L'Antéchrist
par Augustin Lemann
TABLE DES MATIÈRES
L’occasion de cet écrit : L'APOSTASIE
CHAPITRE PREMIER : Trois portraits de
l'Antéchrist tracés prophétiquement dans la Bible.
PORTRAIT DANS LE LIVRE DE DANIEL : La petite corne
grandissante.
PORTRAIT DANS L'APOCALYPSE : La Bête.
PORTRAIT DANS LA II° ÉPITRE AUX THESSALONICIENS :
L'homme de péché.
CHAPITRE II : Personne, Règne, Persécution. -
Fin de l'Antéchrist.
DEUXIÈME CERTITUDE : L'Antéchrist sera un homme,
un individu.
QUATRIÈME CERTITUDE : L'Antéchrist sera séducteur
par certaines qualités de sa personne.
CINQUIÈME CERTITUDE : Les débuts de l'Antéchrist
seront humbles et peu remarqués.
SIXIÈME CERTITUDE : L'Antéchrist grandira et fera
des conquêtes.
SEPTIÈME CERTITUDE : L'empire de l'Antéchrist
deviendra universel.
HUITIÈME CERTITUDE : L'Antéchrist fera une guerre
acharnée à Dieu et à l'Église.
NEUVIÈME CERTITUDE : L'Antéchrist se fera lui-même
passer pour Dieu, il voudra être adoré lui seul.
DEUXIÈME PROBABILITÉ : La durée de la persécution
de l'Antéchrist sera de trois ans et demi.
PREMIÈRE CHOSE INDÉCISE : La nationalité de
l'Antéchrist.
DEUXIÈME CHOSE INDÉCISE : Le nom de l'Antéchrist.
TROISIÈME CHOSE INDÉCISE : Le siège de l'empire de
l'Antéchrist.
QUATRIÈME CHOSE INDÉCISE : Le temple où
l'Antéchrist se fera adorer.
- IV CHOSES FANTAISISTES (Antiochus Epiphane)
a) Que l'Antéchrist naîtra à Babylone
b) Qu'il
sera le fruit d'un commerce illicite
c) Que
son éducation s'accomplira à Bethzaïde et à Corozaim
d) Que
ses éducateurs seront des magiciens
e) Qu'il
saura par coeur toute l'Écriture et connaîtra tous les arts
f) Que
bien que son Ange gardien ne lui soit pas ôté
g) Que
les débuts de son règne et de sa puissance se feront à Babylone
h) Que
dix rois se coaliseront contre lui
j) Qu'il
opérera avec l'aide du démon tous les miracles de Jésus-Christ
k)
Qu'ayant jeté bas le masque de l'hypocrisie, il aura des moeurs épouvantables
l)
Ajoutons que ses palais eux-mêmes
m)
Qu'enfin il sera frappé et exterminé à Apadno, sur la montagne des Oliviers
CHAPITRE III : Les champions de la Vérité
chrétienne contre l'Antéchrist.
CHAPITRE IV : L'époque de la venue de
l'Antéchrist incertaine et sa fixation interdite.
CHAPITRE V : CONCLUSION, Que celui qui
retient retienne, jusqu'à ce qu'il soit rejeté.
« Je regardais dans une vision
nocturne, et voici, il y avait une quatrième bête, terrible, et étonnante, et
extraordinairement forte ; elle avait de grandes dents de fer ; elle dévorait, mettait
en pièces..., et elle avait dix cornes (1)
. Je considérai les cornes, et voici,
une autre corne, petite, s'éleva au milieu d'elles ; et trois des premières
cornes furent arrachées de devant elle : et voici, des yeux comme des yeux d'un
homme étaient dans cette corne, et une bouche qui proférait de grandes choses...
Mon esprit fut épouvanté : moi, Daniel, je fus effrayé par ces choses, et les
visions de mon esprit me troublèrent. Je m'approchai d'un de ceux qui étaient
là (2) , et je lui demandai la vérité sur
toutes ces choses... Je désirai vivement savoir... ce qu'étaient les dix cornes.
., et cette autre corne qui avait surgi et devant laquelle trois des cornes
étaient tombées, cette corne qui avait des yeux et une bouche proférant de
grandes choses, et son apparence était plus grande que celle de ses compagnes. Je
regardais : et voici que cette corne faisait la guerre aux saints ; et elle
l'emportait sur eux... Et (l'ange) me parla ainsi :... Les dix cornes, ce sont
dix rois : et un autre s'élèvera après eux : et il différera des premiers ; et
il abattra trois rois. Il proférera des paroles contre le Très-Haut, il opprimera
les saints du Très-Haut, et il pensera qu'il pourra changer les temps et les
lois ; et ils seront livrés entre ses mains pendant un temps et des temps, et
la moitié d'un temps. Et le jugement se tiendra, afin que la puissance lui soit
enlevée, qu'il soit détruit et qu'il disparaisse à jamais. »
(Daniel, VII, 7, 8, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26)
Dans cette petite corne grandissante les Pères, notamment saint Irénée,
Théodoret, Lactance, saint Jérôme, les commentateurs modernes, Maldonat, Cornelius
a Lapide, Calmet, etc., et de nombreux exégètes contemporains, soit catholiques,
soit protestants, ont vu à bon droit la figure de l'Antéchrist. La corne est le
symbole de la force et de la puissance. Chez certains animaux elle est la
grande arme offensive et défensive. Avant les découvertes assyriologiques, il
était assez difficile de s'expliquer pourquoi Daniel avait, de préférence, employé
ce symbole pour décrire l'Antéchrist. Aujourd'hui rien ne paraît plus naturel. Dans
le milieu chaldéen où vivait ce prophète, les statues des dieux et des rois
babyloniens portaient des cornes à leurs tiares. Disposées avec grâce à la base
de ces tiares et superposées les unes aux autres, elles constituaient de
véritables ornements (3)
. Il est donc tout naturel que l'inspiration divine voulant caractériser les
développements et la puissance de la domination de l'Antéchrist, ait porté
Daniel vivant et écrivant à Babylone à le représenter sous le symbole d'une
petite corne grandissante.
Je vis monter de la mer une bête
qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses
têtes des noms de blasphèmes. Et la bête que je vis était semblable à un
léopard, et ses pieds étaient comme les pieds d'un ours, et sa gueule comme la
gueule d'un lion ; et le dragon lui donna sa force et une grande puissance. Et
je vis une de ses têtes comme blessée à mort, mais cette blessure mortelle fut
guérie, et la terre entière fut dans l'admiration, à la suite de la bête. Et
ils adorèrent le dragon qui avait donné la puissance à la bête ; et ils
adorèrent la bête, en disant. Qui est semblable à la bête ? Et qui pourra
combattre contre elle ? Et il lui fut donné une bouche qui proférait de grandes
choses et des blasphèmes ; et le pouvoir lui fut donné d'agir pendant
quarante-deux mois. Et elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour
blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel. Et il
lui fut donné le pouvoir de faire la guerre aux saints, et de les vaincre ; et
la puissance lui fut donnée sur toute tribu, sur tout peuple, sur toute langue
et toute nation. Et tous les habitants de la terre l'adorèrent, ceux dont les
noms n'ont pas été inscrits, depuis la création du monde, dans le livre de
l'Agneau qui a été immolé. »
(Apocalypse, XIII, 1. 8)
Dans ce second portrait, c'est à une Bête monstrueuse que l'Antéchrist
est comparé. On ne peut guère douter, en effet, que cette bête, munie de toute
la puissance de Satan et adorée avec lui, ne soit la figure de l'Antéchrist. Tel
a été le sentiment commun des commentateurs chrétiens, depuis les temps anciens
jusqu'à nos jours. L'emploi de cette expression « la bête, montre que, dans
l'être en question, le caractère bestial dominera, à la place des sentiments humains.
La robe du léopard, les pieds de l'ours et la gueule du lion indiquent aussi
qu'il réunira la ruse, la férocité et la force.
C'est avec raison que les exégètes reconnaissent également dans la Bête
de l'Apocalypse le symbole de la Cité du mal avec les grands empires païens qui
s'y sont succédé. Mais tous ces empires païens de la Cité du mal viendront
aboutir et se résumer dans la personne de l'Antéchrist. Les prophètes
présentent et comprennent souvent sous une seule figure plusieurs choses qui
arriveront en divers temps, lorsqu'elles ont quelque rapport entre elles. On le
constate par cette explication qui fut donnée à saint Jean dans une autre
vision de la Bête, symbole, cette fois, de la Cité du mal (4) « L'ange me dit : Les sept têtes sont sept
montagnes sur lesquelles la femme est assise : ce sont aussi sept rois (ou sept
empires), dont cinq sont tombés ; l'un existe encore, et l'autre n'est pas
encore venu ; et, quand il sera venu, il faut qu'il demeure peu (5)
. Toute la malice et toute la
puissance de ces différents empires, qui se sont succédé dans la Cité du mal, figurée
par la Bête et ses accessoires, viendront
se personnifier et se récapituler dans un individu : l'Antéchrist. C'est
donc avec raison que ce nom « la Bête » lui est aussi attribué.
« Il faut que l'apostasie arrive
auparavant, et qu'on ait vu paraître
l'homme de péché, le fils de la
perdition, l'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou
qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même
passer pour Dieu... Et alors se manifestera cet impie que le Seigneur Jésus
tuera par un souffle de sa bouche, et qu'il détruira par la lueur de son
avènement.
L'avènement (de cet impie) aura
lieu selon la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et
de prodiges trompeurs, et avec toutes les séductions de l'iniquité pour ceux
qui périssent, parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour de la vérité pour être
sauvés. C'est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d'égarement, pour qu'ils
croient au mensonge, afin que tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais
qui auront consenti à l'iniquité, soient condamnés. »
(II° Ép. aux Thessaloniciens, II, 3, 4, 8, 9, 10, 11)
Cette fois, c'est l'homme qui apparaît, avec des traits nettement
dessinés, mais l'homme Adversaire du Christ et de l'Église, l'homme de péché, le
fils de la perdition. « Nul doute, dit saint Augustin, que l'Apôtre ne parle
ici de l'Antéchrist. (6)
De ces trois portraits prophétiques, rapprochés les uns des autres, il
est possible de tirer des renseignements par rapport à la personne, au règne, à
la persécution et à la fin de l'Antéchrist. Ces renseignements, il conviendra
de les classer sous quatre chefs, les suivants :
Choses certaines,
Choses probables,
Choses indécises,
Choses fantaisistes.
(1)
Cet animal extraordinaire, si terrible que Daniel peut à peine trouver des
paroles pour le décrire, représente, dans la vision, l'Empire romain. Il
succède au lion (Empire chaldéen), à l'ours (Empire médo-perse), au léopard (Empire
d'Alexandre) (Daniel, VII. 1-7) - Les dix cornes, chiffre rond, représentent
des rois ou des royaumes puissants qui se sont formés du démembrement de
l'Empire romain par les Barbares. De ces multiples États surgira la petite
corne grandissante ou l'Antéchrist.
(2) L'un des esprits célestes
(3) M. de Longpérier, décrivant un dieu assyrien, dit « Les cornes du taureau qui décorent la tiare de cette figure sont un signe de puissance et de gloire... La manière dans les cornes sont rangées à la base de la tiare nous explique de quelle façon le prophète Daniel concevait la disposition des dix cornes du quatrième animal symbolique qu'il vit en songe. (Notice des antiquités assyriennes, p. 30).
(4)
Apoc., XVII, 1-18.
(5) Id., XVII, 9-10
(6) S. Augustin, Cité de Dieu, liv. XX, n° 19.
a) Épreuve : « Voici que cette
corne faisait la guerre aux saints ; et elle l'emportait sur eux. » (Dan., VIII,
21) - « Et il lui fut donné (à la Bête) le pouvoir de faire la guerre aux
saints et de les vaincre. » (Apoc., XIII, 7)
b) Châtiment : « L'avènement de cet impie aura lieu... arec toutes les
séductions de l'iniquité pour ceux qui périssent, parce qu'ils n'ont pas reçu
l'amour de la vérité pour être sauvés. C'est pourquoi Dieu leur enverra une
puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge, afin que tous ceux qui n'auront
pas cru à la vérité, mais qui auront consenti à l'iniquité, soient condamnés. »
(II Thes., II, 9-11) - Dieu ne place la pierre d'achoppement sur la voie des
méchants que lorsqu'ils ont mérité pleinement la punition: ils mettent alors le
comble à leurs crimes.
C'est donc par une permission divine que s'accomplira l'avènement de
l'Antéchrist. Afin d'éprouver, d'une part, la foi des élus, afin de châtier, d'autre
part, l'apostasie d'un grand nombre, Satan recevra, comme à l'égard de Job, la
liberté d'exercer pour un temps sa funeste puissance contre le genre humain. C'est
alors que surgira celui que saint Irénée appelle le résumé de toute malice (1), et que se lèvera ce temps de
persécution dont Notre-Seigneur a dit : « il viendra un temps tel qu'il n'y en
a pas eu de pareil depuis que les peuples ont commencé (2). »
« Il faut qu'on ait vu paraître l'homme de péché. » (II Thess., II, 3)
L'Antéchrist n'est donc pas une fiction, un mythe, ainsi qu'une plume de
critique légère, celle de Renan, s'est efforcée de l'établir (3). Il ne doit pas davantage être
confondu avec une secte quelconque, une collection d'impies, un milieu
d'athéisme, une période de persécution, ainsi que l'ont pensé certaines âmes
pieuses. L'Antéchrist sera une réalité individuelle, une personne, surgissant, il
est vrai, à une époque d'athéisme et de sectes perverses, mais, tout en ayant
des liens étroits avec ces sectes et ce milieu d'athéisme, il ne laissera pas
que d'être lui-même une personne, un individu « ayant les yeux d'un homme et
une bouche qui proférait de grandes choses et des blasphèmes », (Dan., VII, 8, 20
; Apoc., XIII, 5) (4).
« L'homme de péché - » (II Thess., II, 3)
Sans doute cet être recevra les inspirations de Satan et sera comme son
instrument; Satan sera son conseiller et son inspirateur invisible :il lui
prêtera son appui, ses pouvoirs, mais il ne sera pas l'Antéchrist lui-même (5).
« Cette corne, avait des yeux comme les yeux d'un homme, et une bouche
qui proférait de grandes choses. » (Dan., VII, 8) - «Et il fut donné à la bête
une bouche qui proférait de grandes choses. » (Apoc., XIII, 5) - « Et ils
adorèrent la bête, disant : Qui est semblable à la bête ? » (Id., 4) -
«L'avènement de cet impie aura lieu avec toutes les séductions de l'iniquité. »
(II Thess., II, 8, 10)
C'est une erreur populaire que de se représenter l'Antéchrist sous des dehors
repoussants, comme un résumé de toutes les laideurs physiques. Elle provient
probablement de l'interprétation donnée à ces traits du portrait dans
l'Apocalypse: « Je vis monter de la mer une bête qui avait sept têtes et dix
cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphèmes.
Et la bête que je vis était semblable à un léopard, et ses pieds étaient comme
les pieds d'un ours, et sa gueule comme la gueule d'un lion ». (Apoc., XIII, 2)
Loin de représenter l'extérieur physique de l'Antéchrist, ce passage symbolique
n'a pour but que de donner une idée de sa vaste puissance, et de l'étendue de
son empire, choses dont il sera bientôt question. Les divers textes, qui ont
été rappelés, prouvent, au contraire, que la personne de l'Antéchrist ne
manquera pas d'attraits séducteurs. Si, en effet, la description de Daniel met
les yeux de l'Antéchrist en relief : Cette corne avait des yeux comme les yeux
d'un homme, c'est que les yeux dénotent l'intelligence, la clairvoyance, l'habileté.
Mais, parmi les charmes séducteurs, Daniel et l'Apocalypse s'accordent à
signaler, comme devant certainement présenter plus de dangers, le charme de la
voix et de l'éloquence : Et il fut donné à la bête une bouche qui proférait de
grandes choses. De grandes choses ! Les interprètes donnent généralement à ces
expressions le sens de paroles exorbitantes, de paroles d'orgueil, de révolte...,
des énormités. Mais le mot hébreu dans Daniel « » signifiant « grand-grand »
indique qu'il peut s'agir aussi de paroles sublimes, éloquentes et entraînantes.
L'Ange déchu ayant choisi l'Antéchrist comme chef visible de la suprême
bataille à livrer contre le Christ et son Église, il lui communiquera quelque
chose des charmes naturels et incomparables que l'Éden contempla autrefois avec
étonnement dans Lucifer, charmes qui ne lui ont pas été retires, mais dont il
abuse pour faire le mal. Sous cette influence occulte, le sublime, dans la
bouche du fils de perdition, s'unira au blasphème ; et cette tentation du
sublime sera si attrayante, que les élus seraient séduits, si les élus
pouvaient l'être (6). Il y a plus : Le portrait, tracé
dans l'épître aux Thessaloniciens, laisse apercevoir chez l'Antéchrist une
puissance de séduction plus vaste que celle de la voix et de l'éloquence : Avec
toutes les séductions de l'iniquité, y est-il dit ; par conséquent, séduction
d'une belle prestance et d'un beau visage, séduction du génie, séduction d'une
fausse vertu, séduction de prestiges et de prodiges menteurs, unis à la
séduction de la voix et de l'éloquence. Et c'est pourquoi la terre, séduite et
dans l'admiration s'écrie: Qui est semblable à la bête ?
« Je considérais les cornes, et voici, une autre corne, petite, s'éleva
au milieu d'elles. » (Dan., VII, 8)
L'expression « petite » désigne une puissance faible à ses débuts ;
elle paraîtra tout d'abord insignifiante (7).
« Trois des premières cornes furent arrachées de devant elle. » (Dan. VII,
8) - « Cette corne., son apparence était plus grande que celle de ses compagnes.
» (Id. 20) - « Et (l'ange) me parla ainsi : Les dix cornes, ce sont dix rois et
un autre s'élèvera après eux... ... ; et il abolira trois rois. (Id., 24)
L'Antéchrist grandit jusqu'à devenir roi, et roi conquérant. Trois des
dix cornes, c'est-à-dire trois des dix États issus, démembrés de l'ancien
empire romain, tombent sous sa puissance. Ils sont arrachés « de devant lui » ;
hébraïsme, qui équivaut à : arrachés par lui. Aussi est-il noté que l'aspect de
la petite corne est devenu plus grand que celui de ses compagnes.
Cette dénomination de « compagnes appliquée aux dix cornes indique que les dix
plats existent simultanément ; l'Antéchrist, onzième corne, a surgi et grandi
au milieu d'eux, et il vient d'en abattre trois.
S'il est dit par l'Ange qu'un autre s'élèvera après eux, l'expression «
après eux » ne signifie pas que l'Antéchrist n'apparaîtra qu'après la
disparition des dix rois ou des dix États, puisque, d'après le verset 8 (cinquième
certitude), la petite corne (l'Antéchrist) surgit, s'élève au milieu des dix
États (des dix cornes), et qu'il vient d'en abattre trois. Que signifie donc
l'expression « après eux » ? Elle signifie que le royaume de l'Antéchrist
proviendra de la même source que les autres qui l'ont précédé, c'est-à-dire des
débris de l'ancien empire romain (8).
« Et la puissance fut donnée à la Bête sur toute tribu, sur tout peuple,
sur toute langue, sur toute nation. » (Apoc., XIII, 7)
Cette accumulation d'expressions ne laisse aucun doute sur
l'universalité de l'empire de l'Antéchrist. Il deviendra, soit par lui-même, soit
par ses lieutenants, maître du monde. Ce sera alors la catholicité de
l'anti-christianisme en face de la catholicité de l'Église. De même que
Notre-Seigneur a mérité de racheter par son sang l'humanité tout entière (9), ainsi l'Antéchrist, par une rage
d'opposition et par une permission divine, étendra, pour un temps, son joug de
fer et d'impiété sur toute tribu, sur tout peuple, sur toute langue et toute
nation (10). Les découvertes modernes, qui
abrègent le temps et font disparaître les distances, montrent que l'homme de
péché ne manquera pas de moyens pour arriver à cette domination. À la facilité
des communications, il joindra à son service la puissance dite scientifique, avec
tout ce qu'on y mêle d'anti-rationnel et d'anti-chrétien. Centralisant aussi
les forces de l'esprit révolutionnaire, il entraînera les foules qui ne sont
que trop souvent prêtes à aller au devant de toutes les servitudes. Avec
l'appui qu'il trouvera dans les sociétés anti-chrétiennes (11), cet
ennemi de Jésus-Christ pourra former en peu de temps un empire gigantesque. C'est
alors que se réaliseront dans leur entière plénitude ces expressions de
l'épître aux Thessaloniciens : Revelabitur ille iniquus, Cet impie se manifestera
; il sera en évidence, sa puissance éclatant d'une façon mondiale.
« Il proférera des paroles contre le Très-Haut, il opprimera les saints du
Très-Haut, et il pensera qu'il pourra changer les temps et les lois. » (Dan., VII,
27) - « Et elle (la bête) ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour
blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel. Et il
lui fut donné le pouvoir de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. » (Apoc.,
XIII, 6, 7)
Lorsqu'on interroge la Tradition et qu'on lui demande de quelle manière
s'exercera, d'après ces textes, la persécution de l'Antéchrist, saint Augustin
se lève et répond : « La première persécution (celle des Césars) a été violente
pour forcer les chrétiens de sacrifier aux idoles, on les proscrivait, on les
tourmentait, on les égorgeait. La seconde est insidieuse et hypocrite ; elle
existe actuellement : les hérétiques et les faux frères en sont les auteurs. Il
en viendra plus tard une autre, plus dangereuse que les précédentes ; car elle
joindra la séduction à la violence, c'est la persécution de l'Antéchrist (12). »
Tout d'abord, sa haine se tournera contre Dieu lui-même : « Et la Bête
ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour blasphémer son nom, et son
tabernacle et ceux qui habitent dans le ciel. » Défense de rendre à Dieu le
moindre culte, défense d'en prononcer le nom, défense de communiquer avec
l'Église, son vivant tabernacle, défense d'honorer les saints du ciel. Mais, par
contre, liberté du blasphème contre Dieu, liberté du blasphème contre son nom, liberté
du blasphème contre l'Église, liberté du blasphème contre les saints du ciel!
Mais, parmi tous ces blasphèmes, ceux proférés par l'Antéchrist, provoqueront
un enthousiasme indescriptible. D'un bout du monde à l'autre, on les colportera,
on les répétera ! « Qui est semblable à la Bête » ! Tel sera le cri de triomphe,
d'impiété et d'orgie qui ébranlera les airs ! Cri sauvage constituant le plus
grand blasphème dont les hommes se seront rendus coupables, puisqu'il supposera
que tout ce qui existe et qui vient de Dieu sera inférieur à la Bête, porte-parole
de Lucifer (13).
Et, à côté de ces attentats contre Dieu, oppression de l'Église, oppression
de tous ceux qui voudront demeurer fidèles au Christ (14). Contre eux toutes sortes de mesures iniques. En voici
quelques-unes :
Proscription de tout enseignement chrétien. Plus de neutralité, mais
proscription! Défense absolue d'enseigner les vérités chrétiennes et, par
conséquent, suppression des écoles, fermeture des églises, interdit de la
prédication. Exclusion même d'un enseignement quelconque. Déjà, sous Julien
l'Apostat, il s'est fait un essai de cette inique mesure. « Alors, rapporte
saint Grégoire de Nazianze, on dépouilla les églises, et leurs richesses furent
transportées dans les temples des idoles qu'on réparait aux frais des chrétiens.
Alors on ferma les écoles, et défense fut faite aux chrétiens d'enseigner la
grammaire, la rhétorique, la médecine et les arts libéraux. Convient-il, disait
en ricanant l'empereur Julien, que les adorateurs du vrai Dieu cultivent les
muses et la littérature païenne, eux qui estiment nos divinités infâmes et
notre science impie (15). »
Autre mesure inique : Lacération, et destruction des Livres Saints. On
fera plus que de proscrire les ouvrages où se rencontre le nom de Dieu, ainsi
qu'on le pratique déjà ; on poursuivra sur tout les Livres Saints, pour les
lacérer et les détruire. Ainsi en fut-il, aux temps passés, durant la dure
persécution d'Antiochus Épiphane, pronostic, au témoignage de saint Jérôme, de
celle de l'Antéchrist (16).
On vit alors, ainsi que le rapporte le premier livre des Machabées, toute
une armée de fonctionnaires et de sbires occupés à envahir les maisons, à en
fouiller les recoins. « On jetait au feu les livres de la Loi de Dieu, après
les avoir déchirés. Et ceux chez qui l'on trouvait les livres de l'alliance du
seigneur, étaient mis à mort selon l'édit du roi (17). »
Alors aussi, d'après un autre passage du même livre, des troupes d'Hébreux
fidèles abandonnèrent Jérusalem, pour se réfugier dans les montagnes, au plus
profond des cavernes. Les infortunés ! Ils avaient, pour sauver leur vie, tout
quitté, sauf quelques feuillets de ces livres, disputés à la flamme, et
empourprés du sang des martyrs. Mourants de faim et de froid, mais pressés
autour de ces feuillets, ils les lisaient, pour relever leur âme, à la lueur
vacillante de torches moins pâles que leurs visages. Mais il arriva que ces
cavernes de Judée s'illuminèrent, comme plus tard les catacombes romaines, de
telles flammes divines et de tels transports, que, bien des années après la
persécution, Jonathas Machabée, l'un des survivants de ces luttes héroïques, pouvait
répondre aux Spartiates, qui lui avaient proposé une alliance : «Nous n'avons
nul besoin de consolations humaines ; notre consolation ce sont les Livres
Saints qui se trouvent entre nos mains (18). »
Encore une mesure inique : Enseignement obligatoire et universel de
l'erreur. Il y en a comme une préparation dans les écoles sans Dieu, ou plutôt
contre Dieu. Généralisées au temps de l'Antéchrist, elles poseront leur main
defer, pour les plier à l'apostasie, non seulement sur les jeunes gens et les
jeunes filles, mais encore sur des enfants incapables de se défendre, au mépris
des protestations des pères et des larmes de leurs mères !
Sous l'étreinte oppressive de ces mesures iniques et d'autres encore, verrait-on
s'accomplir à la lettre l'une des paroles les plus formidables de la Sainte
Écriture : « La vérité sera renversée à terre, Prosternetur veritas in terra (19) ?» Dans la
longue suite des tentatives de l'homme depuis l'origine des siècles, on a bien
vu la vérité diminuée, bafouée, défigurée, mais renversée à terre, jamais ! Le
serait-elle au temps de l'Antéchrist ? Qu'on se garde bien de le croire! Si le
prophète Daniel s'est servi de cette expression, ç'a été pour peindre d'une
manière énergique tout ce qu'il y aurait de fureur dans la persécution
d'Antiochus, et tout ce qu'il y aura de fureur dans celle de l'Antéchrist. Il
emploie le même langage, lorsque, parlant des épreuves auxquelles les chrétiens
fidèles seront en butte, il annonce que ; « la corne fera la guerre aux saints
et l'emportera sur eux (20) ». Oui, assauts contre les
chrétiens, assauts contre la vérité chrétienne ! Mais tandis que les saints, assaillis
et meurtris dans leur corps, tiendront tête dans l'indépendance et la fermeté
de leur âme, la vérité chrétienne, mieux enracinée au sein de l'Église que ne
le sont les montagnes dans les entrailles de la terre, verra se briser tous ces
assauts ; et les arrière-descendants de nos contemporains rediront comme nous, chaque
dimanche, à l'heure du chant des vêpres, ce verset des psaumes, qui proclame
d'avance l'issue de toutes les batailles de Dieu: « Veritas Domini manet in
æternum, la vérité du Seigneur demeure éternellement (21). »
Mais, parmi les textes qui annoncent la guerre incessante que
l'Antéchrist fera à Dieu et à l'Église, il en est un qu'il importe de ne pas
laisser sans explication : « Et il pensera, dit Daniel, qu'il pourra changer
les temps et les lois. » Que faut-il entendre par cette annonce ? Elle apprend
que l'Antéchrist s'arrogera une puissance surhumaine, car il n'appartient qu'à
Dieu, le souverain législateur, de régler et de changer les temps. L'homme de
péché voudra renverser toutes les institutions les plus sacrées, tous les
fondements de la religion et de la société. Il y a déjà eu comme un essaide la
part de ses précurseurs. Mahomet a changé les jours de fêtes et la Loi en
publiant le Coran. De même, aux jours néfastes de la tyrannie jacobine, en 1792,
le culte catholique fut interdit en France, et le compte du temps modifié par
l'introduction d'un nouveau calendrier. Aux saints de chaque jour, dont les
noms furent effacés, on fit succéder des légumes, des animaux, la carotte et
même le porc... Mais à quoi bon rappeler le passé ? Le présent n'est-il pas
suffisamment instructif et menaçant ? N'est-ce pas au sein du Parlement d'une
grande nation européenne qu'on a osé proposer naguère l'amendement suivant, afin
qu'il fût érigé en loi : « Les quatre fêtes dites concordataires établies sous
un vocable religieux s'appelleront à partir de la promulgation de la présente
loi : celle de l'Ascension, fête des Fleurs ; celle de l'Assomption, fête des
Moissons ; celle de la Toussaint, fête du Souvenir ; celle de Noël ou de la
Nativité, fête de la Famille (22) ». Le motif
allégué par l'auteur de l'amendement n'était autre que celui-ci : « Le
christianisme a fait disparaître toutes les fêtes de l'antiquité... Les fêtes
païennes avaient au moins un mérite, c'était d'idéaliser la vie, de l'exalter, de
la célébrer. Le christianisme a voulu mettre toujours entre l'homme et la
nature son Dieu». C'est par 356 voix contre 195 que l'amendement proposé a été
repoussé. S'il est repris au temps de l'homme néfaste, qui pensera qu'il pourra
changer les temps et les lois, il obtiendra une majorité.
Mais voici l'abomination des abominations.
« L'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou
qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même
passer pour Dieu. » (II Thess., II, 4) - « Et ils adorèrent la Bête. » (Apoc., XIII,
4)
Les paroles « L'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qui est
appelé Dieu, ou qui est adoré », jettent l'esprit dans la stupéfaction. Elles
révèlent d'abord que l'homme d'iniquité voudra être adoré, et adoré lui seul. Lorsque
le plus beau des anges détourna ses yeux de la face du Seigneur et les porta
sur lui-même, ébloui, enivré de sa propre beauté, il osa bien prétendre à
l'adoration, mais pas à l'exclusion de Dieu : « Je monterai au ciel, se
disait-il en son coeur, j'établirai mon trône au-dessus des astres, je
m'assiérai sur la montagne de l'alliance, je serai semblable au Très-Haut (23) ». L'Antéchrist sera plus
sacrilège que Lucifer. Excité par lui, il ne tentera pas seulement d'égaler
Dieu, de s'asseoir à ses côtés sur le sommet des nues ; il prétendra même le
remplacer et être adoré lui seul. Il persuadera les hommes que lui seul est le
vrai Dieu et qu'en dehors de lui il n'en existe pas d'autre. La formule
incommunicable que Dieu s'est réservée de tout temps : « Je suis le Seigneur, et
il n'y en a pas d'autre (24) », l'Antéchrist se l'appropriera (25).
La conséquence de cette prétention inimaginable sera, le texte l'indique,
que l'homme d'iniquité ne fera pas seulement la guerre au vrai Dieu et à la vraie
religion, mais à tous les cultes existants. II y a eu comme une ébauche de cet
avenir dans une particularité de la persécution d'Antiochus Épiphane. Ce prince
impie, dont il avait été prophétisé qu'il s'élèverait et se grandirait contre
tout Dieu (26), ne craignit pas, en effet, de
prendre sur ses monnaies le nom de. , Dieu, et d'ordonner à tous ses sujets de
pratiquer sa propre religion (27). Chose digne
de remarque : toutes les fausses religions de son royaume se soumirent
immédiatement à cet édit, sans l'ombre même d'une résistance : « Toutes les
nations consentirent à cet ordre du roi Antiochus (28) ». Et
cependant elles n'étaient pas en petit nombre ces fausses religions, puisque le
royaume de Syrie, borné au nord par l'Asie Mineure, au midi par l'Égypte, à
l'est par l'empire des Parthes, à l'ouest par la Méditerranée, embrassait, dans
sa vaste étendue, tous les faux dieux de la Mésopotamie, de Ninive, de Syrie, d'Ammon,
de Moab, de Samarie, d'une partie de l'Arabie, de l'Idumée, du pays des
Philistins. Et néanmoins, pas l'ombre même d'une protestation: Toutes les
notions consentirent... C'est que le sort de l'erreur, et cela se verra mieux
encore au temps du véritable Antéchrist, est de se courber avec empressement
sous le regard d'un maître, et de n'avoir à opposer à la plus détestable des
tyrannies, celle qui exige l'abdication de la conscience, qu'un silence de
vaincu, un silence d'esclave.
À Jérusalem, il y eut aussi des défections. Nombre de juifs eurent la
lâcheté de se soumettre. Mais la majeure partie de la nation demeura fidèle au
vrai Dieu. Comme sous le coup d'une commotion soudaine, la foi endormie se
réveilla, se dressant calme et intrépide en face du tyran des consciences.
C'est alors que s'ouvrit le martyrologe de la Synagogue, où vinrent
s'inscrire, en tête de milliers de victimes, les noms inoubliables du saint
vieillard Eléazar, des sept Machabées et de leur mère (29). Durant
trois ans et demi, ce martyrologe demeura ouvert...
L'édit d'Antiochus, qui prescrivait l'unité de culte dans tout le
royaume syrien, avait été suivi d'un second édit, spécial à Israël, c'est-à-dire
à la vraie religion. Combien sa teneur n'est-elle pas instructive, par rapport au
présent, et surtout à l'avenir ! Aussi mérite-t-il d'être mis en relief:
« Défense d'offrir dans le temple de Dieu des
holocaustes, des sacrifices d'actions de grâces et des sacrifices expiatoires.
« Défense de célébrer le Sabbat et les fêtes solennelles.
« On souillera les Lieux saints et le peuple saint d'Israël.
« On bâtira des autels et des temples aux idoles, et on sacrifiera devant elles
de la chair de pourceau et des bêtes immondes.
« On ne pratiquera plus la circoncision.
« On flétrira l'âme des enfants par toutes sortes de souillures et
d'abominations, en sorte qu'ils oublient la Loi et en changent toutes les
ordonnances.
« Et quiconque n'agira pas selon la volonté du roi Antiochus sera puni de mort (30). »
Si monstrueuses que paraissent ces ordonnances, elles seront cependant
dépassées sous la domination de l'Antéchrist, puisqu'il y aura obligation pour
tous d'adorer sa personne (31). L'auteur inspiré de l'Apocalypse,
qui a aperçu de loin cette adoration, en a frémi et a poussé ce cri d'horreur :
Et ils adorèrent la Bête ! (32). Ce sera, en
effet, le détournement et la profanation, aux pieds du suppôt de Satan, de ce
beau texte des Écritures consacré au vrai Dieu : « Le travail de l'Égypte, le
trafic de l'Éthiopie, et les Sabéens à la taille élevée passeront chez toi, et
ils seront à toi : ils marcheront à ta suite, ils viendront les fers aux mains,
ils se prosterneront devant toi, et ils te supplieront en disant : Il n'y a de
Dieu que chez toi, et hors de toi, il n'y a pas de Dieu (33). » L'Apocalypse ajoute un dernier trait : Conjointement à
cette adoration de la Bête, il y aura aussi l'adoration du Dragon, de Satan : «
Et ils adorèrent le Dragon qui avait donné puissance à la bête (34) ». L'adoration de Satan !
N'est-ce pas ce qui, dans les antres ténébreux de certaines loges maçonniques, se
pratique déjà ?
« L'avènement de cet impie aura lieu selon la puissance de Satan, avec
toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. » (II Thess, II,
9)
C'est par des miracles aussi nombreux qu'éclatants, que Jésus-Christ
avait prouvé sa filiation et sa mission divines. « Les oeuvres que mon Père
m'adonnées d'accomplir, ces oeuvres que j'opère, rendent témoignage de moi, et
prouvent que c'est le Père céleste qui m'a envoyé (35) » ;
L'Antéchrist aura la prétention d'établir également sa fausse divinité
sur des prodiges extérieurs. C'est avec l'aide de Satan, par sa puissance, qu'il
les accomplira.
Mais ces miracles seront-ils réels ?
« On demande souvent, dit saint Augustin, si ces expressions de «
signes ou prodiges trompeurs » veulent faire entendre l'inanité des prodiges
dont l'Antéchrist abusera les sens de l'homme, toutes ces oeuvres n'étant
qu'apparentes; ou bien est-ce à dire que la vérité même de ces miracles
entraînera au mensonge ceux qui croiront y voir la présence de la force divine
? » Et l'illustre docteur répond : « on le saura plus tard (36) ».
Cet embarras a déterminé deux courants d'opinions. Les uns pensent que
les miracles, accomplis par l'Antéchrist avec la puissance de Satan, seront
réels, de vrais miracles et qu'ils entraîneront au mensonge, c'est-à-dire à la
croyance de la divinité de l'Antéchrist (37).
Les autres estiment que tous les miracles de l'Antéchrist seront
mensongers, le démon illusionnant les sens de ses adeptes (38).
Quel que soit le sentiment que l'on adopte, ce qu'il y a de certain, c'est
que les prodiges accomplis par l'homme de péché, seront considérables, les mots
accumulés de « miracles, signes, prodiges » marquant une multiplicité étonnante.
« Le jugement se tiendra, afin que la puissance lui soit enlevée, qu'il soit
détruit et qu'il disparaisse à jamais. » (Dan., VII, 26) - « Et la Bête fut
saisie... (Apoc., XIX, 20) - «... Cet impie que le Seigneur Jésus tuera par le
souffle de sa bouche, et qu'il détruira par la lueur de son avènement. » (II
Thess., II, 8)
Après de si dures épreuves, voici enfin l'annonce consolante :
L'Antéchrist, après être arrivé peu à peu au faîte du pouvoir, sera subitement
et à jamais renversé. « Et la Bête fut saisie... » la victoire sera facile
autant que prompte. Ce ne sera pas, en effet, par un grand acte de puissance
divine que l'impie aura été détruit. Le souffle de Jésus et la première lueur
de son second avènement auront suffi pour renverser à jamais le fils de
perdition, l'homme abominable, invincible en apparence.
À quelle époque de son règne néfaste, la chute s'accomplira-t-elle ?
Nous ne tarderons pas à l'indiquer, car c'est une certitude qu'elle
s'accomplira... Un jour, alors que la persécution d'Antiochus Épiphane s'était
quelque peu ralentie, un char soulevant des tourbillons de poussière, se
dirigeait au triple galop des chevaux, sur la route d'Ecbatane à Babylone, dans
la direction de Jérusalem. Irrité de ce que le sang des martyrs ne coulait plus
à flots, un homme, assis dans ce char, ne cessait d'en presser, par
d'exécrables blasphèmes, la course vertigineuse : « Marche donc, hurlait-il à
tout instant au conducteur de ses chevaux, ne sais-tu pas que j'ai hâte
d'arriver à Jérusalem ! Je veux en faire le tombeau des Juifs ; je livrerai
leurs cadavres aux oiseaux du ciel et aux bêtes féroces ; j'exterminerai
jusqu'aux plus petits enfants (39) »... Et des
étincelles moins brûlantes que l'animosité de l'homme assis dans le char (40), volaient sous les pieds des
chevaux ; et, dans cette course d'enfer, arbres, maisons, collines, disparaissaient
comme des ombres... Or, voici que, tout à coup, un craquement sinistre se fait
entendre. Du ciel, la vengeance divine s'est appesantie. L'homme impie a roulé
de son char. De ses membres brisés et de ses chairs pantelantes s'échappe, au
travers de milliers de vers, une telle puanteur que, de l'armée, qui se
pressait à sa suite, personne ne veut transporter cet Antéchrist de l'Ancien
Testament (41) .
C'était lui, en effet, Antiochus ! Et le rôle que lui assignait la
permission divine était fini.
Il avait, par sa persécution, ravivé la foi et le courage des élus dont la robe
s'était blanchie dans le sang du martyre.
Il avait courbé et écrasé sous son pied de fer toutes les fausses
religions et tous les apostats (42).
Lui-même, le plus apostat et le plus scélérat de tous (43), il était brisé sans main d'homme
ainsi que l'avait prophétisé Daniel (44) .
Mais Jérusalem était debout ! Sous ses remparts retentissaient les
trompettes victorieuses des Machabées...
Quelque chose de plus rapide et de plus saisissant s'accomplira contre le
véritable Antéchrist, celui du Nouveau Testament. Un simple souffle de la
bouche du Christ le tuera, la première lueur de son avènement le détruira. Comme
on voit, au crépuscule, les ténèbres s'enfuir avant l'apparition du soleil, ainsi
à l'approche du Soleil de justice, avant même l'éblouissement du second
avènement, sans aucun effort du Christ, la Corne aura été arrachée, la Bête
aura disparu, l'Homme d'iniquité aura été détruit.
(1) « Recapitulatio universe
iniquitatis ». (Irenæus. Advers. Hæres. I. V. XXIX)
(2) Math., XXIV, 21.
(3) Renan. l'Antéchrist, Paris 1873. p.
478. 479
(4) Cathec. Conc. Trid. P. I art. VII. n. VIII :
signa judicium præcedentia. - « Dicendum est Antichristum
futurum esse verum hominem. Existimo esse assertio nem certam de fide. » (Suarez.
De Antichristo. Sect, I, n°4 ; Edit. Vivès, t. XIX, Paris. 1860)
(5) « Dicendum est, Antichristum non
solum futurum verum hominen, sed etiam veram humanam, propriam, et connaturalem
humanitati ; itaque non erit persona dæmoni sin carnata. » (Suarez, De Antich., Sect. I, n°5) - S. Thom. Sum. theol. P. IIIa,
, q. 8, a. 8. « Erit homo (non dæmon incarnatus, ut quidam Scholastici opina
tisunt) ; sed homo pessimus. » (Van Steenkiste. Pauli Epistolæ, t. II, p. 276)
(6) S. Math., XXIV, 24
(7) Est certum Antichristum non habiturum aliquod
regnum Jure hæreditario, sed habiturum potius humilem originem, et paulatim ac
fraudulenter regnum occupaturum ». (Suarez,
De -Antichr., sect. V, n°2)
« Vocatur cornu parvulum, quod sensim crescet, quodque non hæreditate, sed
fraude regnum obtinebit. » (Corn. a Lap., in IIa Ep. ad Thess., II, edit. Vivès, t. XIX)
(8) Antichristum futurum esse regem
magnumque monarcham aperte colligitur ex Daniel, VII, supposita communi
interpretatione Santorum, qui de Antichristo ea loca ontelligunt. Cap. enim VII
explicatur, cornu illud parvulum, quod Antichristum significare diximus ÎÎs
verbis : « Cornuadecem, decem regeserunt, et alius consurget post eos, et ipse
potentior erit prioribus, et tres reges humiliabit. » Erit ergo absque ulla
dunitationeAntichristus rex temporalis. (Suarez, De Antich., sec. V, n°1).
(9) Apoc., V, 19
(10) « Cum dicitur regnaturus in
universo orbe, non est necesse intelligi de omnibus provinciis mundi ; sed de
Romano imperio veteri, atque de iisprovinciis Asiæ, Africæ et Europæ, in quibus
fides et Ecclesia diutius viguit. Præterea, etiam si priori modo intelligatur, non
erit factu difficile, præsertimcum neque copia auri et argenti, neque dæmonum
industria de futura sit. » (Suarez, De Antich., sect. V, n°4). - Cfr. Corn. a Lap., II epist. in
Thess., II ; édit. Vivès, t. XIX, p. 162.
(11) Un écrivain de premier mérite, Donoso
Cortès, a eu comme une intuitionde cet empire néfaste, dans les projets actuels
de la démagogie : «... De là ces aspirations immenses à la domination
universelle par la future démagogie, qui s'étendra sur tous les continents et
jusqu'aux dernières limites de la terre; de là ces projets d'une folie furieuse,
qui prétend mêler et confondre toutes les familles, toutes les classes, tous
les peuples, toutes les races d'hommes, pour les broyer ensemble dans le grand
mortier de la révolution, afin que de ce sombre et sanglant chaos sorte un jour
le Dieu unique, vainqueur de tout ce qui est divers ; le Dieu universel, vainqueur
de tout ce qui est particulier ; le Dieu éternel, sans commencement ni fin, vainqueur
de tout ce qui naît et passe ; le Dieu Démagogie annoncé par les derniers
prophètes, astre unique du firmament futur, qui apparaîtra porté par la tempête,
couronné d'éclairs et servi par les ouragans. La démagogie est le grand Tout, le
vrai Dieu, Dieu armé d'un seul attribut, l'omnipotence, et affranchi de la
bonté, de la miséricorde, de l'amour, ces trois grandes faiblesses du Dieu
catholique. À ces traits, qui ne reconnaîtrait le Dieu d'orgeuil, Lucifer ?
« Quand on considère attentivement ces abominables doctrines, il semble
impossiblede ne pas y voir quelque chose du signe mystérieux, mais visible, dont
l'erreur sera marquée aux temps annoncés par l'Apocalypse. Si une crainte
religieusen'empêchait pas de chercher à soulever le voile qui couvre ces temps
redoutables, je pourrais peut-être appuyer sur de puissantes raisons d'analogie
cette opinion : que le grand empire antichrétien sera un empire démagogique
colossal, gouverné par un plébéien de grandeur satanique, l'homme du péché. » (DonosoCortès,
oeuvres, t. II, p. 229-230)
(12) S. Aug. Enarrat in Psalm., IX, n°27
(13) N'y a-t-il pas comme une préface
aux blasphlèmes de l'Antéchrist dans ceux qu'entend et supporte la société
contemporaine. « Le premier devoir de l'homme intelligent, a osé dire Proudhom,
est de chasser incessamment l'idée de Dieu de son esprit et de sa conscience ;
car Dieu, s'il existe, est essentiellement hostile à notre nature... Dieu, c'est
sottise et lâcheté; Dieu, c'est hypocrisie et mensonge ; Dieu, c'est tyrannie
et misère ; Dieu, c'est le mal. » (Système des contradictions, chap. VIII, t. I,
p. 382. - 2eédit)
(14) « Certum est Antichristum
persecuturum esse Ecclesiam, et fideles, acsantos acerbius et crudelius quam ab
ullo unquam tyranno tentati ant afflicti fuerint. Hoc de fide est... Secundo
dicendum est persecutionem hanc non tantum futuram esse temporalem, sed etiam
spiritualem. » (Suarez, De Antichr., sect. VI, nos 1 et 2)
(15) Greg. Naz., Oratio 1a in Julianum.
(16) « Hunc locum plerique nostrorum
ad Antichristum referunt, et quod sub Antiocho in typo factum est, sub illo in
veritate dicunt esse complendum... sicut igitur salvator habet et salomonem et
cæteros sanctos in typum adventùssui ; sic et Antichristus pessimum regem
Antiochum, qui sanctos persecutus est, templumque violavit, rectè typum sui
habuisse credendus est. » (Hieronym., Comment. in Dan., cap. VIII, 14 ; cap. XI, 21)
(17) I Mach, I, 59, 60.
(18) I
Mach., II, 28-30 ; XII, 8, 9, 13, 14. 15. - Josèphe, Antiq., liv. XII. c. VI.
(19) Daniel, VIII, 12.
(20) Dan., VII, 21.
(21)
Ps. CXVI, 2.
(22) Amendement proposé par M. Gérault-Richard
à la chambre des Députés dans la séance du 2 juillet 1905.
(23) lsaïe, XIV, 14.
(24) id., XLV, 5, 6, 18, 22.
(25) « Dicendum est Antichristum
docturum ac persuasurum hominibus, ut credant nullum esse verum Deum præter
seipsum ; verisimile aute mest non esse hocdocturum, donec rerum omnium
poliatur. » (Suarez, DeAntichr., sect. IV, n° 4)
(26) Daniel, XI, 36.
(27) I Mach., I, 43 ; Diodore de
Sicile, XXXI, 1 ; Polybe, XXXI, 4, etc.
(28) Mach., I, 44.
(29) II Mach., ch. VI et VII.
(30) I Mach., I, 46-52 - Josèphe, Antiq. Liv. XII. ch.
V. n°IV.
(31) Apoc., XIII. 12, 15.
(32)
(33)
Isaïe, XLV, 14.
(34) Apoc., XIII.
(35) S. Jean, V. 36.
(36) S. Augustin, La cité de Dieu, liv.
XX, n° XX.
(37) Suarez, De Antichristo, sect. IV, n°10
(38)
(39)
« Antiochus, transporté de colère... ordonna de conduire rapidement son char et
de voyager sans délai, poursuivi par la vengeance céleste, parce qu'il avait
dit avec orgueil qu'il irait à Jérusalem et qu'il ferait d'elle le tombeau des
Juifs... Il avait dit qu'il les livrerait en proie aux oiseaux et aux bêtes
sauvages, et qu'il exterminerait jusqu'aux petits enfants. » (II Mach., IX, 4, 15)
(40) « Aspirant du feu contre les
Juifs, dans ses pensées, il ordonna d'accélérer le voyage. » (id., IX, 7)
(41) II Mach. IX, 7-9
(42) I Mach, I, 44, 45.
(43) II Mach, IX, 13, 28.
(44)
Dan, VIII, 25
« Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu ; un autre viendra en son nom et vous le recevrez. » (S. Jean, V, 43.)
C'est sur cette parole adressée par Jésus-Christ aux Juifs, ses
contemporains et ses adversaires, que cette croyance s'est établie ; et l'on
peut dire qu'elle est le sentiment commun des Pères de l'Église. Nommons saint
Irénée, saint Hippolyte, saint Hilaire, saint Cyrille de Jérusalem, saint
Grégoire de Nazianze, saint Ephrem, saint Ambroise, Rufin, saint Jérôme, saint
Chrysostome, saint Prosper, saint Cyrille d'Alexandrie, Théodoret, Victorinus,
saint Grégoire le Grand, André de Césarée, le Vénérable Bède, saint Jean
Damascène, Théophylacte, saint Anselme, etc.
Qu'il suffise de citer les plus en renom :
Saint Jérôme : « Le Seigneur parlant de l'Antéchrist dit aux Juifs : Je suis venu au nom de mon Père, et vous
n'avez pas cru en moi ; un autre viendra en son nom, et vous le recevrez »...
Les Juifs, après avoir méprisé la vérité en la personne de Jésus-Christ,
recevront le mensonge, en recevant l'Antéchrist (1) ».
Saint Chrysostome : « Qui est celui que le Sauveur annonce comme devant
venir, mais pas au nom de son Père ? L'Antéchrist et il dénonce d'une manière
évidente la perfidie des Juifs (2) ».
Saint Ambroise : « Cela montre que les Juifs, qui n'ont pas voulu
croire en Jésus-Christ, croiront à l'Antéchrist(3) ».
Saint Ephrem : « C'est d'une manière exceptionnelle que l'Antéchrist
entourera de faveurs la nation Juive. Mais c'est aussi d'honneurs
extraordinaires que la nation déicide le couvrira et qu'elle applaudira son
règne(4)».
Saint Grégoire le Grand : « Les Juifs accorderont leur confiance à un
homme, eux qui refusent de croire au Rédempteur, alors qu'à la fin du monde ils
se donneront à l'Antéchrist(5)
».
Saint Jean Damascène : « Les Juifs ont donc rejeté le Seigneur Jésus,
Christ et Dieu, et Fils de Dieu ; ils recevront au contraire l'imposteur qui
s'attribuera avec arrogance la divinité (6) ».
Saint Hippolyte, disciple de saint Irénée et l'un des premiers qui ait
écrit sur ce sujet, fait même parler les Juifs : « Ils se diront les uns les
autres : « Se trouve-t-il dans notre génération un homme aussi bon et aussi
juste ? » Ils iront à lui et ils lui diront : « Nous te servirons tous ; nous
plaçons en toi notre confiance ; nous te reconnaissons comme le plus juste de
toute la terre ; c'est de toi que nous espérons le salut. Et ils le
proclameront Roi (7)
».
Tout étonnement cesse devant ces commentaires et ces annonces tombant
de haut, lorsque surtout on voit s'accroître chaque jour l'énorme puissance
financière des Juifs, leurs intrigues, l'escalade qu'ils font des premières
places dans les principaux États, leur entente d'un bout du monde à l'autre. En
présence d'une telle prépondérance, on n'a plus de peine à comprendre et à
admettre comment ils pourront contribuer à l'établissement de la formidable
puissance de l'Antéchrist.
Cette acclamation de sa personne et l'aide qu'ils lui apporteront sont
donc choses probables. Mais pourquoi pas certaines ?
En voici la raison :
La plupart des témoignages patristiques, relatés ci-dessus, reposent
sur cette parole de Jésus-Christ, adressée par lui aux Juifs : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne
m'avez pas reçu, un autre viendra en son nom, et vous le recevrez (8). Or, à propos de ce texte, saint Thomas
d'Aquin observe que, depuis le vrai Christ, un grand nombre de faux Christs
ayant déjà paru chez les Juifs et ayant été reçus par eux (9), il se pourrait que le texte, considéré en
lui-même, se rapportât non à l'Antéchrist, mais à n'importe lequel de ces faux
Messies, de ces faux Christs. Cependant, ajoute saint Thomas, ce texte peut
être probablement reçu selon le sens relatif à l'Antéchrist, à cause de
l'autorité des saints Pères qui l'ont entendu ainsi : « Locus probabilis est propter auctoritatem
sanctorum Patrum (10)
».
«
Les saints seront livrés entre ses mains pendant un temps et des temps et la
moitié d'un temps. »
(Dan.,
VII, 25) - « Et le Pouvoir fut donné
à la Bête d'agir pendant quarante-deux mois. » (Apoc., XII, 5.)
Il a été dit précédemment (IIè certitude) que la puissance
et la persécution de l'Antéchrist ne seraient que passagères. Cela est certain.
Mais serait-il possible d'en déterminer exactement la durée ? On ne peut faire,
à cet égard, qu'une réponse probable, non certaine, d'après les deux textes
cités. Celui de Daniel, en effet, est mystérieux : il ne précise que trois
temps et demi, sans déterminer ce qu'il faut entendre par ces expressions qui
peuvent signifier une période de jours, de mois, d'années, de siècles. De nombreux
commentateurs anciens (S. Ephrem, S. Jérôme, Théodoret, etc.), modernes et
contemporains, supposent qu'un « temps » correspond à une année. Ils ont raison. Grâce, en effet, au texte de
l'Apocalypse, celui de Daniel est éclairci. En prédisant que la domination de
l'Antéchrist ne durera que quarante-deux mois, l'Apocalypse autorise à conclure
qu' « un temps et des temps et la moitié
d'un temps » représentent trois ans et demi, durée équivalant à
quarante-deux mois(11).
Une observation ingénieuse a été faite : « Il est à remarquer que
Daniel ne dit pas simplement : trois temps et demi, mais : un temps, deux
temps... il divise ainsi l'ère de l'Antéchrist en trois périodes intégrales :
l'une relativement courte, durant laquelle l'ennemi de Dieu et des hommes
établira sa puissance ; la seconde plus longue, qui le verra exercer son
influence néfaste ; la troisième, qui semblait devoir se prolonger davantage
encore, sera au contraire très courte, parce que son pouvoir sera tout à, coup
brisé par le Seigneur (12).
»
Ce sont celles qui ne
sont établies ni par le consentement unanime des Pères, ni par des textes
précis de la Sainte Écriture.
D'après plusieurs Pères de
l'Église, suivis par certains exégètes, l'Antéchrist sortirait de la race juive
et, même, de la tribu de Dan.
« C'est ici, objecte Bossuet, une affaire non de dogme ni d'autorité,
mais de conjecture (13).
»
Ajoutons que ces conjectures ne reposent sur aucun fondement solide.
1° D'abord par rapport à la race juive. Les raisons alléguées sont les suivantes, auxquelles il sera répondu au fur et à mesure.
a) En annonçant l'Antéchrist, Daniel
l'a représenté sous la forme d'une petite
corne. Or, conclut Théodoret : « Daniel appelle l'Antéchrist une petite
corne, parce qu'il naîtra de la petite tribu des juifs (14). »
Réponse : C'est pour marquer la marche grandissante de
l'Antéchrist, les développements de son règne que Daniel le montre d'abord sous
le symbole d'une petite corne qui devient ensuite plus grande et plus forte que
les autres. (Dan., VII, 8, 20.)
b) Daniel, ch. XI, 2, dit : «
succédera un homme méprisé, à qui on n'accordera pas les honneurs royaux ; il
viendra en secret, et il s'emparera du royaume par la fraude. » Explication
de saint Jérôme : (D'après nos commentateurs, cela s'accomplira à la fin du
monde par l'Antéchrist, qui doit surgir d'une nation petite, c'est-à-dire du
Peuple juif ; ses débuts seront si humbles et il sera si méprisé qu'on ne lui
accordera pas les honneurs royaux ; mais il obtiendra le pouvoir par des
intrigues et par astuce (15).
»
Réponse : ce texte, au sens littéral, s'applique non à
l'Antéchrist mais à Antiochus qui l'a réalisé d'une manière exacte. Malgré le
surnom d'Épiphane (l'Illustre), que lui décerna la flatterie de quelques-uns de
ses sujets, Antiochus était en réalité un homme très vil et aux instincts
grossiers. Aussi le peuple ne tarda-t-il pas à parodier ce surnom, qu'il
transforma en Epimane (l'Insensé) (16). Qu'en cela Antiochus ait été la figure de
l'Antéchrist, qui réaliserait plus tard l'interprétation rapportée par saint
Jérôme, c'est possible, mais la chose reste indécise.
c) « Le Christ étant né des Hébreux, l'Antéchrist aura la même origine (17). » C'est la
raison apportée par saint Hippolyte, martyr.
Réponse : Elle n'est qu'une supposition, sous forme
d'antithèse.
d) C'est une opinion admise comme probable que les Juifs acclameront
l'Antéchrist comme le Messie qu'ils attendent. Or ils ne sauraient le faire,
qu'autant que l'Antéchrist sera de même race qu'eux-mêmes, c'est-à-dire
d'origine juive. Tel est le raisonnement de Malvenda (18).
Réponse : À travers les siècles, les Juifs ont acclamé
tous les ennemis de Jésus-Christ et de l'Église, quelle que fut leur origine,
et ils se sont faits leurs auxiliaires. Dans le grand Sanhédrin, tenu à Paris
en 1807, ils ont couvert le nom de Napoléon de louanges et de fleurs bibliques
exclusivement réservées au Messie (19), et cependant Napoléon n'était pas de sang juif. Ils
ont même reconnu le Messie dans les fameux principes de la Révolution française
: « Le Messie est venu pour nous le 28 février 1790 avec la Déclaration des
droits de l'homme (20).
» À plus forte raison, pourquoi ne le reconnaîtraient-ils pas dans un être
extraordinaire, tel que l'Antéchrist, alors même qu'il ne serait pas de leur
race ?
e) L'Antéchrist doit sortir de la tribu de Dan, l'une des douze tribus
d'Israël. Donc il sera d'origine juive.
Rép. : De toutes les raisons
alléguées, cette dernière est la plus forte. Il est évident, en effet, que si
l'Antéchrist doit être danite par le sang, sa nationalité juive demeure
indiscutable. Mais le doit-il être ?
2° L'Antéchrist descendra-t-il de la tribu de Dan ?
À cette question, les Pères, on doit le reconnaître, répondent, et en
assez grand nombre, d'une manière affirmative : L'Antéchrist sera de l'ancienne
tribu juive de Dan. Ont partagé cette opinion saint Irénée, saint Hippolyte,
saint Ambroise, saint Augustin, saint Prosper, Théodoret, saint Eucher, saint
Anastase le Sinaïte, saint Grégoire le Grand, saint Isidore, le Vénérable Bède,
saint Anselme, Rupert, Richard de Saint-Victor, saint Antonin, et de non moins
nombreux exégètes.
Sur quoi appuient-ils leur sentiment ? Sur les trois textes suivants
des Écritures :
a) Sur un passage de la fameuse prophétie de Jacob, où le
patriarche mourant découvre l'avenir des douze tribus d'Israël, représentées
par ses douze fils. Arrivé à Dan, il s'écrie : « Que Dan devienne comme un serpent dans le chemin, et comme un, céraste
dans le sentier, qui mord le pied du cheval, afin que celui qui le monte tombe
à la renverse (21) ». Le céraste ou le serpent à cornes
est un reptile des plus dangereux. Il se cache dans le sable, et s'élance sur
le cavalier et sur sa monture. De ces images peu favorables, les Pères
susnommés ont conclu que l'Antéchrist appartiendrait à la tribu de Dan.
Rép. : Le sens de cette prophétie est que Dan suppléera par la ruse à
ce qui lui manquera en force. La ruse n'est pas méprisée chez les Orientaux, au
contraire, elle est aussi estimée que la bravoure. Ce caractère, qui joint à la
force la finesse et la ruse, et au besoin supplée par la ruse à la force,
paraît déjà dans l'expédition des Danites contre Laïs (Juges, XVIII, 28-29) ;
mais c'est surtout dans Samson, originaire de la tribu de Dan, que cette
prophétie a reçu une éclatante réalisation. On sait toutes les embûches que
Samson dressa aux Philistins. Mais, dans ce texte, il n'y a aucun indice qui
autorise à le rapporter à l'Antéchrist, bien que Cornélius Lapierre dise : «
Jacob ad litteram hæc prædixit de Samsone, allegorice de Antichristo (22). »
b) Sur un texte de Jérémie,
VIII, 16 : « Depuis Dan on entend le
frémissement de ses coursiers ; tout le pays est ébranlé par les hennissements
de ses chevaux de guerre : ils sont venus, et ils ont dévoré le pays et ce
qu'il renferme, la ville et ses habitants. »
Rép. : Il s'agit de
l'invasion chaldéenne. L'armée de Nabuchodonosor est arrivée à Dan, sur la
frontière septentrionale de la Palestine. Déjà on entend les hennissements de
ses chevaux. Et Jérémie, qui a prêché en vain la pénitence, ajoute : « Ma douleur est au-dessus de toute douleur ;
mon cúur est languissant au dedans de moi (23) ». C'est donc Nabuchodonosor, suscité de
Dieu pour être son vengeur, qui est annoncé comme arrivant de Dan, et non
l'Antéchrist.
c) Sur le silence que garde
saint Jean par rapport à Dan dans l'énumération qu'il fait des tribus d'Israël,
au chapitre VII de l'Apocalypse. On en a tiré cette conclusion : Puisque toutes
les tribus d'Israël, sauf celle de Dan, fournissent leur contingent à la
Jérusalem céleste décrite par saint Jean dans ce chapitre, c'est sans doute en
haine de l'Antéchrist que la tribu de Dan n'est pas nommée.
Rép. : Le silence de saint Jean, s'il est réel, ne prouve rien, attendu que
dans la plupart des énumérations bibliques il y a toujours quelque tribu omise.
Ici, c'est Lévi, Nomb., XIII ; là,
c'est Siméon, Deuter., XXIII. Du reste, il n'est pas certain que le
silence de saint Jean soit réel, et on peut penser avec D. Calmet que cet
apôtre n'avait pas omis Dan. Un des premiers copistes, trompé par la similitude
du Æ et du M aura lu Mav au lieu de Æav et aura écrit Man., abrégé de Manassé,
qui serait ensuite passé dans le texte. L'hypothèse est d'autant plus plausible
que la présence de Manassé dans l'énumération de l'Apocalypse n'a pas de raison
d'être, puisque cette tribu n'est qu'une division de la tribu de Joseph, dont
le nom est mentionné en cet endroit.
Bien que les trois textes scripturaires allégués pour établir l'origine
danite de l'Antéchrist ne soient pas probants, néanmoins il y aurait lieu de
tenir compte de l'autorité des Pères qui s'autorisent de ces textes, s'ils les
faisaient reposer sur une tradition. Or, tel n'est pas le cas en cette
question. Non seulement ils ne mentionnent aucune tradition positive, mais
plusieurs se servent d'expressions dubitatives telles que celles-ci : « On
pense (existimatur)(24)....
Moi je pense (ego arbitror) (25)...
Quelques-uns rapportent (nonnuli ferunt) (26)... Il est rapporté (Fertur) (27)... Quelques-uns disent (Dicunt quidam) (28)... etc. À ces
expressions qui dénotent des opinions personnelles plutôt qu'une tradition, si
on ajoute la non unanimité des Pères, et aussi ce fait historique et
indubitable que, depuis bientôt vingt siècles, toutes les tribus d'Israël sont
confondues dans un pêle-mêle inextricable et que les généalogies ont péri, on
conviendra que l'opinion qui fait sortir l'Antéchrist de la tribu de Dan est
bien discutable.
En résumé la nationalité juive de l'Antéchrist reste indécise. Elle n'est ni certaine, ni
probable, mais seulement possible :
rien de plus. L'événement seul tranchera la question.
Saint Jean l'a indiqué, mais
d'une manière extrêmement mystérieuse en donnant seulement le chiffre de ce nom
: «...Que personne ne puisse acheter ni vendre, s'il n'a la marque ou le nom de
la Bête, ou le chiffre de son nom... Que celui qui a de l'intelligence calcule
le nombre de la Bête ; car c'est un nombre d'homme, et son nombre est six cent
soixante-six. » (Apoc., XIII, 17-18.)
Chez les anciens, et notamment chez les Hébreux, les Grecs et les
Latins, on se servait des lettres de l'alphabet en guise de chiffres. Chaque
lettre avait ainsi sa valeur numérale. D'où le procédé suivant : En
additionnant la valeur numérique des lettres employées dans tel passage, on obtenait
un chiffre, et avec les lettres qui représentaient le total, on trouvait un
nom. Le nombre de la Bête étant 666, on a donc entrepris de transformer les
chiffres de ce nombre en lettres et d'en composer le nom mystérieux de
l'Antéchrist. On l'a tenté en grec, en hébreu et en latin. Peine inutile ! Les
résultats qu'on a obtenus différent trop, entre eux, pour qu'on puisse y voir
rien de précis et de définitif.
Selon la valeur des lettres grecques, le nom de l'Antéchrist serait
l'un des suivants :
Selon la valeur des lettres hébraïques, le nom de l'Antéchrist serait
Latinus (Latin) - Nero Cesar - Elion Adonai Jéhova hakados (Altissimus Dominus
Jehova sanctus (d'après Malvenda) (29).
Selon la valeur des lettres latines, le nom de l'Antéchrist serait :
Dioclès Augustus (Dioclétien), proposé par Bossuet - Caïus César (Caligula),
etc.
De ces divers exemples on peut conclure combien on s'est fatigué en
vain pour découvrir le nom de l'homme de péché. Il demeure chose indécise. Au
reste, « il est loin d'être sûr qu'il faille chercher un nom propre d'homme,
avec ou sans titre de dignité, dans le chiffre 666. Nous sommes ici en face
d'une énigme dont l'apôtre saint Jean n'a peut-être jamais révélé le secret à
Personne, puisque les commentateurs les plus anciens et saint Irénée lui-même,
quoiqu'il eût connu des disciples de saint Jean, n'en ont proposé l'explication
qu'avec hésitation et incertitude. Il faudrait des pages entières pour énumérer
seulement les personnages que l'on a cru découvrir dans ce nombre. Mais
peut-être appartient-il à l'avenir seulement de nous révéler le mot de
l'énigme, et quand le vrai Antéchrist aura paru, ce qui est si obscur
aujourd'hui sera-t-il alors comme la lumière du jour (30). »
On sait que dans la secte des Francs-maçons les nombres jouent un grand
rôle (31). Chaque
grade y est caractérisé par un nombre spécial. Des noms ne le sont-ils pas
aussi ? Qui sait ? Ce nombre 666 indique peut-être le numéro et le nom que
l'Antéchrist portera parmi les sociétés secrètes qui ne manqueront pas de se
presser à sa suite.
Encore deux opinions :
1° La première se présente avec
saint Irénée qui s'exprime ainsi : « L'Antéchrist, au temps de son règne, transférera le siège de son
empire dans la Jérusalem terrestre (32) ». À la suite de saint Irénée figurent saint Hippolyte,
Sulpice Sévère, Andréas évêque de Césarée, Arétas, Rabanus, Sandérus,
Bellarmin, Bécan, Viégas, Lessius, Ferrerius, Corn. a Lapide et aussi le docte
Suarez dont voici les paroles : « Il est à croire que le règne de l'Antéchrist
s'établira surtout chez les Juifs, et qu'il restaurera la cité de leurs pères
dont ils se sont toujours glorifiés ainsi que de son temple (33). »
Les partisans de cette opinion se fondent :
a) Sur un texte de l'Apocalypse qui dit que les deux
témoins de Dieu, Enoch et Élie, adversaires de l'Antéchrist, seront mis à mort dans la grande ville où
leur Seigneur a été crucifié (34). Ces mots
caractérisant Jérusalem, on en conclut que si les deux témoins sont mis à mort
dans cette ville, c'est que l'Antéchrist y aura le siège de son empire.
b) Cette opinion se fonde encore sur des raisons de convenance.
Comme ç'a été en Judée et plus spécialement à Jérusalem que le Christ,
durant sa vie terrestre, a établi le siège de son empire spirituel ; comme
c'est là qu'il est né, qu'il a vécu, prêché, opéré ses miracles, établi
l'Évangile ; qu'il y a été crucifié, qu'il y est mort, ressuscité, monté au
ciel ; qu'il y a enfanté l'Église ; en un mot, qu'il y a accompli toute
l'économie divine préordonnée de toute éternité en vue du salut du genre humain
: pour tous ces motifs l'Antéchrist, inspiré par Satan, reviendra, afin de
réaliser pleinement sa mission infernale d'adversaire du Christ, sur toutes les
étapes de la vie du Sauveur, pour les combattre, les effacer, les détruire.
Dans ce but, c'est à Jérusalem qu'il fixerait aussi le siège de son empire
diabolique.
De plus, si l'Antéchrist agissait autrement, pourrait-il se faire
accepter comme Messie par les Juifs, qui rêvent une gloire terrestre pour
Jérusalem et s'imaginent que cette ville deviendra, dans l'avenir, le siège de
l'empire messianique ? Cette dernière raison semble se fortifier, de nos jours,
par l'apparition du Sionisme. En voici le programme : « Les temps ne sont-ils
pas venus de reconstituer cette nationalité juive pour laquelle, du fond de ses
synagogues et de ses ghettos, Israël n'a pas cessé de soupirer ? » Une vaste
association s'est donc formée entre les Juifs croyants du monde entier, en vue
de récupérer la Palestine et Jérusalem. Sept congrès se sont déjà tenus à Bâle pour
en trouver les moyens. Le dernier, du 27 au 30 juillet 1905, a été
particulièrement intéressant au point de vue qui nous occupe. S. M. le Sultan
de Constantinople ne se montrant point favorable aux désirs des Sionistes,
l'Angleterre avait gracieusement offert un vaste terrain dans l'Ouganda, à
l'est de l'Afrique centrale, pour y essayer la formation d'un État juif
autonome. Le Congrès, composé de plus de huit cents délégués du Judaïsme
mondial, a adopté, à une forte majorité, la résolution suivante : « Le Congrès
maintient fermement les principes de son programme tendant à établir une patrie
pour le peuple juif en Palestine. Il refuse toute colonisation hors de la
Palestine ou des pays voisins.
« Le Congrès vote des remerciements au gouvernement anglais pour son
offre d'un territoire en Afrique orientale (35). »
Serait-ce un acheminement à l'établissement du siège de l'Antéchrist à
Jérusalem, grâce au concours futur des Juifs ?
2° La deuxième opinion désigne la Rome des Papes comme siège de cet empire, et voici ses arguments.
Reprenant d'abord le texte de saint Jean touchant la mort des deux
témoins (36) Enoch
et Élie, elle fait remarquer, et avec raison, qu'il n'est pas concluant. Il se
pourrait, en effet, que ces deux témoins fussent mis à mort dans Jérusalem par
ordre de l'Antéchrist, sans que celui-ci y ait alors le siège de son empire, et
même sans qu'il y soit résidant.
Rome, au contraire, ne semble-t-elle pas indiquée ? C'est là que, pour
mieux faire opposition au vrai Christ, l'Antéchrist établirait le siège de sa
puissance. Il siégerait à Rome redevenue païenne, selon une ancienne tradition (37), et, se posant
en face du chef de l'Église, il ressusciterait l'empire romain ou latin. Il
semble que ceux qui préparent le règne de l'Antéchrist, aient conçu et adopté
ce plan. C'est contre Rome, en effet, que se coalisent, depuis des années, les
efforts de toutes les sectes maçonniques. Rome redevenue païenne, ce serait
l'étape préparatoire à la royauté romaine de l'Antéchrist. Une grave allocution
de Léon XIII donne à réfléchir. C'est dans le Consistoire du 30 juin 1889
qu'elle a été prononcée :
« Il est douloureux à constater que dans cette auguste Ville où Dieu a
établi le domicile de son Vicaire retentisse l'éloge de la raison humaine en
révolte contre Dieu, et que là où le monde entier a été instruit à demander les
purs principes de l'Évangile et les conseils du salut, aujourd'hui, par l'effet
d'un bouleversement criminel, des erreurs coupables et l'hérésie elle-même
soient impunément consacrées par des statues. Les événements nous ont conduits
à ce point que nous voyons l'abomination de la désolation dans le lieu saint...
C'est à un homme impie et perdu de moeurs qu'on élève un monument (38). Cette ville de
Rome, qu'on affirmait devoir être toujours le siège glorieux et assuré des
Pontifes Romains, on veut en faire la tête d'une impiété nouvelle en y fondant
le culte absurde et insolent de la raison humaine portée comme à un faite
divin. »
La douleur que Léon XIII épanchait de la sorte au sein du Sacré Collège,
il l'exprimait quelques années plus tard, le 8 décembre 1892, au peuple italien
tout entier :
« Peut-on voir sans pleurer la partie la plus privilégiée du troupeau
de notre adorable Rédempteur, un peuple toujours demeuré fidèle pendant
dix-neuf siècles, exposé aujourd'hui à toute heure au péril imminent de
l'apostasie et entraîné dans la voie des erreurs et des vices, des misères
matérielles et des abjections morales ?... Mais d'où vient-elle cette guerre ?
Elle sort surtout de cette secte maçonnique dont Nous vous avons entretenus au
long dans l'Encyclique Humanum genus, du
20 avril 1884, et plus récemment, le 15 octobre 1890, en Nous adressant aux
évêques, au clergé et au peuple d'Italie. Par ces deux lettres, Nous avons
arraché le masque dont la maçonnerie se couvrait aux yeux du peuple, et Nous
l'avons dévoilée dans sa hideuse difformité, dans son action ténébreuse et
funeste... Grâce aux complots, à la corruption et à la violence, elle est
parvenue à dominer l'Italie et Rome elle-même...(39). »
Dans l'Encyclique Humanum genus, rappelée
par l'auguste Pontife et l'une des premières de son Pontificat se trouvait déjà
cet avertissement solennel :
« Dans l'espace d'un siècle et demi, la secte des francs-maçons a fait
d'incroyables progrès. Employant à la fois l'audace et la ruse, elle a envahi
tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des
États modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté... À
l'égard du Siège Apostolique et du Pontife romain, l'inimitié de ces sectaires
a redoublé d'intensité. Après avoir, sous de faux prétextes, dépouillé le Pape
de sa souveraineté temporelle, nécessaire garantie de sa liberté et de ses
droits, ils l'ont réduit à une situation tout à la fois inique et intolérable,
jusqu'à ce qu'enfin, en ces derniers temps, les fauteurs de ces sectes en
soient arrivés au point qui était depuis longtemps le but de leurs secrets
desseins : à savoir que le moment est venu de supprimer la puissance sacrée des
Pontifes romains et de détruire entièrement cette Papauté qui est d'institution
divine...(40). »
Aux deux opinions exposées, l'événement accompli donnera une solution
péremptoire. Jusqu'à cette époque, elle demeure indécise. Si Jérusalem devient
le siège de l'empire de l'Antéchrist, ses principaux fauteurs auront été les
Juifs ; si c'est Rome, ce seront les Francs-Maçons.
Saint Paul a dit : « L'adversaire qui
s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu'à
s'asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu. » (II
Thess., II, 4.)
Quel sera le temple témoin de
cette abomination ?
a) Une première opinion désigne le temple de Jérusalem
qui serait en partie ou en totalité relevé de ses ruines par l'Antéchrist, et
où il se ferait rendre les honneurs divins. Elle est adoptée par saint Irénée,
saint Hippolyte, saint Cyrille de Jérusalem, saint Damascène, Sever, Sulpicius
et un certain nombre d'exégètes tant anciens que modernes. C'est selon son sens
propre et littéral qu'il faut, disent-ils, prendre le mot temple. Car, au temps de saint Paul, auteur de cette épître aux
Thessaloniciens, c'était le temple de Jérusalem qui portait le nom de Temple par antonomase ; on le désignait
simplement par ce nom, comme cela ressort de saint Luc (Act. III et V) et
d'autres textes. Alors il n'existait pas encore de temples chrétiens, et seul
le temple de Jérusalem était appelé Temple de Dieu. Il est donc plus
vraisemblable, dit Suarez, que c'est de lui qu'a parlé saint Paul, (41).
b) À l'encontre de ce sentiment, une seconde opinion répond qu'il n'est
point démontré que saint Paul, en prédisant que l'Antéchrist s'assiéra dans le Temple de Dieu, ait eu en vue celui de
Jérusalem. En effet, saint Jérôme, expliquant les paroles de l'Apôtre, dit : « Il s'assiéra dans le Temple de Dieu, c'est-à-dire
ou dans Jérusalem, comme quelques-uns le pensent, ou dans l'Église, ce qui nous
paraît plus vrai (42).
» Saint Chrysostome dit aussi : « Non dans le temple de Jérusalem, mais dans le
temple de l'Église (43).
» Mais comment l'Antéchrist s'assiérait-il dans le temple de l'Église ?
Théodoret l'explique : « Ce que l'Apôtre appelle le Temple de Dieu, ce sont les églises dans lesquelles cet impie
prendra le premier rang, la première place, s'efforçant de se faire reconnaître
pour Dieu (44). »
Théophylacte l'explique encore plus clairement : « Non pas dans le temple de
Jérusalem, mais simplement dans les églises, dans tout temple consacré à Dieu (45). » C'est aussi
le sentiment de saint Hilaire, de Cajetan, Villalpand, Estius, etc.
Devant ce partage d'opinions, saint Augustin a jugé la question
indécise : « Quel est le Temple de Dieu où
l'Antéchrist doit s'asseoir ? Sera-ce sur les ruines du Temple que Salomon
avait fait bâtir ? Sera-ce dans l'Église de Dieu ? Cela est incertain(46) ». Il faut se
mettre à la suite de l'évêque d'Hippone et convenir que cette question, comme
celle relative au siège de l'empire de l'Antéchrist, reste indécise.
Plusieurs Pères et plusieurs exégètes, entraînés par leurs études, ont
tenté de pénétrer plus avant et jusque dans l'intime de la vie de l'Antéchrist.
Nous ne rejetons pas a priori les
opinions qu'ils ont émises et nous gardons bien de les taxer de faussetés. Mais
comme ces opinions n'ont pour base ni des textes évidents de l'Écriture, ni la
Tradition patristique, nous les rangeons sous la rubrique de fantaisistes, n'attachant d'ailleurs à
cette expression rien de blâmable ni d'irrespectueux, et seulement le sens
d'opinions libres et peu fondées. L'événement pourra seul leur faire attribuer
la note qui leur convient. Mais s'il advient qu'un démenti leur soit donné, il
ne faudra pas oublier que fréquemment les Pères et les exégètes n'émettent que
des opinions personnelles, sans avoir le moins du monde la prétention de
trancher les questions. In dubiis
libertas, a dit saint Augustin ; et c'est pourquoi les Pères et les
exégètes en question ont droit qu'on respecte leur sentiment jusqu'à preuve
historique du contraire ; et si l'événement oblige, dans l'avenir, à
l'abandonner, que ce soit toujours en sauvegardant l'honneur des personnes et
leur autorité.
Ce principe de loyale et respectueuse exégèse établi, on peut se
demander ce qui a déterminé et tracé pour plusieurs cette voie de fantaisie. La réponse ressort elle-même
de leurs pages : ce sont les attraits du
figurisme :
On sait que l'Église a toujours enseigné l'existence d'un sens figuré
dans la sainte Écriture, et cette existence repose sur l'affirmation de la
parole de Dieu elle-même : Ces choses leur arrivaient en figure, dit
saint Paul, rappelant plusieurs traits du séjour des Israélites dans le désert(47). Notre-Seigneur
lui-même a établi l'existence du sens figuré en nous montrant dans Jonas,
enseveli pendant trois jours dans le ventre d'un poisson, l'image allégorique
de son séjour au tombeau (48).
Mais si certains passages de l'Écriture présentent un sens figuré en sus du sens
littéral, il y a un danger à éviter, qui consiste soit à rechercher ce sens
figuré dans chaque passage de l'Écriture, soit à le multiplier outre mesure. On
tombe alors dans l'erreur du figurisme.
Mais comment l'Antéchrist a-t-il
pu devenir le point de mire d'études figuristes et occasionner les choses fantaisistes qui vont être
énumérées ?
Voici comment :
Il y a dans le livre de Daniel un chapitre, le XIè, tout
particulièrement consacré à Antiochus Épiphane et à ses gestes (du vers. 21 au
vers. 45). Son nom n'est point mentionné ; il est uniquement désigné par
l'appellation de roi du Nord ou de l'Aquilon. La plupart des interprètes,
anciens et modernes, n'ont pas hésité à le reconnaître, tant les événements,
décrits d'avance, se rapportent exactement à son règne. Il y a plus : on admet
encore généralement qu'Antiochus est la figure de l'Antéchrist. Mais là
commencent les divergences et aussi l'occasion des abus.
Selon quelques-uns, le morceau entier (vers. 2l-45) ne se rapporterait
qu'à l'Antéchrist.
Selon d'autres (surtout au temps de S. Jérôme), il se rapporterait
littéralement à Antiochus ; au figuré, à l'Antéchrist.
D'autres pensent qu'il n'est question de l'Antéchrist qu'à partir du
verset 36.
D'autres enfin que certains traits seulement lui sont consacrés.
Ce sont les partisans des trois premières opinions, notamment des deux
premières, qui ont peut-être exagéré les rapports entre Antiochus et
l'Antéchrist. En quoi les auraient-ils exagérés ? En ce qu'ils se sont emparés
de chaque verset de cette page biblique pour en composer, comme s'ils étaient
des documents historiques, une vie anticipée et détaillée de l'Antéchrist.
Assurément Antiochus Épiphane doit être considéré comme le type le plus
complet, le plus achevé, de l'Antéchrist. Nous-même, en cet écrit, avons plus
d'une fois signalé les rapports existants entre ces deux adversaires du vrai
Dieu. Mais ces rapports doivent être établis avec modération. Il ne faut pas
perdre de vue cette vérité essentielle, à savoir que les personnages devenus, par
une permission divine, des types de l'avenir, forma futuri (49), ne le sont
point ordinairement dans la totalité de leur vie, c'est-à-dire dans chacun de
leurs actes. Nous n'entendons point assurément limiter l'action de l'Esprit Saint,
mais constater un fait général. C'est seulement par tels ou tels traits de leur
existence que les personnages figuratifs ont annoncé l'avenir. Par rapport au
vrai Christ, Melchisédech ne l'a figuré que dans son double caractère de Roi et
de Pontife ; Isaac, dans sa patience et son sacrifice ; Jacob, dans sa vie
voyagère et ses rudes labeurs ; Joseph, dans les persécutions que lui firent
subir ses frères et dans son élévation. Or il en est de même de la personne et
de la vie de l'Antéchrist. Elles n'ont été figurées que sous tel ou tel aspect
par divers personnages, Néron, Galère, Julien l'Apostat, Mahomet, Antiochus
Épiphane, jamais en totalité. Ce serait donc par un abus du sens figuratif
qu'on a cru pouvoir tracer d'avance la vie de l'Antéchrist en la calquant sur
celle d'Antiochus, d'après tous les versets et tous les détails du chapitre XI
de Daniel. S'il y a eu excès, les auteurs engagés dans cette voie l'auraient
évité, en éclairant leur marche de cette règle spéciale du sens mystique : « Il
ne faut jamais attribuer à l'Écriture un sens mystique qui ne soit confirmé par
quelque autre passage de l'Écriture entendu dans un sens littéral, autrement on
attribuerait aux Livres saints une doctrine qu'ils n'enseignent point (50). »
C'est en dehors de cette règle qu'il a donc été annoncé, peut-être avec
danger d'erreur :
(S. Jérôme (51), André de Césarée, Arétas, Bède, Haimo, Rabbanus,
Strabus, S. Anselme, Rupert, Petrus Comestor, Ludolphe le Chartreux, S.
Antonin, J. Gerson), - en Syrie
(Lactantius Firmianus) ; - en Égypte (Anastasius
Sinaïta).
(S. Hippolyte, S. Ephrem, S. Damascène, Dom. Soto).
villes maudites par Jésus-Christ (Rabbanus, S. Anselme, S. Antonin).
qui, dès son enfance, le pénétreront de leurs principes, et
l'instruiront dans les sciences occultes (S. Cyrille de Jérusalem, Rabbanus,
Viguerius, Lyranus).
(S. Anselme).
cependant il ne pourra exercer aucun acte efficace à son égard, à cause
de son obstination et de l'influence des démons sur lui (S. Antonin, Bened.
Justinianus).
(S. Jérôme, André de Césarée,
Arétas), - à Capharnaüm et Corozaim (S. Antonin).
mais qu'en ayant vaincu trois, le roi d'Égypte, le roi d'Afrique et le
roi d'Éthiopie, les sept autres se soumettront. Qu'il éprouvera une défaite
navale de la part de certains peuples les occidentaux, mais qu'il ne tardera
pas à réparer cet échec passager ; qu'ayant triomphé de tous ses ennemis, il
deviendra maître de la terre entière (S. Hippolyte, S. Irénée, S. Cyrille, S.
Jérôme, Théodoret, S. Ephrem, Lactance, V. Bède, S. Anselme, etc.).
Que les démons lui découvriront tout l'argent caché, toutes les mines
précieuses, en sorte qu'il possédera en abondance l'or et l'argent et s'en
servira pour séduire (S. Anselme, Petr. Comestor).
guérissant les lépreux, les aveugles, faisant marcher les paralytiques,
ressuscitant même les morts (S. Hippolyte, S. Ephrem, Lactance, S. Anselme,
etc.).
s'adonnant aux turpitudes de la passion des femmes (Théodoret).
sa cour, ses vêtements, ses objets précieux, ses parfums, ses repas
n'ont pas échappé à une description minutieuse (Malvenda).
alors qu'il tentera de s'élever dans le ciel, à l'exemple du Sauveur.
(S. Jérôme, Théodoret, S, Ambroise, Lyranus).
Cet ensemble de détails ne constitue-t-il pas comme une vie de
l'Antéchrist vécue d'avance ? Doit-on les mépriser et les écarter comme
inventions fausses et imaginaires ? Non, car dans le domaine du mal tout est
possible, Satan devant être l'auxiliaire de l'Antéchrist. Mais des points
d'interrogation doivent cependant être placés à la suite de chacun d'eux. Tous
ces détails, en effet, ne sauraient être admis ni comme certains, ni comme
probables, ni même comme indécis, l'indécision supposant, elle aussi, un point
de repère.
Or, ni les uns ni les autres de ces détails ne se trouvent confirmés
par des textes précis de l'Écriture entendus dans leur sens littéral, pas plus
qu'ils ne reposent sur une indéniable tradition.
Cette tradition fait défaut, puisque, des choses avancées, les unes ne
sont émises que par des Pères isolés, les autres par des Pères en plus grand
nombre sans doute, mais dont le chiffre ne suffit pas à constituer le
consentement unanime, base d'une tradition indiscutable. Les dires de ces Pères
ne sont que des opinions personnelles, dignes d'attention et de respect, mais
en dehors des anneaux formant la chaîne traditionnelle.
De plus, point de textes scripturaires évidents. C'est principalement
sur le chapitre XI de Daniel, entendu selon le sens figuré ou mystique, que ces
opinions reposent. Mais, pour présenter de la valeur, elles devraient avoir
également l'appui de quelque autre passage de l'Écriture entendu dans son sens
littéral. Or, cet appui, c'est en vain qu'on le cherche pour elles. Aucun des
trois portraits de l'Antéchrist, contenus aux chapitres VII de Daniel, XIII de
l'Apocalypse, II de la IIè épître aux Thessaloniciens, étudiés dans
leur sens littéral, ne confirme ces diverses allégations relatives à la vie de
l'Antéchrist. Encore une fois, nous ne les rejetons point, pas plus que nous ne
les admettons. Plusieurs d'entre elles peuvent être vraies, comme elles peuvent
être fausses. Jusqu'à ce que l'avenir en décide, elles ne doivent être
regardées et acceptées que comme des fantaisies,
des suppositions.
Mais en voilà assez de cet horizon noir, tout rempli de l'homme du péché, de celui que saint
Irénée a appelé « le résumé de l'universelle iniquité (52) ». Portons nos regards d'un autre côté, là
où des vaillances entourées de lumière se dessinent. Ce sont les champions des
Vérités chrétiennes qui vont apparaître. Ils auront la mission de combattre,
contre l'Antéchrist, les combats du Seigneur.
(1) Hieron., Epist. 151,
ad Algasiam, quest. II. - Comm. in Dan., II, 24 ; - in Abdiam, XVIII ; - in
Zachar., II, 17.
(2) Chrysost., Homil. XI, in Joannem.
(3) Ambros., in Psalm., XLIII.
(4) Ephr., Serm. de Antichr.
(5)
Grégor. Magn ; in I Regum, II.
(6)
Joan. Damasc., De fide orthodoxa, lib. IV, cap. XXVII.
(7)
Hippol., Oratio de consummat. mundi.
(8)
S. Jean, V, 43.
(9)
Enumérons certains de ces faux Christs : Theudas, en Palestine, l'an 45. -
Simon le Magicien en Palestine, an 34-37. - Ménandre, même époque. - Dositée en
Palestine, an 50-60. - Bar-Kochbas en Palestine, an 138. - Moïse dans l'ile de
Crète, an 434. - Julien en Palestine, an 530. - Un Syrien sous le règne de Léon
l'Isaurien, an 721. - Sérénus en Espagne, an 724. -Un autre en France, an 1137.
- Un autre en Perse, an 1138. - Un autre à Cordoue, an 1157. - Un autre à Fez,
an 1167. - Un autre en Arabie, an 1167. - Un autre en Babylonie, an 1168. - Un
autre en Perse, an 1174. - David Almusser en Moravie, an 1176. - Un autre, an
1280. -David Eldavid en Perse, an 1200. - Ismaël-Sophi en Mésopotamie, an 1497.
- Le rabbin Lemlen en Autriche, an 1500. - Un autre en Espagne, an 1534. - Un
autre dans les Indes-Orientales, an 1615. - Un autre en Hollande, an 1624. -
Zabathaï Tzevi en Turquie, an 1666.
(10) S. Thomas, Opusc. de Antichristo, Sect. I, §. Dico
tertio. - Suarez, De Antichristo, Sect., I, n° 7.
(11) « Ces expressions : un temps, des temps et la moitié d'un
temps, signifient un an et deux ans et la moitié d'un an ; et par conséquent
trois ans et six mois.., et, dans un autre passage des Écritures, le nombre des
mois le déclare. » (S. Augustin, Cité de
Dieu, liv. XX, n°23.)
- La
persécution d'Antiochus a duré également trois ans et demi.
Antichristi
suprema potestas ac monarchia tantum par tres annos et dimidium durabit. Loquor
autem de monarchia et suprema potestate, quia, ut dicitur, data est illi potestas in omnem tribum, et populum, et linguam et
gentem. Quantum vero temporis in augenda stabiliendaque monarchia ponere
debeat, non mihi constat ; quia neque ex prúdictis locis satis colligitur, neque
videtur admodum verisimile, brevi tempore trium annorum cum dimidio haec omnia
esse perfecturum. Illud ergo solum est certum, ad summum permansurum in throno
suo tribus annis cum dimidio, statimque et ipsum interficiendum, et regnum ejus
evertendum. » (Suarez, De Antichr., sect.
II, n°3)
(12) Fillion, La Sainte Bible commentée : Daniel, ch. VII, V.
23-27.
(13) Bossuet, Apocalypse, préface, § 13.
(14) Théodoret, oratio 7 in Danielem.
(15) Hierony., In Dan., XI, 21.
(16) Fillion, La sainte Bible commentée.
(17) Hippoly., De consummatione mundi.
(18) Malvenda, De Antichristo, liv. III, ch. V. « Cùm
exploratum sit Antichristum Judæis pro vero Messia recipiendum, quis nescit
Judúos nullum unquam pro Messia habituros, cujus originem non habeant compertam
Judaici sanguinis esse. »
(19) Procès-verbaux du Grand Sanhédrin.
(20) Arch. Israël., ann. 1847, p. 801.
(21) Gen., XLIX, 17.
(22) Corn. a Lap., Gen.,
XLIX.
(23) Jér., VIII, 18.
(24) S. Augustin.
(25) Théodoret.
(26) S. Grégoire le Grand, Rupert.
(27) André de Césarée.
(28) Bède, Alcuin.
(29) Malvenda, De Antichristo, lib. IX.
(30) Vigouroux, Les
Livres saints et la critique rationaliste, t. IV, p. 636 ; 2e
édit.
(31) Voir Dom Benoit, La
Franc-Maçonnerie, t.I. p. 247-262, Paris 1886.
(32) Iren., Adv. húres.,
lib. V, cap. xxv.
(33) Suarez, De Antich., sect. V, obj. VI.
(34) Apoc., XI, 7 -8.
(35) Archives Israélites, 10 août 1905, p. 249-252. - Voir
notre ouvrage l'Avenir de Jérusalem (Espérances et chimères) : Réponse aux
Congrès Sionistes, Paris, librairie Poussielgue.
(36) Apoc ;,XI, 7-8
(37) Sur cette tradition, voir Cornel. à Lapide, II Epit. aux Thess., II, 7. et Comm. sur l'Apoc., ch. XVII, 1-2. - Dans
l'édition Vivès, t. XIX. p. 155 et t. XXI, p. 307-309. Elle est adoptée, entre
autres exégètes, par Sixte de Sienne, Bellarmin, Alcazar, Salmeron, Suarez. -
Cfr. Drach, Comment sur l'Apocal., p.
127.
(38) Erection du monument de Giordano Bruno.
(39) Lettre de S. S. Léon XIII au peuple italien, le 8
décembre 1892. - Comme preuve des légitimes doléances de Léon XIII, qu'on lise
le document suivant du grand-maître de la Franc-Maçonnerie, Lemmi, document qui
fut distribué à tous les francs-maçons d'Italie :
«...
Du T..., 10 octobre 1890.
« Aux
Vénérables Frères des Loges italiennes,
« L'édifice que les FF... sont en voie d'élever
dans le monde ne pourra être regardé comme arrivé à bon point tant que les FF...
d'Italie n'auront pas fait don à l'humanité des décombres de la destruction du grand ennemi.
«
L'entreprise avance rapidement en Italie..... Nous avons appliqué le ciseau au
dernier refuge de la superstition, et la fidélité du F... 33.. qui
est à la tête du pouvoir politique (M. Crispi) nous est une garantie que le Vatican tombera sous notre marteau
vivifiant.
« Mais il est
nécessaire que, lors des prochaines élections politiques, quatre cents FF...
au moins entrent à la Chambre législative comme députés.....Les derniers
efforts rencontreront de plus grands obstacles du côté du chef des
prêtres et de ses vils esclaves......
« Le G...O...
invoque le génie de l'humanité pour que tous les FF... travaillent
de toutes leurs forces à disperser les
pierres du Vatican pour construire avec elles le temple de la Nation
émancipée.
« Le G...O...de
la Vallée du Tibre. »
(40) Encyclique Humanum
genus de S. S. Léon XIII, 20 avril 1884.
(41) Suarez, De Antichristo, sect. V.
(42) Hieronym., Ad
Algariam, quúst., II.
(43) Chrysost., In
II ad Thessal., II.
(44) Théodor., In II
ad Thessal., II.
(45) Théophy., In II ad Thessal., II.
(46) August., Civit. Dei, lib. XX, n° XIX.
(47) 1 Cor., X, 11.
(48) Joa, III, 14 ; Matth., XII, 40.
(49)
(50) « Nihil est sub sensu spirituali alicui loco tribuendum
quod non per alium locum in sensu litterali manifeste traditum inveniatur, ut
quanquam quæ in uno loco exponuntur, ad tropologiam vel allegoriam spectent, in
aliis tamen locis ad litteram dicta ostendantur. » (Salmeron, Comm. in Evangel. hist., prol. XIX, canonV, 1592,
t.I, p. 345. - Vigouroux, Man. bibl., t.
I, p. 285, 8è édition.
(51) Les noms entre parenthèses sont ceux des principaux
partisans des diverses opinions.
(52) « Recapitulatio universæ iniquitatis. (Iræn., Adv. húres., lib. V, c. XXVIII.)
Ce qu'ils seront au point de vue de l'énergie de la foi, saint Augustin
l'a exprimé dans ce cri d'admiration : « Que sommes-nous en comparaison des
saints et des fidèles des derniers temps, puisque, pour les éprouver, Dieu
déliera un ennemi (1), contre lequel, quoique enchaîné, nous
ne pouvons lutter qu'avec de si grands dangers ? (2) » Saint
Hippolyte a dit aussi : « O heureux ceux qui vaincront un tel tyran ! Ils
seront, il faut l'avouer, plus illustres et plus héroïques que leurs devanciers
(3) ».
Quels seront-ils donc ces héros de l'avenir ?
D'abord l'Église elle-même, l'Église
militante, compacte dans sa hiérarchie, avec l'auguste personne de son Chef,
avec ses évêques, ses prêtres, ses religieux, avec tous ses ministres. Aucune
mesure, si savante, si oppressive soit-elle, n'aura la puissance de leur fermer
la bouche. Lorsque le pèlerin, à la Ville des Papes, visite l'église
souterraine de Sainte-Marie-in-Via-Lata, autrefois une prison, il y lit, non
sans émotion, cinq mots gravés sur les murailles, reproduction de ceux que, dans
ce lieu même, l'Apôtre saint Paul écrivit à son disciple Timothée : « La parole de Dieu ne s'enchaîne pas, Verbum
Dei non est alligatum (4)». Lui-même, l'Apôtre saint Paul, a
été, de ce nouvel axiome, la démonstration vivante. Libre, il prêcha sur
presque toutes les plages du monde alors connu ; prisonnier, il ne cessa jamais
de prêcher.
La parole de Dieu ne s'enchaîne
pas ! Des lèvres de l'Apôtre,
ces mots se sont placés, depuis, sur celles de tous les membres de la
hiérarchie catholique. Ils vibraient encore, il y a quelques années, sur les
lèvres de ce vieil archevêque de Paris, de si douce et si grande mémoire, le
cardinal Guibert, lorsque, à une circulaire ministérielle qui avait la prétention
de réglementer les mandements des évêques, il fit cette calme et fière réponse
: « Monsieur le Ministre, on n'enchaîne pas plus la parole d'un évêque, qu'on
n'enchaîne un rayon de soleil ».
La parole de Dieu ne s'enchaîne
pas ! Ces mots seront encore,
aux mesures que prendra l'Antéchrist, la réponse de l'Église. L'Église ! Ah !
Elle restera inébranlable dans la mission que lui a confiée son divin Fondateur
: « Allez et enseignez toutes les nations...
leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis
avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (5)
». Enseigner la vérité chrétienne, l'enseigner à toutes les nations, l'enseigner
tous les jours, l'enseigner jusqu'à la consommation des siècles, tels sont le précepte et la prophétie. Rien ne
saurait en empêcher l'accomplissement. Et si les flots de la persécution, grossissant
toujours, se mettent à monter et à monter encore, veut-on savoir ce qu'il
adviendra de l'Église ?... À mesure que les eaux du déluge montaient, dit un
texte mystérieux de la Genèse, l'arche, tranquille
sur ses destinées, s'élevait de terre et
montait dans le sublime : Elevaverunt arcam in sublime à terra (6).
Le sublime ! Oui, voilà, pour l'Église, les effets des persécutions. Elle
montait dans le sublime et parlait de plus haut, lorsque, au siècle de Julien
l'Apostat, à l'injonction qui lui avait été faite de cesser tout enseignement, elle
répondait par des voix qui se nommaient Athanase, Grégoire de Nazianze, Augustin,
Jean Chrysostome ! L'Église montera encore dans le sublime, lorsque, dans la
persécution de l'Antéchrist, la plus redoutable de toutes celles qu'elle aura
subies, elle poursuivra sa mission avec une fermeté qu'a célébrée d'avance la parole
magnifique du P. Lacordaire : « Les princes, s'écriait un jour, dans la
chaire de Notre-Dame de Paris, l'illustre dominicain, les princes pourront bien
se réunir pour combattre les prérogatives de l'Église, les charger de noms
flétrissants afin de les rendre odieuses, dire que c'est une puissance
exorbitante qui perd les États : nous les laisserons dire, et nous continuerons
à prêcher la vérité... Si l'on nous envoie en exil, nous le ferons en exil ; si
l'on nous jette dans les prisons, nous le ferons dans les prisons ; si l'on
nous enchaîne dans les mines, nous le ferons dans les mines ; si l'on nous
chasse d'un royaume, nous passerons dans un autre. Mais si l'on nous chasse de
partout, si la puissance de l'Antéchrist vient à s'étendre sur toute la face du
monde, alors, comme au commencement de l'Église, nous fuirons dans les tombeaux
et dans les catacombes. Et si enfin on nous poursuit jusque-là, si l'on nous
fait monter sur les échafauds, dans tout noble coeur d'homme nous trouverons un
dernier asile, parce que nous n'aurons pas désespéré de la vérité, de la
justice et de la liberté du genre humain (7) ».
Le second champion de la vérité chrétienne contre l'Antéchrist sera une phalange de Docteurs, suscités de
Dieu pour ces temps d'épreuve. Jamais les docteurs, astres bienfaisants, n'ont
manqué à l'Église. Mais ce qu'il y aura alors de particulier, c'est que cette
phalange de docteurs recevra, pour le soutien et la consolation des bons, une
plus grande intelligence de nos Saintes Écritures. Le prophète Daniel en a fait
l'annonce dans un autre passage de son livre, également consacré à la
persécution de l'Antéchrist : « Les
impies, dit-il, agiront avec impiété,
et tous ces impies n'auront pas l'intelligence, mais ceux qui auront la science
de Dieu comprendront (8)». Ce qui signifie que tandis que les
impies, frappés d'aveuglement, accompliront les dernières prophéties, comme
autrefois les Juifs, sans les comprendre, les docteurs de l'Église, inondés de
nouvelles lumières et pénétrant les passages les plus obscurs de ces prophéties,
y trouveront l'explication des événements de cette époque, et, prémunissant les
fidèles contre les artifices de l'Antéchrist, ils les maintiendront dans la
fermeté et la confiance, dans l'attachement à l'Église et à ses divins
enseignements, au prix même de la vie. Sous cette parole de feu des docteurs de
vérité, l'enseignement chrétien, si persécuté, si traqué qu'il puisse être, brillera
encore d'un tel éclat, et un si grand nombre lui devront leur persévérance, que
le même prophète Daniel, dans une description sommaire de la vie future, tracée
d'une manière rapide, fait exception à l'égard de ces docteurs des derniers
âges ; il s'arrête devant eux, et les montrant du doigt : « Ceux, dit-il, qui en auront instruit
plusieurs dans la justice brilleront comme des étoiles dans des éternités sans
fin (9) ».
Le troisième champion de la vérité chrétienne contre l'Antéchrist sera le peuple chrétien demeuré fidèle. Il en
fut ainsi chez le peuple juif, au temps de la persécution d'Antiochus. « Le peuple qui connaît son Dieu s'attachera
à la Loi et l'observera (10). » Le peuple qui connaît son Dieu
! À l'opposé des apostats, il y aura donc un peuple de fidèles, et ce peuple de
fidèles se montrera hautement, énergiquement attaché à la Loi. « Croyons, dit
saint Augustin, que ni les conversions, ni les apostasies ne manqueront à
l'Église ; mais les parents, pour faire baptiser leurs enfants, et les nouveaux
fidèles, déploieront tant de force, qu'ils triompheront du diable déchaîné ; et
tout, ruses plus perfides, efforts plus violents que jamais, tout échouera
contre la vigilance de leur sagesse et la force de leur patience... Car, s'il
faut avouer que la charité d'un grand nombre doit se refroidir à la vue de
l'iniquité triomphante, et que, par des persécutions inouïes, des ruses
jusqu'alors inconnues, le démon, libre de ses chaînes, doit entraîner la chute
de beaucoup qui ne sont pas écrits au livre de vie ; il faut croire aussi que
non seulement ceux dont la foi sortira victorieuse de l'épreuve de ce temps-là,
mais plusieurs même du dehors, aidés de la grâce de Dieu et de la considération
des Écritures qui prédisent la fin des temps dont ils sentiront l'approche, trouveront
alors plus de fermeté pour croire ce qu'ils ne croyaient pas, et plus de force
pour vaincre le diable déchaîné (11). »
Mais voici la merveille : La prophétie de Daniel ajoute : « Et les docteurs du peuple en instruiront
beaucoup, et ils tomberont sous le glaive, par la flamme, par la captivité, et
par des brigandages prolongés (12). » Remarquable
est cette expression : les docteurs
du peuple ! Mais quoi ! Ce titre de « docteurs
» que décerne le prophète, n'est-il pas réservé dans l'Église ? Ne demeure-t-il
pas l'apanage des intelligences d'élite qui ont consumé leurs veilles à
l'acquisition, souvent ardue, de la vérité ? On dit : les docteurs de l'Église,
mais les docteurs du peuple ?... Admirons les délicatesses divines : Ce titre
de docteur, juste récompense du talent uni au travail, l'Esprit-Saint
l'attribue également, et avec infiniment de justesse, à des petits parmi le
peuple que la grandeur de leur foi a transformés en apôtres. Qui n'en a rencontré
sur son chemin de ces docteurs du peuple ? Quelque obscur ouvrier, une humble
servante, des enfants même. Il tombait de leurs lèvres comme des jets de
lumière : c'est l'amour qui les faisait jaillir, l'amour qui voit aussi loin, souvent
plus loin que l'intelligence. Autour du berceau de sa foi, notre ville de Lyon
a entendu de ces docteurs du peuple, et depuis, dans sa reconnaissance, elle
n'a plus séparé l'humble Blandine du grand saint Irénée ! Ce sera aussi dans
ces docteurs du peuple que l'Église des derniers âges rencontrera une de ses
principales forces, pour tenir tête à l'Antéchrist. Apôtres intrépides des
vérités chrétiennes, ils les feront retentir dans les ateliers et les échoppes,
dans les carrefours et les campagnes. Aussi l'Antéchrist les aura-t-il en haine,
les tenant comme l'un des plus grands obstacles à l'établissement de son règne
tyrannique. Il les poursuivra avec férocité. Les uns tomberont sous le glaive, les autres par la flamme, par la captivité et des brigandages prolongés. Quel
sera le nombre de ces enfants du peuple à la fois docteurs et martyrs... Le
Seigneur s'en est réservé le secret. Mais si vaste que puisse être le champ de
leurs combats, saluons-les d'avance : les fils du peuple y seront tombés par la
cause du Christ et de ses vérités ! Trois champions ont déjà passé sous notre
regard : l'Église, les docteurs, le peuple fidèle. Reste un quatrième champion,
ménagé comme secours extraordinaire, et dont on ne peut parler qu'avec une
certaine réserve, à cause du mystère qui l'entoure : c'est le retour et la
prédication simultanée d'Énoch et d'Élie, désignés probablement dans
l'Apocalypse sous le nom des deux témoins
(13).
Voici ce qu'on en peut dire, d'après la Tradition et l'Écriture :
a) II est certain qu'Énoch et Élie ne sont pas morts, Énoch « ayant été enlevé pour qu'il ne goûtât point la mort », ce sont les expressions de saint Paul (14), et Élie ayant disparu du côté du ciel « sur un char à chevaux de feu (15) ». Tous les Pères sont d'accord sur ce point.
b) Il est également certain que, tenus ainsi en réserve dans un lieu connu de Dieu seul, Énoch et Élie doivent revenir pour prêcher au milieu des hommes : « Élie doit en effet revenir et il rétablira toutes choses » (16), a dit Notre-Seigneur lui-même ; et le livre de l'Ecclésiastique affirme d'Énoch : « qu'il a été transporté dans un paradis, pour apporter de là la pénitence aux nations » (17). Aussi Bellarmin a-t-il pu conclure : « Nier l'avènement futur et personnel d'Élie, c'est une hérésie ou une erreur qui approche de l'hérésie (18). » Et Bossuet, non moins affirmatif, s'écrie : « Il faut être plus que téméraire pour improuver la tradition d'Énoch et d'Élie à la fin des siècles (19). »
Vie toujours permanente d'Énoch et d'Élie, retour de l'un et de l'autre au
milieu des hommes, pour y prêcher la pénitence et raviver la foi, voilà donc
deux points certains.
Mais à quand l'époque précise de ce retour ?
C'est là que la réserve dont nous parlions tout à l'heure est commandée.
Et cependant la Tradition catholique presque tout entière s'accorde à placer ce
retour au temps de l'Antéchrist, et à reconnaître Énoch et Élie dans les deux
fameux témoins de l'Apocalypse, auxquels incombera l'enviable et glorieuse
mission de combattre en face le fils de
perdition.
Voici ce célèbre passage de l'Apocalypse : « Et je donnerai mission à mes deux témoins, et ils prophétiseront
pendant mille deux cent soixante jours, revêtus de sacs. Ce sont les deux
oliviers et les deux candélabres qui se trouvent en présence du Seigneur de la
terre. Et si quelqu'un veut leur nuire, un feu sortira de leur bouche, et
dévorera leurs ennemis ; et si quelqu'un veut les offenser, il périra de la
même manière. Ils ont le pouvoir de fermer le ciel, pour qu'il ne pleuve pas
durant les jours de leur prophétie : et ils ont sur les eaux le pouvoir de les
changer en sang, et de trapper la terre de toute sorte de plaies, toutes les
fois qu'ils le voudront. Et lorsqu'ils auront achevé leur témoignage, la Bête, qui
monte de l'abîme, leur fera la guerre, les vaincra et les tuera (20). » Il est de toute évidence que l'Apocalypse, en cet endroit, parle
de deux témoins, prédicateurs au milieu des hommes et antagonistes de la Bête, antagonistes
de l'Antéchrist ; mais parce que, fidèle à la trame de mystère qui va de sa
première à sa dernière page, l'Apocalypse ne nomme pas expressément ces deux
témoins, tout en les désignant suffisamment, ici encore s'impose l'obligation
de la réserve. Mais, nous le répétons, la Tradition catholique presque tout
entière s'accorde à les nommer, et, de sa grande voix, elle crie : les deux
témoins, antagonistes de l'Antéchrist, seront Énoch et Élie ! Le cadre
restreint de ce travail ne nous permet pas de rapporter ici ces monuments de la
Tradition ; mais les grands commentateurs bibliques, tels que Cornelius a
Lapide et Estius, les tiennent à la disposition de nos lecteurs et, à la suite
des témoignages cités, ils pourront lire ces lignes : « Qu'Énoch et Élie soient
encore vivants, et qu'ils doivent l'un et l'autre, avant le jugement, prêcher
contre l'Antéchrist, c'est l'ancienne tradition de l'Église à laquelle la
plupart des Pères rendent témoignage : « Vetus est Ecclesiæ traditio, cujus
plerique Patres etiam meminerunt (21). » Et avant
Estius et Cornélius, saint Thomas avait déjà écrit : « Énoch a été enlevé dans
un paradis terrestre, où la croyance le fait vivre conjointement avec Élie
jusqu'à l'avènement de l'Antéchrist (22). »
Les deux grands témoins de l'Évangile, au temps de l'Antéchrist, seront
donc, tout nous autorise à le croire, Énoch et Élie : envoyés, l'un, aux
chrétiens prévaricateurs pour les reprendre ; l'autre, aux Juifs incrédules
pour les rappeler. À celui-là, plus particulièrement les Nations ; à celui-ci, les
restes de Jacob ; mais à tous deux la prédication de l'Évangile ; à tous deux
la défense de la vérité chrétienne.
Et alors, sous le tonnerre de ces deux voix dominant les mugissements
de la tempête, quel spectacle digne des regards du Ciel ! Ce n'est plus
seulement l'Église, avec ses ministres, ses docteurs et ses fidèles qui fait
retentir le Credo des vérités
chrétiennes, ce sont encore les siècles du passé qui ressuscitent et entrent en
lice pour proclamer Jésus-Christ. Les siècles de la Loi de nature, représentés
par le patriarche Énoch ! Les siècles de la Loi écrite, représentés par le prophète
Élie ! Siècles de la Loi de nature et siècles de la Loi écrite, les voici qui
donnent la main aux siècles de la Loi de grâce, et se dressant tous ensemble en
face de l'Antéchrist, qui résume, lui aussi, toutes les hérésies, tous les
schismes, toutes les persécutions du passé, ils lui crient et ils crient à
toutes les extrémités de la terre :
Jésus-Christ est Dieu ! Lui seul est
le Rédempteur !... Ne sera-ce pas l'Église s'élevant encore dans le sublime,
Elevaverunt arcam in sublime a terra (23) ?
(1) « Et (angelus)
apprehendit draconem, serpentem antiquum, qui est diabolus et satanas ; et
ligavit eum per annos mille ;. ., et post hoec oportet illum solvi modico
tempore. » (Apoc., XX, 2-3)
(2) S. Aug., Cité de Dieu, liv. XX, n°
8.
(3) S. Hippol., De consum. mundi.
(4) II Timoth., II, 9.
(5) S. Matth., XXVIII, 19, 20.
(6)
Gen., VII, 17. « Multiplicatoe sunt aquoe, et eleraverunt arcam in sublime a
terra.
(7) Lacordaire. VIe conférence : Des
rapports de l'Église avec l'ordre temporel, t. II, p. 111, Paris, 158.
(8) Daniel, XII, 10.
(9) Daniel, XII. 3.
(10) Id., XI, 32.
(11) S. Augustin, Cité de Dieu, liv. XX,
n° 8.
« Erunt ergo multi electi qui non vincentur, et in quibus Ecclesia manebit. Et
ideo in Apoc. semper ponitur illa limitatio : Adoraverunt bestiam omnes qui
inhabitant terram, quorum non sunt nomina scripta in libro vitæ. Patres etiam
supra citati supponunt tunc futuros esse multos, et eximios martyres, qui usque
ad mortem erunt in fide constantes ; ergo pari modo in montibus et speluncis
perseverabunt multi confessores, qui superstites manebunt post mortem
Antichristi. At in eis non deficiet usus sacramentorum et sacrificii
Eucharistici in locis abditis. Persecutores enim non poterunt hæc auferre, nisi
in eorum cognitionem venerint ; non permittet autem Deus dæmonem aut omnia
Sanctorum abdita loca perlustrare, aut persecutoribus revelare. » (Suarez, De
Antichristo, sect. VI, n° 5)
(12) Daniel, XI, 33.
(13) Apoc., XI, 3-13.
(14) Hebr., XI, 5.
(15) IV Rois, II, 11 ; Ecclésiastiq., XLVIII,
9.
(16) S. Math., XVII, 11. - Voir encore
Malachie, V, 5 ; Ecclésiastiq., XLVIII, 10.
(17) Ecclésiastiq., XLIV, 16.
(18) Bellarmin, De Rom. Pont., lib. III,
c. VI.
(19) Bossuet, Préface à l'Explic. de
l'Apoc., XV.
(20) Apoc., XI, 3-7.
(21) Estius, In Ecclesiastiq., XLIV, 16 ; XLVIII, 10
; In Apoc., XI, 1-7 ; -Corn, a Lap., In Eccl. et Apoc.
(22) S. Thomas, Summa Theol., pars IIIa,
q. XLIX, a. 5, ad 2°.
(23)
Gen., VII, 17.
En quelle année du monde l'Antéchrist fera-t-il son apparition ?
Nul ne saurait l'indiquer, la Tradition et l'Écriture étant muettes sur
ce point. Dieu seul a la connaissance de cette année et de l'heure. Son secret,
il se l'est réservé. Toutes les investigations ont donc échoué. Il y a une
borne, elle reste infranchissable. L'apôtre saint Paul, écrivant de
l'Antéchrist aux Thessaloniciens, a fait allusion à cette borne dans les
expressions suivantes : « Afin qu'il se
manifeste en son temps, Ut reveletur in suo tempore (1). » À
quelle époque du monde ce temps arrivera-t-il ? L'apôtre saint Paul ne l'ayant
pas indiqué, mais s'étant servi d'une expression indéterminée, l'Église, conduite
par l'Esprit-Saint et toujours prudente, n'a rien ajouté et n'ajoutera rien à
la brève indication de l'Apôtre. Respectueuse de sa réserve, elle s'est
abstenue de soulever le voile et de regarder au-delà.
Bien plus, afin de couper court à des indiscrétions qui s'étaient
produites, elle n'a pas hésité à défendre sous peine d'excommunication
d'annoncer pour époque déterminée la venue de l'Antéchrist ou le jour du
Jugement dernier. C'est sous Léon X, en l'an 1516, le 14 des Calend. de janvier,
au Ve concile oecuménique de Latran (sess. XI, Constit. Supernæ majestatis præsidio) que ce décret, dont voici la
teneur, a été porté : « Nous ordonnons à tous ceux qui exercent la charge de la
prédication ou qui l'exerceront dans l'avenir qu'ils ne présument pas de fixer
dans leurs prédications ou dans leurs affirmations un temps déterminé pour les
maux futurs, soit pour l'avènement de l'Antéchrist, soit pour le Jugement :
attendu que la Vérité dit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les
moments que le Père a fixés de sa propre autorité : ceux donc qui, jusqu'à
présent, ont osé émettre de pareilles choses, ont menti, et il est avéré que, par
leur fait, un grand dommage a été porté à l'autorité de ceux qui prêchent sagement (2). »
Les motifs de cette défense sont indiqués dans son texte :
D'abord, le respect dû à la conduite de Dieu. Il est le maître absolu
du temps et de ce qui s'y passe ; il ne convient donc pas que les hommes
veuillent connaître d'avance, d'une façon indiscrète, le résultat de ses
décrets éternels. Leur règle de conduite, à l'égard de ces décrets éternels, est
celle qu'a tracée l'auteur inspiré de l'Ecclésiastique
: « Ne recherche pas ce qui est au-dessus de toi, et ne scrute point ce qui
surpasse tes forces... N'étends pas ta curiosité à toutes les oeuvres de Dieu (3)». Ce respect dû aux décrets et aux
oeuvres de Dieu, la plume de saint Augustin l'a exprimé dans cette admirable
sentence : « Honore ce que tu ne comprends pas encore, et honore-le d'autant
plus que les voiles sont plus nombreux. Plus quelqu'un est digne d'honneur et
plus aussi les portières sont multipliées dans sa demeure. Les voiles
commandent l'honneur dû au secret, et ils se lèvent pour ceux qui savent
honorer (4)».
Le second motif de la défense est d'éviter aux fidèles des
préoccupations troublantes, danger pour les devoirs à remplir à l'heure
présente. Qu'on se rappelle la frayeur des Thessaloniciens que saint Paul fut
obligé de rassurer : « Nous vous
conjurons, mes Frères, de ne point vous laisser troubler ni épouvanter... comme
si le jour du Seigneur était proche (5)». Et
après avoir tracé le portrait de l'Antéchrist au chapitre II de son épître,
l'Apôtre le fait suivre, au chapitre III, de ce conseil : « Nous apprenons que quelques-uns parmi vous
se conduisent d'une manière inquiète, ne travaillant pas, mais n'agissant que
pour satisfaire leur curiosité. Or, nous ordonnons à ces personnes, et nous les
conjurons par le Seigneur Jésus-Christ, de manger leur pain en travaillant
paisiblement (6)».
Le troisième motif est d'empêcher les scandales, toujours au détriment
des âmes. Car lorsque l'événement ne justifie pas les prédictions hasardées, ceux
qui sont faibles dans la foi en prennent occasion de mépriser les prophéties
réelles de l'Écriture et d'en douter. Ainsi en a-t-il été plus d'une fois en
divers temps ; et l'histoire ecclésiastique a dû enregistrer les noms de
plusieurs de ces rêveurs qui avaient eu l'audace d'annoncer pour une époque
déterminée l'avènement de l'Antéchrist ; par exemple :
- Un jeune Parisien visionnaire annonça publiquement dans une chaire de Paris, vers 960, que l'Antéchrist apparaîtrait à la fin de l'an 1000. Il fut combattu victorieusement par Abbon, le futur abbé de Fleury (7).
- Fluentinus de Florence, condamné en 1105
par Pascal II ;
- Arnold de Villeneuve, condamné en 1311. Il avait fixé l'avènement et la
persécution de l'Antéchrist à l'année 1377 ;
- Barthélemy Ianouesius que le pape Urbain V condamna pour avoir fixé cet
avènement au jour de la Pentecôte de l'an 1360 ;
- Nicolas Cusin l'annonça pour les années 1700 ou 1734 ;
- Mammère Bruschius, pour 1589 ou 1643 ;
- Jérôme Cardane, pour l'année 1800 ;
- M. d'Hédouville, entre 1952 et 1953 ;
- L'auteur anonyme des Précurseurs de
l'Antéchrist, pour l'année 1957 ;
- L'abbé Maitre place la fin du monde à la fin du XXe siècle ou dans le courant
du XXIe.
Ces exemples ne sont-ils pas une démonstration de la sagesse de l'Église dans
la défense qu'elle a faite de fixer une date déterminée soit pour cet avènement,
soit pour la fin du monde ? (8)
Est-ce à dire qu'elle défende également d'émettre des conjectures ? Non : la défense portée
par le V. ème Concile oecuménique de Latran ne va pas jusque-là. Elle n'atteint
seulement que toute date fixe. Les
généralités, les conjectures prudentes, l'indication des signes précurseurs
restent choses permises, à l'exemple de certains Pères et d'éminents Docteurs
qui ne s'en sont pas fait faute.
Eusèbe « signale l'avènement de l'Adversaire, lequel aura la liberté
d'assiéger l'Église du Christ (9) ».
- Juda Cyr, autre historien ecclésiastique, croit
que l'avènement de l'Antéchrist est proche (10).
- Tertullien parle de l'Antéchrist qui s'approche : « Antichristo jam instante (11) ».
- Saint Cyprien : « Vous devez tenir pour certain que le temps de l'affliction
a commencé, que la fin du siècle et le temps de l'Antéchrist approchent (12) ».
- Saint Hilaire avertit de l'Antéchrist imminent : « imminentis Antichristi (13) ».
- Saint Basile : « Ne sommes-nous pas à la neuvième heure ? N'est-ce pas
l'apostasie ? Afin qu'ensuite se manifeste l'Impie, ce fils de perdition ? (14) »
- Saint Ambroise : « Parce que nous sommes arrivés au déclin du siècle, certaines
maladies en sont les signes. La maladie du monde, c'est la faim ; la maladie du
monde, c'est la peste ; la maladie du monde, c'est la persécution (15) ».
- Saint Jérôme : « Nous ne prenons pas garde que l'Antéchrist approche (16) ».
- Saint Bernard décrivant les impiétés de son siècle jette ce cri d'alarme : «
Il ne reste plus qu'à voir l'homme de péché, le fils de perdition, faire son
apparition (17) ».
- Saint Grégoire le Grand : « Le roi de superbe est proche, « Rex superbiæ
prope est (18) »
D'autres citations pourraient être apportées. Qui ne connaît, du reste, la
fameuse homélie de ce grand Pape saint Grégoire sur « les signes de la fin du
monde », homélie que l'Église, chaque année, replace sous les yeux des prêtres
et des fidèles, le premier dimanche de l'Avent, pour leur rappeler la fin des
temps. De ces signes précurseurs, saint Grégoire constate que les uns sont
accomplis, et que les autres ne tarderont pas à l'être. « Ex quibus profecto
omnibus alia jam facta cernimus, alia in proximo ventura formidamus (19). »
Comme on a pu le constater, aucun des Pères cités ne s'est permis de
fixer une date déterminée pour l'avènement de l'Antéchrist ou de la fin du
monde. Ils demeurent tous dans des généralités, ils rappellent les signes, ils
conjecturent ; ils ne fixent rien. Leur manière de prêcher ou d'écrire est
conforme aux annonces à la fois nettes et prudentes de Notre-Seigneur lui-même
et de son apôtre saint Paul. Aux chapitres XXIV-XXV, de saint Mathieu, Notre-Seigneur
annonce nettement la fin du monde, il en donne les signes précurseurs, mais il
ne fixe pas de date. À l'exemple de son Maître, saint Paul, au chapitre II de
la IIe épître aux Thessaloniciens, annonce nettement l'Antéchrist, mais
il ne fixe pas de date à son avènement ; il se borne à indiquer le signe
précurseur de cet avènement : l'APOSTASIE : Discessio
primum et revelatus fuerit homo peccati (20).
(1) II Thess., II, 6.
(2) Mandantes omnibus, qui hoc onus
prædicationis sustinent, quique in futurum sustinebunt, ut tempus quoque
præfixum futurorum malorum, vel Antichristi adventum, aut certum diem Judicii
prædicare, vel asserere nequaquam præsumant : cùm Veritas dicat : Non est
vestrum nosse tempora vel momenta, quæ Pater posuit in sua potestate : ipsosque
qui hactenus similia asserere ausi sunt, mentitos, ac eorum causa, reliquorum
etiam rectè prædicantium auctoritati non modicum detractum fuisse constet. » (Cit.
ap. Ferraris, Prompta bibl., verbo
Prædicare. - Mansi, Sacrorum Conciliorum
collectio, t. XXXII, p. 945-947)
(3) Ecclésiastiq., III, 22-24.
(4) « Honora quod nondum intelligis et
tanto magis honora quanto plura vela cernis. Quanto enim quisque honoratior est,
tanto plura vela pendent in domo ejus. Vela faciunt honorem secreti ; sed honorantibus
levantur vela. » (
(5) II Thess.,
II, 1-2.
(6)
(7) Abbonis apologeticum apud Migne, Patrol, lat., t. CXXXIX, c. 162.
(8)
Parmi les auteurs qui ont fixé une date à l'avènement de l'Antéchrist, nous avons
eu la surprise de rencontrer le vénérable serviteur de Dieu Barthélemi
Holzhauser, restaurateur de la discipline ecclésiastique en Allemagne, fondateur
de l'Association des Prêtres séculiers
vivant en communauté, décédé le 20 mai
1658. Auteur d'une Interprétation de
l'Apocalypse très en vogue en Allemagne, et où il y a certainement de très
belles et très émouvantes pages, Holzhauser a écrit les lignes suivantes : « Au
milieu de l'année de Jésus-christ 1855, dans le dix-neuvième siècle, naîtra
l'Antéchrist, et il vivra cinquantecinq ans et demi. Et c'est dans les trois
dernières années de sa vie etpendant les six derniers mois, c'est-à-dire
pendant trois ans et demi qu'il sévira dans la plus grande fureur contre la
chrétienté, et que, d'accord avec son faux prophète l'antipape, il exterminera
l'Église, dispersera le troupeau de Jésus-Christ, vaincra et tuera tous les
fidèles par la puissance qui lui aura été donnée pour quarante deux mois sur toute tribu, sur tout peuple, sur toute
langue et sur toute nation, pour faire la guerre contre les saints de Dieu,
et pour les vaincre durant le temps qu'il sera assis dans la plénitude de son
règne. Ainsi donc, en l'an 1911, le fils de perdition sera tué au milieu de la
cinquante-sixième année de sa vie par le souffle, c'est-à-dire par la parole
qui sortira de la bouche de Jésus de Nazareth crucifié », (Interprétation de l'Apocalypse, 3e édit., t. II, pag. 120,
Paris, 1872 ; librairie Louis Vivès) - Si la cause de béatification du
vénérable serviteur de Dieu doit se poursuivre, que ces lignes ne soient pas un
obstacle. L'honorable Promoteur de la foi voudra bien examiner de quel esprit
elles émanent. Dans le cas où elles ne seraient qu'une interprétation
personnelle, ne pourrait-on pas invoquer, en faveur de leur auteur, l'ignorance
du décret du Ve Concile de Latran, c'est-à-dire la bonne foi. Errare humanum est, surtout lorsqu'il
s'agit d'un décret recouvert d'une poussière séculaire, et ignoré d'un grand
nombre dans l'Église. Si nous avons pris la liberté de remettre ce décret en
évidence, c'est afin que, dans les temps troublés devenus ceux de l'Église et
de la société humaine, les âmes se tiennent en garde contre des calculs de
nature à les inquiéter.
(9) Eusébe, Hist. eccl., lib. V, c. I.
(10) Eusèbe, Hist. Eccl., lib. V, c. VI.
(11) Tertul., lib. De fuga in persecutione, c. XII.
(12) S. Cypri., Epist. LVI ad Thibaritanos.
(13) Hilar., Lib.
contra Auxentium.
(14) Basil., Epist.
LXXI, ad Alexandrinos.
(15) Ambr., Oratio
in obit. Satyri fratris.
(16) Hierony., Epist.
II, ad Ageruch.
(17) Bern., Serm.
6 in psalm. 90.
(18) Greg. Mag, Epist. XXXVIII, ad Joan. Constantin.
episc.
(19)
(20) II Thess.,
II, 3
Puisque l'Apostasie doit être le milieu préparatoire à l'avènement de
l'Antéchrist, fléau le plus redoutable qui aura bouleversé le monde, le devoir
qui s'impose n'est-il pas de lutter pour la refouler, en s'efforçant de ramener
à Jésus-Christ et à l'Église les nations, les familles, les individus, qui s'en
sont séparés ou qui menacent de le faire ? Le vent d'aveuglement et de
défection qui emporte déjà une partie de la société et la fait se séculariser, c'est-à-dire
se soustraire à l'Évangile et à l'Église, n'est peut-être que passager, Dieu
ayant fait les nations guérissables. L'idée chrétienne peut de nouveau
s'épanouir, embaumer et vivifier comme par le passé. Il n'y a donc pas lieu de
se décourager. Loin de là ! Il faut se mettre résolument à l'oeuvre, s'y mettre
avec confiance et générosité. Léon XIII n'en a-t-il pas donné l'exemple, et Pie
X ne le donne-t-il pas actuellement ?
Que n'a pas fait Léon XIII pour retenir les individus et les nations
sur cette pente fatale de l'apostasie ? Bornons-nous aux Nations.
Toute la politique religieuse de ce grand Pape semble s'être inspirée
de cette exhortation de saint Paul : «
Que celui qui retient encore retienne, jusqu'à ce qu'il soit rejeté : Qui tenet
nunc, retineat, donec de medio fiat (1) ».
On sait à quelle occasion saint Paul fit entendre cette exhortation. Traçant
par avance le portrait de l'Antéchrist, tel qu'il a été reproduit dans ces
pages, saint Paul découvrit encore aux Thessaloniciens qu'un obstacle retardait l'avènement de «
l'homme de péché » : « Vous savez ce qui le retient, afin qu'il ne
paraisse qu'en son temps (2) », puis, il ajouta : « Que celui
qui retient encore retienne jusqu'à ce qu'il soit rejeté ». La Tradition
n'ayant pas conservé les explications verbales développées par l'Apôtre devant
les Thessaloniciens, des opinions très divergentes se sont formées dans le
cours des siècles. Tout en les respectant profondément les unes et les autres, nos
préférences vont à celle qu'a donnée saint Thomas d'Aquin. L'interprétation de
l'Ange de l'École explique le passé et éclaire l'avenir.
Il ressort évidemment des paroles de saint Paul qu'il y a, contre
l'apparition de l'Antéchrist, un obstacle
et quelqu'un qui maintient l'obstacle
; il y a une barrière et un garde-barrière. L'Antéchrist ne fera son apparition
que lorsque, le gardien de l'obstacle ayant été rejeté, mis de côté, l'obstacle
lui-même sera enlevé.
Or quel est cet obstacle, quelle est la barrière ? C'est, répond saint
Thomas, l'union et la soumission à l'Église Romaine, siège et centre de la foi
catholique. Tant que la société demeurera fidèle et soumise à l'empire
spirituel romain, transformation de l'ancien empire temporel romain (3), l'Antéchrist ne pourra point paraître. Telle
est la barrière, tel est l'obstacle.
Mais, par la bienfaisance de Dieu, à côté de cet obstacle, il y aussi
un gardien, chargé de veiller, chargé de le maintenir ; et ce Gardien, c'est le
Pape, Vicaire de Jésus-Christ. Tant que le Gardien sera reconnu, respecté, obéi,
l'obstacle subsistera, la société demeurera fidèle à l'empire spirituel romain
et à la fois catholique. Mais si ce Gardien, le Pape, vient à être méconnu, mis
de côté, rejeté, l'obstacle disparaissant bientôt avec lui, l'Antéchrist sera
libre de paraître. « Qui tenet, scilicet, romanum imperium, teneat illud donec
ipsum fiat de medio. Quia medium est dùm universis circumquaque imperat, quibus
ab ipso recedentibus, de medio auferetur, et tunc ille iniquus oportuno sibi
tempore revelabitur (4). »
Eh bien, Léon XIII a-t-il été fidèle à l'exhortation de l'Apôtre ?
S'est-il efforcé de maintenir l'obstacle, c'est-à-dire la fidélité à la fois
catholique et à l'empire spirituel romain ? Ce but n'a-t-il pas été celui de
toute sa vie pontificale, ainsi qu'il l'exprimait un jour au Sacré-Collège : «
Le gouvernement de l'Église, disait-il, Nous apparut d'abord comme un poids
formidable et il est encore tel actuellement par suite des temps mauvais et de
la condition difficile faite à l'Église, par la crainte d'un avenir plus
terrible encore pour l'Église et pour la société... À cet effet, Nous avons cru
que l'oeuvre la plus opportune et la plus conforme à Notre charge était de
montrer aux peuples et aux princes ce port de salut et de les aider à y entrer.
Nous avons consacré Notre vie dans ce but, persuadé que Nous agissons ainsi
pour les intérêts de la religion et de la société (5). »
Avec quelle constance et quelle fermeté ce but n'a-t-il pas été
poursuivi par l'auguste Pontife ! À peine placé au gouvernail de la barque de
Pierre, Léon XIII, comme le pêcheur qui reprend l'une après l'autre les mailles
rompues de ses filets lacérés, s'est mis à reprendre l'un après l'autre tous
les fils emmêlés des relations diplomatiques. Chaque État, non seulement de
l'Europe mais du monde entier, s'est vu l'objet de ses prévenances et de ses
soins : Que celui qui retient, retienne ! Bornons-nous à un résumé rapide de
ses efforts pour retenir, ne fût-ce que par un fil, les nations à l'Église :
- Concordat avec la République de l'Équateur (en 1881).
- Concordat avec l'Autriche-Hongrie pour la Bosnie et l'Herzégovine (1881).
- Accord avec le gouvernement Russe sur certaines questions
ecclésiastiques (1882).
- Conventions avec la Suisse pour régler l'administration
ecclésiastique du Tessin et l'administration régulière du diocèse de Bâle (1884).
- Concordat avec le Portugal pour les Indes Orientales (1885).
- Concordat avec le Montenegro (1886).
- Rétablissement des relations diplomatiques avec la Belgique (1886).
- Promotion d'un cardinal aux États-Unis (1886).
- Arbitrage entre l'Allemagne et l'Espagne au sujet des Carolines (1886).
- Échange de rapports bienveillants avec la Turquie, la Perse, la
Cochinchine, la Chine (1886).
- Arrangements avec l'Allemagne et cessation du Kulturkampf (1887).
- Concordat avec la République de Colombie (1887).
- Reprise des relations diplomatiques avec la Russie (1888).
- Arrangements avec le gouvernement Anglais sur certains points de
l'administration ecclésiastique de l'île de Malte (1890).
- Appel à l'Orient et visite à Jérusalem par un Légat, le cardinal
Langénieux (1893), etc., etc.
Que de soucis, que de patience, que de prudence, toutes ces
négociations épineuses n'ont-elles pas exigées ! Mais il importait de retenir :
Que celui qui retient, retienne !
Dans son allocution au Sacré-Collège, à l'occasion du XXVe
anniversaire de son élection, le 20 février 1903, Léon XIII dira : « Voici
Notre dernière leçon : recevez-la et gravez-la tous dans vos esprits : C'est
l'ordre de Dieu qu'il ne faut chercher le salut que dans l'Église, qu'il ne
faut chercher l'instrument du salut, vraiment fort et toujours utile, que dans
le Pontificat romain. »
Mais parmi toutes les nations que Léon XIII s'est ingéniées ainsi à
retenir et à maintenir dans l'union avec le Pontificat romain, il en est une, la
France, à qui son coeur paternel a prodigué peut-être plus de trésors
d'affection, de longanimité et de tact. Parce que le mal y est plus profond, et
la tendance à l'apostasie, plus accentuée, il n'a reculé devant aucun sacrifice
pour enrayer la défection ! Le journal Le
Moniteur de Rome l'a dit dans un langage qu'il nous semble utile de
reproduire : « Qui plus que le Pape actuel a versé sur la France des trésors
d'affectueuse longanimité et de miséricorde paternelle ? Que l'on examine
l'histoire des rapports entre Paris et Rome pendant ce pontificat. Où a-t-on vu
s'unir le tact le plus merveilleux à la patience la plus douce, quand cependant
la guerre sévissait, les institutions religieuses menaçaient de tomber en ruine,
quand les passions de parti les plus ineptes étaient menées à l'assaut contre
l'Église ? C'est Léon XIII qui a écrit cette encyclique Nobilissima Gallorum gens dont le titre seul, superbe et harmonieux,
restera à jamais comme un hommage glorieux rendu à cette nation privilégiée ;
c'est Léon XIII qui a adressé à M. Grévy une lettre de paix et d'esprit de
conciliation, pour arrêter la République sur la voie des conflits ; c'est lui
qui, malgré les réductions continuelles faites au budget des cultes, vient
d'honorer ce pays par la création de trois cardinaux, de sorte que la France
marchera de nouveau, après Rome, à la tête du Sacré-Collège ; c'est lui qui a
épuisé toutes les ressources de raccommodement, qui n'a voulu ni rompre avec le
gouvernement, ni laisser se déchirer le Concordat, cette charte de la paix
religieuse en France ; c'est, en un mot, lui et peut-être lui seul qui, par la
majesté de sa patience et de son attitude, a maintenu les derniers restes de
longs siècles d'harmonie et de féconde coopération. À la douceur de Pie VII, Léon
XIII a uni l'affection affective, sans cesse agissante, cet esprit pondéré, cet
équilibre harmonieux des actes et des enseignements, pour forcer en quelque
sorte le parti au pouvoir à reculer devant trop de responsabilités et trop de
fautes. Au-dessus de l'effervescence passionnée des coteries parlementaires, Léon
XIII a vu et aimé la France ; il n'a pas voulu en faire la victime expiatoire
des actes persécuteurs du radicalisme allié à la franc-maçonnerie (6). »
Oui, et l'histoire le dira un jour, Léon XIII a tout fait pour arracher
la France à l'apostasie, pour lui conserver les bienfaits inappréciables de la
paix civile et religieuse. Et cependant que d'ingratitudes ont payé ses efforts
! Que de récriminations contre ses directions pontificales ! Que d'accusations,
que de violences de langage ! Mais Lui, toujours calme et intrépide au milieu
des contradictions de quelque côté qu'elles vinssent, il ne cessa de réaliser
la parole qu'on lui prête : « Un grand orage se prépare, il va falloir soutenir
une lutte acharnée. » Cette lutte acharnée, ô magnanime Pontife, vous l'avez
soutenue pour maintenir l'obstacle contre l'apostasie de la Fille aînée de
l'Église. Ce fut, pour être fidèle jusqu'à la dernière minute à votre mission
de Gardien de l'union, que vous vouliez mourir debout !
L'exemple donné par Léon XIII se continue avec Pie X, glorieusement
régnant. À peine assis dans la chaire de saint Pierre, l'une des premières
paroles du nouveau Pontife a été celle-ci : « Tout ce que Léon XIII a dit, écrit
et accompli, Pie X l'a confirmé et le confirme. » Léon XIII avait travaillé, lutté
et souffert pour retenir, ne fût-ce que par un fil, les Nations à l'Église
romaine, centre de la foi catholique et obstacle à l'avènement de l'Antéchrist
: Que celui qui retient retienne ! Loin de s'écarter de ce programme, Pie X l'a
affirmé et même agrandi : Non seulement retenir, mais tout restaurer : Instaurare omnia in Christo, Tout restaurer
dans le Christ (7).
» Lorsque Léon XIII, au courant des destructions projetées par les sectes
maçonniques et anti-chrétiennes, ordonna, comme signe de la perpétuité de
l'Église, le réembellissement de
Saint-Jean-de-Latran, on rapporte qu'il dit aux architectes : « Maintenant que le monde s'éloigne du Christ,
je veux que son image resplendisse dans une église plus belle (8)
! » Ce n'est plus seulement dans
une église plus belle, celle de Latran, mais dans le monde entier, que Pie X a
la noble ambition de faire resplendir l'image du Christ : Tout restaurer dans le Christ ! Par l'Encyclique pontificale E supremi apostolatus cathedra, les
grandes lignes de cette restauration ont été fixées. Déjà sous la conduite si
clairvoyante, si ferme, du nouveau Pape, les catholiques s'organisent, prennent
position, réparent les brèches et font face à l'ennemi.
« Car, en effet, la guerre est déclarée. Le Pontife le constate. Il a
entendu « frémir les nations » et il a surpris « les peuples méditant leurs
vains complots ». Ou plutôt, il a penché son oreille sur le coeur de l'humanité
qui agonise, et il a compris quelle est la maladie profonde qui la ronge
jusqu'à la menacer de la dissoudre dans la mort. Cette maladie, c'est l'abandon
de Dieu ; c'est l'apostasie. C'est la révolte de l'orgueil qui s'élève contre
le Créateur, contre le Dieu d'où descend tout bienfait, pour lui signifier de
se retirer de l'homme : Recede a nobis ! C'est
le crime de l'homme se substituant lui-même à Dieu. C'est la folie de
l'Antéchrist se présentant à la place de Dieu lui-même aux adorations du monde
: les vérités saintes non seulement diminuées, mais rejetées avec mépris ; la
loi divine foulée aux pieds ; la morale chrétienne inconnue ou affaiblie. Et, comme
conséquence inévitable, au milieu des progrès matériels que nul ne peut
contester, la lutte de l'homme contre l'homme se faisant plus implacable (9).
À l'heure qu'il est, deux voies s'offrent donc devant la société
humaine : ou bien correspondre aux enseignements de Léon XIII et aux appels de
Pie X. Ce sera alors la Restauration dans le Christ, la guérison des Nations, le
retour à une sage et vraie liberté, à l'égalité de tous sur le coeur de Dieu, à
une fraternité sincère entre les petits et les grands, les riches et les
pauvres, entre le capital et le travail.
Ou bien, faisant fi des enseignements de Léon XIII et des appels de Pie
X, la société humaine décidera de poursuivre la voie dans laquelle elle s'est
engagée ; et alors ce pourra être, dans un temps non éloigné, la généralisation
de l'apostasie.
Qu'est-ce donc que l'apostasie généralisée ?
Un épisode chez le peuple hébreu, au XIe siècle de son
histoire, va le préciser :
L'un de ses prophètes, Ézéchiel, avait été transporté en esprit par le
souffle de Dieu dans le Temple de Jérusalem, ce fameux Temple où se concentrait
la vie entière de la nation : Fils de
l'homme, lève les yeux et regarde, dit le Seigneur à son Prophète, Fili hominis leva oculos ! Et le
Prophète levant les yeux, aperçut dans le Sanctuaire, partie la plus sainte du
Temple, il y aperçut une idole, l'idole de
Jalousie. C'était Baal, la plus infâme de toutes les divinités phéniciennes,
nommée ainsi par Jéhova lui-même, blessé au coeur. Et devant Baal, qui donc se
trouvait prosterné ? Le sacerdoce !... Oui, une partie du sacerdoce, des
prêtres devenus apostats (10) !
Le Prophète était stupéfait. Mais déjà le souffle de Dieu l'a entraîné
dans une autre partie du Temple : Fils de
l'homme, perce cette muraille, Fili hominis, fode parietem. Et, à travers
le trou qu'il a pratiqué dans la muraille, le Prophète découvre une chambre
secrète ; sur les murs de cette chambre secrète, tout autour, des peintures de
reptiles et d'animaux ; devant ces peintures de reptiles et d'animaux, soixante-dix
hommes, l'encensoir à la main, qui les adoraient. Et les soixante-dix hommes
qui adoraient ainsi les peintures de reptiles et d'animaux, étaient
soixante-dix Anciens, c'est-à-dire les notables, la classe dirigeante chez le
peuple hébreu ; et la classe dirigeante était devenue apostate (11)!
Le Prophète frissonnait ; mais le souffle de Dieu l'a encore transporté
dans une autre partie du Temple : Fils de
l'homme, tourne-toi de ce côté, tu verras ! Adhuc conversus videbis ! Et le
Prophète se retournant, aperçoit des femmes assises à terre. Ces femmes assises
à terre pleuraient ; mais celui qu'elles pleuraient, était Adonis, le Dieu de
la volupté qu'on disait mort. Des larmes, des sanglots ! Ah ! Il y a
ordinairement quelque chose de sacré dans les larmes. Mais tandis que chez la
femme, les tendresses légitimes ou les extases de la piété doivent seules les
faire couler, sur le visage apostat des indignes descendantes de Rebecca et de
Rachel, c'était la passion non assouvie qui les faisait verser (12)!
Mais le souffle de Dieu a, pour la quatrième fois, entraîné le Prophète,
et c'est à l'entrée du Temple qu'il le transporte : Tu l'as vu, fils de l'homme ! Eh bien, regarde encore ! Certe vidisti, fili
hominis ; adhuc conversus videbis ! Et le Prophète regardant aperçoit vingt-cinq
hommes environ non loin du portique. Ces vingt-cinq hommes non loin du portique
tournaient le dos au Temple du Seigneur ; et tournant le dos au Temple du
Seigneur, ils adoraient le soleil. Or, ces vingt-cinq hommes au bas du Temple
étaient des gens du peuple ; et parce que le peuple, dans ses conclusions, est
expéditif, c'est carrément que les vingt-cinq hommes tournaient le dos au
Temple du Seigneur (13)
!
Et ainsi, peuple, femmes, anciens, sacerdoce : l'apostasie était partout,
du haut en bas de la société juive. L'apostasie, le plus grand des péchés, qui
consiste, ainsi que l'indique l'étymologie du mot , à prendre position à l'écart : à l'écart de la vérité connue, à l'écart de la vraie religion. L'apostat
dans le Judaïsme prenait position à l'écart du Dieu unique. L'apostat dans le
Christianisme prend position à l'écart du Christ Rédempteur et du Pape, son
Vicaire, qui le représente ici-bas.
Mais le Seigneur, dit la Bible, continua de s'adresser au prophète
Ézéchiel : Tu l'as vu, fils de l'homme ;
eh bien ! Les Juifs comptent pour rien tous ces outrages à leur Dieu ; mais les
ayant commis, ils se raillent encore de moi. À mon tour, je vais les traiter
dans ma colère (14)... Il se passa alors une de ces scènes bibliques qui prouvent
combien patiente, patiente, est, en ce monde, la justice de Dieu.
La scène s'était agrandie. Tous les voiles étaient tombés. Jéhova
lui-même, en personne, s'était tout à coup manifesté àson Prophète. Le Seigneur
était dans une attitude de Majesté outragée, et dans un appareil de départ. Des
flammes éblouissantes l'environnaient de tous côtés. Ce n'étaient plus des
Anges aux formes gracieuses, comme dans la vision de Jacob, qui lui faisaient escorte,
mais quatre animaux extraordinaires, dont chacun avait à la fois une apparence
d'homme, une apparence de taureau, une apparence de lion, une apparence d'aigle,
qui lui constituaient comme un char (15). Or, chose bien
digne de remarque, Jéhova, qui avait à abandonner Jérusalem, ne pouvait se
décider à laisser s'avancer son char. Le Prophète le vit, qui ayant quitté le
Sanctuaire, s'arrêtait dans le Parvis des prêtres : il semblait y attendre un
cri de repentir. Le cortège s'arrêta encore sur le seuil du Temple ; une
troisième fois, au milieu de la ville. À chaque halte, il y avait comme un
bruit de sanglots : « Mon peuple, ô mon peuple, que t'ai-je donc fait pour
m'avoir traité de la sorte ? N'est-ce pas moi qui ai béni ton berceau, le rang
d'honneur que tu occupes ? N'est-ce pas moi qui t'ai donné une terre
privilégiée, des grands hommes, des héroïnes, une littérature, une histoire
comme il n'y en a point de pareilles ? Reviens donc, Jérusalem, tandis qu'il en
est temps encore ? Tu as rompu ; mais moi, je voudrais ne pas rompre !... » Et le cortège se remit en marche. On
était arrivé aux confins de la ville ; le char les passa. Il semblait que tout
était désormais fini. Eh bien ! Non. O ténacité de l'amour, qui a résolu de
tout épuiser ! Ce fut sur une montagne voisine de Jérusalem, celle des Oliviers,
que la gloire du Seigneur alla se placer. Là, rapporte une ancienne tradition
hébraïque, Jéhova attendit trois mois, dans le même endroit où, six siècles
plus tard, le Christ rejeté devait faire entendre son sanglot de douleur : Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j'ai
voulu rassembler tes enfants ! Mais enfin, las d'attendre, un jour, le char
disparut (16)... Quelques semaines plus tard, l'armée
des Chaldéens avec le terrible Nabuchodonosor et, dans la suite, celle des
Romains avec Titus, l'une et l'autre agiles comme des léopards, mettaient tout
à feu et à sang ; et sur les ruines de celle qui avait été une patrie, on
pouvait dresser un poteau avec cette inscription : Finis Judææ, la Judée finie !
Avec l'Antéchrist, succédant à la généralisation de l'apostasie, ce
serait plus que la ruine des patries, ce serait un joug de pesanteur et
d'ignominie, tel que l'humanité n'en aura pas dans le passé subi de semblable (17)...
Que le Dieu des miséricordes garde longtemps encore la société d'un si
effrayant avenir ! En apportant aux pieds de Pie X un constant et généreux
concours, les catholiques peuvent espérer une réédification de l'édifice social,
qui rappellerait les beaux jours. Lui-même, Pie X, vient de les y convier de
nouveau par son Encyclique « sur l'Action
catholique ». « Quelle prospérité et quel bien-être, s'écrie-t-il, quelle
paix et concorde, quelle respectueuse soumission à l'autorité et quel excellent
gouvernement on obtiendrait et maintiendrait dans le monde, si on pouvait
complètement réaliser le parfait idéal de la civilisation chrétienne. Mais, étant
donnée la lutte continuelle de la chair contre l'esprit, des ténèbres contre la
lumière, de Satan contre Dieu, il n'y a pas tant à espérer, du moins dans toute
cette mesure. Mais ce n'est pas une raison pour se décourager... L'Église va
sans peur en avant, et tandis qu'elle répand le royaume de Dieu là où il
n'avait pas encore été prêché, elle cherche par tous les moyens à réparer les
pertes du royaume déjà conquis. Instaurare
omnia in Christo fut toujours la devise de l'Église, et c'est
particulièrement la Nôtre dans ces terribles moments que nous traversons. Restaurer
toutes choses, non d'une manière quelconque, mais dans le Christ. Restaurer
dans le Christ, non seulement ce qui appartient proprement à la divine mission
de l'Église, conduire les âmes à Dieu, mais ce qui encore dérive spontanément
de cette divine mission, la civilisation chrétienne dans l'ensemble de tous les
éléments et dans chacun de ceux qui la constituent (18). »
Notre vieille Europe, partie constitutive et si longtemps principale de
cette civilisation chrétienne, ne contiendrait-elle plus ces éléments de
restauration ?...
Fils de l'homme, tourne-toi de
ce côté, que vois-tu ? Fili hominis adhuc conversus videbis ?
Ce qu'on voit de ce côté, ô Seigneur, ah ! Merci de nous le faire
apercevoir, c'est un Sanctuaire, mais un Sanctuaire pur de toute idole de
Jalousie. Dans ce sanctuaire, un sacerdoce ; et qu'il est beau dans son étroite
hiérarchie, ce sacerdoce ! Des prêtres autour de leurs évêques, des évêques
autour du Pape, le Pape uni au Christ ! Sur le visage de plusieurs, les
stigmates de la souffrance ; mais sur leurs lèvres le cantique de saint Paul : Nous sommes maudits, mais nous bénissons, Maledicimur et benedicimus ; nous
souffrons persécution, mais nous supportons ; nous sommes injuriés, mais nous
prions (19). Ô Europe, tu peux être fière du sacerdoce catholique ! Espère, espère
encore... Ce sacerdoce peut être pour beaucoup dans le salut des patries !
Fils de l'homme, que vois-tu
encore de ce côté ? Adhuc conversus us videbis ?
Ce qu'on voit encore, ô Seigneur, c'est, dans la classe dirigeante, la
foi endormie qui se réveille, un élan qui s'établit, des écoles qui renaissent,
des cercles, des patronages, des catéchismes qui se multiplient, des congrès
qui se tiennent, une presse vaillante qui milite, les idées de justice, de
droit, de liberté qui se redressent, vibrent, ne veulent pas mourir !...
Et de ce côté, filsde l'homme, qu'apercois-tu
encore, Adhuc conversus videbis ?
Ce qu'on aperçoit, ô Seigneur, ce sont des femmes à genoux et qui
pleurent. Mais, cette fois, les larmes versées sont pour Dieu : pour Dieu, dans
l'amour ; pour Dieu, dans la pénitence ; pour Dieu, dans l'expiation. Vierges
du Carmel, filles de la Charité, Petites Soeurs des pauvres, ô épouses de
Jésus-Christ ! Et vous aussi, mères chrétiennes, nobles femmes de tous pays !
Un monde impie vous raille ou vous blasphème. Qu'il sache du moins que, sur un
sol qui tremble et dans un horizon de tempêtes, il y a des coeurs de femmes qui
aiment Jésus-Christ, l'Église et leur patrie d'un amour dont les lèvres sont
impuissantes à exprimer les brûlantes ardeurs. Le ciel en est ému, et la terre
tressaille d'espérance.
Fils de l'homme que vois-tu
encore, Adhuc conversus videbis ?
Ce qu'on voit encore, ô Seigneur, ah ! Le ravissant spectacle ! Ce sont
des ouvriers, des travailleurs, les fils du peuple, du peuple dont le coeur a
si longtemps et si fortement battu pour Jésus-Christ ! Des dehors du Temple de
Dieu, où des sectaires et des meneurs les avaient entraînés, on voit des
groupes qui se retournent, qui remontent, qui reviennent au Temple du Seigneur.
Leurs mains tendues se portent de nouveau vers la Croix ; et, au besoin, leur
poitrine deviendrait rempart pour la défendre !
Au spectacle de ces signes consolateurs et fortifiants, ah ! Ce n'est
pas la désespérance ni le découragement, mais la confiance et l'énergie qui
doivent trouver place dans les coeurs. Avec Pie X, ayons l'ambition et la
virilité de tout restaurer dans le Christ.
Ramener la société au Christ ! Tout le reste est secondaire devant cette
grande tâche. Sans peur et fidèles aux directions pontificales (20) ! Tel doit être notre mot d'ordre.
Les dernières générations chrétiennes, plus éprouvées que nous ne le sommes, sauront,
pour maintenir contre l'Antéchrist l'ensemble des vérités chrétiennes, base de
toute civilisation, s'élever jusqu'à l'héroïsme. Laissons-leur un parfum
d'exemples qui les embaume et les encourage. Affirmer les vérités chrétiennes, communiquer
les vérités chrétiennes, défendre les vérités chrétiennes, c'est, en trois mots,
le résumé de nos devoirs à l'égard du Christ et de la Société. À
l'accomplissement de ces devoirs, l'Église ne compte pas ses peines et, à
l'exemple de l'Église, le chrétien ne les compte pas non plus.
(1) II Thess., II, 7.
(2)II Thess., II, 6, 7 : « Et quid detineat scitis,
ut reveletur in suo tempore... Tantum ut qui tenet nunc, teneat
donec de medio fiat. »
(3) « Cùm temporale Romanorum imperium
à longo jam tempore sit eversum, nec tamen apparuerit Antichristus, ipsa patet
experientia id de temporali hoc imperio intelligi non debere.
De quo itaque ?
De defectione à spirituali Romanorom imperio, seu de defectione generali à fide
catholica romanæ Ecclesiæ. Ita S. Thomas, et alii communiter.
Dicendum, inquit S. Thomas, quod nondum cessavit (Romanorum imperium), sed est
commutatum de temporali in spirituale ; et ideo dicendum quod discessio a
romano imperio intelligi debet, non solùm à temporali, sed à spirituali ;
scilicet, à fide catholica romanæ Ecclesiæ. » (Bern. a Piconio, Epist. B. Pauli triplex
expost. : II Epist. ad Thess., II, 3)
(4) S. Thomas, Opusc., LXVIII, De Antichr., édit. Parmæ, 1864. t. XVII p. 439. - L'expression hébraïque « de medio fiat »
signifie, dit Estius, la séparation d'avec quelqu'un ou d'avec plusieurs. «
Exibunt Angeli, et separabunt malos de medio justorum » (Matth., XIII) - «
Exite de medio eorum, et separamini. » (II Cor., VI).
(5) Allocution de Léon XIII au
Sacré-Collège, 2 mars 1887.
(6) Le Moniteur de Rome, 24 mai 1886.
(7) Encyclique E supremi apostolatus
cathedra.
(8) Journal l'Univers, 26 juillet 1886.
(9) Lettre de S. E. le cardinal
Coullié, archevêque de Lyon, portant promulgation de l'Encyclique E supremi
apostolatus cathedra.
(10)Ézéchiel, VIII, 3-6.
(11)Id., VIII, 7-12.
(12)Ezéch., VIII, 13-14.
(13)Id., VIII, 15-16.
(14)Ezéch., VIII, 17-18.
(15)Id., VIII, 2-4 ; I, 4-14 ; 26-28.
(16) Ezéch, VIII. 6 ; IX, 3 ; X, 4, 18,
19 ; XI, 22, 23.
(17) Une question se pose : Cette
généralisation de l'apostasie, qui occasionnera l'avènement de l'Antéchrist, sera-t-elle
un fait accompli avant sa venue ; ou bien, déjà établie sur une large échelle, s'achèvera-t-elle
seulement par le fait et sous le règne du fils de perdition ?
L'apostasie ou la séparation d'avec la foi catholique et le Pontificat romain
devra être générale, un fait accompli, disent Engelbertus, Triumphus, Estius. -
Elle ne sera qu'en voie de s'accomplir, mais déjà sur une large échelle, répondent
Sotus, Bellarminus, Justinianus. Cette dernière opinion semble plus probable, puisque
S. Paul annonce qu'après la défection ou l'apostasie, l'Antéchrist apparaîtra
in omni seductione iniquitatis. (II Thess., II, 10) II agrandira donc
l'apostasie, la rendra encore plus universelle.
(18) Lettre Encyclique de N. T. S. P. Pie
X aux évêques d'Italie sur l'Action catholique, 11 juin 1905.
(19) I Cor., IV, 12.
(20) C'est l'instante prière de Pie X
dans la lettre adressée au Cardinal Archevêque de Lyon :
À
Notre Cher Fils, Son Éminence Révérendissime Pierre Coullié, Cardinal Prêtre, Archevêque
de Lyon et de Vienne.
PIE X, PAPE
BIEN CHER FILS, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.
L'attention que vous avez eue à Notre égard en Nous écrivant dernièrement à l'occasion de l'anniversaire de Notre avènement au Souverain Pontificat, Nous a été un véritable réconfort au milieu de toutes Nos préoccupations et de celles surtout que Nous causent, comme vous devez le comprendre, les choses de France. Les sentiments de profond attachement et de respectueuse union à Notre personne et au Siège apostolique, que vous y manifestez, Nous étaient déjà bien connus. Mais, ce qui dans votre lettre Nous est particulièrement agréable, c'est la confiance avec laquelle vous affirmez que vos compatriotes n'abandonneront jamais la foi de leurs pères ; et que dans votre diocèse en particulier, tous les fidèles s'unissent fermement pour la défense de la foi et rivalisent de zèle dans l'obéissance aux prescriptions du Pontife romain. Quel sujet de consolation pour Nous ! Est-il besoin de vous le dire ? Il y a là une preuve éclatante que Dieu est encore avec la France, et qu'il ne permettra pas qu'elle s'effondre dans l'abîme où voudrait la précipiter la malice d'un trop grand nombre. Pour nous, Nous ne cesserons jamais d'implorer la divine miséricorde en faveur de votre personne, de votre Église et de votre patrie ; mais en même temps, Nous prions, Nous supplions tous les bons d'écouter avec un zèle chaque jour plus docile les instructions du Vicaire de Jésus-Christ pour le salut commun.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 9
août de l'année 1905, de Notre pontificat la troisième,
PIE X, PAPE.