prêcheront dans le monde entier l’Evangile. C'est ce que
Jésus semble annoncer (« semble » car ces textes ont plusieurs niveaux de sens)
: « Cette bonne nouvelle sera annoncée
dans le monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors
viendra la fin.” (Matthieu 24, 14). Saint Louis-Marie Grignon de Montfort
décrit les apôtres des derniers temps de la façon suivante (Traité de la vraie dévotion à la Sainte
Vierge, édition du seuil, Paris, 1966, 49ss) :
“ Ces grandes âmes,
pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de
Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la
Très Sainte Vierge, éclairés par sa lumière, nourries de son lait, conduites
par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte
qu'elles combattront d'une main et édifieront de l’autre. D'une main, elles
combattront, renverseront, écraseront les hérétiques avec leurs hérésies, les
schismatiques et leurs schismes, les idolâtres avec leur idolâtrie, et les
pécheurs avec leurs impiétés et, de l’autre main, elles édifieront le temple du
vrai Salomon et la mystique cité de Dieu. ” “ Mais qui seront ces
serviteurs, esclaves et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant, ministres
du Seigneur qui mettront le feu de l'amour divin partout. Ce seront comme des
flèches dans la main du puissant (ps. 126, 4), dans la main de la puissante
Marie pour percer ses ennemis. Ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par
le feu de grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de
l’amour dans le cœur, l'encens de l'oraison dans l’esprit et la myrrhe de la
mortification dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de
Jésus-christ aux pauvres et aux petits, tandis qu'ils seront une odeur de mort
aux grands, aux riches et aux orgueilleux mondains.
Ce seront des nues
tonnantes et volantes par les airs au moindre souffle de l’Esprit saint, qui,
sans s’attacher à rien ni s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien,
répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie éternelle. Ils tonneront
contre le péché, ils gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et
ses suppôts, et ils perceront d'outre en outre, pour la vie ou pour la mort,
avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils
seront envoyés de la part du Très-Haut.
Ce seront des apôtres
véritables des derniers temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole
et la force pour opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses
sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus est, sans soin,
au milieu des autres prêtres, et ecclésiastiques et clercs ; et cependant ils
auront les ailes argentées de la colombe, pour aller avec la pure intention de
la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera, et
ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de
la charité qui est l’accomplissement de toute la loi.
Enfin, nous savons que ce
seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui marcheront sur les traces de sa
pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseignant la voie droite de
Dieu dans la pure vérité, selon le saint Evangile, et non selon les maximes du
monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner,
écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant qu'il soit. Ils auront dans
leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu ; Ils porteront
sur leurs épaules l'étendard ensanglanté de la Croix, le crucifix dans la main
droite, le chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie sur
leur cœur, et la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur
conduite. Voilà de grands hommes qui
viendront, mais que Marie fera par ordre du Très-Haut pour étendre son empire
sur celui des impies, idolâtres et Mahométans. Mais quand cela sera-t-il ? Dieu
seul le sait : c’est à nous de nous taire, de prier, soupirer et attendre :
Expectans expectavi. ”
[1562] 2 Macchabées 10, 29.
[1563] Les anciens juifs croyaient en la venue d’Énoch et d’Elie
eux-mêmes, à partir d’un paradis terrestre où ils attendaient vivants leur
heure. Nous ne nous attarderons pas sur cette vision dont l’Evangile manifeste
suffisamment le caractère mythologique. Cf Marc 9, 12-13). Consulter aussi :
- Bellarmin, Apologia, Opera, éd. Vives, t. 12, p. 171-176.
- Grail, Jean-Baptiste et Elie, « Vie spirituelle », juin 1949,
8-106.
- Augustin, In Joan, 4, 5-6, P. L, 35, 1408.
[1564] Romains 11, 16.
[1565] Apocalypse 3, 13.
[1566] Genèse 5, 22.
[1567] 2 Romains 2, 11.
[1568] Matthieu 17, 12.
[1569] Grail, Jean-Baptiste et
Élie, « Vie spirituelle », juin 1949.
[1570] Luc 10, 41.
[1571] Romains 11, 24.
[1572] L’islam développe
une théologie analogue concernant les signes de la fin du monde et la venue de
témoins précurseurs. Il s’agit du "Mahdi".[1572]
Le Mahdi est évoqué dans des hadiths authentiques. Le Prophète a annoncé
l’apparition d’un homme parmi sa communauté. Le Mahdi (le bien guidé)
répandra la justice sur toute la terre qu’il trouvera dominée par le despotisme
et l’injustice. Pour Mohamed c’est le Mahdi qui sera l’imam (guide de la
prière). Il vivra à l’époque où descendra Jésus, tous deux s’activeront pour
réparer ce qui a été détruit et remettre cette communauté, qui s’est éloignée
des prescriptions islamiques, sur le droit chemin.
[1573] Saint Césaire d’Arles commente ce texte de l’Apocalypse
(Collection les Pères dans la foi,
Desclée de Brower, p. 88) « Et je donnerai à mes deux témoins c’est-à-dire
aux deux Testaments, de prophétiser et ils prophétiseront pendant mille deux
cent soixante jours. » Il a dit le nombre de la dernière persécution, de la
paix future et de tout le temps qui s’écoule à partir de la passion tu Seigneur
: parce que l’un et l’autre temps ont le même nombre de jours, ce que l’on dira
en son lieu. « Couverts de sacs » c’est-à-dire de cilices, du fait
qu’ils sont établis dans les rangs des pénitents, c’est-à-dire de ceux qui
confessent leurs péchés, car il les dit couverts de sacs par esprit d’humilité.
« Et lorsqu’ils auront achevé leur témoignage la bête qui monte
de l’abîme leur fera la guerre. » Il montre ouvertement que ces choses
arriveront avant la dernière persécution, quand il dit : « Lorsqu’ils auront
achevé leur témoignage. »
« Et si quelqu’un veut leur nuire ou les tuer un feu sort de
leur bouche et dévore leurs ennemis » c’est-à-dire
si quelqu’un nuit ou a voulu nuire à l’Église, à la prière de sa bouche il sera
consumé par le feu divin soit dans le présent pour sa correction, soit dans le
siècle à venir pour sa damnation.
« Sur les places de la grande ville », c’est-à-dire au milieu de
l’Église. » Et les peuples de divers peuples, tribus et langues, verront leur
corps pendant trois jours et la moitié d’un jour » c’est-à-dire trois années et
six mois ; En effet il mêle les temps, tantôt le présent, tantôt le futur,
comme le Seigneur dit : « Une heure viendra où tout homme qui vous aura tué,
estimera qu’il a rendu honneur à Dieu. »
[1574] 2 Théssaloniciens 3, 4-5.
[1575] 1 Jean 2, 18.
[1576] 1 Jean 4, 3.
[1577] Saint Augustin, les deux cités.
[1578] Apocalypse 12, 3.
[1579] Apocalypse 13, 1.
[1580] L’opinion du Cardinal Ratzinger (La mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 204) : « Dans les
autres écrits du Nouveau Testament, quelques-uns de ces signes sont présentés
de façon plus concrète. Ainsi, la figure de l’Antéchrist passe désormais au
premier plan, surtout (bien que le terme n’y soit pas encore) en 2
Théssaloniciens 2, 3-10. Pour comprendre cette figure apocalyptique de l’ »
Impie » (2, 8 ; cf. 2, 3), il faut noter que Paul le caractérise en citant
substantiellement deux textes de l’Ancien Testament : Daniel 11, 36, et
Ezéchiel 28, 2 Le premier de ces deux textes dépeint le grand persécuteur de la
foi juive à l’époque hellénistique : Antiochus épiphane. Le second dépeint le
prince mythique de Tyr, prince hybride et donc voué à l’échec. Que l`Antéchrist
à venir soit décrit sous des traits qui, à l’origine, étaient ceux de deux
autres personnages depuis longtemps passés à l‘histoire lui ôte quelque chose
de son caractère strictement singulier, et range l’Antéchrist de la fin des
temps dans une longue série de précurseurs déjà fondamentalement doté de ce
qu’on trouvera chez lui au suprême degré. La même tendance s’inscrit encore
plus fortement dans 1 Jean 2, 18-20, où apparaît le thème de l’Antéchrist. Dans
ces deux derniers textes, les actuels fauteurs d’erreur en matière de
christologie sont qualifiés d’ » Antéchrist » Il s’ensuit que c’est maintenant
la « dernière heure «, mais qui précisément parce qu’elle est la dernière perd
toute valeur chronologique et exprime finalement une certaine disposition
d’esprit, une certaine proximité intérieure par rapport à la fin. Ce courant se
poursuit dans les visions parallèles de l’Apocalypse : le vrai pendant de l’ »
Antéchrist «, ce sont les deux animaux qui montent de la mer et de la terre
(13, 1-18). Dans ce texte aussi, l’Antéchrist est considéré très concrètement
du point de vue de l’histoire temporelle, et l’équivalence est établie entre
lui et l’Etat romain divinisé tel qu’il se présente, d’une part, dans ses
empereurs-dieux, et, d autre part, dans leurs prêtres.
Avec cette conception de l’Antéchrist va de pair une insistance
plus marquée sur l’idée de persécution qui, dan l’Apocalypse, atteint son
paroxysme. Le thème de la prédication évangélique et de l’universelle
efficacité du salut qui vient du Christ a encore connu un ultime
approfondissement dans le combat de Paul sur le thème d’Israël consécutif au
plein épanouissement de l’Église des païens. L’histoire de l’exégèse de Romains
9-11 en a conclu que la première étape vers la fin des temps serait forcément
la conversion historique d’Israël au Christ.
[1581] Il finit par accepter le baptême afin de mourir garrotté plutôt
que brûlé vif.
[1582] 2 Jean 8 ;
[1583] D. Buzy, Antéchrist, D. B, Suppl, I,
1928, p. 305.
[1584] 2 Théssaloniciens 2,
4.
[1585] 1 Jean 2, 18.
[1586] Daniel 11, 31.
[1587] 1 Jean 2, 19.
[1588] Œuvres, Livre L, chap. 27.
[1589] Aussi Gerhoch de Reichersberg (1093/1094-1169) voit-il juste,
quand il considère l’Antéchrist comme une sorte de principe de l’histoire de
l’Église, « qui ne se concrétise pas en une personne, mais sous mille figures.
Il fait table rase de l’image traditionnelle : il faut n’y Voir qu’un être
allégorique, et non historique. L’Antéchrist doit s’entendre littéralement de
tout homme qui est Christo Filio Dei contrarius mérite ce nom. En
d’autres termes, chacun est Antéchrist qui détruit l’ordo et fomente la confusio.
» Quoi qu’il en soit des généralisations outrancières que le prévôt pessimiste
en ait tirées concernant le but, le fond de sa pensée est pourtant juste, à
savoir que l’Antéchrist n’est un que dans la multitude de ses manifestations
historiques, dont chaque époque, à sa manière, est menacée.
[1590] Apocalypse 13, 17 et 18.
[1591] Exode 20, 9.
[1592] Exode 21, 1.
[1593] L’Apocalypse, Césaire d’Arles, Collection les Pères dans la
foi, Desclée de Brower, p. 65 : « Lorsqu’il ouvrit le sixième sceau, il y
eut un grand tremblement de terre », c’est-à-dire la dernière persécution. «
Et le soleil devint noir comme un sac de crin et la lune devint tout entière
comme du sang et les étoiles tombèrent sur la terre. » Ce que sont le
soleil et la lune, les étoiles le sont aussi, c’est-à-dire l’Église, mais la
partie est à comprendre du tout. Ce n’est pas en effet toute l’Église qui tombe
du Ciel. Mais il dit tout parce que la dernière persécution s’étendra à tout
l’univers. Et alors ceux qui auront été justes, demeureront dans l’Église comme
dans le Ciel : Mais les cupides, les hommes injustes et adultères accepteront
de sacrifier au diable. Et alors ceux qui se disaient chrétiens seulement en
paroles, telles les étoiles, tombent du Ciel qui est l’Église. « Comme un
figuier agité par un grand vent laisse tomber des figues vertes. »
[1594] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1595] La vie proposée par Lucifer n’a rien à voir avec celle de Dieu.
Sa dignité n’est pas celle de l’amour poussé jusqu’au mépris de soi… Elle est
liée au culte de sa grandeur individuelle.
[1596] En latin, Lucis ferro,
Lucifer. Il parlera donc en vérité de son projet de paradis fondé sur la
noblesse des intelligences.
[1597] Sous-entendu Jésus-Christ et son message d’humilité et d’amour.
[1598] Voir Genèse 11, 9 : Dieu divisa l’humanité à Babel pour
l’empêcher de s’unir et de se croire toute puissante. Son but n’était bien sûr
pas la préservation égoïste de sa primauté mais le salut éternel de l’homme.
[1599] Luc 23, 34.
[1600] Voir Question 8, article 10 — L’homme voit-il Lucifer à l’heure
de la mort ?
[1601] 2 Théssaloniciens 2, 6-7.
[1602] 2 Théssaloniciens 2, 10 à 12.
[1603] 2 Théssaloniciens 2, 7.
[1604] Matthieu 24, 15.
[1605] Daniel 8, 22-26.
[1606] Daniel 9, 26-27.
[1607] Daniel 12, 5-13.
[1608] A la fin du XXème siècle, abreuvée de souffrance, l’humanité
finit par rédiger la charte d’un monde nouveau qu’elle s’efforça de réaliser à
l’aide des instances internationales.
Son but : Que chacun puisse profiter
des plaisirs et des joies de la vie car ils sont ce qu'il y a de plus précieux
sur la terre.
Ses moyens : Il convient de donner à
tous les hommes la possibilité d’obtenir ces plaisirs et ces joies. En premier
lieu, il faut mettre au ban de la société toutes les idéologies qui, au cours
des siècles passés se sont rendues coupables de fanatismes et de violences.
Toute guerre doit être définitivement bannie puisqu’elle est source de malheur.
En second lieu, il convient de montrer
aux peuples que le bonheur décrit a pour condition la liberté et le respect de la liberté d'autrui.
Ses lois : Etablir des lois civiles
favorisant la liberté dans le respect
d'autrui. Liberté d'aimer celui qui veut bien de cet amour (l'amour n’étant
pas seulement la pulsion sexuelle mais aussi le sentiment) ; Liberté de penser
et de s'exprimer (dans la mesure où les idées soutenues respectent le principe
de l'article 1 et les conditions de l'article 2 ; Liberté de donner la vie au
moment choisi, à condition que le nouveau-né soit un enfant normal, doté de
toutes les facultés pour trouver dans les meilleures conditions le bonheur
proposé et qu’il ne soit pas surnuméraire par rapport aux possibilités de la
planète ; Liberté d'arrêter une grossesse non désirée, tant que l'embryon n'est
pas un être humain (=doté de liberté) ; Liberté de choisir l’heure de sa mort,
surtout lorsque celle-ci approche et supprime la possibilité du bonheur proposé
dans l'article 1 ; Bref, toute liberté apte à favoriser le bonheur dans le
respect de la liberté d'autrui.
4) Etablir des lois civiles favorisant le respect d'autrui dans la liberté :
Respect de celui qui n'éprouve plus de sentiment et veut quitter son conjoint
(possibilité de divorce) ; respect de toutes les opinions d'autrui ; Tolérance
de ses actions dans la mesure où elles ne détruisent pas la liberté d'autrui ;
Respect du droit des enfants qui, n’étant pas des êtres totalement éduqués dans
la liberté, ont besoin de l'amour de leurs parents ; Respect de ceux qui
veulent quitter ce monde et terminer leur existence dans un choix digne de
l'être humain (euthanasie) ; Bref tout ce qui favorise le respect de la liberté
d'autrui, en vue du bonheur personnel.
5) Etablir une justice et des peines
adaptées contre ceux qui commettent des délits et des crimes contre autrui,
selon qu’il a été défini libre et digne de respect aux articles 3 et 4.
6) Favoriser les sciences et les techniques
capables d'aider aux conditions matérielles du bonheur du plus grand nombre.
Nourriture pour tous, santé, richesse, temps pour les loisirs, protection de la
nature, prolongation de la durée de vie, accès à la culture etc.
7) Adapter avec souplesse ces lois en
fonction de l’évolution des mentalités, pour que chacun se sente libre et
respecté et même aimé dans un monde où règne la concorde entre tous. Favoriser
l'attention aux autres, à condition qu’elle n’aille pas jusqu’à établir des
liens étouffants pour la liberté. C’est de cette attention que naîtra
l’équilibre psychologique d’une société vouée aux angoisses de sa condition
mortelle. ”
Un tel projet de société n’est certes
pas parfait. Il reconnaît avec réalisme son défaut structurel : la nécessité
pour l’homme de mourir alors qu'il désirerait vivre toujours. Mais
reconnaissons-le avec honnêteté : Si Dieu n'existait pas, ne serions nous pas
les premiers à y adhérer et à y travailler ? Existe-t-il meilleure façon de
vivre sur la terre les quelques années où le hasard de l’évolution nous a placé
? Ce projet est si bon (le moins mauvais qu'on puisse imaginer compte tenu de
ce que nous sommes), qu’il est difficile d'en inventer un meilleur.
L’acceptation du divorce et du vagabondage des amitiés est logique. Pourquoi
s'imposer à vie le joug d'une vie commune alors que l'amitié se vit beaucoup
plus facilement dans la liberté et la spontanéité ? N'y a-t-il pas plus de joie
à se revoir qu'à se supporter ? Rien n’empêche bien sûr à ceux qui veulent se marier
de le faire, s'ils y trouvent le bonheur. Il en est de même pour l’acceptation
de l'avortement. L'embryon n’ayant ni âme immortelle ni liberté, pourquoi
s'imposer à le garder s’il ne vient pas au bon moment ? De même, pourquoi vivre
dans la maladie et la vieillesse puisque tout se termine dans le néant ?
On le voit, cette conception du monde ressemble à s’y méprendre
à celle du christianisme. Beaucoup de chrétiens les identifient d’ailleurs de
nos jours. Elles ont des éléments communs : sens du respect d’autrui, recherche
du bonheur de l’autre. Pourtant, en y regardant de plus près, il est possible
de discerner qu’elles sont absolument différentes, à tous points de vue.
Puisque celle-là exalte l‘amour de soi, de son propre équilibre et bonheur
individuels. Il s’agit bien d’un antichristianisme.
[1609] Luc 12, 4.
[1610] Genèse 3, 4.
[1611] Genèse 3, 14.
[1612] Matthieu 4, 4.
[1613] Matthieu 24, 22.
[1614] Genèse 11, 7.
[1615] Apocalypse 17, 14.
[1616] Apocalypse 20, 1.
[1617] Apocalypse 13, 15.
[1618] 2 Théssaloniciens 2, 5.
[1619] Apocalypse 11, 9.
[1620] 2 Théssaloniciens 2, 8.
[1621] Daniel 8, 25.
[1622] Luc 21, 24.
[1623] Daniel 9, 26.
[1624] 1 Théssaloniciens 5, 3.
[1625]Apocalypse 11, 3.
[1626] Daniel 8, 24.
[1627] Daniel 8, 25.
[1628] Daniel 12, 7.
[1629] Genèse 6, 3.
[1630] Voir par exemple Genèse 5, 6. 6, 3 etc.
[1631] Genèse 3, 5.
[1632] Matthieu 27, 25.
[1633] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1634] Matthieu 24, 15.
[1635] Matthieu 24, 30.
[1636] Matthieu 5, 18.
[1637] Apocalypse 12, 3.
[1638] Genèse 1, 29 et Genèse 9, 3.
[1639] Genèse 11, 4.
[1640] Genèse 3, 24.
[1641] Genèse 5, 5 et Genèse 6, 3.
[1642] Luc 21, 32.
[1643] Genèse 11, 6.
[1644] Luc 7, 22.
[1645] Jean 8, 28.
[1646] 1 Jean 4, 16.
[1647] Matthieu 12, 40.
[1648] Matthieu 12, 39.
[1649] Isaïe 53.
[1650] En disant cela, le Cardinal Balthazar se sépare radicalement de
la position thomiste traditionnelle. Saint Thomas affirmait en effet que le
Christ avait conservé durant toute sa passion la vision béatifique dans son
intelligence. En conséquence, il ne pouvait souffrir dans son esprit qui était
bienheureux. Le mystère du sépulcre devenait mystère glorieux de prédication
aux âmes des défunts. La foi Catholique n’oblige pas à tenir cette opinion : Si
elle affirme avec netteté que le Christ a eu la vision béatifique dès le
premier instant de sa conception (il n’a pas eu à prendre conscience qu’il
était Dieu!), elle regarde comme une hypothèse possible qu’il ait pu accepter de
suspendre l’exercice de cette vision au moment de sa passion. On devine les
perspectives bouleversantes qu’ouvre cette recherche inaugurée avec
l’encouragement des papes Paul VI et Jean-Paul II par Balthazar.
[1651] Matthieu 24, 30.
[1652] Luc 21, 28.
[1653] Marc 15, 39.
[1654] Isaïe 2, 10.
[1655] Genèse 8, 21.
[1656] Matthieu 13, 49.
[1657] 1 Corinthiens 7, 31.
[1658] RATZINGER J, La mort et
l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 200.
[1659] Apocalypse 6, 11.
[1660] Péguy aimait distinguer dans l’histoire les « périodes » et les
« époques. » Dans les périodes, rien de grand n’arrive, la vie de l’humanité
suit son cours sans aventures extraordinaires. Comme un fleuve tranquille et
paresseux, les nations et les civilisations se hâtent lentement vers une fin
qui ne les préoccupe qu’à demi. Dans les époques au contraire, le fleuve
s’agite et tourbillonne, les remous succèdent aux remous, les digues se rompent
et ce sont alors les grandes catastrophes. Mais c’est aussi l’heure des héros.
Depuis 1914 et 1939, nous sommes entrés dans une époque de
l’histoire. Il est difficile d’en douter. Certains s’en désolent. Si l’on songe
aux ruines accumulées par deux guerres mondiales et on ne sait combien de
guerres « en chaîne », on est tenté de les suivre. Mais le chrétien fait
confiance à la Providence rédemptrice qui ne permet le mal qu’en vue d’un plus
grand bien.
[1661] Daniel 11, 35.
[1662] Marc 1, 15.
[1663] Qohelet 3.
[1664] Daniel 11, 40.
[1665] I Corinthiens 10, 11.
[1666] Apocalypse 10, 6.
[1667] Luc 21, 24
[1668] Actes 13, 46
[1669] Matthieu 24, 8 « Et tout cela ne fera que commencer les douleurs
de l'enfantement. »
[1670] Matthieu 24 et 25 et les parallèles en Marc et Luc.
[1671] Genèse 3, 15.
[1672] Matthieu 24, 34.
[1673] Matthieu 24, 4-11.
[1674] Les chrétientés soumises par l’islam ont-elles déjà réalisée
cette prophétie portant sur l’apostasie (Afrique du Nord, Turquie) ? Sans
doute. Mais la prophétie prendra sa plénitude quand elle concernera non une
Eglise particulière mais l’universalité des chrétientés. La disparition de la
papauté en sera le signe politique le plus visible.
[1675] 2 Théssaloniciens 2, 4.
[1676] 2 Théssaloniciens 2, 1-3.
[1677] Objection 1 à 3 de saint Thomas dans le Supplementum de sa Somme
théologique.
[1678] Jean 5, 22.
[1679] Matthieu 24, 36.
[1680] Apocalypse 1, 1.
[1681] 2 Pierre 3, 9.
[1683] Matthieu 24, 4.
[1684] Daniel 8, 25.
[1685] Marc 13, 32.
[1686] Genèse 22, 12.
[1687] Isaïe 7, 14.
[1688] Esdras 7, 28.
[1689] Manuscrits autobiographiques, « Derniers
entretiens ».
[1690] Luc 21, 23.
[1691] Matthieu 24, 43.
[1692] Apocalypse 2, 12.
[1693] Hébreux 10, 37.
[1694] Apocalypse 22, 10.
[1695] Marc 13, 30.
[1696] 1 Corinthiens 15, 41.
[1697] Ces oscillations nouvelles ne sont plus désormais qu’un aspect
d’une question plus vaste, celle du sens de l’histoire. Notre époque a résolu
ce problème en termes optimistes ou pessimistes selon le tempérament ou la
manière d’envisager les multiples cataclysmes d’une époque fertile en
bouleversements cosmiques et sociaux. D’Augustin à Hegel, la théologie de
l’histoire s’est laïcisée, elle a fait également l’objet de nombreux travaux de
vulgarisation. Nous n’en retiendrons qu’un exemple caractéristique de la pensée
religieuse de notre époque. Dans une série d’ouvrages qui ne manquent pas
d’intérêt, M. du Plessis retrace le cheminement de ce qu’il appelle « la
caravane humaine. » C’est une espèce de discours sur l’histoire universelle,
envisagée à la manière de Bossuet et de saint Augustin : les empires succèdent
aux empires, mais notre histoire est d’abord une histoire religieuse. On
contemple alors comme d’une tour élevée, la manière dont, se relayant les uns
les autres, certains peuples sont appelés à prendre la tête du cortège, mais
bientôt l’Église, nouvel Israël, entre dans cette histoire et c’est alors
l’affrontement de deux cités, du peuple de Dieu et du prince de ce monde. J. du
Plessis, La caravane humaine, 1942
[1698] Matthieu 24, 34.
[1699] 2 Pierre 3, 8.
[1700] Matthieu 16, 28.
[1701] Voir pour cet article la question 8. En effet, comme nous
l’avons montré, il n’existe pas de différence essentielle entre le retour du
Christ à l’heure de la mort et celui de la fin du monde. La différence est
accidentelle en tant qu’elle se fait pour tous en un seul acte à la dernière
génération.
[1702] Matthieu 24, 22.
[1703] Matthieu 24, 30.
[1704] Cantique 5, 6 ss.
[1705] Exode 33, 20.
[1706] 1 Corinthiens 15, 51.
[1707] Jean 11, 26.
[1708] Jean 11, 22.
[1709] Jean 5, 28-29.
[1710] Genèse 8, 21.
[1711] 2 Pierre 3, 12.
[1712] 1 Corinthiens 15, 53.
[1713] Dans toute cette question, les principes généraux posés par
saint Thomas d’Aquin dans ses œuvres de jeunesse restent valables : La
résurrection du corps sera un évènement réel, réalisé par Dieu après le retour
du Christ et qui aboutira pour les âmes séparées à la réunification de leur
être à travers leur « vrai corps fait de chair. » Cette position de la foi
exclut à l’avance certaines positions qui voyaient dans la résurrection la
simple glorification de l’âme après la mort ou son union avec un corps psychique,
avec le corps ressuscité du Christ ou toute autre hypothèse s’opposant à
l’identité et à la nature physique du corps ressuscité.
D’autre part, pour saint Thomas, ce corps identique au corps
mortel d’ici-bas vit selon un mode nouveau, libéré pourrions-nous dire en
langage moderne, de toute loi d’entropie. C’est un corps soumis à l’esprit,
spirituel en se sens, libéré de toute corruption, de la mort et doté de plus
pour les élus des propriétés de la gloire. Dès que nous abordons la question
des « comment », nous touchons aux limites de Saint Thomas. Nous nous sommes
donc efforcés, compte tenu des progrès de la science moderne, de donner un
rajeunissement à ces questions. Nous estimons que certaines d’entre elles
valent la peine d’être posées, contre l’avis de la majorité des théologiens
actuels car nous affirmons que ce corps aura bien un mode matériel de
fonctionnement. Cependant, la science de la matière étant bien loin d’avoir
cerné les possibilités d’organisation de cette dernière, nous sommes conscients
du caractère inadéquat de nos essais de réponses
Quelques positions modernes inacceptables :
- La première consiste à se refuser a priori à toute
interrogation théologique sur la nature et le mode du corps ressuscité sous
prétexte que ce mode nous dépasse nécessairement. Il est clair que le corps de
Jésus présente des propriétés étonnantes et inexplicables (Il entre dans une
pièce close!). Cependant, bloquer ainsi la soif naturelle de l’intelligence au
service de la foi est contre nature. Reste que le théologien doit garder à
l’esprit que, dans ces domaines, la vérité ne se révèlera qu’au Ciel.
- Un certain nombre d’interprétations récentes et
spiritualisantes de la résurrection ou encore d’autres attendant une recréation
de l’homme tout entier à la fin du monde, après un temps de néant, ont pour
cause le refus obsédant de la distinction âme-corps. Avoir peur du dualisme
platonicien est une chose, nier la distinction en est une autre.
[1714] Voir dans la Sommes de Saint Thomas, Supplementum Question 75, Q. 1, Article 1 ; Un texte du Concile de
Vatican II éclaire cette partie du traité (Gaudium
et Spes, 39).
« Nous ignorons le temps de l’achèvement de la terre et de
l’humanité, nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle
passe, certes, la figure de ce monde déformée par le péché ; mais, nous l’avons
appris, Dieu prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où règnera la
justice et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui
montent au cœur de l’homme. Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu
ressusciteront dans le Christ, et ce qui fut semé dans la faiblesse et la
corruption revêtira l’incorruptibilité. La charité et ses œuvres demeureront et
toute cette création que Dieu a faite pour l’homme sera délivrée de l’esclavage
de la vanité.
« Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de
gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle
terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt
le réveiller : Le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre
déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement
distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès
a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il
peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine.
« Car ces valeurs de la dignité, de la communion fraternelle et
de la liberté, tous ces fruits excellents de notre nature et de notre industrie,
que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans
son esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure,
illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un royaume
éternel et universel : royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de
grâce, royaume de justice, d’amour et de paix » Mystérieusement, le royaume est
déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur
reviendra. »
[1715] 1 Corinthiens 15, 44.
[1716] Job 19, 26.
[1717] Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, lettre sur quelques questions d’eschatologie,
17 mai 1979.
[1718] Dans cette question et dans plusieurs autres, beaucoup vient de
saint Thomas d’Aquin, sans modifiocation.
[1719] Question 8, article 2.
[1720] Luc 24, 39.
[1721] Philippiens 3, 21.
[1722] Luc 24, 40.
[1723] Cet article est repris chez saint Thomas d’Aquin, Supplementum.
[1724] Ici l’article de saint Thomas est présenté sans modification, Supplementum Question 75, article 3.
[1725] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 76, articles 1, 2, et 3.
[1726] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 77, articles 1, 2, 3, et 4, avec des modifications.
[1727] « La Foi Catholique
», conférence du p. Pierre Benoît à Fribourg.
[1728] VITALINI Sandro : Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg, Suisse, 1980, p. 23.
[1729] Isaïe 40, 4.
[1730] Isaïe 14, 4.
[1731] AUER J, RATZINGER J. ESCHATOLOGIA, Morte e vita eterna ; cittadella, 1979.
[1732] Vitalini Sandro Théologie
de l’au-delà, Université de Fribourg-Suisse, 1980. p. 86.
[1733] 1 Théssaloniciens 4, 16.
[1734] cf. article précédent, solution 5.
[1735] Voir Question 2, Q. 1, Article 3.
[1736] Grâce aux progrès modernes de la connaissance de la matière, la
question du mode de la résurrection est complètement transformé par rapport à
la façon dont il était envisagé au Moyen-âge. Certaines questions du traité de
la résurrection ne sont plus posées depuis l’époque moderne.
[1737] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 78, articles 1 et 2, complètement modifiée.
[1738] 1 Corinthiens 15, 51.
[1739] « Pour cette question, on se reporte nécessairement à 1
Corinthiens 15, 35-53 : « Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts : on
est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité ; on est
semé dans l'ignominie, on ressuscite dans la gloire ; on est semé dans la
faiblesse, on ressuscite dans la force ; on est semé corps psychique, on
ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps
spirituel. C'est ainsi qu'il est écrit : Le premier homme, Adam, a été fait âme
vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant. » Paul y affronte une opinion
tente de faire passer l’idée de résurrection pour absurde en lui objectant la
question suivante : « Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps
reviennent-ils ? » (v. 35). Contre cette attitude, Paul traite le problème de
la dimension corporelle de la résurrection, et cela en transportant
l’expérience du corps nouveau du Seigneur ressuscité à la compréhension de la
résurrection des morts en général. Cela veut dire que Paul s’oppose délibérément
à la conception juive dominante, qui considère le corps ressuscité comme
parfaitement identique au corps terrestre et le monde de la résurrection comme
la simple continuation du monde terrestre. Sa rencontre avec le Ressuscité, qui
en qualité de « Tout-Autre » a refusé de se laisser Voir et reconnaître sur
terre, n’a pas été soumise aux lois de la matière, mais elle est devenue
visible comme dans une épiphanie-apparition hors de l’univers de Dieu. Cette
rencontre avait irrévocablement ruiné ses conceptions juives. » Je
l’affirme, frères, la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu,
ni la corruption hériter de l’incorruptibilité » (v. 50). Cela coupe court à toute idée naturaliste et physiciste
de la résurrection. RATZINGER J, La mort
et l’au-delà, Communio-Fayard 1994, p. 175.
[1740] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 79, articles 1 et 2, complètement modifiée.
[1741] Voir Supplementum,
Question 71, article 1.
[1742] QUEL AVENIR POUR L’HOMME
? Lettre pastorale du cardinal Gouyon à l’occasion de la Toussaint,
Documentation Catholique 1708, octobre 1976.
[1743] Job 19, 26.
[1744] Job 19, 26.
[1745] On retrouve une hypothèse analogue chez Jean Guitton. Etudiant
les problèmes exégétiques et philosophiques posés par la résurrection de Jésus,
M. Jean Guitton a été amené à formuler quelques hypothèses sur la nature de la
résurrection corporelle. Il en vint ainsi à distinguer dans le corps deux
éléments dont l’un est corruptible et dont l’autre échappe à la corruption, une
partie proprement matérielle qui peut se définir avec des concepts tirés de la
biologie, de la chimie et une manière d’être un corps ou d’avoir un corps qui
n’est pas proprement l’âme, mais qui est nécessaire à l’âme pour son insertion
dans le corps ou plutôt pour cette composition qui fait qu’elle est avec son
corps un seul et même être. Jean Guitton, Le
problème de Jésus, Divinité et résurrection, la pensée moderne du
catholicisme, 7, Paris, 1953, p. 123 à 128.
[1746] Voir saint Thomas, Supplementum
Question 79, article 2.
[1747] Job 19, 26.
[1748] Le Cardinal RATZINGER J, La
mort et l’au-delà, Communio-Fayard, 1994, p. 199, s’oppose à toute
recherche sur le mode d’être des corps glorieux. Nous pensons qu’il a en partie
raison en ce sens que l’intensité de ce mode nous est inimaginable. Mais nous
pensons que saint Thomas d’Aquin a tout aussi raison de développer certaines de
ses propriétés puisqu’elles ont été révélées dans l’Ecriture. Il reste que
notre regard sur ces question est très pauvre selon saint Paul (2 Corinthiens
4, 17) : « car une légère tribulation nous prépare, jusqu’à l’excès, une
masse de gloire ! »
« Le « dernier jour », la « fin du monde », la « résurrection de
la chair » seraient donc des indices de l’achèvement de ce processus, qui,
encore une fois, ne peut se réaliser que de l’extérieur, grâce à une réalité
qualitativement neuve et différente, et qui, en cela même, correspond à la «
dérive » la plus intime de l’être cosmique. Cela voudrait dire que, dans sa
quête d’unité, l’être en devenir parvient à ce but qu’il ne peut atteindre de
lui-même et vers lequel cependant il tend sans cesse, à cette inclusion de tout
en tout par quoi chacun devient totalement lui-même, justement parce qu’il est
tout entier dans l’autre. Une telle inclusion signifierait que la matière
deviendra, d’une manière tout à fait nouvelle et définitive, le bien propre de
l’esprit et celui-ci totalement un avec la matière. Cet « être-pan-cosmique » à
quoi la mort donne accès conduirait alors à un échange universel, à une
ouverture universelle, et donc au dépassement de toute aliénation. Dieu ne sera
tout en tout (I Corinthiens 15, 28) que lorsque sera réalisée cette unité de la
création. Cela veut dire que des précisions, quelles qu’elles soient, sur le
monde de la résurrection sont inconcevables. A de telles tentatives s’opposent
aussi bien I Corinthiens 15, 50 que Jn 6, 63, et, dans la mesure où Greshake
s’élève contre de tels jeux d’esprit « physicistes «, il faut lui donner
pleinement raison. Nous ne pouvons nous faire aucune idée de ce monde, et ce
n’est d’ailleurs pas nécessaire ; il faut renoncer définitivement à de telles
tentatives. Mais, par delà toutes les images et indépendamment d’elles, il
reste qu’une juxtaposition éternelle, sans relation et donc statique, du monde
matériel et du monde spirituel est contraire à la signification essentielle de
l’histoire, à la création de Dieu et à la parole de la Bible. C’est pourquoi,
sans diminuer le moins du monde le mérite du livre de Greshake, il faut
contredire sa proposition : « La matière en soi [...] est imperfectible. »
Malgré toutes les assurances contraires, cela impliquerait un partage de la
recréation et donc finalement un dualisme selon lequel tout le domaine de la
matière serait exclu de la finalité de la création et deviendrait une réalité
de second rang. »
[1749] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 80, complètement modifiée.
[1750] Dans cet article,
les apports d’une biologie dont saint Thomas aurait aimé disposer nous
permettent de préciser ses conclusions, parfois de les modifier. Mais cette connaissance
plus profonde du corps permet de mieux comprendre le mystère de la
résurrection, dans toute sa simplicité en échappant à toutes les questions
secondaires, comme celle par exemple du cannibalisme qui ont tant intrigué les
théologiens du Moyen-âge. En effet, le corps des ressuscités peut être le même
sans être forcement toujours composé de la même matière qu’ici-bas.
[1751] Luc 10, 21.
[1752] Histoire d’une âme,
feuille n°2, verso.
[1753] Question 8, article 2.
[1754] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 81, complètement modifiée.
[1755] Genèse 6, 3.
[1756] Voir le Contra Gentiles de saint Thomas d’Aquin.
[1757] Romains 6, 9.
[1758] Daniel 3, 25.
[1759] Matthieu 5, 45.
[1760] Saint Thomas d’Aquin, Contra
Gentiles, Livre 4.
[1761] Matthieu 22, 30.
[1762] Matthieu 22, 30.
[1763] Ephésiens 4, 13.
[1764] Genèse 3, 16.
[1765] Galates 3, 28.
[1766] Voir pour cette solution le Contra
Gentiles.
[1767] Matthieu 22, 30.
[1768] Cette solution est de saint Thomas dans le Contra gentiles.
[1769] Q. 1, Article
inspiré et modifié, Supplementum,
question 81, article 1 ; L’opinion de Balthasar nous paraît insuffisante. Elle
ne tient pas assez compte du nouveau sens que prendra le mot « jeunesse » dans
l’autre monde : « Cela signifie en premier lieu que c’est l’histoire du monde
en son déroulement qui doit entrer dans la vie éternelle. Autant sont vaines
les spéculations sur l’âge auquel les hommes ressusciteront-la seule réponse
est : à tout âge-autant il serait absurde de penser que l’histoire n’entre de
droit dans l’éternité que dans son dernier stade, qui sera peut-être le plus désolé.
En fait, ce qui dans l’histoire, à n’importe quel stade de son développement, a
acquis quelque chose de positif méritera de prendre part à la vie éternellement
neuve de Dieu. On s’apercevra que ce qui était apparemment primitif et non
évolué, contenait peut-être plus de virtualités cachées que les périodes de
haute culture qui, du point de vue naturel, peuvent ne porter que peu de
fruits. On se rappellera ici comment Jésus fait l’éloge de l’enfant, parce
qu’il est plus réceptif et plus disposé à recevoir que l’adulte. Ce qui est
vrai de l’histoire dans son ensemble. » BALTHASAR H. U, La dramatique divine 4, « le dénouement », Culture et Vérité ; Namur, 1993, p. 381.
[1770] Apocalypse 1, 14.
[1771] 1 Corinthiens 15, 44.
[1772] Voir saint Thomas d’Aquin,
Supplementum, Question 82, complètement modifiée.
[1773] Voir Contra Gentiles, 4ème Livre.
[1774] Nous avons estimé nécessaire de rajouter à la fin du traité des
corps glorieux un article le comparant avec « le corps astral » : L’arrivée en
Occident des philosophies orientales risque d’aboutir à une confusion entre
deux conceptions bien différentes.
[1775] Luc 24, 38.
[1776] Saint thomas
d’Aquin, Supplementum :
« De même que l’âme humaine sera élevée à la gloire des esprits célestes
jusqu’à voir l’essence de Dieu, de même le corps de l’homme sera magnifié
jusqu’à posséder les propriétés des corps célestes : lumineux, impassible qu’il
sera, doué d’une agilité qui ne connaîtra ni difficulté ni effort, amené par sa
forme à la perfection la plus achevée. Voilà pourquoi l’Apôtre dit des corps
ressuscités qu’ils seront célestes, non par leur nature, mais par leur gloire.
Aussi, après avoir dit qu’il y a des corps célestes et qu’il y a des corps
terrestres, ajoute-t-il : « autre est la
gloire des corps célestes », autre la gloire des corps terrestres. De même
que la gloire à laquelle est élevée l’âme de l’homme dépasse l’excellence
naturelle des esprits célestes, de même la gloire des corps ressuscités
dépasse-t-elle la perfection naturelle des corps célestes, par clarté unie au
spirituel, par une impassibilité totale, sans qu’aucune usure ne puisse se
produire, par une liberté de mouvement et une plus haute dignité de
nature. »
[1777] 1 Corinthiens 2, 9.
[1778] Cet article est
l’un des deux exemples de ce traité où nous nous sommes vu obligés de changer
les conclusions de saint Thomas, La position du grand théologien consiste à
affirmer que le corps glorieux ne peut traverser la matière, sauf par miracle
de Dieu. Mais une telle conclusion se fonde sur la physique de son époque, qui
considérait les corps comme des réalités continues. La science physique moderne
permet d’aller plus loin dans la compréhension de ce que fit Jésus après sa
résurrection : « Il se tint dans la pièce, alors que toutes les portes
étaient closes. » La position de saint Thomas est exposée dans le corps de
l’article.
[1779] Voir Supplementum Question
84, article 1.
[1780] Ibidem, article 2.
[1781] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
Question 85, article 1.
[1782] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum
Question 97, article 10.
[1783] 1 Corinthiens 15, 44.
[1784] Voirsaint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
question 86. Cette question est laissée telle qu’elle était, excepté les
solutions de l’article 2.
[1785] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum, Question
74, article 1.
[1786] Actes 10, 15.
[1787] Apocalypse 21, 1.
[1788] Corinthiens 7, 31
[1789] 2 Pierre 3, 10.
[1790] 2 Pierre 2, 7.
[1791] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
Question 74, article 2.
[1792] Psaume 50, 3.
[1793] 2 Pierre 3, 12.
[1794] Matthieu 24, 12.
[1795] Psaume 101, 26.
[1796] 2 Pierre 3, 12.
[1797] Romains. 8, 22.
[1798] Jean 13, 10.
[1799] 2 Pierre 3, 7.
[1800] 2 Pierre 3, 10.
[1801] 1 Corinthiens 15, 51.
[1802] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum,
Question 74, article 5.
[1803] 1 Théssaloniciens 4, 15.
[1804] Psaume 101, 26.
[1805] Apocalypse 1, 7.
[1806] 1 Théssaloniciens 4, 17.
[1807] 1 Corinthiens 15, 42.
[1808] Saint Augustin, De l’unique baptême, chapitre XIII.
[1809] Matthieu 25, 41.
[1810] Pour les trois objections et le cependant, voir le Supplementum de la Somme théologique Question 74, article 9.
[1811] Psaume 97, 3.
[1812] Daniel 7, 10.
[1813] Question 12, articles 2 et 3.
[1814] Le monde nouveau : l’opinion de Balthasar : « Il est évident que le Nouveau
Testament ne considère pas comme de son rôle de faire des déclarations sur «
l’avenir du cosmos. » En effet, la dimension théologique « Ciel-terre » n’a
rien à Voir avec une vue scientifique du monde. Il n’en est pas moins vrai
toutefois que le tournant annoncé avec la résurrection du Christ, la mutation
dont les chrétiens et, avec eux, « toute la création » aspirent à voir
l’accomplissement, est un événement qui présente pour l’évangile un intérêt
capital. Saint Paul à vrai dire ne parle de la « nouvelle création » qu’au
présent (Ga 6, 15 ; 2 Corinthiens 5, 17). Dans le grand texte sur « la
création en attente, aspirant à la révélation des fils de Dieu » (Romains
8, 19 et tout le contexte), c’est la glorification définitive de ces enfants
de Dieu qui se trouve au centre de l’attention, et non pas le statut de la
création « libérée de la servitude de la corruption », elle qui « fut
assujettie, sans l’avoir voulu, à la vanité. » Étant donné le mouvement de
toute l’épître, cette accentuation est parfaitement compréhensible ; mais elle
n’empêche pas que le monde créé eu son ensemble quitte son état de contrainte,
pour entrer avec les élus dans le destin de l’homme racheté. On sera d’accord
avec A. Vögtle pour reconnaître que sur la forme finale du monde -quand la
terre passera sous le patronage du Ciel-, nous ne pouvons nous faire de représentation valable, et
cela est d’ailleurs inutile. Mais il est sûr que cette forme dernière sera
marquée christologiquement. C’est ce que nous affirme l’épître aux Colossiens
(1, 15-20), encore que son interprétation ne soit pas très aisée à déterminer.
La difficulté est, en effet, la suivante : comment un inonde, dont on dit qu’il
est créé dans le Christ, afin d’être
par lui et pour lui l’image du Dieu invisible, peut-il avoir encore besoin de «
réconciliation » ? BALTHASAR H. U, La
dramatique divine, 4, « le dénouement », Culture et Vérité, Namur 1993, p.
382-385.
[1815] Voir Saint Thomas
d’Aquin, Ia IIae, Question 4, article 7 ; Dans la Somme théologique, voir :
Béatitude.
Béatitude de Dieu. Ia, q. 26.-En quoi consiste la béatitude de l’homme.-Ce que
c’est et ce qu’elle exige Ia IIae. q. 2 et q. 5 et q. 4. - Des béatitudes
elles-mêmes. Ia IIae. q 69. -Béatitude des saints et leurs demeures. sup. q.
95. - Qualités des bienheureux. sup. q. 95. - Etat des bienheureux après la
résurrection. sup. q. 82.
[1816] Luc 22, 30.
[1817] Matthieu 6, 20.
[1818] Matthieu 25, 34.
[1819] Matthieu 5, 12.
[1820] 1 Rois 3, 11.
[1821] Saint augustin, « Les
Confessions », citation libre.
[1822] « Exégètes et
théologiens discutent, depuis saint Irénée, pour savoir si notre univers sera
simplement transformé, changé en mieux ou s’il s’agit d’une recréation absolument
nouvelle. Ce qui est sûr, c’est que le nouveau cosmos, adapté à la condition
spirituelle des élus… ne se caractérisera pas par de plus grands biens
temporels ou la prospérité, comme l’enseigne le Talmud et l’Islam, mais par la
justice la plus stable et la plus totale, celle qui résulte du règne intégral
de Dieu, donc l’opposé du péché, du désordre, de la corruption, de la vanité.
» Voir SPICQ, C., « Les Epîtres de
saint Pierre », Gabalda, 1966, 260 ; VIARD, A, Expectatio creaturae, Revue Biblique, 1952, 337-354.
[1823] Ecclésiaste 1, 9.
[1824] Genèse 2, 2.
[1825] Isaïe 65, 17.
[1826]Apocalypse 21, 1.
[1827] Romains 1, 20.
[1828] Ecclésiaste 1, 9.
[1829] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum, Question 91, article 3.
[1830] Genèse 1, 14.
[1831] Isaïe 60, 19.
[1832] Apocalypse 21, 23.
[1833] Isaïe 30, 26.
[1834] Sagesse 13, 5.
[1835] Ecclésiastique 50, 6.
[1836] Apocalypse 21, 23.
[1837] Voir Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, Supplementum, Question 91, article 4.
[1838] Apocalypse 21, 1.
[1839] Matthieu 22, 30.
[1840] Dans cet article, nous avons estimé nécessaire de changer complètement la
position originelle de saint Thomas Somme
théologique, Supplementum, Question 91,
article 5. Le grand Docteur affirme que les vivants
autres que l’homme n’auront pas de place dans le monde nouveau à cause de leur
nature corruptible. Or, à partir de ce même principe, on peut aboutir à des
conclusions théologiques très différentes. La position de saint Thomas est
exposée dans le corps de l’article.
L’opinion de Balthasar : « De ce point de vue-pour le dire en passant-la
perspective médiévale sur l’état final du monde est un non-sens. Selon saint
Thomas, dans le monde de la résurrection entrent seuls les corps des hommes et
le monde minéral ; le monde végétal et animal, parce qu’il est soumis au motus
cœli désormais suspendu, et parce que la vision de Dieu ne le concerne pas,
tombe tout simplement dans le néant. Ce verdict cruel contredit la sensibilité
vétéro testamentaire en faveur du cosmos animé, solidaire du cosmos humain (cf.
Ps 8 ; Ps 104 ; Gn 1, etc.), ainsi que les représentations des prophètes et du
judaïsme proposant le salut selon l’imagerie de la paix régnant entre tous les
animaux (Is 11, 6-9 ; 65, 25). Il contredit aussi cette profonde sensibilité
chrétienne dont Joseph Bernhart a donné une expression émouvante dans son livre
Heilige und Tiere. Finalement, avec un auteur tel que Wolfram von den Steinen,
on mettra en évidence le rôle des figures animales dans le Ciel biblique
-l’agneau, la colombe, les êtres vivants à figure animale devant le trône de
Dieu-ainsi que leur utilisation constante dans l’art chrétien. L’Apocalypse est
ici particulièrement expressive, car elle intègre la « préhistoire » de la
communauté chrétienne jusqu’à lui donner valeur identique d’expression en ce
qui concerne l’imagerie. Du même coup, elle fournit l’argument pour que, dans
le monde définitif du salut, le soubassement cosmique de l’homme entre dans la
gloire en même temps que lui ; la création de Dieu, malgré sa diversité, est
unique. » BALTHASAR H. U, La
dramatique divine 4, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993, p.
383-384.
[1841] Genèse 9, 3.
[1842] 1 Corinthiens 15, 53.
[1843] Genèse 9, 9.
[1844] Romains. 8, 22.
[1845] La résurrection des animaux dans l’Islam : Voir : La mort et le jugement
dernier dans les enseignements de l’islam, Fdal HAJA, Rayhane éditions,
Paris 1991, p. 78-79). Dieu dit : « Lorsque les animaux sauvages seront
rassemblés » (81 :5). « Pas de bête sur terre, ni d’oiseau volant de
ses deux ailes qui ne constitue des nations semblable à vous : dans le Livre Nous
n’avons absolument pas omis la moindre chose » (6 :38). « Parmi Ses signes
il y a la création du Ciel et de la terre et de ce qu’il a propagés d’animaux
dans les deux, gardant le pouvoir de les rassembler quand il le voudra »
(42 :29). Ibn Taymiyya écrit à ce sujet : « Quant aux animaux sauvages,
Dieu, qu’Il soit loué, les rassemblera et les ressuscitera comme il est indiqué
dans le Livre et la Tradition (sunna). » Abu Hurayra (Que Dieu soit satisfait
de lui) note : « Dieu ressuscitera toutes les créatures le Jour du
Jugement : les animaux sauvages, les oiseaux, les montures et autres. La
justice de Dieu atteindra un tel degré de perfection qu’Il rendra la justice à
une bote sans corne contre celle qui en a, en lui disant : « Soit
poussière », comme il le dit des impies.... » Le mécréant dira : « Ah! Si
je n’étais que poussière 1 » (78 :40). An-Nawawi a expliqué dans son commentaire de Sahih Muslim, ce
qui suit : « Cela est une affirmation de la Résurrection des bêtes
sauvages le Jour du Jugement et leur retour à ce qu’ils étaient ici-bas, comme
le sont les êtres humains responsables, les enfants et les fous, ainsi que
celui qui n’a pas reçu de message. C’est ce que démontrent les preuves (citées)
dans le Coran et la sunna. Dieu dit : « Lorsque les animaux sauvages
seront rassemblées » (81 :5). Quand au jugement en faveur de la bête sans corne
contre celle qui en aura, ce n’est pas un Jugement de responsables puisque les
animaux ne le sont pas, mais c’est un jugement de confrontation. »
[1846] Isaïe 11, 6.
[1847] Matthieu 10, 30.
[1848] Genèse 1, 20.
[1849] Genèse 1, 24.
[1850] « Dressons le
bilan : on ne peut se représenter le monde nouveau. Il n’y a pas non plus de
formulation concrète, satisfaisante pour l’esprit, sur la nature de la relation
de l’homme à la matière dans le monde nouveau ni sur le « corps ressuscité. »
En revanche, il est certain que la dynamique du cosmos le conduit vers un but,
vers une situation dans laquelle matière et esprit seront l’un et l’autre
nouveaux et définitivement voués l’un à l’autre. Cette certitude reste la
substance réelle de la confession de foi en la résurrection de la chair,
aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais. » RATZINGER J, La mort et l’au-delà, Communio, Fayard,
1994, p. 201.
[1851] Osée 2, 16.
[1852] Matthieu 5, 6.
[1853] Pour Balthasar, le
jugement général est éternel et il commence dès maintenant. Avec lui, nous
pensons que le jugement général est la somme des jugements particuliers. Nous
le distinguons cependant du jugement particulier en ce sens que tout sera alors
révélé à tous. Citons Balthasar : « Bref, si ]a Bible ne connaît qu’un seul
jugement, il n’en reste pas moins que le jugement général (cf. « toutes les
nations seront rassemblées devant lui », Matthieu 25, 32) sera en même
temps un jugement absolument personnel et particulier. La tension entre les
deux aspects pourra bien être ressentie avec le besoin de trouver des
compromis-par exemple sous la forme d’une attente des bons comme des mauvais
dans des « demeures » et des états séparés jusqu’au jugement futur. Mais on
n’abandonne pas pour autant l’idée de l’unité du jugement. Aussi toute
théologie qui se veut proche de la révélation biblique refusera de parler de
deux jugements différents. En fin de compte, « tout l’accent est placé sur le
jugement particulier » de chaque homme après sa mort, et « le jugement dernier
n’en est, à proprement parler, que la confirmation publique devant le monde
entier »-. Les deux aspects « sont en tout cas étroitement proches l’un de
l’autre ; ils sont, d’une certaine manière, deux degrés d’un seul et même
événement d’ensemble »-. Origène aurait donc raison lorsque, s’appuyant sur le
mot de Luc (la venue du Fils de l’homme sera « comme l’éclair qui jaillit
d’un point du Ciel et resplendit jusqu’à l’autre », Luc 17, 24), il décrit
la parousie comme « une révélation si éclatante de sa divinité que non
seulement aucun des justes, mais aussi aucun pécheur ne pourra méconnaître la
véritable nature du Christ » Laissons dans l’indéterminé le lieu de cette
révélation. Mais si dans la foi une telle illumination est déjà, comme on
l’admet, présente inchoativement, combien plus sera-t-elle parfaite quand le
Christ se « révélera à tous, bons et mauvais, croyants et incroyants, non
seulement par la médiation de la foi et la recherche à tâtons, mais par le
dévoilement de sa divinité. Venant dans sa gloire, il remplira tout et se
tiendra en tout lieu devant les yeux de chacun, car tous seront partout devant
sa face » D’autres Pères, y compris Augustin, ont pu, comme nous l’avons déjà
constaté, s’exprimer de la même manière. BALTHASAR H. U, La dramatique divine, 4, Le dénouement, Culture et vérité, Namur,
1993, p. 318.
[1854] Nahum 1, 9.
[1855] Matthieu 12, 41.
[1856] Jean 5, 17.
[1857] Matthieu 5, 6.
[1858] Romains 2, 15.
[1859] Apocalypse 3, 5.
[1860] Romains 2, 12.
[1861] 1 Théssaloniciens 4, 17.
[1862] Joël 4, 2.
[1863] Actes 1, 11.
[1864] Joël 4, 14.
[1865] Joël 4, 16.
[1866] 1 Samuel 13, 17.
[1867] 2 Corinthiens 5, 10.
[1868] Romains 2, 15.
[1869] Apocalypse 3, 5.
[1870] Sagesse 5, 8.
[1871] Job 8, 22.
[1872] Cette question a déjà été traitée à l’occasion de l’étude de
l’heure de la mort (Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que
saint Thomas la traitait dans la Somme
théologique, Supplementum,
Question 89, en l’appliquant au seul jugement général.
[1873] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 1.
[1874] Jean 5, 22.
[1875] Matthieu 19, 28.
[1876] Isaïe 3, 14.
[1877] Matthieu 12, 41.
[1878] Sagesse 3, 8.
[1879] Apocalypse 20, 12.
[1880] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 2,
avec modifications.
[1881] Matthieu 19, 28.
[1882] Jean 5, 45.
[1883] Jean 12, 48.
[1884] Jean 5, 27.
[1885]Job.
[1886] Matthieu 19, 28.
[1887] Luc 1, 52.
[1888] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 3.
[1889] Matthieu 25, 31.
[1890] Jean 5, 27.
[1891] Matthieu 13, 41.
[1892] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 5.
[1893] Luc 22, 30.
[1894] Psaume 1, 5.
[1895] Actes 10, 42.
[1896] Apocalypse 1, 7.
[1897] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 6.
[1898] Jean 5, 24.
[1899] Job 4, 18.
[1900] 2 Corinthiens 5, 10.
[1901] Genèse 3, 15.
[1902] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 7.
[1903] Jean 3, 18.
[1904] Matthieu 12, 42.
[1905] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 89, article 8.
[1906] Nahum 1, 9.
[1907] Jean 16, 11.
[1908] 1 Corinthiens 6, 3.
[1909] 2 Pierre 2, 4.
[1910] Job 40, 25.
[1911] Marc 1, 24.
[1912] Colossiens 2, 15.
[1913] Cette question a déjà été traitée à l’occasion de l’étude de
l’heure de la mort (Question 8, article 9). Elle est ici rapportée telle que
saint Thomas la traitait dans la Somme
théologique, Supplementum,
Question 90, en l’appliquant au seul jugement général.
[1914] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 90, article 1.
[1915] Jean 5, 22.
[1916] Daniel 7, 9.
[1917] Jean 5, 27.
[1918] Romains 14, 4.
[1919] Romains 14, 9.
[1920] Actes 10, 42.
[1921] Colossiens 1, 20.
[1922] Matthieu 28, 18.
[1923] Daniel 7, 13.
[1924] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 90, article 2.
[1925] Jean 19, 37.
[1926] Matthieu 24, 30.
[1927] Jean 5, 27.
[1928] Isaïe 33, 17.
[1929] Jean 10, 28.
[1930] Matthieu 24, 30.
[1931] 1 Timothée 2, 5.
[1932] Jean 17, 8.
[1933] Isaïe 26, 11.
[1934] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 90, article 3.
[1935] Jean 17, 3.
[1936] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 91,
entièrement repensée, la vision de saint Thomas étant problématique sur
plusieurs points importants dont l’éternité des limbes des enfants morts sans
baptême, théorie impossible puisque « Dieu
proposera son salut à tout homme » (dogme, Concile Vatican II, Gaudium et spes 22, 5).
[1937] Jean 14, 2.
[1938] Luc 21, 25.
[1939] Luc 3, 6. Isaïe 45, 23.
[1940] Voir Saint
Ambroise, De bono mortis, n. 44-49 ; p. L, 14, 560-562.
[1941] Exemple : Genèse 37, 35.
[1942] Exemple : Esther 3, 13-g.
[1943] Colossiens 2, 14.
[1944] Voir Question 30, article 4.
[1945] Job 1, 6.
[1946] Isaïe 14, 9.
[1947] Apocalypse 19, 20.
[1948] Job 3, 14.
[1949] Job 22, 12.
[1950] Comme dit saint
Augustin : « J’estime que nul ne sait en quelle partie du monde se trouve
l’enfer, sauf celui à qui l’Esprit Saint l’a révélé. » Saint Grégoire,
interrogé sur ce point, répond : « Je n’ose rien préciser témérairement à ce
sujet. Certains en effet pensèrent que l’enfer était en quelque partie de la
terre. D’autres estiment qu’il est sous terre. » Et il montre que cette
dernière opinion est plus probable, pour deux motifs. D’abord en raison du nom
même de l’enfer. » Si nous l’appelons enfer (infernum) parce qu’il se
trouve au-dessous (inferius) l’enfer doit être sous la terre comme la
terre est sous le Ciel. » Ensuite, à cause de ce que dit l’Apocalypse : «
Personne ne pouvait ouvrir le livre, ni dans le Ciel, ni sur terre, ni sous la
terre « : ceux qui sont dans le Ciel, ce sont les anges ; sur terre, ce sont
les hommes vivants encore dans leur corps ; sous terre, ce sont les âmes gui se
trouvent en enfer. Saint Augustin semble trouver deux motifs pour lesquels il
convient que l’enfer soit sous terre. Premièrement : « Puisque les âmes des
défunts ont péché par amour de la chair, on leur donne ce qu’on donne
habituellement à la chair morte, c’est-à-dire qu’elles |soient ensevelies sous
la terre. » Secondement : la tristesse est dans les esprits comme la pesanteur
est dans les corps, tandis que la joie apparaît comme la légèreté de l’esprit.
Dès lors, « de même que pour les corps, s’ils suivent l’ordre de leur
pesanteur, les plus lourds sont les plus bas, de même pour les esprits, les
plus bas sont les plus tristes « Ainsi, de même que le lieu le plus adapté pour
la joie des élus est le Ciel, de même pour la tristesse des damnés, le lieu le
plus adapté est le plus bas de la terre. On ne doit pas objecter que saint
Augustin écrit : « On dit ou on croit que les enfers sont sous les
terres », parce que dans le livre des Rétractations, il l’a corrigé en
écrivant : « Il me semble que j’aurais dû dire que les enfers sont sous les
terres, plutôt que d’apporter la raison pour laquelle on pense ou on croit
qu’ils le sont. » Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de
l’enter était sous le globe terrestre, mais à la surface de la terre en la
partie qui nous est opposée. » Il semble qu’Isidore le pense, quand il dit que
« le soleil et la lune se tiendront dans l’ordre dans lequel ils ont été créés,
afin que les impies livrés à leurs tourments ne jouissent pas de leur lumière.
» Cela ne vaudrait aucunement si l’enfer était au-dessous de la terre.
Nous avons vu plus haut comment on
peut interpréter ces paroles. Pythagore place le lieu des tourments dans une
sphère de feu, qu’il dit se trouver au milieu de tout l’univers. Il appela
cette région prison de Jupiter, comme nous le voyons dans Aristote. Mais il est
plus conforme à l’Ecriture de dire qu’il est sous terre.
[1951] Apocalypse 19, 20.
[1952] Luc 17, 34 ;
[1953] Voir Somme théologique,
Supplementum, Question 93, article 1.
[1954] Sagesse 9, 15.
[1955] Jean Damascène, « De la
foi orthodoxe », livre 4.
[1956] Job 24, 19.
[1957] Apocalypse 19, 20.
[1958] Psaume 10, 7.
[1959] Job 24, 19.
[1960] Deutéronome 28, 47.
[1961] Matthieu 22, 13.
[1962] Sagesse 11, 17.
[1963] Les évêques français écrivaient en 1978, Documentation
catholique, n° 1073 : « Quand la gloire sera révélée en nous, nous
comprendrons que les souffrances du temps présent étaient sans commune mesure
avec ce qui nous attendait. La création tout entière aura fini de gémir dans
les douleurs de l’enfantement : Nous verrons Dieu tel qu’il est, nous le
connaîtrons tel que nous sommes connus de lui. Dieu sera tout en nous, il y
aura un seul Christ en plénitude, à la dimension de l’humanité rachetée,
s’aimant d’un amour parfait en des milliards de cœurs battant d’un même rythme.
»
[1964] 1 Pierre 4, 7.
[1965] Genèse 2, 2.
[1966] Romains 8, 19.
[1967] Apocalypse 21, 1.
[1968] Exode 3, 14.
[1969] Isaïe 65, 17.