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Dieu peut-il bénir une hérésie?
Élie, figure de l'islam
----- Original Message -----
"Dieu qui est vrai, ne se sert jamais du mal pour faire le bien. C'est le B - A BA de la théologie. Tu devrais le savoir et écrire moins de bêtises énormes concernant ce malheur qu'est l'islam et son origine qui n'a rien de mystérieuse et n'est que la réussite d'une secte bien organisée. Je l'écris d'autant plus, qu'étant moi-même théologien, j'ai bien étudié ce système."
Edouard-Marie
Réponse
Cher Edouard-Marie
J’affirmais que l’islam est non seulement un fléau suscité par Dieu pour la sanctification de l’Eglise mais qu’il est sans doute plus, qu’il y a en lui un mystère prophétisé sous la figure d’Ismaël : « Ismaël ne sera pas mon alliance, mais je le bénirai tout de même, je lui donnerai une descendance aussi nombreuse que les étoiles du Ciel car il est fils d’Abraham ». Cela te faisait bondir.
J’ajoutais que cela n’enlevait rien à la place unique du Christ, Verbe fait chair, unique rédempteur de tous les hommes.. Tu me répondais : « C’est aberrant. L’islam est une simple idéologie, comme le marxisme, comme les témoins de Jéhovah. »
Je voudrais, à travers quelques textes, te montrer à quel point le gouvernement de Dieu est mystérieux et que des principes aussi logiques que « Dieu qui est la vérité ne peut bénir une erreur » sont trop simples. Bref, mon opinion n’est pas si dénuée de fondement.
1- HUMILITE DEVANT LE MYSTERE DE DIEU QUI SAUVE
Saint Paul est le premier à rappeler l’exigence d’humilité devant le mystère du gouvernement de Dieu qui « est un abîme de richesse et que l’homme n’a pas connu. » Il le montre un peu plus haut en demandant : Qui peut comprendre l’action de Dieu qui a voulu, par un acte positif de sa puissance, éloigner provisoirement une partie d’Israël loin de son Messie ? Saint Paul se contente de dire ceci :(Romains 9, 18): « Dieu fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Tu vas donc me dire: Qu'a-t-il encore à blâmer l’homme pour son endurcissement ? Qui résiste en effet à sa volonté? O homme! vraiment, qui es-tu pour disputer avec Dieu? L'oeuvre va-t-elle dire à celui qui l'a modelée: Pourquoi m'as-tu faite ainsi? Il fait tout cela dans le dessein de manifester la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu'il a d'avance préparés pour la gloire. »
Je te fais remarquer que saint Paul aussi explique l’endurcissement d’Israël par leur futur entrée dans la gloire. Curieux, ne trouves-tu pas ? Dieu priverait des hommes de l’unique Sauveur… pour les sauver ?
Mais tu es théologiens. Tu comprends bien que cette privation est provisoire. A l’heure de la mort, ces gens voient le Christ et se rendent face à lui. Que t’importe que les Juifs (ou les musulmans) soient éloignés pour quelque temps du salut ici-bas ? L’essentiel n’est-il pas, qu’au terme, c’est-à-dire dans 50 ou 60 ans, ces gens soient, grâce au Christ, dans la Vision béatifique ?
2- DIEU PEUT UTILISER DES MAUX COMME MOYENS POUR LE BIEN
Toute la révélation montre par mille et un exemples que Dieu utilise tous les instruments de sa création pour purifier le cœur des hommes. Il ne se contente pas de laisser les hommes s’humilier entre eux par leurs propres péchés. Il les soumet positivement à des forces qui le dépasse. Cela peut être même être un esprit trompeur venant de lui, ce que tu rejetais formellement dans ton mail : « Dieu ne peut tromper personne. » VERITE DOGMATIQUE EVIDENTE. Pourtant lis :
1- Un esprit trompeur venant de lui : 2 Chroniques 18, 18 Michée reprit: "Ecoutez plutôt la parole de Yahvé: j'ai vu Yahvé assis sur son trône; toute l'armée du ciel se tenait à sa droite et à sa gauche. Yahvé demanda: Qui trompera Achab, le roi d'Israël, pour qu'il marche contre Ramot de Galaad et qu'il y succombe? Ils répondirent celui-ci d'une manière et celui-là d'une autre. Alors l'Esprit s'avança et se tint devant Yahvé: C'est moi, dit-il, qui le tromperai. Yahvé lui demanda: Comment? Il répondit: J'irai et je me ferai esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Yahvé dit: Tu le tromperas, tu réussiras. Va et fais ainsi. Voici donc que Yahvé a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tes prophètes qui sont là, mais Yahvé a prononcé contre toi le malheur."
Arriveras-tu à redresser ce texte pour le faire entrer dans une théologie bien propre, classique ?
2- Dieu peut utiliser encore une forme de stupidité dont l’origine est surnaturelle : Isaïe 29, 10 car « Yahvé a répandu sur vous un esprit de torpeur, il a fermé vos yeux (les prophètes), il a voilé vos têtes (les voyants). Et toutes les visions sont devenues pour vous comme les mots d'un livre scellé que l'on remet à quelqu'un qui sait lire en disant: "Lis donc cela." Mais il répond: "Je ne puis, car il est scellé."
Romains 11, 8 « selon le mot de l'Ecriture: Dieu leur a donné un esprit de torpeur: ils n'ont pas d'yeux pour voir, d'oreilles pour entendre jusqu'à ce jour »
2- Dieu peut provoquer un endurcissement du cœur: Exode 9, 12 « Yahvé endurcit le coeur de Pharaon et il ne les écouta pas, comme l'avait prédit Yahvé. »
Juges 9, 23 « Puis Dieu envoya un esprit de discorde entre Abimélek et les notables de Sichem, et les notables de Sichem trahirent Abimélek. »
3- Dieu peut aussi envoyer un ange exterminateur : 2 Chroniques 32, 21 « Yahvé envoya un ange qui extermina tous les vaillants preux, les capitaines et les officiers, dans le camp du roi d'Assyrie; »
4- il peut aussi utiliser des serpents, des microbes : Nombres 21, 6 « Dieu envoya alors contre le peuple les serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de monde en Israël. »
1 Chroniques 21, 14 « Yahvé envoya donc la peste en Israël et, parmi les Israélites, 70.000 hommes tombèrent. Puis Dieu envoya l'ange vers Jérusalem pour l'exterminer »
5- Ou encore son propre Fils : Galates 4, 4 « Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale. »
Tu pleures avec moi la catastrophe que fut la perte de chrétientés entières transformées en nations musulmanes. Penses-tu sincèrement que cela se serait fait si Dieu ne l’avait voulu ?
Ce que Dieu a fait jadis pour son Temple, ne crois-tu pas qu’il peut le faire pour son vrai Temple qu’est l’Eglise ou encore toi, ou moi ? Esdras 5, 12 : « Nos pères ayant irrité le Dieu du ciel, il les livra aux mains de Nabuchodonosor le Chaldéen, roi de Babylone, qui détruisit ce Temple et déporta le peuple à Babylone. »
Je suis tout à fait lucide sur mon propre comportement moral. Le texte suivant le décrit et, je crois, explique beaucoup de bonheurs et malheurs qui me sont arrivés. Je pense que ce travail peut s’appliquer aussi à tout homme. Néhémie 9, 27: « O Yahvé ! Tu les livras alors aux mains de leurs oppresseurs, qui les opprimèrent. Au temps de leur oppression, ils criaient vers toi, et toi, du ciel, tu les entendais et dans ton immense tendresse tu leur accordais des sauveurs qui les délivraient des mains de leurs oppresseurs. Mais, sitôt en paix, voilà qu'ils refaisaient le mal devant toi, et tu les abandonnais aux mains de leurs ennemis, qui les tyrannisaient. Eux, de nouveau, criaient vers toi, et toi, du ciel, tu les entendais: que de fois dans ta tendresse ne les délivras-tu pas! »
Les Juifs sont meilleurs théologiens que nous quand, dans leur liturgie, ils chantent : « C’est à cause de nos péchés que Tu nous as livré à la shoah ! ». Ils s’appuient sur le texte suivant qui est tout aussi valable pour nous : Deutéronome 28, 47 « Puisque tu n'auras pas servi Yahvé ton Dieu dans la joie et le bonheur que donne l'abondance de toutes choses, tu serviras l'ennemi que Yahvé enverra contre toi, dans la faim, la soif, la nudité, la privation totale. Il imposera à ta nuque un joug de fer, jusqu'à ce qu'il t'ait détruit. Yahvé suscitera contre toi une nation lointaine, des extrémités de la terre; comme l'aigle qui prend son essor. Ce sera une nation dont la langue te sera inconnue, une nation au visage dur, sans égard pour la vieillesse et sans pitié pour la jeunesse. Elle mangera le fruit de ton bétail et le fruit de ton sol, jusqu'à te détruire, sans te laisser ni froment, ni vin, ni huile, ni portée de vache ou croît de brebis, jusqu'à ce qu'elle t'ait fait périr. Elle t'assiégera dans toutes tes villes, jusqu'à ce que soient tombées tes murailles les plus hautes et les mieux fortifiées, toutes celles où tu chercheras la sécurité dans ton pays. Elle t'assiégera dans toutes les villes, dans tout le pays que t'aura donné Yahvé ton Dieu. Tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que t'aura donnés Yahvé ton Dieu, pendant ce siège et dans cette détresse où ton ennemi te réduira. Le plus délicat et le plus amolli d'entre les tiens jettera des regards malveillants sur son frère, et même sur la femme qu'il étreint et ceux de ses enfants qui lui resteront, ne voulant partager avec aucun d'eux la chair de ses fils qu'il mange: car il ne lui restera rien, à cause du siège et de la détresse où ton ennemi te réduira dans toutes tes villes. »
Voilà pour ce point. A toi de répondre. Penses –tu encore qu’il est tout-à-fait exclu qu’il y ait plus qu’un problème historique et sociologique sous l’islam ?
REPONSE
Cher Arnaud,
La question que tu soulèves est en effet essentielle, que ce soit par rapport au salut éternel ou en soi. Non, Dieu ne se sert jamais d’un mal en vue d’un bien[1] (gare aux images qui, trop prises au pied de la lettre, le feraient penser : c’est cela, le fondamentalisme).
Mais Il peut tirer le bien du mal, ce qui est tout autre chose.
Le mal engendre le mal, inexorablement : c’est la loi du péché dont parle Saint Paul. Par le mystère pascal (où la Descente aux enfers est centrale, puisqu’elle est située justement entre la mort du Christ et sa résurrection), c’est-à-dire concrètement par le fait que des hommes s’unissent à ce mystère pascal, Dieu peut tirer du mal un bien plus grand que le mal était. Cela n’a rien d’automatique, car cela advient dans la mesure même où les hommes se tournent vers le Christ.
Toutes les hérésies prétendent "dépasser" l’œuvre du Christ et faire advenir le bien du mal. Le messianisme, qui est fondamentalement dialectique et révolutionnaire, est l’un de ces deux grands courants (l’autre étant la gnose), dérivé des judéochrétiens. Il faut simplement préciser que ces deux dérives se préparaient déjà avant le Christ, évidemment : le mal était déjà un scandale avant Jésus – même si il l’est devenu bien davantage ensuite à cause de la Croix –, et la révélation voilée de l’ancienne Alliance pouvait donner lieu déjà à des dérives (elles n’ont d’ailleurs pas manqué). Mais ce n’étaient pas encore les hérésies d’après le Christ, dans toute leur force perverse.
Même si tu aurais pu choisir des exemples autrement mieux fondés[2], l’exemple du soldat Johann offre le mérite d’illustrer l’orgueil que l’hérésie soulève dans ses adeptes. Le nazi allait instaurer l’ordre nouveau c’est-à-dire la société idéale sur toute la terre, et accomplir l’Histoire ; il était donc un surhomme. Le même esprit prévalait parmi les militants doctrinaires communistes, qui se sentaient être les précurseurs de la classe devant amener une "terre nouvelle" et instaurer le communisme universel. On a d’ailleurs comparé à juste titre les deux systèmes (Stéphane Courtois, Hanna Arendt, etc.). On a comparé aussi le communisme et l’islam militant, et des musulmans eux-mêmes l’ont fait (Houchang Nahavandi, etc.). Car la "foi" du militant musulman, c’est d’abord et avant tout de "croire" qu’il a été choisi par "Dieu" pour instaurer Sa Volonté sur la terre (la šarîah), et qu’il est donc au-dessus de tout autre homme, que Dieu a mis pour le servir (puisqu’il est lui-même le "serviteur de Dieu" !). L’acte "de foi" et la prière musulmans, c’est d’abord cela. Ce qui fait l’adhésion concrète à l’islam, ce n’est pas la prière du vendredi ; c’est la nourriture à part. Un homme choisi par Dieu ne peut ni manger avec ses inférieurs, ni toucher leur nourriture de porcs. Cette manière de penser et de faire est très orientale, mais sa visée idéologique n’est ni orientale, ni occidentale.
Dieu ne se sert jamais du mal. Mais comme il est le Maître de l’Histoire, il peut, d’une manière que ni toi ni moi ne pouvons saisir[3], tirer un bien a contrario, à travers les actes de la liberté humaine. Car dans la mesure où un membre – plus ou moins adepte – du (ou des) systèmes hérétiques est dégoûté par celui-ci (ou ceux-ci) et refuse de lui (leur) vendre sa conscience, il s’oppose aux contrefaçons de la Révélation et à leurs perversités. Ainsi, il a déjà choisi d’être dans le camp des fils de la lumière, pour employer une image de l’Apocalypse, car il se tourne objectivement vers le Christ. Peu importe qu’il le sache clairement ou non, cela n’a pas d’importance. “Celui qui n’est pas contre vous est avec vous”, explique Jésus. Mais il précise aussi : “Celui qui n’est pas avec moi est contre moi”. C’est dans la mesure où un musulman est un mauvais musulman (du point de vue islamique) qu’il se dispose à la rencontre du Christ et sera sauvé.
En résumé, les contrefaçons du christianisme sont un mal in se (intrinsèquement pervers, disait Pie XI à propos du communisme). Elles sont faites pour détourner l’homme de son Sauveur. Dieu lui-même ne peut pas s’en servir. Simplement, Il est assez puissant pour attendre que chaque homme, subissant les conséquences de ces perversités dans son histoire, choisisse ou non de se désolidariser de ces systèmes de mal qui l’entourent (les structures de péché, comme dit JP II). Dieu permet cette situation, Il ne la veut pas : ce qu’Il voulait, c’est que l’évangile fût porté partout sur terre dans la force de la première génération chrétienne, de sorte que le choix des hommes se réalise face à la lumière de l’Amour et non à travers de monstrueuses perversions ; mais l’homme est libre, et les chrétiens sont des hommes libres. Dieu respecte la liberté humaine, et l’acte suprême de celle-ci sera posé face au Christ qui se manifestera individuellement au terme de la vie de chaque, et de manière analogue, au terme des temps actuels (“qui sont les derniers”) à l’Humanité qui sera alors présente sur terre.
La question du mal est centrale dans la théologie de l’Histoire, puisque la problématique est : comment Dieu fait-Il pour mener l’Histoire ? Au sujet des histoires individuelles, il n’y a pas grand-chose à dire, puisqu’elles sont toutes différentes et que, pour beaucoup d’êtres humains, elle ne dure que quelques heures ou quelques jours ; c’est au sujet de leur terme qu’il y a à dire (c’est le mystère de la Rencontre personnelle dans la Descente du Christ aux enfers).
Il y a beaucoup plus à dire au sujet de notre Histoire collective, celle de toute l’Humanité. Certes, son terme nous est d’autant plus difficile à saisir, qu’il est complètement sorti de nos perspectives depuis au moins la Renaissance (voir Parousie.doc). De plus, il doit être regardé à l’intérieur d’une vaste fresque historique qui va de la Création à l’entrée du monde créé dans la Gloire. Vatican II a esquissé cette vaste fresque (assez naturelle pour les Orientaux), mais sans suites. Seuls quelques exégètes ont soulevé le voile depuis lors, en faisant remarquer par exemple que l’expression "derniers temps" ne doit pas être comprise comme s’il n’y avait plus rien à attendre de la part de Dieu mais au contraire dans la lumière d’autres expressions telles que "achèvement de ce siècle (aíôn, ou époque)". Ce qu’il y a à attendre, c’est que, le jour où tous les hommes vivant sur terre auront été acculés à "faire leur choix" au plus profond d’eux-mêmes (et la manifestation de l’Antichrist y jouera un rôle ultime), le temps actuel sera arrivé à son terme : le Christ n’attendra plus pour venir "juger" l’Humanité (pour une analyse plus approfondie des textes néotestamentaires, voir les notes de Maître2.doc – qui doit être mis à jour).
Je reste très fraternellement tien, en Marie, Ed-M
[1] C’est quelqu’un que je ne nommerai pas qui tend à dire que Dieu transforme le mal en bien selon son bon plaisir, et qu’Il se sert même de ses erreurs à lui en vue du bien, vu qu’il a été choisi par Dieu comme intermédiaire entre Dieu et les hommes ! Soyons clairs : en aucune manière, il n’existe d’intermédiaire entre Dieu et les hommes (pas même un père ou une mère par rapport à ses enfants), sinon Jésus lui-même par son Esprit. Quiconque se pose en intermédiaire nuit à la gloire de Dieu et à l’œuvre de l’Esprit.
[2] Il existe des études systématiques des récits de ceux qui ont vécu une NDE (tu en trouvera les conclusions dans mon travail de maîtrise). Sur ces études, on peut fonder une réflexion, mais guère sur un récit romancé basé sur une communication venue de l’Au-delà (sur la question des "morts qui nous parlent", voir aussi ce même travail).
[3] On ne peut pas "saisir" l’action de Dieu. C’est pourquoi elle nous paraît toujours paradoxale. Dans l’acte de foi, il y a l’œuvre de l’Esprit et l’adhésion de l’homme. Des dizaines de milliers de pages ont été écrites pour dépasser ce paradoxe. En vain…
REPONSE
Cher Edouard-Marie
Merci pour ce long travail, précis et qui m'explique ce qui te
faisait bondir. Je comprends mieux maintenant le problème. Il ne
s'agit de rien d'autre, selon moi, de cette éternelle différence
entre philosophia parennis (celle des principes) et philosophie
pratique (celle de l'action). Je vais te donner un exemple qui va,
je pense, tout résoudre. Es-tu pour l'utilisation de la torture? Tu
vas me répondre, selon l'approche spéculative qui est la tienne: "La
torture est un mal. L'utiliser est un péché. On ne peut faire le mal
pour faire le bien." C'est d'ailleurs la position du CDC. C'est
aussi la mienne.
Maintenant, je te mets dans la vie pratique. En 1988, la guérilla
communistes de Colombie a déposé une bombe quelque part en ville. La
revendication a été faite au téléphone avec la précision suivante:
"nous la déclencherons quand nous voudrons par télécommande". Or,
par un heureux hasard, un des terroristes a été arrêté. Aussitôt, la
décision a été prise de le faire parler. Consulté, l'évêque a donné
son blanc-saing: "Pratiquez la torture. Dans ce cas, nous n'avons
pas à choisir entre le bien et le mal. Nous choisissons le moindre
mal. Ce qui compte c'est de sauver des vies innocentes."
Qu'aurais-tu fait dans ce cas, à la place de l'évêque? Si tu avais
répondu par les principes, tu aurais été responsable de la mort de
dizaines d'enfants. La bombe a été retrouvée dans une école
maternelle... Le problème est que, lorsqu'on reste dans les
principes, on croit ne pas se salir les mains mais on fait pire...
C'est de la même façon que je lis le gouvernement de Dieu. Je ne le
fais pas à travers les principes éternels mais à travers la manière
concrète dont Dieu se salit les mains à travers toute la Bible. On
ne peut pas éternellement te réfugier derrière des principes de
théologie spéculative alors que des centaines de textes, des
milliers de passages de l'Ecriture, des descriptions de saints
canonisés, des apparitions reconnues par l'Eglise et surtout,
surtout, la vie même, nous montre Dieu en train de faire le
contraire de ce que disent les principes. Visiblement, Dieu n'a
cessé de se salir les mains pour sauver les hommes. Le livre de la
Sagesse le dit: "Quand il était face à un orgueilleux, il se faisait
lion et le brisait."
Bref, tu t'es sorti d'affaire, me semble-t-il, trop facilement. Tu
as réaffirmé ton principe, avec l'autorité d'un spécialiste mais tu
n'as pas
expliqué le texte suivant: 2 Chroniques 18, 18 Michée reprit:
"Ecoutez plutôt la parole de Yahvé: j'ai vu Yahvé assis sur son
trône; toute l'armée du ciel se tenait à sa droite et à sa gauche.
Yahvé demanda: Qui trompera Achab, le roi d'Israël, pour qu'il
marche contre Ramot de Galaad et qu'il y succombe? Ils répondirent
celui-ci d'une manière et celui-là d'une autre. Alors l'Esprit
s'avança et se tint devant Yahvé: C'est moi, dit-il, qui le
tromperai. Yahvé lui demanda: Comment? Il répondit: J'irai et je me
ferai esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Yahvé
dit: Tu le tromperas, tu réussiras. Va et fais ainsi. Voici donc que
Yahvé a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tes prophètes
qui sont là, mais Yahvé a prononcé contre toi le malheur."
Je peux te trouver des centaines d'autres textes de cette eau. Par
exemple: Juges 20, 23" Les Israélites consultèrent Yahvé en
disant: "Devons-nous encore engager le combat contre les fils de
Benjamin mon frère?" Et Yahvé répondit: "N'ayez pas de
crainte. Marchez contre lui.!"Les Israélites s'approchèrent donc des
Benjaminites, mais, en cette journée, Benjamin massacra 18.000
hommes des Israélites; c'étaient tous des guerriers sachant tirer
l'épée. Les Israëlites ne comprirent pas ce qui leur arrivait."
Réponds d'abord à ces deux là. Puis je t'en citerai chez des saints
etc.
REPONSE
Cher Edouard-Marie,
N'ayant plus de réponse de ta part, je t'envoie un argument d'autorité qui, sans doute, achèvera de répondre à ta question. Il s'agit d'un petit traité de la Somme de Théologie, Ia IIae, Question 79
Tout est dit. Il reste à l'appliquer à l'islam, tout en étant plus souple dans ton jugement sur l'action de Dieu qui ne vise finalement qu'une chose:le salut du plus grand nombre, dans l'humilité et l'amour enseignés par le Christ.
1. Dieu est-il cause du péché? - 2. L'acte du péché vient-il de Dieu? - 3. Dieu est-il cause de l'aveuglement et de l'endurcissement de certains? - 4. Cet aveuglement et cet endurcissement sont-ils ordonnés au salut des pécheurs?
Objections: 1. Il semble que non. Car S. Augustin affirme: « Dieu n'est pas cause qu'un homme se dégrade. » Or l'aveuglement et l'endurcissement dégradent l'homme. Dieu ne peut donc pas en être la cause.
2. S. Fulgence affirme: « Dieu ne tire pas vengeance d'un être dont il est l'auteur ». Mais Dieu tire vengeance du coeur endurci, selon l'Ecclésiastique (3,17): « Le coeur dur connaîtra le malheur au dernier iour. » Dieu n'est donc pas la cause de son endurcissement.
3. Le même effet ne peut pas être attribué à des causes contraires. Or la cause de l'aveuglement c'est la malice de l'homme, d'après la Sagesse (2,21): « Leur malice les aveugle »; et c'est aussi le diable d'après S. Paul (2 Co 4,4): « Le dieu de ce monde a aveuglé l'entendement des incrédules. » ce sont là des causes qui apparaissent comme contraires à Dieu. Dieu n'est donc pas cause d'aveuglement et d'endurcissement.
En sens contraire, nous lisons en Isaïe (6,10): « Aveugle le coeur de ce peuple et endurcis ses oreilles. » Et dans l'épître aux Romains (9,18): « Dieu prend pitié de qui il veut, et il endurcit qui il veut. »
Réponse: L'aveuglement et l'endurcissement impliquent deux choses. Un mouvement de l'âme humaine qui adhère au mal et se détourne de la lumière divine. A cet égard, Dieu n'est pas la cause de l'aveuglement et de l'endurcissement, comme il n'est pas la cause du péché. En outre, aveuglement et endurcissement comportent une soustraction de grâce à la suite de quoi l'esprit n'est plus éclairé par Dieu pour bien voir, ni le coeur attendri pour bien vivre. Et à cet égard, Dieu est cause de l'aveuglement et de l'endurcissement.
Il faut considérer que Dieu est la cause universelle de l'illumination des âmes, selon S. Jean (1,9): « Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde », comme le soleil est la cause universelle de l'illumination des corps. Avec des différences cependant, car le soleil répand sa lumière par nécessité de nature, tandis que Dieu agit volontairement et suivant le plan de sa sagesse. Le soleil, autant que cela dépend de lui, éclaire bien tous les corps; néanmoins, s'il en était un où il rencontre un obstacle, il le laisse dans l'obscurité, par exemple une maison dont les fenêtres sont demeurées closes. Et pourtant, la cause de cette obscurité n'est nullement le soleil puisque ce n'est pas par son propre jugement qu'il ne pénètre pas dans la maison; la cause est uniquement celui qui tient les volets fermés. Pour Dieu au contraire, s'il n'envoie plus les rayons de grâce dans les âmes où il trouve un obstacle, c'est par son propre jugement. Aussi la cause de cette soustraction de grâce n'est-elle pas seulement celui qui présente l'obstacle, mais encore Dieu qui par son jugement n'offre plus la grâce. De cette manière, Dieu est vraiment cause qu'on ne voit plus, qu'on n'entend plus, et que le coeur est endurci. - Ces effets se distinguent comme ceux de la grâce elle-même. Car, en même temps qu'elle perfectionne l'intelligence par le don de sagesse, elle amollit le coeur au feu de la charité. Et servie par deux sens, la vue qui aide à découvrir, et l'ouïe à apprendre, il s'ensuit que l'on parle de cécité pour la vue, de surdité pour l'ouïe, et d'endurcissement pour le coeur.
Solutions: 1. L'aveuglement et l'endurcissement, par le côté où ils supposent une soustraction de la grâce, sont des peines; à cet égard ce ne sont pas eux qui dégradent l'homme. C'est lui qui, dégradé par sa faute, encourt par elle ces châtiments et tous les autres.
2. L'objection est valable si l'on considère l'endurcissement comme une faute.
3. La malice est une cause méritoire de l'aveuglement, comme la faute est cause de la peine. Et de même on dit aussi que le diable aveugle les esprits en tant qu'il induit à la faute.
Objections: 1. Oui, toujours, semble-t-il. S. Augustin dit en effet: « Dieu, comme il est souverainement bon, ne permettrait aucun mal si de chaque mal il ne pouvait faire sortir un bien. » A plus forte raison doit-il donc ordonner au bien le mal dont lui-même est la cause. Or il est la cause, on vient de le dire, de l'aveuglement et de l'endurcissement. Ces maux sont donc ordonnés par lui au salut de ceux qui les subissent.
2. Il est dit dans la Sagesse (1,13 Vg): « Dieu ne prend pas plaisir à la perte des impies. » Or il semblerait y prendre plaisir s'il ne tournait pas à leur bien l'aveuglement dont il les frappe, de même qu'un médecin aurait l'air de prendre plaisir à faire souffrir son malade si la médecine amère qu'il lui donne à boire n'avait pas pour but de lui rendre la santé. Donc Dieu fait tourner leur aveuglement au bien de ceux qu'il aveugle.
3. Dieu ne fait pas acception de personnes, est-il dit au livre des Actes (10,34). Or il y a des cas où Dieu aveugle pour sauver. Ce fut, au témoignage même des Actes (2,37) et selon le commentaire qu'en donne S. Augustin, le cas de quelques-uns des Juifs: Dieu les avait aveuglés pour qu'ils ne croient pas au Christ et que, ne croyant pas en lui, ils le mettent à mort afin qu'après cela, tout contrits, ils se convertissent, comme on le voit dans les Actes (2,37) et comme l'expose S. Augustin. Donc Dieu fait tourner l'aveuglement de tous à leur salut.
En sens contraire, « il ne faut pas faire le mal pour qu'il en sorte le bien », est-il dit dans l'épître aux Romains (3,8). Mais l'aveuglement est un mal. Donc Dieu n'aveugle pas des âmes pour leur bien.
Réponse: L'aveuglement est comme un prélude au péché. Or le péché est ordonné à deux fins: par lui-même à la damnation; mais à d'autres effets par la miséricorde et la providence de Dieu: à la guérison, en ce sens que Dieu permet que certains tombent dans le péché afin, dit S. Augustin, que reconnaissant leur faute ils s'humilient et se convertissent. Aussi l'aveuglement spirituel, de sa propre nature, mène à la damnation, et c'est pourquoi on y voit même un signe de réprobation; mais par la divine miséricorde il est ordonné temporairement, comme un traitement médicinal, au salut de ceux qui sont aveuglés. Néanmoins cette miséricorde n'est pas accordée à tous, mais uniquement aux prédestinés, chez qui « tout concourt au bien », comme dit l'Apôtre (Rm 8,28). De sorte que pour les uns l'aveuglement aboutit à la guérison, mais pour d'autres à la damnation, selon S. Augustin.
Solutions: 1. Tous les maux que Dieu fait ou permet sont destinés à quelque bien; pas toujours cependant au bien de celui chez qui est le mal, mais quelquefois au bien d'un autre, ou encore au bien de tout l'univers. C'est ainsi qu'il ordonne la faute des tyrans au bien des martyrs, et la peine des damnés à la gloire de sa justice.
2. Dieu ne prend pas plaisir à la perte des hommes pour le plaisir même de les perdre, mais en raison de sa justice, ou pour le bien qui découle de leur châtiment.
3. Que Dieu ordonne l'aveuglement de certains à leur salut, cela vient de sa miséricorde; qu'il ordonne l'aveuglement des autres à leur damnation, cela vient de sa justice. Qu'il fasse miséricorde à certains et non à tous, ce n'est point chez lui acception de personnes, nous l'avons montré dans la première Partie.
4. En sens contraire. Il ne faut pas faire le mal de faute pour qu'il en sorte du bien; mais le mal de peine, il faut l'infliger pour le bien.