Abbé Charles Sauteur, aumônier le l’hôpital de
Cluny
(1910-2005)
L’ENFER ET LE PURGATOIRE
2ème édition, 1993
Complétée en 2008, http://eschatologie.free.fr
----****----
Nihil Obstat :
Paul TOINET, Censeur
Imprimatur :
Bernard Lambey, vicaire général, Autun le 1er octobre 1985
1.- INTRODUCTION. LA FOI CATHOLIQUE
2.- LA SOUFFRANCE : OBJECTIONS D'UN INCRÉDULE. INQUIÉTUDE D'UNE
CROYANTE
3.- PROGRÈS POSSIBLE ET NÉCESSAIRE DANS LA COMPRÉHENSION DES DOGMES
5.- L'ENFER. LES
DAMNÉS NE SONT PAS DES REPENTIS_
7.- LE FEU ET L'ENFER. OU LE MALHEUR DES DAMNÉS.
9.- LES LEÇONS DE CETTE HISTOIRE. COMPARONS LA SITUATION DE
"MARIE-LA-FIERTÉ" AVEC CELLE DES DAMNÉS
Naturellement,
il y a des différences.
Et maintenant,
les ressemblances.
10.- DIEU EST-IL PUNISSABLE D’AVOIR CREE ?
11.- PREDESTINATION. NOMBRE DES DAMNES
Première
question : La prédestination
Deuxième
question : Le grand nombre des damnés
12.- LA LIBERTÉ APRÈS LA MORT, LE JUGEMENT PARTICULIER. JUSTICE ET
MISÉRICORDE.
13.- QUI VA EN ENFER ? QUI RISQUE D’Y ALLER ?
14.- SAINT PIERRE, JUDAS, ET LES
OR GUEILLEUX FIEFFÉS
15.- CONCLUSION GÉNÉRALE. CONSEILS DE VIE CHRÉTIENNE
16.- COMPLEMENT : REPONSES A DES OBJECTIONS A LA PREMIERE EDITION
Objection 1
: Morale de la crainte et morale de l'amour ; le nombre des damnés.
Objection
2 : A un prêtre au sujet des peines corporelles de l’enfer
Objection
3 : A des moines théologiens au sujet de l’hypothèse d’une conversion
après la mort
Objection
6 : De moi-même : S’il y a conversion après la mort, pourquoi
annoncer l’Evangile ?
17.- NOTE FINALE AJOUTEE EN 1993 : L’identité de mon paroissien
incrédule
Dans une première
brochure intitulée « Le Problème du mal
et de la souffrance à la lumière du Dieu-Amour », j'ai parlé de la souffrance dans notre monde terrestre, et essayé de
montrer que la croyance en un Dieu Bon n'est pas inconciliable avec ce problème du mal et des souffrances injustes d'ici-bas.
Mais après la mort,
a-t-on vraiment
« fini de souffrir », comme on dit souvent auprès d'un défunt ? L'Église Catholique parle d'un purgatoire rigoureux, et même d'un enfer éternel pour les méchants non repentis. Est-ce raisonnable d'y croire, et en quel sens ? Voilà un problème qui mérite réflexion.
Jadis, les prédicateurs
et les écrivains catholiques ont beaucoup parlé de l'enfer et du purgatoire,
pour impressionner les fidèles, leur faire peur, et par ce moyen les inciter à mieux pratiquer la morale chrétienne présentée alors comme pointilleuse et sévère. Ils en ont fait parfois des descriptions et des commentaires effrayants. Il ne faut pas prendre
"tout" ce qu'ils ont pu dire comme vérité de foi obligatoire, car leur imagination ou leurs idées personnelles ont pu les entraîner à des exagérations, des inexactitudes, ou à des erreurs partielles d'interprétation. On peut en discuter, on n'est pas obligé d'être de leur avis en tout.
Actuellement, c'est l'excès contraire. On
ne parle plus guère du purgatoire, encore moins de l'enfer, et certains même doutent de son existence, ou la nient carrément.
Ce qui nous intéresse
ici, c'est ce qu'en dit
l'Église officielle. Or
les documents officiels de l'Église à ce sujet sont peu nombreux, et plus sobres, plus discrets.
En voici quelques-uns.
En 543, le Synode de Constantinople affirme que l'enfer est éternel. En 1215, le Concile de Latran dit ceci: « Tous ressusciteront avec leur propre corps pour recevoir, selon que leurs œuvres auront été bonnes ou mauvaises, les uns un châtiment éternel avec le diable, les autres une gloire éternelle avec le Christ. » En 1254, le Pape Innocent IV écrit à l'évêque de Tusculum une lettre dans laquelle je relève cette phrase: « Si quelqu'un meurt sans repentir
en
état de péché mortel, il ne fait pas de doute qu'il est tourmenté pour toujours par les feux de l'enfer éternel. »
La foi, de l'église s'appuie sur
les Saintes écritures, et tout spécialement sur l'évangile. Or l'évangile est clair sur l'idée essentielle, sinon
sur les détails. Dans la parabole du jugement dernier,
le Christ affirme que ceux qui, à force d'égoïsme, se sont rendus incapables d'aimer les autres, iront au feu éternel. Ne pourront pas être pardonnés non plus les orgueilleux qui pèchent « contre l'Esprit-Saint », c'est-à-dire ceux qui,
par orgueil, refusent de reconnaître la vérité, refusent de reconnaître leurs erreurs et leurs torts. Dans la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, Jésus montre le mauvais riche, après sa mort, dans un lieu de tourment dont on ne peut pas sortir. Quel est cet "abîme infranchissable" qui sépare le ciel et l'enfer ? Jésus ne le précise pas, mais ce doit être l'abîme de l'égoïsme et de l'orgueil, puisque la grande loi du Christ, celle du ciel et de ceux qui veulent y aller, c'est l'amour dans l'humilité (et l'humilité, c'est la reconnaissance de la vérité).
Jésus se contente de nous
affirmer l’idée essentielle : à nous de chercher à comprendre
le pourquoi et le comment.
----****----
Quant au purgatoire,
l’évangile n’en dit rien, du moins directement. Le Christ affirme nettement les
solutions définitives de la destinée humaine : le ciel et l’enfer. Le
purgatoire n’étant qu’une étape provisoire et temporaire, Jésus laisse à notre intelligence le soin de la deviner et
d’en comprendre la raison.
Cependant Saint Paul
semble bien parler du purgatoire dans
le passage suivant de sa première lettre aux Corinthiens (chap. 3, versets 9-15) : « Nous travaillons ensemble à l'œuvre de Dieu et vous êtes... la maison qu'il construit.... Que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit (sur le fondement qui est Jésus-Christ). Que l'on bâtisse sur ce fondement avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ou avec du bois, du foin, de la paille, l'œuvre de chacun sera mise en évidence, Le jour du jugement la fera connaître, car il se manifeste par le feu, et le feu prouvera ce que vaut
l'œuvre de chacun. Celui dont la construction subsistera recevra une récompense. Celui dont l'œuvre sera consumée en sera privé; lui-même sera sauvé,
mais comme à travers le feu. »
En 1254, le Pape Innocent IV, dans sa lettre à l'évêque de Tusculum, rappelle le passage ci-dessus de Saint Paul et parle des Grecs qui refusaient le mot "purgatoire" en tant que "lieu de purification" ; ils admettaient bien un
"temps de purification" après la mort pour les âmes imparfaites, mais disaient qu'il n'y a pas de lieu spécial pour cela.
En 1274, la Profession de
foi dite de Michel Paléologue
dit ceci: « Les âmes imparfaites sont purifiées après la mort par des peines purgatoires et purifiantes. »
En 1439, le Concile de Florence, dans un décret pour les Grecs, affirme
: « Ceux qui meurent dans l'Amour de Dieu sans avoir suffisamment réparé leurs péchés ou négligences sont purifiés après leur mort par des peines
purgatoires. »
En 1563, le Concile de Trente "prescrit aux évêques d'apporter tous leurs soins à ce que la saine doctrine du purgatoire... soit crue par les fidèles, enseignée et prêchée en tout lieu" en évitant les idées douteuses ou teintée d'erreur.
Ainsi, sans en faire une vérité de foi définie comme obligatoire, l'Église croit fermement
au purgatoire. Elle a toujours fait prier pour les morts, ce qui suppose la croyance en une purification nécessaire des âmes imparfaites avant d’entrer au
ciel. Pour ne citer qu’un exemple, l’une des prières de la liturgie actuelle
des défunts dit ceci: « Délivre ton serviteur N. … de tout ce qui peut le
retenir loin de Toi, et fais-lui le bonheur de tes amis les saints. »
Remarquons tout de suite que « le feu » du purgatoire, comme
« le feu » de l’enfer ne sont pas à comprendre au sens matériel, mais
sont des comparaisons, comme lorsque Jésus dit : « Je suis la lumière du monde » ou « Je suis la vigne et vous les sarments », ou encore « Je suis le bon pasteur »,
et lorsqu’il dit à Saint Pierre: « Tu es Pierre el sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. »
Les citations ci-dessus de l'Église officielle suffiront. Je n'ai pas l'intention de faire un traité savant,
rempli de citations de théologiens, et qui rebuterait les simples chrétiens. Mon intention est de répondre aux objections des incroyants ou des mal-croyants,
et aux questions que se posent les chrétiens ordinaires; et cela en expliquant en langage simple comment je comprends moi-même les choses après avoir réfléchi personnellement à ces problèmes. Je m'adresse donc spécialement aux chrétiens de la base, étant moi-même un prêtre de la base qui veut être fidèle à la foi authentique, mais qui veut une foi réfléchie et raisonnable, car il ne doit pas y avoir de contradiction irréductible entre les vérités révélées par Dieu et la saine raison créée par Dieu.
Excusez le style personnel de mon texte: il exprime mes propres réflexions ou convictions, forgées peu à
peu tout au long de ma vie. Cependant, j'ai consulté quelques théologiens plus
savants que moi, qui semblent d'accord dans l'ensemble avec mon point de vue et qui m'encouragent à publier cet essai.
J'exposerai d'abord
les objections d'un
baptisé devenu incrédule, et même révolté contre la religion chrétienne, à cause du problème du mal et de l'enfer;
et la réflexion découragée d'une croyante restée
fidèle, mais perpétuellement inquiète sur son salut éternel et celui des siens.
Et puis je donnerai ma
réponse, ma pensée personnelle, appuyée sur l'esprit évangélique d'un Dieu qui nous aime et qui s'est dévoué pour nous jusqu'au sacrifice de la croix. Il tient à nous sauver, et non pas à nous condamner !
----****----
Ces objections sont
condensées dans une lettre que je vais citer. Elle fut écrite il y a une trentaine d'année par un de
mes paroissiens d'alors. Désolé d'avoir perdu sa femme encore bien jeune, il entreprit
de mieux étudier la doctrine chrétienne pour savoir si l'on peut être sûr de retrouver dans l'au-delà ceux qu'on a aimés ici-bas. Il a donc lu des livres d'instruction religieuse du début de notre siècle, et le résultat fut désastreux pour lui: il en perdit la foi chrétienne, sinon la foi en un Dieu inconnu et mystérieux.
J'avais discuté avec lui, à son domicile, sur les questions religieuses qui le bloquaient ; et il m'a envoyé une longue lettre, que j'ai conservée, et dont voici les pas sages qui nous intéressent
dans cette étude de l'enfer... etc.
« Réfléchissez longuement, longuement, à toutes les choses hideuses qui se passent dans le monde: massacres, cruautés, tortures, crimes, invasions, pillages, vols, misères, famines, oppressions, esclavage, souffrances, injustices, immoralités, hypocrisies, mensonges, veuleries, etc. etc. sans compter la souffrance et le mas sacre perpétuels qui sévissent chez les animaux.
« Essayez de soutenir que tout ce mal vient de l'homme seul ! Non ! Tout vient de Dieu, et ne peut venir que de Dieu... Dieu savait, en créant l'humanité, qu'il créait aussi le mal !
« Et il y a
plus grave, si possible, que tout cela: Dieu, en créant, savait qu'un grand
nombre de ses créatures étaient, non pas destinées au bonheur du ciel, mais au supplice
éternel de l'enfer. Et ces êtres, damnés d'avance, et qui n'avaient pas demandé
à être créés ou éprouvés, Dieu les a créés quand même!
« Et je vous
demande quel est le plus punissable: d'un Dieu qui crée, sachant que la
créature qu'il crée fera le mal et est destinée à l'enfer, ou de la créature
qui n'a rien demandé? "...
Ce paroissien
incrédule m'avait dit oralement: « Pourquoi une punition éternelle ? Toute
punition doit finir un jour! Sinon, c'est inhumain. » Et puis:
« Comment peut-on être heureux au ciel en sachant que des êtres semblables
à nous souffrent horriblement en enfer et sans rien faire pour mettre fin à
leurs souffrances ? Dieu, et les élus, ont-ils donc un cœur insensible à la
souffrance d'autrui? N'est-ce pas monstrueux? »
Dans la suite de sa lettre, mon paroissien dit qu'il ne peut pas croire à la sincérité
des prédicateurs et théologiens qui enseignent ce dogme de l'enfer; et qui donnent, du mal dans le monde, une explication pas du tout
satisfaisante; pour justifier leurs croyances, « ils semblent se satisfaire de pseudo-démonstrations bonnes pour des enfants de dix ans ! »... Au fond, pense-t-il, ils ne doivent pas y croire vraiment, mais ils sont" obligés d'accepter le dogme en entier et tel qu'il est, sans pouvoir le
modifier, ni choisir ce qui est bon et rejeter l'ignoble. »... En conclusion de quoi il écrit: « Quelle est la valeur d'une religion dont les apôtres sont obligés de tricher (avec leur conscience) pour la
défendre ? Lorsque je commençais à étudier ces choses, j'étais tellement attristé devant ces constatations que j'en ai pleuré, non pas au
figuré, mais en réalité. Pour moi, cela impliquait que la religion que j'étudiais était fausse ! »
Cet homme donc rejette la foi
chrétienne. D'autres sont restés croyants, mais éprouvent un malaise devant la doctrine chrétienne, ou plutôt devant la façon dont elle leur a été expliquée. Telle cette dame d'une soixantaine d'années (une de mes tantes que je visitais en Suisse pour la première fois en 1951). Je
lui demandais ce qu'elle avait retenu comme impression d'ensemble ou comme
conclusion générale de l'éducation rigoriste qu'elle avait reçue. Elle me
répondit: « La conclusion, la voici: on aura beau dire, on aura beau
faire, il y aura toujours moyen d'aller en enfer! »... Que c'est dommage
de passer toute sa vie dans cette perspective désolante et décourageante, cette
inquiétude permanente, cette idée d'un Dieu justicier et impitoyable qui nous
épie pour nous prendre en flagrant délit, et pour nous prendre au piège s'il nous
arrive de mourir sans avoir pu nous confesser pour recevoir le pardon!... Voir
partout des péchés "mortels" - alors qu'en fait il n'y en a pas tant
que cela - et vivre dans la crainte d'être damné malgré la bonne volonté qu'on
met à pratiquer cette morale rigoriste, que c'est dommage! Il faut absolument
corriger ces idées, car le Christ nous donne de Dieu un autre visage! Il nous
inspire la confiance et non la crainte, sauf à ceux qui sont de mauvaise foi et
de mauvaise volonté.
----****----
La crainte exagérée de l'enfer n'est pas seulement une histoire du passé, une
crainte dépassée. Maintenant encore, parmi les malades et les vieillards dont je m'occupe, j'en
trouve - pas chez les
indifférents, mais chez les bons
chrétiens - qui s'inquiètent
et qui ont peur d'aller en enfer.
Et il me faut les rassurer.
Et puis même sans partager la révolte de mon paroissien incrédule, il y a bien des gens qui se posent des questions semblables. N'est-il pas utile de les aider à réfléchir sainement ?
Devant le réquisitoire indigné de ce paroissien qui refuse de croire à une " religion de l'enfer », et qui par ailleurs est un honnête homme, je me suis dit : « Comment a-t-on pu enseigner ou expliquer la religion de façon à donner à des âmes,
qui au fond sont de bonne volonté, de tels sentiments de révolte et de
rejet ? »
... Que peut-on lui répondre
? Que faut-il penser ?
Faut-il en conclure que nos
dogmes sont faux ?... ou bien qu'ils sont mal compris ?... Pensant que cette dernière hypothèse doit être la bonne - car nous avons tout de même des raisons sérieuses de croire au Christ et à sa religion
- j'ai cherché à comprendre autrement les vérités contenues dans ces
dogmes, sans pour autant démolir le dogme lui-même en sa vérité foncière.
Je n'ai pas pu continuer mes discussions avec mon paroissien incrédule, parce que j'ai dû laisser cette paroisse pour en prendre une autre. De plus, en ce temps-là, ma pensée n'était pas mûre, et j'étais embarrassé pour répondre de façon satisfaisante à ce chercheur de vérité terriblement exigeant.
Au cours de ma vie, ma pensée a mûri,
ma foi s'est précisée, et c'est normal.
Dieu veut que chaque individu progresse, et que l'humanité dans son ensemble progresse, non seulement dans les techniques et l'organisation matérielle, mais aussi dans la connaissance et la compréhension des vérités religieuses.
----****----
Il y a progrès entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Et même après Jésus Christ, Dieu veut
que notre intelligence fonctionne !... Jésus ne nous a pas fourni un traité complet en
ses moindres détails et aux formules intangibles : il nous a donné les éléments nécessaires à notre foi, et il compte sur notre effort personnel et collectif, en Église, pour organiser les éléments de sa révélation, et les compléter en explicitant ce qui est contenu implicitement dans ses paroles ou
ses actes. Au lieu de nous donner une vérité toute faite, complète et détaillée, qui n'aurait nul besoin d'être repensée, réfléchie, précisée, il préfère nous
laisser le mérite de chercher et de
parvenir peu à peu à « la vérité toute entière », avec l'aide de l'Esprit-Saint dont la lumière est promise aux âmes humbles et de bonne volonté.
D'abord, il s'agit de bien comprendre, d'après leur contexte, certains mots bibliques, parce que leur sens n'est pas tout à fait le même que dans notre langage d'aujourd'hui. Par exemple "la crainte de Dieu" - expression souvent utilisée dans la Bible - ne signifie pas la
peur (la frousse), mais simplement le "respect" de Dieu,... et de ses
commandements,... respect et fidélité mêlés d'amour et de confiance. C'est dans
ce sens que l'Évangile qualifie le vieillard Siméon d'"homme juste et
craignant Dieu". Ajoutons que "juste", dans la Bible, signifie
juste envers Dieu, et pas seulement envers les hommes, donc juste totalement,
saint.
Non seulement des mots sont à
expliquer, mais aussi des idées progressent. En ce qui concerne l'au-delà, la
Bible a d'abord des notions bien confuses. On supposait une survie mystérieuse
après la mort; et le séjour des morts, on l'appelait en hébreu "le shéol " ; ce mot fut
traduit en latin par "inferi",
les lieux "inférieurs", ce qui a donné en français "les
enfers", mot général au sens encore vague. On ne savait pas bien alors ce
qui se passait dans ce séjour des morts; on ne distinguait pas encore nettement
ce qu'on a appelé depuis l'Enfer (au singulier), le Purgatoire, le ciel,... ou
les Limbes (au sujet desquelles l'Église officielle ne s'est pas encore
prononcée nettement jusqu'ici, n'a pas défini ce qu'on peut croire ou ce qu’on
doit croire).
Le Christ nous a donné son éclairage à lui sur le Ciel et l'enfer, marquant clairement la différence entre le sort éternel des bons et celui des méchants. Mais nous pouvons progresser encore dans la connaissance de l'au-delà, en devinant ce qu'il a simplement laissé supposer, ou seulement suggéré, et en comprenant en langage d'amour ce qu'il a exprimé en langage de justice.
----****----
Car autrefois, l'idée dominante était la justice (répressive)
plus que la bonté miséricordieuse; l'autorité d'un côté et l'obéissance de l'autre, avec sanctions imposées: récompense ou punition (châtiment imposé avec suppression de la liberté). Ainsi l'Ancien Testament, tout en affirmant que Dieu est bon et miséricordieux, parle beaucoup de justice punitive pour les méchants et les infidèles. Le Christ qui s'est dévoué
jusqu'à la mort sur la croix pour convertir les pécheurs et les sauver au lieu de les condamner, nous montre que, pour lui, l'amour miséricordieux domine et dépasse la justice (sans la supprimer). Cependant lui-même, et l'Église jusqu'ici, ont souvent utilisé un langage de justice pour être compris dans la mentalité de leur époque,
et pour impressionner les gens qui ne comprennent
pas les sanctions autrement qu'en termes de justice punitive ou rémunératrice. Mais il peut y
avoir évolution dans ce langage, maintenant que les esprits sont plus affinés, plus pointilleux sur la liberté et sur les droits de l'homme (en oubliant les droits de Dieu !...).
Il est temps
qu'on fasse un progrès dans la compréhension des vérités révélées et qu'on les
considère davantage sous l'angle de l'amour, même lorsqu'il s'agit de la
justice de Dieu. 8t Jean n'a pas dit" Dieu est Justice", mais
"Dieu est Amour" : un amour qui inclut la justice, qui la rend plus
juste, et qui la déborde de toutes parts. Allons-nous enfin comprendre ?
"Que vous êtes lents à comprendre !" disait Jésus aux disciples
d'Emmaüs,... et aussi à nous!
----****----
Est-on vraiment" obligé
d'accepter le dogme tel qu'il est", sans possibilité de discussion,...
comme dit mon paroissien incrédule? Ce n'est pas tout à fait cela. Pour le chrétien,
la règle suprême de la vérité, c'est la pensée du Christ, et l'Église doit s'y conformer. Elle a reçu mission de Jésus lui-même d'enseigner" sa "vérité, et de la développer avec l'assistance du Saint-Esprit.
Elle le fait de son mieux, avec des imperfections bien humaines
(qu'il est difficile d'éviter) et d'une façon progressive, avec parfois des tâtonnements, et même
des rectifications. Les formules dogmatiques de l'Église contiennent certainement une vérité, une idée essentielle qu'il faut conserver, mais la formulation peut n'être pas parfaite en tout point, ou inadaptée au langage actuel, ou avoir besoin d'être complétée
par d'autres déclarations. Voilà pourquoi
on peut toujours chercher à mieux comprendre, à mieux expliquer, parfois à améliorer les formules doctrinales pour les rendre plus satisfaisantes, plus claires, plus précises, et en même temps plus conformes à l'esprit du Christ, à "sa" vérité, à sa grande loi d'amour et de liberté, Par exemple le mot "expiation" - qui pour nous signifie punition infligée plus que réparation volontaire -
est à expliquer
ou à réviser. Au lieu de dire que le Christ est venu « expier pour nous », à notre place, ne serait-il pas plus juste de dire qu'il est venu « réparer les dégâts, avec nous » et pas sans nous. Quels dégâts ? Ceux causés par le péché, à savoir:
1 - l'honneur de Dieu outragé;
2 - les injustices et manques d'amour envers
le prochain;
3 - l'âme même du pécheur abîmée: abîmée par l'orgueil, l'égoïsme, la méchanceté, etc.
Ce qui est appelé" punition" ou " châtiment" de la part de Dieu sur terre ou en purgatoire, pourquoi ne pas le considérer comme une " sanction éducative », une "correction paternelle », et remplacer le proverbe biblique " Qui aime bien châtie bien" par " qui aime bien corrige bien », pour le bien de celui qui est corrigé ?... Quant au" châtiment éternel" de l'enfer, soi-disant imposé
de force à des âmes récalcitrantes, ne peut-on pas l'appeler plus
justement une" sanction naturel le », une conséquence naturelle
inévitable d'un libre
choix malheureux et définitif, sans aucune
idée ou besoin de vengeance de la part d'un Dieu qui n'est qu'Amour ?
Vous voyez qu'il y a matière à
discussion dans ces dogmes sans porter atteinte à leur vérité fondamentale, contenue dans des mots ou des expressions qui peuvent être
modifiés pour être mieux
compris.
Voilà déjà une réponse au reproche que nous faisait mon paroissien incrédule: « Le malheur est que vous êtes obligés d'accepter
le dogme tel qu'il est », sans aucune possibilité de discussion ou de modifications ! Je répondrai: « tel
qu'il est dans sa vérité fondamentale, oui, mais pas forcément tel qu'il
est formulé ou expliqué. »
Et maintenant, je vais essayer de répondre à ses autres objections, après avoir répondu dans ma première brochure à celles qui concernent
le mal et la souffrance
dans le monde actuel.
Je lui ai communiqué cette brochure, et aussi le brouillon de celle-ci, en lui demandant
la permission de faire allusion à lui, et à sa cousine dont vous verrez bientôt
la curieuse histoire.
----****----
Mon paroissien,
chercheur de vérité exigeant, - avec ceux qui pensent plus ou moins comme lui -
mérite une explication plus satisfaisante que celle qu'il a trouvée dans ses
livres. Car au fond, c'est une âme de bonne volonté: il voudrait que personne
ne souffre, que tout le monde soit heureux; il a des sentiments de compassion
pour les malheureux et d'indulgence pour les coupables en refusant l'idée d'une
punition éternelle; il a un vif désir de justice, de bonté universelle, de
charité fraternelle. Voilà des sentiments qui plaisent à Dieu et qui sont méritoires.
Jésus a dit : « Bienheureux les
doux, les miséricordieux !... Bienheureux
ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés! »
Et puis j'admire sa conclusion personnelle: « il
espère contre toute espérance
en un Dieu qui saura
concilier sa bonté avec
les injustices et les immoralités
de sa création. » Et il ajoute: « Là est pour moi le seul mystère. Il dépasse les limites de ma seule raison, mais il me sera expliqué un jour. » Ainsi donc, il a assez d'humilité pour reconnaître
que sa raison a des limites et ne peut pas tout expliquer.
Justement Dieu veut que nous ayons cette humilité, et que nous ayons le mérite difficile de lui faire
confiance sans toujours comprendre sa conduite déroutante.
Enfin, mon paroissien croit que" ce mystère lui sera expliqué un jour. » En cela, il a raison. Un jour il comprendra que ce Dieu Bon qu'il cherche est précisément le Dieu de Jésus-Christ. Il ne l'admet pas encore, puisqu'il rejette la doctrine chrétienne - mal comprise - et je voudrais l'aider, lui et ses semblables, à mieux comprendre.
Dieu - dit Jésus - est comme le Père
de l'Enfant Prodigue: il ne pense
pas du tout à " punir" le fautif, ni à l'humilier par des reproches ou des sanctions, mais uniquement à lui redonner confiance et dignité, en lui témoignant un amour inentamé, indéfectible, et en le rétablissant dans tous ses droits perdus, en le réhabilitant pleinement. Déjà, l'Ancien Testament affirmait: « Dieu ne veut
pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive. »
Et Jésus dit à Nicodème: « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils Unique... non pas pour condamner le monde, mais pour que par Lui le monde soit sauvé. »
----****----
Le point crucial des objections, c'est l'enfer. Mais commençons par le purgatoire. Mon paroissien disait : « Toute punition doit finir un jour. » Eh bien, la voilà, la punition
qui finit: c'est le purgatoire ! Sauf que ce n'est pas une "punition" au sens habituel du mot,
c'est-à-dire pas une punition infligée mal gré nous par un Dieu qui voudrait se venger de l'offense qu'on lui a faite et nous la faire « expier. » C'est autre chose, comme nous allons le voir.
D'abord, quelle raison
avons-nous de croire au purgatoire ? J'ai eu un soir une longue et intéressante discussion avec un groupe de Protestants militants, ayant un pasteur à leur tête.
Entre autres choses, ils m'ont dit : « Il n'y a pas de
purgatoire ! L'Évangile n'en dit pas un mot. »... Je leur ai répondu:
« Il y a dans l'Évangile une parole que vous connaissez bien. Jésus a dit: « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Et il nous dit cela comme un ordre, ou plutôt comme une nécessité. Or il sait bien que sur la terre nous n'arrivons pas à être parfaits, du moins pour la plupart d'entre nous. Alors, je comprends sa parole ainsi : il nous faudra absolument être parfaits pour entrer au ciel. Et si, à la mort, nous ne sommes pas parvenus à cette perfection, nous devrons faire un stage en purgatoire pour y parvenir, pour nous débarrasser des restes de nos défauts et nous mettre en état de mener convenablement au ciel la vie de perfection exigée des élus; exigée pour "leur" bien commun, et pour que" leur"
bonheur soit parfait. Le Christ nous parle nettement des solutions définitives de la destinée humaine: le ciel et l'enfer; quant au purgatoire, qui n'est qu'un stage temporaire, il nous le laisse deviner, il se contente de nous le suggérer indirectement. » Sans être convaincus, ils n'ont pas trouvé d'objection sérieuse à ce raisonnement.
Jadis, on considérait le purgatoire
comme un lieu ou un état où l'on souffre terriblement et où l'on n'aspire qu'à être délivré le plus tôt possible. Ce n'est pas tout à fait exact. Dans ma
jeunesse, vers l'année 1930, j'ai entendu un jour le Père Henry, chapelain de Paray-le-Monial, dire aux séminaristes de sa colonie de vacances : « Moi, quand je serai en purgatoire, je serai bien content ! » Mouvement de surprise chez les jeunes auditeurs. Il reprend : « Oui, je serai bien content !...
1°) - parce que, lorsqu'on est en purgatoire, on est sûr d'aller au ciel;
2°) - parce que je ne voudrais pas entrer au ciel avant d'être prêt, avant d'être digne de Dieu et des élus, avant d'être en état de partager convenablement leur vie de perfection totale, Bien sûr, je souffrirai
à cause de mes péchés, de mes imperfections, et des traces qu'ils ont laissées dans mon âme, mais je serai content de guérir mon âme par un traitement douloureux qui lui donnera
la pleine santé spirituelle, et de terminer ainsi ma préparation à la vie du ciel. Car le purgatoire est un hôpital pour les âmes à l'état de santé mauvais ou encore fragile, et l'on accepte volontiers d'y séjourner le temps qu'il faudra. »
Ces paroles du P. Henry m'ont fortement impressionné et m'ont fait réfléchir.
Au lieu d'appeler le purgatoire un lieu d'expiation, il serait plus juste de l'appeler un "hôpital spirituel" pour âmes blessées ou malades, un lieu ou un " stage de purification" où l'on se débarrasse des restes de défauts et d'imperfections qui pourraient gêner la vie céleste, un "stage de perfectionnement" pour âmes imparfaites, un "stage de dernière préparation" à la vie du ciel pour ceux qui ne sont pas tout à fait prêts.
----****----
Qu'est-ce que le feu du purgatoire ?... Ce n'est pas un feu matériel, puisqu'en purgatoire il n'y a
que des âmes séparées provisoirement de leur corps. Voilà en quoi consiste ce feu, ou cette souffrance purificatrice:
A la lumière de Dieu, l'âme voit clairement, avec une netteté parfaite, la part de bien et la part
de mal qu'il y a eu dans sa vie; et il faut qu'elle rectifie tout ce
qui, dans ses pensées, ses paroles et ses actes, n'a pas été conforme à la vérité, à la justice, à la charité. Elle revoit en détail, reconnaît avec tristesse et regrette amère ment tout le mal qu'elle a pensé, qu'elle a fait ou voulu faire; tout ce qu'il y a eu d'injuste ou de
méchant dans ses sentiments, ses désirs et son comportement; toutes les peines
qu'elle a occasionnées aux autres plus ou moins consciemment ou volontairement
; la part d'égoïsme ou d'orgueil qui s'est glissée jusque dans ses bonnes
actions; son ingratitude envers Dieu, qui n'a pas été honoré et aimé comme il
le méritait. Elle voit aussi tout le bien qu'elle aurait pu faire et qu'elle
n'a pas fait, et tout le mérite perdu pour l'éternité; ses refus d'efforts, ses
manques de générosité ont gêné sa progression dans l'amour de Dieu et du
prochain, et en conséquence son bonheur éternel en sera moins grand, pour
toujours! Lorsque l'âme aura suffisamment reconnu, regretté, rectifié tout
cela, et suffisamment désiré la perfection de l'amour, elle sera tellement
"vaccinée" contre toute tendance mauvaise qu'il n'y aura plus jamais
aucun risque pour elle de retomber dans les mêmes défauts ou imperfections.
Alors elle pourra entrer au ciel !
Le ciel ne serait pas le ciel si Dieu y laissait entrer la moindre imperfection, ou le moindre risque. Dieu veut que "notre" bonheur au ciel soit absolument parfait et sans nuage, et il
ne pourrait pas l'être si nous conservions là-haut la moindre trace d'égoïsme, d'orgueil, de caprice déraisonnable ou d'autres défauts. Dieu ne cherche pas à nous "punir" en purgatoire: il cherche à nous « rendre parfaits », et cela pour notre bien à nous et celui des autres élus. Voilà pourquoi il est si exigeant !... C'est une exigence d'amour plus que de justice: une exigence de l'amour de Dieu pour nous, et aussi une exigence de notre amour pour Dieu et pour les autres; l'âme du purgatoire ne "veut pas" emporter au ciel des restes d'imperfections qui pourraient déplaire à Dieu et qui risqueraient de gêner les autres élus. Le feu du purgatoire, c'est donc le feu de l'amour, de l'amour purificateur.
----****----
Pour mieux comprendre ce feu de l'amour purificateur, méditons sur saint Pierre "pleurant amèrement" après son reniement. D'abord, en pensant à sa fanfaronnade de la veille et à sa lâcheté du matin, il pleure de honte et d'humiliation; mais cette humiliation, acceptée, le guérit de sa tendance à l'orgueil et de ses illusions. Il reconnaît loyalement la vérité sur lui-même: il est, comme les autres, un être faible, capable de pécher et plus ou moins coupable ! Et puis, il pense à Jésus qui l'a regardé en passant, il voit son regard plein de reproche affectueux et de pardon,... et il pleure d'avoir fait de la peine à Jésus, qu'il aime et qu'il
veut mieux aimer désormais. Ce repentir d'amour (contrition parfaite) purifie et fortifie son amour, qui sera désormais plus humble, plus désintéressé, et plus fort. Avec l'aide de l'Esprit-Saint reçu à la Pentecôte, Pierre deviendra courageux et fidèle jusqu'à la mort: il mourra crucifié comme Jésus et pour Jésus, heureux de l'imiter dans la mort, mais humble ment, la tête en bas à sa propre demande, se jugeant indigne d'être crucifié la tête haute comme Jésus !
La souffrance des âmes du Purgatoire ressemble bien à celle de Pierre pleurant sa faute, et elle a des effets comparables : elle répare les fautes, guérit les défauts jusqu'à la racine, et rend parfait l'amour de Dieu et du prochain. Elle nous met ainsi en état d'entrer au ciel.
----****----
S'il en est ainsi, faut-il encore prier pour les âmes du purgatoire ? Bien sûr que oui ! Car si Dieu ne peut pas ou ne veut pas nous dispenser de la purification,
il peut l'accélérer pour l'abréger, ou la rendre moins douloureuse, et il le fait volontiers à notre prière parce qu'il aime nous voir pratiquer la charité fraternelle.
Mais il exauce nos prières à sa façon à Lui, car il n'est pas lié par nos
désirs à nous et il garde toujours sa liberté d'appréciation. Par exemple, s'il est une âme
du purgatoire pour laquelle
on offre beaucoup de prières, de messes, de bonnes actions ou d'indulgences, tandis que d'autres sont oubliées, Dieu se permet d'appliquer le
fruit de ces prières
etc. en partie à l'âme désignée et en partie à d'autres pour lesquelles personne ne prie. Et lorsqu'au ciel il nous montrera comment il nous a exaucés, nous le remercierons de l'avoir fait avec son sens à Lui de la justice et de la bonté pour tous.
Et si l'âme pour laquelle on prie est déjà au ciel, la prière qu'on fait pour elle devient une prière « à ses intentions. »
----****----
L'enfer n'est pas - comme le purgatoire - un stage de purification et de
perfectionnement pour les âmes qui ont choisi d'être pour Dieu et qui ont accepté sa loi d'amour. Les damnés au contraire ont refusé l'amour et ne sont pas des repentis qui désirent faire mieux.
Même en considérant l'enfer comme une punition infligée par Dieu - ce que je conteste et discute ci-après - il faut remarquer qu'un damné
est comme un condamné inconvertissable qui ne se repentira jamais.
Comparons avec la justice humaine à l'égard de ceux qu'elle a condamnés
à la détention perpétuelle. En général, ces condamnés, s'ils se sont bien conduits en prison, sont libérés au bout de 15 ou
20 ans. Pourquoi ? Parce qu'ils sont supposés repentis et
disposés à mener une vie régulière après avoir retrouvé la liberté. Ainsi l'assassin de Maria Goretti, qui après sa sortie de prison a mené une vie exemplaire, et a voulu assister à la canonisation de sa victime qui avait prié pour lui et souhaité le retrouver en Paradis.
Mais si un condamné manifeste clairement
qu'il n'a aucun regret de
ses crimes et qu'il est prêt à recommencer dès qu'il sera libre, on ne peut pas raisonnablement le faire sortir de
prison !... Or c'est le cas des damnés.
Si Dieu les libérait et leur permettait d'entrer au ciel - c'est-à-dire s'il leur permettait de se mêler aux élus et d'exercer sur eux une certaine action ou influence,
les démons et les damnés chercheraient encore à détourner de Dieu les élus,
à semer la discorde parmi eux, et - même sans réussir- ils empêcheraient les habitants du ciel d'être en paix et pleinement heureux.
Les damnés ont refusé l'humilité et choisi l'orgueil, ils ont refusé l'amour et choisi la haine. Leur révolte contre Dieu est définitive. Elle a été voulue librement et
en toute connaissance de cause, au moins un moment de la mort ou tout de suite après, Dieu leur faisant voir alors toute la vérité et rectifiant leurs erreurs pour qu'ils
ne se trompent pas en prenant leur décision finale. Leur révolte est donc devenue chez eux une attitude éternelle, et par conséquent la peine (ou punition si vous voulez) est aussi éternelle et ne peut pas finir, non pas parce que Dieu refuse d'y mettre fin, mais surtout parce que" eux" ne veulent pas changer d'avis, ayant suffisamment pesé le pour et le contre pour n'avoir plus de raison de changer.
Pourquoi en effet nous arrive-t-il de changer d'avis ? Parce que nous disons: « Si j'avais su !... Je ne savais pas ceci, je ne comprenais pas cela !... Maintenant que je comprends mieux, je change d'avis, et de décision. »
Au moment de la décision finale, éclairés par Dieu, ils ont compris aussi toutes les conséquences de leur choix final: le bonheur avec Dieu, ou le malheur avec les démons. Et ils ont accepté les conséquences de leur choix.
Mais, direz-vous, après expérience du malheur
de l'enfer, ne sont-ils pas capables
de changer d'avis encore... Il faut croire que
non. Voici à ce sujet un témoignage du Diable lui-même. Je ne le donne pas comme une preuve indiscutable, car on n'est jamais obligé de croire aux révélations privées, qu'elles viennent de Dieu ou du diable. Mais ces aveux du démon expriment bien ce que je crois être
vrai sur l'état d'esprit des damnés. D'ailleurs, la conviction générale des théologiens est celle-ci: l'enfer n'est que
le respect jusqu'au bout de la liberté don née
par Dieu à ses créatures.
Ce témoignage du démon nous vient par les possédés
d’Illfurt : deux garçons de dix-douze ans qui ont été possédés pendant quatre ans. Ce cas de possession diabolique semble bien authentique, alors que beaucoup d'autres ne le sont pas. Je rapporte ce témoignage d'après mes souvenirs, car j'ai prêté et perdu depuis longtemps le livre qui raconte cette histoire.
Un jour que le diable parlait par la bouche d'un des garçons (avec une voix d'homme rugueuse), une personne présente voulut interroger Satan, et voici le dialogue qui s'en suivit: « Toi qui en as l'expérience, dis-nous si on est vraiment malheureux
en enfer.- Oh oui, alors ! Terriblement malheureux ! - Et au ciel, est-ce qu'on y est heureux ? - Bien sûr ! D’un bonheur si grand que vous ne pouvez même pas l'imaginer.-
Que ferais-tu pour retrouver un bonheur comparable
à celui du ciel ? - Je ferais n'importe quoi de pénible et de douloureux, pendant des siècles s'il le fallait.-
Eh bien, il me semble que ce serait possible, et pas si compliqué: il suffirait que tu acceptes d'obéir à Dieu et de pratiquer la loi du ciel, qui est une loi d'amour et non de contrainte. » Réplique énergique
de Satan: « ça jamais ! Si
c'est comme ça, j'aime mieux rester en enfer
! »... Réponse finale: « Eh bien, restes-y ! »... Que voulez-vous qu'on dise d'autre ?
Comment peut-on en arriver là : choisir l'enfer plutôt que le ciel, et persévérer dans ce choix ? Essayons de comprendre.
----****----
Lorsque je faisais mon service militaire, il m'arrivait de parler religion
avec certains camarades de caserne. L'un
d'eux me dit un jour: « La grandeur de l'homme, ce qui fait sa dignité, sa fierté, c'est de n'obéir à personne, pas même à Dieu !... surtout pas à Dieu ! »... Ce camarade s'était laissé influencer par les théories
de certains philosophes athées. Sa parole m'a frappé, et j'y ai souvent réfléchi
depuis. Je me suis dit: « Mais, c'est exactement la mentalité du diable ! Ne serait-ce pas aussi la mentalité de tous les damnés ? »... Indépendance totale: n'obéir à personne, ne rien devoir à personne d'autre qu'à soi-même, réaliser
soi-même sa propre destinée, sans Dieu,... voilà un idéal qui a de quoi séduire !
Ambition sublime !... Mais est-ce possible, est-ce réalisable, est-ce sage ?... Prenons une comparaison,
ou plutôt deux.
Voilà un homme qui est ouvrier chez
son patron, et il voudrait avoir plus d'initiative personnelle dans l'organisation de sa vie, plus de liberté, au lieu d'obéir toujours et d'exécuter les volontés d'un autre. Et il cherche à se mettre à son
compte pour avoir son indépendance. Ambition légitime et possible. Par sa nature humaine, il est l'égal de son patron, et rien ne l'oblige
fondamentalement à rester sous sa dépendance.
Mais ce n'est pas le cas de
l'homme par rapport à Dieu.
L'homme devant Dieu est comme un tout
petit enfant devant ses parents: il dépend d'eux entièrement, il a besoin
d'eux pour tout. Supposons que cet
enfant veuille se tirer d'affaire tout seul, ne rien devoir
à ses parents, ne rien recevoir
d'eux, ne pas dépendre d'eux: ce serait idiot, stupide, suicidaire !... Même quand il aura grandi et qu'il exercera peu à peu ses capacités, et sa liberté naissante, il restera sous leur dépendance dans une certaine
mesure, jusqu'à ce qu'il ait son gagne-pain et sa situation bien à lui.
Et même alors, il restera toujours redevable à ses parents et de la vie, et de l'éducation qu'ils lui ont donnée,
et aussi de la situation honorable
à laquelle il est parvenu grâce à eux, à leur aide. S'il n'est pas un enfant dévoyé, il devra toujours à ses parents respect, reconnaissance, et amour pour amour.
Telle est notre situation par rapport à Dieu. Nous lui devons l'existence,
et toutes les capacités de notre nature humaine,
et notre liberté, et notre esprit d'initiative. On ne peut pas changer cela.
Est-il raisonnable de ne pas le
reconnaître, de faire comme si nous ne devions rien à Dieu : ni obéissance, ni respect, ni amour ? Et de faire comme si nous n'attendions rien de lui, ni sur la terre, ni dans l'éternité ? Quelle grandeur y a-t-il à ne pas vouloir reconnaître la réalité, à ne pas l'accepter, et du même coup à être souverainement ingrat envers celui qui
nous a créés et qui veut être pour nous - non pas un Maître dominateur - mais un Père aimant et dévoué ?... C'est une grandeur orgueilleuse et fallacieuse qui ne peut pas aboutir au bonheur, car le seul bonheur
possible est celui d'un amour réciproque entre le Père céleste et ses enfants. Et c'est une immense injustice envers Dieu en même temps qu'une immense ingratitude. Je ne vois
pas ce qu'il y a de vraiment
honorable dans cette attitude: il n'y a pas de quoi en être fier.
Et cependant les
damnés mettent leur fierté dans cette audace inouïe: cette volonté stupide d'indépendance impossible
! Ils voudraient être "comme des
dieux" contre Dieu; alors
que lui, Dieu, désire que nous soyons « comme des dieux
», de vrais fils de Dieu, mais avec Lui et grâce à
Lui, car c'est impossible autrement. Être comme des dieux, non pas par l'indépendance totale (impossible), mais par l'amour, puisque Dieu est Amour ! Oui, il désire que nous soyons comme Lui… en amour
! Sur ce plan là, nous pouvons lui faire concurrence (avec son aide bienveillante)
en perfectionnant notre tendance naturelle à l'amour vrai, et en la poussant jusqu'à l'amour de Dieu dans l'épreuve incomprise et jusqu'à l'amour des ennemis, comme Jésus nous en a donné l'exemple.
En résumé, par un orgueil démesuré, les démons et les damnés sont malheureux, mais ils préfèrent leur malheur indépendant à un bonheur dont ils seraient redevables à Dieu et non à eux-mêmes, à eux seuls.
----****----
Cette mentalité d'indépendance absolue
suffit-elle à expliquer la révolte des mauvais anges ? Je crois qu'il faut la compléter par l'opinion suivante, qui me paraît vraisemblable. Toute créature raisonnable, pour bien s'entendre avec son Créateur, doit être humble et charitable. Et Dieu aurait voulu vérifier la capacité d'humilité et
de charité des anges, et du même coup leur donner l'occasion d'exercer leur liberté dans un cas difficile et déterminant, l'occasion de faire un choix définitif et irrévocable pour ou contre leur Créateur. Dieu les aurait mis à l'épreuve en leur révélant par
avance son plan de sauvetage de l'humanité future, encore en projet ou en formation. L'homme étant un être plus fragile ou plus faible que les anges, par sa nature à la fois matérielle et spirituelle, il serait plus exposé qu'eux au péché en même temps que plus excusable; et il aurait besoin d'un Sauveur pour le secourir dans ses faiblesses ou ses défaillances. Ce Sauveur serait le Fils de Dieu fait Homme, en personne. Et cet Homme-Dieu deviendrait naturellement le Chef ou le Roi de la création toute entière, auquel les anges eux-mêmes devraient respect et adoration.
Alors une partie des anges, avec Lucifer, se sentirent froissés dans la conscience de leur dignité. Avoir pour Chef
suprême un ange-Dieu, un Dieu fait
Ange, passe encore ! Mais un Homme-Dieu, un homme inférieur à eux par nature et devenu
supérieur à eux par son union personnelle avec le Fils éternel, cela, leur fierté
ne put l'accepter !... Cette épreuve a découvert et manifesté leur orgueil latent, jusqu'alors inconscient, qui n'était encore qu'une tendance non
confirmée librement. Au lieu de résister à cette tentation, ils se laissèrent dominer par un orgueil mêlé de jalousie
envers l'homme (choyé par Dieu injustement à leur avis) et d'un manque de
charité envers des êtres plus faibles. Tandis que les anges restés fidèles ont accepté le plan de Dieu en admirant la charité divine qui veut le bien de tous et qui fait plus pour les faibles que pour les forts, ce qui est bien normal puisque les faibles ont plus besoin de secours et de dévouement.
Et les hommes
damnés ?... Comme les anges déchus, ils se seront enferrés dans l'orgueil et l'égoïsme au point de devenir incapables de se convertir: incapables d'une pensée humble et charitable, incapables même de désirer acquérir l'humilité et la charité !
----****----
L'idéal des damnés est donc de réaliser eux-mêmes leur destinée, sans Dieu.
Mais sans Dieu, sans le Créateur, que peut faire une créature, que peut-elle trouver pour son bonheur ?
Les damnés aspirent
au bonheur, comme tout être. Ils voudraient bien un paradis, mais pas celui du Bon
Dieu !... Ils voudraient un ciel bien à
eux, qu'ils se forgeraient eux-mêmes et qu'ils ne
devraient à personne d'autre. Et comme ils ne peuvent rien créer qui soit bien à
eux et pas à Dieu, ils sont malheureux.
Ils n'ont rien à "se mettre sous la dent" qui puisse satisfaire leur appétit de bonheur égoïste et indépendant, car en dehors de Dieu et des biens qui viennent de Lui, il n'y a rien: c'est le vide absolu.
Ce qui est bien à
eux, c'est uniquement leur orgueil, leur égoïsme, leur haine des autres, leur dépit. Et avec ça, on est
forcément malheureux !
Ils sont malheureux
de dépit et d'impuissance, sans aucun espoir de pouvoir un jour améliorer leur sort par eux-mêmes et satisfaire leur ambition de bonheur indépendant.
Et sachant que d'autres ont trouvé le bonheur auprès de Dieu ou sont en route vers ce bonheur, ils sont malades de jalousie et de haine !... et cherchent à faire du mal aux autres !... Ne pouvant pas troubler le bonheur de ceux qui sont déjà au ciel, ils cherchent à détourner de la bonne voie ceux qui sont encore sur la terre. Mais ils se heurtent à l'action discrète de Dieu qui aide les âmes de
bonne volonté, et à sa miséricorde toujours prête à pardonner et à aider le pécheur humble et repentant. Par haine de Dieu,
ils cherchent à nuire à sa réputation
chez les hommes et à détourner
de lui le plus grand nombre possible de créatures, pour
que Dieu soit moins honoré et moins aimé. Et comme ils échouent souvent (dans la
plupart des cas en ce qui concerne l'éternité ou le sort final
des hommes), leur dépit augmente,
et leur fureur !
Voilà la souffrance
morale des démons et des damnés. Le feu de l'enfer n'est-il pas tout simplement le feu de la haine, du dépit et de la jalousie, qui rend méchants et malheureux ceux qui en sont atteints ?
La souffrance des damnés, c'est donc la conséquence naturelle
de leur état d'esprit, de leur malice. Pas besoin de chercher
une punition infligée de l'extérieur. Je crois que Dieu ne fait rien positivement pour faire souffrir les damnés: ils sont suffisamment punis par eux-mêmes.
----****----
Et Dieu ne se réjouit
pas de leur malheur : il le constate
simplement comme une conséquence inéluctable de leur choix malheureux, et il respecte jusqu'au bout leur liberté.
Lorsque l'enfant
prodigue dilapidait son bien en réjouissances
égoïstes, le père ne lui voulait
pas de mal. Lorsque
ce fils dévoyé souffrait de la famine et de l'humiliation comme gardien de porcs, le père ne s'en réjouissait pas: il attendait que ces malheurs fassent réfléchir le fils et le ramènent à de meilleurs sentiments. Et lorsque le fils repenti revint vers son père, celui-ci pensa que le prodigue avait été suffisamment puni et humilié par les conséquences de sa faute; il ne voulut pas en
rajouter en refusant au repenti la dignité et les droits de fils, et en le reprenant comme simple serviteur ou domestique. Il ne chercha pas à lui faire "expier" la souffrance occasionnée à son amour paternel par le départ du fils ingrat.
Je crois qu'il en est de même
pour les damnés. Dieu
qui est Amour n'éprouve pas le besoin de venger son honneur bafoué et son amour refusé en ajoutant au malheur naturel des damnés une peine
supplémentaire infligée par Lui. Quand on est" Amour », on ne veut pas de mal, on ne fait pas de mal aux autres: on offre son amour, et tant pis pour ceux
qui n'en veulent pas ! C'est tout. Autrement dit : « Vous ne voulez pas de moi ! Eh
bien, débrouillez-vous tous seuls
! »
Dans la parabole
du jugement dernier, Jésus le Juste Juge
semble exercer une justice punitive à l'égard des mauvais. Ce
langage de justicier est fait pour impressionner ceux qui ne comprennent que la justice et leur intérêt à eux. Quant à ceux qui comprennent l'amour et le Dieu-Amour, ils peuvent interpréter cette sentence à apparence punitive comme une simple constatation officielle
et solennelle du sort naturel qui
attend les mauvais, conséquence inévitable de leur état d'esprit pervers et de leur refus définitif de conversion.
----****----
Pour les hommes damnés, y-a-t-il des souffrances "physiques" en plus des souffrances morales décrites ci-dessus ? Après la résurrection finale, les corps ressuscités sont-ils capables de subir des souffrances qui seraient la conséquence naturelle de leurs fautes ?
Mystère !... Les documents officiels de l'Église ne rentrent pas dans ces détails, n'affirment rien de
précis à ce sujet.
Les prédicateurs, et même les saints, parlent de châtiments corporels, mais tout ce qu'ils disent
n'est pas dogme de foi. On peut en discuter.
A mon avis, on
peut penser ceci. D'abord, privation de toute
jouissance corporelle chez
des êtres avides de plaisirs égoïstes, puisque toute jouissance serait due au Créateur et que les damnés ne veulent ni de Dieu, ni de ses dons. Et cette privation
est d'autant plus pénible que
sur la terre ils ont davantage développé, aiguisé, leur
avidité ou appétit de plaisirs corporels.
Ensuite, s'ils souffrent corporellement, c'est peut-être tout simplement
parce qu'ils se font souffrir mutuellement, puisqu'ils sont tous orgueilleux, égoïstes, haineux, et donc
méchants pour les autres. Ils ne pensent qu'à tourmenter les autres, et aussi à se tourmenter entre eux, moralement et physiquement; tandis que les élus du ciel ne pensent
qu'à contribuer au bonheur des autres. Mettez ensemble des gens qui sont tous orgueilleux, égoïstes et méchants : leur vie devient une vie « infernale ! » C'est un enfer !
----****----
Mon paroissien à l'esprit critique disait: « Comment peut-on être heureux au ciel en sachant que des êtres semblables à nous souffrent horriblement en enfer ? »... Pour répondre
à cette objection, il faut que je vous raconte une histoire vraie, tout à fait authentique,
arrivée juste à point à la propre cousine de mon paroissien objecteur.
Appelons-la « Marie-la-Fierté. » Elle était aussi ma paroissienne. Elle habitait un peu plus haut que le hameau du cousin, dans une maison
isolée, presque au sommet de la montagne. Il
ne passait pas souvent quelqu'un dans le chemin caillouteux qui conduisait là, pas même le facteur, car elle ne recevait pas de journal, n'avait pas la radio, encore moins la télévision, et pas l'électricité (ses parents n'avaient pas voulu d'installation électrique, prétendant que
ça attirait la foudre).
Elle était fille
unique, née en 1903. Autour de ses vingt ans elle avait eu plusieurs demandes en
mariage, intéressantes, mais ses parents s'y étaient opposés. Pourquoi ? Probablement parce qu'ils craignaient de rester seuls dans leurs vieux jours et parce que le candidat gendre ne voulait pas s'installer sur leur montagne, dans une maison
trop petite, une propriété trop petite, etc. La pauvre
Marie est donc restée vieille fille !
Et quand ses parents
sont morts, vers les
années 50-53, elle se trouva
seule, isolée de tout, à la merci des bandits ou des voleurs éventuels ; avec quelques vaches, quelques moutons, quelques chèvres, des poules et des lapins. Inspirée par la mentalité de ses parents, elle voulut rester là-haut, dans ses biens à elle, et se tirer d'affaire toute seule,
sans rien demander à personne et sans rien devoir à personne.
Les habitants du hameau le plus proche - dont son cousin - avaient pitié de sa situation. Ils ont essayé de lui persuader de venir habiter une maison disponible dans ce hameau, pour éviter une solitude déprimante;
de là, elle pourrait remonter chaque jour dans sa maison
pour soigner ses bêtes et entretenir son domaine. Elle n'a pas voulu !... Moi-même, je l'ai encouragée à adopter cette solution; peine perdue ! Je lui ai même offert de venir chez moi pour tenir ma cure et cultiver mon grand jardin, travail qui lui aurait convenu. (Je n'avais pas de gouvernante à cette époque). Pour cela, il lui aurait fallu vendre ses bêtes, louer ses prés et ses terres. Elle m'a répondu: « Mes parents
m'ont dit de ne jamais
quitter cette maison: j'y resterai jusqu'au bout ! »...
Une personne charitable du bourg, qui avait l'habitude d'accueillir des gens en difficulté, lui a offert de la prendre chez elle: elle n'a pas voulu !
Sa maison ! Quelle
maison !... Maison mal tenue, car avec ses bêtes et son travail à l'extérieur, la Marie n'avait guère le temps de la tenir propre.
Et surtout maison délabrée ! A l'intérieur de la cuisine, un mur faisait une grosse
bosse saillante, à un mètre de hauteur, et la Marie avait
installé une poutre contre cette bosse pour empêcher
le mur de s'écrouler. Vers l'année 60, un gros pan de mur s'est écrou lé devant une partie du bâtiment qui servait d'écurie pour les chèvres ou les moutons. La porte de grange était raccommodée, et fermée avec des bouts de ficelle. La Marie n'a jamais voulu appeler un ouvrier pour réparer quoi que ce soit. La toiture avait des gouttières: de temps en temps, la Marie montait elle-même sur le toit pour arranger quelques tuiles. La cheminée était en mauvais état; le poêle-cuisinière était rouillé et percé sur les flancs, les tuyaux de poêle étaient percés de grands trous. Je lui ai dit, un jour de visite: « ça
fume chez vous ! Dès que vous allumez du feu, votre cuisine est toute enfumée. Permettez-moi au moins d'aller vous acheter des tuyaux neufs pour remplacer ceux-ci. » Elle a refusé catégoriquement.
L'hiver 1956 a été très rude: il a gelé fort pendant un bon mois et demi, sinon deux mois. Dans ma cave à moi, tous mes bocaux de conserves ont gelé et éclaté ! Et je me demandais parfois si la pauvre Marie n'allait pas geler dans sa maison. La rencontrant au printemps, je lui dis: « Comment avez-vous fait pour vous réchauffer pendant
cet hiver si rude ? Quand vous faites du feu chez vous, vous êtes obligée de laisser la porte ouverte ou de sortir pour respirer à cause de la fumée ! » Elle m'a répondu: « Je courais dans la montagne pour me réchauffer. »
Dans sa cuisinière percée aux tuyaux troués, elle brûlait des branches coupées dans les haies ou du bois mort ramassé dans les bois qui lui appartenaient. Elle aurait pu demander à des hommes du
hameau de lui couper quelques arbres dans son coin de
forêt et de lui faire du gros bois qu'elle aurait mis à l'abri pour qu'il soit bien sec. Elle n'a jamais voulu.
Elle aurait pu leur demander de lui
labourer ses terres. Eh bien non ! Elle les laissait en friches, sauf une qu'elle bêchait elle-même à la main. Elle y semait du grain et au temps de la moisson, elle fauchait elle-même son blé, à la faucille ou à la faux. Et puis elle le battait elle-même dans son baquet à lessive: prenant une poignée de blé, elle le frappait sur sa planche à laver le linge, et le grain tombait au fond du baquet. La planche à laver
et le baquet à lessive,
c'était sa machine à battre le blé
!
Ses vaches ne faisaient
pas de veaux, car elle ne les menait pas au taureau, et par conséquent elles n'avaient plus
de lait. Un jour, je lui dis : « Pourquoi gardez-vous ces vaches, qui ne vous rapportent rien sinon du travail inutile ? » Elle ne répondait pas. Alors j'ajoute: « Est-ce uniquement en souvenir du temps de vos parents ? » Elle me répondit que oui.
Quant aux chèvres, il paraît qu'elles allaient toutes seules au bouc, et qu'elles avaient des cabris et du lait !
Un jour, quelqu'un a vu la Marie dans un pré à côté d'une vache crevée. Elle creusait un trou; puis, avec des pieux, elle poussait la vache dans le trou et la recouvrait d'un peu de terre. C'est ainsi, probablement, que ses quelques vaches ont fini au fil des ans. Et les moutons ? Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus, car, n'étant plus curé de cette paroisse depuis 1962, je ne suis plus retourné là-haut.
Toujours la même idée: ne rien demander à personne, ne rien devoir à personne !
Un jour qu'elle était descendue au bourg, dans les premiers temps de sa solitude, une dame du pays l'invite à venir chez
elle prendre une tasse de café et bavarder un peu, pour rompre sa solitude et lui témoigner un peu d'amitié. La Marie refuse ! Comme j'avais vu la scène, je lui demande après coup : « Pourquoi avez-vous refusé ? C'était offert de bon cœur et dans une bonne intention. »
Elle me répond: « Je ne peux pas accepter une invitation de ce genre parce que je ne peux pas la rendre en invitant à mon tour cette dame à venir dans ma pauvre maison là-haut sur la montagne. » Pourtant, à mon avis, il faut savoir accepter un acte de charité gratuit et sincère !
Conclusion : La Marie vivait en sauvage, sans fréquentation amicale, sans journaux, sans radio, sans électricité, etc. Comme relation avec le monde, elle descendait au bourg une fois par semaine pour vendre quelques œufs, quelques fromages de chèvres, et acheter l'indispensable à l'épicerie et à la boulangerie. Et c'est tout.
Dans les premières années de cette vie solitaire, elle a eu une grosse crise de fatigue, de dépression nerveuse, de désespérance, qui faisait pitié. Plusieurs fois elle m'a dit, d'un ton lamentable: « Je suis-t-y malheureuse ! Je suis-t-y malheureuse ! » (en bon français: Que je suis malheureuse !). Je lui répondais: « Je vous comprends bien: on ne peut pas être heureux dans ces conditions-là ! Il faut en sortir, puisque c'est possible et qu'on vous a offert plusieurs solutions raisonnables. Acceptez donc l'idée de quitter cette maison, qui va bientôt tomber en ruines, et de vous installer ailleurs. » Elle m'a répondu: « Jamais ! J’ai décidé de rester dans la maison de mes parents et dans mes biens: j'y resterai ! »
A la longue, elle s'est habituée à cette situation et s'est remise plus ou moins de cette crise de dépression, mais sans vouloir jamais changer. Cette vie de solitaire sauvage a duré près de 30 ans. Elle a vieilli là-haut jusqu'à l'âge de 79 ans.
Lorsqu'elle a eu 65 ans, le maire
voulut faire des démarches pour lui obtenir une
pension de vieillesse. Elle a d'abord refusé énergiquement, ne voulant pas vivre de charité. (Quelles ressources lui restait-il à ce moment ? Je ne sais). Il a fallu toute la diplomatie persuasive du maire pour lui expliquer, et lui faire admettre, que ce n'était pas une charité, mais un droit, que tout le monde recevait une pension de retraite, que c'était la loi générale, etc. Elle a fini par accepter, après une résistance entêtée.
Un jour, quelqu'un s'est aperçu que sa toiture s'était effondrée juste au-des sus de son unique chambre. On est allé voir. La toiture effondrée avait crevé le plafond de la chambre, qui était pleine de gravats jusque sur son lit ; et naturellement, il y pleuvait !... Alors, d'autorité, quelques hommes sont allés la déménager pour l'emmener dans une maison du bourg mise à sa disposition. Elle a protesté encore, mais finalement s'est laissé faire. D'autant plus que ses forces déclinaient, son cœur était fatigué, usé; on avait remarqué depuis peu qu'elle peinait à monter le chemin qui conduisait à sa maison. On l'a donc installée au bourg,... pas pour longtemps: elle est morte 3 jours
après !... C'était à la fin de
l'année 1982. Vous voyez que cette histoire est toute récente; ce n'est pas un conte du Moyen-âge !
----****----
Le malheur de la
Marie n'était pas aussi complet
que celui des damnés. Tout en vivant pauvrement, sans luxe et sans confort, elle avait quand même des biens à elle - ceux légués par ses parents - qui lui fournissaient matériellement l'indispensable et lui donnaient quelques satisfactions. Les damnés, eux, n'ont comme bien personnels que leur égoïsme, leur orgueil et leur haine, ce qui leur donne plus de tourments que de consolations, avec leur impuissance radicale à se créer des biens qui ne viendraient pas de Dieu.
Si les damnés sont
haineux et jaloux, la Marie, elle, n'avait pas de haine.
Elle ne voulait de mal à personne et n'était pas jalouse des autres, de ceux qui étaient plus heureux qu'elle.
Elle n'était pas non plus orgueilleuse,
ni méprisante pour les autres. Un confrère me fait remarquer qu'elle avait le « complexe
des pauvres », habitués à ne compter pour personne et ne se croyant pas dignes d'intérêt pour les autres. Son souci d'indépendance était en somme la fierté du pauvre, avec un sentiment d'impuissance à s'adapter à une autre situation. Et sa fidélité à ses parents est plutôt sympathique.
En résumé, si l'état d'esprit des damnés
est totalement mauvais,
la mentalité de la Marie
n'était pas fondamentalement
perverse: sa volonté de rester dans ses biens à elle, d'être libre et indépendante, n'était pas mauvaise en soi, elle était simplement exagérée.
Et surtout, si elle
voulait être indépendante par rapport aux hommes, elle n'a jamais prétendu être
indépendante par rapport à Dieu. Elle était croyante sans être pratiquante. Elle ne m'a jamais rien dit contre Dieu, ni contre la religion chrétienne, même au plus fort de sa crise de
dépression, de fatigue et de souffrance morale. Au fond, c'était une" brave personne" comme on dit par ici, et elle jouissait de l'estime générale. Je suis sûr qu'en fin de compte, elle aura été bien
accueillie par Dieu dans
l'au-delà, qu'elle aura accepté de bon cœur le bonheur que Dieu lui offrait au ciel et ses conditions indispensables; et que, là-haut, elle se trouve ample ment dédommagée de ses malheurs d'ici-bas.
----****----
La Marie disait: « Je suis-t-y malheureuse ! » mais elle ne voulait pas quitter sa maison ni changer ses conditions de vie. Les damnés se disent
malheureux, mais ils "aiment
mieux rester en enfer" plutôt que de remplir les conditions pour aller au ciel.
La situation malheureuse
de "Marie-la-Fierté" n'était pas une "punition" :
personne ne la punissait. De même la situation des damnés n'est pas une « punition imposée », un "châtiment infligé"
par un Dieu en colère qui éprouve rait le besoin de se venger, mais une conséquence naturelle d'un mauvais choix dont ils ne veulent pas se repentir. Dites, si vous voulez, qu'ils sont punis ou châtiés, mais s'ils le sont, c'est par eux-mêmes; leur châtiment, leur supplice, c'est eux-mêmes qui le forgent par leur orgueil démesuré, leur haine, leur refus de tout amour.
Dans le pays, personne
ne voulait du mal à la Marie ni ne lui en faisait. De même au ciel, Dieu et les élus n'ont pas de haine
contre Satan et les damnés (contre leur orgueil, oui, mais pas contre eux). Ils ne leur veulent pas de mal, ne leur en font pas, ne se réjouissent pas de leur malheur. Ils regrettent simplement, pour eux, leur décision malheureuse et irrévocable.
Les gens du pays
étaient tout disposés à aider la Marie si elle avait accepté; mais elle ne voulait pas. Dieu et les élus seraient disposés à aider les damnés
s'ils voulaient changer de mentalité et de situation; mais ils ne veulent pas !
Fallait-il tuer la
Marie pour mettre fin à ses malheurs ? Faut-il tuer les damnés, les faire rentrer
dans le néant, pour mettre fin à leur souffrance ?... On ne supprime pas chez les autres ce qui est bien; on cherche à supprimer seulement ce qui est mal. Or la vie et la liberté sont un bien: pourquoi leur supprimerait-on leur vie et leur liberté.
Faut-il se rendre malheureux
soi-même en pensant au
malheur des autres ?
Oui, si l'on peut y changer
quelque chose, comme au début les concitoyens de la Marie, qui croyaient pouvoir améliorer son
sort. Mais quand ils eurent compris qu'il n'y
avait rien d'autre à faire que de respecter sa liberté, ils ont cessé
de se lamenter pour elle.
Son cousin en particulier
m'avait dit au début: « J'ai pitié de ma pauvre cousine; je suis tourmenté à son
sujet; cela m'empêche de dormir en paix. Mais que faire pour elle ? Elle refuse toute solution raisonnable ! »
Or la dernière fois
que j'ai vu le cousin chez
lui avant de remettre cette paroisse à un autre curé (c'était en 1962),
je lui ai dit: « Et votre cousine Marie, que devient-elle ? » Il m'a répondu: « Je n'y pense plus ! Et je vis
en paix désormais ! On a tout tenté pour la faire sortir de sa situation déplorable. Elle veut rester là-haut: qu'elle y reste ! Tant
pis pour elle si elle n'est pas heureuse ! On n'y peut rien; on ne peut pas aller contre sa volonté entêtée ! »
J'aurais dû lui dire: « Mais voilà
la réponse à ce que vous m'avez écrit jadis sur l'enfer: Comment peut-on être heureux au ciel en sachant que d'autres souffrent horriblement en enfer ? ... Puisqu'ils ont ce qu'ils ont voulu et
continuent de vouloir, on ne peut pas être malheureux pour eux par une sympathie
inutile dont ils ne veulent pas ! Vivons en paix et n'y pensons plus ! »
Sur le moment, je n'ai pas pensé à faire ce rapprochement, ayant d'autres préoccupations. Mais puisque le cousin est encore de ce monde, non seulement je lui ai
montré mon brouillon, mais je lui remettrai ma brochure dès qu'elle sera imprimée.
----****----
Selon mon paroissien incrédule, Dieu qui a créé
des êtres soi-disant prédestinés à l'enfer, serait "plus punissable" que les damnés eux-mêmes, qui n'ont pas demandé à exister !
Réfléchissons. Est punissable celui qui est coupable, qui
a fait quelque chose
de mal. Quel mal Dieu a-t-il fait aux damnés ?
Il leur a donné la vie, dans une bonne intention : quel mal y a-t-il à cela ?
Devrait-il s'en repentir ?
Il leur a donné la liberté, dans une bonne intention: quel mal y
a-t-il à cela ?
La liberté n'est-elle pas un bien, une bonne chose ?... Il est vrai qu'on peut s'en servir pour le bien... ou pour le mal !
Mais Dieu leur a
donné sur la terre tout le temps de réfléchir,
de faire des expériences malheureuses, de s'en repentir, de changer d'avis avant la décision définitive. Et à la mort ou
tout de suite après, il les a éclairés, aidés et incités à prendre la
bonne décision plutôt que la mauvaise. Si dans ces conditions ils ont choisi
le sort des révoltés, Dieu respecte leur libre choix. Qu'y a-t-il de mal à
cela ?... Les habitants du pays respectaient la liberté de Marie-la-Fierté: étaient-ils coupables et punissables pour cela ?
Dieu devrait-il se
repentir comme d'une faute
de leur avoir donné la
vie et la liberté
? Devrait-il les faire rentrer dans
le néant pour réparer cette faute et mettre fin à leurs souffrances ?...
En respectant sa vie et sa liberté,
on laissait à Marie-la-Fierté l'amère consolation de
faire "sa" volonté : de vivre
plus ou moins malheureuse, mais selon ses propres vues et par ses propres
moyens. De même, en laissant la vie aux damnés et en tolérant les conséquences malheureuses de leur libre choix, Dieu leur laisse
"une consolation" si
l'on peut dire !
Leur ambition démesurée étant de viser à une indépendance totale par rapport à Dieu et aux autres, ils jugent leur situation malheureuse plus honorable pour "leur" dignité et "leur" grandeur qu'un bonheur
reçu de Dieu
avec humilité, reconnaissance et amour. Dieu leur laisse "l'amère satisfaction" de faire "leur" volonté, de vivre "leur idéal " à eux selon "leurs"
possibilités ; de n'avoir rien, mais de ne pas dépendre de Dieu dans la recherche du bonheur tel qu'ils le conçoivent. L'amère satisfaction de « n'obéir à personne, pas même à Dieu, surtout pas à Dieu », comme
disait mon camarade de caserne. L'amère satisfaction d'un orgueil démesuré
qui ose s'opposer
à leur Créateur
même. Quelle
audace !... C'est celle de Lucifer s'écriant : « Non serviam ! Je ne servirai pas ! » Cette audace inouïe, ils en sont fiers dans leur orgueil ; ils prennent cela pour de la grandeur !... Et aussi le « plaisir amer », si l'on peut dire, de faire en sorte par leur attitude de révolte que Dieu n'ait pas seulement des créatures dociles qui l'honorent et qui l'aiment, mais aussi des ennemis irréductibles
qui le haïront éternellement. Telle est "la consolation amère" que Dieu leur laisse dans leur mal heur librement choisi, dans leur rage haineuse.
Quant à nous, continuons de croire que la vraie grandeur, la vraie dignité, l'honneur véritable, c'est de reconnaître loyalement la vérité, à savoir que nous sommes des créatures et non le Créateur, des enfants de Dieu en formation sur la terre en attendant la vie en plénitude du ciel. La
vraie grandeur, c'est
aussi d'aimer les autres, et pas
seulement soi-même. Et mettons notre
honneur à rendre à chacun ce qui lui est dû : « A Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est
à César », Comme dit Jésus. » Et nous trouverons vraiment « le bonheur dans
l'honneur ! »
----****----
Mon paroissien incrédule disait dans sa lettre: « Dieu savait qu'un grand nombre de ses créatures étaient... destinées... au supplice éternel de l'enfer. Et ces êtres, damnés d'avance, Dieu les a créés quand même ! »
Si quelques théologiens, dans les siècles passés, ont parlé de " prédestination au ciel ou à l'enfer », l'Église officielle a toujours repoussé cette idée. Elle a toujours affirmé qu'on se damne" par sa faute », libre ment, volontairement, et non par la volonté de Dieu, d'un Dieu qui nous donnerait d'avance une prédisposition, une inclination irrésistible au mal, et par suite à l'enfer.
L'Église, il est vrai,
enseigne aussi que Dieu sait tout : le passé, le présent et l'avenir. Donc il sait, en créant, ce qui risque d'arriver et ce qui arrivera en fait. Et cependant Dieu respecte
notre liberté. Comment concilier cette prescience divine et la liberté humaine ? Mystère
!... On dit que, pour Dieu, l'éternité est comme un présent perpétuel où il voit tout, parce qu'il est au-dessus du temps et de l'espace et qu'il les domine. Dire cela, c'est encore une affirmation, mais pas une explication véritable. Cela n'explique pas
vraiment comment il peut à
la fois respecter vrai ment cette liberté humaine et savoir ou prévoir
avec certitude ce qu'elle
décide ra dans telle ou telle circonstance ; la diriger discrètement (par ex. en arrangeant les circonstances, en lui suggérant telle idée, etc.), mais sans la contraindre,
et réaliser quand même ses plans à lui avec maîtrise et sûreté, au milieu
des obstacles créés par notre liberté. J'entrevois bien quelques éléments d'explication partielle, mais je ne vois pas d'explication complète et claire. Notre petite intelligence a du mal à comprendre ce qui se passe dans l'intelligence et l'action d'un Dieu éternel, tout-intelligent et tout-puissant. Je
ne prétends pas élucider ce mystère de façon
satisfaisante. A d'autres d'essayer, s'ils peuvent !
----****----
Bien des prédicateurs de jadis, et même des personnes favorisées de révélations privées, voient en effet beaucoup d'âmes se perdre et tomber en enfer. Est-ce un moyen d'effrayer les pécheurs et de les inciter à se convertir, ou un moyen d'encourager les
âmes pieuses à prier pour
les pécheurs ?
Peut-être ! En tout cas ce pessimisme
n'a pas l'air conforme à l'esprit de l'Évangile et à la bonté miséricordieuse de Dieu. L'Église officielle croit à l'enfer et à la possibilité pour les hommes de se damner, "par
leur faute" et non par la sévérité excessive de Dieu;
mais elle n'a jamais déclaré qu'il y a beaucoup de damnés, ni que tel ou tel homme est
sûrement en enfer, même quand il s'agit
de Judas.
La parole du Christ: « Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne fut pas né » peut être interprétée comme une simple formule marquant l'énormité de cette trahison, sans affirmer pour autant la damnation éternelle de Judas.
Et lorsque Jésus
dit par exemple: « II y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus », il emploie probablement une sorte de proverbe de son temps pour exprimer ce qui se passe dans le
royaume de Dieu sur la terre plutôt
que dans le royaume final, celui du ciel. Il constate en effet que beaucoup de ses compatriotes refusent de croire en lui et d'entrer dans le royaume qu'il vient inaugurer ici-bas avant de le parachever dans les cieux. Et maintenant encore, sur la terre, les hommes qui restent en dehors de l'Église du Christ, ou qui ne sont pas fidèles à son esprit, sont plus nombreux que ceux qui en font partie vraiment.
Dans la parabole
de la « porte étroite », Jésus constate qu'il y a peu d'hommes, dans leur vie terrestre et au moment même de la mort, qui sont en état de franchir la porte du
ciel, à cause des défauts et imperfections qui grossissent leur personnage et les empêchent de passer. Mais Dieu nous offre le purgatoire, et tous ceux qui acceptent d'y faire un stage pour se désencombrer pourront ensuite franchir la porte étroite. Voilà comment on peut interpréter la parole de Jésus.
Dieu veut, autant
que possible, que tous les hommes soient sauvés. Et Saint Jean, dans l'Apocalypse,
voit au ciel" une foule immense que nul ne peut dénombrer. » Je crois donc
que par rapport aux élus, les damnés ne
seront pas le grand nombre, mais une petite minorité. Les hommes foncièrement mauvais,
complètement dominés par l'orgueil et l'égoïsme, inconvertissables,
ne sont pas les plus nombreux. Et la miséricorde divine, affirmée par Jésus, aura finalement le dernier mot pour la plupart des pécheurs que nous sommes.
----****----
Sur ce
paragraphe, et avec l’avis d’Arnaud Dumouch, théologien, la présente édition de
2008 s’est permis d’ajouter une légère modification. Elle tien compte d’un
dogme solennel datant du Moyen-âge, et que l’Abbé Sauteur n’avait pas vu. Il
s’agit de la constitution « Benedictus
Deus, année 1336 », du pape Benoît XII : « Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de
notre autorité apostolique, Nous définissons que, selon la disposition générale
de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt
après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de
peines infernales. »
Mais laissons
d’abord l’Abbé Charles Sauteur exprimer son intuition, intuition essentielle et
très proche de la vérité, à une nuance près :
On dit
généralement qu'après la mort on ne
peut plus changer, on est fixé dans le bien ou le mal, comme si la liberté n'existait plus. Je ne partage
pas cette opinion en tout point. A mon avis, si
Dieu nous a donné la liberté, ce n'est pas pour nous l'enlever dans l'au-delà !
Il ne la supprime pas, ni au ciel, ni au purgatoire, ni en enfer, ni au moment du jugement particulier.
On présente le
jugement particulier comme une sentence qui tombe de haut sur une âme qui n'a plus la possibilité de changer son attitude devant Dieu et devant sa destinée. Je me permets de penser différemment.
Voilà par exemple un homme qui, sur la terre, n'a pas décidé définitivement s'il est pour ou contre Dieu, ses pensées et
ses désirs étant un mélange de bien et de mal, de bribes de vérité et d'erreurs ou d'incompréhensions. Et il meurt subitement, déchiqueté en une seconde
par une bombe ou une explosion inattendue. Comment prendra-t-il une décision définitive vraiment réfléchie, vraiment responsable ?
Dieu ne veut pas nous "prendre au piège" d'une mort subite, imprévue, impréparée ; cela me parait évident. Je sais bien qu'il n'a pas besoin de beaucoup de temps pour éclairer une âme et l'aider à choisir librement, en connaissance de cause, sa destinée éternelle.
Mais enfin, pourquoi ne pas admettre que
ce choix définitif se fait, non pas obligatoirement avant la mort, mais tout de suite après, dans ce qu'on appelle
le juge ment particulier ?... Ce n'est pas ce qu'on dit habituellement chez les Catholiques, mais il me semble que l'Église, si elle précise ce point un jour,
peut admettre cette façon de voir les choses, au moins
comme une opinion libre et valable.
Voici comment je comprends
ce jugement particulier.
Dans sa Lumière à Lui,
Dieu montre clairement à l'âme toute la vérité: sur lui-même et son désir sincère de donner le vrai bonheur à tous, sur l'homme et les conditions de sa destinée éternelle. Il montre à cette âme tout ce qu'il y a en elle de bien, de mal, ou d'imparfait. Il lui montre toutes les conséquences, heureuses ou malheureuses, du choix qu'elle a à faire, pour ou contre Lui, de façon que la décision finale soit prise en toute connaissance de cause, sans fraude et sans piège.
Dans ces conditions,
si l'âme choisit la révolte et l'indépendance orgueilleuse
plutôt que l'humble acceptation du bonheur offert, Dieu respecte ce
libre choix. Il constate
et fait constater qu'il
n'y a pas d'autre solution pour l'âme révoltée que de rejoindre les ennemis de Dieu: les démons et les damnés. Si au contraire
l'âme choisit définitivement d'être pour
Dieu, alors elle accepte volontiers et de bon cœur: 1 ° la loi du ciel: perfection dans l'amour de Dieu et du prochain; 2° éventuellement la nécessité de passer par
le purgatoire pour se mettre en état de pratiquer cette loi du ciel d'une façon digne de Dieu et des élus.
Dieu ne nous donne pas la liberté pour nous l'enlever après la vie terrestre. Il ne la supprime pas au moment du jugement particulier, ni après. Comme Marie-la-Fierté se sentait libre dans la situation où elle se trouvait et où elle voulait rester, les damnés se sentent libres dans le sort qu'ils ont choisi et qu'ils continuent de préférer au ciel de Dieu, jugeant plus honorable pour eux la liberté orgueilleuse des démons plutôt que la liberté amoureuse des saints. Les âmes du purgatoire se sentent libres aussi, et
non pas brimées dans leur volonté, car elles comprennent et acceptent la nécessité de se purifier. Et les saints du
ciel se sentent parfaitement libres
dans le bonheur qu'ils ont choisi et dont ils sont pleinement satisfaits.
On peut donc considérer le
jugement particulier, non pas comme une
sentence imposée de force ou d'autorité, mais comme une mise au point, une mise au clair de la situation entre Dieu et l'âme, et comme une dernière
tentative de Dieu pour éclairer l'âme, corriger ses erreurs et ses doutes, ses hésitations, et l'aider, l'encourager à prendre la bonne décision, à faire
le bon choix, pour l'éternité, dans le
vrai respect de sa liberté.
Et ce choix est irréversible
parce que fait en toute connaissance de cause, avec ses conséquences acceptées. L'essentiel du dogme,
c'est que: après la mort ou après le jugement particulier, l'état des damnés comme celui des
élus est irréversible. Mais pour expliquer cette irréversibilité, au lieu de dire qu'on ne "peut plus" changer parce que l'état d'éternité ne le permettrait pas, il me semble plus juste de dire
qu'on ne "veut plus" changer,
parce qu'aucun motif nouveau ne viendra justifier ce changement. Explication plus conforme à la dignité de l'homme et à la dignité de Dieu.
Donc si l'âme est fixée définitivement dans le mal, c'est par sa propre volonté et non par la volonté d'un Dieu autoritaire et intransigeant qui l'empêcherait de changer d'avis et de se convertir. Ce sont eux, les damnés, qui en cultivant sans cesse en eux l'orgueil et l'égoïsme se sont rendus absolument incapables de se reconnaître coupables, de désirer le pardon, de vouloir devenir humbles et charitables. Ils ne veulent pas changer, ne le voudront jamais, et Dieu respecte leur liberté.
Et voici maintenant
la légère correction, tenant compte du dogme sur « après la mort » :
L’abbé Sauteur avait parfaitement raison d’insister, contre l’avis de tous, sur
la nécessité d’un choix lucide, face au Christ. C’est absolument nécessaire,
sous peine d’être obligé d’admettre, selon l’opinion de saint Thomas d’Aquin,
la damnation éternelle de gens morts sans la grâce de Dieu à cause de leur
ignorance du salut (des non-chrétiens) ou de leur faiblesse (des pauvres
pécheurs comme le publicain et la prostituée de l’Evangile). Mais l’abbé Sauteur
ne trouva pas, dans sa recherche des dogmes, cette borne lumineuse du pape
Benoît XII, qui ne laisse aucune ambigüité : « après la mort, on ne
change plus ». L’abbé Sauteur avait parfaitement raison de croire que, si
un damné ou un saint ne changent plus après la mort, ce n’était pas par un
blocage de leur liberté, mais à cause de leur parfaite liberté.
Où se trouvait
donc la solution ?
Tout
simplement dans la définition de la mort. Loin d’être un instant (l’arrêt du
cœur) est un passage entre ce monde et l’autre, un passage où il se passe les
évènements dont parle avec clarté l’abbé Sauteur : Le Christ apparaît dans
sa gloire, accompagné des saints et des anges et il prêche à tous son Evangile,
comme il le fera à la fin du monde pour tout le monde en même temps. Jésus ne
cesse de nous l’annoncer[1] :
« En vérité, en vérité, je vous le
dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre
au-dessus du Fils de l'homme. » ou encore[2] : « Je suis le Christ, le Fils du Béni,
dit Jésus, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la
Puissance et venant avec les nuées du ciel. » On voit des mourants
vivre cette apparition comme ici[3] :
« Ah! dit Etienne, je vois les cieux
ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. » Et
pourtant, c’est caché dans l’Ecriture afin de n’être révélé que vers la fin des
temps. Lucifer aussi se montre. Son rôle est important : il présente
l’autre option et l’âme elle-même, en
fonction de sa vie terrestre, aime tout entier ou rejette tout entier le
Christ et son Evangile.
Autrement dit,
tout ce que soupçonnait l’abbé Sauteur se passe à l’heure de notre mort, et non après
notre mort. « La mort », l’Hadès, le « shéol » est en
effet « un passage qui peut durer
plusieurs jours[4] », à l’image
de ce que vécut le peuple Hébreux entre l’Egypte (symbole de cette terre) et la
terre promise (symbole de ce qui se passe après la mort). C’est dans la mort
elle-même (symbolisé par le passage dans le désert) que ce peuple vit Dieu
venir à lui sous forme d’une colonne de lumière et y fut délivré de ses ennemis
mortels.
En 2008, cette
intuition de l’Abbé Sauteur fut proposée à l’Eglise, non à titre de dogme, mais
comme une hypothèse par le pape Benoît XVI (Encyclique Spe
salvi, n° 47) :
« 47. Certains théologiens
récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le
Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La
rencontre avec le Christ est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard
s'évanouit toute fausseté. C'est la
rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et nous libère pour
nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie
peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre,
où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se
trouve le salut. »
Puisse cette recherche de
l’Eglise et cette légère rectification réjouir par l’abbé Sauteur depuis le
Ciel.
----****----
(Suite du texte
de l’abbé Charles Sauteur) :
Dieu est juste,
dit la Bible. Et avant
Jésus-Christ, on comprenait la justice à l'égard des méchants surtout en forme de punition et d'extermination. Certains psaumes reflètent cet état d'esprit. Mais le Dieu révélé par Jésus-Christ veut nous débarrasser
des méchants, non pas en les supprimant, mais en supprimant leur méchanceté, en les convertissant.
Exemple : Saint Paul ; Dieu a supprimé en lui le persécuteur en le changeant en Apôtre !
Maintenant
encore, des partisans de la justice avant tout et des sanctions
"punitives" vont peut-être s'inquiéter des opinions exposées ici : n'est-il pas dangereux de dire que Dieu n'aime pas punir, qu'il ne fait rien "positivement" pour "punir" les méchants en enfer ou les repentis en purgatoire ? N'est-ce pas ouvrir la voie au laxisme et à tous les abus ? Pourquoi se gêner si on a envie de faire le mal, ou si on n'a pas envie de faire le bien ?... Que ces partisans de la justice se rassurent: la justice est
parfaitement respectée ! Dieu est juste complètement, et pas à moitié. Sa justice bienveillante est encore
plus juste que la justice répressive des hommes.
Dans le jugement des
hommes, il ne serait pas vraiment juste de ne pas tenir compte des
circonstances atténuantes qui diminuent leur culpabilité, de la part d'excuse que nous avons lorsque nous faisons le mal ou omettons de faire le bien, de la faiblesse d'intelligence et de volonté qui font partie de la nature humai ne. Jésus n'a-t-il pas, jusque sur la croix, trouvé des excuses à ses ennemis eux mêmes: « Ils ne savent pas bien ce qu'ils font ! »... Ce ne serait pas non plus vrai ment juste de ne
pas tenir compte de la possibilité de conversion jusqu'au juge ment particulier, où l'âme éclairée par Dieu comprend mieux la situation, l'importance et les conséquences de son choix. Et le choix final est irrévocable par la volonté de ceux qui l'ont fait en connaissance de cause, et non par une volonté extérieure à eux.
Si Dieu est toujours prêt
à pardonner et à réhabiliter le pécheur, ce n'est pas seulement parce qu'il est bon, c'est aussi parce qu'il est juste, parce
que c'est juste d'être
bon envers les êtres faibles que nous sommes. En Dieu, justice et amour s'entendent fort bien et ne forment qu'une seule et même vertu ou qualité. C'est la justice elle-même
qui l'incline à être bon,
et c'est l'amour lui-même qui
fait la justice par ses propres exigences de perfection. Car être bon
et indulgent, ça ne veut pas dire être faible, ni approuver le
mal, ni admettre l'imperfection; être vraiment bon, c'est être toujours disposé à guérir le mal et à sauver le pécheur, avec tous les délais et la patience nécessaire pour respecter la liberté, mais aussi avec toutes les exigences d'un amour fort qui veut le vrai bien, durable et éternel, de l'être aimé.
----****----
A l'intérieur même du
ciel, du purgatoire et de l'enfer, la justice existe.
Justice naturelle
en enfer, qui s'exerce toute seule par la force même des choses, sans que Dieu ait besoin d'intervenir pour l'assurer. Non seulement en effet les dam nés sont tous malheureux - par leur faute - mais il y a des degrés d'intensité dans leur souffrance morale, laquelle est tout naturellement proportionnée au degré de leur malice et de leur orgueil. Plus un damné est égoïste, plus il souffre du manque total de biens capables de le satisfaire ; plus il est orgueilleux, plus il souffre de dépit et de rage en constatant son impuissance, et plus il est malade de jalousie et de haine envers les autres. Ceux qui ont une dose moins forte d'orgueil, d'égoïsme et de haine, doivent éprouver une souffrance moins vive. Ainsi se fait la justice en enfer.
Justice d'amour purificateur en purgatoire, où la souffrance
des âmes est proportionnelle en durée et en intensité à la dose de mal et d'imperfections qu'elles ont à réparer et à rectifier. Le purgatoire est court et peu douloureux pour ceux qui n'ont pas grand-chose à corriger; il
sera dur et long pour ceux qui
ont pensé ou fait beaucoup de mal, qui ont vécu ici-bas dans l'injustice et la méchanceté pour les autres, en pensées, en paroles, ou en actes. (Injustices envers Dieu, et envers les hommes).
Justice d'amour béatifiant au ciel, où il y a des degrés infinis de bonheur : bonheur proportionnel au degré d'amour auquel les élus seront parvenus. Plus grand sera leur amour de Dieu et du prochain (leur capacité d'amour acquise sur la terre), plus intensément ils seront heureux de vivre en harmonie parfaite avec ceux qu'ils aiment et dont ils se sentent aimés sans restrictions.
----****----
Oui, la justice de
Dieu, miséricordieuse et bienveillante, est une justice
d'amour. Et elle est
plus juste que la justice stricte des hommes, toujours plus ou moins boiteuse. La bonté de Dieu ne nuit pas à la justice: elle l'inclut en la dépassant. Car son amour est exigeant et juste dans son souci de perfection: perfection morale à acquérir comme une nécessité pour nous assurer au ciel un bonheur plus grand et plus complet.
Ceux qui sont allergiques
à une trop grande miséricorde et qui veulent absolument une justice"
punitive" au purgatoire et en enfer... peuvent garder leur conception des choses
si ça leur plaît et les satisfait. Et ceux qui sont allergiques à une justice répressive
et qui mettent l'amour au-dessus de tout... peuvent adopter le point de vue exposé ici. Le dogme est sauvegardé, puisque dans les deux cas on admet un enfer éternel et un purgatoire temporaire. Mais la seconde hypothèse montre mieux l'amour infini de Dieu, qui n'a pas d'autre limite que la liberté humaine.
----****----
Dans la parabole du jugement dernier, Jésus affirme que tous ceux qui pratiquent la
charité fraternelle seront sauvés, ceux qui aiment sincèrement leur prochain. Selon lui, c'est l'égoïsme qui mène en enfer. Et moi, j'ai surtout parlé de l'orgueil comme cause de damnation. Alors, est-ce que je m'égare ?
N'oublions pas que
dans d'autres passages de l'Évangile, Jésus vitupère sur tout contre les orgueilleux et les hypocrites. Et le « péché impardonnable », le péché "contre l'Esprit Saint" dont parle Jésus, semble bien désigner les orgueilleux fieffés,
ceux qui par orgueil refusent de voir la vérité, de reconnaître leurs erreurs, et leurs torts, et de se convertir.
L'orgueil, c'est de l'égoïsme: c'est l'égoïsme de l'esprit, qui recherche avant tout"
son" honneur (mal compris) au détriment de celui des autres,
"sa" réputation (même imméritée), la haute estime qu'il a de lui-même et qu'il veut à tout prix
faire admettre par les autres.
Tandis que l'égoïsme au sens courant du mot désigne plutôt l'égoïsme matériel, le souci de " son " confort et de "son" bonheur terrestre, avec l'indifférence pour le bonheur des autres
(chacun pour soi !).
L'orgueilleux est forcément égoïste. Même s'il fait le bien, c'est par orgueil, pour se faire bien voir, et c'est donc de l'hypocrisie. Ce n'est pas l'amour désintéressé du prochain qui inspire son action (comme
il voudrait le faire croire), c'est l'amour de lui-même, et de sa réputation. » Il a reçu sa récompense », dit Jésus, et n'a pas droit
à une récompense dans le ciel. Il a reçu ce qu'il cherchait sur la terre; et
s'il ne l'a pas reçu, tant
pis pour lui ! Il ne mérite pas autre
chose.
Si les orgueilleux
sont forcément des égoïstes, il est des égoïstes qui ne sont pas orgueilleux. Ils n'ont pas assez de courage ou de générosité pour s'occuper du bonheur des autres et pour
se dévouer, mais ils n'en
sont pas fiers pour autant. Ils reconnaissent leur défaut humblement
et luttent contre... un
peu, plutôt faiblement ! Grâce à la miséricorde
divine, ils finiront par être sauvés, s'ils veulent bien accepter et le pardon de Dieu,
et la nécessité de corriger en purgatoire cet égoïsme qu'ils n'ont pas éliminé sur
la terre, et de le transformer en charité parfaite, indispensable pour entrer au ciel.
A moins que leur égoïsme non combattu soit devenu si fort, si enraciné dans
leur âme, qu'ils soient devenus
totalement incapables d'aimer
Dieu et d'aimer le prochain d'un
amour vrai, autrement dit qu'ils soient devenus
inconvertis sables à l'amour !
Celui qui, au
contraire, a vraiment l'amour du prochain, sincère, désintéressé, celui-là n'est pas orgueilleux. C'est vraiment le bien du prochain qu'il désire, même si son bien à lui, sa tranquillité, ou parfois sa réputation, doivent en souffrir. Celui-là est sur la bonne route; il ira au ciel !
Et l'amour de Dieu,
direz-vous ? N'est-il pas
nécessaire aussi pour aller au ciel ? N'est-ce pas le " premier commandement" ? - Bien sûr ! - Pourquoi Jésus
n'en parle-t-il pas ici ? - Parce que celui qui
aime sincèrement son prochain a la disposition essentielle, fondamentale: la capacité
d'aimer ! Il finira certaine·
ment par aimer Dieu aussi, lorsqu'il aura compris que Dieu est Amour et qu'il mérite infiniment d'être aimé.
En résumé, vont
en enfer les orgueilleux
inconvertissables à l'humilité,
et les égoïstes inconvertissables à l'amour.
----****----
Jadis, on voyait
dans les débordements de la sexualité la grande cause de damnation, celle
qui envoyait le plus de monde en enfer. N'est-ce pas exagéré ?... Le Christ n'en parle pas tellement, et il est moins sévère ou plus indulgent pour les fautes contre la pureté ou la chasteté que pour les péchés d'orgueil ou d'égoïsme fieffé. Il accueille sans leur faire trop de reproches la Samaritaine aux cinq maris, la femme adultère, Marie-Madeleine la pécheresse. Pourquoi ? Parce que dans ces fautes il y a souvent plus de faiblesse humaine
que de malice véritable ; et les pécheresses ci-dessus nommées reconnaissent leur faute, et ont au fond de leur âme un certain désir de mieux faire, même si pour le moment elles n'en ont pas le courage. Jésus n'approuve pas leur conduite passée, mais il ne les envoie pas en enfer ! Et ne les menace pas !... Parce que, avec la grâce de Dieu, elles parviendront à se convertir au bien, peu à peu sinon tout de suite.
Qu'est-ce qui est péché
dans la sexualité ?... Il Y a faute lorsqu'il y a recherche déraisonnable
d'un plaisir égoïste; tandis que dans le mariage bien compris, la sexualité comporte le souci, non égoïste, du plaisir et du bonheur de l'autre au moins autant que le désir
de sa satisfaction personnelle.
Donc les péchés de sexualité sont à juger dans l'optique des péchés
d'égoïsme; en remarquant que souvent il y a mélange de bien et de mal, d'égoïsme et de charité.
----****----
Et nous, risquons-nous d'aller
en enfer ?... Tout récemment encore, plu sieurs vieillards ou malades m'ont confié leur angoisse : ils ont peur d'être dam nés ! Et pourtant ce sont des croyants de bonne volonté. L'un d'eux pense au mal qu'il a fait jadis, aux péchés qu'il a
commis dans sa vie, et il se demande s'il peut être pardonné. Une autre me dit qu'elle a essayé de bien élever ses enfants et que ça n'a pas réussi: ils ont cessé de vivre chrétiennement ! Et elle s'inquiète de sa responsabilité. Une troisième craint le jugement
de Dieu, qui doit être bien sévère, pense-t-elle.
Je les rassure en leur
disant à peu près ceci : Si vous reconnaissez vos fautes, même nombreuses ou graves,
il n'y a pas de quoi s'inquiéter;
c'est même très rassurant ! Le Bon Dieu n'attend que cela pour arranger les choses avec vous ! Ce sont ceux qui ne reconnaissent pas leurs fautes qui auraient des raisons de s'inquiéter.- Quant au bien qu'on n'a pas réussi, ou qu'on a mal fait, Dieu regarde la bonne volonté qu'on y a mis plus que le succès visible; et dans notre vie, il y a eu de la bonne volonté, et pas seulement du mal et des maladresses. C'est le démon qui essaie de vous faire manquer de confiance en Dieu, et il faut résister à cette tentation. Cela ne fait pas plaisir: au Bon Dieu de voir qu'on manque de confiance en Lui, après tout ce qu'Il a fait pour nous sauver ! Il y tient, à nous sauver ! Et Il est heureux quand on Lui fait confiance.- Et le jugement de Dieu,
il ne faut
pas le craindre,
car Dieu est vraiment juste, et non pas trop sévère ! Il ne nous juge pas plus mal que nous le méritons. Il tient compte du bien qu'il y a en nous autant que du mal et des imperfections; Il tient compte de la part d'excuse que nous avons si nous n'avons pas tout bien fait. Et le mal, il tient à nous le faire" rectifier », ce qui est nécessaire, plutôt qu'à nous le faire "expier. » Alors soyons sans crainte !
A ceux qui me disent:
« Je fais tout bien, je n'ai rien à me reprocher ! » j'ai envie de répondre: « j'ai bien peur que Dieu ne soit pas de votre avis, et qu'au juge ment vous ayez des surprises en constatant que votre vertu, entachée d'orgueil, n'a pas grande valeur, et qu'il y a en vous des défauts cachés que vous n'apercevez pas. »
D'autres disent:
« j'ai gâché ma vie,
je n'ai rien fait de bien,
je n'ai pas de mérites: que vais-je présenter à Dieu ? » Je leur réponds : « si ceux qui se croient pleins de mérites se font des illusions, ceux qui croient n'en point avoir se trompent aussi: même dans une vie ratée, Dieu qui voit tout trouvera bien un peu de mérite, quelques traces de bonne volonté. Et si vraiment il n'yen avait point, il vous reste la ressource de faire comme le Bon Larron: compter sur les mérites du Christ,... et vous serez sauvés ! » »
Ne cherchons pas
à peser nos mérites et nos démérites : Dieu les connaît mieux que nous ! Laissons-lui le soin de faire le tri, de nous juger avec justesse et justice ! Et disons-nous: « moi, je compte sur les mérites du Christ pour être sauvé; je ne compte
pas sur les miens ! Si j'en ai, Dieu s'en occupera. »
Conclusion: risquent
d'aller en enfer ceux qui ont une très forte dose d'orgueil et d'égoïsme, ceux qui se désintéressent totalement de Dieu et de leur avenir éternel, (quelqu'un m'a dit un jour: je ne sais pas s'il y a un Bon Dieu ou s'il n'yen a point, mais je m'en fous !), ceux qui critiquent Dieu, qui sont contre lui et prétendent rester contre. Ce n'est pas votre cas
?... Alors, pour vous, pas d'autre risque que celui du purgatoire !... Au fond de votre âme, vous êtes"
pour Dieu " ? Eh bien Dieu est "pour vous", et il saura vous le montrer.
Ayez l'humble désir d'aimer Dieu autant qu'il le mérite et d'aimer votre prochain autant que vous-mêmes, tout en reconnaissant que vous y parvenez bien mal ici-bas,... et soyez sans crainte: le ciel est pour vous
!... l'Apôtre Saint Jean
dit: « L'amour chasse
la crainte. »
----****----
Pour illustrer mon
propos sur l'orgueil et l'égoïsme,
comparons l'attitude de Saint Pierre et de Judas, et des orgueilleux incorrigibles.
Judas au début, lorsque
Jésus l'a appelé, n'était
pas spécialement orgueilleux,
ni totalement égoïste. Il ressemblait à beaucoup d'entre nous. Mais insensiblement, il a laissé se développer en lui la tendance
égoïste, l'amour de l'argent et des biens qu'il peut procurer.
Et il en est arrivé
à vendre son Maître !... non par haine, mais par désir du
profit personnel,... avec, me semble-t-il, l'espoir que Jésus s'en tirerait et saurait bien échapper à la mort, lui qui faisait des miracles et avait été jusqu'alors assez habile pour échapper à ceux qui voulaient l'arrêter. Mais, voyant que Jésus ne faisait rien pour se soustraire à ses ennemis, Judas prit conscience de l'énormité de son crime et chercha même à faire libérer Jésus en restituant l'argent de la trahison. Peine perdue !... Alors - apparemment, car on ne sait pas s'il a pu se convertir au dernier moment - il a préféré rejoindre
les damnés, les ennemis de Dieu, plutôt que de reparaître dans la société de Jésus
en qualité de « traître pardonné », situation jugée trop honteuse pour sa fierté
! II a finalement manqué d'humilité: c'est ce qui l'a perdu. Ce n'est pas Jésus qui
lui a refusé le pardon: c'est lui, Judas, qui n'en a pas voulu !
Saint Pierre, lui,
avait sa petite dose d'orgueil:
il se croyait plus courageux et plus fidèle que les autres. Mais en lui, après son reniement,
l'humilité a pris le des sus et l'a guéri de sa tendance à l'orgueil. Il a reconnu humblement qu'il était capable de faiblesse - comme tout le monde ! - et qu'il n'avait pas de raison de se croire plus fort, plus courageux. Il a accepté d'être un pécheur pardonné,
et n'a eu aucune crainte de revoir
Jésus. Voilà ce qui l'a sauvé: l'humilité ! Et sa dignité un instant perdue, il l'a retrouvée amplement en
devenant le modèle des pécheurs repentis, et même le chef officiel, respecté et aimé, des pécheurs pardon nés qui constituent l'Église du Christ.
----****----
Un exemple d'orgueil fieffé, incorrigible: les chefs religieux
qui ont voulu et manigancé la mort de Jésus. L'orgueil les a tellement aveuglés qu'ils sont devenus inconvertissables, incapables de reconnaître leurs erreurs et leurs torts.
Constatant que Jésus ne comprenait pas la religion comme eux, ils en ont conclu
que c'est Jésus qui se trompait, pas eux !...
tant ils étaient convaincus de "leur" intelligence, et de "leur" science religieuse. Ils en ont conclu que Jésus était un orgueilleux (pas eux), un faux prophète, un faux Messie, dont il fallait se débarrasser. Ayant réussi à le faire mourir, ils ont été avertis les premiers par les gardiens du tombeau eux-mêmes de la résurrection du Christ: ils n'ont pas voulu y croire, ni s'interroger sur la justesse de leurs opinions. Apprenant que les Apôtres et beaucoup
d'autres personnes (jusqu'à 500 dit Saint Paul) avaient vu Jésus ressuscité, ils n'ont pas voulu changer d'avis, ni douter d'eux-mêmes.
Constatant que les Apôtres prêchaient la Bonne Nouvelle avec une assurance étonnante et faisaient à leur tour de nombreux miracles, ils sont restés sur leurs positions. Ils arrêtent les Apôtres, leur interdisent de prêcher le Ressuscité, et comme argument leur disent cette phrase significative:
« Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ? »... Autrement dit:
« Vous voulez donc faire croire que nous sommes coupables de l'avoir condamné ?...
coupables de nous être trompés lourdement à son sujet ?... Mais voyons, vous n'y
pensez pas, tout de même ! Ce n'est pas possible ! C'est impensable ! »... Effrayante, cette réflexion !
Elle montre à quel point leur orgueil les rend inconvertissables
! Rien ne pourra les amener à reconnaître leurs torts.
Saint Paul au contraire,
d'abord adversaire acharné du Christ et de ses disciples, a su loyalement
reconnaître son erreur, et en tirer les conséquences: il est devenu un grand Apôtre du Christ, et le plus grand missionnaire de l'Évangile.
Revenons aux juges
religieux qui ont condamné le Christ. Quand, après leur mort, ils ont dû paraître
devant le juste Juge, et que, à la lumière divine, ils ont été bien obligés de reconnaître qu'ils s'étaient trompés, qu'ils avaient condamné un innocent, et qui plus est le propre Fils de Dieu, ils ont probablement eu l'audace de dire à leur victime devenue leur juge: « C'est de votre faute,
pas de la nôtre !...
Vous vous êtes conduit sans tenir compte de notre dignité et de notre
rôle de guides du peuple. Vous auriez dû nous exposer, à nous d'abord, « votre vérité
», clairement, et ne pas prêcher votre doctrine sans notre accord et notre permission. Et puis, comme miracles attestant votre mission divine, il fallait nous donner,
à nous, des preuves vraiment indiscutables. Si nous nous sommes trompés, c'est de votre faute
! »... Et en enfer, s'ils y sont (ce que je n'affirme pas), ils haïront éternelle
ment ce Dieu qui ne les a pas traités avec tous les
égards dus à leur rang et à leurs prétendus mérites, et qui les a laissés commettre une erreur aussi énorme !
Voilà où mène l'orgueil
quand on en a une trop forte dose ! O terrible défaut ! Plus on a d'orgueil, moins on est capable de voir qu'on en a ! Nous qui nous
croyons humbles, serions-nous par hasard sujets à pareille illusion ?... Voilà la seule grande crainte
que nous devrions avoir !
----****----
Il en est qui
sont tellement orgueilleux qu'ils voient toujours de l'orgueil chez les autres, mais jamais chez eux ! Leurs mouvements de susceptibilité pointilleuse quand on leur manque de respect, ils les prennent pour de la fierté légitime, tant ils sont convaincus de leur valeur, de leurs mérites, de leur vérité. Ils ne se croient pas orgueilleux !...
Un tel état d'esprit est très
dangereux pour le salut éternel.
D'autres au
contraire se rendent compte qu'ils ont une dose plus ou moins forte d'orgueil:
c'est rassurant ! Pour combattre ses défauts, il faut d'abord les voir !
Conclusion :
méfions-nous de
nous-mêmes. Soyons convaincus que nous ne sommes pas à l'abri d'erreurs ou de défaillances, que nous
avons - comme tout le monde - des tendances à l'égoïsme et à l'orgueil; que cet
égoïsme et cet orgueil latents peuvent nous égarer si nous
ne les combattons pas. Chaque fois que nous décelons en nous, dans nos pensées et
nos sentiments, des traces d'orgueil ou d'égoïsme, efforçons-nous de rectifier nos pensées et nos sentiments, et demandons à « Jésus
doux et humble de cœur » de rendre notre cœur semblable au sien.
« Doux », cela
ne veut pas dire "doucereux" : c'est le contraire de « dur. »
Celui qui est dur pour les autres n'a pas la charité,
l'amour du prochain. Celui qui aime son prochain est" doux " avec les autres, c'est-à-dire bienveillant, délicat, dévoué ; il
ne les heurte pas, ne leur fait pas
de mal, ni physiquement, ni morale ment. Pensons aussi à n'être pas" dur " envers Dieu notre Père et
envers Jésus notre Sauveur !... La douceur de
Jésus, c'est donc l'amour vrai, la charité au sens chrétien. Amour et humilité, c'est justement le contraire
de l'égoïsme et de l'orgueil.
La perfection chrétienne
a pour base l'humilité et pour
sommet la charité.
Si nous cultivons
en nous ces deux vertus, nous
sommes sûrs d'être sauvés, malgré nos imperfections, avec la grâce
de Dieu. Nous n'irons pas en enfer:
nous irons certainement au ciel ! Voilà de quoi rassurer les scrupuleux inquiets.
Si j'insiste tant sur
ces deux vertus, c'est parce qu'elles résument tout.
De même que tous les péchés sont des manifestations diverses d'égoïsme et d'orgueil, de même toutes les vertus sont des formes diverses
d'humilité et de charité. Ces deux vertus brillent d'un éclat particulier en Jésus, Marie et Joseph; chacun d'eux les a pratiquées à sa façon, selon son rôle et les circonstances de sa vie. Ces deux vertus correspondent
aux deux définitions que Saint Jean nous donne de Dieu: « Dieu est lumière,... Dieu
est Amour. » En effet, l'humilité, c'est la vérité reconnue,
sur nous-mêmes et sur Dieu; et la charité, c'est l'amour, l'amour vrai et universel. Ces deux vertus cor
répondent aussi aux deux facultés de l'âme: l'intelligence et la volonté. L'intelligence est faite pour connaître la vérité, lumière spirituelle; et la volonté est faite pour aimer et vouloir ce qui est beau et ce qui est bien : aimer Dieu comme il le mérite, c'est-à-dire plus que tout, nous aimer nous-mêmes intelligemment, et aimer les autres autant que nous-mêmes.
----****----
Au lieu de dire,
comme ma tante suisse : « On aura beau dire, on aura beau faire, il y aura toujours
moyen d'aller en enfer !
» je dirai plutôt: « confiance ! il y aura toujours moyen d'aller au ciel ! »...
pourvu qu'on reconnaisse humble ment ses torts et
ses imperfections, qu'on ait le désir du bien, qu'on fasse au moins quelques efforts, et qu'on mette sa confiance
en Dieu.
Nous ne sommes pas
pour la plupart des orgueilleux incorrigibles, inconvertissables. Mais méfions-nous
quand même, et craignons comme la peste ce défaut de l'orgueil.
Saint Pierre en avait
une dose pas très forte (un peu de fanfaronnade), mais il ne s'est pas méfié des possibilités de faiblesse auxquelles il était exposé, lui aussi, et il a renié son Maître. Pourtant, la veille au soir, Jésus avait averti ses Apôtres qu'il allait se passer des choses graves. Au Jardin des Oliviers, Il avait dit à Pierre, Jacques et Jean: « Veillez et priez pour ne pas succomber à la tentation; car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. » Pierre n'avait ni veillé, ni prié, trop confiant en son courage
et en sa force d'âme. Résultat le lendemain matin: reniement, chant du coq, regard attristé et bienveillant de Jésus, pleurs amers d'humiliation et de repentir ! Leçon pour nous:
Si notre dose d'orgueil est un peu forte,
ou inconsciente, Dieu pourrait bien nous laisser faire de grosses bêtises
(si les petites ne suffisent pas) pour nous ouvrir
les yeux et nous ramener à l'humilité !
Pensons surtout au cas de Judas. Il n'a pas lutté contre
son égoïsme croissant: il s'y
est enfoncé progressivement; et son orgueil, d'abord latent et inconscient, a pris le dessus et l'a finalement empêché de désirer le pardon, que Dieu ne lui aurait pas refusé. Leçon pour nous
: Si nous ne combattons pas nos défauts, notre égoïsme et notre orgueil, il y aurait risque de mal finir, pour nous comme pour Judas. Mais pour combattre ses défauts, il faut en avoir conscience, il faut reconnaître qu'on en a, et avoir le désir de s'en corriger.
Si nous reconnaissons
nos défauts et si nous
les combattons au moins un peu (beaucoup si possible), alors nous avons toutes chances
de bien finir, avec peut être un bon purgatoire pour terminer notre préparation
au ciel, mais nous y arriverons !
----****----
Dernières remarques sur la charité. Si vous vivez avec
quelqu'un qui est agaçant, énervant, au lieu de lui faire sans cesse et toujours des reproches, tâchez de lui faire de temps en temps un compliment, ou de lui dire merci; montrez-lui que vous trouvez parfois en lui quelques brides de bonne volonté, et pas uniquement des défauts: cela
rendra la vie moins insupportable pour lui,... et pour vous aussi !
Avec les
timides, qui n'ont pas la réplique facile et ne savent pas se défendre, évitez les plaisanteries piquantes, les moqueries soi-disant gentilles, les reproches fréquents, même voilés. Ces personnes peuvent en souffrir
énormément, sans oser se plaindre, ce qui susciterait de
nouvelles moqueries. Sans vous en rendre compte, vous pouvez être vraiment méchants et injustes.
Avec les
malades, les infirmes, les personnes sans défense qui
dépendent entièrement de leur entourage, soyez très délicats. Quand on les houspille, qu'on les contrarie, qu'on leur dit des paroles vexantes, elles ruminent cela à longueur de jour née, n'ayant pas d'autre occupation pour les distraire de ces pensées tristes, humiliantes pour elles, et elles s'en font une maladie. Elles sont malheureuses et n'osent pas le dire, de peur qu'on ne se montre encore plus méchant envers elles. Les per sonnes très occupées ne souffrent pas autant d'un reproche imméritée ou d'une vexation, car elles ont autre chose à penser !
Aux victimes de
ces vexations ou de ces reproches plus ou moins immérités, je dis pour les rasséréner: « ne vous tourmentez pas de ces incidents désagréables et gardez votre sérénité.
« C'est fatal que ces choses arrivent, car les jeunes ont du mal à comprendre les vieux, les bien-portants ont du mal à comprendre les malades, les soignants sont parfois fatigués et ça ne leur est pas facile d'être toujours patients et gentils. Et puis, si vous vous croyez
incompris et mal jugés par les hommes,
quelle importance cela a-t-il par rapport à la vie éternelle ? L'important, c'est que Dieu ne vous
juge pas trop mal ! Et si vous essayez de supporter patiemment et paisiblement ces manques d'égard ou de compréhension, Dieu sera content de vous parce que vous ressemblerez davantage à Jésus-Christ qui, lui aussi, a été bien mal jugé par les hommes !... et bien humilié par eux !... De plus, ces incidents vous donnent l'occasion de pardonner, de ne pas garder rancune, de
ressembler à Jésus en croix,... en somme de progresser en humilité et en charité de pardon. »
Derniers conseils d'humilité. Mal jugés par les hommes, il nous arrive aussi d'être mal jugés par nous-mêmes, mécontents de nous-mêmes, et c'est un manque d'humilité. Parfois nous sommes
"dépités" de mal tenir nos résolutions, de ne pas faire de progrès visible, et nous sommes
tentés de nous décourager. Eh bien ce dépit
est encore de l'orgueil
! Nous voudrions pouvoir nous dire: « je fais tout bien, je n'ai rien à me reprocher. » Nous voudrions pouvoir
nous admirer nous-mêmes ! D'où notre dépit. Lorsque cela arrive, profitons de nos défaillances elles-mêmes pour nous rappeler à l'ordre et progresser en humilité. Continuons nos efforts, petitement peut-être, mais humblement, sans chercher à vouloir nous complimenter nous-mêmes.
Et s'il nous arrive de
réussir quelque chose de bien,
n'oublions pas de remercier Dieu, qui nous a aidés, au lieu d'admirer "notre" vertu à nous. Imitons la Vierge Marie, modèle d'humilité vraie et de gratitude envers Dieu : au lieu de s'admirer elle-même, elle admire et exalte la bonté de Dieu, qui fait en elle et par elle de grandes choses.
Continuons donc de faire
des efforts pour le bien,
même s'ils ne sont pas brillants (Dieu les voit, si les hommes ne les voient pas). Et gardons la paix de l'âme et la confiance en Dieu. Ne nous étonnons pas d'être encore faibles et imparfaits: nous sommes en
marche vers la perfection, mais pas encore arrivés. Nous sommes" en apprentissage" de l'humilité et de l'amour, mais notre apprentissage n'est pas terminé: il y a encore des ratés !
Soyons assez humbles pour le reconnaître bien simplement, sans étonnement, sans dépit, sans découragement, tout en essayant d'être plus généreux.
Pour parvenir au ciel
avec sûreté, retenez les
conditions qui résument tout :
éviter du mieux que nous pouvons
l'égoïsme et l'orgueil,
cultiver en nous l'humilité et l'amour (de
Dieu et du prochain), en sachant que la perfection totale n'est pas de ce monde, et tout finira bien ! Nous n'aurons plus besoin
de la crainte de l'enfer !
Jésus doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre ! - amen.
A
Cluny, printemps 1985 Charles Sauteur
Un confrère, qui a lu le brouillon de mon texte,
me dit qu'il ne faut pas parler du "petit nombre" de
damnés, que les voyants de Fatima (et d'autres) voient tomber en enfer d'innombrables âmes, que selon Saint Paul il faut faire son salut « avec crainte et tremblement », que je minimise trop le péché et ses conséquences, qu'on se damne dès à présent (et non pas à la mort seulement) chaque fois que sciemment et librement on commet une faute grave.
Voici ma réponse, à lui et à ceux
qui ont des pensées similaires. Présenter la religion ainsi, c'est rebuter bien des
gens qui se rebiffent devant
une religion présentée comme sévère et menaçante,
brandissant le spectre d'une punition éternelle difficile à éviter, insistant trop sur le mal qu'il ne faut pas faire (idéal négatif) et pas assez sur le bien qui nous est proposé (idéal positif) ? Ils voudraient une religion
attirante et non rebutante,
ce qui ne veut pas dire
sans idéal élevé, sans exigences.
Justement, le Christ nous propose
une religion de liberté et d'amour, un idéal attirant,
positif, et non moins exigeant:
aimer Dieu comme Jésus a aimé son Père, aimer notre prochain comme Jésus a aimé les hommes ses frères, être parfaits (en amour) comme notre Père céleste est parfait, avec comme destinée la dignité de fils de Dieu et le bonheur éternel du ciel dans l'amour réciproque et universel. Qu'y a t-il de mieux à proposer à notre bonne volonté, à notre soif d'idéal et de perfection ?
Et cet idéal, difficile autant
que beau, Jésus n'exige pas que nous
le réalisions tout de
suite et complètement sous peine de damnation éternelle ! Il admet des délais, des tâtonnements, des alternances de réussites et d'échecs, etc.
Nous sommes sur la
terre pour "commencer" à aimer, pour nous
exercer, pour "apprendre" peu à peu à aimer Dieu et notre prochain. Et comme il faut respecter notre liberté et tenir compte de notre faiblesse native et naturelle, il est normal que cet "apprentissage" se fasse avec des accrocs, des avancées et des arrêts, une progression lente ou rapide selon le degré de générosité de chacun.
Si l'on adopte cet idéal comme beau et désirable, c'est l'attrait
du bien qui agit sur nous
plus que la peur du mal. Et naturellement on essaie d'éviter le mal puis qu'on cherche à faire le bien. Notre idéal ne se borne pas à éviter le péché pour éviter l'enfer, ce qui est bien mince et peu exaltant.
A ceux qui disent: « Je n'ai ni tué, ni volé; je ne fais pas de mal. Que voulez vous de plus ? » Je dirais : « on n'est pas sur la terre » pour « ne pas faire de mal: on est sur la terre » pour « faire du bien et en faire le plus possible ! » Éviter le péché et l'enfer, ce n'est pas le but suprême de la vie, ce n'est pas assez digne d'un homme libre au cœur généreux, et pas assez digne de Dieu qui a pour nous des visées bien plus hautes.
La crainte de l'enfer, il faut la calmer chez les âmes scrupuleuses et inquiètes, ne pas la provoquer exagérément chez les âmes de bonne volonté, l'évoquer et la susciter chez ceux qui ne comprennent pas la beauté de l'amour vrai et désintéressé, qui n'ont aucune envie d'aimer d'autres qu'eux-mêmes, qui se laissent dominer par l'égoïsme et l'orgueil.
Pour ces égoïstes qui
ne pensent qu'à leur intérêt
personnel, il peut être bon de leur parler de leur intérêt éternel, pour les amener à éviter le mal et à faire le bien. Faire le bien et éviter le mal par crainte du châtiment ou pour la récompense, c'est mieux que de faire le mal, mais ce n'est pas brillant: c'est une morale encore entachée d'égoïsme, mais ce peut être le début d'une morale meilleure.
Penser à son intérêt
personnel bien compris (l'intérêt éternel plutôt que l'intérêt immédiat) n'est pas défendu, n'est pas un mal si on n'oublie pas l'intérêt des
autres. Dieu ne nous demande pas de ne pas nous aimer nous-mêmes, mais
d'aimer les autres autant que nous, de désirer leur bonheur autant que le nôtre.
----****----
Je ne minimise pas trop le
péché et ses conséquences puisque, selon mes explications, il faudra réparer douloureusement,
sur terre ou en purgatoire, toute faute, toute négligence, toute imperfection plus ou moins coupable, tout manque d'humilité et d'amour, toute trace d'égoïsme, etc. (Voir le chapitre du purgatoire) ; et que ces fautes, ces manques, ces imperfections consenties, constituent une occasion manquée de mérite, et ensuite un manque éternel
de bonheur céleste.
Au ciel en effet, si tous sont heureux,
ils ne le sont pas tous
au même degré d'intensité, ni de
la même sorte de bonheur. Ceux des dernières places, sauvés de justesse, seront heureux de ne plus souffrir et heureux d'admirer la bonté miséricordieuse de Dieu qui leur a pardonné tant de fautes. Mais ils n'auront pas la joie spéciale de ceux qui ont fait beaucoup de bien sur la
terre: ceux-là retrouveront au ciel quantité de gens qu'ils ont aidés (par l'action directe ou par la prière) et qui leur manifesteront éternellement une gratitude affectueuse. Et celui qui aura beau coup aimé Dieu ici-bas et beaucoup travaillé pour établir son règne (le règne de l'amour mutuel), celui-là aura la joie spéciale
de sentir éternellement combien Dieu est content de lui, combien il a apprécié ses efforts et
son amour.
Pour celui qui n'aura presque
rien fait pour progresser dans l'amour, intensité d'amour réduit, capacité
et intensité de bonheur réduit,
pour l'éternité. Voilà
quelque chose qui mérite attention, même pour celui qui pense à son intérêt plus qu'aux droits de Dieu et du prochain. Son véritable intérêt
est là. Il perd beaucoup pour l'éternité et se prépare un rude purgatoire.
Penser à cela, c'est encore une
question d'intérêt personnel, une visée encore égoïste, quoique d'un égoïsme bien compris. Terminons donc par cette réflexion: ne pensons pas trop à notre intérêt, Dieu y pense pour nous. Les plus heureux au ciel
seront ceux qui
auront pratiqué l'amour sans arrière-pensée intéressée,
qui auront aimé Dieu simplement parce qu'il le mérite (non pour la récompense) et qui auront aimé le prochain simplement parce que les autres ont aussi droit à leur part de bonheur, et qu'ils veulent y contribuer de toutes leurs forces.
Voilà la vraie morale: celle du Christ.
----****----
Août 1985 Ch. SAUTEUR
Vous me dites que, dans une lettre du 17 mai 1979, sur des questions eschatologiques, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi affirme
que le damné « sera privé de la vue de Dieu » et qu'en plus il y aura
une « répercussion de cette peine dans tout son être », donc aussi dans son corps. C'est ce qu'on appelait la peine du sens (peine corporelle, châtiment corporel) que je semble négliger dans
mon chapitre 7.
Est-ce que cette
« répercussion » ne correspondrait pas à ce que je dis à l'avant dernier alinéa de ce chapitre : privation
pénible de toute jouissance corporelle chez des êtres avides de plaisirs égoïstes ?... Comme une sensation terrible de faim chez celui qui n'a rien à manger,
une sensation horrible de soif chez celui qui est perdu dans le désert et n'a rien à boire, ou chez l'ivrogne tourmenté par le désir du vin et qui ne peut pas s'en procurer, ou encore un désir sexuel exacerbé et impossible à satisfaire chez l'homme dépravé ?... Leur refus de l'amour de Dieu et des biens qui en découlent... entraîne comme répercussion ou conséquence la privation amère de toute satisfaction, même corporelle, qui pourrait provenir des biens créés par Dieu et dont ils seraient redevables à Dieu.
Dans le dernier alinéa du même chapitre, je suppose que
les damnés se tour mentent
entre eux, se font souffrir mutuellement, spirituellement et aussi corporellement. N'est-ce pas aussi une conséquence (une répercussion) de leur refus d'amour et du choix qu'ils ont fait de la haine ?
Les idées exprimées dans cette partie de ma brochure sont des hypothèses plus
que des certitudes, et ne
me semblent pas en contradiction formelle avec la déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, déclaration dont l'interprétation n'est pas claire, pas précisée.
Gardons donc notre
liberté de pensée sur ce sujet, aux hypothèses diverses. Il n'est pas nécessaire au salut de savoir comment ça se passe en
Enfer sur ce point précis.
Des religieux qui
ont lu cette brochure ne sont pas tout-à-fait d'accord avec moi sur le jugement particulier et sur la liberté qu'on
aurait encore, aussitôt après la mort, d'opter définitivement pour ou contre Dieu. (Chapitre 12).
L'un deux m'écrit: « Cela est trop
hypothétique, peu en accord avec l'enseignement habituel de l'Église, et risque
de faire remettre à plus tard l'option décisive. C'est maintenant que nous devons
opter pour Dieu, et non après la mort !... Ne suffit-il pas de dire que le Dieu
d'amour ne prend pas ses enfants au piège, qu'il est infiniment miséricordieux,
qu'il a des moyens de salut que nous ne connaissons pas, mais sans entrer dans des
détails qui nous sont inconnus. »
D'autres personnes, sans doute, sont d'un avis semblable ou s'interrogent à ce sujet, et pour cette raison hésitent à répandre ma brochure ou à en conseiller la lecture.
Voici ma réponse.
Vous dites : « C'est
maintenant que nous devons opter pour Dieu, et non après
la mort. » - Mon opinion n'est pas contraire à la vôtre, mais peut se concilier
avec elle. Rappelez-vous ce que je dis au chapitre 13 : la vie présente, vécue dans l'égoïsme, peut nous rendre « inconvertissables à l'amour. » En effet,
celui qui, toute sa vie, s'enferre dans l'égoïsme sans aucun effort pour corriger ce défaut et s'intéresser au bonheur des autres, celui-là se rend peu à peu incapable de vouloir autre chose que son égoïsme, incapable de vouloir aimer Dieu et les autres d'un amour désintéressé, et
cela même au jugement der
nier. Même chose pour l'orgueil, lorsqu'on s'est enferré dedans sans effort pour en sortir. Par conséquent, le choix définitif, au jugement dernier, est en dépendance étroite avec l'ensemble de
la vie qu'on a menée sur la terre. A force d'égoïsme et d'orgueil,
on peut se rendre inconvertissable à l'amour et à l'humilité donc incapable de vouloir le ciel de Dieu, qui exige la perfection de ces deux vertus, et sans autre solution que de choisir l'Enfer, avec désespoir, mais librement ! (Pensez au cas de Judas, chapitre 14).
Quant à ceux qui ne sont pas tout-à-fait inconvertissables et qui finalement auront choisi le ciel, ils auront un dur purgatoire à
accepter et à faire pour avoir pensé et agi selon ce raisonnement: « Je fais
ce qui me plaît ici-bas sans me soucier de Dieu et du prochain. Après la mort, s'il y a un Bon Dieu, je m'arrangerai bien avec lui, puisqu'il est bon et miséricordieux ! »... Ceux qui raisonnent ainsi, sont-ils sûrs d'être capables, au moment décisif, d'accepter et de
vouloir pratiquer la loi d'amour du
ciel ?... Et s'ils sont
sauvés de justesse, ils auront à expier, réparer, rectifier
en purgatoire le beau péché d'égoïsme, d'ingratitude et d'injustice que constitue un tel raisonnement, avec tout le cortège des fautes qui en seront la conséquence.
N'oublions pas non plus ce qui est expliqué : le degré d'amour désintéressé que
nous aurons atteint dans notre vie terrestre sera la mesure du degré de bonheur dont nous jouirons au ciel.
Voilà ce qui résulte d'une lecture attentive de ma brochure. C'est donc bien dans la vie présente que
nous façonnons notre vie future et que nous préparons, consciemment
ou non, le choix du jugement dernier, qui deviendra irréversible à ce moment
s'il n'est pas déjà devenu irréversible
dans notre vie terrestre.
En 2008, après
la mort de l’Abbé Sauteur, Arnaud Dumouch, spécialisé dans cette théologie, s’est
invité pour compléter cette réponse de l’abbé Sauter :
1°)
Effectivement, un dogme catholique, non relevé par l’Abbé Sauter donne raison à
l’objection du moine. Il est net et ne laisse aucune place à une conversion après la mort. Il s’agit de la
constitution « Benedictus Deus,
1336 », du pape Benoît XII : « Par la présente constitution, qui restera à jamais en
vigueur, et de notre autorité apostolique, Nous définissons que, selon la
disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché
mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont
tourmentées de peines infernales. »
2°) Et pourtant, l’abbé
Sauter avait raison d’affirmer son intuition profonde d’un choix libre et
conscient des âmes des mourants, de telle façon que nul ne se damne par
ignorance ou faiblesse, ou à cause du simple péché originel. La clef se trouve
dans l’interprétation de cette expression du dogme : « aussitôt
après leur mort ».
L’erreur de la théologie classique fut d’interpréter cette expression dans ce
sens : « aussitôt
après l’arrêt du cœur. »
En réalité, les témoignages explicites et nombreux saints et mystiques
contemporains comme Marthe Robin, sainte Faustine, mais aussi l’expérience de
ceux qui approchent la mort (Near Death experiences) montre clairement que la
mort, loin d’être un instant qui nous foudroie loin de Dieu, est en fait un passage, qui peut durer plusieurs
jours (Marthe Robin) et dans lequel tout homme reçoit la possibilité de se
convertir. Voici un texte de sainte Faustine[5] qui
le raconte :
« J’accompagne souvent les âmes
agonisantes et je leur obtiens la confiance en la miséricorde divine. Je
supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui est toujours
victorieuse. La miséricorde divine atteint plus d’une fois le pécheur au
dernier moment, d’une manière étrange et mystérieuse. A l’extérieur, nous
croyons que tout est perdu, mais il n’en est pas ainsi. L’âme éclairée par un
puissant rayon de la grâce suprême, se tourne vers Dieu avec une telle
puissance d’amour, qu’en un instant elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes
et de leurs punitions. Elle ne nous donne à l’extérieur aucun signe de repentir
ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses extérieures. Oh! Que la
miséricorde divine est insondable !
Mais horreur! Il y a aussi des
âmes, qui volontairement et consciemment, rejettent cette grâce et la dédaigne.
C’est déjà le moment même de l’agonie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, donne à
l’âme dans son for intérieur ce moment de clarté. Et si l’âme le veut, elle a
la possibilité de revenir à Dieu.
Mais parfois, il y a des âmes
d’une telle dureté de cœur qu’elles choisissent consciemment l’enfer. Elles
font échouer non seulement toutes les prières que d’autres âmes dirigent vers
Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts divins. »
----****----
Vous dites: risque
d'encourager le laisser-aller
et de « faire remettre à plus tard l'option décisive. » - Il en est qui sont
tentés par le laxisme et le laisser-aller.
Quel langage tenir avec eux ?... Au lieu d'agiter exagérément devant eux
le spectre de l'enfer, ne suffit-il pas de leur montrer le risque d'un purgatoire long
et rigoureux ? (plusieurs siècles pour certains si l'on en croit des révélations privées). Et ne vaut-il pas mieux leur expliquer combien c'est déraisonnable et imprudent de vivre dans l'insouciance de Dieu et de
l'au-delà, d'attendre d'être mort pour voir ce qu'il en est et décider alors ce qu'il faudra faire ? On peut leur dire ceci :
1°) Risque de devenir
inconvertissable, de se rendre incapable d'aimer Dieu et les autres pour eux-mêmes (et non pour l'avantage qu'on peut tirer d'eux) et d'en être réduit à choisir l'enfer par incapacité de choisir le ciel et ses exigences d'amour parfait.
2°) Certitude de
se préparer un purgatoire
long et rude, si on réussit à échapper à l'enfer.
3°) Si vous dites pour
excuser votre manque d'effort: « Pourvu que j'aie une place
au ciel, même la dernière, cela me suffit ! »
vous devriez avoir honte de raisonner ainsi ! Limiter son ambition à cela, se contenter pour l'éternité d'un bon heur au rabais alors qu'on pourrait faire bien mieux, ce n'est pas digne d'un homme d'honneur, même au simple point de vue de son intérêt personnel bien compris ! (pages 27 et 37).
4°) Passer sa vie sans
se soucier de rendre à Dieu
ce qui lui est dû, c'est indigne et de Dieu et de l'homme. Un homme d'honneur ne peut admettre cela:
il veut être honnête
et juste envers Dieu comme à l'égard du prochain. Il ne peut pas admettre que Dieu soit traité comme un être inexistant ou sans importance, qui n'aurait pas de droits et à qui on ne devrait rien.
5°) Ne pas se soucier
du prochain, négliger la solidarité (dont on bénéficie nécessairement) et l'amour fraternel,
c'est indigne d'un homme d'honneur. N'avoir aucun désir d'aider les autres alors qu'on pourrait
faire quelque chose - et beaucoup peut-être - pour que la vie des
autres soit plus digne,
plus fraternelle, plus chrétienne, et plus méritoire pour l'éternité, cette pensée devrait faire honte à celui qui l'éprouve. A cause de son égoïsme méprisable, de son manque total du sens de la solidarité, d'autres seront moins heureux sur terre, et dans le
ciel, parce qu'ils n'auront pas été aidés à vivre mieux, et à mieux préparer leur éternité.
Exciter ainsi le
sens de l'honneur qui
sommeille en tout homme, de l'honneur vrai et non de ses contrefaçons; susciter la saine ambition d'une vie bien rem plie, d'une éternité bien préparée, et réussie, en solidarité avec les
autres; inaugurer des ici-bas notre vie éternelle dans la pratique généreuse de la grande loi d'amour, voilà l'idéal à faire miroiter aux yeux des âmes de bonne volonté.
Je crois que ma brochure contribue à cela, et ne risque pas d'encourager la négligence (sauf chez ceux qui, en tout état de
cause, ne voudront pas se donner de la peine pour marcher sur la route du vrai et du bien).
Voici un témoignage qui conforte mon opinion. Au moment même où je recevais la lettre critique à laquelle je réponds, une de mes
lectrices, chrétienne ordinaire sans instruction spéciale, me disait que la méditation de ma brochure l'aidait à mieux voir les imperfections de sa vie passée et lui donnait
le désir de mieux pratiquer les grandes vertus chrétiennes d'humilité et de charité !... Ce résultat de lecture méditée n'est donc pas ce que vous craignez: un encouragement à la négligence et à la remise à plus tard du choix définitif.
----****----
Vous dites: « Opinion trop hypothétique, peu en accord avec l'enseignement habituel de l'Église. » - C'est vrai qu'elle diffère de ce qu'on dit habituellement sur la mort et le jugement particulier. Au lieu de dire: « à la mort, notre sort éternel est fixé », je pense qu'il peut encore se fixer librement au jugement si le choix irréversible n'a pas été fait clairement avant.
Je ne connais pas
de document officiel de l'Eglise traitant ce point
précis et affirmant le contraire de ce que j'ose avancer. J'avoue, il est vrai, que je suis loin de connaître tous les textes de l'Église. Je ne suis pas un savant en histoire théologique ; aux théologiens savants d'en discuter, s'ils le jugent bon.
Au cours des siècles, l'enseignement de l'Église a progressé:
en corrigeant des exagérations, en rectifiant des inexactitudes, en précisant des notions confuses. Pourquoi pas un progrès
dans la doctrine du respect
par Dieu de la liberté humaine, même après la mort ?... Mon
hypothèse est présentée comme une opinion libre, non comme une vérité obligatoire, et ne me parait pas contraire au conte nu essentiel de la foi.
Si cette hypothèse
a des chances de correspondre à la vérité, pourquoi ne pas l'exprimer, et l'expliquer ? Ce serait
défendre l'honneur de Dieu contre ceux qui l'accusent d'être dur pour ses créatures et d'imposer ses décisions sans respecter suffisamment notre liberté.
Ce serait donner une réponse apaisante à ceux qui se préoccupent du sort éternel de millions d'hommes, non chrétiens et même chrétiens, qui n'ont pas eu avant de mourir, par leur faute ou sans faute, les lumières suffisantes
pour se faire une idée juste de Dieu, de notre destinée et
de ses conditions. Ce serait aussi calmer
les objections des chercheurs de vérité exigeants et les craintes exagérées des âmes inquiètes, comme
celui et celle que je cite au chapitre 2. Si l'on s'en tient aux limitations exprimées dans votre lettre, on risque de rebuter ou
de décourager ces âmes de bonnes volontés !
Vous voudriez que je supprime ce chapitre 12 ? Que je renonce à
exposer une opinion religieuse qui me semble vraie ?... Mais alors le soupçon
de mon paroissien incrédule se trouverait justifié: il nous reproche de manquer
de sincérité, d'enseigner des choses auxquelles nous ne croyons pas vraiment, ou de ne pas dire le fond de notre pensée
(voir page 4, alinéa 4) pour maintenir les chrétiens dans une atmosphère de crainte soi-disant salutaire et pas vraiment justifiée. Je ne veux pas mériter ce reproche ! Je veux dire tout ce que je pense quitte à rectifier peut-être si je trouve un jour des raisons suffisantes de le faire.
Croire que les gens
du peuple ont besoin de
la crainte des châtiments
pour les inciter à faire le bien, estimer que la logique de la crainte leur est nécessaire parce qu'ils seraient incapables de comprendre et de vivre la logique de l'amour, n'est-ce pas faire injure à leur bon sens, à leur sens instinctif de la vraie foi ?... Bien sûr, il en est qui sont de mauvaise volonté: qu'on leur dise tout ce qu'on voudra, à ceux-là, cela ne changera rien. Mais en général, les humbles et les petits de ce monde sont capables tout autant que les savants de se laisser attirer par la logique de l'amour, par le désir de répondre à l'amour d'un Dieu si bon et si respectueux de notre liberté.
Ajout d’Arnaud
Dumouch 2008 :
Loin de supprimer le
chapitre 12 de l’Abbé Sauter, il suffit de le modifier sur un point de détail,
pour tenir compte du dogme solennel de la constitution « Benedictus Deus » sur l’absence de conversion après la mort : Ce choix final ne
se passe pas après la mort. Il se
passe dans le passage de la mort, donc
avant la mort qui est l’entrée dans
l’autre monde. Ce choix se fait face au Christ glorieux qui revient dans sa
gloire accompagné des saints et des anges. Et Lucifer vient aussi, afin de
présenter à l’âme devenue lucide et libre, l’autre option : la liberté
solitaire de l’enfer. Ceci est si lucide et libre que l’homme choisit en
fonction de sa vie terrestre de manière
définitive. Il sait tout, juge tout, pèse tout. S’il opte pour l’enfer et
sa liberté, il ne reviendra jamais en arrière car aucun nouvel argument ne
modifiera jamais sa parfaite lucidité. C’est un « blasphème contre l’Esprit Saint ».
----****----
Objection qu'on ne m'a pas faite, mais qui m'est venue à l'esprit:
cette possibilité poussée jusqu'au jugement dernier de faire
un choix libre, éclairé, définitif, pour ou contre Dieu ne risque-t-elle pas de briser
l'élan missionnaire
des chrétiens ? On peut-être tenté de penser: inutile de se donner de la peine pour convertir les non chrétiens, puisqu'ils pourront parvenir au salut éternel même sans sacrements, même sans avoir connu ou compris la vraie religion !... Attention: ne pensons pas ainsi !
1°) Si ces gens connaissaient le Christ et sa vraie
doctrine, ils gagneraient des mérites en la pratiquant de leur mieux - peut-être mieux que nous - et donc auraient une meilleure place au ciel... à cause de nous.
2°) Sur terre, ils seraient moins malheureux dans les épreuves, parce que leur moral serait soutenu par la foi chrétienne.
3°) Surtout, si ces gens étaient convertis à l'idéal chrétien, ils honoreraient Dieu sur terre et progresseraient
dans son amour (et du même coup contribue raient à leur tour à améliorer la vie des autres dans ce monde). Si nous aimons Dieu, nous, pouvons-nous accepter que Dieu reste méconnu, pas honoré, pas aimé par tant d'hommes sans rien faire pour changer cet état de choses injuste ? Quand on a vraiment l'amour de Dieu et du prochain, on a le désir ardent de faire partager ces sentiments à d'autres; de faire connaître et de faire aimer la vérité chrétienne à ceux qui la connaissent mal ou qui l'ont mal comprise. Comme les saints, comme le Père de Foucault au milieu des Musulmans, rendre sympathique la religion chrétienne par une vie de charité fraternelle, et proposer l'idéal du Christ dans le respect affectueux et délicat de la liberté de chacun.
Dieu nous fait l'honneur de compter Sur nous pour l'aire connaître sa
vérité et entraîner les autres sur la voie du salut. Nous devrions être fiers de l'honneur qu'il nous fait et de la confiance qu’il nous témoigne.
Ayons à cœur de travailler à la gloire de Dieu comme lui travaille à
la nôtre !
A Cluny, Janvier 1987 Charles SAUTEUR
----****----
A la fin du chapitre 9, en réponse aux objections de
mon paroissien incrédule, je disais que je lui remettrais ma brochure dès qu'elle serait imprimée. Je lui avais soumis mon brouillon au printemps 1985, avant de l'envoyer à l'imprimerie. Ce brouillon l'avait intéressé et il m'avait demandé de lui en laisser le double.
En décembre 1985, je lui ai remis la brochure imprimée. Affaibli par l'âge, a t-il eu le courage
de relire attentivement mon texte imprimé
? Je le suppose sans en être très sûr, et j'ai tout lieu de croire que ma première brochure
sur le Problème du Mal, et la deuxième sur le Purgatoire et l'Enfer, destinées toutes deux à lui en priorité, l’ont aidé à admettre que le Dieu bon qu'il cherchait, un Dieu capable de concilier sa bonté avec le problème de la souffrance et même de l'Enfer... est bien le Dieu de Jésus Christ.
Il est mort le 20 mars 1986, à l'âge de 88 ans, après quelques jours d'hospitalisation à Mâcon. Et ses funérailles" religieuses" ont
été célébrées le 24 mars 1986 en l'église de Bourgvilain, sa paroisse, conformément à sa volonté; car c'est lui même, m'a dit sa seconde épouse, qui avait demandé un enterrement « religieux », et catholique.
On peut dire son nom maintenant: c'est M. Laurent Duroussay, de Bourgvilain (S. et L.). Et sa cousine, « Marie la Fierté », s'appelait Marie Duroussay.
Je suis persuadé que tous deux ont été bien accueillis dans J'au-delà par le Dieu compréhensif et bon enseigné par Jésus-Christ, et qu'ils ont obtenu le bonheur éternel du ciel dans la lumière divine de la vérité enfin bien comprise, et dans la satis faction de leur désir de justice: la justice d'amour du Dieu-Amour. Jésus a dit: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés ! »
Abbé Charles
SAUTER, Aumônier de l'Hôpital, 71250 Cluny, FRANCE