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Questions Disputées

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 Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Arnaud DUMOUCH (193.191.142.---)
Date:   09/12/2003 11:22

Chers amis, Voici un sujet de théologie spirituelle.
""""Un catholique non pratiquant, est-ce que cela peut exister ?""""
Je précise en deux questions:

1- Peut-il exister un catholique sans vie sacramentelle ?
2- Peut-il exister un catholique sans vie de prière?
Attention, il ne se règle pas si facilement qu'il ne paraît.

Il y a visiblement un piège dont les conséquences pratiques sont importantes: La spiritualité des divorcés remariés; La spiritualité des peuples excommuniés au Moyen Age; La spiritualité des Eglises du silence.
Arnaud

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Arnaud DUMOUCH (193.191.142.---)
Date:   12/12/2003 12:26

Première réponse:
Quand saint Thomas commente le texte: "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle", il se demande si Jésus parle de l'eucharistie.
Sa réponse: "Jésus parle de cette manducation spirituelle à travers la prière".

Il va de soi que saint Thomas ne vise pas à relativiser l'eucharistie et avec elle, les sacrements.
Il semble qu'il la met à une place spéciale qui se situe entre les deux positions suivantes:
1- Celle qui fut soutenue plus tard par Luther: "Les sacrements (sauf le baptême) ne servent à rien et sont une invention sacerdotale". Ce qui compte, c'est la confiance en Dieu.
2- Celle de l'école sacerdotale de saint Sulpice: "La grâce ne peut passer qu'à travers la pratique des sacrements".

Sa position semble être: "L'eucharistie est à la fois FIN de notre vie chétienne et MOYEN.
FIN puisque, dans l'eucharistie, la personne du Christ, réellement présente.
MOYEN par son mode sensible et sacramentel.

Mais le fondement et le but de l'eucharistie comme des autres sacrement, c'est la grâce de la charité. Donc, dans le rapport à Dieu, la prière...
Arnaud

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Daniel (---.proxy.aol.com)
Date:   14/12/2003 17:58

En cas d'impossibilité liée à la situation (par exemple pour les divorcés), le fait de ne pouvoir recevoir le sacrement de l'Eucharistie n'empêche pas de participer à la Messe et de s'unir au sacrifice pour vivre de la Grâce de ce sacrement.
Priver sa vie religieuse de la nourriture des trois vertus théologales risque à terme de voir la flamme s'éteindre.
N'est-ce pas la porte ouverte à un syncrétisme qui nous fera choisir les croyances qui seront le plus en adéquation avec notre sensibilité propre ?
Etre non pratiquant, n'est ce pas aussi se priver de la partie de la chose révélée, objet de la Foi, qu'est la Tradition ?
Vaste question..... d'une grande actualité.
Bien amicalement.
D@niel

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Arnaud Dumouch (---.88.238.136.codenet.be)
Date:   14/12/2003 20:52

Cher Daniel, Merci de votre réponse.

Pourquoi ai-je tenté de lancer ce débat ? Parce que depuis quatre siècles, dans l’Église catholique, les prêtres et théologiens fidèles à l’Eglise ont eu tendance à identifier le chemin de la grâce de Dieu à la seule pratique des quatre sacrements suivants, baptême, confirmation, pénitence, eucharistie. Cette tradition est un effet de la formation au sacerdoce . C’est une excellente spiritualité... pour les prêtres. Mais le fait qu’elle ait remplacé les grandes théologies mystiques canonisées par l’Église fut une erreur. Les grands Docteurs mystiques comme sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, saint Thomas d’Aquin disaient que l’eucharistie était une des voies de la grâce. C’est une nuance essentielle. Pour eux, l’eucharistie est « le mode le plus inouï, le plus extraordinaire, par lequel Dieu a inventé de se donner ». Mais l’origine de toute grâce n’est pas Jésus-eucharistie, c’est Jésus « tout court ». Jésus peut obtenir l’intimité qu’il désire avec l’homme par bien d’autres moyens, la contemplation de la nature, la musique, le silence, le désert et, par-dessus de tout car source de tout, le cœur à cœur de l’oraison. Marthe Robin disait à propos de l’Eucharistie:
« Dans la communion eucharistique, Dieu se donne dans un acte extérieur qui est en lui-même un plaisir, une consolation, une joie pour l’âme... La communion ne suppose pas toujours la vertu. On peut communier et se rendre coupable du corps et du sang du Christ. Quelqu’un a dit: “ on trouve des chrétiens qui communient tous les jours et sont en état de péché mortel... Mais, on ne trouvera jamais une âme qui fasse oraison tous les jours et demeure dans le péché. ” Si on me proposait de choisir la rencontre avec le Christ dans l’eucharistie ou dans l’oraison, je choisirai sans hésiter l’oraison car c’est elle qui donne tout son sens à la communion. L’adoration est le but de la communion et c’est elle qui lui donne sa valeur. »
Une ermite commentait: « Jésus eucharistie ne vient sous les espèces du pain que dans le but de nous mendier quelques secondes de présence et de les transformer, dès que nous le comprenons, en une perpétuelle présence que nous ne quittons jamais, qui demeure indépendamment des espèces du pain et du vin et que nous pouvons retrouver à chaque moment, à volonté, en nous tournant vers notre intériorité. »
La vie mystique est infiniment plus riche que le mode sacramentel. La vie mystique (= la charité (Agape) pour Dieu et le prochain) intègre toutes les différentes manières de la vivre (= les spiritualités) mais ne peut être réduite à une seule de ces spiritualités. Jésus veut venir habiter le cœur des hommes. Si une voie lui est fermée, il passera par une autre.

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: L'animateur du forum (---.w80-14.abo.wanadoo.fr)
Date:   14/12/2003 21:44

Cher Arnaud,

     Quelle différence faites vous entre Jésus-Eucharistie et Jésus "tout court" ?

Cordialement

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Sébastien (---.w217-128.abo.wanadoo.fr)
Date:   15/12/2003 09:27

Il faut d'abord se poser la question du NECESSAIRE.

La nécessité.

Sth, Ia, q. 82, a. 1 : “Nécessité a plusieurs sens. Est nécessaire « quod non potest non esse », ce qui peut convenir à quelque chose uno modo ex principio intrinseco, soit matériel comme quand nous disons que ce qui est composé de contraire doit nécessairement se corrompre, soit formel comme quand nous disons qu’il est nécessaire qu’un triangle ait trois angles égaux à deux droits. Il s’agit d’une nécessité naturelle et absolue. – Secundo modo, il peut convenir à quelque chose qu’il puisse ne pas être ex aliquo extrinseco, vel fine vel agente. Par rapport à la fin, comme quand quelqu’un ne peut atteindre sa fin et ne peut bien l’atteindre sans ce [qui est dit nécessaire] ; par exemple, la nourriture est nécessaire à la vie et le cheval au voyage. On parle alors de nécessité de la fin ou d’utilité. Par rapport à l’agent, comme quand quelqu’un est obligé (contraint) par quelque agent, de telle sorte qu’il ne puisse agir (faire) le contraire. C’est la nécessité de coaction. »
D’où la nécessité peut être :
- absolue, fondée sur les causes intrinsèques (forme et matière) (il est nécessaire que l’homme soit un animal rationnel) ;
- hypothétique, fondée sur les causes extrinsèques :
-nécessité hypothétique ex fine :
- stricte : par rapport à une impuissance physique = nécessité ad esse,
- morale : par rapport à une impuissance morale : nécessité secundum quid, ad bene esse :
- soit c’est un plus accordé à la fin elle-même,
- soit c’est un plus accordé pour obtenir la fin : peut être d’une multitude de degrés (ne rentre pas dans l’indivisible, relève du plus ou moins : exemple : un véhicule est nécessaire pour aller à la messe plus ou moins),
- nécessité hypothétique ex agente : nécessité de coaction (par rapport à la cause efficiente) : l’agent force à agir de telle ou telle façon (correspond à une impuissance physique à résister).

Application sur les moyens de saluts.
Le Père Garrigou-Lagrange propose le schéma suivant (De virtutibus theologicis, Turin, 1949, p. 159)



1. Nécessité de moyen sans lequel le salut ne peut être obtenu

1.1. Absolument parlant et toujours (per se et semper)

1.1.1. Par la nature des choses :

- Pour tous : la grâce habituelle et les vertus théologales

- Pour les adultes : croire que Dieu existe et qu’il est rémunérateur ; le mérite

1.1.2. Par institution divine : pour les enfants, le baptême d’eau, hors du cas du martyre (si l’on professe les limbes)

1.2 Absolument parlant, mais pas toujours (per se sed non semper):

- le baptême d’eau pour les adultes, qui peut être suppléé par le baptême de désir

- le foi explicite au Christ

2. Nécessité de précepte : tout ce qui est mauvais en raison de la volonté du législateur, qui n’est donc pas mauvais en soi, mais parce que c’est défendu.
- la sanctification du dimanche

- la communion pascale

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: L'animateur du forum (---.w81-51.abo.wanadoo.fr)
Date:   15/12/2003 19:24

Cher Arnaud,

     Paul VI nous propose dans sa lettre "Mysterium Fidei" plusieurs «lieux de prospection» où chercher la présence de Dieu :

«Bien divers sont les modes de présence du Christ à son Église ...
  • Il est présent à son Église qui prie ... C'est lui-même qui a promis: "Là où se trouveront réunis en mon nom deux ou trois, je m'y trouverai au milieu d'eux"
  • Il est présent à son Église qui accomplit les œuvres de miséricorde, ... quand nous faisons un peu de bien à l'un de ses frères les plus humbles, nous le faisons au Christ lui-même, mais aussi parce que c'est le Christ lui-même qui opère ces actions par le moyen de son Église ...
  • Il est présent à l'Église qui ... aspire au port de la vie éternelle, puisque il habite en nos cœurs par la foi et qu'Il y répand la charité par l'action de l'Esprit Saint ...
  • Il est présent à son Église qui prêche, puisque l'Évangile qu'elle annonce est Parole de Dieu et que cette Parole est proclamée au nom et par l'autorité du Christ, ... et avec son assistance ...
  • Il est présent à l'Église qui ... gouverne le Peuple de Dieu, puisque le pouvoir sacré découle du Christ, et que le Christ, " Pasteur des Pasteurs ", assiste les Pasteurs qui exercent ce pouvoir selon la promesse faite aux Apôtres.
  • De plus, et d'une manière plus sublime encore, le Christ est présent à son Église qui en son nom célèbre le Sacrifice de la Messe et administre les Sacrements ....
  • Pourtant bien autre est le mode, vraiment sublime, selon lequel le Christ est présent à l'Église dans le Sacrement de l'Eucharistie. C'est pourquoi celui-ci est ... "comme la perfection de la vie spirituelle et la fin à laquelle tendent tous les Sacrements»
Nous avons là tout un itinéraire mystique, ne croyez vous pas ?

Cordialement

 Re: Est-il possible, chez saint Thomas, d'être catholique sans la pratique des sacrements?
Auteur: Arnaud DUMOUCH (193.191.142.---)
Date:   16/12/2003 10:23

Cher Guy
""" Quelle différence faites vous entre Jésus-Eucharistie et Jésus "tout court" ?""""

C'est le même Jésus mais il ne se donne pas par le même MODE. C'est un peu comme si vous me disiez: """quelle différence faite vous entre votre femme voilée et votre femme sans voile.
Il s'avère que, depuis Berulle et sous l'influence de la spiritualité sacerdotale, on a tellement insisté sur la merveille du mode eucharistique que l'on en est arrivé à identifier "la spiritualité de l'Eglise universelle" avec "le mode sacramentel". Je sais que ce n'est le cas de personne en ce forum, au moins au plan spéculatif. Le texte que vous citez de Paul VI le prouve. De même ce que dit Sébastien sur les "nécessités" est parfait.

Pourtant, en lançant ce débat, je pensais poser une vraie question non sur la théologie spéculative elle-même mais sur nos spiritualités (donc au plan PRATIQUE). Je le sentais quand j'ai lu la question de Sébastien sur la pratique religieuse. Peut-on être catholique non pratiquant?


Bérulle est l'inspirateur premier de la spiritualité sacerdotale. C'est lui qui a recentré les prêtres sur l'essence de leur vocation: les sacrements. Pourtant, il n'a n'a jamais été fait docteur de l'Eglise.
Par contre, saint Thomas d'Aquin et sainte Thérèse d'Avila sont deux Docteurs de l'Eglise. Sainte Thérèse d'Avila est même "Docteur mystique". Tous deux ont toujours distingué DE MANIERE PRATIQUE "les spiritualités" de "la vie mystique".

Cela peu paraître anodin. Mais les conséquences en sont importantes.
CE QUI FAIT UN CHRETIEN, et ce universellement, c'est la pratique de la CHARITE (ce que dit Sébastien en parlant de la grâce, nécessité absolue).

CONCRETEMENT: Le commandement d'aimer Dieu passe par une voie sans quoi il n'y a plus de chrétien: le fait de communiquer coeur à coeur avec Dieu. IL N'Y A DONC PAS DE CATHOLIQUE NON PRATIQUANT SOUS LE RAPPORT DE LA PRIERE, de même qu'il n'y a pas de mariage en l'absence de tout échange d'amour.
Concernant le MODE d'EXERCICE DE CETTE PRIERE, en théologie mystique, Rien n'est NECESSAIRE DE MANIERE ABSOLUE . Elle peut être courte et intense (on appelait cela les oraison jaculatoires). Elle peut être longue et calme (l'oraison). Elle peut être en forêt. Parmi tous les MODES, Jésus a inventé le plus surprenant de tous, c'est le mode eucharistique. Il se fait corps physique afin de provoquer un contact sensible, adapté à notre façon de fonctionner.

Cependant, saint Jean Chrysostome, pour situer le sacrement de l'eucharistie à sa juste place, a une comparaison excellente. Il dit:

"LE DON DU CORPS DU CHRIST, dans l'eucharistie, a la même place que le don du corps des époux dans le mariage."

Cette analogie est essentielle. En effet, quand saint Paul dit: "celui qui communie en avalant sa propre condamnation" décrit un homme qui communie à la messe en état de péché mortel. C'est exactement la même chose dans le mariage: "un homme qui, après avoir insulté et battu sa femme, couche avec elle le soir, avale la mort de son mariage."

MA CONCLUSION: Peut-on être catholique non pratiquant au plan des sacrements ? Ma réponse serait la même que celle que l'on peut faire à cette question: PEUT-IL Y AVOIR UN MARIAGE EN L'ABSENCE DU DON DES CORPS?
Que répondriez vous? Moi, je répondrais comme Sébastien dans son texte sur les nécessités.
A vous
Arnaud