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Questions Disputées

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 La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Nicolas (---.208.39-62.rev.gaoland.net)
Date:   24/06/2004 18:00

Voici des mois que j'observe en silence les savants entretiens des habitués de ce forum, tâchant d'en saisir ce que je peux. Pour la première fois j'ose intervenir, afin de soumettre à leur sagacité une question qui m'est venue à la lecture du livre de l'animateur sur L'âme, souffle de vie. Merci, d'abord, à son auteur, pour ces pages savantes mais à la portée d'un lecteur dépourvu de formation philosophique universitaire, comme je suis. Merci surtout pour les pages 123-125, grâce auxquelles, pour la première fois, je crois commencer à comprendre comment l’on peut démontrer que l'opération de l'intelligence est inorganique. Ces pages m’ont véritablement donné le "gaudium de veritate", non sans une certaine « prise de tête », que je dois attribuer, si j’ai bien compris, au concours de l’imagination dans le processus du raisonnement humain.
Inorganique dans ses facultés les plus hautes, mon âme est donc inorganique dans son principe. Donc après ma mort, elle subsistera sans support matériel. J’adhère au raisonnement, et je me réjouis de la bonne nouvelle. La moins bonne, c’est que j’apprends p. 144 qu’elle sera « réduite à sa pure intellectualité », et que « l’impassibilité de [mon] intellect [m’]interdira d’évoquer les événements de cette vie. Des passions comme la haine, les souvenirs, ne [m’]atteindront plus puisqu’elles sont des mouvements charnels ». C’est tout de même ennuyeux, puisque mon « intelligence ne peut rien comprendre sans elles et [que] la science telle qu’elle la possède maintenant lui sera étrangère ».
Je comprends le raisonnement selon lequel seule la partie purement intellectuelle de l’âme, la seule qui soit inorganique, est susceptible de subsister au corps, mais je renâcle devant les conséquences. A supposer que Dieu supplée par un quelconque éclairage miraculeux à mon incapacité à recevoir des données sensibles, serai-je encore moi-même sans mes souvenirs ? Saint Thomas admet l’existence d’une mémoire purement intellectuelle. Je note d’ailleurs que le chanoine Verneaux écrit quelque part qu’au nom du « rasoir d’Occam » il vaut mieux se passer de cette notion (Philosophie de l’homme, Paris, Beauchesne, 1985, p. 59). Mais en tout état de cause, une mémoire intellectuelle ne peut être, si je ne m’abuse, qu’une mémoire des universaux. En d’autres termes, entre ma mort et la résurrection de la chair, je me rappellerai peut-être encore ce que c’est qu’une femme, mais je ne connaîtrai plus ma femme. La connaîtrais-je que je ne l’aimerais plus, d’ailleurs, étant impassible. J’avoue que cela m’ennuie un peu...
Bref, avant la résurrection de la chair, que la philosophie donne comme convenable et la théologie comme promise, mais que rien n’annonce comme proche, la vie de l’âme séparée vaut-elle la peine d’être vécue ? Mérite-t-elle seulement le nom de vie ? Je ne sais pas si ces questions ont des réponses purement philosophiques. Les réponses théologiques, telles que les donne le catéchisme de mon enfance, me paraissent difficilement compatibles avec l’idée d’une subsistance du seul intellect : entre mon jugement particulier et la résurrection de la chair, comment pourrai-je jouir au ciel ou souffrir les tourments du purgatoire ou de l’enfer, si je suis impassible ?
Comme je suppose que la contradiction entre saint Thomas et mon bon vieux caté. n’est qu’apparente, je la soumets à de plus doctes. Ces questions m’importent en tout cas, car comme le dit saint Thomas, « nous touchons à ce que tous désirent avant tout savoir sur l’âme ».
Nicolas

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: L'animateur du forum (195.101.97.---)
Date:   25/06/2004 09:49

Cher Nicolas,

     Heureux que ma contribution à l'immense problème de l'âme ait pu vous apporter quelque lumière. Remercions surtout Aristote et Thomas d'Aquin. La philosophie s'arrête aux portes de la mort. Elle est impuissante à dire exactement ce qu'il en est après. Notre foi dans l'Au-delà se fonde sur la Révélation qui dépasse infiniment les capacités rationnelles de l'homme. La vie de notre âme reposera directement dans la main de Dieu, et nous ne pouvons qu'entrevoir ici-bas ce qu'il en sera. La façon dont l'âme jouira du ciel ou souffrira de l'enfer ou du purgatoire est absolument hors de portée de la recherche philosophique. Je vous conseille de lire la Somme Théologique sur ce sujet.

Cordialement.

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Nicolas (193.52.198.---)
Date:   25/06/2004 14:30

Cher Guy-François Delaporte,

Merci à Aristote et Thomas d'Aquin, oui, mais merci à vous pour votre effort pédagogique.
Certes, "notre foi dans l'Au-delà se fonde sur la Révélation qui dépasse infiniment les capacités rationnelles de l'homme", et dans l'absolu je ne me fais pas de souci, sinon pour mon salut, comme tout un chacun.
Je cherche simplement à résoudre pour mon compte ce qui m'apparaît pour le moment comme une contradiction entre philosophie et théologie. Si je ne m'abuse, dans une optique thomiste, si la révélation peut dépasser les données de la raison, elle ne peut pas absolument les contredire. S'il est démontré que la seule chose qui subsiste dans l'âme séparée est l'intellect et que celui-ci est par nature impassible, l'âme séparée est impassible, et Dieu lui-même ne peut rien là-contre. Elle ne peut donc ni jouir, ni souffrir.
Quant à me reporter à la Somme théologique, j'ai commencé à le faire, et ce que je lis dans la 1a pars, question 89, ne contribue guère à éclairer ma lanterne : les âmes séparées ont de toutes les choses naturelles une connaissance "propre et certaine, mais générale et confuse" (art. 3). L'art. 4 reconnaît à l'âme séparée une connaissance des singuliers dont elle a eu une connaissance antérieure, mais je ne vois pas comment, puisque Thomas affirme dans l'art. 6 que de l'habitus de science n'est conservé que ce qui était dans l'intellect, c'est à dire "les espèces intelligibles", donc les universaux, si je comprends bien.
Je continue à travailler, mais pour moi la question reste pendante.
Cordialement

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: philippe (---.ppp.tiscali.fr)
Date:   26/06/2004 02:54

cher Nicolas.
Je ne suis pas philosophe et de loin s'en faut.
Mais il me semble que si la Philosophie est nécessaire, elle doit elle-même se référer à la révélation et le témoignage des saints pour atteindre la splendeur de la Vérité. Et n'oublions pas le Magistère.
Or que nous dit la révélation ? Selon saint Paul, que les martyrs ne se souviennent même plus de leurs afflictions passées.
Que nous disent les saints ? La petite Thérèse nous confie qu'au ciel, l'une des meilleures occupations sera de parler avec sa famille de ces heures sombres ici-bas où ils récoltaient tant d'amour et de grâce. Ce n'est pas contradictoire ; tout est une question d'angle. La mémoire purifié se souviendra du bonheur caché que l'on possède déjà à notre insu, et aura oublié l'outrage à tout jamais.
Mais pour revenir à nos moutons, j'ai un petit point-de-vue personnel : Je pense que l'on a déjà au tréfonds de notre esprit le germe de notre corps glorieux. Un corps soutenu par l'esprit et non un esprit soutenu par le corps. Quand nous aurons été retournés comme un gant ? Quand le corps psychique sera retourné au néant pour laisser place à un corps spirituel. Mais on a déjà l'embryon de ce corps au tréfonds de notre esprit. Bien entendu, ce corps garde trace d'une mémoire purifié et de nos affections vraies à tout jamais. On serra homme en paradis, et non des théories immatérielles et abstraites, ça j'en suis sûr. Sinon, ça ne serait pas la résurection de la chaire.
Cordialement.

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Nicolas (---.225.39-62.rev.gaoland.net)
Date:   26/06/2004 11:57

Cher Philippe,

Vous dites : « Si la Philosophie est nécessaire, elle doit elle-même se référer à la révélation et au témoignage des saints pour atteindre la splendeur de la Vérité. Et n'oublions pas le Magistère. » J’en suis bien convaincu. Et de même je suis convaincu que saint Thomas lui-même, qui était théologien avant tout, a été guidé, dans sa recherche proprement philosophique, et par sa foi, et par son expérience mystique, et par l’enseignement du Magistère. Dans ces domaines, nous marchons tous plus ou moins à l’obscur, les génies comme les autres. N’est-ce pas le bienheureux Duns Scott qui disait que le péché originel nous a aussi obscurci l’intelligence et que sans la révélation, nous ne saurions rien découvrir des fins dernières par nous-même ?
Aussi je crois très fermement qu’après la mort nous aurons tous une vie personnelle. Mais le thomisme affirme, nous dit-on, que la question de la survivance de l’âme est non seulement une vérité révélée, mais aussi une certitude proprement philosophique. Ma question est donc : la philosophie peut-elle démontrer que la vie de l’âme séparée de la matière sera une vrai vie, personnelle, se souvenant de la terre, aimante ou éventuellement souffrante, et non pas réduite à un intellect capable seulement de contempler les universaux, c’est-à-dire les définitions du dictionnaire ?
Le problème se pose avant la résurrection de la chair. Ensuite, pas de doute que nos corps, même glorieux, seront de vrais corps de chair. Mais sainte Thérèse, que vous évoquez, a dit qu’elle passerait son Ciel à faire du bien sur la terre. Cela s’entend bien évidemment d’avant la fin du monde et la résurrection de la chair. Comment cela est-il compatible avec la théorie de la survivance de son seul intellect ?
Cordialement.

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (---.88.238.133.codenet.be)
Date:   26/06/2004 15:16

Cher Nicolas,

Permettez-moi de m'inviter à cette question qui m'a toujours passionné. Je commencerais par une petite remarque, tout à fait extérieure à l'Aristotélico-thomisme:

Il n'est pas du tout certain que l'âme séparée n'emporte pas la sensibilité. A la suite d'un témoignage sur un expérience de la mort (un homme écrasé par un mur se réveilla), saint Augustin commente: « Visiblement, l’âme se sépare du corps, emportant tout avec elle : la sensibilité, l’imagination, la raison, l’intellection, l’intelligence, l’appétit concupiscible et l’appétit irascible ». S. Augustin dit encore : « Nous croyons que seul l’homme possède une âme subsistante qui, séparée du corps, continue à vivre et garde vivants ses sens et son intelligence ». (Commentaire du livre de Qohelet, Chap. 16. ; Saint Augustin, De l’esprit et de l’âme, Chap. 15.)

Pourtant, la disparition de la sensibilité est, au plan philosophique, ce que le bon sens suggère. Le cerveau, siège des sens, n’est-il pas détruit ? C’est ce que conclut saint Thomas… Bref, la multiplication des NDE doit permettre de se pencher à nouveau sur ce problème.


En théologie, dans l’hypothèse où toute vie sensible disparaît, il est possible de se faire une bonne idée du MODE NATUREL de la vie spirituelle dans l’au-delà, qu’on soit en enfer, au purgatoire ou dans la vision de l’essence de Dieu.
Vous dites : « l’intelligence ne connaîtra plus que l’universel, son objet ». Ceci ne me semble pas juste.
L’universel n’est pas l’objet de l’intelligence. C’est l’objet de l’intelligence « quand elle fait œuvre de philosophia perennis », c’est-à-dire quand elle cherche à … connaître de l’universel !!!!!
L’objet de l’intelligence, c’est TOUT CE QUI EST, SANS EXCEPTION, donc le particulier, le général et l’universel.

Ce qui est sûr, c’est que dans cette hypothèse, (la disparition de la sensibilité), on ne garde que ce qui est spécifiquement spirituel dans nos souvenirs. On oublie le visage physique de sa mère, mais on se souvient de ses intentions profondes ; On oublie les parfums, les circonstances sensibles de nos actes. Alors, dit saint Thomas, l’intelligence se met à fonctionner « sous un autre mode, celui des anges ». Elle n’est plus capable d’abstraire la connaissance des réalités à travers des images sensibles, mais par l’intermédiaire de deux choses :
1- des concepts infusés par Dieu, par les anges ou par les autres morts.
2- Par une pénétration intellectuelle directe, sous mode intuitif, de l’essence des choses.
Cette connaissance, dit-il, bien qu’elle soit en elle-même d’un mode plus parfait, est pour nous, à cause de la faiblesse de l’esprit humain, moins parfaite ».
Est-ce que cette vie vaut d’être vécue ? Dans la vision de Dieu, oui, certainement : « Te connaître, c’est être riche de tous les biens ». Mais, au purgatoire et en enfer, ce mode naturel de fonctionnement est très peu humain, d’où, dit saint Thomas, l’aspiration de notre âme à la résurrection de la chair…
Arnaud

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: L'animateur du forum (---.w193-252.abo.wanadoo.fr)
Date:   26/06/2004 19:49

Cher Arnaud,

     Je suis très intéressé par les références où Thomas parle de l'intuition directe des essences par l'âme après la mort. Compte tenu des discussions précédentes, cela pourrait me permettre de remettre mes connaissances en chantier.

Cordialement

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Nicolas (---.226.39-62.rev.gaoland.net)
Date:   26/06/2004 20:08

Cher Arnaud,
Merci de cette réponse, et de ces très intéressants textes de saint Augustin.
Mon expression a un peu dépassé ma pensée, et vous faites bien de me rappeler à l'ordre. L'objet de l'intelligence est l'être, tout l'être et tout être en effet. Notre problème se rattache en fait à celui, plus général, de la connaissance des singuliers par l'intelligence, dès cette vie. Le chanoine Verneaux propose la solution suivante : l’intelligence n’a jamais que des concepts universels. Mais pour rejoindre l’individuel, elle les groupe de telle manière que l’ensemble ne puisse convenir qu’à un être (comme une définition du dictionnaire... des noms propres : Kant, philosophe allemand, originaire de Koenigsberg...). Avec cette idée d'un faisceau de concepts ainsi groupés qu'ils ne peuvent caractériser qu'un seul être, un thomiste ne peut-il rejoindre la belle notion scotiste de l'hecceité ? Cette "ultime spécification" qui fait que ma mère est un être unique entre toutes les femmes est dans l'ordre de la forme, donc intellectuelle si je comprends bien. Donc s'il existe une mémoire proprement intellectuelle, on peut supposer qu'un souvenir des singuliers y persiste, qu'on l'appelle hecceité ou "faisceau de concepts".
Quant au visage même de ma mère, ne puis-je penser que d'une manière mystérieuse je le "verrai" en Dieu ? Suis-je hors-sujet si j'évoque à ce propos le troisième secret de Fatima ? Ce mystérieux évêque vétu de blanc, les enfants l'ont vu "dans une lumière immense qui est Dieu". Tout à fait d'accord aussi avec votre conclusion : la séparation du corps n'est pas naturelle à l'âme humaine, c'est entendu. Mais dans la vision béatifique, ce "handicap" doit compter pour peu.
Voici l'état présent de ma réflexion. Merveille de ce forum, où l'on ose penser tout haut sous le regard sourcilleux de savants thomistes.
Cordialement,
Nicolas

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (193.191.142.---)
Date:   28/06/2004 09:53

Cher Nicolas, non je ne vous rappelle pas à l'ordre. C'est plutôt une discussion passionnante où chacun amène sa touche.
A vrai dire, après y avoir cru longtemps, j'ai fini par ne plus adhérer à la thèse de la disparition du psychisme à la mort.
Enn stricte logique raisonnavle, c'est pourtant logique: le siège de nos souvenir est bioen le cerveau.
Pourtant, la multipliciter des NDE semble indiquer que le cerveau produit un subtrat, fait d'une sorte de matière psychique, et qui suvie à la mort organique.

En théologie catholique, ce n'est qu'une nouvelle approche qui a le mérite de répondre de manière originale à votre question légitime: la vie de l'âme séparée de sa chair...

Si vous allez sur le site http://eschatologie.free.fr, vous trouverez une livre simple intitulé "l'heure de la mort", et qui réécrit la vie après la mort, dans la fidélité totale à la foi catholique, ... si les NDE sont vraies.
Arnaud

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (193.191.142.---)
Date:   28/06/2004 10:32

Cher Guy,
Je vais essayer de répondre à votre question avec la plus grande précision.
Je suis dans mon école, aussi, je ne peux vous donner pour le moment les références exactes.
Pour être tout à fait précis, dans la somme, I a pars, sur la connaissance des anges (donc par la suite sur la connaissance des âmes séparées qui est sous le même mode), saint Thomas n'admet qu'une seule source de connaissance des anges: """"des SPECIES infusées par Dieu, lors de leur création ou par la suite, leur permettant de connaître tout ce dont ils ont besoin pour leur prédestination personnelle et pour leur mission."""
Le raisonnement de saint Thomas est le suivant: les anges n'ayant pas de sensations, ils ne peuvent abstraire à partir du sensible les espèces intelligibles comme nous le faisons. Mais les concept infusés par Dieu ou par les autres anges sont suffisamment universels pour contenir de manière simple toutes les circonstances pratiques des évènements dont ils auront besoin pour leur mission sur la matière (monde physique et hommes).
De même, selon saint Thomas, les âmes séparées n'ayant plus de sensations et d'images, leur connaissance prend ce mode angélique. Elles deviennent incapables de voir par elles-mêmes ce qui se passe dans notre monde sensible. Mais des espèces intelligibles leur sont données par les autres esprits. Elles ont des nouvelles de ce monde par les esprits des morts qui artrivent dans l'au-delà, par les anges et par Dieu dans la vision béatifique.
Ainsi, lorsque je dis, "les anges connaissent aussi par une pénétration intuitive de la réalité", cela ne vient pas de saint Thomas. Je n'ai pas été assez précis.

Cela vient d'ailleurs. Deux sources:
1- certaines remarques de saint Thomas lui-même.
2- Un raisonnement théologique.
1- Les remarques de saint Thomas sont multiples à affirmer et reconnaître un connaissance jusqu'aux circonstances, des réalités contingentes. Par exemple, dans le traité sur la vie de Jésus, il reconnait que les démons soupçonnaient que Jésus était le messie, "à cause de signes concordants qu'ils observaient dans son comportement ou dans les Ecritures." "Les démons croient mais ils tremblent". La questioin est: d'où les démons tenaient-ils ces connaissances? De "species infusées par Dieu" ou de l'observation directe de Jésus?

2- Pour y répondre, voici un raisonnement théologique.
OBJECTION 1: Existe-t-il une "espèce intelligible" assez universelle pour contenir la totalités des circonstances qui entourent la vie d'un homme, (génétique, milieu, liberté, hasards etc.), au point que la mission d'un ange ou d'un démon "colle" à la réalité pratique de cet homme? Réponse: oui: mais ce concept ne peut être que... l'essence de Dieu elle-même. En effet, IL Y A TROP DE CIRCONSTANCES DANS UNE VIE AU POINT QU'AUCUNE INTELLIGENCE CREE NE PEUT LES CERNER. Si l'on objecte à cela que, pour leur mission, il suffit aux anges de connaître "en gros" les intentions dun homme", je réponds: Non. Leur rôle est très concret au point que, dans l'Eden "ils devaient porter l'homme et la femme dans leurs mains de peur que leur pieds ne heurte quelque pierre" (psaume).
OBJECTION 2: Si une telle espèce universelle n'existe pas en dehors de la vision bétifique, faut-il admettre qu'en ce qui concerne les démon, Dieu leur infuse sans cesse, à chaque instant, ce qui leur est utile dans leur "travail terrestre" sur les hommes? REPONSE: ce n'est pas la manière habituelle d'agir de Dieu (PRINCIPE DE SUBSISDIARITE). Cette hypothèse revient à affirmer que Dieu fait le travail "d'une cause seconde". En effet, le plus simple est que Dieu créée l'esprit angellique de telle manière que son pouvoir sur la matière soit accompagné de tous les instruments adaptés pour qu'il puisse agir de manière autonome.

CONCLUSION: le plus simple est de poser, dans les anges, une SORTE D'INTELLECT ACTIF (au sens très analogique du terme donc pas le même que les hommes). Il ne s'agit pas pour eux de tirer l'intelligible à partir des images sensibles (Ca c'est ce que nous faisons), mais à partir de ce qui, dans les réalités sensibles, est DIRECTEMENT INTELLIGENT et intelligible. C'est ce que j'appelle une intuition directe.
Cette connaissance est forcement plus précise que celle des hommes car , dans ce cas, ils lisent de l'interieur l'intelligibilité des atomes ou de l'ADN, sans avoir le voile des apparences extérieures.
Concrètemant, je pense que quand un homme est conçu, le démon lit directement son ADN et en déduit de multiples conclusions, sans aide de Dieu (specis infuses) mais par sa propre nature. Puis il lit à chaque instant la vie des hommes, à l'exception de ce qui est spécifiquement spirituel (sanctuaire que saint Thomas reconnait comme protégé par Dieu). Mais saint Thomas ne cesse de reconnaître que le démon à accès, sauf pour Marie, à tout le reste (corps et psychisme de l'homme).

Arnaud

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: l'animateur du forum (81.80.167.---)
Date:   28/06/2004 10:57

Cher Nicolas,

      Malgré l'amitié que j'ai pour Arnaud, et le respect pour son travail si utile sur Internet, je m'inscris totalement en faux avec ses conclusions. Les NDE ne sont PAS des expériences de la mort, car justement il n'y a PAS eu mort. Qu'il y ait eu un état critique, particulièrement influent sur l'imagination, et suffisamment biologique pour qu'il soit globalement identique chez tous, cela est fort probable. Que cet état soit indicateur de ce qu'est la mort, cela n'est pas plus prouvé que par exemple l'expérience de stupéfiants soit indicateur de ce qu'est le bonheur. De plus la notion de corps psychique de l'âme n'a rien de nouveau. Déjà Aristote en débattait, et plus encore Thomas d'Aquin. Les fameuses NDE n'apportent rien de plus à cet égard.

      Revenons en à la vie de l'âme après la mort, vie dévaluée par rapport à la vie terrestre. Au seul plan philosophique, il faut préciser que l'âme intellectuelle conserve les habitus de science et qu'ainsi, elle peut approfondir d'un point de vue intellectuel les connaissances qu'elle a acquises durant sa vie terrestre. En somme, elle est condamnée à faire de la métaphysique. De plus, par le croisement des concepts universels, elle peut rejoindre intellectuellement le singulier, sans avoir de lui une connaissance universelle. Par contre, autant que je le sache, il n'y a pas, en l'âme séparée, d'intuition directe des essences.

      Mais l'essentiel est ailleurs. La vie de l'âme après la mort est essentiellement surnaturelle. Ce sont Dieu et les anges qui l'instruisent en tant que de besoin. D'après Thomas d'Aquin, la condamnation au feu de l'Enfer est bien une condamnation à un feux matériel, non pas comme si un feu matériel pouvait consumer une réalité immatérielle, mais du fait que cette réalité immatérielle est de soi libre de tout attachement à un lieu. La damnation l'attache, contre sa nature et sa volonté, à un lieu et l'éloigne ainsi infiniment de la contemplation de Dieu, lieu fait de feu.

Cordialement.

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (193.191.142.---)
Date:   28/06/2004 11:41

Cher Guy,

""""Les NDE ne sont PAS des expériences de la mort, car justement il n'y a PAS eu mort."""""
TOUT A FAIT D'ACCORD, MAIS ALORS TOUT A FAIT d'ACCORD.
D'où le nom d'expérience de mort APPROCHEE....

Il est même essentiel qu'il en soit ainsi sans quoi toute ma thèse sur la Parousie du Christ "à l'heure de la mort" seraient en contradiction avec le dogme solennel de Benoit XII qui dit avec précision: """APRES LA MORT, l'âme en état de péché mortel est AUSSITÔT conduite en enfer [sous-entendu: il n'y a donc plus de conversion possible]".
Ainsi, si l'apparition du Christ glorieux à lieu, c'est dans cette vie et non après la mort.
Arnaud

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (193.191.142.---)
Date:   28/06/2004 11:53

cher Guy,

"""""Par contre, autant que je le sache, il n'y a pas, en l'âme séparée, d'intuition directe des essences."""
D'accord encore. L'esprit humain, visiblement, est fait pour connaître à travers les images (intellect agent). Sans les images, [dans l'hypothèse où le psychisme est détruit entièrement par la mort], je ne vois effectivement POUR LES AMES HUMAINES (le plus faible parmi les esprits) d'autre manière que celle que vous indiquer pour connaître les singuliers.

Mais pour l'ange, êtes vous d'accord pour reconnaitre que ce mode que vous décrivez: """par le croisement des concepts universels, elle peut rejoindre intellectuellement le singulier""", est tout à fait insuffisant pour leur mission.
En effet, leur mission ne consiste pas à dire: """une vipère peut (de manière conceptuelle) mordre un homme" mais: ""une vipère approche telle personne ici et maintenant. Je dois, ici et maintenant, l'empêcher concrètement de mordre cette personne""".
Reconnaissez que, à part l'eseence de Dieu, aucun concept universel croisé ne peut être ici efficace.
Arnaud
Arnaud

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: nicolas (193.52.198.---)
Date:   28/06/2004 14:21

Cher Arnaud,
Heureux de savoir qu'on peut lire des choses sérieuses sur les NDE. Je l'ignorais, les ayant toujours cataloguées au rayon des fumisteries. En fait, j'en ignore tout, sinon que cela existe.
Vos objection à la thèse de la connaissance angélique des singuliers par des species d'origine divine me paraissent très fortes.
Pour ma part, en lisant l'autre jour la q 89; art 1 de la 1a pars, je m'étais formulé la question suivante : saint Thomas dit : "Dans toutes les substances intellectuelles, la faculté de connaître provient d'un influx de la lumière divine. Cette lumière est parfaitement une et simple dans le premier principe ; et dans la mesure où les créatures intellectuelles sont éloignées du premier principe, dans cette mesure même, cette lumière se divise et se diversifie. (...) Les plus élevées des substances intellectuelles, tout en connaissant au moyen de plusieurs formes, n'emploient cependant que des formes en plus petit nombre, plus universelles, et d'une plus grande puissance pour comprendre les choses, en raison de l'efficacité de la vertu intellectuelle qui est en elles. Mais dans les moins élevées de ces substances, il y a des formes plus nombreuses, moins universelles, et moins efficaces pour comprendre le réel, parce que n'atteignant pas à la puissance intellectuelle des êtres supérieurs".
Tel que je comprends ce texte, les anges reçoivent de Dieu des formes universelles, et sont assez intelligents pour en comprendre toutes les implications, au point de connaitre par leur intermédiaire les singuliers dans lesquels ces formes "s'incarnent". Mais si je ne m'abuse, en aristotélisme strict, c'est la matière, et non la forme, qui est principe d'individuation pour les êtres naturels. Dans cette optique, je ne vois donc pas très bien comment une connaissance même approfondie des formes peut permettre de connaître les singuliers.
Cordialement,
Nicolas

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Nicolas (193.52.198.---)
Date:   28/06/2004 17:31

Cher Guy-François Delaporte,
Auriez-vous la gentillesse de m'indiquer la référence des textes où saint Thomas dit que les âmes des damnés sont attachées à un lieu brûlant ? On a du mal à se le représenter... Encore que la vision des enfants de Fatima tout à fait quelque chose comme cela.
Pour ma part, je mets sur la table, sans commentaire, ce texte que je trouve un peu effarant, lu ce matin dans le De Potentia :
q. 9 a. 2 arg. 14 : L'âme séparée du corps par la mort n'est pas appelée personne, et cependant c'est une substance individuelle d'une nature raisonnable. Donc ce ne n'est pas une définition convenable de la personne .
q. 9 a. 2 ad 14 L'âme séparée est une partie de la nature raisonnable, à savoir de la nature humaine, et non toute la nature raisonnable humaine et c'est pour cela que ce n'est pas une personne.
Donc pour saint Thomas philosophe, il ne reste pas assez à l'âme séparée pour être une véritable personne ? Naturellement du moins ? Et il faudrait que l'ordre de la surnature y supplée mystérieusement ?
Cordialement

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: L'animateur du forum (---.w193-253.abo.wanadoo.fr)
Date:   28/06/2004 17:51

Cher Nicolas,

     Voici la référence : Qestion Disputée De Anima, q21. Pour ce qui est de l'âme qui n'est pas une personne, je dois vous renvoyer aux arcannes du difficile débat avec Etienne Gofette sur la nature exacte de l'âme séparée.

Cordialement

 Re: La vie de l'âme séparée vaut-elle la peine d'être vécue ?
Auteur: Arnaud Dumouch (193.191.142.---)
Date:   29/06/2004 09:57

Cher Nicolas,

"""""Mais si je ne m'abuse, en aristotélisme strict, c'est la matière, et non la forme, qui est principe d'individuation pour les êtres naturels. Dans cette optique, je ne vois donc pas très bien comment une connaissance même approfondie des formes peut permettre de connaître les singuliers."""""

Ajoutez à cela le fait que la réalité singulière dont l'ange s'occupe évolue dans le temps, est mise en danger dans l'espace etc., alors vous comprenez que si le concept nécessaire pour la connaître était infusé par Dieu aux anges, il devrait y avoir en permanance, à chaque instant, infusion de nouveaux concepts.

Or, il est un principe en théologie qui est ici baffoué: le principe de subsidiarité. "Lorsque Dieu peut faire faire une oeuvre par une cause seconde créée, alors Dieu ne le fait pas lui même mais par cette cause seconde". Ainsi, puisqu'il suffit à Dieu d'avoir créé les anges avec une capacité NATURELLE à lire de l'interieur ce qui est intelligible dans le sensible, on ne voit pas pourquoi il s'en serait privé.

J'ajoute qu'il est de foi que les anges ont reçu de Dieu une faculté NATURELLE POUR MOUVOIR LES ÊTRES MATERIELS. Cette faculté leur fut donnée à leur création en prévision de leur mission d'anges gardiens. Elle est donc conservée chez les démons. S'ils ont reçu cela (et une telle action est très concrète), alors il est nécessaire d'admettre qu'ils ont la puissance intellectuelle NATURELLE qui va avec.
Arnaud

C'est théoriquement possible pour obtenir une connaissance générale d'une personne (sauf si le "concept" est l'essence de Dieu, bien sûr).